Barack Obama réélu grâce aux minorités

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Analyse de Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF

Transcript of Barack Obama réélu grâce aux minorités

6 élection américaine

EN % DE VOTE

-2

-4-1

-4-2+4+11

-60-3-1

-2-2-3-3

-2+2-4

-1-1-3-2

-4+6

+3-3-7

-1-4-3

48

5244

596

2726

37455156

47485142

354253

29405650

4922

79350

114182

50

4555

39937173

60524744

51494755

635745

69584248

4976

926

45

865617

Ensemble de l’électorat

SEXEHomme

Femme

RACEBlanc

Noir

Hispanique

Asiatique

ÂGE18-29 ans

30-44 ans

45-64 ans

65 ans et plus

NIVEAU D’ÉDUCATIONPas de diplôme, lycée

Un peu d’enseignement supérieur

1er cycle universitaire

2e cycle universitaire

REVENU ANNUELMoins de 30 000 dollars

30 000 à 49 999 dollars

50 000 dollars et plus

HABITATGrandes villes

Villes moyennes

Petites villes

Péri-urbain et rural

ORIENTATION SEXUELLEHétérosexuel

Homosexuel ou bisexuel

PRÉFÉRENCE PARTISANEDémocrate

Républicain

Indépendant

IDÉOLOGIELibérale

Modérée

Conservatrice

B. Obama M. Romney

ÉVOLUTIONDU VOTE

POUR OBAMAENTRE

2008 ET 2012

Profil du vote en faveur deBarack Obama

Source : sondage sortie des urnes National Election Pool, 6 novembre 2012

Infographie LE FIGARO

Barack Obama réélu grâceà une coalition des minorités

Malgré une certaine érosion par rapport à 2008, notamment chez les jeunes,le président a progressé auprès des communautés hispanique et asiatique.

auprès des Américains blancs (-4) et deceux qui disposent de revenus confor-tables (-4) ainsi que chez les citoyensdont l’orientation idéologique est con-servatrice (-3). En revanche, le candi-dat démocrate connaît une hausse fortedans les minorités d’origine hispanique(+4) et asiatique (+11) dans les milieuxde revenus moyens (+2) ainsi que dansles minorités homosexuelles ou bi-sexuelles (+6). On voit bien dans cesévolutions contrastées le reflet de la po-larisation politique qui affecte la sociétéaméricaine et oppose aujourd’hui des

milieux séparés par l’ethnie, la culture,les valeurs ou encore l’argent.

Mais l’érosion est également sensiblechez les jeunes (-6) confrontés aux dif-ficultés d’insertion sur le marché dutravail, chez les habitants de petites vil-les (-3), chez les nombreux citoyens af-fichant une indépendance par rapportaux deux grands partis (-7) et chez ceuxqui prônent une orientation modérée(-4). Il y a là pour le président Obamatout un ensemble de cibles pour un tra-vail de reconquête auprès d’Américainsplus touchés que d’autres par la crise,qui sont au cœur de la société américai-ne (41 % ont une orientation idéologi-que modérée) ou qui peuvent douter deleur système. Or le nombre de citoyensqui aujourd’hui ne se sentent plus pro-ches ni des démocrates ni des républi-cains est important : 40 % des person-nes interrogées en 2011 par l’institutGallup se déclaraient « indépendan-tes » contre seulement 31 % « démo-crates » et 27 % « républicaines ». Lescitoyens proches des deux grands partisont fermement resserré les rangs autourde leur « candidat naturel » (92 % desdémocrates ont choisi Obama, 93 % desrépublicains ont rejoint Romney), maischez les indépendants le rapport de for-ce est beaucoup plus serré : 45 % seule-ment ont choisi Obama, 50 % préférantRomney.

En dépit d’une conjoncture économi-que et sociale difficile (77 % des Améri-cains pensant que la situation de l’éco-nomie nationale n’est « pas très bonneou mauvaise », 23 % pensant qu’elle est« bonne ou excellente »), Barack Oba-ma a cependant bénéficié du fait que lesindicateurs de bien-être, qui s’étaientprofondément dégradés en 2008-2009,se sont à nouveau améliorés. Quel quesoit leur tranche d’âge, les Américainsconsidèrent en majorité que leur vie estaujourd’hui meilleure qu’il y a quatreans (Gallup Well-Being Index jan-vier 2008-octobre 2012). Dans ce con-texte, Mitt Romney n’est pas parvenu à

imputer totalement le fardeau des diffi-cultés économiques au président sor-tant.

« Sortie de crise »Les sondages « sortie des urnes » mon-

trent que, pour nombre d’Américains, leresponsable majeur des difficultés ren-contrés par le pays reste George W.Bush. La moitié des personnes interro-gées dit que George W. Bush était le plusà blâmer, quatre sur dix seulement pen-sent de même pour Barack Obama. Lesélecteurs démocrates montrent du doigt

George W. Bush et les électeurs républi-cains font de même pour Barack Obama.Mais chez les électeurs indépendants oumodérés c’est la responsabilité de l’an-cien président républicain qui l’emportesur celle de l’actuel président démocra-te. La campagne de Mitt Romney n’a pas

L’ÉLECTION présidentielle américainen’a pas soulevé l’enthousiasmedu corps électoral qui sembleà nouveau retomber dans le cyclede l’apathie politique. En 2008,l’élection de Barack Obama avec58,20 % de participation avait étémarquée par un niveau ignoré depuisplus de quarante ans. Quatre ans plustard, cette participation atteint l’étiagedes 50 %. De plus, souligne, PascalPerrineau « depuis 2008, la populationen âge de voter a connu une progressionde presque 8 millions d’électeurs,la participation a chuté de plusde 10 millions d’électeurs ».

Bien que reconduit avec une margeplus confortable que celle longtempsestimée par les instituts de sondage,Barack Obama n’a pas recouvrél’ensemble de l’électorat qui l’avaitporté au pouvoir en 2008 : la défectionest venue des hommes, des habitantsdes petites villes et des électeurs« indépendants » n’ayant pasde préférence partisane ainsi queles jeunes : « Il y a là, pour le présidentObama, un ensemble de cibles pourun travail de reconquête auprèsd’Américains plus touchés que d’autrespar la crise, qui sont au cœur de lasociété américaine ou qui peuvent douterde leur système », note le directeurdu Cevipof. Ces pertes de voixcompensées par la montée en puissancedes minorités (hispanique, asiatique,homosexuelle et bisexuelle) accentuentle caractère communautaristede l’électorat «sur-mesure» qu’arassemblé Barack Obama. !

JOSSELINE ABONNEAU

LA PARTICIPATION des Américains auxurnes a connu, sur la longue période quis’écoule de l’après-guerre jusqu’à nosjours, une forte érosion jusqu’au débutdes années 2000. De plus de 60 % dansles années 1950 et 1960, le taux de parti-cipation s’est effondré pour osciller en-tre 50 et 55 % dans les années 1970 et1980. Ce taux est même passé au-des-sous de la barre des 50 % en 1996 lors dela réélection de Bill Clinton. Le mouve-ment est reparti à la hausse avec lesdeux élections de George W. Bush en2000 et 2004 puis avec l’élection de Ba-rack Obama en 2008 où le taux de parti-cipation atteignit 58,2 %, un niveauignoré depuis plus de quarante ans.

L’enthousiasme suscité par la pre-mière candidature d’Obama, la mobili-sation démocrate, les échos du choc du11 septembre 2001, l’engagement desjeunes et des Afro-Américains derrièrela première candidature noire à la Mai-son-Blanche furent les principalescomposantes de cette forte mobilisationélectorale. Ce mouvement qui marquaitla sortie d’un long cycle d’apathie poli-tique vient de connaître un coup d’ar-rêt. Depuis 2008, alors que la popula-

tion en âge de voter a connu uneprogression de presque 8 millionsd’électeurs, la participation a chuté deplus de 10 millions d’électeurs.

Contrairement à une vision optimistesouvent développée en Europe, l’élec-tion de 2012 a rencontré le doute et lesinterrogations de très nombreux ci-toyens qui n’étaient pas convaincus parle bilan économique du président sor-tant et n’accordaient que peu de con-fiance et de crédibilité à son challengerrépublicain. Ces sentiments mêlés ontcertainement favorisé un éloignementdes urnes.

Érosion de la culture civiqueLa polarisation croissante de la vie poli-tique américaine a également engendréune défiance vis-à-vis des candidats etde leur capacité à gouverner avec uncertain degré de consensus nécessaire àtoute action gouvernementale profondeet durable. À cet égard, la radicalisationdu Parti républicain sous l’égide dumouvement du Tea Party a provoqué lescepticisme et le retrait abstentionnistechez nombre d’électeurs modérés et in-dépendants.

À ces raisons conjoncturelles, il fautajouter des facteurs davantage structu-rels. Beaucoup de citoyens américains- on parle de plus de quarante millionssur une population électorale de240 millions - ne sont pas inscrits surles listes électorales et gonflent artifi-ciellement cette « population en âge devoter » par rapport à laquelle on calculeaux États-Unis le pourcentage de laparticipation électorale. Il faut y ajouterl’érosion de la culture civique. Spécia-liste de la participation aux États-Unis,Curtis Gans dit : « Les jeunes ont main-tenant grandi dans des foyers où la ma-jorité des parents ne vote pas et où unemajorité encore plus large ne discute ja-mais de politique. »

Enfin, l’accentuation des inégalités etle développement de la pauvreté -14,3 % de la population vit sous le seuilde pauvreté, particulièrement dans lesÉtats de la « Sun Belt » qui va de l’Arizo-na à la Géorgie - renforcent l’impressiond’abandon par le système politique et lesentiment que la participation électoraleest un bien faible levier pour prétendrecontribuer au « rêve américain ».n

P. P.

Le retour de l’apathie électorale ?

« La polarisation politique qui affecte la sociétéaméricaine oppose aujourd’hui des milieux séparéspar l’ethnie, la culture, les valeurs ou encore l’argent »

DESS

INDO

BRIT

Z

2012*20082004200019961992198819841980197619721968196419601956195245

50

55

60

65

49 %

58,2 %

63,3 %

50%provisoire

Participation électoraleaux États-Unis de 1952 à 2012

POPULATION AYANT LE DROIT DE VOTE EN ÂGE DE VOTER(VOTING AGE POPULATION), en %

*le chi!re de la participation en 2012 est provisoire, l'ensemble des bulletins n'ayant pas été dépouillé.

étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof

PASCAL PERRINEAUDIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUESDE SCIENCES PO (CEVIPOF)

Le président Barack Obama aété réélu à la tête d’unecoalition électorale un peuplus large que prévu. Lavictoire est nette à la fois entermes de voix et en termes

de grands électeurs. Le candidat démo-crate l’a emporté dans presque tous les« swing states » où la décision devait sefaire (Ohio, Wisconsin, Iowa…). Cepen-dant, la poussée républicaine est sensi-ble (plus de 2 points depuis 2008) et lecandidat démocrate connaît une éro-sion par rapport à 2008 même si celle-cin’est pas générale dans tous les milieuxet tous les territoires

On retrouve en 2012 nombre de ca-ractéristiques du rassemblement quiavait porté Barack Obama au pouvoir ily a quatre ans. Les femmes, les minori-tés ethniques, les jeunes, les Américainsen bas de la hiérarchie des revenus, leshabitants des grandes villes et des villesmoyennes et les citoyens dont lesorientations sont « libérales » lui ontaccordé, parfois massivement, leurssuffrages.

Des cibles à reconquérirEn revanche, la population blanche,âgée, aisée et conservatrice a fortementsoutenu Mitt Romney en accordant àcelui-ci encore davantage de voix quecelles qu’elle avait pu apporter en 2008à John McCain. La polarisation électo-rale entre les âges, les milieux ethni-ques, les groupes sociaux et les systèmesde valeurs est forte dans l’Amérique de2012, comme elle l’était déjà en 2008.Sous les coups de la crise économique etfinancière de 2008-2009, Barack Oba-ma, même s’il a bien tenu, a enregistréune érosion sensible dans la populationmasculine (-4 points de 2008 à 2012),

su suffisamment s’émanciper du legsdes présidences Bush ; elle a offert uncertain espace de crédibilité aux proposde Barack Obama invoquant le fait queles politiques mises en avant par le can-didat républicain ramèneraient le paysdans la situation difficile qui était lasienne il y a quatre ans. L’économie, qui aurait pu être un handicap dirimantpour Barack Obama, a été ainsi relative-ment maîtrisée comme enjeu. Le prési-dent sortant a pu capitaliser la crédibili-té plus forte qu’il a sur la questionsociale, les enjeux sociétaux, les affairesinternationales ou encore la gestion decrise, telle que la réponse à la tempêteSandy. Sur tous ces enjeux ainsi quepour ses qualités personnelles, BarackObama bénéficiait d’un avantage com-paratif certain.

Contrairement à nombre de démo-craties européennes également tou-chées par la crise, la démocratie améri-caine a montré le retour ed’un certainoptimisme et que l’idée selon laquelle lesÉtats-Unis étaient sur le chemin d’une« sortie de crise » justifiait de donnerune seconde chance à Barack Obama. !

vendredi 9 novembre 2012 LE FIGARO