7/29/2019 05-chronique de Jean-Luc n5

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Quand on nous dit :La vie augmente, ce nest pas

Que le corps des femmesDevient plus vaste,que les arbresSe sont mis monterPar-dessus les nuages,Que lon peut voyagerDans la moindre des fleurs,Que les amantsPeuvent des jours entiers rester spouser.Mais, cest, tout simplement,Quil devient difficileDe vivre simplement.

(Eugne Guillevic)

Antonio Tabucchi, grande figure des

lettres italiennes, est mort au printemps de cette

anne 2012 (le 25 mars). Il tait italien, avait le

Portugal comme deuxime patrie, tait amoureux de

la France et sen prenait rgulirement SilvioBerlusconi et aux autres chantres de lconomie

librale : il dfendait ardemment une Europe de la

culture et de lesprit, une Europe ouverte et sociale.

Ctait un humaniste daujourdhui, ce que jappelle

une belle personne.

La bibliothque de Mosset possde deux de ses romans. Je vous invite les lire.

A commencer par Pereira prtend. Aot 1938. Pereira est journaliste

Lisbonne. Tabucchi le dcrit comme un gros homme dun certain ge, qui

se gave domelettes au fromage (ou aux herbes) et qui tanche une soif

inextinguible coup de citronnades.

Une simple personne (pessoa, en portugais) qui cherche ses mots tout en

cherchant sa place au sein de la rdaction du Lisboa, modeste journal de

la capitale. Bien petit le monde de Pereira, au dpart On la placardis

en lui confiant la direction dune vague page culturelle ; sa seule

chappatoire : le rcit de ses journes quil tient la photo de son

pouse dfunte. Et puis ce

monde se dilatera quand

Pereira rencontrera la fracheur

dun jeune couple de passage. Il va devenir, non pas malgr

lui mais malgr le rle dans le quel il stait laiss enfermer,

un subversif et par l mme une belle personne.

Petit petit, il va ouvrir les yeux sur ltat du monde, et il

va mesurer combien le monde va mal : ainsi, deux pas de

chez lui, une boucherie juive dont, un beau matin, il

dcouvre la vitrine en mille morceaux et la faade couverte

dinscriptions. Il finira aussi par prendre la mesure de la

veulerie de son rdacteur en chef. Il dcouvrira quon peut

tre un intellectuel et tre un parfait salaud : Claudel,

Dannunzio, Marinetti en prennent pour leur grade.

Reste les belles personnes, Pereira nous en fera rencontrer au fil des

chapitres. Rossi et Marta, le jeune couple dactivistes qui luttent contre le

fascisme (le franquisme espagnol, le salazarisme portugais), le pre

Antonio, cur de la paroisse, un mdecin thermal, le Dr. Cardoso Dans le

train, il y a cette Allemande, juive, appareille dune jambe de bois, qui lui

dit : Vous tes un intellectuel, dites ce qui est en train de se passer en

Europe, exprimez librement votre pense, enfin faites quelque chose

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Quand ils sont venus chercher les

communistes,

Je nai rien dit,

Je ntais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les

syndicalistes,

Je nai rien dit,

Je nai rien dit, je ntais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,

Je nai pas protest,

Je ntais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les catholiques,

Je nai pas protest,Je ntais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher

Et il ne restait personne pour protester.

Martin Niemller (pasteur, intern Dachau)

Il fera quelque chose. Je vous laisse dcouvrir lastucieux coup dclat qui consacre la

mtamorphose de Pereira.

En fait, sans le savoir, il avait dj en lui cette

capacit tre attentif aux autres et au monde. Ne

refuse-t-il pas quon rabougrisse la culture la seuledimension des classiques portugais ; lui, il aime les

crivains franais, choisissant chez eux, pour les

traduire, des pages qui sont dj des pages de

rsistance (nous sommes en 1938, et dans la France

du Front Populaire la place est encore possible aux

rves et aux illusions).

Pereira prtend , formule que Tabucchi rpte

lenvi. Car il fait de son personnage un simple tmoin,

qui naffirme pas, mais qui dlivre son sentiment ; Il aouvert les yeux, il a jug, il a agi et il tmoigne avec

retenue, modestie. Certes il y a chez lui un fond de

mlancolie (la saudade portugaise) mais aussi une

certaine capacit dhumour. Pereira prtend, il ne

prtend pas crire un manifeste mais il prtend avoir

touch la vrit Sostiene Pereira (en italien).

Autre roman de Tabucchi que je vous recommande : La tte perdue de Damasceno Monteiro

Sil est question de tte perdue, ce ne sera pas de trop den avoir deux

pour rsoudre le mystre de ce cadavre dcouvert dcapit dans un terrain

vague.

La premire tte chercheuse, cest celle de Firmino, jeune journaliste dans

un tablod lisbote. On lenvoie Porto, dans le Nord ! (on croirait

entendre Galabru dans Bienvenue chez les Chtis) o a eu lieu le crime.

Personnage qui nous touche quand on le dcouvre russissant vaincre ses

prventions et apprcier le charme de la cit portuane. Comment peut-on

prtendre ne pas aimer une ville quon ne connat pas bien ?

La seconde tte, bien faite et bien pleine, est celle de lavocat portuan

Fernando Diogo Maria de Jesus de Mello de Sequeires, surnomm lavocat

Loton, parce quil ressemble lacteur Charles Laughton (photo ci-contre). Gros

apptit de table et de justice. Il plaide la cause des dmunis : lui qui est issu

dune riche famille de propritaires terriens, il veut apporter une espce de

correction tardive lHistoire .

Face Firmino le Lisbote, il plaide aussi pour la cuisine du Nord, prouvant

qu Porto on ne mange pas que des tripes ( Lisbonne, les habitants de Porto ne sont pas appels

Portuans mais Tripeiros !)

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Salade de crevettes la mayonnaise frache

Rojes la mode du Minho (une variante du saut de porc (photo ci-dessous)

Morceaux de filet de porc sauts la pole, accompagns de pommes de terre rissoles

Salade de poulpes avec huile, citron et persil

Riz aux haricots rouges avec des pinoches frites

Roul de cabillaud au fourSoup au chou vert et croquettes la sauce tomate

Grillades de porc

ufs brouills

Le roman fait alterner des pages pleines de gravit, o sont convoqus les grands noms de la

culture europenne (Hlderlin, Lukcs, Flaubert, Jean Amry, cet essayiste juif autrichien rchapp

dAuschwitz qui se suicide en 1978), et des pages o affleure un humour flegmatique et une douceur

qui me semple tre la marque dAntonio Tabucchi.

Lenqute de lavocat Loton et de Firmino va nous faire rencontrer debelles personnes (l aussi) : Manolo le Gitan, surnomm el Rey ( roi

dun beau merdier, oui dit-il), Dona Rosa qui tient la pension o loge

Firmino et qui est comme son ange tutlaire, le garon du caf de la

place qui ne veut pas que le Portugal devienne un pays raciste , un

employ des Chemins de Fer (une rencontre surraliste o il est prouv

que se tenir compagnie vaut tous les rglements du monde), et mme,

dans une gargote, un camlon appel Fernando Pessoa (du nom du

plus grand crivain portugais du XXe sicle, traduit en italien par Tabucchi).

Leurs investigations vont dbusquer un paquet de crapules qui se permettent tous les crimes au

nom de la Grundnorm (la norme fondamentale qui veut que dans toute socit bureaucratique il

y ait au-dessus de vous un systme de lois qui puissent couvrir vos forfaits, triste alibi dnonc par

Hannah Arendt dans La banalit du mal, propos dAdolf Eichmann).

Le tribunal tombera dans le pige de cet alibi mais, dans les

dernires pages, lavocat apprend Firmino rentr Lisbonne

quil a obtenu une rvision du procs aprs la dcouverte

dun nouveau tmoin : un travesti fich pour prostitution.

- Avocat Loton, personne ne croira ce tmoignage- Cest une personne. Souvenez-vous-en, jeune homme,

avant toute chose cest une personne.

Quand on vous disait : pessoa

La leon dAntonio Tabucchi? Dilater lespace et notre

attention au monde et aux autres, notre me nayant pas de

limite dans son expansion. Jaimerais conclure en crivant que

Tabucchi se serait plu Mosset, dcouvrant sa tradition

daccueil et douverture. Il se serait senti en pays de

connaissance ( village dEurope et du monde ! ) :

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1) au milieu de ces migrants, ces forasters, apportant avec eux

leur vcu, leurs horizons et leur esprance. Italiens (la famille

Sangaletti, arrive en 1930), Chiliens (Jos et Eileen Caballero,

arrivs en 1983), Britannique dau-del des mers (Rose Murray et

son exprience jamacaine, installe en 1994)1.

Ci-contre 3 captures dcran du film : Les trangers de Mosset

Dans le film consacr aux "Etrangers de Mosset", Henri (Bousquet)

discute avec Jos le rfugi chilien qui a d fuir son pays sous la coupe du

dictateur Pinochet ; leur discussion porte sur la "place" de l'tranger dans le

Mosset actuel, sur ce que tous "les trangers" ont apport et apportent

aujourd'hui encore au village qui, sans eux, serait moribond. Et l, toute

l'Humanit, toute la Tolrance du Monde s'expriment dans le regard et les

paroles du vieux berger, de ce vieil homme que l'on revoit, une dernire

fois - est-ce prmonitoire ?- mditatif et semble-t-il trs las, dans le champ

qu'il vient de travailler. (Jean Llaury,Journal des Mosstans, n 47)

2) la Come2

qui vit arriver en 1933 Pitt et Yvs Krger, bientt

rejoints par trois autres exils allemands, tous rfractaires au

nazisme. En 1936, ils fondent la premire Auberge de Jeunesse du

Sud de la France qui, ds lorigine, rassemblera des jeunes de

nombreux pays et de toutes classes sociales unis par le mme idal

de fraternit et de vie simple. En 1939-40, la Come se transforme

en vritable centre social, ducatif et pdagogique avec les petits

espagnols rfugis de la guerre civile. En 1942, sy ajoutent

dautres victimes de guerre : enfants sous-aliments des grandesvilles, menacs par les bombes, privs de famille ou de scolarit,

jeunes juifs aussi En 1965-66, il y aura laccueil de vingt enfants

tibtains que lon dcouvre dans un reportage tl3

(image ci-contre).

3) et, ces derniers temps, au sein

de lassociation des Saxifrages4

par

laquelle un groupe de Mosstans

lutte contre la pense unique, le

prt penser convenu, se proposant dorganiser les rencontres

utopiques de Mosset . En quelques annes, on a dbattu de ladcroissance, de la dsobissance civile, de limage et du pouvoir, de

lOrganisation Mondiale du Commerce, de la Palestine et du Moyen-

Orient, de lhritage des Conseil National de la Rsistance

On dira peut-tre que mon

inventaire mosstan est partiel et

partial. Quon men excuse, mais je

nai pas voulu mcarter de mon sujet ni ne prtends en avoir une

vision exhaustive. (ci-contre lil attentif dAntonio Tabucchi)

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Antonio Tabucchi, crivain universellement europen

la Repubblica (quotidien italien) rappelle le rle politique de Tabucchi, porte-parole des anti-

Berlusconi et infatigable dnonciateur, par ses prises de positions et ses chroniques, dun typede rgime qui tuait la culture et pouvait mener au pire. Les fantmes toujours : ceux des

dictatures passes et ceux des hommes qui y rsistent. Italien, Portugais, Franais ou

universellement Europen ? Antonio Tabucchi prtendra toujours que les livres peuvent veiller

les consciences.(tlrama.fr du le 26 mars 2012)

1Sur Eileen et Jos cf :http://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm13.pdf(p.8-9)

et http://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm14.pdf (p.8-9)Sur ROSE Murray :http://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm21.pdf(p.26-27)

2Sur lhistoire de la Come : http://www.lacoume.org/histoire.html

3Reportage sur les enfants tibtains la Come :http://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-

spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.html

Quand jai exhum cette vido, ctait pour quelle vous revienne, enrichissant cette chronique. Jai

vu que a a fuit et quelle a dj t signale ailleurs sur ce site. Peu importe, cela nenlve rien

mon propos.

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Sur les Saxifrages :http://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm78.pdf(p.9)

On trouvera la bibliothque de Mosset :

Antonio Tabucchi (chez Christian Bourgeois)

Pereira prtend, 1995

La tte perdue de Damasceno Monteiro, 1997

Le DVD documentaire de Franois Maillart (2004) :Les trangers de Mosset

A Mosset, le 24 septembre 2012

http://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm13.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm13.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm13.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm14.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm14.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm21.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm21.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm21.pdfhttp://www.lacoume.org/histoire.htmlhttp://www.lacoume.org/histoire.htmlhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm78.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm78.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm78.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm78.pdfhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://boutique.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAF86013664/les-enfants-du-tibet.fr.htmlhttp://www.lacoume.org/histoire.htmlhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm21.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm14.pdfhttp://www.histoiredemosset.fr/archivespdf/jdm13.pdf