DEA de droit des affaires · 2010-04-30 · les conventions collectives, en particulier pour les...

Post on 11-Jul-2020

1 views 0 download

Transcript of DEA de droit des affaires · 2010-04-30 · les conventions collectives, en particulier pour les...

UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN FACULTE DE DROIT, DE SCIENCES DE STRASBOURG POLITIQUES ET DE GESTION

DEA de droit des affaires

***

Droit des procédures collectives

Peut-on concevoir la « faillite » d’un groupe de sociétés ? Stéphanie PITZ Mémoire sous la direction de Jean-Luc Vallens Année universitaire 2001/2002

2

SOMMAIRE

PARTIE 1 : Une conception dualiste de l’atteinte du groupe insatisfaisante.

Titre 1 : L’atteinte directe du groupe au travers de l’extension de procédure.

Chapitre 1 : Une conception restrictive des hypothèses d’extension.

Chapitre 2 : Les stratégies de groupe à l’épreuve des risques d’extension de procédure.

Titre 2 : L’atteinte indirecte du groupe au travers de la sanction de ses dirigeants.

Chapitre 1 : La condamnation du dirigeant de la société.

Chapitre 2 : La stratégie de groupe à l’épreuve du risque d’extension de passif.

PARTIE 2 : Vers une conception unitaire de l’atteinte du groupe ?

Titre 1 : Le retour à un critère large.

Chapitre 1 : Le choix du critère.

Chapitre 2 : Un critère unitaire ?

Titre 2 : L’adaptation de critères dégagés par d’autres branches du droit.

Chapitre 1 : Les critères retenus.

Chapitre 2 : Vers un élargissement du critère de la confusion des patrimoines ?

3

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS A.P.C. Actualité des procédures collectives. Art. Article. B.R.D.A. Bulletin rapide de droit des affaires. Bull.(civ.) Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation. Bull. Joly soc. Bulletin Joly des sociétés. c/ Contre. C.A. Cour d’appel. C.E. Conseil d’Etat. C. com. Code de commerce. Chro. Chronique. C. mon. et fin. Code monétaire et financier. Civ. Chambre civile de la Cour de Cassation. Com. Chambre commerciale de la Cour de Cassation. Crim. Chambre criminelle de la Cour de Cassation. C. trav. Code du travail. D. Dalloz. Dr.soc. Revue Droit des sociétés. Fasc. Fascicule. G.P. Gazette du Palais. I.R. Informations rapides. JCP La Semaine Juridique. ……...éd.G. édition générale. ……...éd. E. édition entreprises. Jsp. Jurisprudence. P.A. Les Petites Affiches. Pan. Panorama. Req. Chambre des requêtes de la Cour de Cassation. Rev. Lamy dr. Aff. Revue Lamy Droit des Affaires. Rev. proc. coll. Revue des procédures collectives. Rev. soc. Revue des sociétés. R.J.D.A. Revue de jurisprudence de droit des affaires. R.J. com. Revue de jurisprudence commerciale. S. Sirey. S.C. Sommaires commentés. Soc. Chambre sociale de la Cour de Cassation. T. Confl. Tribunal des conflits.

4

Peut-on concevoir la « faillite » d’un groupe de sociétés ? 1. Aujourd’hui, nombre de dirigeants sociaux sont persuadés que certains risques, telle la menace de poursuites judiciaires, sont inhérents à leur fonction, et qu’il faut bien s’en accommoder. Parmi les difficultés que peuvent rencontrer les sociétés, le prononcé d’un redressement, ou pire, d’une liquidation judiciaire est certainement une des craintes majeures. Si les sociétés isolées appréhendent la faillite, terme usuellement admis pour désigner le redressement ou la liquidation judiciaire, il pèse, sur les sociétés constituées en groupe, le risque d’être patrimonialement atteintes par une procédure collective ouverte à l’encontre d’une autre société du groupe. L’on peut ainsi aisément comprendre que si une meilleure prévision du risque d’entreprise incite à entreprendre, celle-ci permet également de choisir la forme sous laquelle l’on souhaite exercer son activité, afin de limiter au maximum les risques pécuniaires. 2. Adopter la forme sociétaire permet de mettre le patrimoine d’un professionnel à l’abri des poursuites des créanciers sociaux dans la mesure où le dirigeant n’est tenu du passif social qu’à hauteur de ses apports (du moins dans les « sociétés à risque limité » et les sociétés coopératives). Avec l’apparition de nouvelles formes de sociétés unipersonnelles1, le principal obstacle à l’adoption de la forme sociétaire, en ce que cette dernière nécessitait jusqu’alors la réunion de plusieurs associés, disparaissait, revêtant ainsi un intérêt particulier pour les professionnels en cas de défaillance. La concentration des entreprises, qui s’est surtout développée depuis une vingtaine d’années, a eu pour résultat la constitution de groupements de sociétés nombreux et souvent importants. Pendant longtemps, seules les sociétés importantes étaient à la tête de groupes, réunissant parfois plusieurs centaines de filiales2.

Aujourd’hui, la plupart des grandes entreprises exploitent leurs activités sous la forme sociétaire, de telle sorte que le risque ne se situe plus au niveau de la séparation du patrimoine privé du professionnel et de celui nécessaire à son activité mais au niveau des diverses activités de la société.

3. « Diviser pour mieux régner », tel peut être un conseil à prodiguer aux grandes sociétés qui exploitent de multiples activités afin de limiter les risques liés à un secteur déficitaire.

En effet, le groupe de sociétés est une structure très habile qui permet, éventuellement, des activités un peu risquées ou des zones de pertes dans certaines structures, et des zones de profit dans d’autres. Recourir à la segmentation des métiers c’est à dire à la filialisation et par là même au groupe de sociétés est donc pratique courante dans le monde des affaires.

1 Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, société par action simplifiée unipersonnelle. 2 Centre de recherche du droit des affaires de la chambre de commerce de Paris, Les groupes de sociétés,une politique législative, Paris 1975, cité par Y. Guyon, Droit des Affaires, tome 1, 11ème édition, ECONOMICA.

5

4. Pourtant, cette démarche n’est pas seule à l’origine de l’attrait des sociétés pour la constitution d’un groupe. En témoigne, en effet, le développement récent des acquisitions de sociétés avec effet de levier. Engendrées par la saturation des marchés limitant ainsi les chances, pour une entreprise, de croître de façon interne, ces opérations conduisent à un développement par une croissance externe au travers d’acquisitions de sociétés et de prises de contrôle. L’opération de LBO (leveraged buy out) est un montage reposant sur la création d’une société holding dont la vocation est de contrôler la société cible qui fait l’objet de la reprise, la technique reposant sur le levier financier de la holding et les emprunts étant assurés par le versement de dividendes de la cible à la société mère.

Ces opérations complexes rendent ardue la tâche du juriste dans la mesure où les relations entre les différentes personnes morales d’un groupe de sociétés et leurs obligations réciproques relèvent bien souvent d’un véritable imbroglio juridico-financier.

5. Un premier obstacle est lié au fait que le groupe de société, « l’arlésienne du droit français »3, n’a longtemps été considéré que comme une réalité économique. Nier le fait que le groupe puisse être une réalité juridique serait cependant une erreur car on doit aujourd’hui reconnaître que le droit des groupes de sociétés progresse, le groupe devenant ainsi une « réalité juridique à éclipse4 ». En témoigne la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 qui exprime la volonté du législateur d’appréhender cette notion, surtout s’agissant des rémunérations des dirigeants, des cumuls de mandats sociaux et des conventions réglementées.

6. L’opportunité de la création d’un statut d’ensemble des groupes a suscité un débat très important en Europe dès l’adoption de la loi allemande du 6 septembre 1965 (Aktiengesetz) édictant un véritable droit du groupe de sociétés (« Konzernrecht »5). En France, de nombreux auteurs ont reproché au législateur de 1966 de ne pas en faire de même, certains députés, dont M. Couste, déposèrent de nombreuses propositions inspirées de l’exemple allemand. Si ces dernières suscitèrent dans un premier temps l’intérêt, les milieux d’affaires et la doctrine dominante opposèrent rapidement des critiques concernant à la fois l’opportunité d’une réglementation d’ensemble et le contenu des différentes propositions. Aujourd’hui, le débat paraît désormais clos autour des conclusions suivantes : une réglementation d’ensemble ne s’impose pas, elle ne serait acceptable, selon le professeur Hannoun6, « que pour les groupes de droit qui prendraient volontairement cette forme. »

Cependant, avec un recul de trente ans, on s’aperçoit que la France a opté pour un système laissant le plus de latitude possible aux groupes, et ce, conformément aux usages existants dans les Etats anglo-saxons, qui ne conçoivent pas non plus un droit organisé des groupes de sociétés. L’exemple allemand a en effet démontré récemment toute sa rigidité lors de l’OPA de Vodafone sur Mannesman.

3 J.-M. Deleneuville, La qualité de débiteur : des difficultés de l’extension de procédure au sein des groupes de sociétés, Rev. Proc. Coll. 2001, p. 61. 4 Expression empruntée au professeur F. Derrida. Séminaire 2002 Strasbourg. 5 C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, thèse, Bibliothèque de droit privé, tome 216, p.3, LGDJ. 6 C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, thèse, Bibliothèque de droit privé, tome 216, p.6, LGDJ.

6

« Ni trop, ni trop peu », tel est l’objectif convenable d’un projet de réglementation des groupes de sociétés. C’est aujourd’hui sur cette voie que s’orientent les réflexions désormais nécessairement européennes sur le sujet7.

En effet, les groupes de sociétés existent dans tous les pays de l’Union Européenne mais jusqu’ici aucune mesure d’harmonisation n’a été édictée, en dehors de la septième directive sur les comptes consolidés.

7. Les groupes de sociétés sont pourtant apparus à la fin du XIXème siècle, lorsque la jurisprudence a commencé à admettre qu’un actionnaire puisse être une personne morale8. La pratique s’est ensuite répandue de faire siéger cette personne au conseil d’administration. Ce n’est qu’en 1943, par une loi du 4 mars, que le législateur est intervenu dans le domaine des groupes, en prohibant les participations croisées.

Le droit des groupes, hétéroclite voire même contradictoire, s’est développé autour d’activités professionnelles spécifiques et a ainsi éclaté dans les diverses branches du droit.

8. La jurisprudence sociale a posé le principe selon lequel les diverses sociétés d’un groupe peuvent être considérées comme une entreprise unique, dès lors qu’elles constituent une unité économique et sociale, caractérisée notamment par la concentration de la direction. Sur le plan des relations individuelles de travail, cette adaptation permet à la jurisprudence d’écarter le critère formel qui considère comme seul employeur la société qui a recruté le salarié et le rémunère, pour retenir en qualité d’employeur la société qui exerce effectivement le pouvoir de direction. Certains aspects particuliers sont réglés par le code du travail9 ou par les conventions collectives, en particulier pour les conséquences de la « circulation » du salarié entre les différentes sociétés du même groupe.

9. Le régime fiscal des groupes de sociétés est susceptible de répondre à deux préoccupations : éviter les cascades d’imposition sur les bénéfices et permettre la prise en compte par une société mère des déficits constatés dans une filiale. Le régime de droit commun des sociétés mères répond au premier point. L’article 216 du Code Général des Impôts prévoit sous certaines conditions et dans certaines limites un régime d’exonération des dividendes perçus par une société mère à raison de sa participation dans le capital de ses filiales ; les bénéfices, taxés une première fois au niveau des filiales, ne le sont pas une seconde fois au niveau de la société participante. L’article 68 de la loi de finances pour 1988 répond au second point en créant un régime d’intégration fiscale des filiales à 95 %.

10. En comptabilité, chaque société d’un groupe est tenue d’établir ses propres comptes annuels, les comptes sociaux, qui sont l’expression de son autonomie patrimoniale et le moyen d’exécuter les obligations qui lui incombent à l’égard de ses associés, de ses partenaires contractuels et des administrations, notamment l’administration fiscale. Parallèlement à la publication des comptes sociaux, l’intérêt pratique est apparu d’élaborer une information comptable, économique ou financière ayant pour objet l’ensemble des comptes des sociétés du groupe : les comptes consolidés. L’obligation d’établir des comptes consolidés est faite aux sociétés commerciales dès lors qu’elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises ou qu’elles exercent une influence notable sur celles-ci.

7 D. Vidal, Droit des sociétés, 3ème édition, p. 101, n° 103, LGDJ. 8 Req. 10 déc. 1878, D.P. 1879, 1, 5 note Beudant. 9 Art. L. 122-14-8 C. trav.

7

11. La réalité de l’existence du groupe au sens du droit bancaire est également incontestable. En effet, le Code monétaire et financier introduit, au travers de son article L.511-7-3, une réserve au monopole des activités bancaires établi par l’article L.511-5. Les lettres de fusion de comptes entre sociétés appartenant à un même groupe sont prohibées, mais il est permis à une entreprise de « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital, conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ». La participation en capital de la société « dominante » doit lui permettre d’assurer un contrôle effectif sur la société « dominée »

Ainsi, les relations financières entre sociétés d’un même groupe sont facilitées afin de permettre par exemple, dans une certaine mesure, qu’une société ayant un excès de trésorerie puisse venir en aide à une autre société du groupe dans des conditions plus avantageuses que celles du marché bancaire ou du marché financier.

12. Du point de vue jurisprudentiel, l’existence du groupe de sociétés est reconnue par la chambre criminelle de la Cour de Cassation depuis un arrêt de principe Rozenblum10. Dans cette espèce, on reprochait à M. Rozenblum, président d’une société, administrateur de plusieurs autres et en même temps dirigeant de fait d’autres sociétés anonymes ou sociétés à responsabilité limitée, d’avoir prélevé des fonds d’une société du groupement en question au profit d’une autre de ces sociétés. La Cour de Cassation, pour admettre que l’intérêt commun puisse justifier un abus de biens sociaux11, a estimé que l’existence d’un groupe de sociétés doit être constatée si trois conditions cumulatives sont réunies : le groupement en question doit être fortement structuré et reposer sur des bases non artificielles, il doit pouvoir présenter un intérêt économique, social ou financier commun ainsi qu’une politique élaborée pour l’ensemble des sociétés qui le constituent.

13. En droit des procédures collectives : aucune disposition de la loi de 1985, aujourd’hui codifiée dans le nouveau code de commerce, n’évoque la notion de groupe de sociétés. En effet, si ce dernier tend à être pris en considération par les différentes branches du droit, on doit reconnaître qu’il peut, eu égard au droit des procédures collectives être considéré comme l’arlésienne de la loi de 1985 sur le redressement et la liquidation des entreprises en difficulté.

14. La doctrine, prenant le contre-pied du laconisme de la loi, a défini la notion de groupe de sociétés. Il s’agit d’un ensemble de sociétés qui, tout en étant juridiquement distinctes, se trouvent cependant liées les unes aux autres, de telle sorte que l’une d’entre elles, la société mère ou dominante, est en mesure d’imposer aux autres une unité de décision.

Pour utiliser la terminologie courante, qui est pourtant critiquable, on peut dire que les sociétés du groupe sont placées sous un « contrôle unique », qui leur impose une communauté de stratégies et de comportement.

10 Crim. 4 févr. 1985 et 13 févr. 1989, D.1985 III, 478, note Ohl ; JCP 1986, éd.G II, 20-585, note Jeandidier. 11 Voir infra Partie 2, Titre 2, Chapitre 1, Section 1.

8

La loi offre plusieurs définitions de la notion de contrôle d’une société par une autre société. Si la définition proposée à propos des participations circulaires s’applique également au régime des notifications et informations relatives aux prises de participations, force est de constater que la notion de société contrôlée, qui inclut celle de filiale, est plus large que cette dernière, puisqu’elle retient la notion plus économique de pouvoir de fait exercé dans les assemblées. La différence est encore plus nette avec la notion de « contrôle exclusif » retenue en matière de comptes consolidés12 comme critère d’application de la méthode d’intégration globale, ainsi qu’en matière d’action de concert.

Le contrôle se caractérise de manière empirique. Au sens des articles L. 233-3 et L. 233-16 du Code de commerce, il peut s’agir d’une participation majoritaire en capital, ou la possibilité de désigner les dirigeants ou plus généralement de tout moyen permettant d’exercer une influence déterminante sur la gestion ou le fonctionnement de la société.

Si cette « plasticité de la notion de contrôle » selon une expression empruntée au professeur Guyon13 paraît réaliste, elle présente cependant l’inconvénient que deux sociétés peuvent être considérées comme appartenant au même groupe au regard de telle législation et comme indépendantes au regard de telle autre.

15. L’influence déterminante exercée dans de telles conditions par la société mère sur ses filiales remet-elle pour autant en cause les sacro-saints principes d’autonomie juridique et patrimoniale des sociétés ; en d’autres termes, la société mère est-elle tenue, d’une obligation juridique et, à l’instar de M. Lucas14, d’une « obligation alimentaire » à l’égard de sa fille ? Autrement dit, la « force d’entraînement »15 de la société mère est-elle suffisante pour remettre en cause l’autonomie de ses filiales ?

Une jurisprudence constante affirme que le groupe n’a pas lui-même la personnalité morale16. Il en résulte une impossibilité de le soumettre à une procédure propre de redressement judiciaire, et donc une ouverture de procédures distinctes pour chaque société d’un même groupe. Souvent, les juridictions sont tentées de lever le paravent de la personnalité morale en présence d’un groupe de sociétés, de façon à apprécier, au regard de ce dernier, le passif exigible et l’actif disponible. Or, une telle tendance doit être condamnée.

16. L’autonomie juridique des différentes sociétés ne saurait être remise en cause par leur appartenance au même groupe. Les instigateurs du projet de groupe ont choisi de filialiser leurs activités, montrant ainsi leur préférence pour l’autonomie juridique, et partant pour une certaine limitation des risques financiers. Leur décision ne doit pas pouvoir être discutée, d’autant plus qu’ils auraient expressément pu opter pour la « sucursalisation ».

12 Art. L. 233-16 et L.233-18 C. Com. 13 Y. Guyon, Droit des Affaires, tome 1, 11ème édition, ECONOMICA, spécialement n°580, p. 617. 14 F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, P.A. 4 mai 2001, n° 89, p. 66. 15 P. Delebecque, Groupe de sociétés et procédures collectives : confusion des patrimoines et responsabilité des membres du groupe, Rev. Proc. Coll. 1998, p. 129. 16 Com. 3 nov. 1988, Rev. Sociétés 1989 p. 289, obs. Guyon.

9

Le droit des groupes de sociétés contient actuellement une contradiction de droits sous-jacente et récurrente entre la société personne morale et le groupe de sociétés auquel elle appartient. La société est une personne juridique à part entière, mais le groupe dispose de prérogatives à son encontre. Deux logiques juridiques paraissent donc s’affronter : autonomie de la personne morale contre intérêt du groupe17.

17. Pas plus que l’autonomie juridique, l’autonomie patrimoniale ne saurait être contestée aux différentes sociétés d’un groupe. En effet, la doctrine a déduit des termes de l’article 1842 du Code civil que chaque société qui compose le groupe constitue une personne morale autonome qui n’a pas à répondre des engagements des autres sociétés.

L’être juridique du groupe n’est que composite : il repose sur chacune des personnes morales des sociétés liées. Néanmoins, le déploiement économique des groupes tend à atténuer le cloisonnement juridique qui découle en principe de la personnalité juridique de chacune des sociétés du groupe. En effet, la tentation est grande pour les dirigeants de considérer l’ensemble des sociétés liées comme un réservoir global d’actif qui peut être utilisé librement en fonction des nécessités économiques. Les conséquences d’une telle action concernent en premier lieu les sociétés du groupe, mais elles peuvent utilement guider l’analyse d’une responsabilité aggravée des dirigeants de groupes de sociétés.

18. Depuis le début du XX siècle, une jurisprudence s’est progressivement forgée pour réagir contre les abus de la personnalité morale et atteindre par l’extension de la « faillite » – au sens ancien et patrimonial du terme – ceux qui détournaient à leur profit les mécanismes du droit des sociétés afin de réaliser des fraudes. Elle touchait deux catégories différentes : d’une part la société fictive ou les personnes dont le patrimoine était confondu et d’autre part, le maître de l’affaire qui se dissimulait derrière la façade d’une société ainsi que le dirigeant abusif. La première situation est encore réglée par une construction jurisprudentielle. La seconde fait l’objet d’interventions législatives. Si plusieurs sociétés d’un groupe sont soumises à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, chaque procédure se déroule de façon autonome et indépendante. Ce n’est que dans des hypothèses législatives et surtout jurisprudentielles déterminées qu’une seule procédure est ouverte.

19. L’article L. 621-5 al 1er du Code de Commerce n’évoque l’extension de procédure que sous l’angle de la compétence du tribunal initialement saisi. C’est dire le caractère prétorien de cette technique à laquelle ont parfois recours les organes de procédure afin de soumettre une personne à la même procédure collective que celle déjà ouverte à l’encontre d’une autre. Outre qu’il permet d’atteindre le débiteur qui n’a pas la qualité de commerçant ou la société qui n’a pas cessé ses paiements, ce mécanisme présente l’intérêt de conduire une procédure unique et de retenir la même solution pour les diverses personnes physiques ou morales impliquées. Pour autant, l’extension d’une procédure collective ne produit ses effets qu’en présence de conditions particulières : soit la confusion des patrimoines, soit la fictivité des sociétés, soit la direction de fait d’une société par une autre société appartenant au même groupe de sociétés.

17 R. Marrau, Un paradoxe permanent du groupe des sociétés : indépendance contre unité économique des sociétés, Petites affiches 5 août 1996 n° 94, p. 4.

10

S’agissant des créanciers de la société initialement mise en redressement judiciaire, l’extension de procédure à une autre société appartenant au même groupe constitue pour eux une aubaine, quel que soit le fondement de l’action.

20. Reconstituer une surface financière plus acceptable pour les créanciers de la société en redressement ou en liquidation judiciaire, en faisant supporter par une autre société du groupe tout ou partie du passif de la première société : tel est en effet l’objectif recherché par les liquidateurs, mandataires judiciaires et représentants des créanciers. Force est néanmoins de constater que le dispositif législatif adopté en 1985 leur offre, dans bien des situations, une option, en ce qu’il permet à la fois de caractériser une « véritable extension » en cas de confusion des patrimoines des sociétés ou en cas de fictivité de l’une d’elle, et de condamner la personne (physique ou morale) dirigeant fautif d’une société.

L’atteinte du groupe pouvant ainsi se réaliser sous deux angles, nous qualifierons cette approche de « dualiste ».

21. L’extension de procédure, essentiellement d’origine jurisprudentielle, se distingue de l’extension « imparfaite » de l’ancien article 182 de la loi du 25 janvier 1985, devenu aujourd’hui l’article L. 624-5 du Code de commerce, qui ne fait qu’écarter les effets de la personnalité morale sans effacer le principe de leur distinction juridique.

Ces deux actions aboutissent à des conséquences différentes : dans le cas de l’extension imparfaite, si la procédure ouverte à l’encontre du dirigeant est issue de celle ouverte initialement contre la société défaillante, elles restent néanmoins toutes deux distinctes. En revanche, l’extension de procédure parfaite a pour effet l’ouverture d’une procédure unique à l’encontre des sociétés dont l’autonomie n’est qu’apparente. Cela signifie, d’une part, que les actifs et les passifs des différentes sociétés vont être réunis, d’autre part, que les créanciers de la société initialement défaillante vont se retrouver en concours avec les créanciers des autres sociétés du groupe.

22. L’extension de procédure en raison de la confusion des patrimoines constitue donc une mesure qui a plus vocation à s’appliquer aux personnes morales du groupe qu’à leurs dirigeants, en raison de l’actif plus important offert aux créanciers. Si l’on s’en tient aux dirigeants de sociétés à risques limités, la propension des dirigeants de groupes à confondre le patrimoine social avec leur patrimoine personnel n’est pas plus grande que celle de dirigeants de sociétés isolées. A l’instar de M. Sortais, on doit admettre que « le fonctionnement d’un groupe de sociétés n’implique pas nécessairement usage frauduleux de la personne morale18. »

Tout de même, il est certains groupes de sociétés dans lesquels de tels agissements sont à craindre spécialement. Il s’agit des groupes à caractère personnel, où l’unité du groupe repose sur une ou plusieurs personnes, détenant des postes clés dans les différentes sociétés. Dans de tels groupes, on peut en effet redouter une utilisation des actifs sociaux au détriment de l’intérêt individuel de chacune des sociétés, voire la confusion entre le patrimoine social et le patrimoine personnel du dirigeant.

18 J.-P. Sortais, A propos de certaines questions de responsabilité suscitées par les groupes de sociétés, RJ. Com 1977, p. 128, spécialement p. 131.

11

23. L’extension de procédure se distingue également de l’extension de passif réalisée au travers de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif. Fondée sur l’ancien article 180 de la loi du 25 janvier 1985, aujourd’hui article L. 624-3 du code de commerce, cette dernière a été instituée dans le but de condamner le dirigeant - de droit ou de fait - d’une personne morale à supporter tout ou partie des dettes de la société, avec ou sans solidarité, quand ce dernier a contribué à l’insuffisance d’actif de la société en question.

Une particularité réside néanmoins dans l’application jurisprudentielle qui en est faite, ce que révélait déjà l’ancien article 101 de la loi de 1967. Ainsi, on a pu constater dans un premier temps la réticence des juges à appliquer la notion de dirigeant de fait à une personne morale. Il faut noter qu’un nombre assez limité de décisions concerne « l’extension de passif » fondé sur l’article 182 contre une personne morale seule. L’explication semble résider, selon le professeur Hannoun19, dans le fait que l’action intentée sur le fondement de l’article 182, vise le plus souvent à atteindre un individu, au-delà de la personnalité morale de la filiale. Néanmoins il est également possible que l’action vise une personne morale considérée comme maîtresse de la société défaillante. M. Béguin explique cette « double extension » par l’idée que lorsqu’un individu contrôle plusieurs sociétés et détourne le potentiel de l’une non seulement à son profit personnel mais aussi au profit d’une autre société, cette dernière doit se voir appliquer la sanction de l’extension de faillite20.

24. Or, nul doute que les hypothèses dans lesquelles ces deux types d’action sont mis en œuvre, sont très proches. Dès lors, on peut s’interroger sur la pertinence du « dualisme » de la conception de l’atteinte du groupe.

Comment exploiter au mieux les « imperfections législatives » pour ne pas tomber sous le coup d’une extension de passif voire une extension de procédure ? Quelle est la stratégie de groupe à adopter ?

Montesquieu écrivait « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Doit-on pour autant dénier toute utilité au système actuel et défendre une approche plus globale des difficultés rencontrées par les groupes de sociétés ?

On constatera l’imperfection de notre système dualiste actuel (I), avant d’envisager une approche unitaire de l’atteinte du groupe, regroupant toutes les hypothèses d’extension et de quasi extension, facilitant ainsi la tâche des praticiens et des magistrats.

PARTIE 1 : Une conception dualiste de l’atteinte du groupe insatisfaisante. PARTIE 2 : Vers une conception unitaire de l’atteinte du groupe ?

19 C. Hannoun, Groupes de sociétés Redressement et liquidation judiciaire, Jurisclasseur Commercial, fasc. n° 3190, § n° 87 et 88. 20 M. Béguin, Les extensions de passif en droit commercial, thèse Rennes 1965, cité par C. Hannoun, Groupes de sociétés Redressement et liquidation judiciaire, Jurisclasseur Commercial, fasc. n° 3190, spécialement § 88.

12

PARTIE 1

Une conception dualiste de l’atteinte du groupe insatisfaisante.

25. Reconstituer la réalité du patrimoine d’une société, de façon à accorder aux créanciers de la société en difficulté un gage correspondant à leurs prévisions : telle est bien sûr la motivation des mandateurs judiciaires et des magistrats.

L’objectif des organes de la procédure étant d’atteindre l’ensemble du groupe à l’origine de l’opération litigieuse, ces derniers ne sont pas dénués de toute possibilité d’agir.

Les créanciers d’une société en difficulté disposent en effet de deux types d’actions pour atteindre l’ensemble du groupe dont fait partie leur débitrice. Ainsi, ils pourront user des voies soit des extensions de procédure, soit des extensions de passif. Les premières, souvent qualifiées d’extensions « véritables »21, « complètes » ou « lato sensu » sont fondées sur la constatation d’un abus de l’usage des personnalités morales des sociétés du groupe. Les secondes maintiennent quant à elles la distinction des sociétés membres du groupe.

L’extension de procédure lato sensu, envisagée de façon très parcellaire par l’article L. 621-5 du code de commerce22 permet de soumettre une personne à une procédure déjà ouverte à l’encontre d’une autre personne. Ces deux personnes seront alors soumises à une procédure unique, comprenant les mêmes organes, et dont l’issue sera unique. L’action en extension se distingue donc de l’action en extension de « faillite sociale » - souvent qualifiée d’extension imparfaite - de l’article L. 624-5 du Code de commerce, et de l’action en comblement d’insuffisance d’actif de l’article L. 624-3 du Code de commerce. Force est de constater que la jurisprudence a peu à peu pris en considération les groupes de sociétés en dégageant des notions qui tantôt appréhendent directement la situation des sociétés et accessoirement la responsabilité des dirigeants des sociétés de ce groupe ; et tantôt ne se rapportent qu’à la responsabilité et donc à la condamnation de ces derniers.

Bien que l’extension de procédure lato sensu puisse également être qualifiée d’extension de passif, nous réserverons cette expression à la seconde hypothèse.

En outre, pour faciliter la compréhension de nos propos, nous considérerons comme « atteinte directe du groupe » la première situation (titre 1) ; et comme « atteinte indirecte », ou « extension de passif » la seconde (titre 2).

21 V. M. Beaubrun, La confusion des patrimoines au regard des procédures collectives de liquidation du passif, R.J. Com. 1980, p. 41, n°5. 22 Ancien art. 7 de la loi du 25 jan. 1985.

13

TITRE 1

L’atteinte directe du groupe au travers de l’extension de procédure.

26. Si les sociétés d’un groupe disposent, à condition de déclaration, de la personnalité morale, elles ne peuvent matériellement exprimer leur volonté qu’au travers de leurs représentants sociaux. Les groupes de sociétés ne disposant pas de la personnalité juridique, leur volonté s’exprime au travers d’un centre de décision effectif qui préside aux destinées des composantes du groupe. Ce centre de décision, à défaut de reconnaissance juridique, dispose d’un pouvoir économique qui s’étend à tout le groupe.

A défaut de reconnaître la personnalité juridique au groupe, la jurisprudence réaffirme constamment l’autonomie, tant juridique que patrimoniale de chaque entité constitutive du groupe. Pourtant, dans certaines hypothèses, des sociétés abusent de l’ingénierie juridique, soit en créant des sociétés fictives, soit en confondant leur patrimoine avec celui d’autres entités, dans l’unique but de mettre une partie de leurs actifs à l’abri des poursuites des créanciers sociaux.

De telles pratiques sont évidemment condamnées par la jurisprudence. Les créanciers de la société en difficulté pourront dans ces cas intenter une action en extension de procédure (chapitre 1). Néanmoins, les juges n’admettent que rarement la confusion des patrimoines ou la fictivité.

Cette approche restrictive des cas d’extension, qui n’est pas sans soulever des difficultés, a pour conséquence de laisser une latitude stratégique importante aux groupes (chapitre 2).

Chapitre 1 : Une conception restrictive des hypothèses d’extension

27. La loi du 25 janvier 1985, aujourd’hui codifiée dans le nouveau code de commerce n’a pas envisagé sous tous ces aspects l’extension d’une procédure collective. En réalité, le législateur ne l’a évoqué que sous l’angle de la compétence du tribunal : le tribunal initialement saisi reste compétent.

D’origine prétorienne, l’extension de procédure atteint directement le groupe de sociétés dans deux hypothèses : si on peut constater la confusion des patrimoines des sociétés ou du moins de deux sociétés d’un groupe ou la fictivité de l’une d’entre elles.

Ces sources d’extension ont récemment fait l’objet de vifs débats doctrinaux. Certains auteurs rejettent l’idée selon laquelle la fictivité pourrait fonder une extension de procédure. Pourtant, nous démontreront que les concepts de fictivité et de confusion des patrimoines sont autonomes car ils caractérisent des situations de fait différentes.

Il conviendra d’étudier les fondements des sources d’extension lato sensu (section 1) avant d’envisager leur autonomie et conséquences (section 2).

14

Section 1 : Les fondements de l’extension de procédure. 28. Le pouvoir économique autorise une approche globalisée des patrimoines des sociétés que ne permet pas le droit, en raison du principe d’autonomie de la personnalité juridique des personnes morales. Lorsque les dirigeants du groupe procèdent à une utilisation du patrimoine des sociétés sans respecter ce principe, en considérant que l’ensemble des sociétés du groupe constitue un seul et même patrimoine, les magistrats sanctionnent cette attitude.

De même, s’il apparaît que l’une des sociétés d’un groupe ne correspond en fait à aucune réalité économique et juridique, qu’elle n’a ainsi été qu’un instrument de dissimulation laissant de surcroît souvent présager la fraude, les juges condamneront cette société, et, partant, atteindront directement le groupe.

La confusion des patrimoines (§1) et la fictivité (§2) sont deux notions très proches, parfois confondues par la doctrine et la jurisprudence. Pourtant, elles correspondent à des situations différentes.

§ 1. La confusion des patrimoines.

29. D’origine prétorienne, la confusion des patrimoines est une notion sans critère ni fondement légaux, reposant avant tout sur les principes généraux d’abus de la personnalité morale, de simulation ou d’apparence23, et conçue comme un moyen d’offrir aux tiers un gage supérieur pour le paiement de leurs créances. En effet, la procédure collective est étendue aux sociétés dont les patrimoines sont confondus.

30. Intérêt de la constatation de la confusion pour les créanciers sociaux : Les créanciers de la société en redressement ont tout intérêt à voir constater la confusion des patrimoines de deux ou plusieurs sociétés, celle-ci entraînant l’inefficacité des actes irréguliers par confusion de l’appauvrissement et de l’enrichissement créés dans chacun des patrimoines des sociétés du groupe. L’analogie de ce mécanisme avec celui de la fraude paulienne est remarquable puisque cette dernière action permet aux créanciers d’obtenir la révocation des actes frauduleux effectués par la société débitrice qui a entendu organiser son insolvabilité, la confusion des patrimoines aboutit à un résultat semblable non par révocation des actes passés mais par une réunion des patrimoines concernés.

La confusion des patrimoines est souvent caractérisée lorsque des sociétés s’organisent en groupe sans respecter le principe de leur individualisation juridique.

Pourtant, la Cour de Cassation a retenu, dans un arrêt du 11 mai 199324, que bien que trois sociétés aux objets sociaux identiques aient eu des dirigeants ou des associés communs, bien qu’ils aient centralisé leurs trésorerie en un même lieu et établi des relations commerciales constantes avec les mêmes clients, la confusion de leurs patrimoines n’est pas justifiée dès lors qu’elles conservaient une activité indépendante, un actif et un passif propres et qu’aucun flux financiers anormal n’existait entre elles.

23 B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2ème édition, LITEC, spécialement p. 308, n°511. 24 Com. 11 mai 1993, Bull. Civ. IV, n° 187, p. 133.

15

Aussi n’est-il pas aisé de définir les critères matériels de la confusion des patrimoines. Le conseiller à la Cour de Cassation M. Tricot25 estime que « même si la situation fait penser à celle d’une éclipse, l’occultation d’une entité par l’autre est aisée à caractériser lorsque l’éclipse est totale ou presque, mais au fur et à mesure que l’on se rapproche de la séparation de l’image des deux astres, les critères deviennent incertains ».

Afin de faciliter l’étude des critères matériels de la confusion des patrimoines, nous appréhenderons, à titre liminaire, une hypothèse particulière reposant sur le montage juridique réalisé entre une société d’exploitation et une société civile immobilière.

A) Le « couple infernal » Société Civile Immobilière - Société d’exploitation. 31. Notons que très souvent, la confusion de patrimoine est invoquée à l’encontre d’un montage juridico-financier faisant intervenir une société commerciale (souvent une SARL) et une société civile immobilière, souvent qualifiés de « couple infernal » par la doctrine. La société commerciale exploite le fonds et verse des loyers à la SCI, propriétaire des locaux où le fonds est exploité. De tels montages, de pratique courante, ne devraient pas être de nature à susciter une confusion des patrimoines.

Pourtant, pour les mandataires de justice, les représentants des créanciers et les liquidateurs, l’extension de procédure dans une telle situation semble constituer une véritable obsession : ils cherchent à faire entrer dans le patrimoine de la procédure collective atteignant la société d’exploitation les biens appartenant à la société immobilière.

Deux idées justifient cette attitude. D’une part, bien souvent les mandataires judiciaires constatent que les actifs de la société d’exploitation sont inexistants, de telle sorte qu’ils ne se trouvent plus à même de défendre la mission qui leur est impartie : la défense de l’intérêt collectif des créanciers. D’autre part, la recherche de la sanction peut également motiver une telle démarche.

32. La jurisprudence a souvent caractérisé la confusion de patrimoine entre de telles de sociétés, qui en réalité ne sont constitutives que de « microgroupes » ou de « groupuscules ». Certains tribunaux ont estimé que les associés avaient organisé un montage artificiel destiné à mettre les immeubles logés dans une SCI à l’abri des poursuites des créanciers de la société d’exploitation lorsque la première société était sous l’entière dépendance financière de la seconde et n’avait d’autres ressources que les loyers qui lui étaient versés. Cette présomption, critiquée par la doctrine majoritaire26 a été condamnée par la Cour de Cassation.

Depuis 1996, la Cour de Cassation affirme que l’identité de dirigeants, d’associés ou de siège social ne suffit pas à caractériser cette confusion, qui ne peut être admise que si une imbrication d’intérêts et des flux financiers anormaux peuvent être caractérisés.

25 D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour de Cassation, La documentation française, 1997, p. 16. 26 Voir notamment M. Cozian, Société civile immobilière – société d’exploitation, est-ce vraiment un couple infernal ?, JCP 1997, éd. E, n° 10.

16

B) Les critères matériels de l’enchevêtrement des sociétés. 33. La construction prétorienne de l’extension de la procédure collective en raison de la confusion des patrimoines résulte de l’impossibilité d’attribuer clairement les éléments d’actifs ou de passifs aux personnes27. Comme l’expriment les professeurs Derrida, Gode et Sortais : « on ne peut savoir qui est créancier, débiteur ou propriétaire de quoi »28.

Deux causes essentielles peuvent être à l’origine de l’enchevêtrement des sociétés : la confusion des comptes et les flux financiers anormaux.

1. La confusion des comptes. 34. Dans une espèce tranchée par la Cour de Cassation le 24 octobre 199529, une société avait pris des participations dans une autre avec laquelle elle avait passé des accords de coordination financière, industrielle et comptable. Le litige qui les opposait n’a pas pu être réglé en raison de l’exécution seulement partielle de différents arrangements. La Haute juridiction a estimé que dès lors qu’il en était résulté un désordre généralisé des comptes et un état d’imbrication inextricable entre ces deux sociétés, la confusion de patrimoines est caractérisée.

Au contraire, lorsque la comptabilité permet de rendre compte des rapports réciproques entre deux personnes, la confusion de leurs patrimoines n’a pas à être retenue du seul fait de l’irrégularité des opérations. Ainsi, le fait, pour une société d’acquérir des matériels auprès d’une autre exerçant son activité dans les mêmes locaux, et de ne pas les payer, est impropre à caractériser la confusion des patrimoines. Notons que la même conclusion s’impose lorsque le seul fait retenu consiste à avoir fait virer des fonds provenant de la société à un compte bancaire personnel.

35. L’absence de comptabilité des sociétés confondues. Il est intéressant de noter que souvent l’indice déterminant de la confusion des patrimoines est bien plus l’absence de tenue d’une comptabilité que l’imbrication des comptabilités des différentes sociétés du groupe.

La délocalisation d’une société ne saurait constituer un obstacle à la constatation de la confusion du patrimoine de cette dernière avec celui d’une autre société du groupe auxquelles elles appartiennent. Ainsi, la Cour de Cassation a pu caractériser la confusion dans une espèce où une société était établie à Marseille et une autre à La Ciotat30. Les deux sociétés ont été liquidées avec constitution d’une masse commune.

27 Ph. Petel, note sous Versailles, 29 mars 1990, Satouri c/ Canet, Bull. Joly Soc. 1990, § 154, p. 561. 28 F. Derrida, P. Gode, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation des entreprises, 5 années d’application de la loi du 25 janvier 1985, Dalloz 1991, 3ème édition, p. 57, spécialement note n° 317. 29 D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour de Cassation, La documentation française, 1997, p. 16. 30 D. Tricot, précité.

17

De plus, l’irrégularité de l’opération retracée dans la comptabilité peut être sanctionnée si elle révèle des flux financiers anormaux. Ainsi, dès lors que deux sociétés n’avaient pas de courant normal d’affaires, une importante avance de trésorerie de l’une à l’autre demeurée inexpliquée du fait des défaillances de comptabilité justifie que la Cour d’appel retienne l’existence d’une confusion des patrimoines31.

2) Les flux financiers anormaux

36. Jusque très récemment, la confusion des patrimoines se caractérise par des imbrications de biens et des flux financiers « anormaux » entre des personnes morales bien réelles.

Le caractère substantiel des flux est exigé au soutien de la déclaration de la confusion des patrimoines, bien qu’une jurisprudence très récente se contente de l’existence de « relations financières anormales ».

a) Le caractère substantiel du transfert d’actifs. 37. La confusion des patrimoines ne peut être déclarée que s’il est établi l’existence de transferts d’actifs étant observé que ces flux devraient avoir un caractère substantiel.

Ces flux, anormaux, doivent procéder d’une volonté systématique. En effet, on ne saurait, selon une jurisprudence constante32, assimiler à la confusion des patrimoines des faits que ne pourraient relever que d’une situation d’abus de biens sociaux.

La notion de confusion des patrimoines, à la différence de la notion d’abus de biens sociaux qui appréhende des actes irréguliers ponctuels, prend en compte la persistance et le résultat de ces actes. Seule la permanence de la confusion rend impossible la distinction comptable des patrimoines. Il peut s’agir de la mise à disposition permanente et réciproque du personnel et du matériel, ou encore de la dissociation entre deux sociétés de la gestion d’un fonds de commerce et de sa propriété, de telle sorte que la société bailleresse profite de toutes les améliorations apportées au fonds dont il est stipulé qu’elles restent sa propriété.

31 Arrêt inédit, cité par D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour de Cassation, La documentation française, 1997, p. 16. 32 Voir notamment, Com. 3 mai 1994, cité par D. Tricot, précité.

18

b) Le nouveau critère dégagé par la Cour de Cassation. 38. Jusqu’à une époque récente les magistrats caractérisaient la confusion des patrimoines par l’existence de « flux financiers anormaux ». Depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 3 avril 200233, la constatation de relations financières anormales et durables suffit à établir la confusion. Dans cette espèce, la Cour d’appel avait retenu, pour écarter la confusion des patrimoines entre une société civile immobilière et une société d’exploitation que l’absence de versement de tout loyer à la SCI ne suffisait pas à caractériser la confusion qui ne saurait résulter davantage du fait que la SCI a entendu cautionner le plan de continuation de la SE qui avait fait l’objet d’une première procédure collective. Cette décision a été cassée par la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans les termes suivants :

« Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’absence de versement de tout loyer et le cautionnement donné part la société bailleresse à sa locataire en vue da garantir l’apurement du passif de sa locataire caractérisent des relations financières anormales constitutives de la confusion des patrimoines… » Ce léger infléchissement de la jurisprudence de la Cour de Cassation ne remet cependant pas en cause l’appréciation restrictive des hypothèses d’extension. Le critère de la confusion des patrimoines, tout comme celui de la fictivité, que nous étudierons à présent, est bien étroit.

§2 : La fictivité.

39. Les juges peuvent autoriser l’extension d’une procédure collective d’une société à une autre lorsqu’on est en présence, non d’une société véritable, mais d’une société fictive.

La fictivité fait abstraction de la personnalité morale de la structure en cause. Dès lors, la réalité doit permettre de dépasser la fiction de la personnalité morale. Si cette personnalité morale est inexistante, il est logique de traduire juridiquement cette inexistence.

Si la première application de la fictivité invoquée en vue de l’ouverture d’une procédure collective contre le véritable maître de l’affaire est ancienne34, les illustrations jurisprudentielles récentes sont bien rares car les critères de la fictivité sont restrictifs.

33 Com. 3 avril 2002, inédit. 34 Cass. Req., 29 juin 1908, Marie-Raynaud c/ Maillard ès qualité, D.P. 19101, note Percerou.

19

A) Les critères de la fictivité.

40. Une société est dite fictive lorsqu’elle a été créée par une ou plusieurs personne physiques ou morales avec leurs capitaux et le concours de comparses ; de telle sorte que le capital social est la propriété de cette ou de ces personnes qui l’exploitent sous le nom de la société de façade.

Une société fictive est un prétendu sujet de droit qui se révèle ne pas en être un. Selon une expression empruntée au professeur Lucas : « voilà un groupement qui se prétend société mais qui n’a pas été constitué en vue de réaliser des bénéfices, qui n’a pas donné lieu à la mise en commun d’apports ou encore dont les associés ne sont pas animés de la moindre affectio societatis. ». En bref, il ne s’agit que d’une marionnette agitée par un maître de l’affaire animé de mobiles plus ou moins avouables.

41. Selon le professeur Gibirila35, la fictivité se caractérise par un élément psychologique : la volonté des associés de ne pas conférer à la société une véritable existence. La société ne constitue qu’une façade ; elle n’a pas d’existence propre, dans la mesure où elle est au service d’une autre personne qui utilise sa personnalité juridique dans son intérêt personnel. La fictivité résulte alors d’une application des notions de fraude et de simulation qui consistent à créer une fausse apparence, afin de dissimuler l’activité réelle d’une autre personne.

La jurisprudence ne retient que rarement la fictivité comme fondement de l’extension d’une procédure collective.

B) Les illustrations jurisprudentielles. 42. La preuve de l’absence de fictivité d’une société se réalise aisément : il suffit de démontrer que la vie de la société se déroule normalement, que les organes sociaux ne sont pas des pantins entre les mains des associés. Il faut vérifier que les assemblées se tiennent, bref, que la vie sociale suit son cours.

C’est ainsi que l’argument majeur retenu par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire A.M.R.E.P.36 pour écarter l’argument tiré de la fictivité des filiales du groupe consista à vérifier dans les registres des procès-verbaux que les assemblées générales et les conseils d’administration des sociétés du groupe avaient été régulièrement tenus.

43. Un arrêt récent de la Cour de Cassation du 19 février 200237 témoigne de l’emploi bien limité que suscite la fictivité, et ce dans une espèce somme toute assez particulière. Le liquidateur d’une société mise en redressement judiciaire converti en liquidation, avait, au motif de la fictivité, demandé au tribunal d’étendre la procédure collective à un des associés qu’il considérait comme le maître de l’affaire.

35 D. GIBIRILA, L’extension d’une procédure collective, Rev. Lamy Dr. Aff., nov. 2000, p. 3 ; A.P.C. 15 avril 2002, p.1. 36 CA Paris, 3ème ch. A, Lerognon c/ A.M.R.E.P., Bull. Joly 1990, p. 186, § 49, note P. Pétel. 37 Com. 19 fév. 2002, A.P.C. 15 avril 2002, p.2 ; D. 2002, n° 12 p. 1071.

20

Pour accueillir cette demande, la cour d’appel retenait que cette société avait les mêmes associés qu’une autre société dont elle était actionnaire, que l’emprunt contracté par la première société avait pour seul but de procurer à la seconde qui lui avait donné mandat de souscrire, les liquidités dont celle-ci avait besoin, que cette société sans autre activité durant quatre ans que d’avoir contracté cet emprunt, n’avait réalisé aucune des opérations industrielles et commerciales comprises dans son objet social.

La Cour de Cassation rejette cette argumentation pour défaut de basse légale de la décision. Elle fait grief aux juges du fond d’avoir statué sans rechercher si l’intéressé, sous couvert de la personne morale, était effectivement le maître de l’affaire.

La Cour d’appel a statué par des motifs impropres à caractériser le défaut d’affectio societatis.

Cette solution retenue par la Haute juridiction ne peut qu’être saluée car elle est justifiée tant au regard de la sécurité des montages sociétaires que de la protection des associés.

Comme le souligne le professeur Deleuneville38, si l’on peut à la rigueur comprendre l’extension de procédure entre deux sociétés, on ne voit pas trop pourquoi cette extension devrait atteindre l’associé personne physique dont le rôle actif est nullement souligné.

Force est donc de constater que les juges du fond ne peuvent que rarement retenir la confusion des patrimoines et la fictivité, en raison de l’étroitesse de ces concepts. Pourtant, les créanciers sociaux ont tout intérêt à invoquer ces notions, de façon autonome, de telle sorte que l’extension de procédure lato sensu produise tous ses effets. SECTION 2 : L’autonomie des sources d’extension et leurs effets. 44. Bien qu’une doctrine minoritaire soutienne que la fictivité et la confusion des patrimoines sont des critères très étroitement liés, au point même de ne plus constituer qu’une seule hypothèse réelle d’extension de procédure ; il faut retenir que ces deux concepts sont autonomes (§1) et emportent des conséquences bien souvent différentes (§2).

38 J.-M. Deleneuville, L’extension de procédure pour confusion, fictivité ou fiction, Rev. Proc. Coll. 1999, p. 63.

21

§ 1. L’autonomie des concepts de confusion des patrimoines et de fictivité. 45. Un débat doctrinal récent a mis l’accent sur un problème tenant aux conséquences induites par les sources d’extension, et en particulier par la fictivité.

En effet, nous avons vu qu’une doctrine unanime enseigne qu’il faut, en cas de fictivité, aller au-delà de l’apparence d’une pluralité de sociétés et se convaincre que les différents débiteurs n’en font qu’un. Néanmoins, depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 16 juin 199239, la jurisprudence considère que les sociétés fictives sont nulles et non pas inexistantes. Or, une société nulle ne perd pas sa personnalité morale. En effet, la théorie des sociétés de fait impose de la traiter comme une société dissoute dont il faut entreprendre la liquidation.

Certains auteurs considèrent par conséquent que la fictivité de la filiale d’une société soumise à une procédure collective est impropre à justifier que la procédure lui soit étendue.

Selon M. Lucas, il faut « abandonner cette idée que la fictivité d’une société est un motif d’extension d’une procédure collective » et « se rassurer car lorsqu’une fictivité est invoquée, elle se double, le plus souvent d’une confusion des patrimoines dont le constat vient conforter l’idée selon laquelle la société est fictive. »

La confusion des patrimoines et la fictivité, telles seront cependant pour nous les deux sources d’extension « véritable » admises par la jurisprudence. Malgré les apparences, elles ne sauraient être confondues.

46. Les auteurs se sont posés la question de savoir si la confusion ou la fictivité étaient des sources autonomes d’extension de procédure collective. Force est de constater en effet que la personnalité juridique des personnes morales implique notamment l’autonomie du patrimoine de la société par rapport aux associés et dirigeants. Si une confusion des patrimoines est intervenue au sein de deux sociétés, celle-ci remet immanquablement en cause un élément essentiel de la personnalité morale. Cette dernière peut par suite être considérée comme fictive.

47. Extérieurement, la fictivité et la confusion des patrimoines se manifestent donc de manière semblable. Mais on ne saurait rester à la surface des choses. Fictivité et confusion des patrimoines sont incontestablement des concepts autonomes parce que les solutions renvoient à des situations de fait différentes.

Distinguer les hypothèses de confusion et de fictivité n’est donc pas chose aisée. Pourtant, en suivant les enseignements du professeur Gauthier40, il est possible de distinguer ces deux situations en fonction de l’intention et du comportement des associés et du dirigeant. Ainsi, la société fictive ne serait qu’une fiction, une simulation car aucun affectio societatis, aucune intention réelle de s’associer, ne pourraient être constaté de la part des associés. Le patrimoine de cette société fictive est donc forcément géré par une tierce personne. 39 Com. 16 juin 1992, D.G.I. c/ Lumale, Bull.civ. IV, n° 243 ; D. 1993, jsp p. 508, note L. Collet. 40 T. Gauthier, Les dirigeants et les groupes de sociétés, Bibliothèque de droit de l’entreprise, éd. LITEC, spécialement p. 459.

22

Une imbrication des patrimoines, qui caractérise par ailleurs également la confusion des patrimoines, est donc inhérente à la fictivité. Il en résulte que la fictivité des personnes morales conduit nécessairement à la confusion des patrimoines. Néanmoins, la réciproque n’est pas vraie. En effet, une confusion des patrimoines peut être constatée entre deux sociétés non fictives. Les dirigeants et associés des sociétés dont les patrimoines seront confondus n’ont pas cherché à dissimuler leur patrimoine. Ils ont pour le moins abuser du patrimoine qui était mis à leur disposition. « La fictivité se caractérise par l’intention alors que la confusion se caractérise par l’action. »

Alors que la confusion des patrimoines suppose que des personnes se soient comportées comme si les patrimoines leur étaient communs, une société fictive ne peut avoir été titulaire d’aucun patrimoine.

Ainsi, on peut considérer qu’il n’existe pas une seule action en extension de procédure mais deux actions en extension, autonomes et distinctes. Ces dernières emportent nécessairement des conséquences par certains aspects similaires, et par d’autres différents. §2. Les conséquences des extensions de procédures.

48. Nous avons vu que les créanciers ont tout intérêt à agir en extension de procédure afin d’augmenter la surface financière qui répondra à leurs prétentions. S’il est certain que l’extension, quelque soit son fondement, impliquera l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une autre société du groupe, des conséquences divergentes liées à la disparition ou survivance de la personne morale seront impliquées respectueusement en cas de fictivité et de confusion des patrimoines.

A) Les conséquences communes aux deux sources d’extension.

49. La sanction du peu d’égards pour la personnalité morale que manifeste la confusion de patrimoines va consister précisément à ignorer la personnalité morale des sociétés visées41. La société qui n’a pas respecté la frontière des différents patrimoines va être privée du droit de se réfugier derrière cette frontière.

Ainsi, les sociétés in bonis qui ont confondu leur patrimoine avec celui de la société soumise à la procédure collective vont-elles se voir étendre la procédure collective sans qu’il soit nécessaire au préalable de constater leur état de cessation des paiements.

La même solution s’impose pour l’entité considérée comme maître de l’affaire de la structure fictive. Nonobstant les différences entre fictivité et confusion des patrimoines, les solutions seront identiques.

41 F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, P. A. 4 mai 2001, n° 89, p. 66.

23

La première procédure ouverte va se poursuivre devant le tribunal initialement saisi, avec une assiette élargie mais avec les mêmes organes. Si les créances ont été déclarées, la déclaration de créances vaut à l’égard de toutes les sociétés soumises à l’extension. En effet, les créanciers de la première structure n’auront rien d’autre à faire que la déclaration au passif de cette dernière pour pouvoir exercer leurs droits sur les actifs de la seconde structure, à laquelle la procédure a été étendue. Les actifs communs répondront symétriquement d’un passif commun.

S’il s’agit d’une procédure de liquidation judiciaire, les sociétés frappées par l’extension sont elles-mêmes liquidées, sans qu’il soit possible de s’interroger sur leur chance de redressement.

50. En définitive, le résultat de l’extension est que les différentes personnes voient leurs patrimoines réunis en une masse unique dans laquelle vient se dissoudre leur individualité. La jurisprudence déduit de cette unité patrimoniale retrouvée la nécessité d’une solution unique dégagée par le tribunal qui statue sur le sort de l’entreprise. En effet, il n’est pas concevable d’envisager pour une des sociétés un plan de continuation, et pour l’autre un plan de cession.

Cette action en extension est une action collective ; elle ne peut être engagée que par un mandataire et seulement tant que dure la première procédure ouverte, c’est-à-dire tant qu’elle n’a pas été clôturée lorsqu’il s’agit d’une liquidation, ou tant qu’un plan na pas été arrêté.

B) Les conséquences spécifiques à la chaque source d’extension : les conséquences du maintien ou de la disparition des personnalités morales

51. Des solutions particulières à la fictivité et à la confusion des patrimoines doivent être posées.

Ces dernières tiennent au constat soit du maintien de la personne morale en cas de confusion des patrimoines, soit à la disparition de la personne morale en cas de fictivité.

Une société fictive ne peut avoir de dette. Aussi, le créancier ne peut-il être qu’un créancier de la structure qui existe, à laquelle les actifs qui étaient a priori ceux de las structure fictive ont été rattachés.

Plusieurs exemples permettront d’illustrer nos propos.

1. En cas de confusion des patrimoines, les magistrats décident que le caractère exprès du cautionnement impose de considérer que seules les dettes de la personne morale cautionnée sont couvertes, non celles de la personne à laquelle la procédure a été étendue. Force est de constater que cette solution n’est pas uniquement fondée sur le caractère exprès du cautionnement mais repose également sur le postulat du maintien de la personnalité morale des différentes structures.

La solution devrait être toute autre en cas de fictivité de l’une des sociétés, pour le cautionnement donné en couverture de la société fictive : il ne s’agit en réalité que du cautionnement de la seule société qui existe véritablement42.

42 Selon M. Le Corre, cette solution ne contrarie pas le caractère exprès du cautionnement.

24

2. En cas de confusion des patrimoines, l’unité de masses active et passive ne fait pas obstacle à la recevabilité de l’action de l’organe compétent pour obtenir le paiement, de la part des associés, de la fraction non libérée du capital social. Cette solution se justifie par le maintien des personnalités morales. En revanche, si la société dont le capital social reste à libérer est fictive, la même solution ne saurait être adoptée.

3. Puisqu’il n’y a plus, en cas de confusion des patrimoines, qu’une seule et même personne, la compensation est-elle concevable ? La doctrine n’est pas unanime sur la question, M. Lucas penche pour la négative alors que M. Le Corre43 opte pour la positive en se fondant sur une décision de la Cour de Cassation44 énonçant qu’ « en cas de confusion des patrimoines, il peut se produire une compensation entre la créance détenue par le créancier sur une structure et sa dette à l’égard d’une autre structure à laquelle la procédure a été étendue. » La solution vaudrait ainsi a fortiori en cas de fictivité.

52. Nous avons vu que l’extension de procédure « lato sensu » est empreinte de larges imprécisions, notamment quant à la détermination des sources d’extension. Faut-il toujours considérer la fictivité comme une source autonome d’extension, ou faut il retenir, à l’instar de la doctrine minoritaire, qu’un seul type d’extension, fondé sur la confusion des patrimoines, doit être admis ? Dans le cadre même de l’extension de procédure subsiste des imperfections liées notamment aux conséquences de la procédure. Si l’unicité des procédures est toujours la conséquence majeure de l’extension de procédure ; des conséquences incidentes divergentes sont appliquées selon que l’extension a été prononcée pour confusion des patrimoines ou pour fictivité. Ce système, complexe, rend ardue la tâche du juriste dans la mesure où très souvent les deux causes d’extension se recoupent. Pourtant, la fictivité et la confusion des patrimoines sont bien rarement invoqués ; car les critères qu’ils recoupent sont bien trop étroits. Le monde des affaires, les dirigeants de sociétés ne sont pas dupes et tirent partie de cette imperfection législative, en mettant notamment en place des stratégies de groupe leur permettant d’user au mieux de la situation, sans risquer de tomber sous le coup d’une extension de procédure.

43 P.-M. Le Corrre, Le sort des créances en cas d’extension de procédure, D. 2002, Chro. p. 1122. 44 Com. 9 mai 1995, Bull. Civ. IV n°130 ; D. A1996, jsp p. 322, note G. Loiseau.

25

Chapitre 2 : Les stratégies de groupe à l’épreuve des risques d’extension de procédure. 53. Les groupes de sociétés sont animés par le même objectif : lutter contre les risques d’extension de la procédure collective. Pour reprendre une expression imagée, le groupe doit éviter de se retrouver « mat » alors qu’une de ses entités est déjà « échec ». Les techniques contractuelles, l’ingénierie juridique à la disposition des sociétés permettent dans une certaine mesure de se prémunir contre ce risque. Tout n’est que question de stratégie. On comprendrait donc aisément que la marge stratégique laissée aux groupes de sociétés par le législateur diffère selon que les sociétés sont in bonis ou déjà en période d’observation. Cependant, les sociétés d’un groupe ont les moyens d’appliquer des stratégies de gestion qui ne diffèrent pas tellement selon que les sociétés sont menacées par l’extension d’une procédure collective ou qu’elles sont in bonis.

Après avoir envisagé l’organisation contractuelle du groupe sous son aspect « stratégique », il conviendra d’étudier plus spécialement les moyens juridiques dont dispose les sociétés d’un groupe dont l’une des entités se trouve en période d’observation afin d’éviter le risque d’une extension de procédure. Section 1 : L’organisation contractuelle du groupe. 54. Nous avons vu en introduction que le choix de la structure et de la forme sociale, l’option pour la « filialisation » ou pour la « sucursalisation » gouverne, fort logiquement d’ailleurs, l’appréhension par les magistrats du patrimoine des sociétés.

Les sociétés qui développent de multiples activités en les filialisant choisissent - en principe - de respecter l’autonomie des personnalités morales de leurs filiales. Pourtant, ce choix ne saurait exclure toute relation entre la société mère et ses filiales, et entre les sociétés sœurs elles-mêmes.

Deux techniques contractuelles peuvent être mises en place par les groupes de sociétés : la centralisation de trésorerie (§1) et la conclusion de conventions d’assistance (§2). Ces dernières se révèlent être des stratégies de prévention voire de lutte contre une éventuelle extension.

26

§1. La centralisation de trésorerie

55. Les sociétés formant un groupe économique sollicitent souvent leurs banques afin que celles-ci procèdent à la fusion des comptes de la société mère avec ceux des sociétés filiales dans le cadre d’une gestion optimale de la trésorerie de ces sociétés.

Cette centralisation de trésorerie présente des intérêts non seulement pour les sociétés in bonis mais aussi pour celles sur lesquelles pèsent un risque d’extension de procédure.

A) L’intérêt de la centralisation de trésorerie pour les sociétés in bonis.

56. A l’instar de M. Bouteiller45, il est permis de dire que le principe est simple et brutal : « dans la mesure où elle postule l’unité de titulaire de comptes, les lettres de fusion ou d’unité de compte ne peuvent être admises entre les comptes de personnes morales différentes, quand bien même celles-ci justifieraient de liens en capital, puisqu’elles constituent autant de patrimoines juridiques différents. »

Pourtant, une exception est admise par le législateur : en effet, il est permis à une entreprise de « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital, conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres. »46

La centralisation de la trésorerie est aujourd’hui une technique bien admise. Largement répandue dans les groupes, elle présente des atouts économiques incontestables.

En effet, elle permet aux groupes d’optimiser leurs ressources en trésorerie, de prêter très rapidement leurs excédents, par le canal d’organes spécialisés, et d’obtenir tout aussi rapidement à l’intérieur du groupe, « l’argent frais » dont a besoin telle ou telle structure.

La mise en place de ce système de gestion de trésorerie des groupes de sociétés est possible selon différentes modalités, la société mère ou une société pivot centralisant à son niveau la trésorerie des sociétés du groupe en faisant remonter les soldes ou les écritures des comptes de l’ensemble des sociétés sur un compte central ou la société mère recevant procuration pour procéder aux flux financiers utiles à la gestion du groupe directement sur les comptes des sociétés concernées.

57. Quelle est alors la frontière entre la centralisation de trésorerie et la confusion des patrimoines ?

Il est certain que la centralisation de trésorerie, parce qu’elle suppose la réalisation d’opérations financières entre les sociétés d’un même groupe, implique la tenue d’une comptabilité effective pour chacune de ces entités. La confusion des patrimoines ne saurait ainsi être fondée dans de telles hypothèses sur l’absence de tenue de toute comptabilité.

Mais il faut craindre que les relations financières, soit disant « utiles à la gestion du groupe » ne puissent être qualifiées d’anormales par les tribunaux de commerce. Ces flux sont néanmoins facilement identifiables ; ceci facilite sans doute la tâche des magistrats.

45 P. Bouteiller, Groupe de sociétés, centralisation des opérations de trésorerie, JCP 2001, éd. E, n° 42. 46 Article L. 511-7-3 C. mon. et fin.

27

Notons qu’il doit être constaté chez chaque société prêteuse de fonds un intérêt social à réaliser ces opérations sous peine de commettre un délit d’abus de biens sociaux47.

Si la centralisation de trésorerie présente des atouts économiques incontestables pour le groupe dont les sociétés sont in bonis, elle se révèle également être un excellent instrument de prévention du risque d’extension de procédure.

B) La centralisation de trésorerie : une technique de lutte contre la contamination.

58. L’impossibilité de fusionner les comptes des diverses sociétés d’un groupe, entraîne un effet indirect en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’une des structures du groupe : l’impossibilité de considérer que le solde créditeur du compte d’une société peut constituer en soi la garantie de recouvrement du solde débiteur d’une autre société du groupe dont le solde présenterait une position créditrice.

Même si une convention de trésorerie ou plutôt, a fortiori si une telle convention a été signée entre les sociétés du groupe, l’administrateur judiciaire serait, en cas de procédure collective ouverte contre cette dernière société, fondé à réclamer à la banque la libre disposition du solde sans que cette dernière ne puisse se prévaloir d’une quelconque compensation.

59. Lorsqu’une procédure collective est ouverte à l’encontre d’une société du groupe, cette centralisation de trésorerie pose un autre problème lié aux clauses contenues dans ce type de contrat. Doivent-elles être maintenues ?

Il conviendrait sûrement d’appliquer le principe de la continuation des contrats en cours posé par l’article L. 621-28 du Code de commerce.

Néanmoins, les clauses qui figurent dans les conventions de globalisation de trésorerie confèrent souvent à l’organe qui gère la trésorerie de l’ensemble des sociétés du groupe un pouvoir d’appréciation sur les remises qui lui sont faites. Certaines clauses imposent des plafonds de trésorerie à ne pas dépasser, des mesures de rétorsion en cas d’insuffisance…

60. Ainsi, ce type de convention peut perdre tout son intérêt pour une société soumise à une procédure collective. En revanche, elle présente un avantage certain pour le groupe qui tente de se prémunir contre le risque de « contamination » de la procédure. En effet, le contrat de centralisation de trésorerie érige des barrières de sécurité conçues pour éviter que le groupe dans son ensemble subisse les difficultés de l’une ou l’autre de ses structures.

Selon le professeur Le Cannu48, il n’est pas sûr que les règles actuelles, relatives à la période suspecte, au gel du passif antérieur et à la continuation des contrats en cours puissent vaincre les obstacles stipulés dans les conventions de trésorerie. Une telle situation serait-elle du reste souhaitable ?

47 Voir notamment : Crim. 4 fév. 1985, D. 1985, p. 485. 48 P. Le Cannu, La société et les groupes de sociétés pendant la période d’observation, P.A. 9 janvier 2002, n° 7, p. 48 à 58.

28

Ainsi, la centralisation de trésorerie s’avère être une stratégie efficace pour les groupes de sociétés. Non seulement elle permet d’optimiser les ressources en trésorerie du groupe mais aussi elle limite le risque de contamination lors de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société du groupe. Les sociétés se mettent ainsi à l’abri de ce qu’on pourrait appeler l’extension « véritable » de procédure.

Une deuxième technique, qui ne souffre pas non plus des critères de l’extension de procédure pour fictivité ou confusion des patrimoines consiste dans la conclusion, entre les diverses structures du groupe de conventions d’assistance.

§2. Les conventions d’assistance.

61. Les conventions d’assistances interviennent aujourd’hui fréquemment dans les relations d’affaire. Moyennant un tarif généralement calculé en pourcentages du chiffre d’affaires, une filiale obtient de sa société mère le bénéfice d’une assistance dans des domaines variés : informatiques, bureautiques, comptables, financiers, relations extérieures… La pratique montre que cette assistance reste assez souvent formelle, c'est-à-dire qu’elle ne correspond pas forcément à une nécessité, voire à des prestations réelles ; ou bien, hypothèse inverse, les dirigeants de la filiale sont mis dans l’obligation de faire traiter par d’autres leur propre travail. Parfois utiles, ces conventions d’assistance sont également le moyen de faire remonter de l’argent sans passer par la distribution de dividendes, d’autant plus tranquillement que leur rémunération ne dépend que du chiffre d’affaires. Il peut donc s’agir d’un moyen de piller les filiales par transfert de substance. 62. Faire exécuter les conventions d’assistance dans de telles conditions par une filiale en difficulté peut par suite s’avérer dangereux pour les autres sociétés du groupe. Ce risque est d’autant plus élevé que les conventions ne satisfont pas des besoins réels dans les domaines couverts par ses conventions. Néanmoins, le risque n’est certainement pas en premier lieu celui de l’extension de procédure sur le fondement de la fictivité ou de la confusion. Le danger se situe au niveau de la sanction de la personne morale à l’origine de l’acte frauduleux, hypothèse que nous envisagerons par la suite49. Après avoir étudié sous un angle stratégique l’organisation contractuelle du groupe de sociétés, voyons à présent la gestion de la période d’observation. Comment agir au mieux des intérêts du groupe sans risquer de se voir étendre la procédure collective déjà ouverte à l’encontre d’une autre société du même groupe ?

49 En effet, telle société du groupe ou tel dirigeant peut être alors qualifié de dirigeant de fait de la personne morale (s’il n’est pas déjà dirigeant de droit), et l’absence d’utilité économique de la convention constitue une faute de gestion dont le prix permet d’établir le lien de causalité avec l’insuffisance d’actif de la société en difficulté.

29

Section 2 : La gestion de la période d’observation par le groupe. 63. Le jugement d’ouverture de toute procédure collective marque le point de départ d’une période d’observation. Or, on reproche souvent à ces décisions de n’intervenir que trop tard, alors que la situation de l’entreprise en difficulté est, selon une expression souvent employée, « irrémédiablement compromise ». Lorsque l’ensemble des sociétés du groupe ne se trouve pas concerné par ce jugement d’ouverture, le risque plane toujours d’une éventuelle extension de procédure. Pour limiter ce danger, deux stratégies radicalement opposées, sont utilisées par les structures in bonis. La première consiste à lutter contre la « contamination » (§1). La seconde a pour objectif la reprise des entités soumises au redressement judiciaire par le groupe (§2). §1. La stratégie de lutte contre la « contamination ». 64. Lutter contre l’extension de procédure, c’est à dire contre la « contamination », implique d’une part d’éviter le plus possible de se trouver dans une situation « contaminante », et d’autre part de traiter au plus vite la société en difficulté, la « branche morte ». A) Eviter les situations « contaminantes ». 65. Le fait d’être entré dans une période d’observation ne fait pas disparaître le risque d’extension de la procédure collective. La pratique montre très fréquemment des entrées successives de différentes sociétés dans la procédure collective d’ensemble ou dans des procédures connexes. Quelques problèmes techniques sont induits par ce phénomène. Inutile de se référer au code de commerce : ce dernier ne répond pas clairement aux interrogations pratiques soulevées. Parmi les difficultés de la période d’observation figure celle du choix des personnes physiques qui doivent traiter la ou les sociétés en redressement judiciaire. Associé ou actionnaire majoritaire, la structure du groupe qui contrôle en direct la société en redressement judiciaire a le pouvoir de changer les dirigeants, et rapidement s’ils se prêtent à l’opération. Néanmoins, il vaut mieux que la négociation avec les organes de la procédure collective soit menée par une personne qui ne risque pas par ailleurs d’entraîner une autre partie du groupe dans la procédure collective. La prudence est de mise dans ce domaine : si les négociations sur la filiale en période d’observation montrent une intervention des organes extérieurs du groupe au-delà de leurs prérogatives d’actionnaires ou d’associés, des mesures d’extension sont à craindre.

30

B) Traiter la « branche morte ». 66. Jusqu’à une époque récente, tout devait être mis en œuvre afin d’éviter l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société du groupe. Le groupe essuyait les pertes et prenait de lui-même les mesures de restructuration nécessaires. Cette conception de la stratégie à mettre en place dans une telle situation a évolué. Les groupes de sociétés sont plus soucieux de leur réputation nationale et internationale et ont souvent recours au redressement judiciaire voire à la liquidation judiciaire pour telle ou telle de leurs filiales ; de telle sorte qu’il est possible de penser que ce comportement, qui du reste ne se justifie que si la stratégie de la « branche morte » est viable, est devenue un instrument de lutte contre l’extension de procédure. En effet, en traitant le plus rapidement la filiale en difficulté, les autres sociétés du groupe se prémunissent contre le risque d’extension. Durant la période d’observation, l’autonomie des personnes morales permet de réaliser une opération de séparation. 67. L’une des difficultés de la stratégie dite de la « branche morte » apparaît avec les écueils contradictoires que sont le soutien abusif, ou la rupture brutale du soutien. Dans une certaine mesure, le premier de ces risques peut être à l’origine d’une déclaration de cessation des paiements. Qu’en est-il une fois que la période d’observation a commencé ? Existe-t-il un devoir de soutien du groupe, éventuellement garanti par la priorité de l’article L. 621-32 du code de commerce (ex article 40 de la loi de 1985) ? Un tel devoir spécifique ne semble pas présent dans les principes, même s’il peut l’être dans la manière où les mandataires de justice et les tribunaux abordent la question. Le droit commun permet, sur la base de l’autonomie des personnes morales, de traiter les autres sociétés du groupe comme les autres créanciers postérieurs. 68. L’objectif à atteindre pour le groupe est effectivement de se séparer le plus rapidement possible de la filiale en difficulté de façon à ce que les relations financières des sociétés du groupe avec la filiale abandonnée soient les mêmes que ceux qu’entretiennent les créanciers et les débiteurs extérieurs. Partant, les créances des sociétés in bonis sur la filiale en redressement pourront être admises au passif de cette dernière, avec les garanties stipulées. Le temps joue donc en faveur des créanciers de la société en difficulté, toujours favorables au prononcé d’une extension de procédure ; en revanche il est l’ennemi des autres sociétés in bonis du groupe. En effet, plus l’ouverture de la procédure tardera à être prononcée, plus les preuves pourront être accumulées de l’immixtion d’une société dans la gestion de l’autre, voire de la progressive confusion des patrimoines. Cette stratégie de la branche morte n’est pas simple à mettre en œuvre. En effet, se séparer trop tôt d’une filiale en difficulté fait courir, aux autres sociétés du groupe, le risque d’un possible redressement de la filiale. En revanche, agir trop tard, en soutenant (notamment par des avances de trésorerie) et en connaissant l’état de cessation des paiements de la filiale, implique le danger, à la fois du prononcé de l’extension de procédure fondée sur la confusion des patrimoines (les avances pouvant constituer des relations financières anormales), et de la mise en cause de la responsabilité civile des sociétés in bonis.

31

69. Force est donc de constater que les sociétés in bonis qui ont choisi de se « débarrasser » de l’une des filiales de leur groupe soumise à un redressement judiciaire ont tout intérêt à se désintéresser des suites judiciaires données à cette affaire. « Never complain, never explain », tel est donc le conseil à prodiguer aux sociétés d’un groupe dont l’une des filiales en difficulté se trouve en redressement judiciaire. En somme, les sociétés in bonis ont tout intérêt à se faire oublier des mandataires judiciaires. Néanmoins, une autre stratégie de gestion, radicalement opposée à celle que nous venons d’étudier, consiste, pour le groupe de sociétés à reprendre les entités soumises au redressement. § 2. La reprise de certaines entités soumises à la procédure collective. 70. Traditionnellement, la période d’observation est le moment au cours duquel le groupe qui n’est pas soumis dans son ensemble à la procédure collective va tenter de récupérer la ou les entités soumises au redressement judiciaire. Cependant l’article L. 621-57 du code de commerce exige que cette offre émane d’un tiers. Cette condition d’altérité est illustrée dans les précisions du dernier alinéa de l’article : « Ni les dirigeants de la personne morale en redressement judiciaire ni les parents et alliés jusqu’au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre… ». On peut donc constater que le législateur a pris comme modèle de référence le débiteur personne physique. Selon le professeur Le Cannu50 : « il faut faire un effort d’abstraction peu encouragé par le texte pour appliquer (ce modèle) au cas des groupes. » En effet, la notion de personne interposée est certainement assez souple, mais l’interdiction ne vise que le débiteur personne physique, les dirigeants, et quelques parents de ces personnes. Ainsi, rien ne s’oppose à ce que le groupe de sociétés reprenne, si telle est la stratégie qu’il a choisie, les entités soumises à la procédure collective. Nul doute que cette technique permette de blanchir et d’apurer du passif, et dans la meure ou aucune offre concurrente n’est déposée, de permettre selon une expression familière « le retour au bercail » du groupe dans son entier. Certes, le risque d’extension plane toujours sur les autres sociétés in bonis du groupe, mais ces sociétés ont bien plus à craindre des sanctions patrimoniales qui pourraient leur être infligées. 71. Nous avons vu qu’il existe en faveur des créanciers, des possibilités d’extension de procédure fondées sur la fictivité et la confusion des patrimoines. Ces actions, qui n’aboutissent que rarement, postulent une confusion des personnes morales des sociétés et atteignent directement le groupe en ce qu’elles visent les sociétés mêmes de ce groupe. Mais il existe, parallèlement à cette possibilité d’extension lato sensu, des actions qui visent quant à elles directement les dirigeants sociaux et de ce fait qu’indirectement le groupe et qui laissent subsister la distinction des personnes morales. Ces actions feront l’objet du prochain titre. 50 P. Le Cannu, La société et les groupes de sociétés pendant la période d’observation, Petites Affiches, 9 janvier 2002, n° 7, p. 57.

32

TITRE 2 :

L’atteinte indirecte du groupe au travers de la sanction de ses dirigeants. 72. La loi du 25 janvier 1985, comme la loi du 13 juillet 1967, a dissocié le sort de l’homme du sort de l’entreprise. Le débiteur ou les dirigeants de la personne morale en difficulté n’encourent donc de sanctions qu’en cas de faute personnelle. Le débiteur, personne physique, subit, au contraire, toujours les conséquences du redressement judiciaire de l’entreprise sur ses propres biens en raison du principe de l’unité du patrimoine. Son actif répond de ses dettes personnelles et professionnelles et sa situation patrimoniale est étroitement liée au sort de l’entreprise. En revanche, en raison du paravent de la personnalité morale et de la séparation des patrimoines, les dirigeants de groupements échappent aux conséquences pécuniaires de la procédure, dans la mesure du moins, où ils ne se sont pas portés caution. Toutefois, pour prévenir les abus que peut engendrer la constitution d’une personne morale, le législateur, par le décret loi du 8 août 1935 et par la loi du 16 novembre 1940, repris et développés depuis, a institué deux actions en justice codifiées aujourd’hui aux articles L. 624-3 et L. 624-5 dont le résultat est d’imposer aux dirigeants de supporter dans une certaine mesure les dettes sociales sur leurs propres biens. Les groupes de sociétés semblent donner prise aisément aux conditions d’application de ces textes car la personne visée par les condamnations peut évidemment être une personne morale : l’essentiel est que cette dernière soit le dirigeant de droit ou de fait de la personne morale en difficulté (chapitre 1). La jurisprudence se montre beaucoup plus sévère avec les groupes de sociétés s’agissant de cette atteinte indirecte que pour l’ouverture d’une extension de procédure lato sensu, surtout lorsqu’une faute stratégique est reprochée. Les groupes de sociétés doivent donc « jouer serré ». Rien dans leurs actions ou omissions ne doit pouvoir être considéré comme une faute (chapitre 2).

Chapitre 1 : La condamnation du dirigeant de la société. 73. Les dirigeants de sociétés qui profitent de la situation juridique dans laquelle ils sont placés pour abuser de la personne morale qu’ils dirigent et détourner, à leur profit personnel ou au profit d’un tiers, une partie du patrimoine social qui sert de gage aux créanciers supporteront tout ou partie du passif social sur leurs propres biens. Le législateur a conçu un système présentant deux degrés laissés à l’entière discrétion du tribunal, et supposant, bien sûr, une procédure ouverte à l’encontre de la personne morale. Celui-ci peut condamner les dirigeants à combler l’insuffisance de l’actif de l’entreprise en tout ou partie. Il a aussi la faculté, dans certains cas, d’ouvrir à l’encontre du dirigeant une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation distincte de celle qui frappe la première personne morale.

33

Nous verrons que bien que ces deux actions présentent des objets et des effets différents (section 1), elles tendent toutes deux à condamner la même personne, dirigeant de droit ou de fait de la personne morale (section 2).

Section1 : Les condamnations.

74. Les créanciers d’une société soumise à une procédure collective disposent de deux types d’action dans le but de recouvrer une solvabilité accrue, correspondant le mieux à leurs attentes et perspectives.

La responsabilité patrimoniale des dirigeants sociaux prend sa source s’agissant de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif, dans l’existence d’une faute de gestion à l’origine de tout ou partie de l’insuffisance d’actif, et dans le cas de l’ouverture d’un redressement judiciaire, dans la commission de l’un ou de plusieurs des actes visés à l’article L. 624-5 du Code de commerce. Ces sources de responsabilité sont aisément retenues.

Nous verrons que les actions en « extension de faillite sociale » et en comblement d’insuffisance d’actif présentent des objets différents (§1) ; et les effets en résultant sont fort logiquement divers (§2).

§ 1. L’action en comblement d’insuffisance d’actif et l’action en « extension de faillite sociale » : des objets différents. 75. Alors que la demande en comblement d’insuffisance d’actif s’analyse comme une action en responsabilité destinée à réparer le préjudice par une condamnation pécuniaire, la lecture des faits énumérés dans l’article L. 624-5 du code de commerce fait ressortir que cette cause particulière d’ouverture s’applique à celui qui, détenant le pouvoir dans l’entreprise, en a abusé pour se livrer à des agissements répréhensibles. Aux termes de l’article L. 624-3 du Code de commerce, le tribunal peut décider, « en cas de faute de gestion » ayant contribué à l’insuffisance d’actif constatée chez la société en redressement ou en liquidation judiciaire, que les dettes de la société seront supportées en tout ou partie, avec ou sans solidarité par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d’entre eux. Ainsi, les dettes sociales qui ne sont pas couvertes par les actifs de la société sont mises à leur charge, en tout ou partie s’il est établi que ces derniers ont participé à la gestion, en droit ou en fait de la première société, et ont, dans ces circonstances commis des fautes.

L’article L. 624-5 du Code de commerce, ancien article 182 de la loi du 25 janvier 1985, prévoit que lorsqu’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte à l’égard de la personne morale, le tribunal peut également ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard de tout dirigeant de droit ou de fait lorsqu’une faute, mentionnée par la loi, a été commise. Le tribunal dispose d’un très large pouvoir d’appréciation sur ce point.

34

76. L’article L. 624-5 va donc plus loin que l’article L. 624-3 en ce qu’il tend à une extension de procédure à l’encontre du dirigeant : une seconde procédure collective va être ouverte, qui dérive naturellement de celle initiale ouverte contre la filiale. Cette nouvelle procédure est néanmoins distincte de la première, ce qui permet d’éviter que les créanciers de la filiale puissent exercer leurs privilèges généraux sur le patrimoine personnel du dirigeant au mépris des droits des créanciers de ce dernier.

Même si la mise en œuvre des actions en « extension de faillite sociale » et en comblement d’insuffisance laissent apparaître des objectifs secondaires différents, leur objectif principal et commun est de condamner le dirigeant de la personne morale à supporter, au moins en partie, les dettes de la société en difficulté. Il en résulte que ces deux actions ne peuvent se cumuler.

Nous avons ainsi pu constater que les actions en comblement d’insuffisance d’actif et en « extension de faillite sociale » ont des objets différents, voyons à présent leurs effets respectifs. § 2. L’action en comblement d’insuffisance d’actif et l’action en extension de « faillite sociale » : des effets différents. Nous évoquerons successivement les effets de l’action en comblement d’insuffisance d’actif puis ceux de l’action en « extension de faillite sociale.

A. Les effets de l’action en comblement d’insuffisance d’actif.

77. La loi donne de larges pouvoirs au tribunal pour ordonner le comblement de l’insuffisance d’actif et prévoit que le produit de l’action profite à l’entreprise

Le tribunal peut décider que les dettes de la personne morale seront supportées, « en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants ou par certains d’entre eux ». Ces pouvoirs sont donc très importants puisque la sanction est facultative, peut ne frapper que certains dirigeants et qu’elle n’est pas nécessairement calquée sur le préjudice.

Le tribunal apprécie souverainement la faute de gestion reprochée au dirigeant et justifiant sa condamnation à combler l’insuffisance d’actif. Cette faculté d’appréciation va jusqu’à décider de l’opportunité de prononcer ou non une sanction. Dans cette appréciation, il doit être tenu compte non seulement de la gravité des fautes de gestion et de l’insuffisance d’actif, mais également de la situation personnelle du dirigeant et de ses facultés contributives51.

51 CA Versailles, 13ème ch., 27 sept. 2001, Mandin ès qualité c/ Perrard, Juris-Data n° 2002-167235, Fasc. 2905. En l’espèce, eu égard à la situation personnelle très obérée du dirigeant, une condamnation à la totalité de l’insuffisance d’actif n’aurait eu aucun sens et aurait mis inéluctablement et à très court terme le dirigeant en situation de faillite personnelle.

35

En outre, lorsque plusieurs dirigeants sont condamnés solidairement, le tribunal peut ne pas fixer la quote-part du préjudice supportée par chacun d’entre eux et a le droit de déterminer des parts inégales. Le tribunal dispose ainsi d’une certaine « faculté de modération »52.

La loi prévoit en outre que « les sommes versées par le dirigeant entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l’entreprise selon les modalités prévues par le plan d’apurement du passif. En cas de cession ou de liquidation, ces sommes sont réparties entre tous les créanciers au marc le franc. »

Il résulte de ce texte que les sommes ainsi récupérées rentrent dans l’actif de l’entreprise, alors que, sous l’empire de la loi de 1967, elles tombaient dans l’actif de la masse et permettaient de payer le passif de la masse. Il était normal que ces sommes soient versées à l’entreprise, à partir du moment où la masse était supprimée.

B. Les effets de l’action en « extension de faillite sociale ».

78. Les effets de l’action sont gouvernés par l’idée que le redressement et la liquidation du dirigeant sont à la fois accessoires et indépendants de ceux de l’entreprise. Parce qu’il sont accessoires, il est fait masse de toutes les dettes. Le dirigeant répond de son propre passif et de celui de la personne morale soumise à la première procédure. Les créanciers pourront déclarer leurs créances dans les deux procédures mais la déclaration des créances faite à l’égard de la personne morale dispense le créancier d’avoir à déclarer à la procédure ouverte contre le dirigeant. Mais bien qu’accessoire, à la procédure de redressement et de liquidation judiciaire frappant l’entreprise, la procédure touchant le dirigeant n’en est pas moins distincte et autonome. C’est en cela que l’action se distingue de la procédure fondée sur la confusion des patrimoines. La jurisprudence en a déduit que la mesure le frappant peut être différente de celle retenue pour l’entreprise : le tribunal peut par exemple, décider la liquidation du dirigeant et le redressement judiciaire de la personne morale53. Ceci précisé, la procédure est la même que pour l’action en comblement de l’insuffisance d’actif, et cela est légitime car les deux actions, visant la même personne, tendent de facto à faire supporter aux dirigeants le passif de l’entreprise. Nous avons vu que les deux actions des articles L. 624-3 et L. 624-5, si elles tendent toutes les deux à dégager une surface financière plus importante pour les créanciers de l’entité en difficulté, se caractérisent par des conséquences judiciaires différentes. Les personnes visées par ces types d’actions sont cependant les mêmes qu’il s’agisse de l’action en comblement d’insuffisance d’actif ou de l’action en extension de faillite sociale.

52 C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 4ème édition, MONTCHRESTIEN, spécialement n° 1098. 53 Voir par ex. Com. 6 juillet 1993, RJDA 2/94, n° 24.

36

Section 2. La personne condamnée.

79. Une jurisprudence constante affirme que les dirigeants qui sont tenus sur leur patrimoine ainsi que ceux qui encourent la sanction d’extension de faillite sociale sont « les dirigeants personnes physiques ou morales ainsi que les personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales.

Or l’article L. 624-3 du Code de Commerce vise les « dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non ».

Il en résulte que les dirigeants de fait, comme les dirigeants de droit sont susceptibles d’être patrimonialement responsables (§1). Mais s’agit-il uniquement des dirigeants de sociétés privées ou également des dirigeants de personnes morales de droit public (§2) ?

§1. Le dirigeant de droit et le dirigeant de fait. La notion de dirigeant social a connu ces dernières années une forte extension. En effet, il est relativement fréquent que les magistrats qualifient de dirigeant de fait une personne morale, société du groupe disposant d’un ascendant déterminant sur une ou plusieurs autres sociétés du groupe. La société mère court fréquemment le risque d’être reconnue comme telle. Pour les plaideurs et les magistrats, l’objectif est proche de celui recherché dans le cadre des situations de confusion de patrimoine ou de fictivité de la personne morale. Le gage des créanciers est étendu aux actifs de la personne morale qualifiée de dirigeant de fait. Avant d’étudier la définition jurisprudentielle du dirigeant de fait, il convient de préciser la notion de dirigeant de droit.

81. Les dirigeants de droit sont ceux régulièrement désignés en tant qu’organes légaux de la personne morale. Il s’agit du président du Conseil d’administration, des administrateurs, et surtout depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 relatives aux nouvelles régulations économiques, des directeurs généraux des sociétés anonymes, et des gérants des autres sociétés.

Le tribunal de commerce de Paris a jugé dans l’affaire des banques Pallas Stern et Comipar54 qu’est recevable l’action en comblement pour insuffisance d’actif – visant à obtenir huit milliards de francs – à la fois à l’encontre des administrateurs de la banque Pallas Stern et de Comipar à titre personnel, et à l’encontre des personnes morales « grands actionnaires » qu’ils représentaient au sein des conseils d’administration des deux sociétés.

Ces associés principaux ont été poursuivis au motif que par l’intermédiaire des administrateurs qui les représentaient dans la banque Pallas Stern, ils étaient les dirigeants de droit de cette banque.

54 J. Hannelais, L’affaire Pallas Stern et la question des dirigeants de droit, Les Echos, 26 nov. 1998.

37

82. Ainsi, une nouvelle définition du dirigeant de droit semble avoir été adoptée par les juges du tribunal de commerce de Paris qui considèrent désormais comme dirigeants de droit les administrateurs des sociétés mais aussi les sociétés dont ils émanent et qui sont dirigeants de droit par le biais de leurs représentants aux conseils d’administration.

Les dirigeants de droit peuvent être poursuivis même s’ils n’ont pas participé à la gestion car ils ont commis une faute en se désintéressant des affaires sociales, et notamment, le fait qu’ils aient laissé un dirigeant de fait prendre les décisions sociales ne dégage pas leur responsabilité patrimoniale55. Au contraire, le dirigeant de droit engage sa responsabilité tant que sa démission n’a pas été publiée et pour tous les faits antérieurs à celle-ci.

Cette extension de la notion de « dirigeant de droit », qualifiée par la professeur Saint-Alary-Houin de réelle « dilatation »56 s’accompagne d’un fort mouvement jurisprudentiel attestant d’actions exercées contre les dirigeants de fait de sociétés qui les ont conduites à la cessation des paiements.

83. Dès lors, l’on est amené à s’interroger sur la teneur de cette notion de dirigeant de fait.

Le contenu de cette dernière a été précisé par la doctrine57 et la formule proposée aujourd’hui a été reprise en jurisprudence.

Toute personne morale (ou physique) qui, sans mandat social, exerce une activité positive de gestion et de direction au sein d’une autre société est considérée comme dirigeant de fait de celle-ci.

Le professeur Hannoun58 souligne que c’est au demandeur d’établir que cette personne exerçait des fonctions telles qu’elles le mettaient en mesure de décider du sort économique et financier de l’entreprise.

84. Les illustrations jurisprudentielles de gestion de fait dans le domaine des groupes de sociétés sont assez rares. Pourtant des critères ont été dégagés tels que l’immixtion dans la gestion ou la direction d’une société. Souvent, les magistrats constatent une insuffisance des moyens allégués pour caractériser la gestion de fait. Ainsi, la seule participation, même majoritaire, d’une société dans le capital d’une autre ne peut suffire à cette qualification.

Un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 26 mai 198159, bien qu’ancien, apporte des précisions quant à la détermination de la gestion de fait. En l’espèce, plusieurs éléments ont conduit la Cour à déclarer la société mère dirigeant de fait de sa filiale : le président du conseil d’administration était également le correspondant local de la société mère ; certains employés de la société mère avaient été embauchés par la filiale avec leur ancienneté ; enfin la société mère qui sous-traitait des marchés obtenus par la filiale, lui imposait les prix.

55 CA Paris, 19 nov. 1999, RJDA 4/00 n°459 : « L’incurie du dirigeant de droit qui prétend avoir été soumis au dirigeant de fait ne peut être une cause d’exonération de responsabilité. » 56 C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 30. 57 J.-L. Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens, D. 1975, chro. p. 41, n°5 s. 58 C. Hannoun, Groupes de sociétés Redressement et liquidation judiciaire, Jurisclasseur Commercial, fasc. n° 3190, spécialement n°65 à 68. 59 CA Aix en Provence, 26 mai 1981, D. 1983, IR p. 60, obs. F. Derrida ; RJ Com. 1981, p. 344.

38

Plus récemment, la Cour de Cassation a estimé que la gestion de fait est caractérisée lorsque peut être relevé à l’encontre du dirigeant « des faits précis de nature à caractériser une immixtion dans la gestion, se traduisant par une activité positive et indépendante »60.

Ainsi, tout fait positif d’immixtion sera pris en considération pour établir la gestion de fait.

S’agissant de la relation entre une société mère et une de ses filiales, la Haute Juridiction a fait application de cette jurisprudence lorsque la première porte atteinte à l’autonomie financière de la seconde. Les conseillers s’appuyaient sur une pluralité d’indices pour prouver le contrôle exercé par la société mère sur la politique économique et financière de sa filiale.

Ainsi, dans un arrêt du 6 juin 200061, la Cour de Cassation relève que la société mère avait contraint la société dirigée à modifier ses comptes, à changer de politique salariale, à verser des excédents de trésorerie au profit d’autres sociétés sœurs en violation des statuts et à procéder à la liquidation amiable de la filiale contre l’avis de son dirigeant.

Cette décision n’est pas sans rappeler les hypothèses dans lesquelles la responsabilité pécuniaire du concédant ou du franchiseur a été retenue en cas de procédure ouverte à l’encontre de la société concessionnaire ou franchisée. Les magistrats recherchent alors si les faits d’immixtion du concédant ou franchiseur sont fréquents et s’il exerçait une véritable emprise sur les salariés du distributeur ou une mainmise financière sur celui-ci. Dans un arrêt du 26 octobre 199962, la Cour de cassation a jugé que de simples directives de comptabilité ou un crédit fournisseur ne suffisent pas à caractériser ces faits d’immixtion. En revanche, le fait de livrer au franchisé de la marchandise qu’il ne sera pas en mesure de payer est fautif.

85. Force est donc de constater que les conseillers de la Haute Juridiction adoptent une position très vigilante en exigeant que les juges du fond caractérisent une action positive du dirigeant de fait. Ainsi, sont impropres à caractériser la direction de fait d’une société les motifs selon lesquels, après une cession de parts à un proche, l’intéressé était devenu directeur technique salarié de la société, et qu’en cette qualité, il avait perçu une rémunération double de celle du gérant de droit, ancien salarié de la société qui l’avait recruté lorsqu’il était lui-même dirigeant de droit63.

L’action en comblement de passif contre une personne morale de droit public, dirigeant de droit d’une société en redressement judiciaire est-elle recevable ?

60 Com., 18 janvier 2000, Juris-Data, n°000287, cité par C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 30. 61 Com. 6 juin 2000, RJDA 9/2000, n° 896. 62 Com. 26 oct. 1999, cité par C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 32. 63 Com. 16 mars 1999, Bull. civ. IV, n° 64.

39

§2. Le dirigeant de droit public et le dirigeant de droit privé 86. Dans un arrêt du 25 novembre 199964, la Cour de Cassation a du se prononcer dans une affaire dans laquelle une société d’économie mixte locale ayant pour principal actionnaire un syndicat intercommunal avait été mis en redressement puis en liquidation judiciaire. Poursuivi en paiement par le liquidateur de la procédure collective, le syndicat intercommunal et son président ont été désignés comme le représentant permanent de la société d’économie mixte locale (SEML).

Le tribunal de commerce fut saisi. Il se déclara compétent pour statuer mais estima que le représentant permanent de la SEML n’était pas responsable de l’insuffisance d’actif en qualité de dirigeant de droit. Contestant la compétence des tribunaux judiciaires, le syndicat intercommunal a vu son pourvoi rejeté par la Cour de Cassation.

Les tribunaux de l’ordre judiciaire sont donc compétents pour connaître d’une action en comblement d’insuffisance d’actif à l’encontre d’une personne morale de droit public, gérant de droit d’une société d’économie mixte.

87. Néanmoins, dans un arrêt du 15 novembre 199965, le Tribunal des conflits a considéré que la responsabilité qui peut incomber à l’Etat ou aux autres personnes morales de droit public, en raison des dommages imputés à leur service public administratif, est soumise à un régime de droit public. Ce principe ne connaît d’exception qu’en cas de dérogation législative expresse. Or, les conseillers considèrent que si l’article 180 de la loi de 1985 (aujourd’hui article L. 621-3 du Code de commerce) permet de mettre à la charge des dirigeants de droit ou de fait tout ou partie des dettes des personnes morales qu’ils contrôlaient, ce texte n’a cependant pas entendu déroger au principe de compétence des tribunaux administratifs pour juger d’une telle action. La responsabilité civile des personnes morales de droit public ne peut donc a priori pas être recherchée devant les tribunaux judiciaires.

En l’espèce, l’action en responsabilité exercée contre le département, en raison des fautes commises par lui dans la gestion du comité d’expansion de la Dordogne, ne saurait être recherchée dans le cadre d’une action en comblement d’insuffisance d’actif suite à la liquidation judiciaire de l’association, mais relève uniquement de la compétence de la juridiction administrative.

88. Cependant, une dérogation au principe de compétence des tribunaux administratifs a été admise dans l’hypothèse où le dirigeant de droit public peut être considéré comme un dirigeant de fait. Une distinction doit ainsi être opérée entre les dirigeants de droit et les dirigeants de fait, au sein même du corps des dirigeants de droit public. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation du 6 février 200166 a en effet admis qu’il « appartient aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître de l’action en paiement des dettes sociales dirigée contre un établissement public à caractère industriel et commercial qui n’a pas soutenu avoir accompli une mission de service public administratif. » La question de la compétence juridictionnelle n’est certainement pas définitivement tranchée. Une chose est néanmoins sûre : tout dirigeant, - personne de droit privé ou de droit public - est susceptible d’engager sa responsabilité patrimoniale.

64 Com. 25 nov. 1999, APC n° 246. 65 T. Confl. 15 nov. 1999, P.A. 17/04/2000, n° 76 p.11. 66 Com. 6 fév. 2001, JCP 2001, éd. G, IV, p. 674; Bull. Civ. IV n°33; BRDA 2001, n° 6 p.5, Rev. Lamy Dr. Aff. 2001, n° 39, 24-79.

40

Chapitre 2 : Les stratégies de groupe à l’épreuve du risque d’extension de passif.

89. Contrairement à l’extension véritable de procédure, l’action en comblement d’insuffisance d’actif est de plus en plus retenue par les magistrats.

Ceci est dû en grande partie au fait que la faute, surtout la faute stratégique, est souvent reprochée dans les montages juridiques réalisés par les groupes de sociétés (section 1).

La stratégie de groupe se trouve ainsi restreinte. En effet, pour ne pas subir les poursuites judiciaires visées aux articles L. 624-3 et L. 624-5, les groupes doivent adopter une « politique » qui ne peut en aucun cas être constitutive ni d’une faute de gestion, ni d’un cas d’ouverture de l’action en extension de faillite sociale.

L’autonomie des sociétés du groupe se trouve donc confrontée à l’intérêt du groupe. La faute stratégique reprochée au dirigeant de la personne morale en difficulté ne pourrait-elle pas être justifiée par un intérêt supérieur (section 2)?

Section 1. Une conception extensive de la faute.

90. Le droit des procédures collectives est empreint d’une forte volonté de moralisation de la vie des affaires. Ce courant pousse les magistrats à retenir une conception extensive de la faute.

Pour faciliter la compréhension de nos propos, nous entendrons par faute à la fois la faute de gestion entraînant l’ouverture d’une procédure de comblement d’insuffisance d’actif, et les cas d’ouverture d’une procédure en extension de faillite sociale.

La marge stratégique laissée aux groupes de sociétés est fortement réduite. C’est certainement l’action en comblement d’insuffisance d’actif qui suscite le plus de débats doctrinaux et jurisprudentiels (§1). L’action en « extension de faillite sociale », qui doit permettre de sanctionner les agissements les plus répréhensibles, ne peut être intentée que si l’une des conditions posées par l’article L. 624-5 du Code de commerce est remplie (§2).

§1. La faute au sens de l’article L. 624-3 du code de commerce. 91. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 1985, l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 qui régissait l’action en comblement de passif établissait une présomption de faute des dirigeants mis en faillite. Ces derniers devaient rapporter la preuve de leur bonne gestion. Or la charge de cette preuve était bien trop lourde pour les dirigeants, de telle sorte que la loi de 1985 a supprimé l’ancienne présomption et a mis à la charge du demandeur à l’action en comblement de passif la preuve de la faute de gestion.

Pour prononcer le comblement de l’insuffisance d’actif, il est nécessaire de démontrer que, par son comportement, le dirigeant a contribué à l’aggravation de la situation financière de l’entreprise.

41

L’action en comblement de l’insuffisance d’actif suppose tout d’abord que soit établie une faute de gestion du dirigeant social et un lien de causalité entre la faute commise et l’insuffisance d’actif.

Avant d’envisager les hypothèses dans lesquelles le comportement d’un dirigeant peut être considéré comme fautif au sens de l’article L. 624-3 du Code de commerce, il convient de préciser la notion de gestion.

A. La notion de gestion.

92. La gestion se définit dans un sens général comme l’action d’administrer et de diriger dans le but d’assurer les intérêts relatifs à un patrimoine. L’ensemble des actes pris pour l’exploitation du patrimoine social relève donc de la gestion de cette dernière.

Cependant ne doit-on pas retenir un critère formel de la gestion ? Dès lors, tout acte émanant du dirigeant serait susceptible d’engager sa responsabilité. Les magistrats ont retenu une approche moins sévère de la gestion, en faisant prévaloir un critère matériel.

Aussi a-t-il été jugé67 que des motifs qui se bornent à reprocher à un administrateur de société anonyme sa seule tolérance à la poursuite d’un produit fabriqué par elle sans les autorisations administratives requises pour sa distribution, sont impropres à caractériser l’existence d’une faute de gestion (en l’espèce, l’autorisation requise ne concernait pas la gestion de la société elle-même).

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 17 novembre 1992, a jugé que la tenue d’une comptabilité irrégulière, si elle peut depuis la loi du 10 juin 1994 justifier une extension de passif fondée sur l’article 182 de la loi de 1985 (aujourd’hui article L. 624-5 du Code de commerce) ne peut à elle seule caractériser la faute de gestion. En effet, la preuve doit être rapportée de l’incidence de ces erreurs comptables sur la gestion de la société68.

B. La faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

• La faute 93. Cette faute de gestion, qui n’est pas sans rappeler la « faute dans la gestion » évoquée par la loi de 1966, ne connaît pas de définition légale. Il est donc utile d’illustrer nos propos par des exemples tirés de la jurisprudence récente.

Les magistrats reprochent fréquemment au dirigeant d’avoir « poursuivi une exploitation déficitaire dans son intérêt personnel69 ». Ce dernier engage sa responsabilité dès lors que les mesures qu’il a prises n’ont pas permis le redressement, et qu’au contraire, la situation financière de la personne morale qu’il contrôlait n’a cessé de se dégrader. 67 Cass. Com., 15 déc. 1992, Bull. Civ, IV, n° 407. 68 Cass. Com., 17 nov. 1992, Bull. Civ. IV, n° 359. 69 Voir notamment : Com., 23 mai 20000, Juris-data n° 002128, cité par C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 30.

42

Le fait de créer une société sans apporter de fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales et en poursuivant l’activité de la société sans prendre aucune mesure pour remédier à cette insuffisance de fonds propres70 est également constitutif d’une faute de gestion. On relèvera également que le défaut de libération du capital social peut constituer une faute de gestion bien que la loi n’exige pas la libération immédiate des apports dans les sociétés anonymes. Le fait de ne pas avoir libéré l’intégralité des apports dans l’année de constitution de la société établit la faute de gestion uniquement en tenant compte des circonstances de l’espèce, c’est à dire de la situation de la société qui manquait cruellement de fonds dès la première année de fonctionnement71. L’hypothèse dans laquelle une société cède la totalité de sa trésorerie à une banque, à la veille de son dépôt de bilan, permettant ainsi à une autre société du même groupe de bénéficier d’un prêt de cette banque caractérise également la faute de gestion72. 94. Les dirigeants doivent exercer leur mission dans le respect de toutes les fonctions pour lesquelles ils ont été désignés. Dès lors, ils doivent prendre toutes les mesures nécessaires au redressement de leur entreprise. Dans le cas contraire, leur passivité peut leur être reprochée73. Souvent, le fait d’avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai imparti (15 jours) prête à discussion. Encore faut-il distinguer les hypothèses dans lesquelles cette omission est réellement fautive, - lorsque, par exemple, les dirigeants n’ont pas déclaré la cessation des paiements, alors que le passif sociétaire avoisinait les sept millions de francs et comprenait pour moitié une créance fiscale à propos de laquelle la transaction adoptée n’avait pas abouti, - et les cas dans lesquels la faute n’est pas établie, telle dans l’hypothèse où la cessation des paiements n’est pas établie. Force est donc de constater que de nombreux comportements caractérisant des actions comme des omissions peuvent être constitutifs d’une faute de gestion. Tout comme en droit civil, le comportement fautif est celui que n’aurait pas eu le « bonus pater familias », en droit commercial, et plus précisément en matière de procédure collective, l’attitude fautive est celle pour laquelle n’aurait pas opté le bon dirigeant de société

Néanmoins, la preuve de la faute de gestion ne suffit pas à fonder une action en comblement d’insuffisance d’actif. Encore faut-il qu’un préjudice et un lien de causalité entre ce dernier et la faute de gestion soit démontré.

70 Com., 23 nov. 1999, RJDA 4/00 n°457. 71 Com., 16 oct. 2001, Le Stum c/ Dumoulun, Rev. Dr. sociétés 05.2002 p.17. 72 Com., 7 déc. 1999, RJDA 4/00 n°458. 73 Com., 31 jan. 1995, RJDA 7/95 n° 902.

43

• Le lien de causalité et le préjudice

95. Depuis la loi de 1985, il convient d’établir la faute commise, le préjudice et le lien de causalité entre les deux ; ce qui soumet cette action aux principes généraux de la responsabilité civile.

L’insuffisance d’actif a été source de nombreux débats doctrinaux et jurisprudentiels. La Cour de Cassation a récemment rappelé que cette insuffisance s’apprécie « au moment où statue la juridiction saisie de l’action tendant à faire supporter tout ou partie de cette insuffisance par un dirigeant social. »

Comme le faisait remarquer la professeur Saint Alary-Houin74, « cette exigence doit être comprise comme permettant de poursuivre des dirigeants si l’insuffisance d’actifs demeure au jour de l’action en comblement... En réalité, c’est au moment où la juridiction statue que doit être constatée la persistance de l’insuffisance d’actif et apprécié son montant ». Ainsi, c’est le préjudice (dans sa totalité) existant au moment où la juridiction statue, qui est pris en considération par les magistrats. Le dirigeant subira ainsi les augmentations du passif, mais bénéficiera également de ses diminutions survenues entre le jugement d’ouverture et le jugement le condamnant.

96. S’agissant du lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif, la jurisprudence se montre une fois de plus très rigoureuse. En effet, la Haute juridiction considère que le dirigeant d’une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l’ancien article 180 de la loi de 1985 « même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif, et il peut être condamné à supporter la totalité ou un partie des dettes sociales même si la faute n’est à l’origine que d’une partie d’entre elles. »

Selon le professeur Hannoun75, « il est avant tout nécessaire que l’acte fautif du dirigeant porte sur l’exploitation même de la société, ce qui peut soulever des difficultés s’agissant d’actes situés à la frontière de l’activité sociale ». Quid alors des actes succédant à la période de la constitution avant même que l’exploitation proprement dite n’ait commencé ?

Nous avons vu que l’article L. 624-3 du code de commerce avait maintenu l’action en comblement, mais en supprimant la double présomption de faute et de causalité. De ce fait, il semble que cette sanction se soit raréfiée dans les premiers temps d’application de la loi. Les mandataires liquidateurs expliquent ce petit nombre de poursuites par la difficulté d’établir la faute de gestion du dirigeant. Pourtant, la tendance la plus actuelle est de moraliser les procédures collectives et d’essayer d’indemniser les créanciers. Aussi, cette action connaît-elle un regain d’intérêt et de multiples applications.

74 C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 30. 75 C. Hannoun, Groupes de sociétés Redressement et liquidation judiciaire, Jurisclasseur Commercial, fasc. n° 3190.

44

En outre, la jurisprudence est beaucoup plus sévère lorsqu’ est reprochée une erreur stratégique… Ainsi, les groupes de sociétés, afin de limiter les risques de poursuites judiciaires, doivent constamment vérifier que la stratégie qu’ils adoptent n’est pas constitutive d’une faute de gestion au sens de la jurisprudence actuelle en matière d’action en comblement d’insuffisance d’actif. Ils doivent de surcroît craindre l’ouverture d’une procédure autonome de redressement ou de liquidation judiciaire à leur encontre.

§2. La faute au sens de l’article L. 624-5 du code de commerce.

97. Les conditions de fond nécessaires à l’ouverture de la procédure principale ne sont pas requises en cas d’extension au dirigeant. Il suffit qu’il ait la qualité de dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale soumise à une procédure collective et qu’il ait commis l’un des sept faits énoncés par l’article L. 624-5 du Code de commerce :

1) avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres, 2) sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des

actes de commerce dans un intérêt personnel,

3) avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fions personnels ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement,

4) avoir poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation

déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale,

5) avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents

comptables de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales,

6) avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif frauduleusement augmenté

le passif,

7) avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.

98. L’article L. 624-5 du Code de commerce a donc vocation à s’appliquer beaucoup moins souvent que l’article L. 624-3. Les agissements reprochés couvrent des hypothèses pratiques plus rares. Pourtant la stratégie du groupe peut se trouver fortement affectée par le risque de « fausse extension ». En témoigne notamment les actes de disposition ou de commerce effectués par une société mère au profit d’une société sœur de celle en difficulté dans le but de maximiser la rentabilité d’une activité. De telles manœuvres ne manqueront pas de susciter l’interrogation des magistrats. Tout comme dans l’hypothèse de l’action en comblement d’insuffisance d’actif, ce sont les erreurs stratégiques qui seront le plus souvent reprochées aux groupes de sociétés.

45

Néanmoins ne pourrait-on pas imaginer que dans de telles situations, mettant en exergue la politique stratégique du groupe, la faute pourrait être justifiable voire justifiée ?

Section 2. Une faute justifiable ? 99. La caractérisation de la faute dans les groupes de sociétés pose le problème de la confrontation de l’intérêt commun du groupe et de l’intérêt des différentes sociétés du groupe.

L’existence d’une faute de gestion peut s’avérer ainsi difficile à déterminer au regard d’un acte pris au détriment immédiat de la société, mais dont les répercussions ont été positives pour la société dans le cadre du groupe. M. Gauthier76 donne l’exemple d’un abandon de créance consenti par une société en difficulté au profit d’une autre société du même groupe. Le caractère préjudiciable pour la première société de cette opération est indéniable. Néanmoins ceci peut être tempéré par des avances de trésorerie consenties par une autre société du groupe.

La faute de gestion commise par les dirigeants de droit ou de fait d’une société pourrait-elle être justifiée par l’intérêt du groupe ? La Cour de Cassation ne semble pas avoir retenu un effet exonératoire en matière d’extension de procédure collective alors que cet effet est admis dans d’autres matières, notamment en droit pénal, s’agissant d’abus de biens sociaux77.

Quant à la jurisprudence du Conseil d’Etat, cette dernière semble admettre une « obligation alimentaire » de la société mère envers sa filiale en difficulté. En revanche elle n’envisage pas un tel devoir de la part de sociétés sœurs (§1).

Un paradoxe doit être constaté dans la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation. Celle-ci laisse sous-entendre la supériorité de l’intérêt de groupe sur l’intérêt social (§2) mais dénie tout effet exonératoire à cet intérêt supérieur en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’une filiale en difficulté.

76 T. Gauthier, Les dirigeants et les groupes de sociétés, Bibliothèque de droit de l’entreprise, éd. LITEC, spécialement p. 473. 77 Cf infra Partie 2.

46

§1. L’appréhension de l’intérêt du groupe par la jurisprudence administrative.

100. L’arrêt Sofige rendu par le Conseil d’Etat le 21 juin 199578 a confirmé avec éclat qu’une société ne saurait se contenter d’invoquer l’intérêt supérieur du groupe auquel elle appartient lorsque l’administration lui impute un acte de gestion anormale. En l’espèce, un groupe familial (la famille Faraut) contrôlait un secteur hôtelier et un secteur financier. L’une des banques du groupe, la banque Lair, avait fait « faillite » et les autorités de tutelle avaient sommé ses actionnaires de désintéresser les déposants. Pour remplir son devoir d’actionnaire, la famille Faraut demanda à la société Sofige de céder ses actifs hôteliers et d’avancer les fonds ainsi recueillis à la banque Lair, qui était une société sœur.

Le Conseil d’Etat a confirmé que cette avance à fonds perdus, requalifiée en subvention, relevait d’une gestion anormale parce que contraire à l’intérêt propre de la société Sofige, même si elle correspondait à l’intérêt du groupe. Le professeur Cozian79 a tiré de cette décision une moralité : « quand une filiale est en difficulté, c’est à la mère et non à la sœur, de se sacrifier. » Encore faut-il réserver le cas où la sœur se mue en mère avant immolation.

Cette solution nous semble insatisfaisante. En effet, elle laisse en suspens une partie du problème lié à l’intérêt à prendre en compte pour pouvoir justifier une « faute stratégique ». L’intérêt du groupe ne pourrait être avancé que dans l’hypothèse où la société mère se serait sacrifiée et non une société sœur. En outre, cette décision se fonde sur des notions qui bien souvent soulèvent des difficultés. En effet, il n’est pas exclu de penser, même si cela peut paraître paradoxal, qu’une filiale au sens large puisse être considérée en certaines circonstances comme le dirigeant de fait de la société mère. Une société ne saurait arguer de sa qualification formelle de filiale au regard d’un texte qui définirait cette situation par des critères spéciaux, pour échapper à une qualification de dirigeant de fait d’une société mère faisant l’objet d’une procédure collective. La jurisprudence du Conseil d’Etat n’a considéré l’hypothèse pratique qui lui était soumise qu’en termes de société mère, filiale et sociétés sœurs. On ne saurait cependant reprocher à l’arrêt de ne pas avoir statué ultra petita en omettant d’envisager la situation d’une filiale dirigeant de fait d’une société mère. En effet, tel n’était apparemment pas le cas en l'espèce. Cette solution, qui conçoit que l’intérêt de groupe puisse être invoqué par une société mère mais non par une société soeur, ne saurait être transposée par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation. En effet, les réalités économiques imposent une vision plus élargie de l’intérêt de groupe. 78 CE, 21 juin 1995, arrêt Sofige, JCP 1995, éd. E, II, 747, note D. F ; RJF août-sept.1995, p. 574 concl. Ph. Martin. 79 M. Cozian, Peut-on immoler une société à l’intérêt du groupe ? (l’arrêt Sofige du 21 juin 1995), JCP 1996, éd. E, n° 4, p. 45 à 48.

47

§ 2. L’appréhension de l’intérêt du groupe par la jurisprudence commerciale. 101. L’autonomie de la personnalité des sociétés ne constitue pas une loi d’airain. En réalité, le « splendide isolement » des sociétés du groupe conforme à l’orthodoxie juridique ne correspond pas toujours à la réalité80. La Cour de Cassation admet ainsi volontiers que l’intérêt du groupe puisse être prééminent par rapport à celui d’une société. 102. La présence d’un groupe de sociétés paraît en effet susciter un jugement particulier sur la légitimité d’actes qui pourraient être qualifiés d’abus de majorité ou être soumis à un contrôle spécial des organes sociaux. Dans tous les cas apparaît l’idée selon laquelle un acte apparemment contraire à l’intérêt de la société, considérée isolément peut se trouver justifiée par les circonstances économiques qui l’entourent. L’intérêt de groupe permet de transcender l’intérêt de chaque société de la même manière que l’intérêt social fonde le pouvoir majoritaire et justifie des décisions qui peuvent être contraires aux intérêts des minoritaires ; Aussi est il logique, en adoptant un telle présentation du groupe, de considérer qu’un acte formellement contraire à l’intérêt d’une société peut être justifié par l’appartenance à l’ensemble économique. Cette solution est impliquée par les réalités économiques et financières qui existent au sein d’un groupe de sociétés. En effet, le plus souvent, la société mère joue un rôle exclusivement financier : elle porte dans ce cas le nom de holding. La holding assume de plus en plus une action de gestion et de direction. Les liens de filiation financiers justifient qu’une société mère veuille soutenir ses filiales et le cas échéant les renflouer en cas de difficultés. La société mère peut s’engager volontairement ou être appelée en garantie. La société mère promet, par exemple, par une lettre d’intention au créancier de veiller à ce que sa filiale soit en état de faire face à ses engagements. Encore faut-il qu’il existe un équilibre entre l’intérêt du groupe et l’intérêt propre de la filiale. A la différence du cautionnement, la lettre d’intention n’est ni prévue ni réglementée par la loi. La liberté contractuelle règne donc, avec toutes les difficultés d’interprétation qu’elle suscite. Une lettre d’intention peut ainsi valablement renfermer soit aucune obligation juridique, soit une obligation de moyens, soit une obligation de résultat. Les sociétés d’un groupe peuvent aussi se consentir des sûretés. Aucune interdiction de principe n’existe dans la loi, mais la validité est subordonnée au principe de spécialité des personnes morales et à l’approbation des organes délibérants. Cependant, ce principe est généralement interprété lato sensu par les juges. Il a été jugé par exemple que l’intérêt d’une filiale caution à éviter que sa mère ne tombe en déconfiture était valide81. Le prêt, accordé à une autre société, s’il est consenti à titre gratuit ne peut être reconnu valable qu’à la condition que la société prêteuse en retire une contrepartie effective, un avantage notable82.

80 R. Marrau, Un paradoxe permanent du groupe des sociétés : indépendance contre unité économique des sociétés, Petites affiches 5 août 1996 n° 94, p. 4. 81 CA Paris, 12 nov. 1986, BRDA 1987, n° 1, p. 9. 82 Com. 7 nov. 1966, Bull. III, 420, p. 369.

48

Pourtant, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation ne semble pas avoir retenue l’effet exonératoire de cette notion en matière d’extension de procédure collective. Une telle solution serait-elle souhaitable ? Une chose est sûre : cet intérêt de groupe ne saurait se confondre avec l’intérêt social d’une des entités du groupe. Peut être pourrait-on concevoir que la « communauté d’intérêts » considérée par M. Urban83 comme un « outil de régulation du fonctionnement des sociétés » puisse produire un tel effet exonératoire ?

83 Q. Urban, La « communauté d’intérêts », un outil de régulation du fonctionnement des sociétés, RTD Com. 2000, n° 53.

49

103. Au travers des différentes sources de responsabilité susceptibles de s’appliquer à l’activité du dirigeant de groupe, il apparaît que celle-ci, pour être licite, doit être passée au tamis d’une multitude de prescriptions légales, réglementaires et jurisprudentielles.

Le trait commun de ces différentes incriminations, ce terme étant entendu dans son sens le plus large, est de rechercher à prévenir les distorsions affectant la personne morale en raison de son appartenance au groupe. La sanction des situations de confusion ou de fictivité qui peuvent être source de responsabilité pour le dirigeant tendent en effet, à des degrés divers, à préserver l’intégrité de la personne morale des sociétés, particulièrement son intégrité patrimoniale.

La restriction aux causes d’extension entretient un décalage entre l’espace de l’action économique et celui de la réponse juridique aux problèmes concrets que pose la défaillance financière d’une personne morale. Le droit doit répondre aux besoins de la pratique. Or, deux intérêts divergents doivent ici être respectés : un intérêt externe, celui des créanciers de la société en difficulté et un intérêt interne, celui de ses associés. Faut-il pour autant privilégier l’un de ces intérêts ?

Comment les prendre en compte ? La fictivité est trop rare. Le critère de la confusion est trop étroit et celui de la gestion de fait bien inadapté.

Ce constat nous conduit à nous interroger sur la pertinence d’un système dualiste atteignant qui directement, qui indirectement le groupe. Faut-il concevoir un dispositif législatif nouveau, mettant en exergue un critère unitaire pour toutes les actions envisageables ?

50

PARTIE 2 :

Vers une conception unitaire de l’atteinte du groupe ? 104. Le droit des groupes de sociétés contient actuellement une contradiction de droits sous-jacente entre la société personne morale et le groupe de sociétés. En effet, si la société est une personne juridique à part entière, le groupe dispose néanmoins de prérogatives à son encontre. Deux logiques juridiques paraissent donc s’affronter : autonomie de la personne morale contre intérêt du groupe84.

Or, nous avons vu que la conception dualiste de l’atteinte du groupe en ce qu’elle vise tantôt plus les sociétés du groupe ou tantôt plus les dirigeants de ces sociétés ne répond pas convenablement aux besoins de la pratique.

Une conception unitaire de l’atteinte du groupe faciliterait la tâche des juristes et favoriserait l’esprit d’entreprise, mais poserait cependant le problème de la détermination du critère unitaire à retenir. Une alternative à deux branches s’offre alors au juriste. On pourrait penser, dans un premier temps, qu’il conviendrait d’adopter un critère le plus large possible, laissant toute la latitude d’appréciation aux juges du fond (titre 1). Ce critère devrait pouvoir couvrir le plus grand nombre de situations envisageables. Néanmoins, une telle solution, au surplus déjà considérée par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, n’est pas respectueuse du principe de sécurité juridique et d’autonomie des personnes morales. En outre, la question reste ouverte de savoir si un tel critère unitaire permettrait de répondre aux objectifs si différents des diverses actions qui peuvent être intentées par les mandataires judiciaires afin de reconstituer une surface financière acceptable pour les créanciers.

Dans un second temps, on pourrait reconsidérer les critères dégagés par les autres chambres de la Haute juridiction, et notamment ceux de la Chambre criminelle et de la Chambre sociale. Ces positions jurisprudentielles devraient nous permettre de dégager une nouvelle conception de l’atteinte du groupe, inspirée des théories d’abus de position dominante et d’intérêt commun, dans le respect de la théorie française civiliste du patrimoine (titre 2).

84 R. Marrau, Un paradoxe permanent du groupe des sociétés : indépendance contre unité économique des sociétés, Petites affiches 5 août 1996 n° 94, p. 4.

51

TITRE 1 :

Le retour à un critère large. 105. Concevoir l’atteinte du groupe au travers d’un critère unitaire nécessite évidemment que ce un dernier fasse preuve d’une certaine plasticité. Deux difficultés, liées à l’élasticité d’un critère unitaire doivent être surmontées : il s’agit, d’une part, du choix du critère à retenir ; et d’autre part, de la détermination des conséquences de cette option. Le choix du critère de sanction est déterminant non seulement pour les dirigeants sociaux, qui doivent pouvoir prévoir les conséquences de leurs actions, voire de leurs omissions, mais aussi pour les magistrats, auxquels incombera la tâche de déterminer si les conditions de l’infraction, entendue dans sons sens le plus étendu, sont remplies (chapitre 1). S’agissant des conséquences de l’option pour un critère unitaire, il conviendra de déterminer dans quelle mesure le choix d’un critère unique implique nécessairement l’option pour une sanction unique, et, si tel est le cas, d’envisager des correctifs à cette autocratie du critère dégagé (chapitre 2).

Chapitre 1 : Le choix du critère 106. L’autonomie tant juridique que patrimoniale des sociétés d’un groupe ne saurait être contestée. C’est pourquoi, la jurisprudence actuelle considère qu’une société ne peut se voir étendre la procédure ouverte à l’encontre d’une autre entité du même groupe qu’en cas de fictivité ou de confusion des patrimoines, voire, en ce qui concerne la « quasi extension » de l’article L. 624-5 du Code de commerce si la preuve est rapportée de la direction de fait d’une filiale par une autre société du même groupe. Certaines décisions ont suggéré de soumettre plusieurs sociétés d’un même groupe à une procédure unique sans qu’il soit nécessaire de démontrer la confusion des patrimoines ou la fictivité, au motif de l’apparence créée par les sociétés (section 1).

D’autres décisions ont retenu l’unité d’entreprise manifestée par le groupe pour écarter le principe d’autonomie de la personnalité morale des sociétés au profit des créanciers du groupe (section 2).

52

Section 1 : La théorie de l’apparence.

107. La théorie de l’apparence, défendue avec force par les civilistes, n’est que peu avancée en droit des affaires. Peu de décisions témoignent de l’application de ce concept aux sociétés in bonis, et plus rares encore en sont les illustrations jurisprudentielles en matière de procédures collectives (§1).

Les situations pratiques que recouvre ce critère sont certainement trop étroites pour que cette théorie puisse faire figure de critère unitaire à retenir en matière de groupes de sociétés dont l’une des entités se trouve en difficulté (§2).

§ 1. Les illustrations jurisprudentielles.

108. La jurisprudence a admis que l’autonomie de la personne morale puisse être remise en cause à partir de l’existence d’apparences suffisamment trompeuses pour induire un tiers en erreur en le laissant croire qu’il n’y avait pas présence d’un groupe. Cette solution est certes peu respectueuse de l’indépendance des personnes morales, mais elle peut s’imposer, dans certaines circonstances, pour protéger les tiers de bonne foi.

La théorie de l’apparence a valorisé l’ensemble du droit commercial et plus récemment l’essentiel du droit des sociétés85. Avec les groupes, elle trouve un terrain propice avec la multiplicité des apparences trompeuses et l’apparente unité des sociétés d’un groupe.

En effet, une faute commise par la société mère peut consister à avoir laissé s’établir aux yeux des tiers l’apparence qu’ils contractaient avec elle alors que seules certaines filiales étaient parties à la convention86. Une telle décision des magistrats de la Cour d’appel de Versailles a été motivée comme suit : « En l’absence de contestation sérieuse sur leur engagement, c’est à bon droit qu’ont été condamnées solidairement au paiement d’une dette contractée par un groupe de sociétés toutes les sociétés appartenant à ce groupe. Toutes ces sociétés avaient un dirigeant commun, et sur la facture était mentionnés le nom du groupe, et en bas de page, celui de toutes les sociétés qui en faisaient partie ». Dans une décision du 4 mars 199787, la Cour de Cassation a condamné in solidum plusieurs sociétés d’un groupe à supporter les conséquences de l’inexécution du contrat relatif à la livraison d’un système d’archivage sur support informatique conclu par l’une d’entre elles. Or, le système vendu ne fonctionnait pas correctement. La Cour d’appel avait relevé que les sociétés se présentaient à leur clientèle comme une entité unique, disposant des mêmes locaux, des mêmes lignes téléphoniques et le même « logo ». De plus, certains dirigeants de sociétés du groupe autres que ceux de la société contractante étaient intervenus pour tenter de régler le contrat litigieux. Enfin, les magistrats ont considéré que c’est par une décision du groupe qu’il avait été mis un terme à l’activité de la société du groupe contractante avant l’achèvement de l’exécution du contrat. L’absence d’autonomie de cette société était ainsi caractérisée ainsi que l’immixtion des autres sociétés du groupe dans sa gestion.

85 Rheinard, note sous CA Lyon, 8 juin 1990, JCP 1991, éd. G, II, 21711. 86 Versailles, 17 sept. 1986, St Gobain Vitrage c/ Sté Fabrica Pisana, jsp. p.41, note P. Estoup. 87 Com. 4 mars 1997, Sté Econom Location c/ GIE Gestion croissance, Bull. civ. IV n° 65 ; Bull. Joly Sociétés 1997, § 222, p. 558, note J.-J. DAIGRE ; Rev. Soc . 1997, p. 554, note P. DIDIER.

53

La Cour de Cassation n’hésite pas à condamner sur le terrain de l’apparence, deux sociétés présentant une communauté d’intérêts trop étroite88 ou une société mère qui s’étant immiscée dans la conclusion et l’exécution d’un bail, avait en fait conclu le contrat89.

La société mère sera engagée lorsqu’elle aura maintenu ses partenaires dans la conviction qu’elle entendait s’engager à leur égard soit à titre personnel, soit en qualité de coobligé de sa filiale. Comme ont pu l’écrire les professeurs Cozian et Viandier90, le juge procède alors à une sorte de « consolidation contractuelle ».

Ainsi, dès lors qu’une société contracte avec un tiers pour l’ensemble de ses filiales, qu’elle dirige l’ensemble des opérations de livraison, de facturation des marchandises commandées par le tiers, celui-ci est fondé à assigner la société mère pour le tout et non chacune des filiales au prorata de leur participation.91

De plus, la Cour de Cassation a estimé dans la même affaire que la création par la société d’une apparence d’avoir contracté elle-même la dette ou tout au moins d’avoir pris à son compte personnel d’opération de la filiale doit également être sanctionnée : une société mère est déclarée responsable de la résiliation d’un contrat d’approvisionnement conclu par l’une de ses filiales quand elle s’est délibérément immiscée dans les rapports commerciaux de cette dernière avec son client, traitant même, en certaines occasion au lieu et place de sa filiale.

Il faut noter que la référence à la faute est ici quelque peu dépassée. En effet, la Cour de Cassation a depuis longtemps gommé toute référence à la responsabilité civile en matière d’apparence. L’apparence peut donc être utilement invoquée même si elle n’est pas fautive. On se contente à présent que le tiers à l’apparence puisse établir sa bonne foi. Il n’en demeure pas moins que les juges démontrent parfois l’existence de cette dernière condition en revenant au critère de l’apparence fautive.

109. Réciproquement, quand l’apparence n’est pas fondée, il n’y aura pas extension. Ainsi, les acquéreurs d’un avion qui avaient adressé leur commande à une société belge, filiale d’un constructeur italien, ne peuvent réclamer à ce dernier, personne morale distincte, le dédit stipulé dès lors que la société italienne n’entretenait aucune équivoque et que les acheteurs ont traité en pleine connaissance de cause avec sa filiale.

En bref, même en l’absence de confusion des patrimoines ou de fictivité, les créanciers d’une société d’un groupe peuvent demander paiement de leur créance à une autre société du même groupe lorsqu’ils ont pu légitimement croire que les deux sociétés étaient unies par une communauté d’intérêts, en raison de l’apparence que ces sociétés avaient créée92. La notion d’apparence pourrait-elle servir de critère unitaire à retenir en matière d’extension de procédure ?

88 Civ. 7 jan. 1946, G.P.1947.1.92 ; S.1947.1.32. 89 Com. 15 juin 1993, Bull. civ. IV, n° 253, p. 119. 90 Cités par F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, P. A. 4 mai 2001, n° 89, p. 67. 91 Com. 2 mai 1978, G. P. 1978. II, pan. 291. 92 Com. 18 oct. 1994, BRDA 1994, n° 21, p. 6.

54

§2. La théorie de l’apparence ne peut pas être le critère unitaire à retenir. 110. L’apparence se révèle être un excellent correctif au fonctionnement mécanique des règles juridiques. Le professeur Hannoun93, reprenant les observations de M. Arrighi note que :

« La théorie de l’apparence n’abroge pas la loi, elle y déroge seulement dans le souci de protection des tiers et de sécurité du commerce juridique. »

Ainsi, la société mère sera engagée lorsqu’elle aura maintenu ses partenaires dans la conviction ou plutôt le doute qu’elle entendait s’engager à leur égard. La multiplicité des apparences trompeuses et l’apparente unité des sociétés d’un groupe porteraient à penser que l’apparence puisse être fréquemment caractérisée dans les groupes de sociétés.

Pourtant, on remarquera ici que le juge, dans toutes les espèces que nous venons d’évoquer, ne fait qu’entériner une perte d’autonomie manifeste et souvent importante de la filiale par rapport à la société mère. Il sanctionne la société mère pour son atteinte à l’autonomie manifeste et souvent importante de la filiale. Dans les espèces, les faits sont toujours suffisamment patents pour que l’atteinte soit acquise, à tel point que le tiers ne pouvait être abusé par les apparences. Par sanction, la société perd son autonomie. On retrouve la même sanction que le dirigeant de fait par exemple.

La rareté de ces illustrations jurisprudentielles prouve que les hypothèses pratiques dans lesquelles l’apparence pourrait être invoquée sont bien rares. Alors que non reprochions la rareté de la fictivité, nous ne saurions défendre un critère qui présente le même inconvénient. Nous devons donc nous en remettre à la conclusion suivante : l’apparence ne peut être le critère unitaire à retenir pour pouvoir atteindre l’ensemble des sociétés d’un groupe ayant contribué, plus ou moins activement, aux difficultés de l’une d’entre elles.

Un autre critère, inspiré de la théorie de l’apparence, mais aussi d’autres conceptions, semble alors pouvoir être avancé : celui de l’entité économique, encore appelé par certains « l’unité d’entreprise94 ». Nul doute que ce critère pourrait connaître une application plus étendue que celui que nous venons d’étudier précédemment. Nous nous interrogerons à présent sur l’opportunité de concevoir l’unité d’entreprise comme le critère unitaire à retenir.

93 C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, thèse, Bibliothèque de droit privé, tome 216, LGDJ, spécialement § 291. 94 F. Derrida, L’unité d’entreprise est-elle une cause autonome d’extension de la procédure de redressement judiciaire ? Etude de jurisprudence, Mélanges Derrupé, GLN Joly et Litec, p. 29.

55

Section 2 : La théorie de « l’unité d’entreprise » ou de« l’entité économique ».

111. Selon une opinion répandue, une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre d’une des sociétés d’un groupe ne saurait être étendue à une autre sur le fondement de la notion de groupe, ceci d’une part parce que le droit français ne reconnaît pas la personnalité morale au groupe qui ne peut pas être mis en tant que tel en redressement judiciaire et ce principe ne saurait être contourné par la seule idée d’appartenance à un groupe ; d’autre part en raison de la règle de l’indépendance juridique des sociétés apparentées qui tend précisément à ôter tout rôle à la notion de groupe.

Néanmoins, dans certaines hypothèses, les magistrats considèrent que le groupe, ou du moins certaines sociétés qui le constituent, ne sont en réalité qu’une seule entreprise.

Cette démarche prétorienne, justifiée par divers arguments, allie à la fois la théorie de l’apparence et celle de la fraude. Relativement ancienne, elle n’a pour le moins jamais été définitivement acceptée, ni d’ailleurs condamnée par la Cour de Cassation.

On a pu lire, sous la plume du professeur Lucas95 : « Lorsqu’il ouvre une procédure collective contre une société d’un groupe qui affiche une santé insolente, le juge va connaître la tentation : celle d’appréhender une entreprise unique derrière les différentes sociétés qui composent le groupe. ».

Cette tentation, le magistrat va la connaître à deux reprises : tout d’abord lors du jugement d’ouverture, en se fondant sur le critère de l’unité d’entreprise pour étendre la procédure, et ensuite, lors de l’adoption du plan, en tentant d’appréhender des actifs d’une société in bonis.

§1. La tentation de recourir au critère de l’unité d’entreprise pour ouvrir une procédure unique. 112. Entre plusieurs personnes, il peut s’instaurer des rapports étroits à l’occasion d’une collaboration à des fins économiques ou commerciales au point que se forme une communauté d’intérêts. La jurisprudence la désigne sous des expressions diverses : unité d’intérêts, unité d’entreprise, entreprise commune ou entité économique. La doctrine s’est demandée si, après la reconnaissance du groupe par le droit fiscal, le droit comptable ou le droit social, il ne fallait pas permettre au droit des procédures collectives d’appréhender le groupe dans son ensemble et non plus ses composantes en état de cessation des paiements. Certaines juridictions du fond ont eu tendance à utiliser la notion de groupe, ou plus exactement celle «d’entité économique » pour autoriser l’extension de procédure d’une société à une autre, méthode qui a été critiquée. Ce mouvement qui érige la notion d’entité économique en cause autonome d’extension de procédure entre les sociétés d’un groupe méconnaît, il est vrai, le principe d’autonomie juridique des sociétés du groupe : ces dernières ne sauraient perdre leur indépendance juridique pour la seule raison qu’elles développent entre elles des relations économiques.

95 F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, P. A. 4 mai 2001, n° 89, p. 67.

56

Pour étendre la liquidation judiciaire d’une première société à une autre société, une cour d’appel s’était fondée sur l’interdépendance économique de celle-ci, les rendant étroitement et obligatoirement solidaires, pour relever l’existence d’une unicité et d’une imbrication d’intérêts résultant de l’interdépendance des engagements financiers. Pour la Cour de Cassation, de tels motifs sont impropres à établir la fictivité ou la confusion des patrimoines de deux personnes morales, qui pouvaient seules permettre d’étendre à l’une la liquidation judiciaire prononcée à l’encontre de l’autre96. Dans une autre affaire, un rapport d’expert avait abouti à la conclusion selon laquelle trois sociétés ne formaient qu’une entité économique : l’identité d’intérêts des trois sociétés et leur dépendance économique étaient suffisamment révélées par une opération immobilière. D’autre part, la recherche approfondie des flux financiers qui avaient pu exister entre les trois sociétés était impossible. Sur ces motifs, un tribunal et une Cour d’appel ont admis l’extension de la procédure collective de l’une aux deux autres. La Cour de Cassation a cassé. En se prononçant par de tels motifs impropres à justifier l’extension ; en raison soit de la fictivité, soit de la confusion entre les patrimoines, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision97. La doctrine unanime considère que la seule notion d’unité d’entreprise ne peut constituer une cause autonome d’extension98. §2. La tentation de soumettre au plan des filiales in bonis. 113. Des décisions de première instance ont pu retenir un autre moyen de faire supporter par des sociétés saines les difficultés d’une filiale soumise à une procédure collective. Il a été jugé que pouvaient être retenus dans le plan les actifs des sociétés demeurées in bonis à raison des liens en capital existant entre elles et les sociétés impécunieuses. La théorie de l’unité d’entreprise intervient ici non plus au moment du jugement d’ouverture, pour prononcer l’extension de procédure, mais au moment de l’établissement du plan de redressement de la structure en difficulté. La Cour d’appel de Rennes a rendu deux arrêts en ce sens99, dans des affaires similaires. Etait en cause un redressement judiciaire ouvert contre un marchand de biens exerçant son activité à travers un groupe de sociétés en nom collectif et de sociétés immobilières. La procédure n’avait pas frappé toutes les sociétés mais seulement celles qui se trouvaient en état de cessation des paiements. Pourtant, le plan de continuation adopté par le tribunal prévoyait que les loyers encaissés par les sociétés in bonis seraient affectés à l’apurement du passif. Un créancier de cette société a été frappé par cette disposition. La Cour d’appel de Rennes a répondu « qu’aucune disposition légale n’interdit aux débiteurs associés de la S.N.C. de les inclure dans le gage de leurs créanciers ».

96 Com. 20 oct. 1992, Bull. civ. IV, n° 314, p. 223 ; BRDA 1992, n° 22, p. 15. 97 Com. 6 jan. 1998, inédit. 98 CA Montpellier, 31 juill. 1991, D. 1991, jsp. p. 471, note F. Derrida. 99 CA Rennes, 3 mars 1999, Sté Anatole de Monzie c/ Crédit Foncier de France, JCP éd. E 2000, p. 1077, obs. F.-X. Lucas. Adde CA Rennes, 30 avr. 1996, Soyer, Rev. Proc. Coll. 1998, p. 339, obs. B. Soinne.

57

114. De telles décisions sont isolées et ne proviennent que de Cours d’appel. Jamais la Cour de Cassation n’a entériné cette jurisprudence. Même si la portée de telles décisions reste limitée, elles témoignent néanmoins de cette envie irrépressible des magistrats d’appréhender toutes les filiales sans se soucier de savoir si elles sont ou non en état de cessation des paiements. « L’unité d’entreprise chassée par la porte du jugement d’ouverture revient par la fenêtre du jugement d’adoption du plan. » Certains auteurs voient dans une telle jurisprudence l’ultime moyen de reconnaître la personnalité morale aux groupes de sociétés. Si cette solution peut à la rigueur s’expliquer si l’on s’en tient à une approche économique de la question, elle est, en droit, inadmissible. Force est donc de constater que les critères dégagés par les tribunaux de commerce, tant celui de l’apparence que celui de l’unité d’entreprise, ne sont pas à même de constituer un critère unitaire qui permettrait de considérer d’une manière plus globale l’atteinte du groupe en cas de défaillance d’une de ses sociétés. Nous verrons, dans un second titre que le législateur pourrait certainement s’inspirer de solutions adoptées par d’autres chambres de la Cour de Cassation. Néanmoins, le choix d’un critère unitaire soulève d’autres questions liées aux conséquences d’une telle option. Doit-on considérer que cette alternative impliquerait nécessairement une restriction des sanctions existant actuellement ? En effet, les actions en extension lato sensu sont distinctes des actions en comblement d’insuffisance d’actif et de quasi extension, et encore distinctes entre elles. Nous avons vu que les effets de telles actions sont également différents. L’option pour un critère unitaire d’atteinte du groupe pourrait-elle surmonter l’obstacle de l’autonomie des sources d’extension ?

58

Chapitre 2 : Un critère unitaire ? 115. Le groupe de sociétés peut être touché par la procédure collective ouverte à l’encontre d’une de ses entités, soit au travers d’une extension de patrimoine fondée sur la fictivité ou la confusion des patrimoines, soit par le biais d’une extension de passif visée par les articles L.624-3 et L.624-5 du Code de commerce. Comment expliquer ce dualisme ? Quels en sont les fondements ? Ne pourrait-on pas remettre en cause ce système ? Cette conception dualiste de l’atteinte du groupe repose certes avant tout sur l’autonomie des sources d’extension, principe souvent rappelé par les juridictions commerciales (section 1). De nombreux éléments militent cependant en faveur de l’adoption d’un critère unitaire (section 2). Section 1. L’obstacle à l’adoption d’un critère unitaire : l’autonomie des sources d’extension. 116. Le principal obstacle à l’adoption d’un critère unitaire réside dans l’autonomie, sans cesse réaffirmée par la jurisprudence, des sources d’extension. Les magistrats n’apprécient pas sous le même angle les conditions de recevabilité d’une action en extension lato sensu et celles d’une action en quasi-extension. Les sources d’extension sont indépendantes les unes des autres (§1) mais elles sont aussi indépendantes des fondements des incriminations pénales (§2). L’autonomie des sources d’extension se révèle donc à deux niveaux. §1. L’autonomie des différentes sources d’extension.

117. Depuis les années 1990, les Cours d’appel tentent de rappeler avec force l’autonomie des différentes sources d’extension.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 septembre 1997100, a bien analysé la différence entre les procédures visées aux articles 7 et 182 de la loi du 25 janvier 1985. Elles sont distinctes quant à leur forme et quant à leur objet : « C’est par un abus de langage, qui entraîne souvent des erreurs de droit, que l’on parle généralement d’extension de procédure collective à l’occasion de l’application de l’article 182 aux dirigeants sociaux, alors que, même si la date de cessation des paiements est commune et même si les dirigeants doivent prendre à leur charge , outre leurs passifs personnels, celui de la personne morale, les procédures collectives ouvertes à l’égard des dirigeants sont distinctes de celle ouverte à l’égard de la personne morale et encore distinctes entre elles. » 100 CA Paris, 3ème Ch. B., 26 sept. 1997, Rev. Proc. Coll. 1999, p. 49, obs. F. Bach.

59

L’ouverture, sur le fondement de l’article L. 624-5 du Code de commerce, d’une procédure collective personnelle à l’égard du dirigeant d’une personne morale elle-même soumise à une procédure collective, est distincte de l’extension de procédure collective de la personne morale à son dirigeant par suite de la confusion de leurs patrimoines, qui peut être prononcée sur le fondement de l’article 7. Pour contradiction de motifs, l’arrêt de la Cour d’appel a été cassé101. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 29 mars 1990102, les magistrats avaient déjà jugé que « la notion de confusion des patrimoines qui n’est prévue par aucun texte, repose sur les principes généraux de droit relatifs à la personnalité morale… un tribunal peut étendre la procédure ouverte à l’encontre d’une personne morale ou physique sans que les conditions exigées par l’article 182 de la loi du 22 janvier 1985 soient réunies lorsqu’une confusion des patrimoines est établie. »

Voyons à présent le second degré d’autonomie des sources d’extension de procédure, qui porte moins à discussion que le précédent : l’autonomie des sources d’extension au regard des incriminations pénales §2. L’autonomie des sources d’extension eu égard aux incriminations pénales. 118. Lorsque des agissements du dirigeant tombent sous le coup d’incriminations pénales, les mandataires à la procédure collective de la société peuvent être tentés de se porter partie civile en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par le délit du dirigeant et ainsi combler une éventuelle insuffisance d’actif à laquelle tel abus de biens sociaux n’aura pas manqué de contribuer. La tentative est risquée, les juridictions répressives pouvant d’avoir pas la même approche que les juridictions commerciales quant aux conséquences des fautes du dirigeant à l’égard de la société et de ses créanciers. En cas de débouté, il s’agit alors de savoir si les mandataires peuvent encore user, devant le tribunal de la procédure collective, des voies de recours que leur offre le droit des procédures collectives, notamment l’action en comblement de l’insuffisance d’actif, ou est-ce que l’autorité de chose jugée au pénal constitue un obstacle ? La Cour de Cassation a récemment conforté sa jurisprudence sur cette question dans une décision du 27 novembre 2001103. Dans cette espèce, le dirigeant auteur de détournements de fonds a été condamné pour abus de biens sociaux mais la chambre des appels correctionnels a déclaré irrecevable la demande en paiement de l’insuffisance d’actif formée par le représentant des créanciers et le commissaire à l’exécution du plan désignés dans la procédure ouverte contre la société. Les mandataires ont alors engagé une action en comblement d’insuffisance d’actif devant le tribunal de commerce, demande à laquelle il a été fait droit par les juges du fond.

101 Com. 8 déc. 1998, Bull. civ. IV, n° 291, p. 242 ; Rev. Lamy dr. aff. 1999, n° 14, n° 883, obs. G. Montégudet. 102 CA Versailles, 29 mars 1990, Satouri c/ Canet, Bull. Joly Soc. 1990, § 154, p. 561, note Ph. Petel. 103 Com, 27 nov. 2001, Prache c/ Me Courret-Gugen ès qualités et autre (F-D), Juris-Data n° 2001-012020, fasc. 2905.

60

La Cour de Cassation rejette le pourvoi du dirigeant qui invoquait l’autorité de chose jugée par la juridiction répressive au motif que : « cette action (de l’article L. 624-3) destinée à obtenir réparation du préjudice causé aux créanciers de l’entreprise, engagée par le liquidateur devant le tribunal de commerce, avait un objet différent de l’action civile en réparation du préjudice résultant des infractions d’abus de biens sociaux. La solution, qui consacre l’autonomie entre l’action civile en cas d’abus de biens sociaux et l’action en comblement de passif n’est pas nouvelle : la différence d’objet permet ici d’écarter l’autorité de la chose jugée104, elle permet également le cumul de l’action en comblement de passif et l’action en réparation du préjudice résultant de l’infraction105. 119. Les magistrats conçoivent différemment les conditions de recevabilité d’une action en extension véritable et celles d’une action en quasi-extension. Nous avons pu observer que les sources d’extension étaient à la fois indépendantes les unes des autres mais aussi qu’elles étaient indépendantes des fondements des incriminations pénales. Pourtant de nombreux éléments plaident en faveur de la reconnaissance d’un critère unitaire. Section 2. L’opportunité de l’adoption d’un critère unitaire. 120. Nous avons vu que l’orthodoxie juridique actuelle qui gouverne le droit des procédures collectives commande d’étudier l’atteinte du groupe sous deux aspects : les hypothèses d’extension véritable visant directement le groupe et celles de quasi extension et d’action en comblement d’insuffisance d’actif ne l’atteignant qu’indirectement au travers de la sanction de ses dirigeants. Pourtant, ces différentes actions tendent toutes au même objectif : conférer aux créanciers un gage correspondant à leurs espérances. Le dualisme actuel, fondé sur l’autonomie des différentes actions entretient une complexité qui n’est pas favorable à l’esprit d’entreprise. L’adoption d’un critère unitaire de l’atteinte du groupe présenterait l’atout de la simplicité. Une telle solution ne serait pas infondée car force est de constater, d’une part, que bien souvent les mêmes faits peuvent engendrer des actions différentes (§1) et d’autre part, que la Cour de Cassation s’efforce depuis peu d’unifier les solutions qu’elle adopte (§2). §1. Les mêmes faits peuvent engendrer des actions différentes. Souvent, les hypothèses constitutives d’une faute au sens des articles L. 624-3 et L. 624-5 pourraient également fonder une action en extension de procédure pour confusion des patrimoines. 104 Art. 1351 C. civ. 105 Crim. 29 oct. 1996, Rev. Soc. 1997, p. 377, note B. Bouloc.

61

A. Une action en extension pour confusion des patrimoines et une action en comblement d’insuffisance d’actif. 121. Nous avons précédemment étudié l’autonomie des différentes sources d’extension. La jurisprudence considère que les procédures collectives ouvertes à l’égard des dirigeants sont distinctes de celle ouverte à l’égard de la personne morale, et encore distinctes entre elles. Pourtant, les juges, lorsqu’ils constatent des relations financières anormales entre différentes sociétés d’un groupe peuvent conclure à la confusion des patrimoines de ces sociétés, et par suite, ouvrir, à l’encontre d’une entité d’un groupe, la procédure déjà ouverte contre une autre société. Mais rien ne les empêche non plus de considérer que ces « flux financiers » sont constitutifs d’une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la première société, au sens de l’article L. 624-3 du code de commerce, et ainsi condamner le dirigeant de droit ou de fait de la société en difficulté au paiement de tout ou partie de l’insuffisance d’actif social de la première. B. Une action en extension pour confusion des patrimoines et une action en extension de faillite sociale 122. Si la confusion des patrimoines et l’extension fondée sur l’article L. 624-5 du Code de commerce sont deux sources distinctes d’extension de la procédure collective, elles peuvent se recouper. En effet, l’article 624-5 1° considère comme fautif le fait de disposer des biens de la personne morale comme des siens propres, et l’article L. 624-5 3° celui d’utiliser le bien ou le crédit de la société à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé. Ces deux fautes semblent correspondre à une imbrication anormale entre différents patrimoines, qui caractérise la confusion de patrimoine. Les sanctions issues de la confusion de patrimoine et de l’article L. 624-5 ne se superposent pas mais elles peuvent se rejoindre. Au demeurant, certains auteurs considèrent que la responsabilité de l’article L. 624-5, précédemment prévue à l’article 101 de la loi du 13 juillet 1967, reposait sur la volonté de sanctionner les dirigeants ayant usé de la société comme de leur chose propre, en ayant confondu leur patrimoine avec celui de la société. Dès lors, la confusion des patrimoines, pour laquelle les groupes constituent un terrain de prédilection, est en mesure d’aggraver la responsabilité des dirigeants dont les biens personnes peuvent être engagés. Cette sanction est cependant fort peu courante et ne s’adresse en pratique qu’aux comportements les plus graves.

62

§ 2. Une récente tentative d’uniformisation. 123. Si l’extension de procédure pour confusion des patrimoines et la « quasi-extension » ne doivent pas être confondus, il reste que ces actions soulèvent toutes deux des questions identiques. L’une d’entre elles est de savoir quelles sont les limites de l’action en extension. Il a déjà été jugé que la confusion des patrimoines ne pouvait plus être demandée lorsque la procédure collective du débiteur avait été clôturée106, ou qu’un plan de redressement avait été arrêté107. Au contraire, rien interdit alors d’agir sur le fondement de l’article L. 624-5 du Code de commerce puisque l’action en extension se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement de l’entreprise ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire108. Les deux solutions diffèrent donc. La question ne se pose plus dans les mêmes termes lorsqu’il s’agit d’étendre une procédure à un débiteur qui bénéficie déjà d’un plan de redressement. L’extension est-elle encore possible ? La solution est-elle la même dans les deux situations ? La Cour de Cassation a eu l’occasion de répondre à cette question dans un récent arrêt du 5 février 2002109. La Chambre commerciale a apporté une unité de solution à partir de fondements pourtant différents. En effet, une extension de procédure, que ce soit sur le fondement de la confusion des patrimoines, ou de la sanction de l’article L. 624-5 ne peut intervenir à l’encontre d’une société qui a fait l’objet d’un plan de redressement. La Cour a estimé d’une part qu’ : « Une procédure collective, ouverte à l’égard d’une première société ne peut être étendue à une seconde, sur le fondement de la confusion des patrimoines après que le tribunal a arrêté à l’égard de cette dernière un plan de redressement par voie de cession ou par voie de continuation » ; et d’autre part que : « la cour d’appel énonce exactement qu’une société fait l’objet d’un plan de redressement, aucune procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ne peut être ouverte à son égard au motif que cette société aurait été le dirigeant de fait d’une autre société soumise à une procédure collective et aurait commis l’un des agissements prévus par l’article 182 de la loi de 1985. » Ainsi, la cour de Cassation apporte la même solution à des situations que l’on sait différentes puisque l’extension de procédure pour confusion des patrimoines conduit à une unité de procédures alors que l’ouverture d’une procédure à titre de sanction contre le dirigeant de la société elle-même en redressement ou en liquidation judiciaire entraîne une dualité de procédures. Pourquoi ces deux fondements différents ont-ils conduit la Haute juridiction à adopter la même solution ?

106 Com. 11 juillet 1995, JCP éd. E, 1995, I, 513, n° 1, obs. P. Pétel. 107 Com. 26 oct. 1996, RJDA 1997, n° 261, Bull. Joly 1997, p. 166, note P. Le Cannu. 108 Art. L. 624-5, IV. C. Com. 109 Com. 5 fév. 2002, A. Lizé ès qual. c/ SA Sogémo et autres (FS-P), APC, 15/04/2002, n° 91.

63

124. Le législateur en voulant distinguer les extensions lato sensu des actions en comblement d’insuffisance d’actif et des quasi-extensions, a néanmoins laissé subsister des zones d’ombre dans lesquelles le groupe peut être atteint aussi bien directement au travers d’une extension de procédure lato sensu qu’indirectement par le biais de la condamnation des dirigeants de la société en difficulté. Ceci laisse donc un pouvoir d’appréciation considérable aux magistrats, qui, nous l’avons vu dans une première partie, ont bien plus tendance à condamner une personne morale en tant que dirigeant de droit ou de fait d’une société en redressement judiciaire qu’à étendre la procédure sur le fondement de l’article L. 621-5 du code de commerce. La jurisprudence récente de la Cour de Cassation témoigne d’une volonté d’accorder les solutions retenues en matière d’atteinte directe et indirecte du groupe. La recherche d’un critère unitaire devrait permettre un nouveau pas dans cette démarche d’unification de jurisprudence. Cette tâche incomberait quoiqu’il en soit au législateur et non pas aux magistrats. L’opportunité de l’adoption d’un critère unitaire serait indéniable. Pourtant nous avons démontré que les critères déjà avancés devant la chambre commerciale ne suscitent que peu l’adhésion des conseillers et de la doctrine. Ceci nous pousse à reconsidérer des critères dégagés par d’autres chambres de la Cour de Cassation en matière de groupes de sociétés.

64

TITRE 2 :

L’adaptation de critères dégagés par d’autres branches du droit. 125. Le professeur Derrida considère que le groupe de sociétés est une « réalité juridique à éclipse », dont les différentes branches du droit s’accommodent plus ou moins facilement. La loi du 25 janvier 1985, aujourd’hui codifiée, ne l’envisage que sous l’angle du dualisme précédemment évoqué. Nous avons vu qu’en droit des procédures collectives, la Chambre commerciale n’a pas dégagé de critère suffisamment éclairant pour pouvoir constituer le critère unitaire à retenir en matière d’atteinte du groupe. La chambre sociale et la chambre criminelle de la Haute Juridiction ont été confronté à des difficultés similaires et ont pourtant avancé des notions auxquelles la chambre commerciale est plus ou moins étrangère, telles que l’intérêt commun et l’absence d’abus de position. Leurs raisonnement est cependant tout autre : au lieu de chercher les critères qui fondent la condamnation, ces chambres ont dégagé ceux qui peuvent exonérer une personne de sa responsabilité. C’est là que se situe certainement la clé de voûte de notre raisonnement : le critère unitaire que nous devons rechercher, s’il ne peut que difficilement se présenter comme celui de la condamnation peut en revanche aisément être celui de l’exonération. Ces positions jurisprudentielles (chapitre 1) devraient néanmoins nous permettre de dégager une nouvelle conception de l’atteinte du groupe, inspirée des théories d’abus de position dominante et d’intérêt commun, dans le respect de la théorie française civiliste du patrimoine (chapitre 2).

Chapitre 1 : Les critères retenus. 126. Pour le professeur Hannoun, le groupe de sociétés doit être perçu comme une société de sociétés. Dès lors, il est logique d’avancer que l’intérêt du groupe puisse être supérieur aux intérêts sociaux individuels des différentes entités. Reste à caractériser cette notion d’intérêt de groupe qui permettrait de légitimer des pratiques formellement condamnables.

Pour la chambre criminelle, l’intérêt commun, perçu comme l’intérêt de groupe, justifie que certaines opérations justifient un infléchissement de la règle sanctionnant l’abus de biens sociaux (section 1). Pour la chambre sociale, c’est l’absence d’abus de position qui produit un effet exonératoire (section 2).

65

Section 1 : Le critère de la Chambre criminelle : l’intérêt commun.

127. Nous avons déjà eu l’occasion de rappeler la logique de la supériorité de l’intérêt de groupe sur les intérêts sociaux des différentes sociétés. Il nous reste cependant à définir cet intérêt supérieur. En matière d’abus de biens sociaux, la Cour de Cassation, depuis l’arrêt de principe Rozenblum110, pose trois conditions à la reconnaissance d’un tel intérêt.

Après avoir étudié le critère dégagé par la chambre criminelle (§1), nous verrons dans quelle mesure ce dernier est transposable en droit des procédures collectives (§2).

§1. La jurisprudence Rozenblum.

128. L’arrêt de principe Rozenblum témoigne de la volonté de la chambre criminelle de la Cour de Cassation de se prononcer de manière non équivoque sur la possibilité d’invoquer l’intérêt d’un groupe de sociétés pour faire obstacle à l’application des dispositions pénales relatives à l’abus de biens sociaux aux dirigeants de sociétés.

En l’espèce, un dirigeant de société avait fait consentir par certaines sociétés des concours financiers à d’autres sociétés dans lesquelles il était intéressé. Il fut déclaré coupable d’abus de biens sociaux. Les juges du fond avaient fait apparaître qu’il n’existait aucun lien véritable entre les sociétés, celles-ci ayant des activités différentes : les unes, ayant fait les avances, avaient pour objet la construction ou la promotion immobilière, les autres ayant pour objet l’exploitation de fonds de commerce divers. Ils avaient relevé également que les concours financiers ne contribuaient pas à la réalisation de la finalité générale de l’ensemble des sociétés, qu’en réalité, ils assuraient la survie des sociétés bénéficiaires dans le seul intérêt des dirigeants, et qu’il n’existait aucune structure juridique de nature à caractériser l’existence d’un groupe.

Après s’être retranchée derrière les constatations souveraines opérées par la Cour d’appel, la Chambre criminelle a posé un principe important en précisant à quelles conditions la notion de groupe aurait pu être invoquée. Elle énonce :

« Qu’en effet, pour échapper aux prévisions des articles 425 (4°) et 437 (3°) de la loi du 24 juillet 1966, le concours financier apporté par les dirigeants de fait ou de droit d’une société à une autre entreprise du même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe, et ne doit ni être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilité financière de celle qui en supporte la charge. »

110 Crim. 4 févr. 1985 et 13 févr. 1989, D.1985 III, 478, note Ohl ; JCP 1986, éd.G II, 20-585, note Jeandidier.

66

129. Cette jurisprudence témoigne ainsi de la recherche d’un compromis entre deux exigences contradictoires : d’abord l’idée qu’il est normal que l’un acte effectué dans l’intérêt du groupe ne soit pas sanctionné, ensuite l’idée contraire que l’intérêt du groupe ne saurait être légitimé au point de justifier la négation totale de la société isolée. D’où la recherche d’un équilibre entre l’intérêt du groupe et celui de chaque société à travers les notions d’équilibre, de contrepartie suffisante et de risque grave.

Selon le professeur Hannoun, la dissociation de la notion d’intérêt en deux autres notions : l’intérêt immédiat et l’intérêt futur permet d’affirmer que si la société commet un acte contraire à son intérêt social immédiat dans l’intérêt du groupe, elle poursuit néanmoins un intérêt propre dans la mesure où elle peut raisonnablement attendre une contrepartie future en sa qualité de société apparentée. « La contradiction de l’autonomie formelle des sociétés et de leur unité économique est en définitive levée grâce à une dissociation temporelle de la notion d’intérêt social. »

Cette méthode peut-elle pour autant être transposée au droit des procédures collectives ?

§2. Applicabilité du critère de la chambre criminelle au droit des procédures collectives.

130. Force est de constater que le groupe est perçu par la Chambre criminelle comme une société de sociétés, disposant d’un objet social, somme des divers objets des sociétés le composant. Ceci explique la nécessité d’une complémentarité des activités. De même l’acte doit être conforme à l’intérêt du groupe qui s’impose aux intérêts de chaque société prise isolément.

Cette référence à « l’objet social du groupe » est très éclairante, et devrait susciter l’attention des tribunaux de commerce statuant en matière de redressement et de liquidation judiciaire des groupes de sociétés. En effet, s’il est cohérent de légitimer des actes conformes à l’intérêt du groupe appréhendé comme une société de sociétés, le même raisonnement pourrait se tenir lorsque les magistrats et mandataires judiciaires cherchent à atteindre le groupe par une extension de procédure ou une action en responsabilité pécuniaire.

Ainsi, aussi bien l’existence de relations financières anormales, cas d’extension de procédure lato sensu, que la faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif au sens de l’article L. 624-3 du code de commerce, que les hypothèses de quasi-extensions de l’article L. 624-5 pourraient se justifier par l’intérêt de groupe. Une démarche dissociant l’intérêt social immédiat de l’intérêt futur permettrait notamment aux magistrats d’apprécier plus concrètement la notion d’intérêt de groupe. Cette dernière, ne constituerait certes pas un critère commun de sanction, mais pourrait être constitutive d’un critère unitaire d’exonération des comportements considérés comme fautifs tant au niveau de ce que nous avons appelé l’atteinte directe du groupe, qu’au niveau de l’atteinte indirecte.

Alors que pour la Chambre criminelle l’intérêt supérieur exonératoire à prendre en compte est l’intérêt de groupe, la Chambre sociale n’a pas retenu la même conception. La jurisprudence sociale a, en effet admis un effet exonératoire non pas à l’intérêt commun, mais à l’absence d’abus de position.

67

Section 2 : Le critère de la Chambre sociale : l’absence d’abus de position.

131. Nous tiendrons le même raisonnement que précédemment : après avoir étudié le critère dégagé par la Chambre sociale de la Cour de Cassation (§1), nous envisagerons son éventuelle transposition au niveau de la jurisprudence commerciale (§2).

§1. La jurisprudence de la chambre sociale.

132. Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation en date du 3 avril 1990111 devrait permettre de trouver un nouveau critère. Dans cette décision, la chambre sociale a jugé en effet à propos d’une action en responsabilité intentée par les salariés d’une filiale contre la société mère à l’occasion d’un licenciement économique, que la société dominante ne saurait être responsable des difficultés de la filiale dès lors qu’elle n’a pas abusé sa position à l’égard de sa filiale.

A la suite d’une procédure complexe de licenciement économique, les salariés d’une filiale ont assigné en responsabilité délictuelle la société mère qui selon eux aurait commis des fautes de gestion à l’origine des difficultés de la filiale et donc de leur congédiement.

Il convient d’observer la manière avec laquelle la Chambre sociale a entendu concilier la liberté de la société mère de contrôler ses filiales et la nécessité de préserver l’intérêt légitime des salariés. Elle le fait en considérant que la société mère ne saurait être déclarée responsable dès lors qu’elle n’a pas « abusé de sa position à l’égard de sa filiale ».

133. La référence à cette notion « d’abus de position », qui n’est pas sans rappeler celle d’abus de position dominante propre au droit de la concurrence, présuppose l’existence d’une norme définissant la conduite normale que doit respecter la société mère lorsqu’elle exerce son contrôle. Le professeur Hannoun112 relève que l’abus dans l’exercice du contrôle n’est pas constitué par le dépassement des limites d’un droit, le droit de contrôle, mais par le mauvais usage d’une liberté, celle pour une société mère de créer et de gérer les affaires de sa filiale. Or, le droit positif sanctionne au même titre l’abus de droit et l’abus d’une liberté.

134. Force est dès lors de trouver dans la définition de l’usage normal de la liberté de contrôler un élément supplémentaire du « processus de normalisation des pratiques du groupe ». La Chambre sociale définit cette norme de manière négative : ainsi la société mère n’aurait pas été fautive en mettant à la charge de sa filiale un service commercial onéreux dès lors qu’elle n’a pas cherché à en tirer un bénéfice hors de proportion avec sa capacité de production ; de même, les licences et le savoir-faire facturés par la société mère n’avaient jamais été réglés, la Cour soulignant par là que la société mère avait su renoncer à ses intérêts afin de sauvegarder ceux de sa filiale. Enfin, les frais excessifs supportés par la filiale n’étaient pas consécutifs à des prélèvements injustifiés mais à la poursuite d’une exploitation déficitaire compensée par des augmentations de capital réelles et la signature d’un moratoire coûteux avait été négociée dans le but de ne pas interrompre la production et donc de sauvegarder les emplois des salariés.

111 Soc., 3 avril 1990, RJS 1990, n° 354. 112 C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ 1991, n° 156-3.

68

Il ressort de ces différents éléments que la société mère a la liberté d’imposer à sa filiale différentes solutions commerciales même onéreuses pour cette dernière et fructueuses pour la première, à la condition de respecter sa capacité de production et de ne pas provoquer sa disparition. En d’autres termes, la liberté de contrôle a pour limite la capacité de production de la filiale, plus précisément encore l’intérêt que trouvent les intérêts externes (ceux des salariés) au maintien de cette activité. La faute de gestion réside ainsi dans la volonté de tirer un bénéfice pouvant compromettre gravement l’existence de la filiale et par conséquent les intérêts qui s’attachent au maintien de son activité.

§2. Applicabilité du critère de la chambre sociale au droit des procédures collectives.

135. Cette décision n’est pas dépourvue d’intérêt pour notre sujet car elle propose une définition de la notion d’abus de contrôle de la société dominante. Aussi devrait-elle inspirer le législateur en matière de procédures collectives, d’autant plus que la solution reprend quelque peu le critère déjà posé par la jurisprudence pénale. Ainsi, le fait de mettre à la charge de sa filiale un service commercial onéreux ne constituerait pas un abus de la part de la société dominante dès lors qu’elle ne chercherait pas à en tirer un bénéfice hors de proportion avec sa capacité de production. Selon Charley Hannoun113, il en serait de même de frais excessifs supportés par la filiale quand ils sont dus à une exploitation déficitaire mais que celle-ci est compensée par des augmentations de capital effectives.

Le raisonnement de la Chambre sociale est proche de celui de la Chambre criminelle. Aussi la transposition du critère d’absence d’abus de position au droit des procédures collectives serait-elle envisageable. On pourrait même imaginer que la Chambre commerciale puisse combiner les notions voisines d’intérêt commun et d’abus de position pour unifier la jurisprudence relative au critère exonératoire.

136. Nous avons vu que les critères dégagés par les Chambres criminelle et sociale de la Cour de Cassation concèdent un effet exonératoire à l’intérêt commun et à l’absence d’abus de position. Aussi doit-on en conclure que l’intérêt de groupe occupe une place centrale dans la logique juridique de ces chambres. Pourtant, jusqu’à présent, la Chambre commerciale n’a pas rejoint les positions de ces dernières.

L’on a pu également rappeler que l’adoption d’un critère de sanction unitaire poserait de nombreuses difficultés, tant au plan du choix du critère à retenir qu’au niveau des effets qui en seraient induits.

Nous voulions cependant démontrer l’imperfection du système dualiste de l’atteinte du groupe et prouver qu’un critère unitaire serait plus favorable à l’esprit d’entreprise et à l’unification de la jurisprudence. L’atteinte unitaire du groupe ne suppose pas pour autant que l’on doive définir un critère unitaire de sanction, qui viserait toutes les actions envisageables. En effet, la consécration d’un critère d’exonération, commun à toutes les actions en extension et en comblement d’insuffisance d’actif, permettrait aussi, dans une certaine mesure, de considérer de façon unitaire l’atteinte du groupe. L’intérêt de groupe pourrait être ce critère exonératoire commun.

113 C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ 1991, précité.

69

Toutefois, la chambre commerciale n’est peut-être pas enclin à franchir un tel pas. Elle devrait néanmoins tenir compte des jurisprudences voisines pour repenser les notions qu’elle a déjà consacrées. Elle devrait en premier lieu reconsidérer la notion de confusion des patrimoines. Cette cause d’extension de procédure lato sensu, que nous considérions comme un critère trop étroit, pourrait être élargi si la Cour de Cassation optait pour une approche économique de cette notion, notamment en consacrant la « confusion des intérêts patrimoniaux » comme l’un des fondements de l’action en extension de procédure.

70

Chapitre 2 : Vers un élargissement du critère de la confusion des patrimoines… 137. Nous avons déjà observé que les magistrats ne conçoivent les causes d’extension de procédure lato sensu que de façon très restrictive. Ceci implique de facto un décalage entre l’espace de la stratégie économique et celui de la réponse juridique aux problèmes concrets que pose la défaillance financière d’une personne morale. Or, les magistrats sont confrontés à deux intérêts divergents : un intérêt externe, celui des créanciers de la société en difficulté et un intérêt interne, celui de ses associés. L’un de ces intérêts doit-il néanmoins être privilégié ?

La fictivité n’étant que très rare, la confusion des patrimoines semble être le critère le plus facile à remanier pour tenir compte des besoins de la pratique.

Bien souvent l’étroitesse du critère de la confusion des patrimoines ne permet pas aux tribunaux de commerce de prononcer une extension de procédure « véritable ». Ils sont donc amenés à sanctionner les dirigeants de droit ou de fait de cette personne morale sur le fondement des articles L.624-3 et L .624-5 du code de commerce. Un élargissement du critère de la confusion des patrimoines permettrait sans doute d’atteindre plus facilement et directement le groupe de société.

Après avoir étudié dans quelle mesure une approche différente de la confusion des patrimoines serait envisageable (section 1), nous proposerons d’en favoriser une conception économique (section 2).

Section 1 : Une autre approche de la confusion des patrimoines.

138. Pour remédier à la restriction des causes traditionnelles d’extension de procédure, le critère de la confusion des patrimoines pourrait être reconsidéré par la chambre commerciale de la Cour de Cassation. Cette solution, qui ne nécessiterait aucune intervention législative, présenterait l’atout de la simplicité.

Il ne faudrait cependant pas négliger certaines difficultés liées à l’élargissement de la notion étudiée. D’une part, il conviendrait de maîtriser les inconvénients du critère de la confusion des patrimoines (§1), et d’autre part, la Cour de Cassation devrait renforcer son contrôle sur cette cause d’extension (§2).

71

§1. Les inconvénients du critère de la confusion des patrimoines. 139. Il ne faudrait pas négliger les inconvénients du critère de la confusion des patrimoines.

La Cour de Cassation hésite certainement à remettre en cause son approche de la confusion des patrimoines car elle connaît parfaitement les points faibles de cette notion. Ces derniers sont essentiellement de trois types :

D’une part, une procédure collective peut être appliquée à une société parfaitement saine. En effet, l’extension de procédure lato sensu ne nécessite nullement la constatation préalable de la cessation des paiements de la société à laquelle la procédure est va être étendue. Même si cette entité connaît bien souvent elle-même des difficultés financières, on peut envisager d’étendre une procédure collective à une société in bonis. D’autre part, les créanciers de cette société vont se retrouver en compétition avec les créanciers de l’entreprise en difficulté. Certes, les créanciers des sociétés dont les patrimoines sont confondus sont bien souvent des créanciers communs aux deux structures. Dans le cas contraire, les créanciers propres à la société in bonis à laquelle on veut étendre la procédure n’ont aucun intérêt à une telle extension car ils entreraient de fait en concours avec les créanciers de la première société. Le gage de leurs créances serait ainsi considérablement réduit. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’un élargissement de la confusion des patrimoines soit tout à fait compatible avec les objectifs de la loi de 1985 qui sont d’assurer le redressement des entreprises et non de donner satisfaction aux créanciers. Cette notion doit, au contraire être encadrée, et dans des conditions strictes. Il est donc important que la Cour de Cassation, dont le pouvoir d’appréciation est souverain, exerce un contrôle effectif sur cette notion. §2. Le pouvoir d’appréciation de la Cour de Cassation. 140. Les inconvénients du critère de la confusion des patrimoines nous conduit naturellement à préciser le contrôle potentiel que devrait assurer la Cour de cassation sur cette notion. A cet effet, nous devons observer que jusqu’à une époque récente, la Haute juridiction se désintéressait de l’examen des faits constitutifs de la confusion, renvoyant cette tâche aux juges du fond. Le critère proposé de la rupture permanente et substantielle de la corrélation actif / passif permet néanmoins de préciser l’étendue du pouvoir dont dispose la Cour de Cassation. La qualification de la confusion des patrimoines passant inévitablement par la constatation de transferts d’actif ou de passif permanents et substantiels entre plusieurs sociétés, force est de constater que la Cour de Cassation a les moyens, par le contrôle de l’insuffisance des motifs, de contribuer à préciser la notion de confusion des patrimoines, sans qu’il lui soit nécessaire d’aborder l’examen des faits.

Très récemment, elle s’est orientée en ce sens en amorçant un processus de contrôle de la qualification de confusion des patrimoines et de fictivité des sociétés, confirmant en partie le critère exposé plus haut. La Cour de Cassation ne semble pas retenir comme indice opérant que l’existence de flux financiers anormaux. Elle ne s’en tient non plus à l’inverse à la seule imbrication des biens des différentes sociétés.

72

Section 2 : Une approche économique de la confusion des patrimoines.

141. Nous pourrions envisager le critère intermédiaire de la confusion économique des patrimoines ou de la confusion des intérêts patrimoniaux ?

Nous avons pu rappeler à de nombreuses reprises que la confusion des patrimoines, telle quelle est aujourd’hui considérée par la doctrine et la jurisprudence n’est que très rarement mise en exergue, du fait même de la connotation essentiellement financière qui lui est attribuée.

Mais, lorsque le groupe, exerçant ses pouvoirs de domination a utilisé à son profit les actifs de la société en difficulté, ne pourrait-il pas être déchu du bénéfice de la séparation des patrimoines entre les sociétés a priori indépendantes, même en l’absence d’une confusion financière des patrimoines ?

Une approche économique de la confusion des patrimoines peut être défendue au regard de la jurisprudence nouvelle adoptée par la Cour de Cassation.

Sur un plan rationnel, l’extension pour confusion économique des patrimoines serait conforme à la théorie française du patrimoine, si l’on se reporte au fondement de l’unité et de l’universalité, on peut observer, sous la plume d’Aubry et Rau114 que les objets sur lesquels l’homme peut avoir des droit à exercer, « en tant que formant la matière des droits d’une personne déterminée, n’en sont pas moins soumis au libre arbitre d’une seule et même volonté, à l’action d’un seul et même pouvoir juridique ; ils constituent, par cela même, un tout juridique, (universum jus) ».

142. Aussi pourrait-on aisément envisager que l’absence de confusion économique des patrimoines voire l’absence de confusion des intérêts patrimoniaux puisse constituer un critère exonératoire en la matière.

114 C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, 4ème éd. Paris, tome VI, 1873, § 573, p. 229-230.

73

L’autonomie de la personne morale, et plus particulièrement l’autonomie patrimoniale des sociétés d’un groupe ne saurait être remise en cause par aucun texte ni aucune décision de justice.

C’est là probablement que se situe le point d’achoppement des problèmes de « faillite » des groupes et de responsabilité des dirigeants. Selon les textes et la jurisprudence en la matière, les dirigeants sont représentés comme les défenseurs et les promoteurs d’un intérêt social isolé et non d’un intérêt de groupe. Or, dans les montages sociaux complexes, la société comme le dirigeant, ne sont que les maillons d’un ensemble dans lequel ils doivent nécessairement s’intégrer et céder une part de leurs prérogatives et de leur autonomie. Toute la difficulté est de définir les limites. Au regard des nombreuses hypothèses dans lesquelles la responsabilité civile et pénale du dirigeant peut être recherchée, la conception du législateur et des tribunaux en la matière, hormis le cas particulier de l’abus de biens sociaux, semble assez restrictive.

La faute stratégique qui est bien souvent reprochée aux dirigeants pourrait aisément être justifiée par l’intérêt de groupe. Il conviendrait de distinguer l’intérêt immédiat de l’intérêt futur que peut avoir une société d’un groupe à une action qui lui apparaît, a priori, comme défavorable. L’adoption d’un critère unitaire non pas de sanction mais d’exonération de responsabilité serait opportune. Néanmoins, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation est étrangère à une telle logique.

De ce point de vue, le droit positif se révèle peu adapté et en décalage par rapport au réalisme juridique dont il fait preuve dans d’autres questions relatives aux dirigeants de groupes.

Néanmoins, en prenant du recul, on est forcé de constater que le laconisme de la loi en la matière se révèle comme un remarquable facteur d’évolution de la conception de l’atteinte du groupe en droit des procédures collectives.

74

BIBLIOGRAPHIE I) Traités, manuels et ouvrages généraux - C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, 4ème éd. Paris, tome VI. - Y. Chaput, Droit du redressement et de la liquidation judiciaire des entreprises, 2ème éd.,

Coll. Droit fondamental, PUF. - F. Derrida, P. Gode, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation des entreprises, 5

années d’application de la loi du 25 janvier 1985, Dalloz 1991, 3ème édition. - Y. Guyon, Droit des Affaires, tome 1 et 2, 11ème édition, ECONOMICA. - C. Hannoun, Groupes de sociétés Redressement et liquidation judiciaire,

Jurisclasseur Commercial, fasc. n° 3190. - P.-M. Le Corre, Pratique des procédures collectives, Dalloz 2001. - J.-F. Martin et J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial, Redressement et liquidation

judiciaires, édition Lamy 2001. - F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de

paiement, 5ème édition, LGDJ, 2001. - Ripert et Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, T. 2, par P. Delebecque et M.

Germain, 16ème édition, LGDJ. - B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2ème édition, LITEC. II) Ouvrages spéciaux, thèses, monographies, cours. - M. Béguin, Les extensions de passif en droit commercial, thèse Rennes 1965. - T. Gauthier, Les dirigeants et les groupes de sociétés, Bibliothèque de droit de

l’entreprise, éd. LITEC. - C. Hannoun, Le droit et les groupes de sociétés, thèse, Bibliothèque de droit privé,

tome 216, LGDJ. - M. Pariente, Les groupes de sociétés, aspects juridique, social, comptable et fiscal, préface

de Y. Guyon, LITEC.

75

III) Colloques, congrès, séminaires. - F. Derrida, L’application du droit des entreprises en difficulté dans les sociétés,

Séminaire, Strasbourg 28 février, 1er mars 2002. - Le droit des sociétés à l’épreuve des procédures collectives, Journée nationale organisée

par le centre de recherche sur les aspects juridiques, économiques et financiers de droit privé, Nice Sophia Antipolis, 19 mai 2001, Petites Affiches, 9 janvier 2002, n° 7.

IV) Articles, chroniques. - V. M. Beaubrun, La confusion des patrimoines au regard des procédures collectives

de liquidation du passif, R.J. Com. 1980, p. 41, n°5. - P. Bouteiller, Groupe de sociétés, centralisation des opérations de trésorerie, JCP

2001, éd. E, n° 42. - M. Cozian, Société civile immobilière – société d’exploitation, est-ce vraiment un

couple infernal ?, JCP 1997, éd. E, n° 10. - M. Cozian, Peut-on immoler une société à l’intérêt du groupe ? (l’arrêt Sofige du 21

juin 1995), JCP 1996, éd. E, n° 4, p. 45 à 48. - J.J. Daigre, Le redressement judiciaire des groupes de sociétés, Petites Affiches 19 fév.

1988, p. 18.

- P. Delebecque, Groupe de sociétés et procédures collectives : confusion des patrimoines et responsabilité des membres du groupe, Rev. Proc. Coll. 1998, p. 129.

- J.-M. Deleneuville, La qualité de débiteur : des difficultés de l’extension de

procédure au sein des groupes de sociétés, Rev. Proc. Coll. 2001, p. 61. - J.-M. Deleneuville, L’extension de procédure pour confusion, fictivité ou fiction, Rev.

Proc. Coll. 1999, p. 63. - F. Derrida, L’unité d’entreprise est-elle une cause autonome d’extension de la

procédure de redressement judiciaire ? Etude de jurisprudence, Mélanges Derrupé, GLN Joly et Litec, p. 29.

- J.-P. Dom, Un groupe de sociétés n’est pas une entité juridique, BMIS 1998, n° 5, p. 474 à

478.

76

- C. Ducouloux-Favard, L’entreprise de groupe en difficulté et la loi française du 25 janvier 1985 face au droit italien, Petites Affiches, 24 janvier 1996, n°11, p. 33.

- T. Gauthier, Les dirigeants et les groupes de sociétés, Bibliothèque de droit de

l’entreprise, éd. LITEC, spécialement p. 473. - D. Gibirila, L’extension d’une procédure collective, Rev. Lamy Dr. Aff., nov. 2000, p.

3 ; A.P.C. 15 avril 2002, p.1. - D. Gibirila, Absence de fictivité et extension de procédure collective, Actualité des

Procédures Collectives, 15 avril 2002, p.1. - J. Hannelais, L’affaire Pallas Stern et la question des dirigeants de droit, Les Echos, 26

nov. 1998. - G. Kolifrath, Les risques juridiques liés à la mise en place d’une centralisation de

trésorerie au sein d’un groupe de sociétés, Banque et Droit 1995, n° 4, p. 3 à 11. - P. Le Cannu, La société et les groupes de sociétés pendant la période d’observation,

P.A. 9 janvier 2002, n° 7, p. 48 à 58. - P.-M. Le Corrre, Le sort des créances en cas d’extension de procédure, D. 2002,

Chro. p. 1122. - F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, P.A. 4 mai 2001, n° 89, p. 66. - R. Marrau, Un paradoxe permanent du groupe des sociétés : indépendance contre

unité économique des sociétés, Petites affiches 5 août 1996 n° 94, p. 4. - Obadia et Sexer, La responsabilité des dirigeants sociaux et l’article 180 de la loi du 25

janvier 1985, Bull. Joly 1994, p. 617, § 175. - Ph. Pétel, Une procédure collective étendue à plusieurs personnes débouche

nécessairement sur une issue unique, BMIS 1998, n° 6, p. 658 à 660. - J.-L. Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13

juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens, D. 1975, chro. p. 41, n°5.

- C. Saint Alary-Houin, La responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en

difficulté, Colloque « Les dirigeants sociaux », Toulouse 17 novembre 2000, n° 3 supplément à la semaine juridique n° 24 du 14 juin 2001, p. 30.

- B. Soinne, Hésitations sur la « confusion », Rev. Proc. Coll. 2000, p. 117. - J.-P. Sortais, A propos de certaines questions de responsabilité suscitées par les groupes

de sociétés, RJ. Com 1977, p. 128, spécialement p. 131. - Q. Urban, La « communauté d’intérêts », un outil de régulation du fonctionnement

des sociétés, RTD Com. 2000, n° 53.

77

- D. Vidal, Rapport de synthèse à propos du droit des sociétés à l’épreuve des

procédures collectives, Petites Affiches, 9 janvier 2002, n° 7, p. 76 à 85. - D. Vidal, L’extension de la procédure collective à une autre société sans fictivité ni

confusion des patrimoines, Droit des sociétés, n° 10, octobre 2001. V) Notes, conclusions, rapports. - F. Bach, obs. sur CA Paris, 3ème Ch. B., 26 sept. 1997, Rev. Proc. Coll. 1999, p. 49. - Beudant, note sous Req. 10 déc. 1878, D.P. 1879, 1, 5. - B. Bouloc, note sous Crim. 29 oct. 1996, Rev. Soc. 1997, p. 377. - L. Collet, note sous Com. 16 juin 1992, D.G.I. c/ Lumale, D. 1993, jsp p. 508. - J.-J. Daigre, note sous Com. 4 mars 1997, Sté Econom Location c/ GIE Gestion

croissance, Bull. civ. IV n° 6 Bull. Joly Sociétés 1997, § 222, p. 558. - F. Derrida, obs. sur CA Aix en Provence, 26 mai 1981, D. 1983, IR p. 60. - F. Derrida, note sous CA Montpellier, 31 juill. 1991, D. 1991, jsp. p. 471. - P. Estoup, note sous Versailles, 17 sept. 1986, St Gobain Vitrage c/ Sté Fabrica Pisana,

jsp. p.41. - Y. Guyon, obs. sur Com. 3 nov. 1988, Rev. Sociétés 1989 p. 289. - Jeandidier, sous Crim. 4 fév. 1985, JCP 1986, éd.G II, 20-585. - P. Le Cannu, note sous Com. 26 oct. 1996, Bull. Joly 1997, p. 166. - G. Loiseau, note sous Com. 9 mai 1995, D. 1996, jsp p. 322. - F.-X. Lucas, obs. sur CA Rennes, 3 mars 1999, Sté Anatole de Monzie c/ Crédit Foncier

de France, JCP éd. E 2000, p. 1077. - Ph. Martin, concl. sous CE, 21 juin 1995, arrêt Sofige, RJF août-sept.1995, p. 574. - G. Montégudet, obs. sur Com. 8 déc. 1998, Bull. civ. IV, n° 291, p. 242 ; Rev. Lamy dr.

aff. 1999, n° 14, n° 883. - Ohl, note sous Crim. 4 févr. 1985, D.1985 III, 478. - Ph. Pétel, note sous CA Versailles, 29 mars 1990, Satouri c/ Canet, Bull. Joly Soc. 1990,

§ 154, p. 561.

78

- Ph. Pétel, note sous CA Paris, 3ème ch. A, Lerognon c/ A.M.R.E.P., Bull. Joly 1990, p.

186, § 49. - Ph. Pétel, obs. sur Com. 11 juillet 1995, JCP éd. E, 1995, I, 513, n° 1. - Percerou, note sous Cass. Req., 29 juin 1908, Marie-Raynaud c/ Maillard ès qualité, D.P.

19101. - Rheinard, note sous CA Lyon, 8 juin 1990, JCP 1991, éd. G, II, 21711. - D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapport de la Cour

de Cassation, La documentation française, 1997, p. 16.

79

INDEX ALAPHABETIQUE

A Abus de biens sociaux, 12, 127 s. Abus de position … absence d’abus, 131 s. Action … en comblement d’insuffisance d’actif, 23. … objet de l’action, 75. … effet de l’action, 77. en « extension de faillite sociale », 25. … objet de l’action, 75. … effets de l’action, 78. Apparence … théorie, 107. Autonomie juridique, 16 s, 26. Autonomie patrimoniale, 10, 26.

B « Branche morte », 66.

C Centralisation de trésorerie, 55 s. … intérêt pour les sociétés in bonis, 56. … et lutte contre la contamination, 58. Comptes consolidés, 10. Confusion des patrimoines, 29 s. … absence de comptabilité, 35. … approche économique … confusion des comptes, 34. … distinction avec la fictivité, 47. … flux financiers anormaux, 36. … intérêt pour les créanciers, 30. … inconvénients du critère, 139. … pouvoir d’appréciation de la Cour de Cassation, 140. … relations financières anormales, 38. Contamination, 60, 64. Contrôle, 14. Conventions d’assistance, 61. « Couple infernal » SCI/SE, 31.

D Dirigeant, 81 s. … de droit, 81. … de fait, 83. … de droit privé/public, 86 s.

E

Entité économique, 111 s. Extension de procédure, 19. … sources d’extension … … extension « véritable », 20, 25. … … « quasi » extension, 21. … … autonomie des sources, 116 s.

F Faute, 90 s. … justification, 99. Fictivité, 39 s. … critères, 40. … distinction avec la confusion des patrimoines, 47. … nullité des sociétés fictives, 45. Filialisation, 3, 54.

G Gestion, 92. … définition, 14. Groupe de sociétés ... définition Microgroupes, 32.

I Intérêt du groupe, 12, 100 s, 126.

L LBO (Leveraged Buy out), 4.

P Période d’observation, 63 s. Personnalité morale, 15, 49. … maintien ou disparition de la …, 51.

U Unité économique et sociale, 8. Unité d’entreprise, 111 s.

80

TABLE DES MATIERES

PARTIE 1 : Une conception dualiste de l’atteinte du groupe insatisfaisante.

Titre 1 : L’atteinte directe du groupe au travers de l’extension de procédure.

Chapitre 1 : Une conception restrictive des hypothèses d’extension.

Section 1. Les fondements de l’extension de procédure.

§1. La confusion des patrimoines. A. Le « couple infernal » SCI- SE. B. Les critères matériels de l’enchevêtrement des sociétés.

1. La confusion des comptes. 2. Les flux financiers anormaux. a) Le caractère substantiel du transfert d’actifs. b) Le nouveau critère dégagé par la Cour de Cassation.

§2. La fictivité. A. Les critères de la fictivité. B. Les illustrations jurisprudentielles.

Section 2. L’autonomie des sources d’extension et leurs effets.

§1. L’autonomie des concepts de confusion des patrimoines et de fictivité.

§2. Les effets des extensions de procédures. A. Les conséquences communes aux deux sources d’extension. B. Les conséquences spécifiques à chaque source d’extension.

Chapitre 2 : Les stratégies de groupe à l’épreuve des risques d’extension de procédure.

Section 1. L’organisation contractuelle du groupe.

§1. La centralisation de trésorerie. A. L’intérêt de la centralisation de trésorerie pour les sociétés in bonis. B. La centralisation de trésorerie : une technique de lutte contre la

« contamination ».

§2. Les conventions d’assistance.

81

Section 2. La gestion de la période d’observation par le groupe.

§1. La stratégie de lutte contre la « contamination ». A. Eviter les situations « contaminantes ». B. Traiter la « branche morte ».

§2. La reprise de certaines entités soumises à la procédure collective.

Titre 2 : L’atteinte indirecte du groupe au travers de la sanction de ses dirigeants.

Chapitre 1 : La condamnation du dirigeant de la société.

Section 1 : Les condamnations.

§1. L’action en comblement d’insuffisance d’actif et l’action en « extension de faillite sociale » : des objets différents.

§2. L’action en comblement d’insuffisance d’actif et l’action en « extension de faillite sociale » : des effets différents. A. Les effets de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif. B. Les effets de l’action en « extension de faillite sociale ».

Section 2. La personne condamnée.

§1. Le dirigeant de droit et le dirigeant de fait. §2. Le dirigeant de droit privé et le dirigeant de droit public.

Chapitre 2 : La stratégie de groupe à l’épreuve du risque d’extension de passif.

Section 1. Une conception extensive de la faute.

§1. La faute au sens de l’article L. 624-3. A. La notion de gestion. B. La faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif.

§2. La faute au sens de l’article L. 624-5.

Section 2. Une faute justifiable ?

§1. L’appréhension de l’intérêt du groupe par la jurisprudence administrative. §2. L’appréhension de l’intérêt du groupe par la jurisprudence commerciale.

82

PARTIE 2 : Vers une conception unitaire de l’atteinte du groupe ?

Titre 1 : Le retour à un critère large.

Chapitre 1 : Le choix du critère.

Section 1. La théorie de l’apparence.

§1. Les illustrations jurisprudentielles. §2. La théorie de l’apparence ne peut pas être le critère unitaire à retenir.

Section 2. La théorie de « l’unité d’entreprise » ou de « l’entité économique ».

§1. La tentation de recourir au critère de l’unité d’entreprise pour ouvrir une procédure unique.

§2. La tentation de soumettre au plan des filiales in bonis.

Chapitre 2 : Un critère unitaire ?

Section 1. L’obstacle à l’adoption d’un critère unitaire : l’autonomie des sources d’extension.

§1. L’autonomie des différentes sources d’extension.

§2. L’autonomie des sources d’extension eu égard aux incriminations pénales.

Section 2. L’opportunité de l’adoption d’un critère unitaire.

§1. Les mêmes faits peuvent engendrer des actions différentes. A. Une action en extension pour confusion des patrimoines et une

action en comblement d’insuffisance d’actif. B. Une action en extension pour confusion des patrimoines et une

action en « extension de faillite sociale ».

§2. Une récente tentative d’uniformisation.

83

Titre 2 : L’adaptation de critères dégagés par d’autres branches du droit.

Chapitre 1 : Les critères retenus.

Section 1. Le critère de la Chambre criminelle : l’intérêt commun.

§1. La jurisprudence Rozenblum. §2. Applicabilité du critère de la Chambre criminelle au droit des procédures collectives.

Section 2. Le critère de la Chambre sociale : l’absence d’abus de position.

§1. La jurisprudence sociale. §2. Applicabilité du critère de la Chambre sociale au droit des procédures collectives.

Chapitre 2 : Vers un élargissement du critère de la confusion des patrimoines ?

Section 1. Une autre approche de la confusion des patrimoines.

§1. Les inconvénients du critère de la confusion des patrimoines §2. Le pouvoir d’appréciation de la Cour de Cassation. Section 2. Une approche économique de la confusion des patrimoines.

84

RESUME En droit des procédures collectives, le groupe de sociétés est considéré par le législateur sous deux angles. Lorsqu’une des filiales est placée en redressement ou en liquidation judiciaire, le groupe peut en effet être atteint par cette procédure, soit en raison de la fictivité de cette filiale ou de la confusion des patrimoines entre cette dernière et une société tierce, soit au travers de la mise en cause de la responsabilité patrimoniale de la société dirigeant de droit ou de fait de la filiale en difficulté. Ces deux approches, si elles sont fermement distinguées par le législateur et les magistrats, ont toutes deux comme principal objectif la reconstitution d’une solvabilité accrue favorable aux créanciers de la société en difficulté. Pourtant, l’extension de procédure « véritable » n’est que très rarement utilisée en pratique, du fait même de l’étroitesse des critères qui la fonde. Bien souvent, la société dirigeant la société en difficulté est condamnée soit au comblement de l’insuffisance d’actif de la filiale soit à « l’extension de la faillite sociale ». En comparant la conception de l’atteinte du groupe par les jurisprudences administrative, pénale, et sociale, à celle dégagée en matière de procédures collectives, on constate que les autres branches du droit ont défini des critères exonératoires de responsabilité très proches. Ces derniers font référence plus ou moins explicitement à l’intérêt de groupe. Au dualisme actuel qui règne en matière de procédures collectives pourrait être préféré une conception unitaire de l’atteinte du groupe qui, s’inspirant des jurisprudences voisines, présenterait un critère exonératoire unitaire tel que l’absence de confusion des intérêts patrimoniaux.