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    La rivire sans retour

    Love is a traveler on the river of no return,Swept on forever to be lost in the stormy sea.

    (chantait Marilyn dans le film : River of no return)

    http://www.dailymotion.com/video/x248m0_river-of-no-return_music

    Nous sommes le vain fleuve tout trac,

    droit vers sa mer. Lombre la enlac.(Jos Luis Borges)

    Combien ce serait beau si, pour chaque mer qui nous attend, il y avait un fleuve pour nous. Et

    quelqu'un - un pre, un amour, quelqu'un - capable de nous prendre par la main et de trouver ce

    fleuve - l'imaginer, l'inventer - et nous poser dans son courant, avec la lgret de ce seul mot, adieu.

    Alessandro Baricco, Ocan mer.

    Aprs Antonio Tabucchi (ma chronique n 5), Andrea

    Camilleri et Laura Pariani (ma chronique n 6), retour la

    littrature italienne avec ce roman de Dario Franceschini :

    dans les veines ce fleuve dargent. Comme si, pour se

    consoler de la tl berlusconienne, lItalie avait trouv dans

    la littrature lantidote la mdiocrit et la nocivit du

    petit cran. Dailleurs, quand il ncrit pas, DarioFranceschini, en tant que dput du Parti Dmocrate,

    soppose rgulirement au Cavaliere. Il est lactuel ministre

    des relations avec le Parlement du gouvernement dEnrico

    Letta. N Ferrare, ville sur le delta du P, cest de ce fleuve

    quil parle dans son roman. Et des hommes du fleuve. Un vrai

    roman, pas une fable : une terre, des hommes, leurs vies et leurs destins. Le

    protagoniste, Primo Bottardi, est n Cantarana, dans le Pimont. La vie il a

    maintenant la cinquantaine la transport Ferrare, deux cents kilomtres plus lest, vers laval. Une femme, Maria, une fille, Paoletta, et dans ses veines, ce fleuve

    dargent.

    Ce quilredoute depuis toujours, cest le silence qui le transit littralement.

    Un jour, Primo (enfant) tait rentr chez lui et navait trouv personne. []

    Cest sa mre qui lavait trouv, assis sur le rebord de la baignoire, puis par

    les tremblements. [] Ctait en fait le bruit de ses paroles qui avait arrt le

    froid dans le sang de son fils an. (p.13)

    http://www.dailymotion.com/video/x248m0_river-of-no-return_musichttp://www.dailymotion.com/video/x248m0_river-of-no-return_musichttp://www.dailymotion.com/video/x248m0_river-of-no-return_music
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    Cest justement alors quil se laissait glisser dans un moment de silence, un

    aprs-midi de son automne, que Primo Bottardi se rappela soudain la question

    que Massimo Civolani lui avait pose quarante-deux ans auparavant.

    Il tait assis au bord du lit et un triste prsage venait de lui traverser la poitrine.

    Il serra les draps dans ses poings et locan dsordonn de sa mmoire

    lui restitua la voix, claire et intacte, de son vieux compagnon.

    Est-ce que je tai dj parl de Massimo Civolani?

    Maria fit signe que oui.

    Je dois le retrouver. Un matin lcole, avant de partir, il ma pos

    une question laquelleje nai jamais rpondu. (p.15-16)

    Va commencer pour Primo une qute qui va lui faire remonter le

    cours et du fleuve et de son existence. Comment retrouver la piste de

    Civolani ? Dabord, aller interroger leur ancien instituteur qui vit au

    milieu de lamoureux dsordre de ses livres de chevet. Parmi ceux-ci, un

    roman dune vieille connaissance (ma chronique n 7) : Lamour au

    temps du cholra, de Gabriel Garcia Marquez.

    Arriv au dernier mot du livre, je nai pas support lide

    quaprs stre attendus aussi longtemps, Fermina et Florentino

    (les hros du roman)soient contraints de goter le court bonheur

    si dsir quil leur restait vivre crass entre les livres dune tagre exigu.Alors je les ai laisss libres de saimer dans tous les lieux de la maison o leur

    livre sest dplac au cours des annes. (p.20)

    Sur les indications du vieux professeur Miraglia, Primo se

    rend en train chez Scabbia, un ancien condisciple, par un

    temps de brouillard qui accentue ltranget de la dmarche.

    Scabbia qui trane toujours derrire lui une forte odeur de

    draps mouills et de linge propre, et qui il y a quelque temps a

    vu Civolani.

    Il le trouve au piano, crivant fbrilement quelques

    mesures de musique :

    Tu vois, depuis que mon frre est mort,

    jentends parfois limproviste, la musique quil

    jouait et quil navait jamais voulu crire. (p.30)

    Ben (Vautier)

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    Scabbia lui dit ce quil sait: Civolani lpoque vivait avec une femmetenant une

    auberge connue pour son caviar dans un village en amont du fleuve, Lenticchia.

    Revenu chez lui, Primo fait sa valise, sans quon sache sil pressent quil ne reviendra

    pas de ce voyage.

    Au dner il dit Maria que le lendemain matin il partirait pour le village o

    habitait peut-tre Civolani.

    Cest si important ? demanda-t-elle ?

    - Oui , rpondit Bottardi mi-voix, en comprenant pour la premire fois le

    dsordre violent provoqu en lui par le souvenir soudain de cette question de

    Massimo Civolani qui attendait une rponse depuis plus de quarante ans.(p.35)

    Lenticchia, il prend une chambre dans une auberge, proximit du P. Dsormais

    le fleuve et lui ne se quitteront plus. Le fleuve et ceux qui il donne du travail, lefleuve et ceux qui il apporte le malheur.

    Il fut rveill, alors quil faisait dj jour,

    par les pleurs dune femme. []

    Pourquoi crie-t-elle cette femme ?

    - Ne vous inquitez pas, elle fait a tous les

    matins depuis vingt ans. (On lui en raconte

    la cause.)

    Cest la faute du fleuve. Il lui a pris son mari etquatre fils. [] Chaque nuit

    elle rve quelle a dautres fils qui continuent se jeter dans le fleuve lun aprs

    lautre pour se sauver mutuellement et au lieu de a, ils continuent se noyer.

    (p.39 41)

    De fil en aiguille, il apprend que Civolani est connu dans le

    pays sous le sobriquet de Capoccia (mot qui, dans le dialecte

    local, dsigne lesturgeon) depuis que, jeune homme, il a

    attrap la main un poisson monstrueux lors dune battuedans le fleuve. Voil Primo en route pour lauberge de la

    dnomme Nora que Capoccia (Civolani) a fini par quitter.

    Civolani, murmura-t-elle en plongeant dans quelque

    douceur perdue, a fait tant dannes que je ne lai pas

    entendu appeler comme a.

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    Elle voulut que Primo lui parle de Civolani enfant, de sa mre, des filles quil

    avait connues, des vtements quil portait, de combien il tait maigre. Elle

    coutait en souriant de mlancolie amoureuse et lorsque Bottardi prit cong,

    elle dit : qui sait. Un soir peut-tre il reviendra pour ne plus sen aller.

    (p.50 et 56)

    Aux dernires nouvelles, Civolani logerait maintenant dans un autre village,

    Bregola, avec un autre pcheur desturgeons.Primo dcide de partir le lendemain,

    profitant de la charrette du vieux Francesco Artioli qui fait le coursier le long des

    rives du fleuve.

    Il passa une nuit inquite et agite, errer dans des cauchemars

    peupls dinconnus. Il lui arrivait souvent de glisser dans des rves

    qui ne lui appartenaient pas. Lorsque cela se produisait, les

    personnages de ses rves sarrtaient un peu,

    surpris, comme lorsque (un tranger traverse le

    plateau dun film en cours de tournage, certains

    faisaient mme un petit signe de salut de la

    tte. (p.57)

    Et Primo se retrouve face au fleuve.

    Lorsque la charrette atteignit le

    sommet de la digue, Primo sentit

    son souffle sarrter dans sa gorge

    et il dglutit face la majest du

    grand fleuve qui revenait dans sa

    vie. [] Il lavait oubli, perdu dans

    les journes prudentes de son

    existence ordonne, mais il tait

    encore l, comme autrefois, puissant et ternel, gonfl de douceur et deviolences secrtes. (p.59)

    Artioli raconte comment il a sauv les riverains du fleuve, lors de la grande

    inondation, en amenant des sacs de terre pour renforcer la digue. Avec cette terrible

    conclusion :

    Lorsque, vers le soir, les hommes virent leau qui commenait en hte

    baisser, ils comprirent quailleurs le fleuve avait gagn. (p.64-65)

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    Dario Franceschini doit de toute vidence tre un lecteur de Gabriel Garcia Marquez

    dont on retrouve ici et l ce ralisme magique qui est devenu, parfois son corps

    dfendant, sa marque de fabrique. Trois exemples :

    Pendant le voyage Artioli lui avait parl longuement de cet trange petitvillage, de lautre ct du fleuve, et de lhistoire tourmente du jeune mdecin

    qui envoyait chaque mois un colis sa vieille mre reste seule Piano. []

    Tout avait commenc un hiver, des annes auparavant, quand les hommes et

    les femmes du village perdirent mystrieusement, dans les labyrinthes de leurs

    esprit, le repre de leur identit. Depuis lors, les gens de Borrello ne vivaient

    plus que dans le prsent. Chaque jour, lorsque le village se rveillait, tous

    sadaptaient, sans tonnement, au premier travail qui soffrait eux et le soir

    ils dnaient et dormaient avec

    lhomme et la femme quils

    supposaient tre leur mari ou

    leur pouse. [] Il ny a que le

    prtre qui soit toujours le mme.

    Non que le Seigneur lui ait

    pargn cette maladie, mais

    simplement parce que chaque

    matin il voit sa soutane noire

    pose sur la chaise et a la

    certitude dtre le cur. (p.67)

    Bottardi a en effet un paquet remettre une vieille dame.

    Elle coupa la corde qui attachait la caisse, ouvrit sans hsiter

    le ct suprieur et commena sortir la paille de lemballage.

    Il ny a que de la paille, vous voyez? dit-elle. [] Ne vous

    inquitez pas pour cette paille. Tout petit dj, mon fils me

    demandait de lui expliquer ce qutait lamour. []

    Lorsquil alla en ville pour faire ses tudes de mdecine il

    mcrivit quil essayait en vain de le trouver cach quelque

    part. Et que pourtant il y tait. Ainsi, depuis des annes, il

    menvoie de Borrello des caisses pleines damour rien que pour moi et il

    les emplit toujours de paille pour quil arrive l encore intact. (p.72-73)

    Il faut maintenant prendre cong :

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    Primo lui sourit intrieurement et fut incapable de rsister. Ds quelle

    se tourna pour revenir sasseoir sur sa chaise basse, il allongea la main

    vers ses cheveux comme pour en prendre une mche. [] Il avait appris

    cela de sa fille Paoletta. Elle navait pas encore deux ans et le soir pour

    sendormir ou dans les moments de tendresse, elle sortait peine son

    pouce de sa bouche, murmurait morceau , tendait la main vers le cou

    de sa maman, frlait la peau comme pour saisir dans sa paume

    linsaisissable Trs vite, elle avait commenc prendre un morceau de

    son papa quand il partait travailler. [] (plus tard)Un matin elle avait

    t mortellement effraye, lorsque, depuis la salle de bains, elle avait

    entendu sa maman murmurer, pendant quelle refaisait son lit et

    ceux-l, qui appartiennent-ils ? mais elle navait jamais trouv le

    courage de lui demander si elle les voyait aussi. [] Souvent il lui arrivait,

    en lavant ses vtements ou

    en vidant un vieux sac, de

    trouver des petits

    morceaux perdus depuis

    longtemps ou den trouver

    dautres dont elle avait

    oubli qui ils

    appartenaient. (p.77 78)

    Et cette figure de magicien qui nest pas sans rappeler celle du gitan Melquiades du

    roman Cent ans de solitude.

    Au fond de la salle, presque dans lobscurit, Primo vit un homme assis tout

    seul, grand et vtu avec un raffinement dsuet qui transparaissait mme dans

    ses habits simples et uss. Il lui sembla le reconnatre. Il ny avait aucun doute,

    ctait Ariodante, le magicien. Il tait dj vieux quand Primo tait encore un

    enfant qui passait des heures mastiquer avec ses amis la saveur libre

    de la nuit. [] Puis il payait, en

    soulevant dun geste large et lent son

    manteau rp pour prendre quelques

    pices de monnaie dans la poche de

    ses pantalons, inclinait son bret sur sa

    tte et se dirigeait vers lobscurit de la

    place. (p.82 85) image capte du filmRoma

    de Fellini

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    Remonter le cours du fleuve, c'est aussi aller la rencontre de figures et de

    souvenirs. Ainsi lorsqu'on croise ce groupe de lavandires qui,

    trs italiennes, ne se privent pas de charrier le vieil Artioli :

    Primo avait toujours rv de faire lamour avec unelavandire. Ctait la faute de son frre Secondo qui avait

    connu, adolescent, le parfum de savon de lune dentre

    elles, une jeune de Gozzana.

    Son frre avait toujours t comme a, perdu, heureux,

    dans son amour pour le corps des femmes. (Un jour) il tait all passer ses

    aprs-midi cach, tout seul, entre les arbustes de la berge, derrire la plage o

    les femmes de Gozzana se baignaient parfois aprs avoir rang la lessive dans

    les paniers, pour voir de loin ne serait-ce quun fragment de peau cach.

    Puis, par un brlant aprs-midi dt, dans un brouhaha croissant, les plus

    jeunes des femmes entreprirent de se dshabiller, jusqu rester entirement

    nues. Secondo cessa de respirer. Il se demanda

    comment arrter la scne ou au moins la faire se

    drouler plus lentement, pour ne pas perdre un seul

    fragment de nudit, pour pouvoir consommer mille fois

    encore le dsir de ce moment, quil avait tellement

    attendu et qui ne se reproduirait, certainement, jamais

    plus. (p.90-91)

    Autre rencontresignifiante, bien srcelle de

    ce cheval tomb dans les eaux du fleuve :

    (Le propritaire du cheval) sassit ct de

    Primo et montra le cheval boueux et puis qui

    restait toujours immobile :

    Il est choqu, vous voyez. Il voulait mourir, il

    avait trouv l'occasion idale et ne voulait pas la laisser chapper. Cest pour a

    quil na pas boug. Il ne voulait pas quon le sauve.[] Dailleurs cest un

    cheval du fleuve et il a travaill trop longtemps dans des campagnes lointaines.

    Depuis quil est revenu, il ne pense qu mourir dans son eau. Je le

    comprends.

    Il se tourna vers Primo et dit en riant :

    Ne faites pas attention, nous les gens du fleuve, nous sommes bizarres. Et

    vous, do venez-vous ?

    Primo plongea dans le regard noir et sans fond du cheval. Moi aussi je suis du fleuve, dit-il. De Cantarana. (p.100-101)

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    Autre rencontre encore : une fillette.

    (Dehors) au dbut de la route qui conduisait lauberge, sur

    lescalier de la porte dune maison, tait assise une fillette,

    menue et blonde, avec une petite robe noire. Elle pleurait. Primose sentit sombrer dans cette obscurit sans rivages des douleurs

    enfantines, si immenses et si brves, quil avait oublie. Il se

    sentit emport dans le souvenir de la mort de Bruno Baldini(du

    temps de lcole primaire, mort noy dans le canal). (p.109-110)

    Douleur de la mmoire mais aussi douceur dans cette anamnse qui, l'on s'en rend

    compte, le fait remonter ses origines, comme s'il fallait qu'il retrouve ces eaux que

    sa mre avait perdues pour que lui-mme vienne au monde :

    (A lauberge) Il se rveilla brusquement et se rappela soudain le

    jour de sa naissance.

    Il commena sentir dans sa tte et sur ses paules une douleur

    longue, atroce. Il dglutit et retrouva la gne de la lumire

    aveuglante, les frissons causs par leau froide et entendit, encore

    trs net, lcho de la voix aigu de la sage-femme. (p.112)

    Avant de sortir

    de lauberge, il

    demanda la

    patronne si elle

    pouvait lexpdier et

    elle lui rpondit

    quelle le ferait avec plaisir parce

    que, depuis son enfance, elle avait

    toujours aim

    sans rserve les

    botes aux lettres,

    si rouges et plei-

    nes de secrets.

    (p.119)

    Il y a aussi cette lettre qu'il crit son pouse (p.114)

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    L'ge, le fleuve, la route : tout rapproche Primo et le charretier Artioli, leur faisant

    partager les mmes tats d'me :

    Tu vois, Primo, je viens seulement de comprendre que le fleuve est comme la

    vie. Lorsque je vais vers lamont je regarde leau qui coule vers moi et, commemaintenant, je me sens bien. Mais lorsque je reviens vers laval, je suis envahi

    par la mlancolie, cest comme si le fleuvemaspirait et memportait avec lui

    sans mme sapercevoir de moi et de ma charrette.

    Primo sentait maintenant un calme lger dans sa poitrine vide et paisible.

    Ainsi, se dit-il, depuis le dbut du voyage, il allait vers la source, sans sen

    apercevoir. Il revenait l o tout commence. (p.123-124)

    Primo arrive devant la maison de Civolani. Sur le crpi des lignes

    noires traces pour indiquer le niveau atteint par les crues du fleuve.Enfin il entre. Personne. Un poste de radio sur une petite table.

    Il tourna le bouton et essaya de trouver une station qui

    transmettrait quelque chose. Les notes

    mlancoliques dune vieille valse

    retentirent soudain et pntrrent droit

    dans les blessures qui staient ouvertes

    dans son cur pendant ce voyage. (p.127)

    Primo apprend que Civolani est all Riotto, sur lautre rive.Il emprunte un vlo pour

    s'y rendre. Nouvelle exprience sensorielle de la mmoire :

    Primo sentit sur ses flancs les petites mains de sa fille, comme il

    les avait senties si souvent, distraitement, lorsquil faisait du vlo

    avec elle qui, depuis le petit sige arrire, linterrogeait sur chaque

    chose du monde. Il aurait aim lui parler du fleuve et de la terre

    du fleuve, o tout est la fois prodigieux et normal.(p.135)

    Pour passer de l'autre ct du fleuve, il emprunte le bac, une

    barque au fond de laquelle se dbat un norme esturgeon dont,

    ailleurs, quelqu'un attend la livraison.

    Lesturgeon parvient schapper,

    entranant avec lui Primo qui avait

    essay de le retenir.

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    Je meurs , se dit-il tandis que leau sale et mousseuse arrachait ses

    vtements et lentranait vers le fond parmi les dtritus, dans les tourbillons

    glacs vers ses antiques viscres. Il leva les yeux et vit Civolani qui depuis la

    rive, au loin, regardait un vieil homme se noyer.

    Il essaya de crier Oui ! , mais sa voix fut peine un souffle dans le

    grondement furieux du courant.

    Un instant de plus aurait suffi. Un instant seulement pour rpondre cette

    question pose quarante-deux ans auparavant, que sa mmoire avait restitue

    intacte, six jours plus tt, en cet aprs-midi o, assis sur le bord de son lit, il

    avait eu la brusque certitude quil allait mourir.

    Oui, Massimo, aurait-il voulu lui dire, oui, cest toi qui avais raison, on le sait

    lavance quand on va mourir.

    Cest dans le fleuve quil devait mourir, parce que cest ce qui tait crit pour

    lui, comme pour le cheval immobile du chemin de halage, pour Ariodante le

    magicien et pour tous ceux qui portaient dans leurs veines cette eau dargent

    mle leur sang et qui lavaient oublie.

    Il sentit sa gorge pleine deau et de boue et son cur, puis et vaincu, qui le

    laissait aller vers lobscurit du fond. (p.150 152)

    Un roman fort et puissant qui nous entrane vers son

    terme, comme le courant d'un fleuve. Mme si le

    dnouement est prvisible, la justesse du propos a t

    un rel enchantement pour le lecteur que je suis. Un

    vrai roman comme l'est Le vieil homme et la mer de john

    Steinbeck ; pas une fable, disais-je en ouverture. Si vous

    voulez lire une fable voisine de ce rcit, ouvrez Le Kde

    Dino Buzzati.

    Aprs avoir parl de ce roman dont je vous conseille la lecture, je vais laisser monpropos sortir de son lit pour dborder comme cela ne manque jamais d'arriver au

    cours de mes chroniques.

    En effet, une rivire et des hommes, c'est l une thmatique abondamment

    aborde par la littrature. Des titres vous viennent immdiatement l'esprit :

    L'Enfant et la rivired'Henri Bosco ; Les Aventures de Tom Sawyerde Mark Twain...

    Mais cette thmatique renvoie aussi des souvenirs de moments vcus. Tout en

    sachant qu'on a le fleuve qu'on peut.

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    Ici, le P : longueur : 652 km. Il prend sa source Pian del Re sur le territoire de la

    commune deCrissolo au pied duMonte Viso, 2 022 m d'altitude, dans lesAlpes

    occidentales duPimont pour se jeter dans lamer Adriatique.

    A l'ouest du P, les P.O. et plus prcisment la rivire de la Castellane, affluent de la

    Tt. Longueur, 27 km. Prend sa source dans le massif du Madres, 2375 m pour

    rejoindre la Tt Catllar (306m), aprs avoir travers le territoire de Mosset.

    Et 1000 km de l, vol d'oiseau, plein nord, la Lys. La rivire de mon enfance.

    Longueur : 195 km. Elle prend sa source Lisbourg prs de Fruges l'altitude de

    114,7 m pour se jeter dans l'Escaut Gand (Belgique) 4,45 m d'altitude.

    Dessin par Jean Llaury dans leJournal des Mosstans (juillet-aot 1998),

    regrett journal o justement Jean Llaury a rgulirement tenu une

    rubrique intitule "En remontant la Castellane".

    Armentires

    Emile Claus,Jeunes paysannes

    en bord de Lys (avant 1924)

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Pian_del_Rehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Crissolohttp://fr.wikipedia.org/wiki/Monte_Visohttp://fr.wikipedia.org/wiki/Alpeshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Pi%C3%A9monthttp://fr.wikipedia.org/wiki/Mer_Adriatiquehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Lisbourghttp://fr.wikipedia.org/wiki/Frugeshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Escauthttp://fr.wikipedia.org/wiki/Gandhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Gandhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Escauthttp://fr.wikipedia.org/wiki/Frugeshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Lisbourghttp://fr.wikipedia.org/wiki/Mer_Adriatiquehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Pi%C3%A9monthttp://fr.wikipedia.org/wiki/Alpeshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Monte_Visohttp://fr.wikipedia.org/wiki/Crissolohttp://fr.wikipedia.org/wiki/Pian_del_Re
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