La dépression et les antidépresseurs chez la personne … · agitation ou ralentissement...

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La dépression et les antidépresseurs chez la

personne âgée

Pr Christophe Arbus – CHU Toulouse

Introduction

● En 2007, en France, 13% des plus de 65 ans et 18% des plus de 85 ans se sont vus prescrire régulièrement des antidépresseurs

● Un sujet âgé de plus de 70 ans sur deux consomme un psychotrope…

● Prévalence de l’EDM autour de 3 %. ● La prévalence des symptômes dépressifs en médecine

générale : 15 à 20% ● La prévalence des symptômes dépressifs en EHPAD : 50 %

● EDM souvent mal diagnostiquée (environ 40 %) et insuffisamment traitée

● Pronostic défavorable sur la morbidité, l’autonomie, la qualité de vie et le recours aux services de santé.

Les différentes situations

● Antécédents dépressifs (maladie bipolaire ou unipolaire)

● Dépression tardive (>65-70 ans) ● Dépression dans un contexte de pathologie

neurodégénérative connue

Troubles cognitifs

Concept de dépression tardive

● Les dépressions précoces sont plus fréquemment associées à :

! des antécédents familiaux de pathologie psychiatrique, ! une histoire de carences relationnelles précoces et d'isolement! des évènements de vie stressant récents,! des troubles de la personnalité.

● Les dépressions tardives (« late life depression », dépression vasculaire) sont significativement associées à :

! des troubles cognitifs,! des anomalies cérébrales! Moins bonne réponse thérapeutique! un risque plus élevé d'évolution vers une démence (symptôme précoce)

Critères diagnostiques (DSM-V)

● Signes majeurs :● une humeur dépressive ● ou une perte d’intérêt ou de plaisir : anhédonie

● Accompagnée par au moins 4 autres symptômes, parmi ceux-ci ● modification du poids, ● troubles du sommeil, ● agitation ou ralentissement psychomoteur, ● fatigue, ● dévalorisation ou culpabilité, ● troubles cognitifs, ● idées noires

● persistant depuis au moins 2 semaines ● entraînant une souffrance et un dysfonctionnement social● représentant un changement par rapport au fonctionnement antérieur

Sémiologie classique

● Le noyau dépressif : un trépied ● ralentissement psychomoteur● tristesse pathologique (douleur morale) ● anhédonie (perte de l’élan vital, incapacité à éprouver du plaisir, perte

du goût à faire, perte d’intérêt pour les activités habituellement investies)

● Troubles instinctuels : sommeil, alimentation, libido● Désespoir et parfois idées suicidaires ● Plaintes (douleur, asthénie, mémoire, constipation)

● La dépression mélancolique : éléments psychotiques● idées de ruine, d’indignité et d’incurabilité

Les autres formes cliniques

● «Dépression masquée » :

○ Somatisation ○ Hypochondrie ○ Hostile : troubles du caractère et comportement ○ Conative avec apathie ○ Anxieuse ○ Cognitive

● Révéler le noyau dépressif +++

● Le risque est la rechute et la chronicisation +++

LA QUESTION DE LA MÉLANCOLIE

• Très souvent délirante

• Très souvent cognitive

• L’approche médicamenteuse reste toujours indispensable

• Pas de différence significative en terme d’efficacité entre différentes classes d’antidépresseur mais ATC peut être plus efficaces sur formes sévères (Anderson, 2000)

• Très souvent : l’ECT…

Retard au diagnostic

Cognition, dépression et démence

• Dépression = prodrome ou facteur de risque ? • Quel est le délai qui sépare le trouble affectif du diagnostic de

démence ? • Plus le délai est long, plus la force de l’association diminue

(Brommelhoff, 2009)

• Facteur de risque : Jorm (2001) a formulé 2 hypothèses :

• la dépression et la démence sont deux maladies indépendantes mais la dépression abaisse le seuil favorable au développement de la démence.

• la dépression est à l’origine de lésions au niveau de l’hippocampe, aboutissant à la démence, en lien avec la cascade glucocorticoïde

Dotson V et al . Recurrent depressive symptoms and the incidence of dementia and mild cognitive impairment. Neurology, 2010 (BLSA)

1239sujetsambulatoiressuivispendant24ansÉvaluationtousles2ans

Quelles sont les modalités thérapeutiques?

Recommandations Afssaps 2006

● AD indiqués dans les épisodes dépressifs majeurs

● Il est recommandé de ne pas traiter par un AD ○ Les symptômes dépressifs ne correspondant pas aux EDM, c’est-à-dire

caractérisés ○ Les épisodes dépressifs caractérisés mais d’intensité légère, sauf en

cas d’échec des autres stratégies

● Les antidépresseurs n’ont pas d’indication dans le trouble dysthymique, le trouble cyclothymique et le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive.

● Quid chez le sujet âgé ?

LES ANTIDÉPRESSEURS : EFFICACES ?

• Le point de vue clinique largement répandu que les antidépresseurs sont très efficaces et spécifiques pour le traitement de tout types de troubles dépressifs est exagéré ( / effet placebo).

• Cette conclusion qui donne à réfléchir est étayée par les résultats les projets STEP-BD et STAR * D financés par le NIMH (2003).

• Les antidépresseurs ont une efficacité limitée à court terme dans la dépression unipolaire, encore moins dans la dépression bipolaire

• Leur efficacité à long terme (prophylactique) dans les dépressions récurrentes unipolaires reste incertaine et elle est très peu probable dans la dépression bipolaire

Psychopharmacologie essentielle. Stalh, 2ème édition, 2010

Psychopharmacologie essentielle. Stalh, 2ème édition, 2010

Psychopharmacologie essentielle. Stalh, 2ème édition, 2010

UN CONSTAT• La consommation des antidépresseurs augmente…

• Aux États Unis, elle a doublée en dix ans (de 13,3 millions en 1996 à 27 millions en 2005)

• Les consommateurs sont ravis !… (3/4 se disent satisfaits et reconnaissent avoir été « aidés » par la molécule) Sharon Begley “The Depressing News about Antidepressants (http://www.newsweek.com/id/

232781)

SUR-CONSOMMATION DES PSYCHOTROPES PAR LES PERSONNES ÂGÉES

ARMELLE LEPERRE - DESPLANQUES.29TH INTERNATIONAL CONFERENCE OF QUALITY & SAFETY IN HEALTH CARE, GENEVA, 2012

DTA Sujets âgés > 65 ans

CONSOMMATION EN EHPADÉTUDE IQUARE

243établissementscandidats

203établissementsparticipants

Sortiede40établissementsMotifs:Changementdedirection Absenced’unIDEcouMedco ParticipationàIDEM Chargedetravail…

203FichesÉtablissement

48%desEhpaddelarégion

7375FichesRésident

48%desrésidentsaccueillisdanslesEhpadparticipants

5824(encours)FichesTraitement80%desfichesTTTdesrésidentsdel’échantillon

• DEUX SITUATIONS CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE (ENTRE AUTRES) DANS LESQUELLES LES AD SONT PRESCRITS :

1. L’ÉPISODE DÉPRESSIF MAJEUR

2. LES SYMPTÔMES DÉPRESSIFS DANS LA MALADIE D’ALZHEIMER

ESSAIS CLINIQUES ET EDM DE LA PERSONNE ÂGÉE

• La plupart des études portant sur les antidépresseurs ont ciblé des populations plus jeunes

• La sous-représentation des personnes âgées dans les études empêche la généralisation des essais cliniques effectués chez la population adulte

• Quand les études existent chez les personnes âgées, les participants ne sont pas nécessairement représentatifs des patients en pratique clinique (Zimmerman, 2002)

• Attention aux objectifs des études !

LES ESSAIS CLINIQUES CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

Malgré la prévalence élevée des symptômes dépressifs, malgré l’enjeu économique : peu d’essais thérapeutiques spécifiques

1. Raisons cliniques : population + hétérogène• Comorbidités somatiques • Risque suicidaire + élevé• Altérations cognitives

2. Efficacité :• Délai d’action + long• Plus de réponse partielle au traitement AD de 1ère intention,

même prescrit de façon optimale• Rémission partielle (signes résiduels)

LES SYMPTÔMES DÉPRESSIFS DANS LA MALADIE D’ALZHEIMER

• Prévalence : 40%• Histoire naturelle mal connue• Persistance : 30 à 85 %

(Selbaek, 2008 : 62% sur un an indépendamment de la prescription des AD)• Incidence : 6 à 20% sur un an

• Premiers essais cliniques au début des années 90

• Efficacité sur l’irritabilité, l’anxiété, l’humeur dépressive, les troubles du comportement…

« stabilisateurs émotionnels »

Messages clés

●De façon consensuelle, dans la plupart des cas de dépression du sujet âgé, les IRS et les IRSNa sont indiqués en première intention

●Globalement, les AD ne sont pas plus efficaces que le placebo dans les essais cliniques

TAILLE DE L’EFFET ?• Kirsch et al. (2008, Initial severity and antidepressant benefits: a meta-analysis

of data submitted to the FDA. PLoS Med), ont mené une méta-analyse des données de 47 essais contrôlés (publiés et non publiés) de quatre antidépresseurs (fluoxetine, venlafaxine, nefazodone, paroxetine)

• Ils concluent que, si ces médicaments sont statistiquement supérieurs au placebo, cette différence est peu susceptible d'être cliniquement significative.

• 75% de l’effet lié à la molécule se retrouve chez les patients sous placebo

• Ce sont les patients les plus sévères qui bénéficient réellement de ces traitements (parce que pour eux, le placebo est moins efficace…)

LES ANTIDÉPRESSEURS : UNE GRANDE FAMILLE !

• Antidépresseurs imipraminiques • Amitriptyline Elavil®, Laroxyl® • Amoxapine Defanyl® • Clomipramine Anafranil® • Désipramine Pertofran® • Dosulépine Prothiaden® • Doxépine Sinequan®, Quitaxon® • Imipramine Tofranil® • Maprotiline Ludiomil® • Opipramol Insidon® • Quinupramine Kinupril® • Trimipramine Surmontil®

• Antidépresseurs imao • Iproniazide Marsilid® • Toloxatone Humoryl® • Moclobémide Moclamine®

• Antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine

• Fluvoxamine Floxyfral® • Fluoxétine Prozac® • Paroxétine Deroxat® • Sertraline Zoloft® • Citalopram Seropram® • Escitalopram Seroplex®

• Antidépresseurs inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline

• Minalcipran Ixel® • Venlafaxine Effexor® • Duloxétine Cymbalta®

• Autres antidépresseurs • Mirtazapine Norset® • Miansérine Athymil® • Tianeptine Stablon® • Viloxazine Vivalan® • Agomélatine Valdoxan®

COMPRENDRE LES EFFETS SECONDAIRES

• La stimulation d’au moins un sous-type de récepteur 5HT peut en être responsable (classés en 7 groupes 5-HT1, 5-HT2, 5-HT3, 5-HT4, 5-HT5, 5-HT6 et 5-HT7, chaque groupe pouvant avoir des sous-classes a, b etc…)

• Ces récepteurs sont centraux et périphériques

• Les effets IIaires sont généralement aigus

• Augmentation faible mais aiguë de la 5HT dans la synapse : récepteurs post-synaptiques très sensibles (avant l’effet thérapeutique lié à la désensibilisation des auto-récepteurs)

COMPRENDRE LES EFFETS SECONDAIRES

• La stimulation aiguë des récepteurs 5HT2a et 5HT2c au niveau des projections sur l’amygdale et le système limbique peut entraîner agitation, anxiété ou attaques de paniques

• La stimulation aiguë des récepteurs 5HT2a au niveau des ganglions de la base peut entraîner un syndrome parkinsonien

• La stimulation aiguë des récepteurs 5HT2a et 5HT2c au niveau des centres du sommeil peut entraîner des réveils nocturnes

• etc… (moelle épinière, tube digestif)

D’AUTRES EFFETS SECONDAIRES…

• Avec un ISRS ou la venlafaxine : augmentation de l’effet des anticoagulants oraux (AVK) et du risque hémorragique.

• Un risque d'hyponatrémie (souvent majoré par la co-prescription avec un diurétique), d'hypotension orthostatique et de troubles de l’équilibre sont les complications les plus fréquentes.

CHUTES ET PSYCHOTROPES

• Drugs and falls in older people: a systematic review and meta-analysis: I. Psychotropic drugs. J Am Geriatr Soc. 1999 Jan;47(1):30-9

• Tout médicament psychotrope : 1.73 (95% CI, 1.52-1.97) • Hypnotique/sédatif : 1.54 (95% CI, 1.40-1.70) • Antidépresseur (tous) : 1.66 (95% CI, 1.4-1.95) • Antidépresseur imipraminique : 1.51 (95% CI, 1.14-2.00) • Benzodiazépine : 1.48 (95%CI, 1.23-1.77) (pas de

différence selon la demi-vie) • Neuroleptique : 1.50 (95%CI, 1.25-1.79) • Patients psychiatriques : 0.41 (95%CI, 0.21-.82) • Autres patients : 1.66 (95%CI, 1.38-2.00)

MODALITÉS DE PRESCRIPTION CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

• Délai d’action • Le début de l’amélioration (3 à 4 semaines) est à différencier de l’obtention

d’une réponse thérapeutique complète (8 semaines). • Il n’est pas démontré que :

- une classe d’antidépresseur ait un délai d’action plus court qu’une autre, - l’administration d’emblée de doses élevées raccourcisse le délai d’action.

• Durée et maintien du traitement • Le traitement d’un épisode dépressif comporte deux phases :

- la phase aiguë, dont l’objectif est la rémission des symptômes, est de 2 mois en moyenne (de 6 à 12 semaines) ; - la phase de consolidation, dont l’objectif est de prévenir les rechutes, est de 12 à 18 mois en fonction des symptômes.

• La durée totale du traitement d’un épisode se situe donc généralement entre 18 mois et 24 mois.

MODALITÉS DE PRESCRIPTION CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

• Prévention des récidives (traitement de maintenance) • Un traitement prolongé au-delà de deux ans peut être discuté afin

de prévenir les récidives par exemple chez les patients ayant déjà présenté plusieurs épisodes dépressifs, mais n’ayant jamais présenté d’épisode maniaque ou hypomaniaque.

• Conduite d’un arrêt de traitement : L’arrêt du traitement sera toujours progressif et programmé avec le patient.

• Traitement < 1 an : arrêt en quelques semaines, en diminuant par exemple toutes les semaines d’1/4 de la dose journalière.

• Traitement >1 an : arrêt en quelques mois, en diminuant par exemple tous les mois d’1/4 de la dose journalière

• DES POSOLOGIES SUFFISANTES !!!!

QUEL PROTOCOLE THÉRAPEUTIQUE ENVISAGEZ-VOUS APRÈS L’ÉCHEC D’UN PREMIER TT ISRS CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE?

• Raisons de l’échec ? inefficacité totale et/ou effets secondaires ou partielle ?

• Si totale et/ou effets secondaires : substitution

• Si partielle : augmentation posologie, potentialisation (associations)

• Il n’existe aucune preuve pouvant indiquer qu’une option thérapeutique est supérieure à une autre

6 ISRS DIFFÉRENTS ?

ISRS : SERTRALINE

• Inhibition de la rapture de la dopamine : « énergisant » ?

ESCITALOPRAM : L’ISRS ABSOLU…

• Énantiomère S du citalopram

• Suppression de l’effet antiH1 et de l’inhibition du CYP 2D6 du citalopram

• Le plus sélectif et le mieux toléré ?

ISRS : FLUOXÉTINE

• Inhibition CYP 2D6 +++

• Très longue demi-vie (2 à 3 jours), 2 semaines pour son métabolite

• Taux sanguins non linéaires

ISRS :PAROXÉTINE

• Inhibition CYP 2D6 +++

• Propriétés anticholinergiques

• Réactions de sevrage : akathisie, fébrilité, troubles intestinaux, vertiges, fourmillements

• À la fois substrat et inhibiteur du CYP 2D6

• Taux sanguins non linéaires

IRSN : VENLAFAXINE

• IRS puissante, dès les faibles posologies

• IRN puissance moyenne, à forte posologie

• Substrat du CYP 2D6 : métabolite actif = desvenlafaxine (IRN plus puissant). Attention si inhibiteur enzymatique prescrit avec…, si métaboliseur lent…

• Au total, IRN imprévisible !

• Forme LP : 1 prise par jour

ANSS : MIRTAZAPINE

Antagoniste alpha2, 5-HT 2a, 2c, 3, H1

• Mécanisme complexe et original (désinhibiteur de la NA +++)

• Ne stimule que les 5-HT1a (diminution des effets secondaires liés à la stimulation des autres rec. 5-HT)

• Améliore le sommeil (H1) - prescription le soir ++

Mirtazapine

Conduite du traitement(Baldwin, 2004)

● Start low, go slow mais atteindre de bonnes posologies ● Savoir attendre, poursuivre longtemps

● En cas de résistance : ! Switch ! Associations ! Thérapies d’augmentation ! ECT

Mesures non pharmacologiques

● Soutien psychothérapeutique, psychothérapies structurées (TCC) ?

● Unités Mobiles de Psychiatrie du Sujet Âgé

● Télémédecine

● Autres ? relaxation, hypnose, pleine conscience