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Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo Groupe 3 1 L’acquisition de capacités managériales permet-elle au leader de combler un manque de compétences techniques ? Mémoire réalisé par : Marwane BENACHIR Taha Yacine BOURASSINE Benjamin HENKEL Léo LENGELÉ Encadrés par le Professeur Xavier BOUTE

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L’acquisition de capacités managériales permet-elle au leader de

combler un manque de compétences techniques ?

Mémoire réalisé par :

Marwane BENACHIR

Taha Yacine BOURASSINE

Benjamin HENKEL

Léo LENGELÉ

Encadrés par le Professeur Xavier BOUTE

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Remerciements

Nous voulons tout d’abord remercier M. Xavier Boute, pour nous avoir encadrés tout

au long de la réalisation de ce mémoire. Nous souhaitons remercier aussi l’ensemble du

personnel de l’école de Saint-Cyr pour nous avoir offert la chance d’assister à ce séminaire très

enrichissant. Nous aimerions remercier en particulier le sous-lieutenant Romain Puidupin, chef

de notre groupe (section 1, groupe 3) qui a su comment nous encadrer, nous conseiller et nous

guider pour que nous profitions au maximum de notre expérience.

Nous souhaitons aussi remercier l’ensemble de personnes qui nous ont aidés pour

élaborer ce mémoire : Mme Guillemette Breysse, Mme Sylvie Guessab, Mme Catherine Kulak,

Mme Anouk Reignier Mme Marion Lagan, Mme Marie-Laurence Madignier, M. Damien

Petitjean et M. Eloic Peyrache pour la réalisation des entretiens, M. Badis Khalfallah pour la

réalisation de l’observation, Alizée Acket-Goemaere, Susan Prudnikov, Paul Chalabreysse,

Maxime Colombet, Mathilde Carré, Quentin Hemont, Eliza Morawska et Caroline Trabet pour

la réalisation de l’expérience ainsi que toutes les personnes qui ont répondu à notre sondage.

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Sommaire

1. Prologue ............................................................................................................................ 5

2. La démarche de recherche adoptée ................................................................................ 6

2.1. Question de recherche ............................................................................................. 6

2.2. Hypothèse de recherche ........................................................................................... 6

2.3. Références théoriques .............................................................................................. 7

2.4. Enquête envisagée .................................................................................................. 10

2.4.1. Entretiens ......................................................................................................... 10

2.4.2. Observation ...................................................................................................... 10

2.4.3. Sondage ............................................................................................................ 11

2.4.4. Expérience ........................................................................................................ 13

3. Ce qui ressort de l’enquête réalisée .............................................................................. 15

3.1. Un leader doit avoir un minimum de compétences techniques pour pouvoir

gérer une équipe ................................................................................................................. 15

3.1.1. Les compétences techniques permettent au leader de comprendre les enjeux

techniques de l’environnement du travail ainsi que ceux des subordonnés. .................... 15

3.1.2. Une maîtrise minimale des compétences techniques est nécessaire dans la

relation avec les membres de son équipe ......................................................................... 17

3.1.3. Seules, les compétences techniques peuvent limiter le recul du manager. ...... 21

3.2. Mais l’apprentissage de capacités managériales semble plus important dans la

formation d’un leader ........................................................................................................ 23

3.2.1. Importance de facteurs subjectifs dans le succès de l’action collective .......... 23

3.2.2. Un bon manager doit avant tout savoir déléguer les tâches ............................. 26

3.2.3. Importance des managers et nouveaux enjeux de la société ............................ 28

3.3. Comment former des leaders efficaces ? ............................................................. 31

3.3.1. La formation académique ................................................................................ 31

3.3.2. La formation progressive ................................................................................. 34

3.3.3. Evolution de la formation à la « française » .................................................... 36

4. Bilan ................................................................................................................................ 39

4.1. Retour sur l’hypothèse de recherche .................................................................... 39

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4.2. Limites, interrogations et apports ........................................................................ 41

4.3. Prospective .............................................................................................................. 41

5. Annexes ........................................................................................................................... 43

5.1. Bibliographie .......................................................................................................... 43

5.2. Filmographie .......................................................................................................... 43

5.3. Entretiens ................................................................................................................ 43

5.3.1. Entretien avec M. Eloïc Peyrache .................................................................... 43

5.3.2. Entretien avec Mme Guillemette Breysse ........................................................ 45

5.3.3. Entretien avec Mme Marie-Laurence Madignier ............................................. 50

5.3.4. Entretien avec Mme Catherine Kulak et Mme Anouk Reignier ...................... 53

5.3.5. Entretien avec le Commandant Damien Petitjean .......................................... 57

5.3.6. Entretien avec Mme Marion Lagan ................................................................. 61

5.3.7. Entretien avec Mme Sylvie Guessab ............................................................... 65

5.4. Compte Rendu de l’expérience ............................................................................. 66

5.5. Compte Rendu de l’observation ........................................................................... 68

5.6. Résultat du sondage ............................................................................................... 70

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1. Prologue

Nous sommes le deuxième jour du séminaire « Leadership et action collective » sur le camp

de l’école militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Comme lors de chaque nouvelle épreuve, le sous-

lieutenant Puidupin désigne un leader qui aura pour charge d’encadrer le groupe. Cette fois-ci,

notre mission consiste à construire une tyrolienne de part et d’autre d’une rivière afin de

permettre le franchissement à tous les membres du groupe. Cependant, le leader est

immédiatement confronté à son manque de compétences en matière de cordage et ne peut donc

donner les directives techniques à ses subordonnés. Après quelques instants de réflexion, il

décide de déléguer la mise en place de la tyrolienne à deux de ses subordonnés plus compétents

dans ce domaine afin de se focaliser sur d’autres aspects du leadership. Grâce à ses

encouragements et à sa capacité à déléguer les tâches aux bonnes personnes, la mission est un

succès : tous les membres de l’équipe parviennent à franchir la rivière sains et saufs. De plus,

aucun membre du groupe n’a senti que la légitimité du leader avait été remise en cause par son

manque de compétences techniques.

Cette situation a immédiatement attiré notre attention dans la mesure où le résultat peut

paraître contre-intuitif. En effet, comment un leader peut diriger avec succès une équipe alors

même que ses directives sont limitées par un manque flagrant de compétences? C’est ainsi que

nous avons fait le lien avec la gestion humaine et rationnelle du groupe, et donc plus

généralement avec la question du management.

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2. La démarche de recherche adoptée

2.1. Question de recherche Fort de ce constat, nous avons alors cherché à préciser notre domaine de recherche. Nous

nous sommes rendus compte que l’aspect qui nous paraissait le plus prometteur, n’était pas de

savoir si un leader pouvait diriger sans compétence technique – notre expérience personnelle

nous a bien montré que oui –, mais de savoir comment et dans quelle mesure cela est possible.

C’est pour cela que nous avons décidé d’axer notre mémoire sur la formation avec la question

suivante :

L’acquisition de capacités managériales permet-elle au leader de

combler un manque de compétences techniques ?

Il reste alors à définir ce que l’on entend par les différents termes employés ci-dessus, afin

de pouvoir travailler de manière claire et précise dans la suite de ce mémoire. Ainsi, les

capacités managériales sont l’ensemble des aptitudes qui permettent de mettre en place des

moyens humains et matériels de manière la plus optimale pour le projet en cours. Durant tout

ce mémoire, nous allons mettre les capacités managériales, et surtout l’acquisition de celles-ci,

en perspective avec les compétences techniques. Nous définissons les compétences techniques

comme étant une forme d’expertise propre à un domaine particulier.

2.2. Hypothèse de recherche

Compte-tenu de notre fait déclencheur et de notre expérience d’une semaine à Saint-Cyr,

nous avons formulé l’hypothèse suivante :

Un leader formé avec des solides compétences managériales est à même de surpasser des

lacunes techniques. Cela est d’autant plus vrai lorsque ce dernier occupe un poste à hautes

responsabilités.

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Nous avons a priori choisi cette hypothèse car le leader dans notre situation a réussi à mener

le groupe et à accomplir la tâche demandée (traverser la rivière) sans avoir la moindre

connaissance technique en matière de nœuds. De plus, alors que les formations en école de

commerce ne contiennent que rarement l’enseignement de compétences techniques, les

personnes diplômées de ces écoles trouvent facilement des postes de leadership dans des

entreprises dont l’activité se fonde en grande partie sur l’aspect technique. Nous avons

également en tête l’exemple des grands PDG d’entreprise qui sont au sommet de la hiérarchie

mais qui n’ont besoin que de leurs compétences managériales contrairement aux chefs de

projets qui ont besoin d’être plus compétents techniquement. C’est pour cela nous avons ajouté

l’idée de poste à hautes responsabilités : nous pensons en effet que plus on monte dans la

hiérarchie, moins on a besoin d’acquérir des compétences techniques.

2.3. Références théoriques

Afin d’avoir une analyse de référence sur la question du leadership, nous avons tout d’abord

travaillé à partir d’un article intitulé « On ne nait pas leader, on le devient » paru dans la revue

Management de Septembre 2012. La journaliste y interroge Michel Barabel et Olivier Meier,

auteurs du livre Manageor qui expliquent les différentes qualités requises pour être un bon

leader. Selon eux, l’idée du « leader né » a été supplantée dans les années 1930 par celle du

« leader contextuel ». Le leader contextuel serait en quelque sorte un leader de circonstance,

qui tire sa légitimité de ses compétences (humaines, techniques) dans un domaine bien

particulier. Les deux auteurs nous montrent ainsi que les qualités du leader sont ponctuelles et

relèvent tout autant des compétences techniques que des compétences managériales. Enfin, ils

évoquent une dernière théorie sur le leadership, celle du « leader progressif ». Le leadership

serait un processus sur le long terme, durant lequel le leader tirerait des leçons de ses différentes

expériences afin de renforcer sa compétence et sa légitimité aux yeux de ses collaborateurs.

Ainsi, nous remarquons immédiatement que l’apport des compétences managériales à un

manque de compétences techniques est incomplet. La théorie du « leader contextuel » est

particulièrement intéressante dans la mesure où elle remet en cause notre hypothèse de

recherche en affirmant que les compétences techniques déterminent la capacité d’un leader à

être reconnu en tant que tel au sein d’un groupe.

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Un autre article qui est au cœur de notre problématique a également attiré notre attention.

L’article, intitulé « Google’s Quest to build a better boss », a été écrit par Adam Bryant.1

L’article parle de la mise en place du projet Oxygène par Google. Nous avons également

complété notre analyse grâce l’article « les 8 secrets du manager d’exception selon Google »

de Eric Torlois.2 Le but de ce projet est de répondre à la question suivante : « Qu'est-ce qui fait

qu'un manager est performant ? ». En analysant des milliers de données puis en appliquant ces

analyses à des algorithmes pour trouver des corrélations, les ingénieurs de Google ont réussi à

dresser un tableau de 8 éléments, triés dans l’ordre de l’importance, qui distingue les meilleurs

managers : «

1. Etre un bon coach

2. Avoir une vision globale du management et impliquer l’équipe

3. S’intéresser aux succès et au bien-être de ses collaborateurs

4. Ne pas être bisounours : rester focaliser sur les objectifs et les moyens de les

atteindre

5. Être bon communiquant et à l’écoute

6. Faciliter l’évolution de carrière de ses collaborateurs

7. Avoir une vision et une stratégie claire pour l’équipe

8. Avoir l’expertise technique nécessaire à conseiller votre équipe »

Ainsi on peut voir directement que les compétences techniques occupent la huitième et

la dernière place de ces critères. En étant manager ou chef d’équipe, l’expertise technique n’est

plus l’élément le plus important, elle devient même un élément négligeable face aux qualités

managériales. Ce point de vue s’affirme avec la déclaration de Laszlo Bock, directeur adjoint

des ressources humaines chez Google, concernant cette question : « Dans le contexte de

Google, nous avions toujours cru que pour être un manager, et spécialement du côté de

l’ingénierie, il fallait être un expert technique aussi pointu ou plus pointu que son équipe. (…)

Au final, c’est vraiment l’aspect le moins important. C’est important, mais ce n’est rien en

comparaison du reste. Ce qui compte beaucoup plus, c’est de créer cette connexion et être

accessible. ». Le plus intéressant dans ce projet et cette déclaration, c’est le fait que Google soit

1 BRYANT Adam, « Google’s Quest to build a better boss », NY Times, 12/03/2011 2TORLOIS Eric, « les 8 secrets du manager d’exception selon Google »

http://www.maestrio.com/actualites/points-de-vue/59-les-8-secrets-du-manager-dexception-selon-google, 2009

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une entreprise de high-tech et que le cœur de son métier (moteur de recherche, messagerie

électronique, bases de données et algorithme…) soit purement technique. Ainsi, cette référence

soutient notre hypothèse de recherche tout en la nuançant, car le rôle des compétences

techniques a été trop limité, cependant, ces compétences figurent toujours dans le tableau des

8 critères (même si elles occupent la dernière position).

Une autre référence théorique qui nous a particulièrement intéressés est le film La

Vague3 , le film du réalisateur allemand Dennis Gansel. Ce film, sorti en 2008 raconte l’histoire

d’un professeur charismatique, Rainer Wenger qui décide de montrer à ses élèves que la mise

en place d’un régime autocratique est encore tout à fait possible en Allemagne, malgré ce que

ses élèves semblent croire. Ce professeur d’Histoire décide alors d’organiser un jeu de rôle

grandeur nature, en créant une sorte de secte La Vague, qui va avoir son propre symbole, son

salut, son uniforme et ses règles. Le leader de cette secte n’est autre que le professeur Wenger

lui-même. Cependant, rapidement la machine s’emballe : les étudiants commencent à se

prendre réellement au jeu et à se comporter comme des véritables membres d’un parti fasciste.

Les étudiants qui ne respectent pas les règles sont ainsi persécutés. Le professeur Wenger,

prenant conscience de ses erreurs, tente de mettre fin à l’expérience, mais il est déjà trop tard.

Ce film est très intéressant car il met en lumière comment un leader peut se former,

simplement grâce à ses compétences managériales. Rainer Wenger est avant tout professeur

dans un lycée allemand, il a donc indubitablement des conséquences managériales : il sait

comment diriger une classe d’étudiants. Charismatique, il a su rapidement endosser le rôle de

leader d’une secte. En effet, à partir du moment où lui et ses étudiants décident de commencer

le jeu de rôle, et qu’il est désigné leader de La Vague, il décide alors que les élèves doivent

l’appeler Monsieur Wenger, se lever quand il s’adresse à lui… Le professeur Wenger n’a que

peu de connaissances techniques dans le sens où il ne connaît pas le fonctionnement intrinsèque

d’une secte : cela se voit notamment à la fin du film quand il apparaît complètement dépassé

par les événements. Pourtant, le professeur Wenger exerce une telle aura sur ses élèves qu’il

arrive sans difficulté à s’imposer comme le leader naturel du mouvement. Les compétences

techniques ne sont d’aucune utilité ici, si le professeur Wenger s’impose aussi facilement, c’est

3 GANSEL Denis, La vague, 2008

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aussi parce qu’il arrive à donner un sens à la vie de la plupart de ses élèves. Et c’est

certainement une des choses que l’on demande de plus en plus au manager d’aujourd’hui :

savoir donner du sens.

2.4. Enquête envisagée 2.4.1. Entretiens

Pour mieux tester notre hypothèse de recherche, nous avons réalisé des entretiens avec des

personnes qui appartiennent à différents domaines :

• Education :

Ø M. Eloïc Peyrache : directeur délégué de l’école HEC Paris

Ø Mme Guillemette Breysse : Responsable double-diplôme de l’école Centrale-

Supélec

• Domaine politique :

Ø Mme Laurence Madignier haut-fonctionnaire au ministère de l’agriculture

Ø Mme Sylvie Guessab, chef de projet au ministère de l’éducation nationale de

l’enseignement supérieure et de la recherche

• Domaine militaire

Ø Commandant Damien Petitjean, responsable de formation des officiers de

réserve à l’école militaire de Paris

• Monde de l’entreprise :

Ø Mme Marion Lagan, Manager Consumables Marketplace à Amazon et ex-

Senior Product Manager à l’Oréal

Ø Mme Catherine Kulak, chef d’équipe informatique pour l’E-business en Chine

à Oxylane/Décathlon

Ø Anouk Reignier, Directrice des Ressources Humaines pour l’Informatique

chez Décathlon

2.4.2. Observation

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Badis Khalfallah, titulaire d’un BA in political science à l’université de Genève et d’un

MA in international economics and finance, est étudiant actuellement à HEC Paris dans le MSc

Management, Marketing and Strategy. Il a travaillé à la Banque Mondiale de septembre 2014

à juin 2015 en tant que Project Consultant, puis chez Publicis en tant que International account

assistant et enfin chez Allianz à Paris en tant strategic marketing executive jusqu’en août 2016.

Depuis plus de 6 mois, M. Badis mène un projet qu’il a créé lui-même. Ce projet, nommé

Leadguru, est une application web dont le but est d’aider les commerciaux à trouver les clients

B2B. Le cas de M. Badis nous intéresse particulièrement car c’est un manager qui n’a pas fait

d’études d’ingénierie ou d’informatique. Il n’a donc pas toutes les compétences techniques

nécessaires pour réaliser seul ce projet et développer cette plateforme. Ainsi, M. Khalfallah

travaille avec des développeurs, des personnes qui disposent des compétences techniques qui

lui font défaut. On a voulu alors observer le déroulement d’une journée de travail au sein de ce

projet.

2.4.3. Sondage

Dans le cadre de notre enquête, nous avons rédigé un questionnaire qui comporte 12

questions pour réaliser un sondage en lien avec notre question de recherche. Le sondage est

intentionnellement court afin de multiplier le nombre de réponses et, par-là, la fiabilité du

sondage. Voici l’ensemble de questions posées ainsi que les propositions de réponses

Quel âge avez-vous ? • 18 ans ou moins

• 19-25 ans

• 26-40 ans

• 41-65 ans

• 66 ans ou plus

Quel est votre sexe?

• Homme

• Femme

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Quelle est votre catégorie socioprofessionnelle ?

• Étudiant

• Cadre/Chef d'entreprise

• Fonctionnaire

• Profession libérale

• Employé

• Ouvrier

• Militaire

• Artisan/Commerçant

• Agriculteur

• Inactif

• Retraité

• Enseignant

• Autre :

Préférez-vous être dirigé(e) par un leader :

• Charismatique

• Spécialiste

Selon vous, un chef doit-il passer par tous les échelons avant de parvenir au sommet de la

hiérarchie ?

• Oui

• Non

Croyez-vous qu'avoir une double formation (commerce-ingénieur, commerce-droit ...)

• Apporte une véritable plus-value dans la direction d'une équipe

• Entraine un manque de spécialisation dans les deux domaines

Pensez-vous que les compétences techniques soient réservées aux échelons les plus bas?

• Oui

• Non

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Un chef doit-il être capable de comprendre le travail technique de ses subordonnés?

• Oui

• Non

A partir de combien de personnes sous sa direction un chef peut-il se passer de compétences

techniques?

• 1-10

• 10-50

• 50-100

• 100 ou plus

• Il ne peut pas s'en passer

Accepteriez-vous de diriger une équipe de techniciens dans un domaine que vous ignorez ?

• Oui

• Non

Vous êtes désigné(e) chef de groupe dans un domaine dont vous ignorez tout. Vous décidez:

• De tout déléguer à la personne la plus compétente

• De superviser le travail tout en confiant les tâches techniques aux personnes les plus

compétentes

• De prendre seul(e) l'affaire en main afin de ne pas perdre votre leadership

Quelle doit-être la position du chef au sein d'un groupe?

• Il doit contribuer directement aux tâches techniques

• Il doit apporter son expertise/donner des conseils sans s'impliquer directement

• Il doit superviser le travail de ses subordonnés sans jamais s'impliquer

2.4.4. Expérience

Afin d’observer des différences sensibles entre un leader avec des compétences techniques et

un leader sans compétences techniques mais avec des compétences managériales, nous avons

élaboré le protocole suivant :

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Matériel :

1 piste d’escalade horizontale (hauteur inférieure à 2 mètres, longueur estimée : 10 mètres)

Nombre de personnes : 8

1ière équipe : un leader ayant de solides compétences en escalade + 3 subordonnés ayant des

connaissances limitées (voire inexistantes) en escalade

2ième équipe : un leader charismatique n’ayant pas ou peu de compétences en escalade + 3

subordonnés ayant des connaissances limitées (voire inexistantes) en escalade

Durée de l’expérience : Estimée à 1 heure (30min + 30min)

Déroulé de l’expérience:

Les deux équipes vont se succéder au mur d’escalade sans pouvoir communiquer entre elles.

Étape 1 : Explication des consignes, à savoir la distance à parcourir, les prises à utiliser et à ne

pas utiliser

Étape 2 : Chaque membre de l’équipe ne peut partir qu’une fois son camarade arrivé. Le leader

ne peut prêter main forte à son subordonné et doit se contenter de lui donner des conseils et de

le motiver.

Évaluation des compétences du leader :

-Clarté des consignes

-Effets des consignes sur ses subordonnés

-Vitesse d’exécution

-Cohésion du groupe

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3. Ce qui ressort de l’enquête réalisée

3.1. Un leader doit avoir un minimum de compétences techniques pour

pouvoir gérer une équipe

Comme nous l’avait affirmé M. Eloïc Peyrache, la création des écoles ou des métiers répond

à des besoins spécifiques de la société ; si les ingénieurs ont répondu aux nouveaux besoins de

construction à l’ère de Napoléon, l’avènement de la mondialisation et de la société de

consommation de masse a engendré l’expansion des écoles de commerce et a intensifié le

recours aux managers. Ainsi depuis cette période, on a toujours essayé de trouver le profil

parfait du manager. Cependant avec la multiplication des domaines aujourd’hui, il est devenu

plus difficile d’être leader partout. Dans l’article « On ne nait pas leader, on le devient » de la

revue Management de Septembre 2012, on introduit la théorie du « leader contextuel » qui,

grâce à ses compétences techniques et humaines serait un très bon manager dans un domaine

bien déterminé. Ainsi, notre hypothèse de recherche a été remise en question. Une hypothèse

qui a été encore contestée quand le commandant Petitjean, grâce à son expérience militaire,

nous a montré qu’il y a quatre éléments qui rentrent dans la création de leadership en

l’occurrence : les compétences techniques, la culture professionnelle ou organique, la culture

militaire et la culture générale. Ainsi, avoir un minimum de compétences techniques s’avère

nécessaire pour le leader pour pouvoir mener son équipe. Nous allons essayer de montrer en

deux temps dans quelle mesure les compétences techniques rentrent dans l’exercice du

leadership mais nous nuancerons ce propos en montrant que le leader n’est pas obligé d’être un

expert. Il serait même mieux d’avoir des compétences techniques qui ne sont pas très poussées.

3.1.1. Les compétences techniques permettent au leader de comprendre les enjeux

techniques de l’environnement du travail ainsi que ceux des subordonnés.

On peut se rendre compte de l’importance de la présence d’un minimum de compétences

techniques chez le leader en résonant dans un premier de la manière suivante : que peut

engendrer l’absence totale de connaissances techniques pour le manager ? Le premier problème

qui se présente est celui de l’efficacité. Dans des domaines particuliers (informatique,

technologies avancées, militaire…) la simple culture générale d’un bon manager (aussi riche

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qu’elle soit) ne suffira pas pour comprendre les aspects complexes de ces métiers. Le

commandant Petitjean, artilleur de formation, nous a donné un exemple très pertinent de telles

situations. Le lancement d’un projectile est l’aboutissement d’un travail rigoureux et bien

organisé d’une grande chaîne technique qui commence avec les observateurs en allant jusqu’à

la section de tir tout en passant par un centre opérationnel d’artillerie. Le chef doit être capable

de repérer tout éventuel dysfonctionnement (gyroscope cassé par exemple) pour demander à

ses subordonnés de le réparer le plus vite possible. Dans ce genre de cas, l’absence de

connaissances techniques engendrera un arrêt total de la chaîne. Tous les subordonnés seront

bloqués en l’attente des commandes de leur chef qui n’arrive pas à situer où se trouve

l’anomalie. Cela causera finalement une perte du temps intolérable, notamment dans le domaine

militaire.

Pour aller plus loin, on peut même dire que l’absence totale de compétences techniques

chez le leader peut causer dans certaines situations un souci de sécurité et mettre en péril

l’ensemble de l’équipe. Dans les tâches d’équipe qui implique un certain risque, le leader peut

ignorer les mesures de sécurité à cause de l’absence de maîtrise de certaines compétences

techniques. L’expérience que nous avons réalisée nous a montré qu’un chef qui est

charismatique mais qui ne connaît rien à l’escalade était moins soucieux de la sécurité des

membres de son équipe qu’un leader expert dans ce domaine. Un membre du groupe du leader

non expert a quasiment dépassé la hauteur légale sans assurance (soit deux mètres) avant que

nous intervenions pour l’arrêter. Un autre membre s’est trouvé sur une piste difficile et a fini

par tomber, des scénarii qui n’ont pas eu lieu avec l’équipe du leader expert.

Ainsi, l’absence des compétences techniques peut remettre en question leadership. En

même temps, on peut montrer que l’acquisition de ces compétences présente une véritable

valeur ajoutée au travail de management. En effet, les connaissances techniques permettent au

leader de donner un sens au travail de l’équipe et dépasser le simple « manager pour manager ».

On se trouve en quelque sorte dans un management appliqué ou le leader utilise sa base

technique et la corrèle à ses capacités managériales pour mieux comprendre l’environnement

de l’action de son équipe et découvrir les enjeux qui y sont liés. C’est selon cette logique que

Décathlon impose à tous ses fonctionnaires de passer par un stage de quinze jours dans les

magasins et une semaine dans les entrepôts. Selon Catherine Kulak, chef d’équipe informatique

pour l’E-business en Chine à Oxylane/Décathlon, ce stage, qui existe depuis 1973 (date de la

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création de Décathlon), permet aux managers d’appréhender le contact avec le client, de se fixer

un objectif clair et de donner un sens à son action, qui est la satisfaction du client même en

exerçant le management. Anouk Régnier, responsable de RH à Oxylane/Décathlon, va dans le

même sens : le contact avec le client pendant la période du stage permet au manager d’intégrer

l’esprit magasin qui est complètement différent de l’esprit des bureaux où le manager à

l’habitude de travailler, notamment en ce qui concerne l’aspect court/long terme.

En outre nous avons pu constater lors du travail de recherche que nous avons mené que

l’acquisition de compétences techniques, aussi minimes qu’elles soient, permet le leader de

comprendre davantage le domaine de son action, de découvrir les « astuces » et de repérer des

éléments précis et propres à ce domaine technique afin d’améliorer son management. On peut

dire que les connaissances techniques seraient une sorte d’engrais ou de stimulants pour la

créativité managériale. Marion Lagan, ex-Senior Product Manager à l’Oréal, a préféré obtenir

un certificat d’aptitude professionnel (CAP) en coiffure juste après avoir intégré l’Oréal. Selon

elle, cette formation de trois mois n’a pas fait d’elle une experte. Cependant, ce CAP lui a donné

l’avantage de comprendre l’aspect manuel très important de ce métier en se mettant à la position

du coiffeur et en ayant une vision similaire à lui. Elle affirme qu’après cette formation, elle est

devenue « plus sensible aux problématiques du métier». Cette sensibilisation technique avait

un effet positif sur son travail en management et en innovation notamment avec son idée de

projet « Nuit de la coiffure ».

Dans le même contexte, Mme Laurence Madignier, haut-fonctionnaire au ministère de

l’agriculture, a insisté sur l’importance de cette compréhension qui provient des connaissances

techniques. D’après elle, certes, elle se trouve souvent dans des situations où c’est la capacité

de gestion d’une équipe qui prévaut (et non pas les compétences techniques) mais, pour elle, il

est en même temps très important de comprendre les questions et les enjeux techniques du

domaine du travail et d’utiliser les capacités managériales pour les analyser et s’en servir lors

de la gestion de l’équipe.

3.1.2. Une maîtrise minimale des compétences techniques est nécessaire dans la

relation avec les membres de son équipe

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Dans le milieu du travail, le leader est en interaction directe et permanente avec les

membres de son équipe, c’est lui qui trace les grandes lignes de l’action collective et c’est son

rôle de mener cette équipe pour réaliser des objectifs bien déterminés. Ainsi, pour pouvoir

développer ce type de relation primordiale à l’action collective, deux problématiques

importantes se posent et peuvent être liées à l’acquisition de quelques connaissances techniques

de base en l’occurrence la communication avec les membres de l’équipe et la légitimité du

leader vis-à-vis d’eux.

3.1.2.1. Les connaissances techniques comme élément important pour

asseoir la légitimité du leader

Selon le sondage que nous avons réalisé, on a pu percevoir très clairement que la

majorité des personnes interrogées préfèrent un leader qui a une connaissance technique de leur

domaine de travail et qui a une idée de l’aspect technique de leurs tâches. En effet, 58% des

personnes interrogées préfèrent être dirigées par un leader spécialiste plutôt que par un leader

charismatique. De plus, quasiment 90% d’eux exigent la compréhension du chef du travail

techniques de ses subordonnés.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

19

Ainsi, l’acquisition de compétences techniques est un élément important chez le leader aux

yeux des subordonnés. Dans le domaine militaire, le commandant Petitjean a nuancé

l’importance des compétences du leadership en disant que les « les compétences techniques

sont importantes aussi parce qu’elle te donne une crédibilité vis-à-vis de tes subordonnés. En

effet les subordonnées n’attendent pas de toi de connaître tout sur le bout des doigts, en

revanche, ils attendent de toi de comprendre leur travail et que tu puisses réussir à déceler les

dysfonctionnements ». C’est l’exemple de la chaîne d’artillerie dont on a parlé dans la partie

3.1.1. Si le leader n’a aucune idée du fonctionnement technique de cette chaîne, il sera

décrédibilisé vis-à-vis de ses subordonnés dans la mesure où il ne saura pas leur dire comment

agir face à d’éventuels problèmes. En effet, cette légitimité provient en quelque sorte du fait

que le leader soit capable de trouver des solutions le plus rapidement possible. Il doit être en

même temps un conseiller pour l’ensemble de son équipe et les guider, c’est-à-dire savoir

repérer les anomalies et les faire réparer par le biais de la délégation. Sans être un expert, ces

tâches demandent quand même un minimum de compétences techniques. Dans le cadre de notre

observation, nous avons pu constater qu’à chaque fois le développeur se trouvait dans une

impasse technique, il se tournait vers M. Badis pour que ce dernier lui propose d’autres chemins

et solutions possibles.

3.1.2.2. L’acquisition de quelques connaissances techniques élémentaires

permet la communication entre le leader et ses subordonnés.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

20

On peut déduire directement de la partie précédente que la communication est très

importante dans la mesure où elle est un élément clef de la légitimité du leader. En effet, un

chef qui ne saura pas parler du travail collectif demandé avec les membres de son équipe n’est

pas un leader à leurs yeux. Mais au-delà de la simple légitimité, l’incapacité à communiquer

avec ses subordonnés menace l’ensemble du projet et bloque son avancement.

Le leader doit connaître le jargon technique du domaine de l’action de son équipe, pour

pouvoir traduire les idées qu’il a dans la tête en langage assez technique compris par l’ensemble

de l’équipe. Mme Marion Lagan nous a affirmé que sans la formation de trois mois qu’elle a

faite en coiffure (le CAP), elle n’aurait pas été aussi efficace dans la réalisation de son projet

« Nuit de la Coiffure », car cette formation lui a donné accès à toute une culture de coiffeur, et

lui a permis de communiquer avec eux plus facilement et de transmettre ses idées avec

davantage d’efficacité. En parlant de ce projet, elle nous a dit : « tout simplement quand on a

commencé l’idée, je pouvais dire : « il nous faut tant de coiffeurs, un coiffeur peut coiffer tant

de personnes par heure et ça veut dire que l’on peut faire tant de clientes, voilà ce qui est

faisable (...) ». Ça me donne de la légitimité et du poids dans la manière de gérer le projet ».

L’importance de l’acquisition d’une base technique pour pouvoir travailler avec les

membres de l’équipe nous est également apparu lors de notre observation. En effet, pour

montrer au développeur ce qu’il devait faire à chaque fois, M. Badis devait lui communiquer

un wireframe (« un schéma utilisé lors de la conception d'une interface pour définir les zones

et composants qu’elle doit contenir », définition Wikipédia). Ainsi, la réalisation de cette tâche

qui est primordiale dans la transmission des idées du manager au développeur nécessite des

capacités techniques en Design, dont M. Badis dispose. Certes, ce n’est pas le manager qui va

coder et traduire l’idée en travail technique, il n’est pas un expert et ce n’est pas son travail.

Cependant, il doit pouvoir établir les bases du travail technique par quelques connaissances

élémentaires qui présentent une première traduction de l’idée managériale.

Quand on parle de la communication, il ne s’agit pas seulement de la transmission

d’idées selon une hiérarchie, c’est-à-dire une transmission verticale. En effet le leader est aussi

en contact avec d’autres groupes, d’autres leaders et d’autres entités. Le leader doit être le porte-

parole de son équipe et savoir expliquer le travail réalisé par l’ensemble de l’équipe auprès

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

21

d’autres personnes, il doit donc maîtriser le langage technique de ses subordonnés ainsi que le

langage technique de ses autres interlocuteurs. Reprenons le cas de Mme Marion Lagan. Après

son expérience à l’Oréal, elle travaille maintenant à Amazon. D’après elle, chaque manager

chez Amazon doit maîtriser un langage appelé « Sql » pour trier les données dont il dispose

afin de réaliser des « docs » pour justifier les décisions prises par lui. Ainsi, Mme Lagan a dû

apprendre cet aspect technique pour pouvoir communiquer avec ses collaborateurs et montrer

ses « chiffres », le langage le plus parlant à Amazon.

3.1.3. Seules, les compétences techniques peuvent limiter le recul du manager.

Tout au long des deux premières parties nous avons insisté sur l’importance d’avoir une

base technique pour pouvoir gérer une équipe. Cependant, nous ne sommes pas du tout en en

train de soutenir l’idée d’un leader expert. En effet, on va montrer que l’acquisition de trop de

capacités techniques peut se faire aux dépens des qualités managériales.

Pour commencer, nous pouvons nous appuyer sur les réponses de la question suivante

de notre sondage : « Quelle doit-être la position du chef au sein du groupe ? ». Le résultat nous

montre que la majorité des personnes s’attend à un leader qui ne s’implique pas trop dans

l’action, qui garde une recul pour mieux juger le travail d’équipe et apporter plutôt ses conseils.

Ce résultat s’est affirmé davantage avec l’expérience que nous avons réalisée. Le leader

du premier groupe qui était expert dans l’escalade s’est trop impliqué dans l’action et a

commencé à imposer ce que les subordonnés devaient faire pas après pas en ne prenant pas en

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

22

compte leur manque de compétences techniques en matière d’escalade. C’étaient plus dur pour

eux mais le leader ne le comprenait pas étant donné qu’il n’arrivait pas à se projeter dans leur

situation. De plus, son implication excessive dans l’action a réduit son champ visuel (le leader

était trop proche de la piste d’escalade pour indiquer précisément les pas à prendre) ce qui a

conduit à des choix limités, souvent non optimaux. De l’autre côté, le leader charismatique et

non expert a laissé une marge de manœuvre pour les subordonnés qui a entrainé des prises

d’initiatives qui étaient plus efficaces, car plus adaptées à la personne. En outre, le leader avait

une bonne distance par rapport à la piste, ce qui lui a permis d’avoir une vision globale, de

proposer plus de solutions au subordonné et de lui laisser la liberté de choisir quelle solution

lui correspond le mieux. A cela s’ajoutait le fait que le leader n’a pas cessé d’encourager et de

motiver les membres de son groupe plus que le leader expert. Finalement, c’était le groupe avec

le leader non expert qui a réussi à finir l’épreuve avec le meilleur temps.

Quand on est leader ou manager, devenir expert est non seulement «inutile », cela cause

aussi une perte de temps et de potentiel. Le leader n’a besoin que d’une connaissance technique

élémentaire qui lui permet de comprendre le milieu du travail et de réagir avec ses subordonnés.

Ce qu’on lui demande vraiment, c’est sa véritable valeur ajoutée au travail de l’équipe en

l’occurrence son leadership et ses qualités managériales. En parlant de son expérience à

Amazon, Marion Lagan nous a dit : « j’avais le faire savoir, c’était plutôt ça, mais sans devenir

un expert, parce-que comme j’avais une équipe cela aurait été une perte de temps par rapport

à ce que je pouvais apporter. Ce que je pouvais apporter c’était organiser une équipe,

comprendre les besoins, identifier les problèmes et trouver un moyen de les résoudre ou de

savoir qui allaient les résoudre. ».

Mme Madignier la rejoint sur ce point en parlant des dirigeants politiques qui évoluent

dans des domaines techniques (agriculture, industrie…). Selon elle, ces derniers ne doivent pas

sombre dans l’aspect technique, mais plutôt avoir une base variée et utiliser surtout leur esprit

critique et managérial pour pouvoir mener les grands projets. « Il y a souvent un bouquet de

domaines qui permettent d’analyser un sujet avec des regards différents, ce qui leur permet de

s’extraire de la technique pour observer ce sujet avec du recul. C’est ce qu’on attend des

dirigeants ! »

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D’un point de vue militaire, le commandant Petitjean nous affirme qu’on ne demande

pas au leader de tout connaître sur le bout des doigts. En effet, d’après lui, ce manque de

compétences techniques peut même être salutaire pour l’esprit de l’équipe. Il nous a donné

l’exemple de la haute montagne où parfois les sous-officiers sont plus qualifiés en montagne

que les officiers. Ainsi, c’est le sous-officier qui aura la responsabilité technique de l’équipe en

haute montagne. Sans remettre en question l’autorité du leader, cela « permet au subordonné

d’avoir une certaine valorisation de son travail et de ses acquis(…). Ça permet d’augmenter

la confiance des subordonnés en eux-mêmes et en leurs compétences.».

3.2. Mais l’apprentissage de capacités managériales semble plus

important dans la formation d’un leader

3.2.1. Importance de facteurs subjectifs dans le succès de l’action collective

Dès le début de notre enquête nous étions évidemment conscients que les seules

connaissances techniques n’étaient pas suffisantes pour réussir un projet que l’on entreprend.

Cette intuition nous a été confirmée au cours de nos différents entretiens, mais aussi, de manière

plus étonnante, au cours de l’expérience en elle-même. Nous avons été surpris des effets positifs

que les encouragements du leader 2 ont pu avoir sur les personnes concernées. Ce dernier,

même si dénué de connaissances technique en matière d’escalade, a réussi à faire traverser le

mur d’escalade dans un temps plus court que le leader 1. Certes l’aspect technique a été

beaucoup moins maîtrisé dans le second cas que dans le premier cas. Cependant, lors de cette

expérience, l’objectif affiché était clairement la rapidité. Par conséquent, on peut reprocher au

leader 1 de s’être écarté de cet objectif et de s’être avant tout concentré sur la technique. Le

leader 1 a ainsi manqué de recul quant à l’objectif initial. Cet exemple nous a bien montré que

la technique ne suffisait pas pour faire un bon leader. Pis, trop de technique peut nuire au leader.

C’est un peu ce qui s’est illustré à travers cet exemple.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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L’idée selon laquelle d’autres facteurs sont nécessaires au succès de l’action collective,

nous est tout de suite apparue comme une idée-clé. Celle-ci nous a ainsi été confirmée à maintes

reprises. Mme Reigner, Directrice des Ressources Humaines chez Décathlon, nous a affirmé

que lors du recrutement, l’accent est avant tout mis sur les qualités humaines comme le sens de

service, le concret, la vitalité. Ces qualités évaluées au travers d’un stage en magasin Décathlon.

Ce stage est même effectué par les personnes qui se destinent à travailler dans les services

informatiques de Décathlon, preuve de l’importance de ces qualités, même dans un domaine

technique. Bien entendu les compétences techniques restent évidemment nécessaires, mais cela

varie également selon les postes que l’on occupe. La politique actuel de Décathlon en matière

de management montre bien le primat des qualités humaines sur les compétences techniques :

il est en effet de plus au plus courant qu’un manager s’occupe successivement de domaines

complètements différents. Cette politique s’explique par le fait que les managers sont avant tout

tournés vers le développement humain. Leur but est avant tout d’accompagner chaque

collaborateur pour qu’il puisse s’épanouir dans l’entreprise. Il doit donc évidemment l’aider

dans sa mission s’il en a besoin, mais aussi l'encourager, l’ouvrir sur d’autres perspectives ou

l’aider à imaginer son futur dans l’entreprise. Un collaborateur épanoui est souvent un

collaborateur davantage efficace pour son entreprise. Il faut que chacun puisse se sentir

réellement impliqué dans le projet, d’avoir réellement l’impression d’apporter sa pierre à

l’édifice. Il n’y a en effet rien de pire que de se sentir inutile.

Le rôle d’accompagnement du manager s’illustre parfaitement dans le domaine

militaire. C’est ce que nous a montré le commandant Petitjean, en partant d’un exemple

concret : lors de sorties en montagne d’un régiment, il arrive que l’officier en charge ne soit pas

qualifié en montagne (il faut en effet suivre une formation approfondie pour pouvoir obtenir

cette certification). Dans ce cas-là, c’est un des sous-officiers, qualifié en montagne, qui portera

la responsabilité technique en haute-montagne, lors de cette mission. Cela signifie par

exemple, que si le sous-officier, responsable technique de la sortie, décide que la mission doit

s’arrêter en raison de temps, l’officier n’a pas son mot à dire. Cependant, le commandant

Petitjean nous a affirmé que cela ne remettait en question le leadership de l’officier à aucun

moment. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce n’est pas sur les compétences techniques

qu’est attendu un leader. Certes, celles-ci restent importantes, mais la capacité du leader à avoir

une véritable vision globale de la mission et à la communiquer de manière convaincante à ses

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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hommes compte davantage. Un des principaux atouts que possède le leader provient de sa

position : comme il est censé superviser le projet de manière globale, on peut supposer qu’il

aura une capacité à prendre du recul. Dans une chaîne de commandement, si quelque chose ne

fonctionne pas, c’est à lui de trouver d’où provient le problème et comment le résoudre. C’est

à son moment que le leader épouse pleinement son rôle.

Ce recul qu’a un bon leader est peut être d’autant plus fort quand le leader ne possède

pas les compétences techniques liés au domaine qu’il dirige. C’est à ce moment-là que la

formation du leader prend de l’importance : grâce à celle-ci, le leader peut apporter un regard

neuf et des points différents auxquels n’auraient pas forcément pensé ses subordonnés. En ce

sens, le témoignage de Mme Madignier, qui a longtemps travaillé auprès de ministres de

l’agriculture, est particulièrement intéressant. Selon elle, un « bon » ministre de l’agriculture,

que l’on peut ici assimiler à un leader est avant tout quelqu’un qui a un réel intérêt pour ce qu’il

fait, et qui est donc réellement investi. Le fait, pour un ministre, de changer de ministères

régulièrement n’est absolument pas un problème, pourvu que ces changements ne soient pas

trop fréquents. Si ces changements se produisent à intervalles suffisamment espacés, ceux-ci

donne au ministre une certaine expérience dans différents domaines qu’il peut ensuite réutiliser

dans le domaine de l’agriculture. Le ministre apporte là un regard neuf qui peut être positif pour

l’ensemble de l’administration. Mme Madignier cite l’exemple de Bruno Lemaire, qui du fait

de son expérience en tant que ministre d’Etat aux affaires européennes, connaissait parfaitement

les mécanismes européens en lien avec l’agriculture, comme la Politique Agricole Commune,

et qui ont une importance considérable dans l’agriculture française.

Le leader n’est donc certainement pas dépourvu de compétences. Elles peuvent être

techniques bien entendu, mais également d’ordre culturel. On peut s’appuyer là sur la typologie

des compétences de leader que nous a donné le commandant Petitjean. Il développe, outre les

compétences techniques, la culture organique et la culture générale. La culture organique se

définit comme étant la compréhension globale du domaine dans lequel on évolue. C’est avoir

une vision plus globale et à plus long terme que la moyenne. C’est également comprendre les

enjeux et les conséquences de nos actions aussi bien sur le plan économique que géopolitique.

La culture générale se définit concrètement comme la capacité d’un leader à pouvoir discuter

de n’importe quel sujet avec n’importe qui, de pouvoir être proche de ses hommes tels qu’ils

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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soient et quelque soient leurs centres d’intérêt. Une grande culture générale peut permettre à

aux personnes de sentir plus proches de son leader et donc de renforcer l’esprit d’équipe et de

faciliter le succès de l’action collective.

Nous avons donc vu qu’un manager n’a pas besoin d’avoir des compétences techniques

approfondies pour être performant. Cela n’est en effet pas là que le manager est attendu au

tournant, mais plutôt dans sa gestion d’une équipe. Mais qu’est-ce que cela signifie

concrètement pour le manager ? Comment peut-on former un manager à bien gérer son équipe ?

3.2.2. Un bon manager doit avant tout savoir déléguer les tâches

La gestion d’une équipe est loin d’être facile. Cela a été un des principaux

enseignements que chacun d’entre nous a pu tirer de Saint-Cyr. Une règle simple que nous

avons apprise est que le leader ne doit jamais s’impliquer directement dans l’action, sous peine

de perde le point de vue global que peut lui conférer son rôle. Cette règle est parfois difficile à

mettre en œuvre sur le terrain : par exemple, lors d’une mission de brancardage à Saint-Cyr, il

est très tentant pour le leader de venir aider à porter le brancard avec ses subordonnés lorsqu’il

voit ceux-ci en grandes difficultés. Cependant, cette réaction spontanée peut parfois ne faire

qu’empirer la situation, puisqu’en aidant à porter le brancard, le leader perd sa vue d’ensemble

qu’il avait jusqu’à présent sur le parcours et sur le groupe. L’équipe court le risque de se

retrouver complètement déboussolé.

En réalité, tout dépend des compétences techniques du leader : si celui-ci n’en a aucune,

il va très certainement choisir de déléguer et de superviser l’action. C’est en tout cas ce que

montre notre sondage, puisqu’à la question « Vous êtes désigné(e) chef de groupe dans un

domaine dont vous ignorez tout. Vous décidez : », près de 90% affirment qu’ils préfèrent

superviser le travail tout en confiant les tâches techniques aux personnes les plus compétentes.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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Cependant, cela se complique quand le leader possède des compétences techniques dans le

domaine qu’il dirige. Il est en effet tentant de s’impliquer directement à la tâche, ce qui peut

être néfaste, comme on a pu le voir dans notre exemple précédent.

Ceci étant dit, si le manager ne peut pas s’impliquer dans l’action collective, une de ses

principales prérogatives sera de décider à qui déléguer les tâches. C’est ce qui ressort de notre

entretien avec Mme Lagan, quand celle-ci nous raconte sa propre expérience de manager chez

Amazon. Elle considérait ainsi que sa plus-value se situait au niveau de l’organisation de

l’équipe, de comprendre les besoins et d’identifier les personnes le plus aptes à y répondre.

Elle insiste particulièrement sur ce dernier point, car il est important de trouver dans son équipe

les personnes qui sauront capables de mener les projets à bien.

Notre expérience personnelle de Saint-Cyr va exactement dans le même sens. Nous

avons tous rencontré la difficulté que pouvait représenter la délégation de tâches. Déléguer des

tâches n’est évidemment pas un problème : il est souvent facile de trouver la personne qui est

la plus compétente pour tel ou tel domaine. Cependant, c’est de bien déléguer les tâches qui est

difficile. Il faut bien être conscient que la répartition des tâches au sein d’une équipe est

certainement l’action la plus visible d’un manager, et donc celle qui potentiellement peut avoir

le plus de conséquences positives comme négatives. Ainsi, s’il est tentant de déléguer une tâche

à la personne la plus compétente, ce n’est pas forcément une bonne idée en tant que bon

manager. En effet, les tâches d’une équipe étant souvent amenées à se répéter sous une forme

ou sous une autre, les personnes choisies sont alors souvent les mêmes, qui deviennent, du fait

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

28

de leur expérience, à chaque fois plus compétentes. Dans la gestion des nœuds par exemple :

les personnes qui lors des premières missions ont été sélectionnées pour faire des nœuds le sont

restées au fil du temps. Certes les nœuds ont été faits de manière plus rapide, mais comme la

plupart du temps les nœuds étaient au centre des missions, cela impliquait également qu’une

grande partie de l’équipe devait se contenter de missions subalternes. Ceci peut donc impliquer

deux conditions néfastes : un moindre investissement des personnes qui se sentent délaissées

du fait du manque de missions de première importance et une cohésion de l’équipe qui se délite

petit à petit. Ainsi, en confiant la gestion des noms à des personnes novices en la matière, celles-

ci pourraient se sentir valorisées au sein de l’équipe, prendre confiance en elles-mêmes, et à

terme apporter une véritable plus-value à l’équipe.

On voit alors que c’est réellement l’apprentissage de ces techniques de management

primordial qui peut faire de la personne un bon leader. Les compétences techniques semblent

ici annexes, puisque, certes il est difficile de faire un bon nœud, mais il est en revanche facile

de vérifier la solidité du nœud, et donc pour le chef de superviser l’ensemble d’un ouvrage.

D’autre part, toujours dans la continuité du raisonnement de Mme Lagan, il est

important de bien déléguer, pour s’assurer que les tâches seront aussi faites de la manière la

plus positive possible pour l’action collective. C’est ce que nous avons pu observer lors de notre

observation de M. Khalfallah en plein travail. Nous avons pu assister à plusieurs échanges entre

M. Khalfallah et ses développeurs à l’autre bout du monde. Nous avons alors pu remarquer à

quel point le choix de la bonne personne était un sujet important : quand le premier développeur

ne voyait pas comment faire le programme qu’on lui proposait, le second lui proposait de le

faire sous cinq jours et le troisième en seulement trois ! Cela suppose donc de la part du leader

une bonne capacité d’écoute, pour savoir ce que chacun peut proposer, ainsi qu’un jugement

acéré sur les capacités techniques de ses interlocuteurs. Après tout, celui qui prétendait ne pas

pouvoir le faire avait peut-être raison et le programme pouvait être effectivement impossible à

faire. Ce rôle de délégation n’est donc pas à prendre à la légère, puisque c’est lui qui peut

déterminer tout le processus de décision.

3.2.3. Importance des managers et nouveaux enjeux de la société

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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29

Le cœur du métier du manager réside dans sa dimension humaine. Par définition, le

manager doit encadrer ses collaborateurs, s’assurer du bon fonctionnement de l’équipe, de la

répartition équitable et efficace des tâches, du respect par chacun de son rôle, mais aussi et

peut-être même surtout de la synergie qui s’opère au sein de l’équipe. C’est en ce sens que le

commandant Petitjean affirme : « Et à mon sens ce dont moi j’ai eu besoin c’est plutôt les

compétences managériales de leadership, c’est-à-dire que c’est ton charisme, ton humanité et

ta confiance qui vont te permettre de mener un groupe. C’est aussi ton esprit de décision, c’est-

à-dire que tu pourras juger les gens, que tu pourras voir quand il y a un dysfonctionnement. »,

Lorsqu’il évoque son passé de chef de section et de chef de compagnie.

La présence du manager est donc un élément rassurant pour les personnes qui sont sous

son autorité, ce dernier servant de personne à solliciter en cas de problème, et qui possède le

recul nécessaire pour analyser avec sang-froid la situation et choisit la solution à adopter. En

prenant l’exemple des équipes d’artillerie qu’il a dirigé, le commandant Petitjean souligne que :

« on ne demande pas à un chef d’aller remplacer l’un de ses subordonnés mais on lui demande

de comprendre le fonctionnement global pour pouvoir discerner où se trouve le problème et de

réussir à le faire résoudre ».

Le premier rôle du manager est donc de savoir se positionner de façon à bénéficier d’une

vision d’ensemble du travail de son équipe, mais aussi de façon à pouvoir la recontextualiser

dans le milieu plus large dans lequel elle évolue. C’est l’une des quatre qualités du chef que

cite le commandant Petitjean, qu’il définit comme culture organique : « La culture organique

c’est de comprendre comment tu commandes ta petite cellule dans un environnement général,

comment fonctionne les relations avec le régiment, comment s’inscrire dans un environnement

de brigade au niveau de l’armée de terre en général ».

L’importance du manager s’inscrit plus largement dans l’importance d’entretenir une

bonne relation avec ses collaborateurs, afin de s’assurer de la synergie du groupe et de maintenir

la mobilisation de chacun. Cela se traduit dans le secteur militaire par, comme le dit le

commandant Petitjean, par une capacité à dialoguer avec ses subordonnées : « Cela lui permet

de tisser des relations avec ses subordonnés car il saura discuter avec eux à propos des sujets

qui les intéressent que ce soit la dernière émission de téléréalité sur M6 où les sujets plus

philosophiques comme l’éthique ou le bien et le mal ». Si l’on comprend aisément le caractère

primordial de cette dimension humaine au sein d’une équipe qui peut être amenée à devoir

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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reposer sur la solidarité de ses membres pour survivre, cela se retrouve également dans le

domaine de l’entreprise.

L’exemple de l’entreprise Décathlon, où l’accent est mis sur cet aspect, est

particulièrement instructif. Madame Anouk Reigner affirme bien que, à propos des managers,

que « Leur rôle premier est de développer son équipe et de lui donner sens (…) Aujourd’hui,

les meilleurs managers sont ceux qui accompagnent chaque membre de leur équipe selon ce

dont ils ont besoin, et qui arrivent à donner sens à l’équipe entière. » Au sein d’une entreprise

qui regroupe plus de 70 000 collaborateurs, plusieurs métiers dit de back office peuvent sembler

éloigner du but final, qui est de satisfaire le client. Certaines tâches peuvent paraître répétitives

et sans intérêt. Le rôle du manager serait alors d’encadrer les personnes dans ce cas, de leur

faire comprendre l’intérêt de leur tâche, de leur rappeler la signification de leur travail pour le

fonctionnement général de l’entreprise.

Cela s’inscrit dans une dynamique plus globale qui transforme le modèle classique

d’organisation hiérarchique que l’on pourrait qualifier de vertical, où les collaborateurs ont une

marge de manœuvre réduite face aux directives du manager, en un système plus souple, où les

responsabilités sont mieux réparties et où les collaborateurs bénéficient de plus de liberté.

Décathlon est un exemple d’entreprise ayant choisi cette voie : « On essaye d’éviter au

maximum les décisions hiérarchiques à 4 étages, nous essayons de descendre cette

responsabilité au collaborateur » explique Catherine Kulak. Sur le modèle du géant américain

d’Internet Google, les relations au sein d’une équipe deviennent moins rigides, la part

d’initiative laissée au collaborateur croit, et le rôle du manager se transforme encore : « le

manager se situe beaucoup plus sur le développement personnel : accompagner chaque

collaborateur, l’aider à accomplir sa mission s’il en a besoin, l’ouvrir sur d’autres

perspectives, aider à imaginer son futur dans l’entreprise, etc. Et de l’aider à déterminer les

bonnes étapes pour réaliser ce qu’il souhaite, mais moins sur un plan hiérarchique comme on

l’entend traditionnellement et qui est souvent attaché au décisionnel » poursuit Madame Kulak.

Dans la même optique, Madame Reigner cite l’exemple des travaux d’Isaac Geitz dans Liberté

& Cie, «qui prend l’exemple de plusieurs entreprises comme Google, qui explique comment

elles ont mis en place des dispositifs qui responsabilisent plus le collaborateur et maximise les

performances de l’entreprise. »

A l’heure de Google et des start-up, la dimension humaine du responsable hiérarchique face

à ses collaborateurs gagne en importance, et cette évolution semble indiquer une tendance

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favorable à la maîtrise de compétences managériales, des « soft skills » dont parle Sylvie

Guessab, face à l’expertise dans le domaine technique du travail effectué par l’équipe.

3.3. Comment former des leaders efficaces ?

La question du leadership relève dans une certaine mesure de l’inné, certaines personnes

montrant des appétences plus fortes que d’autres à diriger un groupe. Cependant, les

compétences d’un leader se travaillent et se perfectionnent. Nous distinguerons ainsi la

formation théorique et la formation pratique, qui toutes les deux sont complémentaires dans le

développement des capacités de leadership.

3.3.1. La formation académique

La formation académique joue un rôle déterminant dans le développement des capacités

de leadership. Elle fournit un cadre théorique permettant par la suite au leader d’asseoir sa

légitimité sur un groupe grâce à ses compétences. Est-il possible de définir une formation

académique idéale ? Quel doit être l’équilibre entre capacités managériales et compétences

techniques ?

3.3.1.1. La formation au management

La formation managériale n’a toujours pas été prédominante dans le cursus des cadres

d’entreprise. Avant les années 1950, ces derniers étaient, comme nous l’a rappelé Eloïc

Peyrache, bien souvent issus d’écoles spécialisées. Les écoles de commerce n’ont connu leur

véritable essor qu’avec l’avènement d’un monde de consommation de masse. Cela signifie-t-il

que les caractéristiques attendues d’un leader ont changé en même temps que nos sociétés ?

D’un point de vue professionnel, les tâches conférées aux cadres supérieurs ont fortement

évolué avec l’arrivée de nouveaux moyens de communication, d’outils informatiques, etc.… et

les capacités managériales ont été revalorisés au détriment des compétences techniques.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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Les écoles de commerce et de management françaises se sont inspirées pour leur

enseignement de celui des « business schools » américaines, avec un parcours généraliste et

complet. Les matières enseignées relèvent moins de compétences techniques que d’une

compréhension globale du fonctionnement économique. Le succès retentissant de ces écoles

dans l’après-guerre montre ainsi une évolution du cadre supérieur : Afin de diriger son groupe

de manière efficace, il doit prendre un certain recul par rapport au travail technique de ses

employés. Plus qu’un spécialiste, le leader devient un gestionnaire d’hommes. Eloïc Peyrache

le soulignait lors de notre interview, « on peut tout à fait trouver des managers qui dirigeront

avec succès des équipes d’ingénieurs ». Son témoignage va dans le sens de notre hypothèse de

recherche, selon laquelle il existe différents moyens à la portée du manager pour combler son

manque de compétences techniques. Savoir déléguer les tâches techniques à des personnes plus

compétentes est la clé du management. M. Peyrache nous citait l’exemple du CEO d’Orange,

Stéphane Richard. Ce dernier n’est en aucun cas un spécialiste des télécommunications et

n’avait jamais travaillé dans ce secteur avant d’entrer en fonction en tant que CEO d’Orange.

Son succès tient donc à ses qualité de leader et à sa capacité à s’entourer des bonnes personnes.

La formation de manager fait-elle encore sens dans la société actuelle ? Cette question

émane d’un constat concernant les grandes écoles françaises, celui de la multiplication des

partenariats et des double-cursus. Malgré cette diversification nécessaire, « les écoles de

commerce ont encore un avenir ! » nous rappelle Eloïc Peyrache. La formation des managers

se doit d’être complète et doit ainsi anticiper les évolutions technologiques et sociétales afin de

proposer des cours pertinents. Le directeur délégué d’HEC Paris n’a pas manqué de nous

rappeler que le diplôme d’HEC possède une forte valeur intrinsèque et qu’il est sans cesse mis

à jour avec l’ajout de nouveaux cours. Celui-ci évoque notamment les « Computer Sciences »

qui représentent un outil non négligeable pour les cadres du futur.

Enfin, nous avons pu constater lors de notre expérience que la maîtrise de compétences

techniques pouvait être un frein à la productivité d’une équipe, ce qui n’est pas le cas des

capacités managériales, qui par essence permettent de mobiliser de façon optimale le facteur

humain. La formation de manager nous semble donc prépondérante afin d’apprendre aux futurs

cadres à gérer un groupe.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

33

3.3.1.2. Les double-diplômes, les double-compétences

Nous avons vu que la formation de manager avait encore un avenir mais force est de

constater la montée en puissance des double-diplômes ces dernières années. Cela signifie-t-il

pour autant une revalorisation des « hard skills » sur le marché de l’emploi ?

Si l’on se fie aux résultats du sondage, 58% des personnes interrogées ont déclaré

préférer être dirigé par un leader spécialiste plutôt que par un leader charismatique. Sachant que

nos résultats ont été fournis en grande majorité par des 19-25 ans, cela signifie donc que les

générations qui entrent actuellement sur le marché du travail valorisent l’apport de compétences

techniques par le leader. Comme le souligne Guillemette Breysse, « il faut avoir une

compréhension technique et scientifique pour être un bon manager. Mais, inversement, n’avoir

que des compétences techniques et scientifiques n’est pas suffisant pour être un bon manager ».

La création de double-diplômes entre les différentes écoles de l’enseignement supérieur

français répond donc à cette recherche d’équilibre entre « soft skills » et « hard skills ». Un

manager doit plus que jamais faire preuve de polyvalence dans son travail et c’est sans doute

ce à quoi répond l’offre croissante des double-diplômes en France.

Les double-compétences n’ont pas pour vocation de transformer les managers en

spécialistes, mais elles leur apportent une meilleure compréhension des enjeux globaux du

domaine vers lequel ils se dirigent. C’est le point principal sur lequel a voulu insister Marie-

Laurence Madignier, haut-fonctionnaire au ministère de l’agriculture. Selon elle, un leader

compétent doit « comprendre les problèmes et les exprimer en tant qu’interface », ce qui

signifie faire le lien entre les subordonnés afin d’orienter leur travail technique dans une même

direction. Cette remarque va également dans le sens de notre observation de la start-up

« Leadguru ». Son fondateur, M. Badis Khalfallah, doit utiliser l’ensemble de la palette de ses

compétences au quotidien afin de pouvoir communiquer avec ses développeurs sans pour autant

maîtriser le codage et autres domaines techniques.

La pertinence des double-compétences est propre à chaque métier. Nous avons vu grâce

à l’exemple de Stéphane Richard qu’un CEO pouvait se contenter d’une compréhension globale

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

34

des enjeux de l’entreprise. Cependant, comme nous l’a rappelé M. Khalfallah au cours de notre

observation, un CTO est un manager qui ne peut se passer de compétences techniques, dans la

mesure où il a pour mission de superviser l’ensemble des techniciens de l’équipe. Les double-

diplômes ont donc une importance cruciale pour les futurs managers qui s’orientent dans des

domaines où ils dirigeront exclusivement des techniciens.

3.3.2. La formation progressive

Une formation théorique est nécessaire afin de produire des leaders efficaces.

Cependant, un certain nombre d’éléments managériaux et techniques ne peuvent s’apprendre

par ce biais. Etre confronté à des situations concrètes où son leadership est remis en cause, c’est

apprendre à gérer les aléas de la théorie. Nous allons donc nous intéresser à l’équilibre pratique

entre compétences managériales et compétences techniques.

3.3.2.1. L’importance du « learning by doing »

Lors des entretiens, le « learning by doing » a été l’un des thèmes les plus récurrents

que nous avons pu observer. La plupart des personnes que nous avons interrogées ont évoqué

un certain nombre de facultés essentielles pour un leader, et qui ne pouvaient s’obtenir qu’en

pratiquant. Marion Lagan nous a par exemple expliqué qu’il existait une part irréductible

d’inconnue due au facteur humain dans le management, ce qui illustre l’idée d’un « leadership

progressif », une idée développée dans l’article « on ne naît pas leader, on le devient » de la

revue Management. Selon elle, ses compétences techniques lui ont certes apporté de nouvelles

idées, mais elle décrit le travail en équipe comme un processus réciproque d’apprentissage entre

les différents employés. Ainsi, un leader a tout intérêt à rester ouvert aux différentes

propositions de ses « subordonnés », terme que Mme Lagan a d’ailleurs critiqué dans le

contexte de l’entreprise pour son aspect catégorique. Pour sa part, Marie-Laurence Madignier

a évoqué le fait qu’elle a dû « mobiliser sa capacité à entrer dans des fonctions techniques » à

plusieurs reprises, et donc aller au-delà de simples compétences techniques ou managériales.

Le leader doit donc être sans cesse attentif à ce qui passe autour de lui afin de gagner en

efficacité et prendre les éléments d’ordre technique ou managérial qui peuvent l’intéresser au

quotidien.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

35

L’importance du « learning by doing » apparaît clairement dans notre sondage.

Contrairement à nos attentes, plus de 57% des votants pensent qu’un chef devrait passer par

tous les échelons avant de parvenir au sommet de la hiérarchie.

Cela a plusieurs implications sur notre hypothèse initiale. Dans un premier temps, cela

implique que le chef ait été confronté à un moment donné à des tâches plus techniques que

managériales. Cela implique également que le chef connaisse les rouages de l’entreprise et qu’il

soit capable de reproduire le travail technique de ses subordonnés. En d’autres termes, la

légitimité de l’autorité du chef tient selon ces personnes à ce qu’il possède un ensemble de

connaissances techniques et managériales. Ensuite, si le chef doit être passé par tous les

échelons avant de parvenir au sommet de la hiérarchie, cela implique que sa formation initiale

ne soit pas celle d’un pur manager mais bien celle d’un technicien. Il doit donc acquérir ses

compétences managériales par l’expérience, à partir de ses compétences techniques.

3.3.2.2. L’expérience comme point de rencontre entre capacités

managériales et compétences techniques

La formation par l’expérience est reconnue par les écoles de commerce et de

management elles-mêmes. Loin de penser que les capacités de leadership s’apprennent

uniquement par la théorie, de nombreuses écoles valorisent l’émergence de leaders prenant de

vraies initiatives en leur sein. C’est ce que nous explique Eloïc Peyrache lorsqu’il déclare :

« Plus vous faites, plus vous retenez ! ». Il justifie ainsi l’importance de la vie associative dans

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

36

la formation des managers. En effet, les élèves sont incités à se réunir dans des associations

qu’ils gèrent entièrement, et certains sont donc amenés expérimenter l’équilibre nécessaire

entre compétences techniques et capacités managériales. En s’investissant à plusieurs niveaux

(trésorerie, secrétariat, etc.…), les élèves se font donc leur propre idée sur les compétences

qu’ils doivent développer afin d’être des leaders performants.

C’est également ce que nous avons constaté lors de notre expérience. Le leader du

groupe 2 ne possédait pas de compétences techniques en escalade avant que l’expérience ne

commence. Après un premier passage mitigé (avec une chute notamment), il s’est amélioré de

façon très visible dans sa prise d’initiatives par la suite. Les références chronométriques se sont

améliorées lors des deux derniers passages et il n’a surtout pas reproduit l’erreur qui avait

conduit à la chute du premier candidat ! Il semble donc avoir assimilé un bagage technique

minimum lorsque le premier candidat lui a expliqué les raisons de sa chute et a donc adapté ses

techniques de management et ses conseils en conséquence.

3.3.3. Evolution de la formation à la « française »

L’existence de Grandes Ecoles de Commerce et d’Ingénieurs qui recrutent après

concours des étudiants ayant suivi deux ans de classe préparatoire, en parallèle de la présence

d’Universités à vocation plus universelle et plus axées sur la recherche et la connaissance

académique pure est surement la principale spécificité du système d’Etudes Supérieures

français. Le modèle de classe préparatoire est en particulier un des avatars de « l’exception

culturelle française », ayant du mal à s’exporter hors des frontières de l’hexagone malgré son

adoption dans des pays comme le Maroc, puisque durant ces deux ou trois ans d’étude, les

candidats à l’admission en Grande Ecole fournissent un travail intense dans des matières

théoriques comme les Mathématiques, la Physique, l’Histoire-Géographie ou la Philosophie

avant d’entrer dans ces Grandes Ecoles sans avoir abordé précisément les mécanismes du

monde de l’entreprise.

Ce modèle, qui est l’objet de critique au sein même du système français, a été créé

sous Napoléon, en même temps que la création des écoles d’ingénieur. Selon Eloïc Perrache,

« Il est intéressant de remarquer que la création des différentes écoles répond à des besoins

spécifiques de la société : les écoles d’ingénieurs ont par exemple été créées sous Napoléon

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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37

pour construire des routes, des ponts, etc.… Les écoles de commerce ont connu leur expansion

avec l’avènement d’un monde de consommation de masse. » Le modèle français de Grandes

Ecoles serait alors apparu en réponse à l’apparition de nouveaux besoins la société et du monde

de l’entreprise, montrant les liens forts entre le système d’Enseignement Supérieur et le monde

du travail. Cela amène Eloïc Perrache à se questionner sur « l’étape d’après? D’un point de vue

marketing, les entreprises auront besoin de différenciation et feront donc peut-être davantage

appel à des élèves issus d’écoles de design. » La tendance actuelle serait alors plus l’acquisition

de double-compétences techniques et managériales pour compléter la formation des managers

de demain. Prenant l’exemple d’HEC, Eloïc Perrache affirme : « Le diplôme HEC doit être le

meilleur possible mais, quand cela s’y prête, vous (les étudiants d’HEC) aurez la possibilité

d’étudier dans des écoles spécialisées dans leur domaine. »

La solution serait alors de multiplier les accords de partenariats et les cursus de double-

diplômes avec des écoles spécialisées dans d’autres domaines. Selon Guillemette Breysse « les

étudiants qui font ce parcours ont des qualités exceptionnelles et se repèrent facilement parce

qu’ils sont capables d’intégrer plusieurs enjeux techniques et managériaux, de lier les

différentes problématiques. » Les entreprises seraient « de plus en plus friandes des étudiants

qui sortent avec ces double-formations », dont les exemples phares sont les double-diplômes

l’Ecole Polytechnique – HEC, Ecole des Mines – HEC et Centrale-Supélec – ESSEC. Les

étudiants suivant ces cursus ont la possibilité de combiner les deux approches technique et

managériale au sein de leur formation, leur permettant de combiner ces deux aspects dans la

compréhension des défis qu’ils rencontreront au cours de leur carrière dans le monde de

l’Entreprise. Comme le dit Eloïc Perrache, « nous pensons que l’aspect multidisciplinaire de

ces double-diplômes est un actif intéressant pour les élèves. Le Big Data fait par exemple appel

à de nombreux sujets formalisés dans nos écoles. Quand bien même ils ne feraient pas de

double-diplôme, nous incitons par exemple nos élèves à travailler avec des élèves issus de

l’école 42, afin de faire valoir leurs complémentarités. »

On retrouve alors un des principaux intérêts de ces double-diplômes : la possibilité de

proposer à chaque étudiant le cursus qui lui correspond le plus. Monsieur Perrache cite le cas

d’une « fille qui a été la première à faire le double-diplôme avec l’X et qui est revenue l’année

dernière faire son M1 à HEC. Elle a longtemps hésité entre médecine, maths sup-maths spé et

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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EC. Bien qu’elle ait décidé de faire une prépa EC, elle a pu retrouver la biologie à

Polytechnique et aimerait faire de la biologie moléculaire dans une start-up. Cela permet aux

élèves de choisir ce qui les passionne vraiment. » Madame Breysse abonde en ce sens : « Je

pense surtout que l’avantage est propre au projet de l’étudiant. » Elle ajoute même : « Si au

départ certains enseignants de sciences étaient réservés sur le fait que ce double diplôme soit

réciproque, à la fin de la première année, ces étudiants ont démontré leurs capacités à intégrer

l’aspect technique et scientifique de la même manière qu’ils ont déjà intégré les aspects

managériaux de leur formation initiale. » Ainsi, la multiplication de ces double-diplômes

correspond à la fois à une volonté de mieux répondre aux besoins du monde de l’Entreprise en

proposant des profils d’étudiants maitrisant à la fois les dimensions technique et managériale

et de personnaliser au mieux le cursus suivi par chaque étudiant pour lui permettre de construire

au mieux son projet professionnel et de s’épanouir dans son cursus.

Néanmoins, il semble que cette problématique de double-diplôme est spécifique au système

d’Etudes Supérieures Français. Comme le dit Monsieur Perrache : « En Angleterre, il n’est pas

rare de trouver chez JP. Morgan des personnes qui ont fait des études en histoire médiévale ».

On peut également se demander, comme le fait Sylvie Guessab, si « la multiplication de double-

diplôme ne s’inscrit pas dans une forme de course poursuite entre les écoles françaises »,

l’existence de double-diplômes avec d’autres établissements prestigieux étant un fort argument

marketing pour les écoles. Mais plus généralement, le regroupement d’Ecoles d’Ingénieur et de

Commerce au sein de projets comme Paris Tech ou l’Université de Paris-Saclay semble

répondre à un souci de peser plus dans les classements internationaux, où les Grandes Ecoles

font pâle figure face à leurs concurrents anglo-saxons.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

39

4. Bilan

4.1. Retour sur l’hypothèse de recherche

Au cours de notre recherche, nous nous sommes rendus compte qu’il semble bien illusoire

de rechercher à faire une distinction nette entre connaissances techniques et compétences

managériales, tant les deux sont liées et sont les deux socles du savoir-faire du manager. Le

terme même de compétences managériales renvoie à une multitude de sens, allant du charisme

du dirigeant à ses connaissances du monde de l’entreprise, en passant par sa capacité d’empathie

envers ses collaborateurs et sa maîtrise des « softs skills », rendant finalement assez floue la

conception que nous avions de ce terme. Notre approche du problème lors de l’élaboration de

notre hypothèse de recherche a surement été de ce fait trop simpliste, car nous croyions alors

possible d’élaborer une hiérarchie entre les deux socles de compétences que nous avions choisis

d’étudier.

Il est intéressant de noter une certaine opposition entre les tendances générales apparues

lors de l’analyse du sondage et les éléments de réponse que nous avons récoltés lors de nos

entretiens, notre expérience et notre observation. De prime abord, la réponse à notre hypothèse

de recherche serait de souligner une primauté des compétences techniques sur les compétences

managériales, le manager ne pouvant se passer d’une compréhension des enjeux sur lesquels

travaille son équipe. Néanmoins, ce qui différencie un manager d’un simple expert est le

caractère humain de son travail. Il doit être capable de mobiliser ses hommes, d’insuffler un

esprit de groupe, de donner sens au travail de chacun, de les accompagner dans leurs projets

personnels. Ainsi, nous sommes arrivés à la fin de notre recherche à cette conclusion : s’il peut

être important, lors de la formation d’un manager, de lui inculquer des connaissances techniques

qui lui permettront d’appréhender les enjeux et les tendances du domaine où son équipe va

évoluer, l’aspect primordial sera de lui apprendre à travailler en équipe, de le rendre capable de

dialoguer avec ses collaborateurs pour leur transmettre la volonté de s’investir pleinement dans

leurs tâches, améliorant ainsi le rendement général du groupe.

Plusieurs éléments de notre démarche d’investigation nous ont amené à cette conclusion :

• L’observation d’une journée de travail de Monsieur Khalfallah nous a permis d’illustrer

le cas d’un manager qui mène efficacement son projet avec son équipe d’experts dans

un domaine où il ne dispose que de peu de connaissances techniques. Le fait qu’il

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

40

réussisse à communiquer précisément ses attentes à ses collaborateurs au sein d’un

dialogue ouvert lui permet de combler ce handicap, prouvant que l’on peut diriger une

équipe dans un domaine aussi pointu que les nouvelles technologies sans

nécessairement être soi-même capable de coder ;

• Dans le milieu militaire, s’il est important que le chef ait une vision d’ensemble du

travail de ses subordonnés afin de déceler au plus vite une éventuelle défaillance dans

la chaine de commandement, c’est son charisme, sa capacité à souder ses hommes qui

seront décisifs en cas de situation de crise, comme lors d’un combat au front ;

• Notre expérience a mis en évidence qu’un manager possédant des compétences

techniques fortes n’obtient pas nécessairement de meilleurs résultats qu’un manager aux

compétences techniques moindres, mais pouvant communiquer aisément avec les

personnes qu’il dirige. Cela peut être lié au fait que, lors de notre expérience, le leader

1, qui a déjà pratiqué l’escalade à haut-niveau, avait plus de mal à se sortir de

compétences techniques pour appréhender plus généralement la situation de

l’expérience ;

• La tendance dans le monde de l’entreprise est à la décentralisation des responsabilités,

les collaborateurs disposant de plus en plus de marge de liberté et de place pour leurs

initiatives personnelles. Dans ce genre de situation, le domaine d’intervention du

manager se situe davantage dans l’accompagnement et le contrôle de ses collaborateurs

que dans une application directe de son expertise technique, et les compétences

managériales de ce dernier semblent prendre le pas sur ses connaissances techniques ;

• La multiplication de double-diplômes entre écoles de commerce et écoles d’ingénieur

répond à un besoin d’allier les deux domaines de compétences que nous étudions. Ainsi,

la possibilité de les combiner lors de la formation du manager est un aspect amené à se

démocratiser à l’avenir et répondant à une réelle demande des entreprises. Ceci rappelle

que dans l’idéal, le manager possède des notions managériales et techniques.

Finalement, notre hypothèse de recherche a été nuancée par notre enquête : s’il est vrai que

les compétences managériales possèdent une certaine primauté sur les connaissances

techniques, il est néanmoins important de disposer d’un minimum de connaissances techniques.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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41

4.2. Limites, interrogations et apports

La principale difficulté que nous avons rencontrée lors de notre démarche de recherche

résidait dans la variété de sens que recouvre le terme de « compétences managériales ». En

effet, chacun de nos interlocuteurs avait une acceptation différente de cette expression, et il

nous a fallu effectuer un effort pour retrouver les points communs de chaque analyse du terme.

Nous avons également dû faire preuve de rigueur pour bien traiter précisément le thème de

la formation du manager, et ne pas dériver sur le thème de l’expérience, qui pourrait permettre

à un manager d’acquérir les compétences techniques dont il est dépourvu. Cette dimension de

l’expérience est en effet un élément en marge de notre étude, il nous a donc bien entendu fallu

le traiter, mais en faisant attention à ne pas se focaliser sur ce dernier.

Enfin, il aurait été intéressant de se placer du point de vue du collaborateur pour étudier

l’effet du manque de compétences techniques sur la perception de la légitimité du dirigeant.

Les réponses au questionnaire semblaient en effet sous-entendre une réticence à travailler avec

un leader manquant d’expertise technique, et nous n’avons pas pu explorer cette piste lors de

notre étude.

A titre personnel, cette étude nous a mieux fait comprendre ce qu’était un bon leader. Elle

a confirmé ce que nous avions retiré de la partie terrain du séminaire « Leadership et Esprit

d’Equipe » qui s’est déroulée à l’ESM Saint-Cyr Coëtquidan, en montrant qu’un bon leader est

quelqu’un qui est capable de comprendre ses troupes, de les accompagner, d’entretenir un

véritable dialogue et d’insuffler un sens et un esprit d’équipe à son groupe.

4.3. Prospective

Au moment de conclure notre enquête sur l’équilibre entre compétences managériales et

connaissances techniques, nous avons essentiellement une piste de recherche : savoir si

l’expérience professionnelle peut permettre de dépasser les lacunes dans la formation d’une

personne, et ainsi savoir si cette expérience n’est finalement pas la meilleure des formations

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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42

pour devenir un manager. C’est ce que sous-entendent le recours au « learning by doing » dans

les écoles de commerce et le stage terrain à l’embauche du personnel chez Décathlon.

En fin de compte, ces méthodes sont des moyens pour une acquisition optimale et efficace de

connaissances techniques, le manager n’apprend que ce dont il a besoin dans son travail

quotidien. Certes, les double-diplômes peuvent avoir une valeur ajoutée inégale mais cette

solution n’est pas la plus optimale.

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5. Annexes 5.1. Bibliographie

• DERVILLE Claire, « On ne naît pas leader, on le devient », la revue Management,

Septembre 2012

• BRYANT Adam, « Google’s Quest to build a better boss », NY Times, 12/03/2011

• TORLOIS Eric, « les 8 secrets du manager d’exception selon Google »

http://www.maestrio.com/actualites/points-de-vue/59-les-8-secrets-du-manager-

dexception-selon-google, 2009

5.2. Filmographie

• GANSEL Denis, La vague, 2008

5.3. Entretiens

5.3.1. Entretien avec M. Eloïc Peyrache

Vous êtes désormais directeur délégué d’HEC depuis 8 ans et depuis les années 2010,

l’école semble valoriser l’apprentissage simultané de compétences d’ingénieur et de

manager. Pourquoi avoir choisi cette nouvelle orientation ?

Il y a plusieurs réponses : nous essayons tout d’abord d’offrir aux étudiants un champ des

possibles très large. J’ai en tête l’exemple de cette fille qui a été la première à faire le double-

diplôme avec l’X et qui est revenue l’année dernière faire son M1 à HEC. Elle a longtemps

hésité entre médecine, maths sup-maths spé. Bien qu’elle ait décidé de faire une prépa EC, elle

a pu retrouver la biologie à Polytechnique et aimerait faire de la biologie moléculaire dans une

start-up. Cela permet à l’élève de choisir ce qui les passionne vraiment. Ensuite, nous pensons

que l’aspect multidisciplinaire de ces double-diplômes est un actif intéressant pour les élèves.

Le Big Data fait par exemple appel à de nombreux sujets formalisés dans nos écoles. Quand

bien même ils ne feraient pas de double-diplôme, nous incitons par exemple nos élèves à

travailler avec des élèves issus de l’école 42, afin de faire valoir leurs complémentarités. Il est

intéressant de remarquer que la création des différentes écoles répond à des besoins spécifiques

de la société : les écoles d’ingénieurs ont par exemple été créées sous Napoléon pour construire

des routes, des ponts, etc.… Les écoles de commerce ont connu leur expansion avec

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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44

l’avènement d’un monde de consommation de masse. Mais quelle est l’étape d’après ? D’un

point de vue marketing, les entreprises auront besoin de différenciation et feront donc peut-être

davantage appel à des élèves issus d’écoles de design. Il est donc important pour les futurs

décideurs de cumuler diverses compétences et c’est pourquoi nous proposons à nos élèves de

pouvoir toucher à l’ensemble de ces domaines.

Vous avez parlé de « l’étape d’après », cela veut-il dire que les diplômes offrant

uniquement une formation managériale sont amenés à disparaître ?

Surtout pas, les écoles de commerce ont encore un avenir ! Il est plutôt question d’intégrer de

nouveaux éléments à la formation managériale. La formation à HEC est en perpétuelle

évolution. Dans les années à venir, vous devrez certainement tous apprendre à coder et vous

aurez l’opportunité de toucher à de nouveaux thèmes tels que la « Computer Science ».

Cependant, les enjeux de management et de gestion sont et vont rester prégnant dans notre

société. Vous aurez dans votre carrière à diriger des personnes qui seront bien meilleures que

vous dans beaucoup de domaines. On vous apprend donc avant tout à interagir avec ces

personnes ! Le diplôme HEC doit être le meilleur possible mais, quand cela s’y prête, vous

aurez la possibilité d’étudier dans des écoles spécialisées dans leur domaine. Nous essayons de

rester au contact de nos anciens élèves afin d’être au plus près des évolutions de notre économie

et cela pour faire évoluer le diplôme HEC.

Est-il plus difficile pour un ingénieur de devenir un bon manager ou bien pour un

manager de devenir également bon ingénieur ?

Cela dépend des personnalités de chacun. Des élèves sortant de prestigieuses écoles

d’ingénieurs peuvent très bien ne jamais se sentir à l’aise pour diriger une équipe. Pour être

manager, il faut savoir être ouvert et être capable de travailler avec des gens qui ont des profils

différents. On peut donc tout à fait trouver des ingénieurs qui feront d’excellents managers et

des managers qui dirigeront avec succès des équipes d’ingénieurs. Stéphane Richard, patron

d’Orange, est un ancien d’HEC qui a su s’entourer des bonnes personnes pour faire tourner son

business… Votre question est finalement très « française ». En Angleterre, il n’est pas rare de

trouver chez JP. Morgan des personnes qui ont fait des études en histoire médiévale. Cela est

impossible en France… Ces personnes vont rencontrer d’importantes difficultés au début mais

cela n’exclue pas qu’elles brillent par la suite.

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Vous avez vous-même différentes compétences (économie, finance). Cela vous a-t-il

aidé dans la direction du programme Grande École ?

Il y a forcément une partie des compétences qu’on ne peut apprendre que sur le terrain. Le

« learning by doing » est d’ailleurs l’une des caractéristiques principales du programme GE.

On vous met dans des situations où vous devenez acteur, où vous réalisez les choses par vous-

même. Certains parlent même, dans un futur digitalisé, du concept de « classes renversées » où

les élèves font eux-mêmes leurs cours. Plus vous faites et plus vous retenez ! Mes recherches

ne m’ont pas spécialement aidé à gérer une équipe bien qu’elles m’aient fourni certains enjeux

de compréhension du monde. Je pense que c’est avant tout la passion et l’envie de faire avancer

les choses qui m’ont conduit vers mon métier et qui m’ont aidé à le comprendre.

Un étudiant qui n’aurait que des compétences managériales ne peut donc pas être

handicapé par rapport aux autres ?

Il ne faut pas faire du cas de Stéphane Richard une généralité mais les élèves d’HEC s’en sortent

généralement très bien à la sortie avec des compétences techniques pourtant limitées. La

problématique est plutôt de savoir si vous avez un spectre de connaissances assez larges, des

enjeux de compréhension du monde assez importants, une bonne capacité de travail. C’est pour

cela que nous encourageons la vie étudiante sur le campus, afin que chacun valorise ses idées

et apprenne à gérer une équipe ! Je le répète, la clé du management, c’est de savoir s’entourer

de personnes meilleures que soi et de les tirer vers le haut. La légitimité d’un leader n’émane

pas de la médiocrité de son entourage, bien au contraire.

5.3.2. Entretien avec Mme Guillemette Breysse

Centrale Supélec a la réputation d’être l’une des écoles d’ingénieurs les plus

généralistes, permettant à ces élèves de multiplier les compétences techniques et

managériales. Cela s’explique-t-il par une volonté des dirigeants de l’école ou plutôt par une

exigence du monde contemporain ?

Très clairement, cela à répond à plusieurs choses, le positionnement de l’école sur cette

question est un positionnement historique qui devait relever les défis scientifiques et techniques

de l’époque de la création de l’école qui étaient de former des ingénieurs qui sont capables

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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d’intégrer un panel de compétences techniques et scientifiques très larges. Aujourd’hui c’est

toujours d’actualité. Et c’est un positionnement assez singulier dans les écoles d’ingénieurs qui

sont souvent spécialistes, mais cela répond toujours aujourd’hui aux besoins de la société et des

entreprises, parce qu’on est de plus en plus sur des projets avec une complexité et une

transversalité croissantes et que la capacité de nos étudiants à intégrer cette complexité et leur

capacité à rentrer dans des sujets qu’ils, parfois, ne connaissent pas toujours en profondeur au

départ, mais ils sont en mesure à peu près sur tous les sujets de pouvoir rentrer dedans

efficacement et rapidement et d’en comprendre les enjeux techniques et scientifiques

principaux grâce au spectre scientifique qu’ils ont pu étudier chez nous.

On est une école généraliste, mais y a des colorations quand même dans les parcours des

étudiants, on a aujourd’hui ce qu’on appelle l’option « ingénieur centralien » qui couvre

l’ensemble des domaines scientifiques étudiés à l’école et qui permet après à chaque étudiant

de faire une spécialisation. Pour nous ça répond vraiment à un enjeu de société qui est assez

capital, il ne s’agit pas de faire du sous-poudrage scientifique de manière générique mais

d’avoir un socle commun de connaissances qui permet aux étudiants de rentrer en profondeur

dans beaucoup de sujets scientifiques et techniques.

Pensez-vous qu’il existe des domaines scientifiques particuliers dans

lesquelles la maîtrise de capacités techniques est véritablement indispensable pour le

manager ?

Nous, on a tendance à dire qu’il faut avoir une compréhension technique et scientifique pour

être un bon manager. Mais, inversement, n’avoir que des compétences techniques et

scientifiques n’est pas suffisant pour être un bon manager. Mais par expérience et

heureusement, il y a de la place pour d’autres types de management. L’histoire nous le montre,

HEC, l’ESSEC et plein d’autres écoles qui sont moins sur les sujets techniques mais qui forment

d’excellents managers que ce soit des leaders créateurs ou des leaders des grandes boîtes du

CAC40.

Est-ce que vous avez senti récemment un changement de mentalité chez les étudiants

et notamment chez les entreprises concernant les double-diplômes ?

Moi, ça fait quelques temps que je travaille sur ces double-parcours. Aujourd’hui les entreprises

sont de plus en plus friandes des étudiants qui sortent avec ces double-formations. Notre double-

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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formation phare, c’est celle que l’on a avec l’ESSEC. Et ce qui est sûr, c’est que les étudiants

qui font ce parcours ont des qualités exceptionnelles et se repèrent facilement parce qu’ils sont

capables d’intégrer plusieurs enjeux techniques et managériaux, de lier les différentes

problématiques. Réciproquement, les étudiants qui viennent de l’ESSEC ont une appétence

pour la science et la technique et ont des compétences managériales remarquables. Si au départ

certains enseignants de sciences étaient réservés sur le fait que ce double diplôme soit

réciproque, à la fin de la première année, ces étudiants ont démontré leurs capacités à intégrer

l’aspect technique et scientifique de la même manière qu’ils ont déjà intégré les aspects

managériaux de leur formation initiale.

Donc vous pensez vraiment que c’est un véritable avantage d’avoir un double-

diplôme ?

Je pense surtout que l’avantage est propre au projet de l’étudiant. Chaque étudiant a des envies

et pour certains ça peut être une manière de mieux se réaliser et d’aller plus loin plus vite dans

ce qu’ils ont envie de faire. Après, je ne pense pas que ça soit une nécessité pour personne. Je

crois vraiment que c’est à chacun de trouver son projet.

Au niveau du nombre des élèves qui demandent à faire ce Double-Diplôme, est-ce

qu’il y a une hausse ?

En fait depuis le départ ça marche très bien, beaucoup d’élèves se portent volontaires chaque

année

Selon vous lesquelles sont plus faciles à acquérir, les capacités techniques ou bien les

capacités managériales ?

Je pense que ça dépend vraiment des gens. Il y a des étudiants chez nous, je pense qu’il est très

dur pour eux d’intégrer les capacités managériales, de travailler en équipe et d’intégrer

l’environnement professionnel dans lequel ils vont travailler, et inversement il y a des gens pour

qui c’est très difficile d’entrer dans des considérations techniques.

Est-ce que l’émergence de nouvelles technologies a fait apparaître de nouveaux

besoins et a changé les demandes des entreprises ?

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

48

Evidemment, toutes les révolutions technologiques et scientifiques nous poussent tous, tous les

établissements, à faire évoluer nos formations pour répondre mieux à ces besoins. Quand on

travaille dans une école, Il faut être attentif à ce qui se passe dans l’entreprise et être en phase

avec les évolutions du marché

Hormis la France, est-ce que vous pensez que ces double-diplômes ont aussi une

valeur aussi sur le marché international ?

On ne va pas se mentir, les écoles d’ingénieur françaises ont une visibilité internationale assez

réduite par rapport aux écoles de management. Donc pour une école d’ingénieur je pense

vraiment que c’est un atout d’avoir des partenariats avec des écoles comme les vôtres au-delà

même de la formation parce qu’il y a une notoriété internationale valorisable. Cependant, cela

ne dispense pas de l’expérience à l’internationale qui est un atout aussi clef que d’avoir des

compétences doubles.

Vous avez travaillé aussi à Centrale Pékin, est-ce que la popularité de ces double-

diplômes est aussi forte en Chine qu’en France ?

A Pékin, on a un institut au sein de l’université de Beihang et aujourd’hui on est plutôt sur un

schéma plus technique et scientifique et moins ouvert à la double compétence. Je ne sais pas

si c’est dû à l‘école à proprement parlé parce que c’est déjà un énorme chantier que de gérer

une école à l’étranger avec un système de fonctionnement politique et plein d’autres chose qui

ne sont pas pareil que chez nous. On est déjà très consommé par le temps d’organisation sur

notre base scientifique. Je pense qu’à terme, on viendra aussi à les développer dans nos écoles

off-shore, mais pour le moment on ne propose pas ce genre de double- formations mais je pense

que c’est plus par manque de temps et de capacités à les déployer que par manque d’envie.

Est-ce qu’il y a un sens plus valorisé pour obtenir le double-diplôme entre école de

commerce et école d’ingénieur ?

Comme je vous l’ai dit je pense que ça dépend vraiment de l’étudiant. Ce qui est vrai, c’est que

l’effort à fournir pour un étudiant d’école de commerce afin de se mettre à niveau sur certaines

disciplines qu’il n’a pas vues depuis longtemps et qui sont pas toujours très faciles à

appréhender, n’est pas évident et ça demande un investissement et un engagement parfois plus

fort que ce que ça peut être dans l’autre sens, mais y a aussi des étudiants pour qui les sujets

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

49

traités dans l’école de management sont très difficiles à intégrer. Donc je pense que c’est

variable. Aujourd’hui, avec la manière dont est construite le parcours, il y a peut-être un effort

supplémentaire à donner pour rentrer dans l’école d’ingénieur que l’inverse mais je pense

vraiment que c’est propre à chaque étudiant.

Avec la fusion Centrale-Supélec, le travail sur les nouveaux accords des double-

diplômes est-il toujours en cours ?

Il se fait conjointement avec la construction du futur cursus Centrale-Supélec, l’idée est de

continuer la progression sur les doubles parcours de la manière la plus pertinente possible avec

tout ce qui dessine dans le nouveau paysage aujourd’hui de l’enseignement supérieur au niveau

national avec le déménagement, Saclay, le cluster… et puis au niveau international, essayer de

toujours construire l’offre en se disant : on répond à plusieurs besoins en même temps, les

besoins des étudiants en formation et les besoins des entreprises en compétences et en profils

hybrides.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

50

5.3.3. Entretien avec Mme Marie-Laurence Madignier

À la sortie de l’X, vous avez choisi de vous orienter vers le génie rural, les eaux et les

forêts. Pourquoi avoir fait ce choix ?

À mon époque, près de la moitié de la promotion se dirigeait vers la fonction publique, avec

des quotas par corps. Parmi ces corps, on retrouve notamment celui des mines, celui des ponts

et chaussés, ainsi que celui des eaux et forêts. J’ai choisi cette voie car j’ai une approche assez

concrète des choses et l’aménagement du territoire m’intéressait beaucoup. Concrètement, j’ai

immédiatement travaillé en partenariat avec des élus, dirigé la construction de stations

d’épuration, d’usines d’incinération,… La réalité du terrain ne correspondait pas tout à fait à

mes attentes mais je n’ai aucunement été déçue par mon travail.

Vous avez pour cela immédiatement étudié à l’école du GREF, qui est une école

d’application. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

L’obligation de faire une école d’application est avec le service militaire l’une des spécificités

de l’X. Cela nous permet de nous spécialiser d’un point de vue technique et d’entrer dans la

culture propre au secteur dans lequel nous allons travailler, d’avoir une certaine reconnaissance

vis-à-vis des collaborateurs. Bien évidemment, nous nous retrouvons souvent à des postes où

c’est davantage la gestion d’un groupe que les compétences techniques qui importe. Mais il est

important de comprendre les questions techniques de ses collaborateurs et de les analyser avec

un recul de manager. C’est pour cela que nous avons abordé à l’école du GREF des

problématiques techniques assez diverses sans pour autant les approfondir.

Vous avez effectué par la suite l’ensemble de votre carrière au ministère de

l’agriculture et à l’ONF, ce qui vous a permis d’acquérir des connaissances approfondies

dans votre travail. Est-ce que cela vous a conféré une légitimité supplémentaire vis-à-vis des

personnes avec lesquelles vous avez travaillé ?

Je ne qualifierai pas mes connaissances de « pointues », j’ai acquis des connaissances qui m’ont

permis de comprendre les problèmes et de les exprimer en tant qu’interfaces. J’ai fait des choses

très variées : du génie rural au début de ma carrière, puis des quotas laitiers, de la protection

des eaux et des forêts enfin. À chaque fois, j’ai lu des ouvrages universitaires pour comprendre

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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mon nouveau métier et j’ai dû mobiliser ma capacité à entrer dans des compétences techniques.

Dans mes différentes fonctions, j’ai dûf apprendre à construire avec mes interlocuteurs un

compromis sociétal sur le territoire. Par exemple, lorsque je travaillais à l’ONF, je devais gérer

les requêtes de chacun tout en conservant un équilibre pour le territoire. Il faut concilier le

management avec la concertation.

Par la suite, vous avez été directrice en administration centrale au ministère de

l’agriculture. Selon vous, les ministres les plus compétents sont-ils ceux qui ont une

connaissance précise dans le domaine de l’agriculture ?

Les ministres n’ont pour la plupart pas de connaissances techniques, ils connaissent leur

domaine de façon plus globale. Michel Barnier connaissait l’agriculture car il venait de la

Savoie, région avec une importante agriculture de montagne. Il avait donc une volonté de

concilier la production agricole avec le maintien de la qualité de l’environnement et des

territoires. Bruno Lemaire, pour sa part, a été ministre d’État aux affaires européennes avant

d’entrer en fonction et n’avait jamais travaillé dans le domaine de l’agriculture. Il a apporté sa

connaissance des mécanismes européens, notamment sur la Politique Agricole Commune qui

pèse très lourd sur l’agriculture française, et a ainsi valorisé une approche plus économique du

sujet. Enfin, Stéphane Le Foll a reçu entre autres une formation agricole et provient de la Sarthe

où il y a une culture agricole plus intensive qu’en Savoie. Il a donc une sensibilité au fait qu’on

puisse surexploiter des sols et il apporte donc une compétence en matière d’agroécologie. Ils

ont donc plutôt des connaissances de milieux agricoles et savent mettre en relation des idées

différentes pour initier des projets fonctionnels. Afin d’être un « bon » ministre de l’agriculture,

il s’agit d’avantage selon moi d’avoir un réel attrait pour ce domaine que des compétences

techniques poussées. Il y a d’ailleurs de nombreux exemples de ministres qui ne sont pas restés

très longtemps en poste et qui ont choisi un autre portefeuille à la première occasion.

Les personnes les plus haut placées au sein de l’administration française sont-elles

des spécialistes qui ont évolué dans la hiérarchie ou bien des managers qui vont d’un

ministère à un autre ?

Ce ne sont pas des spécialistes, mais plutôt des gens qui ont touché à de nombreux domaines

différents. Pour autant, ils ne « zappent » pas d’un domaine à un autre domaine fréquemment.

Il y a souvent un bouquet de domaines qui permettent d’analyser un sujet avec des regards

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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différents, ce qui leur permet de s’extraire de la technique pour observer ce sujet avec du recul.

C’est ce qu’on attend des dirigeants ! Les nôtres [dans l’administration] sont souvent passés par

les nombreux établissements publics que compte la France ou bien par les institutions

européennes à Bruxelles.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

53

5.3.4. Entretien avec Mme Catherine Kulak et Mme Anouk Reignier

Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce dispositif de formation des personnes

embauchées à Décathlon, qui consiste à un stage de quinze jours dans les magasins et une

semaine dans les entrepôts ?

Mme Catherine Kulak : Oui alors on s’adapte un petit peu en fonction des postes que l’on

occupe, des services dans lesquels on rentre. La partie magasin est commune quel que soit le

métier que l’on va faire chez Décathlon, qu’il soit lié à la conception, à la production, à

l’informatique, à logistique, etc., on passe systématiquement deux semaines pour appréhender

le contact avec le client, et savoir finalement pour qui on travaille, puisque l’objectif est bien

de satisfaire le client.

Mme Anouk Reigner : Et ce dispositif ne s’adresse pas qu’aux cadres mais bien à toute

personne qui rentre dans l’entreprise.

Depuis quand existe-t-il ?

C. K. : Depuis toujours, depuis 1973 (création de Décathlon)

A. R. : Ce programme, que l’on appelle le « stage mag » a un autre intérêt : chez Décathlon on

recrute sur des personnalités plutôt que sur des diplômes, et on fait attention à 3 perceptions :

sens du service, concret, vitalité, et le stage magasin permet d’avoir un retour sur ces 3 aspects.

Nous nous arrangeons pour que cela soit pendant la période d’essai et si possible pendant les 2

premières semaines. En tant que RH, c’est important que les managers aient un retour du

responsable magasin ou du responsable de rayon qui se sont occupés de la personne, mais aussi

que le manager fasse un débriefing avec son collaborateur après son retour du stage magasin.

Les employés de Décathlon sont-ils amenés à faire plusieurs fois ce stage ?

C. K. : On ne le refait pas très souvent. Si je prends mon cas personnel, cela fait 19 ans que je

suis à Décathlon et je ne l’ai fait que 2 fois, à mon entrée et en 2006. Après, étant donné que

nous sommes 70 000 collaborateurs, ce n’est pas toujours facile d’organiser des retours en stage

pour chacun.

A. R. : En revanche, si une personne en exprime le besoin et l’envie, en règle générale le

manager laisse faire, parce que l’on sait que cela apportera une plus-value.

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Groupe 3

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Pensez-vous que les compétences managériales sont améliorées par ce stage, ou est-

ce plutôt une expérience personnelle ?

C. K. : L’objectif n’est pas orienté managériale, mais plutôt découverte du client magasin, du

sens du service, et de la manière dont le collaborateur va s’investir dans ce qu’il fait au service

de l’autre et la passion qu’il va investir dans la mission qu’on lui confie. Ce n’est pas

directement orienté managérial.

Ce serait donc donner un sens au travail que l’on effectue chez Décathlon ?

A. R. : c’est exactement cela.

A titre personnel, qu’avez-vous retiré de vos stages ?

C. K. : C’est un moment où l’on se rend compte qu’un problème informatique ou un problème

dans l’approvisionnement ont des conséquences directes, et nous permettre de donner du sens

sur le travail

A. R. : Je peux vous dire qu’être au rayon habillement un jour de solde… Ce que j’ai beaucoup

apprécié, c’est le contact client, on en a besoin dans le métier de tous les jours, c’est aussi

l’esprit magasin qui est différent de nos bureaux. Je travaille sur un métier qui est sur du long

terme, alors qu’en magasin on doit prendre des décisions à très court terme, il faut être très

réactif. Et je suis d’accord avec Catherine : je sais que depuis un an et demi le responsable

informatique qui s’occupe de tous les processus informatiques passe une matinée par semaine

en magasin en tant que vendeur, ce qui lui permet d’identifier ce qui fonctionne et ne fonctionne

pas, et de faire un retour à ses équipes en indiquant quels sont les domaines à prioriser.

Pensez-vous, en tant que personnes travaillant dans le domaine des nouvelles

technologies et de l’informatique, qu’il soit possible qu’un tel service soit dirigé par une

personne qui ne dispose pas de compétences techniques, et qui ait davantage un profil de

manager pur ?

C. K. : Il y a des exemples qui prouvent que oui. Mais cela est surtout lié à leur expérience,

c’est vrai qu’aujourd’hui faire diriger un service informatique à une personne sortant d’école et

n’ayant aucune connaissance ni expérience est délicat. Aujourd’hui nous avons des personnes

qui viennent du magasin et qui viennent occuper des postes de management au niveau de

l’informatique, mais aussi parce qu’ils sont capables d’apporter ce sens, cette expérience, et

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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d’apporter leur fibre managériale. Cela me paraît compliquer pour une personne qui n’a aucune

compétence et aucune expérience dans le domaine qu’il sert.

A. R. : Et après, à l’intérieur de l’informatique, il y a des domaines qui seront plus difficiles

pour la personne à appréhender. Ce qui est intéressant, c’est que l’on voit chaque année entrer

au service informatique des personnes venant du magasin ou d’autres filières, et inversement,

des personnes informatiques passent dans d’autres services (exemple d’un informaticien

devenant responsable rayon dans un magasin). Donc oui c’est possible, et cela sert d’avoir des

personnes avec ce vécu : on ne va pas les attendre sur le domaine technique, mais plutôt sur les

connaissances business et des besoins des magasins, ce qui est une forte plus-value et qui nous

aide à être plus performant. Nos managers sont très tournés vers le développement humain, et

on se pose souvent la question si à Décathlon un manager ne pourrait pas être manager dans

n’importe quelle filière. Un manager en informatique devrait être capable d’être manager en

conception ou manager en communication ou en magasin. Leur rôle premier est de développer

son équipe et de lui donner sens.

Les meilleurs managers seraient donc ceux capables de passer d’un service à l’autre

assez indifféremment ?

C. K. : Peut-être pas les meilleurs mais certains en sont capables. Chez Décathlon nous sommes

dans une vague de libération, ce qui correspond à une dynamique qui tend à donner le plus

possible de responsabilités aux collaborateurs, pour situer les impacts. On essaye d’éviter au

maximum les décisions hiérarchiques à 4 étages. Nous essayons de descendre cette

responsabilité au collaborateur, et le manager se situe beaucoup plus sur le développement

personnel : accompagner chaque collaborateur, l’aider à accomplir sa mission s’il en a besoin,

l’ouvrir sur d’autres perspectives, aider à imaginer son futur dans l’entreprise, etc. Et de l’aider

à déterminer les bonnes étapes pour réaliser ce qu’il souhaite, mais moins sur un plan

hiérarchique comme on l’entend traditionnellement et qui est souvent attaché au décisionnel

A. R. : Aujourd’hui, les meilleurs managers sont ceux qui accompagnent chaque membre de

leur équipe selon ce dont ils ont besoin, et qui arrivent à donner sens à l’équipe entière. Et cela

ne dépend pas du nombre de filières où l’on a travaillé. Certains managers auront le souci de

rester avec leur équipe longtemps, de l’accompagner sur le long terme, et de la responsabiliser.

Cela me rappelle Liberté et Cie d’Isaac Getz, qui prend l’exemple de plusieurs entreprises

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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comme Google, qui explique comment elles ont mis en place des dispositifs qui

responsabilisent plus le collaborateur et maximisent les performances de l’entreprise.

Avec cette responsabilisation du collaborateur, le manager prend moins part à

l’accomplissement technique.

C. K. : Oui le plan technique est moins fort. Après cela dépend du domaine, de l’expérience du

collaborateur… Un nouveau aura surement besoin d’être coaché de plus près, mais cela peut

être fait par un collaborateur plutôt que par le manager avec un système de parrainage

A. R. : Chez nous on ne fait pas de distinction entre un manager classique et un manager

« technique ». On n’a que des responsables techniques.

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5.3.5. Entretien avec le Commandant Damien Petitjean

Je me présente rapidement. Moi, je suis saint-cyrien, j’ai fait ça depuis 2002 à 2005 ensuite à

la sortie de saint-Cyr, j’ai choisi l’école d’artillerie c'est-à-dire que j’ai bien travaillé sur les

gros canons. On lance un projectile à 40 kilomètres et derrière cela, il y a toute une technique

particulière. Ensuite à l’été 2006, j’ai intégré le 93ème régiment d’artillerie de montagne à

Grenoble où là j’ai fait huit ans. Là-bas, j’ai fait mon temps de lieutenant et de capitaine, j’étais

chef de section de tirs : j’ai commandé une section de 30 personnes à peu près avec quatre

canons. J’ai fait aussi comme métier chef d’équipe d’observation d’artillerie ensuite en tant que

jeune capitaine, j’étais adjoint d’une compagnie. Une compagnie c’est 150 personnes à peu près

et ça regroupe trois ou quatre sections. Ensuite, j’ai commandé une compagnie de combat

pendant deux ans. A l’issue de ces deux années de commandement à l’été 2014 je suis venu ici

à l’école militaire où je forme les officiers de réserve tout particulièrement à tout ce qui est

techniques d’état-major. En ce qui concerne le niveau opérationnel, j’ai eu une première

expérience en tant que jeune lieutenant avec ma section en Martinique pendant quatre mois.

Ensuite je suis parti au Tchad pendant quatre mois en 2008 où nous étions chargés de la

surveillance de la frontière entre le Tchad et le Soudan puisqu’il y avait énormément de réfugiés

qui venaient de Darfour. Ensuite, j’ai une expérience en Afghanistan où là j’étais chef d’équipe

d’observation et là j’ai vraiment fait mon métier d’artilleur. Après je suis parti une quatrième

fois à Djibouti en tant que force prépositionnée pour toute la corne africaine.

Est-ce que vous aviez eu une formation particulière avant d’intégrer les chasseurs

alpins et d’aller en montagne ?

Oui tout à fait. On était formé à l’école militaire de haute montagne à Chamonix qui forment

en permanence des cadres aux techniques de la haute montagne. Donc cela nous donne des

qualifications qui vont nous permettre d’emmener nos soldats dans la haute montagne.

Et combien dure la formation ?

La formation totale est de quatre stages de six semaines : deux stages d’été et deux stages

d’hiver.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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Quand vous étiez chef de section, quid de vos compétences techniques ou de vos

qualités de leadership vous étaient le plus utile ?

J’avais des fonctions en tant que leader d’abord chef de section et puis commandant de

compagnie. Et à mon sens ce dont moi j’ai eu besoin c’est plutôt les compétences managériales

de leadership, c’est-à-dire que c’est ton charisme, ton humanité et ta confiance qui vont te

permettre de mener un groupe. C’est aussi ton esprit de décision, c’est-à-dire que tu pourras

juger, les gens que tu pourras voir quand il y a un dysfonctionnement. C’est cet aspect aussi qui

implique le fait qu’on va entraîner l’ensemble de ses équipes à un projet commun, par exemple

quand je suis parti en Afghanistan, je me suis préparé avec mon équipe pendant six mois. Mais

d’un autre côté il ne faut quand même pas tout baser sur ces compétences de leadership parce

que je pense que les compétences techniques sont importantes aussi parce qu’elle te donne une

crédibilité vis-à-vis de tes subordonnés. En effet, les subordonnées n’attendent pas de toi de

connaître tout sur le bout des doigts, en revanche ils attendent de toi de comprendre leur travail

et que tu puisses réussir à déceler les dysfonctionnements. Dans l’artillerie particulièrement, on

est vraiment une grande chaîne technique c’est-à-dire qu’il y a des observateurs qui vont

désigner des objectifs par la prise des coordonnées qui vont être transmises à un centre

opérationnel d’artillerie qui vérifie à son tour si toutes les sécurités sont optimales puis qui va

descendre ces objectifs à la section de tir, elle va donc régler le canon. Donc il y a une vraie

chaîne technique qui fait que s’il y a un manque de confiance ou un défaut technique,

obligatoirement, le but n’arrivera pas au bon endroit. Donc le chef doit comprendre l’ensemble

de cette chaîne. En revanche il n’est pas obligatoire de rentrer dans tous les détails. Par exemple

notre système maintenant est informatisé, les techniciens sous-officiers connaissent exactement

tout le système car ils sont capables de tout faire à la main. Les officiers sont aussi normalement

capables mais si ce n’est pas le cas ce n’est pas grave tant qu’ils comprennent l’ensemble de la

chaîne globale. Par exemple ils doivent comprendre que là ça ne peut pas marcher parce qu’il

y a un gyroscope qui ne fonctionne pas dans un canon et que à cause de ça, cela ne va pas

marcher au lieu d’arrêter toute la chaîne. La compétence technique intervient là, on ne demande

pas à un chef d’aller remplacer l’un de ses subordonnés mais on lui demande de comprendre le

fonctionnement global pour pouvoir discerner où se trouve le problème et réussir à le faire

résoudre. Je prends aussi exemple de la montagne, en fait les officiers ne sont pas tous qualifiés

en montagne (parfois l’officier n’a pas le temps d’effectuer son stage à Chamonix) donc c’est

des sous-officiers qui, qualifiés, auront la responsabilité technique en haute montagne. Cela

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Groupe 3

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permet donc au subordonné d’avoir une certaine valorisation de son travail et de ses acquis

sans pour autant que cela remette en question l’autorité du chef étant donné qu’il garde le

commandement organique. Ce n’est pas parce que tu n’as pas les compétences techniques que

tu seras décrédibilisé ça permet d’augmenter la confiance des subordonnés en eux-mêmes et en

leurs compétences.

Dans l’armée, comment et sur quels critères sélectionnez-vous vos futurs

commandants. Et ensuite, comment faîtes-vous pour les former au commandement au

niveau technique et au niveau du leadership ?

Ce n’est pas évident, dans le sens où quand tu intègres Saint-Cyr, tu n’as rien fait de ta vie, ce

qui est normal, tu n’as aucune expérience en commandement, tu ne sais même pas si tu as ce

charisme naturel de commander. Mais d’un autre côté, Saint-Cyr te permet de prendre du recul

et d’avoir une expérience parce que tu commences déjà à acquérir quelques compétences

techniques en « faisant tes classes » i.e. comme n’importe quel soldat tu apprends à tirer au

Famas, tu apprends à t’orienter avec une boussole, tu apprends à vivre à la dure sous une tente

ou en mangeant n’importe quoi et en faisant plein de marches. Tout cela t’apprend les bases du

métier du soldat, et fort de ça tu vas pouvoir commencer à réfléchir sur le management ou le

fait d’être chef de ces unités. Donc Saint-Cyr permet de réfléchir sur ce que tu as connu et appris

(…). Cette expérience te permet de créer ton propre « référentiel de chef ». Par exemple, tu

peux te dire : « moi, dans mon style de chef, je vais être plus axé sur cet aspect-là ». Y aura

ceux qui seront plus autoritaires, d’autres qui voudront agir par un charisme humain c'est-à-dire

au lieu de s’imposer par son grade, on va s’imposer soi-même par son charisme. Après, il y a

d’autres éléments qui rentrent dans la création de ton leadership. Je pense qu’au total il y a

quatre éléments : les compétences techniques, la culture professionnelle ou organique, la

culture militaire et la culture générale. Les compétences techniques, c’est dont je vous ai parlé,

ou le boulot particulier par exemple d’artilleur et de montagnard dans mon cas. Après il y a

aussi la culture organique. La culture organique c’est de comprendre comment tu commandes

ta petite cellule dans un environnement général, comment fonctionne les relations avec le

régiment, comment s’inscrire dans un environnement de brigade au niveau de l’armée de terre

en général. Après en ce qui concerne la culture militaire, c’est l’histoire militaire c’est-à-dire

essayer de connaître quelques grands chefs militaires, quelques grandes batailles, avoir une idée

sur l’artillerie avant. C’est aussi réussir à comprendre d’où l’on vient et où l’on se dirige, ce qui

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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va permettre de rentrer dans une perspective de ton projet (…). Cela est important aussi pour

inscrire ton action dans l’histoire et dans le temps et pour faire comprendre ton action à tes

subordonnés pour gagner de la hauteur par rapport à eux. Le dernier point c’est la culture

générale. Je trouve que cela est très important car pour moi, un chef doit réussir à parler de tout

et de n’importe quoi en société ce qui montre vraiment son ouverture d’esprit. Cela lui permet

de tisser des relations avec ses subordonnés car il saura discuter avec eux à propos des sujets

qui les intéressent que ce soit la dernière émission de téléréalité sur M6 où les sujets plus

philosophiques comme l’éthique ou le bien et le mal (…). Par rapport à ce que je viens de dire

sur les « 4 qualités du chef », la compétence technique en fait partie, certes, mais il n’y a pas

que ça.

Est-ce qu’il y a des mutations dans les spécialisations ou les services dans le domaine

militaire ?

Nous on fonctionne par spécialisation. Par exemple, je suis officier, je peux travailler dans tout

ce qui est état-major, je suis aussi artilleur et montagnard. Donc mes mutations vont se jouer

là-dedans, soit dans l’artillerie soit dans l’état-major. Ma mutation pendant 8 ans à Grenoble

était dans l’artillerie, là ma mutation actuelle a été plus du côté de ma spécialité état-major. Il y

a aussi d’autres passerelles dans le militaire, on peut passer par une scolarité dans le civil pour

se spécialiser dans l’armée comme une spécialisation en finance, en communication, en RH, en

enseignement, et tous les domaines scientifiques. Et ça c’est vraiment intéressant parce que ça

permet au leader ou au cadre de se remettre en cause en permanence. Dans mon cas, tu n’es pas

25 ans dans l’artillerie par exemple. Quand je suis arrivé ici, il a fallu que je me forme un peu

en technique d’état-major donc je suis revenu un peu à l’école au niveau de l’armée. Si je pars

dans autre chose il va falloir que je me remette en cause pour pouvoir maîtriser mon nouveau

éventuel domaine.

Quel type de compétences faut-il avoir pour pouvoir rentrer dans l’école de guerre

après une expérience dans l’armée ?

Ce sont plutôt des capacités intellectuelles, pour les écrits il y a une dissertation de culture

générale, une épreuve de synthèse de documents et une épreuve de tactique où là on doit sortir

un ordre d’opération. A l’oral, il s’agit d’une présentation de sujets et d’une conversation qui

la suit. On n’est pas donc dans la compétence de tous les jours où là tu vas pouvoir montrer tes

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

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capacités de management ou tes capacités techniques. En revanche, je sais qu’il y a pas mal

d’études qui sont en train de monter en puissance dans l’armée pour essayer de déceler certaines

compétences de leadership par des tests psychologiques

Une dernière question, quelle était le plus « amusant» à exercer pour vous ? Le

leadership ou bien le côté technique ?

Sans hésitation, c’est le leadership. Même si j’aime beaucoup la technique d’artillerie, je la

trouve d’ailleurs exaltante au niveau intellectuel, ce n’est pas ça ce qui me plaît le plus dans le

métier. C’est plutôt l’humain. Pour moi, le cœur de mon métier c’est de travailler sur et avec le

soldat.

5.3.6. Entretien avec Mme Marion Lagan

Une fois que vous aviez obtenu votre MBA, pourquoi avez-vous décidé de suivre un

CAP coiffure ?

Le CAP je l’ai fait car quand j’ai été embauchée par l’Oréal, c’était plutôt dans la perspective

d’être développeur, donc de développer des produits pour les coiffeurs. Normalement dans ces

cas-là, on commençait par ce qu’on appelle faire sa route, c’est à dire représentant en vente

pendant 6 ou 8 mois, cela dépendait. Mais moi, les choses ont fait que je me trouvais à la zone

Asie à l’époque du tsunami au Japon et comme je parlais japonais, la situation faisait que c’était

plus pratique que je sois là. Je n’ai donc pas fait cette route là et quand il a fallu que je

commence à faire du développement je me suis dit que je n’avais finalement aucune

connaissance des coiffeurs, à part celle de cliente. Je me suis dit pour être un bon développeur,

il faut comprendre le métier. De plus, comme c’est un métier manuel, il me paraissait vraiment

important de comprendre le métier. J’ai donc proposé de passer un CAP coiffure. Je suis

l’exception, d’après ce que j’ai compris, il n’y en a pas eu d’autres après. Ce qui est dommage,

c’est que j’ai passé mon CAP et après je suis partie à l’opérationnel, donc pas du tout au

développement. L’avantage c’est que je comprenais très bien ce dont je parlais, notamment les

pratiques des coiffeurs et même autres que techniques. J’étais par exemple très sensible aux

problématiques de leur métier car j’ai passé trois mois en salon à temps plein en Auvergne, et

j’ai pu voir ce qu’était la vie en commerce. Mais j’étais en rien une experte, après 3 mois,

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

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simplement ça m’a aidé dans cette position de projet innovant tout en restant pratique, par

exemple, mon petit héritage de l’Oréal avant que je le quitte, c’est ce qu’on appelle La Nuit de

la Coiffure, un événement qui existe même en Europe maintenant. Je me rendais compte que

pour les gens, aller chez le coiffeur ce n’est pas un plaisir pour la majorité d’entre eux. Ce n’est

pas un truc très glamour et la compétence du coiffeur n’est pas reconnue contrairement à un

plombier ou à un électricien : on ne reconnaît pas la compétence du coiffeur et le fait que c’est

un vrai métier manuel avec des artisans des artistes, des gens qui ont vraiment du talent et qui

sont des experts. L’idée, c’était de mettre en valeur le métier. Donc, certes, c’était un effet de

com, mais ça marchait, car les coiffeurs étaient très satisfaits, car pendant toute une nuit, de

20h à minuit, cela faisait venir des consommatrices jeunes qui vont peu en salon, mais aussi

pour se faire coiffer. C’est ce que je peux le plus lier entre expertise et leadership, c’est à dire

que le fait de comprendre plus les clients en fait, car c’est vraiment le but , de comprendre les

clients finaux, leur problématique, en tant que cliente finale qu’est-ce que je perçois, en tant

que marketeur, de quoi est ce que j’ai besoin : placer des produits, que le coiffeurs soient

reconnus, que les gens aillent chez les coiffeurs.

Auriez-vous eu cette idée de ce projet de la nuit de la coiffure sans votre formation

CAP ?

Alors, l’idée je pense que je l’aurais eu, parce qu’il y a beaucoup d’événements de marques

qui parlent aux clientes finales, des marques qui font des événements pour les filles dans la

beauté. Moi-même j’y suis sensible, ça m’intéresse, je me renseigne, donc je me serais dit

comment est-ce que l’on fait pour que les filles viennent chez le coiffeur ? Par contre ce que je

n’aurais peut-être pas eu, c’est savoir comment parler au coiffeur.

Vos connaissances techniques vous ont donc permis de légitimer votre projet ?

Oui, je pense en partie, parce-que tout simplement quand on a commencé l’idée, je pouvais

dire : « il nous faut tant de coiffeurs, un coiffeur peut coiffer tant de personnes par heure et ça

veut dire que l’on peut faire tant de clientes, voilà ce qui est faisable. Une cliente voilà ce qui

va l’emmerder, voilà ce qu’elle va demander. » Ca me donne de la légitimité et du poids dans

la manière de gérer le projet.

Séminaire « Leadership et action collective » 2016 Section Echo

Groupe 3

63

Vous travaillez désormais chez Amazon, avez-vous pu voir cette valorisation des

compétences techniques au sein d’une entreprise de logistique et de vente de produit ?

Amazon m’a contacté parce qu’ils avaient du mal à recruter des marketeurs, des gens un peu

senior, ils avaient beaucoup de personnes qui étaient merchandisers, le titre de base, c’est à

dire mettre des produits sur les étagères. Je faisais du marketing chez l’Oréal, or ce que j’ai

appris chez l’Oréal ne m’a absolument pas servi chez Amazon. Ce que j’ai vu en arrivant chez

Amazon c’est qu’il fallait comprendre les outils, de la même manière que quand je travaille

chez l’Oréal, je me dis qu’il faut comprendre les coiffeurs. Là je me dis, c’est le client roi, et

c’est bien là une des lignes directrices d’Amazon ! Pour être légitime en tant que marketeur, il

fallait que je comprenne les bases de données, car la force d’Amazon c’est les bases de données.

Mais, je ne suis pas ingénieur, j’étais professeur de français à la base avant mon MBA, donc

pas grand-chose à voir avec l’univers du code, donc une des premières choses que j’ai faite en

arrivant là-bas c’est me former. J’ai appris le langage Sql pour être capable de tirer moi-même

toutes les données et de monter ce que l’on appelle des docs pour justifier pourquoi je prenais

telle ou telle décision. Bien sûr je n’avais pas rien appris de l’Oréal, j’en avais surtout tiré les

soft-skills en fait, c’est à dire avoir de l’assurance, bien présenter, convaincre, avoir des

compétences interpersonnels qui pouvaient être forte, jouer de la comédie, savoir-faire et faire

savoir surtout. Donc là je n’avais pas le savoir-faire, en tout cas, je ne le considérais pas. Mais

pas contre, j’avais le faire savoir, c’était plutôt ça, mais sans devenir un expert, parce-que

comme j’avais une équipe cela aurait été une perte de temps par rapport à ce que je pouvais

apporter. Ce que je pouvais apporter c’était organiser une équipe, comprendre les besoins,

identifier les problèmes et trouver un moyen de les résoudre ou de savoir qui allait les résoudre.

Car c’est souvent ça, c’est trouver les gens dans mon équipe qui vont mener le projet à bien,

mais moi-même d’avoir une certaine technique pour, surtout au début, avoir une petite

légitimité. Tout est de la data chez Amazon donc si vous ne montrez pas vos chiffres, cela ne

va pas parler, et les gens sont capables de vérifier vos chiffres très rapidement, donc il ne faut

pas dire n’importe quoi.

En montant dans la hiérarchie, on peut se passer de compétences techniques que l’on

pourrait acquérir sur le temps ?

Oui. Je l’espère en tout cas, parce qu’il y a un moment où on ne peut plus, car plus on monte,

plus on a des gens en dessous de soi qui ont des compétences diverses. Par exemple, moi je

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quitte le monde du marketing car je pars diriger une équipe de directeurs de comptes, j’en ai

jamais fait. Donc oui plus on monte, moins on a besoin de compétences techniques – on n’a pas

le temps de toute manière- mais c’est là où on se pose la question si on devrait monter ou pas.

Il y a des personnes qui aiment acquérir des compétences techniques. Moi, j’ai adoré mon CAP

ou apprendre Sql. Je ne me vois pas manager un pays, je préfère aller découvrir d’autres univers.

Par ailleurs, c’est facile de dire ce qu’est un mauvais manager mais un bon manager ça change

tous les jours en fonction des personnes que l’on a en face de soi, c’est donc beaucoup moins

facile à mesurer.

Auriez-vous de l’appréhension à manager une équipe sans avoir les compétences

techniques qui s’y rapportent ?

Manager des gens qui doivent apprendre des compétences techniques ne me pose aucun

problème : j’ai un passé de professeur, donc aider les gens à apprendre, j’ai l’habitude. En

revanche, lorsque je suis arrivée en Marketing à Amazon, j’ai été managée par quelqu’un qui

n’y connaissait rien, et qui le reconnaissait volontiers. Dans l’autre sens cela peut être aussi un

problème, car on n’est pas très challengé quand on a quelqu’un au-dessus qui ne comprend rien

et à qui on peut dire n’importe quoi. Donc il faut aussi apprendre à la personne du dessus, lui

donner la vision, lui donner le degré d’expertise dont elle a besoin pour pouvoir dialoguer.

Un bon manager doit donc savoir apprendre de ses subordonnés ?

A moins que l’on s’appelle Louis XIV ou Poutine, je pense que c’est mieux d’apprendre de ses

subordonnés, en plus « subordonné » est un terme très armée, très Saint-Cyr. Ce sont vos

collèges, ce sont des gens qui, si ça se trouve, dans 3 ans vous manageront. Surtout quand ce

sont des gens qui ont de l’expertise. Moi, dans mon équipe j’avais une femme, une allemande

qui était très forte dans les process donc très carré, très fluide très claire et donc c’est quelqu’un

avec qui j’ai travaillé, pour comprendre ce dont elle avait besoin pour qu’elle grandisse dans

son poste et dans la boîte et pour qu’elle m’apprenne des choses. Si on n’apprend rien des gens

avec qui on travaille cela devient vite un peu triste, un peu solitaire et un peu stérile.

Est-ce que vous pensez que la double formation est une spécificité française,

notamment par rapport au Japon ?

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Le Japon c’est assez particulier. On a moins ce côté je fais mes premières études et tiens je me

spécialise autrement. Il y a beaucoup de personnes qui viennent faire leur master à HEC qui ont

fait autre chose avant C’est assez français, mais honnêtement ça se démocratise de plus en plus

car quand je l’ai passé il y avait seulement 5 % de français et 95% d’Américains. Ce n’était pas

très divers, à part des soldats de métier, pas mal de personnes qui bossaient déjà dans le business

et qui étaient surtout là pour booster leur carrière, revenir en Europe ou tout changer. Il y avait

quelques profils atypiques, comme un photographe. C’était très clairement avant tout pour

approfondir leurs compétences techniques et gagner plus d’argent.

5.3.7. Entretien avec Mme Sylvie Guessab

Madame Guessab, existe-il des directives provenant du Ministère de l’Enseignement

Supérieur et de la Recherche vers les Universités et les Grandes Ecoles définissant un

équilibre entre connaissances techniques et compétences managériales ?

Tout d’abord, le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ne possède pas un

contrôle direct sur les Grandes Ecoles, qui dépendent plutôt des Chambres de Commerce et

d’Industrie. Nous jouons plutôt un rôle d’orientation en essayant d’inciter les Grandes Ecoles à

suivre certaines tendances. Mais pour répondre à votre question, la ligne directrice du ministère

de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est qu’il est indispensable de compléter la

formation technique ou scientifique par l’acquisition de soft skills, que l’on peut assimiler à des

compétences managériales.

S’agit-il d’une tendance nouvelle dans le paysage de l’enseignement supérieur

français due à un changement dans le monde du travail ?

Je ne pense pas. Cette dimension existait déjà dans des écoles d’ingénieur « généralistes »

comme Supélec où j’ai étudié, où il existait déjà cette volonté de donner aux ingénieurs cette

capacité de savoir évoluer dans un travail d’équipe, au sein d’une entreprise, essentiellement en

accordant une part importante aux travaux de groupe.

Pourquoi pensez-vous que la maitrise de ces soft skills est-elle si importante ?

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Je travaille essentiellement avec des écoles d’ingénieur, et c’est un débat que je dois

régulièrement avoir avec des professeurs d’université très pointus dans leur domaine, mais qui

ont perdu cette vision des softs skills. J’ai déjà eu à avoir des débats très disputés à ce propos,

ce n’est pas facile de leur faire entendre qu’apprendre à travailler avec les autres au sein d’une

équipe, à savoir communiquer en respecter les différents codes de politesse, vestimentaire est

d’une importance capitale pour former les cadres de demain. Ce genre de débat ne doit pas

exister dans les écoles de Commerce.

Le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche encourage-t-il la

création de doubles diplômes entre écoles de commerce et écoles d’ingénieur ?

C’est une tendance de ces dix dernières années, où l’on voit la multiplication de partenariats

entre écoles de commerce et écoles d’ingénieur sous la forme de double-diplômes, qui tend

peut-être à se substituer au parcours classique école d’ingénieur – MBA dans une école de

commerce. Comme les Grandes Ecoles ne dépendent pas directement du ministère, ces

programmes ne sont pas créés par nous, mais ce n’est pas quelque chose à laquelle nous nous

opposons. La formation proposée aux étudiants dans ces double-cursus est extrêmement

pertinente face aux défis du monde de l’entreprise. Après, il faut savoir dans quelle mesure la

multiplication de double-diplôme ne s’inscrit pas dans une forme de course poursuite entre les

écoles françaises, ou uniquement pour plus peser dans les classements internationaux.

A titre personnel, qu’est-ce qui vous a le plus apporté : la formation technique ou les

soft skills ?

Il est difficile d’effectuer une hiérarchie entre les deux. La formation technique est le cœur du

métier d’ingénieur, mais ce sont les soft skills, qui correspondent plus ou moins à ce que vous

appelez compétences managériales, qui me servent le plus dans mon métier aujourd’hui, car je

n’exerce pas de métier technique. Après, je ne pense pas qu’être un vrai expert dans son

domaine, où l’on aurait des connaissances extrêmement poussées, soit utile au sein d’une

entreprise si l’on n’est pas capable de travailler en équipe, de collaborer, de déléguer ou de

diriger une équipe.

5.4. Compte Rendu de l’expérience

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Afin de tester notre hypothèse, nous avons proposé un parcours d’escalade horizontal à

différents candidats. Pour cela, nous avons sélectionné un leader pratiquant l’escalade depuis

plusieurs années et un leader charismatique sans expérience dans cette discipline. Les deux

leaders avaient pour mission de faire franchir le parcours à leur équipe, composée de trois

personnes ayant des connaissances limitées en escalade. Ils ne pouvaient pas intervenir

directement et devaient donc apporter une aide à la fois technique et psychologique.

Le but de cette expérience était de comparer l’efficacité des deux leaders ainsi que les

différentes stratégies utilisées. Notre observation s’est donc focalisée sur différents aspects du

leadership. Dans un premier temps, nous avons décidé de chronométrer le parcours afin d’avoir

une donnée objective. Ensuite, nous avons également été attentifs aux conseils dispensés par

les leaders aux protagonistes ainsi que la réaction de ces derniers.

Le premier groupe était encadré par un leader ayant des connaissances en escalade. Il était

composé de deux filles et d’un garçon n’ayant jamais pratiqué cette discipline. D’un point de

vue chronométrique, ce groupe a été plutôt lent, avec un temps de 7 minutes et 45 secondes

pour effectuer les trois passages. Ce résultat est plutôt inattendu, dans la mesure où nous

pensions que l’apport technique du leader permettrait à ses subordonnés de choisir les bonnes

prises et d’avance ainsi plus rapidement. Le leader a pour autant eu un impact positif sur le

groupe : son expérience a rassuré le groupe et a donc permis aux différents protagonistes de se

sentir en sécurité. Les membres du premier groupe sont donc restés proches du sol et ont tous

franchi avec succès le parcours.

Le deuxième groupe était encadré par un leader sans connaissances en escalade et était

composé de deux filles et d’un garçon aux profils assez similaires à ceux du premier groupe.

Ce groupe a été nettement plus rapide que le premier puisqu’il a franchi le parcours avec un

temps de 6 minutes et 53 secondes. Nous avons constaté que le leader laissait une plus grande

marge de manœuvre à ses subordonnés. Cela leur a permis de s’adapter à la piste et de prendre

les prises qui leur convenaient le mieux. En plus des conseils dispensés, il a compensé son

manque de connaissances de la piste par des encouragements qui ont provoqué un effet

d’émulation sur le groupe. Cependant, nous avons constaté que les lacunes techniques du leader

ont conduit les différents membres du groupe à prendre plus de risques et à frôler la hauteur

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légale sans assurance (soit deux mètres). De plus, le premier membre de ce groupe à passer est

tombé à mi-parcours, après avoir choisi une prise de main impossible. Le leader n’a pas perçu

le danger et ne lui a donc pas déconseillé cette prise.

L’expérience a été riche en enseignements pour notre travail. Le leader du premier groupe

a été trop présent auprès de ses subordonnés et ses conseils multiples, bien qu’ils s’avèrent être

juste techniquement parlant, ont ralenti l’équipe. Cela va dans le sens d’une remarque du sous-

lieutenant Puidupin qui, lors du stage à Saint-Cyr, nous avait conseillé d’éviter d’interférer de

façon parasitaire dans le travail de l’équipe. Au contraire, le leader du deuxième groupe a su

rester à l’écoute de ses subordonnés et ne leur a pas imposé un chemin prédéfini, ce qui leur a

permis de prendre d’ingénieuses initiatives. L’apport technique d’un leader peut donc s’avérer

contre-productif dans certaines situations. En effet, le leader du premier groupe a, selon nous,

manqué de recul pour proposer un parcours adapté à chacun de ses subordonnés. Cependant, ce

leader a été plus précautionneux et a su davantage faire preuve d’anticipation que le second.

D’un point de vue psychologique, l’apport de chaque leader a été plus complexe à analyser. Si

le leader du groupe 1 a su imposer une présence rassurante à son groupe afin de faire prendre

confiance aux différents subordonnés, les encouragements du leader du groupe 2 ont été bien

plus stimulants. Le leader du groupe 1 a choisi d’indiquer le passage à mi-parcours et à valoriser

ses subordonnés quand le leader du groupe 2 a décidé de se contenter de les applaudir et de leur

dire qu’ils touchaient au but. Fait marquant, ce dernier a usé d’une technique bien particulière

afin de motiver le second participant : il lui a rappelé qu’au bout de son effort l’attendait une

collation. Ce fait, en apparence insignifiant, nous a interpelés par son efficacité. Son subordonné

a immédiatement accéléré ses mouvements afin de parvenir au bout de la piste

Nous avons tiré les conclusions suivantes de notre expérience. Un leader sans compétences

techniques peut parfaitement combler ses lacunes en accentuant son travail sur la motivation et

en diversifiant ses techniques de management. De plus, la maîtrise de compétences techniques

peut empêcher un leader d’avoir le recul nécessaire par rapport au travail de ses subordonnés.

Ces remarques sont évidemment à nuancer, dans la mesure où les lacunes d’un leader sans

compétences techniques peuvent le conduire à faire de mauvais choix pour son équipe.

5.5. Compte Rendu de l’observation

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M. Badis Khalfallah se trouve sur le campus, et travaille sur son projet parallèlement à ses

études à HEC. On l’a rencontré et on l’a observé avancer sur le projet tout en lui posant quelques

question à chaque fois pour avoir davantage de précisions. Avant même de commencer, M.

Badis a clairement précisé qu’il faut avoir un minimum de connaissances techniques, et

notamment comprendre le jargon du domaine digital. Dans son cas, il doit surtout avoir une

idée de ce qu’est un bon logiciel ainsi qu’une idée sur le produit fini.

M. Badis esquisse les grandes lignes du projet. A chaque étape le travail se déroule de la

manière suivante : prenons par exemple l’interface de la plateforme. Il commence par réaliser

un wireframe qui est « un schéma utilisé lors de la conception d'une interface pour définir les

zones et composants qu'elle doit contenir ». Cette tâche nécessité ainsi quelques connaissances

techniques élémentaire en design. M. Badis communique ensuite ce wireframe avec une fiche

technique (spec. sheet ou liste de spécifications) au développeur qui doit trouver les moyens

de traduire cette idée et cette conception en objet digital. Tous les deux se mettent d’accord sur

le travail attendu et négocient le résultat en fonction des capacités du développeur avant de fixer

un timeline et un devis. Cependant, le développeur n’est toujours pas capable de réaliser

l’intégralité du travail demandé (« c’est impossible à faire » est une réponse que M. Badis

entend assez souvent), c’est pourquoi notre manager a partagé le projet en 3 parties avec 3

développeurs (deux en Tunisie et un au Pakistan) qui ont des qualités différentes et

complémentaires. Deux développeurs sont spécialistes du back-end (algorithme, base de

données, codage, …) et un développeur est spécialiste en front-end (interfaces..). Ainsi, à partir

de son idée initiale, M. Badis saura partager les tâches demandées entre ses développeurs en

fonction de leurs qualités. Il arrive des fois où le développeur se trouve face à une impasse,

donc c’est à notre manager de trouver des solutions et de proposer des alternatives. Ainsi une

compréhension minimale de tout ce travail informatique et digital est nécessaire pour M. Badis

pour qu’il puisse avoir une vision claire du projet et pour communiquer avec ses développeurs.

Cependant il n’a pas besoin de maîtriser le codage ou les bases de données ni d’être un expert

en design. Tout au long de la période de la réalisation du projet, ce sont surtout ses qualités

managériales (vision à long terme, conception d’idées, étude de marché, pricing,

compréhension des attentes de clients, marketing...) qui prévalent.

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Le projet maintenant est en phase de lancement. La prochaine étape serait de créer une

équipe d’ingénieurs en full-time qui travaillent sur le produit et sur les logiciels internes

accompagnée d’un UX designer (user experience designer). A cette étape-là, le logiciel va très

vite être compliqué pour M. Badis, c’est pour cela qu’il compte trouver un CTO (chief technical

officer) qui sera associé et qui aura des parts dans la société. Ce dernier, étant un véritable

expert qui dispose de capacités techniques pointues, serait l’intermédiaire entre M. Badis et

l’équipe d’ingénieurs, une sorte de filtre d’informations, un traducteur qui reçoit les idées du

manager et les transmet en langage technique pointu aux développeurs. Cela permettra à M.

Badis de s’occuper mieux de ce qu’il maîtrise le plus, le côté managérial (stratégie, relations,

marketing…). C’est une sorte de Duo à la Jobs-Wozniak. Cela ne remet pas en question le

leadership du manager, mais lui permet plutôt d’optimiser le fonctionnement de la société sans

avoir besoin d’acquérir d’importantes connaissances techniques.

5.6. Résultat du sondage Nous avons obtenu finalement 523 réponses pour notre sondage. Les réponses se

répartissent de la manière suivante :

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