Une faune symbolique chrétienne

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Un art religieux Au Moyen Âge, les animaux réels ou légendaires sont partout : sculptés dans la pierre des églises, tissés par les fils des tapisseries, décrits et peints dans les manuscrits ornés d’une faune qui déborde jusque dans les marges enluminées des livres de prière. Ces représentations rendent grâce à la puissance et à la gloire de Dieu. L’art est conçu comme un enseignement religieux, les animaux constituant des symboles à décrypter. La symbolique du bestiaire médiéval tire sa source de multiples références à l’Ancien et au Nouveau Testament. Animaux exotiques ou fantastiques et parfois familiers sont interprétés en fonction de la leçon dogmatique ou morale qu’on veut en tirer. Les exemples du bien sont généralement le lion, la panthère, la licorne, le cerf, l’aigle, le pélican, le phénix ; ils symbolisent tous le Christ. La fourmi, la sirène, l’autruche, la colombe, la salamandre symbolisent le bon chrétien, tandis que le crocodile, le dragon, le loup, l’ours, le renard, l’âne sauvage (onagre), le singe représentent le mal et figurent le diable. Mais ces symboles peuvent varier selon le contexte, ainsi le lion a une image tantôt positive, tantôt négative. Barthélemy l’Anglais Livre des propriétés des choses Marche, 1480 BNF, Manuscrits, français 9140, f. 328 Les animaux de la Création, sauvages, familiers ou imaginaires, représentés par couple. Une faune symbolique chrétienne Même s’il est polymorphe, le symbole médiéval se construit presque toujours autour d’une relation de type analogique, c’est-à-dire appuyée sur la ressemblance – plus ou moins grande – entre deux mots, deux notions, deux objets, ou bien sur la correspondance entre une chose et une idée. Plus précisément, la pensée analogique médiévale s’efforce d’établir un lien entre quelque chose d’apparent et quelque chose de caché ; et, principalement entre ce qui est présent dans le monde d’ici-bas et ce qui a sa place parmi les vérités éternelles de l’au-delà. Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental

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Un art religieux

Au Moyen Âge, les animaux réels ou légendaires sont partout : sculptés dans la pierre des églises,tissés par les fils des tapisseries, décrits et peints dans les manuscrits ornés d’une faune quidéborde jusque dans les marges enluminées des livres de prière. Ces représentations rendentgrâce à la puissance et à la gloire de Dieu. L’art est conçu comme un enseignement religieux,les animaux constituant des symboles à décrypter.La symbolique du bestiaire médiéval tire sa source de multiples références à l’Ancien et auNouveau Testament. Animaux exotiques ou fantastiques et parfois familiers sont interprétésen fonction de la leçon dogmatique ou morale qu’on veut en tirer. Les exemples du bien sontgénéralement le lion, la panthère, la licorne, le cerf, l’aigle, le pélican, le phénix ; ils symbolisenttous le Christ. La fourmi, la sirène, l’autruche, la colombe, la salamandre symbolisent le bonchrétien, tandis que le crocodile, le dragon, le loup, l’ours, le renard, l’âne sauvage (onagre),le singe représentent le mal et figurent le diable.Mais ces symboles peuvent varier selon le contexte, ainsi le lion a une image tantôt positive,tantôt négative.

Barthélemy l’AnglaisLivre des propriétésdes chosesMarche, 1480BNF, Manuscrits,français 9140, f. 328Les animaux de la Création,sauvages, familiers ouimaginaires, représentéspar couple.

Une faune symbolique chrétienne

Même s’il est polymorphe, le symbole médiéval se construit presque toujoursautour d’une relation de type analogique, c’est-à-dire appuyée sur la ressemblance– plus ou moins grande – entre deux mots, deux notions, deux objets, ou biensur la correspondance entre une chose et une idée. Plus précisément, la penséeanalogique médiévale s’efforce d’établir un lien entre quelque chose d’apparentet quelque chose de caché ; et, principalement entre ce qui est présent dansle monde d’ici-bas et ce qui a sa place parmi les vérités éternelles de l’au-delà.

Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental

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L’animal dans la Bible

Les animaux du récit biblique constituentles fondements du bestiaire médiéval.En reproduisant les êtres de la Création,les miniaturistes et les sculpteurs des scènesqui ornent les chapiteaux des églises romanescélèbrent la gloire du Seigneur.Selon la Genèse, Dieu créa les poissons et lesoiseaux le cinquième jour et le sixième jourles « animaux de la terre », puis l’homme. Adam,en nommant les animaux, prend pouvoir sur eux.L’homme et les bêtes vivent en parfaiteharmonie jusqu’à ce que Dieu chasse Adam etÈve du jardin d’Éden pour avoir enfreint la loi etgoûté au fruit défendu. Le serpent, dont Lucifera emprunté les traits pour séduire Ève, estmaudit par Dieu, qui met dans sa bouche levenin et le condamne à ramper. L’harmonie estdétruite, l’homme et la femme doivent affronterune nature hostile.

L’épisode suivant mettant en scène desanimaux est celui du Déluge, déclenché parDieu pour punir les hommes corrompus etdétruire toute vie sur terre. Mais il épargne Noé,avec lequel il fait alliance. Noé embarque dansune arche toute sa famille et des animaux parcouples pour perpétuer les espèces. Lorsqueles eaux se retirent, l’arche s’échoue sur le montArarat et Noé lâche une colombe à plusieursreprises jusqu’à ce qu’elle revienne avec unebranche d’olivier dans le bec, signe que la terreest sèche et qu’hommes et bêtes peuventdébarquer de l’arche. Dieu édicte alors denouvelles règles, autorisant l’homme à se nourrirde l’animal, mais pas de son sang, et menaçantde punir l’animal qui verserait le sang del’homme. Les rapports entre hommes etanimaux s’inscrivent désormais dans le domainedu conflit.

De nombreuses autres séquences bibliques fontintervenir l’animal entre l’homme et Dieu.Lorsque – à la demande du Seigneur – Abrahams’apprête à sacrifier son fils Isaac, un angearrête son bras et c’est un bélier, symbolede la confiance en la justice divine, qui estsubstitué à l’enfant.Le lion et le taureau sont les emblèmes desdeux lignées messianiques d’Israël, les tribusde Juda et de Joseph. Avant de mourir, Jacobbénit sa descendance ; il dit à son fils Juda :« Tu es un lionceau » et lui prédit qu’il régnerajusqu’à la venue du Messie. L’image du Christrédempteur sera assimilée à celle du lion deJuda, mais aussi à celle de l’agneau sacrificiel.Lion, taureau, aigle et homme-ange sont réunisdans la vision de la gloire de Dieu d’Ézéchiel(chapitre premier du livre d’Ézéchiel) : dans unenuée de feu, il vit « quatre êtres vivants » portant

Nicolas de LyrePostilles sur la GenèseItalie, vers 1400BNF, Manuscrits, latin 364, f. 4Dieu mène à Adam tous les animauxde la Création afin qu’il leur donne un nom.

Psautier dit de saint Louis et de Blanche de CastilleParis, vers 1230BNF, Arsenal, ms. 1186, f. 13 v°Image du haut : l’arche de Noé. La colombetient dans son bec une branche d’olivier.Annonciatrice de la fin du Déluge, elleest devenue le symbole de la paix.Image du bas : le sacrifice d’Abraham.L’ange retient le bras d’Abraham et lui désignele bélier à immoler à la place d’Isaac.

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chacun quatre ailes et présentant quatrefaces, une face d’homme, une face de lionà droite, une face de taureau à gauche etune face d’aigle en arrière ; ils se déplaçaientensemble avec quatre roues. Cette image – letétramorphe – réapparaît dans l’Apocalypsede Jean (chapitre IV), dans sa vision du trônede Dieu. Les quatre « Vivants » ont été associésaux évangélistes par les Pères de l’Église dansles premiers siècles du christianisme et ontété considérés comme leur attribut : l’homme– symbole de l’Incarnation – pour Matthieu quicommence son Évangile par la généalogie duChrist ; le bœuf ou le taureau, animal sacrificiel– symbole de la Passion –, pour Luc : son textedébute par le sacrifice offert par le prêtreZacharie au Temple ; le lion – symbole de laRésurrection – désigne Marc, qui commencepar évoquer la voix qui crie dans le désert ;l’aigle (l’Ascension) représente Jean, quicompare la Parole de Dieu à la « véritablelumière » qui a fait le monde et qu’il fautcontempler ; or l’aigle est le seul animal àmonter haut dans le ciel et à pouvoir regarderle soleil en face.La représentation du tétramorphe est un desthèmes favoris de l’art religieux du Moyen Âge.Une autre séquence de l’Apocalypse relatela vision d’un monstre épouvantable : un granddragon rouge, ayant sept têtes couronnéesd’un diadème et dix cornes. « Sa queue balaiele tiers des étoiles du ciel et les précipite surla terre » (XII, 4). Michel et ses angescombattirent victorieusement cette bête,et « l’antique serpent, le diable ou le Satan,comme on l’appelle, le séducteur du mondeentier, on le jeta sur la terre et ses angesfurent jetés avec lui » (XII, 9). Au chapitre XIII,Jean voit surgir de la mer une bête à sept têteset dix cornes portant des couronnes ; ellea un corps de léopard, des pattes d’ours etune gueule de lion proférant des blasphèmes.Le dragon lui a donné puissance et autorité.Puis une autre bête sort de la terre ; elle a deuxcornes, parle comme un dragon et séduitles habitants de la terre par des prodiges.Au Moyen Âge, ces bêtes de l’Apocalypseservent à enseigner la peur de l’Enfer.

Nota bene : Toutes les citations bibliquesde ce texte et des suivants sont extraitesde la Bible de Jérusalem.

Guiart des MoulinsBible historialeParis, milieu du xive siècleBNF, Manuscrits, français 20089, f. 5Les quatre évangélistes et leur attribut entourent le Seigneur. Le lionau-dessus de l’image représente le lion de Juda, symbole du Christ.

Lambert de Saint-OmerLiber FloridusCambrai, 3e quart du xiiie siècleBNF, Manuscrits, latin 8865, f. 39Le dragon de l’Apocalypse, avec ses sept têtescouronnées et ses dix cornes, est vaincu par saint Michelet ses anges, annonçant la venue du royaume de Dieu.

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Frère LaurentSomme le roiFrance, 1294BNF, Manuscrits, français 938, f. 8 v°La bête d’Enfer sortie de la meravec le pouvoir de vaincre lessaints (Apocalypse, XIII).

Compagnons des saintsLes histoires de la vie des saintscomportent très souvent des épisodes oùinterviennent des animaux et nombreusessont les représentations de saintsaccompagnés d’un animal. Il y a bien sûrles évangélistes, qui ont pour attribut lelion, l’aigle ou le taureau, mais aussi tousceux qui ont apprivoisé des bêtes sauvageset en ont fait des êtres familiers, commesaint Jérôme au désert : le lion qu’il a guérien lui enlevant une épine de la patte luitient compagnie et le sert. C’est une bichequi nourrit saint Gilles dans sa retraite aufond des bois ; lorsqu’elle est poursuiviepar les chasseurs, elle vient se réfugier auxpieds du saint et c’est lui qui reçoit laflèche destinée à la biche. Eustache étaitun général romain païen ; un jour,pourchassant un cerf, il vit le Christ sur sacroix entre les bois de l’animal et entenditune voix qu’il reconnut comme celle duDieu des chrétiens. Il se convertit alorsavec toute sa famille. La même apparitionest attribuée à saint Hubert, alors qu’ilchassait en forêt ; la voix lui enjoignitd’adopter la religion chrétienne. Ce qu’il fiten quittant tout pour servir Dieu. Quant aucochon de saint Antoine, c’est l’emblèmede l’ordre des Hospitaliers qui possédaientdes porcs dont la viande nourrissait lespauvres.

Vincent de BeauvaisMiroir historial en françaisParis, 1335BNF, Arsenal 5080, f. 124 v°Saint Eustache et l’apparition du Christen croix entre les bois d’un cerf.

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Le roi des animaux

Le lion est sans doute l’animal que l’on retrouvele plus souvent sculpté, peint, tissé, brodé surtous les supports du décor médiéval. C’est labête sauvage la mieux connue depuis l’Antiquitéet les jeux du cirque. L’homme du Moyen Âgea eu l’occasion de voir des lions vivants,présentés par des montreurs d’animaux dansles foires ou bien dans les ménageries royaleset princières.Ils peuplent les marges et ornent les lettreshistoriées des manuscrits enluminés. Dans lesarmoiries médiévales, le lion est la figure la plusfréquente à partir du xiie siècle. Au xiiie siècle,l’écu au lion devient celui du chevalier chrétien,alors que l’écu au dragon est celui du païen ;tout héros littéraire d’Europe occidentalea un lion pour figure héraldique.Dans la Bible, l’image de cet animal varie :les rois ou les héros remarquablement forts luisont comparés. Emblème de la tribu de Juda,il est associé au Christ et son rugissementà la parole divine. Mais il incarne aussi le malpar sa cruauté – Samson le combat avecsuccès, symbole de la victoire du bien sur lemal –, parfois même le diable, dans le NouveauTestament et pour la plupart des Pères del’Église : « Sauve-moi de la gueule du lion »,implore le chrétien dans un psaume.L’affrontement victorieux d’un lion consacreun héros – David, Samson – ou un saint : Daniel,Blandine.Il est très présent dans les romansde chevalerie : compagnon du héros, dansLe Chevalier au lion, de Chrétien de Troyes,

ou combattu par Lancelot dans la quêtedu Graal.Dans les bestiaires dérivés du Physiologus,le lion est investi de trois « natures » qui luidonnent une dimension christique : poursuivipar les chasseurs, il efface ses traces avec saqueue ; de même le Christ, « notre lion célestede la lignée de Juda, racine de Jessé, fils deDavid, envoyé du souverain Père, dissimula auxintelligences humaines les traces de sa naturedivine » (Pierre de Beauvais) et s’incarna dansle sein de la Vierge. La deuxième particularitédu lion est de dormir les yeux ouverts, commeJésus dormit sur la croix tandis que veillait sanature divine. Troisième vertu : par son souffleet ses rugissements, il donne vie à ses petitstrois jours après qu’ils sont mort-nés ; ainsi Dieule Père ressuscite son Fils au troisième jour.Le lion, qui épargne les bêtes faibles et lespetits animaux, et ne s’attaque à l’homme quepoussé par une très grande faim, est un modèlepour « les hommes de haut rang », qui doiventépargner les pauvres et les faibles.Les bestiaires du xiiie siècle parlent du lioncomme du roi des animaux, redouté de tous,mais craignant le coq blanc, le grincement desroues de charrette et le feu. Pourtant, ce n’estqu’à partir du xiie siècle que, sous l’influencede l’Église, le lion devient le roi des animaux,détrônant l’ours, omniprésent dans les légendesgermaniques, celtiques et slaves. Animal de la tradition orale, l’ours est le hérosde nombreux récits soulignant sa ressemblanceavec l’homme : il se tient debout, se sert de ses

mains, et, d’après Pline, s’accouple commel’être humain. On raconte même des histoiresde rois « fils d’ours », enfantés par des femmesenlevées et violées par ces bêtes lubriques.Pour l’Église, cet animal assimilé à l’hommesauvage, objet d’un culte païen, ne pouvait êtreun modèle. Aussi a-t-elle favorisé laprédominance du lion, en mettant en avant sonimage positive, tandis que ses aspects négatifsétaient transférés sur un nouvel animal, leléopard, sorte de lion déchu qui apparaît dansl’héraldique la tête de face et le corps de profil,représentation le plus souvent péjorative. Enmême temps, l’ours est diabolisé, domestiqué,puis ridiculisé. Pour les Pères de l’Église, c’estune créature au service de Satan ; violent,coléreux, glouton, lubrique, il incarne la plupartdes péchés capitaux : colère, luxure, paresse,envie, gourmandise. Par ailleurs, on racontedans les histoires de leur vie comment plusieurssaints (Amand, Corbinien, Vaast, Rustique…)ont réussi à asservir un ours. Enfin, lemalheureux animal, enchaîné et muselé,danse et amuse le public de foire en foireet de château en château, accompagnantles jongleurs, traîné par les montreurs d’ours,qui achèvent ainsi de le détrôner avecla bénédiction de l’Église.En Europe, le lion règne alors sur tous lesanimaux et dans les ménageries royalesd’où l’ours a été chassé. Le Roman de Renart(fin du xiie siècle) le présente ainsi dansle personnage du roi Noble.

Richard de FournivalBestiaire d’AmoursFin xiiie-début xive siècleBNF, Manuscrits, français 1951, f. 17 (détail)Le lion poursuivi par le chasseur effaceses traces avec sa queue.

Vincent de BeauvaisMiroir historial en françaisParis, 1463BNF, Manuscrits, français 50, f. 25Une image négative du lion et des autresanimaux incarnant les péchés capitaux :le lion chevauché par un roi est l’orgueil,l’ours par un gros bourgeois est la gour-mandise, l’âne par un vilain est la pares-se, le singe représente la luxure, le léo-pard l’avarice, le sanglier portant unnoble la colère et le chien l’envie.

Heures à l’usage de ThérouanneNord de la France, vers 1280BNF, Manuscrits, latin 14284, f. 9 v° (détail)Dans la marge inférieure d’un livred’heures, un jongleur fait danser unours muselé.

François DesmoulinsTraité sur les vertus cardinalesLyon, vers 1510BNF, Manuscrits, français 12447,intérieur plat supérieur (détail)Une image positive du lion : ilest associé à la force, vertu car-dinale.

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L’agneau est l’animal sacrificiel par excellence.Il symbolise l’innocence, la douceur, la pureté.Le sacrifice d’un agneau pour apaiser la colèredivine ou fêter le renouveau de la natureest sans doute l’un des rares rites antiquesqui se soit perpétué jusqu’à aujourd’hui : il estprésent dans la Pâque juive, comme dans lesPâques chrétiennes et le Ramadan musulman.Dans la Genèse, Dieu choisit l’offrande d’Abel,qui est un mouton de son troupeau, et rejettecelle de Caïn (une gerbe de céréales desa récolte), provoquant la jalousie et la colèrede celui-ci. C’est un bélier ou un agneau quiest substitué à Isaac pour accomplir le sacrificeréclamé à Abraham.L’incarnation du Sauveur en agneau remonteaux débuts du christianisme. On en retrouve desfigurations sur les murs des catacombes datantde la fin du iie siècle. Dans les églises romanesl’agneau prend le pas sur le poisson,secrètement utilisé par les premiers chrétienscar « poisson » en grec est l’anagramme deJésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur. Dans l’AncienTestament, Isaïe dit : « Maltraité, il s’humiliait,il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau quise laisse mener à l’abattoir, comme devant lestondeurs une brebis muette, il n’ouvrait pas labouche » (Isaïe, LIII, 7). Dans l’Évangile selonsaint Jean, lorsque Jean-Baptiste baptise Jésus,il le désigne comme « l’agneau de Dieu quienlève le péché du monde » (Jean, I, 29).Au chapitre V de l’Apocalypse, l’agneau de Dieuapparaît à Jean : « Alors je vis, debout entrele trône aux quatre Vivants et les Vieillards,un Agneau, comme égorgé, portant sept corneset sept yeux, qui sont les sept Esprits de Dieuen mission par toute la terre » (Apocalypse, V, 6).Seul cet agneau est jugé digne d’ouvrir le livrescellé de sept sceaux, le livre de Vie. Il est leMessie de la Jérusalem céleste.Le mouton incarne également le chrétien dansla métaphore du « bon pasteur », présente dansles Psaumes, les livres d’Ézéchiel et de Zacharieet l’Évangile de Jean. Cette image est souventreproduite dans l’iconographie populaire :le Christ est figuré en berger qui rassemble,protège, guide son troupeau et ramène la brebiségarée : « Je suis le bon pasteur ; le bon pasteurdonne sa vie pour ses brebis » (Jean, X, 11).

Le cerf

Le cerf est un animal familier à l’hommemédiéval. Il est un des animaux que l’onrencontre le plus souvent dans les manuscritsmédiévaux, en particulier parmi les animauxde la Création et ceux de l’arche de Noé.Sa symbolique prend sa source dans lesanciennes traditions celtes et germaniquespaïennes, où il apparaît comme un animalsolaire, médiateur entre le ciel et la terre. Avecses bois qui repoussent chaque année plusimportants, son brame en période de rut, ilest aussi associé à la force vitale, la puissancesexuelle, et symbolise la virilité. Il n’est pasétonnant que, dans la mythologie grecque,la déesse Artémis punisse Actéon enle transformant en cerf : il l’a surprise sebaignant nue dans un torrent ; il finit dévorépar ses propres chiens.L’image du cerf est récupérée par lechristianisme, qui interprète la repousseannuelle de ses bois comme un symbole defécondité et de résurrection. Pour les Pèresde l’Église, c’est une bête pure et vertueuse,un exemple pour le chrétien. On le montrefréquemment comme il est apparu à saintEustache et saint Hubert, portant un crucifixentre ses bois, dont les dix andouillersreprésentent les dix commandements.Les bestiaires soulignent un aspect particulierde cet animal dans ses rapports avec sonennemi le serpent : il emplit sa bouche d’eauet la répand dans les trous où se cache leserpent. Il l’attire ainsi à l’extérieur par les

exhalaisons de sa bouche et de son nez,et le tue en le piétinant. Mais, lorsqu’il estmalade, il se soigne en mangeant le serpent,et pour se protéger du venin il boitabondamment l’eau d’une source. Le serpentest évidemment assimilé au Diable, son veninest le péché et l’eau purificatrice le baptème.Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des cerfssculptés sur les baptistères. Nombreux sontégalement les manuscrits qui reproduisentdans leurs marges un cerf s’abreuvantà une source. Par référence au psaume 42– « Comme la biche soupire après le coursd’eau, mon âme soupire après toi, Seigneur » –,il évoque l’âme du chrétien assoiffée de Dieu.On retrouve le cerf mis en scène dans lesromans de chevalerie et dans plusieursépisodes du cycle de la Table ronde. Il s’agitalors de la quête d’un cerf blanc ; ellesymbolise l’aventure elle-même, la présenced’un autre monde, et la recherche du Salut.La tradition veut que ce soit par référenceà cette légende arthurienne que, capturantun jour de 1381 un cerf blanc portant à soncou un collier d’or, le jeune roi Charles VIait voulu faire du cerf blanc ailé couronnél’emblème de la royauté française,vivant à jamais. Il fit reproduire ce motifsur sa bannière et sur son casque de parade.Le cerf blanc ailé couronné fut, à côté desfleurs de lys, un emblème de la royautéfrançaise jusqu’au milieu du xvie siècle.

L’agneau

Philippe de MézièresSonge du Vieil PèlerinParis, vers 1390BNF, Arsenal, ms. 2682, f. 34Le cerf blanc couronné et ailé, emblèmede Charles VI, sur fond argent, rouge et vert.

ApocalypseNormandie, vers 1330BNF, Manuscrits, latin 14410, f. 7L’agneau divin ouvre le livre de Vie ;les quatre Vivants se prosternent etl’adorent.