« Shrinking cities » en Europe - L'Union sociale pour l...

22
« Shrinking cities » en Europe Etudes de cas de Leipzig, Halle et Altena 01/01/2015

Transcript of « Shrinking cities » en Europe - L'Union sociale pour l...

« Shrinking cities » en Europe

Etudes de cas de Leipzig, Halle et Altena

01/01/2015

1

Sommaire

Introduction ............................................................................................................................................ 2

Historique du déclin urbain en Allemagne .......................................................................................... 2

Les politiques urbaines fédérales pour les villes en déclin ................................................................. 3

Leipzig, « la ville perforée » .................................................................................................................... 5

Données générales .............................................................................................................................. 5

Histoire contemporaine ...................................................................................................................... 5

Contexte du déclin............................................................................................................................... 6

Politiques urbaines et de logement .................................................................................................... 7

Halle, deux modèles au sein d’une même ville : la ville compacte et la « ville-forêt » ..................... 12

Données générales ............................................................................................................................ 12

Histoire contemporaine .................................................................................................................... 12

Contexte du déclin............................................................................................................................. 13

Politiques urbaines et du logement .................................................................................................. 13

Altena, “the power of thinking small” ................................................................................................. 17

Données générales ............................................................................................................................ 17

Contexte du déclin............................................................................................................................. 17

Politiques urbaines ............................................................................................................................ 18

Conclusion ............................................................................................................................................. 20

Bibliographie.......................................................................................................................................... 21

2

Introduction

Comme nous avons pu l’évoquer dans la première note introductive sur les « shrinking cities », le

phénomène du « rétrécissement urbain » touche de manière contrastée les différentes régions

européennes : même si le vieillissement démographique est européen et si la globalisation de

l’économie n’a épargné aucune région, les pays anciennement soviétiques sont particulièrement

touchés par le phénomène de décroissance urbaine, car la transition post-industrielle s’est doublée

d’une transition post-soviétique.

C’est pour cette raison que les villes allemandes de Leipzig et de Halle ont été choisies pour ces

études de cas ; elles ont toutes deux souffert d’une chute démographique, économique et sociale

sans précédent. Mais malgré la pérennité du déclin, on observe dans ces villes l’avènement de

politiques urbaines adaptées qui proposeraient des pistes pour de « nouveaux » modèles urbains.

C’est d’ailleurs en Allemagne que la thématique des « shrinking cities » a émergé au début des

années 2000, donnant naissance à une littérature et des études foisonnantes et opérationnelles.

C’est en effet dans les « villes laboratoires » d’ex-RDA que seraient nées les premières « politiques

urbaines de la décroissance », politiques novatrices ne cherchant pas un « renouveau » calqué sur le

modèle de croissance urbaine classique, mais visant plutôt une adaptation urbaine au

rétrécissement.

Les deux premières parties s’attardent donc sur le cas des villes de Leipzig et de Halle (I et II). La

troisième partie (III) se concentre sur une échelle plus locale : le cas d’une ville de plus petite taille,

Altena, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne de l’Ouest), qui a elle aussi souffert d’un

processus de rétrécissement, et qui a déployé des moyens novateurs pour repenser l’urbain.

En explorant les succès et échecs des nouvelles politiques urbaines et de logement des villes

allemandes précitées, nous allons nous demander si elles sont bel et bien le fruit de « nouveaux »

modèles urbanistiques, adaptables aux situations de rétrécissement urbain.

Historique du déclin urbain en Allemagne

En Allemagne, les villes rétrécissantes sont les « schrumpfende Städte », « Schrumpfung » désignant

les pertes conjointes de population, d’emplois et de richesse. Le rétrécissement des villes allemandes

n’est pas un phénomène nouveau : il est déjà observé à la fin du XIXe siècle avec une différenciation

3

régionale de l’industrialisation et une polarisation de l’urbanisation, multipliant les cas de

décroissance urbaine. En particulier, dès la partition de l’Allemagne en 1945, les différences de

développement entre Est et Ouest entraînent les villes industrielles de la Sarre et de la Ruhr dans la

« spirale du déclin urbain » (Haüßermann et Siebel, 1988).

Le mouvement de désindustrialisation massive de la 2nde moitié du XXème siècle, en plus du contexte

particulier de la RDA et de son économie dirigée avant la chute du Mur, précipite les villes de l’ex

Allemagne de l’Est au cœur d’une double transition : une transition postindustrielle et une transition

postsocialiste. Le système productif et l’organisation du système économique sont bouleversés, dès

1989, en une décennie seulement : la faillite de grandes industries a des conséquences économiques

tragiques pour la plupart des villes d’ex-RDA. Le processus a été si violent et si rapide par rapport à la

désindustrialisation de l’Europe de l’Ouest qu’il a été qualifié de « déséconomisation » par Christine

Hannemann (2003). Derrière ce terme extrêmement fort, il faut comprendre une dissolution de la

majeure partie du tissu productif, aussi bien agricole qu’industriel.

De plus, le phénomène de vieillissement démographique est particulièrement sensible en Allemagne,

et plus encore à l’Est de l’Allemagne : en 2012, l’Indicateur Conjoncturel de Fécondité indique une

moyenne de 1,38 enfant par femme en Allemagne (source INED), ce qui est bien inférieur à la

moyenne de 2,1 enfants par femme que l’on considère comme nécessaire à la reproduction à

l’identique d’une population. L’Allemagne est le pays au plus faible taux de fécondité en Europe, avec

un manque d’apports migratoires compensateurs.

A cela s’ajoute, dans les années 1990, une vague importante de suburbanisation au profit des

communes rurales périphérique, faisant perdre encore plus de population aux villes des « nouveaux

Länders ».

Les politiques urbaines fédérales pour les villes en déclin

Le déclin a entraîné un phénomène de vacance des logements qu’il s’agissait de contrer. Le

gouvernement fédéral a ainsi adopté une batterie d’outils afin de lutter contre ce phénomène : en

2000, une Commission de « changement structurel de l’économie immobilière dans les nouveaux

Länder » est constituée pour évaluer la situation, suite à quoi un programme conjoint à la Fédération

et aux Länder est mis en place pour aider les villes en déclin à s’adapter aux changements

économiques, démographiques et sociétaux. C’est le programme « Stadtumbau Ost » de rénovation

4

urbaine, qui apporte des aides aux communes pour la démolition des logements et la mise en place

de mesures de revalorisation. Il est doté de 2,5 milliards d’euros pour 2002-2009 (Wiechmann, 2007).

C’est un programme novateur, puisque pour la première fois il s’agit de démolition non suivie de

reconstruction systématique. C’est également un changement de paradigme majeur dans le domaine

des politiques urbaines, puisqu’il ne suit par la ligne directrice de l’idéal traditionnel de la croissance,

et qu’il ne correspond pas non plus à la rénovation urbaine à la française (diversification de l’habitat

et règle du « un logement reconstruit pour tout logement détruit ») (Noyé et Lelévrier, 2009).

D’autres mesures ont été prises pour appuyer cette politique : les « Altschulden », dispositions qui

ont permis aux entreprises immobilières de recevoir des aides en cas de démolitions de logements

pour lesquels elles remboursaient encore des prêts datant de l’époque de la RDA1. Ainsi, beaucoup

de démolitions ont été effectuées, permettant de stabiliser la situation économique des entreprises

immobilières, et visant principalement les grands ensembles, symboles de l’urbanisme socialiste en

RDA. Entre 2001 et 2010, dans l’ensemble des nouveaux Länder, 284 700 logements ont été démolis,

dont 260 800 dans le programme Stadtumbau Ost. Les quartiers anciens quant à eux sont sujets de la

revalorisation urbaine.

La Stadtumbau Ost, « en cherchant à adapter la ville physique aux pertes de population, révèlerait un

changement de posture face au déclin, une volonté politique assumée d’organiser la décroissance et

de s’en donner les moyens, plutôt que de la minimiser et de l’enrayer. » (Roth, 2011). Elle a eu des

conséquences diverses selon les villes où elle a été appliquée.

L’étude des cas de Leipzig et Halle, terrains d’expérimentation et d’application de la Stadtumbau Ost,

va donc nous permettre d’explorer non seulement les tenants et les aboutissants de ces politiques

fédérales du déclin, mais également leur adaptation particulière à chaque contexte urbain,

produisant de nouveaux modèles urbanistiques de la décroissance.

1 Les entreprises immobilières sont des acteurs locaux de premier plan, encore aujourd’hui en Allemagne de

l’est : sous la RDA, les propriétaires constructeurs des grands ensembles étaient soit des coopératives (à 40%), soit l’Etat (à 60%). A la réunification, les logements appartenant à l’Etat ont été transférés à des sociétés immobilières communales. Cette structure reste présente aujourd’hui, avec en plus l’entrée des investisseurs privés sur le marché.

5

Leipzig, « la ville perforée »

Données générales

Leipzig est située dans le nord-ouest du Land de Saxe (Etat libre de Saxe). 524 145 habitants étaient

recensés en juillet 2013, ce qui en fait la première ville de Saxe, devant Dresde. Leipzig n’est plus tout

à fait une « shrinking city », puisque depuis les années 2000 la population a cessé de décroître, et

certains parlent d’un « renouveau de la ville » ; les politiques urbaines ont joué un rôle dans ce

« renouveau », qui dans les faits ne bénéficie pas à tous les quartiers de la ville.

Le taux de chômage à Leipzig est de 10% environ en 2013, contre 7% au niveau national ; on compte

beaucoup d’emplois précaires.

La ville accueille des firmes telles que Porsche, BMW, Siemens, DHL, Amazon.

Histoire contemporaine

Leipzig était un carrefour de communication au XIXe siècle. C’était une ville pionnière en matière de

chemin de fer. Avec l’industrialisation, et l’incorporation de nombreuses communes de banlieue, le

nombre d’habitants s’accrut très rapidement à la fin du XIXe siècle : à la veille de la 2nde Guerre

Mondiale, Leipzig est la 5ème ville d’Allemagne, avec 750 000 habitants. Elle accueille également des

industries chimiques.

6

C’est aussi la ville du livre et de l’édition. La 2nde Guerre Mondiale détruit 60% du centre-ville. Sous la

RDA, Leipzig est la deuxième ville après Berlin. Elle est également le théâtre des « manifestations du

lundi », qui ont précipité la fin de la RDA.

Contexte du déclin

Leipzig perd 100 000 habitants entre 1989 et 1999, et 90% des emplois industriels en moins de cinq

ans entre 1989 et 1993. Ce déclin très fort s’inscrit au cœur de la situation particulière de l’Allemagne

décrite en introduction, ainsi que dans les logiques européennes de désindustrialisation et de

vieillissement démographique.

La transition postindustrielle et postsocialiste bouleverse le système productif leipzigois en dix ans

seulement : face à la nouvelle concurrence, une très grande partie de l’industrie de la ville se

retrouve dans une situation de faillite presque immédiate. En à peine quatre années, de 1989 à 1993,

la ville perd 90 000 de ses 100 000 emplois industriels (Nuissl & Rink, 2004). Cette situation affecte

une grande partie des villes d’ex RDA.

FLORENTIN D., 2011, « Les Plattenbauten et le déclin », Géocarrefour Vol 86-2/2011, p. 115.

7

Aux spirales de déclin démographique et socio-économique s’est ajoutée celle des finances publiques

de la commune : les difficultés financières de Leipzig l’ont forcée à être placée sous tutelle pendant

quelques années pour opérer le désendettement. Toute marge de manœuvre des pouvoirs publics,

en matière d’aides sociales (dont les frais sont majoritairement assumés par la commune), de

rénovation urbaine et de réhabilitation du parc immobilier a été réduite de manière drastique.

Si certains chercheurs considèrent que la situation démographique de la ville s’est à peu près

stabilisée depuis l’inversion de la tendance à la baisse démographique dans les années 2000

(Wiessner, 2007), cela s’est fait au prix d’une aggravation des disparités socio-spatiales, dont les

effets pourraient se concentrer dans certaines zones comme les grands ensembles. (Florentin, 2011).

Politiques urbaines et de logement

« Importants taux de vacance des logements, multiplication de friches, sous-utilisation des

infrastructures sociales, éducatives et techniques : le « rétrécissement » implique de nombreux défis

pour les politiques urbaines, inscrites depuis des décennies dans des logiques de croissance qui ont

imprégné les théories et les instruments de la planification urbaine. » (Roth, 2011).

Leipzig fut l’une des premières collectivités à reconnaître l’existence du déclin, pour mieux le gérer.

Cette particularité fait de Leipzig un cas d’étude du déclin et un modèle de gestion de ce processus.

Elle fait partie de ces villes devenues laboratoires d’observation du déclin et d’expérimentation de

solutions anti-déclin.

Un nouveau modèle de restructuration urbaine a été conçu par et pour Liepzig : celui de la « ville

perforée » (Engelbert Lütke-Daldrup, 2003, chargé d’urbanisme de Leipzig), qui traduit une ville

morcelée par les friches urbaines et industrielles, un paysage transformé par la vacance. En 2006,

entre 14 et 16% du parc total est vacant dans la ville, un des chiffres les plus élevés d’Allemagne pour

une ville de ce rang.

A Leipzig, au niveau infra-urbain, la politique de rénovation urbaine Stadtumbau Ost, qui vise à

retendre le marché immobilier est-allemand en réduisant la vacance à travers des actions de

démolition (et plus secondairement de revalorisation), a pris pour cible principale les grands

ensembles de logements, les « Plattenbauten », symboles de l’urbanisme socialiste sous la RDA. La

ville de Leipzig concentre dans son parc immobilier près de 30% de grands ensembles. Ces grands

ensembles de l’Est de l’Allemagne, souvent improprement considérés comme des logements sociaux

8

sur le modèle ouest-allemand ou français, sont l’objet d’une représentation collective négative,

idéologiquement et symboliquement marquée2. C’est pour cette raison que les politiques de

démolition ont été particulièrement concentrée dans ces quartiers de grands ensembles, entraînant

la concentration des processus de déclin urbain sur certains quartiers : c’est ce que certains

chercheurs appellent l’ « effet Plattenbau » (Florentin, 2011). L’ « effet Plattenbau » serait, selon

Daniel Florentin, « une forme aggravée du déclin, propre aux quartiers de grands ensembles,

amplifiée en particulier par la politique de rénovation urbaine enclenchée au début des années 2000,

Stadtumbau Ost. » Il serait à la fois un processus de détérioration socio-économique et urbaine de

ces quartiers, et le résultat de ce processus ; il serait à la fois le moteur et la conséquence de la

dévalorisation de l’image externe de ces quartiers. La population vieillissante et socialement plus

fragile, le taux de chômage plus élevé que dans le reste de la ville, le solde migratoire très en-dessous

de la moyenne sont les caractéristiques de ces quartiers subissant l’ « effet Plattenbau ».

Les succès de la Stadtumbau Ost en matière de lutte contre la vacance ne font aucun doute. Mais des

dérives du programme sont soulevées, et l’ « effet Plattenbau » apparaît en décalage avec les

paysages urbains transformés et les représentations des habitants.

- Un ciblage quasi-systématique et idéologique des grands ensembles, et une orientation

quasi-exclusive vers la démolition, au détriment de la revalorisation :

Les Plattenbauten sont à la fois l’archétype de la conception fonctionnaliste du progrès et le lieu

d’accomplissement supposé du projet socialiste (Schmidt, 1959), d’où leur association avec une

forme d’idéologie que la République Fédérale Allemande a souhaité détruire dès la chute du Mur

(Bafoil, 2006). Ils étaient cependant, pour leurs habitants, un symbole de citoyenneté, permettant

notamment l’accomplissement du droit au logement garanti pour chacun qu’établissait la

constitution du régime de la RDA (Hannemann, 1995).

Ainsi, les grands ensembles à Leipzig ont fait l’objet d’un ciblage quasi-systématique pour les actions

de démolition sans reconstruction : la politique du Land de Saxe est à la base de ce ciblage, via la

banque de construction du Land, qui finance en grande partie la politique de rénovation, et par là

influence largement sa mise en œuvre. Le choix a été fait de ne pas investir dans la revalorisation de

2 « L’image des grands ensembles de l’Est de l’Allemagne, les Plattenbauten, est devenue la représentation

iconique des processus de déclin urbain, à la fois figure du déclin dans les imaginaires collectifs et cible de

nombreux discours publics. Derrière cette combinaison d’une forme de dépression démographique, de

mouvements de désindustrialisation et de fragilisation urbaine qui forge le canevas du déclin urbain (Fol et

Cunningham-Sabot, 2010), les grands ensembles sont devenus le lieu des crispations sociales et des spirales

socio-économiques négatives. » (Florentin, 2011).

9

ces quartiers de grands ensembles, voire de dissuader toute volonté d’investissement pour leur

revitalisation3. Les effets pervers de la politique de dégrèvement fiscaux, visant au départ la

participation large de tous les acteurs immobiliers aux actions de démolition, se sont traduits par des

démolitions exclusivement ciblées sur les Plattenbauten, sans que les bâtiments concernés soient

toujours vacants.

Le Land de Saxe a ainsi opté pour un équilibre plaçant 80% des investissements liés au programme

dans la démolition, contre seulement 20% pour les mesures de revalorisation (Wiechmann &

Siedentop, 2005 ; Bernt et al., 2006), au motif que d’autres programmes existaient déjà pour

accomplir l’accompagnement social ou les projets d’embellissement, notamment avec le programme

« Soziale Stadt », pourtant financièrement moins doté. Cette stratégie, classique, de dissociation

entre politiques urbaines et politiques sociales ne fait que renforcer de manière indirecte les spirales

du déclin.

- « Les démolitions sans revalorisation contribuent à une dégradation de la réputation et ainsi

de l’image du quartier, et donc à un renforcement des processus caractérisant le déclin

urbain » (Florentin, 2011)

Le manque de planification d’ensemble a eu des conséquences néfastes : déstructuration du tissu

urbain, image dégradée et insécurité locative. Cette politique a en effet poussé bon nombre

d’habitants au départ, amplifiant les dynamiques de dépopulation de certains quartiers de grands

ensembles. Les démolitions complètes opérées là où les bailleurs comptaient mettre en place des

projets d’embellissement ont créé une frustration de la population. La démolition de certains

services, comme des commerces de plain-pied, a amplifié l’impression d’une perforation de la trame

urbaine. L’insécurité locative provoquée par le manque de transparence et le court délai de

notification de démolition (un an dans le meilleur des cas) a poussé les locataires à fuir les bailleurs

en masse, et si les coopératives de logement ont pu se séparer de leur parc vacant, elles l’ont fait au

prix d’une image dégradée de « bailleur-destructeur ».

C’est pour lutter contre l’aggravation de ces spirales que la plupart des bailleurs, et notamment la

coopérative Kontakt, qui fut la seule à refuser la logique de démolition de Stadtumbau Ost, ont signé

un appel demandant l’arrêt des démolitions dans le quartier de Grünau dès 2006. Un tel appel

montrait l’ampleur du malaise créé par les démolitions au sein de la population, en décalage avec

l’image qu’elle se fait de son quartier.

3 Dans une enquête restituée par Daniel Florentin dans son article « Les Plattenbauten et le déclin », un

responsable d’une coopérative de logement leipzigois évoque ce refus d’investissement : « La banque m’a refusé un crédit pour un projet alternatif à la destruction complète, un projet de maisons-terrasses, car elle trouve que le quartier n’est pas assez sûr pour des investissements. »

10

- Un attachement résidentiel profondément ancré chez les habitants des Plattenbauten

Les perceptions des habitants dans des conditions de déclin ont été peu analysées dans la littérature

aussi bien universitaire que professionnelle (Brandstetter et al., 2005). Pourtant, leur prise en

compte est tout à fait primordiale pour évaluer les éléments de succès et d’échec d’une politique

urbaine. A Leipzig, en opposition à la vision dominante du Plattenbauten comme cause et

conséquence du déclin, les habitants des quartiers de grands ensembles témoignent d’un puissant

attachement résidentiel (Kil, 2004 ; Bernt et Kabisch, 2006). Cet attachement est même nourri de

l’image externe dégradée, et participe d’un mouvement de construction d’un discours interne visant

à promouvoir une image différente des grands ensembles. Grâce à la restitution d’entretiens

qualitatifs effectués lors de son enquête avec des habitants des Plattenbauten leipzigois, Daniel

Florentin livre les facteurs de cet attachement résidentiel profondément ancré : la correspondance

entre l’installation dans un logement de grand ensemble et l’entrée dans une forme de confort

moderne (certains vont même jusqu’à comparer la valeur architecturale des Plattenbauten avec

l’héritage du mouvement du Bauhaus)4.

Une volonté de contrer les dynamiques du déclin et de promouvoir une image positive des grands

ensembles est ainsi observable au sein de ces quartiers. Ainsi, diverses initiatives, menées par des

acteurs locaux, sont à relever : dans le quartier de Grünau, un journal local permet le débat public et

valorise fortement l’évolution du quartier, favorisant par là un renouvellement de son image.

Egalement, la sociabilité d’immeuble, qui était organisée à l’époque socialiste avec des

« Hausgemeinschaften » a été parfois remplacée par de nouvelles formes de communautés qui se

développent à nouveau et où l’entraide est la règle. Certaines coopératives de logement, comme la

coopérative Kontakt, essaient de favoriser ce renouveau des sociabilités, en mettant à la disposition

des habitants de certains quartiers des locaux communs et en organisant des petits événements, qui

sont cependant surtout fréquentés par les plus âgés.

Car en effet, deux défis principaux restent à relever pour ces quartiers : celui du vieillissement

généralisé de la population, et celui d’une paupérisation qui ne fait que s’accroître, alimentant un

mouvement d’opposition entre les habitants anciens des grands ensembles et les nouveaux arrivants

parfois plus paupérisés (Kil, 2004).

4 « La Platte est ainsi envisagée comme l’aboutissement d’un parcours résidentiel, et non comme une simple

phase transitoire dans l’attente de trouver un logement de standing plus élevé. Cela rappelle que, aujourd’hui encore, les Plattenbauten ne sont pas strictement des logements sociaux dans l’Est de l’Allemagne, car ils étaient des logements pour la classe supérieure du monde ouvrier, représentant une sorte de promotion sociale, à l’opposé de la représentation des tours et barres de logements sociaux qu’on peut trouver à l’Ouest de l’Allemagne ou en France (Fourcaut et Dufaux, 2004). Cet attachement s’explique notamment par les avantages des réseaux de proximité que les grands ensembles procurent. » (Florentin, 2011)

11

Le marché immobilier très déprimé ouvre également des possibilités d’occupation innovante ou

d’opportunités immobilières : ainsi l’exemple, dans l’ancien quartier industriel de Plagwitz-Lindenau,

d’une « Wächterhaus », une « maison gardée », dont les « gardiens » se partagent l’espace. Ils ne

paient qu’un euro symbolique de loyer, en échange de quoi ils doivent rénover la maison. De

nombreux projets de ce type, émanant de la société civile, et bénéficiant parfois du soutien financier

de l’Union Européenne, ont ainsi vu le jour pour essayer notamment de revitaliser un patrimoine

architectural de valeur. Mais ils ne représentent que quelques maisons (une douzaine de

Wächterhäuser) pour une ville comptant près de 20% de logements vacants.

Face à cette tendance lourde, certains acteurs du monde immobilier cherchent malgré tout à

réinventer une forme de modernité des grands ensembles (Baron et al., 2010).

12

Halle, deux modèles au sein d’une même ville : la ville compacte et la

« ville-forêt »

Données générales

Halle est située dans le land de Saxe-Anhalt, sur les bords de la Saale. Là aussi, la situation

démographique s’améliore depuis peu ; 231 440 habitants résidaient à Halle en 2012.

Histoire contemporaine

Halle est une ville de tradition industrielle depuis le XIXe siècle, avec à cette époque l’exploitation des

ressources de la région en lignite (roche sédimentaire) et un riche secteur agricole. Après la partition,

la région de Halle sous la RDA s’est spécialisée dans l’industrie chimique. Une ville nouvelle, la 4ème

fondée en RDA, a été construite aux portes de Halle : Halle-Neustadt, qui devait être une ville modèle

du socialisme. Le paradigme de la modernité prédominait, d’où le nombre de grands ensembles

présents dans la très grande majorité des villes est-allemandes. Ainsi, Halle-Neustadt, au départ

destinée à être une ville-usine rattachée au réseau urbain existant, est devenue un grand ensemble

de la ville voisine, d’où la transformation de son statut et son rattachement officiel en 1990 : c’est

aujourd’hui un quartier de Halle.

13

Contexte du déclin

Halle a perdu environ 80 000 habitants depuis 1990. Même si le processus de déclin démographique

s’est enrayé, la situation économique de la ville reste préoccupante.

Les grands ensembles sont particulièrement touchés par le déclin : à partir de 1997, en quelques

années, le quartier de Halle-Neustadt perd 45% de sa population. Un autre quartier de grands

ensembles, Silberhöhe, est passé de 40 000 habitants à moins de 15 000 en 2011.

Politiques urbaines et du logement

A Halle, dans le cadre du programme Stadtumbau Ost, 12 000 logements ont été démolis entre 2002

et 2009, dont 4 000 à Halle-Neustadt, et 5 000 à Silberhöhe. Les grands ensembles ont concentré au

total 95% des démolitions de la commune.

Les formes de la restructuration sont plurielles, et fortement liées à une volonté de transformation

du paysage urbain :

- Démolitions et « rétrécissement » de la trame urbaine

Un des objectifs recherchés est de limiter l’étalement, voire réduire le tissu urbain. Les espaces

périphériques sont donc visés. La libération des espaces en situation périphérique signifie la

disparition de toute infrastructure accompagnant le développement urbain, ce qui a un impact

écologique et paysager intéressant ; la libération d’emprises de petites surfaces au sein des quartiers

permet souvent de rechercher une meilleure qualité résidentielle, avec un verdissement de ces

espaces.

A Halle-Neustadt, diverses expériences ont été menées avec des succès différents :

Un ensemble de terrains libérés a été proposé aux habitants et aux associations pour qu’ils puissent y

implanter de petits jardins. Des initiatives limitées ont vu le jour, et la zone est restée relativement

vide et peu soignée. L’échec partiel de cette initiative est lié à la non-proximité directe des logements

et à l’absence d’eau et d’électricité, limitant l’intérêt pour les riverains d’y cultiver leur propre jardin.

En revanche, en périphérie du même complexe5 de grands ensembles, une plantation destinée à

fournir du bois de chauffage a été développée conjointement par une société immobilière (à laquelle

5 A l’époque de la RDA, les quartiers de grands ensembles étaient organisés en « complexes » ; au sein de

chaque complexe, les habitants devaient trouver les services quotidiens dont ils avaient besoin.

14

appartenait le terrain) et une entreprise d’équipement de la ville de Halle, sur un terrain

périphérique libéré par la démolition d’immeubles. L’opération a été menée à bien et est reconduite

avec une nouvelle plantation.

- Silberhöhe, le modèle de la « ville-forêt »

Dans le quartier de Silberhöhe, c’est la « renaturation » massive qui est utilisée pour réinventer des

terrains devenus superflus. La baisse démographique dans cette partie de Halle a été telle (37 000

habitants en 1993, 12 800 en 2013) que beaucoup d’infrastructures se sont retrouvées en situation

de vacance et de surcapacité. Cela pose des problèmes en matière de réseaux et d’équipement

(chauffage et eaux usées par exemple), entraînant des surcoûts pour les usagers et les acteurs

urbains. C’est donc ici un « rétrécissement » de la trame urbaine poussé à son extrême qui est

privilégié : il s’agit de réduire la ville dans sa périphérie, en transformant les friches et les terrains

vacants en espaces verts. Les démolitions se font sur des surfaces vastes, et à long terme, c'est une

réduction du sud vers le nord qui est envisagée (ce qui correspond à la situation du quartier, qui

constitue l’extrémité sud de la ville, et est bordé au sud et à l’est par des zones vertes). La décision a

été prise d’implanter une forêt, qui doit se développer à partir de l’espace central du quartier. Le

paradoxe que peut constituer l’implantation d’une forêt en plein cœur du quartier, alors que des

complexes périphériques sont maintenus renvoie là aux difficiles processus d’accord entre les

différents acteurs.

- Transformation et rénovation du bâti

En plus de la démolition, la transformation des bâtiments est également un outil du programme de

Stadtumbau Ost : entre 2003 et 2010, dans le cadre de l’ « Internationale Bauaustellung », 19 villes

de Saxe-Anhalt ont été choisies pour être le support d’actions et de projets phares destinés à mettre

en scène un déclin et une restructuration positifs. Halle en faisait partie, et à Halle-Neustadt, le cœur

d’un complexe a été totalement remanié : création d’un parc de skateboard pour les adolescents et

transformation d’une barre d’immeubles6. L’opération a été un succès pour l’organisation

propriétaire de l’immeuble, les logements ayant très rapidement trouvé preneurs. Ces opérations

permettent de diversifier l’offre en logements, et de réaliser une amélioration du paysage des grands

ensembles.

- Développement urbain intégré : une vision globalisante et transversale du « renouveau

urbain »

6 La barre d’immeuble a été raccourcie, « évidée » pour alterner vides et pleins, ajout de balcons, intérieur

transformé également pour offrir différentes typologies d’appartements, « relooking ».

15

A Halle, le grand point fort de la Stadtumbau Ost a été de permettre de construire des accords entre

les acteurs des politiques urbaines, car le programme a été mis en place via des schémas intégrés de

développement urbain, ce qui a été l’occasion d’encourager la pratique d’une politique urbaine

globalisante : « les dispositions à prendre, quel que soit leur lieu de mise en place et leur catégorie,

doivent être envisagées en lien avec l’ensemble des actions prévues. L’ensemble des déterminants

sociaux, démographiques et économiques entre en compte pour définir le schéma de

développement urbain. L’impact attendu des actions ainsi liées les unes aux autres dépasse le cadre

du bâti, pour toucher l’attractivité globale de la ville, là encore envisagée en termes

démographiques, économiques et sociaux. En outre, le schéma vise une démarche de restructuration

des villes partagée et concertée entre le plus grand nombre d’acteurs possible, conduisant ainsi à un

consensus quant à l’emploi des ressources. » (De Gasperin, 2011).

Un outil, spécifique à la ville de Halle, est cité à l’échelle fédérale comme exemple de bonnes

pratiques : les cercles de discussion. Un réseau d’acteurs de l’habitat, « Développement urbain à

Halle », a été créé en 1999 par les entreprises de logement, réunissant des représentants de

l’administration de la ville, de l’union des locataires, d’une association défendant l’intérêt des petits

propriétaires, du Ministère de la Construction de Saxe-Anhalt, des deux associations qui regroupent

au niveau du Land les entreprises immobilières, des entreprises communales d’équipement et des

gros propriétaires privés. Afin de permettre de faire le lien entre le réseau et la sphère politique, la

maire et ses adjoints ont créé un groupe de travail afin de coordonner les différents domaines de

l’administration sur le sujet de la restructuration (y sont présents les adjoints à la planification, à la

construction et au transport, au domaine social, à la jeunesse et à la santé, et les porte-parole du

réseau précédemment décrit).

Malgré tout cela, certains éléments peuvent ralentir ou compliquer la mise en place du schéma de

développement :

- Le décalage des temporalités peut parfois empêcher le recul souhaité des constructions en

périphérie ; les modèles offrent des solutions sur le long terme, alors que les mesures

doivent être réalisées à court terme.

- Les intérêts ne sont pas les mêmes entre acteurs : les entreprises immobilières, surtout

quand leur patrimoine est situé majoritairement dans la commune, ont des intérêts locaux

qui recoupent ceux de la municipalité. Mais les stratégies d’acteurs plus éloignés, dont les

patrimoines sont répartis en différents lieux, peuvent être différentes. En 2006, Dresde a

privatisé 100% de son parc de logements publics afin d’assainir sa situation financière ;

depuis, les possibilités de discussion et d’action de la ville en matière d’urbanisme ont été

16

largement réduites, et on assiste à une gentrification massive des quartiers les plus attractifs

(Lechevalier-Hurard, 2008).

« Les stratégies des acteurs aboutissent à deux mouvements contradictoires, avec une même

constellation d’acteurs au sein du processus. Tous partagent des intérêts communs, et avant tout

l’attractivité du quartier considéré ou de la ville, ce qui s’exprime dans le choix d’outils destinés à

trouver des consensus dans les mesures et actions ; les intérêts particuliers divergent cependant,

créant des stratégies différentes, voire contradictoires, qui freinent l’adaptation matérielle de la ville

au déclin. » (De Gasperin, 2011).

17

Altena, “the power of thinking small”7

Données générales

Petite ville de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Altena est située sur la frange périphérique de la

plus grosse conurbation industrielle allemande, la Ruhrgebiet, et est entourée de grandes villes

industrielles prospères. La ville est localisée le long d’une rivière, compte un château et un centre

historique attractifs et visités.

Contexte du déclin

Dans les années 1970, la population à Altena avoisinait les 32 000 habitants ; en 2013, on en

dénombrait 17 595. En parallèle, le nombre d’emplois dans les industries du métal ont diminué de

9 000 emplois en 1970 à 5 000 en 2012, avec le départ de nombreuses compagnies. Durant des

siècles, Altena a en effet été un centre de production et de transformation du métal.

La municipalité s’attend à rétrécir encore entre 1,5% et 3% chaque année au cours des 20 prochaines

années. La ville est donc aujourd’hui caractérisée par une énorme vacance en termes de logement et

de commerces, et une baisse de la qualité des services. De ce fait, beaucoup d’habitants ont

déménagé dans les villes alentours plus attractives, tout en gardant leur emploi à Altena ; la ville a

perdu sa fonction de centre administratif sous-régional.

7 URBACT (2013), From crisis to choice : re-imagining the future in shrinking cities, Cities of Tomorrow – Action

Today, URBACT II Capitalisation, p.17.

18

Politiques urbaines

Un tournant est observé dans les années 1990, avec le changement d’administration. Avant cette

date, la municipalité niait en bloc le déclin de la ville. Mais la nouvelle administration se positionna, à

l’inverse, en faveur de la reconnaissance par tous (les habitants et les entités extérieures) d’Altena en

tant que ville rétrécissante qui avait plus souffert que les autres villes de la région. Le maire mettait

ainsi en avant le fait que la perte de population à Altena était la plus forte d’Allemagne. Cette

stratégie visait deux objectifs : générer plus de soutien financier de la part du gouvernement

régional, et expliquer le pourquoi de l’ajustement et de la réduction des services aux habitants.

Au départ, une certaine résistance de la part de la population a été observée, due à la difficulté

d’accepter de se faire représenter en tant que « shrinking city », et à la réduction de l’offre de

services.

Finalement, c’est par un projet de recherche sur le vieillissement démographique dans les petites

villes, auquel la ville se greffa, qu’une dynamique collective de débat, de réflexion et d’action

s’engagea. Dépassant largement les objectifs initiaux du projet, ce large débat dura deux ans,

explorant les possibilités pour la population d’Altena d’arrêter le déclin et de développer de

nouvelles perspectives pour le futur. Cela déboucha sur un concept de développement intégré, avec

10 priorités stratégiques et 300 actions, la plupart étant centrées sur comment gérer le

rétrécissement, et comment créer des solutions par des actions collaboratives. Par exemple, les

personnes âgées étaient pour la première fois présentées comme une population jouant un rôle-clé

dans le renversement de paradigme de la ville, au lieu d’être présentées comme un fardeau pour les

dépenses publiques. La question n’était donc plus « comment encourager la croissance économique

pour enrayer le déclin », mais plutôt « comment la qualité de vie peut être améliorée avec les

ressources existantes et par des méthodes durables », avec une inclusion des habitants dans la

réflexion, ce qui a permis de transformer les à prioris négatifs en énergies positives.

Quelques exemples de projets d’ « adaptation au déclin » à Altena :

La piétonisation de la place du marché et des bords de la rivière a été enclenchée, ce qui a amélioré

les relations entre municipalité et habitants de manière spectaculaire. En effet, ces projets avaient

été mis de côté depuis des années à cause du manque de fonds, mais la municipalité, avec ce nouvel

esprit « bottom-up », acheta les matériaux de construction, ferma la rue les vendredis et samedis et

appela les habitants à « venir mettre la main à la pâte ». Citoyens, commerçants et personnel de

19

l’administration (y compris le maire) travaillèrent ensemble aux travaux. Depuis, la force de l’action

en volontariat des habitants d’Altena n’a fait que croître.

La création de coopératives d’habitants pour leur quartier s’est multipliée : boucherie, petit marché

et reprise en main de certains locaux vacants par les habitants (anciennes crèches ou écoles), afin

d’héberger des soins de protection sociale ou des initiatives culturelles.

Certains atouts patrimoniaux, non exploités auparavant (« unpolished diamonds »), ont été identifiés

par ce processus de « réinvention » de la ville. Par exemple, les rives, qui étaient autrefois cachées

par les infrastructures de protection des inondations, ont été réaménagées afin d’ouvrir le

panorama, créer un accès au rivage et encourager l’ouverture de cafés. Egalement, le château

d’Altena, qui reçoit environ 100 000 visiteurs par an, tourisme qui n’avait jamais profité à la ville

(seulement 10 000 de ces visiteurs vont jusqu’au centre-ville) puisque le château est la propriété

d’une autre entité publique, et que les visiteurs y accèdent par un réseau de routes qui contournent

la ville. Pour remédier à cela, et au lieu de créer une attraction « rivale » dans le centre-ville pour

faire faire un détour aux visiteurs, l’idée de la construction d’un ascenseur dans la falaise émergea. Le

but : permettre aux visiteurs d’accéder au centre-ville, depuis le château, en quelques minutes, pour

offrir des services de restauration, de découverte de la ville. Depuis quelques temps, Altena peut

envisager ce projet grâce aux fonds de l’UE, des propriétaires du château et de sponsors privés. En

parallèle de ce projet se sont greffés d’autres initiatives (chemin aménagés le long de la rivière,

ouverture de commerces : cafés, « pop-up shops »…)

Les premiers signes d’un succès de ces stratégies de « réinvention » de la ville ont fait leur apparition

: les ventes de biens immobiliers augmentent avec un flux croissant de personnes emménageant à

Altena, et le secteur commercial reprend vie avec de nouveaux magasins et de nouveaux restaurants.

Et, plus important, les habitants utilisent fortement les atouts de la ville pour subvenir à leurs

besoins.

20

Conclusion

On observe que les modèles urbains ont sous-tendu la restructuration des « grandes et moyennes »

villes d’Allemagne de l’Est : à Leipzig, le modèle de la « ville perforée » a été créé pour adapter la

trame urbaine à la vacance. Mais le programme fédéral de rénovation urbaine, axé uniquement sur

des objectifs patrimoniaux de démolition du bâti dans les zones de grands ensembles et de

revitalisation des zones centrales, n’a pas été inclus dans une vision globale de l’adaptation au

déclin : les habitants des quartiers de grands ensembles, dont la qualité de vie et les représentations

n’ont que peu été prises en compte, ne sont majoritairement pas satisfaits de leur nouveau cadre de

vie. A Halle, le modèle global choisi a été celui dit de la « ville compacte », d’une disparition du bâti

plutôt en périphérie et en particulier dans les grands ensembles, et d’une valorisation du centre-ville.

Le modèle est finalement très proche de celui de Leipzig : les quartiers centraux et péricentraux sont

porteurs de l’identité de la ville et offrent une bonne qualité de vie, en partie liée à leur historicité.

Ce type de reconstruction est la voie privilégiée au niveau fédéral : c’est même l’expression de la

« bonne urbanité » à l’européenne (cf. première note introductive). Ces « nouveaux » modèles

urbanistiques, même si ils opèrent un changement de positionnement en assumant pleinement le

rétrécissement urbain, ne sont donc pas si « nouveaux » que ça.

Mais on voit, au sein de Halle, dans le quartier de Silberhöhe, qu’un autre principe a été retenu : celui

de la « ville forêt ». Cela permet de dire que ces stratégies d’enrayement du déclin urbain, si elles

sont appliquées via un processus intégré et transversal, sont adaptables et appropriables par les

quartiers en fonction de l’échelle considérée et selon leurs spécificités. Ainsi, la « schrumpfende

Städte » a plusieurs visages : « A l’échelle infra-urbaine, les dynamiques régressives s’expriment de

façon différenciée, laissant la place à une ville aux mille visages, alternant entre des quartiers

déclinants et parfois abandonnés ou délaissés par les pouvoirs publics ou les bailleurs, des quartiers

en croissance dont on encourage le développement, et des quartiers stagnants dont le devenir est

souvent vacillant. » (Florentin, 2011).

Finalement, le cas d’Altena permet d’affirmer qu’à une échelle très locale, les politiques urbaines de

« smart shrinking », dont l’objet est d’accepter et de faire accepter le rétrécissement, permettent aux

villes de s’engager sur la voie de la résilience et de l’amélioration de la qualité de vie de leurs

habitants.

Chloé Serme-Morin

Stagiaire – Trainee | Etudiante Master 2 Altervilles – Université Saint-Etienne/Sciences Po Lyon

21

Union Sociale pour l’Habitat - Représentation auprès de l’Union européenne

Square de Meeüs, 18 • 1050 Bruxelles- Belgique

[email protected]

Tél. : +32 487 216 613

www.union-habitat.eu • twitter : @USH_Bruxelles

Bibliographie

BAFOIL F. (2006), Transfert institutionnel et européanisation. Une comparaison des cas est-allemand

et est-européens, Revue Internationale de Politique Comparée, 13 (2), p. 213-238.

BERNT M. (2009), Partnership for Demolition: The Governance of Urban Renewal in East Germany’s

shrinking cities, IJURR, 33-3, p. 754-769.

DE GASPERIN A. (2009), « Les villes des nouveaux Länder : La requalification dans le difficile contexte

du déclin », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 9

Numéro 2 | septembre 2009, mis en ligne le 23 septembre 2009. URL http://vertigo.revues.org/8716

DE GASPERIN A. (2011), « La restructuration des grands ensembles dans les villes des nouveaux

Länder », Géocarrefour [En ligne], Vol. 86/2 | 2011, mis en ligne le 05 mars 2012. URL

http://geocarrefour.revues.org/8321

FLORENTIN D., FOL S. & ROTH H. (2009), La « Stadtschrumpfung » ou « rétrécissement urbain» en

Allemagne : un champ de recherche émergent, Cybergéo (445). URL

http://www.cybergeo.eu/index22123.html

FLORENTIN D. (2011), « Les Plattenbauten et le déclin », Géocarrefour [en ligne] Vol 86-2/2011, mis

en ligne le 05 mars 2012. URL http://geocarrefour.revues.org/8446

FOL S. & CUNNINGHAM-SABOT E. (2010), « Déclin urbain » et Shrinking Cities : une évaluation

critique des approches de la décroissance urbaine, Annales de Géographie, n°674, p. 359-383.

ROTH H. (2011), « Les « villes rétrécissantes » en Allemagne », Géocarrefour [En ligne], Vol. 86/2 |

2011, mis en ligne le 05 mars 2012. URL http://geocarrefour.revues.org/8294

URBACT (2013), From crisis to choice : re-imagining the future in shrinking cities, Cities of Tomorrow –

Action Today, URBACT II Capitalisation, European Union, p.17.