Post on 19-Jul-2020
1
Conférence sur les Chrétiens d’Orient Salle Pétrarque - 13 janvier 2015
Introduction
Je suis très honoré d’avoir été invité par M. le professeur Carol Iancu : nous
nous connaissons depuis longtemps, depuis plus de 20 ans ! D’abord à travers
le dialogue interreligieux, lorsque j’étais curé à la paroisse Notre-Dame
d’Espérance dans les quartiers St Clément à Montpellier. Nous avions des
réunions bibliques, juifs et catholiques. Dans ce cadre-là, une paroissienne,
Mme Lucette Seznec, s’était fortement engagée au point de participer à la
création d’une équipe de l’amitié judéo-chrétienne, la section Jules Isaac de
Montpellier. Je connais également M. Le professeur Carol Iancu grâce à
l’Université Paul Valery où d’autres enseignants se retrouvent comme
Messieurs les professeurs Gérard Cholvy et Gérard Dedeyan. Et je n’oublie pas
bien sûr son fils M. Mickaël Iancu, directeur de l’Institut Maïmonide.
Par ailleurs, dans le cadre des rencontres judéo-chrétiennes, j’ai eu la grande
joie de faire la connaissance de Mme Edith Moscovic. Un dimanche, à la place
de l’homélie, je lui ai demandé de donner son témoignage devant notre
assemblée, le témoignage d’une petite fille juive, amenée à se cacher pendant
la seconde guerre mondiale pour échapper à la déportation. Notre amitié en a
été renforcée et elle dure toujours.
A la suite de tout cela j’ai accepté de participer à cette rencontre qui n’est pas
la conférence d’un spécialiste mais la préoccupation pastorale d’un évêque, de
celui qui veille non seulement sur les fidèles qui lui sont confiés, mais sur tout
homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, tout particulièrement
quand cette image est ternie par celui qui persécute et plus encore quand c’est
au nom de Dieu qu’il prétend le faire ! Je ne suis donc ni spécialiste des
chrétiens d’Orient ni des terroristes qui les persécutent. Simplement quelqu’un
qui souhaite que nous soyons sensibilisés au sort de ceux qui souffrent pour en
être solidaires.
Je terminerai cette introduction générale en signalant qu’avec le maire de mon
village natal, Vailhauquès, M. Hussam Al Malak, d’origine iraquienne, nous
discutons souvent de la situation actuelle et de sa famille menacée dans son
pays d’origine.
2
De plus, des liens anciens existent avec le Liban grâce au Père Bruno Pin qui a
vécu là-bas tout son ministère avant de nous revenir à sa retraite ; grâce
également au Père Patrice Sabater et au Père Jean Rouquette avec «
l’Association Offrejoie » : chaque été sont organisés dans ce pays avec des
jeunes chrétiens, musulmans et druzes des camps d’été pour réaliser des
projets communs et panser les plaies de ce pays tiraillé et meurtri…
Présentation
Les sources dont je me suis inspiré pour vous proposer ces réflexions
s’appuient sur différents supports : les conférences que j’ai suivies, comme
celle de M. Gilles Képel, des articles du quotidien « La Croix » signés Paul Bhatti,
Anne Bénédicte Hoffner, des revues comme : l’Eglise dans le monde, l’AED
(aide à l’Eglise en Détresse) articles signés par Marc Fromager, la revue
« Etudes » et surtout « Le livre noir de la condition des chrétiens dans le
monde », des textes ecclésiaux comme la déclaration conjointe du Pape
François et du patriarche œcuménique Bartholomée 1er à l’occasion du voyage
pastoral du pape en Turquie, et beaucoup d’autres encore comme Jean-
François Colosimo. Je signale aussi la lettre du pape François aux chrétiens
d’Orient pour Noël.
• Pour comprendre, la situation actuelle, il faut tenir compte du contexte
géopolitique au début de notre XXI° siècle. Non seulement au Proche et
Moyen Orient, mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique comme le
Nigéria, le sud-Soudan, le Mali avec lequel le diocèse de Montpellier est
jumelé et la Centre-Afrique
• Le monde musulman a connu ces dernières années des bouleversements
gigantesques. Le point d’orgue a été atteint avec les printemps arabes,
les révolutions arabes récentes dont la Tunisie a initié le mouvement en
2010. Nous nous souvenons de l’immolation de ce jeune marchand :
c’est l’étincelle qui a mis le feu et embrasé d’autres pays. Le terreau de
ces mutations est constitué de jeunes urbains pauvres et sans avenir. Par
ailleurs nos pays ont apporté leur soutien aux régimes autoritaires dans
la mesure où ils pensaient trouver ainsi un rempart contre le terrorisme
3
(rappelez-vous le 11 septembre 2001 !). Par la suite, ces régimes ont été
lâchés par l’Occident. Et l’on a vu s’établir une alliance entre les laissés
pour compte de ces régimes et les classes moyennes qui étaient en
quelque sorte rackettés comme eux.
• Ce qui s’est passé en Tunisie a servi plus ou moins de modèle dans
d’autres pays, mais avec un certain nombre de nuances. Les frères
musulmans par exemple qui avaient récupéré le pourvoir se sont trouvés
par la suite contrés et torturés. Il faudrait parler de la Turquie et du
Qatar, de la mouvance islamique, des oppositions chiites et sunnites, des
répercutions en Occident.
• En France, on assiste aussi à une crispation identitaire. Le temps est
passé d’un islam contrôlé par l’étranger (Mosquée de Paris et Algérie). Il
y a eu l’âge des frères, ceux du bled. Puis l’hégémonie des entrepreneurs
« halal » pour un marché apte à attirer les consommateurs avec tous les
enjeux y compris financiers que cela représente. Il ne faut pas sous
estimer non plus le phénomène des conversions et des départs pour le
djihad, alors que, en Irak et en Syrie, l’avancée de Dahesch,
malencontreusement appelé Etat Islamique, a conquis une partie de ces
territoires et sa progression est loin d’être stoppée. Et dans cet Orient
compliqué que deviennent les chrétiens, là même où le Christianisme
possède ses racines ? Car les premiers disciples de Jésus sont partis en
mission hors de Jérusalem, en Samarie d’abord et ensuite sur le pourtour
méditerranéen, d’une part en Turquie actuelle et au-delà par la suite, et
bien sûr en Syrie et en Irak.
• Pour stopper la progression de Dahesh et la création du Califat, il a fallu
un certain temps pour que se constitue la coalition. Comment s’engager
en Irak, pour les américains qui en étaient repartis, sans que le pays ait
trouvé une certaine stabilité après l’élimination de Saddam Hussein ?
Comment intervenir en Syrie et pratiquement s’allier à Bachar El Assad
après l’avoir menacé de tous côtés et soutenu ses adversaires ?
Comment amener la Turquie à s’impliquer et soutenir les Kurdes qui
4
protègent les minorités en péril, alors que la Turquie considère les
Kurdes comme une grande menace contre l’unité nationale ?
• Dans cette situation qui voit des musulmans s’attaquer à d’autres
musulmans, comment situer les attaques de Dahesh contre les chrétiens,
contre d’autres minorités religieuses comme les Yazidis.
La violence fondamentaliste a-t-elle encore un lien
avec la religion ?
Position de Paul Bhatti, président de l’Alliance pour les minorités au Pakistan (APMA)
« Les attaques récurrentes contre les chrétiens en Irak, en Syrie, au Nigeria ou encore au Pakistan ont une racine commune: l’idéologie de groupes terroristes qui utilisent la religion pour imposer leurs vues et s’en prendre aux plus fragiles. C’est le cas en Irak avec l’État islamique (EI), mais aussi au Pakistan où les violences faites aux chrétiens sont directement proportionnelles à l’instabilité politique, économique et religieuse du pays. Aussi la tentation est grande d’établir un amalgame entre la religion apparemment en cause, à savoir l’islam, et ce qu’en font ces groupes terroristes qui bénéficient de nombreux soutiens financiers à travers le monde.
Aucune religion ne permet de tuer ou de mourir au nom de Dieu. Dans les textes bibliques ou coraniques, seul Dieu a le pouvoir de donner ou de retirer la vie. Ceux qui, au nom de l’islam, tuent des innocents, font l’apologie du suicide ou considèrent les autres religions comme ennemies, n’ont rien à voir avec la religion dont ils se réclament. Tout discours religieux part du respect de l’humanité et ne vise qu’une victoire, celle de l’amour. Qui s’impose par la force dévoie la religion, chrétienne ou musulmane.
Nous ne pouvons pas passer sous silence qu’à certaines périodes de leur histoire les chrétiens eux aussi ont sombré dans ces radicalismes, entre eux et envers les autres.
5
« La grande pauvreté et l’absence d’éducation constituent le terreau privilégié
du terrorisme ». Quand un pays, y compris la France, n’arrive pas à donner du
travail à sa jeunesse, quand cette jeunesse n’a aucun avenir devant elle, quand
des sirènes lui annoncent une perspective prometteuse et en prime le bonheur
éternel dans le Paradis, comment s’étonner que certains soient pris au piège.
En tant que chrétien engagé dans la défense des minorités au Pakistan, Paul Bhatti connait l’islam de l’intérieur. Il a suffisamment étudié ses textes pour savoir que leur interprétation varie d’un pays à l’autre et que l’histoire des premiers siècles de l’islam – en particulier la décision de faire la guerre ou non – ne doit jamais être séparée de son contexte et ne peut servir de règle à toutes les époques. Au Pakistan, il côtoie aussi beaucoup de musulmans de bonne foi qui aspirent au dialogue et à la paix. Certains l’ont payé de leur vie, comme Salman Taseer, gouverneur musulman du Pendjab, assassiné en janvier 2011 parce qu’il prenait avec son frère, le ministre Shahbaz Bhatti, la défense des chrétiens emprisonnés à cause de la loi sur le blasphème. Aujourd’hui encore, des avocats et promoteurs musulmans des droits de l’homme défendent les chrétiens au Pakistan, bravant tous les jours la peur et les menaces. Ils sont la plus belle expression de l’islam.
Parce que la violence qui se déchaîne sous nos yeux n’est pas de nature religieuse, les leviers sur lesquels nous pouvons agir sont avant tout politiques et sociaux. La grande pauvreté et l’absence d’éducation constituent le terreau privilégié du terrorisme. C’est pourquoi il revient aux leaders politiques et religieux de s’asseoir autour d’une même table afin d’examiner les vrais problèmes de leur pays et de prendre des mesures concrètes, à commencer par la fermeture des écoles religieuses où les enfants sont endoctrinés dès leur plus jeune âge. La Turquie, l’Indonésie ou les Émirats arabes unis ont accompli de réels progrès dans ce sens et sont parvenus à diminuer leur niveau de violence. ».
« Une fois encore, les groupes terroristes utilisent la religion pour imposer leurs vues et s’en prendre aux plus fragiles. »
6
L’Etat islamiste est-il islamique ?
Position de Marc Fromager (Bulletin AED France n°8 de décembre 2014)
La question pourrait paraître saugrenue. Après tout, cela reviendrait à se
demander par exemple si la République française est française… Et pourtant ; la
question se pose car il y a eu une sorte d’unanimité à déclarer que l’Etat
Islamique n’avait rien à voir avec l’islam. De hauts dignitaires musulmans se
sont clairement exprimés à ce sujet et l’on peut s’en réjouir vraiment.
Certes, il fallait éviter tout amalgame. Certes, les djihadistes de l’Etat islamique
sont des terroristes. Certes, l’immense majorité des musulmans n’a rien de
commun avec ces fanatiques. Certes, on pourrait même ajouter que la plupart
des victimes de l’Etat islamique sont des musulmans : chiites, kurdes (sunnites
mais non arabes), sunnites qui ne sont pas assez radicaux …
Il n’en demeure pas moins que c’est au nom de l’islam que l’Etat islamique
opère, qu’il a fondé le Califat, qu’il applique la charia, qu’il chasse et exécute
ceux qui ne se soumettent pas. Comme souvent lorsque quelque chose de
pénible se produit dans le monde musulman, on a recours au même argument :
ce ne sont pas de bons musulmans ou alors, deuxième option, ce sont des
fous !
Cela pourrait être rassurant sauf à imaginer qu’il y a un nombre considérable
de fous dans ces contrées. On donne l’impression de tourner autour du pot, de
chercher une échappatoire. Or, au-delà des belles déclarations, il faudra quand
même un jour aller plus loin et notamment répondre à quelques question :
Comment résoudre le problème de la violence posé par le Coran ?
Comment opérer la distinction entre le politique et le religieux ?
Comment reconnaitre l’altérité, la présence de l’Autre, celui qui ne croit pas en
le même Dieu, voire qui ne croit pas du tout ?
Si ces questions pouvaient être résolues, cette crise pourrait même avoir été
bénéfique, mais nous n’y sommes pas encore. En attendant, il y a des victimes
et parmi elles, 120 000 de nos frères chrétiens qui s’entassent, traumatisés,
autour d’Erbil. Ils ont passé Noël dans des conditions plus que précaires.
7
Pour eux aussi visiblement, comme à Bethléem autrefois, il n’y a plus de place à
l’auberge et la menace du massacre des innocents n’est jamais très loin. Nous
ne les oublions pas car ils comptent sur nous !
La disparition des chrétiens d’Orient serait une
catastrophe pour l’ensemble des chrétiens.
Position de J-François COLOSIMO (La Croix - Midi-Libre)
Les chrétiens d’Orient sont en trop de l’autre côté de la Méditerranée car ils
sont pris dans la convulsion islamiste qui cherche à les exclure. Mais ils sont en
trop aussi pour nous, dans une Europe sécularisée, pressée d’oublier ses
racines chrétiennes. Ils nous rappellent par leur simple existence que le
christianisme est originellement une religion orientale. La malédiction les
poursuit depuis des siècles. Ils ont toujours été lâchés : en 1921, la France et la
Grande-Bretagne ont abandonné les Grecs qui voulaient reconquérir leurs
territoires ancestraux. En 1932, les Britanniques ont lâchés les Assyriens. Et,
bien sûr en 2003, au moment de l’invasion américaine de l’Irak, le monde ne
veut plus d’eux…
Pendant quatorze siècles, ils ont résisté au joug de l’Islam, mais aussi aux
pressions coloniales de l’Occident. Ils ont toujours été pris en étau. C’est le
XXème siècle, avec ses guerres d’indépendances, qui les a poussés à l’exode.
En 1990, ils étaient par exemple 35% sur le territoire de Turquie, ils ne
représentent aujourd’hui que 1% de la population. Tout s’est accéléré lorsque
les Etats-Unis ont voulu remodeler le Moyen-Orient. En Irak, ils ont fui
l’invasion américaine puis l’islamisme et le terrorisme. Leur situation est
désastreuse. Pour le christianisme, l’ancienne Mésopotamie, la terre
d’Abraham, est perdue. Ils seront bientôt trop peu nombreux pour empêcher
ces sociétés de s’uniformiser dans le fanatisme. Les chrétiens de Syrie vivent un
destin similaire et des millions de réfugiés prennent le chemin de l’exil via le
Liban, la Jordanie et la Turquie. Ils vont aussi vers l’Occident parce qu’ils le
pensent chrétien alors qu’il ne l’est guère.
La France suit la politique des Etats-Unis. La coalition internationale en Irak est
financée en partie par le Qatar, l’Arabie Saoudite. On est dans un renversement
de perspectives hallucinant. La France se contente de délivrer des visas, et
8
encore pas beaucoup, c’est de l’humanitaire, pas une politique. On ne veut pas
vraiment les soutenir en Europe, car ils réveillent notre mémoire de civilisation
historique. L’interdit de l’Europe, c’est de nommer les réalités. Celle-là est
gênante car elle parle de nos racines. L’Europe ne veut pas de passé, seulement
un futur. Or, ces chrétiens sont à la source des dix-huit siècles d’histoire de
l’Europe parce qu’ils sont notre mémoire. Les Coptes nous renvoient à l’Egypte
des pharaons, les Chaldéens d’Irak à l’ancienne Mésopotamie. Ils sont le
chaînon indispensable entre l’Europe et l’Asie, ils ont assuré le transfert de
culture. Ils sont le seul espoir de sécularisation dans un monde dominé par le
fanatisme. Leur disparition serait une catastrophe pour eux, pour nous, pour
les musulmans qui veulent un monde ouvert. Ce serait pour nous comme une
amputation terrible de nos racines.
L’œcuménisme de la souffrance
Position de Frans Bouwen, collaborateur de la revue « Terre Sainte Magazine »
Les violences qui s’abattent actuellement sur le Moyen-Orient touchent tout
particulièrement les chrétiens qui vivent dans ces régions depuis les origines du
christianisme. En novembre et décembre, la situation s’est encore fortement
aggravée, au point de mettre en danger la vie et l’avenir des communautés
chrétiennes dans certains pays. Ces nouvelles dramatiques sont largement
répercutées par les médias chrétiens et autres. Certains n’hésitent pas à parler
explicitement d’une persécution des chrétiens. Toutefois, avant de généraliser
l’usage du terme « persécution » il importe de voir les souffrances des
chrétiens dans le contexte plus large : les chrétiens ne sont pas les seuls à
souffrir ; bien d’autres groupes, musulmans sunnites ou chiites selon les cas,
yazidis, kurdes, etc. en sont également victimes. Mais les chrétiens paient peut-
être le prix le plus cher, en raison de leurs petits nombres et parce qu’ils sont
les plus vulnérables : ils refusent de prendre les armes et de répondre à la
violence par la violence. Dans le même temps, il faut aussi reconnaitre qu’en
certains cas des chrétiens sont tués explicitement parce qu’ils sont chrétiens et
deviennent ainsi de véritables martyrs.
9
Ces violences et menaces ne font pas de distinction entre les chrétiens d’après
leur appartenance ecclésiale : orthodoxes, catholiques ou protestants. La
meilleure illustration en est le kidnapping des métropolites grec orthodoxe,
Boulos Yazigi, et syriaque orthodoxe, Yuhanna Ibrahim, d’Alep, en avril
2013.Ensemble, ils étaient partis négocier la libération de prêtres et de fidèles
enlevés peu auparavant ; ensemble ils ont été enlevés, et depuis plus aucune
nouvelle : sont-ils vivants ou morts ? Est venu s’y ajouter, trois mois plus tard et
dans la même région, l’enlèvement du jésuite italien Paolo Dall’Oglio. Lui aussi
intercédait pour libérer des personnes kidnappées, et de lui non plus il n’y a pas
la moindre nouvelle. Ces trois ecclésiastiques appartiennent à trois Eglises
différentes qui ne sont pas en communion entre elles, mais ils ont unis dans la
même souffrance et, peut-être, dans la même mort. Leur sort a reçu une plus
grande publicité à travers les médias ; il convient de les voir comme les
représentants des dizaines et peut-être centaines de chrétiens anonymes,
appartenant à toutes les Eglise, qui ont connu le même sort mais dont on ne
parle pas.
Dans une interview au journal La Stampa, le pape François a déclaré :
« aujourd’hui il y a l’œcuménisme du sang. Dans certains pays, on tue les
chrétiens parce qu’ils portent une croix ou ont une Bible, et avant de les tuer on
en leur demande pas s’ils sont anglicans, luthériens, catholiques ou orthodoxes.
Les sangs sont mêlés. Pour ceux qui tuent nous sommes chrétiens. Unis dans le
même sang, même si entre nous, nous ne parvenons pas encore à faire les pas
vers l’unité. » En recevant, en mai 2013, le patriarche copte orthodoxe
Tawadros II, le pape dit : « il existe aussi un œcuménisme de la souffrance : de
même que le sang des martyrs a été une semence de force et de fécondité pour
l’Eglise, ainsi le partage des souffrances quotidiennes peut devenir un puissant
instrument d’unité. » Ces paroles méritent de retenir l’attention au moment où
les dialogues théologiques en vue de l’unité semblent piétiner. Au lieu de
dialoguer sur des questions théologiques parfois assez éloignées de la vie réelle
- ou du moins en même temps que ces dialogues - ne faudrait-il pas plutôt
essayer de faire la théologie de ce que les chrétiens appartenant à des Eglises
encore séparées vivent déjà en commun, avant tout ce don de la vie, le
témoignage extrême du martyre. En donnant ensemble leur vie pour le Christ,
ces chrétiens entrent ensemble dans la pleine réalité du mystère de la mort et
de la résurrection du Christ, alors qu’ils ne sont pas encore capables de
10
célébrer ensemble l’eucharistie, le signe sacramentel de ce mystère. Est-ce que
cela ne devrait pas faire réfléchir ? Ou du moins donner une urgence nouvelle à
toute recherche de la communion parfaite ? Ce défi vital, lancé aux théologiens
et aux responsables des différentes traditions ecclésiales, pose d’une manière
nouvelle le lien inséparable entre théologie et vie.
Déclaration commune du Pape François et du
Patriarche œcuménique Bartholomée Ier
Nous exprimons notre préoccupation commune pour la situation en Irak, en Syrie et dans tout le Moyen-Orient. Nous sommes unis dans le désir de paix et de stabilité et dans la volonté de promouvoir la résolution des conflits par le dialogue et la réconciliation. Reconnaissant les efforts déjà faits pour offrir une assistance à la région, nous en appelons en même temps à tous ceux qui ont la responsabilité du destin des peuples afin qu’ils intensifient leur engagement pour les communautés qui souffrent et leur permettent, y compris aux communautés chrétiennes, de rester sur leur terre natale. Nous ne pouvons pas nous résigner à un Moyen-Orient sans les chrétiens qui y ont professé le nom de Jésus pendant deux mille ans. Beaucoup de nos frères et de nos sœurs sont persécutés et ont été contraints par la violence à laisser leur maisons. Il semble vraiment que la valeur de la vie humaine se soit perdue et que la personne humaine n’aie plus d’importance et puisse être sacrifiée à d’autres intérêts. Et tout cela, tragiquement, rencontre l’indifférence de beaucoup. Comme nous le rappelle saint Paul : « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l’honneur ? Tous les membre se réjouissent avec lui » (1 Co 12, 26). C’est la loi de la vie chrétienne et en ce sens nous pouvons dire qu’il y a aussi un œcuménisme de la souffrance. Comme le sang des martyrs a été semence de force et de fécondité pour l’Église, ainsi le partage des souffrances quotidiennes peut être aussi un instrument efficace d’unité. La terrible situation des chrétiens et de tous ceux qui souffrent au Moyen-Orient demande non seulement une prière constante, mais aussi une réponse appropriée de la part de la communauté internationale.
11
Où en est-on en fin d’année 2014 ?
• Au plus fort de la persécution, les chrétiens qui n’ont pas pu fuir à temps
se trouvent confrontés à une violence extrême : les hommes doivent ou
se convertir, ou avoir le statut de citoyen inférieur et payer l’impôt
correspondant ou être supprimés ; les femmes sont enlevées pour le bon
plaisir des combattants ou pour être vendues ou mariées de force ;
quant aux enfants, incapables de choisir la religion, ils sont tout
simplement éliminés.
• Plusieurs délégations de chrétiens, conduites souvent par des évêques
comme le Cardinal Barbarin, Mgr Marc Stenger et d’autres, se sont
rendues en Irak tout particulièrement, à la rencontre des chrétiens
persécutés, si bien que l’on a pu dire que le nord de ce pays était en
partie un grand camp de réfugiés.
En effet, les chrétiens ont vraiment été obligés de fui et de tout laisser.
Ils n’ont pu rien emporter. Aujourd’hui, ils sont sans ressources dans la
région du Kurdistan. Ils vivent donc dans un immense camp de réfugiés
où l’on tue, l’on pille, l’on viole… Et Dahesh qui occupe ces régions a
profité du vide institutionnel en Irak pour en prendre le contrôle.
Dans cette situation, quel espoir ? Quelle espérance ? Mgr Sako qui est
l’un des porte-parole des chrétiens met en cause la responsabilité des
grandes puissances qui pourraient créer un peu de stabilité et faire
pression sur les différentes parties. Ce dont les chrétiens ont besoin c’est
de savoir qu’ils ne sont pas abandonnés, qu’ils ne sont pas seuls, que l’on
pense à eux, que l’on prend au sérieux leurs grands malheurs. Mgr
Stenger déclare : « Toutes les communautés chrétiennes ne pourront pas
se rendre en Irak, mais il faut qu’elles soient attentives et accueillent les
réfugiés pour vivre cette solidarité à travers ces irakiens exilés chez
nous ».
• On a vu apparaître le « N », Noun en arabe pour désigner les chrétiens
comme Nazaréens. Le Cardinal Barbarin de Lyon qui s’est rendu en
Orient au début du mois de décembre, grand défenseur de la cause des
chrétiens d’orient, a pris comme carte de vœux cette année une sobre
représentation de ce Noun accusateur…
12
• A Noël, le pape François a rendu hommage à tous ceux qui sont
discriminés, persécutés et tués. Il a fustigé la persécution brutale en
rappelant que les chrétiens ne sont pas tous appelés à verser leur sang,
mais doivent donner témoignage, sans peur d’aller à contre courant et
de payer de leur personne.
Déjà dans sa lettre aux chrétiens d’Orient, envoyée quelques jours avant,
il avait voulu manifester son soutien à l’égard de ces communautés très
éprouvées en particulier par les exactions de Dahesh. Et en même temps
il livrait là un vibrant plaidoyer pour le dialogue interreligieux
Et maintenant, quel avenir pour les chrétiens
d’Orient ?
Position du P. David Neuhaux (revue « Etudes » décembre 2014)
Ce qui marque les chrétiens de ces régions, c’est la peur !
Et de plus, ils se sentent souvent abandonnés des autres chrétiens, du monde
et parfois même de Dieu…
L’ancien patriarche latin de Jérusalem, Michel Sabbah, leur disait souvent : «
résistez à toute tentation de la peur et du désespoir ».
Oui la peur a saisi toute les communautés en voyant les scènes horribles
diffusées à partir de l’Irak et de la Syrie. Des centaines de milliers de chrétiens
ont du abandonner leur terre natale ; depuis 2010, ils ont été chassés de leur
maison, les racines chrétiennes ont été arrachées, l’héritage chrétien a été
effacé par des terroristes au visage masqué parlant au nom de l’Islam. Et en
même temps que les chrétiens sont persécutés, il en va de même pour d’autres
minorités considérées comme hérétiques, schismatiques ou non conformistes.
Les chrétiens constituent une minorité à part dans la mesure où ils ont toujours
refusé dans l’ensemble de s’organiser comme des partis politiques ou des
milices. Et du coup, avec tous les changements politiques ils se sont trouvés
encore plus marginalisés avec des systèmes qui accentuaient l’identité
confessionnelle. Et même menacés d’être assassinés, chassés, exclus, humiliés.
13
Comment surmonter la peur ?
Pour surmonter la peur, il faut fuir l’isolement et le repliement sur soi et se
disposer résolument à la rencontre et au dialogue. La commission justice et
paix demande aux chrétiens et aux musulmans de résister ensemble aux forces
nouvelles de l’extrémisme et de la destruction.
Pour cela il existe un moyen séculaire qui a fait ses preuves. Ce sont les
différentes institutions de l’Eglise qui révèlent le visage d’une présence
chrétienne au service non seulement des chrétiens mais de la société dans son
ensemble : écoles, universités, dispensaires, cliniques, institutions pour les
pauvres, les personnes âgées et les handicapés et tant d’autres établissements
qui se caractérisent par leur dévouement, les services rendus, l’ouverture à
tous et à chacun : musulmans surtout et autres minorités locales.
Ce sont des lieux où chrétiens et musulmans ne se contentent pas de se
côtoyer mais peuvent aussi établir des relations mutuelles et tenir des discours
sur la diversité et le respect réciproques. Ainsi, au lieu que la peur entraîne un
discours en réaction et une attitude de retrait, il peut devenir possible de tenir
un langage rempli de discernement qui permette de distinguer l’extrémiste du
musulman qui est un voisin, un compatriote, un frère en humanité.
Dans ce contexte les chrétiens ont bien leur place au titre de leur contribution à
la vie sociale à travers les différents services qu’ils rendent. Mais l’élément le
plus important contre la peur demeure la foi. Ces chrétiens expérimentent
dans leur chair les paroles et le témoignage de Jésus : « Si quelqu’un veut
marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me
suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à
cause de moi et de l’Évangile la sauvera ». (Mc 8/ 34-35).
Tant d’autres, au cours des siècles, ont donné leur vie en témoignage de foi au
Christ. Mais l’on comprend très bien que certains, en pensant à leurs enfants
en particulier, regardent vers des pays plus sûrs, en Europe, aux USA, en
Australie… Cette diaspora chrétienne, au milieu de nous, est un appel à
l’accueil, mais aussi à la solidarité avec ceux qui ont décidé de rester ou tout
14
simplement qui n’ont pas eu les moyens de partir. Nous demandons pour eux
la foi, au-delà de la peur et de l’isolement, la foi au Christ, mort et ressuscité
pour que finalement la vie l’emporte.
Persévérer dans le dialogue avec l’Islam
Telle doit être notre conduite pour ne pas subir les pièges de l’Islamisme et du
djihad. En ce début d’année a eu lieu au Vatican la visite d’imans français reçus
au conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. D’emblée, le cardinal
Tauran, originaire de Bordeaux et président de ce conseil déclare : « plus il y a
de conflits et plus il nous faut insister sur le dialogue ». Personnellement, je ne
pense pas que ce dialogue doive porter sur des questions religieuses… il s’agit
du dialogue de la vie, du quotidien, du travail, du quartier, de l’école, des
associations, autrement dit tous les lieux qui permettent aux citoyens que nous
sommes de se connaître, de dialoguer, de s’estimer dans nos différences
religieuses, sans exclusivisme. L’islam peut se présenter comme conquérant et
prosélyte ; il exerce parfois des pressions fortes pour la conversion de ceux et
celles qu’il côtoie. C’est pourquoi le dialogue possible et fructueux se situe
d’abord du côté relationnel, humain, social. C‘est pourquoi il faut saluer les
prises de positions qui enfin se multiplient face aux exactions de Daesh pour en
dénoncer les crimes et appeler à la mobilisation. C’est désormais le cas de
responsables musulmans qui n’hésitent plus à s’exprimer : la visite des 4 imans
français au Vatican revêt ainsi une portée symbolique importante. Elle fait suite
à un certain nombre de rencontres à Rome, Vienne, au Caire ou encore en Iran
où des responsables musulmans se sont exprimés, à l’unisson avec la
communauté internationale ; mais il faut aller plus loin et travailler au plus près
du terrain là où s’exprime des violences à la mosquée, à l’école, dans les
quartiers. C’est toute une culture qui doit changer quand on présente dans les
livres scolaires les chrétiens comme des mécréants. Nous savons tous les
idéologies que peuvent véhiculer les livres scolaires ! Il y a donc à la base la
nécessité d’une éducation à l’école, dans les familles surtout, mais également
une formation intellectuelle et religieuse de certains fidèles. C’est à ce prix que,
si Dieu le veut, la cohabitation entre chrétiens, musulmans, yazidis et d’autres
minorités pourra être à nouveaux possible ou alors c’est la mort des chrétiens
d’Orient.
15
Le pape François appelle souvent à une « culture de la rencontre » quand
prédomine une « culture de l’exclusion ». Sans le respect de l’autre, différent,
rien n’est possible ! Comment ne pas se rappeler, une nouvelle fois, que
confesser le Dieu créateur nous rassemble et fait de nous des frères et des
sœurs en humanité.
En mettant en commun leurs valeurs respectives, chrétiens et musulmans
peuvent bâtir ensemble une société fondée sur la justice et la paix. Seuls les
projets réalisés ensemble, chrétiens et musulmans, pourront donner un signe
fort d’espérance.
Pour avancer dans un tel dialogue il faut donc poursuivre la lutte contre
« l’ignorance réciproque » et il y a tout un travail de formation et d’éducation à
l’altérité qui est absolument nécessaire.
En 2014 la France a accueilli plus de 1.200 irakiens et 500 syriens. Et le
gouvernement français a annoncé qu’il poursuivrait en 2015 l’accueil de
minorités persécutées d’Orient et des réfugiés irakiens et syriens. De fait,
depuis 2011 ce sont 4.500 syriens qui ont trouvé refuge en France, mais il
faudrait réinstaller en Europe quelques 30.000 syriens parmi les plus fragilisés
qui se trouvent en situation d’extrême vulnérabilité dans les pays voisins de la
Syrie, la Turquie, le Liban et la Jordanie : au total, plus de 3 millions ! Le
gouvernement français a précisé ses critères d’accueil : « les personnes
individuellement persécutés ou menacées du fait de leurs convictions
religieuses ; celles qui ont des liens forts avec la France ; celles qui se trouvent
en situation de grande vulnérabilité ».
Au terme de ce parcours, il faudrait faire sans doute l’éloge de la différence. En
effet, la différence est ressentie comme une menace et ceux qui n’ont pas la
même religion doivent disparaître. Le rejet de la différence a atteint en Orient
son paroxysme. Mais chez nous aussi se met en marche un monde uniformisé
qui doit nous alerter, avec théorie du genre, certains aspects de la
mondialisation, en particulier économiques.
Quand on apprend qu’il y a entre 100 et 150 millions de chrétiens persécutés
dans 140 pays à travers le monde, il y a de quoi s’interroger : « N’est-ce pas une
guerre mondiale faite aux chrétiens ? »(John Allen) ? Quelle liberté de
conscience, de culte, d’expression demeure-t-il encore ?
16
Et parce que cette conférence est proposée par l’Amitié Judéo-chrétienne je
vais terminer avec une citation du Talmud :
« Le monde repose sur trois piliers : la justice, la vérité et la paix. » (TJ Taanit
68a).
Le Talmud appuie son enseignement sur un verset du prophète Zacharie (8,17)
: « Vérité, jugement et paix à appliquer dans vos portes (des villes). » Les trois
vertus mentionnées constituent non seulement les piliers de toute société,
mais les piliers du monde.
17
Conférence sur les Chrétiens d’Orient Salle Pétrarque - 13 janvier 2015
Introduction
Présentation
La violence fondamentaliste a-t-elle encore un lien avec la religion ?
Position de Paul Bhatti, président de l’Alliance pour les minorités au Pakistan (APMA)
L’Etat islamiste est-il islamique ?
Position de Marc Fromager (Bulletin AED France n°8 de décembre 2014)
La disparition des chrétiens d’Orient serait une catastrophe pour
l’ensemble des chrétiens.
Position de J-François COLOSIMO (La Croix - Midi-Libre)
L’œcuménisme de la souffrance
Position de Frans Bouwen, collaborateur de la revue « Terre Sainte
Magazine »
Déclaration commune du Pape François et du Patriarche
œcuménique Bartholomée Ier
Où en est-on en fin d’année 2014 ?
Et maintenant, quel avenir pour les chrétiens d’Orient ?
Position du P. David Neuhaux (revue « Etudes » décembre 2014)
• Comment surmonter la peur ?
• Persévérer dans le dialogue avec l’Islam
Brève Bibliographie :
Revues « Etudes »: L’avenir des chrétiens au Moyen-Orient (décembre 2014)
Rapport 2014 d’AED (Aide à l’Eglise en Détresse) : La liberté religieuse dans le monde
Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde aux Editions XO
Le journal de la Paix en marche (Pax Christi) oct 2014 : Irak-Syrie : L’urgence de la paix pour tous