Design Thinking ou la surenchère des mots

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LA LETTRE HEBDOMADAIRE DES STRATÉGIES DESIGN - PAGE 9

Christophe Chaptal de Chanteloup

Le Design Thinking ou la surenchère des motsNous sommes assaillis de Design Thin-king, de Blue Ocean, de plateformescollaboratives, de co-conceptions parti-cipatives, d'ateliers communautaires,de territoires d'expression partagées,de processus reliés, d'écosystèmesmultidimensionnels, de missions collec-tives et d'innovations multisectorielles.Bref, on parle tout seul, on combine enéquipe et on réalise en réseau desmatrices croisées spatialisées...Cela dit, la complexificationsystématique des données etl'assemblage savant de mots nesauraient suffire à exprimer unepensée puissante et ce n'est pas enmettant les vocables design etinnovation à toutes les sauces que l'oncrée des ensembles pertinents.En torturant les termes, en mélangeantles idées et en renommant lesdémarches on n'invente rien : on ne faitque fragmenter encore un peu plus lavision qui finit par ne plus savoirappréhender les contours d'uneproblématique, même simple.Revenons, à ce propos, au DesignThinking et demandons à Tim Brown,l’un des vulgarisateurs du concept, cequ’il en pense : « Design thinking is ahuman-centered approach to innova-tion that draws from the designer's

toolkit to integrate the needs ofpeople, the possibilities of technology,and the requirements for businesssuccess.» Ah oui ?Reprenons :- human-centered : c’est effectivementimportant de le souligner, car, aupara-vant, comme chacun le sait, le designne se destinait pas à l’espèce humaine;− integrate the needs of people : làencore, révolution copernicienne, ons’intéresse au besoin duconsommateur ou de l’utilisateur ;− possibilities of technology : c’estexact, dans l’ancien temps le designerétait obnubilé par l’irréalisable et animépar une farouche volonté d’utiliser unetechnologie inexistante ;− requirements for business success :mais oui, bien sûr, cela met fin à cetterecherche monomaniaque de l’échec àtout prix.Bref, redevenons sérieux et disons quele Design Thinking est une façonessentiellement commercialed’expliquer à des entrepreneurs auxyeux écarquillés :− qu’il est préférable de concevoir uneoffre destinée à de « vrais » gens, quiprend en compte les « vrais » besoinset qui est organisée de telle sortequ’elle génère une marge confortable ;

− plutôt que de bâtir une propositionqui n’intéresse personne, qui ne sert àrien et distribuée à perte.Au fait, ce que prône le DesignThinking, ce ne serait pas le design« tout court » par hasard ?Oui, mais voilà, pour « vendre » dudesign, c’est tellement mieux del’appeler Design Thinking : « Plus jepense design et plus le client dépensepour le design. »Le terme Thinking rajoute cette pincéeneuronale qui sied aux grands vision-naires : « Je suis un Design Thinker,monsieur, pas juste un designer » – cequi ne constitue rien d’autre qu’uninjuste procédé consistant à reléguerledit designer au rang de rustiqueartisan, seulement bon à tracer sanstrop réfléchir des lignes sur un vaguecalepin.Cette dérive sémantique estinquiétante : elle signale explicitementque le mot dans sa nudité n’exprimeplus grand chose, et qu’il faut luiadjoindre un qualificatif – si possiblepompeux – pour, tout compte fait,revenir à la définition première.Les termes design et designer sontpourtant bien assez clairs, valorisantset valorisables : nul besoin d’enrajouter !

Lundi 13 octobre 2014 Designfax 909L’autre pageUne page en plus,différente. Librespropos, coups decoeur ou coups degueule, analyses,documentsoriginaux...

Christophe Chaptal de Chanteloupest directeur de cc&a et directeurassocié d’UCPL. Auteur de plu-sieurs ouvrages : Le marketing derupture (de Boeck), Le Design -Management stratégique et opéra-tionnel (Vuibert), Les 3 P : PlaisirPartage Profit : Stratégies dedemain pour consommateursmutants (Vuibert). Prochain livre :La chaîne de valeur de l'offre (deBoeck 2015).