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LE OUÏ-DIRE
PRÉSENTATION DANS LE CADRE DE LA JOURNÉE DE FORMATION
(Association des procureurs de cours municipales du Québec)
(13 mars 2015)
Me Normand Sauvageau
(Allaire et associés)
Procureur en chef
Service du contentieux de Ville de Laval
Section droit pénal et règlementaire
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ........................................................................................................ 1
Le concept .................................................................................................................... 2
La règle et distinction quant à celle-ci ...................................................................... 2
Les exceptions existantes ............................................................................................ 5
I) Les exceptions traditionnelles ......................................................................... 5
A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de la déclaration ................................................................. 6
1) La déclaration relative à une identification
extrajudiciaire antérieure ............................................................. 7
2) La déclaration dans un document relatant des faits dont
le témoin a eu préalablement connaissance, mais dont il
ne peut se rappeler la teneur (mémoire consignée) ...................... 7
B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité
de l’auteur de la déclaration ................................................................. 8
1) Le témoignage antérieur ............................................................... 8
a) L’article 715 C. cr. .................................................................. 8
b) Les articles 709 et ss. C. cr. ..................................................... 9
2) La déclaration de type « ante mortem » ..................................... 10
3) La déclaration établissant les intentions existantes
ou d’autres états d’esprit ............................................................. 11
4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction ......................... 12
ii
5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou
pécuniaire de l’auteur ................................................................. 12
C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de
la déclaration est non pertinente ........................................................ 13
1) La déclaration incriminante faite par un tiers
en présence de l’accusé ............................................................... 13
2) La déclaration d’une personne poursuivant
avec l’accusé une fin commune ................................................. 14
3) La déclaration de type « res gestae » ........................................ 14
D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé ...................... 14
1) Justificatives .............................................................................. 14
2) Incriminantes ............................................................................. 15
a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne
ordinaire (ou perçue comme tel) .......................................... 15
b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne
en situation d’autorité ........................................................... 15
c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire ......................... 16
E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion .................................. 16
1) Le témoin ordinaire .................................................................... 17
2) Le témoin expert ........................................................................ 18
II) Les exceptions législatives ............................................................................. 19
III) Les exceptions selon la nouvelle approche ................................................... 20
iii
L’arrêt Khan .................................................................................................... 20
L’arrêt Smith .................................................................................................... 22
L’arrêt B. (K.G.) ............................................................................................... 24
L’arrêt U. (F.J.) ............................................................................................... 27
L’arrêt R. (D.) .................................................................................................. 30
L’arrêt Rockey ................................................................................................. 31
L’arrêt Hawkins ............................................................................................... 33
L’arrêt F. (W.J.) ............................................................................................... 35
L’arrêt Starr ..................................................................................................... 36
L’arrêt Parrott .................................................................................................. 41
L’arrêt Mapara ................................................................................................ 43
L’arrêt Khelawon ............................................................................................. 46
L’arrêt Couture ................................................................................................ 51
L’arrêt Devine .................................................................................................. 54
L’arrêt Blackman ............................................................................................. 56
L’arrêt Griffin .................................................................................................. 59
L’arrêt D.A.I. .................................................................................................. 61
L’arrêt Baldree ................................................................................................. 65
L’arrêt Youvarajah .......................................................................................... 66
CONCLUSION .......................................................................................................... 70
Documents consultés ................................................................................................. 72
INTRODUCTION
Comme nous le savons tous, le droit de la preuve repose sur une série de principes
généraux auxquels se greffent de nombreuses exceptions qui, elles-mêmes, sont
l’objet de quelques exceptions.
En matière de preuve, le principe général est que toute preuve pertinente (sous
réserve de la discrétion judiciaire) est recevable. Ce principe souffre deux
exceptions importantes. La preuve par ouï-dire et le témoignage d’opinion.
Le présent texte traitera spécifiquement de la première et abordera très
sommairement la seconde.
Nous débuterons par un bref rappel sur le concept lui-même. Nous aborderons, en
second lieu, la règle en ce domaine pour situer une distinction importante quant à
celle-ci. Troisièmement, nous nous pencherons sur les différentes exceptions
existantes en semblable matière et signalerons, par la suite, quelques illustrations
législatives d’exceptions à la règle. Enfin, toutes les décisions, sur le sujet,
rendues par la Cour suprême du Canada depuis 1990, seront examinées pour
illustrer les développements survenus dans le cadre de la nouvelle approche.
Veuillez prendre note que la jurisprudence mentionnée dans le présent texte est à
jour au 27 février 2015.
2
Le concept
À maintes occasions, dans le passé, il fut tenté de définir adéquatement le ouï-dire.
Aujourd’hui, ce terme, d’un point de vue juridique, fait essentiellement référence à
toute déclaration (verbale ou écrite)1, provenant d’une personne non assignée
comme témoin, que l’on veut faire admettre en preuve pour établir la véracité de
son contenu.
La règle et distinction quant à celle-ci
Le ouï-dire est inadmissible en preuve.
La raison derrière cette règle est simple. En principe, la personne qui doit être
entendue sur un sujet est celle qui est en mesure de témoigner relativement à ce
qu’elle a perçu ou constaté, par ses différents sens, d’une situation ou d’un
évènement.
Dans l’arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 (40), la Cour suprême du Canada,
sous la plume de l’honorable juge Dickson (tel qu’il était alors), expliqua ainsi les
raisons justifiant la règle de l’exclusion du ouï-dire :
« La règle de l’irrecevabilité du ouï-dire vise surtout à
assurer la véracité des déclarations. L’exclusion de la
preuve par ouï-dire se justifie principalement par le fait
que la Common Law a en horreur toute preuve qui n’a
pas été présentée sous serment et qui n’a pas été soumise
à l’épreuve du contre-interrogatoire. On estime que le
témoignage rendu sous serment et le contre-interrogatoire
constituent les meilleures garanties de la véracité de
déclarations de faits présentées ».
(Soulignés ajoutés)
Ainsi, comme la jurisprudence l’a établi au fil du temps, ce n’est pas tant la
provenance du ouï-dire que sa finalité qui est sanctionnée par son
inadmissibilité.
1 Quoique la communication gestuelle peut aussi être une forme de déclaration au sens large.
3
Voilà pourquoi, dès 1956, il fut mentionné ce qui suit, par le Conseil Privé dans
l’arrêt Subramaniam c. Public Prosecutor, [1956] 1W.L.R. 965 (970) :
« La preuve d’une déclaration faite à un témoin par une
personne qui n’est pas elle-même appelée à témoigner
peut être ou ne pas être du ouï-dire. Cette preuve
constitue du ouï-dire et est inadmissible lorsqu’elle vise
à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne
constitue pas du ouï-dire et est admissible lorsqu’elle
vise à établir non pas que la déclaration est exacte mais
qu’elle a été faite ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Ces propos furent d’ailleurs repris, en 1978, par l’honorable juge Dickson (tel
qu’il était alors) dans l’arrêt R. c. O’Brien, [1978] 1 R.C.S. 591 (593) :
« Il est bien établi en droit que la preuve d’une déclaration
faite à un témoin par une personne qui n’est pas elle-
même assignée comme témoin est une preuve par ouï-
dire, qui est irrecevable lorsqu’elle cherche à établir la
véracité de la déclaration; toutefois, cette preuve n’est pas
du ouï-dire et est donc recevable lorsqu’elle cherche à
établir, non pas la véracité de la déclaration, mais
simplement que celle-ci a été faite ».
(Soulignés ajoutés)
La distinction entre les deux types de déclaration est d’importance. En effet, le
second type, du point de vue analytique, ne doit en aucune façon être perçu
comme une exception à la règle relative au ouï-dire car essentiellement il ne
rencontre pas les prérequis de son existence. Au contraire, il s’agit plutôt d’une
« preuve originale » pleinement admissible.
Malheureusement, le tout est parfois oublié autant par des avocats que par des
juges2.
2 Toutefois, rappelons qu’un juge ou un juge de paix a le droit, à moins que sa conduite n’établisse
clairement l’existence de mauvaise foi, de se tromper à l’intérieur de l’exercice de sa juridiction (voir sur le
sujet Doyon c. Roussel, 1989 J.E. 89-1170 (C.A.Q.)).
4
Avec ce genre de preuve, de type circonstancielle, il sera possible autant à la
poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état
d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation, la lecture,
l’audition ou la perception de quelque chose ou d’un évènement.
Pour la poursuite, l’illustration par excellence de cet énoncé est certes la possibilité
pour un agent de la paix de faire état, lors de son témoignage relatif à l’existence
de ses motifs probables et raisonnables, de ce qu’un tiers lui a rapporté (voir, à
titre d’illustration, l’arrêt Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739). Parfois,
comme la jurisprudence l’a aussi établi, une preuve de cette nature pourra même
avoir une certaine valeur probante quant à l’identité d’une personne ou d’un
accusé (voir, à titre d’illustration, l’arrêt Evans c. R., [1993] 3 R.C.S. 653).
Tout ceci étant dit, il convient de mentionner que le ouï-dire est
exceptionnellement accepté à l’étape de la preuve sur sentence où les règles de
preuve sont généralement plus souples. Cependant, s’il y a quelque contestation
par l’accusé quant aux faits d’un dossier ou aux circonstances aggravantes
invoquées par la poursuite, celle-ci devra alors en faire la preuve selon les règles
usuelles en ce domaine c’est-à-dire hors de tout doute raisonnable (voir, à titre
d’illustration, l’arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, R. c. W.(D.), [1991] 1
R.C.S. 742 et R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320 de même qu’une décision récente
de la Cour d’appel du Québec fort intéressante en ce domaine (J.R. c. R., (2014)
QCCA 869) en ce qu’elle a expliqué, à nouveau, comment l’on doit procéder à
l’analyse, de façon globale, d’une preuve contradictoire).
5
Les exceptions existantes
Petit à petit (le droit étant, somme toute, une science humaine évolutive), des
exceptions furent établies pour contrer l’inadmissibilité présumée du ouï-dire.
Ces exceptions peuvent être regroupées en trois catégories soit : 1) celles
provenant de la Common Law (les traditionnelles); 2) celles provenant de la loi
(les législatives) et 3) celles provenant des décisions rendues par la Cour suprême
du Canada depuis 1990 (la nouvelle approche).
Examinons celles-ci.
I) Les exceptions traditionnelles (celles provenant de la Common Law)
L’article 8(2) du Code criminel3 énonce :
« (2) Application du droit criminel d’Angleterre -
Le droit criminel d’Angleterre qui était en vigueur dans
une province immédiatement avant le 1er
avril 1955
demeure en vigueur dans la province, sauf en ce qu’il est
changé, modifié ou atteint par la présente ou toute autre
loi fédérale ».
Les articles 60 et 61 (premier alinéa) du Code de procédure pénale du
Québec4 énoncent :
« 60. Règles applicables en matière pénale –
Les moyens de défense ainsi que les justifications et
excuses reconnus en matière pénale ou, compte tenu des
adaptations nécessaires, en matière criminelle
s’appliquent sous réserve des règles prévues dans le
présent code ou dans une autre loi.
3 L.R.C. (1985) ch. C-46, dorénavant désigné par les lettres C. cr..
4 R.L.R.Q., ch. C-25.1, dorénavant désigné par les lettres C.P.P.Q..
6
61. Règles applicables en matière criminelle –
Les règles de preuve en matière criminelle dont la Loi sur
la preuve au Canada (Lois révisées du Canada 1985,
chapitre C-5), s’appliquent en matière pénale, compte
tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles
prévues dans le présent code ou dans une autre loi à
l’égard des infractions visées par cette loi et de l’article
308 du Code de procédure civile (L.R.Q., chapitre C-25)
ainsi que de la Loi concernant le cadre juridique des
technologies de l’information (2001, chapitre 32). »
Ces dispositions législatives sont les assises de ce type d’exceptions qui
regroupent cinq catégories :
A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de la
déclaration ;
B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité de l’auteur de la
déclaration ;
C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de la déclaration est non
pertinente ;
D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé ;
E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion.
A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de
la déclaration
Deux exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :
1) La déclaration relative à une identification extrajudiciaire antérieure;
2) La déclaration dans un document relatant des faits dont le témoin a
eu préalablement connaissance, mais dont il ne peut se rappeler la
teneur (mémoire consignée).
7
1) La déclaration relative à une identification extrajudiciaire antérieure
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Tat, (1997) 117 C.C.C. (3d)
481 (C.A.O.))
Conditions de recevabilité répertoriées :
L’auteur de l’identification doit être disponible comme
témoin ;
Le témoin ne doit aucunement pouvoir être considéré comme
opposé à la partie qui le produit ;
Le témoin déclare avoir positivement identifié l’inculpé lors
d’une précédente occasion et affirme maintenant ne plus
pouvoir le faire avec certitude.
2) La déclaration dans un document relatant des faits dont le témoin a
eu préalablement connaissance, mais dont il ne peut se rappeler la
teneur (mémoire consignée)
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt McInroy & Rouse c. R., [1979] 1
R.C.S. 588).
Conditions de recevabilité répertoriées :
L’écrit doit être un document original, établi au moment de
l’événement ou peu de temps après (contemporanéité), alors
que le témoin en avait un souvenir clair et exact ;
Le témoin ne se souvient plus maintenant de l’événement ;
Le témoin garantit l’exactitude de l’écrit.
8
B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité de l’auteur de la
déclaration
Cinq exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :
1) Le témoignage antérieur ;
2) La déclaration de type « ante mortem » ;
3) La déclaration établissant les intentions existantes ou d’autres états
d’esprit ;
4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction ;
5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou pécuniaire de l’auteur.
1) Le témoignage antérieur
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525)
a) Lors de l’examen de l’inculpation, de l’enquête préliminaire ou du
procès (article 715 C. cr.)
Conditions de recevabilité répertoriées qui sont reliées :
À la cause de l’indisponibilité du témoin (qu’il faudra établir
sous serment ou affirmation solennelle) :
la personne refuse de prêter serment (ou de faire une
affirmation solennelle) ou de rendre totalement quelque
témoignage ;
la personne est décédée ;
la personne est devenue aliénée et l’est encore ;
la personne est trop malade pour voyager ou pour
témoigner ;
la personne est absente du Canada (de façon temporaire
ou permanente).
9
Aux circonstances entourant la réception du témoignage
antérieur :
une procédure dirigée contre l’accusé portant sur la
même inculpation (enquête préliminaire ou procès
antérieur (incluant une ordonnance de nouveau procès))
ou sur une autre (enquête préliminaire relativement à une
autre infraction qui découle de la même affaire) et au
cours de laquelle il était loisible à ce dernier (à ce
moment) de contre-interroger le témoin en question (et
c’est à l’accusé de faire la preuve qu’il n’a pas eu
l’occasion voulue de contre-interroger celui-ci).
À l’authenticité de la transcription sténographique (qui doit
être signée par le juge ou le juge de paix devant qui elle est
censée avoir été recueillie).
b) Lors d’une commission rogatoire (articles 709 et ss. C. cr.5)
Conditions de recevabilité répertoriées qui sont reliées :
À la cause de l’indisponibilité du témoin :
une partie peut demander, en prévision du procès, la
nomination d’une commission rogatoire en vue de recueillir la
déposition d’un témoin qui se trouvera vraisemblablement
dans l’impossibilité d’être présent au moment du procès en
raison :
d’une incapacité physique résultant d’une maladie ;
du fait qu’il sera à l’étranger ;
de toute autre cause valable et suffisante.
5 Il convient de noter que des mesures similaires existent aux articles 54 et ss. C.P.P.Q..
10
Aux circonstances entourant la réception du témoignage
antérieur :
la déposition recueillie ne pourra être lue en preuve que s’il
est établi que :
la partie adverse a été avisée du moment de la prise
du témoignage ;
l’accusé a eu ou aurait pu avoir l’occasion de
contre- interroger le témoin.
À l’authenticité de la transcription sténographique (qui doit
être signée par le commissaire qui a recueilli la déposition) ;
Au fait que l’indisponibilité du témoin est toujours existante
au moment du procès.
2) La déclaration de type « ante mortem »
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Schwartzenhauer c. R., [1935]
R.C.S. 367)
Conditions de recevabilité répertoriées :
Que dans le cadre d’un procès reprochant l’homicide du
déclarant ;
Le déclarant doit avoir eu conscience de l’imminence de son
décès ;
Le décès doit être dans un délai raisonnable ;
Le déclarant aurait été un témoin habile à rendre témoignage
s’il avait survécu ;
La déclaration doit porter sur les circonstances de l’incident
ayant causé le décès du déclarant ;
11
La déclaration doit relater des faits (et non exprimer une
opinion) dont le déclarant a eu personnellement connaissance
(et non des faits qui lui furent rapportés par un tiers) ;
La déclaration doit être complète.
3) La déclaration établissant les intentions existantes ou d’autres états
d’esprit
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Wysochan, (1930) 54 C.C.C.
172 (C.A.S.))
Conditions de recevabilité répertoriées :
Le déclarant doit être décédé ;
Le déclarant aurait été un témoin habile à rendre témoignage
s’il avait survécu ;
La preuve existante permet de croire (ou de déduire) que le
déclarant l’a effectivement faite ;
La déclaration doit être complète ;
La déclaration est utile à la compréhension des circonstances
existantes au moment où elle fut faite ;
La déclaration ne peut servir qu’à établir la situation relative
au déclarant (et non un tiers) ;
La déclaration doit avoir été faite de manière naturelle (et non
dans des circonstances douteuses).
12
4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608)
Conditions de recevabilité répertoriées :
Le fait déclaré doit avoir été constaté par celui qui l’a
consigné ou rapporté ;
Le déclarant doit avoir eu pour fonction spécifique de
consigner ou de rapporter le fait constaté ou l’acte exécuté ;
Le fait déclaré ne peut être mis en preuve s’il n’est qu’incident
au fait que le déclarant avait l’obligation de consigner ou de
rapporter ;
La déclaration doit être contemporaine à l’événement ;
La déclaration ne doit pas avoir été faite en prévision d’un
litige ou dans des circonstances qui permettent de douter de
son exactitude ;
Le déclarant est décédé ;
Il est difficile d’identifier l’employé ou peu pratique de faire
entendre tous les employés ayant consigné les différentes
informations que contient le document en question.
5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou pécuniaire de l’auteur
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt O’Brien, précité)
Conditions de recevabilité répertoriées :
Le déclarant est décédé ;
Le déclarant n’est pas disponible ;
La déclaration doit être clairement à l’encontre de l’intérêt du
déclarant ;
La déclaration doit être disculpatoire quant à l’acte reproché.
13
C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de la déclaration est
non pertinente
Trois exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :
1) La déclaration incriminante faite par un tiers en présence de l’accusé ;
2) La déclaration d’une personne poursuivant, avec l’accusé, une fin
commune ;
3) La déclaration de type « res gestae ».
1) La déclaration incriminante faite par un tiers en présence de l’accusé
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Gilbert c. R. (no.2), [1907] 38 R.C.S.
284)
Conditions de recevabilité répertoriées :
La déclaration doit avoir été faite par un tiers (victime ou
autre personne) ;
La déclaration doit avoir été faite en présence de l’accusé (qui
devait être conscient) ou dans le cadre d’une conversation
téléphonique dont l’accusé est l’un des interlocuteurs ;
La déclaration doit avoir été faite dans des circonstances qui
appelaient une dénégation de la part de l’accusé ;
L’accusé doit avoir acquiescé (paroles, silence, physionomie
ou conduite) à la déclaration.
14
2) La déclaration d’une personne poursuivant, avec l’accusé, une fin
commune
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938)
Conditions de recevabilité répertoriées :
Établir, par son auteur ou un tiers, un acte manifeste (la
déclaration doit avoir été faite dans la poursuite du but
commun) ;
Établir le complot ;
Établir que le déclarant est un membre du complot ou l’un des
co-conspirateurs.
3) La déclaration de type « res gestae »
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206)
Conditions de recevabilité répertoriées :
Contemporanéité (avant, pendant ou après le crime mais pas
trop longtemps) ;
Spontanéité (doit se rapporter à un fait et non exprimer une
opinion).
D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé
Celles-ci regroupent deux types.
1) Justificatives
Ne sont généralement pas permises vu la règle interdisant la preuve préconstituée
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Hughes, [1942] R.C.S. 517).
Toutefois, celles qui constituent des déclarations de type « res gestae » pourront
être mises en preuve (voir, à titre d’illustration, l’arrêt Graham, précité); de même
que celles qui visent à contredire une allégation de la part de la poursuite à l’effet
15
que la défense est d’invention ou de fabrication récente (voir, à titre d’illustrations,
l’arrêt R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3 et R. c. Stirling, [2008] CSC 10).
2) Incriminantes
Elles regroupent trois catégories :
a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne ordinaire (ou perçue
comme tel) ;
b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne en situation d’autorité;
c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire.
a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne ordinaire (ou
perçue comme tel)
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Streu, [1989] 1 R.C.S. 1521)
N’est soumise à aucune condition particulière. Elle est régie par la règle générale
de la pertinence sous réserve de la discrétion judiciaire qui en est le corollaire.
b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne en situation
d’autorité
(voir, à titre d’illustrations, les arrêts Ibrahim v. R., (1914) A.C. 599
et Rothman c. R., [1981] 1 R.C.S. 640)
Ne peut, à défaut d’admission (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Park, [1981]
2 R.C.S. 64), être admise en preuve que si la poursuite établit, par prépondérance
de preuve, lors d’un voir-dire :
son caractère libre et volontaire : sans promesse, ni menace (voir, à
titre d’illustration, l’arrêt Ibrahim, précité) ;
l’existence d’un esprit totalement conscient (voir, à titre
d’illustrations, les arrêts Ward c. R., [1979] 2 R.C.S. 30 et Horvath
c. R., [1979] 2 R.C.S. 376);
16
et, lorsque le tout s’applique, son obtention dans le respect intégral des droits
constitutionnels de la personne (détenue ou arrêtée) énoncés dans la Charte
canadienne des droits et libertés6, auxquels il est possible de renoncer si la
décision à cet égard est claire, non équivoque et en pleine connaissance des droits
que la protection vise à assurer et des conséquences en découlant (voir, à titre
d’illustrations, les arrêts R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613 ; R. c. Brydges, [1990]
1 R.C.S. 190 ; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173 ; Singh c. R. [2007] CSC 48 ; R. c
Grant, [2009] 2 R.C.S. 353, R. c. Suberu, [2009] 2 R.C.S. 460 et, plus récemment,
R. c. Taylor, 2014 CSC 50).
Il est à noter que ces règles souffrent certaines exceptions où la formalité du voir-
dire n’est pas requise. Citons, notamment, celle permettant de produire la
déclaration constituant « l’actus reus » de l’infraction reprochée (voir, à titre
d’illustration, l’arrêt R. c. Hanneson et al, (1989) 49 C.C.C. (3d) 467 (C.A.O.)).
c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire.
Le tout est gouverné avec l’interprétation donnée, par la Cour suprême du Canada,
à l’article 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada 7, ainsi qu’à l’article 13 de la
Charte fédérale en matière d’auto incrimination et des limites importantes qui
existent, à cet égard, selon que le témoignage rendu était volontaire ou forcé (voir,
à titre d’illustrations, les arrêts R. c. Noël, [2002] 3 R.C.S. 433, R. c. Allen, [2003]
1 R.C.S. 223 et R. c. Henry, [2005] 3 R.C.S. 609).
E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion
On entend par preuve d’opinion le fait pour un témoin de déposer devant le
tribunal relativement aux conclusions, aux inférences qu’il tire d’un événement ou
d’un fait et ce, selon le témoin appelé à la barre, peu importe qu’il en ait eu ou non
personnellement connaissance.
6 Dorénavant désignée par l’expression Charte fédérale.
7 L.R.C. (1985) ch. C-5, dorénavant désignée par les lettres LP.
17
La preuve d’opinion est donc reçue exceptionnellement, puisque, tel que
mentionné précédemment, un témoin doit normalement déposer sur des faits dont
il a eu connaissance avec ses sens et non pas donner son opinion sur leur
signification ou portée (ce qui relève habituellement du juge des faits).
À cet égard, la jurisprudence a distingué deux situations :
1) celle du témoin ordinaire;
2) celle du témoin expert.
1) Le témoin ordinaire
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Graat c. R., [1982] 2 R.C.S. 819)
Conditions de recevabilité répertoriées :
La connaissance personnelle seulement ;
Une matière relevant du domaine du sens commun qui ne
nécessite pas de connaissances particulières ;
Doit être d’une aide réelle au juge des faits dans l’appréciation
de la preuve.
Évidemment, dans tous les cas, le juge des faits n’est, en aucune façon, lié par
cette opinion. Et, comme pour tout témoin, le juge peut accepter le témoignage en
tout ou en partie ainsi que le rejeter totalement.
18
2) Le témoin expert
(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Lavallée c. R., [1990] 1 R.C.S. 852)
Conditions de recevabilité répertoriées :
L’opinion doit être pertinente et utile face à une détermination à
faire par le juge des faits ;
L’opinion doit être nécessaire (existence de connaissances
particulières qui dépassent les connaissances usuelles et
normales d’une personne ou d’un juge) ;
La personne doit avoir des qualifications spécifiques qu’il
faudra, sauf renonciation, établir ;
Si relative à une nouvelle théorie ou technique relevant de la
science, au sens large, l’opinion doit être fiable ;
Cette preuve ne doit pas être frappée d’une règle d’exclusion8.
C’est via un voir-dire (sauf renonciation) que le tout (exception faite de la dernière
condition) sera vérifié par le tribunal.
Un expert peut se baser sur toute preuve, incluant du ouï-dire, pour émettre son
opinion. Ceci étant dit, pour que son témoignage ait une valeur probante, il faut
toujours faire la preuve des assises factuelles sur lesquelles il s’appuie (voir, à titre
d’illustrations, les arrêts Abbey et Lavallée, précités ainsi que R. c. Charlebois,
[2000] 2 R.C.S. 674).
Enfin, il convient de rappeler que l’expert ne doit pas usurper la fonction du juge
des faits (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9) et que
le juge peut accepter le témoignage de celui-ci en tout ou en partie ainsi que le
rejeter totalement (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68)
en ce qu’il n’est jamais lié par ledit témoignage.
8 Exemple : la preuve d’expert tendant à prouver qu’un témoin dit la vérité. Voir sur le sujet R. c.
Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223.
19
II) Les exceptions législatives (celles provenant de la loi)
On retrouve dans certains textes de lois ou dans l’application factuelle de ceux-ci
des exceptions à la règle sur l’inadmissibilité du ouï-dire. Comme exemples en ce
domaine, signalons :
l’article 111(3) C. cr. relatif aux ordonnances d’interdiction d’armes (voir, à
titre d’illustration, l’arrêt R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378) ;
l’article 655 C. cr. relatif aux aveux au procès (voir, à titre d’illustration,
l’arrêt R. c. Castellani, [1970] R.C.S. 310) ;
les articles 709 et ss. C.cr. ainsi que l’article 715 C. cr., précités, relatifs aux
témoignages rendus ;
l’article 8 LP relatif à la comparaison d’écriture (voir, à titre d’illustration,
l’arrêt Pitre c. Le Roi, (1932) 59 C.C.C. 148 (CSC) 1349) ;
les articles 23 à 26 ainsi que 29 à 31 LP relatifs à différents types de
documents (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Cazzetta, REJB 2003-
36845 (C.A.Q.)) ;
les articles 66, 66.1 et 67 CPPQ relatifs à la preuve de délivrance,
d’attestation d’envois ou d’extraits de registres (voir, à titre d’illustration,
l’arrêt Ville de Farnham c. Charron, J.E. 95-460 (C.A.Q)).
20
III) Les exceptions selon la nouvelle approche9 (celles provenant des
décisions rendues par la Cour suprême du Canada depuis 1990)
Voulant s’écarter d’une application trop rigide10
des exceptions existantes, la Cour
suprême commença, à compter de 1990 en matière criminelle11
, à utiliser deux
balises (la nécessité et la fiabilité) qui encadrent dorénavant l’analyse de toutes les
exceptions invoquées à l’encontre de la règle excluant le ouï-dire.
Voyons, de façon chronologique, ce qui s’est passé.
L’arrêt Khan
Dans Khan c. R., [1990] 2 R.C.S. 531, il s’agissait d’une accusation d’agression
sexuelle ou l’admissibilité d’une déclaration faite par un enfant à sa mère devait
être déterminée. L’accusé était un médecin et la victime une enfant de trois ans qui
avait rapporté les évènements quelques quinze minutes après le départ de la
clinique alors qu’un dépôt (composé, suite à l’analyse effectuée, de sperme et de
salive) fut découvert sur ses vêtements. Lors du procès, l’accusé n’a présenté
aucune preuve.
Résultat en première instance : acquittement.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
Rendant le jugement de la cour (cinq juges), l’honorable juge McLachlin (telle
qu’elle était alors) mentionna aux pages 546 à 548 :
« La première question devrait être de savoir si la
réception de la déclaration relatée est nécessaire. À
ces fins, la nécessité doit être interprétée dans le sens
de [traduction] « raisonnablement nécessaire ».
L’inadmissibilité du témoignage de l’enfant pourrait être
une raison de conclure à l’existence de la nécessité. Mais
9 Aussi appelée la méthode d’analyse raisonnée ou celle fondée sur les principes.
10 Souvent critiquée par différents auteurs dans des publications juridiques qui parlaient alors d’un
ensemble de catégories sclérosées conçues par les tribunaux. 11
Car en matière civile, cette approche avait été mise de l’avant, dès 1970, dans l’arrêt Ares c. Venner,
précité (poursuite contre un médecin). D’ailleurs, plusieurs des arrêts qui seront mentionnés, dans les
lignes qui vont suivre, ont référé à cette décision.
21
une preuve solide fondée sur des évaluations
psychologiques que le témoignage devant le tribunal
pourrait être traumatisant pour l’enfant ou lui porter
préjudice pourrait également être utile. Il peut y avoir
d’autres exemples de circonstances qui pourraient établir
l’exigence de la nécessité.
La question suivante devrait porter sur la fiabilité du
témoignage. Plusieurs considérations comme le moment
où la déclaration est faite, le comportement, la
personnalité de l’enfant, son intelligence et sa
compréhension des choses et l’absence de toute raison de
croire que la déclaration est le produit de l’imagination
peuvent être pertinentes à l’égard de la question de la
fiabilité. Je ne voudrais pas établir une liste précise des
considérations applicables à la fiabilité ni laisser entendre
que certaines catégories de preuves (par exemple le
témoignage de jeunes enfants en matière sexuelle)
devraient être considérées comme dignes de foi. Les
questions relatives à la fiabilité vont varier avec l’enfant
et les circonstances et relèvent davantage du juge du
procès.
…
Je conclus que la preuve par ouï-dire d’une déclaration
d’un enfant concernant des crimes dont il a été victime
devrait être recevable, pourvu que les garanties de
nécessité et de fiabilité soient respectées sous réserve des
garanties que le juge peut estimer nécessaire et sous
réserve toujours des considérations relatives au poids qui
devrait être accordé à cette preuve. Cela n’a pas pour
effet de rendre les déclarations extrajudiciaires faites par
des enfants généralement admissibles, en particulier,
l’exigence de la nécessité signifiera probablement que
dans la plupart des cas les enfants seront encore appelés à
témoigner de vive voix.
Je conclus qu’en l’espèce la déclaration de la mère aurait
dû être reçue en preuve. Elle était nécessaire puisque le
témoignage de vive voix de l’enfant avait été rejeté. Elle
était également fiable. L’enfant n’avait aucune raison
d’inventer son histoire qu’elle a racontée naturellement
22
sans être incitée à le faire. En outre, le fait qu’on ne
pouvait s’attendre à ce que l’enfant connaisse ce genre
d’acte sexuel confère à sa déclaration une fiabilité toute
particulière. Enfin, sa déclaration a été corroborée par
une preuve matérielle. »
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final: la déclaration était admissible en preuve. L’appel fut rejeté et
l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.
L’arrêt Smith
Dans R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, il s’agissait d’une accusation de meurtre sur
une citoyenne américaine en sol canadien. L’admissibilité de quatre déclarations
survenues dans le cadre de conversations téléphoniques ayant pris place entre la
victime (juste avant sa mort) et sa mère devait être déterminée. Lors du premier
appel, la victime disait que l’accusé l’avait abandonné à l’hôtel et qu’elle voulait
qu’on la ramène à la maison. Lors du deuxième, la victime disait que l’accusé
n’était toujours pas de retour. Lors du troisième, la victime disait que l’accusé était
revenu et qu’en fin de compte elle n’avait pas besoin qu’on la ramène à la maison.
Lors du dernier appel, en provenance (suite à l’enquête effectuée) d’un téléphone
public situé à une station service près de laquelle le corps de la victime fut
retrouvé, la victime disait qu’elle s’en venait. Selon la théorie de la poursuite,
l’accusé était un trafiquant de drogues ayant demandé à la victime, comme il
l’avait fait par le passé avec d’autres femmes, de dissimiler de la cocaïne dans son
corps, ce qu’elle avait refusé.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la cour (sept juges), le très honorable juge en chef Lamer
mentionna aux pages 933 et 934 :
« Le critère de la « fiabilité » - ou, suivant la terminologie
employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de
fiabilité – dépend des circonstances dans lesquelles la
déclaration en question a été faite. Si une déclaration
qu’on veut présenter par voie de preuve par ouï-dire a été
faite dans des circonstances qui écartent
23
considérablement la possibilité que le déclarant ait menti
ou commis une erreur12
, on peut dire que la preuve est
« fiable », c’est-à-dire qu’il y a une garantie
circonstancielle de fiabilité.
…
Le critère de la nécessité n’a cependant pas le sens de
« nécessaire à la preuve de la poursuite ». Si c’était le
cas, la preuve par ouï-dire non corroborée qui satisfait au
critère de la fiabilité serait admissible si elle n’était pas
corroborée, mais pourrait ne plus être « nécessaire » à la
preuve de la poursuite si elle était corroborée par une
autre preuve indépendante. Pareille interprétation du
critère de la « nécessité » aurait donc pour résultat
illogique que la preuve par ouï-dire non corroborée serait
admissible, mais deviendrait inadmissible si elle était
corroborée. Telle n’était pas l’intention de l’arrêt Khan
de notre Cour.
Comme je l’ai déjà dit, il faut donner au critère de la
nécessité une définition souple, susceptible d’englober
différentes situations. Ces situations auront comme point
commun que, pour différentes raisons, la preuve directe
pertinente n’est pas disponible.
…
Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas
limitées».
(Soulignés ajoutés)
Et, par la suite, à la page 937 :
« En définitive, je conclus que la preuve par ouï-dire de ce
que Mme King a dit à sa mère lors des deux premiers
appels téléphoniques satisfaisait aux critères de nécessité
et de fiabilité formulés dans l’arrêt Khan et était
admissible sur ce fondement. Bien que le contenu du
troisième appel téléphonique satisfasse lui aussi au critère
12
Notamment en raison du fait que les déclarations sont compatibles avec plusieurs hypothèses.
24
de nécessité, les évènements entourant cet appel sont
insuffisants pour fournir la garantie circonstancielle de
fiabilité qui justifierait son admission sans contre-
interrogatoire. Le ministère public n’a pas interjeté appel
concernant la quatrième conversation téléphonique et je
ne fais donc aucun commentaire quant à l’admissibilité de
la preuve par ouï-dire de son contenu, si ce n’est que, dans
l’éventualité d’un nouveau procès elle sera régie par les
mêmes principes ».
Résultat final : seulement les deux premières déclarations étaient admissibles en
preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.
L’arrêt B. (K.G.)
Dans R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, il s’agissait d’une accusation de
meurtre. Trois amis d’âge mineur, de concert avec l’accusé (mineur également),
furent impliqués dans une bagarre avec deux hommes dont l’un décéda d’une
blessure par couteau. Suite à des mises en garde, les trois adolescents (chacun
accompagné par l’un de ses parents ou un avocat) firent, lors d’interrogatoires
séparés effectués par la police (et enregistrés, avec leur consentement, sur bande
vidéo), des déclarations au cours desquelles ils mentionnèrent que l’accusé leur
avait avoué qu’il avait tué la victime avec un couteau. Au procès, ils se
rétractèrent. Le juge du procès permit donc à la poursuite de procéder à leur
contre-interrogatoire selon l’art 9(2) LP13
et, bien que ceux-ci admirent avoir fait
les susdites déclarations, ils mentionnèrent avoir menti et que l’accusé n’avait pas
fait les déclarations en question. Celles-ci ne furent donc pas admises en preuve
lorsque la question à cet égard dû être tranchée. Or, par la suite et avant l’audition
de l’appel en Cour suprême du Canada, ces mêmes adolescents plaidèrent
coupables à des accusations de parjure.
Résultat en première instance : acquittement.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.
13
Voir l’arrêt McInroy & Rouse, précité. Toutefois, avant d’en arriver là, il convient de rappeler que la
poursuite a toujours le droit de tenter de rafraîchir la mémoire de ce témoin en lui permettant de prendre
connaissance de sa déclaration antérieure (Voir, à titre d’illustration sur le sujet, l’arrêt R. c. Coffin, [1956]
R.C.S. 191).
25
S’exprimant au nom de cinq juges sur sept (les deux autres juges arrivant à la
même conclusion mais pour d’autres motifs), le très honorable juge en chef Lamer
mentionna d’abord à la page 783 :
« Je suis d’avis que la preuve des déclarations antérieures
incompatibles d’un témoin, autre que l’accusé, doit être
admise en preuve quant au fond, d’après l’analyse fondée
sur les principes élaborée dans les arrêts de notre Cour,
Khan et Smith. Toutefois, il est clair que les facteurs
énoncés dans ces arrêts – fiabilité et nécessité - doivent
être adaptés et raffinés dans le contexte présent, vu les
problèmes particuliers soulevés par la nature de ces
déclarations. Au surplus, le juge doit tenir un voir-dire
avant de présenter ces déclarations au jury à titre de
preuve de fond, afin de s’assurer que la déclaration a été
faite dans circonstances qui ne réduisent pas sa fiabilité à
néant ».
Ensuite, aux pages 795 et 796 :
« Par conséquent, on aura satisfait à l’exigence de
fiabilité si les circonstances dans lesquelles la déclaration
antérieure a été faite fournissent des garanties suffisantes
de son exactitude relativement aux deux dangers du ouï-
dire auxquels une règle réformée peut obvier de façon
réaliste :
(i) si la déclaration est faite sous serment ou
affirmation solennelle après une mise en garde
quant à l’existence de sanctions et à l’importance
du serment ou de l’affirmation solennelle,
(ii) si elle est enregistrée intégralement sur bande
vidéo, et
(iii) si la partie adverse - accusation ou défense – a la
possibilité voulue de contre-interroger le témoin au
sujet de la déclaration, il existera des garanties
circonstancielles de fiabilité suffisantes pour
qu’elle soit soumise au jury à titre de preuve de
fond. Subsidiairement, il se peut que d’autres
garanties circonstancielles de fiabilité suffisent à
rendre une telle déclaration admissible quant au
26
fond, à la condition que le juge soit convaincu que
les circonstances offrent des garanties suffisantes
de fiabilité qui se substituent à celles que la règle
du ouï-dire exige habituellement14
».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Et, par la suite, aux pages 798 et 799 :
« Les limites précises du critère de la nécessité restent à
établir dans le contexte de cas particuliers.
…
Toutefois, je ne suis pas disposé, à ce moment-ci, à
souscrire à une interprétation stricte qui fait de la non
disponibilité une condition indispensable de la
nécessité ».
(Soulignés ajoutés)
Pour conclure, aux pages 803 et 804, relativement au voir-dire exigé à l’avenir :
« Je résumerai ainsi le déroulement du voir-dire : dans la
partie qui porte sur la nouvelle règle, le juge du procès
doit d’abord s’assurer que les indices de fiabilité
nécessaires pour l’admission de la preuve par ouï-dire des
déclarations antérieures – mise en garde, serment,
affirmation ou déclaration solennelle, et enregistrement
sur bande vidéo, ou substituts suffisants – sont présents et
authentiques. Dans l’affirmative, il doit alors examiner
les circonstances dans lesquelles la déclaration a été
obtenue, s’assurer que, si la déclaration étayée par les
indices de fiabilité a été faite à une personne en situation
d’autorité, elle a été faite volontairement et qu’aucun
autre facteur ne serait susceptible de déconsidérer
l’administration de la justice si la déclaration était admise
comme preuve de fond. Dans la plupart des cas, comme
en l’espèce, la partie qui cherche à faire admettre les
déclarations antérieures incompatibles comme preuve de
14
Car l’objectif à atteindre est un seuil de fiabilité et non la fiabilité absolue et indiscutable (voir p. 787 de
la décision). D’ailleurs, à cet égard, l’arrêt R. c. Labrecque, [1997] 3 R.C.S. 1001 confirma qu’une
prépondérance de preuve était suffisante.
27
fond devra établir, selon la prépondérance des
probabilités, que ces conditions ont été remplies. Le juge
du procès ne doit pas décider si la déclaration antérieure
incompatible est vraie, ni si elle est plus digne de foi que
le témoignage actuel, car cette décision revient au juge
des faits.
…
Si la déclaration antérieure n’offre pas les garanties
circonstancielles de fiabilité nécessaires, et ne satisfait
donc pas au critère préliminaire examiné durant le voir-
dire, mais que la partie qui présente la déclaration
antérieure remplit par ailleurs les exigences prévues aux
par. 9(1) ou (2) de la Loi sur la preuve au Canada, la
déclaration peut tout de même être produite en preuve,
mais le juge du procès doit donner des directives au jury
en conformité avec la règle orthodoxe »15
.
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : L’ancienne règle ou la règle orthodoxe (à l’effet que les
déclarations antérieures incompatibles ne pouvaient servir que pour attaquer la
crédibilité d’un déclarant et non comme preuve de sa véracité) est remplacée par
une nouvelle façon de faire qui prend appui sur les enseignements de la méthode
d’analyse raisonnée. Dans ce contexte, l’admissibilité des déclarations devra être
déterminée sous l’angle de la nouvelle règle. En conséquence, l’appel fut accordé
et un nouveau procès fut ordonné.
L’arrêt U. (F.J.)
Dans U. (F.J.) c. R., [1995] 3 R.C.S. 764, il s’agissait de diverses accusations
d’ordre sexuel et de voies de fait impliquant un père et sa fille mineure âgée de
treize ans. Suite au signalement effectué par la grand-mère, la police rencontra
séparément l’accusé et sa fille. Lors de l’interrogatoire de l’adolescente, la grand-
mère était présente ainsi que deux policiers dont l’un agissant, lorsque requis,
comme interprète. Au cours de l’interrogatoire (non enregistré en raison de la
défectuosité du magnétophone), l’adolescente fit des déclarations quant aux
15
À cette étape, il s’agira, par contre, d’une attaque quant à la crédibilité du déclarant.
28
rapports sexuels réguliers (pour certains, très récents) ayant pris place entre elle et
son père ainsi que sur deux v oies de fait. Lors de son interrogatoire (non
enregistré) l’accusé confirma intégralement les propos de son enfant mais refusa
de faire une déclaration écrite et fit savoir qu’il ne signerait rien. Au procès,
l’adolescente se rétracta seulement quant aux allégations d’ordre sexuel, disant
qu’elles n’étaient pas vraies. L’accusé, bien qu’il reconnu, dans le cadre du voir-
dire, avoir fait une déclaration incriminante, nia en grande partie sa véracité
mentionnant que l’enquêteur avait ravivé ses souvenirs d’emprisonnement et de
torture (dans son pays d’origine) et que la crainte, en découlant, l’avait amené à
faire une fausse déclaration tout en croyant, néanmoins, que l’on ne pouvait
l’utiliser contre lui vu qu’il refusait de signer quoi que ce soit.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur tous les chefs de
nature sexuelle.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
S’exprimant au nom de six juges sur sept (l’autre juge arrivant à la même
conclusion mais pour d’autres motifs), le très honorable juge en chef Lamer
mentionna d’abord aux pages 790 et 791 :
« Outre les situations que j’ai décrites dans B. (K.G.),
l’établissement d’un seuil de fiabilité est parfois possible,
dans les cas où le témoin peut être contre-interrogé,
lorsqu’il existe une similitude frappante entre deux
déclarations.
Lorsque deux déclarations contiennent des affirmations
de fait semblables, l’une des situations suivantes doit être
vraie :
1. La similitude est une pure coïncidence.
2. La similitude résulte de la collusion entre les deux
auteurs avant que l’une des déclarations ou les deux
n’aient été faites.
3. L’auteur de la seconde déclaration connaissait le
contenu de la première déclaration et a fondé sa
déclaration en tout ou en partie sur cette connaissance.
29
4. La similitude est due à l’influence de tiers, tel un
interrogateur, qui a influé sur le contenu de l’une des
déclarations ou des deux.
5. Il y a similitude parce que les auteurs des deux
déclarations faisaient tous deux état d’un événement
réel – c’est-à-dire que tous les deux disaient la vérité.
Les quatre premières explications sont, bien entendu,
également compatibles, que les parties semblables de la
déclaration soient véridiques ou fausses. Il est donc
possible de conclure que les parties semblables des
déclarations ne sont véridiques que lorsqu’on peut établir
qu’aucune des quatre premières solutions n’est probable,
et que la cinquième option est donc la seule explication
probable. En conséquence, les similitudes frappantes
entre les deux déclarations ne font qu’accroître la
probabilité que l’une ou l’autre des déclarations soit digne
de foi lorsqu’il y a un fondement pour rejeter, parce que
peu probables, toutes les autres explications ».
(Soulignés ajoutés)
Pour, par la suite, dire aux pages 794 et 795 :
« S’il faut satisfaire au critère de la fiabilité, dans de rares
cas, au moyen de la similitude frappante entre la
déclaration examinée et une autre déclaration qui est déjà
clairement admissible quant au fond, le juge du procès
doit être convaincu, selon la prépondérance des
probabilités, qu’il existe des similitudes frappantes entre
les deux déclarations et qu’il n’existait aucune raison,
aucune possibilité pour leurs auteurs d’agir de
connivence, ni aucune influence indue de la part
d’interrogateur ou d’autres tiers ».
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations de la victime et de l’accusé étaient admissibles en
preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
30
L’arrêt R. (D.)
Dans R. c. R.(D.), [1996] 2 R.C.S. 291, il s’agissait de diverses accusations d’ordre
sexuel et de voies de fait, commis par les parents naturels et l’ami de ceux-ci, sur
trois enfants mineurs, respectivement âgés de cinq et sept ans (qui participaient, à
l’occasion, a des jeux sexuels entre eux) qui rapportèrent le tout à différentes
personnes (incluant la responsable du foyer d’accueil où ils demeuraient ainsi qu’à
un médecin) et à la police. Les enfants furent examinés par le médecin qui décela
des éléments de preuve médicale pouvant laisser croire que ces derniers avaient
été victimes d’abus physiques et sexuels. Les entretiens que l’enquêteur eus avec
les enfants survinrent en présence d’une thérapeute pour enfants et furent
enregistrés sur bande magnétoscopique.
Résultat en première instance : déclarations de culpabilité sur tous sur les chefs
d’agressions sexuelles pour tous les accusés et déclarations de culpabilité sur deux
chefs de voies de fait pour les parents naturels.
Résultat en appel : les appels furent rejetés et les déclarations de culpabilité
furent maintenues.
S’exprimant au nom de la majorité (trois juges sur sept)16
, l’honorable juge Major
mentionna aux pages 309 et 310 ce qui suit :
« Dans l’arrêt Khan c. R., [1990] 2 R.C.S. 531, on a jugé
que, pour que des déclarations extrajudiciaires soient
admises comme preuve de la véracité de leur contenu,
elle doivent être à la fois nécessaires et dignes de foi.
L’exigence de fiabilité a été formulée dans R. c. Smith,
[1992] 2 R.C.S. 915. Pour que les déclarations soient
admises, il n’est pas nécessaire qu’elles soient
absolument dignes de foi, mais il doit y avoir une garantie
circonstancielle de fiabilité. Elles seront inadmissibles si
la preuve par ouï-dire est également compatible avec
d’autres hypothèses.
À mon avis, les déclarations de Michelle n’étaient pas
suffisamment dignes de foi pour être admises. Il y avait
des éléments de preuve qui laissaient croire que Michael
pouvait avoir agressé Michelle chez D.R., à l’époque en
16
Il convient de noter, d’une part, qu’un juge arriva à la même conclusion (mais pour d’autres motifs) et,
d’autre part, que deux des trois dissidences ne furent qu’en partie et relatives au dispositif final touchant
l’un des coaccusés.
31
question. Michael a notamment admis avoir eu des
relations sexuelles avec ses deux sœurs dans la salle de
bains de D.R., lors de la visite en question. D.R. a
témoigné qu’il avait trouvé Michelle et Michael ensemble
dans la salle de bain, le jour même ou Mme K. a
remarqué la présence de taches de sang sur la petite
culotte de Michelle. De même, il a été prouvé que les
enfants avaient tendance à mentir pour cacher les activités
sexuelles auxquelles ils se livraient entre eux. En
définitive, les déclarations de Michelle sont aussi
compatibles avec l’hypothèse selon laquelle elle
protégeait Michael qu’elles le sont avec celle voulant
qu’elle ait été agressée sexuellement par D.R. Aucune
garantie circonstancielle de fiabilité n’a été fournie. Le
juge du procès a commis une erreur en admettant ces
déclarations ».
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations d’un des jumeaux n’étaient pas admissibles en
preuve. Les appels furent accueillis. L’ami des parents naturels fut acquitté de
tous les chefs et un nouveau procès fut ordonné, pour ces derniers, relativement
aux chefs d’agression sexuelle et de voies de fait.
L’arrêt Rockey
Dans Rockey c. R., [1996] 3 R.C.S. 829, il s’agissait d’une accusation d’agression
sexuelle ou il fallait trancher quant à l’admissibilité de déclarations faites par un
enfant de deux ans et demi, sur une période de plusieurs jours, à sa mère ainsi qu’à
d’autres personnes. La mère avait amené son enfant chez un pédiatre qui confirma
que ce dernier avait subi une lésion à l’anus susceptible d’avoir été provoquée par
l’insertion d’un objet contondant. Lors du procès, la poursuite, qui ne fit pas
entendre l’enfant, présenta (avec et sans voir-dire) sept déclarations faites par
celui-ci juxtaposées au témoignage non contredit d’un expert (car la défense n’a
présenté aucun témoin) à l’effet que l’enfant (âgé de cinq ans au moment du
procès) serait traumatisé s’il était appelé à témoigner.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
32
S’exprimant au nom de cinq juges sur neuf (les quatre autres arrivant à la même
conclusion mais pour d’autres motifs), l’honorable juge Sopinka mentionna aux
pages 834 et 835 :
« En l’espèce, le juge du procès devait trancher deux
questions avant de conclure à la nécessité :
a) l’habilité de l’enfant à témoigner et, en cas de
réponse affirmative,
b) la possibilité que l’enfant subisse un traumatisme
s’il témoigne.
En ce qui concerne la question a), comme l’a démontré le
juge Doherty, dissident en Cour d’appel, l’appréciation de
la preuve pourrait mener à des conclusions différentes.
Comme il l’a dit : [TRADUCTION] « Je ne peux affirmer
qu’un juge raisonnable aurait nécessairement conclu que
Ryan était inhabile à témoigner » ((1995), 23 O.R. (3d)
641, à la p. 667). Outre le fait que différentes conclusions
pouvaient être tirées de la preuve, il est possible que
certains juges auraient envisagé de parler avec l’enfant
dans un environnement ou celui-ci se serait senti à l’aise.
Le juge du procès n’a même pas envisagé cette
possibilité, puisqu’il a tout simplement présumé que le
ministère public n’assignerait pas l’enfant à témoigner.
Par conséquent, je ne conclurais pas que, n’eût été
l’omission du juge du procès de tirer une conclusion à
l’égard de l’habilité à témoigner, le verdict aurait
nécessairement été le même.
En ce qui a trait à la question b), vu le témoignage non
contredit du Dr Sas, je suis d’avis que le juge du procès
aurait inévitablement conclu que l’enfant serait traumatisé
s’il était effectivement appelé à témoigner. À la lumière
de cette conclusion, il s’ensuit qu’on a établi, en droit, la
nécessité, que les éléments de preuve auraient
nécessairement été admis ».
(Soulignés ajoutés)
33
Résultat final : seulement deux des déclarations de l’enfant étaient admissibles en
preuve. L’appel fut néanmoins rejeté en raison du proviso curatif et la déclaration
de culpabilité fut maintenue.
L’arrêt Hawkins
Dans Hawkins et Morin c. R., [1996] 3 R.C.S. 1043, il s’agissait d’accusations de
complot et de corruption visant à entraver la justice. Hawkins (policier)
fréquentait, dans le cadre d’une relation explosive, ponctuée de ruptures et de
réconciliations, Graham (danseuse). Sur la base de renseignements donnés par
Graham à un moment où la relation n’était pas au beau fixe, une enquête interne
fut initiée contre Hawkins et le tout mena aux accusations précitées contre lui et
Morin (président d’un club de motards local). Au début de l’enquête préliminaire,
Graham fit, sous serment, des déclarations incriminant Hawkins. Cependant, dans
la suite de l’enquête préliminaire et encore sous serment, elle se rétracta quant à
des parties importantes de ses déclarations antérieures, fournissant même des
explications qui contredisaient directement ce qu’elle avait affirmé précédemment.
À la fin de l’enquête préliminaire et avant le début du procès, Graham et Hawkins
se sont mariés.
Résultat en première instance : suite à la requête présentée par la défense, le juge
du procès décida que Graham n’était pas contraignable ni habile à témoigner pour
la poursuite. Suite à cette décision, le ministère public n’a présenté aucune autre
preuve et un acquittement est survenu.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (six juges sur neuf), le très honorable juge en
chef Lamer ainsi que l’honorable juge Iacobucci mentionnèrent17
aux pages 1083
à 1086 :
« En l’espèce, aux fins de l’application du critère de la
nécessité, nous sommes convaincus que Graham ne
pouvait témoigner pour le compte du ministère public. Le
poursuivant ne pouvait assigner Graham à témoigner en
17
Après avoir réitéré que Graham n’était pas un témoin contraignable pour la poursuite. Toutefois, il est
bien spécifié que la situation pourrait être fort différente si la preuve, dans un autre dossier, établissait
clairement que le seul but du mariage était d’échapper à la responsabilité criminelle en rendant un témoin
principal non contraignable et que les partenaires n’avaient aucune intention de s’acquitter de leurs
obligations mutuelles de soins et de soutien (voir page 1074). Le lecteur a aussi intérêt à prendre
connaissance de l’article 4 LP.
34
raison de la règle de l’inhabilité du conjoint à témoigner,
et il n’existait aucun autre moyen de présenter au tribunal
une preuve d’une valeur similaire.
…
Nous sommes convaincus qu’un témoignage recueilli à
une enquête préliminaire permettra généralement de
satisfaire à ce critère de seuil de fiabilité puisqu’il fournit
suffisamment de garanties de fiabilité. En effet, au cours
d’une enquête préliminaire, les questions en litige et les
parties seront exactement les mêmes qu’au procès. Les
dangers du ouï-dire associés au témoignage dans une telle
procédure décisionnelle sont minimes.
…
Pour ces motifs, nous sommes d’avis qu’un témoignage
enregistré lors d’une enquête préliminaire comporte
suffisamment de garanties de fiabilité pour permettre au
juge des faits d’en faire une utilisation quant au fond au
cours du procès. Les circonstances entourant ce
témoignage, tout particulièrement l’existence d’un
serment ou d’une affirmation et la possibilité de contre-
interrogatoire au moment de la déclaration, font plus que
contrebalancer l’impossibilité pour le juge des faits
d’observer le comportement du témoin en cour.
L’absence du témoin au procès influe sur le poids et non
sur l’admissibilité du témoignage ».18
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : la transcription sténographique du témoignage rendu
volontairement par une personne lors de l’enquête préliminaire (alors qu’elle
n’était pas mariée avec l’accusé) était admissible en preuve. L’appel fut rejeté et
l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.
18
Au surplus, la majorité détermina que le juge du procès n’aurait pas dû exercer son pouvoir
discrétionnaire d’exclure de la preuve le témoignage de Graham recueilli lors de l’enquête préliminaire car,
dans la pondération des considérations, le risque de préjudice indu découlant du témoignage de celle-ci
n’était pas beaucoup plus important que l’éventuelle valeur probante de cette preuve au procès.
35
L’arrêt F. (W.J.)
Dans R. c. F.(W.J.), [1999] 3 R.C.S. 569, il s’agissait d’accusations d’agression
sexuelle sur une enfant de cinq ans. L’enfant raconta les agressions à ses père et
mère (ainsi qu’à une tante) et un récit détaillé de celles-ci (enregistré sur bande
magnétoscopique) avait été recueilli par la police. Au procès, l’enfant était âgée
de six ans. La poursuite procéda d’abord à l’enquête requise selon l’article 16 LP
et le juge décida que l’enfant était habile à témoigner en promettant de dire la
vérité. Par la suite, l’enfant19
rendit son témoignage derrière un écran (dans une
salle d’audience où le public était exclu) et une personne fut nommée pour
l’assister. Lorsque l’enfant témoigna, la poursuite eut beaucoup de difficultés à lui
faire établir les faits et, à un certain moment, l’enfant cessa complètement de
témoigner. Comme l’enfant n’avait pas confirmé (tel que requis par l’article 715.1
C. cr.) le contenu de l’enregistrement magnétoscopique, celui-ci ne fut pas admis
en preuve. Devant la situation, la poursuite demanda que les différentes
déclarations (incluant le récit sur bande magnétoscopique) soient admises en
preuve à titre d’exception. Lors du voir-dire sur le sujet, l’enfant était réellement
« figée » et il était clair qu’elle ne pouvait pas témoigner. Estimant que, pour
rencontrer le critère de la nécessité, la poursuite devait présenter une preuve
établissant pourquoi l’enfant n’était pas en mesure de témoigner le juge de
première instance fut d’opinion que les déclarations n’étaient pas admissibles en
preuve selon les principes établis dans l’arrêt Khan.
Résultat en première instance : Suite à la décision rendue, le ministère public n’a
présenté aucune autre preuve et un acquittement est survenu.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.
S’exprimant au nom de la majorité (quatre juges sur huit)20
, l’honorable juge
McLachlin (telle qu’elle était alors) mentionna d’abord à la page 588 :
« Par conséquent, il ne faut pas aborder la nécessité
comme si l’affaire devait entrer dans une catégorie
19
Comme le prévoit le législateur aux articles 486.1 et 486.2 C. cr. 20
Il convient de noter, qu’un juge partage entièrement les motifs de la majorité tout en tenant à ajouter, sans
pour autant être dissident, d’autres motifs.
36
prédéterminée. Il s’agit de savoir si, d’après les faits dont
est saisi le juge du procès, la preuve directe n’est pas
disponible malgré le déploiement d’efforts raisonnables
pour l’obtenir. Les motifs de la nécessité peuvent varier
– allant de l’inhabilité totale à déposer aux conséquences
traumatisantes de la déposition pour le témoin.
Il n’y a aucune règle absolue qui oblige à présenter une
preuve sur la question de la nécessité. Lorsqu’il ressort
des circonstances dont il est saisi que l’enfant ne peut pas
témoigner utilement, le juge du procès peut conclure que
des déclarations extrajudiciaires sont « nécessaires » dans
le contexte de la règle, en l’absence de preuve ».
(Soulignés ajoutés)
Pour, par la suite, mentionner aux pages 593 et 594 :
« Je conclus que la nécessité requise peut être établie soit
en fonction de ce qui s’est passé au procès, soit en
fonction d’éléments de preuve. La preuve qui explique
pourquoi l’enfant ne témoigne pas en cour, bien qu’elle
soit souvent utile, n’est pas essentielle. Ce qui est
nécessaire, c’est que le juge du procès soit convaincu que
le témoignage n’est pas disponible malgré le déploiement
d’efforts raisonnables pour l’obtenir ».
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations de l’enfant étaient admissibles en preuve. L’appel
fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
L’arrêt Starr
Dans Starr c. R., [2000] 2 R.C.S. 144, il s’agissait d’accusations de meurtres. Les
deux victimes furent tuées par balles. Le soir des évènements, elles prirent de
l’alcool, avec Starr, dans un hôtel et les trois quittèrent l’hôtel ensemble. En
sortant de l’hôtel, les victimes se séparèrent de Starr et proposèrent à un couple de
les raccompagner. Lors d’un arrêt dans une station-service, une fréquentation
reconnue l’une des victimes et elle décida d’aller lui parler alors qu’il se trouvait
37
toujours dans le véhicule. Lors de cet entretien, la fréquentation, d’une part,
devint en colère puis s’éloigna (car la victime était avec une autre femme et ne
voulait pas la ramener) et, d’autre part, remarqua la présence du véhicule
(découvert plus tard sur le lieu des meurtres) à bord duquel se trouvait Starr. La
victime sortit du véhicule et alla rejoindre la fréquentation dans une ruelle située à
proximité. Lors d’un nouvel entretien, la victime mentionna à la fréquentation
qu’il devait, moyennant rémunération, faire quelque chose avec Starr, quant à une
voiture, pour frauder l’assurance21
. Après avoir déposé le couple qu’ils
raccompagnaient, les victimes reprirent la route et leurs corps, sans vie, furent
découverts un peu plus tard. Lors de l’enquête, les policiers découvrirent des
cheveux de Starr du côté conducteur dans le véhicule trouvé à proximité du lieu
des meurtres ainsi que des reçus, au nom de Starr, pour l’achat de munitions
pouvant convenir à un pistolet comme celui ayant été utilisé en l’espèce pour
abattre les victimes. De plus, ils rencontrèrent le couple en question et leur
présentèrent des photos à différentes reprises. Dans le cadre de son témoignage, la
dame du couple mentionna que, lors de la deuxième visite, les policiers lui avait
présenté des photographies mais qu’elle se souvenait vaguement de la situation et
qu’elle ne croyait pas avoir identifié qui que ce soit sur celles-ci. Toutefois, elle
reconnue que lors de cette visite des policiers elle croyait avoir indiqué une photo
en affirmant que la personne sur celle-ci lui disait quelque chose sans expliquer
pourquoi et où elle avait vu cette personne. Dans la suite de son témoignage, la
poursuite ne lui a pas demandé si elle avait vu Starr la nuit des meurtres, elle n’a
jamais témoigné non plus qu’elle avait vu celui-ci et elle n’identifia aucunement
Starr en cour en spécifiant, néanmoins, que rien de ce qu’elle avait dit aux
policiers n’était faux. Les deux enquêteurs eux mentionnèrent que la dame du
couple avait reconnu, à une occasion en leur présence, Starr comme étant une
personne qui avait parlé à l’une des victimes lors de l’arrêt à la station-service22
.
De plus, selon un des enquêteurs, les deux membres du couple choisirent, lors
d’une des séances de présentation de photos, la même photo comme représentant
la personne aperçue à ladite station-service.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur neuf), l’honorable juge
Iacobucci mentionna d’abord, à la page 236, quant à l’exception des intentions
existantes :
21
Cette déclaration, malgré les objections de la défense, fut admise en preuve selon l’exception
traditionnelle des intentions existantes. 22
Cette déclaration, malgré les objections de la défense, fut également admise en preuve selon l’exception
relative à l’identification extrajudiciaire antérieure.
38
« … trois raisons m’amènent à conclure que le juge du
procès a eu tort d’admettre la déclaration de Cook, à
Giesbrecht, en vertu de l’exception des intentions
existantes et de ne pas en délimiter l’utilisation par le jury
après l’avoir admise. Premièrement, la déclaration
n’offrait aucun signe de fiabilité étant donné qu’elle a été
faite dans des circonstances douteuses23
; deuxièmement,
le juge du procès n’a pas dit au jury que cette déclaration
était admissible pour établir les intentions de Cook
seulement et non celles de l’appelant; troisièmement,
même si son utilisation avait été délimitée correctement,
la preuve était plus préjudiciable que probante».
(Soulignés ajoutés)
Pour dire, par la suite, à la page 24324
:
« Jusqu’à maintenant, l’application par notre Cour de la
méthode fondée sur des principes en matière
d’admissibilité de la preuve par ouï-dire s’est limitée, en
pratique, à élargir la portée de l’admissibilité de la preuve
par ouï-dire au-delà des exceptions traditionnelles.
L’analyse et les observations de la Cour ont été axées sur
la nécessité d’accroître la souplesse des exceptions
existantes, et non pas particulièrement sur la nécessité de
réexaminer les exceptions elles-mêmes. Toutefois, la
présente affaire exige que nous examinions une exception
à la règle du ouï-dire et que nous nous prononcions sur sa
coexistence avec la méthode fondée sur des principes.
Comme je vais l’analyser davantage plus loin, dans la
mesure où il peut exister un conflit entre les diverses
exceptions25
et les exigences d’une analyse fondée sur des
principes, c’est cette dernière qui doit l’emporter ».
(Soulignés ajoutés)
23
Vu ce qui avait pris place entre Cook et Giesbrecht le même soir. 24
Constatant que l’arrimage entre les règles d’exception traditionnelles et celles découlant de la nouvelle
approche (ou de celles fondées sur les principes) posait des problèmes sérieux au niveau des tribunaux
inférieurs et faisait l’objet de critiques sévères de la part de nombreux auteurs de doctrine. 25
Dont l’abolition totale n’est pas la solution (voir page 247).
39
Et conclure, sur le sujet, à la page 251 quant à la déclaration d’une des victimes à
la fréquentation :
« Pour à peu près les mêmes raisons que celles pour
lesquelles la déclaration ne remplit pas les conditions
d’admissibilité de l’exception des intentions existantes, je
conclus que la déclaration n’est pas non plus admissible
en vertu de la méthode fondée sur des principes.
…
Étant donné que j’ai conclu plus haut que la déclaration
de Cook a été faite dans des « circonstances douteuses »,
il s’ensuit que la déclaration n’était pas fiable. Il n’y a
pas non plus d’autres garanties circonstancielles de
fiabilité susceptible de rendre la déclaration fiable. Après
avoir conclu que la déclaration n’est pas fiable, il n’est
pas nécessaire de se demander si elle était nécessaire ».
(Soulignés ajoutés)
Par la suite, les propos suivants furent exprimés aux pages 253 à 255 :
« À cet égard, lorsque la fiabilité d’une déclaration est
examinée selon la méthode fondée sur des principes, il
importe d’établir une distinction entre le seuil de fiabilité
et la fiabilité absolue. Seul le seuil de fiabilité est
pertinent relativement à l’admissibilité : voir Hawkins,
précité, à la p.1084. Là encore, il ne convient pas, dans
les circonstances du présent pourvoi, de fournir une liste
détaillée des facteurs qui peuvent influer sur le seuil de
fiabilité. Toutefois, notre jurisprudence est utile dans une
certaine mesure à ce sujet. Le seuil de fiabilité ne
concerne pas la question de savoir si la déclaration est
véridique ou non; c’est une question de fiabilité absolue.
Il concerne plutôt la question de savoir si les
circonstances ayant entouré la déclaration elle-même
offrent des garanties circonstancielles de fiabilité.
…
40
Autrement dit, il appartient au juge du procès de fixer le
seuil de fiabilité en s’assurant que, malgré l’absence du
déclarant pour fins de contre-interrogatoire, la déclaration
comporte suffisamment d’éléments de fiabilité pour être
soumise à l’appréciation du juge des faits.
…
À l’étape de l’admissibilité de la preuve par ouï-dire, le
juge du procès ne devrait pas tenir compte de la
réputation générale de sincérité du déclarant, ni d’aucune
déclaration antérieure ou ultérieure, compatible ou
incompatible. Ces facteurs n’ont pas trait aux
circonstances de la déclaration elle-même. De même je
ne tiendrais pas compte de la présence d’une preuve
corroborante ou contradictoire26
.
…
En résumé, en vertu de la méthode fondée sur des
principes, le tribunal ne doit pas empiéter sur la
compétence du juge de faits ni subordonner
l’admissibilité de la preuve par ouï-dire à la question de
savoir si la preuve est absolument fiable. Il devra
cependant examiner si les circonstances ayant entouré la
déclaration confèrent suffisamment de crédibilité pour
pouvoir conclure que le seuil de fiabilité est atteint ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Quant à l’exception relative à l’identification extrajudiciaire antérieure,
l’honorable juge Iacobucci mentionna aux pages 258 et 259 :
« Comme le juge Doherty l’a souligné dans l’arrêt Tat, la
preuve qui explique pourquoi le témoin auteur de
l’identification a identifié l’accusé doit émaner du témoin
auteur de l’identification lui-même.
26
Ce propos de l’honorable juge Iacobucci, déclencha de nombreuses critiques dans la doctrine et créa de
l’incertitude ainsi que de la confusion dans la jurisprudence des cours inférieures qui étaient liées selon le
principe de la stare decisis. En effet, à la lumière de ce propos, la considération de la preuve extrinsèque à
la déclaration devenait interdite puisque seulement la preuve intrinsèque (le contexte) devait dorénavant
être analysée, dans le voir-dire, afin de déterminer si la déclaration était fiable et permettre son admissibilité
à titre d’exception.
41
…
Je suis d’avis que le témoignage des policiers était tout
aussi inadmissible selon la méthode fondée sur des
principes. D’abord, le ouï-dire des policiers n’était tout
simplement pas nécessaire27
.
…
En outre, il y a de solides indices que l’identification faite
par Cheryl Ball n’était pas fiable même si l’on accepte le
témoignage des agents Madden et MacLeod voulant que
Ball leur ait dit qu’elle avait vu un homme, dans une
automobile, parler à Cook à la station-service ».
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : autant les déclarations d’une des victimes à la fréquentation que
celles du couple aux policiers n’étaient pas admissibles en preuve. L’appel fut
accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
L’arrêt Parrott
Dans R. c. Parrott, [2001] 1 R.C.S. 178, il s’agissait d’accusations d’enlèvement,
d’agression sexuelle et de voies de fait causant des lésions corporelles sur une
femme adulte souffrant du syndrome de Down. La victime fut retrouvée en
présence de l’accusé et, dès ce moment, elle fit des déclarations à la police puis au
médecin qui l’examina. Les policiers procédèrent aussi, en présence de deux
infirmières qui la connaissaient et s’étaient déjà occupées d’elle, à un
interrogatoire de la victime (d’une durée de quinze minutes et enregistré sur bande
vidéo). Lors du voir-dire, la poursuite informa le juge, strictement via une preuve
d’experts, que la victime avait un développement mental équivalent à celui d’un
enfant de trois ou quatre ans et que sa mémoire des faits était faible ce que celui-ci
n’a jamais pu vérifier28
. Le juge de première instance, malgré les objections de la
défense, s’en remit (bien qu’aucune preuve quant à la possibilité que le fait d’avoir
27
La dame avait témoigné au procès et aurait pu, si la poursuite avait adopté cette stratégie, fournir une
preuve originale sur le sujet. 28
Car la poursuite, sous prétexte qu’à la lumière de son état la victime était incapable de communiquer les
faits au sens de l’article 16 LP, n’a jamais fait entendre celle-ci.
42
à rendre témoignage puisse causer un traumatisme à la victime où lui porter
préjudice) complètement à l’opinion d’un des experts et admit les différentes
déclarations en preuve (incluant celle sur bande vidéo).
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur les chefs
d’enlèvement et de voies de fait causant des lésions corporelles.
Résultat en appel : l’appel sur le chef d’enlèvement fut rejeté en raison du
proviso curatif. L’appel fut accueilli sur le chef de voies de fait causant des
lésions corporelles et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (quatre juges sur sept), l’honorable juge
Binnie29
mentionna d’abord à la page 210 :
« L’admission du ouï-dire ne devient nécessaire que si le
témoignage direct du plaignant n’est pas disponible. La
question porte, faut-il le répéter, sur la disponibilité du
témoignage, et non sur celle de la plaignante elle-
même ».
(Soulignés ajoutés)
Pour dire, par la suite, aux pages 211 et 212 :
« En l’espèce, les déclarations extrajudiciaires de la
plaignante, même si elles ne peuvent apporter qu’une aide
limitée, auraient probablement satisfait au critère de la
fiabilité du fait de l’existence de plusieurs garanties
circonstancielles de fiabilité, y compris l’absence de
possibilité réelle d’erreur sur l’identité, l’absence de tout
motif perceptible de mentir et peut-être l’absence de
capacité mentale suffisante pour tenter de le faire. Il reste
toujours la question de la capacité de la plaignante de
percevoir exactement, de se rappeler et de relater
fidèlement. La preuve d’expert était utile dans une
certaine mesure à cet égard, Il ne faut pas oublier que la
fonction de contrôleur du juge du procès lors du voir-dire
consiste uniquement à appliquer le critère préliminaire
29
Après avoir mentionné que le témoignage de l’expert, retenu par le juge de première instance, était
inadmissible. En effet, il fallait qu’au moment où cet expert (ainsi que les autres) rendait témoignage il soit
déjà établi que cette preuve, comme telle, était nécessaire. Sinon, les experts usurperaient des
responsabilités qui sont de la province des juges (voir l’arrêt Mohan, précité).
43
pour l’admissibilité. C’est au juge des faits qu’il
appartient de déterminer si la preuve doit finalement être
acceptée comme fiable. J’accepte la conclusion du juge
du procès au sujet de la fiabilité ».
(Soulignés ajoutés)
Et mentionner, quant à la nécessité, aux pages 213 et 214 :
« À mon avis, si le témoin est physiquement disponible et
que rien n’indique qu’il sera traumatisé par le fait de
témoigner, sa déposition ne devra généralement pas être
court-circuitée par du ouï-dire avant que le juge du procès
n’ait d’abord eu l’occasion de l’entendre et de se faire une
idée sur sa capacité à témoigner. Je dis généralement
parce que, dans des circonstances exceptionnelles, il se
peut qu’un témoin disponible ne soit pas assigné et que
les déclarations extrajudiciaires soient quand même
admises en preuve…. En l’espèce, les parties n’ont
invoqué aucune circonstance susceptible de justifier une
telle procédure exceptionnelle ».
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations n’étaient pas admissibles en preuve. L’appel sur le
chef de voies de fait causant des lésions corporelles fut rejeté et l’ordonnance de
nouveau procès sur ledit chef fut maintenue.
L’arrêt Mapara
Dans R. c. Mapara, [2005] 1 R.C.S. 358, il s’agissait d’une accusation de meurtre
impliquant cinq personnes. Mapara (qui avait attiré la victime sur le lieu de
l’exécution, un terrain lui appartenant) et Chow (qui avait financé le meurtre et la
fuite) subirent leur procès conjointement. L’élément au cœur du litige était le
témoignage de Binahmad (qui avait conduit le véhicule utilisé pour la fuite)30
à
l’effet que Wasfi (qui avait organisé le meurtre) lui avait dit que Mapara avait un
travail pour eux. La preuve de la poursuite était complétée par de l’écoute
électronique.
30
Lequel fut admis en preuve.
44
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
S’exprimant au nom de cinq juges sur sept (les deux autres arrivant à la même
conclusion mais pour d’autres motifs), la très honorable juge en chef McLachlin
mentionna d’abord aux pages 366 et 367 :
« Il convient d’appliquer le cadre d’analyse suivant, tiré
de Starr, pour déterminer l’admissibilité de la preuve par
ouï-dire :
a) La preuve par ouï-dire est présumée inadmissible à
moins de relever d’une exception à la règle du ouï-
dire. Les exceptions traditionnelles continuent
présomptivement de s’appliquer.
b) Il est possible de contester une exception à l’exclusion
du ouï-dire au motif qu’elle ne présenterait pas les
indices de nécessité et de fiabilité requis par la
méthode d’analyse raisonnée. On peut la modifier au
besoin pour la rendre conforme à ces exigences.
c) Dans de « rares cas », la preuve relevant d’une
exception existante peut être exclue parce que, dans
les circonstances particulières de l’espèce, elle ne
présente pas les indices de nécessité et de fiabilité
requis.
d) Si la preuve par ouï-dire ne relève pas d’une exception
à la règle d’exclusion, elle peut tout de même être
admissible si l’existence d’indices de fiabilité et de
nécessité est établie lors d’un voir-dire
…
L’admissibilité de la preuve est déterminée en fonction
d’un « seuil de fiabilité » établi par des indicateurs
circonstanciels de fiabilité. La question de la « fiabilité
ultime » relève du juge des faits, en l’occurrence le jury
…
45
Le critère de la nécessité pose peu de difficultés. Comme
il est mentionné dans Chang, [TRADUCTION] « la
nécessité résultera de l’effet conjugué de la non-
contraignabilité d’un coaccusé auteur de la déclaration, de
l’inopportunité du juger séparément les co-conspirateurs
présumés et de la valeur probante de déclarations
concomitantes faites en vue d’un complot reproché» ».
(Soulignés ajoutés)
Pour dire, par la suite, à la page 369 :
« La méthode Carter permet au jury de prendre en
considération une déclaration relatée faite par un
coconspirateur en vue du complot seulement après avoir
conclu : (1) que le complot a eu lieu hors de tout doute
raisonnable; (2) que l’accusé y a probablement participé
vu uniquement la preuve directe retenue contre lui ».
Et, enfin, aux pages 371 et 372 :
« En somme, les conditions posées par la règle Carter
fournissent les garanties circonstancielles de fiabilité
nécessaires pour permettre l’admission de la preuve.
Cette conclusion est sensée sur le plan pratique.
Premièrement, la règle ne cause pas d’injustice aux
accusés. Des indices de fiabilité existent.
Deuxièmement, la règle permet au ministère public
d’intenter des poursuites efficaces dans les cas de
complots criminels. Il deviendrait difficile, voire souvent
impossible, d’obtenir la preuve d’un complot criminel
sans la possibilité d’utiliser contre chacun les déclarations
des co-conspirateurs sur les propos échangés en vue du
complot, dans les cas où elles constituent du double ouï-
dire.
Enfin, modifier la règle Carter augmenterait les délais et
les difficultés d’ordre procédural lors de l’instruction.
Toute interprétation qui exige que le juge du procès
46
examine attentivement la nécessité et la fiabilité de
certains éléments de preuve par ouï-dire pour décider de
leur admissibilité compromettrait l’efficacité des
catégories traditionnelles d’exceptions à la règle du ouï-
dire et augmenterait le nombre de voir-dire.
…
L’appelant nous demande de rendre la règle Carter
inapplicable à la preuve par double ouï-dire. Or, agir
ainsi reviendrait à dire qu’il faut rejeter toute preuve par
ouï-dire, même si elle relève d’une exception reconnue,
dans les cas où l’élément de preuve considéré ne répond
pas aux préoccupations en matière de nécessité et de
fiabilité. Cela suppose une vérification au cas par cas
qui s’apparente davantage au questionnement sur la
fiabilité ultime relevant du jury qu’au questionnement
sur le seuil de fiabilité pertinent quant à
l’admissibilité.
Je conclus que l’exception relative aux co-conspirateurs
satisfait aux exigences de la méthode d’analyse raisonnée
de la règle du ouï-dire et qu’il y a donc lieu de la
confirmer ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations et le témoignage du co-conspirateur étaient
admissibles en preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut
maintenue.
L’arrêt Khelawon
Dans R. c. Khelawon, [2006] 2 R.C.S. 787, il s’agissait d’accusations de voies de
fait graves et de menaces de mort (à l’endroit d’une victime, Skupien), de voies de
fait graves et d’agressions armées (à l’endroit d’une victime) et d’agressions
causant des lésions corporelles (à l’endroit de trois victimes) sur des personnes
âgées résidant dans une maison de retraite ou l’accusé était le directeur et sa mère
la propriétaire. Différentes déclarations furent faites par la victime Skupien (une à
une cuisinière (congédiée par Khelawon), une à un médecin et une à la police
(enregistrée sur bande vidéo) sans qu’elle soit faite sous serment mais en lui
47
demandant s’il comprenait qu’il était très important de dire la vérité et que, s’il
mentait, des accusations en ce sens pourraient être portées contre lui (ce quoi, il
avait répondu par l’affirmative). Dans le cadre de l’enquête, les policiers obtinrent
des déclarations (enregistrées sur bande vidéo) de trois autres plaignants ainsi que
la déclaration (enregistrée sur bande vidéo) du fils du dernier plaignant avec qui il
avait été impossible de communiquer. De plus, les dossiers médicaux des victimes
(et quant à Skupien ceux-ci faisaient référence à des diagnostics répétés de
paranoïa et de démence ainsi que des blessures suite à des chutes découlant de
fatigue et d’étourdissements) et un journal contenant des notes du personnel
infirmier sur celles-ci furent obtenus par saisie. Un seul plaignant avait témoigné
à l’enquête préliminaire et ce n’était pas Skupien. Au moment du procès, quatre
des cinq plaignants (dont Skupien) étaient décédés (de causes non liées aux
agressions) et le cinquième n’était plus habile à témoigner. Une psychiatre
gériatrique fut autorisée à présenter, lors du voir-dire, un témoignage d’opinion sur
la capacité de deux des plaignants (dont Skupien) de comprendre l’importance de
dire la vérité et de communiquer les faits31
. Le juge, à titre préliminaire, conclu
que les quatre plaignants ayant fait des déclarations enregistrées sur bande vidéo
avaient, au moment de celles-ci, la capacité requise au sens de l’article 16 LP. Par
la suite, le juge statua que seulement certaines des déclarations enregistrées sur
bande vidéo (dont celles de Skupien) satisfaisaient aux exigences de la nécessité et
du seuil de fiabilité32
.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur certains chefs (dont
ceux de voies de fait graves et de menaces de mort à l’endroit de Skupien et
déclaration de culpabilité quant aux chefs d’agression causant des lésions
corporelles et d’agression armée sur une autre victime. Acquittement sur tous les
autres chefs.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et des acquittements furent prononcés sur
tous les chefs.
Rendant le jugement de la Cour (sept juges), l’honorable juge Charron mentionna
d’abord à la page 797 :
« Aucune des déclarations n’était visée par quelque
exception traditionnelle à la règle du ouï-dire ».
31
Cette opinion étant basée sur son examen des déclarations enregistrées sur bande vidéo et des dossiers
médicaux. 32
Considérant, essentiellement, les similitudes frappantes entre les différentes déclarations enregistrées.
48
Pour dire, par la suite, à la page 813 :
« Toutefois, compte tenu de la mise en garde du juge en
chef Lamer contre une « analyse rigide de
catégories » j’estime que ni l’arrêt B. (K.G.) ni l’arrêt U.
(F.J.) ne devraient être interprétés comme créant des
catégories d’exceptions – fondées sur des critères fixes –
à la règle interdisant le ouï-dire. … De plus, interpréter
ces arrêts comme créant de nouvelles catégories
d’exceptions ne serait pas conforme à la méthode souple
d’analyse raisonnée applicable cas par cas. Nous nous
trouverions simplement à remplacer la série d’exceptions
traditionnelles par une nouvelle série moins sclérosée
(pour l’instant). Au lieu d’établir des catégories fixes, ces
arrêts donnent plutôt des indications sur l’application cas
par cas de la méthode d’analyse raisonnée en décrivant
les préoccupations pertinentes et les facteurs à considérer
pour déterminer l’admissibilité.
…
Puisque les questions soulevées dans le présent pourvoi
concernent l’appréciation de la fiabilité, mon analyse
portera sur ce critère. Toutefois, comme je l’expliquerai,
la nécessité et la fiabilité ne devraient pas être examinées
séparément. Un critère peut influer sur l’autre ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Et, poursuivre, aux pages 816 à 818 :
« Comme nous l’avons vu, le juge du procès décide
uniquement si la preuve par ouï-dire est admissible. Il
appartient au juge des faits de décider, à l’issue du procès,
s’il s’en remettra, en fin de compte, à la déclaration
relatée pour trancher les questions en litige, après l’avoir
examinée en fonction de l’ensemble de la preuve. Au
stade de l’admissibilité, il importe de ne pas empiéter
sur la compétence du juge des faits. Si le procès a lieu
devant un juge et un jury, il est essentiel que les questions
de fiabilité en dernière analyse soient laissées au jury –
dans un procès criminel, c’est un impératif
49
constitutionnel. Si le juge siège sans jury, il importe tout
autant qu’il ne préjuge pas de la fiabilité en dernière
analyse de la preuve avant d’avoir entendu l’ensemble de
la preuve au dossier. Il faut donc établir une distinction
entre « fiabilité en dernière analyse » et « seuil de
fiabilité ». Lors d’un voir-dire portant sur l’admissibilité,
l’examen se limite au seuil de fiabilité.
…
L’affirmation de la Cour selon laquelle « le seuil de
fiabilité ne concerne pas la question de savoir si la
déclaration est véridique ou non » a créé une certaine
incertitude. Même s’il est évident que le juge du procès
ne décide pas si la déclaration sera tenue pour véridique
en définitive, il n’est pas aussi évident que, dans toute
affaire, le seuil de fiabilité ne concerne pas la question de
savoir si la déclaration est véridique ou non.
…
De plus, il n’est pas facile de discerner ce qui est et ce qui
n’est pas une circonstance « ayant entouré la déclaration
elle-même ».
…
La confusion qui règne dans ce domaine du droit tient en
grande partie à cette tentative de classer certains facteurs
comme touchant uniquement la fiabilité en dernière
analyse. Un autre exemple est l’interdiction de tenir
compte d’une « preuve corroborante ou contradictoire »
parce qu’elle n’est pertinente qu’en ce qui concerne la
question de la fiabilité en dernière analyse. De toute
évidence, la nature corroborante de la tache de sperme,
dans l’affaire Khan, a joué un rôle important dans
l’établissement du seuil de fiabilité de la déclaration
relatée par l’enfant.
Cette partie de l’analyse de l’arrêt Starr a donc besoin
d’être clarifiée et, à certains égards, d’être
reconsidérée. J’expliquerai comment les facteurs à
considérer lors de l’examen de l’admissibilité ne peuvent
50
pas toujours être classés comme ayant trait soit au seuil
de fiabilité, soit à la fiabilité en dernière analyse. La
pertinence d’un facteur dépendra plutôt des dangers
particuliers découlant du fait que la déclaration constitue
du ouï-dire, et des moyens possibles, s’il en est, de les
écarter ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Pour conclure, suite à la revue de certaines décisions antérieures de la Cour, de la
façon suivante aux pages 836 et 837 :
« Comme le révèle, je l’espère, l’analyse qui précède, la
question de savoir si certains facteurs toucheront
uniquement la fiabilité en dernière analyse dépendra du
contexte. Partant, certains des commentaires formulés
aux paragraphes 215 à 217 de l’arrêt Starr ne
devraient plus être suivis. Les facteurs pertinents ne
doivent plus être rangés dans des catégories de seuil de
fiabilité et de fiabilité en dernière analyse. Le tribunal
devrait plutôt adopter une approche plus fonctionnelle,
comme nous l’avons vu précédemment, et se concentrer
sur les dangers particuliers que comporte la preuve par
ouï-dire qu’on cherche à présenter, de même que sur les
caractéristiques ou circonstances que la partie qui veut
présenter la preuve invoque pour écarter ces dangers. De
plus, le juge du procès doit demeurer conscient du rôle
limité qu’il joue lorsqu’il se prononce sur l’admissibilité
– il est essentiel pour assurer l’intégrité du processus de
constatation des faits que la question de la fiabilité en
dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir-dire
portant sur l’admissibilité »33
.
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations enregistrées de Skupien ne rencontraient pas
l’exigence demandée en matière de fiabilité et n’étaient pas admissibles en preuve.
L’appel fut rejeté et les acquittements maintenus.
33
Et, par ce propos, la Cour Suprême corrigea ainsi le tir quant à la preuve corroborante ou contradictoire.
À l’avenir, celle-ci pouvait donc, selon la méthode fondée sur les principes, être prise en considération (en
ce qui concerne le volet fiabilité) dans le cadre du voir-dire visant à déterminer l’admissibilité d’une
déclaration.
51
L’arrêt Couture
Dans R. c. Couture, [2007] 2 R.C.S. 517, il s’agissait d’accusations de meurtres.
La preuve de la poursuite reposait, en partie, sur deux déclarations extrajudiciaires
faites par la conjointe de droit de l’accusé aux policiers34
. Dans la première
déclaration (non assermentée bien qu’enregistrée sur magnétophone), la conjointe
révélait que, bien avant d’épouser Couture, elle avait été, pendant l’incarcération
de celui-ci pour des infractions non liées aux meurtres, sa conseillère chrétienne
bénévole et que Couture, dans ce contexte, lui avait révélé avoir tué les deux
victimes. Dans la deuxième déclaration (non assermentée bien qu’enregistrée sur
bande vidéo), la conjointe tenta d’atténuer les propos tenus lors de la première
déclaration. À l’époque où la dame avait fait les déclarations, elle était mariée
avec Couture mais, suite à de la violence conjugale, elle avait quitté celui-ci. Peu
de temps après les déclarations, les parties s’étaient réconciliées et, au moment du
procès, les parties faisaient, de nouveau, vie commune et le mariage était valide.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur neuf), l’honorable juge Charron
mentionna d’abord à la page 554 :
« Lorsqu’on examine la question de l’inhabilité du
conjoint à témoigner, les circonstances entourant la
constitution de la preuve sont pertinentes – même si la
règle est de nature testimoniale et ne fait qu’empêcher
qu’une personne témoigne contre son conjoint accusé, ses
fondements, et plus particulièrement le souci de préserver
l’harmonie conjugale, débordent forcément le cadre du
procès lui-même. L’incidence de l’admission de la
preuve sur le procès lui-même est également pertinente,
surtout en ce qui concerne le deuxième fondement de la
règle – le souci d’empêcher l’indignité d’avoir à forcer le
conjoint d’une personne accusée à participer aux
poursuites dirigées contre elle ».
(Soulignés ajoutés)
34
Qui, dans une certaine mesure, selon la juge de première instance, étaient corroborées par trois témoins.
52
Et, par la suite, aux pages 560 à 56235
:
« La juge du procès a eu tort de conclure que les trois
témoins en cause ont fourni une preuve corroborante.
Chacun d’eux a témoigné, à divers degrés, s’être fait dire
par Darlene que David Couture lui avait révélé des
renseignements sur les meurtres. Il ne s’agit absolument
pas de corroboration. Une preuve indépendante qui
atteste la véracité d’une affirmation est une preuve
corroborante. Le fait que Darlene ait pu révéler des
renseignements semblables à d’autres personnes ne
constitue pas une preuve indépendante et n’atteste pas la
véracité de ses affirmations concernant l’implication de
David Couture dans les meurtres.
…
En deuxième lieu, la juge du procès n’a pas appliqué le
bon critère. Comme nous l’avons vu, le juge du procès
doit, au départ, considérer que les déclarations sont
présumées inadmissibles, puis se mettre à la recherche
d’indices de fiabilité permettant de surmonter la règle de
l’exclusion générale. La juge du procès a inversé le
fardeau de la preuve».
(Soulignés ajoutés)
Également, sur le même sujet, l’honorable juge Charron ajouta à la page 564 :
« Vu l’impossibilité de contre-interroger Darlene
Couture, j’estime que rien ne permettrait à un tribunal de
conclure, en l’espèce, à l’existence d’autres moyens
adéquats de vérifier la véracité et l’exactitude de ses
déclarations »36
.
(Soulignés ajoutés)
35
Après avoir signalé, primo, que les déclarations de la conjointe étaient du ouï-dire ; secundo, que lesdites
déclarations ne faisaient pas partie des exceptions traditionnelles et, tertio, que la nécessité avait été établie
en l’espèce par la poursuite. 36
Qu’il faut, au surplus, prendre dans le contexte où elles sont survenues c’est-à-dire suite à une rupture de
la vie de couple qui découlait de mauvais traitements physiques.
53
Enfin, quant à l’inhabilité du conjoint à témoigner, l’honorable juge Charron (qui
fut ultimement d’opinion que l’application de la méthode d’analyse raisonnée
porterait atteinte à la règle sur le sujet) conclut de la façon suivante à la page
56537
:
« À mon avis, c’est dans le cadre de l’analyse de cette
règle que la présente espèce doit être distinguée de
l’affaire Hawkins. Dans Hawkins, le témoignage avait
été donné et le contre-interrogatoire mené avant le
mariage – le simple dépôt de la transcription ne soulevait
donc pas la question de l’inhabilité du conjoint à
témoigner. La situation est différente en l’espèce. La
perspective du témoignage de Darlene Couture au procès
soulève plusieurs questions quant à savoir si l’admission
de la preuve irait à l’encontre de la règle de l’inhabilité du
conjoint à témoigner et de ses fondements.
Il est indubitable que le conjoint est habile à témoigner, et
vraisemblablement contraignable, pour la défense; le fait
que l’accusé cite son conjoint comme témoin ne viole
donc pas, en soi, la règle de l’inhabilité du conjoint à
témoigner. En l’espèce, cependant, il incombe au
ministère public d’établir qu’il existe d’autres moyens
adéquats de vérifier la preuve par ouï-dire ou qu’elle est
par ailleurs suffisamment fiable. À mon avis, en raison
des exigences de la règle de l’inhabilité du conjoint à
témoigner, le ministère public ne peut, pour s’acquitter de
son fardeau d’établir l’admissibilité, s’appuyer sur le droit
de l’accusé de contre-interroger son conjoint comme son
propre témoin. Pour vérifier convenablement la preuve
déposée contre lui, l’accusé se verrait obligé de citer son
conjoint comme témoin, puis de le confronter en contre-
interrogatoire, pour finalement risquer d’être déclaré
coupable sur la foi de son témoignage. Cette façon de
procéder irait manifestement à l’encontre des fondements
de la règle de l’inhabilité du conjoint à témoigner et ne
saurait être admise par notre Cour »38
.
(Soulignés ajoutés)
37
Vu l’argument présenté à cet égard par le ministère public. 38
Au surplus, par cette façon de faire l’admissibilité de la preuve deviendrait vraisemblablement la règle
plutôt que l’exception.
54
Résultat final : les déclarations de la conjointe de droit n’étaient pas admissibles
en preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance d’un nouveau procès fut maintenue.
L’arrêt Devine
Dans R. c. Devine, [2008] 2 R.C.S. 283, il s’agissait d’accusations de vol qualifié
et de voies de fait causant des lésions corporelles dans le cadre de deux
évènements distincts. Le plaignant et sa compagne, qui avait été témoins du
premier incident, ont tous deux refusé de faire une déclaration à la police après le
vol qualifié. Cependant, à la suite de la deuxième agression, ils ont chacun fait une
déclaration à la police dans laquelle ils ont identifié l’accusé comme étant
l’agresseur lors des deux évènements. Avant sa déclaration (enregistrée sur bande
audio et vidéo), la conjointe du plaignant avait été rencontrée par un policier qui
lui avait expliqué la gravité de la déclaration ainsi que les conséquences
éventuelles d’une fausse déclaration et, de plus, il lui avait fait prêter une forme de
serment. Quant à la victime, qui avait aussi reçu la mise en garde d’usage, sa
déclaration n’avait pas été enregistrée sur bande vidéo. Au procès, la victime et sa
compagne sont revenues sur leur identification de l’accusé. En plus, la conjointe
du plaignant a affirmé, durant son témoignage, que l’identification faite dans sa
déclaration était fondée sur de l’information obtenue par d’autres personnes. Le
ministère public a donc demandé l’autorisation de mettre en preuve la déclaration
faite à la police par celle-ci.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité quant aux chefs relatifs
au premier événement et acquittement quant au chef relatif au second événement.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
Rendant le jugement de la Cour (sept juges), l’honorable juge Charron, après avoir
réitéré les principes énoncés dans les arrêts B. (K.G.), Khelawon et Couture,
précités, mentionna aux pages 290 et 291 :
« La déclaration de Mme Pawliw ne relève d’aucune
exception traditionnelle à la règle du ouï-dire.
…
Tous concèdent que le critère de la nécessité est rempli. »
55
Et, par la suite, à la page 296 :
« En l’espèce, bien que, lors du procès, Mme Pawliw ait
rétracté son identification de M. Devine, il existait une
possibilité réelle de vérifier son témoignage en la contre-
interrogeant. Madame Pawliw a affirmé sous serment
qu’elle était consciente de la gravité de sa déclaration au
moment où elle l’avait faite et qu’elle s’était efforcée de
dire la vérité. Le juge du procès a été en mesure
d’évaluer le comportement du témoin et a fait un
compte-rendu détaillé de son attitude évasive et de sa
réticence à identifier M. Devine dans la salle
d’audience.
…
Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion du juge
du procès à cet égard.
Puisque j’ai conclu qu’il y a un fondement suffisant pour
apprécier la véracité et l’exactitude de la déclaration, il
n’est pas nécessaire de vérifier davantage si elle est
susceptible d’être véridique. L’examen des autres indices
de fiabilité plaidés par M. Devine ne sera requis que pour
l’évaluation de la fiabilité ultime de la déclaration.
Même lorsqu’il a été satisfait aux critères de la nécessité
et de la fiabilité, une question peut subsister dans
certaines situations, soit celle de savoir si le juge du
procès devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de
refuser d’admettre la déclaration au motif que son effet
préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : la déclaration de la conjointe du plaignant était admissible en
preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
56
L’arrêt Blackman
Dans R. c. Blackman, [2008] 2 R.C.S. 298, il s’agissait d’une accusation de
meurtre où l’admissibilité de déclarations ayant pris place entre la victime
(quelques semaines avant sa mort) et sa mère devait être déterminée. La poursuite
tentait, avec celles-ci, d’établir que le meurtre était survenu en représailles d’un
évènement antérieur ayant pris place entre Blackman et la victime. Pour soutenir
le lien allégué, la poursuite s’appuyait d’abord sur des conversations téléphoniques
que la victime avait eues avec sa mère au cours desquelles il avait mentionné,
entre autres, qu’il avait, dans le passé, agressé au couteau un homme (qu’il n’avait
pas identifié à celle-ci) relativement à une dette de billard et, de plus, qu’il avait
récemment été l’objet d’un attentat manqué, par arme à feu, commis par un
homme (qu’il n’avait pas identifié non plus à sa mère) lequel lui avait laissé des
blessures superficielles. Lorsque sa mère lui avait demandé pourquoi il ne
dénonçait par son agresseur, la victime lui avait dit que l’homme qu’il avait
poignardé ne l’avait pas dénoncé alors il ne le dénoncerait pas non plus. Bien que
la mère de la victime était disponible pour témoigner au procès, la poursuite et la
défense acceptèrent, lors du voir-dire relatif à l’admissibilité des déclarations (vu
les incohérences constatées dans les déclarations rapportées par celle-ci), de s’en
tenir à une déclaration enregistrée sur bande magnétoscopique que la mère avait
fait à la police (et où elle faisait état de l’entretien téléphonique survenu avec son
fils suite au premier attentat manqué) et à la transcription de son témoignage lors
du voir-dire tenu dans le cadre de l’enquête préliminaire. De plus, la poursuite fit
entendre un expert en armes à feu qui, suite à la comparaison des douilles trouvées
sur les lieux du crime avec celles trouvées sur les lieux de l’attentat antérieur,
conclut que les différentes douilles provenaient de la même arme à feu. Enfin, la
poursuite présenta une preuve à l’effet que Blackman avait, dans une période
contemporaine à celle rapportée par la mère de la victime, été victime d’une
agression par couteau. L’accusé, pour sa part, choisit de ne pas témoigner lors de
son procès.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
Rendant le jugement de la Cour (neuf juges), l’honorable juge Charron
mentionna39
d’abord ce qui suit aux pages 313 et 314 :
39
Après avoir conclu que le juge de première instance avait eu raison, de façon préliminaire sous l’angle de
la pertinence, en admettant, suite au voir-dire, l’admissibilité des déclarations.
57
« Or, il est incontesté que la preuve proposée ne relève
d’aucune des exceptions traditionnelles à la règle du ouï-
dire ...
Il ne fait pas de doute en l'espèce que le critère de la
nécessité est rempli ».
Pour dire, par la suite, aux pages 315 et 316 :
« Il importe que le juge siégeant en première instance
parte du principe que les déclarations relatées sont
présumées inadmissibles et que par la suite il cherche des
indices de fiabilité suffisants pour écarter la règle
d'exclusion générale. Autrement, il risque de commettre
une erreur en inversant le fardeau de la preuve… Certes,
les remarques selon lesquelles rien dans les déclarations
n'est "intrinsèquement non fiable" posent problème, mais,
si elles sont interprétées dans leur contexte, les
préoccupations qu'elles soulèvent sont suffisamment
atténuées. Il ressort du dossier que le juge du procès
mettait en contraste les circonstances dans lesquelles les
déclarations ont été faites à Mme Freckleton avec celles
dont il était question dans une décision qu'il avait rendue
plus tôt le même jour, où il a conclu qu'une autre
déclaration relatée était inadmissible en raison de la
présence de [TRADUCTION] "nombreux indices
témoignant de sa non-fiabilité". De plus, et contrairement
à la situation dans Couture, il ressort de l'ensemble de la
décision que le juge du procès s'est appuyé sur des
facteurs pertinents pour admettre les déclarations. Je suis
donc convaincue qu'il a appliqué le bon critère. »
(Soulignés ajoutés)
Et, par la suite, aux pages 317 et 318 quant aux allégations de fabrication :
« Le fait que le déclarant ait ou non un motif pour mentir
est sans aucun doute une considération pertinente pour
déterminer si les circonstances des déclarations sont
suffisamment rassurantes quant à leur véracité et leur
exactitude pour que celles-ci soient admises. Il importe
toutefois de ne pas perdre de vue que l'existence d'un
58
motif n'est qu'un des facteurs à considérer dans la
détermination du seuil de fiabilité, quoique, selon les
circonstances, il puisse être important. Lors de l'examen
de l'admissibilité, il faut dans tous les cas se concentrer
non pas sur la présence ou l'absence de motif, mais sur les
dangers particuliers que présente la preuve par ouï-dire. »
(Soulignés ajoutés)
Pour mentionner enfin aux pages 323 et 324 sur la question de la corroboration :
« Avant de terminer, j’aimerais dire quelques mots en
réponses aux observations qui nous ont été soumises
pendant l’audience sur la question de la corroboration.
Les deux avocats ont soutenu que l’examen du seuil de
fiabilité pendant le procès aurait très bien pu donner des
résultats différents à la lumière des précisions apportées
ultérieurement dans Khelawon sur la façon de tenir
compte d’une preuve corroborante ou contradictoire lors
du voir-dire sur l’admissibilité.
Je tiens à souligner que Khelawon n’a pas élargi la portée
de l’examen de l’admissibilité ; il n’a fait que le mettre au
point. La Cour a statué que les facteurs pertinents à
considérer lors du voir-dire sur l’admissibilité ne
devraient plus être rangés dans la catégorie du seuil de
fiabilité ou celle de la fiabilité ultime. Elle a plutôt
déclaré qu’il y avait lieu d’adopter une approche
fonctionnelle.
…
La Cour a donc précisé que, lorsque les circonstances s’y
prêtent, il est possible de prendre en compte un élément
de preuve corroborant pour apprécier le seuil de fiabilité
d’une déclaration.
…
Toutefois, dans Khelawon la Cour a également insisté sur
l'importance de distinguer seuil de fiabilité et fiabilité en
59
dernière analyse, principe qu'il convient de rappeler. Les
juges de première instance doivent être conscients du rôle
limité qu'ils jouent lorsqu'ils se prononcent sur
l'admissibilité. Il est essentiel pour assurer l'intégrité du
processus de constatation des faits de ne pas préjuger la
question de la fiabilité en dernière analyse lors du voir-
dire sur l'admissibilité. »
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations étaient admissibles en preuve. L’appel fut rejeté
et la déclaration de culpabilité fut maintenue.
L’arrêt Griffin
Dans R. c. Griffin, [2009] 2 R.C.S. 42, il s’agissait d’une accusation de meurtre au
premier degré à la suite d’une fusillade. Selon la prétention de la poursuite, la
victime avait été abattue par représailles parce qu’elle n’avait pas remboursé une
dette de drogues. La preuve présentée contre Griffin était essentiellement
circonstancielle. D’une part, la petite amie de la victime a témoigné que dans les
semaines précédant son meurtre, ce dernier, qui avait peur et se cachait de son
entourage, lui avait dit : « s’il m’arrive quelque chose, c’est la famille de ton
cousin » et l’admissibilité de cette déclaration devait être déterminée. D’autre
part, la poursuite compléta sa preuve avec d’autres éléments de preuve soutenant
que l’accusé cherchait la victime avec acharnement.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur sept), l’honorable juge Charron
mentionna d’abord au paragraphe 55 :
« Citant les arrêts R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, et R.
c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, le juge du procès a à juste
titre fait remarquer que l’exception à la règle du ouï-dire
relative à l’état d’esprit ou aux intentions existantes ne
permet pas l’admission d’une preuve par ouï-dire pour
démontrer l’état d’esprit d’un tiers ».
60
Pour dire, par la suite, aux paragraphes 58 et 59 :
« L’application des arrêts Smith et Starr aux faits de
l’espèce m’amène à conclure qu’il ne fait pas de doute
que la déclaration de M. Poirier ne peut être admise en
tant que preuve des intentions de M. Griffin parce que
nous ne savons pas sur quel fondement M. Poirier en est
venu à croire que M. Griffin serait responsable de ce qui
pourrait lui arriver. La déclaration de M. Poirier n’est
donc pas admissible pour prouver les intentions d’un
tiers, à moins que le deuxième niveau de ouï-dire soit
également admissible. Ce principe s’applique également
aux déclarations révélant l’état d’esprit existant. Si, par
exemple, M. Poirier avait dit à Mme Williams que son
ami M. Besso avait peur de M. Griffin, la déclaration
n’aurait pu être admise en vue de prouver que M. Besso
avait effectivement peur de M. Griffin. Il est logique que
la déclaration relatée de la personne décédée concernant
son propre état d’esprit ou sa propre intention de prendre
une mesure donnée ne puisse constituer une preuve de
l’état d’esprit ou des intentions d’une autre personne.
Dans le présent pourvoi toutefois la déclaration en litige
n’a pas été admise en preuve en vue d’établir l’état
d’esprit ou les intentions d’un tiers. Au procès ou devant
la Cour d’appel, nul n’a mis en doute qu’il était permis
d’inférer de sa déclaration à Mme Willians que M. Poirier
craignait M. Griffin. La déclaration a été présentée et
admise en preuve en vue d’établir que M. Poirier lui-
même avait peur de M. Griffin, ce qui n’excède donc pas
la portée de l’exception à la règle du ouï-dire relative
l’état d’esprit. Comme notre Cour l’a dit dans Starr, les
déclarations concernant l’état d’esprit existant sont
admissibles en vertu de l’exception traditionnelle à la
règle du ouï-dire lorsqu’il est utile de savoir quel était
l’état d’esprit du déclarant et que la déclaration paraît
avoir été faite de manière naturelle et non pas dans des
circonstances douteuses. En l’espèce, personne n’a
prétendu que la déclaration avait été faite dans des
circonstances douteuses. La peur que M. Poirier avait de
M. Griffin constituait un élément pertinent en ce qui
61
concerne le mobile, lequel est lui-même pertinent à
l’identification. Certes, une déclaration relatée ne peut
servir à établir l’état d’esprit d’un tiers, mais cela ne
signifie pas que l’état d’esprit du déclarant ne peut avoir
d’incidence sur d’autres aspects du litige. »
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : la déclaration n’était pas admissible en preuve comme exception à
la règle interdisant le ouï-dire. Toutefois, ce n’est pas à ce titre qu’elle fut déclarée
admissible en preuve. L’appel fut accueilli et la déclaration de culpabilité fut
rétablie.
L’arrêt D.A.I.
Dans R. c. D.A.I., [2012] 1 R.C.S. 149, il s’agissait d’accusations d’agressions
sexuelles répétées commises sur la victime (une femme âgée de 26 ans ayant l’âge
mental d’un enfant de 3 à 6 ans) par le conjoint de sa mère au cours des quatre
années où il a vécu avec elles. L’admissibilité de déclarations faites par la victime
à la police (enregistrée sur bande vidéo) et à une personne qui enseignait à la
victime depuis six ans devait être déterminée.
Résultat en première instance : acquittement.
Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.
La question principale en litige était de savoir si le juge du procès avait
correctement interprété les prescriptions de l’article 16(3) de la Loi de la preuve au
Canada relativement à l’habilité à témoigner des personnes âgées de 14 ans ou
plus (adultes) ayant une déficience intellectuelle.
S’exprimant au nom de la majorité (six juges sur neuf), la très honorable juge en
chef McLachlin mentionna à la page 178 :
« Je conclus que le par. 16(3) de la Loi sur la preuve au
Canada, interprété correctement, prévoit deux conditions
pour qu’un adulte ayant une déficience intellectuelle
témoigne : il doit être capable de communiquer les faits
dans son témoignage et promettre de dire la vérité. Il n’y
a pas lieu d’incorporer à la disposition une condition
62
supplémentaire voulant que la personne démontre qu’elle
comprend la nature de l’obligation de dire la vérité. »
(Soulignés ajoutés)
Pour dire, par la suite, aux pages 185 et 186 quant à l’existence d’un procès
inéquitable en pareilles circonstances:
« La question est la suivante : le fait de permettre à une
personne adulte ayant une déficience intellectuelle de
témoigner lorsqu’elle peut communiquer les faits dans
son témoignage et qu’elle promet de dire la vérité rend-il
un procès inéquitable? Selon moi, il faut répondre non à
cette question.
La Common law, le fondement de nos règles de preuve
actuelles, prévoit diverses règles régissant l’habilité à
témoigner dans différentes circonstances. Le fil d’or qui
unit ces règles différentes et variables est le principe
selon lequel le témoignage doit satisfaire à un seuil
minimal de fiabilité pour qu’il soit présenté à un juge ou
un jury. En règle générale, ce seuil de fiabilité est satisfait
s’il est établi que le témoin a la faculté de comprendre les
questions qui lui sont posées et d’y répondre, et si le
témoin comprend qu’après avoir prêté serment ou fait une
promesse ou une affirmation solennelle, il doit dire la
vérité. Rien ne garantit qu’un témoin – même un
témoin doué d’une intelligence normale qui peut
prêter serment ou faire une affirmation solennelle –
dira vraiment la vérité, toute la vérité et rien que la
vérité. On recherche simplement dans le cadre du
procès un indice élémentaire de fiabilité.
De nombreuse décisions, notamment l’arrêt Khan, ont
mis en garde contre le danger de fixer des exigences trop
élevées relativement à l’habilité à témoigner des adultes
ayant une déficience intellectuelle : R. c. Caron (1994),
72 O.A.C. 287; Farley; Parrott. Cela traduit le fait que ces
personnes peuvent être capables de rendre un témoignage
utile pertinent et fiable, et qu’en leur permettant de
témoigner, elles franchissent seulement la première étape
du processus. La déposition du témoin sera vérifiée par
63
contre-interrogatoire. Le juge des faits examinera le
comportement du témoin et sa façon de répondre aux
questions. Il peut arriver que le juge des faits écarte la
déposition de cette personne, qu’il ne la retienne qu’en
partie ou qu’il y accorde une importance moindre. Il
s’agit d’une tâche que les juges et les jurés effectuent
couramment dans d’innombrables affaires mettant en
cause des témoins dont les capacités mentales peuvent
être, ou ne pas être, mises en question.
La prescription selon laquelle le témoin doit être capable
de communiquer les faits dans son témoignage et doit
promettre de dire la vérité satisfait au seuil peu exigeant
relatif à l’habilité à témoigner dans les cas comme celui
en l’espèce. Dès lors que la personne est autorisée à
témoigner, la protection du droit de l’accusé à un procès
équitable repose ultimement sur les règles régissant
l’admissibilité de la preuve et sur l’obligation du juge ou
du jury d’examiner et d’apprécier soigneusement la
preuve. Ensemble, ces mesures de sauvegarde
supplémentaires offrent une protection adéquate
contre le risque de déclaration de culpabilité
injustifiée. »
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Pour dire enfin aux pages 192 et 193 :
« Le juge du procès a commis une erreur fatale en
n’examinant pas le deuxième volet du critère établi à
l’art. 16. Il n’a pas vérifié si, conformément au par.
16(3), K.B. était en mesure de communiquer les faits dans
son témoignage et a insisté plutôt sur la nécessité qu’elle
comprenne le devoir de dire la vérité, ce que n’exige pas
le par. 16(3). Cette erreur, une erreur de droit, l’a amené à
conclure que K.B. n’était pas habile à témoigner et à
exclure complètement son témoignage du procès. Cette
erreur fondamentale a vicié le procès.
…
64
Mon collègue le juge Binnie laisse entendre que les
commentaires émis par le juge du procès durant le voir-
dire et l’audience sur l’admissibilité de la preuve par ouï-
dire (par. 136, 138 et 139) appuient la conclusion qu’il a
tirée au voir-dire précédent, conclusion selon laquelle
K.B. n’était pas habile à témoigner aux termes du par.
16(3). Il est toutefois difficile de voir comment des
commentaires émis subséquemment par le juge du procès
alors qu’il traitait d’autres questions pourraient remédier
à une application erronée par celui-ci des exigences
prévues à l’art. 16 relativement à l’habilité à témoigner.
Le voir-dire relatif à l’habilité à témoigner et le voir-
dire relatif à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire
constituaient deux enquêtes différentes. Le juge du
procès ne disposait pas du témoignage de Mme W. - sur
lequel il s’est fondé pour formuler les commentaires
concernant le ouï-dire - lorsqu’il a jugé que K.B. n’était
pas habile à témoigner. De plus, le seuil de fiabilité
applicable à la preuve par ouï-dire diffère du seuil de la
capacité à communiquer les faits dans un témoignage,
applicable à l’habilité à témoigner ; une conclusion sur
l’habilité d’une personne à témoigner ne peut être
justifiée après coup par des commentaires émis dans une
décision sur l’admissibilité d’une preuve par ouï-dire. La
tenue d’une audience régulière sur l’habilité à témoigner
aurait peut-être modifié l’équilibre du procès, y compris
l’audience (le cas échéant) sur l’admissibilité de la preuve
par ouï-dire. On ne peut corriger l’erreur fondamentale
commise par le juge du procès dans l’enquête relative à
l’habilité à témoigner prévue à l’art. 16 en se fondant sur
des conjectures tirées de commentaires formulés dans une
enquête différente.»
(Soulignés ajoutés)
Résultat final : les déclarations de la plaignante auraient pu être admissibles en
preuve n’eut été de l’erreur de droit commise quant à l’interprétation de l’article
16(3) LP. L’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
65
L’arrêt Baldree
Dans R. c. Baldree, [2013] 2 R.C.S. 520, il s’agissait d’accusations de possession
de drogues en vue d’en faire le trafic. Les policiers répondaient initialement à un
appel concernant une possible introduction par effraction dans un appartement au
nom d’une personne nommée Lepage. Les policiers frappèrent à la porte et
Baldree les laissa entrer. Une fois à l’intérieur, les policiers firent certaines
constatations olfactives et découvrirent en « plain view » des substances illégales.
Poursuivant leurs démarches, les policiers trouvèrent, dans la chambre d’amis, un
coffre-fort ouvert dans lequel se trouvaient d’autres substances illégales. Baldree
et trois autres personnes présentes dans l’appartement furent arrêtés. Le téléphone
cellulaire de Baldree fut alors saisi, dans le cadre de la fouille accessoire à
l’arrestation, et, au poste de police, ledit téléphone sonna. Répondant à l’appel le
sergent reçu, dans le cadre de la conversation qui prit place, une commande faite à
Baldree pour une once de « pot » au coût de 150$ pour livraison à une adresse
désignée. La police n’a aucunement essayé, par la suite, de communiquer avec
l’auteur de l’appel à l’adresse qu’il avait donnée, ni tenter de trouver ce dernier ou
de l’interroger. De plus, cette personne n’a pas été appelée à témoigner au procès
de Baldree.
Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (huit juges sur neuf), l’honorable juge Fish
mentionna aux pages 525 et 526 :
« Une déclaration extrajudiciaire faite par une personne
qui n’est pas citée comme témoin au procès est qualifiée,
à juste titre, de ouï-dire lorsqu’elle est présentée en
preuve pour établir la véracité de son contenu.
Nul ne conteste en l’espèce que la preuve par ouï-dire est
présumée inadmissible en droit.
La seule question en litige est celle de savoir si cette règle
d’exclusion s’applique au « ouï-dire exprès » uniquement,
ou si elle s’applique également au « ouï-dire implicite ».
Compte tenu de la logique et des principes, je suis
convaincu que c’est le cas.
66
Dans les deux cas, la pertinence de la déclaration
extrajudiciaire ne tient pas au fait qu’elle a été faite, mais
plutôt à ce que son contenu vise à établir. Dans les deux
cas, la déclaration en question vise à établir la véracité
des propos exprès ou implicites que l’on prête à la
personne qui n’a pas été citée comme témoin.
En ce qui concerne la pertinence sur le plan de la logique,
il n’y a donc aucune distinction substantielle entre le
ouï-dire exprès et le ouï-dire implicite. Les raisons de
principe qui sous-tendent la présomption
d’inadmissibilité s’appliquent également aux deux
catégories de ouï-dire.
… j’estime, tout comme les juges majoritaires de la Cour
d’appel, que le juge du procès aurait dû exclure la
déclaration extrajudiciaire contestée en l’espèce. Elle ne
relève d’aucune exception traditionnelle à la règle du ouï-
dire et ne présente pas les indices de nécessité et de
fiabilité qui pourraient autrement la rendre admissible ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : la déclaration (l’échange lors de l’appel téléphonique) n’était pas
admissible en preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance de nouveau procès fut
maintenue.
L’arrêt Youvarajah
Dans R. c. Youvarajah, [2013] 2 R.C.S. 720, il s’agissait d’une accusation de
meurtre au premier degré suite à une transaction de drogues qui avait mal tourné.
Youvarajah avait comme complice D.S. qui, vu sa minorité, fut jugé séparément.
Ce dernier plaida coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Dans
le cadre de l’entente sur ce plaidoyer, D.S. souscrit à l’exposé conjoint des faits
rédigé par les avocats de la poursuite et de la défense. Suivant ledit exposé,
Youvarajah était directement impliqué dans le meurtre (ayant remis l’arme,
ordonné à D.S. de tirer sur la victime et demandé que l’arme lui soit rendue après).
Lors de l’inscription dudit plaidoyer, D.S. attesta de l’exactitude de l’exposé.
Mais, la lecture de ce dernier ne fut pas enregistrée sur bande vidéo ni précédée
d’un serment ou d’une affirmation solennelle. Au procès de Youvarajah, la
67
poursuite demanda à D.S. d’adopter l’exposé conjoint des faits. Lors de son
témoignage, ce dernier affirma d’abord, qu’il ne se souvenait pas d’avoir souscrit
audit document bien qu’il reconnut que celui-ci portait bel et bien sa signature. Et,
par la suite, il nia les faits impliquant Youvarajah qui y étaient énoncés en
affirmant de plus qu’il n’avait pas compris certains mots employés par son avocat
lors de son plaidoyer soit : « attesté » et « exact ». Devant cette attitude, la
poursuite (qui était assurée par le même procureur que dans le dossier de D.S.)
voulu faire admettre l’exposé conjoint des faits comme preuve de la véracité de
son contenu et, suite au voir-dire tenu sur le sujet (où D.S. invoqua, suite à la
consultation d’un avocat indépendant, le privilège du secret professionnel de
l’avocat), le juge de première instance refusa n’étant pas satisfait des indices de
fiabilité existants relativement aux déclarations antérieures incompatibles. De plus,
selon lui, le contre-interrogatoire de D.S. au procès devenait dans une large mesure
illusoire vu le privilège invoqué.
Résultat en première instance : acquittement.
Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.
S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur sept), l’honorable juge
Karakatsanis mentionna d’abord à la page 731 :
« Quand un témoin revient sur une déclaration antérieure,
la nécessité est établie : Khelawon, par. 78. En l’espèce,
la question fondamentale est celle de savoir si la
déclaration antérieure incompatible atteint le seuil de
fiabilité ».
Pour dire, par la suite, aux pages 736 à 738 :
« … je conviens que le juge du procès a attribué une
portée excessive au secret professionnel de l’avocat. Il
aurait été plus juste de dire que ce privilège soustrayait
D.S. à de nombreuses questions sur sa décision d’accepter
le plaidoyer et les raisons qui l’avaient motivé à
impliquer l’appelant.
…
Dès lors que D.S. a confirmé qu’il ne renonçait pas au
privilège du secret professionnel de l’avocat, le ministère
68
public a choisi de mettre fin au contre-interrogatoire. Le
juge du procès n’a pas laissé entendre qu’il fallait couper
court à cette étape de la procédure dans le cadre du voir-
dire.
…
J’estime que la manière dont le voir-dire s’est déroulé est
attribuable principalement aux décisions de la poursuite.
Le juge du procès n’a pas empêché l’avocat du ministère
public d’appeler d’autres témoins à la barre ou
d’interroger davantage D.S.. Le ministère public ne peut
demander la tenue d’un nouveau procès au motif que la
poursuite aurait dû être menée différemment.
…
Bref, D.S. est revenu sur les parties de l’exposé conjoint
des faits qui impliquaient l’appelant et y a substitué des
affirmations exonérant ce dernier. Le contre-
interrogatoire de D.S. n’a pas permis d’expliquer
pourquoi il avait fait une telle volte-face et rétracté les
déclarations qui mêlaient l’appelant au meurtre ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Pour conclure aux pages 741 et 742 :
« Dans la mesure où l’exposé conjoint des faits
incriminait D.S., allait à l’encontre de ses intérêts et
constituait un aveu de sa culpabilité à l’audience, ces
circonstances invitent fortement à conclure à la fiabilité
de ces déclarations pour démontrer la conduite criminelle
de D.S. Toutefois, la raison qui justifie l’admissibilité de
la déclaration contre l’intérêt de son auteur ne tient plus
lorsqu’il s’agit d’opposer cette déclaration à un tiers.
..
De plus, la participation de l’avocat de la défense n’écarte
pas le risque que l’accusé atteste de fausses allégations
69
incriminant un tiers dans le but d’obtenir un plaidoyer de
culpabilité qui lui soit favorable. Les avocats ont
l’obligation déontologique de ne pas induire
sciemment le tribunal en erreur. Toutefois, ils ne sont
pas tenus de vérifier la véracité des renseignements
qu’ils présentent ; l’obligation entre en jeu seulement
s’ils détiennent des renseignements menant à la
[TRADUCTION] « conclusion inévitable » qu’une
allégation est fausse. Voir M. Proulx et D. Layton,
Ethics and Canadian Criminal Law (2001), p. 40-47 et
460.
…
Ce n’est pas dans l’intérêt de l’administration de la justice
que d’admettre en preuve contre un prévenu des aveux
intéressés, faits par son coaccusé dans le but de négocier
un chef d’accusation moindre et une peine qui lui soit
favorable, lorsque la fiabilité des déclarations ne peut être
adéquatement vérifiée ».
(Caractères foncés et soulignés ajoutés)
Résultat final : la déclaration (exposé conjoint des faits) n’était pas admissible en
preuve. L’appel fut accueilli et l’acquittement fut rétabli.
70
CONCLUSION
Le raisonnement qui sous-tend l’approche basée sur les principes est d’une
limpidité cristalline. Les juges, au fil du temps, se sont rendu compte que les
règles de preuve traditionnelles (en raison de leur rigidité et de leur inflexibilité)
restreignaient injustement le droit de produire des éléments de preuve pertinents et
portaient, ce faisant, atteinte à la capacité du tribunal de découvrir la vérité et
ultimement de rendre justice.
Les mises au point et clarifications effectuées, dans le cadre de l’arrêt Khelawon,
ont, selon toute probabilité, dissipé le brouillard qui a existé, pendant une certaine
période de temps, en ce domaine suite à l’obiter dictum de l’arrêt Starr.
L’approche flexible et plus fonctionnelle mise de l’avant par ce jugement et suivi
depuis40
permettra de résoudre bien des problèmes, mais pas tous. En effet,
comme l’honorable juge Charron l’a elle-même reconnu, d’autres questions sur le
sujet auront vraisemblablement à être tranchées dans l’avenir lorsque les
circonstances requises se présenteront.
Que nous réserve l’avenir en ce domaine? Seul le temps le dira à la lumière de
l’ingéniosité et de la créativité des plaideurs face aux circonstances et trames
factuelles existantes. Le droit est une science humaine en constante évolution.
Dès lors, les changements sont inévitables voire salutaires et souvent nécessaires.
Par contre, comme l’a énoncé l’honorable juge McLachlin (telle qu’elle était alors)
dans l’arrêt Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750 (760), les modifications
pouvant être apportées à la Common Law doivent, pour des raisons de cohérence
et de fonctionnalité, se faire « lentement et progressivement » et non
« sensiblement et profondément ». De plus, tel que mentionné par l’honorable
juge Iacobucci dans l’arrêt R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654 (670), seuls sont
possibles les « changements progressifs qui sont nécessaires pour que la Common
Law suive l’évolution et le dynamisme de la société ».
Ceci étant dit, la méthode d’analyse raisonnée n’éliminera pas d’autres règles déjà
existantes. Les décisions Couture, Griffin et D.A.I., précitées, en sont de belles
illustrations.
Il convient de noter que le voir-dire requis afin de déterminer l’admissibilité d’une
déclaration risque, selon les circonstances, de comporter une dimension
constitutionnelle puisque la difficulté de vérifier la preuve ou l’impossibilité de
présenter une preuve fiable pourrait, selon le cas, compromettre plusieurs droits
40
Il y fut d’ailleurs référé récemment dans l’affaire R. c. Hart, [2014] CSC 52 (opération Monsieur Big).
71
découlant de la protection prévue à l’article 7 de la Charte (voir sur le sujet les
arrêts Dersch c. Canada (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1505, R. c. Liepert,
[1997] 1 R.C.S. 281 et R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262).
De plus, il ne faut pas oublier que bon nombre des principes de justice
fondamentale reposent sur les garanties juridiques exposées aux paragraphes 8 à
14 du même document (le droit de présenter une défense pleine et entière ou le
droit à un procès juste et équitable à titre d’exemples).
En terminant, il faut également garder à l’esprit que ces mêmes principes ne
donnent pas à l’accusé le droit de bénéficier « des procédures les plus favorables
que l’on puisse invoquer » (voir sur le sujet l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S.
309) car comme l’a mentionné l’honorable juge McLachlin (telle qu’elle était
alors) dans l’arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577 : « Les principes de justice
fondamentale touchent toute une gamme d’intérêts qui vont des droits de l’accusé
à des préoccupations sociales plus globales ». Et, force est de constater, que
l’exemple le plus patent de cette réalité est incontestablement l’intérêt qu’a la
société à ce que le processus judiciaire aboutisse à la découverte de la vérité (voir
sur le sujet les arrêts R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, Grant et Suberu, précités)
même si, selon l’adage, celle-ci n’est pas toujours bonne à dire.
Merci de votre attention.
72
Documents consultés
Traité général de preuve et de procédure pénale, 21ième
édition, 2014, Éditions
Thémis
(Honorable juge Martin Vauclair, j.c.a.q.)
Manuel de la preuve pénale, 2014, Éditions Yvon Blais (avec mises à jour)
(Honorable juge Jean-Guy Boilard, j.c.s.q. (à la retraite))
Criminal Pleading and Practice, second edition, 2014, Canada Law Book
(avec mises à jour)
(Honorable juge E.G. Ewaschuk, j.c.s.o.)
Laval, le 27 février 2015