90e ANNEE - N° 4916 7 JUIN 1975 JOIJRNU IRIBtJntJI...Zola (Germinal). etc. (7) Cons. Frans Van...

16
90e ANNEE - 4916 7 JUIN 1975 JOIJRNU IRIBtJntJI HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE Edmond Picard 1882- 1899 Léon Hennebicq 1900- 1940 Charles Van Reepinghen 19M -1966 A L'OCCASION DU 70e ANNIVERSAIRE DE L'ENTREE EN VIGUEUR DE LA LOI DU 24 DECEMBRE 1903 (1er JUILLET 1905)... Esquisse d'une théorie générale du« Risque professionnel » et du « Risque juridique » « Toute transformation sociale constitue une crise de la conscience juridique d'un peuple n. (Cité par E. Picard dans « Le droit nouveau ». In- troduction au tome quatre-vingt-neuvième des Pandectes belges. p. X). << L'insécurité est le grand fait psychologique. générateur de troubles et de mutations dans l'ordre juridique )). (Bekaert. « Introduction ù l'étude du droit >>. no 67. p. 79). 1.- UNE EXPRESSION ELLIPTIQUE A propos de l'expression « risque profession- nel )), ou risque du travail. Mme David-Constant souligne très justement qu'il s'agit d'un vocable el- liptique mais accrédité par l'usage pour désigner le système légal de réparation des dommages résultant des accidents du travail ou des maladies profes- sionnelles ( 1 ). Le temps. l'accoutumance et le succès des nor- mes couvertes par ces termes en ont émoussé la force d'expression. Qui se douterait en lisant le titre de ces notes qu'il évoque. encore aujourd'hui. une législation « hors syntaxe au regard des routines juridiques >). « un véritable néologisme législatif>) ( 2 ). Pour comprendre cette originalité. il nous faut évoquer brièvement l'évolution sociale et écono- mique aux XVIW et XIXe siècles. son rendez-vous manqué avec le droit positif. les efforts de la juris- prudence et de la ·doctrine en vue d'assurer l'adé- quation du juridique aux faits. enfin l'oeuvre boule- versante du législateur s'attaquant aux règles techniques immémorialement suivies jusque-là. Il. - UNE NOUVELLE SOCIETE Plusieurs évolutions convergentes et corrélatives ont déterminé. schématiquement. la transformation ( 1) S. David. « Responsabilité civile et risque profes- sionnel >>. Bruxelles. Larcier. 1958. p. 1. En adoptant le qualificatif« professionnel >> on élargit le risque industriel qui retint le premier l'attention ct qui se rattachait plus particulièrement aux exploitations dans lesquelles la fré- quence des sinistres est due principalement ù remploi des moyens mécaniques. machines (Pandectes be/ge.s. t. 92. Bruxelles. Larcier. 1921. 6422 ). ( 2) Ces expressions imagées sont d'Edmond Picard. « Le droit nouveau ,,'.op. cit .. Bruxelles. Larcicr. 1907. p. XVII: voy. égal.. du même auteur. « La loi sur les acci- dents du travail au Sénat ». Rev. prat. du dr. industr .. 1904. p. 6 (cité par Mme David. op. cit .. p. 108 ). de notre société : l'évolution technique et écono- mique. J'évolution sociologique. l'évolution juri- dique et. imbriqué dans toutes. le mouvement des idées (3). · La découverte de la vapeur ( 4 ). puis de l'électri- cité. la multiplication des moyens techniques mis en oeuvre par les hommes ont ouvert des possibili- tés illimitées de progrès. A l'artisanat se sont sub- stituées les « fabriques )) et les « manufactures )), de plus en plus nombreuses et de plus en plus puis- santes. qui ont drainé vers elles un nombre crois- sant de personnes et d'intérêts. Les industries, les usines nouvelles se sont faites « immenses dévo- reuses de main-d'oeuvre non seulement parce qu'elles se développent sans cesse. mais aussi parce qu'on y meurt beaucoup » (5).- Dans le même temps. la prééminence du travail agricole. du caractère rural de t'économie s'est ef- fritée. avant de disparaître. C'est un exode massif vers les villes qui grossissent avec l'industrialisa- tion naissante. la formation progressive d'une nouvelle classe sociale. le prolétariat. coupée de son milieu traditionnel et sécurisant. La famille au sens large. le cadre semi-tribal. sur lesquels tout . était centré. en particulier l'entretien de ceux de leurs membres atteints d'incapacité physique ou mentale. se disloquent. s'amenuisent en nombre et en moyens matériels. De plus en plus dépendants du capital investi. qui leur échappe. les travailleurs perdent leur atout principal. la proprièté de l'outil de travail,et leur meilleure garantie. celles des corps intermédiaires. Le droit ne leur est en effet pas davantage favo- rable. Pour ceux. peu nombreux il est vrai. qui avaient bénéficié du système structuré et hiérarchisé des corporations. aux liens de solidarité assez étroits. le décret d'AIIarde des 2 et 17 mars 1791. pris en vue de rétablir la liberté du commerce et du travail. signifie la fin d'un certain bien-être et d'une certaine protection. Pour tous. la célèbre loi Le Chapelier. des 14 et 17 juin 1791. qui interdit les groupements professionnels et les c·oalitions. signifie l'isolement. cet isolement consacré dans les relations contractuelles par le principe sacré de l'autonomie des volontés. Les membres d'une (3) Cons. notamm. B.S. Chlepncr. « Cent ans d'his- toire sociale en Belgique >>. Edit. de l'Université Libre de Bruxelles. 1972. 4• édit.: « Paupérisme et condition ouvrière en France au XIX• siècle>> (Statistiques - Enquêtes - Documents - Etudes). Microéditions Hachette. 1972 (voy. J.T. T.. 1973. p. 124 et pp. 125 ù 128): Jean- François Kahn. « Histoire du progrès social ». Lausanne. Edit. Rencontre (Nouvelle bibliothèque illustrée des scien- ces et techniques). s.d. (4) La civilisation de la machine est née: en 1775. Watt a présenté la première machine ù vapeur: en 1785. apparaît le premier métier à tisser mécanique. (5) Roger Ja.:nbu-Merlin. « La sécurité sociale>>. Paris. Librairie Armand Colin. 1970 (Coll.« U »). p. 13. EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S.A. Rue dea Minimes. 39 1000 BRUXELLES même profession ne peuvent se grouper pour la défense de « leurs prétendus intérêts communs )). C'est le creux de la vague. avec son cortège de misères urbaines. des salaires médiocres. l'abrutis- sement du travail. la hantise de l'accident ou du chômage ( 6 ). Mais les semailles du droit social sont faites : une masse de travailleurs sans autre sûreté qu'une occupation soumise à la loi de l'offre et de la demande. sans autre défense extérieurè que quelques lois d'assistance incapables de répondre à leurs besoins les plus élémentaires. sans autre es- poir qu'eux-mêmes. Matériau brut et passif. qui peu à peu va prendre conscience de son unité. de ses potentialités. Le mouvement ouvrier. surtout syndicaliste. se forme et s'affermit. Le dernier quart du xtxe siècle fait à cet égard office de pivot. au moment même le droit. prisonnier de ses dogmes et de ses rites. marque le pas. Aux boule- versements profonds de la société et de l'économie. deux fois révolutionnées. industriellement (machi- nisme - capitalisme) et politiquement (individu- alisme - libéralisme). répond enfin un comporte- ment inédit des travailleurs. Le social prépare l'avènement de son droit par: les événements sanglants de 1886 (7); - la réforme du système électoral. en 1893 (vote plural) et en 1919 (suffrage universel); le renouveau d'emprise des groupements inter- médiaires, politiques et sociaux (8); l'existence ( 6) Cpns. notamm. « Paupérisme et condition ouvrière >>. op. cit.. en particulier le célèbre rapport du docteur Villermé (Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton. de laine et de soie). réédité en coll. 10/ 18: voy. dans la litté- rature. Dickens (Oliver Twist). Daudet Uack). Zola (Germinal). etc. (7) Cons. Frans Van Kalken. « Commotions popu- laires en Belgique >>. 1834-1902. Bruxelles. Office de publicité. 1936. notamm. pp. 7"5 à 125. Sur la relation des événements. voy. Gustave Houdez. « Quatre-vingt-six - Vingt-cinq ans après >>. Frameries. 1911 (le même travail a paru dès 1886. à Charleroi. en brochure de 124 pp .. sous le titre: « Les grèves de Charleroi - Mars 1886 - Cour d'assises de Hainaut - Incendie et pillage de la ver- rerie et du chàteau de M. Eugène Baudoux >>(Bibliothèque royale. collection Motiva Juris. Varia. Ill). (8) Voy. Spitaels. « Le mouvement syndical en Belgi- que». Bruxelles. Edit. de llnstitut de sociologie. 1967. - 1866. abrogation des dispositions pénales interdisant les coalitions (art. 414 à 417 du Code pénal). Le syn- dicalisme et la ,grève sont en principe légaux (art. 310 nouveau): - Apparition en Belgique des premières sections de J'Association internationale des travailleurs (voy. « Genèse du droit social >>. cité note(/ 2 ). p. 131 ): - 1883. constitution de la « Fédération nationale des. travailleurs du bois »: 1885. création du Parti ouvrier belge'(P.O.B.): - 1886. constitution de la « Fédération nationale des métallurgistes »: - 1890 .. constitution de la « Fédération nationale de la carrosserie et de la sellerie >>. de « Fédération des mineurs >> et de la « Fédération nationale de la pierre »: 1897. constitution de la « Fédération nationale du bâtiment»: - 1898. constitution de la « Fédération. nationale du textile >> et de la « Confédération socialiste ». appelée «Commission syndicale du P.O.B. » (future F.G.T.B.):

Transcript of 90e ANNEE - N° 4916 7 JUIN 1975 JOIJRNU IRIBtJntJI...Zola (Germinal). etc. (7) Cons. Frans Van...

  • 90e ANNEE - N° 4916 7 JUIN 1975

    JOIJRNU IRIBtJntJI HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE

    Edmond Picard

    1882- 1899

    Léon Hennebicq

    1900- 1940

    Charles Van Reepinghen

    19M -1966

    A L'OCCASION DU 70e ANNIVERSAIRE DE L'ENTREE EN VIGUEUR DE LA LOI DU 24 DECEMBRE 1903 (1er JUILLET 1905) ...

    Esquisse d'une théorie générale du« Risque professionnel » et du « Risque juridique »

    « Toute transformation sociale constitue une crise de la conscience juridique d'un peuple n.

    (Cité par E. Picard dans « Le droit nouveau ». In-troduction au tome quatre-vingt-neuvième des Pandectes belges. p. X).

    ). « un véritable néologisme législatif>) ( 2 ).

    Pour comprendre cette originalité. il nous faut évoquer brièvement l'évolution sociale et écono-mique aux XVIW et XIXe siècles. son rendez-vous manqué avec le droit positif. les efforts de la juris-prudence et de la ·doctrine en vue d'assurer l'adé-quation du juridique aux faits. enfin l'œuvre boule-versante du législateur s'attaquant aux règles techniques immémorialement suivies jusque-là.

    Il. - UNE NOUVELLE SOCIETE

    Plusieurs évolutions convergentes et corrélatives ont déterminé. schématiquement. la transformation

    ( 1) S. David. « Responsabilité civile et risque profes-sionnel >>. Bruxelles. Larcier. 1958. p. 1. En adoptant le qualificatif« professionnel >> on élargit le risque industriel qui retint le premier l'attention ct qui se rattachait plus particulièrement aux exploitations dans lesquelles la fré-quence des sinistres est due principalement ù remploi des moyens mécaniques. dë machines (Pandectes be/ge.s. t. 92. Bruxelles. Larcier. 1921. n° 6422 ).

    ( 2) Ces expressions imagées sont d'Edmond Picard. « Le droit nouveau ,,'.op. cit .. Bruxelles. Larcicr. 1907. p. XVII: voy. égal.. du même auteur. « La loi sur les acci-dents du travail au Sénat ». Rev. prat. du dr. industr .. 1904. p. 6 (cité par Mme David. op. cit .. p. 108 ).

    de notre société : l'évolution technique et écono-mique. J'évolution sociologique. l'évolution juri-dique et. imbriqué dans toutes. le mouvement des idées (3). ·

    La découverte de la vapeur ( 4 ). puis de l'électri-cité. la multiplication des moyens techniques mis en œuvre par les hommes ont ouvert des possibili-tés illimitées de progrès. A l'artisanat se sont sub-stituées les « fabriques )) et les « manufactures )), de plus en plus nombreuses et de plus en plus puis-santes. qui ont drainé vers elles un nombre crois-sant de personnes et d'intérêts. Les industries, les usines nouvelles se sont faites « immenses dévo-reuses de main-d'œuvre non seulement parce qu'elles se développent sans cesse. mais aussi parce qu'on y meurt beaucoup » (5).-

    Dans le même temps. la prééminence du travail agricole. du caractère rural de t'économie s'est ef-fritée. avant de disparaître. C'est un exode massif vers les villes qui grossissent avec l'industrialisa-tion naissante. la formation progressive d'une nouvelle classe sociale. le prolétariat. coupée de son milieu traditionnel et sécurisant. La famille au sens large. le cadre semi-tribal. sur lesquels tout

    . était centré. en particulier l'entretien de ceux de leurs membres atteints d'incapacité physique ou mentale. se disloquent. s'amenuisent en nombre et en moyens matériels. De plus en plus dépendants du capital investi. qui leur échappe. les travailleurs perdent leur atout principal. la proprièté de l'outil de travail,et leur meilleure garantie. celles des corps intermédiaires.

    Le droit ne leur est en effet pas davantage favo-rable. Pour ceux. peu nombreux il est vrai. qui avaient bénéficié du système structuré et hiérarchisé des corporations. aux liens de solidarité assez étroits. le décret d'AIIarde des 2 et 17 mars 1791. pris en vue de rétablir la liberté du commerce et du travail. signifie la fin d'un certain bien-être et d'une certaine protection. Pour tous. la célèbre loi Le Chapelier. des 14 et 17 juin 1791. qui interdit les groupements professionnels et les c·oalitions. signifie l'isolement. cet isolement consacré dans les relations contractuelles par le principe sacré de l'autonomie des volontés. Les membres d'une

    (3) Cons. notamm. B.S. Chlepncr. « Cent ans d'his-toire sociale en Belgique >>. Edit. de l'Université Libre de Bruxelles. 1972. 4• édit.: « Paupérisme et condition ouvrière en France au XIX• siècle>> (Statistiques -Enquêtes - Documents - Etudes). Microéditions Hachette. 1972 (voy. J.T. T.. 1973. p. 124 et pp. 125 ù 128): Jean-François Kahn. « Histoire du progrès social ». Lausanne. Edit. Rencontre (Nouvelle bibliothèque illustrée des scien-ces et techniques). s.d.

    (4) La civilisation de la machine est née: en 1775. Watt a présenté la première machine ù vapeur: en 1785. apparaît le premier métier à tisser mécanique.

    (5) Roger Ja.:nbu-Merlin. « La sécurité sociale>>. Paris. Librairie Armand Colin. 1970 (Coll.« U »). p. 13.

    EDITEURS:

    MAISON FERD. LARCIER S.A.

    Rue dea Minimes. 39

    1000 BRUXELLES

    même profession ne peuvent se grouper pour la défense de « leurs prétendus intérêts communs )).

    C'est le creux de la vague. avec son cortège de misères urbaines. des salaires médiocres. l'abrutis-sement du travail. la hantise de l'accident ou du chômage ( 6 ). Mais les semailles du droit social sont faites : une masse de travailleurs sans autre sûreté qu'une occupation soumise à la loi de l'offre et de la demande. sans autre défense extérieurè que quelques lois d'assistance incapables de répondre à leurs besoins les plus élémentaires. sans autre es-poir qu'eux-mêmes. Matériau brut et passif. qui peu à peu va prendre conscience de son unité. de ses potentialités. Le mouvement ouvrier. surtout syndicaliste. se forme et s'affermit. Le dernier quart du xtxe siècle fait à cet égard office de pivot. au moment même où le droit. prisonnier de ses dogmes et de ses rites. marque le pas. Aux boule-versements profonds de la société et de l'économie. deux fois révolutionnées. industriellement (machi-nisme - capitalisme) et politiquement (individu-alisme - libéralisme). répond enfin un comporte-ment inédit des travailleurs. Le social prépare l'avènement de son droit par:

    les événements sanglants de 1886 (7); - la réforme du système électoral. en 1893 (vote

    plural) et en 1919 (suffrage universel); le renouveau d'emprise des groupements inter-médiaires, politiques et sociaux (8); l'existence

    ( 6) Cpns. notamm. « Paupérisme et condition ouvrière >>. op. cit.. en particulier le célèbre rapport du docteur Villermé (Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton. de laine et de soie). réédité en coll. 10/ 18: voy. dans la litté-rature. Dickens (Oliver Twist). Daudet Uack). Zola (Germinal). etc.

    (7) Cons. Frans Van Kalken. « Commotions popu-laires en Belgique >>. 1834-1902. Bruxelles. Office de publicité. 1936. notamm. pp. 7"5 à 125. Sur la relation des événements. voy. Gustave Houdez. « Quatre-vingt-six -Vingt-cinq ans après >>. Frameries. 1911 (le même travail a paru dès 1886. à Charleroi. en brochure de 124 pp .. sous le titre: « Les grèves de Charleroi - Mars 1886 -Cour d'assises de Hainaut - Incendie et pillage de la ver-rerie et du chàteau de M. Eugène Baudoux >>(Bibliothèque royale. collection Motiva Juris. Varia. Ill).

    (8) Voy. Spitaels. « Le mouvement syndical en Belgi-que». Bruxelles. Edit. de llnstitut de sociologie. 1967. - 1866. abrogation des dispositions pénales interdisant

    les coalitions (art. 414 à 417 du Code pénal). Le syn-dicalisme et la ,grève sont en principe légaux (art. 310 nouveau):

    - Apparition en Belgique des premières sections de J'Association internationale des travailleurs (voy. « Genèse du droit social >>. cité note(/ 2 ). p. 131 ):

    - 1883. constitution de la « Fédération nationale des. travailleurs du bois »: 1885. création du Parti ouvrier belge'(P.O.B.):

    - 1886. constitution de la « Fédération nationale des métallurgistes »:

    - 1890 .. constitution de la « Fédération nationale de la carrosserie et de la sellerie >>. de lü « Fédération des mineurs >> et de la « Fédération nationale de la pierre »: 1897. constitution de la « Fédération nationale du bâtiment»:

    - 1898. constitution de la « Fédération. nationale du textile >> et de la « Confédération socialiste ». appelée «Commission syndicale du P.O.B. » (future F.G.T.B.):

  • .374

    des associations cesse d'être éphémère et dis-persée. Les syndicats des métiers locaux et régionaux se regroupent sur le' plan national puis le mouvement de concentration déborde les frontières du métier. C'est l'apparition des Centrales d'industrie, unissant tous les travail-leurs d'un secteur industriel, quelle que soit leur profession ou leur qualification, et celle des confédérations interprofessionnelles ou in-terindustrielles;

    - l'éclosion d'idées neuves (par exemple, la notion de charité, J'humiliation de l'assistance octroyée fait place au concept de droit, la notion d'égalité juridique se complète de J'in-dispensable ég:;tlité économique, le souci d'une meilleure répartition des produits de l'économie et d'une plus grande sécurité pour tous fait son chemin).

    La nécessité historique du droit social - car il s'agit finalement de cela - vient donc de cette insécurité exceptionnelle de certains groupes sociaux, liée aux transformations profondes de l'économie et de la société. Elle est dans l'intensité du phénomène, dans J'augmentation considérable de la densité sociale. « Il y a des moments dans J'évolution juridique d~une nation où elle ressent un besoin urgent de soumettre à un Droit nouveau certaines relations entre les individualités qui la composent et où tout retard perpétue un ma_laise et prend J'aspect criant d'un déni de justice» (9).

    Spécialement en ce qui concerne les accidents du travail il ne s'agit pas d'un phénomène propre à l'industrie du XIXe siècle mais d'une intensification des risques, en nombre et gravité, doublée d'une indétermination accrue des causes d'acci-dents (9bis ).

    Des statistiques approximatives établies vers 1896, il ressort qu'il y avait en Belgique 35.000 accidents par an dont 10.000 graves ( 1 0). 70 % de ces accidents restaient· sans réparation (1 0 ), 35 % parce que dus à un cas fortuit, 26.6 % parce que résultant d'une imprudence de la victime, 7.8 % parce que d'origine inconnue.

    Selon des données fournies par le· Conseil des Etats de la Confédération helvétique, la preuve de

    - 190 1. constitution de la « Fédération nationale des travailleurs de la chaussure »: 1908. création du « Yerbond der Christelijke Be-roepsverenigingen van België »: 1909. création de la « Confédération nationale des syndicats chrétiens et libres des provinces wallonnes »;

    - 1 912. fusion des deux confédérations précédentes au sein de la « Confédération générale des syndicats chrétiens et libres de Belgique >> (actuelle C.S.C. ). La confédération libérale date de 1930.

    (9) E. Picard. dans Le Peuple du 23 novemb;e 1903 et « Le Droit nouveau ». op. cit.

    (9bis) Cons. Du peyroux, « Evolution et tendances des systèmes de sécurité sociale des pays ·.membres des Communautés européennes et de la Grande-Bretagne ». Luxembourg, C.E.C.A .. 1966, p. 33. La révolution indus-trielle est génératrice de risques très particuliers pour tous ceux dont la tâche est liée à l'utilisation des machines. Parmi les raisons citées, notons l'imperfection des techni-ques (explosion des machines, effondrement des mines. etc.), l'insuffisance des mesures de sécurité (jugées inutile-ment coûteuses dans une civilisation· où le travail est assi-milé à. une pure marchandise) et la longueur de la journée de travail (fatigue, accoutumance au danger, surtout lors-qu'il s'agit d'une main-d'œuvre enfantine). Comp. l'indus-trialisation. récente (mécanisation, emploi des pesticides. etc.), par exemple de l'agriculture au Mexique et au Guatemala (accroissement de la fréquence et de la gravité des maladies professionnelles et des accidents du travail) in « Quàtrième congrès interaméricain de prévention des risques professionnels>>, 21-27 mai 1972. Exposés de MM. Xavier Gutierrei Baéz et Leone! Flores Escobar. Rev. int. de s.s .. 1973~ p. 225.

    (1 0) Pandectes belges. vD « Louage de services ». nD 1 1 et Yan Overbergh, « Le risque d'accident en Belgique ». Bruxelles 1896, cités par David, op. cit .. p. 8.: voy. égale-ment Louis Bertrand, « Les accidents du travail », Bruxelles, 1890.

    /

    J'existence d'mie faute réelle ou présumée dans le 'chef du patron ne peut être fournie dans 75 % des accidents qui se produisent dans les fabriques et dans 90 % des accidents qui se produisent dans les mines (Il).

    Pour le député français M. Faure, 68 % des accidents ont leur origine dans un cas fortuit ou une cause qui laisse la charge de la réparation à la victime ( 12 ).

    Un relevé allemand retient 20 % d'accidents dus à la faute du patron, 25 % à celle de J'ouvrier. 8 % à la faute du patron et de J'ouvrier et 4 7 % dus à une cause inconnue ou fortuite ( 13 ). Un autre document indique que 88 % des accidents du travail ne sont pas indemnisés ( 14 ).

    Sans pouvoir l'isoler comme facteur décisif du changement, on peut cependant conclure avec M. Woeste que le développement du machinisme a poussé au progrès tant dans l'organisation de J'économie que dans J'adoption d'un droit meil-leur ( 15) et J'on en veut pour preuve la remar-quable simultanéité historique que le droit comparé nous propose. Il y a en effet dans le dernier quart du XIXe siècle, un regroupement dans le temps des premières lois sur les accidents du travail ( 16) qui exprime une nécessité ressentie au même moment dans tous les pays, celle de remédier aux premiers des maux de la nouvelle condition prolétarienne, à celui que les circonstances ont placé en tête de la hiérarchie des vulnérabilités et des urgences:

    Nécessité sociale de l'intervention ( 17) qui s'est encore manifestée dans la physionomie du vote de la première loi belge, celle du 24 décembre. 1903. Personne, tant à la Chambre qu'au Sénat, ne vota contre le projet, bien qu'il fû.t passionnément discuté et qu'il comportât des principes qui heur-taient J'orthodoxie juridique. La Chambre J'adopta par 71. voix et 57 abstentions (18 ), ces dernières émanant surtout de la gauche socialiste qoi repro-chait à la loi sa trop grande timidité (19). Le Sénat

    ( 1 1 ) Bertrand. op. cil.

    (/2) F. Alexander, M. Cornil. M.-L. Ernst-Hoorion et F. Marcelis, « Genèse du droit social au cours du XIX• siècle ». Travaux et conférences. Faculté de droit de l'Université Libre de Bruxelles. 1963-1. p. 55.

    ( 13) L. Bertrand, «,Les accidents du travail ». Exposé sommaire dù projet du gouvernement, Bruxelles. 1902.

    ( 14) Statistique du or Schoenfeld. citée par Rahlen-beck. « Les assurances ouvrières en Allemagne et l'éven-tualité d'une législation similaire en Belgique ». Bruxelles. 1895.

    ( 15) Voy. Déclaration à la Chambre, citée dans Pan-dectes belge.~. t. 92. col. 247. nD 76. ·

    ( 16) Cons. Alexander. e.a .. op. cit.. pp. 64 ù 73 et David. op. cit .. p. 1 7. note ( 1) : loi allemande du 6 juillet 1884. loi autrichienne du 28 décembre 1887. loi anglaise du 6 août 1897. loi italienne du 17 mars 1898. loi fran-çaise du 9 avril 1898. loi suisse du 5 octobre 1899. loi hollandaise du 2 janvier 19.0 1. loi luxembourgeoise du 5 avril 1902.

    ( 17) M. Dupeyroux (« Evolution et tendances ». op. cit .. p. 57) ajoute une autre raison à la primauté chronolo-gique des systèmes légaux de réparation des accidents du travail. Elle ne peut être négligée. Au plan des moyens. une technique de protection peut être d'autant plus volon-tiers aménagée que. cet aménagement est plus « facile». c'est-à-dire peut s'intégrer sans .trop de difficultés aux structures juridiques 1 ibérales. L'adaptation des règles classiques sur la responsabilité (voy. infra. Ill et IV) au problème des accidents du travail ne remet en question aucune de ces structures -~t ne suppose qu'un (( coup de pouce » juridique d'autant plus anodin que la notion de présomption iuris et de jure peut y préparer sans trop de mal. En revanche la couverture de tous les autres risques sociaux. non professionnels. heurte de front tous .les prin-cipes du libéralisme économique. impliquant un abandon de principe de l'assimilation du travail humain à une pure marchandise. de la conception commutative de la rémuné-ration (salaire pour travail).

    ( 18) Ann. pari .. Chambre. séance du 16 juillet 1903. p. 2007.

    ( 19) Limitation des catégories d'entreprises assujetties et des travailleurs bénéficiaires. taux insuffisant des

    fit de même par 65 voix et 17 abstentions (20). Il fallait protéger les victimes et ramener la paix sociale, durement malmenée depuis 1886. La révolution sociale se greffe sur la révolution indus-trielle.

    Ill.- L'INADEQUATION DU DROIT CLASSIQUE

    § 1er. - Les principes.

    Au XIXe siècle, le travailleur victime d'un ac-cident lors de J'exécution de son contrat de travail ou d'emploi, frappé d'un de ces événements au caractère particulièrement fâcheux pour sa capacité de gain, se heurtait, dans sa recherche d'une in-demnisation, aux principes de la responsabilité civile, à une série d'axiomes pratiquement incontes-tés :

    II n'y a pas de responsabilité sans faute. La responsabilité civile est J'obligation de réparer le tort causé à ·autrui par un fait « illicite ». L'article 1382 du Code civil porte que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à aùtrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Et J'article 1383 de préciser: « Chacun est responsable du dom-mage qu'il a causé non seulement par son fait. mais encore par sa négligence ou par son im-prudence ». La faute étend sa gamme d'impu-tabilité du dol ou de J'intention de nuire à la plus légère négligence, imprudence ou mal-adresse, au moindre défaut de précaution ou de prévoyance; encore faut-il en prouver la réalité. La réparation du dommage ne doit peser que sur J'auteur de la faute; lui seul doit réparer. La réparation doit être intégrale. La preuve de la faute incombe à celui qui J'al-· lègue. AcJori incumbit probatio.

    - Tout doute dans cette preuve tourne à la con-fusion de celui qui demande réparation.

    Pour réussir dans son action le travailleur, partie lésée, devait donc au moins :

    prouver J'existence et le montant d'un dom-mage dans son che~ prouver l'existence d'une faute; identifier le responsable, soit J'auteur de la faute;

    établir la relation de cause à effet entre la faute et le préjudice, J'existence d'un lien tel que si la première n'avait pas été commise le second n'aurait pu se produire.

    Cette conception romaine de J'imputabilité aboutissait en fait, les statistiques tendent à le prouver (21 ), à laisser la plupart des victimes d'ac-cidents du travail sans indemnité:

    Non seulement le travailleur supportait seul les. conséquences de· ses fautes, même les plus légères et les plus inévitables, mais il endossait également le poids du cas fortuit ou de la force majeure et celui, peu négligeable, des accidents dont la cause restait inconnue. · Quand il y avait faute de J'employeur (22 ), il fallait la connaître et la rapporter, éviter le ·par-

    réparations. caractère facultatif de l'assurance (voy. inter-vention de Denis expliquant les motifs du vote d'absten-tion de son groupe, Ann. par!., Chambre. 16 juillet 1903. p. 2006).

    (20) Ann. par! .. Sénat. 17 décembre 1903. p. 130. (21) Voy. supra, Il, notes (II), ( 12), ( 13) et ( 14).

    (22) Voy. supra. note (21): le pourcentage n'était pas très élevé. Certaines statistiques le chiffraient à 17 % (Pandectes. op. cit .. t. 92. col. 246. nD 70 ). On peut l'évaluer plus largement èntre 25 ou 30 % (Alexander. e.a .. op. cit .. p. 56).

  • tage de responsabilité ou finsolvabilité patro-nale et supporter les lenteurs de la procédure, fréquemment étalée sur plusieurs années.

    - Il n'était pas· dans l'appréciation de ce qu'est la faute« de jurisprudence plus hésitante, plus in-stable, plus contradictoire même. non seule-ment dans les faits, mais encore dans J'applica-tion des principes que celle des· accidents du travail » ( 23 ).

    _L_ Quant à l'assurance privée. dont Je rôle est précisément de prémunir les particuliers contre les conséquences d'incidents dommageables qui n'obligent personne à réparation. elle n'était d'aucun secours réel en raison principalement de la modicité des revenus de ceux qui auraient dû la contracter et pour qui elle était une charge trop lourde ( 24 ).

    Ces considérations montrent à notre avis que l'obligation d'assurance qui sera imposée plus tard à l'employeur porte davantage sur l'assurance du tavailleur que sur I'assurancè de l'employeur. Ce n'est pas tant le patron qu'il convient de couvrir pour ses propres fautes mais c'est le travailleur qu'il y a lieu de garantir contre les effets de ses propres erreurs ou de circonstances non imputables à autrui. Accessoirement et en compensation de la charge imposée à l'employeur, ses écarts personnels seront également absorbés par l'assurance.

    § 2. - Illustrations.

    - Jugé que le gouvernement ne pourrait. sans blesser le sentiment d'équité qui a inspiré les ar-ticles 1382 et suivants du èode civil. charger le concessionnaire de mines de la responsabilité civile des accidents qui pourraient survenir dans )'exploi-tation par cas fortuit et imprévu. sans faute. négli-gence ou imprudence imputables au concession-naire ou à ses préposés (Conseil des mines de Belgique. 27 juillet 1838. Jurisprudence du Conseil des mines de Belgique. t. 1. p. 57).

    - La foudre tombe sur un charbonnage et pénètre dans le puits d'extraction; là elle enflamme les gaz des galeries et le feu brûle des ouvriers. C'est un cas fortuit. mais le directeur du charbon-nage répond du dommage s'il avait. faute d'aérage suffisant. laissé s'accumuler le gaz. que le feu du ciel a enflammé .. Cette faute antérieure ne peut disparaître :parce que la cause de la conflagration serait fortuite (Bruxelles. 29 févr. 1848. B.J .. 1848. p. 587 et Pas .. 1850. p. 176).

    - La mauvaise qualité du métal employé pour la construction d'une machine motrice n:engage pas. en cas d'accident, .la responsabilité de l'in-dustriel qui en fait usage, s'il résulte des cir-constances qu'il n'a pas pu le constater. Dans ce cas. on ne peut 1 ui reprocher aucune faute (voy. Verviers. 5 juin 1861 et Liège, 3 janv. 1862. B.J .. 1862. p. 470; Pas .. 1863, p. 143; Bruxelles. 3 févr. 1877. Pas .. p. 291 ).

    - Est non recevable l'action en dommages et intérêts du chef de la mort d'un ingénieur. arrivée par suite de la déchirure d'un tube chauffeur d'une machine à vapeur, parce qu'il n'est pas établi que cet accident fût le résultat d'une faute ou d'une négligence. et que cette déchirure eût pu ou dû être prévue (Liège. 24 juin 1863, Jurisprudence des tri-bunaux de 1re instance. rédigée par MM. Cloes et Bonjean. t. XII. p. 688).

    - A moins qu'il n'existe une présomption de faute établie par la loi. c'est à la partie lésée à prouver le fait matériel ·du dommage causé et la faute. la négligence ou tï'mprudence de

    . (23) Pandectes. t. 92, op. cit .. no 72. (24) Sur le rôle des caisses de secours et de prévoyance

    ainsi que sur celui des assurances contractées par certains patrons au profit de leurs ouvriers. voy. Alexander. e.a .. ~p. cit .. pp. 60 à 64 (« Réaction paternaliste ou patro-nale»).

    l'agent (voy. Bruxelles. 21 janv. 1820, Pas .. 1820. p. 2); Bruxelles. 14 août 1848. Pas .. 1849, p. 50; Laurent. « Principes de droit civil ». t. XX, no 586; Bruxelles, 16 avril 1872. Pas.. 1872. p. 176 et B.J.. XXX(I872), p. 1313), affaire de la Linière de Saint-Gilles :

    « Attendu que les articles 1382 et 1383 n'obligentcelui qui cause un dommage à autrui à le réparer que si le dommage est arr.ivé par sa faute, sa négligence ou son imprudence; qu'il en résulte. d'après .. le principe: Aètori incumbit probatio, que celui qui demande la réparation d'un dommage doit justifier de l'existence d'une faute dans le chef de celui qui en est J'auteur;

    >>Attendu que l'article 1384 ne déroge pas à ces principes en ce quî concerne la ·responsabilité des choses que l'on a sous sa garde;

    »Qu'il suit de là que c'est à l'intéressé à établir que J'accident dans lequel son mari a trouvé la mort est arrivé par la faute de l'appelante ».

    - Le chef d'industrie qui a connu les vices de l'appareil cause de l'accident ne doit pas seulement donner les ordres pour sa réparation, il doit veiller à leur exécution (Bruxelles, 18 nov. 1875. B.J., XXXIV (1876), p. 266): « Attendu qu'il résulte de l'instruction que les prévenus ont. à Haine-Saint-Paul. dans la nuit du 25 au 26 avril 1874, causé involontairement la mort de Pierre-Joseph Leonard et des blessures à André Lescart. par défaut ·de prévoyance ou de précautions, en les em-ployant à des travaux dans le puits d'alimentation des verreries dites de Mariemont :

    » Attendu, en effet, qu'il est prouvé que la chute de l'avant-dernier des échafaudages sur lesquels reposent les échelles dudit puits. doit être attribuée, sinon à leur construction défectueuse, au moins à leur état de vétusté;

    » Attendu qu'il est prouvé é'galement que Leonard a succombé à l'asphyxie. et que cette asphyxie a été déterrnin·ée par le défaut d'aérage du puits;

    » Que ce défaut d'aérage est établi par les déclarations de plusieurs ouvriers, qui affirment que leur lampe s'est parfois éteinte par manque d'air et qu'il est arrivé que l'on dût remonter au plus vite; que cela est encore confirmé par la déclaration du compagnon de la victime, que pen-dant qu'il s'est trouvé auprès d'elle au fond du puits. il. a eu la respiration gênée;

    » Attendu qu'il est établi que les préyenus avaient connaissance, tant de ce mauvais état des échafaudages que de l'insuffisance de l'aérage;

    » Qu'il s'ensuit que le devoir, qui incombe à tout chef d'industrie et à tout surveillant. de veiller â la sûreté des ouvriers. n'en était que plus impé-rieux et que les prévenus sont ainsi d'autant plus en faute, pour avoir négligé de faire les travaux nécessaires pour remédier à cette situation;

    » Attendu que 1 'ordre donné par le prévenu Tock de confectionner des canards aux cheminées . d'aérage n'atténue en rien sa responsabilité; qu'en effet. ces canards n'ont été que partiellement utilisés, puisqu'on n'en a placé que quelques-uns à la profondeur tout à fait insuffisante de 12 à 15 mètres. en laissant les autres au magasin de la ver-rerie où ils sont restés pendant deux à trois ans;

    » Attendu qu'en admettant que l'ouvrier. qui a placé ces quelques canards à la partie supérieure du puits, ait. contrairement à ce qu'il soutient. reçu l'ordre de les placer tous·. il était en· tout cas du devoir des prévenus de s'assurer si leurs ordres s'exécutaient et ils auraient dû, dans l'espèce, soit renouveler l'ordre qu'ils prétendent avoir été donné, soit commettre un autre ouvrier pour son exécution;

    » Attendu que la partie civile a justifié du dom-mage par elle éprouvé et qu'elle sera équitablement indemnisée ».

    375

    - Jugé qu'un ouvrier, blessé dans une mine doit, pour établir le fondement de sôn· action en dommages-intérêts, prouver que la société ou les agents dont etle est responsable auraient commis une faute dont le fait dommageable serait la conse-quence (Bruxelles, 22 juill. 1876, B.J., XXXIV (1876). p. 1260.

    - L'entrepreneur n'est pas responsable de J'ac-cident survenu par ce fait qu'une planche est tombée de sop échafaudage, si aucune faute ne peut lui être imputée (Civ. Brux .. 20 févr. 1884. Juris-prudence des tribunaux de première instance, fondée par MM. Cloes et Bonjean, t. XXXII. p. 959).

    - Quand une société charge spéci~lement un ouvrier de la surveillance et de la direction d'une chaudière qui, par la suite, le tue ou le blesse en faisant explosion, sans qu'il soit possible de faire remonter la cause de l'accident soit à la société. soit à l'ouvrier, celle-là n'est pas responsable vis-à-vis de celui-ci ou de ses héritiers du préjudice causé. Dans cette hypothèse, en effet, il faut en revenir aux règles générales en matière de preuve; les demandeurs doivent être déboutés de leur action s'ils ne prouvent pas la faute dans le chef du défen-deur (Mons, 29 avril 1885, B.J., p. 572; c'est à la victime d'un accident du travail à rapporter la preuve de la faute du patron : Civ. Liège, 29 mai 1895, Pandectes périodiques. n° 1695; Civ. Arlon. 15 déc. 1892, P.P., 1894, n° 729; Civ. Namur. 30 mars 1896, P.P .. n° 1239; Audenarde, 12 mai 1893, B.J.. p. 892; voy. encore, Ci v. Brux., 8 nov. 1899, P.P.", 1900, ·no 876, Pas .. 1900. p. 58).

    - La responsabilité du patron. qu'elle soit fondée sur le contrat de louage de services ou sur les articles 1382 et suivants du_ Code civil, ne saurait exister lorsqu'il est établi que l'accident est dû à la seule imprudence de la victime. Cette responsabilité ne peut être engagée en une certaine mesure que si une faute lui est également impu-table. Le fardeau de la preuve incombe à celui dont l'imprudence était manifeste, et dont l'action devrait être repoussée de piano, à moins qu'il n'établisse la faute primordiale du patron. En auto-risant cette preuve, le juge peut décider ultérieu-rement jusqu'à quel point la responsabilité de l'accident doit être partagée (Brux., 4 mars 1889, J.T .. ·p. 870).

    - L'absence de taquets ou griffes pouvant empêcher la chute de la cage et des wagonnets ne constitue pas. la société défenderesse en faute si, dans les circonstances de la cause, J'application de taquets ou griffes au monte-charge n'aurait pÙ empêcher J'accident (Civ. Charleroi. 24 octobre 1894, P.P., 1895, 11° 22).

    - Un ouvrier, au cours du travail. fait une chute et se blesse; il intente une action en dom-mages et interêts au patron. Jugé que, dans l'espèce, toutes les hypothèses sont possibles; qu'on ignore si la chute a eu pour cause une mal-adresse, une distraction. une indisposition momen-tanée, un vertig€ ou une des défectuosités pré-tendues de l'échafaudage; que, dès lors. la faute du patron fût-elle prouvée, il serait encore impossible au demandeur de rapporter la preuve que c'est cette faute qui a déterminé l'accident; que les faits ar-ticulés attestent, par leur libellé même, qûe le demandeur ignore les causes réelles de J'accident et que leur but est de procéder à des investigations nouvelles pour les découvrir; que le demandeur doit être débouté (Huy, 7 avril 1898, P.P., n° 673).

    - Il ne suffit pas que l'ouvrier v1ct1me de J'accident dont il poursuit la réparation contre son patron allègue que celui-ci est en faute; il doit établir que la cause a eu pour effet immédiat l'acci-dent, et que sans elle J'accident ne serait pas arrivé, quelles que soient les autres circonstances plus ou moins étrangères. Le système contraire aurait pour

    el

  • 376

    effet d'obliger le juge, comme en matière pénale, de rechercher par enquête ou expertise à quelle cause il faut rattacher l'accident pour en déduire l'existence ou le degré de responsabilité du patron (Charleroi, 28 févr. 1898. P.P .. n° 831 ).

    - On ne peut considérer comme un événement de forcè majeure, affranchissant le patron de sa responsabilité, l'accident arrivé fortuitement à un ouvrier, mais par suite d'un risque inhérent aux in-stallations défectueuses du patron qui devait en connaître les vices; il est de principe que le cas for-tuit n'est pas élisif de la responsabilité de celui qui,

    ·par une faute antérieure, en a déterminé la cause efficiente (Civ. Namur, 9 mars 1903, Pas., 1904, p. 341 ).

    - Le· doute sur la vraie cause d'un accident du travail, doute résuitant des contradictions inconcili-ables des témoins de l'enquête directe et de ceux de l'enquête contraire, doit profiter à l'auteur prétendu de l'accident, à moins que la victime n'établisse que la version des témoins de l'enquête contraire se heurte à urie impossibilité matérielle (Civ. Gand. 14 juin 1905, Pas., 1906, p. 260).

    IV .. - L'EFFORT JURISPRUDENTIEL ET DOCTRINAL

    La réflexion sur les remèdes à apporter à l'inadé-quation du droit positif peut être orientée dans deux directions :

    - d'une part. au niveau des conditions dans les-quelles la victime peut demander la réparation de son préjudice (problème de preuves à appor-ter, des présomptions à prévoir);

    - d'autre part, au niveau de la détermination de la personne qui va finalement supporter le poids de la ·réparation du dommage (la victime, l'auteur de la faute préjudiciable, le bénéficiaire de l'activité dommageable, un système d'assu-rance, fa collectivité).

    La jurisprudence et la doctrine ont porté leur ef-fort. au niveau probatoire.

    § 1er. - L'obligation contractuelle de sécurité.

    Cette th.éorie fut développée presque simul-tanément en Belgique, par Charles Sainc-telette (25), et en France, par Marc Sauzet (26). Mais en supposant que l'obligation de veiller à la sécurité de l'ouvrier puisse être considérée comme une suite que l'équité donne au contrat de travail (27), encore doit-on, pour atteindre une certaine efficacité, écarter la règle selon laquelle il appartient à la victime de démontrer que son patron a violé une obligation contractuelle. Ne pas le faire c'est retomber dans les inconvénients de la responsabiiité délictuelle, soit dans une irresponsa-bilité de fait des employeurs.

    Sainctelette et Sauzet estimèrent donc d'abord que l'obligation de sécurité est de l'essence du con-trat de travail. qu'elle naît de la volonté tacite des parties, à défaut d'une volonté expresse ou de promesse légale de garantie à cet égard. Il s'agit d'une des obligations secondaires de la convention, corollaire de l'autorité dont dispose l'employeur sur

    (25) «De la responsabilité et de la garantie - Acci-dents de transport et de travail ». Bruxelles. 18 84.

    ( 26) « Responsabilité des patrons >>. Revue critique de la législation et de la Jurisprudence. 1883. pp. 596 et 608; voy. également Labbé. note au Sirey, 1885. 4. 25 et 1884. 4. 26.

    (27) Voy. art. 1135 du Code civil: « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé. mais en-core à toutes les suites que l'équité. l'usage. ou la loi don-nent à t'obligation d'après sa nàture. >>

    le milieu du travail et la personne du travail-leur (28 ). Ces deux auteurs firent ensuite de cette obligation non plus une dette de moyen, sur le modèle de l'article 1137 du Code civil (29) mais une dette de résultat, sur l'exemple de l'article 114 7 du Code civil (30): l'accident du travail établit par sa survenance le manquement à J'obligation de sécurité; l'employeur. qui doit restituer son préposé sain et sauf à la fin de l'exécution du contrat, est en principe responsable, sauf à démontrer l'existence d'une cause étrangère non imputable, le cas fortuit. la faute de la victime ou le fait d'un tiers.

    Les avantages de cette habile construction étaient importants : dispense pour la victime de l'obligation de prouver la faute du patron et prise en charge par ce dernier de la réparation des a cci-dents dont la cause demeurait inconnue. Ils étaient aussi insuffisants: le travailleur se retrouvait livré à lui-même lorsqu'il y avait cas fortuit ou force majeure; la responsabilité de l'employeur était en outre atténuée, voire supprimée quand il y avait faute de la victime. Et par dessus tout la théorie était artificielle. « Si l'équité se rallie aisément à l'idée que le contrat de travail emporte obligation pour le patron de veiller à la sécurité physique de ses salariés, il est divinatoire, par· contre, de faire dériver cette obligation de la volonté commune des parties, surtout si pareille obligation vaut garantie

    . absolue de sécurité. En d'autres termes, on com-prendrait mal qu'en matière de sécurité du travail, l'employeur s'engageât, même implicitement, à une obligation de résultat dont il sait la prestation sou-vent irréalisable » (31 ).

    Seules quelques juridictions du fond partagèrent ces vues doctrinales (32 ). la Cour de cassation les désavouant formellement dans un arrêt du 28 mars 1889 (33): la garantie patronale du risque d'acci-dents ne dérive pas de l'accord tacite des contrac-tants; n'étant pas davantage définie ou précisee par un texte de loi « cette garantie n'est donc pas de l'essence du contrat de louage de services. elle n'en est même pas la conséquence naturelle et nor-male ». L'avocat général Bosch tirait en fait la leçon de cet état de droit dans ses conclusions précédant l'arrêt : « il· y a là. pour le législateur. matière ù sérieuses réflexions; c'est à lui de parer. dans la mesure du possible. aux inconvénients et aux dangers qui naissent des inégalités sociales et à favoriser. à établir peut-être au profit des ouvriers un système d'assurance contre les accidents du travail >> (34). Ce n'est en tout cas pas l'article Il de la loi du 10 mars 1900 sur le contrat de travail

    (28) Voy. Sainctelette. op. cit., pp. 117 et 153. (29) « L'obligation de veiller à la conservation de la

    chose( ... ) soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d'un bon père de famille. »

    (30) « Le débiteur est condamné. s'il y a lieu. au paye-ment de dommages e't intérêts. soit à raison de Finexécu-tion de l'obligaüon. soit à raison du retard dans t'exécu-tion. toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être im-putée. encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.»

    (31) David. op. cit .. pp. 10-11. (32) Voy. notamm. Civ. Bruxelles. 25 avril 1885. 8.1..

    p. 569. note Sainctelette et Anvers. 17 juillet 1885. 8.1.. p. 1004. note Sainctelette. Autre exemple. celui du tribunal civil de Bruxelles. en date du 6 mai 1885. 8.1.. 1887. p. 204. jugeant que quand un ouvrier devient vic-time d'un accident au cours de son travail. il a contre son patron une action en garantie dérivant du contrat de louages de services. laquelle ne lui impose que la charge de prouver t'existence de la convention et du dommIe du dommage causé par sa ruine, lors-qu'elle est arrivée par suite de défaut d'entretien ou par le vice de sa construction ». A défaut de faute de l'employeur il eût suffit de prouver un vice de la machine. Cet essai n'eût guère de succès et la juris-prudence le repoussa (38).

    C'est en fin de compte vers l'article 1384 que l'on se tourna (39). en essayant de lui appliquer la règle de l'article 1385 (40) qui n'exige pas expres-sément la faute comme condition de la responsa-bilité (41 ). De la responsabilité du « fait des

    (35) « Le chèf d'entreprise à l'obligation de ve11ler .. avec la diligence d'un bon père de famille et malgré toute convention contraire. à ce que le travail s'accomplisse dans des conditions convenables au point de vue de la sécurité et de la santé de l'ouvrier et que les premiers secours soient assurés à celui-ci. en cas d'accident. » A rapprocher. la jurisprudence qui sans admettre que le patron est tenu d'une obligation de résultat. comme le proposait Sainctelette. estimait toutefois qu'il devait ap-porter dans les précautions qu'exige la sécurité des ouvriers une particulière diligence (voy. Alexander. e.a .. op. cit .. pp. 58-59/2).

    (36) Pandectes belges. t. 89. n°' 9 et 9bis. col. 91 et 92: cons. aussi A1111. pari .. Chambre. 1898-1899. pp. 943 et s.

    (37) « De la responsabilité - Projet de revision des articles 1383 à 1386 du Code civil »; voy. Alexander. e.a .. op. cit .. pp. 74-75.

    (38) Voy. R.-0. Dalcq. Traité de la responsabilité civile. vol. 1. « Les causes de responsabilité ». Bruxelles. Larcier. 196 7. 2• édit. (coll. Les Novel/es. « Droit civil ». t. V). n° 189. renvoyant à Mazeaud. « Traité théorique et pratique de la responsabilité civile». 4• édit.. t. Il. n° 1038.

    (39) « On est responsable non seülement du dommage que t'on cause par son propre fait. mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répon-dre. ou des choses que l'on a sous sa garde » ( 1384. al. 1er).

    (40) « Le propriétaire d'un animal. ou celui qui s'en sert. pendant qu'il est à son usage. est responsable du dommage que l'animal a causé. soit que ranimai fût sous sa garde. soit qu'il fût égaré ou échappé. »

    (41) Voy. R. Saleilles.« Les accidents du travail>>. Paris, 1897; Josserand. « De la responsabilité du fait des

  • choses » on dégagea l'idée d'une présomption de faute. d'une responsabilité présumée à charge du gardien de la chose ayant provoqué le dom-mage (42).

    Si la Cour de cassation de France finit par con-sacrer cette interprétation de l'article 1384 en 1896 ( 43 ). peu de temps avant l'intervention du législateur. le 9 avril 1898. la Cour de cassation de Belgique réaffirma dès 1889 que la responsabilité du gardien d'une chose inanimée est subordonnée à la preuve que le doiJimage « a pour cause originaire l'imprudence ou l'imprévoyance du gardien» (44). Elle ne revisa sa position qu'en mai 1904 ( 45 ). tout en maintenant l'exigence de la preuve d'un vice de la chose, treize mois avant l'entrée en vi-gueur de la loi du 24 décembre 1903, le 1er juillet 1905.

    * * *

    Quant aux juridictions du fond elles partagèrent dans l'ensemble le .point de vue de la Cour suprême. On notera cependant quelques exceptions remarquables ( 46 ). dont la plus célèbre est sans doute celle du tribunal civil de Bruxelles dans l'af-faire de la Linière de Saint-Gilles (47). Saisi d'une action en_ dommages et intérêts à la suite d'une catastrophe arrivée le 14 avril 18 70 à la Société la Linière, sise à Saint-Gilles. par la rupture d'une chaudière qui avait entraîné la mo~t de dix person-nes et en avait blessé grièvement huit autres. le tribunal de Bruxelles décida que le propriétaire était présumé en faute par cela seul que l'accident était SIJrvenu par le fait de la chos·e placée sous sa garde.

    « Attendu que du texte de l'article 1384 du Code civil. il ressort clairement que le propriétaire d'une

    choses inanimées )), Paris. 1898: note de Labbé sous Cass. b .. 28 mars 1889. Sire1·. 1890. 4. 17. Cons. Dalcq. op. cil .. n°' 2028 et s .. pp. 636 et s.

    ( 42) Laurent. « Principes de droit civil français )), t. XX. n° 639. enseignait aussi que l'article 1384 établit une présomption de faute. Contra. notamm. Pandectes. t. 2. n° 119.

    (43) Cass. fr. civ .. 16 juin 1896. Dafl. Pér .. 1897. 1. 433. note Saleilles et Sirey. 1897. 1. 17. note Esmein: voy. aussi Conseil d'Etat de France. 21 juin 1895. Dafl .. 1896. Ill. 65 et concl. Romieu.

    (44) Cass .. 28 mars 1889. Pas .. 1. 161. ( 45) Cass .. 26 mai 1904. Pas.. 1. 246 ct con cl. de

    l'avocat général Janssens. Le vice de la chose suffit à constituer son gardien en faute. Influence des circons-tances sociales et économiques. Voy. égal. R.O. Dalcq. « Le vice de ia chose )), note sous Cass .. 27 novembre 1969. R.C.J.B .. 1970. pp. 61 à 77. spécial. n° 12. pp. 74 à 77.

    (46) Notamm. Ci v. Anvers. 9 avril 1874, B.f.. XXXIII (1875). p. 1531 et Claes et Bonjean. t. XXIV. p. 890. L'article 13 84 suppose une faute ou négligence sans laquelle le préjudice n'eût pas été causé: la partie lésée n'a donc pas à prouver qu'il y a eu faute ou négligence: la présomption n'exclut cependant pas la preuve contraire. qui incombe au gardien de la chose.

    (47)'Civ. Bruxelles. 31 mai 1871 et les conclusions de M. Faider. substitut. B.J .. XXIX ( 1871 ). p. 758. Juge-ment réformé par un arrêt de la cour de Bruxelles du 16 avril 1872: voy. Pandectes. t. 2. pp. 118 à 120. note (2). L'exemple de la Linière est également intéressant dans la mesure où il montre l'insécurité du travail dans certaines entreprises. En effet le 26 mars 1872 eut lieu dans la même firme une nouvelle explosion. plus désastreuse en-core par ses dégâts matériels et le nombre de morts. L'accident était dû cette fois à la corruption des eaux qui avaient amené la corrosion rapide des tôles des chaudières et cette corruption provenait elle-même d'une fabrique de produits chimiques établie dans le voisinage. La Linière ne contesta pas cette fois sa responsabilité et son appel en garantie de la société fabricante de produits chimiques fut rejeté pour le motif que les corrosions étaient visibles. faciles à remarquer et que le non remplacement. en temps utile. des tôles corrodées avait été une faute qui aurait pu être évitée par une surveillance plus active ou l'emploi d'agents plus capables (voy. Ci v. Bruxelles. 21 juillet 1875. B.J.. XXXIII ( 1875). p. 1097 et Bruxelles. 20 mars 1876. Pas .. 1876. p. 242).

    chose même inanimée qu'il a sous sa garde. est res-ponsable du dommage causé pa'r le fait de cette chose;

    » Attendu que si l'on se pénètre de l'esprit de cette disposition. l'on acquiert la conviction que cette responsabilité prend naissance du moment où du seul fait de la chose il résulte un préjudice; qu'il est en effet naturel et logique que le propriétaire d'une chose sur laquelle il a droit et devoir de sur-veillance et de direction soit légalement présumé en état de faute dès l'instant où cette chose cause un préjudice;

    »Que le tiers lésé dans ses intérêts par le fait de la chose ne peut pas. pour obtenir réparation du préjudice. être forcé de prouver d'une manière nette et précise qu'il y a eu faute ou imprudence dans k chef du propriétaire de la chose; qu'en effet. l'ad-ministration de cette preuve lui serait presque toujours impossible. puisque dans la plupart des cas le tiers n'est aucunement chargé de surveiller la chose et n'aurait aucun moyen d'établir dans quelles circonstances la faute ou l'imprudence du · propriétaire se serait produite;

    >> Attendu que la responsabilité que le seul fait de la chose impose au propriétaire vient cependant à cesser quand le propriétaire établit qu'il n'a pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité;

    >>Attendu que par ces principes si sages. si con-formes à la nature des choses et à l'équité, le légis-lateur a dans de justes limites sauvegardé tous les intérêts; qu'en effet et d'abord le tiers lésé par le fait d'une chose appa_rtenant à autrui. fait auquel il est presque toujours complètement étranger. trouve complète protection dans cette présomption légale qui, sans que le tiers doive faire aucune preuve, fait peser la r~sponsabilité sur le propriétaire de la chose; que, d'autre part, le propriétaire, devenu responsable en principe et par le seul fait de l'acci-dent, dégage neanmoins sa responsabilité lorsqu'il établit qu'il n~a pu empêcher le fait et qu'il a pris toutes les précautions que commande la prudence; qu'alors, en effet, l'accident n'est plus imputable au propriétaire de la chose, mais rentre dans la caté-gorie des cas fortuits, dont personne n'est respon-sable;

    » Attendu que de ce qui précède il découle que dans l'espèce la Société Linière est en principe responsable des dommages causés par l'explosion qui s'est produite le 14 avril 1870 dans l'établisse-ment sis à Saint-Gilles; que cette responsabilité ne peut être mise en doute, lorsque l'on considère que ladite Société avait certainement la garde de la chaudière qui a fait explosion;

    >>Attendu que, pour échapper à la responsabilité qui lui incombe, la Société Linière devrait établir qu'elle n'a pu empêcher l'explosion dont s'agit;

    » Àttendu que la Société Linière n'a point fait. cette preuve et ne demande pas à la faire; que son argumentation tend évidemment à démontrer et à faire admettre que sa responsabilité ne prendra naissance que le jour où la demanderesse aurait établi qu'il y a dans le chef de la Société Linière ou une faute ou une imprudence;

    »Attendu dès lors qu'au point de vue des prin-cipes du droit et de l'équité, la Société Linière est et doit être responsable des conséquences domma-geables de l'explosion préindiquée » (Civ. Brux .. 31 mai 1871) (48).

    La cour d'appel de Bruxelles, dans son arrêt du 16 avril 1872. rappelle à l'ordre des principes, considérant ensuite qu'en l'espèce sont une faute les vices de construction et le défaut d'entretien de la machine:

    « Attendu que les articles 13 8 2 et 13 8 3 n'obi i-gent celu~ qui cause un ·dommage à. autrui à le

    (48) Voy. Pandectes. t. 2. pp. 118 à 119. note (2). déjà cité et pp. 169 et 1 70. note ( 1 ).

    377

    réparer que si le dommage est arrivé par sa faute. sa négligence ou son imprudence; qu'il en résulte. d'après le principe: Actori incumbit probatio, que celui qui demande la réparation d'un dommage doit justifier de l'existence d'une faute dans le chef de celui qui en est l'auteur;

    >>Attendu que l'article 1384 ne déroge pas à ces principes en ce qui concerne la responsabilité des choses que l'on a sous sa garde;

    »Qu'il suit de là que c'est à l'intimé à établir que l'accident dans lequel son mari a trouvé la mort est arrivé par la faute de l'appelante. »

    Jugé dans le même sens dans le cas d'une actrice mortellement atteinte par les flammes de la rampe lors d'une représentation de J'ouvrage intitulé Cadet Roussel et Cie donnée au théâtre des Galeries Saint-Hubert. Le directeur du théâtre ne peut être présumé de piano en faute par cela seul que l'accident a été causé par le feu de la rampe qu'il avait sous sa garde. Le mari de la victime doit prouver les faits établissant que le défendeur est en faute (49).

    L'ouvrier qui a les deux doigts coupés au mo-ment où il retire un morceau de bois qui s'est in-troduit entre le siège et la soupape de la machine dont il a la surveillance, et qui empêche la pompe de marcher, doit prouver que l'accident résulte du vice· de la machine s'il veut en rendre son maître responsable (50).

    * * *

    Lorsqu 'une cage dans laquelle descendent 21 ouvriers est précipitée au fond d'un puits de mine et que tous ses occupants périssent, celui qui veut obtenir en justice réparation du dommage doit prouver l'existence d'une faute imputable à celui qui avait là garde de la « chose inanimée »(51).

    * * *

    La doctrine et la jurisprudence ont ainsi exploré en vain les ressources du droit commun à la rècherche d'un système de réparation des accidents du travail répondant mieux aux nécessités profes-sionnelles et sociales. Auraient-elles rencontré le 'succès dans leùrs propositions de renverser la charge de la preuve que l'intervention du législateur n'aurait été que postposée; l'inconvénient majeur subsistait : l'absence de réparation quand il y a faute de la victime ou cas fortuit. « Si ce résultat se justifie dans la perspective d'une responsabilité ·destinée à sanctionner les erreurs de conduite. il ne satisfait pas en t'espèce aux requêtes de la justice sociale. Un principe nouveau de responsabilité semblait donc nécessaire »(52). ·

    (A suivre.)

    Pierre V AN DER VORST.

    ( 49) Civ. Bruxelles. 21 novembre 18 71. Pas.. 1 8 72. p. 100.

    (50) Bruxelles, 21 janvier 18 7 3. B.J .. XXXI ( 18 7 3 ). p. 453 et Pas .. p. 196.

    (51) Bruxelles, 3 février 1877, Pas .. p. 291.

    (52) David. op. cit .. p. 13.

    ASSOCIATION BELGE DES EXPERTS -ABEX - (groupant les experts de· toutes les disciplines). La liste des experts avec le détail de leurs spécialités est envoyée gracieusement aux magistrats et aux avocats. Toute corres-pondance est à adresser à l'Association belge des Experts, boulevard d'Anvers, 13 - 1000 Bruxelles. Tél. 217 46 48.

    ~:

    ~ •1

    ~:

    ill! ll

    ~ 1

    r;;; .:;J; ~ r' 1

    iii!

    !ii! ilij ~ 1 h' ~: ~ :

    ~~

    H ~~

    ill I:J:

    ~ 1

    ~i ,J;I/

    ;;·,';,

    ~il~ !!Ji

    ~ ~ 1

  • 378

    LA VIE DU DROIT

    Promulgation d'une législation commerciale au sultanat d'Oman

    Depuis le mois de juillet 1974, le sultan d'Oman a promulgué une législation commerciale. qui est due aux avocats Spear and Hill de New York et Samir et Nabi Saleh de Beyrouth.

    Comme dans de nombreux cas analogues. ce code est un compromis entre les prescriptions cora-niques. Iedroit français et la législation anglaise.

    La première loi porte sur le registre du com-merce dont les mentions ont force de preuve. Le registre contient entre autres la description des pouvoirs attribués aux représentants des sociétés ainsi créées.

    Le tiers de bonne foi se trouve ainsi protégé dans la mesure où il s'est fié aux dispositions du registre du commerce.

    Les sociétés commerciales peuvent prendre cinq formes:

    le « general partnership ». dont les partners répondent conjointement et solidairement de tous les engagements de la société. ct sans aucune limitation:

    - le « limited partnership >> qui comprend deux catégories de partners : les uns ont une rcspon-sabilité conjointe et solidaire illimitée. les autres ont leur responsabilité limitée ù leur part dans leur capital:

    - la« joint venture » ne jouit pas de personnalité juridique et n'est pas l'objet de publications: la « joint stock company » dont les action-naires ont une responsabilité limitée ù la valeur nominale de leurs actions. Son fonctionnement ressemble ù la société ano-nyme. avec conseil d'administration. commis-saires et assemblées générales: la « limited liability company » rejoint large-ment la joint stock company. mais son actionc nariat ne peut excéder 30 personnes.

    A ces deux lois. s'ajoute une législation sur les activités commerciales et les inl'estissements étran-gers. contenant les dispositions relatives aux procé-dures à suivre par les non-résidents omaniens sou-haitant exercer de telles activités dans le pays.

    La législation fiscale relative ù l'impôt sur les revenus. prévoit notamment une taxation ù 55 % des revenus provenant de la vente des produits pétroliers (non compris les royalties de 12 1 12 % payées au sultan).

    Enfin deux décrets font également partie de ce code. relatifs aux procédures de signature des con-trats pour compte du sultanat -et aux associations créées par décret du sultan.

    Georges UGEUX.

    J UR 1 S P RU D E N ,C E Cass. (Ire ch.). 27 février 1975.

    Prés. : M. Perrichon. cons. Rapp. : M. Closon. cons. Min. pubj. : M. Delange. proc. gén. Plaid. : Me Dassesse.

    (S.A.B.A.M et csrts c. Mannoni.)

    DROIT D"AllTEUR. - OEUVRE MUSI-CALE. - Exécution publique. - Nécessité du consentement de l'auteur.

    Aux termes de l'article 16 de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur, aucune œuvre musicale ne peut être publiquement exécutée ou représentée, en tout ou en partie, sans le consentement de l'auteur.

    Aucune disposition légale ne subordonne la nécessité du consentement de l'auteur d'une œuvre musicale à la condition que celui qui, publiquement exécute ou repré-sente l'œuvre, agisse « dans un but d 'utili-sation collective ».

    Le droit de l'auteur est protégé dès qu 'ef-fectivement l'exécution est publique et audible.

    Ouï M. le conseiller Closon en son rap-port et sur les conclusions de M. Delange, procureur général;

    Vu le jugement attaqué, rendu, en der-nier ressort, le 14 décembre 1973 par le juge de paix du canton de Herstal;

    Sur le moyen pris de la violation des articles 1er, 2, 16, 38 (com·plété par l'art. 2

    de la loi du 5 mars 1921) de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur, 2/1 et 4, 4/1 et 5, 1111, llbis/1-3° et 13/l-2° de la Con ven ti on de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques con-clue à Berne le 9 septembre 1886, modifiée à Paris le 4 mai 1896, revisée à Berlin le 13 novembre 1908, et modifiée ~ Berne le 20 mars 1914, revisée à Rome le 2 juin 1928 et à Bruxelles le 26 juin 1948, des lois du 30 septembre 1887, 8 juin 1897, 23 mai 1910, 5 mars 1921, 16 avril 1934 et 26 juin 1951 ayant respectivement approuvé la-dite convention dans son état à chacune des dates prérappelées, des articles II, ali-néas 1er et 2, de la Convention universelle sur le droit d'auteur signée à Genève le 6 septembre 1952 et 1er de la loi d'approba-tion du 20 avril 1960, 4 de la loi du 26 jan-vier 1960 relative aux redevances sur les appareils récepteurs de radiodiffusion, 1315, 1382, 1383 du Code civil, 870 du Code judiciaire et 97 de la Constitution,

    en ce que, pour rejeter l'action formée par les demandeurs et t~ndant à la con-damnation du défendeur au paiement de la somme de 1.657 F à titre de réparation du préjudice subi par eux ensuite de l'exécu-tion publique par le défendeur d'œuvres rn usicales des demandeurs sub 2 à 6, en méconnaissance de leur droit d'auteur sur ces œuvres, le jugement, retenant que le défendeur utilisait pour son usage per-sonnel, un poste portatif de radio dans un lieu public, en l'occurrence son salon de coiffure, et que les personnes présentes pouvaient en entendre les émissions, et après avoir fait référence à la loi du 26

    janvier 1960 créant une taxe individuelle pour de tels récepteurs, décide que « l'uti-lisation de semblable poste taxé individuel-lement ne peut pas être considérée comme constituant d'office une émission publique au sens de l'article 16 de la loi du 22 mars 1886 », mais « qu'il faudrait en la circons-tance que la partie demanderesse démon-tre que le poste fût amené nori seulement dans un but d'utilisation individuelle, mais bien dans un but d'utilisation collective qui constituerait l'élément de publicité voulu par la loi »,

    alors que, première branche, le système de la taxe individuelle des postes de radio portatifs n'a apporté aucune limitation ni restriction aux droits reconnus à l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique par la loi du 22 mars 1886; qu'en se référant dès lors à l'article 4 de la loi du 26 janvier 1960 organique de cette taxe pour rejeter l'action des demandeurs, le jugement a fait une fausse application de ce texte (viola-tion de l'art. 4 de la loi du 26 janv. 1960) et est de surcroît inadéquatement motivé (violation de l'art. 97 de la Constitution);

    seconde branche, il y a exécution pub li-que d'une œuvre musicale dès que celle-ci est interprétée en présence d'un public et qu'elle est audible par celui-ci; que l'élé-·ment de publicité requis par la loi doit s'apprécier objectivement,. indépendam-ment de tout critère subjectif ou inten-tionnel dans le chef de l'exécutant; qu'en rejetant la demande au motif que seule la preuve d'une intention d'utilisation collec-tive par le défendeur était susceptible d'établir l'élément de publicité requis par la loi, le jugement a ajouté à la loi orga-nique du droit d'auteur sur les œuvres musicales une condition qu'elle ne contient pas (violation des dispositions de la loi du 22 mars 1886, de la Convention de Berne,

    · de la Convention universelle, de leurs lois d'approbation et des art. 1382 et 1383 visés au moyen), imposé aux demandeurs la preuve d'un fait étranger aux fins de leur action (violation en outre des art. 1315 du C. civ. et 870 du C. jud.) et statué par des motifs inadéquats (violation de l'art. 97 de la Constitution) :

    Quant à la première branche :

    Attendu que, sans préjudice de l'applica-tion de la loi du 11 mars 1958, étrangère à l'espèce, l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique a seul, aux termes de l'article 1er de la loi du 22 mars 1886, le droit de reproduire son œuvre ou d'en autoriser la reproduction de quelque manière que ce soit; que l'article 16 de la même loi précise qu'aucune œuvre musicale ne peut être publiquement exécutée ou représentée, en tout ou en partie, sans le consentement de l'auteur;

    Attendu qu'il résulte des dispositions de la loi du 26 janvier 1960, relative aux rede-vances sur les appareils récepteurs de radiodiffusion, que la redevance établie à charge du détenteur de ces appareils récepteurs d'émissions radiodiffusées est indépendante de l'objet des diverses émis-sions radiodiffusées;

    Que, partant, cette loi n'a apporté aucune limitation ou restriction aux droits reconnus à l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique par la loi du 22 mars 1886;

    Quant à la seconde branche :

    Attendu que ni l'article 16 de la loi du 22 mars .1886 ni aucune· autre disposition

  • légale ne subordonnent la nécessité du consentement de l'auteur d'une œuvre musicale à la condition que celui qui publi-quement exécute ou représente l'œuvre agisse « dans un .but d'utilisation collec-tive », ainsi que le décide .le jugement;

    Que le droit de l'auteur est protégé dès qu'effectivement l'exécution est publique et audible;

    Qu'aucun des motifs du jugement n'en ·ustifie légalement le dispositif;

    Que le moyen est fondé;

    Par ces motifs .•

    LA CouR,

    Casse le jugement attaqué.

    Bruxelles ( 7e ch.) , 26 février 1975.

    Siég.: MM. Ruttiens, cons. ff de prés. ; Logé et Terlin-den, cons.

    Min. : M. De Cant, av. gén. Plaid. : MMes Steghers, Vandermousen et Toussaint.

    (Lecat, Raffner et Emlehn c. Dierickx.)

    RESPONSABILITE. - DOMMAGES ET INTERETS. - CONCUBINAGE. - Préju-dice subi par la fiancée cohabitant avec. la victime. - Absence de caractère immoral de la vie en commun hors mariage. - DOM-MAGE MATERIEL. - Caractère licite mais instable et précaire des avantages matériels tirés du concubinage. - Absence de certi-tude du dommage.- Demande non receva-ble et en tout cas non fondée. - DOMMAGE MORAL. -Dommage certain.

    que les «fiancés » avaient envisagé de se marier;

    Attendu cependant que · rien ne permet la certitude que ce mariage aurait été célé-bré, d'autant plus qu'il n'est ni établi ni même allégué qu'une date - fût-ce ap-proximative - ait été fixée pour le ma-riage;·

    Attendu que la partie civile ne se pré-vaut d'ailleurs pas de la privation d'avan-tages matériels qu'elle aurait pu retirer de son mariage avec le défunt, mais seule-ment de. « la privation de l'avantage ~u'elle retirait de la vie en commun avec ·à victime » (cf. conclusions additionnelles d'appel) ; ~==---===~=--c-~-~-~-----1 Attendu que force est de constater qu'e~ ~~ raison de l'évolution des conceptions en f a matière de mœurs, le caractère immoral ~ ~antérieurement reconnu à la vie en corn- y·

    rn un hors mariage n'est pl us admis ou, à [ ·~ tout le moins, est controversé ; '

    Que ce caractère immoral ne peut . en tous cas plus être admis juridiquement puisque le législateur a estimé devoir attri-buer à la situation de fait constitutive du , concubinage certains effets de droit (cf. A. · Lagasse «L'Union de l'homme et de la femme en droit social belge » in Annales de droit et de sciences politiques, t. XVII, n° 2, 1957, pp. 149 à 169 ; J. Rutsaert, «La destruction de la famille par la loi », J. T .. 2 févr. 1958)_

    379

    Qu'il convient d'ailleurs de remarquer qu'admettre le principe de la dem.ande im-pliquerait nécessairement, dans des situa-tions analogues à celle de l'espèce, qu'il est reconnu plus de droit à des fiancés vivant ensemble qu'à des fiancés ordinaires ce qui constituerait inévitablement un encoura-

    . gement au concubinage;

    Attendu qu'à supposer même que la demande dont il s'agit soit recevable, en-core devrait-elle être repoussée pour dé-faut de preuve de l'existence du préjudice allégué et, par conséquent, défaut de fon-dement en fait ;

    Qu'en effet, l'évaluation qui en est faite - soit 150.000 F sans réserve en 1re in-stance, portée à 1.603.950 F sur appel inci-dent- est basée sur un calcul de capitali-sation dont les données sont dépourvues à ce point de tout rapport avec la réalité qu'elles en sont manifestement fantai-sistes ;

    Que, d'une part, rien ne permet de présumer . une durée déterminée à la cohabitation dont il s'agit, ni, dès lors, en-core moins une durée égale à celle or--dinairement présumée pour une/ ·cohabitation dans le mariage, lequel est

    ·lui-même dissoluble autrement que par la mort et atteint même, en fait, de moins en moins souvent ce terme ;

    Que d'autre part, compte tenu des revenus professionnèls du défunt, 11.000 F

    Qu'il s'ensuit aue les avantages par m~is,. et ~e }a partie Civil~, 10.000 F matériels retirés du concubinage ne par mms, Il_dmt etre tenu,pour 1~possible, peuvent être tenus pour illicites . dans les Circonstances economiques ac-. tuelles, que la cohabitation dont il s'agit

    Attendu, par contrAe, que de_ t~l~ avan- ait procuré dans le passé et aurait pu tages ~e peuvent e!re. consideres q~e procurer dans un avenir proche, à la partie comme m~tables _et pr_ecaires, ~arce, q~e re- civile, un profit de 5.500 F par mois,

    . ,, . sultant dune situation creee benevole- puisqu'il ne serait resté que 16.500 F par 1.- En raz.son de l evolutwn des concep- ment par les concubins et ayant les mêmes· mo1's pour sub · ' t t 1 d'

    t. t"' d l , · venir a ou es es epenses wns_ en ma z.ere e mœurs, e caractere z.m- caractéristiques d'instabilité et de précari- communes et ' l' t t" 1 d

    l , . , . a en re 1en personne e

    mora anteneurement reconnu a la me en té, au point qu'il a touJ·ours été admis chacun de r· ' . h

    · • l d · s 1ances , commun ors manage n est pus a mz.s ou, qu'elle nè donnait aucun droit à un concu- . ~tout le moins, est controversé. c: caractè~e bin à l'égard de l'autre au maintien de Que, s'Il en _ét~it b~soin, le c~ractère ~m"!~ral ne peut ~n tout ca~P_lus etre admz.s cette situation ni, par conséquent, au compl?tement_ Irreel dun tel profit m~n-JU~z.dz.que_ment J?uz.squ~ le legi-slateur a esti- maintien de ces avantages ; suel result~ra1~ ~n o'!tre de la constatation me devmr attnbuer a la situation de fait ,. . , que la partie c1vlle na tenu aucun compte, constitutive du concubinage certains effets Qu Il ne saurait des lors etre admis que dans ses calculs, de la charge du rembour-de dro#. la perte de ces mêmes avantages, par le sement des emprunts qu'elle reconnaît

    11 _ L t , . l . , d fait fau~if ~·u~ tiers, confère à uh concubin avoir souscrits avec l'aval du défunt, em-

    . b. es avantagd~st:naterdze s retzres u un drmt a reparation de cette perte à prunts totalisant en principal et donc concu mage - e zs mets es avantages l',,.. d d t' · , A • . ·. t · At t" , d . l , e5ar e ce 1ers ; mterets et autres accessoires exclus q'!z aurazen pu e re ce zres u mana~e- ~ te- , , . . . . 85.000 F ; . ' neur- ne peuvent etre tenus pour z.llzcztes. Qu en decider autrement 1mphqueralt · Ils sont par contre instables et précaires, les nécessairement - ·comme le confirme Qu'il est en réalité douteux que la vie en concubins n'ayant l'un à l'égard de l'autre d'ailleurs le procédé d'évaluation par capi- concubinage de la partie civile aurait pu aucun droit à leur maintien. Admettre le talisation, choisi par la partie civile - que permettre au couple de réaliser des écono-principe du droit à réparation du préjudice soit reconnu pour l'avenir, auxdits avan- mies et qu'il est en tous cas invraisem-matériel de la fiancée vivant avec la victime tages, un caractère de certitude quant à blable que, sur les minimes économies décédée serait reconnaître plus de droits à leur maintien jusqu'à la fin de la survie lu- éventuellement réalisées dans un avenir des fiancés vivant ensemble qu'à des fiancés crative probable, alors qu'ils résultaient lointain, le défunt n'aurait pas prélevé une ordinaires, ce qui constituerait inévitable- d'une situation précaire et instable (cf. De part, proportionnelle à sa contribution ment un encouragement au concubinage. Page, «Traité élémentaire de droit civil », dans les gains du faux ménage, pour la sa-

    compl., t. II, n° 950bis, p. 236) ; tisfaction d'agréments personnels ;

    Partie civile Lecat Marie Rose

    a) Dommage matériel :

    Attendu qu'à la date du décès de Raffner Patrick, celui-ci était âgé de 22 ans et la partie civile de 28 ans ; ·

    Attendu que celle-ci se disait la fiancée du premier et était considérée comme telle dans son en tour age ;

    Attendu qu'il est acquis que le décès se produisit alors que la partie civile cohabi-tait avec Raffner depuis environ 7 mois et que les éléments de la cause rendent vrai-semblable l'affirmation de la partie civile

    Qu'en l'espèce ce caractère de certitude Qu'ainsi la partie civile n'établit pas la serait d'autant 'moins. admissible que la réalité, de la _Perte matérielle dont elle pos-partie civile invoque que le défunt et elle- tule reparatiOn ; même avaient l'intention de se marier et dès lors de mettre fin à leur situation de concubinage ; ·

    Que si, en fait, les avantages allégués lui étaient demeurés acquis dans l'état de ma-riage, leur cause n'en serait pas moins devenue la qualité d'épouse, qualité dont la partie civile ne peut se prévaloir ;

    Attendu en conséquence que la demande dont il s'agit n'est pas recevable, faute de fondement en droit;

    b) dommage moral :

    Attendu que ce dommage doit être tenu pour certain ; qu'au surplus, la partie Dierickx n'en dénie pas l'existence ;

    Attendu que l'indemnité de 75.000 F fixée forcément ex aequo et bono par le premier juge et admise par la partie ad-verse apparaît assurer la juste réparation de ce dommage, corn pte tenu de la circons-tance que la partie civile fut témoin des circonstances dramatiques du décès;

    !!;

    D )i

    l ! ~:

    1·1

    i~)

    ~IIi ~ 1 ;

    11

    r;;: w

    ~1 ·:;;

    ~ li ~; :;;1

    ·il, :::i

    'j:!

    8 ~: ~~;:

    1'1 ~~

    ,;:

    li' li JI

    : ~ ~ ; Il

  • 380

    Par ces mptifs :

    LA CouR,

    Reçoit les appels

    Confirme le jugement dont appel en tant qu'il a condamné le prévenu à payer à la partie civile Lecat Marie Rose 50.000 F à titre de réparation de son dommage moral ainsi qu'aux intérêts compensatoires sur 75.000 F depuis le 29 mai 1973 jusqu'au 1er juillet 1974 ·et depuis cette date sur 50.000 F jusqu'à la date du présent arrêt, ensuite les intérêts judiciaires et les dépens de cette action civile en 1re ins-tance;

    Dit le surplus de la demande non recevable et, en tous cas, non fondé ;

    En déboute la partie civile et la con-damne aux dépens de son action en l'ins-tance d'appel.

    OBSERVATIONS. -Cette décision est frap· pée d'un pourvoi en cassation. Voir ci-après le jugement dont appel et l'avis du ministère public.

    On comparera utilement cette décision à l'arrêt prononcé le 24 octobre 1974 par la 14e chambre de la cour d'appel (J.T., 1975, p. 156, obs).

    L'arrêt du 24 octobre 1974 admet la recevabi-lité et le fondement de la demande relative au dommage matériel de la concubine, mais dé-clare non recevable la demande relative au dom-mage moral.

    L'arrêt repris ci-dessus statue en sens diamé-tralement opposé, puisqu'il déclare non recevable (et en outre non fondée) la demande relative au dommage matériel mais recevable et fondée la demande relative au dommage moral.

    On sait que, par son arrêt du 27 février 1970, la chambre mixte de la Cour de cassation de France (D. 1970, J. 201, et note Combaldieu) a mis fin à la divergence de jurisprudence existant entre les chambres civile et criminelle et admet la recevabilité de la demande de la concubine, sans distinguer. entre le préjudice matériel et le préjudice moral.

    Corr. Bruxelles (23e ch.) , 22 mai 1974.-

    Siég.: M. Versele, juge un. Min. publ. .: M. Masson, subst. proc. Roi. Plaid. : MMes Steghers, Vandèrmousen et Toussaint.

    (Lecat, Raffner Emlehn et M.P. c. Dierickx.)

    A V 1 S

    (Extraits)

    Partie civile Lecat

    Mlle Lecai. qui vivait avec feu Patrick Raff-ner depuis plusieurs mois et qui se présente comme sa fi~ncée. réclame 150.000 F du chef de dommage moral et 150.000 F du chef de dommage matériel. consistant en la perte des avantages retirés de la vie en commun.

    Le prévenu sollicite du tribunal qu'il réduise le montant réclamé à titre de répara-tion du dommage moral. et conclut au débouté de la demande formulée du chef de préjudice matériel.

    Il n'est pas contesté que la partie civile cohabitait avec la victime. En revanche. le

    . prévenu · fait valoir en conclusions que !"hypothèse du mariage " n'est en tout cas pas

    démontrée avec certitude • et que le principe du mariage n'est pas acquis. ce qui ne peut que s'interpréter que comme ùne contestation de la qualité de fiancée dans le chef de la par-tie civile.

    F orc,e est donc de vérifier de quels éléments le tribunal dispose pour se prononcer sur la question. Dans la théorie admise actuelle-ment. les fiançailles ne constituent- pas un contrat civiL et elles peuvent dès lors être prouvées par toutes voies de droit (De Page. t. p~r. nos 570 et 572bis. 5°). En !"espèce. un seul élément est soumis au tribunal : le contrat de prêt personnel à tempérament conclu par Mlle Lecat avec la Société Générale de Banque en date du 28 février 1973. contrat auquel M. Raffner est intervenu comme caution solidaire et indivisible des engagements de Mlle Lecat et qu'il a signé en cette qualité. Or. ce contrat est précédé d'une demande établie par la par-tie ci vile le 26 février 1973 et mentionnant comme destination du prêt : « frais d'aména-gement et mariage •. On doit supposer que Patrick Raffner avait connaissance de cette pièce et qu'il ne se serait pas porté caution s'il avait considéré que certaines déclarations faites par Mlle Lecat dans sa demande de prêt étaient inexactes. La qualité de fiancée doit dès lors être reconnue à la partie civile.

    En termes de plaidoirie, le conseil du préyenu a relevé que la partie civile se présentait tantôt comme fiancée de la victime. tantôt comme sa concubine, pour cumuler les avantages résultant de cette double qualité. Cette attitude de la partie civile ne doit pas être critiquée : si elle était à la fois la concu-bine et la fiancée de la victime, on n'aperçoit pas pourquoi elle ne pourrait pas se placer sur ce double plan. Il n'est en effet nullement con-tradictoire de vivre avec quelqu'un et d'avoir formé avec lui des projets de mariage.

    Il convient à présent de se demander si les demandes formulées par la partie civile sont justifiées soit par les fiançailles soit par le concubinage.

    ....i!l Demande d'indemnité du chef de dommage .aJ.!lLf1.L_ Le prévenu ne conteste pas le principe de

    cette demande. mais demande que le montant sollicité soit réduit. '

    La jurisprudence et la doctrine sont généralement favorables à l'octroi de dom-mages-intérêts pour dommage moral à la fian-cée qui perd son fiancé (voy. notamment Fagnart. op. cit., n° 87 et les décisions citées; Dalcq. « Traité de la responsabilité civile "· t. IL n° 2909: De Page, t. II, n° 950: Marty et Raynaud. t. IL yol. L n° 383: contra : Liège. 27 nov. 1953. ]ur. Liège, 1953-1954. p. 234).

    Il va de soi que l'on ne pourrait admettre le principe du dédommagement si la partie civile ou la victime avait été mariée à un tiers. On ne saurait dans une telle hypothèse parler de réelles fiançailles. Mais ni la vic-time. ni la partie civile n'étaient mariées. de sorte que rien n'empêche le principe énoncé ci-dessus de sortir tous ses effets.

    En ce qui concerne le montant. il ne saurait être le même que celui qui est habituellement ·alloué à une épouse (voy. Fagnart. op. cit., n° 86). et la somme réclamée est manifeste-ment excessive. Il paraît équitable de la réduire à 50.000 F, compte tenu de l'âge de la partie civile et de la durée assez brève des fiançailles.

    b) Demande d'indemnité du chefde dommage mqténèl.

    Si l'on admet généralement que la fiancée a droit à des dommages-intérêts du chef du

    préjudice moral engendré par le décès de son fiancé. on ne lui accorde en revanche pas

    ·d'indemnité du chef de dommage matériel.

    C'est donc sur le plan de la vie commune menée par la victime et la partie civile qu'il faut se placer pour examiner si cette dernière a. droit à des dommges-intérêts en raison du préjudice matériel que le décès de Patrick Raffner lui aurait causé.

    Le problème des dommages-intérêts réclamés par la concubine est généralement envisagé à propos du dommage moral de celle-ci. Mais les arguments invoqués et les solutions adoptées valent aussi bien pour le dommage matériel (voy. Fagnart. op. cit., n° 86bis). On sait qu'en Belgique la jurispru-dence était traditionnellement hostile à l'ac-tion de la concubine (voy. notamment Cass .• 21 avrill958. Pas., 1958. I, 921). tandis que la jurisprudence française est partagée (voy. Dalcq. op. cit., n° 29ll, et Fagnart. loc. cit.).

    Mais !Jpe solJJtÏgp PQ!Welle parait se déga-ger de l'arrêt de la Cgur de. cassation du 26 ju.i.D..,.lllQZ..(Pas., 1967, I, 1260). aux termes duquel le j.u.g..~J}JlYt légalement décide~; qne n'est pas un ayantage ill~gjtime ce]ni dgnt t':§f privé un~~q;ui ét!!it unie à la yjçtime p,!r u~ IIJ'ariage x;eli~cwx céléhrLen..B.d.giq.u.e: c.,c§t,-a-d'œ p;g u,u Ji~e.ewJ..nn pu la lw cixil!t.~!Uslg.e.. Il n'existe ·en effet pas de raison de faire une différence entre le concubinage pur, et simple, si l'on peut dire. et la cohabitation suite à un mariage dépourvu de tout effet juridique.

    Il y a dès lors lieu de considérer que l'avan-tage retiré de la vie commune n'est pas illégi-time. sauf si le concubinage se complique d'adultère ou d'entretien de concubine. C'est dans cette voie qu'est entrée la Cour de cassa-tion d~ France dans sa jurisprudence récente (Cass. fr .. ch. mixte, 27 févr. 1970, D., 1970. 201). La doctrine belge la plus récente ap-prouve cette solution (Fagnart, loc. cit.; comme critique de la jurisprudence tra~itionnelle, voy. Dalcq, op. cit., n° 2928); De même, une décision récente admet le droit de la concubine (en dehors de tout mariage reli-gieux) à des dommages-intérêts tant du chef de préjudicè moral que de celui de préjudice matériel (Bruxelles, sect. Mons, 27 juin 1973. R.G.A.R., 1974, n° 9184; voy. aussi Civ. Bruxelles, 27 jui~ 1972, ]. T., .1973, p. 183).

    Cette jurisprudence ne reconnaît toutefois ce droit que si le concubinage présente un caractère certain de stabilité (voy. partie .. Civ. Bruxelles. 27 juin 1972, précité).

    Ce caractère résultera le plus souvent de la durée du concubinage. En l'espèce. il ne durait que depuis quelques mois. En revan-che, la stabilité est ici attestée à suffisance de droi~ par la volonté des intéressés de se maner.

    Il s'ensuit que l'action de Mlle Lecat du chef de dommage matériel est recevable. Mais est-elle fondée ?

    La demande se base sur les éléments de fait suivants : __;. la partie civile perd l'avantage qu'elle

    retirait de la vie en commun; - elle devra rembourser seule deux prêts

    personnels à tempérament. l'un de 25.000 F, l'autre de 60.000 F.

    La première des circonstances est formulée de manière tout à fait générale. Selon la par-tie civile elle-même, ses revenus profession-nels se montaient à 10.000 F par mois, et ceux de la victime à environ 11.000 F par mois. Il n'est pas fait état d'autres sources de revenus.

  • ni dans le chef de la partie civile, ni dans celui de feu Patrick Raffner.

    Dans ces conditions, la partie civile subit un préjudice du fait de la cessation de la vie commune. Ce préjudice consiste en la perte des revenus de la victime, déduction faite de la part que celle-ci en consacrait à son entre-tien personnel. Si l'on se ·base sur l'échelle d'Engel, qui est toujours d'actualité, particu-lièrement pour des revenus comme ceux des intéressés, on peut fixer à 3,1 quets la quotité des revenus consacrée par la victime (homme âgé de 21 ans) à son entretien personnel et à 3 quets celle des revenus de la partie civile (femme âgée de 28 ans) (voy. Dalcq. op. cit .. n°8 3601 et s.). Le pourcentage des revenus de la victime affectés à son entretien personnel s'établit donc à 3,1/6,1 soit 0.508. Les revenus annuels étant de 11.000 F x 12 = 132.000 F. la quotité litigieuse se chiffre à 132:000 F x 0,508 = 67.056 F. et la perte subie par la par-tie civile est de 132.000 F - 67.056 F = 64.944 F par an.

    Tenant compte d'une survie lucrative jus.,. qu'à 65 ans (à ce moment la partie civile aurait encore été en vie, sa survie probable au moment du décès étant 46.21 ans : voy. Dalcq. op. cit., n° 3629), la perte s'établit à 64.944 F x 17.7091 (coefficient donné par Dalcq. op. cit., n° 3655). c'est-à-dire à un montant bien supérieur aux 150.000 F évalués ex aequo et bono par la partie civile. Le tribunal ne pou-vant aller au-delà du montant réclamé, il s'en-suit que celui-ci est entièrement justifié.

    La question du préjudice spécial causé par l'obligation de supporter seule le rembourse~ ment de deux prêts devient par conséquent sans objet. En toute hypothèse, cette obliga-tion ne constitue pas un élément du préjUdice de la partie civile. qui avait dès la conclusion des prêts l'obligation de rembourser seule le montant des prêts. Sans doute aura-t-elle plus de difficultés en raisons de la perte des revenus de la victime; mais cette circonstance rejoint simplement le problème général de cette perte et ne constitue pas un élément de préjudice distinct.

    * * *

    JUGEMENT

    Attendu que les demandes formulées par Mlle Marie-Rose Lecat, fiancée de feu ·Patrick Raffner, sont justifiées tant pour la réparation d'un dommage matériel que pour celle d'un préjudice affectif; qu'il est en effet démontré que cette jeune femme, comme son fiancé, était libre de tout engagement cQnjugal, cohabitait avec son fiancé depuis 1972, se proposait de l'épouser et avait à cette fin pris des déci-sions d'équipement, outre qu'elle parta-geait les frais d'une cohabitation avant leur mariage (comp. Cass. belge, 26 juin 1967, Pas., I, 1260; Cass. franç., ch. mixte, 27 févr. 1970, Dall., 201); qu'en tenant compte de l'âge des fiancés, de la durée de leur cohabitation et du montant de leurs revenus respectifs, il est justifié de réparer le préjudice affectif par ·l'allocation de 75.000 F, et le préjudice matériel par l'allocation des 150.000 F réclamés, ce montant étant inférieur à une capitalisa-tion du préjudice résultant de la cessation d'une vie en commun, où l'entretien per-sonnel du défunt est calculé à 3,1 quets et celui de la partie civile à 3 quets (échelle d'Engel);

    Par ces motifs :

    LE TRIBUNAL,

    Condamne Charles Dierickx à payer à Marie-Rose Lecat : 225.000 F.

    Prés. Comm. Bruxelles (cessation), 2 avril 1975.

    Siég. : M. R. Debacker, vice·prés. Plaid. : MMes Robert Andersen et Louis V an Bunnen.

    (Etat Belge c. S.A. Ets Delhaize Le Lion.)

    ACTION EN CESSATION. - Loi sur les pratiques du commerce, article 34. - Stock normal. - Erreur de répartition du stock. - Absence d'infraction. - Article 20, l 0 • -Incident exceptionnel. - Pas de publicité fallacieuse.

    I. - L'article 34 de la loi sur les prati-ques du commerce, qui oblige le vendeur, dans le cas d'annonce d'une réduction de prix limitée dans le temps, à disposer du stock qui doit normalement être prévu compte tenu de la durée de la vente et de l'importance de la publicité est d'interpréta-tion stricte, compte tenu de l'abus dont la répression a été visée et de la sanction pénale dont elle est assortie, en vertu de l'article 61 de la loi. En l'espèce c'est seule-ment après plusieurs jours de promotion qu 'apparaît dans un seul des 80 magasins' où la vente en question a eu lieu, et pour un seul des dix mois annoncés, un manque d'approvisionnement.

    Cet incident est dû à une répartition des produits inadéquate et le caractère strict de la disposition légale ne permet pas d 'assi-miler à la non-constitution du stock normal toute faute ou erreur ayant pu être commise, au sein de l'entreprise défenderesse dans la répartition du stock légalement constitué.

    IL - S'il est vrai que le client a pu être leurré dans son espoir de pou voir, à la date où le vin désiré manquait, se procurer im-médiatement le vin en question au super-marché où il s'est rendu, la publicité dont il s'agit ne pouvait plus être visée dans une ac-tion en cessation, parce que l'acte incriminé avait cessé d'exister à la date de l'assigna-tion et qu'il était exclu que les conditions de son accomplissement se représentent.

    Il s'agit en réalité d'un fait exceptionnel, d'un incident et doit être écartée comme fantaisiste et dépourvue de fondement l 'opi-nion que la publicité en question visait uni-quement à attirer les amateurs de vieux bor-deaux dans ses magasins pour lelf,r vendre d'autres produits aux prix habituellement pratiqués.

    L'objet de~ l'action, d'après la citation, est: a) de faire constater la violation, par la

    défenderesse, des articles 20, 1° et 4 ° et 34 de la loi du 14 juillet 1971 sur les pratiques du commerce, en tant que la défenderesse, après avoir annoncé l'of-fre en vente, au Super Delhaize de l'avenue Defré, à Uccle, pendant la pé-riode du 31 octobre au 13 novembre 1974, de bouteilles de vin «Château Fonroque 1970 M.O. » au prix réduit de 155 F (au lieu de 185 F), n'a pas disposé du stock visé à l'article 34,

    b) de lui interdire de faire à l'avenir de la publicité favorisant la vente à prix

    381

    réduit et d'offrir en vente à prix réduit, pendant des périodes limitées à l'avance dans le temps, des marchandi-ses, denrées ou produits sans disposer du stock devant normalement être pré-vu compte tenu de la durée de la vente et de l'importance de la publicité.

    c) de faire ordonner la publication du jugement aux frais de la défenderesse dans deux journaux de la capitale.

    Prenant appui sur l'article 807 du Code judiciaire et compte tenu des justes criti-ques de son adversaire quant au libellé de l'ordre de cessation demandé (supra, litt. b) - constituant seulement, était-il fait remarquer, «la répétition du texte même de l'article 34 ... » - le demandeur a libellé, dans ses conclusions_, à titre subsi-diaire et plus subsidiaire des demandes tendant: 1) à interdire l'annonce par la défenderes-

    se, dans le cadre de ses ventes promo-tionnelles hebdomadaires « Carré d'As», d'une réduction momentanée de prix sur les bouteilles de vin mises en vedette sans disposer d'un stock suffi-sant ... , etc ...

    2) à faire porter semblable interdiction sur les offres à prix réduit que fait la défenderesse «à l'occasion de sa cam-pagne promotionnelle de vins de Bor-deaux organisée traditionnellement à l'approche des fêtes de fin d'année ... sans disposer. du stock suffisant compte tenu de la durée de la vente ( + quinze jours) et de l'importance