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5/14/2018 Twitterau Tribunal menace la sérénité des débats - slidepdf.com

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D

ciable, cette personnalité est tout autant mise en danger parune retransmission en direct desdébats judiciaires?Sébastien Fanti:   Je pense pour

ma part que les justiciables, toutcomme le public en général, doi-vent pouvoir comprendre commentfonctionne le système judiciaire etqu’une certaine transparence doitêtre assurée. Le tweet est un moin-dre mal, c’est un message bref, syn-thétique de 140 caractères qui doitêtre véridique. S’il est le fait de jour-nalistes, le Conseil suisse de la pressepeut sanctionner la mauvaise trans-cription de débats judiciaires,comme il l’a d’ailleurs fait au coursdes derniers mois. Il faut néan-moins instaurer certains garde-fousà cette pratique, comme établir unrèglement cantonal définissant cequi est toléré dans les tribunaux. Les

 journalistes doivent solliciter l’auto-risation de s’y livrer et le juge pou-voir, le cas échéant, sanctionnerceux qui ne respectent pas les règles.Bastien Sandoz: D’un côté, il estvrai que le public pourrait se faireune meilleure idée de la manièredont la justice se déroule. Mais jene suis pas persuadé que cela in-duirait un meilleur contrôle de la

régularité de la procédure, quipeut déjà faire l’objet de critiquesactuellement. La différence, c’estl’immédiateté qui, aujourd’hui,n’existe pas. Les gens se senti-

raient-ils mieux informés s’ilsl’étaient en direct ? Je n’en suis pascertain. Tout l’art du chroniqueur

  judiciaire est de traduire en lan-gage plus compréhensible les spé-cificités de la procédure, tout endonnant le contexte et en préci-sant les conséquences qui peuventen découler lors du jugement. Letweet n’offre rien de tout cela.

Plaidoyer: Dans la même ligne,ne serait-il pas souhaitabled’ouvrir plus de grands procèsactuels à la diffusion télévisée?Sébastien Fanti: J’y suis favorabledans certains cas, lorsqu’il s’agit depersonnalités publiques commedans l’affaire Naef, lors de procèsposant de nouvelles questions deprincipe et présentant un intérêtpublic important, comme l’affaireFC Sion/UEFA, ou encore des af-faires dont l’exposé peut avoir uneffet préventif, à l’instar de celledes arnaques au téléphone. J’ai-merais qu’on donne aussi plusd’audience télévisuelle aux magis-

trats, car l’information dans cedomaine fait encore défaut. Cettediffusion pourrait se faire avecl’accord des juges, par exemplelors de la lecture du jugement (ce

qui ne risque plus de troubler lesdébats). Une certaine remise enquestion de la justice devrait êtrepossible pour s’adapter aux nou-velles contraintes du journalisme.

Plaidoyer: Bastien Sandoz, querépondez-vous au président duConseil suisse de la presse, Do-minique von Burg, qui ne sou-haite aucune restriction à la pratique du tweet au tribunal(délits sexuels impliquant desenfants mis à part), au motif que «le procès public est unprincipe démocratique essen-tiel»?Bastien Sandoz: Même si je re-connais pleinement l’importancedu principe de publicité de l’au-dience, il y a des raisons pratiquesqui justifient qu’on renonce autweet durant son déroulement.Par exemple, lorsqu’une partie duprocès doit rester secrète, car lestémoins ont des versions contra-dictoires sur un même état de faitet qu’ils doivent ignorer ce qui se

«Les commentaires rédigésen direct exercent une pression gênante

sur les acteurs du procès»Bastien Sandoz

 

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41 ans,est un avocat e

basé à Sion (VS),spécia

dans le droit des nouve

technologies.Il est en o

chargé d’enseignementdu SAWI,Centre de form

des professionnels en m

ting et en communicati

Lausanne.Il est l’auteu

article intitulé «De l’utili

de Twitter lors des audi

publiques des tribunaux

dans medialex 1/2011

25.2.2011.

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32 ans,est juge au Trib

régional du Littoral et d

de-Travers à Neuchâtel

2010.A ce titre, il avait

des chroniqueurs judicia

qui tweetaient lors de l’

dience statuant sur la m

faillite du club de footba

 Xamax.Auparavant, il a

stage d’avocat dans un

neuchâteloise.Il est l’au

de publications portant

nouvelles procédures ci

et pénale.

DÉBAT

Plaidoyer: On a l’impressionque la justice a été prise de vi-tesse par l’utilisation de médiassociaux, tel Twitter, au tribunal,en ce sens qu’on n’avait pas

pensé à la possibilité de trans-mettre en direct, par de courtsmessages, les débats judiciairessur internet?Bastien Sandoz: Le 25 octobre2011, j’ai été pris de court lors del’audience du Tribunal civil deNeuchâtel devant statuer sur la de-mande de mise en faillite du clubNeuchâtel Xamax. Ma greffière m’aalerté en me montrant que les ques-tions et les réponses faites au tribu-nal étaient directement retranscri-tes sur Twitter. Ni mes collègues nimoi-même n’avions jusqu’alors dis-cuté de l’attitude à adopter dans untel cas. Lorsqu’une audience ac-cueille les médias, comme c’était lecas, je les avertis de l’interdictiond’enregistrer du son ou de l’imagedurant les débats, quitte à ce que latélévision fasse un plan large de lasalle avant le début du procès. J’aiassimilé ce tweet en direct à l’enre-gistrement de son et d’image, l’au-dience a été interrompue et j’ai priéces journalistes de sortir. J’ai eul’impression que le rapport de

confiance était brisé entre eux etmoi, car ils ne m’avaient pas de-mandé préalablement l’autorisationde retransmettre ainsi les débats.L’avocat de Xamax a demandé

qu’une dénonciation pénale soitfaite, mais, après concertation avecle Ministère public, nous sommesconvenus qu’il n’y avait pas motif àpoursuivre ce comportement.Il en serait allé autrement si j’avaisd’emblée clairement interdit lestweets, en vertu de mes compéten-ces de police de l’audience. Dansun tel cas, le nouveau Code deprocédure civile permet de fixerdes amendes disciplinaires.Sébastien Fanti: Mais nous aussi,les avocats, nous avons été pris devitesse par ces nouvelles technolo-gies! Je suppose également quecertains clients enregistrent desaudiences à notre insu, par exem-ple en appelant un ami avec leurportable et en le chargeant d’effec-tuer cet enregistrement. S’agissantde l’utilisation des médias sociaux,il faut instaurer des garde-fousqui, aujourd’hui, n’existent pasencore. Par exemple, en se don-nant les moyens de faire respecterla police de l’audience (l’interdic-tion doit valoir pour tous les twee-

teurs, sans exception), ou enfixant des exigences quant à la ri-gueur intellectuelle de ceux quiveulent exercer cette transparencetotale (autoriser, par exemple, les

seuls choniqueurs judiciaires àfaire de tels commentaires) et enne tolérant pas les avis suscepti-bles de troubler les débats, tels «le

 juge ne tient plus l’audience»…

Plaidoyer: Si le nouveau Codede procédure pénale n’en parlepas et se limite à interdire touteprise de vue et de son au coursd’une audience, peut-on inter-préter extensivement cette dis-position et inclure le tweet parmi les méthodes prohibées?Bastien Sandoz: C’est le raison-nement que j’ai suivi. Si l’interdic-tion est formulée par le juge audébut du procès, cela ne fait-il paspartie des règles qu’il fixe en vertude son pouvoir de régler la policede l’audience? Il serait bien sûrplus simple que le code le dise ex-pressément.

Plaidoyer: Sébastien Fanti, nepensez-vous pas que, si le but decette disposition est la protec-tion de la personnalité du justi-

«Twitter au tribunal menace la sérénité des débats»

«C’est un moindre mal qui garantitla transparence du fonctionnement judiciaire»Sébastien Fanti

 

La retransmissionen direct des débats judiciaires sur internetgarantit une nouvelletransparence de la justice, mais comporteaussi le risque detroubler son fonction-nement. Débat entreun juge ayant interditcette pratiqueet un avocat qui y estfavorable, pour peuqu’elle soit encadrée.

   P   h  o   t  o  s  :   M  a  r   t   i  n  e   D  u   t  r  u   i   t

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passe dans la salle d’audience. Onpeut bien sûr imaginer confisquerles portables des témoins et les in-terdire dans la salle pour éviterque certaines déclarations ne doi-vent être écartées, le témoin ayantsuivi toute l’audience sur soniPhone. Mais, dans un tribunalrégional tel que le nôtre, nousn’avons pas le personnel nécessairepour faire ces fouilles. Il faut rap-peler que l’art. 6 CEDH, qui ga-

rantit le procès équitable, met deslimites à ce même principe de pu-blicité, telle la sérénité des débats

 judiciaires. Si une salle de justiceest trop pleine, nous devons aussimettre des limites au principe depublicité, en n’accueillant pas toutle public. Les procès ne peuvent sefaire dans un stade de foot. Or lapression exercée en direct sur tousles acteurs du procès, du fait descommentaires rédigés sur le tweet,transforme les audiences en stadesde foot virtuels!

Plaidoyer: Sébastien Fanti, vousne pouvez nier que ces pratiquesposent certains problèmes à la  justice?Sébastien Fanti: On ne pourra ja-mais empêcher qu’il y ait des gensqui trichent et tweetent, alors quec’est interdit. J’ai cependant l’im-pression que, dans l’affaire Lége-ret, le problème consiste plus dansles interviews préalables à l’au-dience auxquelles s’est livré un té-moin avant que ne se forge la vé-

rité judiciaire – et qui l’ont enquelque sorte parasitée – que dansles commentaires en direct qui ontété faits. Dans des affaires aussimédiatiques, il est important quel’autorité judiciaire tout comme leprocureur puissent tenir uneconférence de presse pour expli-quer leur position. Plutôt que de

tweeter, il faut prendre le temps dela réflexion pour ne pas risquerl’incompréhension populaire.

Plaidoyer: A ce jour, le Tribu-nal fédéral n’a jamais tranché la question de la licéité du tweet  judiciaire. Tout au plus l’adjoint de son secrétaire général a-t-ilindiqué que la question de sa-  voir si l’on pouvait tweeter aucours d’une délibération publi-que de la Haute Cour n’était   jusqu’ici pas explicitement ré-glée. L’interdiction des prises deson et d’image durant les déli-bérations et les audiences de ju-gement (art. 62 RTF) et la né-

cessité de ne pas troubler la sécurité et la sérénité des débats(art. 59 II LTF) définissent seu-les le cadre légal. Dès lors, lestéléphones mobiles et les ordi-nateurs utilisés pour rédiger untexte sont tolérés, pour peuqu’ils ne troublent pas l’au-dience. Et donc, théoriquement,le tweet également. Lors de l’af-faire Logistep, certains juges fé-déraux vous ont signalé leurdésaccord avec ce point de vue,Monsieur Fanti…Sébastien Fanti: Seul un juge dela Ire Cour de droit public du TFm’a affirmé qu’il ne partageait pasla position du secrétariat général.Il était d’avis que les juges fédé-raux se disputent parfois intensé-ment lors des délibérations publi-ques et qu’il ne souhaitait pas queces propos se retrouvent sur Twit-ter… Il était soucieux de conser-ver la dignité de la fonction de

  juge fédéral. Il est vrai que cetteactivité exige une certaine respon-sabilité de celui qui tweete… Que

penser de l’avocat français signantdes commentaires sous le pseudo-nyme de Maître Eolas, et quiposte en direct des phrases tellesque «je m’embête alors que le jugeest incapable de poser ses ques-tions?»Bastien Sandoz: Un magistrat nepeut plus mener son audience se-

reinement dans ces conditions!Les parties ont des tours de pa-role, et on en perturbe le déroule-ment par des critiques faites en di-rect par n’importe quel quidam…Plaidoyer: Aux Etats-Unis, des  juges ont rendu des décisionstotalement divergentes sur la nécessité d’interdire le commen-taire direct de l’audience surtwitter. En décembre dernier, la Haute Cour de justice britanni-que a, quant à elle, autorisécette pratique, sous réservequ’elle ne nuise pas à une bonnemarche de la justice. Faut-il lé-giférer pour supprimer le flou juridique actuel?

Bastien Sandoz: Il serait bon defaire un règlement de juridictionsur le plan cantonal informant les

 journalistes de ce qui est admissi-ble. Maintenant, il est aussi possi-ble de régler cette question dansle cadre de la police de l’audience,en se mettant d’accord sur lespoints qui seront médiatisés,comme la lecture de jugement.L’important pour moi est de nepas être placé devant le fait ac-compli.Sébastien Fanti: Les magistratsdevront s’adapter, car le tweet estun outil de travail comme un au-tre. En Grande-Bretagne, on noti-fie déjà certaines ordonnances pé-nales par Twitter… Ce n’estcependant pas un outil sans ris-que, également à long terme:comment parler d’un efficacedroit à l’oubli si ce contenu sub-siste sur l’internet et qu’on n’aplus la maîtrise de cette informa-tion? C’est un risque auquel il fautaussi penser.

Propos recueillis par Sylvie Fischer