1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein...

10
1,00 € Numéros précédents 2,00 € L’O S S E RVATORE ROMANO EDITION HEBDOMADAIRE Unicuique suum EN LANGUE FRANÇAISE Non praevalebunt LXXI e année, numéro 35 (3.647) Cité du Vatican mardi 1 er septembre 2020 Ecouter et réparer la Terre Message pour la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création pages 6 et 7 DANS CE NUMÉRO Page 2: Audience générale du 26 août. Page 3: Angelus du 30 août. Le cardinal Poupard a fêté ses 90 ans. Page 4: Entretien avec l’aumônier de la prison de Rebibbia à Rome par Mauro Leo- nardi. Page 5: Le récit: Le courage de dénicher le bien, par Carola Susani. Pages 8 et 9: La Terre Sainte en temps de pandémie, par Filippo Mor- lacchi. Page 10: A quarante-deux ans de l’élection de Jean-Paul I er , par Andrea Tornielli. Page 11: Le Soudan du Sud et Mgr Cesare Mazzolari, par Giulio Albanese. Page 12: Document du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et du WCC sur la solidarité entre les religions. La bi- bliothécaire de Bagdad, par Elisa Pinna.

Transcript of 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein...

Page 1: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

1,00 € Numéros précédents 2,00 €

L’O S S E RVATOR E ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suum

EN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

LXXIe année, numéro 35 (3.647) Cité du Vatican mardi 1er septembre 2020

Ecouter et réparer la Terre

Message pour la Journée mondiale de prièrepour la sauvegarde de la création

pages 6 et 7

DANS CE NUMÉROPage 2: Audience générale du 26 août. Page 3:Angelus du 30 août. Le cardinal Poupard a fêtéses 90 ans. Page 4: Entretien avec l’aumônier dela prison de Rebibbia à Rome par Mauro Leo-nardi. Page 5: Le récit: Le courage de dénicher lebien, par Carola Susani. Pages 8 et 9: La TerreSainte en temps de pandémie, par Filippo Mor-lacchi. Page 10: A quarante-deux ans de l’électionde Jean-Paul Ie r, par Andrea Tornielli. Page 11: LeSoudan du Sud et Mgr Cesare Mazzolari, parGiulio Albanese. Page 12: Document du Conseilpontifical pour le dialogue interreligieux et duWCC sur la solidarité entre les religions. La bi-bliothécaire de Bagdad, par Elisa Pinna.

Page 2: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

page 2 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 1er septembre 2020, numéro 35

Audience générale du 26 août

Les inégalités et la dégradation de l’e n v i ro n n e m e n tsont le fruit d’une économie malade

Chers frères et sœurs, bonjour!Face à la pandémie et à ses conséquences sociales,de nombreuses personnes risquent de perdre l’es-pérance. En ce temps d’incertitude et d’angoisse,j’invite chacun à accueillir le don de l’e s p é ra n c equi vient du Christ. C’est Lui qui nous aide à na-viguer dans les eaux tumultueuses de la maladie,de la mort et de l’injustice, qui n’ont pas le der-nier mot sur notre destination finale.

La pandémie a souligné et aggravé les pro-blèmes sociaux, en particulier l’inégalité. Certainspeuvent travailler à la maison, tandis que pour denombreux autres, cela est impossible. Certains en-fants, en dépit des difficultés, peuvent continuer àrecevoir une éducation scolaire, tandis que pourde très nombreux autres, celle-ci s’est brusque-ment interrompue. Certains pays puissants peu-vent émettre de la monnaie pour affronter l’ur-gence, tandis que pour d’autres, cela signifieraithypothéquer leur avenir.

Ces symptômes d’inégalité révèlent une maladiesociale; c’est un virus qui vient d’une économiemalade. Nous devons le dire simplement: l’écono-mie est malade. Elle est tombée malade. C’est lefruit d’une croissance économique inique — voilàla maladie: le fruit d’une croissance économiqueinique — qui ne tient pas compte des valeurs hu-maines fondamentales. Dans le monde d’au-j o u rd ’hui, quelques personnes très riches possè-dent plus que tout le reste de l’humanité. Je répè-te cela parce que cela nous fera réfléchir: quelquespersonnes très riches, un petit groupe, possèdentplus que tout le reste de l’humanité. C’est unepure statistique. C’est une injustice qui crie auciel! Dans le même temps, ce modèle économiqueest indifférent aux dommages infligés à la maisoncommune. On ne prend pas soin de la maisoncommune. Nous allons bientôt dépasser un grandnombre des limites de notre merveilleuse planète,avec des conséquences graves et irréversibles: dela perte de biodiversité et du changement clima-tique à l’élévation du niveau des mers et à la des-truction des forêts tropicales. L’inégalité sociale etla dégradation de l’environnement vont de pair etont la même racine (cf. Enc. Laudato si’, n. 101):celle du péché de vouloir posséder, de vouloir do-miner ses frères et sœurs, de vouloir posséder etdominer la nature et même Dieu. Mais cela n’estpas le dessein de la création.

«Au commencement, Dieu a confié la terre etses ressources à la gérance commune de l’humani-té» (Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2402).Dieu nous a demandé de dominer la terre en sonnom (cf. Gn 1, 28), en la cultivant et en en pre-nant soin comme un jardin, le jardin de tous (cf.Gn 2, 15). «Alors que “cultiver” signifie labourer,[…] ou travailler, “g a rd e r ” signifie protéger, [et]sauvegarder» (LS, n. 67). Mais attention à ne pasinterpréter cela comme une carte blanche pourfaire de la terre ce que l’on veut. Non. Il existe«une relation de réciprocité responsable» (ibid.)

que ses fruits arrivent à tous, et pas seulement àquelques-uns. Et cela est un élément-clé de notrerelation avec les biens terrestres. Comme le rappe-laient les pères du Concile Vatican II, «l’homme,dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir leschoses qu’il possède légitimement comme n’ap-partenant qu’à lui, mais les regarder aussi commecommunes: en ce sens qu’elles puissent profiternon seulement à lui, mais aussi aux autres»(Const. past. Gaudium et spes, n. 69). En effet, «lapropriété d’un bien fait de son détenteur un ad-ministrateur de la Providence pour le faire fructi-fier et en communiquer les bienfaits à autrui»(CEC, n. 2404). Nous sommes administrateursdes biens, pas les propriétaires. Administrateurs.«Oui, mais ce bien est à moi». C’est vrai, il est àtoi, mais pour l’administrer, par pour le garder defaçon égoïste pour toi.

Pour assurer que ce que nous possédons appor-te de la valeur à la communauté, «l’autorité poli-tique a le droit et le devoir de régler, en fonctiondu bien commun, l’exercice légitime du droit depropriété» (ibid., n. 2406) (Cf. GS, n. 71; SaintJean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis, n. 42;Lett. enc. Centesimus annus, nn. 40.48). La «su-bordination de la propriété privée à la destinationuniverselle des biens […] est une “règle d’or” ducomportement social, et le premier principe detout l’ordre éthico-social » (LS, n. 93) (Cf. SaintJean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens, n. 19).

Les propriétés, l’argent sont des instrumentsqui peuvent servir à la mission. Mais nous lestransformons facilement en fins, individuelles oucollectives. Et lorsque cela a lieu, on porte attein-te aux valeurs humaines essentielles. L’homo sa-piens se déforme et devient une espèce d’homoœconomicus — dans le mauvais sens du terme — in-dividualiste, calculateur et dominateur. Nous ou-blions que, étant créés à l’image et ressemblancede Dieu, nous sommes des êtres sociaux, créatifset solidaires, avec une immense capacité à aimer.Nous oublions souvent cela. De fait, nous som-

mique et technologique est telle qu’elle déchire letissu social; et quand la dépendance vis-à-vis d’unprogrès matériel illimité menace la maison com-mune, alors nous ne pouvons pas rester impassi-bles. Non, cela est désolant. Nous ne pouvonspas rester impassibles! Avec le regard fixé sur Jé-sus(cf. He 12, 2) et la certitude que son amour œu v reà travers la communauté de ses disciples, nous de-vons agir tous ensemble, dans l’espérance de don-ner naissance à quelque chose de différent et demeilleur. L’espérance chrétienne, enracinée enDieu, est notre ancre. Elle soutient la volonté departager, en renforçant notre mission en tant quedisciples du Christ, qui a tout partagé avec nous.

Et cela, les premières communautés chrétien-nes, qui comme nous, vécurent des temps diffici-les, l’ont compris. Conscientes de former un seulcœur et une seule âme, elles mettaient tous leursbiens en commun, en témoignant de la grâceabondante du Christ sur elles (cf. Ac 4, 32-35).Nous vivons actuellement une crise. La pandémienous a tous plongés dans une crise. Mais rappe-lez-vous: on ne peut pas sortir pareils d’une crise,ou bien l’on sort meilleurs, ou bien l’on sort pires.C’est l’option qui se présente à nous. Après la cri-se, est-ce que nous continuerons avec ce systèmeéconomique d’injustice sociale et de mépris pourla sauvegarde de l’environnement, de la création,de la maison commune? Réfléchissons-y. Puissentles communautés chrétiennes du vingt-et-unièmesiècle retrouver cette réalité — la sauvegarde de lacréation et la justice sociale: elles vont de pair —en témoignant ainsi de la Résurrection du Sei-gneur. Si nous prenons soin des biens que leCréateur nous donne, si nous mettons en com-mun ce que nous possédons de façon à ce quepersonne ne manque de rien, alors nous pourronsvéritablement inspirer l’espérance pour faire renaî-tre un monde plus sain et plus équitable.

Et pour finir, pensons aux enfants. Lisez lesstatistiques: combien d’enfants, aujourd’hui, meu-rent de faim à cause d’une mauvaise distributiondes richesses, d’un système économique que j’aiévoqué auparavant; et combien d’enfants, au-j o u rd ’hui, n’ont pas droit à l’école, pour la mêmeraison. Que cette image, des enfants dans le be-soin à cause de la faim et du manque d’éducation,nous aide à comprendre que nous devrons sortirmeilleurs de cette crise. Merci.

A l’issue de l’Audience générale, le Saint-Père a saluéles fidèles francophones:

Je salue cordialement les personnes de languefrançaise. Puissions-nous, dans nos communautéschrétiennes, prendre soin des biens que le Sei-gneur nous donne dans sa création, et partager ceque nous possédons afin que personne ne man-que du nécessaire. Nous serons alors témoins au-thentiques du Christ ressuscité. Que Dieu vousb énisse!

De nombreux enfants n’ont pas accès à l’éducation dans le monde

Mercredi 2 septembre dans la cour Saint-Damase

Les audiences générales reprennenten présence des fidèles

La Préfecture de la Maison pontificale informe que mercredi 2septembre, les audiences générales du Pape reprendront en présen-ce des fidèles. Suivant les indications sanitaires des autorités, lesrencontres du mois de septembre se dérouleront dans la courSaint-Damase du palais apostolique, et commenceront à 9h30.

La participation sera ouverte à tous ceux qui le désirent, et nenécessite pas de billets. L’entrée se fera à partir de 7h30 de laPorte de Bronze (colonnade de droite sur la place Saint-Pierre).

mes les êtres les plus coo-pératifs parmi toutes les es-pèces, et nous nous épano-uissons en communauté,comme on le voit bien dansl’expérience des saints. Il ya un dicton espagnol quim’a inspiré cette phrase, etqui dit: Florecemos en raci-mo, como los santo. Nousnous épanouissons en com-munauté, comme on le voitdans l’expérience dessaints.

Quand l’obsession deposséder et de dominer ex-clut des millions de person-nes des biens primaires;quand l’inégalité écono-

entre nous et la nature. Unerelation de réciprocité res-ponsable entre nous et la na-ture. Nous recevons de lacréation et nous donnons ànotre tour. «Chaque commu-nauté peut prélever de labonté de la terre ce qui luiest nécessaire pour survivre,mais elle a aussi le devoir dela sauvegarder» (ibid.). Lesdeux choses.

En effet, la terre «nousprécède et nous a été don-née» (ibid.), elle a été don-née par Dieu «à tout le ge-nre humain» (CEC,n. 2402). Il est donc de no-tre devoir de faire en sorte

Page 3: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

numéro 35, mardi 1er septembre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Angelus du 30 août

Dialogue et droit pour résoudreles conflits en Méditerranée orientaleChers frères et sœurs, bonjour!

Le passage évangélique d’a u j o u rd ’hui (cf. Mt16, 21-27) est lié à celui de dimanche dernier (cf.Mt 16, 13-20). Après que Pierre, au nom des au-tres disciples également, a professé sa foi en Jésuscomme Messie et Fils de Dieu, Jésus lui-mêmecommence à leur parler de sa passion. Le long duchemin vers Jérusalem, il explique ouvertement àses amis ce qui les attend à la fin dans la villesainte: il annonce son mystère de mort et de ré-surrection, d’humiliation et de gloire. Il dit qu’ildevra «souffrir beaucoup de la part des anciens,des grands prêtres et des scribes, être tué et, letroisième jour, ressusciter» (Mt 16, 21). Mais sesparoles ne sont pas comprises, parce que les disci-ples ont une foi encore immature et trop liée à lamentalité de ce monde (cf. Rm 12, 2). Ils pensentà une victoire trop terrestre, c’est pourquoi ils necomprennent pas le langage de la croix.

Face à la perspective que Jésus puisse échoueret mourir sur une croix, Pierre lui-même se rebelleet lui dit: «Dieu t’en préserve, Seigneur! Non, ce-la ne t’arrivera point!» (v. 22). Il croit en Jésus —Pierre est comme cela — il a la foi, il croit en Jé-sus, il croit; il veut le suivre, mais il n’accepte pasque sa gloire passe à travers la passion. Pour Pier-re et les autres disciples — mais pour nous aussi!— la croix est quelque chose de dérangeant, lacroix est un «scandale», tandis que Jésus con-sidère que le «scandale» est de fuir la croix, ce

qui voudrait dire se dérober à la volonté du Père,à la mission qu’Il lui a confiée pour notre salut.C’est pourquoi Jésus répond à Pierre: «Passe der-rière moi, Satan! tu me fais obstacle, car tes pe-nsées ne sont pas celles de Dieu, mais celles deshommes!» (v. 23). Dix minutes plus tôt, Jésus aloué Pierre, il lui a promis d’être la base de sonEglise, le fondement; dix minutes après, il lui dit«Satan». Comment peut-on comprendre cela ?Cela nous arrive à tous! Dans les moments de dé-votion, de ferveur, de bonne volonté, de proximi-té envers le prochain, nous regardons Jésus etnous allons de l’avant; mais dans les moments oùnous rencontrons la croix, nous fuyons. Le diable,Satan — comme le dit Jésus à Pierre — nous tente.C’est le propre du mauvais esprit, c’est le propredu diable de s’éloigner de la croix, de la croix deJésus.

S’adressant ensuite à tous, Jésus ajoute: «Siquelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me sui-ve» (v. 24). De cette façon Il indique la voie duvéritable disciple, en montrant deux attitudes. Lapremière est «renoncer à soi-même», ce qui ne si-gnifie pas un changement superficiel, mais uneconversion, un renversement de mentalité et devaleurs. L’autre attitude est de prendre sa croix. Ilne s’agit pas seulement de supporter avec patien-ce les tribulations quotidiennes, mais de porteravec foi et responsabilité cette part de fatigue, et

cette part de souffrance que comporte la luttecontre le mal. La vie des chrétiens est toujoursune lutte. La Bible dit que la vie du croyant estune milice: lutter contre le mauvais esprit, luttercontre le Mal.

Ainsi l’engagement de «prendre sa croix» de-vient participation au salut du monde avec leChrist. En pensant à cela, faisons en sorte que lacroix accrochée au mur de notre maison, ou lapetite croix que nous portons autour du cou, soitle signe de notre désir de nous unir au Christpour servir nos frères avec amour, spécialementles plus petits et les plus fragiles. La croix est lesigne saint de l’Amour de Dieu, elle est le signedu Sacrifice de Jésus, et elle ne doit pas être ré-duite à un objet de superstition, ni à un bijou or-nemental. Chaque fois que nous fixons le regardsur l’image du Christ crucifié, pensons que, entant que véritable Serviteur du Seigneur, Il a réa-lisé sa mission en donnant la vie, en versant sonsang pour la rémission des péchés. Et ne nouslaissons pas conduire ailleurs, dans la tentationdu Malin. Par conséquent, si nous voulons êtreses disciples, nous sommes appelés à l’imiter, endépensant notre vie sans réserve par amour deDieu et du prochain.

Que la Vierge Marie, unie à son Fils jusqu’aucalvaire, nous aide à ne pas reculer face auxépreuves et aux souffrances que le témoignage del’Evangile comporte pour nous tous.

A l’issue de l’Angelus, le Saint-Père a ajouté lesparoles suivantes:

Chers frères et sœurs,Après-demain, 1er septembre, sera célébrée la

Journée mondiale de prière pour la sauvegarde dela création. A partir de cette date, jusqu’au 4 oc-tobre, nous célébrerons avec nos frères chrétiensde différentes Eglises et traditions le «Jubilé de laTerre», pour rappeler l’institution, il y a 50 ans,de la Journée de la Terre. Je salue les diverses ini-tiatives promues dans toutes les régions du mon-de, et, parmi celles-ci, le Concert qui a lieu au-j o u rd ’hui dans la cathédrale de Port-Louis, capi-tale de l’Ile Maurice, où s’est malheureusementproduite récemment une catastrophe environne-mentale.

Je suis avec préoccupation les tensions dans lazone de la Méditerranée orientale, menacée pardivers foyers d’instabilité. S’il vous plaît, je faisappel au dialogue constructif et au respect dudroit international pour résoudre les conflits quimenacent la paix des peuples de cette région.

Et je vous salue vous tous qui êtes rassemblésa u j o u rd ’hui ici, de Rome, d’Italie et de diverspays. Là, je vois les drapeaux, et je salue la com-munauté religieuse du Timor oriental en Italie.Bravo, avec les drapeaux! Je vois aussi des dra-peaux polonais, je salue les Polonais; des dra-peaux argentins, les Argentins aussi. Bienvenus àtous!

Je souhaite à tous un bon dimanche. S’il vousplaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Bon déjeu-ner et au revoir!

Le cardinal Paul Poupard a fêté ses 90 ans

Pétri de culture, de dialogue et de foi

Figure emblématique de la Curie romaine du-rant de nombreuses années, et notamment du-rant le pontificat de saint Jean-Paul II, le prési-dent émérite des Conseils pontificaux de laculture et du dialogue interreligieux a fêté di-manche dernier son 90e anniversaire tandisqu’il avait fêté l’an dernier ses 40 ans d’épisco-pat.

Né le 30 août 1930 dans un village duMaine-et-Loire, il a été ordonné prêtre pour lediocèse d’Angers le 18 décembre 1954. Dès1959, après avoir exercé comme professeur delettres, aumônier d’étudiants et prêtre en pa-roisse à Paris, le cardinal Paul Poupard rejointla Secrétairerie d’Etat pour un premier tempsde trois années, tout en étant aumônier del’Institut Saint-Dominique. Il vit de l’intérieurde la Curie les années intenses du pontificat deJean XXIII, marquées par la préparation duConcile Vatican II. Il est assurément l’un desderniers témoins directs de cette période del’histoire de l’Eglise. Suivront plusieurs annéesd’alternance entre Rome, où il sera un prochecollaborateur de Paul VI, et la France, où il as-sume des responsabilités dans le domaine del’enseignement. En 1971, il devient recteur del’Institut catholique de Paris, et est ordonnéévêque auxiliaire de Paris en 1979, exerçant sonépiscopat auprès du cardinal-archevêque de Pa-ris, François Marty. Comme devise épiscopalele cardinal avait choisi alors une assertion desaint-Augustin: «Pour vous je suis évêque,avec vous je suis chrétien». C’est à la suite deson premier voyage en France et à l’Unescoque saint Jean-Paul II, Pape francophone etfrancophile, l’appelle à Rome où il sera à lafois pro-président (de 1980 à 1985) puis prési-dent (de 1985 à 1993) du Conseil pontificalpour les non-croyants, ainsi que secrétaire, de1980 à 1988, puis président, de 1988 à 2007, duConseil pontifical de la culture, qui incluraquelques années plus tard le dialogue interreli-

gieux. Il suivra de nombreux dossiers comple-xes liés à l’histoire du christianisme, à ses lu-mières et à ses ombres, saint Jean-Paul II fai-sant de la purification de la mémoire un enjeucentral dans la perspective du Jubilé de l’an2000. Dans les années 1980, le cardinal Pou-pard sera chargé, entre autres, de la coordina-tion des travaux historiques concernant l’analy-se du procès de Galilée et sa réhabilitation.

Elevé à la pourpre en 1985, il fut cardinalélecteur lors du conclave de 2005, qui a con-duit à l’élection de Benoît XVI. Le cardinalPaul Poupard est une figure de référence dansle monde mais aussi pour tous les visiteursfrancophones ou non au Vatican, qu’ils soientévêques, prêtres, journalistes ou… chefs d’Etat.

Très bon anniversaire Eminence!

Page 4: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

page 4 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 1er septembre 2020, numéro 35

Entretien avec le père Roberto Guernieri, aumônier à la prison centrale de Rome

Etre avec Jésus, c’est être avec les derniersMAU R O LEONARDI

Le père Roberto Guernieri, des oblats fils de laVierge du Divin Amour, originaire de Mantoue,né en 1959, est depuis près de trente ans aumônierà Rebibbia, et a consacré toute sa vie sacerdotaleaux marginalisés. D’abord à la Caritas avec lepère Luigi Di Liegro — place Navone, à la gareTermini, avec les malades du SIDA — puis dans lescentres de détention. Il raconte dans cet entretiencertains aspects marquants de sa mission.

Père Roberto, pouvez-vous nous raconter votre voca-tion sacerdotale?

Toute petit déjà, j’étais fasciné par les funérail-les. Chaque matin à 6h30, — parfois même à 6h00— j’allais voir le curé parce que je voulais servir laMesse.

Si petit et si tôt? Et vos parents vous donnaient lapermission? J’imagine que votre famille était très ca-tholique...

Ma famille n’était pas très catholique. Ils n’al-laient à l’Eglise qu’à Noël et à Pâques. Ma mère acommencé à être un peu plus croyante après monordination: mais les autres membres de la famillesont restés comme ils étaient.

Quand vous avez communiqué à vos parents votredécision d’être prêtre, quelle a été leur réaction?

Ils étaient si incrédules qu’ils se sont mis à rire.Ils étaient convaincus qu’il s’agissait d’un coup detête. Ma famille, surtout à l’époque, était trèsconnue dans le village parce que nous avions uneentreprise de vins, liqueurs et boissons. Ils étaientéloignés de la foi et tenaient au jugement desgens, c’est pourquoi au début ils m’ont découragéen pensant que ma décision n’était pas très sérieu-se. Puis, en voyant mon insistance, ma mère m’adit: tu n’entreras au séminaire qu’après avoir ob-tenu ton bac. Je veux que tu connaisses le monde,les femmes, que tu aies une expérience, et seule-ment après, tu pourras persévérer dans ton choixparce que tu seras en mesure de choisir, de déci-der. Et c’est ce que j’ai fait. Puis, j’ai connu diver-ses périodes difficiles parmi lesquelles, quandj’avais 16-17 ans, une longue maladie qui a duréun an, que j’ai passée à entrer et sortir des hôpi-taux. J’ai fréquenté divers séminaires. Le premiera été celui de Brescia parce que mon père avaitcomme camarade de classe et ami Pier GiordanoCabra (un religieux né en 1932 qui a été supérieurgénéral des Piamartini, ndr). Mais cela me sem-blait une voie différente par rapport à celle queme demandait le Seigneur.

Déjà à l’époque vous ressentiez une attirance particu-lière pour les pauvres?

Oui. J’étais attiré par les personnes pauvres,celles dont la compagnie n’était désirée par per-sonne. Et je me demandais: pourquoi les gens re-fusent-ils les pauvres? Moi je ferai quelque chosede différent. Et ainsi, quand je pouvais, je faisaisvenir ces gens à la maison, et je leur préparais àmanger, je les accueillais.

Cette passion pour les pauvres a-t-elle rendu votre vieau séminaire plus facile ou plus difficile?

J’ai eu des problèmes. Mais je crois que ces dif-ficultés ont précisément renforcé ma vocation devivre mon sacerdoce en faveur des pauvres.

A la fin, comment avez-vous réussi à vous faire or-donner?

Après le «non» reçu à Mantoue, je n’ai pasabandonné ma décision. Je suis parti un an ensei-gner la religion au Conservatoire de Brescia et j’aicherché d’autres voies. A la fin, grâce à mon père,une porte s’est ouverte. Mon père, bien que peucroyant, en voyant mon désir, interpella l’un deses amis à Rome, lui aussi non-croyant, en lui di-sant: vois un peu si tu connais un monseigneur,quelqu’un, qui puisse aider mon fils Roberto. Par-

ce que cet «idiot», bien qu’il ait été chassé detous les séminaires, insiste à vouloir être prêtre. Jene le comprends pas, mais vois si tu peux trouverquelqu’un qui puisse le contenter. Et cet ami, àtravers un autre prêtre, m’a signalé la Commu-nauté du Divin Amour. J’ai fait une expérienced’un mois et je suis tombé amoureux de cette ins-titution. Ainsi, le 10 septembre 1988, j’ai été or-donné prêtre par celui qui était alors cardinal-vi-caire de Rome, Ugo Poletti.

Et comment s’est concrétisé votre engagement enversles pauvres?

J’étais encore séminariste. A cette époque, il yavait l’obligation du service militaire que je devaisremplir, étant donné que j’avais été renvoyé deMantoue. A cette occasion, j’ai décidé de faire leservice civil et je l’ai fait à la Caritas romaine, auservice du père Luigi Di Liegro. Je suis devenuresponsable du Centre d’accueil pour les Italiensà la sacristie de Sainte-Marie de la Paix, avecd’autres bénévoles et objecteurs de conscience:nous suivions environ 5.000 cas par an. J’avaistoujours prié Dieu de faire de moi «un prêtre des

parler avec lui: au lieu de cela, il me fit passer de-vant tout le monde. Tous croyaient qu’il s’agissaitd’une promotion. «Je vois la façon dont tu tra-vailles — me dit le cardinal — et je voudrais tedonner quelque chose de plus exigeant. Ne medonnez pas un bureau, lui dis-je, parce que jen’irais pas. Donnez-moi quelque chose conformeà ce que j’ai fait jusqu’à présent: j’ai toujours étéau milieu des pauvres, des délinquants, des reje-tés, l’unique chose qui me manque est la prison.C’est à ce moment qu’il me dit: veux-tu aller àRebibbia? Oui, lui répondis-je, mais avant don-nez-moi un verre d’eau. La proposition était allé-chante, mais également difficile. Et ainsi, j’ai com-mencé. Puis, en 2016, j’ai été élu délégué régionaldes aumôniers du Latium. Et, par conséquent,membre du Conseil pastoral national des aumô-niers. Des charges que j’occupe encore.

En résumé, au cours de ces années, qu’avez-vous don-né?

Je me suis efforcé de me donner moi-même. Jene supporte pas l’injustice. Je ne supporte pasque les personnes soient piétinées, peu importe si

SUITE À LA PA G E 5

rues». A Rome aussi, qui selon moi, était une ter-re de mission. Ainsi, il fut naturel, une fois or-donné, de poursuivre. J’étais vicaire du DivinAmour, mais j’ai ouvert à la gare Termini, avec laCaritas, un centre d’accueil pour adolescents à ris-que, qui venaient de toutes les régions d’Italie etd’Europe. Plusieurs centaines de jeunes y pas-saient. Il était ouvert de 14h00 à 22h00. A 22h00,quand je finissais, j’allais au service des maladiesinfectieuses de l’hôpital Gemelli pour accompa-gner les jeunes malades atteints du SIDA à mourirdignement. Je le faisais d’abord avec les sacre-ments, mais aussi avec le sourire, avec une cares-se, en cherchant à les aider en leur faisant com-prendre que pour moi, c’était des personnes, etnon des parias parce qu’ils avaient le SIDA .

Quels sont les passages de l’Evangile qui vous sou-tiennent le plus?

En premier lieu ceux qui me font penser que leChrist est la raison de ma vie. Par exemple, «quiaime son père et sa mère plus que moi n’est pasdigne de moi». Ou encore le commandement del’amour. Puis, indubitablement le discours sur laMontagne, c’est-à-dire les chapitres 5, 6 et 7 deMatthieu. Et surtout Matthieu 25 quand Jésusdit: «J’étais prisonnier et vous êtes venus mevoir»: c’est-à-dire vous l’avez fait à Moi, vousavez fait quelque chose pour Moi.

A quel moment l’assistance aux détenus en prison est-elle arrivée dans votre vie?

En 1991, c’est-à-dire presque tout de suite. Celaa été «une vocation dans la vocation», un peuinattendue, mais je dois dire que cela a été égale-ment une réponse à une question qui grandissaiten moi. Je voulais donner un tournant concret àce service aux derniers que j’avais commencé:comment pouvais-je aider de nombreuses person-nes? Je sentais que je devais compléter quelquechose qui manquait à mon service. Un jour, lecardinal Ruini me convoqua et je me mis dans lafile d’attente. J’aurais dû être l’un des derniers à

elles sont d’origine humble. Je ne m’arrête devantrien. J’ai appris que les obstacles peuvent toujoursêtre surmontés. J’ajoute que j’ai toujours été ducôté des détenus. Cela sans oublier les gardiensde prison et leurs problèmes, j’en ai d’ailleurs aidébeaucoup. Mais je suis toujours du côté des déte-nus parce que ce sont les plus faibles, les plusvulnérables. Ce sont ceux qui ne comptent pourrien. Ils ne sont personne. Ils ont toujours tort.Et alors moi qui ne supporte pas l’injustice, jesuis toujours de leur côté, je lutte pour eux etavec eux.

Il y a des détenus qui commettent des crimes et il y ades délinquants. Cela change-t-il quelque chose pourvous?

Je ne fais aucune distinction. Ce sont des per-sonnes, pour moi elles sont toutes pareilles. Biensûr, les personnes diffèrent selon leur histoire,mais dans leur façon de se présenter à moi, cesont toutes les mêmes personnes.

Mais tous les détenus n’ont pas les mêmes problèmes.Certains sont riches.

Bien sûr. Certains peuvent se permettre d’ache-ter plus de choses que les autres qui sont pauvres.Mais la majorité, au moins 75-80% des détenus,ont un besoin absolu de tout. Les gens sont arrê-tés tels qu’ils se trouvent sur le moment, parexemple au cours de la nuit. Vous êtes arrêté telque vous êtes et conduit en prison. Vous savez,on ne vous donne pas le temps de préparer vosvalises. Parfois, ce sont des personnes prises dansla rue, qui n’ont même pas le nécessaire pour sechanger. Ou encore on leur confisque tout. Dansce cas, nous aumôniers essayons d’intervenir. Si-non, ils restent comme ils sont. Très souvent, ilfaut — en vitesse — se procurer des choses pourles aider. Tout au moins pour pouvoir parler avecle magistrat. Je me souviens quand Totò Riina aété capturé, de nuit. Il arriva tel qu’il était alors et

Page 5: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

numéro 35, mardi 1er septembre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 5

Le courage de dénicher le bienPour ensuite avoir l’effet d’une liberté imprévue

CAROLA SUSANI

Le bien est la chose que nous désirons le plus,mais il est aussi la plus difficile à croire. Du pointde vue de notre besoin, le bien est d’être vus, ai-més, reconnus, d’être secourus, d’être nourris et li-bérés, d’être considérés comme inestimables.

Nous en avons une soif profonde, une soif sansfin. Mais il nous semble impossible. Nous som-mes tellement habitués à présumer que chaquechose a un prix, nous sommes tellement incités àpenser ne pouvoir attendre des autres que del’opportunisme, des calculs, ou même de sombreségoïsmes, pervers et destructeurs, que même lors-que nous rencontrons le bien nous ne réussissonspas à avoir confiance en lui.

Il en est ainsi pour certains, car ils ont essayéde nombreuses fois d’y croire et de nombreusesfois ils ont été déçus, ils ont découvert l’égoïsmequi se cachait derrière une apparence de bien etils sont devenus méprisants et cyniques; pourd’autres, mais ce sont parfois les mêmes, ne pascroire au bien est rassurant: si les bons cachenttoujours quelque chose, une double fin obscure, sinous, les êtres humains, sommes ainsi faits, alorsnous pouvons nous vautrer sans tourment dans lamédiocrité et dans l’inertie.

Cette perspective a un corollaire, face à l’évi-dence de bonnes intentions, susciter le soupçon:ils semblent bons mais ils ne le sont pas, ils sontnaïfs, des personnes qui ne pensent à rien, de bel-les âmes, des gens qui ne comprennent pas com-

ment se passent les choses, leur bien est faux, mê-me s’ils ne le savent pas. Ceux qui parlent ainsine se trompent pas entièrement, le bien est diffici-le, il implique l’étude, la difficulté, on ne peut pasle prendre à la légère, mais souvent celui qui parleainsi veut seulement se défendre. Quand le bienest évident, quand on ne peut pas le nier, il faitpeur, il t’oblige à te rappeler que, sous la stratifi-cation des défenses que tu as accumulées dans letemps, tu restes vulnérable, nu, nécessiteux com-me n’importe quelle autre personne.

Le bien est comme l’amour, si tu l’as rencontréenfant, tu en as besoin; mais si tu ne l’a pas ren-contré, tu en as infiniment plus besoin. Le bienest une provocation, si tu le vois là devant tesyeux, indiscutable, s’il est possible de le faire,alors tu peux le faire toi aussi. Et si tu peux lefaire, tu sens que tu dois le faire.

Le bien te conduit en dehors de toi; il est tou-jours, au prix de son existence, également le biende quelqu’un d’autre: c’est un élan. Il est telle-ment facile de lire les comportements humains se-lon des grilles économiques, l’économie du gain,du bien-être, du sexe, l’économie du pouvoir,l’économie des liens d’affection: un mécanisme, lachute des corps, la pesanteur de Simone Weil; lebien trouble les eaux, rend les intentions humai-nes complexes, ambiguës, la soif de bien produitaussi à elle seule cette secousse, une libération del’automatisme.

C’est pour cette raison que ce que dit le Papeest si juste, l’époque dans laquelle nous vivonsnous demande à grande voix d’identifier le bienet de le raconter. Il n’en a pas été toujours ainsi,il y a eu des époques où le récit du bien occupaitun très grand espace, mais c’était un récit rhéto-rique, édulcoré, il sonnait faux; il fallait alors lesecouer, il fallait montrer le mal qui se cachait,non dit. L’art — et la narration a un sens quandelle s’efforce d’être de l’art, inversement c’est de lapublicité — a cette fonction, c’est ce que disait El-sa Morante, il doit trouver les mots nouveauxpour raconter le monde, parce que les mots, à for-ce de les entendre, s’usent, ils n’ont plus d’écho.

L’art de la narration doit découvrir des motsqui soient capables de rendre le monde dans sanouveauté. C’est également pour cela que chaqueépoque a besoin de son art, l’art magnifique héri-té de ses prédécesseurs ne peut pas lui suffire. Etnous sommes a une époque où le bien sembleavoir disparu du discours, enseveli, inénarrable,en dehors de quelques moments exceptionnels oùil apparaît, mais prend les formes falsifiantes de lavieille rhétorique ou de la publicité.

C’est pourquoi voir le bien et ensuite le racon-ter est vraiment le grand défi que je reconnais entant que narratrice. Mais le raconter sans l’édulco-rer n’est pas du tout simple. Et si tu le racontesen édulcorant on ne voit que l’édulcoration — quiest une forme de mensonge — et le bien disparaît,il devient encore moins crédible. Pour raconter lebien, il faut tenir compte de tout le reste, il fautégalement avoir le courage de le dénicher, sanséluder le mal, il faut savoir le trouver là où il est.Il faut du courage.

Le bien est parfois spontané, un élan instinctifde proximité entre les êtres, d’autres fois c’est uneffort quotidien et constant pour sortir d’une jus-te manière de ses propres égoïsmes sans plongerdans des égoïsmes nouveaux, parfois il peut-êtreétudié, une véritable stratégie. Toutes les fois quetu le rencontres vraiment, il te fait l’effet d’unvent qui brouille les cartes, d’une liberté im-prévue.

Pour raconter le souffle de vent et son effet, tudois par force savoir raconter le calme plat. Deuxpersonnes me viennent à l’esprit, deux poètes quivont dans cette direction, l’une est Maria GraziaCalandrone, l’élan se voit clairement dans sondernier livre, Il giardino della gioia, l’autre est Da-niele Mencarelli, son dernier livre, Tutto chiede sal-vezza, se trouvait cette année dans les cinq finalis-tes du Prix Strega.

Tous les deux, de manière différente, aussi bienen poésie qu’en prose, cernent de près le mal, cer-nent de près la douleur, Maria Grazia Calandroneégalement la cruauté, et ils réussissent à faire res-sortir l’élan, l’amour — le bien, qui est alors vrai-ment indiscutable.

j’ai été obligé de demander un costume à l’unde mes confrères pour lui permettre de se pré-senter au procès. Totò Riina portait du 56,comme mon confrère. Dans son cas, le direc-teur de l’époque m’appela, à 22h00, et me dit:«Nous devons trouver un vêtement pour un“enfant”...» parce que demain, il doit se pré-senter au magistrat. Oui, oui, j’ai compris, ré-pondis-je. Et alors, j’ai pensé demander de l’ai-de à mon confrère: à cette heure-là, je ne pou-vais aller nulle part. Dans ce cas-là, Totò Riinas’est trouvé dans une situation difficile. Cela,en prison, arrive aussi aux riches, et aussi auxgens célèbres. La prison est une lame qui tra-verse la vie de tous.

En est-il de même pour les détenus du «41bis»,ceux condamnés pour crimes de mafia?

Bien sûr. Cela m’est arrivé en 1999. J’allaiscélébrer la Messe section par section: tous rece-vaient la communion, mais personne ne seconfessait jamais. Un matin, je suis arrivé avecle nécessaire pour célébrer, mais je n’ai pas cé-lébré. Les détenus avaient la porte principaleblindée ouverte, mais ils se tenaient derrière laporte de leur cellule, et ils m’ont demandé cequi se passait. Alors je leur ai dit: «Cela n’apas de sens. Vous ne vous confessez pas, doncvous pensez ne pas en avoir besoin et vous re-cevez la communion. Mais enfin, le Pape seconfesse, moi je me confesse, et vous vous nevous confessez jamais?». Je les ai laissés sansMesses pendant un bon bout de temps. Enprison, il est possible de vivre tout Matthieu25. Comme vous voyez, il n’y a pas seulementle fait d’être en prison. Un grand nombre d’en-tre eux, en plus d’être prisonniers, sont égale-ment nus, ont faim, ont soif, sont étrangers oumalades. Jésus a demandé une chose à sonEglise, et c’est de les visiter, de leur donner àmanger, à boire, de les vêtir, de les soigner, etmoi, je m’efforce de le faire. C’est le passage

où Jésus dit: à chaque fois que vous avez faitcela, c’est à moi que vous le faites. Et cela de-vrait nous remettre en question. De plus, nouspouvons tous avoir besoin les uns des autres.Moi par exemple, à présent je suis malade ethandicapé. Et je rends grâce à Dieu parce quema situation m’aide à comprendre encoremieux les pauvres gens que j’essaie d’aider. Jene dis pas cela juste pour parler. Cela fait denombreuses années que je vais à Rebibbia maisje me suis aperçu uniquement maintenant queje suis handicapé, et qu’il y a de très nombreu-ses barrières architectoniques qui rendent la vieimpossible aux personnes comme moi. Parexemple, il n’y a pas de rampe pour entrerdans l’église: uniquement des marches. J’en aiparlé aux autorités, elles m’ont dit qu’elles fe-ront le nécessaire. Mais tant que je n’étais pasmalade, je ne m’étais pas rendu compte dup ro b l è m e .

Comment faire pour impliquer les autres dans l’ai-de aux détenus?

Je saisis toutes les occasions. Quand je cé-lèbre la Messe, quand je rends visite à mesamis, avec le groupe de Padre Pio de la prison.Je m’efforce de trouver ce qui sert dans les si-tuations désastreuses qui existent dans la pri-son, et que personne ne connaît. Récemment,un pauvre homme, âgé, malade, a été libéré deprison, et il ne savait pas où aller. Il allait pas-ser la nuit sur le banc devant la prison. Unami, le père Luca Centurioni, qui dirige desfoyers d’accueil, m’a aidé. Moi, quand je de-mande, je demande comme si j’étais l’un d’en-tre eux. Croyez-moi. Je peux le faire parce queje sais ce que cela veut dire. Quand le Sei-gneur m’appellera, je lui dirai: merci, parceque j’ai été un prêtre chanceux. Dans ma vie,j’ai fait ce que j’ai toujours désiré. Etre, avecToi, parmi les derniers. C’est vrai, parfois, jen’ai pas réussi à résoudre des problèmes im-portants, mais au moins j’ai eu l’honneur d’ê t reparmi eux. C’est-à-dire avec Toi.

SUITE DE LA PA G E 4

Entretien avec l’aumônier de Rebibbia

Une peinture murale représentantla philosophe française Simone Weil

e ré c i tE M O T D E L’ANNÉEl

Page 6: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

numéro 35, mardi 1er septembre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO pages 6/7

Message pour la journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création

Ecouter et réparer la TerreAppel du Pape à la communauté internationale en prévision du sommet sur le climat de Glasgow en 2021

Le Temps de la Création qui est célébré du 1er

septembre, Journée mondiale de prière pour lasauvegarde de la création, au 4 octobre, fête de saintFrançois d’Assise, se présente toujours comme unvéritable kairòs, un temps de grâce qui invite à laprière, à la méditation et à l’engagement. Nouspublions ci-dessous le Message de François pour lasixième journée mondiale de prière pour la sauvegardede la création.

«Vous ferez de la cinquantième année une annéesainte, et vous proclamerez la libération pour tousles habitants du pays. Ce sera pour vous le jubilé»

Lv (25, 10)Chers frères et sœurs,Chaque année, surtout depuis la publication de laLettre encyclique Laudato si’ (LS, 24 mai 2015), lepremier jour du mois de septembre est, pour la fa-mille chrétienne, une journée mondiale de prièrepour la sauvegarde de la création, avec laquellecommence le Temps de la Création, qui se conclutle 4 octobre dans le souvenir de saint Françoisd’Assise. Durant cette période, les chrétiens, dansle monde entier, renouvellent la foi en Dieu créa-teur et s’unissent de façon spéciale dans la prièreet dans l’action pour la sauvegarde de la maisoncommune.

Je suis heureux que le thème choisi par la famil-le œcuménique pour la célébration du Temps de la

Création 2020 soit «Jubilé pour la Terre», juste-ment en cette année marquant le cinquantième an-niversaire du Jour de la Terre.

Dans les Saintes Ecritures, le jubilé est un tempssacré pour se souvenir, revenir, se reposer, répareret se réjouir.

1. Un temps pour se souvenirNous sommes par-dessus tout invités à nous

rappeler que le destin ultime de la création estd’entrer dans le «sabbat éternel» de Dieu. C’est unvoyage qui a lieu dans le temps, embrasse lerythme des sept jours de la semaine, le cycle dessept ans et la grande Année jubilaire concluant lessept années sabbatiques.

Le jubilé est aussi un temps de grâce pour fairemémoire de la vocation originelle de la création àêtre et à prospérer comme communauté d’a m o u r.Nous existons seulement à travers les relations:avec Dieu créateur, avec les frères et sœurs en tantque membres d’une famille commune, et avec tou-tes les créatures qui habitent la même maison quenous. «Tout est lié, et, comme êtres humains, noussommes tous unis comme des frères et des sœursdans un merveilleux pèlerinage, entrelacés dansl’amour que Dieu porte à chacune de ses créatureset qui nous unit aussi, avec une tendre affection, àfrère soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mèreterre» (LS, n. 92).

Le jubilé est donc un temps pour le souvenir, oùil faut conserver la mémoire de notre existence in-terrelationnelle. Nous avons constamment besoinde nous rappeler que «tout est lié, et la protectionauthentique de notre propre vie comme de nos re-lations avec la nature est inséparable de la fraterni-té, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres»(LS, n. 70).

2. Un temps pour revenirLe jubilé est un temps pour retourner en arrière

et se repentir. Nous avons brisé les liens qui nous

unissaient au Créateur, aux autres êtres humains etau reste de la création. Nous avons besoin de res-taurer ces relations détruites, qui sont essentiellespour nous soutenir nous-mêmes et toute la tramede la vie.

Le jubilé est un temps de retour à Dieu, notrecréateur bien aimé. On ne peut pas vivre en har-monie avec la création sans être en paix avec leCréateur, source et origine de toute chose. Commel’a observé le Pape Benoît, «La consommationbrutale de la Création commence là où Dieu estabsent, où la matière est désormais pour nous uni-quement matérielle, où nous-mêmes sommes lesdernières instances, où le tout est simplement notrepropriété» (Rencontre avec le clergé du diocèse deB o l z a n o - B re s s a n o n e , 6 août 2008).

Le jubilé nous invite à penser de nouveau auxautres, spécialement aux pauvres et aux plus vul-nérables. Nous sommes appelés à accueillir denouveau le projet initial et aimant de Dieu pour lacréation comme un héritage commun, un banquetà partager avec tous nos frères et sœurs dans unesprit de convivialité; non pas dans une compéti-tion déréglée, mais dans une communion joyeuse,où l’on se soutient et se protège mutuellement. Lejubilé est un temps pour donner la liberté aux op-primés et à tous ceux qui sont pris entre les tenail-les des diverses formes d’esclavage moderne, dontla traite des personnes et le travail des mineurs.

Nous avons besoin de revenir, en outre, à l’écou-te de la terre, désignée dans l’Ecriture comme ada-mah, lieu d’où l’homme, Ad a m , a été tiré. Au-j o u rd ’hui, la voix alarmée de la création nousexhorte à retourner à une juste place dans l’o rd renaturel, à nous rappeler que nous sommes unepartie, et non pas les patrons, du réseau intercon-necté de la vie. La désintégration de la biodiversi-té, l’augmentation vertigineuse des désastres clima-tiques, l’impact inégal de la pandémie actuelle surles plus pauvres et les plus fragiles sont des son-nettes d’alarme face à l’avidité effrénée de laconsommation.

Particulièrement durant ce Temps de la Créa-tion, écoutons le battement de la création. Elle a

été faite, en effet, pour manifester et communiquerla gloire de Dieu, pour nous aider à trouver, danssa beauté, le Seigneur de toutes choses et retour-ner à lui (cf. Saint Bonaventure, In II Sent., I, 2,2,q. 1, concl; B re v i l ., II, 5.11). La terre dont nousavons été tirés est donc un lieu de prière et de mé-ditation: «Réveillons le sens esthétique et contem-platif que Dieu a mis en nous» (Exhort. ap. Queri-da Amazonia, n. 56). La capacité à nous émerveilleret à contempler est quelque chose que nous pou-vons apprendre spécialement de nos frères etsœurs autochtones qui vivent en harmonie avec laterre et ses multiples formes de vie.

3. Un temps pour se reposerDans sa sagesse, Dieu a réservé le jour du sab-

bat pour que la terre et ses habitants puissent sereposer et se ressourcer. Aujourd’hui, cependant,nos styles de vie poussent la planète au-delà de seslimites. La demande constante de croissance ainsique le cycle incessant de production et de consom-mation sont en train d’épuiser l’e n v i ro n n e m e n t .Les forêts disparaissent, le sol est érodé, leschamps disparaissent, les déserts avancent, les mersdeviennent acides et les tempêtes s’intensifient: lacréation gémit!

Durant le jubilé, le Peuple de Dieu était invité àse reposer des travaux quotidiens, à laisser, grâce àla baisse de la consommation habituelle, la terre serégénérer et le monde se réorganiser. Il nous fauttrouver aujourd’hui des styles de vie équitables etdurables, qui restituent à la terre le repos qui luirevient, des moyens de subsistance suffisants pourtous, sans détruire les écosystèmes qui nous entre-tiennent.

La pandémie actuelle nous a amenés, en quel-que sorte, à redécouvrir des styles de vie plus sim-ples et durables. La crise, dans un certain sens,nous a donné la possibilité de développer de nou-velles façons de vivre. Il a été possible de constatercomment la terre réussit à se reprendre si nous luipermettons de se reposer: l’air est devenu plussain, les eaux plus transparentes, les espèces ani-males sont revenues dans de nombreux endroitsd’où elles avaient disparu. La pandémie nous aconduits à un carrefour. Nous devons profiter dece moment décisif pour mettre fin à des activités età des finalités superflues et destructrices, et cultiverdes valeurs, des liens et des projets génératifs.Nous devons examiner nos habitudes dans l’usagede l’énergie, dans la consommation, dans les trans-ports et dans l’alimentation. Nous devons suppri-mer de nos économies les aspects non essentiels etnocifs, et donner vie à des modalités fructueusesde commerce, de production et de transport debiens.

4. Un temps pour réparerLe jubilé est un temps pour réparer l’harmonie

originelle de la création et pour assainir des rap-ports humains compromis.

Il invite à rétablir des relations sociales équita-bles, en restituant à chacun sa liberté et ses biens,et en effaçant la dette des autres. Dès lors, nous nedevrions pas oublier l’histoire de l’exploitation duSud de la planète, qui a provoqué une dette écolo-gique énorme, due principalement au pillage desressources et à l’utilisation excessive de l’espace en-vironnemental commun pour l’élimination des dé-chets. Le jubilé est le temps d’une justice réparatri-ce. A ce propos, je renouvelle mon appel à effacerla dette des pays les plus fragiles à la lumière desgraves impacts des crises sanitaires, sociales et éco-nomiques qu’ils doivent affronter suite au covid-19.Il faut de même s’assurer que les mesures pour lareprise, en cours d’élaboration et d’actualisation auniveau mondial, régional et national, soient effecti-vement efficaces avec des politiques, des législa-tions et des investissements centrés sur le biencommun, et avec la garantie que les objectifs so-ciaux et environnementaux mondiaux soient at-teints.

Il est également nécessaire de réparer la terre. Larestauration d’un équilibre climatique est très im-

portante, étant donné que nous nous trouvons ensituation d’urgence. Nous sommes à court detemps, comme nos enfants et nos jeunes nous lerappellent. Il faut faire tout ce qui est possiblepour limiter l’augmentation de la température mo-yenne globale au seuil de 1,5°C, comme il est stipu-lé dans l’Accord de Paris sur le climat: le dépasserse révélera catastrophique, surtout pour les com-munautés les plus pauvres du monde entier. Dansce moment critique, il est nécessaire de promouvoirune solidarité intra-générationnelle et intergénéra-tionnelle. En préparation à l’important sommet surle climat de Glasgow, au Royaume-Uni (COP 26),j’invite chaque pays à adopter des objectifs natio-naux plus ambitieux pour réduire les émissions.

La restauration de la biodiversité est égalementcruciale dans le contexte sans précédent d’une dis-parition des espèces et d’une dégradation des éco-systèmes. Il est nécessaire de soutenir l’appel desNations unies à sauvegarder les 30% de la Terrecomme habitat protégé avant 2030, afin d’endiguerle taux alarmant de perte de biodiversité. J’exhortela communauté internationale à collaborer pourgarantir que le sommet sur la biodiversité (COP 15)de Kumming, en Chine, constitue un tournantvers le rétablissement de la Terre comme maisonoù la vie soit abondante, selon la volonté duC r é a t e u r.

Nous sommes tenus de réparer, selon la justice,en nous assurant que tous ceux qui ont habité uneterre pendant des générations puissent en retrouverpleinement l’utilisation. Il faut protéger les com-munautés autochtones contre les compagnies, sur-tout multinationales, qui, à travers l’extraction pré-judiciable des combustibles fossiles, des minéraux,

On peut également se réjouir de voir commentl’Année spéciale de l’anniversaire de Laudato si’inspire de nombreuses initiatives au niveau local etmondial pour le soin de la maison commune etdes pauvres. Cette année devrait conduire à desprogrammes opérationnels à long terme, pour arri-ver à pratiquer une écologie intégrale dans les fa-milles, les paroisses, les diocèses, les ordres reli-gieux, les écoles, les universités, l’assistance sanitai-re, les entreprises, les exploitations agricoles etdans de nombreux autres domaines.

Nous nous réjouissons aussi que les communau-tés croyantes se rapprochent pour donner vie à unmonde plus juste, plus pacifique et plus durable.C’est un motif de joie particulière que le Temps dela Création devienne une initiative vraiment œcu-ménique. Continuons à grandir dans la conscienceque nous tous, nous avons une maison communeen tant que membres de la même famille!

Réjouissons-nous parce que, dans son amour, leCréateur soutient nos humbles efforts pour la Ter-re. Elle est aussi la maison de Dieu, où sa Parole«s’est faite chair, elle a habité parmi nous» (Jn 1,14), le lieu constamment renouvelé par l’effusionde l’Esprit Saint.

«Envoie ton Esprit, Seigneur, et renouvelle la fa-ce de la terre» (cf. Ps 104, 30).

Rome, Saint Jean de Latran, le 1er septembre 2020

du bois et des produits agro-industriels, «font dans les paysmoins développés ce qu’elles nepeuvent dans les pays qui leurapportent le capital» (LS, n. 51).Cette mauvaise conduite des en-treprises représente «un nouveautype de colonialisme» (SaintJ e a n - Pa u l II, Discours à l’Ac a d é m i epontificale des sciences sociales, 27avril 2001, cit. in Querida Amazo-nia, n. 14), qui exploite honteuse-ment des communautés et despays plus pauvres à la recherchedésespérée d’un développementéconomique. Il est nécessaire deconsolider les législations nationa-les et internationales, afin qu’ellesrèglementent les activités descompagnies d’extraction et garan-tissent l’accès à la justice à ceuxqui subissent des dommages.

5. Un temps pour se réjouirDans la tradition biblique, le

jubilé est un événement joyeux,inauguré par un son de trompettequi résonne sur toute la terre.Nous savons que le cri de la Terreet des pauvres est devenu, cesdernières années, encore plus fort.En même temps, nous sommes té-moins de la façon dont l’EspritSaint inspire partout des indivi-dus et des communautés à s’unirpour reconstruire la maison com-mune et défendre les plus vulné-rables. Nous assistons à l’émer-gence progressive d’une grandemobilisation de personnes, qui, àla base et dans les périphéries,travaillent généreusement pour laprotection de la terre et des pau-vres. Cela procure de la joie devoir tant de jeunes et de commu-nautés, en particulier autochto-nes, en première ligne pour ré-pondre à la crise écologique. Ilslancent un appel pour un jubiléde la Terre et pour un nouveaudépart, conscients que «les chosespeuvent changer» (LS, n. 13).

Page 7: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

numéro 35, mardi 1er septembre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO pages 8/9

En Terre Sainte la pandémie a transformé les lieux de culte en espaces déserts

Une profonde souffrance spirituelleFILIPPO MORLACCHI

«L a pandémie de coronavirus qui continuede menacer le monde entier s’est déjàtransformée d’une simple crise sanitaire

en une crise économique, sociale et humaine àl’échelle mondiale. J’entends le cri d’hommes et defemmes d’Israël pendant que leur monde s’é c ro u -le...». Ce n’est pas un simple «opinion maker» quis’exprime ainsi, mais Reuven Rivlin, le présidentisraélien en personne, sur les pages d’un site inter-net d’informations locales. Et il poursuit: «EnIsraël, nous n’avons jamais dû affronter une pandé-mie de ces proportions, mais nous avons dû affron-ter d’autres défis décisifs, et nous en sommes sortisforts et vainqueurs... En ce moment difficile — re s -ponsables politiques et membres de la société —nous devons revenir à nos valeurs essentielles, à lasolidarité sociale et à l’unanimité. Nous devons sor-tir ensemble de la crise».

Il est certain que la situation n’est pas facile. Si,en mars dernier, les mesures draconiennes prises parle gouvernement israélien avaient semblé excessivesà de nombreuses personnes, elles avaient, de fait,permis de contenir de manière efficace le nombrede contagions en Israël. Mais à partir de mai, la si-tuation a changé de façon dramatique. La réouver-ture des écoles pour les célébrations de clôture del’année scolaire a déclenché une nouvelle vague decontagions, beaucoup plus importante qu’au coursdes mois précédents. Fin juillet sur le territoireisraélien, plus de 1.700 cas par jour ont été enregis-trés. Si ce nombre avait dépassé le seuil des 2.000,cela aurait conduit — c’est ce qu’annonçaient les au-torités sanitaires — à un nouveau lockdown total. Le19 juillet on est descendu sous la barre des milleunités, mais dès le lendemain, le nombre de nou-veaux cas s’élevait à 1.183. Du reste, la situationn’est pas moins préoccupante dans les territoires deCisjordanie. Fin juillet, l’Autorité palestinienne a

déclaré 6.566 cas: peu, si on les compare aux autrespays du monde; mais ils ont triplé par rapport auxpremiers jours de juin, tandis que le nombre de dé-cès est passé de 7 à 58. Le centre de diffusion leplus important est le quartier d’Hebron, où l’oncompte 60% des cas. Le système sanitaire palesti-nien n’est certainement pas équipé pour affronterune épidémie à large échelle.

Les stratégies de contrôle de la part du gouverne-ment israélien sont envahissantes. Au cours des der-nières semaines, de nombreuses personnes ont pro-testé contre le tracking des téléphones portables. Ense basant sur l’analyse des tracés, les autorités israé-liennes ont obligé à la quarantaine des milliers depersonnes, que l’on pensait être entrées en contactavec des personnes contaminées. Les amendes pourceux qui ne portent pas le masque sont très élevées,et les contrôles fréquents et rigoureux. Pour éviterles rassemblements, dans de nombreux lieux, les ac-cès sont limités. Le plus grand problème, à Jérusa-lem, concerne évidemment les lieux de culte. L’es-planade des mosquées, après la fermeture totale d’ily a quelques mois (par ailleurs en concomitanceavec le ramadan), a réouvert ses portes, avec l’enga-gement de garantir le respect des mesures de sécuri-té. Le Mur des lamentations reste assez fréquenté,bien que la place soit divisée en secteurs clôturés,pour permettre de comptabiliser facilement les pré-sences et la relative distanciation.

Le Saint-Sépulcre, en revanche, est officiellementouvert, mais il reste vide parce qu’il n’y a pas depèlerins chrétiens qui viennent le visiter. On avaitenregistré une certaine augmentation de touristes,presque exclusivement musulmans et juifs, qui vou-laient profiter de l’absence de pèlerins pour visiterle site plus librement. Pour éviter le risque de con-tagion, les communautés chrétiennes qui gardent leSaint-Sépulcre ont décider d’un commun accord defermer les portes de la basilique le vendredi et le sa-medi (le dimanche est un jour ouvrable et les tou-ristes ne viennent pas), en permettant uniquementaux fidèles habituels, qui connaissent les horairesdes liturgies, d’y participer. Dans la basilique de laNativité de Bethléem, la situation est encore plustriste: malgré la réouverture officielle à mi-mai,pour des raisons de sécurité, l’accès est à présent li-mité aux fidèles locaux non seulement le week-end,mais tous les jours.

La suspension des pèlerinages chrétiens sauteparticulièrement aux yeux en cette période d’été,d’ordinaire de haute saison, et produit des effetsperturbateurs. Avant d’être un problème écono-mique, c’est une profonde souffrance spirituelle.«Ce n’est pas la première fois, déjà au cours des in-tifadas, il en était ainsi — dit l’administrateur apos-tolique du patriarcat de Jérusalem des Latins, MgrPierbattista Pizzaballa — mais la nouveauté cettefois est que nous sommes face à une période trèsprolongée d’arrêt total des pèlerinages. Comme je ledis toujours, l’Eglise de Terre Sainte vit avec deuxpoumons: l’un est l’Eglise locale, l’autre est l’Egliseuniverselle représentée par les pèlerins. La présencedes pèlerins est constitutive de l’identité de cetteEglise. Voir Jérusalem avec les rues vides, le Saint-Sépulcre sans pèlerins, le lac de Galilée sans per-sonnes qui aille toucher les eaux touchées par Jé-sus... C’est comme si quelque chose manquait. Onpeut vivre avec un seul poumon, oui, mais l’on nevit pas bien», conclut-il.

Il est difficile de décrire la désolation de ces es-paces, autrefois trop remplis et à présent pratique-ment déserts. Des sanctuaires dans lesquels, pourtrouver de la place, il fallait réserver longtemps au-paravant la visite ou la célébration des Messes, sontà présent vides toute la journée. Seuls les frèresfranciscains de la Custodie de Terre Sainte conti-nuent de présider les lieux saints et d’y célébrer fi-dèlement la liturgie, comme si de rien n’était. Avecun engagement louable, ils transmettent au moinscertaines des célébrations sur les médias sociaux,afin que l’on sache que la prière dans les lieux

saints ne manque pas. «Les frères de la Custodieproviennent du monde entier», rapporte le pèreFrancesco Patton, custode de Terre Sainte. «Nousrestons dans ces lieux comme présence internationa-le pour élever à Dieu la prière de toute l’humanité.Les frères se font pèlerins à la place des pèlerins quine peuvent pas encore arriver».

Le Saint-Sépulcre, cœur de la foi chrétienne, asubi un lockdown total pendant deux mois. L’undes franciscains qui le garde, le congolais frère Mi-chael, raconte: «La basilique a été fermée le 25 marsdernier à 17h05, dès que la procession quotidiennes’est terminée, et n’a rouvert que le 24 mai. Notredevoir était celui de prier: nous l’avons fait fidèle-ment, en communion avec le monde entier, en de-mandant également la fin de cette pandémie. Nousn’avons omis aucune liturgie prévue, pas mêmependant la Semaine sainte et le triduum pascal, mê-me s’il y avait très peu de participants. Nous allonsbien, aucun d’entre nous n’est tombé malade, il nenous manque rien: nos confrères du monastère deSaint-Sauveur nous apportaient le nécessaire, etnous le recevions à travers la fenêtre du portaild’entrée. Nous continuons de prier, et nous deman-dons à tous de s’unir spirituellement à notrep r i è re » .

Mais si la Providence n’a jamais manqué auxfrères du Saint-Sépulcre, la crise générale est dou-loureusement tangible. La vieille ville a véritable-ment un aspect spectral et irréel: seuls les magasinsdu marché local sont ouverts; on ne voit pas de vi-sages étrangers: presque tous sont des résidents,arabes ou juifs. Les boutiques de souvenirs et lesrestaurants autour du Saint-Sépulcre, autrefois em-plis de clients, sont pour la plupart fermés. Lesstructures d’accueil pour les pèlerins chrétiens, danslesquelles jusqu’à il y a quelques mois, il n’était pasfacile de trouver une chambre, restent inoccupées.«Pendant encore longtemps, les voyages et les pèle-rinages — poursuit Mgr Pizzaballa — seront diffici-les. Nous devrons donc nous repenser nous-mêmes,de façon à préserver le lien avec l’Eglise universelled’autres manières, et chercher à trouver des formesde soutien et d’aide aux nombreuses familles de lacommunauté chrétienne, et pas seulement, qui, àcause de cette situation, sont restées sans ressourceset avec des perspectives de grande incertitude».

Un autre secteur qui contribue à engendrerl’insécurité est l’éducation. L’Eglise catholique enTerre Sainte se prodigue avec générosité pour laformation des nouvelles générations, et les nom-breuses écoles catholiques gérées par le patriarcatde Jérusalem des Latins et par les frères de la Cus-

todie de Terre Sainte sont très appréciées. «Nousespérons que les écoles pourront rouvrir normale-ment — poursuit le père Patton — mais nous n’enavons pas la certitude. C’est pourquoi nous nouspréparons également à la didactique à distance,comme nous l’avons déjà fait au cours des moispassés: grâce à cet engagement, nous avons réussi àfaire terminer l’année scolaire à tous, y compris lescandidats au baccalauréat». Mais la pandémie afrappé de façon très lourde ces terres, en particulierla Palestine et la Jordanie, où l’accès aux instru-ments numériques pour la didactique n’est pas dutout assuré. Et si avant la crise déjà, de nombreusesfamilles n’étaient pas en mesure de payer intégrale-ment les frais de scolarité, à présent, le nombre depersonnes insolvables s’est accru encore plus, alorsque les directions des écoles ne peuvent interromprele paiement des salaires du personnel. Il faut ajou-ter à cela que la collecte «pro Terra Sancta», habi-tuellement effectuée le Vendredi Saint, a été ren-voyée au 13 septembre prochain, et donc ses bénéfi-ces ne pourront être appréciés avant la fin de l’an-née. Même dans l’hypothèse (en vérité assez opti-miste) où la collecte se maintiendrait aux niveauxhabituels, il reste des problèmes de découvert finan-cier pour les mois de retard par rapport aux fluxordinaires de caisse.

«Transformer les crises en opportunités»: c’est unrefrain que nous avons souvent entendu, au coursde ces mois. Mais il n’est pas seulement rhétorique.Ainsi, par exemple, le monastère de Sainte-Clairedes clarisses de Jérusalem, dont les revenus ordinai-res, liés presque exclusivement à l’accueil des pèle-rins dans la maison d’hôtes, ont été réduits à zéro,vivent ce moment difficile comme une occasionpour repenser leur style de vie. «Une caractéristiquefondamentale de notre vie religieuse — dit la supé-rieure, sœur Marie de Nazareth — est de vivre le“privilège de la pauvreté”, comme le voulait sainteClaire. Les difficultés économiques actuelles nousinvitent à repenser ce que signifie pour nous êtrevéritablement pauvres, et elles nous poussent à fairedes choix plus austères. Ainsi, notre solidarité aug-

mente à l’égard des personnes qui ne choisissentpas la pauvreté, mais la subissent».

En effet, la crise économique a lourdement frap-pé toute la population, en pénalisant surtout lescouches les plus fragiles. On enregistre en Israëluniquement, au moins 850.000 personnes sans tra-vail (plus d’un million, selon d’autres estimations),avec un taux de chômage qui a grimpé en quelquesmois de 4% à plus de 21%. La situation des travail-leurs étrangers, dont un grand nombre ont perduleur emploi, tout en devant affronter les dépensesnécessaires pour vivre dans un pays étranger, esttrès grave: en effet, souvent, ils n’ont pas même lapossibilité de retourner dans leur terre d’origine.Une urgence sociale dont le patriarcat de Jérusalemdes Latins s’occupe, en particulier à travers le vica-riat hébréophone de Saint-Jacques (pour les chré-tiens de langue hébraïque) et le vicariat pour lesmigrants, récemment institué. Une fois de plus,dans une perspective d’avenir, on peut espérer quela situation de crise puisse pousser les communau-tés chrétiennes à tisser de nouveaux réseaux de soli-darité et dépasser la logique d’assistanat qui, sou-vent, afflige les Eglises les plus pauvres. Là où ladifficulté est générale, il n’est permis à personned’attendre la manne du ciel, et chacun est appelé àapporter sa contribution pour progresser ensemble.

«Une situation particulièrement douloureuse —rapporte avec une grande tristesse le père FrancescoPatton — est celle vécue en ce moment par nosfrères au Liban et en Syrie. Au Liban, parce que leseffets de la pandémie s’ajoutent à la crise écono-mique qui existait auparavant, due à la faillite del’Etat, avec des effets dévastateurs. De plus, en Sy-rie, pour reprendre les paroles de nos prêtres, nouspassons de la pauvreté à la misère. Il y a un an —ajoute le custode de Terre Sainte — nous espérionsavoir dépassé la phase d’urgence liée au conflit en-tre milices djihadistes et pouvoir de l’Etat, dans la-quelle l’engagement pastoral devait se concentrersur les aides alimentaires, et nous projetions depouvoir nous occuper également de la reprise et dudéveloppement... En revanche, nous avons sombréà nouveau dans une situation dans laquelle nousdevons concentrer tous nos efforts sur les œuvres decharité relatives aux besoins primaires, parce que lesgens sont réduits à souffrir de la faim».

Mais le malaise social est sensible et croissantégalement en Israël. Et pas seulement parmi leschrétiens: les manifestations d’impatience de la partde la population locale, prise entre les difficultésdes mesures pour lutter contre la contagion et lacrise économique pressante, se rèpandent toujoursplus. Fin juillet, presque chaque soir, les rues de Jé-rusalem autour du logement du premier minitreNetanyahu ont été le théâtre de manifestations plusou moins peuplées de protestations, et en diversesoccasions, dispersées par les forces de l’ordre. Diffi-cile de dire s’il s’agit de contestations de politiqueintérieure à l’égard des responsables, ou plus sim-plement d’explosions de mécontentement de la partde personnes qui sont en difficulté. Mais il est cer-tain que l’avenir du pays ne se présente pas serein.Sans la contribution du tourisme — et les pèlerinschrétiens représentent certainement une part impor-tante de ce secteur — il est difficile de faire des pré-visions optimistes. On peut tout au moins espérerque les sévères limitations actuellement en vigueurpour l’entrée en Israël aux personnes ne possédantpas de passeport israélien, soient bientôt éliminées.

La date de réouverture des frontières est fixée au 1er

septembre, mais — comme cela a été le cas plusieursfois — elle pourrait être reportée.

Entre temps, de nombreux Italiens qui vivent enTerre Sainte, tant religieux que laïcs, ont des diffi-cultés à rentrer en Israël, après un éventuel séjourdans leur pays. «Je dois rentrer en Italie — raconteBarbara qui vit depuis plusieurs années à Jérusalemet qui travaille pour une ONG — parce que cela faittrop longtemps que je n’y retourne plus, mais avantde partir, j’ai rassemblé toutes mes affaires dans unevalise et des cartons, parce que je ne suis pas certai-ne que l’on m’autorisera à rentrer ici. J’ai laissé lesclés de ma maison à une amie, comme ça, éventuel-lement, elle pourra m’envoyer mes affaires. Je croiseles doigts...». Une situation assez semblable à cellede Daniel, un jeune homme qui collabore depuisplus d’un an comme bénévole au Christian MediaCenter de la Custodie de Terre Sainte: «En septem-bre, il me faudra rentrer en Italie parce que mon

frère se marie. Mais qui sait si j’arriverai à rentrerdans les délais prévus...». Le frère Alberto, direc-teur de l’école franciscaine de musique Magnificat,est plus tranquille: «Comme on me l’a suggéré, j’aiécrit une lettre aux services consulaires de l’ambas-sade d’Israël en Italie, en expliquant que je dois merendre en Italie pour un mois et rentrer ensuite ici.J’ai écrit en hébreu — je vis ici depuis 13 ans — etsans doute pour cette raison, ils m’ont répondu im-médiatement, en me disant qu’ils m’auraient délivréune autorisation sans aucune hésitation». Mais laprésence des chrétiens semble toujours être moinsévidente sur cette terre. Une raison de plus pour nepas oublier ces lieux, cette Eglise et ces gens. «Si jet’oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche! Quema langue s’attache à mon palais si je perds tonsouvenir...» (Psaume 137, 5,6).

Page 8: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

page 10 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 1er septembre 2020, numéro 35

A quarante-deux ans de l’élection de Jean-Paul Ier

Le concile d’Albino LucianiLa Fondation vaticane Jean-Paul Ie r, instituée par le Pape François à travers le Rescriptum ex au-dentia le 17 février dernier, afin que soient favorisés au niveau international la recherche, les études etl’approfondissement de la pensée, ainsi que les enseignements de Jean-Paul Ie r, travaille d’a r ra c h e - p i e dpour consolider sa structure et préparer des activités qui contribuent à mettre en valeur l’œuvre deJean-Paul Ie r. A l’occasion du 42e anniversaire de son élection au pontificat, la fondation est heureusede communiquer que, au cours du Conseil d’administration du 3 juillet dernier, le président, le cardi-nal-secrétaire d’Etat Piero Parolin, a nommé, selon ce que prévoit l’article 11 des statuts, un Comitéscientifique, composé de personnalités «dont la compétence et l’expérience sont reconnues».

ANDREA TORNIELLI

La soirée d’il y a 42 ans, apparaissait sou-riant à la Loggia centrale de la basiliqueSaint-Pierre le successeur du Pape

Paul VI. Albino Luciani, patriarche de Venise,fut élu le 26 août 1978 au quatrième scrutin,en prenant le double nom de Jean-Paul, enhommage à ses prédécesseurs immédiats, lesPapes Roncalli et Montini. Le premier avaitvoulu qu’il soit évêque de Vittorio Veneto,l’incluant ainsi parmi les pères du Concile, ledeuxième l’avait transféré à Venise et créé car-dinal. Cette chaude soirée d’été, personnen’aurait pu imaginer que le pontificat de Jean-Paul Ie r, doux et humble pasteur vénitienayant des origines montagnardes, aurait étél’un des plus brefs de l’histoire. Quarante-deux ans après cet événement, à une époqueoù le Concile œcuménique Vatican II est l’ob-jet d’attaques et de critiques, il est significatifde rappeler Albino Luciani à travers certainesde ses paroles écrites quand il était évêque etpère conciliaire, pour expliquer aux fidèles deson diocèse ce qui se déroulait à Rome.

Contre le pessimisme généraliséDans la phase préparatoire, Albino Luciani

ne manque pas de donner son avis par écrit.Dans son vote, l’évêque de Vittorio Venetoforme le vœu que le futur Concile mette enlumière «l’optimisme chrétien», inscrit dansl’enseignement du Ressuscité, contre «le pes-simisme généralisé» de la culture relativiste,dénonçant une ignorance importante des«choses élémentaires de la foi». Albino Lucia-ni part pour Rome, participe aux sessions duConcile, écoute avec attention les débats. Ilne prend jamais la parole, mais il remplit plu-sieurs pages d’annotations. Il relit AntonioRosmini, étudie à fond de nombreux théolo-giens, parmi lesquels Henri de Lubac et HansUrs von Balthasar. Il écrit souvent aux fidèlesde son diocèse, les tient au courant des résul-tats du Concile et explique des thèmes déli-cats avec son habituel style didactique et caté-chétique, évitant toutefois, dans le mêmetemps, les simplifications excessives. L’évêqueLuciano indique immédiatement ce qui, à sesyeux, sera l’acteur principal du Concile:«L’Esprit Saint, présent aux travaux à traversson assistance pour empêcher les erreurs et lesdéviations doctrinales». Une assistance, écrit-il, qui sera apportée collectivement aux mem-bres du Concile comme à des «chefs d’Eglise,non pas comme à des hommes individuels»qui «demeureront des hommes avec leur tem-p érament».

Une expérience d’Eglise universelleDans un message pour la journée mission-

naire, en date du 14 octobre 1963, Albino Lu-ciano informe ses diocésains qu’il touche dudoigt les missions dans les personnes des évê-ques réunis de toutes les parties du monde. Eten effet, il écrit: «Dans la salle du Concile, ilme suffit de lever les yeux vers les marchesqui se trouvent devant moi. Les voilà: la bar-be des évêques missionnaires, le visage noirdes Africains, les pommettes saillantes desAsiatiques. Et il me suffit d’échanger quelquesmots avec eux; des visions et des besoins s’ou-

vrent devant eux, dont nous n’avons aucuneidée». Au terme de la première période conci-liaire, Albino Luciani retourne chez lui avecson «voisin de classe», Charles Msakila,évêque de Karema (Tanganika), auquel ildonnait l’hospitalité pour quelques jours: ungeste d’attention, mais aussi une façon de fai-re respirer au diocèse la dimension de l’uni-versalité de l’Eglise. L’élan missionnaire res-sort également des paroles que l’évêque deVittorio Veneto consacre au Pape Jean XXIII,en célébrant en juin 1963 une Messe d’inten-tion pour le Pape qui venait de mourir.«L’idée du Pape Jean XXIII qui a le plus frap-pé mon esprit est celle-ci: Ecclesia Christi lu-men gentium! L’Eglise doit être une lumièrenon seulement pour les catholiques, maispour tous; elle est à tous, il faut chercher à larapprocher de tous».

Réforme liturgiqueDeux extraits, parmi les écrits de Mgr Lu-

ciani, pour comprendre que le futur Pape pre-nait en considération certains des thèmes cru-ciaux du Concile. Le premier concerne la li-turgie. «Au cours de la première session duConcile — écrit Albino Luciani — le grandproblème, en ce qui concerne la Messe, a été:quelles aides offrir aux fidèles, afin qu’ils ti-rent le plus grand fruit possible de cela, quiest «le point culminant de la vie chrétienne?».Une première aide, on l’a dit, doit provenir dela Bible. La Bible est la parole de Dieu; elleest extraordinaire pour créer un climat de reli-giosité juste et fervente... La lecture des lettreset de l’Evangile doit être faite directement enitalien, quand les fidèles assistent à la Messe,et doit être davantage mise en valeur... Uneseconde aide est l’utilisation de la langue ita-lienne. Lors de la première session du Conci-le, au moins 81 évêques ont demandé pour laliturgie l’utilisation de la langue maternelle.D’autres évêques étaient craintifs... D’a u t re sencore firent remarquer que l’Eglise, par lepassé, a changé de langue à plusieurs reprises,s’adaptant à la langue du peuple. Jésus lui-même parla et pria non pas en hébreu, la lan-gue nationale de la Palestine, mais en ara-méen, la langue du peuple... Une troisième ai-de consiste à simplifier les rites de la Messe.Pour être sincère, certains rites, au cours dessiècles, se sont chevauchés, d’autres ne sontpas compris par le peuple d’a u j o u rd ’hui etd’autres, pour être compris, ont besoin d’ex-plications compliquées. Un rite — a-t-on ditau Concile — ne doit pas être une chose àpropos de laquelle parler et à expliquer, maisune chose qui parle et s’explique d’elle-même:dans tous les cas, n’imposons pas aux fidèlesd’inutiles difficultés!... Une quatrième aideconsiste à promouvoir et faciliter la participa-tion des fidèles».

Liberté religieuseL’un des thèmes les plus délicats et com-

plexes affrontés par le Concile fut celui de laliberté religieuse. Pour Albino Luciani, ce futun changement significatif par rapport auxenseignements du séminaire. L’évêque de Vit-torio Veneto explique ainsi ce moment:«Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’ilexiste une seule véritable religion... Mais, cela

étant dit, il existe également d’autres chosesqui sont justes et il faut les dire. C’e s t - à - d i reque qui n’est pas convaincu par le catholicis-me a le droit de professer sa religion pourplusieurs raisons. Le droit naturel dit que cha-cun a le droit de chercher la vérité. Or, sachezque la vérité, en particulier religieuse, ne peutêtre recherchée en s’enfermant dans une pièceet en lisant des livres. On la cherche sérieuse-ment en parlant avec les autres, en se consul-tant... N’ayez pas peur de donner une gifle àla vérité quand vous donnez à une personnele droit d’utiliser sa liberté».

Respecter les droits des non-catholiquesMgr Luciani écrit encore: «Si quelqu’un a

conscience que c’est là sa religion, il a le droitde la conserver, de la manifester et d’en fairela propagande. Il faut juger comme bonne sapropre religion, mais également celle des au-tres. Le choix de la religion doit être libre;plus elle est libre et convaincue, plus qui l’em-brasse s’en sent honoré. Voilà les droits, lesdroits naturels. Or, il existe un droit auquelne correspond aucun devoir. Les non-catholi-ques ont le droit de professer leur religion, etj’ai le droit de respecter leur droit: moi, per-sonne privée, moi prêtre, moi évêque, moiEtat».

Faites mieux le catéchismeEnfin, dans les écrits du père conciliaire

Luciani, se retrouvent également ces parolesd’une actualité significative dans la relationavec les croyants d’autres confessions. Bienqu’elles aient été écrites il y a 56 ans, ellessont encore pertinentes et apparaissent en har-monie avec la phrase de Benoît XVI fréquem-ment citée par son successeur François:«L’Eglise ne grandit pas par prosélytisme,mais par attraction». Et donc, face à la pré-sence des autres confessions religieuses, ce nesont certainement pas les interdictions de lesprofesser, ou même le retranchement défensifqui maintient en vie le christianisme. La foichrétienne existe et se diffuse s’il y a des chré-tiens qui la vivent et la témoignent à traversleur vie. «Certains évêques — écrit Albino Lu-ciani — se sont effrayés: mais alors, demain,les bouddhistes arrivent et font leur propa-gande à Rome, ils viennent convertir l’Italie.Ou encore, il y a quatre mille musulmans àRome: ils ont le droit de construire une mos-quée. Il n’y a rien à dire: il faut les laisser fai-re. Si vous ne voulez pas que vos enfants seconvertissent au bouddhisme ou deviennentmusulmans, alors faites en sorte qu’ils soientréellement convaincus de leur religion catho-lique».

Page 9: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

numéro 35, mardi 1er septembre 2020 L’OSSERVATORE ROMANO page 11

L’OSSERVATORE ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suumEN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

Cité du Vaticanredazione.francese.or@sp c.vaw w w. o s s e r v a t o re ro m a n o .v a

ANDREA MONDAd i re c t e u r

Giuseppe Fiorentinov i c e - d i re c t e u r

Jean-Michel Couletrédacteur en chef de l’édition

Rédactionvia del Pellegrino, 00120 Cité du Vatican

téléphone + 39 06 698 99400 fax + 39 06 698 83675

TIPO GRAFIA VAT I C A N A EDITRICEL’OS S E R VAT O R E ROMANO

Service photo: [email protected]

Agence de publicitéIl Sole 24 Ore S.p.A,

System Comunicazione PubblicitariaVia Monte Rosa, 91, 20149 Milano

s e g re t e r i a d i re z i o n e s y s t e m @ i l s o l e 2 4 o re . c o m

Abonnements: Italie, Vatican: 58,00 €; Europe: 100,00 € 148,00 $ U.S. 160,oo FS; Amérique latine, Afrique,Asie: 110,00 € 160,00 $ U.S. 180,00 FS; Amérique du Nord, Océanie: 162,00 € 240,00 $ U.S. 260,00 F S. Renseignements:téléphone + 39 06 698 99489; fax + 39 06 698 85164; courriel: abonnements.or@sp c.vaBelgique: Editions jésuites ASBL 141, avenue de la Reine 1030 Bruxelles (IBAN: BE64 0688 9989 0952 BIC:GKCCBEBB); téléphone o81 22 15 51; fax 081 22 08 97; [email protected] n c e : Bayard-Ser 14, rue d’Assas, 75006 Paris; téléphone + 33 1 44 39 48 48; [email protected] Editions deL’Homme Nouveau 10, rue de Rosenwald 75015 Paris (C.C.P. Paris 55 58 06T); téléphone + 33 1 53 68 99 [email protected]. Suisse: Editions Saint - Augustin, casepostale 51, CH - 1890 Saint-Maurice, téléphone + 41 24 486 05 04, fax + 41 24 486 05 23, [email protected] - Editions Parole et Silence, LeMuveran, 1880 Les Plans sur Bex (C.C.P. 17-336720-5); téléphone + 41 24 498 23 01; [email protected] Canadaet Amérique du Nord: Editions de la CECC (Conférence des Evêques catholiques du Canada) 2500, promenade Don Reid,Ottawa (Ontario) K1H 2J2; téléphone 1 800 769 1147; [email protected]

A neuf ans de la mort de Mgr Cesare Mazzolari

Une vie vécue et donnéeaux côtés des pauvres du Sud Soudan

GIULIO ALBANESE

Dans le grand livre de la Mission avecun «M» majuscule, sont inscrits lesnoms d’hommes et de femmes qui ont

donné leur vie pour la cause du Royaumedans ce que le Pape François a défini de fa-çon pertinente les «périphéries du monde».L’auteur de ces lignes a eu la grâce d’en con-naître certains qui ont marqué de façon décisi-ve l’histoire de l’évangélisation en terre africai-ne. La figure de Mgr Cesare Mazzolari, re-gretté évêque de Rumbek, diocèse au cœur dela région tourmentée de Bahr el Ghazal, auSoudan du Sud, est emblématique. Décédédans la matinée du 16 juillet 2011 à la suite decomplications cardiaques, alors qu’il célébraitla Messe, il a été un authentique annonciateuret témoin de la Bonne Nouvelle.

Il n’est pas facile de faire mémoire de sonpassé dans la mesure où toute description,aussi attentive et scrupuleuse soit-elle à en sai-sir les détails, est toujours réductrice par rap-port au mystère d’une vie vécue généreuse-ment aux côtés des pauvres. Neuf ans se sontécoulés depuis la proclamation de l’indép en-dance du Soudan du Sud et il est bon de rap-peler que précisément alors que naissait le 193e

pays du monde, s’éteignait Mgr Mazzolari —pendant 30 ans missionnaire en terre du Sou-dan du Sud et pendant 12 ans évêque deRumbek — exactement une semaine après lajoie ressentie pour la liberté atteinte par«son» peuple soudanais. «Ne fermez pas vo-tre main, votre esprit ou votre cœur au peuplenaissant et riche de défis du Soudan du Sud.Ensemble, nous pouvons développer le payset la vie de notre village global avec une Italieet une Afrique main dans la main», écrivait lepère Cesare (je l’ai toujours appelé ainsi: pourmoi, il était un père et un ami) dans la soiréela veille de sa mort, comme pour nous encou-rager tous à mener à terme sa mission dans cejeune pays, fragile et ayant besoin de tout.

Né à Brescia le 9 février 1937, il appartenaità la congrégation des missionnaires combo-niens. Ordonné prêtre à San Diego en Cali-fornie (Etats-Unis) le 17 mars 1962, il accom-plit ses premières années de ministère à Cin-cinnati dans l’Ohio, dans une communautéportant une attention pastorale aux besoinsdes populations afro- et latinoaméricaines. En1981, il arriva au Soudan, où il œuvra toutd’abord dans le diocèse de Tombura-Yambio,et par la suite dans l’archidiocèse de Juba, oùil occupa la charge de supérieur provincial descomboniens, alors présents au Soudan duSud. En 1990, Mgr Mazzolari fut nommé parJean-Paul II administrateur apostolique dudiocèse de Rumbek. C’était les années deguerre entre le Nord et le Sud du pays, et lapopulation locale subissait des souffrances in-dicibles. Dans ce contexte, il s’engagea inlas-sablement dans une activité pastorale visant àrépondre aux nécessités spirituelles et maté-rielles d’une multitude de personnes dans lebesoin. En 1991, il rouvrit courageusement lamission de Yirol, alors que les combats entreles forces du gouvernement et celles rebelles

faisaient rage. Et bien qu’en avril de la mêmeannée, il fut contraint d’abandonner la struc-ture missionnaire sous les menaces des forcesdu gouvernement, il ne perdit jamais l’esp é-rance. Le destin voulut que l’auteur de cettebrève évocation de sa vie missionnaire pas-sionnée, se trouva précisément là avec lui,comme journaliste et confrère, en ces circons-tances si difficiles. Il suffit de penser que l’onpouvait rejoindre la mission de Yirol de lafrontière avec le Kenya uniquement en survo-lant pendant deux heures et demi l’espace aé-rien à basse altitude, pour éviter d’être inter-cepté par l’aviation du gouvernement du Sou-dan. Le risque de perdre la vie dans un telcontexte de conflits était quotidien.

En 1994, Mgr Mazzolari fut capturé et rete-nu en otage pendant 24 heures par les rebellesdu SPLA (Armée de libération populaire duSoudan), un groupe armé indépendentiste enlutte contre le gouvernement de Khartoum.Le 6 janvier 1999, il fut ordonné évêque par lePape Jean-Paul II, avec la présence du cardi-nal Giovanni Battista Re et de l’a rc h e v ê q u eFrancesco Monterisi comme co-consacrants.La présence de Mgr Mazzolari aux côtés d’unpeuple si honteusement humilié et écrasé danssa dignité a toujours représenté un signe d’es-pérance extraordinaire pour l’Eglise duSoudan.

Au cours de ses très nombreux voyages enItalie, il se prodigua toujours pour «donnerune voix aux sans-voix», obtenant un profondécho dans l’opinion publique. Il demandatoujours à tous l’engagement de «ne pas ou-blier, parce que les gens du Soudan du Sudont besoin d’une paix juste dans le respectdes droits humains». A Rumbek s’élève la ca-thédrale de la Sainte-Famille, construite et dé-truite à plusieurs reprises au cours de la guer-re civile sanglante. Entourée d’une couronned’arbres de majestueux frangipanes, elle a étéle «fort de Dieu», d’où l’évêque Cesare se ré-véla être un messager de paix. Une mission

dont il témoigna jusqu’au bout, à travers saprésence, au cours de la cérémonie d’indép en-dance de la nouvelle République du Soudandu Sud à Juba, le 11 juillet 2011.

Nous savons tous combien le destin de cepays — le 54e à être né dans l’échelle chronolo-gique — tient au cœur du Pape François, ainsiqu’a son désir de le visiter. En effet, après l’in-dépendance, des divisions internes à la leader-ship qui aurait dû gouverner le pays sont ap-parues, qui ont ensuite dégénéré dansl’énième conflit armé. Comme un grand nom-bre de nos lecteurs se le rappelleront, en dé-cembre dernier, à l’occasion de Noël et du dé-but de la nouvelle année, dans une lettre si-gnée avec le primat anglican Justin Welby etle révérend John Chalmers, ancien modéra-teur de l’Eglise presbytérienne d’Ecosse, le Pa-pe envoya un message conjoint aux responsa-bles du Soudan du Sud, les assurant de leurproximité à «vos efforts pour une mise enœuvre rapide des Accords de paix».

Le chemin est naturellement encore long etdifficile, comme l’a rappelé la Caritas italiennedans un dossier récemment publié, notam-ment compte tendu de la pandémie du coro-navirus. «Si le pays, en effet, veut avoir unavenir — lit-on dans le dossier — il faut un en-gagement commun vers les objectifs suivants:formation et réconciliation au niveau poli-tique, militaire et communautaire; transparen-ce dans la gestion des ressources naturelles etlutte contre la corruption; cohérence des poli-tiques et approche intégrée entre réponse hu-manitaire, réhabilitation, développement etpaix; investissements efficaces dans des infras-tructures et services primaires, priorité auxjeunes et aux femmes en tant qu’acteurs duchangement». Autant de défis déjà énoncéspar Mgr Mazzolari qui, en retournant à lamaison du Père, a passé le témoin à l’Eglisedu Soudan du Sud afin qu’elle continue de sefaire l’interprète des instances de paix et deréconciliation de son peuple.

Page 10: 1,00 € Numéros précédents 2,00 € OL’ S S E RVATOR E ......Mais cela n’est pas le dessein de la création. «Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à

page 12 L’OSSERVATORE ROMANO mardi 1er septembre 2020, numéro 35

Document du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et le WCC

La solidarité entre les religionsau service d’un monde blessé

Servir un monde blessé dans la solidarité interre-ligieuse. Un appel chrétien à la réflexion et àl’action pendant le covid-19 et après, est le titredu document conjoint que le World Councilof Churches (WCC) et le Conseil pontificalpour le dialogue interreligieux (CPDI) ont pré-paré dans le but d’encourager les Eglises, lescommunautés et les organisations chrétiennesà réfléchir sur l’importance de la collaborationentre les religions dans un monde blessé parla pandémie.

Le document — diffusé dans la matinée dujeudi 27 août — veut offrir une base chrétienneà la «solidarité interreligieuse» capable d’ins-pirer et de confirmer l’engagement au serviced’une humanité qui porte les signes de la criseprovoquée par le virus et de nombreuses au-tres blessures. La publication a été conçuepour être utile également à ceux qui profes-sent d’autres religions et qui, face à l’u rg e n c e ,ont apporté des réponses analogues à partirde leurs propres traditions de foi.

Le point de départ du document est la re-connaissance de l’actuel contexte de la pandé-

mie comme occasion pour découvrir de nou-velles formes de solidarité et pour repenser lemonde après le covid-19. Divisé en cinq sec-tions, le document réfléchit en général sur lanature d’une solidarité soutenue par l’esp éran-ce et offre en particulier une base chrétienne àla «solidarité interreligieuse», en identifiantcertains principes-clés et en indiquant une sé-rie de recommandations pour traduire la ré-flexion en action concrète et crédible.

Le cardinal Miguel Angel Ayuso Guixot,président du CPDI, a rappelé à ce propos quele service et la solidarité chrétienne dans unmonde blessé font partie de l’agenda du Con-seil pontifical et du WCC depuis l’an dernier.La pandémie n’a fait que donner un élan à ceprojet et à encourager l’élaboration d’une «ré-ponse œcuménique et interreligieuse rapide».Cette crise, a expliqué le cardinal, «a mis à nules blessures et les fragilités de notre monde,en révélant que nos réponses doivent être of-fertes dans une solidarité inclusive, ouverteaux fidèles d’autres traditions religieuses etaux personnes de bonne volonté, en tenant

compte de la préoccupation pour toute la fa-mille humaine».

Pour sa part, le secrétaire général ad inte-rim du WCC, Ioan Sauca, a affirmé que le dia-logue interreligieux est vital pour guérir desblessures et pour prendre soin les uns des au-tres au niveau mondial. «Face à la pandémiedu covid-19, les membres de la famille humai-ne font face ensemble à un appel sans précé-dent en vue de se protéger réciproquement etde guérir nos communautés», a-t-il dit. «Ledialogue interreligieux — a-t-il ajouté — nonseulement aide à expliquer les principes denotre foi et de notre identité de chrétiens,mais il élargit également notre compréhensiondes défis et des solutions créatives que d’au-tres pourraient avoir».

Le document — le dernier en date à êtrepublié conjointement par le Conseil pontificalpour le dialogue interreligieux et par le WCC— suit la publication d’Education à la paixdans un monde multireligieux: une perspectivec h ré t i e n n e , rédigé en mai 2019.

Le don de Safira Jamil Hafidh à sa ville

La bibliothécaire de Bagdad

ELISA PINNA

Son histoire est parue sur tous les journauxdu monde arabe: à l’âge de 88 ans, magnifi-quement portés, l’écrivaine irakienne Safira

Jamil Hafidh a décidé il y a quatre mois de trans-former sa collection privée de livres, conservésdans le salon et dans les pièces de sa maison àBagdad, en une bibliothèque ouverte au public.Avec l’aide d’amis et d’autres écrivains, elle atransporté les livres, des textes modernes et an-ciens en arabe, en anglais et en français dansdeux pièces au dernier étage de l’immeuble où el-le vit, dans le quartier aisé de Kaddara. La nou-velle «bibliothèque» de Bagdad a une entrée pri-vée, à laquelle tous peuvent accéder. Des centai-nes, sans doute des milliers de livres, classés parthème, parlent de culture, de mémoire, d’h i s t o i re .Sur les étagères figurent des manuscrits rares. Al’entrée est exposée une petite et précieuse collec-tion de tableaux et d’objets artistiques irakiens.Safira Hadith est tout à fait consciente que la si-tuation dans son pays continue d’être incertaineet dangereuse, chaque jour des manifestations etdes protestations traversent les rues de Bagdad.La pandémie de covid-19 fait rage. Même une bi-bliothèque ouverte au public peut devenir un ris-que et une cible. L’écrivaine n’a pas peur: elleveut aider son pays à retrouver sa richesse intel-lectuelle et historique. Et elle est convaincue queles livres peuvent changer la vie et elle espèrechanger beaucoup d’autres vies, après des décen-

nies de guerre, de pillages, de des-tructions, qui n’ont pas épargnéles plus importantes bibliothèqueset les lieux de culture nationaux.«Je voudrais que ma bibliothèquedevienne un lieu de rencontre etde coexistence pour des personnesde tous âges, de confessions et demilieux différents. Un lieu pourapprendre et pour repartir à partirde nos racines les plus profon-des», a-t-elle expliqué aux jour-naux.

L’écrivaine appartient à une importante familled’intellectuels irakiens. Sa mère était une femmeengagée dans la scolarisation de base et dansl’émancipation féminine, un thème presque tabouà une époque où les hommes considéraient que ledomaine public était exclusivement de leur com-pétence. Safira Hafidh elle-même, auteure proli-fique, commença à écrire des livres à succès dèsles années cinquante, alors qu’elle n’était guèreplus qu’une adolescente, et parmi ses best-sellers,mérite d’être rappelé Enfants et jouets, un texteconsacré à la condition des femmes et des mèresarabes. Safira Hafidh confesse avoir toujours rêvé,au fond, de devenir bibliothécaire et d’accueillirdes lecteurs, des visiteurs, des curieux. «J’ai ou-vert la bibliothèque en hommage à toutes lesmères: une mère est comme une école: elle veutque ses enfants apprennent, lisent des livres, s’ins-

blessés, et devenue ensuite un no man’s land oùs’affrontaient les diverses factions irakiennes, Al-Mutanabbi a connu une renaissance incroyable.Certes, pour l’instant, seuls quelques magasinsont rouvert leurs portes, mais, le vendredi en par-ticulier, la rue se remplit d’universitaires et d’écri-vains, à la recherche de manuscrits introuvablesailleurs ou des dernières parutions littéraires.

A Mossoul aussi, l’antique Ninive, existait larue des livres. En 2014, les miliciens de Daeshs’étaient acharnés contre ses boutiques, ils avaientincendié tout ce qui avait trait à la culture et, defait, ne s’étaient pas même arrêtés devant la cé-lèbre bibliothèque universitaire. Avec leur bigote-rie féroce et sanglante, les combattants du califatnoir voulaient effacer la mémoire d’une ville ren-due jadis célèbre par ses monuments et sa vitalitéintellectuelle. Ils n’y sont pas parvenus. A Al-Nujaifi Street, c’est ainsi que s’appelait et qu’a re-commencé à s’appeler la rue des livres deMossoul, une boutique a été rouverte par la fa-mille Al-Knikchy, libraires depuis de nombreusesgénérations. Ils ont dû reconstruire complètementleur librairie, parce que la rue a été rasée au solau cours de la bataille pour la reconquête deMossoul de la part de l’armée irakienne. Un autrepassionné de livres, Fahad Al-Gburi, après la libé-ration de la ville, a décidé d’abandonner son tra-vail d’ingénieur et d’inaugurer un café littéraire àMossoul Est, où l’on peut discuter de littérature,de politique et de musique. Le local accueille éga-lement un club d’écrivaines (photo ci-contre). C’estla dernière nouveauté dans un pays, l’Irak, qui, li-vre après livre, s’efforce de reconstruire sona v e n i r.

t ru i s e n t » .La bibliothécaire octagénaire de

Bagdad est devenue le symbole d’unereprise culturelle que personne, jus-qu’à il y a peu de temps, n’imaginaitpour l’Irak. Certains commerçants,au cours des derniers mois, ont ba-layé les décombres et rouvert leursboutiques de livres dans la rue histo-rique Al-Mutanabbi Street, la rue ducentre de Bagdad qui, depuisl’époque de l’empire ottoman, était lelieu où étaient publiés et vendus leslivres. Balayée par un attentat san-glant en 2007, ayant provoqué desdizaines de morts et des centaines de