Barack Obama réélu grâce aux minorités

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6 élection américaine EN % DE VOTE -2 -4 -1 -4 -2 +4 +11 -6 0 -3 -1 -2 -2 -3 -3 -2 +2 -4 -1 -1 -3 -2 -4 +6 +3 -3 -7 -1 -4 -3 48 52 44 59 6 27 26 37 45 51 56 47 48 51 42 35 42 53 29 40 56 50 49 22 7 93 50 11 41 82 50 45 55 39 93 71 73 60 52 47 44 51 49 47 55 63 57 45 69 58 42 48 49 76 92 6 45 86 56 17 Ensemble de l’électorat SEXE Homme Femme RACE Blanc Noir Hispanique Asiatique ÂGE 18-29 ans 30-44 ans 45-64 ans 65 ans et plus NIVEAU D’ÉDUCATION Pas de diplôme, lycée Un peu d’enseignement supérieur 1 er cycle universitaire 2 e cycle universitaire REVENU ANNUEL Moins de 30 000 dollars 30 000 à 49 999 dollars 50 000 dollars et plus HABITAT Grandes villes Villes moyennes Petites villes Péri-urbain et rural ORIENTATION SEXUELLE Hétérosexuel Homosexuel ou bisexuel PRÉFÉRENCE PARTISANE Démocrate Républicain Indépendant IDÉOLOGIE Libérale Modérée Conservatrice B. Obama M. Romney ÉVOLUTION DU VOTE POUR OBAMA ENTRE 2008 ET 2012 Profil du vote en faveur de Barack Obama Source : sondage sortie des urnes National Election Pool, 6 novembre 2012 Infographie LE FIGARO Barack Obama réélu grâce à une coalition des minorités Malgré une certaine érosion par rapport à 2008, notamment chez les jeunes, le président a progressé auprès des communautés hispanique et asiatique. auprès des Américains blancs (- 4) et de ceux qui disposent de revenus confor- tables (- 4) ainsi que chez les citoyens dont l’orientation idéologique est con- servatrice (- 3). En revanche, le candi- dat démocrate connaît une hausse forte dans les minorités d’origine hispanique (+ 4) et asiatique (+ 11) dans les milieux de revenus moyens (+ 2) ainsi que dans les minorités homosexuelles ou bi- sexuelles (+ 6). On voit bien dans ces évolutions contrastées le reflet de la po- larisation politique qui affecte la société américaine et oppose aujourd’hui des milieux séparés par l’ethnie, la culture, les valeurs ou encore l’argent. Mais l’érosion est également sensible chez les jeunes (- 6) confrontés aux dif- ficultés d’insertion sur le marché du travail, chez les habitants de petites vil- les (- 3), chez les nombreux citoyens af- fichant une indépendance par rapport aux deux grands partis (- 7) et chez ceux qui prônent une orientation modérée (- 4). Il y a là pour le président Obama tout un ensemble de cibles pour un tra- vail de reconquête auprès d’Américains plus touchés que d’autres par la crise, qui sont au cœur de la société américai- ne (41 % ont une orientation idéologi- que modérée) ou qui peuvent douter de leur système. Or le nombre de citoyens qui aujourd’hui ne se sentent plus pro- ches ni des démocrates ni des républi- cains est important : 40 % des person- nes interrogées en 2011 par l’institut Gallup se déclaraient « indépendan- tes » contre seulement 31 % « démo- crates » et 27 % « républicaines ». Les citoyens proches des deux grands partis ont fermement resserré les rangs autour de leur « candidat naturel » (92 % des démocrates ont choisi Obama, 93 % des républicains ont rejoint Romney), mais chez les indépendants le rapport de for- ce est beaucoup plus serré : 45 % seule- ment ont choisi Obama, 50 % préférant Romney. En dépit d’une conjoncture économi- que et sociale difficile (77 % des Améri- cains pensant que la situation de l’éco- nomie nationale n’est « pas très bonne ou mauvaise », 23 % pensant qu’elle est « bonne ou excellente »), Barack Oba- ma a cependant bénéficié du fait que les indicateurs de bien-être, qui s’étaient profondément dégradés en 2008-2009, se sont à nouveau améliorés. Quel que soit leur tranche d’âge, les Américains considèrent en majorité que leur vie est aujourd’hui meilleure qu’il y a quatre ans (Gallup Well-Being Index jan- vier 2008-octobre 2012). Dans ce con- texte, Mitt Romney n’est pas parvenu à imputer totalement le fardeau des diffi- cultés économiques au président sor- tant. « Sortie de crise » Les sondages « sortie des urnes » mon- trent que, pour nombre d’Américains, le responsable majeur des difficultés ren- contrés par le pays reste George W. Bush. La moitié des personnes interro- gées dit que George W. Bush était le plus à blâmer, quatre sur dix seulement pen- sent de même pour Barack Obama. Les électeurs démocrates montrent du doigt George W. Bush et les électeurs républi- cains font de même pour Barack Obama. Mais chez les électeurs indépendants ou modérés c’est la responsabilité de l’an- cien président républicain qui l’emporte sur celle de l’actuel président démocra- te. La campagne de Mitt Romney n’a pas L’ÉLECTION présidentielle américaine n’a pas soulevé l’enthousiasme du corps électoral qui semble à nouveau retomber dans le cycle de l’apathie politique. En 2008, l’élection de Barack Obama avec 58,20 % de participation avait été marquée par un niveau ignoré depuis plus de quarante ans. Quatre ans plus tard, cette participation atteint l’étiage des 50 %. De plus, souligne, Pascal Perrineau « depuis 2008, la population en âge de voter a connu une progression de presque 8 millions d’électeurs, la participation a chuté de plus de 10 millions d’électeurs ». Bien que reconduit avec une marge plus confortable que celle longtemps estimée par les instituts de sondage, Barack Obama n’a pas recouvré l’ensemble de l’électorat qui l’avait porté au pouvoir en 2008 : la défection est venue des hommes, des habitants des petites villes et des électeurs « indépendants » n’ayant pas de préférence partisane ainsi que les jeunes : « Il y a là, pour le président Obama, un ensemble de cibles pour un travail de reconquête auprès d’Américains plus touchés que d’autres par la crise, qui sont au cœur de la société américaine ou qui peuvent douter de leur système », note le directeur du Cevipof. Ces pertes de voix compensées par la montée en puissance des minorités (hispanique, asiatique, homosexuelle et bisexuelle) accentuent le caractère communautariste de l’électorat «sur-mesure» qu’a rassemblé Barack Obama. JOSSELINE ABONNEAU LA PARTICIPATION des Américains aux urnes a connu, sur la longue période qui s’écoule de l’après-guerre jusqu’à nos jours, une forte érosion jusqu’au début des années 2000. De plus de 60 % dans les années 1950 et 1960, le taux de parti- cipation s’est effondré pour osciller en- tre 50 et 55 % dans les années 1970 et 1980. Ce taux est même passé au-des- sous de la barre des 50 % en 1996 lors de la réélection de Bill Clinton. Le mouve- ment est reparti à la hausse avec les deux élections de George W. Bush en 2000 et 2004 puis avec l’élection de Ba- rack Obama en 2008 où le taux de parti- cipation atteignit 58,2 %, un niveau ignoré depuis plus de quarante ans. L’enthousiasme suscité par la pre- mière candidature d’Obama, la mobili- sation démocrate, les échos du choc du 11 septembre 2001, l’engagement des jeunes et des Afro-Américains derrière la première candidature noire à la Mai- son-Blanche furent les principales composantes de cette forte mobilisation électorale. Ce mouvement qui marquait la sortie d’un long cycle d’apathie poli- tique vient de connaître un coup d’ar- rêt. Depuis 2008, alors que la popula- tion en âge de voter a connu une progression de presque 8 millions d’électeurs, la participation a chuté de plus de 10 millions d’électeurs. Contrairement à une vision optimiste souvent développée en Europe, l’élec- tion de 2012 a rencontré le doute et les interrogations de très nombreux ci- toyens qui n’étaient pas convaincus par le bilan économique du président sor- tant et n’accordaient que peu de con- fiance et de crédibilité à son challenger républicain. Ces sentiments mêlés ont certainement favorisé un éloignement des urnes. Érosion de la culture civique La polarisation croissante de la vie poli- tique américaine a également engendré une défiance vis-à-vis des candidats et de leur capacité à gouverner avec un certain degré de consensus nécessaire à toute action gouvernementale profonde et durable. À cet égard, la radicalisation du Parti républicain sous l’égide du mouvement du Tea Party a provoqué le scepticisme et le retrait abstentionniste chez nombre d’électeurs modérés et in- dépendants. À ces raisons conjoncturelles, il faut ajouter des facteurs davantage structu- rels. Beaucoup de citoyens américains - on parle de plus de quarante millions sur une population électorale de 240 millions - ne sont pas inscrits sur les listes électorales et gonflent artifi- ciellement cette « population en âge de voter » par rapport à laquelle on calcule aux États-Unis le pourcentage de la participation électorale. Il faut y ajouter l’érosion de la culture civique. Spécia- liste de la participation aux États-Unis, Curtis Gans dit : « Les jeunes ont main- tenant grandi dans des foyers où la ma- jorité des parents ne vote pas et où une majorité encore plus large ne discute ja- mais de politique. » Enfin, l’accentuation des inégalités et le développement de la pauvreté - 14,3 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, particulièrement dans les États de la « Sun Belt » qui va de l’Arizo- na à la Géorgie - renforcent l’impression d’abandon par le système politique et le sentiment que la participation électorale est un bien faible levier pour prétendre contribuer au « rêve américain ».n P. P. Le retour de l’apathie électorale ? « La polarisation politique qui affecte la société américaine oppose aujourd’hui des milieux séparés par l’ethnie, la culture, les valeurs ou encore l’argent » DESSIN DOBRITZ 2012* 2008 2004 2000 1996 1992 1988 1984 1980 1976 1972 1968 1964 1960 1956 1952 45 50 55 60 65 49 % 58,2 % 63,3 % 50 % provisoire Participation électorale aux États-Unis de 1952 à 2012 POPULATION AYANT LE DROIT DE VOTE EN ÂGE DE VOTER (VOTING AGE POPULATION), en % *le chire de la participation en 2012 est provisoire, l'ensemble des bulletins n'ayant pas été dépouillé. étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF) L e président Barack Obama a été réélu à la tête d’une coalition électorale un peu plus large que prévu. La victoire est nette à la fois en termes de voix et en termes de grands électeurs. Le candidat démo- crate l’a emporté dans presque tous les « swing states » où la décision devait se faire (Ohio, Wisconsin, Iowa…). Cepen- dant, la poussée républicaine est sensi- ble (plus de 2 points depuis 2008) et le candidat démocrate connaît une éro- sion par rapport à 2008 même si celle-ci n’est pas générale dans tous les milieux et tous les territoires On retrouve en 2012 nombre de ca- ractéristiques du rassemblement qui avait porté Barack Obama au pouvoir il y a quatre ans. Les femmes, les minori- tés ethniques, les jeunes, les Américains en bas de la hiérarchie des revenus, les habitants des grandes villes et des villes moyennes et les citoyens dont les orientations sont « libérales » lui ont accordé, parfois massivement, leurs suffrages. Des cibles à reconquérir En revanche, la population blanche, âgée, aisée et conservatrice a fortement soutenu Mitt Romney en accordant à celui-ci encore davantage de voix que celles qu’elle avait pu apporter en 2008 à John McCain. La polarisation électo- rale entre les âges, les milieux ethni- ques, les groupes sociaux et les systèmes de valeurs est forte dans l’Amérique de 2012, comme elle l’était déjà en 2008. Sous les coups de la crise économique et financière de 2008-2009, Barack Oba- ma, même s’il a bien tenu, a enregistré une érosion sensible dans la population masculine (- 4 points de 2008 à 2012), su suffisamment s’émanciper du legs des présidences Bush ; elle a offert un certain espace de crédibilité aux propos de Barack Obama invoquant le fait que les politiques mises en avant par le can- didat républicain ramèneraient le pays dans la situation difficile qui était la sienne il y a quatre ans. L’économie, qui aurait pu être un handicap dirimant pour Barack Obama, a été ainsi relative- ment maîtrisée comme enjeu. Le prési- dent sortant a pu capitaliser la crédibili- té plus forte qu’il a sur la question sociale, les enjeux sociétaux, les affaires internationales ou encore la gestion de crise, telle que la réponse à la tempête Sandy. Sur tous ces enjeux ainsi que pour ses qualités personnelles, Barack Obama bénéficiait d’un avantage com- paratif certain. Contrairement à nombre de démo- craties européennes également tou- chées par la crise, la démocratie améri- caine a montré le retour ed’un certain optimisme et que l’idée selon laquelle les États-Unis étaient sur le chemin d’une « sortie de crise » justifiait de donner une seconde chance à Barack Obama. vendredi 9 novembre 2012 LE FIGARO

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Analyse de Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF

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Page 1: Barack Obama réélu grâce aux minorités

6 élection américaine

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Ensemble de l’électorat

SEXEHomme

Femme

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ÂGE18-29 ans

30-44 ans

45-64 ans

65 ans et plus

NIVEAU D’ÉDUCATIONPas de diplôme, lycée

Un peu d’enseignement supérieur

1er cycle universitaire

2e cycle universitaire

REVENU ANNUELMoins de 30 000 dollars

30 000 à 49 999 dollars

50 000 dollars et plus

HABITATGrandes villes

Villes moyennes

Petites villes

Péri-urbain et rural

ORIENTATION SEXUELLEHétérosexuel

Homosexuel ou bisexuel

PRÉFÉRENCE PARTISANEDémocrate

Républicain

Indépendant

IDÉOLOGIELibérale

Modérée

Conservatrice

B. Obama M. Romney

ÉVOLUTIONDU VOTE

POUR OBAMAENTRE

2008 ET 2012

Profil du vote en faveur deBarack Obama

Source : sondage sortie des urnes National Election Pool, 6 novembre 2012

Infographie LE FIGARO

Barack Obama réélu grâceà une coalition des minorités

Malgré une certaine érosion par rapport à 2008, notamment chez les jeunes,le président a progressé auprès des communautés hispanique et asiatique.

auprès des Américains blancs (-4) et deceux qui disposent de revenus confor-tables (-4) ainsi que chez les citoyensdont l’orientation idéologique est con-servatrice (-3). En revanche, le candi-dat démocrate connaît une hausse fortedans les minorités d’origine hispanique(+4) et asiatique (+11) dans les milieuxde revenus moyens (+2) ainsi que dansles minorités homosexuelles ou bi-sexuelles (+6). On voit bien dans cesévolutions contrastées le reflet de la po-larisation politique qui affecte la sociétéaméricaine et oppose aujourd’hui des

milieux séparés par l’ethnie, la culture,les valeurs ou encore l’argent.

Mais l’érosion est également sensiblechez les jeunes (-6) confrontés aux dif-ficultés d’insertion sur le marché dutravail, chez les habitants de petites vil-les (-3), chez les nombreux citoyens af-fichant une indépendance par rapportaux deux grands partis (-7) et chez ceuxqui prônent une orientation modérée(-4). Il y a là pour le président Obamatout un ensemble de cibles pour un tra-vail de reconquête auprès d’Américainsplus touchés que d’autres par la crise,qui sont au cœur de la société américai-ne (41 % ont une orientation idéologi-que modérée) ou qui peuvent douter deleur système. Or le nombre de citoyensqui aujourd’hui ne se sentent plus pro-ches ni des démocrates ni des républi-cains est important : 40 % des person-nes interrogées en 2011 par l’institutGallup se déclaraient « indépendan-tes » contre seulement 31 % « démo-crates » et 27 % « républicaines ». Lescitoyens proches des deux grands partisont fermement resserré les rangs autourde leur « candidat naturel » (92 % desdémocrates ont choisi Obama, 93 % desrépublicains ont rejoint Romney), maischez les indépendants le rapport de for-ce est beaucoup plus serré : 45 % seule-ment ont choisi Obama, 50 % préférantRomney.

En dépit d’une conjoncture économi-que et sociale difficile (77 % des Améri-cains pensant que la situation de l’éco-nomie nationale n’est « pas très bonneou mauvaise », 23 % pensant qu’elle est« bonne ou excellente »), Barack Oba-ma a cependant bénéficié du fait que lesindicateurs de bien-être, qui s’étaientprofondément dégradés en 2008-2009,se sont à nouveau améliorés. Quel quesoit leur tranche d’âge, les Américainsconsidèrent en majorité que leur vie estaujourd’hui meilleure qu’il y a quatreans (Gallup Well-Being Index jan-vier 2008-octobre 2012). Dans ce con-texte, Mitt Romney n’est pas parvenu à

imputer totalement le fardeau des diffi-cultés économiques au président sor-tant.

« Sortie de crise »Les sondages « sortie des urnes » mon-

trent que, pour nombre d’Américains, leresponsable majeur des difficultés ren-contrés par le pays reste George W.Bush. La moitié des personnes interro-gées dit que George W. Bush était le plusà blâmer, quatre sur dix seulement pen-sent de même pour Barack Obama. Lesélecteurs démocrates montrent du doigt

George W. Bush et les électeurs républi-cains font de même pour Barack Obama.Mais chez les électeurs indépendants oumodérés c’est la responsabilité de l’an-cien président républicain qui l’emportesur celle de l’actuel président démocra-te. La campagne de Mitt Romney n’a pas

L’ÉLECTION présidentielle américainen’a pas soulevé l’enthousiasmedu corps électoral qui sembleà nouveau retomber dans le cyclede l’apathie politique. En 2008,l’élection de Barack Obama avec58,20 % de participation avait étémarquée par un niveau ignoré depuisplus de quarante ans. Quatre ans plustard, cette participation atteint l’étiagedes 50 %. De plus, souligne, PascalPerrineau « depuis 2008, la populationen âge de voter a connu une progressionde presque 8 millions d’électeurs,la participation a chuté de plusde 10 millions d’électeurs ».

Bien que reconduit avec une margeplus confortable que celle longtempsestimée par les instituts de sondage,Barack Obama n’a pas recouvrél’ensemble de l’électorat qui l’avaitporté au pouvoir en 2008 : la défectionest venue des hommes, des habitantsdes petites villes et des électeurs« indépendants » n’ayant pasde préférence partisane ainsi queles jeunes : « Il y a là, pour le présidentObama, un ensemble de cibles pourun travail de reconquête auprèsd’Américains plus touchés que d’autrespar la crise, qui sont au cœur de lasociété américaine ou qui peuvent douterde leur système », note le directeurdu Cevipof. Ces pertes de voixcompensées par la montée en puissancedes minorités (hispanique, asiatique,homosexuelle et bisexuelle) accentuentle caractère communautaristede l’électorat «sur-mesure» qu’arassemblé Barack Obama. !

JOSSELINE ABONNEAU

LA PARTICIPATION des Américains auxurnes a connu, sur la longue période quis’écoule de l’après-guerre jusqu’à nosjours, une forte érosion jusqu’au débutdes années 2000. De plus de 60 % dansles années 1950 et 1960, le taux de parti-cipation s’est effondré pour osciller en-tre 50 et 55 % dans les années 1970 et1980. Ce taux est même passé au-des-sous de la barre des 50 % en 1996 lors dela réélection de Bill Clinton. Le mouve-ment est reparti à la hausse avec lesdeux élections de George W. Bush en2000 et 2004 puis avec l’élection de Ba-rack Obama en 2008 où le taux de parti-cipation atteignit 58,2 %, un niveauignoré depuis plus de quarante ans.

L’enthousiasme suscité par la pre-mière candidature d’Obama, la mobili-sation démocrate, les échos du choc du11 septembre 2001, l’engagement desjeunes et des Afro-Américains derrièrela première candidature noire à la Mai-son-Blanche furent les principalescomposantes de cette forte mobilisationélectorale. Ce mouvement qui marquaitla sortie d’un long cycle d’apathie poli-tique vient de connaître un coup d’ar-rêt. Depuis 2008, alors que la popula-

tion en âge de voter a connu uneprogression de presque 8 millionsd’électeurs, la participation a chuté deplus de 10 millions d’électeurs.

Contrairement à une vision optimistesouvent développée en Europe, l’élec-tion de 2012 a rencontré le doute et lesinterrogations de très nombreux ci-toyens qui n’étaient pas convaincus parle bilan économique du président sor-tant et n’accordaient que peu de con-fiance et de crédibilité à son challengerrépublicain. Ces sentiments mêlés ontcertainement favorisé un éloignementdes urnes.

Érosion de la culture civiqueLa polarisation croissante de la vie poli-tique américaine a également engendréune défiance vis-à-vis des candidats etde leur capacité à gouverner avec uncertain degré de consensus nécessaire àtoute action gouvernementale profondeet durable. À cet égard, la radicalisationdu Parti républicain sous l’égide dumouvement du Tea Party a provoqué lescepticisme et le retrait abstentionnistechez nombre d’électeurs modérés et in-dépendants.

À ces raisons conjoncturelles, il fautajouter des facteurs davantage structu-rels. Beaucoup de citoyens américains- on parle de plus de quarante millionssur une population électorale de240 millions - ne sont pas inscrits surles listes électorales et gonflent artifi-ciellement cette « population en âge devoter » par rapport à laquelle on calculeaux États-Unis le pourcentage de laparticipation électorale. Il faut y ajouterl’érosion de la culture civique. Spécia-liste de la participation aux États-Unis,Curtis Gans dit : « Les jeunes ont main-tenant grandi dans des foyers où la ma-jorité des parents ne vote pas et où unemajorité encore plus large ne discute ja-mais de politique. »

Enfin, l’accentuation des inégalités etle développement de la pauvreté -14,3 % de la population vit sous le seuilde pauvreté, particulièrement dans lesÉtats de la « Sun Belt » qui va de l’Arizo-na à la Géorgie - renforcent l’impressiond’abandon par le système politique et lesentiment que la participation électoraleest un bien faible levier pour prétendrecontribuer au « rêve américain ».n

P. P.

Le retour de l’apathie électorale ?

« La polarisation politique qui affecte la sociétéaméricaine oppose aujourd’hui des milieux séparéspar l’ethnie, la culture, les valeurs ou encore l’argent »

DESS

INDO

BRIT

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2012*20082004200019961992198819841980197619721968196419601956195245

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50%provisoire

Participation électoraleaux États-Unis de 1952 à 2012

POPULATION AYANT LE DROIT DE VOTE EN ÂGE DE VOTER(VOTING AGE POPULATION), en %

*le chi!re de la participation en 2012 est provisoire, l'ensemble des bulletins n'ayant pas été dépouillé.

étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof

PASCAL PERRINEAUDIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUESDE SCIENCES PO (CEVIPOF)

Le président Barack Obama aété réélu à la tête d’unecoalition électorale un peuplus large que prévu. Lavictoire est nette à la fois entermes de voix et en termes

de grands électeurs. Le candidat démo-crate l’a emporté dans presque tous les« swing states » où la décision devait sefaire (Ohio, Wisconsin, Iowa…). Cepen-dant, la poussée républicaine est sensi-ble (plus de 2 points depuis 2008) et lecandidat démocrate connaît une éro-sion par rapport à 2008 même si celle-cin’est pas générale dans tous les milieuxet tous les territoires

On retrouve en 2012 nombre de ca-ractéristiques du rassemblement quiavait porté Barack Obama au pouvoir ily a quatre ans. Les femmes, les minori-tés ethniques, les jeunes, les Américainsen bas de la hiérarchie des revenus, leshabitants des grandes villes et des villesmoyennes et les citoyens dont lesorientations sont « libérales » lui ontaccordé, parfois massivement, leurssuffrages.

Des cibles à reconquérirEn revanche, la population blanche,âgée, aisée et conservatrice a fortementsoutenu Mitt Romney en accordant àcelui-ci encore davantage de voix quecelles qu’elle avait pu apporter en 2008à John McCain. La polarisation électo-rale entre les âges, les milieux ethni-ques, les groupes sociaux et les systèmesde valeurs est forte dans l’Amérique de2012, comme elle l’était déjà en 2008.Sous les coups de la crise économique etfinancière de 2008-2009, Barack Oba-ma, même s’il a bien tenu, a enregistréune érosion sensible dans la populationmasculine (-4 points de 2008 à 2012),

su suffisamment s’émanciper du legsdes présidences Bush ; elle a offert uncertain espace de crédibilité aux proposde Barack Obama invoquant le fait queles politiques mises en avant par le can-didat républicain ramèneraient le paysdans la situation difficile qui était lasienne il y a quatre ans. L’économie, qui aurait pu être un handicap dirimantpour Barack Obama, a été ainsi relative-ment maîtrisée comme enjeu. Le prési-dent sortant a pu capitaliser la crédibili-té plus forte qu’il a sur la questionsociale, les enjeux sociétaux, les affairesinternationales ou encore la gestion decrise, telle que la réponse à la tempêteSandy. Sur tous ces enjeux ainsi quepour ses qualités personnelles, BarackObama bénéficiait d’un avantage com-paratif certain.

Contrairement à nombre de démo-craties européennes également tou-chées par la crise, la démocratie améri-caine a montré le retour ed’un certainoptimisme et que l’idée selon laquelle lesÉtats-Unis étaient sur le chemin d’une« sortie de crise » justifiait de donnerune seconde chance à Barack Obama. !

vendredi 9 novembre 2012 LE FIGARO