Post on 04-Apr-2015
Comment un apprenant finnophone maîtrise-t-il les stratégies d’adresse
en français ?
Eva Havu
Université de Helsinki/ Paris 3 – CIEH
eva.havu@helsinki.fi
Introduction
Deux pronoms d’adresse en français et en finnois: sinä / te – tu / vous )
Systèmes d’adresse non identiques : les Finlandais tutoient plus que les Français (Havu 2005)
Comment distinguer en finnois entre les relations
interpersonnelles de distance et de solidarité?
(Brown&Gilman 1962) Le Finlandais les expriment d’une autre manière
trois types de tutoiement :
menetkö ulos, menetkö sinä ulos, meeksä/meetsä ulos?
(Lappalainen, à paraître) : sortiras-tu?
les deux premiers les plus formels >
souvent T « formel » finnois = V français
Introduction
L’emploi d’appellatifs plus rare en finnois qu’en français situations familières, non formelles: surtout emploi phatique
(Hakulinen & alii 2004 : 1024)
situations officielles, publiques : plus répandus (monsieur le
ministre, mon général / herra ministeri, herra kenraali).
Le système d’adresse finnois ne peut donc pas être
directement utilisé en français Le système d’adresse d’un apprenant de français
finnophone: le tutoiement probablement surreprésenté
les appellatifs probablement sous-représentés
guère de variation dans les stratégies d’adresse d’après la
situation de communication
L’enseignement des langues en Finlande
Enseignement des langues étrangères en Finlande à
partir de la troisième année scolaire (à 9 ans): - langue A1 (le plus souvent l’anglais): pendant 10 ans;
objectif: niveau B2.1. en anglais, autres langues:
niveau B1.1.-B1.2. - langue optionnelle A2 en 4ème ou 5ème année
scolaire- langue B2 en septième année scolaire- langue optionnelle B3 en première classe de lycée- L’objectif pour les langues B: niveau A2 (langue B2 :
plutôt niveau A2.2, langue B3 : plutôt niveau A2.1)
Le projet HY-Talkhttp://www.helsinki.fi/sokla/vieki/index.htm
HY-TALK (janvier 2007>): évaluer les différentes compétences linguistiques orales, y
inclus les compétences interculturelles
voir comment elles se situent sur l’échelle du Cadre de
Référence Européen.
Prendre en vidéo les prestations d’une cinquantaine
d’élèves en langue A1/A2 en première année du collège (A1.2 )
en première année de lycée (A2. 1)
à la fin des études scolaires (B.1.1)
Faire évaluer ces dialogues par des évaluateurs
« neutres »
Le projet HY-Talkhttp://www.helsinki.fi/sokla/vieki/index.htm
Taches données aux élèves: monologue (auto présentation)
interview par un francophone
trois dialogues entre élèves
Situations artificielles (cf. Lumley & Brown 2005):
demandent des capacités de simulation Compétences orales visées: Direction générale de
l’enseignement (Opetushallitus), 2003, annexe 1): Collégiens: exprimer quelques besoins immédiats d’une
manière limitée en utilisant un vocabulaire de base très
élémentaire
Le projet HY-Talkhttp://www.helsinki.fi/sokla/vieki/index.htm
Lycéens: maîtriser des situations de communication simples
et se débrouiller dans les situations de service les plus
communes
Niveau le plus élevé: maîtriser le vocabulaire des situations
de communication normales et parler de sujets qui
intéressent en se servant d’un vocabulaire relativement
vaste et d’une gamme de structures différentes
Description des objectifs socioculturels de l’enseignement
des langues à l’école (National core curriculum for upper
secondary schools 2003, p. 94): sensibiliser les élèves
aux différences socioculturelles (les compétences qu’il
faut acquérir pas précisées).
Le projet HY-Talkhttp://www.helsinki.fi/sokla/vieki/index.htm
Tests: comprennent des actes de langage (salutations,
remerciements, requêtes) qui souvent (mais pas
régulièrement) accompagnés d’appellatifs en français
(Kerbrat-Orecchioni 1992 : 24-25, Schegloff 1979 : 334) Les tests des deux premiers niveaux ne donnent guère la
possibilité à l’expression d’autres valeurs pragmatiques
(mécanique de la conversation, niveau relationnel) Guère la possibilité à la variation des pronoms d’adresse:
dialogues entre élèves du même âge simulant des situations
entre jeunes de leur âge > T
interview menée par un adulte francophone: V devrait
apparaître.
L’adresse dans les manuels de français
Séries de manuels de français les plus utilisées: petits
dialogues où les appellatifs sont bien présents Apparaissent surtout dans certaines fonctions
pragmatiques typiques: salutations, remerciements,
répliques adversatives (mais chérie) et interpellations
(emploi phatique). L’emploi des appellatifs parfois exagéré dans ces
méthodes (rappeler aux finnophones l’emploi plus courant
des appellatifs en français ?):
(Dialogue entre vendeuse et jeune Finlandaise)
- Madame, c’est combien ?
- 280 francs, mademoiselle. […]
- Voilà, Madame. Ce sont mes derniers sous..(Pont Astérisque, p. 18)
L’adresse dans les manuels de français
Situations de communication: surtout situations familières famille, amis : tutoiement
situations adulte-jeune: adresse non-réciproque
situations de service: vouvoiement
situations varient peu: la grande variation des stratégies
d’adresse n’y est pas présentée
Absence d’interactions authentiques en classe L’emploi naturel de vous de politesse très limité (on se
tutoie en classe) > s’utilise dans des situations artificielles Tutoiement plus facile: le morphème verbal ne change
pas à l’oral (je mange – tu manges). L’apprentissage approfondie des stratégies d’adresse
dépend donc de l’enseignant
L’adresse et les compétences socioculturelles et sociolinguistiques
La multitude des variantes des stratégies d’adresse
difficile où impossible à acquérir: L’adresse constitue déjà
en soi un champ sociolinguistique très complexe
(Dewaele 2004 : 307). Les apprenants dont la langue maternelle possède un
système à pronoms d’adresse multiples trouvent le
système de pronoms d’adresse français plus difficile que
ceux dont la première langue ne connaît qu’un pronom
d’adresse (p.ex. l’anglais) Dewaele & Planchenault (2006:
165) conscients des multiples problèmes posés par le choix
les deuxièmes ne se doutent pas encore de la quantité de
problèmes sociolinguistiques et -culturels
L’adresse et les compétences socioculturelles et sociolinguistiques
La maîtrise parfaite des règles d’adresse ne garantit pas
l’emploi impeccable des pronoms (cf. Dewaele 2002 :
159, 2004 : 307) : le choix lié e.a. à l’âge des locuteurs
à la situation de communication
au degré de connaissance
à l’aspect physique
à la hiérarchie
Toute interaction: catégorisation des contextes de
l’activité (activité sérieuse / blague, contexte formel /
informel, etc.) > choix des bonnes formes linguistiques en
fonction du contexte spécifique, des interlocuteurs
Mondada (2000 : 124-126)
L’adresse et les compétences socioculturelles et sociolinguistiques
Dans cette situation de test et avec les compétences
langagières pré-acquises, la catégorisation concerne l’interlocuteur (adulte /jeune, finlandais/ étranger)
le type d’activité (formelle / informelle).
Si la situation est catégorisée comme un jeu et si le testé
accepte d’entrer dans ce jeu, l’interaction devient plus
naturelle La dimension sociolinguistique se développera donc avec
le procès d’apprentissage Seul un contact régulier avec des locuteurs natifs semble
avoir un impact manifeste sur les compétences
sociolinguistiques (Dewaele 2004 : 314)
L’adresse et les compétences socioculturelles et sociolinguistiques
Les stratégies d’adresse examinées doivent être situées
dans ce cadre : les testés sauront-ils gérer une interaction
dans une situation artificielle avec les moyens qu’ils
possèdent et donner un sens spécifique aux outils
d’adresse utilisés, même si les compétences linguistiques
(p.ex. flexion verbale) ne sont pas encore parfaites? Les lycéens ont-ils une notion nettement plus claire des
pratiques socioculturelles que les collégiens? Ici: prestations de 8 élèves en première année de lycée
Merci à Aino Eerikäinen, Sabine Kraenker, Maria Paloheimo et Päivi
Sihvonen pour les enregistrements
Analyse des résultats
Test (temps de préparation : 15 minutes) 1. interview par un francophone
2. auto présentation pour une vidéo envoyée à un(e) ami(e)
français(e) qui viendra en Finlande (monologue)
3, 4, 5 : dialogues entre le/la jeune Finlandais(e) et son
ami(e) français(e) qui vient d’arriver (3 : e.a. logement,
emploi du temps, 4. cinéma, musique, 5. planification d’une
excursion)
Consignes très précises, p.ex. dialogue 3: a : Commentez la chambre qu’on a mise à votre disposition,
b : Dites qui l’occupe généralement et où il se trouve pour le
moment
a : Demandez où vous pouvez ranger vos affaires, etc.
Analyse des résultats
Cinq filles et trois garçons en première année de lycée Français langue A1 ou A2 (5-7 ans d’études)
(a, b, e, f) aucun contact avec le français en dehors de
l’école ((e) père algérien habitant en Algérie)
les trois garçons (c, g, h) regardaient TV5 et/ou avaient été
en France et avaient (eu) des contacts avec des Français
(d) mère française
Manque de pratique, situation d’enregistrement : (a, b, f) beaucoup de problèmes d’expression et de
compréhension
(e) problèmes de langue, mais plus à l’aise (exclamations,
demandes de répétition, gestes pour expliquer)
Analyse des résultats
(c, g, h) bien moins stressés, jouaient volontiers les rôles
qu’on leur donnait > prestations vivantes
(d) s’exprimait bien, réagissait d’une manière assez naturelle
(mais difficultés à parler français avec un finnophone)
personne n’oubliait tout à fait la situation de test.
1. Interview avec une francophone : Intervieweuse: salutation, auto présentation (Bonjour, (donc)
je m’appelle XY) et demande de se présenter
Interviewés: Salutation sans appellatif
Questions sur différents sujets (Est-ce que vous parlez
français en dehors de l’école, quel endroit voudriez-vous
montrer à un étranger… ?).
Personne ne comprend immédiatement toutes les questions
Analyse des résultats
Trois stratégies :
1. (a et f) ne répondent pas
2. Réaction: Je ne comprends pas (b), Voulez-vous
répéter ? Je ne comprends pas. Pardon, voudrez
(vous ?) répéter ? (e ), C’est quoi ‘lieu’ ?(d)
3. (c, g, h) réaction ou réponse immédiate à ce qu’ils ont
cru comprendre
(c et d) s’adressent à l’intervieweuse en la vouvoyant (c :
Si vous voulez regard culture..et..)
Mais interaction entre les jeunes: regards, explications en
finnois (surtout e et f), cf. situation authentique
Fin: remerciements sans appellatifs (Merci en tout cas,
merci beaucoup pour cette collaboration.- Merci
Analyse des résultats
2. Monologue : auto présentation et questions au
correspondant français Tous regardent (parfois) leurs notes; les questions ne se
détachent guère du monologue assez monotone. Salutation initiale sans appellatif (Salut, je m’appelle X
(c), Bonjour, je suis X (g)). Questions:
(a, b, c, d) tutoient leur ami(e) (Tu parles quelle lange [sic] et
quel âge as-tu ? (a))
(h) vouvoie (Quelle langue vous parlez et vous habite où ?)
(g) alterne les pronoms d’adresse (Quelle langue vous
parlez ? […] Quand tu aller en Finlande, tu peux faire le voile
aussi)
Analyse des résultats
- les deux garçons qui vouvoient ont été en France et ont (eu) des
contacts avec des Français > savent qu’il faut parfois vouvoyer
- la fille dont la mère est française tutoie > sait qu’on peut tutoyer un autre
jeune
(f) parle à la troisième personne (Quelle langue parlé Anna
et quel endroit habité elle ? (infinitif ou imparfait?) ; (f) la plus
tendue : soupire, regarde ses papiers, ne trouve pas les
mots (Multa katoaa kaikki sanat); salutation finale manque
Salutation finale (remerciement) sans appellatif : Merci d’écouter moi. Au revoir (h)
C’est tout, merci (e)
A bientôt (et) à tout à l’heure (b).
Analyse des résultats
3. Dialogues Se détendent le plus:
à deux entre Finlandais (et amis)
jouent clairement un rôle
peuvent s’entraider.
Résultat: (f) devient souriante et même naturelle: (e) gesticule,
improvise et semble tout à fait à l’aise
(b) continue de dialoguer d’un ton monotone, mais sourit
parfois timidement aux répliques de (a) qui se prête au jeu
Deux types d’interaction Entre les « acteurs »
Entre les camarades de classe
Analyse des résultats
Présence de l’autre parfois indispensable: Comment film est......(f)
- Ratatouille ! Oui c’est très bon ! (e)
Tu peux prendre ton douche à.. je ne sais pas.. (c)
-Salle de bains [...] (d).
Partie du test la plus naturelle Pour (d) (mère française) la situation moins naturelle > parle
un peu moins bien français que dans les autres parties
Des situations où on aurait pu trouver un appellatif le/la Français(e) donne un cadeau > remerciement
situation où l’on attire l’attention de l’autre sur quelque chose
Pas d’appellatifs, mais répliques assez naturelles:
interjections, expressions…
Analyse des résultats / Conclusion
b : Voici le souvenir que je vas donner à la famille - Merci
e : Oh, mon Dieu, c’est le ... (moment ?) - f : Calme-toi !
Tutoiement, sauf (g) alterne de nouveau les deux pronoms
(f) ici non plus aucune adresse directe
5. Conclusion Ici: huit testés, tous en 1ère année de lycée Autre travail (Havu à paraître): dialogues de 24 élèves en
terminale > confirment entièrement les résultats les jeunes Finlandais ne se servent jamais d’appellatifs en
dialoguant en français entre eux
le tutoiement est presque de règle
Conclusion
Les deux études: conjugaison verbale pas maîtrisée L’étude antérieure : V parfois avec un verbe entendu au
pluriel: Pour ton avis, pour quelques personnes est le film bon ?
– Répétez, s’il vous plaît.
Manuels: appellatifs, mais les élèves ne s’en servent
pas> calquent leurs dialogues sur le modèle finnois Séjour dans un pays francophone, contacts avec
francophones: conscience de la signification des
stratégies d’adresse (traces chez d, g, h) Les stratégies d’adresse assez absentes, mais stratégies
d’interaction : En finnois: aide / En français: construction d’un dialogue