13 balles dans la peau

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Vous avez 13 balles et autant de secondes pour exploser le coeur de ces vampires... ou vous êtes mort ! Le carnage commence !

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David Wellington a grandi en Pennsylvanie. Par la suite, il a vécu à Syracuse, à Denver et à New York, où il réside toujours en compagnie de sa femme Elisabeth.En 2004, il a écrit un roman de zombies intitulé Monster Island et l’a publié sur le blog d’un ami en postant, trois fois par semaine, de courts chapitres. La série, devenue culte, a été publiée en 2006. 13 balles est son nouveau grand succès.

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www.milady.fr

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David Wellington

V a m p i r e S t o r y - 1

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Aude Matignon

Milady

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Titre original : 13 Bullets, A Vampire TaleCopyright © 2007 by David Wellington

© Bragelonne 2009, pour la présente traduction

Illustration de couverture :© Kyle Kolker

Design intérieur :d’après la mise en page originale de Barbara Sturman

ISBN : 978-2-8112-0120-3

Bragelonne – Milady35, rue de la Bienfaisance – 75008 Paris

E-mail : [email protected] Internet : http://www.milady.fr

Milady est un label des éditions Bragelonne

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Pour ma sœur Melissa, qui est plus forte qu’elle croit. J’en sais quelque chose pour m’être réfugié

plus d’une fois contre son épaule.

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Remerciements

J’ai reçu le soutien de nombreuses personnes, aussi bien en phase de préparation que d’écriture. Je tiens à remercier tous mes lecteurs-internautes. Chaque fois que j’essaie de les citer, je finis par oublier des personnes qui méritent d’être mentionnées. Je vais donc m’abstenir. Je suis sûr que vous vous reconnaîtrez. Sans vos commentaires et votre soutien, ce livre n’aurait pas vu le jour.Je souhaite remercier tout particulièrement Alex Lencicki, un ami formidable qui s’est révélé être un partenaire de travail fabuleux. Alex a donné à ce livre sa première vie. Il y a cru dès le début.Jason Pinter, mon éditeur, mérite bien sûr toute ma gra-titude puisqu’il a contribué à épurer le manuscrit et à rendre l’histoire plus forte. Carrie Thornton m’a encouragé à écrire avant même que j’ai eu quoi que ce soit de consistant à montrer. Je la remercie de son soutien infaillible.Enfin, je tiens à remercier ma femme, Elisabeth. Alors que je me démenais pour savoir comment allait s’achever l’histoire, elle m’a fait cette suggestion : « Et le gobelin mangea le vampire. Fin. »

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Premiere Partie

Que sifflent les balles ! Si loin,

si proches,

J’ai déjà échappé à de plus sanglantes

anicroches.

— George Gordon, Lord Byron, Le Giaour

Lares

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1.

rapport d’événement, enregistré par

l’agent spécial Jameson arkeley, 10/04/83

(enregistrement audio sur cassette magnétique)

O n n’y voyait pas grand-chose à travers la pluie. Le diner 1 de nuit était situé au coin de deux grandes rues.

Ses baies vitrées dispensaient une faible lueur sur le trottoir. J’ai tendu les jumelles à Webster, mon partenaire.

— Tu le vois ? ai-je demandé.Le sujet en question, un certain Piter Byron Lares

(probablement un pseudonyme) était affalé au comptoir du diner et en pleine conversation avec une serveuse d’âge moyen. Il devait être grand mais, avachi comme ça, il n’avait pas l’air tellement imposant. Son visage était très pâle et ses épais cheveux noirs se dressaient en une touffe sauvage de boucles crépues. Il flottait dans un gigantesque sweat. Je me suis dit que c’était un autre moyen de dissimuler sa taille. Il portait d’épaisses lunettes à montures en écaille de tortue.

— Je ne sais pas ce qu’ils vous apprennent à l’école chez les fédéraux, Arkeley, mais je n’ai jamais entendu dire qu’ils avaient besoin de lunettes, a dit Webster en me rendant les jumelles.

1. Restaurant populaire ouvert tard dans la nuit. (NdT)

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— La ferme.La semaine d’avant, j’avais trouvé six filles mortes dans

une cave à Liverpool, Virginie-Occidentale. Elles s’étaient fait une soirée pyjama. On les avait mises en pièces. Si nombreuses qu’il avait fallu trois assistants de laboratoire, travaillant jour et nuit dans le gymnase scolaire qu’on avait réquisitionné, seulement pour déterminer le nombre de corps. Je n’étais pas de bonne humeur. J’avais battu comme plâtre un des sous-fifres du salopard, à mains nues, simplement pour savoir quel était son pseudonyme. Je n’allais pas m’arrêter maintenant.

Lares s’est levé mais il a gardé la tête penchée en avant. Il a sorti un portefeuille en cuir de sa poche et a commencé à compter des petites coupures. Soudain, il a eu l’air de penser à quelque chose, il a levé la tête et regardé les alentours du diner. Il s’est redressé de toute sa taille et s’est mis à observer la rue.

— Est-ce qu’il nous a repérés ? demanda Webster. Avec le temps qu’il fait ?

— Je ne suis pas sûr, ai-je répondu.À peu près cinq litres de sang rouge vif ont giclé par la

devanture du diner. Je ne voyais plus rien à l’intérieur.— Merde ! ai-je crié.Je me suis précipité hors de la voiture et j’ai traversé la

rue. La pluie m’a trempé instantanément. J’ai fait irruption dans le diner, mon insigne étoilé brillant à ma veste, mais Lares était déjà parti et il n’y avait plus âme qui vive à impressionner. La serveuse gisait sur le sol, la tête presque arrachée du corps. On lit beaucoup de choses à leur sujet. On s’attend que les morsures de vampire seront de délicates petites choses, au pire deux petits bobos. Lares avait bouffé presque la moitié du cou de la femme. Sa jugulaire s’agitait comme l’embout d’une baudruche en train de se dégonfler.

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Le sang avait aspergé le comptoir et giclé au plafond. J’ai dégainé mon revolver de service et enjambé le corps. Il y avait une porte à l’arrière. J’ai dû refréner mon envie de m’y ruer. Si jamais il était derrière et que je lui tombais dessus dans l’obscurité, à côté des toilettes pour hommes, je ne survivrais pas à ma curiosité. J’ai reculé vers la sortie, sous la pluie. Webster avait démarré la voiture. Il s’était occupé d’alerter les flics locaux. Un hélicoptère est descendu en piqué presque sur nos têtes, dans un raffut qui a dû faire l’objet de plaintes le lendemain. Les spots de l’hélico ont criblé l’obscurité de trous de lumière tout autour du diner. Ils ont fouillé le fast-food de fond en comble. Webster nous a conduits dans la ruelle sur laquelle donnait l’arrière-boutique. J’ai scruté les bennes à ordures et les déchets éparpillés. Tout était calme. On avait une quantité de renforts en train de surveiller l’entrée du restaurant. On avait des types lourdement armés prêts à intervenir. L’hélicoptère pouvait rester là toute la nuit si on en avait besoin. J’ai essayé de me détendre.

— Les SWAT entrent en action, m’a dit Webster en raccrochant son combiné.

Dans la ruelle, la benne à ordures s’est décalée de quelques centimètres. Comme s’il y avait un clochard à l’intérieur, et qu’il venait de se retourner dans son sommeil. Pendant une seconde, on est restés tous les deux pétrifiés. Assez longtemps pour être sûrs d’avoir bien vu la même chose. J’ai sorti mon arme et je l’ai vérifiée. Je l’avais chargée avec des balles chemisées à tête creuse pour garantir le maximum de dégâts sur le tissu musculaire et j’avais moi-même réglé la visée du revolver. Si j’avais pu faire bénir mon arme par un prêtre, je l’aurais fait. Pas question que ce psychopathe en réchappe cette nuit.

— Agent spécial Arkeley ! Peut-être devrions-nous nous replier et laisser les SWAT s’arranger avec lui, m’a dit Webster.

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Il utilisait mon titre officiel : il voulait que le rapport notifie qu’il avait fait son possible pour éviter une inter-vention violente. Il se couvrait. On savait tous les deux qu’il n’y avait aucune chance pour que Lares se rende tranquillement.

— Ouais. Tu as probablement raison, ai-je dit, les nerfs en boule. Ouais.

J’ai relâché prise autour de mon flingue et balancé un violent coup de pied au plancher.

La benne à ordures a éclaté en morceaux et une masse blanche indistincte s’est projetée à travers la ruelle. Elle a percuté notre voiture avec une telle force qu’on s’est retrouvés sur les deux roues arrière. Ma portière était enfoncée. Elle plaquait mon bras contre mon corps, piégeant mon arme. Webster a réussi à attraper son revolver pendant que la voiture retombait sur le sol, nous projetant tous les deux dans les sangles de nos ceintures de sécurité. Ça m’a coupé le souffle.

Webster s’est mis en travers de moi pour tirer. Trois fois. Mon visage et mes mains brûlaient à cause de la poudre. Je ne sentais plus que l’odeur de la cordite et rien d’autre. Je suis resté sourd pendant une bonne demi-minute. Ma vitre a explosé vers l’extérieur, mais quelques cubes de verre ont dansé et tournoyé sur mes genoux.

J’ai tourné la tête sur le côté. Je me sentais comme dans une bulle de verre : je voyais tout normalement mais je ne pouvais presque pas bouger. Dans l’encadrement parfait de la vitre de sécurité brisée, Lares souriait. Son visage était à moitié arraché. La pluie lavait le sang qui coulait de sa bouche mais ça ne lui donnait pas meilleure mine. Ses lunettes étaient foutues, la monture en écaille tordue et les verres étoilés. Au moins une des balles de Webster avait transpercé l’œil droit de Lares. La gélatine blanche,

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à l’intérieur, avait giclé, et on pouvait voir l’os de l’orbite rougi par le sang. Les deux autres balles avaient atteint l’aile du nez et la joue droite. Les blessures étaient horribles, sanglantes et mortelles. Aucun doute.

Je les regardais se refermer à vue d’œil. Comme lorsqu’on roule sur ces poubelles incassables et qu’elles reprennent, lentement mais sûrement, leur forme d’origine. En quelques secondes. Une bouffée de fumée blanche s’est formée dans l’orbite vide de Lares, s’est solidifiée et s’est gonflée pour former un œil tout neuf. La blessure, à son nez, s’est progressivement évanouie et celle à la joue aurait tout aussi bien pu n’être qu’un effet d’optique. Comme une ombre, elle a tout simplement disparu.

Une fois propre et en un seul morceau, il a lentement ôté ses lunettes cassées et les a jetées par-dessus son épaule. Ensuite, il a ouvert la bouche et a souri à pleines dents. Elles étaient toutes en pointe. Ce n’était pas du tout comme dans les films. Ça ressemblait plutôt à la gueule d’un requin, avec plusieurs rangées successives de petits couteaux enfoncés dans les gencives. Il nous a laissé le temps de bien regarder sa bouche avant de sauter par-dessus la voiture. J’ai à peine entendu ses pieds percuter le toit qu’il était déjà de l’autre côté. Il a atterri et s’est mis à courir, à courir vers Liberty Avenue.

L’équipe des SWAT est arrivée avant lui au coin de la rue. Quatre agents ont débarqué d’un fourgon blindé, armés de MP5. Ils portaient des casques intégraux et une armure d’assaut, mais ce n’était pas une affaire comme les autres. Leur officier en charge avait insisté pour que je les laisse modifier leur équipement. « On sait tous dans quoi on s’embarque, m’avait-il dit. On a tous vu plein de films. »

Alors les types du SWAT s’étaient collé des crucifix sur tout le corps. Tout ce qu’ils avaient pu trouver, depuis

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les grosses croix catholiques en bois auxquelles sont cloués de gigantesques Jésus jusqu’aux petites croix de bazar en nickel plaqué qu’on trouve sur les bracelets porte-bonheur des gamins. Je parie qu’ils devaient se sentir pas mal protégés avec toute cette quincaillerie. Lares a éclaté d’un rire bruyant et déchiré son sweat. En dessous, son tronc n’était qu’une masse grouillante de muscles. Peau blanche, imberbe, lisse, plissée autour de vertèbres dont les bosses émergeaient à peine. Il avait l’air beaucoup moins humain sans son sweat. Il avait plutôt l’air d’une espèce d’ours albinos. Un animal sauvage. Un tueur d’hommes.

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2.

rapport d’événement, enregistré par l’agent

spécial Jameson arkeley, 10/04/83 (suite)

- P as un geste ! a crié l’un des SWAT couverts de croix. Les trois autres ont mis un genou à terre et

épaulé leur MP5.Lares a basculé son buste vers l’avant et brandi ses deux

bras en l’air comme pour intimider les SWAT, les attraper à distance. C’était un geste agressif. Intentionnellement agressif. Les SWAT ont fait ce pour quoi ils étaient entraînés. Ils ont ouvert le feu. Leurs armes ont craché leurs décharges et les détonations ont déchiré l’obscurité, manquant de peu notre voiture banalisée. Webster a brusquement ouvert sa porte. Il est sorti en piétinant une large flaque. J’étais juste derrière lui. Si on parvenait à prendre ce salaud entre deux feux, on arriverait peut-être à le blesser plus vite qu’il guérissait.

— Le cœur ! ai-je hurlé. Vous devez détruire son cœur !Les SWAT étaient des professionnels. Ils ont touché leur

cible bien plus souvent qu’ils l’ont manquée. Le corps de Lares tournoyait sous la pluie. L’hélicoptère s’est positionné au-dessus en grondant et a braqué ses spots sur lui, pour qu’on puisse mieux voir sur quoi on tirait. Je lui ai tiré trois salves dans le dos, l’une après l’autre. Webster a vidé son chargeur.

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Lares s’est écroulé comme un arbre abattu, en plein dans le caniveau. Il a mis les mains en avant pour essayer d’amortir sa chute, mais elles ont glissé. Il était allongé là, immobile, sans même respirer, les mains crispées sur les petites feuilles de robinier jaunes qui obstruaient la bouche d’égout.

Les SWAT ont échangé des signes. L’un d’eux s’est avancé en pointant son arme sur la nuque de Lares, prêt à tirer dans la colonne vertébrale, le coup fatal habituel. Il visait le mauvais endroit, mais je me suis dit qu’à ce stade, ce n’était pas si grave. Il n’y avait aucune trace d’impact sur Lares (elles devaient avoir guéri instantanément) mais il ne bougeait pas. Le SWAT s’est approché et a donné un coup de pied à l’une des jambes hypertrophiées de muscles.

Lares a basculé sur le côté sans crier gare, avec une rapidité dont aucun être humain ne serait capable. Il a pris appui sur son genou et a attrapé le bras du SWAT pour se relever. Ça ne lui a pas posé le moindre problème de toucher toutes ces croix. C’est seulement à ce moment-là que le SWAT a commencé à réagir. Il a redressé son MP5 et s’est mis en position de tir. Lares a attrapé son casque à deux mains et l’a arraché en le faisant pivoter. La tête du policier est venue avec.

Pendant une seconde, le SWAT décapité est resté là, en parfaite position de tir. Le sang jaillissait de son cou béant comme une fontaine. Lares s’est approché et s’est mis à laper le sang. Il s’en mettait partout, sur le visage, sur la poitrine. Il se moquait de nous. Il se moquait sacrément de nous.

Le chef des SWAT s’est mis à hurler dans son talkie-walkie :

— Un homme à terre ! Un homme à terre !Mais Lares s’était déjà relevé pour venir le chercher. Il

s’est frayé un chemin à travers les SWAT rescapés en deux

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temps trois mouvements, déchirant leurs armures avec ses doigts, dévorant le cou de leur chef. Ses dents de requin ont traversé le col renforcé du chef des SWAT et broyé sa croix en bois. Bon à savoir : le truc des croix n’est qu’un mythe.

Les SWAT mouraient l’un après l’autre et je ne pouvais rien faire d’autre que regarder. Je ne pouvais rien faire d’autre. J’ai redressé mon arme au moment où Lares se retournait pour nous sauter dessus. J’aurais bien voulu tirer, mais j’avais peur de toucher Webster. Lares était aussi rapide que ça : il avait déjà plongé pour saisir Webster à la taille. Mon partenaire était toujours en train de recharger son arme.

Lares a arraché la jambe de Webster au niveau de la cuisse. Avec ses dents. Il y avait du sang partout et Lares en a bu autant qu’il pouvait s’en faire descendre dans la gorge. Webster est resté sans voix pendant une ou deux longues et terribles secondes. Il a eu le temps de me regarder. Son visage ne laissait rien paraître d’autre que la surprise.

Une fois son repas terminé, Lares s’est redressé et m’a souri. Son corps à moitié nu était couvert de sang. Ses yeux étaient injectés de veinules et ses joues roses luisaient de bonne santé. Il s’est approché de moi. Il faisait bien deux mètres et me dominait complètement. Il s’est penché et a posé ses mains sur mes épaules. Ses yeux étaient rivés aux miens et j’étais incapable de détourner mon regard. La main qui tenait mon arme était sans force et pendait, inerte, le long de mon corps. Je ne sais pas comment il s’y est pris mais il m’a rendu faible, mou. J’avais le cerveau qui démangeait. Il m’hypnotisait ou un truc du genre, je ne sais pas. Il pouvait me tuer à n’importe quel moment. Pourquoi perdait-il son temps avec mon cerveau ?

Au-dessus de nos têtes, les pales agressives de l’héli-coptère déchiraient le ciel. Le spot éclairait le dos de Lares par le haut et nimbait ses cheveux. Ses yeux se sont rétrécis

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comme si la lumière lui faisait un peu mal. Il m’a attrapé par la taille, m’a soulevé et m’a balancé par-dessus son épaule. Je pouvais à peine bouger. J’ai essayé de donner des coups de pied, de frapper, de lutter mais Lares m’a juste serré un peu plus fort et j’ai senti que mes côtes cédaient en crépitant comme un chapelet de pétards. Après ça, c’est à peine si je pouvais respirer.

Il ne m’a pas tué. Il avait assez de force dans les bras pour le faire facilement, il n’avait qu’à me serrer jusqu’à ce que je vomisse mes entrailles. Et pourtant, il m’a gardé en vie. Comme otage, j’imagine.

Il s’est mis à courir. Mon corps battait et rebondissait contre son épaule. Je pouvais seulement voir ce qu’il y avait derrière nous. Il courait en direction du quartier chaud, vers la rivière. Quand j’avais planifié l’arrestation, j’avais convaincu les autorités de Pittsburgh d’isoler une bonne partie de la ville, pour que les rues soient vides. Je voulais que l’environnement soit sécurisé au moment de conclure l’échauffourée. Lares avait dû sentir qu’un calme inhabituel régnait dans les rues. Comme un fait exprès, il est sorti du périmètre de confinement et on s’est retrouvés en plein trafic. Les voitures slalomaient autour de nous en soulevant devant leurs phares la vapeur qui émanait de l’épais rideau de pluie, comme l’haleine de buffles furieux. Les Klaxon résonnaient, stridents, tout autour de nous. Et j’ai paniqué. Et j’ai appelé Dieu à l’aide : si l’une de ces voitures nous avait percutés, elle n’aurait sans doute fait aucun mal à Lares mais moi, j’aurais sûrement été écrasé, mis en pièces, empalé.

Je ne voyais presque plus rien à cause de la douleur, de l’eau dans mes yeux et de la lumière horripilante des phares. Je me suis à peine rendu compte que Lares venait de s’engager sur Situent Street Bridge. Je sentais que l’hélicoptère me

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survolait, me suivait. Ses pales battaient dans le noir. J’ai senti Lares plier et fléchir ses jambes et ensuite… Chute libre. Ce salaud avait sauté du pont.

On a heurté si brutalement les eaux glaciales de l’Allegheny que j’ai dû me casser une demi-douzaine d’os. L’eau a déferlé sur moi. C’était comme si on transperçait mon corps de stalactites. Mon cœur s’est mis à tanguer dans ma poitrine et tout mon système circulatoire s’est grippé. Lares m’a tiré vers le fond, vers le fond obscur. Je pouvais à peine voir son visage blanc, si blanc dans le cadre noir de ses cheveux qui flottaient comme des algues mortes. L’air s’échappait de mes poumons et je commençais à avaler de l’eau.

On n’est sans doute pas restés sous l’eau plus de quelques secondes. Je n’aurais pas pu survivre plus longtemps. Et pourtant, je me souviens de ses jambes qui donnaient des coups secs dans l’eau. Je me souviens de l’hélicoptère qui descendait vers nous, de biais, et nous cherchait ici, là, trop loin. Et puis plus rien. L’air m’a fouetté le visage comme un masque de glace qu’on m’aurait cloué sur le crâne. Mais au moins, je pouvais respirer. J’ai aspiré à pleins poumons l’air froid, si froid, jusqu’à ce que mon corps se mette à brûler. Lares m’a tiré sur le plat-bord en fibre de verre d’un bateau. Bateau qui tanguait et balançait de façon alarmante sous nos deux poids combinés. Ensuite, il m’a traîné sous le pont. J’étais à moitié mort.