Donald Trump, Avis de tempête sur la Suisse Berlusconi et · supprimer l’assurance-santé...

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JAA / PP / JOURNAL, 1281 GENÈVE 13 SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 WWW.GAUCHEBDO.CH N° 46 11 NOVEMBRE 2016 CHF 3.- Le cabaret punk et théâtral des Dakh Daughters à découvrir à Genève page 8 Le sentiment que le rêve américain s’est évanoui a nourri la frustration des électeurs page 6 POUR L’ECONOMISTE MICHEL STEVENS, LA CROISSANCE CAPITALISTE NE RÉPOND PLUS AUX BESOINS SOCIAUX PAGE 5 Donald Trump, Berlusconi et Le Pen tout en un A la surprise générale, les Etats-Unis ont décidé d’élire ce 8 novembre à la Maison- Blanche le candidat républicain, Donald Trump, qui sera aussi appuyé par une majorité conséquente au Congrès. Issue du sérail politique, Hillary Clinton a fait des scores catastrophiques par rapport à Obama dans certains Etats-clef comme le Wisconsin, le Michigan ou l’Ohio, faisant regretter l’absence de Bernie Sanders, can- didat de gauche crédible dans sa dénon- ciation du système élitiste et du pouvoir de Wall Street au pays de l’Oncle Sam. La stupeur pas encore digérée, nombre de commentateurs se sont dits inca- pables de prédire ce que sera une prési- dence de l’ancien propriétaire du casino Taj Mahal à Atlantic City qui vient de fer- mer ses portes après 25 années de pertes financières, sans verser de cou- verture santé et de cotisations retraite aux employés laissés sur le carreau. Essayons quand même. Au vu de sa campagne, l’élu, qui a construit sa fortune dans l’immobilier, renvoie à un autre magnat, Silvio Berlus- coni. Il partage les mêmes accointances avec les médias et la téléréalité et le même goût pour les frasques sexuelles, le décorum kitsch et l’art des fausses pro- messes. En tant qu’entrepreneur, Il Cava- liere voulait gérer l’Italie comme une entreprise, avec les résultats que l’on sait. C’est bien cette voie qu’entend suivre Donald Tump qui prévoit de réduire les taxes sur les entreprises de 25 à 15% et supprimer l’assurance-santé universelle mise en place par Barack Obama, tout en assurant de créer 25 millions de jobs en 10 ans. Méfiance, les pauvres! De par ses positions xénophobes, sa volonté d’expulser les sans-papiers des USA, d’interdire le territoire aux musul- mans ou d’ériger un mur à la frontière du Mexique, le programme de Donald Trump lorgne du côté de l’extrême droite. Marine Le Pen, ne s’y est pas trompé, puisque la future candidate aux élections présiden- tielles françaises a été la première à le féliciter, espérant surfer sur le triomphe de son homologue US. Arborant des posi- tions ultranationalistes, Donald Trump veut aussi revoir les relations des USA avec la Chine, taxer ses produits, renégo- cier l’accord de Paris sur le climat, donc favoriser l’extraction de pétrole de schiste ou intensifier la lutte contre Daesch, «en trouvant le bon mec comme le général Patton ou le général MacArthur». Un fourre-tout assez proche des déclarations va t’en guerre et écocide de Bush Jr. Joël Depommier IL FAUT LE DIRE... Avis de tempête sur la Suisse CLIMAT • Alors que la COP 22 a débuté à Marrakech, la Suisse n’est pas épargnée par le changement climatique, comme le montre le dernier rapport des Académies suisses des sciences, qui présente un état des lieux sur la question, tout en proposant des pistes à suivre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. D u 7 au 18 novembre se tient la COP 22 à Mar- rakech avec comme objectif de concrétiser, de la part des Etats, l’accord international sur le climat de Paris, obtenu par consensus et ratifié aujourd’hui par plus de 80 pays, fixant comme objectif une limitation du réchauffement climatique entre 1,5 °C et 2 °C d’ici à 2100. Dans le même temps, la conférence doit assurer le financement d’un fonds vert pour les pays du Sud, doté de 100 milliards de dollars à l’horizon 2020. Risque d’inondations et de coulées de boue Profitant de ce rendez-vous international, un panel de 75 climatologues et 40 experts viennent de sortir un rapport sur la situation climatique en Suisse sous l’égide des Académies suisses des sciences. La situa- tion urge. En préambule, le rapport rappelle que depuis l’instauration des mesures systématiques en 1864 jusqu’à aujourd’hui, la température moyenne a augmenté d’à peu près 0,85° au niveau mondial, mais d’environ 1,8° en Suisse. Cela entraîne déjà des modifications de notre environnement. Le rapport relève ainsi que la Suisse connaît des journées de canicule plus intenses depuis quelques années, mais aussi de plus fortes précipitations. «A l’avenir, on devrait assister à une hausse de la fréquence et de la violence des fortes précipitations avec, à la clé, une augmentation des coulées de boue et des glisse- ments de terrain ainsi que des risques d’inondation accrus», prévient ainsi Erich M. Fischer de l’EPFZ. Le réchauffement des températures dû aux émis- sions de gaz à effet de serre a aussi une influence prépondérante dans les Alpes. «D’ici à la fin du siècle, une grande partie des glaciers aura probable- ment fondu. Le pergélisol de haute montagne fon- dra à long terme jusque dans ses couches les plus profondes, ce qui entraînera une hausse des chutes de pierres et des éboulements», estime le rapport. Ces changements auront bien entendu des implica- tions économiques. La forte fonte des glaciers et les modifications de la couverture neigeuse auront des répercussions sur la disponibilité en eau ainsi que sur le secteur énergétique et ses centrales hydrau- liques. Les spécialistes du climat prédisent aussi que le nombre de domaines skiables offrant de «bonnes conditions de neige» diminuera d’environ 20% jus- qu’en 2035 et de plus de la moitié d’ici 2085. La circulation routière représente 33% des émissions de gaz en Suisse Face à ces menaces, la meilleure solution en passe encore et toujours par une réduction des rejets de CO 2 . Et il faut accélérer le mouvement, puisque l’ob- jectif officiel de la Suisse est de réduire ces émissions de 50% (dont 30% à l’intérieur des frontières et 20% à l’étranger) jusqu’en 2030 par rapport à 1990. Avec comme objectif final de tendre à des émissions nulles pendant la seconde moitié du XXIe siècle. Ce virage implique une transformation fondamentale de la société et de l’économie, relève le panel de spé- cialistes. Dirk Messner, directeur de l’institut alle- mand de développement à Bonn, qui défend des stratégies de décarbonisation, basées sur une éco- nomie à faibles émissions de charbon, va même plus loin dans cet appel au changement. «Ces stratégies doivent se fonder sur des innovations techniques. Cependant, le découplage absolu entre le dévelop- pement de la prospérité et les émissions ne peut réussir que moyennant l’adhésion à des innovations sociales, servant de bases à une société respectueuse du climat», prévient-il. Petit rappel: la Suisse émet, par habitant et par an, près de six tonnes d’équivalent CO 2 directement sur son territoire et 14 tonnes d’équivalent CO 2 si l’on y intègre également les émissions grises, soit celles produites à l’étranger pour les marchandises importées. La Suisse se situe ainsi au-dessus de la moyenne mondiale. Comme le relève l’Office fédé- ral de l’environnement (OFEV), les émissions de gaz à effet de serre liées à l’approvisionnement en éner- gie se montent à 11% (contre 33% au niveau mon- dial), du fait que l’électricité est produite par la force hydraulique (60%) et par l’énergie nucléaire (40%). La circulation routière représente 33% des émis- sions, soit environ deux fois plus qu’au niveau mon- dial. Le chauffage des bâtiments compte pour 24%, le secteur industriel 15% des émanations, l’agricul- ture,14%. La conversion d’énergie (notamment les usines d’incinération et les raffineries), 8%. En queue de peloton, 4% proviennent de l’utilisation de gaz fluorés, généralement liés aux fluides des frigos. Transports publics, mobilité douce, habitat compact Tout en rappelant que le Conseil fédéral a approuvé en 2012 un plan stratégique intitulé «Adaptation aux changements climatiques», avec un plan d’action pour 2014-2019, ainsi que le pro- jet Stratégie énergétique 2050, le rapport insiste aussi sur des solutions sectorielles. Pour réduire les effets de la circulation automobile, Philippe Thal- mann, professeur en économie de l’environnement naturel et construit à l’EPFL, préconise ainsi un recours croissant à des nouvelles technologies comme la voiture électrique ou à hydrogène, mais défend aussi une augmentation de la taxe sur les carburants, afin de réduire l’achat de voitures gour- mandes en essence, l’utilisation des transports publics ou à la mobilité douce. En matière de loge- ment, Adrienne Grêt-Regamey, professeure d’amé- nagement du paysage et des systèmes urbains à l’EPFZ, promeut la construction d’habitat com- pact, la densification du réseau de transport, mais aussi la création de zones vertes de végétation et de verdure urbaines. Elle ambitionne aussi un assai- nissement du parc immobilier et des infrastruc- tures existantes, sur la base de l’autosuffisance énergétique et de constructions sans émissions de gaz à effet de serre. Faire changer le comportement des ménages qui, transports privés inclus, sont responsables de 35% des émissions totales, requerra aussi des incitations financières tangibles. Le rapport souligne aussi que, dans un pays de locataires, ce sont les propriétaires qui sont souvent peu motivés à passer à des instal- lations produisant peu d’émissions ou à isoler les bâtiments. n Joël Depommier Académies suisses de sciences, Coup de projecteur sur le climat suisse. Etat des lieux et perspectives, Berne, 2016 219 p. En 2005, la Suisse centrale, comme ci à Lucerne, avait été frappée par des crues exceptionnelles. Celles-ci pourraient se généraliser à l’avenir.

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JAA / PP / JOURNAL, 1281 GENÈVE 13

SUCCESSEUR DE LA «VOIX OUVRIÈRE» FONDÉE EN 1944 • WWW.GAUCHEBDO.CH N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016 • CHF 3.-

Le cabaret punk et théâtral des Dakh Daughters à découvrir à Genève page 8

Le sentiment que le rêve américain s’est évanoui a nourri lafrustration des électeurs page 6

POUR L’ECONOMISTE MICHEL STEVENS, LA CROISSANCE CAPITALISTE NE RÉPOND PLUS AUX BESOINS SOCIAUX PAGE 5

Donald Trump,Berlusconi et Le Pen tout en unA la surprise générale, les Etats-Unis ontdécidé d’élire ce 8 novembre à la Maison-Blanche le candidat républicain, DonaldTrump, qui sera aussi appuyé par unemajorité conséquente au Congrès. Issue dusérail politique, Hillary Clinton a fait desscores catastrophiques par rapport àObama dans certains Etats-clef comme leWisconsin, le Michigan ou l’Ohio, faisantregretter l’absence de Bernie Sanders, can-didat de gauche crédible dans sa dénon-ciation du système élitiste et du pouvoir deWall Street au pays de l’Oncle Sam.

La stupeur pas encore digérée, nombrede commentateurs se sont dits inca-pables de prédire ce que sera une prési-dence de l’ancien propriétaire du casinoTaj Mahal à Atlantic City qui vient de fer-mer ses portes après 25 années depertes financières, sans verser de cou-verture santé et de cotisations retraiteaux employés laissés sur le carreau.Essayons quand même.

Au vu de sa campagne, l’élu, qui aconstruit sa fortune dans l’immobilier,renvoie à un autre magnat, Silvio Berlus-coni. Il partage les mêmes accointancesavec les médias et la téléréalité et lemême goût pour les frasques sexuelles, ledécorum kitsch et l’art des fausses pro-messes. En tant qu’entrepreneur, Il Cava-liere voulait gérer l’Italie comme uneentreprise, avec les résultats que l’on sait.C’est bien cette voie qu’entend suivreDonald Tump qui prévoit de réduire lestaxes sur les entreprises de 25 à 15% etsupprimer l’assurance-santé universellemise en place par Barack Obama, tout enassurant de créer 25 millions de jobs en10 ans. Méfiance, les pauvres!

De par ses positions xénophobes, savolonté d’expulser les sans-papiers desUSA, d’interdire le territoire aux musul-mans ou d’ériger un mur à la frontière duMexique, le programme de Donald Trumplorgne du côté de l’extrême droite. MarineLe Pen, ne s’y est pas trompé, puisque lafuture candidate aux élections présiden-tielles françaises a été la première à leféliciter, espérant surfer sur le triomphede son homologue US. Arborant des posi-tions ultranationalistes, Donald Trumpveut aussi revoir les relations des USAavec la Chine, taxer ses produits, renégo-cier l’accord de Paris sur le climat, doncfavoriser l’extraction de pétrole de schisteou intensifier la lutte contre Daesch, «entrouvant le bon mec comme le généralPatton ou le général MacArthur». Unfourre-tout assez proche des déclarationsva t’en guerre et écocide de Bush Jr.

Joël Depommier

IL FAUT LE DIRE...

Avis de tempête sur la SuisseCLIMAT • Alors que la COP 22 a débuté à Marrakech, la Suisse n’est pas épargnée par le changement climatique,comme le montre le dernier rapport des Académies suisses des sciences, qui présente un état des lieux sur laquestion, tout en proposant des pistes à suivre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

D u 7 au 18 novembre se tient la COP 22 à Mar-rakech avec comme objectif de concrétiser, dela part des Etats, l’accord international sur le

climat de Paris, obtenu par consensus et ratifiéaujourd’hui par plus de 80 pays, fixant commeobjectif une limitation du réchauffement climatiqueentre 1,5 °C et 2 °C d’ici à 2100. Dans le mêmetemps, la conférence doit assurer le financementd’un fonds vert pour les pays du Sud, doté de 100milliards de dollars à l’horizon 2020.

Risque d’inondations et de coulées de boueProfitant de ce rendez-vous international, un panelde 75 climatologues et 40 experts viennent de sortirun rapport sur la situation climatique en Suisse sousl’égide des Académies suisses des sciences. La situa-tion urge. En préambule, le rapport rappelle quedepuis l’instauration des mesures systématiques en1864 jusqu’à aujourd’hui, la température moyenne aaugmenté d’à peu près 0,85° au niveau mondial,mais d’environ 1,8° en Suisse. Cela entraîne déjà desmodifications de notre environnement. Le rapportrelève ainsi que la Suisse connaît des journées decanicule plus intenses depuis quelques années, maisaussi de plus fortes précipitations. «A l’avenir, ondevrait assister à une hausse de la fréquence et de laviolence des fortes précipitations avec, à la clé, uneaugmentation des coulées de boue et des glisse-ments de terrain ainsi que des risques d’inondationaccrus», prévient ainsi Erich M. Fischer de l’EPFZ.

Le réchauffement des températures dû aux émis-sions de gaz à effet de serre a aussi une influenceprépondérante dans les Alpes. «D’ici à la fin dusiècle, une grande partie des glaciers aura probable-ment fondu. Le pergélisol de haute montagne fon-dra à long terme jusque dans ses couches les plusprofondes, ce qui entraînera une hausse des chutesde pierres et des éboulements», estime le rapport.Ces changements auront bien entendu des implica-tions économiques. La forte fonte des glaciers et lesmodifications de la couverture neigeuse auront desrépercussions sur la disponibilité en eau ainsi quesur le secteur énergétique et ses centrales hydrau-liques. Les spécialistes du climat prédisent aussi quele nombre de domaines skiables offrant de «bonnesconditions de neige» diminuera d’environ 20% jus-qu’en 2035 et de plus de la moitié d’ici 2085.

La circulation routière représente 33% desémissions de gaz en SuisseFace à ces menaces, la meilleure solution en passeencore et toujours par une réduction des rejets deCO2. Et il faut accélérer le mouvement, puisque l’ob-jectif officiel de la Suisse est de réduire ces émissionsde 50% (dont 30% à l’intérieur des frontières et 20%à l’étranger) jusqu’en 2030 par rapport à 1990. Aveccomme objectif final de tendre à des émissionsnulles pendant la seconde moitié du XXIe siècle. Cevirage implique une transformation fondamentalede la société et de l’économie, relève le panel de spé-cialistes. Dirk Messner, directeur de l’institut alle-mand de développement à Bonn, qui défend desstratégies de décarbonisation, basées sur une éco-nomie à faibles émissions de charbon, va même plusloin dans cet appel au changement. «Ces stratégies

doivent se fonder sur des innovations techniques.Cependant, le découplage absolu entre le dévelop-pement de la prospérité et les émissions ne peutréussir que moyennant l’adhésion à des innovationssociales, servant de bases à une société respectueusedu climat», prévient-il.

Petit rappel: la Suisse émet, par habitant et paran, près de six tonnes d’équivalent CO2 directementsur son territoire et 14 tonnes d’équivalent CO2 sil’on y intègre également les émissions grises, soitcelles produites à l’étranger pour les marchandisesimportées. La Suisse se situe ainsi au-dessus de lamoyenne mondiale. Comme le relève l’Office fédé-ral de l’environnement (OFEV), les émissions de gazà effet de serre liées à l’approvisionnement en éner-gie se montent à 11% (contre 33% au niveau mon-dial), du fait que l’électricité est produite par la forcehydraulique (60%) et par l’énergie nucléaire (40%).La circulation routière représente 33% des émis-sions, soit environ deux fois plus qu’au niveau mon-dial. Le chauffage des bâtiments compte pour 24%,le secteur industriel 15% des émanations, l’agricul-ture,14%. La conversion d’énergie (notamment lesusines d’incinération et les raffineries), 8%. Enqueue de peloton, 4% proviennent de l’utilisation degaz fluorés, généralement liés aux fluides des frigos.

Transports publics, mobilité douce, habitat compactTout en rappelant que le Conseil fédéral aapprouvé en 2012 un plan stratégique intitulé«Adaptation aux changements climatiques», avecun plan d’action pour 2014-2019, ainsi que le pro-

jet Stratégie énergétique 2050, le rapport insisteaussi sur des solutions sectorielles. Pour réduire leseffets de la circulation automobile, Philippe Thal-mann, professeur en économie de l’environnementnaturel et construit à l’EPFL, préconise ainsi unrecours croissant à des nouvelles technologiescomme la voiture électrique ou à hydrogène, maisdéfend aussi une augmentation de la taxe sur lescarburants, afin de réduire l’achat de voitures gour-mandes en essence, l’utilisation des transportspublics ou à la mobilité douce. En matière de loge-ment, Adrienne Grêt-Regamey, professeure d’amé-nagement du paysage et des systèmes urbains àl’EPFZ, promeut la construction d’habitat com-pact, la densification du réseau de transport, maisaussi la création de zones vertes de végétation et deverdure urbaines. Elle ambitionne aussi un assai-nissement du parc immobilier et des infrastruc-tures existantes, sur la base de l’autosuffisanceénergétique et de constructions sans émissions degaz à effet de serre.

Faire changer le comportement des ménages qui,transports privés inclus, sont responsables de 35%des émissions totales, requerra aussi des incitationsfinancières tangibles. Le rapport souligne aussi que,dans un pays de locataires, ce sont les propriétairesqui sont souvent peu motivés à passer à des instal-lations produisant peu d’émissions ou à isoler lesbâtiments. n

Joël DepommierAcadémies suisses de sciences, Coup de projecteur sur le climatsuisse. Etat des lieux et perspectives, Berne, 2016 219 p.

En 2005, la Suisse centrale, comme ci à Lucerne, avait été frappée par des crues exceptionnelles. Celles-ci pourraient se généraliser à l’avenir.

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2 • NATIONAL N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

D ans un contexte de méfiancegrandissante d’une partie de lapopulation vis-à-vis du «monde

politique», la démocratie participative«pose la question de l’inclusion descitoyens au débat public et de leur capa-cité à peser sur les choix collectifs»,constate Andrea Eggli, membre de«Montelly vit», une association de quar-tier lausannoise créé suite à la premièreexpérience de contrat de quartier dans lacapitale vaudoise. Samedi dernier, à l’ini-tiative du municipal lausannois DavidPayot, une journée de réflexion sur lethème de la démocratie participatives’est tenue à Lausanne. Dans l’assistanceétaient présents quatre municipaux de larégion récemment constitués en asso-ciation, dont l’un des buts est de favori-ser la démocratie participative: DavidPayot, à Lausanne, Karine Clerc etDidier Divorne pour Renens et PhilippeSomsky, du Mont-sur-Lausanne. Pourrappel, David Payot s’était égalementrendu à Madrid il y a quelque tempspour s’inspirer des démarches participa-tives qui y ont été mises en place.

Toucher ceux qui ne s’identifient pas aux partisSi la participation, en particulier enSuisse, se joue à différents niveaux (voirencadré), la question d’un développe-ment de celle-ci au niveau local, notam-ment via des contrats de quartier, ou dessites internet permettant à la populationde proposer des projets (comme àMadrid) suscite un certain engouement.Mais permet-elle de véritables résultats?Quelles difficultés?

«Si les citoyens font preuve d’une cer-taine indifférence pour la politique, lavolonté d’améliorer leur vie et d’en deve-nir acteurs reste présente. Or, les initia-tives participatives incitent les habitantsà s’impliquer activement. Elles tradui-sent aussi un besoin de se faire davan-tage entendre et de prendre son ‘’destin’’en main», a souligné Andrea Eggli, rap-pelant que la démocratie participativepermet l’intégration dans la discussiondes habitants qui n’ont pas le droit de

vote et joue un rôle en termes de cohé-sion sociale.

«Mais comment toucher les per-sonnes peu intéressées par la politique,lorsque la démarche est initiée par l’exé-cutif?», a interrogé Didier Divorne,municipal à Renens. «Une démarcheparticipative ne risque-t-elle pas deréunir des personnes déjà engagéespolitiquement?» a renchéri AlainHubler, conseiller communal à Lau-sanne. «Si les participants à ‘’Montellyvit’’ sont plutôt des personnes desclasses moyennes, rarement de milieuxtrès défavorisés, il ne s’agit pas forcé-ment de personnes déjà impliquéespolitiquement», a nuancé Andrea Eggli.Même constat chez David Payot, quisuit la mise en place d’un contrat dequartier dans le quartier lausannois dePrélaz-Valency, ou de Philippe Somsky,au Mont-sur Lausanne: «Cela permetde toucher les personnes qui ne veulentpas s’identifier aux partis politiques». «Ils’agit également de lieux d’écoute de l’ex-pertise locale qu’ont certaines associa-tions», estime David Payot.

Antoine Chollet, enseignant et cher-cheur à l’Université de Lausanne, a sou-ligné pour sa part que la mise à disposi-tion par les Municipalités de salles deconférences ou la réhabilitation desmaisons du peuple, trop souvent laisséesà l’abandon, permettrait d’encouragerun foisonnement associatif, qui peutreprésenter une porte d’entrée vers unintérêt plus marqué pour la chosepublique au sens large.

Des budgets participatifs sur le modèle de MadridPour Andrea Eggli, la démocratie parti-cipative comporte cependant deslimites: «Au final, les projets imaginéspar les citoyens ne deviennent réalitéque si la Municipalité les approuve et sice n’est pas trop cher!» Pour que ladémarche soit positive, voire puissecontribuer à remédier, à petite échelle, àla crise de défiance qui touche la sphèrepolitique, «la consultation des citoyensdoit s’accompagner de la concrétisation

véritable des projets», estime ainsi lamilitante, et pas se limiter à une consul-tation de la population, sans autressuites, comme cela est trop souvent lecas. Pour aller dans ce sens, elle suggèrela création de budgets participatifs sur lemodèle de Porto Alegre ou de la ville deMadrid, qui a alloué une enveloppe de60 millions d’euros à des projets propo-sés et votés par la population via un siteinternet créé dans ce but.

«A Lausanne, un postulat qui défendles budgets participatifs a été lancé et ilexiste un certain nombre de petits bud-gets pour des projets jeunes», a expliquéDavid Payot. A Renens, la question dubudget participatif pourrait être étudiée.Karine Clerc a toutefois rappelé que lesdémarches participatives peuvent seheurter à d’autres difficultés, comme lefait que certaines questions dépassentles compétences des autorités commu-nales. En outre, les idées amenées pour-raient diverger avec une volonté poli-tique de transformation sociale, a-t-ellesoulevé. Quid, par exemple, des propo-sitions de constructions de nouveauxparkings?

L’association des municipaux pré-sents doit se réunir prochainement pourdiscuter des suites à donner à la ques-tion. Un site internet pourrait voir lejour. n

Juliette Müller

La démocratie participative à l’agendaVAUD • Qu’est-ce que la démocratie participative? Constitue-t-elle une réponse à la défiance grandissante envers le monde politique? Commentla concrétiser? Samedi dernier, une conférence sur le thème s’est tenue à Lausanne. Quatre municipaux s’intéressent de près à la question.

L e jugement était attendu avecimpatience. Pour la premièrefois, un Tribunal suisse devait

déterminer si un contrôle de policemotivé par la couleur de peau d’unepersonne violait l’interdiction de ladiscrimination raciale inscrite dans laConstitution. C’est ce que dénonçaitMohamed Wa Baile, un bibliothécairebernois de 42 ans qui fait régulière-ment l’expérience des contrôles depolice discriminatoires pour la simpleraison qu’il n’est pas blanc.

Contrôlé sans raisonLe 5 février 2015, alors qu’il se rend àson travail à l’École polytechniquefédérale, Mohamed est interpellé partrois agents à la gare de Zurich. Dansson rapport, l’un d’entre eux préciseraplus tard que «lors d’une patrouille, unindividu suspect de sexe masculin à lapeau foncée» aurait attiré son attentioncar il aurait «esquivé son regard». PourMohamed, ce énième contrôle d’iden-tité alors qu’il n’a absolument rien à sereprocher est la goutte d’eau qui faitdéborder le vase. Il refuse de fournir

aux agents une pièce d’identité, esti-mant qu’il n’est pas normal qu’il soit leseul à se faire contrôler parmi les cen-taines de personnes qui l’entourent.Pour son «refus de coopérer», il éco-pera d’une amende de Fr. 100.francs,qu’il a contestée. C’est sur ces faits quele Tribunal d’arrondissement deZurich se prononçait lundi dernier.

L’ambiance était revendicatrice à l’en-trée du Tribunal. Peu avant l’audience,des activistes de toute la Suisse manifes-taient leur solidarité avec Wa Baile.L’«Alliance contre le profilage racial»,récemment créée, avait réussi à ameuterla presse alémanique. Malheureuse-ment, le juge Claudio Maira s’est d’em-blée distancié de toute analyse de fond.«Il s’agit ici de rendre une décision surune ordonnance pénale et non pas desavoir s’il existe une défaillance institu-tionnalisée au sein de la police ou que leprofilage racial soit généralisé», a-t-ildéclaré avant de confirmer l’ordonnancepénale et l’amende. Pour l’alliance, cettedécision est une discrimination de plus.Mohamed, quant à lui, bien que déçu,n’est pas découragé et fera recours à

l’instance supérieure puis au Tribunalfédéral s’il le faut. Affaire à suivre donc.

Une pratique fort répanduePourquoi Mohamed Wa Bailes’acharne-t-il dans un procès qui luicoûtera plus cher que l’amende initiale-ment reçue? C’est que son cas sert à

donner une visibilité à une pratiqueproblématique largement répandue enSuisse mais dont on entend peu parler.Nombreuses sont les personnes basa-nées ou noires, Roms, Sinti ou Yénichesqui rapportent des expériences decontrôles récurrents semblant motivésuniquement par leur apparence exté-

rieure. D’après les témoignages recueillispar l’«alliance contre le profilage racial»,les personnes qui ont vécu de tellessituations finissent par avoir peur de lapolice alors même qu’elles n’ont commisaucun délit. Un grand nombre de cescontrôles sont par ailleurs vécus commerabaissants, dégradants et humiliants,d’autant plus qu’ils ont souvent lieudevant des passants au regard réproba-teur. C’est ce que montrent les résultatsactuels de plusieurs études en cours àl’Université de Neuchâtel et un groupede recherche national.

Les membres de l’alliance insistentsur un point: le profilage racial n’est pasen premier lieu un problème de men-talité ou de comportement individuelde certains policiers. Il s’agit d’un pro-blème institutionnel beaucoup plusfondamental. Pour y remédier, ilsrevendiquent notamment d’interdireles interpellations en l’absence de soup-çons ou encore de former les policierspour les sensibiliser à la problématique.La route est encore longue, mais leschoses commencent à bouger. n

Amanda Ioset

Faire le procès du profilage racial n’est pas une sinécureSUISSE • Se faire contrôler par la police parce qu’on n’a pas la bonne couleur de peau. C’est ce que de nombreuses personnes vivent régulièrementen Suisse. Pour la première fois dans notre pays, un tribunal devait déterminer si le profilage racial était contraire à la Constitution.

«La démocratie participative ne doit pas représenter une simple con-sultation de la population, mais impliquer une réelle participation aupouvoir. Il ne s’agit pas de légitimer des décisions qui auraient déjà étéprises», estime Antoine Chollet, enseignant et chercheur en penséepolitique à l’Université de Lausanne. De ce point de vue, les procéduresde consultation mises en place dans le cadre du processus législatif enSuisse fonctionnent déjà comme un outil de participation, notammentgrâce à la menace d’un possible référendum. «Sans cette menace, ellesne représenteraient qu’une simple consultation sans effet», remarquele chercheur. Selon lui, la participation ne doit cependant pas se lim-iter aux consultations et référendums, mais aussi passer par l’espacepublic (conférences, journaux, associations, participation à un parti,

etc.) et même s’étendre à l’espace privé (famille) et au travail, haut lieud’absence de démocratie. «Il y a une discordance en Suisse entre unpouvoir qui fonctionne de façon plus démocratique que dans d’autrespays et le lieu de travail, où les droits des salariés sont en retard surceux d’autres pays. La participation passe notamment par les syndi-cats, mais le taux de syndicalisation en Suisse est extrêmement bas»,constate le chercheur, qui souligne également que les expériencesd’autogestion, passées ou actuelles, peuvent nourrir la réflexion sur ladémocratie au travail. Finalement, la question du temps libre – pourpouvoir s’impliquer en tant que citoyen - , ainsi que celle de l’éduca-tion doivent être mises au cœur d’un débat sur la démocratie partici-pative, estime Antoine Chollet. JMr

«La participation doit être renforcée dans tous les domaines»

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NATIONAL • 3N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

A en croire de nombreux médiasces dernières semaines, enacceptant la proposition du

Conseil d’Etat pour l’Hôpital neuchâ-telois (HNE), le Grand conseil devait«réunifier le canton». La semaine der-nière, 87 députés contre 28 ontadopté ce projet consistant en unhôpital de soins unique centralisé àNeuchâtel et un Centre de Traitementet de Réadaptation (CTR) à LaChaux-de-Fonds. Le canton est-il surla voie de l’unification pour autant?Ce n’est pas certain. Le peuple, qui seprononcera en février, devra choisirentre cette option centralisatrice etl’initiative qui demande de maintenirdeux hôpitaux complémentaires dansle canton. Une partie des habitantsressent toujours une appréhensionface au projet maintenant adopté parla majorité du Grand conseil, alorsqu’une autre se réjouit qu’une solu-tion mette fin à des années de tergi-versations et est persuadée que laconcentration des forces est unemodernité incontournable.

En contradiction avec la loiapprouvéeLes débats du parlement ont permisde constater que, quelle que soit lasolution, le mépris ne peut pas unifierun canton. Celui-ci semble psycholo-giquement coupé en deux. LaurentKurth, qui conduisait le dossier aunom du Conseil d‘Etat, et la directiond’HNE, n’ont pas voulu ou n’ont pasété capables de réunir autour d’unemême table l’ensemble des parte-naires. Ainsi, le projet du Conseild’Etat n’est pas le résultat d’un travailregroupant tous les acteurs concer-nés. Les milieux qui ont une autreidée de l’organisation hospitalièrecantonale sont toujours considéréscomme défenseurs d’une sensibilitédu 20e siècle.

Au cours du débat, les partisans dela centralisation ont constammentrépété que le projet a nécessité deuxans d’études, 900 pages et un engage-ment collectif. La durée d’une étudeet son nombre de pages ne peuventpas à eux seuls justifier le sérieux dutravail. La démarche collective n’aregroupé que des personnes parta-

geant au départ l’objectif de la centra-lisation. Pratiquement, c’est le méprisqui ressort de ce dossier. Le déplace-ment de la maternité de La Chaux-de-Fonds vers le chef-lieu, avec lapromesse d’un retour jamais concré-tisé, la fermeture des soins intensifs,la suppression des salles d’opérationdurant les fins de semaine, l’incapa-cité de maintenir l’ophtalmologie, etc,sont autant d’actes qui laissent destraces durables dans les mentalités duhaut du canton. Toutes ces décisionssont du reste en contradiction avec laloi sur l’Hôpital multisite pourtantapprouvée par le peuple.

Un canton, un espace, une fiscalitéAu nom de la devise de l’actuelConseil d’Etat: un canton, un espace,la concentration à Neuchâtel detoutes les activités hospitalièresconstitue un acte de rupture et nonune liaison entre les Neuchâtelois.L’hypothétique construction d’unCTR dans le Haut ne dissipe pas laméfiance. Le regroupement défensifdes habitants du Haut autour de leurhôpital constitue un acte de sauve-garde d’une institution qui fonction-nait parfaitement. Malgré les pro-messes de Laurent Kurth pour unavenir meilleur, la confiance entre lapopulation du haut du canton et legouvernement n’est pas rétablie. Desdégâts psychologiques marquent lesesprits. Pour tenter d’y remédier, nousinvitons le Conseil d’Etat à élargir saformule: un canton, un espace, unefiscalité. Si cette proposition étaitacceptée, nous pourrions alors exami-ner avec la plus grande attention laréaction des communes les plusriches du canton. Accepteraient-ellescette mise en commun pour le bien-être de toute la population ou se lan-ceraient-elles dans une résistance dechapelles?

Rachat des bâtiments de l’Hôpital deLa Chaux-de-FondsLe jour précédent les débats duGrand conseil, une annonce a causéune surprise: la proposition d’achatdes bâtiments de l’Hôpital de LaChaux-de-Fonds par la FondationPatrimonium et son accompagne-

ment médical par la direction de l’hô-pital du Jura bernois en créant unhôpital public. Cette intervention acausé diverses réactions au sein dumonde politique. Certains, dont lessocialistes, se sont empressés, dans uncommuniqué, de mettre en évidenceque Patrimonium est lié à SMN(Swiss Medical Network) de Genolier,soulignant qu’il était curieux que descommunes de gauche, Le Locle et LaChaux-de-Fonds, soient favorables àcéder un hôpital au secteur privé.Précisons que la Fondation, fondée en2009, est dédiée aux placements col-lectifs des institutions de prévoyancesuisses. Depuis août 2015, ce groupede placement immobilier investit

dans les immeubles du secteur de lasanté ainsi que dans les établisse-ments médicaux sociaux et résidencespour personnes âgées. L’ancienministre jurassien Philippe Receveur,actuellement président de l’Hôpitaldu Jura, contacté par la RTS, imagineque la collaboration entre l’Hôpital duJura bernois et les Montagnes neu-châteloises pourrait représenter lemeilleur moyen pour servir la popu-lation concernée. Cette prise de posi-ton a fortement irrité Laurent Kurth,qui y voit un partage en deux du can-ton par un ancien membre d’uneautorité d’un autre canton. Dans saréaction, le Conseiller d’Etat ne parleévidemment pas du partage du can-

ton suite à la suppression de l’hôpitalde La Chaux-de-Fonds!

A force d’être méprisées, il n’est pasétonnant que les villes du Haut aientimaginé avoir recours à une autrepossibilité pour maintenir un hôpitalpour leur population. Cette proposi-tion mérite d’être examinée objective-ment et démontre que des possibilitésexistent pour faire vivre un hôpitaldans les Montagnes neuchâteloises.Lors du débat au Grand conseil, desdéputés ont demandé qu’elle soit étu-diée, mais leur proposition a été refu-sée. Dans l’attente de la votationpopulaire, les fronts se préparent à lacampagne. n

Alain Bringolf

Le mépris ne peut pas unifier le cantonNEUCHÂTEL • La semaine dernière, le Grand Conseil neuchâtelois a largement adopté le projet du Conseil d’Etat sur la planificationhospitalière dans le canton. Mais les divisions au sein de la population persistent.

L a pensée unique économiste, à lamode partout dans le monde, afait d’énormes dégâts et promet

aussi d’en faire dans notre pays. C’estaujourd’hui au tour de l’éducation,qui n’est plus conçue comme un droitde la population mais comme uninvestissement qui doit être rentable.Petit à petit s’impose l’idée de l’éduca-tion comme entreprise: elle estdétournée de son but qui est l’épa-nouissement de l’être humain et de lasociété. Nous assistons à la substitu-tion progressive de la réflexion péda-gogique par le jargon de la gestion. Lapriorité aujourd’hui, pour les respon-sables de l’éducation, est le redresse-ment des finances, le pilotage du pro-gramme des réformes de l’État, lacentralisation des achats, la réformede la politique salariale, la gestion desenseignants, la gouvernance des par-

tenariats, la refonte de la structurebudgétaire, l’administration des res-sources humaines…

Couper alors que les travailleurspaient trois fois plus d’impôtsCette conception néolibérale de l’édu-cation est à l’origine du conflit quioppose les enseignants neuchâtelois àl’Etat à propos de la nouvelle grille sala-riale, parce que le but de l’Etat est dediminuer les coûts des prestations.Cependant, ce n’est pas là l’unique causedu problème, il faut aussi comprendreque l’austérité répond à une conceptionde l’Etat chère au grand capital, quicherche entre autres à augmenter sesbénéfices en réduisant sa charge fiscale.A Neuchâtel, le poids de l’impôt reposeavant tout sur le revenu des personnesphysiques (travailleurs), qui représente67% du total des revenus fiscaux du

canton. L’impôt sur les bénéfices et lecapital des personnes morales (entre-prises) ne représente, quant à lui, que le20% du total. Les travailleurs payentdéjà trois fois plus d’impôts que lespatrons, mais les riches veulent payermoins d’impôts encore! Et quand nousparlons de justice fiscale et d’une chargeplus équilibrée pour les patrons, on crieau chantage.

Pourtant le problème est simple:pour le fonctionnement de l’Etat (édu-cation, santé, justice, loyers, véhicules,entretien des biens publics, etc.), nousavons besoin d’argent, de recettes quiproviennent principalement de l’impôtmais aussi des transferts de la Confé-dération, des compensations diverses,des revenus financiers et d’autres reve-nus. Ces derniers ne vont pas augmen-ter. La solution du Conseil d’Etat, c’estdès lors la diminution des coûts. C’est

la politique néfaste du frein auxdépenses, toujours aux dépens des tra-vailleurs, des démunis et de l’ensemblede la société neuchâteloise, qui se voitimposer la perte d’importants acquis,d’infrastructures stratégiques et de ser-vices vitaux (école d’ingénierie,conservatoire, hôpital). Cependant, nile Conseil d’Etat ni les partis de droitene s’interrogent sur l’autre solutionpossible: l’augmentation des recettes.Les travailleurs sont déjà dans le pétrinet une augmentation de leurs impôtsn’est pas envisageable, mais les entre-prises et les millionnaires pourraientcontribuer un peu plus. L’impôt sur lecapital en 2014 a rapporté 9.6 millions,une somme ridicule! L’impôt sur lebénéfice des entreprises a été de 214millions, alors que les travailleurs ontpayé 683 millions d’impôts sur lerevenu et d’impôt à la source. Ce désé-

quilibre met le canton en danger et lasolution du Conseil d’Etat de diminuerles coûts sur le dos de la populationempire les choses.

Il faut aussi comprendre que, pourtrouver une bonne solution, il fautêtre unis. La mobilisation d’un seulsecteur de travailleurs n’est pas suffi-sante. Tous les fonctionnaires touchéspar les mesures d’austérité doiventlutter ensemble, ainsi que les famillesqui sont concernées par la diminu-tion des prestations. Les étudiantspourraient eux aussi exprimer leurmécontentement. L’ensemble de lapopulation doit défendre ce qui a étéconstruit par les efforts de plusieursgénérations. Une manifestation estd’ores et déjà prévue le 26 novembre à11h (lieu encore à définir). Ce seral’occasion de le faire. n

German Osorio

La colère des profs, prélude à une grogne générale?NEUCHÂTEL • Mardi, près de 50% des enseignants se sont mis en grève, selon les syndicats. Ils protestent contre les coupes dans leurssalaires. Mais c’est l’ensemble des prestations publiques qui est menacé. Une manifestation contre l’austérité est prévue pour le 26 novembre.

Le Conseil d’Etat veut transformer l’hôpital de La Chaux-de-Fonds en Centre de Traitement et de Rédaptation et concentrer les soins aigus à Neuchâtel. WMüller

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4 • NATIONAL N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

La Réforme et les femmesJeudi 3 novembre, Genève a lancé les célébrations des 500 ans de la Réforme à Plainpalais.Des manifestations auront lieu de novembre 2016 à novembre 2017 dans tout le pays; lecamion de la Réforme sillonnera l’Europe. L’objectif est de se demander ce que la Réformesignifie pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Joli paradoxe, les deux personna-lités qui ont pris la parole sont catholiques: Guillaume Barazzone, maire de Genève, et AlainBerset, conseiller fédéral. Calvin s’est-il retourné dans sa tombe ou s’est-il réjoui de cettepaix des consciences?

A Genève, les protestants sont minoritaires depuis longtemps. Aujourd’hui, l’Eglise catho-lique romaine forme la plus grande communauté religieuse du canton (37%), suivie de prèspar le groupe des personnes sans appartenance religieuse (35%), puis, loin derrière, par lesprotestant-e-s (12%). La communauté musulmane représente 5% du total et la commu-nauté juive 1%. On n’est donc plus dans «la Rome protestante», qui n’admettait que la nou-velle religion sur les terres genevoises.

C’est l’Allemand Martin Luther qui fut à l’origine de la Réforme. Ulcéré par le scandale des«indulgences» (l’Eglise faisait commerce des places au paradis) et de la corruption généra-lisée, il remit en cause le fonctionnement et les fondamentaux de l’Eglise catholique. Né en1483, ordonné prêtre en 1507, il écrit un commentaire sur l’épître aux Romains en 1515, oùil soutient que le sacrement n’est pas efficace en soi mais tire son sens de l’adhésion desfidèles. Le 31 octobre 1517, 95 de ses thèses sont placardées à Wittenberg. Le 3 janvier1521, il est excommunié, puis mis au ban de l’Empire par l’édit de Worms le 26 mai 1521.Frédéric de Saxe le prend sous sa protection au château de la Wartburg. Luther y traduit leNouveau Testament en onze semaines, son travail paraît en septembre 1522.

L’Ancien Testament lui demandera plus de temps. Il a utilisé la langue parlée en Allemagnecentrale, dans le processus d’unification qui allait aboutir à l’allemand moderne. La Biblecomplète paraît en 1534 et est imprimée par Gutenberg entre 1552 et 1556. Elle est consi-dérée comme le premier livre réalisé en Europe en caractères mobiles, tiré à 180 exem-plaires, dont il reste 48 aujourd’hui. La traduction sera sans cesse reprise et corrigée. Mar-tin Luther meurt le 18 février 1546. Sa Bible fut un grand succès: jusqu’à sa mort, plus de430 éditions de la Bible traduite par lui ont vu le jour. En 1535, un Allemand sur 70 était enpossession d’un Nouveau Testament. En 1520, 90% des écrits imprimés étaient encore enlatin, ils n’étaient plus que 70% en 1570. L’action de Luther, comme des autres réformateurs,a été favorisée par l’imprimerie.

En Suisse, en 1522, Zurich est le premier canton à passer à la Réforme, grâce à Zwingli. Bâlele fait en 1529, suivent Glaris, Berne, Bienne, Schaffhouse et Saint-Gall. En 1531, les can-tons suisses catholiques attaquent les Zurichois et les battent, Zwingli est tué. Une annéeplus tard, au synode de Chanforan, dans le Piémont italien, il est décidé de traduire la Bibledu latin en français, ce qui était interdit. Et l’église vaudoise fusionne avec les églises réfor-mées. Jean Calvin, converti en 1531, commence à prêcher à Paris et doit s’exiler en 1533. Ilpublie à Bâle l’Institution de la religion chrétienne, sans mention de la prédestination, ets’installe à Genève, où la Réforme vient d’être adoptée. Banni en 1538, il revient en 1541, ety installe une république calviniste. En 1542, Paul III instaure l’Inquisition romaine, qui vadurer trois siècles et brûler 10’000 «sorcières». Le Concile de Trente se tient de 1545 à 1563et 1562 voit le début des guerres de religion en France.

En plus de rendre la Bible accessible au peuple, la Réforme a également posé les bases del’accession des femmes aux ministères. Non que les réformateurs aient été de grands fémi-nistes, mais le fait de déclarer tous les croyants égaux devant Dieu a entrouvert la porte auxfemmes. Celles-ci ont donc accès aux textes bibliques, nouvellement traduits, à l’instruc-tion, et leurs droits sont revalorisés dans le mariage. Le divorce est accepté, et les mémo-riaux du Consistoire montrent que les maris violents sont admonestés, une première. Cepen-dant, le Collège et l’Académie fondés par Calvin restent interdits aux femmes. L’obstaclesociétal persiste.

Le cas de Marie Dentière témoigne de ces résistances : pour avoir osé se mesurer auxhommes (elle argumente contre Calvin, forte de son savoir théologique), sa réputation serasalie. Ancienne prieure, Marie Dentière est l’une des premières femmes à s’être convertie auprotestantisme en 1524. Elle est appelée à la rescousse par Guillaume Farel, qui tente deconvaincre le couvent des Clarisses, au Bourg-de-Four, d’adopter la Réforme. L’historienneLauriane Savoy note: «Une telle tâche de prédication est exceptionnelle, mais bien enca-drée: les femmes ne sont autorisées à parler que sous le contrôle d’un homme, et leur dis-cours sert d’abord à convaincre d’autres femmes.» Marie Dentière, dont le nom a été ajoutésur une stèle devant le Mur des réformateurs genevois en 2002, publie en 1539 son «Epistretres utile...», où elle affirme la capacité égale des hommes et des femmes à comprendre laBible. Elle sera la première victime de la censure réformée à Genève, à cause de ces propos,jugés scandaleux.

Pour les femmes réformées, les progrès ont donc été lents. Jusqu’au XIXe, les théologiennesn’ont pas eu accès à la parole publique. A Genève, au sortir de la Faculté de théologie, lespremières femmes pasteures n’ont encore qu’un statut de pasteure auxiliaire. C’est le cas deMarcelle Bard, consacrée en 1929, admise en 1943 comme membre de plein droit de laCompagnie des pasteurs. Dotée d’un sens social très développé, aussi compatissante queferme, elle exerça un ministère fécond auprès des malades et des défavorisés dans les nou-veaux quartiers de Genève. Aujourd’hui, 40% des ministres de l’Eglise protestante deGenève sont des femmes.

L’Eglise protestante (qui comprend l’église anglicane) est la seule à offrir la même forma-tion et les mêmes chances aux hommes qu’aux femmes: elles occupent toutes les fonctionsdu pastorat. Les autres religions monothéistes continuent de les considérer comme infé-rieures, puisqu’elles n’ont pas le droit de devenir rabbins chez les juifs, prêtres (encore moinsévêques ou papes) chez les catholiques, imams chez les musulmans.

Huguette Junod

LA CHRONIQUE FÉMINISTE

Feminista réagit à l’article «USA:le triomphe d’une certainemorale» de Julien Sansonnens

Les propos de Julien Sansonnens en rubrique «il faut ledire», de Gauchebdo la semaine dernière nous ont paru

imprégnés d’un sexisme dérangeant pour un journal degauche. Tout d’abord, l’indignation aux États-Unis aexplosé suite aux propos de Donald Trump lors d’une dis-cussion en écoute cachée. Le candidat y affirmait ne paspouvoir s’empêcher d’embrasser les belles femmes etqu’étant riche, il pouvait tout se permettre, comme «lesattraper par la chatte». Ces deux déclarations caractérisentune agression sexuelle et non une simple transgression desmœurs puritaines.

Deuxièmement, le point de vue de l’auteur est égalementréducteur envers les Étasunien.ne.s et leur compréhensionde la politique. Un candidat à la présidence ouvertementméprisant à l’encontre de la moitié des électeurs et se van-tant de les agresser sexuellement peut apparaître commeune réelle menace pour la sécurité d’une majorité de lapopulation. En effet, si les femmes sont des citoyennes infé-rieures aux citoyens mâles (blancs) pour Donald Trump, lesproblèmes les concernant risquent d’être ignorés, voire de

perdre des moyens alloués dans les 4 années à venir. Ladénonciation du sexisme de Trump démontre justement lerejet d’un programme dans lequel la place des femmes etdes minorités est sérieusement hypothéquée.

Enfin, ce coup de gueule éditorial comporte une cer-taine dose de mauvaise foi. Pour son auteur, les accusationsvisant Donald Trump et son sexisme patenté seraient utili-sées dans l’unique but de détourner l’attention de son pro-gramme. Toutefois, il se garde bien d’appliquer la réci-proque en omettant d’évoquer le sexisme qu’a subi HillaryClinton durant l’intégralité de sa campagne. Ce sexisme areprésenté une réelle entrave pour la candidate lorsqu’elletentait de mettre ses compétences politiques et son pro-gramme en avant. Mais ce sexisme-là ne semble pas déran-ger Julien Sansonnens le moins du monde.

Cet article est la tribune d’un homme défendant unautre homme qui ne se préoccupe pas des problèmes degenre et des femmes. Car selon eux, il existe des questionsplus importantes, notamment la politique internationale.Refuser d’être ignorées des politiques tant nationales qu’in-ternationales, est-ce juste une question de moralité? Pourrappel, Monsieur Sansonnens, à la fin des années 1960, lesféministes états-uniennes scandaient déjà «le privé est poli-tique», peut-être devriez-vous vous en inspirer... n

Pour FeministaMelinda Tschanz

COURRIER

Denis Bouvier répond à «Il fautle dire» de Julien Sansonnens

Suite au «Il faut le dire» de Julien Sansonnens, paru dansvotre édition du 4 novembre, je vous suggère d’ouvrir

une nouvelle rubrique intitulée «Ce que Gauchebdo nedevrait pas publier». Cela permettrait à la rédaction designifier à ses lecteurs que dorénavant la ligne éditoriale nepourra plus être dévoyée par l’outrecuidance d’un collabo-rateur tenté de claironner ses fantaisies dans «Il faut le dire».Après tout, Julien Sansonnens a le droit d’afficher son empa-thie avec l’interlope et salace Trump, lequel, loin d’en faireune affaire privée, exalte en public les expériences de sesturpitudes sexuelles et son total mépris des femmes. Pré-tendre, par ailleurs, que les critiques adressées au candidat

républicain se limitent à dénoncer ses scandaleuses provo-cations à l’adresse des femmes, c’est ignorer le tollé que pro-voque son programme ultra-populiste et liberticide. Trumpa bel et bien un programme, tout de pulsions lui aussi.

«Juger l’action publique à l’aune de comportements pri-vés, loin d’être un progrès, constitue au contraire une dégé-nérescence de la démocratie», est-il écrit par Julien San-sonnens: cette affirmation très réductrice au plan de lanotion de comportement privé, englobant tout y compris leviol, n’est pourtant rien d’autre qu’une attaque directe auxprincipes et aux idéaux mêmes qui fondent la démocratie.

Pour autant, la liberté d’expression n’est ici pas remise encause. Gauchebdo n’est sous le joug, ni de Poutine, ni d’Er-dogan. ni sous celui d’un quelconque lobby. Qu’il ne le soitpas davantage sous celui d’impulsions vagabondes. n

Denis Bouvier

Société d’édition de Gauchebdocase postale 190, 1211 Genève 8Christophe Grand, président [email protected]

AdministrationJean-Pierre Kohler [email protected]

[email protected] | www.gauchebdo.ch/abo

Rédaction25, rue du Vieux-Billard, 1205 Genè[email protected] | 022 320 63 35Joël Depommier, rédacteur en chef [email protected] Müller, secrétaire de rédaction [email protected] Smirnov, correcteur [email protected]éphane Montavon, dessinateur [email protected] CP 168, 1211 Genève 13 | 079 686 79 37 | CCP 12-9325-6

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Le 9 novembre 1932, il y a 84 ans, l’armée suisse tirait sans sommation contre des manifestants protestant contre la tenue d’un meeting fasciste. Treize personnesétaient tuées sur la plaine de Plainpalais. Cette année encore, la gauche genevoise a rendu hommage aux victimes. «Les attaques contre l’Etat, sont portées sur leplan international au travers de projets d’accords commerciaux; les différends qui surgiront entre ces Etats et les entreprises seraient traités par des tribunaux pri-vés, arbitraires, loin de toutes instances démocratiquement élues, et en dépit des décisions prises souverainement par les Nations. Ces accords se nomment CETA,TISA et TTIP. Tout se négocie loin des yeux des peuples concernés, pour favoriser une économie hors sol et nomade, qui se servira des Etats et de leurs résidentscomme d’un substrat nourricier du capital: le profit est érigé en but ultime auquel l’humanité devrait se soumettre», a expliqué Patrick Flury (photo), du Cartelintersyndical. «Le 9 novembre est plus qu’un devoir de mémoire, c’est le phare qui rappelle le danger à notre société crispée dans l’angoisse croissante du chômageet de la déqualification, ou de la perte d’un confort tout relatif, dans des crises économiques répétitives dont elle ne voit plus la fin», a-t-il encore a ajouté, avantque les militants se réchauffent au vin chaud. Carlos Serra

Le 9 novembre, plus qu’un devoir de mémoire

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ENJEUX • 5N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

Déconstruire les mythes de la croissance

ÉCONOMIE • Face à la crise économique, à l’augmentation des inégalités sociales ou au chômage, les responsables politiques et experts attendent le salut du seul retour de la croissance. L’économiste Michel Stevens conteste cette version des faits. Interview.

«C roire que la poursuite dela croissance constituepour un gouvernement

une obligation, la politique indispen-sable à la satisfaction des principauxbesoins de la société, constitue uneillusion», estime Michel Stevens, éco-nomiste belge installé à Lausanne etauteur de Déconstuire les mythes de lacroissance. Pour lui, la course effrénéeà la croissance et à l’augmentation duPIB contribue à aggraver la menaceécologique à laquelle le monde estconfronté et ne bénéficie plus depuisles années 80 qu’à une faible minorité.Mettant à nu les motivations des pro-moteurs de la croissance, qui ne cher-chent ni à garantir les emplois, ni àassurer le bien-être de tous, MichelStevens propose une remise à plat del’économie pour qu’elle réponde vrai-ment aux besoins humains et sociaux,tout en préservant la planète.

Quelle définition donneriez-vous au terme decroissance?MICHEL STEVENS Quand les politiques oules médias parlent de croissance, ils fontallusion à l’accroissement de la valeurd’un indicateur économique, le Produitintérieur brut (PIB), qui correspond à lasomme de la valeur de tous les biens etservices produits et facturés au cours del’année dans une économie donnée. Unepolitique de croissance a donc pour objec-tif de tirer le PIB vers le haut. Pourtant, lefait que le PIB croisse ne nous dit pas queles besoins humains et sociaux sontmieux satisfaits, mais qu’une plus grandequantité de ressources facturables a étéutilisée par la machinerie économique.Fixer le PIB comme indicateur de satis-faction des besoins, c’est établir une confu-sion entre la fin que se fixe officiellementla société, à savoir la satisfaction desbesoins matériels, et certains moyens des-tinés à permettre d’y parvenir, c’est-à-direla production de marchandises mon-nayables. De plus, on constate aussi qu’ à partir

des années 80, ce type de croissance acreusé fortement les inégalités sociales,qu’il bénéficie de moins en moins à laclasse moyenne et aux couches les plusdéshéritées de la société et se réalise audétriment de de l’environnement. Leseffets sociaux de la croissance ont finale-ment commencé à s’inverser. De positifsqu’ils étaient tout au long du XIXe siècleet durant la plus grande partie du XXe,ils sont devenus négatifs au début duXXIe.

Que préconisez-vous?Il conviendrait de favoriser des indica-teurs alternatifs, comme le Produit inté-rieur net (PIN), pour mesurer une autre

forme de développement. Celui-ci exclutles investissements productifs, parexemple dans des machines, soit desinvestissements non consommés par lesménages. Il faudrait aussi retirer de cePIN les dépenses défensives (nécessairespour réparer les dommages causés à l’en-vironnement). On pourrait même allerplus loin, en se basant sur un des diffé-rents indices alternatifs destinés à palierles faiblesses du PIB. A cet égard onpourra citer l’Indice de la planète heu-reuse, qui, à défaut d’être «scientifique»,donne une bonne idée des inconvénientsdu PIB. L’Indice de la planète heureuseprend en considération le sentiment debonheur, tel qu’il est fourni dans le cadrede sondages, pour le multiplier par l’es-pérance de vie et le diviser ensuite parl’empreinte écologique du pays

Vous en appelez à déconstruire les mythes dela croissance. Quels sont-ils et pourquoi sont-ils néfastes?La croyance en la croissance, partagéepar les politiques et les milieux d’af-faires, est entretenue par plusieursmythes. Le premier est celui du progrèstechnologique, qui demande de créersans cesse de nouveaux produits deconsommation, de favoriser l’innova-tion. Est-on pourtant plus heureuxdans une société avancée du «tout tech-nologique»? Le deuxième mythe sebase sur l’idée que les besoins humainsseraient illimités. Il faut faire la distinc-tion entre besoins et désirs. Les pre-miers correspondent à des nécessitésvitales, comme se nourrir, se vêtir, avoirun toit ou se reproduire. Ils sont limités.Les désirs, en revanche sont sans fin etobéissent à des considérations de dis-tinction et de position sociales. Ilsentraînent une compétition pour un

même objet entre les individus. Onveut posséder à tout prix ce que désirel’autre, perçu comme un rival.

L’accès à ces biens vitaux est pourtant loind’être assuré partout dans le monde.Il est clair qu’il existe de grandes diffé-rences entre Nord et Sud dans cet accèsaux biens vitaux. Pour satisfaire lesbesoins essentiels à l’échelle planétaire, iln’y pas d’autre solution qu’une meilleurerépartition des richesses. L’empreinteécologique, qui mesure la superficie bio-logiquement productive nécessaire pourpourvoir à la consommation d’unepopulation humaine donnée, montreque le mode de vie occidental n’est pasécologiquement tenable au niveau glo-bal et que l’on doit réduire notreconsommation dans les pays riches. Auniveau international, il est aussi impor-tant de sortir de la logique de concur-rence qui prédomine actuellement etqui peut déboucher sur des conflitsouverts du fait du surarmement actuel.

La croissance économique ne favorise-t-ellepas le plein-emploi? Quelles sont vos proposi-tions pour permettre à tous de travailler?La mécanisation technologique àoutrance que l’on connaît aujourd’huiconduit à la destruction d’emplois. Deplus, les économies contemporainessont caractérisées par une augmenta-tion régulière de la productivité du tra-vail. Si la quantité de biens demeurestable, le volume de travail nécessaire àleur production diminue constam-ment. Dès lors, à moins de réduired’année en année le temps de travailmoyen, le nombre de personnes sansemploi augmentera inexorablement. Dans le même temps, les entreprises

ne paient pas au juste prix leur utilisa-

tion d’énergies fossiles et de matièrespremières non-renouvelables. Ellesn’assument pas financièrement lescoûts externes liés à la pollution et à lasurexploitation des ressources. Elles nesont donc pas incitées à réduire leurrecours à ces ressources. Si on renché-rissait le coût de ces énergies fossiles,avec un prix du litre d’essence à 5francs par exemple, en internalisantces coûts externes, les entreprisesauraient tout intérêt à recourir plusfréquemment au travail humain et àembaucher davantage. La réduction du temps de travail est

aussi nécessaire. Elle peut se concevoirde multiples façons: allongement de lapériode de formation avant emploi,introduction tout au long de la vie pro-fessionnelle de congés de formation,introduction d’une forme de servicepublic, notamment dans le secteur duCare, du travail social et des soins deproximité. La mise en place d’unrevenu de base est aussi une piste àsuivre.

La croissance économique est incompatibleavec la finitude des ressources. Ne croyez-vouspas que l’on puisse continuer à produire sur labase d’énergies renouvelables?Maintenir une croissance sans borne,en dépensant des énergies fossiles et fis-siles (nucléaires) n’est pas possible. L’éo-lien, le solaire ou l’hydraulique sont desénergies renouvelables mais noninépuisables, puisqu’elles sont contin-gentées par la quantité finie d’énergieque la Terre reçoit du soleil. Les éner-gies issues des marées et géothermiquerequièrent des investissements finan-ciers et matériels (béton, acier, etc)colossaux. Ce qui renchérira leurscoûts, bien plus encore que les énergies

sales. Cette fin de l’ère de l’énergie bonmarché doit nous conduire à réduirenotre consommation d’objets et à reva-loriser le travail humain.

Dans votre livre, vous ne prônez pas la décrois-sance, mais la post-croissance. Pourquoi criti-quez-vous la première notion et en quoiconsiste la deuxième?Le grand mérite du mouvement de ladécroissance, incarné par des penseurscomme Serge Latouche ou PierreRahbi, est d’avoir mis le doigt sur lepoids de la civilisation sur l’environne-ment. Le terme de décroissance prêtecependant à confusion, car beaucoupde gens pensent que cela signifie impo-ser un appauvrissement général de lapopulation, en allant vers une crois-sance négative destructrice d’emplois. Jepréfère le terme de post-croissance, quiimplique une autre forme d’économie.Le marché ne méritant qu’uneconfiance limitée, cela impliquera derenoncer de donner carte blanche à cedernier et d’identifier les besoins réels,de les hiérarchiser et d’établir des priori-tés. Il s’agit pour les pouvoirs publics deréellement prendre en compte l’intérêtgénéral, en veillant à satisfaire lesbesoins réels des hommes vivant ensociété. Une politique économique post-croissance qui répond aux besoins de lapopulation respectera des principes debons sens. Elle devra bannir toute pres-sion à la consommation. Il ne sera plusquestion d’obsolescence programmée, nide techniques de vente intempestives.Au lieu de remplacer les objets quandils sont passés de mode, la durabilitédoit être encouragée. En matière deproduction, il conviendra de s’orientervers une économie circulaire, danslaquelle les objets en fin de vie sonttransformés en matières premières pourde nouveaux objets.

Votre parcours vous a conduit du secteur ban-caire international à une position critique surl’économie. Quel a été l’élément déclencheurde ce changement?Dans mon adolescence, j’ai été fascinépar la technologie et notamment laconquête de la lune. Les photos de notreplanète bleue transmise par les cosmo-nautes ont permis de retourner le pro-jecteur vers la terre et de montrer safragilité extrême. Ce qui m’a conduit àm’intéresser de près aux problèmes de lasurvie de son écosystème. Aujourd’hui,l’homme est en train d’outrepasser les«frontières planétaires», que ce soit parle changement climatique, la pollutionchimique, l’acidification des océans ouen diminuant l’ozone stratosphérique.La qualité environnementale constituepourtant une nécessité vitale, puisqu’ellene représente rien de moins qu’unecondition de survie de l’humanité. Touten gardant à l’esprit ce souci de l’envi-ronnement, j’ai suivi des études d’écono-mie à l’Université de Louvain en Bel-gique, qui m’ont conduit à m’orientervers le secteur bancaire, au cœur del’économie, en me donnant un pointd’observation idéal sur la société. Sur labase de ces deux intérêts, j’ai finalementdécidé en 2008 de devenir conseiller engestion durable et auteur. n

Propos recueillis par Joël Depommier

Michel Stevens. Déconstruire les mythes de lacroissance. Paris. L’Harmattan. 2016, 267 p.

«Une politique post-croissance respecterait les principes de bon sens. Il ne serait notamment plus question d’obsolescence programmée», déclare Michel Stevens. CC Curtis Palmer

Michel Stevens est économiste et conseiller environnemental. MS

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6 • INTERNATIONAL N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

La campagne de l’élection présiden-tielle a été dominée par les coupsbas évacuant la véritable confron-

tation entre projets politiques. Onpourrait continuer longtemps dedéplorer l’acharnement à atrophier ledébat démocratique auquel se sontemployés les deux finalistes de la prési-dentielle. Il vaut beaucoup mieux cher-cher à comprendre l’origine du profondmalaise dont ces échanges nauséa-bonds sont le symptôme. Principal élé-ment de réponse: les fractures socialesqui minent la société étasunienne sontde plus en plus béantes. Jamais le paysn’a été aussi inégalitaire. Et le phéno-mène frappe maintenant de plein fouetla «middle class», ces personnes aurevenu réputé moyen, qui traditionnel-lement participent au scrutin. Plusieursétudes sont formelles: leurs rémunéra-tions ont stagné ou baissé au cours desvingt dernières années.

Trump, un pur produit de l’establishmentJanet Yellen, la présidente de laRéserve fédérale, la banque centraleétasunienne – personnage peu soup-çonnable, s’il en est, de parti pris àgauche – y est allée, elle-même, de samise en garde solennelle. «80% desAméricains, quelles que soient leursaffinités politiques, voient les inégali-tés comme un problème majeur»,relève-t-elle, en mettant ouvertementcette question en relation avec le coupde froid observé en ce moment sur lacroissance aux États-Unis.

Le sentiment que le «rêve améri-cain» (la réussite professionnelle pro-mise à tous ceux qui sauraient seretrousser les manches) s’est évanouinourrit toutes les frustrations. Lesimmenses espoirs nés, il y a huit ans,au moment de l’arrivée de BarackObama à la Maison-Blanche ont étédéçus, voire contredits. L’applicationde son administration à renflouer les

mastodontes de Wall Street, princi-paux acteurs du krach de 2007-2008,puis à transférer le fardeau de la crisesur les contribuables et les travailleurs,«invités» à toujours davantage deflexibilité et à la «modération sala-riale», a creusé toujours plus les inéga-lités. C’est sur ce terreau qu’a pu pros-pérer le candidat de l’extrême droitenationaliste. Trump a pu puiser danssa panoplie de showman pour assénertoutes sortes de raccourcis binaires, sefaire passer pour l’homme providen-tiel «antisystème», capable de remettrede l’ordre dans la maison en livrantmigrants mexicains ou hommes d’af-faires chinois en boucs émissaires.Alors que le milliardaire de l’immobi-

lier est lui-même un pur produit del’establishment capitaliste local.

La souffrance sociale a débordé les vieux ghettos de pauvretéLa «mal-vie» de ces millions decitoyens qui se sont longtemps considé-rés comme membres de la classemoyenne ou aspirant à le devenir, faitirruption de toutes parts dans ce scru-tin atypique. Elle saute aux yeux quandon croise cette multitude de silhouettesobèses dans les rues des quartierspopulaires, elles qui portent leurs déses-poirs aussi difficilement que leurs corpsdéformés. Elle se traduit par cettecourse effrénée de nombreux jeunesgens obligés de cumuler deux ou trois

boulots mal payés pour se sortir la têtede l’eau ou simplement honorer lestraites de leurs emprunts d’étudiants.Paradoxe, elle alimente même l’exaspé-ration contre l’obamacare, qui vient defaire exploser de 25% le coût des primesd’assurance maladie pour les salariés lesplus modestes. La réforme était indis-pensable et elle a permis d’offrir unecouverture à des millions de citoyensjusque-là sans aucune protection contrela maladie. Seulement, l’actuel présidenta subi un tel lobbying de Wall Streetqu’il a laissé l’intégralité des manettesaux assurances privées et donc… àleurs ententes pour gonfler leurs profits.

Et si les souffrances sociales ont lar-gement débordé des vieux ghettos de

pauvreté, réservés aux Africains-Amé-ricains, elles ont pris pour ceux-là desformes encore plus aiguës. Au pointque plusieurs auteurs étasuniens évo-quent une politique de «reségrégationraciale», dont la morbide litanie demeurtres de citoyens noirs de peau pardes policiers blancs ne constitue que latraduction la plus emblématique. Leniveau de l’abstention dans ces milieux,présumés favorables aux démocrates età Hillary Clinton, a pulvérisé tous lesrecords en dépit des efforts de Baracket Michelle Obama pour mobiliser lacommunauté. Elle était l’une des clésmajeures du scrutin. n

Bruno OdentParu dans L’Humanité

Lourd malaise après la victoire de TrumpÉTATS-UNIS • Les fractures sociales qui minent la société étasunienne sont de plus en plus béantes. Jamais le pays n’a été aussi inégalitaire.

D e l’autocratie à la dictature, Recep TayyipErdogan, le président turc, semble avoirfranchi une nouvelle étape. Avec l’arresta-

tion dernièrement de 13 députés et dirigeants degauche du Parti démocratique des peuples(HDP) et 9 journalistes du quotidien d’opposi-tion Cumhuriyet, l’homme fort d’Ankara perpé-tue son entreprise de destruction d’une démo-cratie quasi en ruine. Depuis le coup d’Étatavorté du 15 juillet dernier, la liste est longue deséléments prouvant cette dérive dictatoriale: purgemassive dans l’armée et l’administrationpublique, emprisonnement de journalistes, fer-meture de médias non inféodés, guerre meur-trière menée contre le peuple kurde et notam-ment le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)en Turquie ou à l’extérieur, en Syrie et en Irak,appui direct et indirect à Daech...

Des faits qui aujourd’hui se heurtent à l’indif-férence et à l’impuissance de dirigeants occiden-taux pris au piège de leur propre politique quiporte sur deux axes: la peur des réfugiés, qui aoffert à Recep Erdogan le rôle de garde-frontièrede l’Europe, et le lien géostratégique et militaireau sein de l’Otan, qui fait de la Turquie,deuxième armée de l’Alliance atlantique, et despays européens, des alliés a priori incompatiblessur les valeurs des droits de l’homme.

Recep Tayyip Erdogan frappe, mais l’Europe nebouge pas. Ces derniers jours, alors que desimages d’une rare violence, montrant des des-centes de police dans les maisons d’élus et de diri-

geants du Parti démocratique des peuples (HDP),dont leurs coprésidents, Selahattin Demirtas etFigen Yüksekdag, nous parvenaient via Internet(en dépit de suspensions temporaires d’accès auxréseaux sociaux depuis la Turquie), les réactionsdans les chancelleries européennes ont été pour lemoins mesurées. Petit florilège: la cheffe de ladiplomatie européenne, Federica Mogherini, s’estdite «extrêmement inquiète» de la situation. ÀBerlin, le porte-parole de la chancelière AngelaMerkel a jugé ces arrestations «hautement alar-mantes», après avoir convoqué le chargé d’affairesturc. À Paris, le porte-parole du ministère desAffaires étrangères, Romain Nadal, s’est contentéd’annoncer que l’arrestation des élus HDP soule-vait «une vive préoccupation».

La rage du président Erdogan à l’égard du HDPAutant de formules de politesse qui semblentaujourd’hui terriblement éloignées d’une réalitéde jour en jour plus inquiétante. En France,quelques voix se lèvent qui rappellent l’urgencede la situation. Pour Pierre Laurent, par exemple,secrétaire national du PCF, «Erdogan piétinedepuis des années la démocratie et les droitshumains dans le silence complice de la France etde l’Union européenne. Ces arrestations anéan-tissent l’État de droit qui pouvait encore exister etmusellent l’opposition démocratique».

Les militants kurdes et les journalistes duquotidien Cumhuriyet, proches des kémalistesdu CHP (le Parti républicain du peuple), sont

aujourd’hui les premières victimes de cette vaste«opération antiterroriste», alors même que leHDP et le reste de l’opposition avaient, en juillet,condamné la tentative de putsch.

La rage du président Erdogan à l’égard du HDPprend racine après que ce petit parti mélange deforces laïques de gauche et d’anciennes formationskurdes a fait son entrée au Parlement, en 2015.Lors des deux dernières législatives, le partienvoyait 80, puis 59 députés au Parlement, freinantde fait le leader de l’AKP (Parti de la justice et dudéveloppement) dans sa marche en avant versl’adoption d’une constitution lui donnant les pleinspouvoirs. Un crime de lèse-majesté que le dirigeantislamo-conservateur a pris comme un défi à sonautorité. Après des mois de répression, de menaces,de descentes de police et de casse dans les bureauxdu HDP, le gouvernement fera voter par le Parle-ment, en mai 2016, la levée de l’immunité parle-mentaire. Cette disposition cible principalementles députés du HDP, pour la plupart accusés par lajustice de complicité avec le PKK, les rendantdepuis lors convocables à toute heure devant destribunaux inféodés au pouvoir. Avec les récentesarrestations sommaires, «une nouvelle étape dansl’établissement de la dictature a été franchie»,résume Pierre Laurent. Dictature. Le mot n’est pasusurpé. Le président turc s’en cache à peine. Le 31décembre 2015, dans un discours télévisé, RecepTayyip Erdogan expliquait ainsi: «Dans un systèmeunitaire (comme la Turquie), un système présiden-tiel peut parfaitement exister. Il y a actuellement

des exemples dans le monde et aussi dans l’histoire.Vous en verrez l’exemple dans l’Allemagne d’Hit-ler.» Des mots inquiétants qui auraient dû faireréagir de Bruxelles à Berlin en passant par Paris.Mais c’était compter sans la situation migratoireaux portes d’une Europe gangrenée par une xéno-phobie de plus en plus forte.

Le piège turc se referme Au printemps dernier, sous la pression des droiteset extrêmes droites européennes, les représentantsde Bruxelles signent des deux mains un accordsur les migrants, offrant de fait au régime isla-miste d’Erdogan un rôle inespéré de garde-fron-tières de l’Europe. En échange de quoi, l’Unioneuropéenne lui promet un triple cadeau: larelance du processus d’adhésion de la Turquie àl’Union européenne, la suppression des visas pourles Turcs venant en Europe et, cerise sur le gâteau,6 milliards d’euros pour s’occuper de réfugiés!

Six mois plus tard, le constat est sans appel: lepiège turc se referme sur une Union européennequi voit la démocratie mourir jour après jour surles rives du Bosphore. La mollesse des réactionsen Europe est à la hauteur de la violence d’Étatqui règne en Turquie. La peur des réfugiés l’em-porte, empêchant, contre toute raison et à l’en-contre même des valeurs d’accueil qui présidentà sa propre histoire, l’Union européenne d’agir etde réfléchir. n

Stéphane AubouardParu dans l’Humanité

Le silence coupable de l’Europe face à la dictature d’ErdoganTURQUIE • L’arrestation récente de onze élus et dirigeants du Parti démocratique des peuples (HDP), dont leurs coprésidents, SelahattinDemirtas et Figen Yüksekdag, montre une dérive dictatoriale du régime turc. L’Europe, l’ONU et les États-Unis ne réagissent guère.

La «mal-vie» de millions de citoyens américains, qui se sont longtemps considérés comme membres de la classe moyenne ou aspirant à le devenir, a fait irruption dans ce scrutin atypique. CC Gage Skidmore

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CULTURE • 7N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

O n connaît l’histoire des «mal-gré nous», ces 134’000 Alsa-ciens et Mosellans appelés par

la Wehrmacht entre 1942 et 1945,dont environ 24’000 moururent surle front est et 16’000 en captivitésoviétique ou yougoslave. Après laguerre, ils furent rapidement recon-nus comme des victimes du nazismeet réhabilités au nom de l’unité natio-nale française. Restait le problèmedes engagés volontaires et des parti-cipants à des crimes de guerre,comme le massacre d’Oradour-sur-Glâne en juin 1944, où 14 Alsaciensservaient dans la division SS-DasReich. Ils furent lourdementcondamnés au terme du procès deBordeaux en 1953, ce qui suscita l’in-dignation en Alsace, puis immédiate-ment amnistiés, ce qui à son tourprovoqua la colère dans le Limousin!Les Alsaciens furent longtempsconsidérés globalement com-me descollabos. Or, leur situation était beau-coup plus complexe.

Le risque de subjectivité des témoignagesSait-on que quelque 15’000 femmes –longtemps les oubliées de l’Histoire –furent également enrôlées de forcedans le service du travail en Alle-magne ou même dans la Wehrmacht?L’appellation de «malgré elles» leur aété donnée par un téléfilm en 2015.Un roman vient de leur être consacré,écrit par Michel Turk, un magistratné en 1952 à Soultz en Alsace, où sedéroule une partie du livre. Certes,celui-ci n’est pas un chef-d’œuvre litté-raire. Il comprend quelques mal-adresses et lourdeurs de style. Mais ila le mérite de retracer de manièrecrédible et vivante une page d’histoireméconnue.

Deux types de chapitres se dérou-lent en alternance. Dans les uns, quise situent en 2013, le journaliste Max

Valbec enquête sur les «malgré elles»en vue d’une série d’articles. Il achoisi une personne emblématique,représentative de ces femmes enrô-lées de force, Marie-Louise Sutter,qui aurait vécu entre 1923 et 1965. Ilmène une recherche sur elle, et demanière plus générale sur la situationde l’Alsace pendant la guerre, faisantpart de ses découvertes à son épouseHélène, médecin en gériatrie, puis àses lecteurs. Il recourt notamment autémoignage de Jeanne, une vieilledame en maison de retraite, qui futl’amie de Marie-Louise. L’auteur pose

avec pertinence le problème de l’his-toire orale, que nous connaissonsbien pour l’avoir beaucoup pratiquée:un témoignage, c’est toujours unevision partielle et subjective des évé-nements, de surcroît modifiée et sou-vent embellie avec le temps qui s’estdéroulé entre les faits et la relation deceux-ci. Peu à peu, Max va rassem-bler les pièces du puzzle, qui garderacependant quelques cases vides.

Des profils contrastésLes autres chapitres relatent l’histoirede Marie-Louise avant, pendant et

après la guerre. Le sort de ces «malgréelles» - en excluant celles qui furentvolontaires et donc collaboratrices durégime nazi – est ambigu. Elles nesubirent pas véritablement la «dépor-tation», mais furent parquées dansdes camps d’entraînement, victimesde la suspicion des militaires alle-mands et de la Gestapo envers cesAlsaciennes qui restaient souventfrançaises de cœur et étaient considé-rées, à cause de leur dialecte, commedes Germaines de rang inférieur.Marie-Louise travaille dans unefabrique, puis subit un entraînement

militaire dans la Flak (la DCA alle-mande), avant de servir comme aide-infirmière à l’hôpital de Göppingendans les mois qui précèdent l’effon-drement du Reich. Elle se lie d’uneprofonde amitié avec Ingrid, médecinallemande antinazie. Par là, MichelTurk veut nous montrer qu’il y eutdes Allemands dignes comme il y eutdes Alsaciens gagnés par l’hitlérisme.Sur le destin de Marie-Louise segreffe aussi celui de Jean, soldatenrôlé dans la Wehrmacht et blessésur le front russe. Il faut savoir que ladésertion des «malgré nous» étaitrendue très difficile par les lourdesreprésailles exercées sur les famillesde ces soldats considérés commefélons.

L’auteur, de façon certes parfois unpeu artificielle, a voulu lier le passé auprésent. Il établit des parallèles entrel’intolérance du régime totalitaire naziet d’autres situations, tel le massacrede milliers d’Algériens commis à Sétifen mai 1945 par l’armée française,alors même que la Métropole fêtait lachute du nazisme! Ces réflexions –qui prennent place notamment dansles discussions entre Max et Hélène –témoignent en tout cas de son amourde la paix et de la liberté.

Nous ne dévoilerons pas ici lesrebondissements qui donnent vie auroman. Celui-ci présente surtout l’in-térêt de donner une image nuancéede l’Alsace et de l’attitude de ses habi-tants pendant le conflit. Cette Alsacequi changea cinq fois de nationalité:au 17e siècle lorsqu’elle fut conquisepar Louis XIV sur le Saint-Empireromain germanique, en 1871 après ladéfaite face à la Prusse, en 1918 lors-qu’elle fut reprise par la France, en1940 après la Débâcle et en 1945 à laLibération… n

Pierre JeanneretMichel Turk, La vie «malgré elle» de Marie-Louise Sutter, Bière, Cabédita, 2016, 270 p.

Un roman retrace l’histoire des «malgré elles» alsaciennesLIVRE • Des femmes de l’Alsace et de la Moselle rattachées au Reich hitlérien furent enrôlées de force dans le service du travail et la Wehrmacht. L’écrivain Michel Turk revient sur cette réalité méconnue.

Colonne de forces allemandes dans les rues de Paris.

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CULTURE • 8N° 46 • 11 NOVEMBRE 2016

Samedi 5 novembre à la Maisondu Peuple, un vibrant hommagea été rendu à François Maspero

(1932-2015), libraire, éditeur, traduc-teur, écrivain. Ont participé à cettetable ronde des militant-e-s qui l’ontbien connu: le journaliste Edwy Plenel,ancien rédacteur du Monde et fonda-teur du site Internet Mediapart, NilsAndersson (voir aussi notre édition du28 octobre), Annie Morvan, des Edi-tions du Seuil, ainsi que l’universitaireJulien Hage, spécialiste du livre. Onnotait aussi la présence dans la salle denotre camarade Jean Mayerat et duréalisateur TV André Gazut, qui parti-cipèrent activement à la lutte pour l’in-dépendance algérienne. Maspero,«homme livre homme libre», a été surle plan politique l’«éducateur de touteune génération». Très marqué par la

mort de son père en déportation àBuchenwald, alors que sa mère reve-nait brisée de Ravensbrück, et par lamort de son frère dans les combats dela Libération, toute sa vie il dit NON:non à la torture en Algérie, non aucolonialisme, non à toutes les oppres-sions. En cela il reste un exemple pournous. Il a montré que, même trèsminoritaire, il ne faut pas renoncer à sebattre. Il fut aussi un grand traducteur,surtout de l’espagnol. Et un écrivain devaleur, dont plusieurs œuvres, commeLe sourire du chat, sont profondémentautobiographiques, mais avec l’extrêmepudeur qui caractérisait l’homme.

Une exposition sur Maspero éditeurCette rencontre accompagnait l’inté-ressante exposition François Maspero etles paysages humains, qui se tient à la

Galerie Humus de Lausanne. Créée en2009 à Lyon, itinérante, elle est mon-trée pour la première fois en Suisse. Degrands panneaux explicatifs présententles phases et les thèmes de l’activité deMaspero éditeur. Ses publications surla «sale guerre» d’Algérie eurent ungrand retentissement, de même quecelles sur le Vietnam, avec notammentdes textes de Hô Chi Minh et du géné-ral Giap. Signalons aussi les ouvragessur la Palestine et le livre-choc deNathan Weinstock, Le sionisme contreIsraël. Il y eut encore les revues révolu-tionnaires et internationalistes Parti-sans, Tricontinental, L’Alternative, quivalut à l’éditeur de nombreusescondamnations. Maspero publia aussisur l’Amérique latine, avec par exemplele Journal de Bolivie de Che Guevara, etsur l’Europe de l’Est en révolte contre

l’oppression communiste. Il ne dédai-gna pas les luttes environnementales etpour la santé, comme la condamna-tion, dès 1977, de l’usage de l’amiante,un combat qui eut son pendant enSuisse. Tout cela est montré par denombreux livres, des photographies,des lettres, des dessins de Siné, et unfilm (visible sur demande) réalisé peuavant sa mort avec François Masperoainsi que celles et ceux qui l’ont côtoyé.

Souvenir ou éclairage historiqueAvec pertinence, on a associé à cetteexposition principale quelquesvitrines sur La Cité Diffuseur de NilsAndersson, qui a répercuté en Suissel’impact des livres publiés par Mas-pero, notamment sur la guerre d’Al-gérie. Quant aux Editions d’en bas,qui fêtent leurs 40 ans, elles s’inscri-

vent dans la même démarche de cri-tique sociale. Il était donc légitime deleur faire une large place: on trouveraexposés tous les livres publiés parelles depuis leur création en 1976 parle regretté Michel Glardon, puis sonsuccesseur Jean Richard.

Pour les seniors parmi nos lec-teurs, cette exposition sera un rappeld’événements qu’ils ont connus ouauxquels ils ont participé. Pour lajeune génération, elle sera un éclai-rage historique indispensable sur lesluttes passées, terreau fertile danslequel s’inscrivent nos combatsactuels. n

Pierre Jeanneret

Poétiques de la résistance, exposition à laGalerie Humus, rue des Terreaux 18 bis,Lausanne, aux heures d’ouverture de laLibrairie (9-19 h.), jusqu’au 26 novembre.

Une exposition est consacrée à Lausanne à trois éditeurs de combatEXPOSITION • La Galerie Humus, à Lausanne, ouvre ses espaces aux Editions Maspero, à La Cité Diffuseur et aux Editions d’en bas. Le 5 novembre dernier un vibrant hommage a été rendu à François Maspero.

Les Dakh Daughters, cabaret punk et théâtralMUSIQUE • Les multinstrumentistes, chanteuses et comédiennes Dakh Daughters mêlent post-punk, rock électro, musiques du monde etfolklores revisités à des textes abordant des réalités crues disant l’humaine condition en Ukraine. A découvrir aux Créatives, à Genève.

V oilà l’une des seules formationsartistiques issue de l’Ukrainepartitionnée, en conflit et plon-

gée dans une grave crise économiqueet sociale. Les Dakh Daughters jouentenfin en Suisse romande dans le cadredu 12e Festival Les Créatives qui metla création féminine à l’honneur.Découvert à l’été 2015 au Festival offd’Avignon, le septuor évoque demanière tour à tour naturaliste, allu-sive et poétique la situation faite auxfemmes, de l’étudiante prostituée –Paris libre sur une poésie de l’auteurerusse Maria Vega, chanson écrite dansles années 50 à Paris –, à la paysanneoubliée (Ganousya) Mais aussi ellesont réussi une fusion bien plusaccomplie que les Raincoats ou lesSlits à la fin des 70’ et début des 80’,groupes londoniens de punk-rock etmusique expérimentale fascinés par lereggae jamaïcain et les musiques afri-caines. Musicalement, le groupe sepermet toutes les audaces. Commemélanger un air occitan en langue ori-ginale du 13e s., Ai Vis Lo Lo, à leurcomposition en français, Sept verres.

Révélateur des préoccupations descouches populairesInspiré par le texte du journaliste IllyaKalyukine rapportant le témoignaged’une vieille dame des Carpates,Ganousya y devient un hymne rythmépar les battements d’une grosse caissebrechtienne. La composition met enexergue les souffrances silencieusessubies par une oubliée de la sociétédans les plis d’un fatalisme qui s’accom-mode d’une croyance en la sauvegardedivine. On y entend: «Je touche uneretraite, elle est minuscule, mais enfin,ça va pour moi… Gloire à Jésus Christ,je vis un malheur, non mais vraiment,comment survivre, comment y arriver.»Des membres du groupe endossent, untemps sur scène, des costumes prochesde la culture des Houtsouls, ethnieukrainienne des Carpates, symbole dela résistance armée contre les totalita-rismes, la Hongrie fasciste de Horthy,l’occupant nazi puis les Soviétiques quiannexèrent leur région en mai 1945. Derrière la fantaisie et l’ambiance caba-ret, on découvre ainsi une démarcheartistique en forme de révélateur despréoccupations des couches populaires

et de leurs réalités. Non sans distanceironique, les Dakh Daughters contentdes histoires désenchantées. Un quoti-dien où la poésie semble taillée à lahache, avec une gestion des chœursévoquant Fatima Mansour, Carla Blayet Diamanda Galas.

Dans la lignée du cabaret burlesqueAu fil de leur set, on relève des textesdus à Taras Chevtchenko, le poètehumaniste et romantique de la nationukrainienne ou Bukowski avec Oh Godtiré du poème désespéré et amoureux,Freedom. Mais aussi Vizmy (Prends),sur l’exil et les déplacements forcés depopulations signée par le poète et écri-vain ukrainien Sergiy Zhadan. On ychante: Prends du pain et deslégumes,/puis il faut s’en aller./On nereviendra plus jamais ici./On ne reverraplus jamais nos cités… Un silence demort, des bruits du commandant, deslistes de morts, imprimées autoritaire-ment,/ Le temps manque pour lire ceslistes sans fin/Pour y chercher tous lesmatins/Mon nom. »

Dans la lignée des premiers concertsde Laibach, du cabaret burlesque, dumélodrame mimographique proche dela comédie musicale Cats et du théâtred’agit-prop, les jeunes femmes fontmontre d’une précision époustouflanteet la maîtrise absolue de leur show. Lacolonne sonore imagine des sonoritésmétissées entre folklore revisité, électrodark wave et lyrisme discret avec ins-truments à cordes parfois astucieuse-ment détourné. C’est enfin un véritablejeu théâtralisé, qui donne à leurmusique puissante une dimension scé-nique graphique, politique et chorégra-phique impressionnante.

Musicalement, on peut situer lesDakh Daughters quelque part entre P.J.Harvey, Erika Stucki, Stephen Eicher,Nosfell, Björk Nina Hagen ou LaurieAnderson, Magma ou encoreGong.Mais c’est à Björk que l’on pensesouvent. Orchestrations de cordessobres et savantes, parfois troublées pardes rythmiques électroniques souter-raines ou percussions lancinantes. Desconstructions musicales élémentaires et

inédites se ramifiant en sons sublimi-naux, papillonnements de détails essen-tiels à cette tension sourde qui traverseleur répertoire. C’est leur nature, leurmagie: la métamorphose d’émotions etvécus très intimes, normaux ouextrêmes en musique théâtralisée para-normale.

Baroque et théâtralisé«L’Ukraine écrivait déjà Voltaire, a tou-jours aspiré à être libre». Doit-on payerpour la Liberté ? Et si oui quel est sonprix? La fin du concert-cabaret desDakh Daughters se scelle sur la visiondu drapeau bleu et jaune ukrainienqu’elles dressent devant leur groupe. Unacte scénique pouvant rappeler queselon l’ONG de défense des droitshumains, Mémorial, violences, enlève-ments et meurtres ont eu lieu enUkraine pour le simple fait sur soi undrapeau national ou parler la langueukrainienne. Or pour les Dakh Daugh-ters, «ce drapeau n’est pas celui d’unerévolution dévoyée par les oligarquescorrompus, mais le symbole d’une

nation qui a ses prophètes, dont le poèteTaras Chevtchenko (1814-1861). Lesouvenir de ce dernier est un appel àl’insurrection au nom du droit despeuples à disposer d’eux-mêmes face àl’impérialisme russe et la nomenkalturaoligarchique», précisent en entretienRuslana Khazipova, Ganna Nikityuk etTetyana Hawrylyuk. La lutte contre lacorruption, elle, semble toujours aussiproblématique dans leur pays d’origine,alors que l’ancien président réformateurgéorgien Mikhaïl Saakachvili, gouver-neur depuis un an et demi de la régionukrainienne d’Odessa, a annoncé lundi7 novembre dernier, sa démission. Ildénonce des entraves à la lutte qu’ilmenait contre la corruption et a fustigéles autorités ukrainiennes en général etle président Petro Porochenko en parti-culier. n

Bertrand Tappolet

Dakh Daughters. Festival Les Créatives, 12novembre à 21h30, Salle communale d’Onex.www.lescreatives.ch»www.lescreatives.ch Des vidéos du groupe en concert intégralsont sur youtube.

Des constructions musicales élémentaires et inédites se ramifiant en sons subliminaux caractérisent le répertoire des Dakh Daughters, qu’on peut situer quelque part entre P.J. Harvey, Björk et Nina Hagen. Maxim Dondyuk