Affaire Manea c. Roumanie

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  • TROISIME SECTION

    AFFAIRE MANEA c. ROUMANIE

    (Requte no 77638/12)

    ARRT

    STRASBOURG

    13 octobre 2015

    Cet arrt deviendra dfinitif dans les conditions dfinies larticle 44 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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    En laffaire Manea c. Roumanie, La Cour europenne des droits de lhomme (troisime section), sigeant

    en une chambre compose de :

    Luis Lpez Guerra, prsident,

    Kristina Pardalos,

    Johannes Silvis,

    Valeriu Grico, Iulia Antoanella Motoc,

    Branko Lubarda,

    Carlo Ranzoni, juges,

    et de Stephen Phillips, greffier de section,

    Aprs en avoir dlibr en chambre du conseil le 22 septembre 2015,

    Rend larrt que voici, adopt cette date :

    PROCDURE

    1. lorigine de laffaire se trouve une requte (no 77638/12) dirige contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet tat,

    M. Constantin Manea ( le requrant ), a saisi la Cour le

    27 novembre 2012 en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales ( la Convention ).

    2. Le requrant a t reprsent par Me M.I. Popa, avocat Bacu. Le gouvernement roumain ( le Gouvernement ) a t reprsent par son

    agente, Mme C. Brumar, du ministre des Affaires trangres.

    3. Le requrant se plaint de ses conditions de dtention dans la prison de

    Bacu et dune impossibilit de rencontrer ses deux fils mineurs dans des conditions appropries, savoir sans paroi de sparation. Il invoque les

    articles 3 et 8 de la Convention.

    4. Le 30 aot 2013, les griefs susmentionns ont t communiqus au

    Gouvernement.

    EN FAIT

    I. LES CIRCONSTANCES DE LESPCE

    5. Le requrant est n en 1975. Il est actuellement dtenu la prison de

    Bacu.

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    A. La procdure pnale contre le requrant

    6. Le 9 mai 2011, le requrant fut plac en dtention provisoire pour

    tentative dassassinat. 7. Par un rquisitoire du 19 septembre 2011, le requrant fut renvoy en

    jugement du chef de tentative dassassinat et dassociation de malfaiteurs. 8. Par une dcision du 15 fvrier 2013, le tribunal dpartemental de

    Bacu condamna le requrant une peine demprisonnement ferme du chef des infractions prcites.

    Daprs les informations obtenues par la Cour, la condamnation pnale du requrant a t confirme ultrieurement par la cour dappel de Bacu, le 13 septembre 2013, et par la Haute Cour de cassation et de justice, le

    30 juin 2014, et, conformment au droit interne, lintress a vu sa dtention provisoire prolonge jusqu sa condamnation dfinitive par cette dernire juridiction.

    B. Les conditions de dtention du requrant

    1. Les conditions de dtention telles que dcrites par le requrant

    9. Le requrant dcrit ses conditions de dtention comme suit.

    Le 9 mai 2011, il a t incarcr la prison de Bacu. Il a t plac les cinq-six premiers mois de sa dtention dans la cellule no 109, qui mesurait

    25 m, avec cinq autres dtenus.

    10. Il a t ensuite transfr dans la cellule no 110, qui mesurait 30 m,

    avec vingt-trois autres dtenus, et il y est rest pendant trois mois.

    11. Il a t ultrieurement incarcr dans la cellule no 106, qui mesurait

    35 m et tait pourvue dune seule fentre, avec vingt-deux autres dtenus, dont la grande majorit tait des fumeurs. Leau chaude tait disponible deux fois par semaine, chaque fois pendant deux heures. Dans la salle de

    bains, prvue pour tre utilise par vingt dtenus, il y avait une seule cabine

    de douche et un tuyau cens servir pour la toilette. Au moins un matin par

    semaine, leau courante ntait pas disponible pendant plusieurs heures, de sorte quil tait impossible dutiliser les toilettes dans cet intervalle.

    12. Depuis le 27 aot 2013, le requrant occupe la cellule no 229, dune superficie de 51 m, avec vingt-trois autres dtenus, dont la grande majorit

    sont des fumeurs. La cellule est dote de plusieurs lits superposs sur deux

    ou trois niveaux, dune petite pice pour le stockage des aliments de 1,30 m, dune petite fentre de 0,70 m sur 1,80 m, ainsi que dune salle de bains pourvue dune douche, de toilettes et de deux lavabos. Les matelas sont infests de punaises.

    13. Les repas ne sont pas comestibles et ils sont servis dans les lits tant

    donn quil ny a pas de tables dans les cellules. En outre, ils sont servis dans des rcipients inadquats.

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    14. Les cellules ne sont pas dotes de rangements pour les affaires

    personnelles, lesquelles doivent tre gardes dans des valises dposes sous

    les lits. En raison de lhumidit rgnant dans les cellules le linge y tant sch , renforce par la fume des cigarettes et la poussire, le requrant souffre de maladies pulmonaires. Ces pathologies requirent un traitement

    mdicamenteux et celui-ci provoque chez le requrant des problmes

    destomac. 15. Llectricit est disponible uniquement aprs 16 heures. 16. Le requrant bnficie dune promenade de deux heures par jour

    dans une cour de 50 m, en mme temps que quarante cinquante autres

    dtenus. De plus, en hiver, les dtenus doivent se serrer les uns contre les

    autres cause de la neige. Cette cour est infeste par des rats.

    17. Le personnel de la prison ne fournit que trs peu de produits

    dhygine au requrant. 18. Par ailleurs, le 30 octobre 2013, le requrant avait t transfr

    temporairement la prison de Rahova o il avait t plac dans la cellule

    no 639. La cellule, qui mesurait 26 m, tait pourvue de dix lits, dune fentre de 1 m, de toilettes et dune douche. Il ny avait ni rangements pour les affaires personnelles, ni tables ou chaises pour prendre les repas. Les

    murs prsentaient des moisissures. Les codtenus du requrant taient des

    fumeurs.

    19. En outre, lors de son incarcration la prison de Bacu, le requrant, non-fumeur, a achet au magasin de la prison des cigarettes pour les donner

    soit aux plus dmunis soit au personnel de ltablissement en change de divers services. Il a t enregistr par les autorits pnitentiaires comme

    tant fumeur, malgr ses dclarations contraires.

    2. Les conditions de dtention telles que dcrites par le Gouvernement

    20. Le Gouvernement dcrit les conditions de dtention du requrant de

    la manire suivante.

    Depuis le 27 septembre 2011, le requrant est incarcr la prison de

    Bacu. Au cours de sa dtention dans cet tablissement pnitentiaire, il a t incarcr la prison de Rahova, afin de pouvoir participer aux audiences

    devant les tribunaux nationaux, pour de courtes priodes (du 23 au

    26 juillet 2013 et du 22 octobre au 15 novembre 2013).

    21. Du 27 septembre au 21 octobre 2011, le requrant a t incarcr

    dans la cellule no 118, qui mesurait 27,99 m, avec treize autres dtenus.

    22. Du 21 octobre 2011 au 9 avril 2012, le requrant a t plac dans la

    cellule no 109, qui mesurait 39,70 m, avec jusqu huit autres dtenus. 23. Du 9 avril au 30 juillet 2012, du 12 septembre 2012 au

    23 juillet 2013 et du 26 juillet au 27 aot 2013, le requrant a t plac dans

    la cellule no 106, qui mesurait 47,18 m et tait pourvue de vingt-sept lits.

    Au mois de mai 2012, pendant dix-neuf jours, quatorze dtenus ont t

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    placs dans cette cellule. Au cours des autres priodes dincarcration du requrant, cette cellule a accueilli dix-sept vingt-sept dtenus.

    24. Du 30 juillet au 12 septembre 2012, le requrant a t plac dans la

    cellule no 110, qui mesurait 39,74 m et qui tait pourvue de

    vingt-quatre lits. Pendant cette priode, vingt-deux vingt-quatre dtenus y

    ont t placs.

    25. Du 27 aot au 22 octobre 2013 et du 15 novembre au

    22 novembre 2013, le requrant a t plac dans la cellule no 229, qui

    mesurait 43,46 m et qui tait pourvue de vingt-cinq lits. Pendant cette

    priode, vingt-deux vingt-quatre dtenus y ont t placs.

    26. En aot 2012, des travaux de rnovation ont t raliss dans

    deux ailes de la prison o se situaient les cellules dans lesquelles le

    requrant avait t plac.

    27. Les cellules prcites sont pourvues de fentres, de rangements pour

    les aliments et pour les repas, dune tlvision, de ventilation lectrique et de chauffage, ainsi que dune salle de bains dote de plusieurs lavabos, toilettes et douches.

    28. Laration et lclairage des cellules se font de manire naturelle, par les fentres dont sont pourvues les cellules. Les dtenus ont accs

    llectricit et lclairage artificiel est disponible principalement de 6 heures 8 heures et de 16 h 30 ou 19 heures 22 heures, selon la saison. Pendant

    lhiver, les cellules sont chauffes selon des tranches horaires programmes. 29. La propret des cellules est de la responsabilit des dtenus et

    ceux-ci se voient distribuer des produits de nettoyage. Des actions de

    dsinsectisation et de dratisation sont menes rgulirement. Des produits

    dhygine personnelle sont en outre distribus aux dtenus. 30. Leau courante et leau chaude sont disponibles selon un programme

    approuv par ltablissement pnitentiaire. 31. La nourriture est de bonne qualit et vrifie quotidiennement par les

    responsables de la prison et un reprsentant des dtenus.

    32. Bien quil ait indiqu au moment de son incarcration la prison de Bacu quil ntait pas fumeur, le requrant est revenu sur sa dclaration aprs avoir appris que, en tant que non-fumeur, il ne serait pas autoris

    acheter des cigarettes (le Gouvernement a vers au dossier les dclarations

    signes par lintress). Le requrant na jamais demand tre plac dans une cellule avec des

    dtenus non-fumeurs. En revanche, il a achet des cigarettes durant sa

    dtention.

    3. Le suivi mdical du requrant

    33. Daprs le dossier mdical du requrant tenu par le mdecin de la prison partir du 9 mai 2011, lintress a bnfici pendant sa premire anne de dtention de plusieurs soins aux mois de mai, aot, septembre et

    dcembre.

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    4. Les plaintes du requrant

    34. En octobre 2012, une inspection de ladministration nationale des prisons fut effectue la prison de Bacu, la suite dune plainte du requrant qui dnonait la qualit de la nourriture, les conditions matrielles

    de dtention, un non-respect de son droit la promenade et une

    impossibilit de recevoir des colis. Le rapport tabli la suite de cette

    inspection concluait que seules certaines des allgations du requrant savoir celles concernant une mconnaissance de la norme nationale portant

    sur un minimum despace personnel de 4 m par dtenu et sur lexistence dau moins une toilette, un lavabo et une douche pour dix dtenus taient vrifies. Le rapport prcisait que ces dfaillances taient dues ltat de surpopulation carcrale et que celui-ci ne pouvait pas tre imput la

    prison.

    35. Le 5 novembre 2012, le requrant dposa une plainte auprs du juge

    de lapplication des peines : il dnonait une mconnaissance de la norme nationale tablissant un minimum despace personnel de 4 m par dtenu, des conditions de promenade quil qualifiait dinadquates et un ameublement insuffisant de sa cellule. Par une dcision du

    22 novembre 2012, la plainte fut rejete au motif que le requrant navait pas saisi ladministration de la prison dune demande pralable ce titre.

    Le 29 novembre 2012, le requrant sollicita lamlioration de ltat de la cellule no 106, dans laquelle il tait incarcr lpoque, par linstallation dune table et de bancs pour les repas, par la prolongation du programme dapprovisionnement en eau chaude et par linstallation dune douche supplmentaire. Daprs le Gouvernement, les travaux rclams par le requrant ont t raliss.

    36. Le 16 septembre 2013, le requrant sollicita auprs de la direction de

    la prison le nettoyage de la cour de promenade. Le 18 septembre 2013, il

    saisit le juge de lapplication des peines dune plainte contre ladministration de la prison, en se prvalant du droit la promenade et la sant et en mentionnant que les ordures se trouvant dans la cour

    navaient pas t enleves le 13 septembre 2013, de sorte quil naurait pas bnfici de sa promenade quotidienne ce jour-l.

    Par une dcision du 26 septembre 2013, le juge rejeta la plainte du

    requrant au motif que ses allgations taient contredites par les explications

    fournies par la direction de la prison. Il ne ressort pas des pices du dossier

    que cette dcision est devenue dfinitive.

    Daprs le Gouvernement, les mesures sollicites par le requrant ont t prises.

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    C. Le droit de visite en prison

    37. loccasion de son incarcration la prison de Bacu, le requrant fut fich, pendant six mois, dans la catgorie des dtenus prsentant un

    risque pour la scurit de la prison, tant donn quil tait connu comme faisant partie dun groupe criminel organis. Le 10 novembre 2011, le tribunal de premire instance de Bacu confirma le fichage du requrant.

    38. Daprs les informations fournies par lAdministration nationale des prisons, jusquau 19 novembre 2013, le requrant a reu cinquante-et-une visites de la part de sa famille, dont six sans paroi de

    sparation : il aurait ainsi bnfici des visites de son pre, ses frres, sa

    belle-sur et son cousin, sans paroi de sparation, les 27 septembre et 30 dcembre 2012, et les 23 mars, 22 juillet, 17 aot et 3 septembre 2013.

    39. Le requrant bnficia en outre de trois visites conjugales de

    48 heures loccasion de ses trois mariages avec la mme personne. 40. En revanche, dautres demandes du requrant concernant son droit

    de visite firent lobjet de dcisions de rejet dtailles ci-aprs. 41. Dabord, le requrant se vit refuser la visite dun autre dtenu en

    octobre 2011, au motif que ce dtenu ne figurait pas sur la liste des

    membres de sa famille que lintress avait tablie. 42. En outre, le 1er novembre 2011, la direction de la prison rejeta la

    demande dautorisation de la visite de son pouse, dun de ses fils mineurs et dune cousine, formule par le requrant, au motif que celui-ci tait plac en dtention provisoire. Dans sa demande, lintress mentionnait quil navait pas vu son fils depuis dix mois et que ce dernier habitait aux Pays-Bas et ftait son anniversaire.

    Il ne ressort pas des pices du dossier que le requrant a contest la

    dcision de la direction de la prison devant le juge de lapplication des peines ou devant le tribunal de premire instance comptent.

    43. De mme, le 20 fvrier 2012, la demande du requrant tendant

    lobtention dune visite de sa partenaire sans paroi de sparation fut rejete au motif de linfliction rcente dune sanction disciplinaire.

    44. Par ailleurs, par deux dcisions du 19 septembre 2012, le juge de

    lapplication des peines prit note du fait que le requrant entendait retirer ses plaintes par lesquelles il contestait le refus de la direction de la prison

    dautoriser la visite dun de ses fils mineurs sans paroi de sparation, ainsi que celle dun autre dtenu, au cours du mois de septembre 2012.

    45. Enfin, le 19 septembre 2013, la direction de la prison rejeta la

    demande du requrant tendant lautorisation dune visite de la part de sa famille sans paroi de sparation avant son transfert prochain dans une autre

    prison au motif que lintress avait bnfici rcemment de trois visites du mme genre.

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    II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX

    PERTINENTS

    A. Les conditions de dtention

    46. Le droit et la pratique internes pertinents en lespce, de mme que les conclusions du Comit europen pour la prvention de la torture et des

    peines ou traitements inhumains ou dgradants ( le CPT ) rendues la

    suite de plusieurs visites effectues dans des prisons de Roumanie et ses

    observations caractre gnral, sont rsums dans larrt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions

    pertinentes en lespce de la loi no 275/2006 sur lexcution des peines et des mesures privatives de libert ordonnes par les autorits judiciaires au

    cours du procs pnal ( la loi no 275/2006 ) ainsi que la jurisprudence

    fournie par le Gouvernement sont dcrites dans laffaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, 56, 13 novembre 2012). Depuis le 1er fvrier 2014, la loi

    prcite a t abroge et remplace par la loi no 254/ 2013 sur lexcution des peines ( la loi no 254/2013 ), qui contient des dispositions similaires.

    47. Dans son dernier rapport, publi le 24 novembre 2011 la suite de sa

    visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs tablissements

    pnitentiaires, le CPT a conclu que le taux de surpopulation des

    tablissements pnitentiaires restait un problme majeur en Roumanie.

    48. Larrt du ministre de la Justice no 433/C du 5 fvrier 2010 sur les conditions minimales obligatoires dans les centres de dtention des

    personnes prives de libert, publi au Journal officiel no 103 du

    15 fvrier 2010, prvoit quun espace minimum de 4 m par dtenu doit tre assur dans les cellules dans lesquelles sont confines les personnes prives

    de libert (regimul nchis sau de maxim siguran). Le mme arrt exige que les salles de bains soient pourvues dau moins un lavabo, une toilette et une douche pour dix dtenus.

    49. Par ailleurs, la suite dune visite effectue le 3 octobre 2013, lAssociation pour la dfense de droits de lhomme le comit Helsinki ( APADOR-CH ) a rdig un rapport, dat du mme jour. Ce rapport se

    rfrait, entre autres, aux problmes de surpopulation carcrale la prison

    de Bacu dans les deux ailes o le requrant a t incarcr et dinadquation des cours de promenade en raison de leur exigut (cours trs troites et dpassant de peu la surface dune cellule). Le rapport relevait en outre que la prison tait infeste de punaises. Il voquait galement ltat dsolant des cellules de laile no 1 de la prison, la prsence de moisissures et des traces dinondations passes. Le rapport faisait enfin tat des griefs des dtenus quant la mauvaise qualit de la nourriture et labsence dactivits socio-ducatives.

  • 8 ARRT MANEA c. ROUMANIE

    Dans son rapport rdig la suite dune visite de vrification effectue le 16 juillet 2014, lorganisation susmentionne prcisait que ltat de surpopulation carcrale persistait.

    B. Le droit de visite en prison

    50. La loi no 275/2006 prvoyait, dans son article 48 2, le droit des

    dtenus condamns recevoir des visites.

    51. Elle prvoyait galement le droit dun dtenu de se plaindre devant le juge de lapplication des peines des mesures prises par ladministration pnitentiaire. Son article 38 tait ainsi libell dans ses parties pertinentes en

    lespce :

    Article 38

    2. Les personnes condamnes des peines privatives de libert peuvent se

    plaindre des mesures relatives lexercice des droits prvus par le prsent chapitre [et] dcides par ladministration de ltablissement pnitentiaire, devant le juge de lapplication des peines, dans un dlai de dix jours compter de la date laquelle elles ont pris connaissance de la mesure en cause.

    (...)

    7. La personne condamne ou ladministration de ltablissement pnitentiaire peuvent contester la dcision du juge de lapplication des peines devant le tribunal de premire instance sis dans le ressort de ltablissement pnitentiaire, dans un dlai de cinq jours aprs la communication de la dcision.

    (...)

    9. La dcision du tribunal de premire instance est dfinitive.

    52. Larticle 82 5 de la loi no 275/2006 disposait que les personnes places en garde vue ou en dtention provisoire bnficiaient galement

    des dispositions des articles susmentionns.

    53. La loi no 275/2006 rpertoriait en outre les diffrents rgimes de

    dtention. Selon son article 20 3, les personnes soumises au rgime de

    haute scurit subissaient des mesures strictes de surveillance et descorte. 54. En parallle, larticle 93 du rglement dapplication de cette loi

    prvoyait que le rgime de haute scurit tait appliqu aux dtenus

    condamns des peines demprisonnement de plus de quinze ans et ceux prsentant un risque pour la scurit de la prison. Larticle 931 du mme rglement numrait les critres pris en compte pour ltablissement du niveau de risque prsent par un dtenu, parmi lesquels figurait

    lappartenance un groupe criminel organis. Selon larticle 934 du rglement prcit, la procdure dvaluation du risque et les mesures particulires de scurit taient les mmes pour les personnes en dtention

    provisoire et pour les dtenus condamns. Les visites des dtenus soumis au

    rgime de haute scurit se faisaient dans des espaces amnags, en principe

    avec des parois de sparation. En fonction du comportement du dtenu et

  • ARRT MANEA c. ROUMANIE 9

    dans lintrt de la resocialisation, la direction du centre pnitentiaire pouvait autoriser la tenue dune visite sans paroi de sparation.

    55. Selon larticle 224 5 du rglement, combin avec larticle 38 3 et 4 de la loi no 275/2006 , les visites des dtenus placs en dtention

    provisoire seffectuaient dans les mmes conditions que celles prvues pour les dtenus soumis au rgime de haute scurit, savoir dans des espaces

    amnags, en principe avec des parois de sparation, et sous surveillance

    visuelle. La direction du centre pnitentiaire pouvait autoriser la tenue dune visite sans paroi de sparation, dans les cas suivants :

    a) afin dencourager les personnes prives de libert ayant un comportement adquat, celles participant aux activits productives,

    dducation et dassistance psychosociale et remplissant les objectifs prvus dans le plan individuel dvaluation et dintervention ducative et thrapeutique ;

    b) loccasion dvnements particuliers, tels lanniversaire, le mariage, la naissance dun enfant, le dcs dun membre de la famille ;

    c) la demande du CPT, loccasion de sa visite dans la prison. 56. La loi no 254/2013, ayant abrog et remplac la loi no 275/2006,

    contient des dispositions similaires en matire de droit de visite

    (article 110 1 combin avec larticle 68 2). La nouvelle loi reprend galement les dispositions de lancienne loi en ce qui concerne la responsabilit du juge charg du contrle de la privation de libert

    (judectorul de supraveghere a privrii de libertate) en tant que garant du respect des droits des personnes condamnes (article 57). Ledit juge

    demeure comptent pour examiner les contestations des personnes

    condamnes relatives lexercice de leurs droits (articles 9 2 et 56) et ses dcisions sont susceptibles dun recours devant le tribunal de premire instance (article 56 9).

    Le rglement dapplication de la loi no 254/2013 na pas t adopt ce jour.

    EN DROIT

    I. SUR LOBJET DE LA REQUTE

    57. La Cour relve que, dans ses observations crites reues par elle en

    fvrier 2014, le requrant sest plaint pour la premire fois de ce qui suit : en septembre 2013, il aurait reu des menaces de la part dun codtenu et, un matin, le personnel de la prison aurait pulvris un gaz irritant dans les

    couloirs de laile de la prison o il tait incarcr ; en octobre 2013, le mdecin de la prison aurait refus de lui fournir des copies de son dossier

    mdical et de lexaminer ; au cours du mme mois, il aurait t priv de

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    nourriture un soir, aprs une perquisition effectue dans sa cellule par le

    personnel de la prison. La Cour constate que ces griefs, introduits aprs la

    communication de la requte au gouvernement dfendeur, ne constituent pas

    un aspect des griefs sur lesquels les parties ont chang leurs observations

    (voir Piryanik c. Ukraine, no 75788/01, 19-20, 19 avril 2005, Nuray en c. Turquie (no 2), no 25354/94, 199-200, 30 mars 2004 et Gallucci

    c. Italie, no 10756/02, 55-57, 12 juin 2007). Compte tenu de ces

    considrations, ce stade de la procdure, la Cour estime quil ny a pas lieu de les examiner dans le cadre de cet arrt.

    II. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    58. Le requrant se plaint des conditions matrielles de dtention quil subit depuis son incarcration. Il invoque cet gard larticle 3 de la Convention, ainsi libell :

    Nul ne peut tre soumis la torture ni des peines ou traitements inhumains ou

    dgradants.

    A. Sur la recevabilit

    59. Constatant que ce grief nest pas manifestement mal fond au sens de larticle 35 3 a) de la Convention et quil ne se heurte aucun autre motif dirrecevabilit, la Cour le dclare recevable.

    B. Sur le fond

    60. Le requrant ritre sa position selon laquelle les conditions

    matrielles de sa dtention ont enfreint et continuent denfreindre larticle 3 de la Convention.

    61. Se rfrant la description des conditions de dtention fournie par

    lui, le Gouvernement soutient que les autorits nationales ont effectu toutes

    les diligences ncessaires afin doffrir au requrant des conditions de dtention adquates.

    62. La Cour relve demble que, dans son formulaire de requte, le requrant dcrit ses conditions de dtention la prison de Bacu. Elle note aussi que, daprs les observations crites du Gouvernement, le requrant a t incarcr principalement la prison de Bacu et transfr pour de courtes priodes la prison de Rahova afin de pouvoir participer aux

    audiences devant les tribunaux nationaux (paragraphe 20 ci-dessus). Dans

    ces conditions, lexamen que la Cour fera sur le terrain de larticle 3 de la Convention se limitera la seule prison de Bacu (voir, mutatis mutandis, Ciuc c. Roumanie, no 34485/09, 39, 5 juin 2012, Toma Barbu

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    c. Roumanie, no 19730/10, 62, 30 juillet 2013, et Tirean c. Roumanie,

    no 47603/10, 38, 28 octobre 2014).

    63. La Cour rappelle ensuite que larticle 3 de la Convention impose ltat de sassurer que tout prisonnier est dtenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignit humaine, que les modalits

    dexcution de la mesure ne soumettent pas lintress une dtresse ou une preuve dune intensit qui excde le niveau invitable de souffrance inhrent la dtention et que, eu gard aux exigences pratiques de

    lemprisonnement, il est pourvu la sant et au bien-tre du prisonnier de manire adquate (Kuda c. Pologne [GC], no 30210/96, 92-94, CEDH 2000-XI).

    64. Sagissant des conditions de dtention, la Cour prcise quil convient de tenir compte des effets cumulatifs de celles-ci ainsi que des allgations

    spcifiques du requrant (Dougoz c. Grce, n 40907/98, CEDH 2001-II).

    En particulier, le temps pendant lequel un individu a t dtenu dans les

    conditions incrimines constitue un facteur important prendre en

    considration (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En outre,

    dans certains cas, lorsque la surpopulation carcrale atteint un certain

    niveau, le manque despace dans un tablissement pnitentiaire peut constituer llment central prendre en compte dans lapprciation de la conformit dune situation donne larticle 3 de la Convention (Karaleviius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    65. En lespce, la Cour observe que le requrant affirme avoir t incarcr la prison de Bacu depuis le 9 mai 2011, alors que le Gouvernement, dans sa description des conditions de dtention litigieuses,

    se rfre la date du 27 septembre 2011 comme dbut de la dtention en

    cause. La Cour note que le dossier mdical du requrant fait tat de

    lincarcration de ce dernier la prison de Bacu le 9 mai 2011 et du fait quil a continu y tre plac mme avant la date indique par le Gouvernement (paragraphe 33 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour

    prendra en considration cette date comme date de dbut de la dtention du

    requrant la prison de Bacu. En outre, en labsence dinformations rcentes envoyes par les parties, la Cour prsumera que lintress continue tre incarcr dans cette prison.

    66. Faisant application des principes susmentionns la prsente affaire,

    la Cour considre quil convient de tenir surtout compte de lespace individuel accord au requrant dans la prison de Bacu. cet gard, elle observe que le requrant a souffert dune situation de surpopulation carcrale grave. En effet, mme en sen tenant aux seuls renseignements fournis par le Gouvernement, elle note que chacune des personnes dtenues

    avec le requrant disposait dun espace individuel trs rduit dans la plupart des cellules, descendant parfois mme jusqu 1,65 m (paragraphe 24 ci-dessus). Elle souligne quen ralit ce chiffre doit tre revu la baisse, tant donn quune partie de la surface totale des cellules tait occupe par

  • 12 ARRT MANEA c. ROUMANIE

    les salles de bains et le mobilier (Grozavu c. Roumanie, no 24419/04, 37,

    2 novembre 2010).

    67. De plus, bien quil ressorte des informations fournies par le Gouvernement que le requrant a pu tre plac dans des cellules o lespace personnel tait dun peu plus de 4 m pour chaque dtenu (par exemple dans la cellule no 109, pendant cinq mois et dix-neuf jours), la Cour nest pas convaincue que lintress y ait bnfici de conditions dhygine adquates et ait dispos de modalits de promenade, entre autres temporelles,

    suffisantes. cet gard, elle note que les allgations prsentes devant elle

    portant sur les conditions dhygine notamment quant laccs leau courante et la prsence de moisissures et de diffrents parasites dans les

    cellules , considres comme dplorables par le requrant, ou celles portant sur les conditions de promenade, qualifies de prcaires par lintress, sont plus que plausibles et refltent des ralits dcrites par le CPT et par

    lApador-CH dans les diffrents rapports tablis la suite de leurs visites dans les tablissements pnitentiaires en Roumanie et en particulier dans la

    prison de Bacu (paragraphes 47 et 49 ci-dessus). Sagissant notamment des conditions dhygine, la Cour observe que les autorits nationales elles-mmes admettent lexistence de certaines dfaillances (paragraphe 34 ci-dessus). Par ailleurs, dans des affaires rcentes contre la Roumanie

    concernant la prison de Bacu, la Cour a identifi des dfaillances supplmentaires lpoque o le requrant sy trouvait incarcr, telles labsence de chauffage ou de couverts pour les repas, lhumidit des cellules, ainsi que la dure insuffisante des promenades (Mihilescu c. Roumanie, no 46546/12, 57, 1er juillet 2014, et Enoaie c. Roumanie, no 36513/12, 50, 4 novembre 2014).

    68. La Cour admet quen lespce rien nindique quil y ait eu vritablement intention dhumilier ou de rabaisser le requrant. Toutefois, elle rappelle que, sil convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement tait dhumilier ou de rabaisser la victime, labsence dun tel but ne saurait exclure un constat de violation de larticle 3 de la Convention (Peers c. Grce, no 28524/95, 74, CEDH 2001-III). Elle

    estime quen loccurrence les conditions de dtention supportes par le requrant depuis quatre ans, en particulier la surpopulation rgnant dans

    sa cellule et les conditions dhygine dplorables, ont port atteinte sa dignit et lui ont inspir des sentiments dhumiliation. Eu gard ce qui prcde et aux observations contradictoires des parties, la Cour estime quil nest pas ncessaire de se prononcer sparment sur la question du placement du requrant dans des cellules occupes par des fumeurs.

    69. Ds lors, il y a eu violation de larticle 3 de la Convention.

  • ARRT MANEA c. ROUMANIE 13

    III. SUR LA VIOLATION ALLGUE DE LARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    70. Le requrant dnonce une impossibilit de rencontrer ses deux fils

    mineurs dans des conditions appropries, savoir sans paroi de sparation,

    dans la prison de Bacu. Il invoque larticle 8 de la Convention, ainsi libell :

    1. Toute personne a droit au respect de sa vie prive et familiale, de son domicile

    et de sa correspondance.

    2. Il ne peut y avoir ingrence dune autorit publique dans lexercice de ce droit que pour autant que cette ingrence est prvue par la loi et quelle constitue une mesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, la

    sret publique, au bien-tre conomique du pays, la dfense de lordre et la prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou la

    protection des droits et liberts dautrui.

    Sur la recevabilit

    71. Le Gouvernement excipe du non-puisement des voies de recours

    internes. Il soutient que le requrant na pas saisi le juge de lapplication des peines comptent, en application de la loi no 275/2006, pour examiner les

    plaintes des personnes dtenues relatives une mconnaissance par les

    autorits pnitentiaires de leurs droits garantis par la loi. cet gard, il

    indique que la loi no 275/2006 garantissait le droit des personnes en

    dtention provisoire recevoir des visites sans paroi de sparation dans

    certains cas (paragraphe 55 ci-dessus). En outre, aprs le premier refus qui

    lui a t oppos le 1er novembre 2011, le requrant naurait pas ritr sa demande de bnficier de la visite de ses enfants mineurs sans paroi de

    sparation.

    72. Le requrant affirme quil a formul des plaintes verbalement et par crit. Or ses plaintes verbales nauraient pas t consignes par le personnel de la prison et les dcisions prises par le juge de lapplication des peines amen se prononcer sur ses plaintes crites nauraient pas comport dinformations sur les voies de recours disponibles. Le requrant ajoute que, en tout tat de cause, toute plainte forme aprs la tenue dune visite tait ineffective.

    73. La Cour rappelle quaux termes de larticle 35 1 de la Convention elle ne peut tre saisie quaprs lpuisement des voies de recours internes. Tout requrant doit avoir donn aux juridictions internes loccasion que cette disposition a pour finalit de mnager en principe aux tats

    contractants, savoir viter ou redresser les violations allgues contre eux

    (McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, 107, 10 septembre 2010).

    74. Plus prcisment, la Cour rappelle avoir dj constat dans des

    affaires contre la Roumanie que, pour des problmes de caractre structurel

  • 14 ARRT MANEA c. ROUMANIE

    telle la surpopulation carcrale qui ne concernaient pas la situation personnelle des requrants, ces derniers navaient pas de voie effective de recours en droit roumain pour soulever devant les juridictions nationales le

    problme dnonc (voir, par exemple, Fane Ciobanu c. Roumanie,

    no 27240/03, 59, 11 octobre 2011). En revanche, la Cour a observ quune plainte forme en vertu de la loi no 275/2006 devant le juge de lapplication des peines tait une voie de recours effective pour des questions ponctuelles

    dcoulant de la situation personnelle dun individu, telles que laccs aux soins mdicaux (Petrea c. Roumanie, no 4792/03, 36-37, 29 avril 2008,

    Mciuc c. Roumanie, no 25763/03, 19, 26 mai 2009, et Coman c. Roumanie, no 34619/04, 45, 26 octobre 2010), les mesures

    disciplinaires (Geanopol c. Roumanie, no 1777/06, 48, 5 mars 2013),

    latteinte au droit la correspondance (Petrea, prcit, 36-37) ou le harclement fond sur lorigine ethnique (Coman, prcit, 45 in fine).

    75. En lespce, la Cour note que, devant elle, le requrant a formul son grief de manire gnrale en dnonant une impossibilit de bnficier de la

    visite de ses enfants mineurs sans paroi de sparation. Elle observe ensuite

    que, jusquau 30 juin 2014, le requrant a t plac en dtention provisoire conformment au droit interne et que, de plus, loccasion de son incarcration la prison de Bacu, il a t fich dans la catgorie des dtenus prsentant un danger pour la prison pendant six mois.

    76. Par ailleurs, la Cour note que la demande du requrant tendant

    lobtention dune visite par un de ses fils mineurs sans paroi de sparation a t rejete par la direction de la prison le 1er novembre 2011 au motif que

    lintress tait plac en dtention provisoire. Il apparat que la direction de la prison na pas entendu appliquer une des exceptions la rgle selon laquelle les visites des dtenus placs en dtention provisoire se faisaient

    moyennant une paroi de sparation, exceptions numres larticle 224 5 du rglement dapplication de la loi no 275/2006. Il ne ressort pas des pices du dossier que le requrant a contest cette dcision de la direction de la

    prison devant le juge de lapplication des peines ou devant le tribunal de premire instance comptent. Qui plus est, la Cour observe que, au cours

    des trois annes de dtention provisoire suivantes, le requrant na pas dpos et soutenu de demandes semblables, concernant la visite de ses fils

    mineurs, auprs de la direction de la prison. En effet, elle note que

    lintress a form une plainte au sujet dune demande similaire devant le juge de lapplication des peines, mais quil la finalement retire en septembre 2012 (paragraphe 44 ci-dessus) pour des raisons quelle ignore.

    77. En revanche, la Cour observe que le requrant a pu bnficier des

    visites dautres membres de sa famille sans paroi de sparation (paragraphe 38 ci-dessus). Dans ces conditions, elle conclut que la tenue

    dune visite sans paroi de sparation ne constituait pas une simple possibilit illusoire, mais une pratique concrte, et cela mme pour les

    personnes places en dtention provisoire.

  • ARRT MANEA c. ROUMANIE 15

    78. De plus, la Cour souligne que, jusquen 2013, le droit interne (la loi no 275/2006 et son rglement interne) consacrait expressment, tout en

    lencadrant par certaines conditions, le droit des personnes places en dtention provisoire la visite en prison sans paroi de sparation

    (paragraphe 55 ci-dessus). Elle note aussi que, depuis le 1er fvrier 2014, la

    loi no 254/2013, ayant abrog et remplac la loi no 275/2006, prvoit

    galement le droit des personnes places en dtention provisoire la visite

    en prison, bien que les modalits de mise en pratique en soient moins bien

    dtailles en raison de labsence de normes dapplication de cette loi (paragraphe 56 ci-dessus). Elle relve en outre que, en application des

    deux lois susmentionnes, le juge de lapplication des peines assurait et continue assurer le respect des droits des dtenus, dont le droit la visite

    en prison. La Cour estime quune plainte forme en vertu des lois prcites devant le juge de lapplication des peines tait et demeure une voie de recours effective pour des questions ponctuelles dcoulant de la situation

    personnelle dun individu, comme en lespce. 79. Or la Cour note que, selon les informations dont elle dispose, il

    napparat pas que le requrant ait saisi le juge de lapplication des peines dune plainte portant sur une mconnaissance par ladministration pnitentiaire de son droit de visite de ses enfants mineurs. En dfinitive, la

    Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives

    de succs dun recours donn qui nest pas de toute vidence vou lchec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de

    recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, 71,

    Recueil des arrts et dcisions 1996-IV).

    80. Il sensuit que ce grief doit tre rejet pour non-puisement des voies de recours internes, en application de larticle 35 1 et 4 de la Convention.

    IV. SUR LAPPLICATION DE LARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    81. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

    Si la Cour dclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacer quimparfaitement les consquences de cette violation, la Cour accorde la partie lse, sil y a lieu, une satisfaction quitable.

    A. Dommages

    82. Le requrant rclame 1 608,61 euros (EUR) au titre du prjudice

    matriel quil dit avoir subi. Il indique que cette somme reprsente le cot de trois billets davion dun de ses fils mineurs et de ses accompagnateurs vers la Roumanie (1 127 EUR), ainsi que les frais de correspondance et les

    honoraires davocat pour la procdure devant la Cour (481,61 EUR). Il

  • 16 ARRT MANEA c. ROUMANIE

    rclame en outre 5 000 EUR au titre du dommage moral subi en raison des

    conditions matrielles de sa dtention dans la prison de Bacu. 83. Le Gouvernement estime que le cot du transport par avion na

    aucun lien de causalit avec la prsente affaire et fait observer que les

    justificatifs produits au dossier montrent que le transport ne concernait pas

    uniquement le fils du requrant. Il invite la Cour allouer ce dernier les

    seuls montants justifis et ayant un lien avec la prsente requte. Sagissant du prjudice moral, le Gouvernement, renvoyant la jurisprudence de la

    Cour en la matire, soutient que le montant sollicit est excessif.

    84. La Cour naperoit pas de lien de causalit entre la violation constate et les sommes rclames au titre du transport par avion du fils

    mineur du requrant vers la Roumanie et rejette la demande y affrente.

    Pour ce qui est du restant du dommage matriel allgu, elle note que les

    frais de correspondance et les honoraires davocat relvent plutt de la catgorie des frais et dpens quelle examinera plus loin (paragraphes 85-87 ci-dessous). En revanche, elle considre quil y a lieu doctroyer au requrant 5 000 EUR au titre du prjudice moral.

    B. Frais et dpens

    85. Le requrant demande 481,61 EUR pour les frais et dpens engags

    devant la Cour. Cette somme est ainsi ventile : 37,17 EUR pour les frais de

    correspondance engags dans la prsente requte et 444,44 EUR pour les

    honoraires davocat. 86. Le Gouvernement soutient en premier lieu que le requrant na pas

    dpos de demande expresse au titre des frais et dpens et quil conviendrait de ne lui rien allouer. Sagissant des sommes rclames sous le volet dommage matriel , il indique que les factures correspondant aux

    honoraires davocat et les justificatifs pour la somme de 5,66 EUR reprsentant les frais de correspondance avec la Cour sont illisibles.

    87. Selon la jurisprudence de la Cour, un requrant ne peut obtenir le

    remboursement de ses frais et dpens que dans la mesure o se trouvent

    tablis leur ralit, leur ncessit et le caractre raisonnable de leur taux

    (Morice c. France [GC], no 29369/10, 186, 23 avril 2015). En lespce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour

    estime raisonnable la somme de 480 EUR pour la procdure devant elle et

    laccorde au requrant.

    C. Intrts moratoires

    88. La Cour juge appropri de calquer le taux des intrts moratoires sur

    le taux dintrt de la facilit de prt marginal de la Banque centrale europenne major de trois points de pourcentage.

  • ARRT MANEA c. ROUMANIE 17

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, LUNANIMIT,

    1. Dclare la requte recevable quant au grief tir de larticle 3 de la Convention, en ce qui concerne les conditions matrielles de dtention

    subies par le requrant la prison de Bacu, et irrecevable pour le surplus ;

    2. Dit quil y a eu violation de larticle 3 de la Convention ;

    3. Dit

    a) que ltat dfendeur doit verser au requrant, dans les trois mois compter du jour o larrt sera devenu dfinitif conformment larticle 44 2 de la Convention, les sommes suivantes, convertir dans la monnaie de ltat dfendeur au taux applicable la date du rglement :

    i) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant tre d

    titre dimpt, pour dommage moral ; ii) 480 EUR (quatre cent quatre-vingts euros), plus tout montant

    pouvant tre d par le requrant titre dimpt, pour frais et dpens ;

    b) qu compter de lexpiration dudit dlai et jusquau versement, ces montants seront majorer dun intrt simple un taux gal celui de la facilit de prt marginal de la Banque centrale europenne applicable

    pendant cette priode, augment de trois points de pourcentage ;

    4. Rejette la demande de satisfaction quitable pour le surplus.

    Fait en franais, puis communiqu par crit le 13 octobre 2015, en

    application de larticle 77 2 et 3 du rglement de la Cour.

    Stephen Phillips Luis Lpez Guerra

    Greffier Prsident