Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger

2
Actualités pharmaceutiques n° 524 mars 2013 36 Auteur correspondant François PILLON [email protected] pratique veille pharmaceutique © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.12.006 Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger L’ acidose lactique peut sur- venir en cas d’accumulation de metformine. Des cas rap- portés chez des patients traités par la metformine sont survenus princi- palement chez des diabétiques souffrant d’une insuffisance rénale significative. L’incidence de cet accident (2 à 9/100 000 patients/an) peut être réduite par une évaluation des facteurs de risque associés : diabète mal équilibré, cétose, jeûne prolongé, éthylisme, insuffisance hépatocellulaire, ou toute affection associée à une hypoxie. L’acidose lactique L’acidose lactique est un état d’aci- dose métabolique lié à la libération d’ions H + par l’acide lactique. Il s’agit d’un accident rare, mais grave, mortel dans la moitié des cas et dû le plus souvent à la prescrip- tion inappropriée de biguanides. Les mécanismes expliquant l’aci- dose lactique associée à la metfor- mine sont multifactoriels. Parmi ceux impliquant directement la met- formine, le principal serait l’inhibition de la néoglucogenèse à partir de différents substrats, dont le lactate. La metformine serait aussi capable d’augmenter la production glyco- lytique de lactates au niveau intesti- nal. Les autres causes d’acidose lac- tique doivent être prises en compte dans l’analyse étiologique : état de choc et autres affections associées à une hypoxie, insuffisance hépato- cellulaire et rénale, diabète mal équilibré, cétose, jeûne prolongé, éthylisme, etc. Trois situations L’acidose lactique dite “associée à la metformine” regroupe trois situa- tions distinctes. F Une cause sous-jacente est responsable de l’acidose lactique et la présence de la metformine n’est qu’anecdotique : le pronostic est alors sombre. F La metformine est la cause principale de l’acidose lactique : le pronostic est plutôt favorable. F L’accumulation de metfor- mine aggrave la cause responsable de l’acidose lactique : c’est le cas le plus fréquent. Le rôle de l’insuffisance rénale est majeur dans la survenue d’une accumulation de metformine. Des acidoses lactiques ont été rap- portées chez des patients traités par metformine et par des médicaments pouvant altérer la fonction rénale comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes de l’angiotensine II. Toutes les situations à risque impo- sent une interruption momentanée de la metformine, mais en aucun cas l’arrêt définitif du traitement. Quelques médicaments prédispo- sent à une acidose lactique lorsqu’ils sont associés à la metfor- mine [1,2] : clozapine, épinéphrine, lamivudine, trinitrine, papavérine, diazépam, furosémide, nifédipine, ranitidine, amiloride, triamtérène, triméthoprime, zidovudine, tétra- cyclines, anti-inflammatoires non- stéroïdiens (AINS), produits de contraste iodés, corticostéroïdes, Mots clés • Acide lactique • Biguanide • Lactacidémie • Metformine Keywords • Biguanide • Lactacidemia • Lactic Acid • Metformin L’acidose lactique est un accident rare mais souvent mortel. Dans la majorité des cas, la metformine constitue un facteur aggravant en participant à l’inhibition de la néoglucogenèse à partir de substrats, dont le lactate. Il faut donc être très vigilant vis-à-vis des facteurs de risque associés chez un patient sous traitement. Aux premiers signes suspects, tels que crampes, asthénie sévère, douleurs abdominales et thoraciques, le traitement doit être interrompu et la lactacidémie mesurée. Enfin, le dosage érythrocytaire de metformine est plus fiable que son dosage plasmatique. Lactic Acidosis under metformin, a risk that should not be overlooked. Lactic acidosis is a rare but often fatal accident. In most cases, metformin is an aggravating factor involved in the inhibition of gluconeogensis from substrates, including lactate. Accordingly, great care should be taken in regard to the associated risk factors in a patient under treatment. At the first suspicious signs, such as cramps, severe asthenia or abdominal and thoracic pain, treatment should be discontinued and the lactacidemia measured. Finally, the erythrocyte metformin dosage is more reliable than its plasma level dose. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved François PILLON Jacques BUXERAUD

Transcript of Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger

Page 1: Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger

Actualités pharmaceutiques

• n° 524 • mars 2013 •36

Auteur correspondantFrançois [email protected]

pratiqueveille pharmaceutique

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.12.006

Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger

L’ acidose lactique peut sur-venir en cas d’accumulation de metformine. Des cas rap-

portés chez des patients traités par la metformine sont survenus princi-palement chez des diabétiques souffrant d’une insuffisance rénale significative. L’incidence de cet accident (2 à 9/100 000 patients/an) peut être réduite par une évaluation des facteurs de risque associés : diabète mal équilibré, cétose, jeûne prolongé, éthylisme, insuffisance hépato cellulaire, ou toute affection associée à une hypoxie.

L’acidose lactique L’acidose lactique est un état d’aci-dose métabolique lié à la libération d’ions H+ par l’acide lactique. Il s’agit d’un accident rare, mais grave, mortel dans la moitié des cas et dû le plus souvent à la prescrip-tion inappropriée de biguanides.Les mécanismes expliquant l’aci-dose lactique associée à la metfor-mine sont multifactoriels. Parmi ceux impliquant directement la met-formine, le principal serait l’inhibition

de la néoglucogenèse à partir de différents substrats, dont le lactate. La metformine serait aussi capable d’augmenter la production glyco-lytique de lactates au niveau intesti-nal.Les autres causes d’acidose lac-tique doivent être prises en compte dans l’analyse étiologique : état de choc et autres affections associées à une hypoxie, insuffisance hépato-cellulaire et rénale, diabète mal équilibré, cétose, jeûne prolongé, éthylisme, etc.

Trois situations L’acidose lactique dite “associée à la metformine” regroupe trois situa-tions distinctes.

F Une cause sous-jacente est responsable de l’acidose lactique et la présence de la metformine n’est qu’anecdotique : le pronostic est alors sombre.

F La metformine est la cause

principale de l’acidose lactique : le pronostic est plutôt favorable.

F L’accumulation de metfor-

mine aggrave la cause responsable

de l’acidose lactique : c’est le cas le plus fréquent.Le rôle de l’insuffisance rénale est majeur dans la survenue d’une accumulation de metformine.Des acidoses lactiques ont été rap-portées chez des patients traités par metformine et par des médicaments pouvant altérer la fonction rénale comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes de l’angio tensine II.Toutes les situations à risque impo-sent une interruption momentanée de la metformine, mais en aucun cas l’arrêt définitif du traitement.Quelques médicaments prédispo-sent à une acidose lact ique lorsqu’ils sont associés à la metfor-mine [1,2] : clozapine, épinéphrine, lamivudine, trinitrine, papavérine, diazépam, furosémide, nifédipine, ranitidine, amiloride, triamtérène, triméthoprime, zidovudine, tétra-cyclines, anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS), produits de contraste iodés, corticostéroïdes,

Mots clés• Acide lactique

• Biguanide

• Lactacidémie

• Metformine

Keywords• Biguanide

• Lactacidemia

• Lactic Acid

• Metformin

L’acidose lactique est un accident rare mais souvent mortel. Dans la majorité des cas, la

metformine constitue un facteur aggravant en participant à l’inhibition de la néoglucogenèse

à partir de substrats, dont le lactate. Il faut donc être très vigilant vis-à-vis des facteurs de

risque associés chez un patient sous traitement. Aux premiers signes suspects, tels que

crampes, asthénie sévère, douleurs abdominales et thoraciques, le traitement doit être

interrompu et la lactacidémie mesurée. Enfin, le dosage érythrocytaire de metformine est

plus fiable que son dosage plasmatique.

Lactic Acidosis under metformin, a risk that should not be overlooked. Lactic acidosis is a rare but often fatal accident. In most cases, metformin is an aggravating factor involved in the inhibition of gluconeogensis from substrates, including lactate. Accordingly, great care should be taken in regard to the associated risk factors in a patient under treatment. At the first suspicious signs, such as cramps, severe asthenia or abdominal and thoracic pain, treatment should be discontinued and the lactacidemia measured. Finally, the erythrocyte metformin dosage is more reliable than its plasma level dose.

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

François PILLON

Jacques BUXERAUD

Page 2: Acidose lactique sous metformine, un risque à ne pas négliger

Actualités pharmaceutiques

• n° 524 • mars 2013 • 37

veille pharmaceutique

pratique

digoxine, morphine, quinine, quini-dine, vancomycine.

Signes et symptômesLa survenue de crampes, d’asthénie sévère, de douleurs abdominales et thoraciques chez un patient traité par metformine, peuvent être des signes avant-coureurs de d’acidose lactique. Le traitement doit être arrêté et la lactacidémie mesurée.

F La phase confirmée de l’aci-

dose lactique se caractérise par : une hyperventilation, une tachycar-die, des troubles de conscience plus ou moins importants, un col-lapsus et des troubles du rythme dus à l’acidose et à l’hyperkaliémie.

F En cas de diabète traité par

biguanides, le diagnostic doit être confirmé par un bilan biologique qui révélera : une acidose métabo-lique avec hyperkaliémie, une dimi-nution de la réserve alcaline et du pH sans cétose, la présence d’un

trou anionique comblé par l’acide lactique, une lactacidémie très aug-mentée.

Lien entre metformine et acidose lactiqueLe dosage sanguin de metformine peut aider, rétrospectivement, à faire le lien entre le traitement par metformine et la présence d’une acidose lactique [3]. L’association est cependant difficile à établir car le taux d’acide lactique n’est pas corrélé au taux de metformine plas-matique.La metformine érythrocytaire serait plus fiable. En effet, après son absorption, la metformine s’éli-mine rapidement du compartiment plasmatique, mais beaucoup plus lentement du compartiment érythro-cytaire où elle peut s’accumuler en cas d’insuffisance rénale sévère ou d’intoxication. Ainsi, cette mesure s’avère être un bon indicateur de la

distribution tissulaire de la metfor-mine et d’une potentielle accumula-tion pouvant être responsable d’une acidose lactique [3].

Traitement  d’une acidose lactiqueL’acidose lactique se traite dans une unité de soins intensifs en met-tant en place des mesures de réani-mation générale. Il convient de la corriger par une per-fusion de sérum bicarbonaté. La dialyse permet à la fois d’éliminer l’acide lactique en excès, la metfor-mine responsable et de contrôler la volémie. D’autres mesures peuvent être requises : succédanés sanguins, vasodilatateurs, insulinothérapie, etc.Lors d’une intoxication à la metfor-mine avec présence d’une acidose lactique, l’épuration extra-rénale (EER) constitue le traitement de référence pour corriger l’acidose lactique. En effet, bien que la met-formine soit une molécule de faible poids moléculaire, faiblement liée aux protéines plasmatiques et donc en théorie facilement dialysable, elle possède cependant un important volume de distribution (63 à 276 L) qui limite grandement l’intérêt de l’épuration extra-rénale.L’indication d’une EER repose donc uniquement sur la nécessité de cor-riger l’acidose lactique, souvent réfractaire à l’administration intra-veineuse de bicarbonate. La préco-cité de mise en place de l’EER est guidée par la sévérité de cette aci-dose. Comme son importance n’est pas corrélée au taux de metformine plasmatique et que la situation survient principalement chez des patients ayant des comorbidités associées (insuffisances rénale, car-diaque, hépatique), le choix de la méthode d’EER avec bain de dia-lyse enrichi en bicarbonates dépend principalement de l’état hémodyna-mique du patient qui peut être altéré par l’intensité de l’acidose. w

Références[1] DePalo VA, Mailer K, Yoburn D, Crausman RS. Lactic acidosis associated with metformin use in traitement of type 2 diabetes mellitus. Geriatrics. 2005;60:26,29-41.

[2] Krans HMJ. Biguanides. In: Aronson JK, dir. Meyler’s side effect of drugs. 14th ed. Oslo: Elsevier; 2000.

[3] Lalau JD, Lacroix C. Measurement of metformin concentration in erythrocytes: clinical implications. Diabetes Obes Metab. 2003;5(2):93-8.

La prévention de l’acidose lactique

F Respecter strictement les contre-indications de la metformine : insuf-fisance rénale, hépatique, hypoxie, sujet très âgé.

F Arrêter la metformine avant un examen d’imagerie médicale avec produit de contraste iodé et jusqu’à 48 heures après. Il existe un risque de néphropathie aux produits de contraste avec tubulopathie aiguë et insuffisance rénale entraînant une accumulation du biguanide. Il convient, d’une manière générale, d’arrêter un traitement par metformine avant toute procédure ris-quant d’entraîner une insuffisance rénale fonctionnelle.

F Interrompre la metformine 48 heures avant une intervention chirurgicale programmée sous anesthésie générale, rachidienne ou péridurale. Le traitement ne pourra être réintroduit que 48 heures après l’inter vention ou la reprise de l’ali-mentation par voie orale, et seulement

après s’être assuré de la normalité de la fonction rénale.

F Surveiller la fonction rénale. Dans la mesure où la metformine est éliminée par le rein, la clairance de la créatinine doit être mesurée avant la mise en place du traitement et contrôlée ensuite régulièrement : au moins 1 fois par an chez les sujets présentant une fonction rénale normale ; au moins 2 à 4 fois par an chez les patients dont la clairance de la créatinine est à la limite inférieure de la normale, ainsi que chez les sujets âgés.Chez le sujet âgé, une diminution de la fonction rénale est fréquente et asymp-tomatique. Des précautions particu-lières doivent être observées lorsque la fonction rénale est susceptible de s’altérer, comme lors de la mise en place d’un traitement antihypertenseur ou diurétique, ainsi qu’au début d’un trai-tement par un anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).

Déclaration d’intérêts :

les auteurs déclarent ne pas

avoir de confl its d’intérêts

en relation avec cet article.

Les auteursFrançois PILLONDocteur en pharmacie

et en médecine, Service

de pharmacologie clinique,

Faculté de médecine Laennec,

8 rue Guillaume-Paradin,

69008 Lyon, France

[email protected]

Jacques BUXERAUDProfesseur des

universités, professeur

de chimie thérapeutique,

Faculté de pharmacie,

2 rue du Dr-Marcland,

87025 Limoges cedex, France

[email protected]