LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre...

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LE OUÏ-DIRE PRÉSENTATION DANS LE CADRE DE LA JOURNÉE DE FORMATION (Association des procureurs de cours municipales du Québec) (13 mars 2015) Me Normand Sauvageau (Allaire et associés) Procureur en chef Service du contentieux de Ville de Laval Section droit pénal et règlementaire

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LE OUÏ-DIRE

PRÉSENTATION DANS LE CADRE DE LA JOURNÉE DE FORMATION

(Association des procureurs de cours municipales du Québec)

(13 mars 2015)

Me Normand Sauvageau

(Allaire et associés)

Procureur en chef

Service du contentieux de Ville de Laval

Section droit pénal et règlementaire

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ........................................................................................................ 1

Le concept .................................................................................................................... 2

La règle et distinction quant à celle-ci ...................................................................... 2

Les exceptions existantes ............................................................................................ 5

I) Les exceptions traditionnelles ......................................................................... 5

A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de la déclaration ................................................................. 6

1) La déclaration relative à une identification

extrajudiciaire antérieure ............................................................. 7

2) La déclaration dans un document relatant des faits dont

le témoin a eu préalablement connaissance, mais dont il

ne peut se rappeler la teneur (mémoire consignée) ...................... 7

B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité

de l’auteur de la déclaration ................................................................. 8

1) Le témoignage antérieur ............................................................... 8

a) L’article 715 C. cr. .................................................................. 8

b) Les articles 709 et ss. C. cr. ..................................................... 9

2) La déclaration de type « ante mortem » ..................................... 10

3) La déclaration établissant les intentions existantes

ou d’autres états d’esprit ............................................................. 11

4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction ......................... 12

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ii

5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou

pécuniaire de l’auteur ................................................................. 12

C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de

la déclaration est non pertinente ........................................................ 13

1) La déclaration incriminante faite par un tiers

en présence de l’accusé ............................................................... 13

2) La déclaration d’une personne poursuivant

avec l’accusé une fin commune ................................................. 14

3) La déclaration de type « res gestae » ........................................ 14

D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé ...................... 14

1) Justificatives .............................................................................. 14

2) Incriminantes ............................................................................. 15

a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne

ordinaire (ou perçue comme tel) .......................................... 15

b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne

en situation d’autorité ........................................................... 15

c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire ......................... 16

E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion .................................. 16

1) Le témoin ordinaire .................................................................... 17

2) Le témoin expert ........................................................................ 18

II) Les exceptions législatives ............................................................................. 19

III) Les exceptions selon la nouvelle approche ................................................... 20

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iii

L’arrêt Khan .................................................................................................... 20

L’arrêt Smith .................................................................................................... 22

L’arrêt B. (K.G.) ............................................................................................... 24

L’arrêt U. (F.J.) ............................................................................................... 27

L’arrêt R. (D.) .................................................................................................. 30

L’arrêt Rockey ................................................................................................. 31

L’arrêt Hawkins ............................................................................................... 33

L’arrêt F. (W.J.) ............................................................................................... 35

L’arrêt Starr ..................................................................................................... 36

L’arrêt Parrott .................................................................................................. 41

L’arrêt Mapara ................................................................................................ 43

L’arrêt Khelawon ............................................................................................. 46

L’arrêt Couture ................................................................................................ 51

L’arrêt Devine .................................................................................................. 54

L’arrêt Blackman ............................................................................................. 56

L’arrêt Griffin .................................................................................................. 59

L’arrêt D.A.I. .................................................................................................. 61

L’arrêt Baldree ................................................................................................. 65

L’arrêt Youvarajah .......................................................................................... 66

CONCLUSION .......................................................................................................... 70

Documents consultés ................................................................................................. 72

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INTRODUCTION

Comme nous le savons tous, le droit de la preuve repose sur une série de principes

généraux auxquels se greffent de nombreuses exceptions qui, elles-mêmes, sont

l’objet de quelques exceptions.

En matière de preuve, le principe général est que toute preuve pertinente (sous

réserve de la discrétion judiciaire) est recevable. Ce principe souffre deux

exceptions importantes. La preuve par ouï-dire et le témoignage d’opinion.

Le présent texte traitera spécifiquement de la première et abordera très

sommairement la seconde.

Nous débuterons par un bref rappel sur le concept lui-même. Nous aborderons, en

second lieu, la règle en ce domaine pour situer une distinction importante quant à

celle-ci. Troisièmement, nous nous pencherons sur les différentes exceptions

existantes en semblable matière et signalerons, par la suite, quelques illustrations

législatives d’exceptions à la règle. Enfin, toutes les décisions, sur le sujet,

rendues par la Cour suprême du Canada depuis 1990, seront examinées pour

illustrer les développements survenus dans le cadre de la nouvelle approche.

Veuillez prendre note que la jurisprudence mentionnée dans le présent texte est à

jour au 27 février 2015.

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Le concept

À maintes occasions, dans le passé, il fut tenté de définir adéquatement le ouï-dire.

Aujourd’hui, ce terme, d’un point de vue juridique, fait essentiellement référence à

toute déclaration (verbale ou écrite)1, provenant d’une personne non assignée

comme témoin, que l’on veut faire admettre en preuve pour établir la véracité de

son contenu.

La règle et distinction quant à celle-ci

Le ouï-dire est inadmissible en preuve.

La raison derrière cette règle est simple. En principe, la personne qui doit être

entendue sur un sujet est celle qui est en mesure de témoigner relativement à ce

qu’elle a perçu ou constaté, par ses différents sens, d’une situation ou d’un

évènement.

Dans l’arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 (40), la Cour suprême du Canada,

sous la plume de l’honorable juge Dickson (tel qu’il était alors), expliqua ainsi les

raisons justifiant la règle de l’exclusion du ouï-dire :

« La règle de l’irrecevabilité du ouï-dire vise surtout à

assurer la véracité des déclarations. L’exclusion de la

preuve par ouï-dire se justifie principalement par le fait

que la Common Law a en horreur toute preuve qui n’a

pas été présentée sous serment et qui n’a pas été soumise

à l’épreuve du contre-interrogatoire. On estime que le

témoignage rendu sous serment et le contre-interrogatoire

constituent les meilleures garanties de la véracité de

déclarations de faits présentées ».

(Soulignés ajoutés)

Ainsi, comme la jurisprudence l’a établi au fil du temps, ce n’est pas tant la

provenance du ouï-dire que sa finalité qui est sanctionnée par son

inadmissibilité.

1 Quoique la communication gestuelle peut aussi être une forme de déclaration au sens large.

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Voilà pourquoi, dès 1956, il fut mentionné ce qui suit, par le Conseil Privé dans

l’arrêt Subramaniam c. Public Prosecutor, [1956] 1W.L.R. 965 (970) :

« La preuve d’une déclaration faite à un témoin par une

personne qui n’est pas elle-même appelée à témoigner

peut être ou ne pas être du ouï-dire. Cette preuve

constitue du ouï-dire et est inadmissible lorsqu’elle vise

à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne

constitue pas du ouï-dire et est admissible lorsqu’elle

vise à établir non pas que la déclaration est exacte mais

qu’elle a été faite ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Ces propos furent d’ailleurs repris, en 1978, par l’honorable juge Dickson (tel

qu’il était alors) dans l’arrêt R. c. O’Brien, [1978] 1 R.C.S. 591 (593) :

« Il est bien établi en droit que la preuve d’une déclaration

faite à un témoin par une personne qui n’est pas elle-

même assignée comme témoin est une preuve par ouï-

dire, qui est irrecevable lorsqu’elle cherche à établir la

véracité de la déclaration; toutefois, cette preuve n’est pas

du ouï-dire et est donc recevable lorsqu’elle cherche à

établir, non pas la véracité de la déclaration, mais

simplement que celle-ci a été faite ».

(Soulignés ajoutés)

La distinction entre les deux types de déclaration est d’importance. En effet, le

second type, du point de vue analytique, ne doit en aucune façon être perçu

comme une exception à la règle relative au ouï-dire car essentiellement il ne

rencontre pas les prérequis de son existence. Au contraire, il s’agit plutôt d’une

« preuve originale » pleinement admissible.

Malheureusement, le tout est parfois oublié autant par des avocats que par des

juges2.

2 Toutefois, rappelons qu’un juge ou un juge de paix a le droit, à moins que sa conduite n’établisse

clairement l’existence de mauvaise foi, de se tromper à l’intérieur de l’exercice de sa juridiction (voir sur le

sujet Doyon c. Roussel, 1989 J.E. 89-1170 (C.A.Q.)).

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Avec ce genre de preuve, de type circonstancielle, il sera possible autant à la

poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état

d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation, la lecture,

l’audition ou la perception de quelque chose ou d’un évènement.

Pour la poursuite, l’illustration par excellence de cet énoncé est certes la possibilité

pour un agent de la paix de faire état, lors de son témoignage relatif à l’existence

de ses motifs probables et raisonnables, de ce qu’un tiers lui a rapporté (voir, à

titre d’illustration, l’arrêt Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739). Parfois,

comme la jurisprudence l’a aussi établi, une preuve de cette nature pourra même

avoir une certaine valeur probante quant à l’identité d’une personne ou d’un

accusé (voir, à titre d’illustration, l’arrêt Evans c. R., [1993] 3 R.C.S. 653).

Tout ceci étant dit, il convient de mentionner que le ouï-dire est

exceptionnellement accepté à l’étape de la preuve sur sentence où les règles de

preuve sont généralement plus souples. Cependant, s’il y a quelque contestation

par l’accusé quant aux faits d’un dossier ou aux circonstances aggravantes

invoquées par la poursuite, celle-ci devra alors en faire la preuve selon les règles

usuelles en ce domaine c’est-à-dire hors de tout doute raisonnable (voir, à titre

d’illustration, l’arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, R. c. W.(D.), [1991] 1

R.C.S. 742 et R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320 de même qu’une décision récente

de la Cour d’appel du Québec fort intéressante en ce domaine (J.R. c. R., (2014)

QCCA 869) en ce qu’elle a expliqué, à nouveau, comment l’on doit procéder à

l’analyse, de façon globale, d’une preuve contradictoire).

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Les exceptions existantes

Petit à petit (le droit étant, somme toute, une science humaine évolutive), des

exceptions furent établies pour contrer l’inadmissibilité présumée du ouï-dire.

Ces exceptions peuvent être regroupées en trois catégories soit : 1) celles

provenant de la Common Law (les traditionnelles); 2) celles provenant de la loi

(les législatives) et 3) celles provenant des décisions rendues par la Cour suprême

du Canada depuis 1990 (la nouvelle approche).

Examinons celles-ci.

I) Les exceptions traditionnelles (celles provenant de la Common Law)

L’article 8(2) du Code criminel3 énonce :

« (2) Application du droit criminel d’Angleterre -

Le droit criminel d’Angleterre qui était en vigueur dans

une province immédiatement avant le 1er

avril 1955

demeure en vigueur dans la province, sauf en ce qu’il est

changé, modifié ou atteint par la présente ou toute autre

loi fédérale ».

Les articles 60 et 61 (premier alinéa) du Code de procédure pénale du

Québec4 énoncent :

« 60. Règles applicables en matière pénale –

Les moyens de défense ainsi que les justifications et

excuses reconnus en matière pénale ou, compte tenu des

adaptations nécessaires, en matière criminelle

s’appliquent sous réserve des règles prévues dans le

présent code ou dans une autre loi.

3 L.R.C. (1985) ch. C-46, dorénavant désigné par les lettres C. cr..

4 R.L.R.Q., ch. C-25.1, dorénavant désigné par les lettres C.P.P.Q..

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61. Règles applicables en matière criminelle –

Les règles de preuve en matière criminelle dont la Loi sur

la preuve au Canada (Lois révisées du Canada 1985,

chapitre C-5), s’appliquent en matière pénale, compte

tenu des adaptations nécessaires et sous réserve des règles

prévues dans le présent code ou dans une autre loi à

l’égard des infractions visées par cette loi et de l’article

308 du Code de procédure civile (L.R.Q., chapitre C-25)

ainsi que de la Loi concernant le cadre juridique des

technologies de l’information (2001, chapitre 32). »

Ces dispositions législatives sont les assises de ce type d’exceptions qui

regroupent cinq catégories :

A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de la

déclaration ;

B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité de l’auteur de la

déclaration ;

C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de la déclaration est non

pertinente ;

D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé ;

E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion.

A) Les exceptions admises en dépit de la disponibilité de l’auteur de

la déclaration

Deux exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :

1) La déclaration relative à une identification extrajudiciaire antérieure;

2) La déclaration dans un document relatant des faits dont le témoin a

eu préalablement connaissance, mais dont il ne peut se rappeler la

teneur (mémoire consignée).

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1) La déclaration relative à une identification extrajudiciaire antérieure

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Tat, (1997) 117 C.C.C. (3d)

481 (C.A.O.))

Conditions de recevabilité répertoriées :

L’auteur de l’identification doit être disponible comme

témoin ;

Le témoin ne doit aucunement pouvoir être considéré comme

opposé à la partie qui le produit ;

Le témoin déclare avoir positivement identifié l’inculpé lors

d’une précédente occasion et affirme maintenant ne plus

pouvoir le faire avec certitude.

2) La déclaration dans un document relatant des faits dont le témoin a

eu préalablement connaissance, mais dont il ne peut se rappeler la

teneur (mémoire consignée)

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt McInroy & Rouse c. R., [1979] 1

R.C.S. 588).

Conditions de recevabilité répertoriées :

L’écrit doit être un document original, établi au moment de

l’événement ou peu de temps après (contemporanéité), alors

que le témoin en avait un souvenir clair et exact ;

Le témoin ne se souvient plus maintenant de l’événement ;

Le témoin garantit l’exactitude de l’écrit.

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B) Les exceptions découlant de l’indisponibilité de l’auteur de la

déclaration

Cinq exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :

1) Le témoignage antérieur ;

2) La déclaration de type « ante mortem » ;

3) La déclaration établissant les intentions existantes ou d’autres états

d’esprit ;

4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction ;

5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou pécuniaire de l’auteur.

1) Le témoignage antérieur

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Potvin, [1989] 1 R.C.S. 525)

a) Lors de l’examen de l’inculpation, de l’enquête préliminaire ou du

procès (article 715 C. cr.)

Conditions de recevabilité répertoriées qui sont reliées :

À la cause de l’indisponibilité du témoin (qu’il faudra établir

sous serment ou affirmation solennelle) :

la personne refuse de prêter serment (ou de faire une

affirmation solennelle) ou de rendre totalement quelque

témoignage ;

la personne est décédée ;

la personne est devenue aliénée et l’est encore ;

la personne est trop malade pour voyager ou pour

témoigner ;

la personne est absente du Canada (de façon temporaire

ou permanente).

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Aux circonstances entourant la réception du témoignage

antérieur :

une procédure dirigée contre l’accusé portant sur la

même inculpation (enquête préliminaire ou procès

antérieur (incluant une ordonnance de nouveau procès))

ou sur une autre (enquête préliminaire relativement à une

autre infraction qui découle de la même affaire) et au

cours de laquelle il était loisible à ce dernier (à ce

moment) de contre-interroger le témoin en question (et

c’est à l’accusé de faire la preuve qu’il n’a pas eu

l’occasion voulue de contre-interroger celui-ci).

À l’authenticité de la transcription sténographique (qui doit

être signée par le juge ou le juge de paix devant qui elle est

censée avoir été recueillie).

b) Lors d’une commission rogatoire (articles 709 et ss. C. cr.5)

Conditions de recevabilité répertoriées qui sont reliées :

À la cause de l’indisponibilité du témoin :

une partie peut demander, en prévision du procès, la

nomination d’une commission rogatoire en vue de recueillir la

déposition d’un témoin qui se trouvera vraisemblablement

dans l’impossibilité d’être présent au moment du procès en

raison :

d’une incapacité physique résultant d’une maladie ;

du fait qu’il sera à l’étranger ;

de toute autre cause valable et suffisante.

5 Il convient de noter que des mesures similaires existent aux articles 54 et ss. C.P.P.Q..

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Aux circonstances entourant la réception du témoignage

antérieur :

la déposition recueillie ne pourra être lue en preuve que s’il

est établi que :

la partie adverse a été avisée du moment de la prise

du témoignage ;

l’accusé a eu ou aurait pu avoir l’occasion de

contre- interroger le témoin.

À l’authenticité de la transcription sténographique (qui doit

être signée par le commissaire qui a recueilli la déposition) ;

Au fait que l’indisponibilité du témoin est toujours existante

au moment du procès.

2) La déclaration de type « ante mortem »

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Schwartzenhauer c. R., [1935]

R.C.S. 367)

Conditions de recevabilité répertoriées :

Que dans le cadre d’un procès reprochant l’homicide du

déclarant ;

Le déclarant doit avoir eu conscience de l’imminence de son

décès ;

Le décès doit être dans un délai raisonnable ;

Le déclarant aurait été un témoin habile à rendre témoignage

s’il avait survécu ;

La déclaration doit porter sur les circonstances de l’incident

ayant causé le décès du déclarant ;

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La déclaration doit relater des faits (et non exprimer une

opinion) dont le déclarant a eu personnellement connaissance

(et non des faits qui lui furent rapportés par un tiers) ;

La déclaration doit être complète.

3) La déclaration établissant les intentions existantes ou d’autres états

d’esprit

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Wysochan, (1930) 54 C.C.C.

172 (C.A.S.))

Conditions de recevabilité répertoriées :

Le déclarant doit être décédé ;

Le déclarant aurait été un témoin habile à rendre témoignage

s’il avait survécu ;

La preuve existante permet de croire (ou de déduire) que le

déclarant l’a effectivement faite ;

La déclaration doit être complète ;

La déclaration est utile à la compréhension des circonstances

existantes au moment où elle fut faite ;

La déclaration ne peut servir qu’à établir la situation relative

au déclarant (et non un tiers) ;

La déclaration doit avoir été faite de manière naturelle (et non

dans des circonstances douteuses).

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4) La déclaration dans l’exécution d’une fonction

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608)

Conditions de recevabilité répertoriées :

Le fait déclaré doit avoir été constaté par celui qui l’a

consigné ou rapporté ;

Le déclarant doit avoir eu pour fonction spécifique de

consigner ou de rapporter le fait constaté ou l’acte exécuté ;

Le fait déclaré ne peut être mis en preuve s’il n’est qu’incident

au fait que le déclarant avait l’obligation de consigner ou de

rapporter ;

La déclaration doit être contemporaine à l’événement ;

La déclaration ne doit pas avoir été faite en prévision d’un

litige ou dans des circonstances qui permettent de douter de

son exactitude ;

Le déclarant est décédé ;

Il est difficile d’identifier l’employé ou peu pratique de faire

entendre tous les employés ayant consigné les différentes

informations que contient le document en question.

5) La déclaration à l’encontre de l’intérêt pénal ou pécuniaire de l’auteur

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt O’Brien, précité)

Conditions de recevabilité répertoriées :

Le déclarant est décédé ;

Le déclarant n’est pas disponible ;

La déclaration doit être clairement à l’encontre de l’intérêt du

déclarant ;

La déclaration doit être disculpatoire quant à l’acte reproché.

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C) Les exceptions où la disponibilité de l’auteur de la déclaration est

non pertinente

Trois exceptions peuvent être classées sous cette rubrique :

1) La déclaration incriminante faite par un tiers en présence de l’accusé ;

2) La déclaration d’une personne poursuivant, avec l’accusé, une fin

commune ;

3) La déclaration de type « res gestae ».

1) La déclaration incriminante faite par un tiers en présence de l’accusé

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Gilbert c. R. (no.2), [1907] 38 R.C.S.

284)

Conditions de recevabilité répertoriées :

La déclaration doit avoir été faite par un tiers (victime ou

autre personne) ;

La déclaration doit avoir été faite en présence de l’accusé (qui

devait être conscient) ou dans le cadre d’une conversation

téléphonique dont l’accusé est l’un des interlocuteurs ;

La déclaration doit avoir été faite dans des circonstances qui

appelaient une dénégation de la part de l’accusé ;

L’accusé doit avoir acquiescé (paroles, silence, physionomie

ou conduite) à la déclaration.

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2) La déclaration d’une personne poursuivant, avec l’accusé, une fin

commune

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Carter, [1982] 1 R.C.S. 938)

Conditions de recevabilité répertoriées :

Établir, par son auteur ou un tiers, un acte manifeste (la

déclaration doit avoir été faite dans la poursuite du but

commun) ;

Établir le complot ;

Établir que le déclarant est un membre du complot ou l’un des

co-conspirateurs.

3) La déclaration de type « res gestae »

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Graham, [1974] R.C.S. 206)

Conditions de recevabilité répertoriées :

Contemporanéité (avant, pendant ou après le crime mais pas

trop longtemps) ;

Spontanéité (doit se rapporter à un fait et non exprimer une

opinion).

D) Les exceptions relatives aux déclarations de l’accusé

Celles-ci regroupent deux types.

1) Justificatives

Ne sont généralement pas permises vu la règle interdisant la preuve préconstituée

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Hughes, [1942] R.C.S. 517).

Toutefois, celles qui constituent des déclarations de type « res gestae » pourront

être mises en preuve (voir, à titre d’illustration, l’arrêt Graham, précité); de même

que celles qui visent à contredire une allégation de la part de la poursuite à l’effet

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que la défense est d’invention ou de fabrication récente (voir, à titre d’illustrations,

l’arrêt R. c. Simpson, [1988] 1 R.C.S. 3 et R. c. Stirling, [2008] CSC 10).

2) Incriminantes

Elles regroupent trois catégories :

a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne ordinaire (ou perçue

comme tel) ;

b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne en situation d’autorité;

c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire.

a) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne ordinaire (ou

perçue comme tel)

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Streu, [1989] 1 R.C.S. 1521)

N’est soumise à aucune condition particulière. Elle est régie par la règle générale

de la pertinence sous réserve de la discrétion judiciaire qui en est le corollaire.

b) La déclaration extrajudiciaire faite à une personne en situation

d’autorité

(voir, à titre d’illustrations, les arrêts Ibrahim v. R., (1914) A.C. 599

et Rothman c. R., [1981] 1 R.C.S. 640)

Ne peut, à défaut d’admission (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Park, [1981]

2 R.C.S. 64), être admise en preuve que si la poursuite établit, par prépondérance

de preuve, lors d’un voir-dire :

son caractère libre et volontaire : sans promesse, ni menace (voir, à

titre d’illustration, l’arrêt Ibrahim, précité) ;

l’existence d’un esprit totalement conscient (voir, à titre

d’illustrations, les arrêts Ward c. R., [1979] 2 R.C.S. 30 et Horvath

c. R., [1979] 2 R.C.S. 376);

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16

et, lorsque le tout s’applique, son obtention dans le respect intégral des droits

constitutionnels de la personne (détenue ou arrêtée) énoncés dans la Charte

canadienne des droits et libertés6, auxquels il est possible de renoncer si la

décision à cet égard est claire, non équivoque et en pleine connaissance des droits

que la protection vise à assurer et des conséquences en découlant (voir, à titre

d’illustrations, les arrêts R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613 ; R. c. Brydges, [1990]

1 R.C.S. 190 ; R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173 ; Singh c. R. [2007] CSC 48 ; R. c

Grant, [2009] 2 R.C.S. 353, R. c. Suberu, [2009] 2 R.C.S. 460 et, plus récemment,

R. c. Taylor, 2014 CSC 50).

Il est à noter que ces règles souffrent certaines exceptions où la formalité du voir-

dire n’est pas requise. Citons, notamment, celle permettant de produire la

déclaration constituant « l’actus reus » de l’infraction reprochée (voir, à titre

d’illustration, l’arrêt R. c. Hanneson et al, (1989) 49 C.C.C. (3d) 467 (C.A.O.)).

c) La déclaration judiciaire et quasi-judiciaire.

Le tout est gouverné avec l’interprétation donnée, par la Cour suprême du Canada,

à l’article 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada 7, ainsi qu’à l’article 13 de la

Charte fédérale en matière d’auto incrimination et des limites importantes qui

existent, à cet égard, selon que le témoignage rendu était volontaire ou forcé (voir,

à titre d’illustrations, les arrêts R. c. Noël, [2002] 3 R.C.S. 433, R. c. Allen, [2003]

1 R.C.S. 223 et R. c. Henry, [2005] 3 R.C.S. 609).

E) Les exceptions relatives à la preuve d’opinion

On entend par preuve d’opinion le fait pour un témoin de déposer devant le

tribunal relativement aux conclusions, aux inférences qu’il tire d’un événement ou

d’un fait et ce, selon le témoin appelé à la barre, peu importe qu’il en ait eu ou non

personnellement connaissance.

6 Dorénavant désignée par l’expression Charte fédérale.

7 L.R.C. (1985) ch. C-5, dorénavant désignée par les lettres LP.

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17

La preuve d’opinion est donc reçue exceptionnellement, puisque, tel que

mentionné précédemment, un témoin doit normalement déposer sur des faits dont

il a eu connaissance avec ses sens et non pas donner son opinion sur leur

signification ou portée (ce qui relève habituellement du juge des faits).

À cet égard, la jurisprudence a distingué deux situations :

1) celle du témoin ordinaire;

2) celle du témoin expert.

1) Le témoin ordinaire

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Graat c. R., [1982] 2 R.C.S. 819)

Conditions de recevabilité répertoriées :

La connaissance personnelle seulement ;

Une matière relevant du domaine du sens commun qui ne

nécessite pas de connaissances particulières ;

Doit être d’une aide réelle au juge des faits dans l’appréciation

de la preuve.

Évidemment, dans tous les cas, le juge des faits n’est, en aucune façon, lié par

cette opinion. Et, comme pour tout témoin, le juge peut accepter le témoignage en

tout ou en partie ainsi que le rejeter totalement.

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18

2) Le témoin expert

(voir, à titre d’illustration, l’arrêt Lavallée c. R., [1990] 1 R.C.S. 852)

Conditions de recevabilité répertoriées :

L’opinion doit être pertinente et utile face à une détermination à

faire par le juge des faits ;

L’opinion doit être nécessaire (existence de connaissances

particulières qui dépassent les connaissances usuelles et

normales d’une personne ou d’un juge) ;

La personne doit avoir des qualifications spécifiques qu’il

faudra, sauf renonciation, établir ;

Si relative à une nouvelle théorie ou technique relevant de la

science, au sens large, l’opinion doit être fiable ;

Cette preuve ne doit pas être frappée d’une règle d’exclusion8.

C’est via un voir-dire (sauf renonciation) que le tout (exception faite de la dernière

condition) sera vérifié par le tribunal.

Un expert peut se baser sur toute preuve, incluant du ouï-dire, pour émettre son

opinion. Ceci étant dit, pour que son témoignage ait une valeur probante, il faut

toujours faire la preuve des assises factuelles sur lesquelles il s’appuie (voir, à titre

d’illustrations, les arrêts Abbey et Lavallée, précités ainsi que R. c. Charlebois,

[2000] 2 R.C.S. 674).

Enfin, il convient de rappeler que l’expert ne doit pas usurper la fonction du juge

des faits (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9) et que

le juge peut accepter le témoignage de celui-ci en tout ou en partie ainsi que le

rejeter totalement (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68)

en ce qu’il n’est jamais lié par ledit témoignage.

8 Exemple : la preuve d’expert tendant à prouver qu’un témoin dit la vérité. Voir sur le sujet R. c.

Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223.

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19

II) Les exceptions législatives (celles provenant de la loi)

On retrouve dans certains textes de lois ou dans l’application factuelle de ceux-ci

des exceptions à la règle sur l’inadmissibilité du ouï-dire. Comme exemples en ce

domaine, signalons :

l’article 111(3) C. cr. relatif aux ordonnances d’interdiction d’armes (voir, à

titre d’illustration, l’arrêt R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378) ;

l’article 655 C. cr. relatif aux aveux au procès (voir, à titre d’illustration,

l’arrêt R. c. Castellani, [1970] R.C.S. 310) ;

les articles 709 et ss. C.cr. ainsi que l’article 715 C. cr., précités, relatifs aux

témoignages rendus ;

l’article 8 LP relatif à la comparaison d’écriture (voir, à titre d’illustration,

l’arrêt Pitre c. Le Roi, (1932) 59 C.C.C. 148 (CSC) 1349) ;

les articles 23 à 26 ainsi que 29 à 31 LP relatifs à différents types de

documents (voir, à titre d’illustration, l’arrêt R. c. Cazzetta, REJB 2003-

36845 (C.A.Q.)) ;

les articles 66, 66.1 et 67 CPPQ relatifs à la preuve de délivrance,

d’attestation d’envois ou d’extraits de registres (voir, à titre d’illustration,

l’arrêt Ville de Farnham c. Charron, J.E. 95-460 (C.A.Q)).

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20

III) Les exceptions selon la nouvelle approche9 (celles provenant des

décisions rendues par la Cour suprême du Canada depuis 1990)

Voulant s’écarter d’une application trop rigide10

des exceptions existantes, la Cour

suprême commença, à compter de 1990 en matière criminelle11

, à utiliser deux

balises (la nécessité et la fiabilité) qui encadrent dorénavant l’analyse de toutes les

exceptions invoquées à l’encontre de la règle excluant le ouï-dire.

Voyons, de façon chronologique, ce qui s’est passé.

L’arrêt Khan

Dans Khan c. R., [1990] 2 R.C.S. 531, il s’agissait d’une accusation d’agression

sexuelle ou l’admissibilité d’une déclaration faite par un enfant à sa mère devait

être déterminée. L’accusé était un médecin et la victime une enfant de trois ans qui

avait rapporté les évènements quelques quinze minutes après le départ de la

clinique alors qu’un dépôt (composé, suite à l’analyse effectuée, de sperme et de

salive) fut découvert sur ses vêtements. Lors du procès, l’accusé n’a présenté

aucune preuve.

Résultat en première instance : acquittement.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

Rendant le jugement de la cour (cinq juges), l’honorable juge McLachlin (telle

qu’elle était alors) mentionna aux pages 546 à 548 :

« La première question devrait être de savoir si la

réception de la déclaration relatée est nécessaire. À

ces fins, la nécessité doit être interprétée dans le sens

de [traduction] « raisonnablement nécessaire ».

L’inadmissibilité du témoignage de l’enfant pourrait être

une raison de conclure à l’existence de la nécessité. Mais

9 Aussi appelée la méthode d’analyse raisonnée ou celle fondée sur les principes.

10 Souvent critiquée par différents auteurs dans des publications juridiques qui parlaient alors d’un

ensemble de catégories sclérosées conçues par les tribunaux. 11

Car en matière civile, cette approche avait été mise de l’avant, dès 1970, dans l’arrêt Ares c. Venner,

précité (poursuite contre un médecin). D’ailleurs, plusieurs des arrêts qui seront mentionnés, dans les

lignes qui vont suivre, ont référé à cette décision.

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21

une preuve solide fondée sur des évaluations

psychologiques que le témoignage devant le tribunal

pourrait être traumatisant pour l’enfant ou lui porter

préjudice pourrait également être utile. Il peut y avoir

d’autres exemples de circonstances qui pourraient établir

l’exigence de la nécessité.

La question suivante devrait porter sur la fiabilité du

témoignage. Plusieurs considérations comme le moment

où la déclaration est faite, le comportement, la

personnalité de l’enfant, son intelligence et sa

compréhension des choses et l’absence de toute raison de

croire que la déclaration est le produit de l’imagination

peuvent être pertinentes à l’égard de la question de la

fiabilité. Je ne voudrais pas établir une liste précise des

considérations applicables à la fiabilité ni laisser entendre

que certaines catégories de preuves (par exemple le

témoignage de jeunes enfants en matière sexuelle)

devraient être considérées comme dignes de foi. Les

questions relatives à la fiabilité vont varier avec l’enfant

et les circonstances et relèvent davantage du juge du

procès.

Je conclus que la preuve par ouï-dire d’une déclaration

d’un enfant concernant des crimes dont il a été victime

devrait être recevable, pourvu que les garanties de

nécessité et de fiabilité soient respectées sous réserve des

garanties que le juge peut estimer nécessaire et sous

réserve toujours des considérations relatives au poids qui

devrait être accordé à cette preuve. Cela n’a pas pour

effet de rendre les déclarations extrajudiciaires faites par

des enfants généralement admissibles, en particulier,

l’exigence de la nécessité signifiera probablement que

dans la plupart des cas les enfants seront encore appelés à

témoigner de vive voix.

Je conclus qu’en l’espèce la déclaration de la mère aurait

dû être reçue en preuve. Elle était nécessaire puisque le

témoignage de vive voix de l’enfant avait été rejeté. Elle

était également fiable. L’enfant n’avait aucune raison

d’inventer son histoire qu’elle a racontée naturellement

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22

sans être incitée à le faire. En outre, le fait qu’on ne

pouvait s’attendre à ce que l’enfant connaisse ce genre

d’acte sexuel confère à sa déclaration une fiabilité toute

particulière. Enfin, sa déclaration a été corroborée par

une preuve matérielle. »

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final: la déclaration était admissible en preuve. L’appel fut rejeté et

l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.

L’arrêt Smith

Dans R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, il s’agissait d’une accusation de meurtre sur

une citoyenne américaine en sol canadien. L’admissibilité de quatre déclarations

survenues dans le cadre de conversations téléphoniques ayant pris place entre la

victime (juste avant sa mort) et sa mère devait être déterminée. Lors du premier

appel, la victime disait que l’accusé l’avait abandonné à l’hôtel et qu’elle voulait

qu’on la ramène à la maison. Lors du deuxième, la victime disait que l’accusé

n’était toujours pas de retour. Lors du troisième, la victime disait que l’accusé était

revenu et qu’en fin de compte elle n’avait pas besoin qu’on la ramène à la maison.

Lors du dernier appel, en provenance (suite à l’enquête effectuée) d’un téléphone

public situé à une station service près de laquelle le corps de la victime fut

retrouvé, la victime disait qu’elle s’en venait. Selon la théorie de la poursuite,

l’accusé était un trafiquant de drogues ayant demandé à la victime, comme il

l’avait fait par le passé avec d’autres femmes, de dissimiler de la cocaïne dans son

corps, ce qu’elle avait refusé.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la cour (sept juges), le très honorable juge en chef Lamer

mentionna aux pages 933 et 934 :

« Le critère de la « fiabilité » - ou, suivant la terminologie

employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de

fiabilité – dépend des circonstances dans lesquelles la

déclaration en question a été faite. Si une déclaration

qu’on veut présenter par voie de preuve par ouï-dire a été

faite dans des circonstances qui écartent

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23

considérablement la possibilité que le déclarant ait menti

ou commis une erreur12

, on peut dire que la preuve est

« fiable », c’est-à-dire qu’il y a une garantie

circonstancielle de fiabilité.

Le critère de la nécessité n’a cependant pas le sens de

« nécessaire à la preuve de la poursuite ». Si c’était le

cas, la preuve par ouï-dire non corroborée qui satisfait au

critère de la fiabilité serait admissible si elle n’était pas

corroborée, mais pourrait ne plus être « nécessaire » à la

preuve de la poursuite si elle était corroborée par une

autre preuve indépendante. Pareille interprétation du

critère de la « nécessité » aurait donc pour résultat

illogique que la preuve par ouï-dire non corroborée serait

admissible, mais deviendrait inadmissible si elle était

corroborée. Telle n’était pas l’intention de l’arrêt Khan

de notre Cour.

Comme je l’ai déjà dit, il faut donner au critère de la

nécessité une définition souple, susceptible d’englober

différentes situations. Ces situations auront comme point

commun que, pour différentes raisons, la preuve directe

pertinente n’est pas disponible.

Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas

limitées».

(Soulignés ajoutés)

Et, par la suite, à la page 937 :

« En définitive, je conclus que la preuve par ouï-dire de ce

que Mme King a dit à sa mère lors des deux premiers

appels téléphoniques satisfaisait aux critères de nécessité

et de fiabilité formulés dans l’arrêt Khan et était

admissible sur ce fondement. Bien que le contenu du

troisième appel téléphonique satisfasse lui aussi au critère

12

Notamment en raison du fait que les déclarations sont compatibles avec plusieurs hypothèses.

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24

de nécessité, les évènements entourant cet appel sont

insuffisants pour fournir la garantie circonstancielle de

fiabilité qui justifierait son admission sans contre-

interrogatoire. Le ministère public n’a pas interjeté appel

concernant la quatrième conversation téléphonique et je

ne fais donc aucun commentaire quant à l’admissibilité de

la preuve par ouï-dire de son contenu, si ce n’est que, dans

l’éventualité d’un nouveau procès elle sera régie par les

mêmes principes ».

Résultat final : seulement les deux premières déclarations étaient admissibles en

preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.

L’arrêt B. (K.G.)

Dans R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, il s’agissait d’une accusation de

meurtre. Trois amis d’âge mineur, de concert avec l’accusé (mineur également),

furent impliqués dans une bagarre avec deux hommes dont l’un décéda d’une

blessure par couteau. Suite à des mises en garde, les trois adolescents (chacun

accompagné par l’un de ses parents ou un avocat) firent, lors d’interrogatoires

séparés effectués par la police (et enregistrés, avec leur consentement, sur bande

vidéo), des déclarations au cours desquelles ils mentionnèrent que l’accusé leur

avait avoué qu’il avait tué la victime avec un couteau. Au procès, ils se

rétractèrent. Le juge du procès permit donc à la poursuite de procéder à leur

contre-interrogatoire selon l’art 9(2) LP13

et, bien que ceux-ci admirent avoir fait

les susdites déclarations, ils mentionnèrent avoir menti et que l’accusé n’avait pas

fait les déclarations en question. Celles-ci ne furent donc pas admises en preuve

lorsque la question à cet égard dû être tranchée. Or, par la suite et avant l’audition

de l’appel en Cour suprême du Canada, ces mêmes adolescents plaidèrent

coupables à des accusations de parjure.

Résultat en première instance : acquittement.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.

13

Voir l’arrêt McInroy & Rouse, précité. Toutefois, avant d’en arriver là, il convient de rappeler que la

poursuite a toujours le droit de tenter de rafraîchir la mémoire de ce témoin en lui permettant de prendre

connaissance de sa déclaration antérieure (Voir, à titre d’illustration sur le sujet, l’arrêt R. c. Coffin, [1956]

R.C.S. 191).

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25

S’exprimant au nom de cinq juges sur sept (les deux autres juges arrivant à la

même conclusion mais pour d’autres motifs), le très honorable juge en chef Lamer

mentionna d’abord à la page 783 :

« Je suis d’avis que la preuve des déclarations antérieures

incompatibles d’un témoin, autre que l’accusé, doit être

admise en preuve quant au fond, d’après l’analyse fondée

sur les principes élaborée dans les arrêts de notre Cour,

Khan et Smith. Toutefois, il est clair que les facteurs

énoncés dans ces arrêts – fiabilité et nécessité - doivent

être adaptés et raffinés dans le contexte présent, vu les

problèmes particuliers soulevés par la nature de ces

déclarations. Au surplus, le juge doit tenir un voir-dire

avant de présenter ces déclarations au jury à titre de

preuve de fond, afin de s’assurer que la déclaration a été

faite dans circonstances qui ne réduisent pas sa fiabilité à

néant ».

Ensuite, aux pages 795 et 796 :

« Par conséquent, on aura satisfait à l’exigence de

fiabilité si les circonstances dans lesquelles la déclaration

antérieure a été faite fournissent des garanties suffisantes

de son exactitude relativement aux deux dangers du ouï-

dire auxquels une règle réformée peut obvier de façon

réaliste :

(i) si la déclaration est faite sous serment ou

affirmation solennelle après une mise en garde

quant à l’existence de sanctions et à l’importance

du serment ou de l’affirmation solennelle,

(ii) si elle est enregistrée intégralement sur bande

vidéo, et

(iii) si la partie adverse - accusation ou défense – a la

possibilité voulue de contre-interroger le témoin au

sujet de la déclaration, il existera des garanties

circonstancielles de fiabilité suffisantes pour

qu’elle soit soumise au jury à titre de preuve de

fond. Subsidiairement, il se peut que d’autres

garanties circonstancielles de fiabilité suffisent à

rendre une telle déclaration admissible quant au

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26

fond, à la condition que le juge soit convaincu que

les circonstances offrent des garanties suffisantes

de fiabilité qui se substituent à celles que la règle

du ouï-dire exige habituellement14

».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Et, par la suite, aux pages 798 et 799 :

« Les limites précises du critère de la nécessité restent à

établir dans le contexte de cas particuliers.

Toutefois, je ne suis pas disposé, à ce moment-ci, à

souscrire à une interprétation stricte qui fait de la non

disponibilité une condition indispensable de la

nécessité ».

(Soulignés ajoutés)

Pour conclure, aux pages 803 et 804, relativement au voir-dire exigé à l’avenir :

« Je résumerai ainsi le déroulement du voir-dire : dans la

partie qui porte sur la nouvelle règle, le juge du procès

doit d’abord s’assurer que les indices de fiabilité

nécessaires pour l’admission de la preuve par ouï-dire des

déclarations antérieures – mise en garde, serment,

affirmation ou déclaration solennelle, et enregistrement

sur bande vidéo, ou substituts suffisants – sont présents et

authentiques. Dans l’affirmative, il doit alors examiner

les circonstances dans lesquelles la déclaration a été

obtenue, s’assurer que, si la déclaration étayée par les

indices de fiabilité a été faite à une personne en situation

d’autorité, elle a été faite volontairement et qu’aucun

autre facteur ne serait susceptible de déconsidérer

l’administration de la justice si la déclaration était admise

comme preuve de fond. Dans la plupart des cas, comme

en l’espèce, la partie qui cherche à faire admettre les

déclarations antérieures incompatibles comme preuve de

14

Car l’objectif à atteindre est un seuil de fiabilité et non la fiabilité absolue et indiscutable (voir p. 787 de

la décision). D’ailleurs, à cet égard, l’arrêt R. c. Labrecque, [1997] 3 R.C.S. 1001 confirma qu’une

prépondérance de preuve était suffisante.

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27

fond devra établir, selon la prépondérance des

probabilités, que ces conditions ont été remplies. Le juge

du procès ne doit pas décider si la déclaration antérieure

incompatible est vraie, ni si elle est plus digne de foi que

le témoignage actuel, car cette décision revient au juge

des faits.

Si la déclaration antérieure n’offre pas les garanties

circonstancielles de fiabilité nécessaires, et ne satisfait

donc pas au critère préliminaire examiné durant le voir-

dire, mais que la partie qui présente la déclaration

antérieure remplit par ailleurs les exigences prévues aux

par. 9(1) ou (2) de la Loi sur la preuve au Canada, la

déclaration peut tout de même être produite en preuve,

mais le juge du procès doit donner des directives au jury

en conformité avec la règle orthodoxe »15

.

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : L’ancienne règle ou la règle orthodoxe (à l’effet que les

déclarations antérieures incompatibles ne pouvaient servir que pour attaquer la

crédibilité d’un déclarant et non comme preuve de sa véracité) est remplacée par

une nouvelle façon de faire qui prend appui sur les enseignements de la méthode

d’analyse raisonnée. Dans ce contexte, l’admissibilité des déclarations devra être

déterminée sous l’angle de la nouvelle règle. En conséquence, l’appel fut accordé

et un nouveau procès fut ordonné.

L’arrêt U. (F.J.)

Dans U. (F.J.) c. R., [1995] 3 R.C.S. 764, il s’agissait de diverses accusations

d’ordre sexuel et de voies de fait impliquant un père et sa fille mineure âgée de

treize ans. Suite au signalement effectué par la grand-mère, la police rencontra

séparément l’accusé et sa fille. Lors de l’interrogatoire de l’adolescente, la grand-

mère était présente ainsi que deux policiers dont l’un agissant, lorsque requis,

comme interprète. Au cours de l’interrogatoire (non enregistré en raison de la

défectuosité du magnétophone), l’adolescente fit des déclarations quant aux

15

À cette étape, il s’agira, par contre, d’une attaque quant à la crédibilité du déclarant.

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28

rapports sexuels réguliers (pour certains, très récents) ayant pris place entre elle et

son père ainsi que sur deux v oies de fait. Lors de son interrogatoire (non

enregistré) l’accusé confirma intégralement les propos de son enfant mais refusa

de faire une déclaration écrite et fit savoir qu’il ne signerait rien. Au procès,

l’adolescente se rétracta seulement quant aux allégations d’ordre sexuel, disant

qu’elles n’étaient pas vraies. L’accusé, bien qu’il reconnu, dans le cadre du voir-

dire, avoir fait une déclaration incriminante, nia en grande partie sa véracité

mentionnant que l’enquêteur avait ravivé ses souvenirs d’emprisonnement et de

torture (dans son pays d’origine) et que la crainte, en découlant, l’avait amené à

faire une fausse déclaration tout en croyant, néanmoins, que l’on ne pouvait

l’utiliser contre lui vu qu’il refusait de signer quoi que ce soit.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur tous les chefs de

nature sexuelle.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

S’exprimant au nom de six juges sur sept (l’autre juge arrivant à la même

conclusion mais pour d’autres motifs), le très honorable juge en chef Lamer

mentionna d’abord aux pages 790 et 791 :

« Outre les situations que j’ai décrites dans B. (K.G.),

l’établissement d’un seuil de fiabilité est parfois possible,

dans les cas où le témoin peut être contre-interrogé,

lorsqu’il existe une similitude frappante entre deux

déclarations.

Lorsque deux déclarations contiennent des affirmations

de fait semblables, l’une des situations suivantes doit être

vraie :

1. La similitude est une pure coïncidence.

2. La similitude résulte de la collusion entre les deux

auteurs avant que l’une des déclarations ou les deux

n’aient été faites.

3. L’auteur de la seconde déclaration connaissait le

contenu de la première déclaration et a fondé sa

déclaration en tout ou en partie sur cette connaissance.

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29

4. La similitude est due à l’influence de tiers, tel un

interrogateur, qui a influé sur le contenu de l’une des

déclarations ou des deux.

5. Il y a similitude parce que les auteurs des deux

déclarations faisaient tous deux état d’un événement

réel – c’est-à-dire que tous les deux disaient la vérité.

Les quatre premières explications sont, bien entendu,

également compatibles, que les parties semblables de la

déclaration soient véridiques ou fausses. Il est donc

possible de conclure que les parties semblables des

déclarations ne sont véridiques que lorsqu’on peut établir

qu’aucune des quatre premières solutions n’est probable,

et que la cinquième option est donc la seule explication

probable. En conséquence, les similitudes frappantes

entre les deux déclarations ne font qu’accroître la

probabilité que l’une ou l’autre des déclarations soit digne

de foi lorsqu’il y a un fondement pour rejeter, parce que

peu probables, toutes les autres explications ».

(Soulignés ajoutés)

Pour, par la suite, dire aux pages 794 et 795 :

« S’il faut satisfaire au critère de la fiabilité, dans de rares

cas, au moyen de la similitude frappante entre la

déclaration examinée et une autre déclaration qui est déjà

clairement admissible quant au fond, le juge du procès

doit être convaincu, selon la prépondérance des

probabilités, qu’il existe des similitudes frappantes entre

les deux déclarations et qu’il n’existait aucune raison,

aucune possibilité pour leurs auteurs d’agir de

connivence, ni aucune influence indue de la part

d’interrogateur ou d’autres tiers ».

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations de la victime et de l’accusé étaient admissibles en

preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

Page 34: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

30

L’arrêt R. (D.)

Dans R. c. R.(D.), [1996] 2 R.C.S. 291, il s’agissait de diverses accusations d’ordre

sexuel et de voies de fait, commis par les parents naturels et l’ami de ceux-ci, sur

trois enfants mineurs, respectivement âgés de cinq et sept ans (qui participaient, à

l’occasion, a des jeux sexuels entre eux) qui rapportèrent le tout à différentes

personnes (incluant la responsable du foyer d’accueil où ils demeuraient ainsi qu’à

un médecin) et à la police. Les enfants furent examinés par le médecin qui décela

des éléments de preuve médicale pouvant laisser croire que ces derniers avaient

été victimes d’abus physiques et sexuels. Les entretiens que l’enquêteur eus avec

les enfants survinrent en présence d’une thérapeute pour enfants et furent

enregistrés sur bande magnétoscopique.

Résultat en première instance : déclarations de culpabilité sur tous sur les chefs

d’agressions sexuelles pour tous les accusés et déclarations de culpabilité sur deux

chefs de voies de fait pour les parents naturels.

Résultat en appel : les appels furent rejetés et les déclarations de culpabilité

furent maintenues.

S’exprimant au nom de la majorité (trois juges sur sept)16

, l’honorable juge Major

mentionna aux pages 309 et 310 ce qui suit :

« Dans l’arrêt Khan c. R., [1990] 2 R.C.S. 531, on a jugé

que, pour que des déclarations extrajudiciaires soient

admises comme preuve de la véracité de leur contenu,

elle doivent être à la fois nécessaires et dignes de foi.

L’exigence de fiabilité a été formulée dans R. c. Smith,

[1992] 2 R.C.S. 915. Pour que les déclarations soient

admises, il n’est pas nécessaire qu’elles soient

absolument dignes de foi, mais il doit y avoir une garantie

circonstancielle de fiabilité. Elles seront inadmissibles si

la preuve par ouï-dire est également compatible avec

d’autres hypothèses.

À mon avis, les déclarations de Michelle n’étaient pas

suffisamment dignes de foi pour être admises. Il y avait

des éléments de preuve qui laissaient croire que Michael

pouvait avoir agressé Michelle chez D.R., à l’époque en

16

Il convient de noter, d’une part, qu’un juge arriva à la même conclusion (mais pour d’autres motifs) et,

d’autre part, que deux des trois dissidences ne furent qu’en partie et relatives au dispositif final touchant

l’un des coaccusés.

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31

question. Michael a notamment admis avoir eu des

relations sexuelles avec ses deux sœurs dans la salle de

bains de D.R., lors de la visite en question. D.R. a

témoigné qu’il avait trouvé Michelle et Michael ensemble

dans la salle de bain, le jour même ou Mme K. a

remarqué la présence de taches de sang sur la petite

culotte de Michelle. De même, il a été prouvé que les

enfants avaient tendance à mentir pour cacher les activités

sexuelles auxquelles ils se livraient entre eux. En

définitive, les déclarations de Michelle sont aussi

compatibles avec l’hypothèse selon laquelle elle

protégeait Michael qu’elles le sont avec celle voulant

qu’elle ait été agressée sexuellement par D.R. Aucune

garantie circonstancielle de fiabilité n’a été fournie. Le

juge du procès a commis une erreur en admettant ces

déclarations ».

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations d’un des jumeaux n’étaient pas admissibles en

preuve. Les appels furent accueillis. L’ami des parents naturels fut acquitté de

tous les chefs et un nouveau procès fut ordonné, pour ces derniers, relativement

aux chefs d’agression sexuelle et de voies de fait.

L’arrêt Rockey

Dans Rockey c. R., [1996] 3 R.C.S. 829, il s’agissait d’une accusation d’agression

sexuelle ou il fallait trancher quant à l’admissibilité de déclarations faites par un

enfant de deux ans et demi, sur une période de plusieurs jours, à sa mère ainsi qu’à

d’autres personnes. La mère avait amené son enfant chez un pédiatre qui confirma

que ce dernier avait subi une lésion à l’anus susceptible d’avoir été provoquée par

l’insertion d’un objet contondant. Lors du procès, la poursuite, qui ne fit pas

entendre l’enfant, présenta (avec et sans voir-dire) sept déclarations faites par

celui-ci juxtaposées au témoignage non contredit d’un expert (car la défense n’a

présenté aucun témoin) à l’effet que l’enfant (âgé de cinq ans au moment du

procès) serait traumatisé s’il était appelé à témoigner.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

Page 36: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

32

S’exprimant au nom de cinq juges sur neuf (les quatre autres arrivant à la même

conclusion mais pour d’autres motifs), l’honorable juge Sopinka mentionna aux

pages 834 et 835 :

« En l’espèce, le juge du procès devait trancher deux

questions avant de conclure à la nécessité :

a) l’habilité de l’enfant à témoigner et, en cas de

réponse affirmative,

b) la possibilité que l’enfant subisse un traumatisme

s’il témoigne.

En ce qui concerne la question a), comme l’a démontré le

juge Doherty, dissident en Cour d’appel, l’appréciation de

la preuve pourrait mener à des conclusions différentes.

Comme il l’a dit : [TRADUCTION] « Je ne peux affirmer

qu’un juge raisonnable aurait nécessairement conclu que

Ryan était inhabile à témoigner » ((1995), 23 O.R. (3d)

641, à la p. 667). Outre le fait que différentes conclusions

pouvaient être tirées de la preuve, il est possible que

certains juges auraient envisagé de parler avec l’enfant

dans un environnement ou celui-ci se serait senti à l’aise.

Le juge du procès n’a même pas envisagé cette

possibilité, puisqu’il a tout simplement présumé que le

ministère public n’assignerait pas l’enfant à témoigner.

Par conséquent, je ne conclurais pas que, n’eût été

l’omission du juge du procès de tirer une conclusion à

l’égard de l’habilité à témoigner, le verdict aurait

nécessairement été le même.

En ce qui a trait à la question b), vu le témoignage non

contredit du Dr Sas, je suis d’avis que le juge du procès

aurait inévitablement conclu que l’enfant serait traumatisé

s’il était effectivement appelé à témoigner. À la lumière

de cette conclusion, il s’ensuit qu’on a établi, en droit, la

nécessité, que les éléments de preuve auraient

nécessairement été admis ».

(Soulignés ajoutés)

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33

Résultat final : seulement deux des déclarations de l’enfant étaient admissibles en

preuve. L’appel fut néanmoins rejeté en raison du proviso curatif et la déclaration

de culpabilité fut maintenue.

L’arrêt Hawkins

Dans Hawkins et Morin c. R., [1996] 3 R.C.S. 1043, il s’agissait d’accusations de

complot et de corruption visant à entraver la justice. Hawkins (policier)

fréquentait, dans le cadre d’une relation explosive, ponctuée de ruptures et de

réconciliations, Graham (danseuse). Sur la base de renseignements donnés par

Graham à un moment où la relation n’était pas au beau fixe, une enquête interne

fut initiée contre Hawkins et le tout mena aux accusations précitées contre lui et

Morin (président d’un club de motards local). Au début de l’enquête préliminaire,

Graham fit, sous serment, des déclarations incriminant Hawkins. Cependant, dans

la suite de l’enquête préliminaire et encore sous serment, elle se rétracta quant à

des parties importantes de ses déclarations antérieures, fournissant même des

explications qui contredisaient directement ce qu’elle avait affirmé précédemment.

À la fin de l’enquête préliminaire et avant le début du procès, Graham et Hawkins

se sont mariés.

Résultat en première instance : suite à la requête présentée par la défense, le juge

du procès décida que Graham n’était pas contraignable ni habile à témoigner pour

la poursuite. Suite à cette décision, le ministère public n’a présenté aucune autre

preuve et un acquittement est survenu.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (six juges sur neuf), le très honorable juge en

chef Lamer ainsi que l’honorable juge Iacobucci mentionnèrent17

aux pages 1083

à 1086 :

« En l’espèce, aux fins de l’application du critère de la

nécessité, nous sommes convaincus que Graham ne

pouvait témoigner pour le compte du ministère public. Le

poursuivant ne pouvait assigner Graham à témoigner en

17

Après avoir réitéré que Graham n’était pas un témoin contraignable pour la poursuite. Toutefois, il est

bien spécifié que la situation pourrait être fort différente si la preuve, dans un autre dossier, établissait

clairement que le seul but du mariage était d’échapper à la responsabilité criminelle en rendant un témoin

principal non contraignable et que les partenaires n’avaient aucune intention de s’acquitter de leurs

obligations mutuelles de soins et de soutien (voir page 1074). Le lecteur a aussi intérêt à prendre

connaissance de l’article 4 LP.

Page 38: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

34

raison de la règle de l’inhabilité du conjoint à témoigner,

et il n’existait aucun autre moyen de présenter au tribunal

une preuve d’une valeur similaire.

Nous sommes convaincus qu’un témoignage recueilli à

une enquête préliminaire permettra généralement de

satisfaire à ce critère de seuil de fiabilité puisqu’il fournit

suffisamment de garanties de fiabilité. En effet, au cours

d’une enquête préliminaire, les questions en litige et les

parties seront exactement les mêmes qu’au procès. Les

dangers du ouï-dire associés au témoignage dans une telle

procédure décisionnelle sont minimes.

Pour ces motifs, nous sommes d’avis qu’un témoignage

enregistré lors d’une enquête préliminaire comporte

suffisamment de garanties de fiabilité pour permettre au

juge des faits d’en faire une utilisation quant au fond au

cours du procès. Les circonstances entourant ce

témoignage, tout particulièrement l’existence d’un

serment ou d’une affirmation et la possibilité de contre-

interrogatoire au moment de la déclaration, font plus que

contrebalancer l’impossibilité pour le juge des faits

d’observer le comportement du témoin en cour.

L’absence du témoin au procès influe sur le poids et non

sur l’admissibilité du témoignage ».18

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : la transcription sténographique du témoignage rendu

volontairement par une personne lors de l’enquête préliminaire (alors qu’elle

n’était pas mariée avec l’accusé) était admissible en preuve. L’appel fut rejeté et

l’ordonnance de nouveau procès fut maintenue.

18

Au surplus, la majorité détermina que le juge du procès n’aurait pas dû exercer son pouvoir

discrétionnaire d’exclure de la preuve le témoignage de Graham recueilli lors de l’enquête préliminaire car,

dans la pondération des considérations, le risque de préjudice indu découlant du témoignage de celle-ci

n’était pas beaucoup plus important que l’éventuelle valeur probante de cette preuve au procès.

Page 39: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

35

L’arrêt F. (W.J.)

Dans R. c. F.(W.J.), [1999] 3 R.C.S. 569, il s’agissait d’accusations d’agression

sexuelle sur une enfant de cinq ans. L’enfant raconta les agressions à ses père et

mère (ainsi qu’à une tante) et un récit détaillé de celles-ci (enregistré sur bande

magnétoscopique) avait été recueilli par la police. Au procès, l’enfant était âgée

de six ans. La poursuite procéda d’abord à l’enquête requise selon l’article 16 LP

et le juge décida que l’enfant était habile à témoigner en promettant de dire la

vérité. Par la suite, l’enfant19

rendit son témoignage derrière un écran (dans une

salle d’audience où le public était exclu) et une personne fut nommée pour

l’assister. Lorsque l’enfant témoigna, la poursuite eut beaucoup de difficultés à lui

faire établir les faits et, à un certain moment, l’enfant cessa complètement de

témoigner. Comme l’enfant n’avait pas confirmé (tel que requis par l’article 715.1

C. cr.) le contenu de l’enregistrement magnétoscopique, celui-ci ne fut pas admis

en preuve. Devant la situation, la poursuite demanda que les différentes

déclarations (incluant le récit sur bande magnétoscopique) soient admises en

preuve à titre d’exception. Lors du voir-dire sur le sujet, l’enfant était réellement

« figée » et il était clair qu’elle ne pouvait pas témoigner. Estimant que, pour

rencontrer le critère de la nécessité, la poursuite devait présenter une preuve

établissant pourquoi l’enfant n’était pas en mesure de témoigner le juge de

première instance fut d’opinion que les déclarations n’étaient pas admissibles en

preuve selon les principes établis dans l’arrêt Khan.

Résultat en première instance : Suite à la décision rendue, le ministère public n’a

présenté aucune autre preuve et un acquittement est survenu.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.

S’exprimant au nom de la majorité (quatre juges sur huit)20

, l’honorable juge

McLachlin (telle qu’elle était alors) mentionna d’abord à la page 588 :

« Par conséquent, il ne faut pas aborder la nécessité

comme si l’affaire devait entrer dans une catégorie

19

Comme le prévoit le législateur aux articles 486.1 et 486.2 C. cr. 20

Il convient de noter, qu’un juge partage entièrement les motifs de la majorité tout en tenant à ajouter, sans

pour autant être dissident, d’autres motifs.

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36

prédéterminée. Il s’agit de savoir si, d’après les faits dont

est saisi le juge du procès, la preuve directe n’est pas

disponible malgré le déploiement d’efforts raisonnables

pour l’obtenir. Les motifs de la nécessité peuvent varier

– allant de l’inhabilité totale à déposer aux conséquences

traumatisantes de la déposition pour le témoin.

Il n’y a aucune règle absolue qui oblige à présenter une

preuve sur la question de la nécessité. Lorsqu’il ressort

des circonstances dont il est saisi que l’enfant ne peut pas

témoigner utilement, le juge du procès peut conclure que

des déclarations extrajudiciaires sont « nécessaires » dans

le contexte de la règle, en l’absence de preuve ».

(Soulignés ajoutés)

Pour, par la suite, mentionner aux pages 593 et 594 :

« Je conclus que la nécessité requise peut être établie soit

en fonction de ce qui s’est passé au procès, soit en

fonction d’éléments de preuve. La preuve qui explique

pourquoi l’enfant ne témoigne pas en cour, bien qu’elle

soit souvent utile, n’est pas essentielle. Ce qui est

nécessaire, c’est que le juge du procès soit convaincu que

le témoignage n’est pas disponible malgré le déploiement

d’efforts raisonnables pour l’obtenir ».

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations de l’enfant étaient admissibles en preuve. L’appel

fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

L’arrêt Starr

Dans Starr c. R., [2000] 2 R.C.S. 144, il s’agissait d’accusations de meurtres. Les

deux victimes furent tuées par balles. Le soir des évènements, elles prirent de

l’alcool, avec Starr, dans un hôtel et les trois quittèrent l’hôtel ensemble. En

sortant de l’hôtel, les victimes se séparèrent de Starr et proposèrent à un couple de

les raccompagner. Lors d’un arrêt dans une station-service, une fréquentation

reconnue l’une des victimes et elle décida d’aller lui parler alors qu’il se trouvait

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37

toujours dans le véhicule. Lors de cet entretien, la fréquentation, d’une part,

devint en colère puis s’éloigna (car la victime était avec une autre femme et ne

voulait pas la ramener) et, d’autre part, remarqua la présence du véhicule

(découvert plus tard sur le lieu des meurtres) à bord duquel se trouvait Starr. La

victime sortit du véhicule et alla rejoindre la fréquentation dans une ruelle située à

proximité. Lors d’un nouvel entretien, la victime mentionna à la fréquentation

qu’il devait, moyennant rémunération, faire quelque chose avec Starr, quant à une

voiture, pour frauder l’assurance21

. Après avoir déposé le couple qu’ils

raccompagnaient, les victimes reprirent la route et leurs corps, sans vie, furent

découverts un peu plus tard. Lors de l’enquête, les policiers découvrirent des

cheveux de Starr du côté conducteur dans le véhicule trouvé à proximité du lieu

des meurtres ainsi que des reçus, au nom de Starr, pour l’achat de munitions

pouvant convenir à un pistolet comme celui ayant été utilisé en l’espèce pour

abattre les victimes. De plus, ils rencontrèrent le couple en question et leur

présentèrent des photos à différentes reprises. Dans le cadre de son témoignage, la

dame du couple mentionna que, lors de la deuxième visite, les policiers lui avait

présenté des photographies mais qu’elle se souvenait vaguement de la situation et

qu’elle ne croyait pas avoir identifié qui que ce soit sur celles-ci. Toutefois, elle

reconnue que lors de cette visite des policiers elle croyait avoir indiqué une photo

en affirmant que la personne sur celle-ci lui disait quelque chose sans expliquer

pourquoi et où elle avait vu cette personne. Dans la suite de son témoignage, la

poursuite ne lui a pas demandé si elle avait vu Starr la nuit des meurtres, elle n’a

jamais témoigné non plus qu’elle avait vu celui-ci et elle n’identifia aucunement

Starr en cour en spécifiant, néanmoins, que rien de ce qu’elle avait dit aux

policiers n’était faux. Les deux enquêteurs eux mentionnèrent que la dame du

couple avait reconnu, à une occasion en leur présence, Starr comme étant une

personne qui avait parlé à l’une des victimes lors de l’arrêt à la station-service22

.

De plus, selon un des enquêteurs, les deux membres du couple choisirent, lors

d’une des séances de présentation de photos, la même photo comme représentant

la personne aperçue à ladite station-service.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur neuf), l’honorable juge

Iacobucci mentionna d’abord, à la page 236, quant à l’exception des intentions

existantes :

21

Cette déclaration, malgré les objections de la défense, fut admise en preuve selon l’exception

traditionnelle des intentions existantes. 22

Cette déclaration, malgré les objections de la défense, fut également admise en preuve selon l’exception

relative à l’identification extrajudiciaire antérieure.

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38

« … trois raisons m’amènent à conclure que le juge du

procès a eu tort d’admettre la déclaration de Cook, à

Giesbrecht, en vertu de l’exception des intentions

existantes et de ne pas en délimiter l’utilisation par le jury

après l’avoir admise. Premièrement, la déclaration

n’offrait aucun signe de fiabilité étant donné qu’elle a été

faite dans des circonstances douteuses23

; deuxièmement,

le juge du procès n’a pas dit au jury que cette déclaration

était admissible pour établir les intentions de Cook

seulement et non celles de l’appelant; troisièmement,

même si son utilisation avait été délimitée correctement,

la preuve était plus préjudiciable que probante».

(Soulignés ajoutés)

Pour dire, par la suite, à la page 24324

:

« Jusqu’à maintenant, l’application par notre Cour de la

méthode fondée sur des principes en matière

d’admissibilité de la preuve par ouï-dire s’est limitée, en

pratique, à élargir la portée de l’admissibilité de la preuve

par ouï-dire au-delà des exceptions traditionnelles.

L’analyse et les observations de la Cour ont été axées sur

la nécessité d’accroître la souplesse des exceptions

existantes, et non pas particulièrement sur la nécessité de

réexaminer les exceptions elles-mêmes. Toutefois, la

présente affaire exige que nous examinions une exception

à la règle du ouï-dire et que nous nous prononcions sur sa

coexistence avec la méthode fondée sur des principes.

Comme je vais l’analyser davantage plus loin, dans la

mesure où il peut exister un conflit entre les diverses

exceptions25

et les exigences d’une analyse fondée sur des

principes, c’est cette dernière qui doit l’emporter ».

(Soulignés ajoutés)

23

Vu ce qui avait pris place entre Cook et Giesbrecht le même soir. 24

Constatant que l’arrimage entre les règles d’exception traditionnelles et celles découlant de la nouvelle

approche (ou de celles fondées sur les principes) posait des problèmes sérieux au niveau des tribunaux

inférieurs et faisait l’objet de critiques sévères de la part de nombreux auteurs de doctrine. 25

Dont l’abolition totale n’est pas la solution (voir page 247).

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39

Et conclure, sur le sujet, à la page 251 quant à la déclaration d’une des victimes à

la fréquentation :

« Pour à peu près les mêmes raisons que celles pour

lesquelles la déclaration ne remplit pas les conditions

d’admissibilité de l’exception des intentions existantes, je

conclus que la déclaration n’est pas non plus admissible

en vertu de la méthode fondée sur des principes.

Étant donné que j’ai conclu plus haut que la déclaration

de Cook a été faite dans des « circonstances douteuses »,

il s’ensuit que la déclaration n’était pas fiable. Il n’y a

pas non plus d’autres garanties circonstancielles de

fiabilité susceptible de rendre la déclaration fiable. Après

avoir conclu que la déclaration n’est pas fiable, il n’est

pas nécessaire de se demander si elle était nécessaire ».

(Soulignés ajoutés)

Par la suite, les propos suivants furent exprimés aux pages 253 à 255 :

« À cet égard, lorsque la fiabilité d’une déclaration est

examinée selon la méthode fondée sur des principes, il

importe d’établir une distinction entre le seuil de fiabilité

et la fiabilité absolue. Seul le seuil de fiabilité est

pertinent relativement à l’admissibilité : voir Hawkins,

précité, à la p.1084. Là encore, il ne convient pas, dans

les circonstances du présent pourvoi, de fournir une liste

détaillée des facteurs qui peuvent influer sur le seuil de

fiabilité. Toutefois, notre jurisprudence est utile dans une

certaine mesure à ce sujet. Le seuil de fiabilité ne

concerne pas la question de savoir si la déclaration est

véridique ou non; c’est une question de fiabilité absolue.

Il concerne plutôt la question de savoir si les

circonstances ayant entouré la déclaration elle-même

offrent des garanties circonstancielles de fiabilité.

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40

Autrement dit, il appartient au juge du procès de fixer le

seuil de fiabilité en s’assurant que, malgré l’absence du

déclarant pour fins de contre-interrogatoire, la déclaration

comporte suffisamment d’éléments de fiabilité pour être

soumise à l’appréciation du juge des faits.

À l’étape de l’admissibilité de la preuve par ouï-dire, le

juge du procès ne devrait pas tenir compte de la

réputation générale de sincérité du déclarant, ni d’aucune

déclaration antérieure ou ultérieure, compatible ou

incompatible. Ces facteurs n’ont pas trait aux

circonstances de la déclaration elle-même. De même je

ne tiendrais pas compte de la présence d’une preuve

corroborante ou contradictoire26

.

En résumé, en vertu de la méthode fondée sur des

principes, le tribunal ne doit pas empiéter sur la

compétence du juge de faits ni subordonner

l’admissibilité de la preuve par ouï-dire à la question de

savoir si la preuve est absolument fiable. Il devra

cependant examiner si les circonstances ayant entouré la

déclaration confèrent suffisamment de crédibilité pour

pouvoir conclure que le seuil de fiabilité est atteint ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Quant à l’exception relative à l’identification extrajudiciaire antérieure,

l’honorable juge Iacobucci mentionna aux pages 258 et 259 :

« Comme le juge Doherty l’a souligné dans l’arrêt Tat, la

preuve qui explique pourquoi le témoin auteur de

l’identification a identifié l’accusé doit émaner du témoin

auteur de l’identification lui-même.

26

Ce propos de l’honorable juge Iacobucci, déclencha de nombreuses critiques dans la doctrine et créa de

l’incertitude ainsi que de la confusion dans la jurisprudence des cours inférieures qui étaient liées selon le

principe de la stare decisis. En effet, à la lumière de ce propos, la considération de la preuve extrinsèque à

la déclaration devenait interdite puisque seulement la preuve intrinsèque (le contexte) devait dorénavant

être analysée, dans le voir-dire, afin de déterminer si la déclaration était fiable et permettre son admissibilité

à titre d’exception.

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41

Je suis d’avis que le témoignage des policiers était tout

aussi inadmissible selon la méthode fondée sur des

principes. D’abord, le ouï-dire des policiers n’était tout

simplement pas nécessaire27

.

En outre, il y a de solides indices que l’identification faite

par Cheryl Ball n’était pas fiable même si l’on accepte le

témoignage des agents Madden et MacLeod voulant que

Ball leur ait dit qu’elle avait vu un homme, dans une

automobile, parler à Cook à la station-service ».

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : autant les déclarations d’une des victimes à la fréquentation que

celles du couple aux policiers n’étaient pas admissibles en preuve. L’appel fut

accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

L’arrêt Parrott

Dans R. c. Parrott, [2001] 1 R.C.S. 178, il s’agissait d’accusations d’enlèvement,

d’agression sexuelle et de voies de fait causant des lésions corporelles sur une

femme adulte souffrant du syndrome de Down. La victime fut retrouvée en

présence de l’accusé et, dès ce moment, elle fit des déclarations à la police puis au

médecin qui l’examina. Les policiers procédèrent aussi, en présence de deux

infirmières qui la connaissaient et s’étaient déjà occupées d’elle, à un

interrogatoire de la victime (d’une durée de quinze minutes et enregistré sur bande

vidéo). Lors du voir-dire, la poursuite informa le juge, strictement via une preuve

d’experts, que la victime avait un développement mental équivalent à celui d’un

enfant de trois ou quatre ans et que sa mémoire des faits était faible ce que celui-ci

n’a jamais pu vérifier28

. Le juge de première instance, malgré les objections de la

défense, s’en remit (bien qu’aucune preuve quant à la possibilité que le fait d’avoir

27

La dame avait témoigné au procès et aurait pu, si la poursuite avait adopté cette stratégie, fournir une

preuve originale sur le sujet. 28

Car la poursuite, sous prétexte qu’à la lumière de son état la victime était incapable de communiquer les

faits au sens de l’article 16 LP, n’a jamais fait entendre celle-ci.

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42

à rendre témoignage puisse causer un traumatisme à la victime où lui porter

préjudice) complètement à l’opinion d’un des experts et admit les différentes

déclarations en preuve (incluant celle sur bande vidéo).

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur les chefs

d’enlèvement et de voies de fait causant des lésions corporelles.

Résultat en appel : l’appel sur le chef d’enlèvement fut rejeté en raison du

proviso curatif. L’appel fut accueilli sur le chef de voies de fait causant des

lésions corporelles et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (quatre juges sur sept), l’honorable juge

Binnie29

mentionna d’abord à la page 210 :

« L’admission du ouï-dire ne devient nécessaire que si le

témoignage direct du plaignant n’est pas disponible. La

question porte, faut-il le répéter, sur la disponibilité du

témoignage, et non sur celle de la plaignante elle-

même ».

(Soulignés ajoutés)

Pour dire, par la suite, aux pages 211 et 212 :

« En l’espèce, les déclarations extrajudiciaires de la

plaignante, même si elles ne peuvent apporter qu’une aide

limitée, auraient probablement satisfait au critère de la

fiabilité du fait de l’existence de plusieurs garanties

circonstancielles de fiabilité, y compris l’absence de

possibilité réelle d’erreur sur l’identité, l’absence de tout

motif perceptible de mentir et peut-être l’absence de

capacité mentale suffisante pour tenter de le faire. Il reste

toujours la question de la capacité de la plaignante de

percevoir exactement, de se rappeler et de relater

fidèlement. La preuve d’expert était utile dans une

certaine mesure à cet égard, Il ne faut pas oublier que la

fonction de contrôleur du juge du procès lors du voir-dire

consiste uniquement à appliquer le critère préliminaire

29

Après avoir mentionné que le témoignage de l’expert, retenu par le juge de première instance, était

inadmissible. En effet, il fallait qu’au moment où cet expert (ainsi que les autres) rendait témoignage il soit

déjà établi que cette preuve, comme telle, était nécessaire. Sinon, les experts usurperaient des

responsabilités qui sont de la province des juges (voir l’arrêt Mohan, précité).

Page 47: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

43

pour l’admissibilité. C’est au juge des faits qu’il

appartient de déterminer si la preuve doit finalement être

acceptée comme fiable. J’accepte la conclusion du juge

du procès au sujet de la fiabilité ».

(Soulignés ajoutés)

Et mentionner, quant à la nécessité, aux pages 213 et 214 :

« À mon avis, si le témoin est physiquement disponible et

que rien n’indique qu’il sera traumatisé par le fait de

témoigner, sa déposition ne devra généralement pas être

court-circuitée par du ouï-dire avant que le juge du procès

n’ait d’abord eu l’occasion de l’entendre et de se faire une

idée sur sa capacité à témoigner. Je dis généralement

parce que, dans des circonstances exceptionnelles, il se

peut qu’un témoin disponible ne soit pas assigné et que

les déclarations extrajudiciaires soient quand même

admises en preuve…. En l’espèce, les parties n’ont

invoqué aucune circonstance susceptible de justifier une

telle procédure exceptionnelle ».

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations n’étaient pas admissibles en preuve. L’appel sur le

chef de voies de fait causant des lésions corporelles fut rejeté et l’ordonnance de

nouveau procès sur ledit chef fut maintenue.

L’arrêt Mapara

Dans R. c. Mapara, [2005] 1 R.C.S. 358, il s’agissait d’une accusation de meurtre

impliquant cinq personnes. Mapara (qui avait attiré la victime sur le lieu de

l’exécution, un terrain lui appartenant) et Chow (qui avait financé le meurtre et la

fuite) subirent leur procès conjointement. L’élément au cœur du litige était le

témoignage de Binahmad (qui avait conduit le véhicule utilisé pour la fuite)30

à

l’effet que Wasfi (qui avait organisé le meurtre) lui avait dit que Mapara avait un

travail pour eux. La preuve de la poursuite était complétée par de l’écoute

électronique.

30

Lequel fut admis en preuve.

Page 48: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

44

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

S’exprimant au nom de cinq juges sur sept (les deux autres arrivant à la même

conclusion mais pour d’autres motifs), la très honorable juge en chef McLachlin

mentionna d’abord aux pages 366 et 367 :

« Il convient d’appliquer le cadre d’analyse suivant, tiré

de Starr, pour déterminer l’admissibilité de la preuve par

ouï-dire :

a) La preuve par ouï-dire est présumée inadmissible à

moins de relever d’une exception à la règle du ouï-

dire. Les exceptions traditionnelles continuent

présomptivement de s’appliquer.

b) Il est possible de contester une exception à l’exclusion

du ouï-dire au motif qu’elle ne présenterait pas les

indices de nécessité et de fiabilité requis par la

méthode d’analyse raisonnée. On peut la modifier au

besoin pour la rendre conforme à ces exigences.

c) Dans de « rares cas », la preuve relevant d’une

exception existante peut être exclue parce que, dans

les circonstances particulières de l’espèce, elle ne

présente pas les indices de nécessité et de fiabilité

requis.

d) Si la preuve par ouï-dire ne relève pas d’une exception

à la règle d’exclusion, elle peut tout de même être

admissible si l’existence d’indices de fiabilité et de

nécessité est établie lors d’un voir-dire

L’admissibilité de la preuve est déterminée en fonction

d’un « seuil de fiabilité » établi par des indicateurs

circonstanciels de fiabilité. La question de la « fiabilité

ultime » relève du juge des faits, en l’occurrence le jury

Page 49: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

45

Le critère de la nécessité pose peu de difficultés. Comme

il est mentionné dans Chang, [TRADUCTION] « la

nécessité résultera de l’effet conjugué de la non-

contraignabilité d’un coaccusé auteur de la déclaration, de

l’inopportunité du juger séparément les co-conspirateurs

présumés et de la valeur probante de déclarations

concomitantes faites en vue d’un complot reproché» ».

(Soulignés ajoutés)

Pour dire, par la suite, à la page 369 :

« La méthode Carter permet au jury de prendre en

considération une déclaration relatée faite par un

coconspirateur en vue du complot seulement après avoir

conclu : (1) que le complot a eu lieu hors de tout doute

raisonnable; (2) que l’accusé y a probablement participé

vu uniquement la preuve directe retenue contre lui ».

Et, enfin, aux pages 371 et 372 :

« En somme, les conditions posées par la règle Carter

fournissent les garanties circonstancielles de fiabilité

nécessaires pour permettre l’admission de la preuve.

Cette conclusion est sensée sur le plan pratique.

Premièrement, la règle ne cause pas d’injustice aux

accusés. Des indices de fiabilité existent.

Deuxièmement, la règle permet au ministère public

d’intenter des poursuites efficaces dans les cas de

complots criminels. Il deviendrait difficile, voire souvent

impossible, d’obtenir la preuve d’un complot criminel

sans la possibilité d’utiliser contre chacun les déclarations

des co-conspirateurs sur les propos échangés en vue du

complot, dans les cas où elles constituent du double ouï-

dire.

Enfin, modifier la règle Carter augmenterait les délais et

les difficultés d’ordre procédural lors de l’instruction.

Toute interprétation qui exige que le juge du procès

Page 50: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

46

examine attentivement la nécessité et la fiabilité de

certains éléments de preuve par ouï-dire pour décider de

leur admissibilité compromettrait l’efficacité des

catégories traditionnelles d’exceptions à la règle du ouï-

dire et augmenterait le nombre de voir-dire.

L’appelant nous demande de rendre la règle Carter

inapplicable à la preuve par double ouï-dire. Or, agir

ainsi reviendrait à dire qu’il faut rejeter toute preuve par

ouï-dire, même si elle relève d’une exception reconnue,

dans les cas où l’élément de preuve considéré ne répond

pas aux préoccupations en matière de nécessité et de

fiabilité. Cela suppose une vérification au cas par cas

qui s’apparente davantage au questionnement sur la

fiabilité ultime relevant du jury qu’au questionnement

sur le seuil de fiabilité pertinent quant à

l’admissibilité.

Je conclus que l’exception relative aux co-conspirateurs

satisfait aux exigences de la méthode d’analyse raisonnée

de la règle du ouï-dire et qu’il y a donc lieu de la

confirmer ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations et le témoignage du co-conspirateur étaient

admissibles en preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut

maintenue.

L’arrêt Khelawon

Dans R. c. Khelawon, [2006] 2 R.C.S. 787, il s’agissait d’accusations de voies de

fait graves et de menaces de mort (à l’endroit d’une victime, Skupien), de voies de

fait graves et d’agressions armées (à l’endroit d’une victime) et d’agressions

causant des lésions corporelles (à l’endroit de trois victimes) sur des personnes

âgées résidant dans une maison de retraite ou l’accusé était le directeur et sa mère

la propriétaire. Différentes déclarations furent faites par la victime Skupien (une à

une cuisinière (congédiée par Khelawon), une à un médecin et une à la police

(enregistrée sur bande vidéo) sans qu’elle soit faite sous serment mais en lui

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47

demandant s’il comprenait qu’il était très important de dire la vérité et que, s’il

mentait, des accusations en ce sens pourraient être portées contre lui (ce quoi, il

avait répondu par l’affirmative). Dans le cadre de l’enquête, les policiers obtinrent

des déclarations (enregistrées sur bande vidéo) de trois autres plaignants ainsi que

la déclaration (enregistrée sur bande vidéo) du fils du dernier plaignant avec qui il

avait été impossible de communiquer. De plus, les dossiers médicaux des victimes

(et quant à Skupien ceux-ci faisaient référence à des diagnostics répétés de

paranoïa et de démence ainsi que des blessures suite à des chutes découlant de

fatigue et d’étourdissements) et un journal contenant des notes du personnel

infirmier sur celles-ci furent obtenus par saisie. Un seul plaignant avait témoigné

à l’enquête préliminaire et ce n’était pas Skupien. Au moment du procès, quatre

des cinq plaignants (dont Skupien) étaient décédés (de causes non liées aux

agressions) et le cinquième n’était plus habile à témoigner. Une psychiatre

gériatrique fut autorisée à présenter, lors du voir-dire, un témoignage d’opinion sur

la capacité de deux des plaignants (dont Skupien) de comprendre l’importance de

dire la vérité et de communiquer les faits31

. Le juge, à titre préliminaire, conclu

que les quatre plaignants ayant fait des déclarations enregistrées sur bande vidéo

avaient, au moment de celles-ci, la capacité requise au sens de l’article 16 LP. Par

la suite, le juge statua que seulement certaines des déclarations enregistrées sur

bande vidéo (dont celles de Skupien) satisfaisaient aux exigences de la nécessité et

du seuil de fiabilité32

.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité sur certains chefs (dont

ceux de voies de fait graves et de menaces de mort à l’endroit de Skupien et

déclaration de culpabilité quant aux chefs d’agression causant des lésions

corporelles et d’agression armée sur une autre victime. Acquittement sur tous les

autres chefs.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et des acquittements furent prononcés sur

tous les chefs.

Rendant le jugement de la Cour (sept juges), l’honorable juge Charron mentionna

d’abord à la page 797 :

« Aucune des déclarations n’était visée par quelque

exception traditionnelle à la règle du ouï-dire ».

31

Cette opinion étant basée sur son examen des déclarations enregistrées sur bande vidéo et des dossiers

médicaux. 32

Considérant, essentiellement, les similitudes frappantes entre les différentes déclarations enregistrées.

Page 52: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

48

Pour dire, par la suite, à la page 813 :

« Toutefois, compte tenu de la mise en garde du juge en

chef Lamer contre une « analyse rigide de

catégories » j’estime que ni l’arrêt B. (K.G.) ni l’arrêt U.

(F.J.) ne devraient être interprétés comme créant des

catégories d’exceptions – fondées sur des critères fixes –

à la règle interdisant le ouï-dire. … De plus, interpréter

ces arrêts comme créant de nouvelles catégories

d’exceptions ne serait pas conforme à la méthode souple

d’analyse raisonnée applicable cas par cas. Nous nous

trouverions simplement à remplacer la série d’exceptions

traditionnelles par une nouvelle série moins sclérosée

(pour l’instant). Au lieu d’établir des catégories fixes, ces

arrêts donnent plutôt des indications sur l’application cas

par cas de la méthode d’analyse raisonnée en décrivant

les préoccupations pertinentes et les facteurs à considérer

pour déterminer l’admissibilité.

Puisque les questions soulevées dans le présent pourvoi

concernent l’appréciation de la fiabilité, mon analyse

portera sur ce critère. Toutefois, comme je l’expliquerai,

la nécessité et la fiabilité ne devraient pas être examinées

séparément. Un critère peut influer sur l’autre ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Et, poursuivre, aux pages 816 à 818 :

« Comme nous l’avons vu, le juge du procès décide

uniquement si la preuve par ouï-dire est admissible. Il

appartient au juge des faits de décider, à l’issue du procès,

s’il s’en remettra, en fin de compte, à la déclaration

relatée pour trancher les questions en litige, après l’avoir

examinée en fonction de l’ensemble de la preuve. Au

stade de l’admissibilité, il importe de ne pas empiéter

sur la compétence du juge des faits. Si le procès a lieu

devant un juge et un jury, il est essentiel que les questions

de fiabilité en dernière analyse soient laissées au jury –

dans un procès criminel, c’est un impératif

Page 53: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

49

constitutionnel. Si le juge siège sans jury, il importe tout

autant qu’il ne préjuge pas de la fiabilité en dernière

analyse de la preuve avant d’avoir entendu l’ensemble de

la preuve au dossier. Il faut donc établir une distinction

entre « fiabilité en dernière analyse » et « seuil de

fiabilité ». Lors d’un voir-dire portant sur l’admissibilité,

l’examen se limite au seuil de fiabilité.

L’affirmation de la Cour selon laquelle « le seuil de

fiabilité ne concerne pas la question de savoir si la

déclaration est véridique ou non » a créé une certaine

incertitude. Même s’il est évident que le juge du procès

ne décide pas si la déclaration sera tenue pour véridique

en définitive, il n’est pas aussi évident que, dans toute

affaire, le seuil de fiabilité ne concerne pas la question de

savoir si la déclaration est véridique ou non.

De plus, il n’est pas facile de discerner ce qui est et ce qui

n’est pas une circonstance « ayant entouré la déclaration

elle-même ».

La confusion qui règne dans ce domaine du droit tient en

grande partie à cette tentative de classer certains facteurs

comme touchant uniquement la fiabilité en dernière

analyse. Un autre exemple est l’interdiction de tenir

compte d’une « preuve corroborante ou contradictoire »

parce qu’elle n’est pertinente qu’en ce qui concerne la

question de la fiabilité en dernière analyse. De toute

évidence, la nature corroborante de la tache de sperme,

dans l’affaire Khan, a joué un rôle important dans

l’établissement du seuil de fiabilité de la déclaration

relatée par l’enfant.

Cette partie de l’analyse de l’arrêt Starr a donc besoin

d’être clarifiée et, à certains égards, d’être

reconsidérée. J’expliquerai comment les facteurs à

considérer lors de l’examen de l’admissibilité ne peuvent

Page 54: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

50

pas toujours être classés comme ayant trait soit au seuil

de fiabilité, soit à la fiabilité en dernière analyse. La

pertinence d’un facteur dépendra plutôt des dangers

particuliers découlant du fait que la déclaration constitue

du ouï-dire, et des moyens possibles, s’il en est, de les

écarter ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Pour conclure, suite à la revue de certaines décisions antérieures de la Cour, de la

façon suivante aux pages 836 et 837 :

« Comme le révèle, je l’espère, l’analyse qui précède, la

question de savoir si certains facteurs toucheront

uniquement la fiabilité en dernière analyse dépendra du

contexte. Partant, certains des commentaires formulés

aux paragraphes 215 à 217 de l’arrêt Starr ne

devraient plus être suivis. Les facteurs pertinents ne

doivent plus être rangés dans des catégories de seuil de

fiabilité et de fiabilité en dernière analyse. Le tribunal

devrait plutôt adopter une approche plus fonctionnelle,

comme nous l’avons vu précédemment, et se concentrer

sur les dangers particuliers que comporte la preuve par

ouï-dire qu’on cherche à présenter, de même que sur les

caractéristiques ou circonstances que la partie qui veut

présenter la preuve invoque pour écarter ces dangers. De

plus, le juge du procès doit demeurer conscient du rôle

limité qu’il joue lorsqu’il se prononce sur l’admissibilité

– il est essentiel pour assurer l’intégrité du processus de

constatation des faits que la question de la fiabilité en

dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir-dire

portant sur l’admissibilité »33

.

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations enregistrées de Skupien ne rencontraient pas

l’exigence demandée en matière de fiabilité et n’étaient pas admissibles en preuve.

L’appel fut rejeté et les acquittements maintenus.

33

Et, par ce propos, la Cour Suprême corrigea ainsi le tir quant à la preuve corroborante ou contradictoire.

À l’avenir, celle-ci pouvait donc, selon la méthode fondée sur les principes, être prise en considération (en

ce qui concerne le volet fiabilité) dans le cadre du voir-dire visant à déterminer l’admissibilité d’une

déclaration.

Page 55: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

51

L’arrêt Couture

Dans R. c. Couture, [2007] 2 R.C.S. 517, il s’agissait d’accusations de meurtres.

La preuve de la poursuite reposait, en partie, sur deux déclarations extrajudiciaires

faites par la conjointe de droit de l’accusé aux policiers34

. Dans la première

déclaration (non assermentée bien qu’enregistrée sur magnétophone), la conjointe

révélait que, bien avant d’épouser Couture, elle avait été, pendant l’incarcération

de celui-ci pour des infractions non liées aux meurtres, sa conseillère chrétienne

bénévole et que Couture, dans ce contexte, lui avait révélé avoir tué les deux

victimes. Dans la deuxième déclaration (non assermentée bien qu’enregistrée sur

bande vidéo), la conjointe tenta d’atténuer les propos tenus lors de la première

déclaration. À l’époque où la dame avait fait les déclarations, elle était mariée

avec Couture mais, suite à de la violence conjugale, elle avait quitté celui-ci. Peu

de temps après les déclarations, les parties s’étaient réconciliées et, au moment du

procès, les parties faisaient, de nouveau, vie commune et le mariage était valide.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur neuf), l’honorable juge Charron

mentionna d’abord à la page 554 :

« Lorsqu’on examine la question de l’inhabilité du

conjoint à témoigner, les circonstances entourant la

constitution de la preuve sont pertinentes – même si la

règle est de nature testimoniale et ne fait qu’empêcher

qu’une personne témoigne contre son conjoint accusé, ses

fondements, et plus particulièrement le souci de préserver

l’harmonie conjugale, débordent forcément le cadre du

procès lui-même. L’incidence de l’admission de la

preuve sur le procès lui-même est également pertinente,

surtout en ce qui concerne le deuxième fondement de la

règle – le souci d’empêcher l’indignité d’avoir à forcer le

conjoint d’une personne accusée à participer aux

poursuites dirigées contre elle ».

(Soulignés ajoutés)

34

Qui, dans une certaine mesure, selon la juge de première instance, étaient corroborées par trois témoins.

Page 56: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

52

Et, par la suite, aux pages 560 à 56235

:

« La juge du procès a eu tort de conclure que les trois

témoins en cause ont fourni une preuve corroborante.

Chacun d’eux a témoigné, à divers degrés, s’être fait dire

par Darlene que David Couture lui avait révélé des

renseignements sur les meurtres. Il ne s’agit absolument

pas de corroboration. Une preuve indépendante qui

atteste la véracité d’une affirmation est une preuve

corroborante. Le fait que Darlene ait pu révéler des

renseignements semblables à d’autres personnes ne

constitue pas une preuve indépendante et n’atteste pas la

véracité de ses affirmations concernant l’implication de

David Couture dans les meurtres.

En deuxième lieu, la juge du procès n’a pas appliqué le

bon critère. Comme nous l’avons vu, le juge du procès

doit, au départ, considérer que les déclarations sont

présumées inadmissibles, puis se mettre à la recherche

d’indices de fiabilité permettant de surmonter la règle de

l’exclusion générale. La juge du procès a inversé le

fardeau de la preuve».

(Soulignés ajoutés)

Également, sur le même sujet, l’honorable juge Charron ajouta à la page 564 :

« Vu l’impossibilité de contre-interroger Darlene

Couture, j’estime que rien ne permettrait à un tribunal de

conclure, en l’espèce, à l’existence d’autres moyens

adéquats de vérifier la véracité et l’exactitude de ses

déclarations »36

.

(Soulignés ajoutés)

35

Après avoir signalé, primo, que les déclarations de la conjointe étaient du ouï-dire ; secundo, que lesdites

déclarations ne faisaient pas partie des exceptions traditionnelles et, tertio, que la nécessité avait été établie

en l’espèce par la poursuite. 36

Qu’il faut, au surplus, prendre dans le contexte où elles sont survenues c’est-à-dire suite à une rupture de

la vie de couple qui découlait de mauvais traitements physiques.

Page 57: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

53

Enfin, quant à l’inhabilité du conjoint à témoigner, l’honorable juge Charron (qui

fut ultimement d’opinion que l’application de la méthode d’analyse raisonnée

porterait atteinte à la règle sur le sujet) conclut de la façon suivante à la page

56537

:

« À mon avis, c’est dans le cadre de l’analyse de cette

règle que la présente espèce doit être distinguée de

l’affaire Hawkins. Dans Hawkins, le témoignage avait

été donné et le contre-interrogatoire mené avant le

mariage – le simple dépôt de la transcription ne soulevait

donc pas la question de l’inhabilité du conjoint à

témoigner. La situation est différente en l’espèce. La

perspective du témoignage de Darlene Couture au procès

soulève plusieurs questions quant à savoir si l’admission

de la preuve irait à l’encontre de la règle de l’inhabilité du

conjoint à témoigner et de ses fondements.

Il est indubitable que le conjoint est habile à témoigner, et

vraisemblablement contraignable, pour la défense; le fait

que l’accusé cite son conjoint comme témoin ne viole

donc pas, en soi, la règle de l’inhabilité du conjoint à

témoigner. En l’espèce, cependant, il incombe au

ministère public d’établir qu’il existe d’autres moyens

adéquats de vérifier la preuve par ouï-dire ou qu’elle est

par ailleurs suffisamment fiable. À mon avis, en raison

des exigences de la règle de l’inhabilité du conjoint à

témoigner, le ministère public ne peut, pour s’acquitter de

son fardeau d’établir l’admissibilité, s’appuyer sur le droit

de l’accusé de contre-interroger son conjoint comme son

propre témoin. Pour vérifier convenablement la preuve

déposée contre lui, l’accusé se verrait obligé de citer son

conjoint comme témoin, puis de le confronter en contre-

interrogatoire, pour finalement risquer d’être déclaré

coupable sur la foi de son témoignage. Cette façon de

procéder irait manifestement à l’encontre des fondements

de la règle de l’inhabilité du conjoint à témoigner et ne

saurait être admise par notre Cour »38

.

(Soulignés ajoutés)

37

Vu l’argument présenté à cet égard par le ministère public. 38

Au surplus, par cette façon de faire l’admissibilité de la preuve deviendrait vraisemblablement la règle

plutôt que l’exception.

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54

Résultat final : les déclarations de la conjointe de droit n’étaient pas admissibles

en preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance d’un nouveau procès fut maintenue.

L’arrêt Devine

Dans R. c. Devine, [2008] 2 R.C.S. 283, il s’agissait d’accusations de vol qualifié

et de voies de fait causant des lésions corporelles dans le cadre de deux

évènements distincts. Le plaignant et sa compagne, qui avait été témoins du

premier incident, ont tous deux refusé de faire une déclaration à la police après le

vol qualifié. Cependant, à la suite de la deuxième agression, ils ont chacun fait une

déclaration à la police dans laquelle ils ont identifié l’accusé comme étant

l’agresseur lors des deux évènements. Avant sa déclaration (enregistrée sur bande

audio et vidéo), la conjointe du plaignant avait été rencontrée par un policier qui

lui avait expliqué la gravité de la déclaration ainsi que les conséquences

éventuelles d’une fausse déclaration et, de plus, il lui avait fait prêter une forme de

serment. Quant à la victime, qui avait aussi reçu la mise en garde d’usage, sa

déclaration n’avait pas été enregistrée sur bande vidéo. Au procès, la victime et sa

compagne sont revenues sur leur identification de l’accusé. En plus, la conjointe

du plaignant a affirmé, durant son témoignage, que l’identification faite dans sa

déclaration était fondée sur de l’information obtenue par d’autres personnes. Le

ministère public a donc demandé l’autorisation de mettre en preuve la déclaration

faite à la police par celle-ci.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité quant aux chefs relatifs

au premier événement et acquittement quant au chef relatif au second événement.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

Rendant le jugement de la Cour (sept juges), l’honorable juge Charron, après avoir

réitéré les principes énoncés dans les arrêts B. (K.G.), Khelawon et Couture,

précités, mentionna aux pages 290 et 291 :

« La déclaration de Mme Pawliw ne relève d’aucune

exception traditionnelle à la règle du ouï-dire.

Tous concèdent que le critère de la nécessité est rempli. »

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55

Et, par la suite, à la page 296 :

« En l’espèce, bien que, lors du procès, Mme Pawliw ait

rétracté son identification de M. Devine, il existait une

possibilité réelle de vérifier son témoignage en la contre-

interrogeant. Madame Pawliw a affirmé sous serment

qu’elle était consciente de la gravité de sa déclaration au

moment où elle l’avait faite et qu’elle s’était efforcée de

dire la vérité. Le juge du procès a été en mesure

d’évaluer le comportement du témoin et a fait un

compte-rendu détaillé de son attitude évasive et de sa

réticence à identifier M. Devine dans la salle

d’audience.

Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion du juge

du procès à cet égard.

Puisque j’ai conclu qu’il y a un fondement suffisant pour

apprécier la véracité et l’exactitude de la déclaration, il

n’est pas nécessaire de vérifier davantage si elle est

susceptible d’être véridique. L’examen des autres indices

de fiabilité plaidés par M. Devine ne sera requis que pour

l’évaluation de la fiabilité ultime de la déclaration.

Même lorsqu’il a été satisfait aux critères de la nécessité

et de la fiabilité, une question peut subsister dans

certaines situations, soit celle de savoir si le juge du

procès devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de

refuser d’admettre la déclaration au motif que son effet

préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : la déclaration de la conjointe du plaignant était admissible en

preuve. L’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

Page 60: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

56

L’arrêt Blackman

Dans R. c. Blackman, [2008] 2 R.C.S. 298, il s’agissait d’une accusation de

meurtre où l’admissibilité de déclarations ayant pris place entre la victime

(quelques semaines avant sa mort) et sa mère devait être déterminée. La poursuite

tentait, avec celles-ci, d’établir que le meurtre était survenu en représailles d’un

évènement antérieur ayant pris place entre Blackman et la victime. Pour soutenir

le lien allégué, la poursuite s’appuyait d’abord sur des conversations téléphoniques

que la victime avait eues avec sa mère au cours desquelles il avait mentionné,

entre autres, qu’il avait, dans le passé, agressé au couteau un homme (qu’il n’avait

pas identifié à celle-ci) relativement à une dette de billard et, de plus, qu’il avait

récemment été l’objet d’un attentat manqué, par arme à feu, commis par un

homme (qu’il n’avait pas identifié non plus à sa mère) lequel lui avait laissé des

blessures superficielles. Lorsque sa mère lui avait demandé pourquoi il ne

dénonçait par son agresseur, la victime lui avait dit que l’homme qu’il avait

poignardé ne l’avait pas dénoncé alors il ne le dénoncerait pas non plus. Bien que

la mère de la victime était disponible pour témoigner au procès, la poursuite et la

défense acceptèrent, lors du voir-dire relatif à l’admissibilité des déclarations (vu

les incohérences constatées dans les déclarations rapportées par celle-ci), de s’en

tenir à une déclaration enregistrée sur bande magnétoscopique que la mère avait

fait à la police (et où elle faisait état de l’entretien téléphonique survenu avec son

fils suite au premier attentat manqué) et à la transcription de son témoignage lors

du voir-dire tenu dans le cadre de l’enquête préliminaire. De plus, la poursuite fit

entendre un expert en armes à feu qui, suite à la comparaison des douilles trouvées

sur les lieux du crime avec celles trouvées sur les lieux de l’attentat antérieur,

conclut que les différentes douilles provenaient de la même arme à feu. Enfin, la

poursuite présenta une preuve à l’effet que Blackman avait, dans une période

contemporaine à celle rapportée par la mère de la victime, été victime d’une

agression par couteau. L’accusé, pour sa part, choisit de ne pas témoigner lors de

son procès.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

Rendant le jugement de la Cour (neuf juges), l’honorable juge Charron

mentionna39

d’abord ce qui suit aux pages 313 et 314 :

39

Après avoir conclu que le juge de première instance avait eu raison, de façon préliminaire sous l’angle de

la pertinence, en admettant, suite au voir-dire, l’admissibilité des déclarations.

Page 61: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

57

« Or, il est incontesté que la preuve proposée ne relève

d’aucune des exceptions traditionnelles à la règle du ouï-

dire ...

Il ne fait pas de doute en l'espèce que le critère de la

nécessité est rempli ».

Pour dire, par la suite, aux pages 315 et 316 :

« Il importe que le juge siégeant en première instance

parte du principe que les déclarations relatées sont

présumées inadmissibles et que par la suite il cherche des

indices de fiabilité suffisants pour écarter la règle

d'exclusion générale. Autrement, il risque de commettre

une erreur en inversant le fardeau de la preuve… Certes,

les remarques selon lesquelles rien dans les déclarations

n'est "intrinsèquement non fiable" posent problème, mais,

si elles sont interprétées dans leur contexte, les

préoccupations qu'elles soulèvent sont suffisamment

atténuées. Il ressort du dossier que le juge du procès

mettait en contraste les circonstances dans lesquelles les

déclarations ont été faites à Mme Freckleton avec celles

dont il était question dans une décision qu'il avait rendue

plus tôt le même jour, où il a conclu qu'une autre

déclaration relatée était inadmissible en raison de la

présence de [TRADUCTION] "nombreux indices

témoignant de sa non-fiabilité". De plus, et contrairement

à la situation dans Couture, il ressort de l'ensemble de la

décision que le juge du procès s'est appuyé sur des

facteurs pertinents pour admettre les déclarations. Je suis

donc convaincue qu'il a appliqué le bon critère. »

(Soulignés ajoutés)

Et, par la suite, aux pages 317 et 318 quant aux allégations de fabrication :

« Le fait que le déclarant ait ou non un motif pour mentir

est sans aucun doute une considération pertinente pour

déterminer si les circonstances des déclarations sont

suffisamment rassurantes quant à leur véracité et leur

exactitude pour que celles-ci soient admises. Il importe

toutefois de ne pas perdre de vue que l'existence d'un

Page 62: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

58

motif n'est qu'un des facteurs à considérer dans la

détermination du seuil de fiabilité, quoique, selon les

circonstances, il puisse être important. Lors de l'examen

de l'admissibilité, il faut dans tous les cas se concentrer

non pas sur la présence ou l'absence de motif, mais sur les

dangers particuliers que présente la preuve par ouï-dire. »

(Soulignés ajoutés)

Pour mentionner enfin aux pages 323 et 324 sur la question de la corroboration :

« Avant de terminer, j’aimerais dire quelques mots en

réponses aux observations qui nous ont été soumises

pendant l’audience sur la question de la corroboration.

Les deux avocats ont soutenu que l’examen du seuil de

fiabilité pendant le procès aurait très bien pu donner des

résultats différents à la lumière des précisions apportées

ultérieurement dans Khelawon sur la façon de tenir

compte d’une preuve corroborante ou contradictoire lors

du voir-dire sur l’admissibilité.

Je tiens à souligner que Khelawon n’a pas élargi la portée

de l’examen de l’admissibilité ; il n’a fait que le mettre au

point. La Cour a statué que les facteurs pertinents à

considérer lors du voir-dire sur l’admissibilité ne

devraient plus être rangés dans la catégorie du seuil de

fiabilité ou celle de la fiabilité ultime. Elle a plutôt

déclaré qu’il y avait lieu d’adopter une approche

fonctionnelle.

La Cour a donc précisé que, lorsque les circonstances s’y

prêtent, il est possible de prendre en compte un élément

de preuve corroborant pour apprécier le seuil de fiabilité

d’une déclaration.

Toutefois, dans Khelawon la Cour a également insisté sur

l'importance de distinguer seuil de fiabilité et fiabilité en

Page 63: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

59

dernière analyse, principe qu'il convient de rappeler. Les

juges de première instance doivent être conscients du rôle

limité qu'ils jouent lorsqu'ils se prononcent sur

l'admissibilité. Il est essentiel pour assurer l'intégrité du

processus de constatation des faits de ne pas préjuger la

question de la fiabilité en dernière analyse lors du voir-

dire sur l'admissibilité. »

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations étaient admissibles en preuve. L’appel fut rejeté

et la déclaration de culpabilité fut maintenue.

L’arrêt Griffin

Dans R. c. Griffin, [2009] 2 R.C.S. 42, il s’agissait d’une accusation de meurtre au

premier degré à la suite d’une fusillade. Selon la prétention de la poursuite, la

victime avait été abattue par représailles parce qu’elle n’avait pas remboursé une

dette de drogues. La preuve présentée contre Griffin était essentiellement

circonstancielle. D’une part, la petite amie de la victime a témoigné que dans les

semaines précédant son meurtre, ce dernier, qui avait peur et se cachait de son

entourage, lui avait dit : « s’il m’arrive quelque chose, c’est la famille de ton

cousin » et l’admissibilité de cette déclaration devait être déterminée. D’autre

part, la poursuite compléta sa preuve avec d’autres éléments de preuve soutenant

que l’accusé cherchait la victime avec acharnement.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur sept), l’honorable juge Charron

mentionna d’abord au paragraphe 55 :

« Citant les arrêts R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, et R.

c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, le juge du procès a à juste

titre fait remarquer que l’exception à la règle du ouï-dire

relative à l’état d’esprit ou aux intentions existantes ne

permet pas l’admission d’une preuve par ouï-dire pour

démontrer l’état d’esprit d’un tiers ».

Page 64: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

60

Pour dire, par la suite, aux paragraphes 58 et 59 :

« L’application des arrêts Smith et Starr aux faits de

l’espèce m’amène à conclure qu’il ne fait pas de doute

que la déclaration de M. Poirier ne peut être admise en

tant que preuve des intentions de M. Griffin parce que

nous ne savons pas sur quel fondement M. Poirier en est

venu à croire que M. Griffin serait responsable de ce qui

pourrait lui arriver. La déclaration de M. Poirier n’est

donc pas admissible pour prouver les intentions d’un

tiers, à moins que le deuxième niveau de ouï-dire soit

également admissible. Ce principe s’applique également

aux déclarations révélant l’état d’esprit existant. Si, par

exemple, M. Poirier avait dit à Mme Williams que son

ami M. Besso avait peur de M. Griffin, la déclaration

n’aurait pu être admise en vue de prouver que M. Besso

avait effectivement peur de M. Griffin. Il est logique que

la déclaration relatée de la personne décédée concernant

son propre état d’esprit ou sa propre intention de prendre

une mesure donnée ne puisse constituer une preuve de

l’état d’esprit ou des intentions d’une autre personne.

Dans le présent pourvoi toutefois la déclaration en litige

n’a pas été admise en preuve en vue d’établir l’état

d’esprit ou les intentions d’un tiers. Au procès ou devant

la Cour d’appel, nul n’a mis en doute qu’il était permis

d’inférer de sa déclaration à Mme Willians que M. Poirier

craignait M. Griffin. La déclaration a été présentée et

admise en preuve en vue d’établir que M. Poirier lui-

même avait peur de M. Griffin, ce qui n’excède donc pas

la portée de l’exception à la règle du ouï-dire relative

l’état d’esprit. Comme notre Cour l’a dit dans Starr, les

déclarations concernant l’état d’esprit existant sont

admissibles en vertu de l’exception traditionnelle à la

règle du ouï-dire lorsqu’il est utile de savoir quel était

l’état d’esprit du déclarant et que la déclaration paraît

avoir été faite de manière naturelle et non pas dans des

circonstances douteuses. En l’espèce, personne n’a

prétendu que la déclaration avait été faite dans des

circonstances douteuses. La peur que M. Poirier avait de

M. Griffin constituait un élément pertinent en ce qui

Page 65: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

61

concerne le mobile, lequel est lui-même pertinent à

l’identification. Certes, une déclaration relatée ne peut

servir à établir l’état d’esprit d’un tiers, mais cela ne

signifie pas que l’état d’esprit du déclarant ne peut avoir

d’incidence sur d’autres aspects du litige. »

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : la déclaration n’était pas admissible en preuve comme exception à

la règle interdisant le ouï-dire. Toutefois, ce n’est pas à ce titre qu’elle fut déclarée

admissible en preuve. L’appel fut accueilli et la déclaration de culpabilité fut

rétablie.

L’arrêt D.A.I.

Dans R. c. D.A.I., [2012] 1 R.C.S. 149, il s’agissait d’accusations d’agressions

sexuelles répétées commises sur la victime (une femme âgée de 26 ans ayant l’âge

mental d’un enfant de 3 à 6 ans) par le conjoint de sa mère au cours des quatre

années où il a vécu avec elles. L’admissibilité de déclarations faites par la victime

à la police (enregistrée sur bande vidéo) et à une personne qui enseignait à la

victime depuis six ans devait être déterminée.

Résultat en première instance : acquittement.

Résultat en appel : l’appel fut rejeté et l’acquittement fut maintenu.

La question principale en litige était de savoir si le juge du procès avait

correctement interprété les prescriptions de l’article 16(3) de la Loi de la preuve au

Canada relativement à l’habilité à témoigner des personnes âgées de 14 ans ou

plus (adultes) ayant une déficience intellectuelle.

S’exprimant au nom de la majorité (six juges sur neuf), la très honorable juge en

chef McLachlin mentionna à la page 178 :

« Je conclus que le par. 16(3) de la Loi sur la preuve au

Canada, interprété correctement, prévoit deux conditions

pour qu’un adulte ayant une déficience intellectuelle

témoigne : il doit être capable de communiquer les faits

dans son témoignage et promettre de dire la vérité. Il n’y

a pas lieu d’incorporer à la disposition une condition

Page 66: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

62

supplémentaire voulant que la personne démontre qu’elle

comprend la nature de l’obligation de dire la vérité. »

(Soulignés ajoutés)

Pour dire, par la suite, aux pages 185 et 186 quant à l’existence d’un procès

inéquitable en pareilles circonstances:

« La question est la suivante : le fait de permettre à une

personne adulte ayant une déficience intellectuelle de

témoigner lorsqu’elle peut communiquer les faits dans

son témoignage et qu’elle promet de dire la vérité rend-il

un procès inéquitable? Selon moi, il faut répondre non à

cette question.

La Common law, le fondement de nos règles de preuve

actuelles, prévoit diverses règles régissant l’habilité à

témoigner dans différentes circonstances. Le fil d’or qui

unit ces règles différentes et variables est le principe

selon lequel le témoignage doit satisfaire à un seuil

minimal de fiabilité pour qu’il soit présenté à un juge ou

un jury. En règle générale, ce seuil de fiabilité est satisfait

s’il est établi que le témoin a la faculté de comprendre les

questions qui lui sont posées et d’y répondre, et si le

témoin comprend qu’après avoir prêté serment ou fait une

promesse ou une affirmation solennelle, il doit dire la

vérité. Rien ne garantit qu’un témoin – même un

témoin doué d’une intelligence normale qui peut

prêter serment ou faire une affirmation solennelle –

dira vraiment la vérité, toute la vérité et rien que la

vérité. On recherche simplement dans le cadre du

procès un indice élémentaire de fiabilité.

De nombreuse décisions, notamment l’arrêt Khan, ont

mis en garde contre le danger de fixer des exigences trop

élevées relativement à l’habilité à témoigner des adultes

ayant une déficience intellectuelle : R. c. Caron (1994),

72 O.A.C. 287; Farley; Parrott. Cela traduit le fait que ces

personnes peuvent être capables de rendre un témoignage

utile pertinent et fiable, et qu’en leur permettant de

témoigner, elles franchissent seulement la première étape

du processus. La déposition du témoin sera vérifiée par

Page 67: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

63

contre-interrogatoire. Le juge des faits examinera le

comportement du témoin et sa façon de répondre aux

questions. Il peut arriver que le juge des faits écarte la

déposition de cette personne, qu’il ne la retienne qu’en

partie ou qu’il y accorde une importance moindre. Il

s’agit d’une tâche que les juges et les jurés effectuent

couramment dans d’innombrables affaires mettant en

cause des témoins dont les capacités mentales peuvent

être, ou ne pas être, mises en question.

La prescription selon laquelle le témoin doit être capable

de communiquer les faits dans son témoignage et doit

promettre de dire la vérité satisfait au seuil peu exigeant

relatif à l’habilité à témoigner dans les cas comme celui

en l’espèce. Dès lors que la personne est autorisée à

témoigner, la protection du droit de l’accusé à un procès

équitable repose ultimement sur les règles régissant

l’admissibilité de la preuve et sur l’obligation du juge ou

du jury d’examiner et d’apprécier soigneusement la

preuve. Ensemble, ces mesures de sauvegarde

supplémentaires offrent une protection adéquate

contre le risque de déclaration de culpabilité

injustifiée. »

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Pour dire enfin aux pages 192 et 193 :

« Le juge du procès a commis une erreur fatale en

n’examinant pas le deuxième volet du critère établi à

l’art. 16. Il n’a pas vérifié si, conformément au par.

16(3), K.B. était en mesure de communiquer les faits dans

son témoignage et a insisté plutôt sur la nécessité qu’elle

comprenne le devoir de dire la vérité, ce que n’exige pas

le par. 16(3). Cette erreur, une erreur de droit, l’a amené à

conclure que K.B. n’était pas habile à témoigner et à

exclure complètement son témoignage du procès. Cette

erreur fondamentale a vicié le procès.

Page 68: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

64

Mon collègue le juge Binnie laisse entendre que les

commentaires émis par le juge du procès durant le voir-

dire et l’audience sur l’admissibilité de la preuve par ouï-

dire (par. 136, 138 et 139) appuient la conclusion qu’il a

tirée au voir-dire précédent, conclusion selon laquelle

K.B. n’était pas habile à témoigner aux termes du par.

16(3). Il est toutefois difficile de voir comment des

commentaires émis subséquemment par le juge du procès

alors qu’il traitait d’autres questions pourraient remédier

à une application erronée par celui-ci des exigences

prévues à l’art. 16 relativement à l’habilité à témoigner.

Le voir-dire relatif à l’habilité à témoigner et le voir-

dire relatif à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire

constituaient deux enquêtes différentes. Le juge du

procès ne disposait pas du témoignage de Mme W. - sur

lequel il s’est fondé pour formuler les commentaires

concernant le ouï-dire - lorsqu’il a jugé que K.B. n’était

pas habile à témoigner. De plus, le seuil de fiabilité

applicable à la preuve par ouï-dire diffère du seuil de la

capacité à communiquer les faits dans un témoignage,

applicable à l’habilité à témoigner ; une conclusion sur

l’habilité d’une personne à témoigner ne peut être

justifiée après coup par des commentaires émis dans une

décision sur l’admissibilité d’une preuve par ouï-dire. La

tenue d’une audience régulière sur l’habilité à témoigner

aurait peut-être modifié l’équilibre du procès, y compris

l’audience (le cas échéant) sur l’admissibilité de la preuve

par ouï-dire. On ne peut corriger l’erreur fondamentale

commise par le juge du procès dans l’enquête relative à

l’habilité à témoigner prévue à l’art. 16 en se fondant sur

des conjectures tirées de commentaires formulés dans une

enquête différente.»

(Soulignés ajoutés)

Résultat final : les déclarations de la plaignante auraient pu être admissibles en

preuve n’eut été de l’erreur de droit commise quant à l’interprétation de l’article

16(3) LP. L’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

Page 69: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

65

L’arrêt Baldree

Dans R. c. Baldree, [2013] 2 R.C.S. 520, il s’agissait d’accusations de possession

de drogues en vue d’en faire le trafic. Les policiers répondaient initialement à un

appel concernant une possible introduction par effraction dans un appartement au

nom d’une personne nommée Lepage. Les policiers frappèrent à la porte et

Baldree les laissa entrer. Une fois à l’intérieur, les policiers firent certaines

constatations olfactives et découvrirent en « plain view » des substances illégales.

Poursuivant leurs démarches, les policiers trouvèrent, dans la chambre d’amis, un

coffre-fort ouvert dans lequel se trouvaient d’autres substances illégales. Baldree

et trois autres personnes présentes dans l’appartement furent arrêtés. Le téléphone

cellulaire de Baldree fut alors saisi, dans le cadre de la fouille accessoire à

l’arrestation, et, au poste de police, ledit téléphone sonna. Répondant à l’appel le

sergent reçu, dans le cadre de la conversation qui prit place, une commande faite à

Baldree pour une once de « pot » au coût de 150$ pour livraison à une adresse

désignée. La police n’a aucunement essayé, par la suite, de communiquer avec

l’auteur de l’appel à l’adresse qu’il avait donnée, ni tenter de trouver ce dernier ou

de l’interroger. De plus, cette personne n’a pas été appelée à témoigner au procès

de Baldree.

Résultat en première instance : déclaration de culpabilité.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (huit juges sur neuf), l’honorable juge Fish

mentionna aux pages 525 et 526 :

« Une déclaration extrajudiciaire faite par une personne

qui n’est pas citée comme témoin au procès est qualifiée,

à juste titre, de ouï-dire lorsqu’elle est présentée en

preuve pour établir la véracité de son contenu.

Nul ne conteste en l’espèce que la preuve par ouï-dire est

présumée inadmissible en droit.

La seule question en litige est celle de savoir si cette règle

d’exclusion s’applique au « ouï-dire exprès » uniquement,

ou si elle s’applique également au « ouï-dire implicite ».

Compte tenu de la logique et des principes, je suis

convaincu que c’est le cas.

Page 70: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

66

Dans les deux cas, la pertinence de la déclaration

extrajudiciaire ne tient pas au fait qu’elle a été faite, mais

plutôt à ce que son contenu vise à établir. Dans les deux

cas, la déclaration en question vise à établir la véracité

des propos exprès ou implicites que l’on prête à la

personne qui n’a pas été citée comme témoin.

En ce qui concerne la pertinence sur le plan de la logique,

il n’y a donc aucune distinction substantielle entre le

ouï-dire exprès et le ouï-dire implicite. Les raisons de

principe qui sous-tendent la présomption

d’inadmissibilité s’appliquent également aux deux

catégories de ouï-dire.

… j’estime, tout comme les juges majoritaires de la Cour

d’appel, que le juge du procès aurait dû exclure la

déclaration extrajudiciaire contestée en l’espèce. Elle ne

relève d’aucune exception traditionnelle à la règle du ouï-

dire et ne présente pas les indices de nécessité et de

fiabilité qui pourraient autrement la rendre admissible ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : la déclaration (l’échange lors de l’appel téléphonique) n’était pas

admissible en preuve. L’appel fut rejeté et l’ordonnance de nouveau procès fut

maintenue.

L’arrêt Youvarajah

Dans R. c. Youvarajah, [2013] 2 R.C.S. 720, il s’agissait d’une accusation de

meurtre au premier degré suite à une transaction de drogues qui avait mal tourné.

Youvarajah avait comme complice D.S. qui, vu sa minorité, fut jugé séparément.

Ce dernier plaida coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Dans

le cadre de l’entente sur ce plaidoyer, D.S. souscrit à l’exposé conjoint des faits

rédigé par les avocats de la poursuite et de la défense. Suivant ledit exposé,

Youvarajah était directement impliqué dans le meurtre (ayant remis l’arme,

ordonné à D.S. de tirer sur la victime et demandé que l’arme lui soit rendue après).

Lors de l’inscription dudit plaidoyer, D.S. attesta de l’exactitude de l’exposé.

Mais, la lecture de ce dernier ne fut pas enregistrée sur bande vidéo ni précédée

d’un serment ou d’une affirmation solennelle. Au procès de Youvarajah, la

Page 71: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

67

poursuite demanda à D.S. d’adopter l’exposé conjoint des faits. Lors de son

témoignage, ce dernier affirma d’abord, qu’il ne se souvenait pas d’avoir souscrit

audit document bien qu’il reconnut que celui-ci portait bel et bien sa signature. Et,

par la suite, il nia les faits impliquant Youvarajah qui y étaient énoncés en

affirmant de plus qu’il n’avait pas compris certains mots employés par son avocat

lors de son plaidoyer soit : « attesté » et « exact ». Devant cette attitude, la

poursuite (qui était assurée par le même procureur que dans le dossier de D.S.)

voulu faire admettre l’exposé conjoint des faits comme preuve de la véracité de

son contenu et, suite au voir-dire tenu sur le sujet (où D.S. invoqua, suite à la

consultation d’un avocat indépendant, le privilège du secret professionnel de

l’avocat), le juge de première instance refusa n’étant pas satisfait des indices de

fiabilité existants relativement aux déclarations antérieures incompatibles. De plus,

selon lui, le contre-interrogatoire de D.S. au procès devenait dans une large mesure

illusoire vu le privilège invoqué.

Résultat en première instance : acquittement.

Résultat en appel : l’appel fut accueilli et un nouveau procès fut ordonné.

S’exprimant au nom de la majorité (cinq juges sur sept), l’honorable juge

Karakatsanis mentionna d’abord à la page 731 :

« Quand un témoin revient sur une déclaration antérieure,

la nécessité est établie : Khelawon, par. 78. En l’espèce,

la question fondamentale est celle de savoir si la

déclaration antérieure incompatible atteint le seuil de

fiabilité ».

Pour dire, par la suite, aux pages 736 à 738 :

« … je conviens que le juge du procès a attribué une

portée excessive au secret professionnel de l’avocat. Il

aurait été plus juste de dire que ce privilège soustrayait

D.S. à de nombreuses questions sur sa décision d’accepter

le plaidoyer et les raisons qui l’avaient motivé à

impliquer l’appelant.

Dès lors que D.S. a confirmé qu’il ne renonçait pas au

privilège du secret professionnel de l’avocat, le ministère

Page 72: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

68

public a choisi de mettre fin au contre-interrogatoire. Le

juge du procès n’a pas laissé entendre qu’il fallait couper

court à cette étape de la procédure dans le cadre du voir-

dire.

J’estime que la manière dont le voir-dire s’est déroulé est

attribuable principalement aux décisions de la poursuite.

Le juge du procès n’a pas empêché l’avocat du ministère

public d’appeler d’autres témoins à la barre ou

d’interroger davantage D.S.. Le ministère public ne peut

demander la tenue d’un nouveau procès au motif que la

poursuite aurait dû être menée différemment.

Bref, D.S. est revenu sur les parties de l’exposé conjoint

des faits qui impliquaient l’appelant et y a substitué des

affirmations exonérant ce dernier. Le contre-

interrogatoire de D.S. n’a pas permis d’expliquer

pourquoi il avait fait une telle volte-face et rétracté les

déclarations qui mêlaient l’appelant au meurtre ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Pour conclure aux pages 741 et 742 :

« Dans la mesure où l’exposé conjoint des faits

incriminait D.S., allait à l’encontre de ses intérêts et

constituait un aveu de sa culpabilité à l’audience, ces

circonstances invitent fortement à conclure à la fiabilité

de ces déclarations pour démontrer la conduite criminelle

de D.S. Toutefois, la raison qui justifie l’admissibilité de

la déclaration contre l’intérêt de son auteur ne tient plus

lorsqu’il s’agit d’opposer cette déclaration à un tiers.

..

De plus, la participation de l’avocat de la défense n’écarte

pas le risque que l’accusé atteste de fausses allégations

Page 73: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

69

incriminant un tiers dans le but d’obtenir un plaidoyer de

culpabilité qui lui soit favorable. Les avocats ont

l’obligation déontologique de ne pas induire

sciemment le tribunal en erreur. Toutefois, ils ne sont

pas tenus de vérifier la véracité des renseignements

qu’ils présentent ; l’obligation entre en jeu seulement

s’ils détiennent des renseignements menant à la

[TRADUCTION] « conclusion inévitable » qu’une

allégation est fausse. Voir M. Proulx et D. Layton,

Ethics and Canadian Criminal Law (2001), p. 40-47 et

460.

Ce n’est pas dans l’intérêt de l’administration de la justice

que d’admettre en preuve contre un prévenu des aveux

intéressés, faits par son coaccusé dans le but de négocier

un chef d’accusation moindre et une peine qui lui soit

favorable, lorsque la fiabilité des déclarations ne peut être

adéquatement vérifiée ».

(Caractères foncés et soulignés ajoutés)

Résultat final : la déclaration (exposé conjoint des faits) n’était pas admissible en

preuve. L’appel fut accueilli et l’acquittement fut rétabli.

Page 74: LE OUÏ-DIRE · poursuite qu’à la défense de tenter d’expliquer ou de faire comprendre l’état d’esprit et le comportement d’une personne consécutif à l’observation,

70

CONCLUSION

Le raisonnement qui sous-tend l’approche basée sur les principes est d’une

limpidité cristalline. Les juges, au fil du temps, se sont rendu compte que les

règles de preuve traditionnelles (en raison de leur rigidité et de leur inflexibilité)

restreignaient injustement le droit de produire des éléments de preuve pertinents et

portaient, ce faisant, atteinte à la capacité du tribunal de découvrir la vérité et

ultimement de rendre justice.

Les mises au point et clarifications effectuées, dans le cadre de l’arrêt Khelawon,

ont, selon toute probabilité, dissipé le brouillard qui a existé, pendant une certaine

période de temps, en ce domaine suite à l’obiter dictum de l’arrêt Starr.

L’approche flexible et plus fonctionnelle mise de l’avant par ce jugement et suivi

depuis40

permettra de résoudre bien des problèmes, mais pas tous. En effet,

comme l’honorable juge Charron l’a elle-même reconnu, d’autres questions sur le

sujet auront vraisemblablement à être tranchées dans l’avenir lorsque les

circonstances requises se présenteront.

Que nous réserve l’avenir en ce domaine? Seul le temps le dira à la lumière de

l’ingéniosité et de la créativité des plaideurs face aux circonstances et trames

factuelles existantes. Le droit est une science humaine en constante évolution.

Dès lors, les changements sont inévitables voire salutaires et souvent nécessaires.

Par contre, comme l’a énoncé l’honorable juge McLachlin (telle qu’elle était alors)

dans l’arrêt Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750 (760), les modifications

pouvant être apportées à la Common Law doivent, pour des raisons de cohérence

et de fonctionnalité, se faire « lentement et progressivement » et non

« sensiblement et profondément ». De plus, tel que mentionné par l’honorable

juge Iacobucci dans l’arrêt R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654 (670), seuls sont

possibles les « changements progressifs qui sont nécessaires pour que la Common

Law suive l’évolution et le dynamisme de la société ».

Ceci étant dit, la méthode d’analyse raisonnée n’éliminera pas d’autres règles déjà

existantes. Les décisions Couture, Griffin et D.A.I., précitées, en sont de belles

illustrations.

Il convient de noter que le voir-dire requis afin de déterminer l’admissibilité d’une

déclaration risque, selon les circonstances, de comporter une dimension

constitutionnelle puisque la difficulté de vérifier la preuve ou l’impossibilité de

présenter une preuve fiable pourrait, selon le cas, compromettre plusieurs droits

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Il y fut d’ailleurs référé récemment dans l’affaire R. c. Hart, [2014] CSC 52 (opération Monsieur Big).

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découlant de la protection prévue à l’article 7 de la Charte (voir sur le sujet les

arrêts Dersch c. Canada (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1505, R. c. Liepert,

[1997] 1 R.C.S. 281 et R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262).

De plus, il ne faut pas oublier que bon nombre des principes de justice

fondamentale reposent sur les garanties juridiques exposées aux paragraphes 8 à

14 du même document (le droit de présenter une défense pleine et entière ou le

droit à un procès juste et équitable à titre d’exemples).

En terminant, il faut également garder à l’esprit que ces mêmes principes ne

donnent pas à l’accusé le droit de bénéficier « des procédures les plus favorables

que l’on puisse invoquer » (voir sur le sujet l’arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S.

309) car comme l’a mentionné l’honorable juge McLachlin (telle qu’elle était

alors) dans l’arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577 : « Les principes de justice

fondamentale touchent toute une gamme d’intérêts qui vont des droits de l’accusé

à des préoccupations sociales plus globales ». Et, force est de constater, que

l’exemple le plus patent de cette réalité est incontestablement l’intérêt qu’a la

société à ce que le processus judiciaire aboutisse à la découverte de la vérité (voir

sur le sujet les arrêts R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, Grant et Suberu, précités)

même si, selon l’adage, celle-ci n’est pas toujours bonne à dire.

Merci de votre attention.

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Documents consultés

Traité général de preuve et de procédure pénale, 21ième

édition, 2014, Éditions

Thémis

(Honorable juge Martin Vauclair, j.c.a.q.)

Manuel de la preuve pénale, 2014, Éditions Yvon Blais (avec mises à jour)

(Honorable juge Jean-Guy Boilard, j.c.s.q. (à la retraite))

Criminal Pleading and Practice, second edition, 2014, Canada Law Book

(avec mises à jour)

(Honorable juge E.G. Ewaschuk, j.c.s.o.)

Laval, le 27 février 2015