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IUFM Ŕ Midi-Pyrénées septembre 2009

RECHERCHE-FORMATION

« Enseigner le fait colonial »

Rapport final

Équipe

Anne DEVLAEMINCK, professeur certifié de Lettres modernes, collège Toulouse-Lautrec, Toulouse.

Sophie DULUCQ, Professeur d’Histoire contemporaine, Université de Toulouse-le Mirail.

Jean-Louis DONNADIEU, professeur agrégé d’Histoire-géographie, lycée Pardaillan, Auch.

Jérôme GIRARD, professeur certifié d’Histoire, lycée Ozenne, Toulouse.

Bernard MEYER, professeur certifié de Philosophie, lycée Toulouse-Lautrec, Toulouse.

Marie POLDERMAN, professeur-documentaliste certifiée, collège Lamartine, Toulouse.

Colette ZYTNICKI, Maître de conférences HDR en Histoire contemporaine, Université de Toulouse-le

Mirail (qui a apporté son concours régulier et bénévole).

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SOMMAIRE

I. Présentation générale 4

II. Démarche 7

III. Repères 9

Une enquête auprès des enseignants de l’Académie 9

Les questions coloniales dans les programmes 14

Bilan historiographique 18

IV. Pistes de travail 28

Dossiers documentaires 28

Dossier 1 : Économie et société dans les empires coloniaux 30

1. Ensemble documentaire sur l’apport de l’archéologie à l’histoire de l’esclavage 31

2. Ensemble documentaire sur la vie quotidienne dans les plantations

de Saint-Domingue au XVIIIe siècle 34

3. Le travail forcé en Afrique Équatoriale française autour de 1910 51

4. Les corvées en Indochine dans l’entre-deux-guerres 55

5. Les formes de la domination : Les paysages ruraux de l’Afrique du Nord colonisée 62

Dossier 2 : Séquence Lettres-Histoire : Au cœur d’une plantation sucrière 63

Dossier 3 : Faire régner l’ordre colonial 97

1. Conquête et « pacification » : Le journal d’un officier français (1898) 98

2. Le régime de l’indigénat en AOF au début du XXe siècle 101

3. Ensemble documentaire : Le bagne de Poulo Condore en Indochine 104

Dossier 4 : Contester l’ordre colonial 122 1. Ensemble documentaire sur la critique philosophique de l’esclavage : esclavage,

droits de l’homme et dignité humaine 123

2. Ensemble documentaire sur les formes de résistance à l’esclavage :

Exemples en Guyane française et hollandaise (XVIIe siècle – XVIII

e siècles) 143

3. La dénonciation des recrutements forcés en Indochine pendant la 1re

Guerre mondiale 151

4. Les abus d’un administrateur en Indochine 158

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5. Discours de Messali Hadj en février 1927 162

6. Les revendications d’une délégation du Destour tunisien en 1920 165

Dossier 5 : Vivre aux colonies : la complexité des dynamiques sociales 168

1. Ensemble documentaire sur Suzanne Amomba Paillé, une esclave affranchie 169 de Guyane (1

re moitié du XVIII

e siècle)

2. Lettre du comte de Noé à Toussaint Louverture (1799) 175

3. La location d’un esclave par un « libre de couleur » (1778) 178

4. École coloniale et mutations sociales en A.O.F. au début du XXe siècle 180

Dossier 6 : Femmes, métis, métissages 183

1. Ensemble documentaire : une famille métissée dans la Guyane Du XVIIe siècle 184

2. La condition des femmes en Indochine 188

3. Entretien avec une sage-femme gabonaise formée à l’époque coloniale 191

4. Séquence Lettres : Autour de la nouvelle Les jeunes filles de la colonie de

Leïla Sebbar in Une enfance outremer (Points virgule) 194

5. Séquence de Lettres (6 séances) Groupement de textes de Kim Lefèvre 197

Dossier 7 : Expositions coloniales et cultures impériales 203

1. Un baptême au « Village noir » : carte postale de l’Exposition

de Toulouse de 1908 204

2. « L’exposition coloniale de 1931. Cartographie de l’imaginaire colonial » 208

3. Menu gastronomique de la Société de géographie de Toulouse (1903) 209

4. Universalité de la culture, critique de l'ethnocentrisme 211

Stages de formation 220

V. Outils 221

Bibliographie & filmographie 221

Sitographie 232

Conclusion & Perspectives 253

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ENSEIGNER LE FAIT COLONIAL

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Pourquoi une recherche-formation centrée sur l’enseignement du fait colonial nous a-t-elle

semblé, il y a trois ans, constituer une démarche pertinente ? Pourquoi s’intéresser spécifiquement à

l’enseignement du passé colonial, élément somme toute mineur dans la profusion des programmes

d’histoire-géographie des collèges et lycées ? Et pourquoi, lors de la constitution de notre groupe en

septembre 2006, réunir les forces d’enseignants d’histoire-géographie, mais aussi de lettres et de

philosophie ? C’est qu’il apparaît que l’enseignement du fait colonial n’est pas, à l’heure actuelle,

tout à fait un enseignement comme les autres. Il appartient à cette catégorie un peu floue des

« questions sensibles » sur lesquelles se penchent régulièrement chercheurs et enseignants Ŕ tant la

question des interférences entre mémoire et histoire vient à la fois perturber et aiguillonner la

perception de ce passé, son interprétation et sa transmission aux jeunes générations.

Les sociétés multiculturelles et multiethniques de l’Europe actuelle sont, à bien des égards, des

sociétés que l’on peut qualifier de « postcoloniales » : elles sont le produit direct des héritages

anciens de l’expansionnisme occidental et du triomphe durable de l’impérialisme des XIXe et XX

e

siècles. Mais, à bien égards, cette vieille histoire coloniale Ŕ que l’on1 a voulu trop vite ranger au

magasin des accessoires hors d’usage à partir des années 1960 Ŕ fait retour depuis quelques années :

comme l’ont plaisamment exprimé des pionniers des études postcoloniales anglophones, il semble

que depuis une bonne décennie, « l’Empire contre-attaque »2…

La résurgence des « mémoires coloniales » dans le débat public a, en effet, été multiforme ces

dernières années. Depuis le début des années 2000, la mémoire des Français Ŕ mais aussi, ne

l’oublions pas, des Belges, des Britanniques, des Allemands, des Japonais, etc.3 Ŕ a été sollicitée par

de nombreux témoignages, films documentaires, publications, événements médiatiques. Du procès

Aussaresses à l’exaltation des troupes coloniales lors de la commémoration du débarquement de

Provence, de la très controversée loi du 23 février 2005 au succès médiatique du film Indigènes,

plusieurs éléments ont réactivé les souvenirs enfouis des temps coloniaux. Çà et là, les passions se

sont ranimées chez certains « porteurs de mémoire », ressuscitant d’anciennes guerres mémorielles4.

Et le monde des historiens n’a pas été en reste : il a pris sa part dans cette résurgence, qu’il se soit

agi d’analyser la torture en Algérie pendant la guerre d’indépendance5, de rédiger le « livre noir du

colonialisme »6, d’interroger Vichy par sa face coloniale

7 ou de réfléchir aux processus

1 Un consensus s’est en effet établi pour oublier rapidement le passé colonial : les pouvoirs politiques européens

confrontés aux nouveaux défis des Trente glorieuses, les sociétés occidentales en voie de modernisation rapide, les

jeunes États indépendants du Sud, les historiens eux-mêmes lassés de la « vieille » histoire de la colonisation… 2 Bill Ashcroft & al. The Empire writes back. Theory and Practice in Postcolonial Literatures, London, Routledge,

1988. 3 Sur la « mondialisation » des mémoires coloniales, voir le remarquable numéro de la revue Politique africaine,

« Passés coloniaux recomposés. Mémoires grises en Europe et en Afrique », n° 102, juin 2006. 4 Voir par exemple le récit ouvrage de Benjamin Stora La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial

(entretiens avec Thierry Leclère), Paris, éditions de l’Aube, 2007. 5 Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001 ; Sylvie Thénault, Une drôle

de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001. 6 Marc Ferro (éd.), Le livre noir du colonialisme, XVI

e-XXI

e s. De l’extermination à la repentance, Robert Laffont,

2003.

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d’instrumentalisation du passé actuellement à l’œuvre8.

Certains élèves de collège et de lycée, très variés dans leurs origines, ont réinvesti le champ du

passé colonial sur le mode mémoriel et identitaire, laissant parfois les enseignants un peu démunis

devant des attentes passionnelles et contradictoires. Des enseignants ont vu émerger, au sein de

leurs classes, des discussions en lien avec certaines thématiques présentes dans le débat public :

questions sur l’esclavage et la traite négrière ou sur la torture en Algérie, débats autour la répression

du 17 octobre 1961 ou autour de l’article 4 de loi du 23 février 2005 (promouvant l’enseignement

du « rôle positif » de la colonisation), sur le rôle des troupes coloniales dans la Libération de la

France, etc. La filiation entre colonisés, travailleurs immigrés et ressortissants des « 2e et 3

e

générations » Ŕ posée un peu rapidement et de manière souvent simpliste et mécanique Ŕ a

également remporté un relatif succès médiatique et contribué à passionner le débat sur les identités

contemporaines, tout en le faussant en grande partie.

Des finalités à la fois scientifiques, citoyennes et pédagogiques justifient donc la nécessité de

nous interroger, comme l’ont déjà fait d’autres collègues, sur la spécificité de l’enseignement du fait

colonial aujourd’hui.

Notre groupe de travail s’est régulièrement réuni à partir de septembre 2006, à raison de huit

rencontres par an environ. Comme on s’en doute, chacun des membres du groupe était déjà, à titre

personnel et professionnel, intéressé par les problématiques coloniales :

Anne DEVLAEMINCK, professeur certifié de Lettres modernes au collège Toulouse-

Lautrec de Toulouse, s’intéresse à de nombreux auteurs que l’on peut qualifier de

« postcoloniaux » (Leïla Sebbar, Kim Lefèvre, etc. ) et, depuis plusieurs années, fait

travailler ses élèves sur la littérature d’expression française.

Jean-Louis DONNADIEU, professeur agrégé d’Histoire-géographie au lycée Pardaillan

d’Auch, a soutenu une thèse de doctorat d’histoire sur le comte de Noé, aristocrate

gascon du XVIIIe

siècle qui était également un grand propriétaire colonial à Saint-

Domingue (Haïti).

Jérôme GIRARD, professeur certifié d’Histoire au lycée Ozenne de Toulouse, est

particulièrement intéressé par l’histoire de l’Indochine et de l’Algérie. Il a conçu et

organisé plusieurs stages dans le cadre du PAF sur l’enseignement du fait colonial.

Bernard MEYER, professeur certifié de Philosophie au lycée Toulouse-Lautrec de

Toulouse s’intéresse de près, dans le cadre de son enseignement, à diverses

problématiques liées aux droits de l’homme (pensée des Lumières, altérité, liberté…). Il

fait travailler ses élèves sur des textes de penseurs postcoloniaux (Franz Fanon,

Théophile Obenga, etc.).

Marie POLDERMAN, Professeur-documentaliste certifiée au collège Lamartine de

Toulouse, a soutenu une thèse de doctorat d’histoire sur l’histoire de la Guyane coloniale

des XVIIe et XVIII

e siècles.

Sophie DULUCQ, Professeur d’Histoire contemporaine à l’université de Toulouse-le

Mirail, a été l’« experte » du groupe de recherche-formation. Elle est spécialiste de

l’Afrique subsaharienne à l’époque coloniale et a dernièrement travaillé sur la

7 Eric Jennings, Vichy sous les Tropiques, Grasset, 2004 ; Jacques Cantier, L’Algérie sous le régime de Vichy, Odile

Jacob, 2002 ; le n° spécial de la revue Outremers « Vichy et les colonies », 1er

semestre 2004 ; Jacques Cantier et Eric

Jennings (dir.), L’Empire colonial sous Vichy, Odile Jacob, 2004. 8 Cf. Isabelle Merle et Emmanuelle Sibeud, « Histoire en marge ou histoire en marche. La colonisation entre repentance

et patrimonialisation », Communication au colloque La politique du passé : constructions, usages et mobilisation de

l’histoire dans la France des années 1970 à nos jours (Paris I, 25-26 septembre 2003), consultable sur le site

<http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/Merle.pdf>.

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constitution des savoirs dits coloniaux.

Colette ZYTNICKI, Maître de conférences (habilitée à diriger des recherches) en Histoire

contemporaine à l’université de Toulouse-le Mirail, est venue à titre bénévole prêter

renfort à notre groupe de réflexion. Elle est spécialiste du Maghreb colonial et a

dernièrement travaillé sur les juifs en situation coloniale.

De par la composition du groupe, les domaines couverts étaient vastes sur le plan chronologique

et spatial : nous avons ainsi été amenés à étendre notre réflexion par-delà la césure traditionnelle

(très franco-française, voir infra) entre 1re

(XVIe Ŕ XVIII

e siècles) et 2

e colonisation (XIX

eŔ XX

e

siècles). Nos centres d’intérêt nous ont fait voyager des Antilles à l’Indochine, de la Guyane à

l’Afrique… Enfin, la dimension pluridisciplinaire a été source d’enrichissements réciproques : le

recours aux textes littéraires et philosophiques pour enseigner le fait colonial est, sans aucun doute,

d’une grande efficacité pédagogique. Nous souhaitons que cette dimension pluridisciplinaire puisse

susciter des expériences de collaboration entre enseignants d’histoire, de lettres, de philosophie et

spécialistes de documentation.

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II. DÉMARCHE

Au fil de nos réunions de travail, nous avons été amenés à réfléchir aux enjeux mémoriels qui se

nouent autour de la question coloniale, mais aussi aux acquis Ŕ généralement méconnus Ŕ de la

recherche historique sur cette question dont l’étude a été constamment travaillée par les chercheurs

depuis plusieurs décennies. Cette histoire est éminemment complexe. C’est celle d’une domination,

bien sûr, mais dont l’approche en termes de bilan positif ou négatif ne peut rendre compte de

manière satisfaisante. C’est l’histoire d’une exploitation économique (du travail servile des colonies

d’Ancien régime au travail forcé des territoires coloniaux modernes), mais aussi celle de l’entrée

dans la modernité et dans la mondialisation des pays colonisés. C’est l’histoire, enfin, de sociétés

coloniales profondément inégalitaires, en proie au racisme institutionnalisé et aux préjugés de toutes

natures, mais qui furent aussi le terrain de métissages et de brassages et le lieu d’émergence d’élites

et de formes nouvelles d’organisation.

Nous avons bien conscience que, dans le contexte actuel de résurgence des mémoires, prôner

une approche dépassionnée de l’histoire du fait colonial n’est pas sans risques. La subtilité

grandissante des analyses des spécialistes, l’émiettement des objets historiques, peuvent amener le

grand public au sentiment d’une perte de sens, comme s’il était devenu impossible d’identifier des

responsabilités dans la domination impériale passée, de désigner des « coupables », de mesurer la

nocivité des héritages. En soulignant l’ambiguïté et la complexité des expériences coloniales, les

historiens ne risquent-ils pas de se trouver en porte-à-faux, face à une demande sociale en quête

d’analyses simples et efficaces pour comprendre le passé et agir dans le présent ?

Il n’est certes pas question de plaider pour une historiographie qui, dans sa tour d’ivoire, serait

en rupture complète avec la demande sociale. Mais une chose est de s’ériger en « recteurs de la

mémoire », selon le mot de Pierre Nora, une autre de proposer une véritable histoire plurielle de la

colonisation française qui doit contribuer à penser le passé colonial, en maintenant la tension entre

exigence scientifique et fonction sociale de l'historien.

Les programmes actuels privilégient l’étude de la colonisation vue du côté des colonisateurs,

ainsi que l’analyse des processus de décolonisation Ŕ ce qui laisse en friche tout un pan de l’histoire

de la colonisation proprement dite sur laquelle nous souhaitons insister : celui des sociétés

colonisées, de leurs acteurs, de leurs dynamiques, de leurs contradictions... Les recherches menées

en histoire depuis une vingtaine d’années creusent dans ces directions, travaillant par exemple des

questions centrales : celle des élites coloniales, des savoirs coloniaux, des « bricolages » culturels,

des formes de violence, des outils juridiques de la domination, des représentations, des femmes, des

métis, etc. La question des mémoires coloniales et post-coloniales est également un chantier de

recherche actif Ŕ qu’il s’agisse de la mémoire des ex-colonisés ou des ex-colonisateurs. Nous avons,

en 2008-2009, défini un programme de travail détaillé, autour de thématiques selon leur importance

dans les programmes scolaires, en fonction des compétences spécifiques de chaque membre du

groupe et en relation avec des problématiques de recherche qui nous semblaient particulièrement

pertinentes.

Notre groupe se propose, dans ce rapport final, de fournir quelques mises au point sur ces

chantiers de recherche ouverts par les spécialistes actuels de la colonisation. Mais notre souci est de

permettre aux enseignants de concevoir des séquences pédagogiques en lien, d’une part, avec les

programmes et, d’autre part, avec la recherche contemporaine afin de répondre de manière

rigoureuse, dépassionnée et nuancée aux questions des élèves.

Plusieurs axes ont été privilégiés :

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La réalisation d’une enquête préliminaire auprès d’enseignants de l’Académie de

Toulouse.

Notre premier souci a été de consulter les enseignants d’Histoire, de Lettres et de Philosophie en

les interrogeant sur les connaissances des élèves en matière d’histoire coloniale, sur leurs pratiques

pédagogiques et sur leurs attentes vis-à-vis de notre travail.

Un bilan rapide sur la place des questions liées à la colonisation / décolonisation dans les

programmes scolaires.

Une mise au point synthétique sur la recherche actuelle en histoire de la colonisation (Bilan

historiographique).

Des mises au point sur des thèmes précis, pouvant déboucher sur des leçons directement

utilisables par les enseignants de collège et lycée.

Chaque membre du groupe a été chargé de réaliser une mise au point sur un thème donné : état

des lieux scientifique, établissement d’une bibliographie, recherche et présentation de documents,

insertion dans les programmes, proposition de pistes d’exploitation pédagogique. Chacune de ces

présentations a donné lieu à une demi-journée de travail (exposé de deux heures puis discussion

générale). Certains de ces thèmes ont donné lieu à une mise en forme précise, distinguant différents

niveaux de réflexion : 1°) état des lieux des connaissances scientifiques ; 2°) bibliographie succincte

; 3°) dossier documentaire commenté ; 4°) pistes d’exploitation pédagogique.

L’élaboration d’outils de travail efficaces

- Des pistes bibliographiques accessibles

- Une sitographie

- Une filmographie

Des propositions de stages dans le cadre du PAF

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III. REPÈRES

ENQUETE AUPRES DES ENSEIGNANTS D’HISTOIRE-GEORGRAPHIE, DE LETTRES ET

DE PHILOSOPHIE DE L’ACADEMIE DE TOULOUSE

Nous avons envoyé, via les coordonnateurs des disciplines concernées, un questionnaire à tous

les établissements (collèges et lycées) de l’Académie de Toulouse en janvier 2007. Nous avons eu

74 réponses (51 en Histoire, 22 en Lettres et 2 en Philosophie) que nous avons analysées et qui nous

ont servi de point de départ pour définir notre démarche pour les deux ans à venir.

QUESTIONNAIRE PROPOSE AUX ENSEIGNANTS D’HISTOIRE-GEOGRAPHIE

Les élèves et l’histoire du fait colonial

Connaissances préalables des élèves

En collège :

- Grosse majorité de réponses : connaissances lacunaires ou très lacunaires mais les idées des élèves

ne sont généralement pas très arrêtées sur ces questions. Cependant, dans quelques établissements

(ZEP, ou classes avec élèves d’origines diverses), apparaissent déjà quelques opinions formées.

En lycée :

Grosse majorité de réponses : connaissances lacunaires et partisanes, forts préjugés. Influence

notable de la composition de la classe : enfants de familles issues de l’immigration, descendants de

Pieds-Noirs ou de Harkis…

À quoi renvoient pour les élèves les termes « colonisation », « décolonisation » ?

Beaucoup d’enseignants signalent que les élèves ont peu de repères et que l’histoire de la

colonisation renvoie à un passé très lointain qui les concerne peu.

En collège :

Pays lointains, colonisation américaine, conquête et exploitation, soumission, esclavage des Noirs,

injustice…

En lycée :

Pour la colonisation : Exploitation, racisme, domination, inégalité, Afrique, Algérie.

Pour la décolonisation : presque systématiquement guerre d’Algérie, parfois l’Inde et Gandhi.

Qu’est-ce qui suscite le plus d’intérêt ?

En collège :

Grosse majorité des réponses : guerre d’Algérie

De façon plus secondaire : traite négrière, Inde (Gandhi)

En lycée :

Grosse majorité des réponses : guerre d’Algérie

Également, mais un peu moins fréquemment : relations colonisateurs/ colonisés, souffrances des

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colonisés, décolonisation en général.

N.B. : Beaucoup de questionnaires ne répondent pas à cette question.

Quel rôle joue l’origine et la mémoire dans l’approche du sujet ?

Les réponses varient fortement selon le type d’établissement et la composition socioculturelle des

classes. De façon assez attendue, plus les origines des élèves sont diverses (notamment enfants de

familles originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, descendants de pieds-noirs, etc.), plus

le rôle des mémoires familiales peut jouer, certains enseignants notant d’ailleurs que cela intervient

souvent de manière positive.

Mais on ne saurait négliger un nombre important de non réponses, de réponses nuancées (signalant

notamment la grande variabilité d’une classe à l’autre), de réponses soulignant l’indifférence par

rapport à ces questions.

Lorsque l’on constate des « effets d’origine et de mémoire », c’est le plus souvent sur un registre

identitaire, notamment pour se situer dans une histoire familiale.

Fait colonial et pratiques des enseignants

À quel(s) niveau(x) traitez-vous des thématiques coloniales et postcoloniales ?

Questions traitées à tous les niveaux des collèges et de lycées généraux, de manière plus

approfondie en 5e, 4

e, 3

e et 1

re, Terminale. Plusieurs enseignants abordent aussi ces questions dans

des formations professionnelles : CAP, BEP.

Lectures

-Manuels du secondaire.

-Travaux universitaires (Catherine Coquery-Vidrovitch, Chesneaux, Yves Benot, Marcel Dorigny,

Benjamin Stora, Mohammed Harbi, Jacques Marseille, Griaule, M’Bokolo, Girardet, Ferro, etc.) ou

spécialisés (Pascal Blanchard, Sophie Bessis, Dossier du Monde Diplomatique/ Manières de voir,

Alain-Gérard Slama, article du Monde).

-Revues (L’Histoire), documentation photographie, catalogues d’exposition.

-Littérature : Œuvres de Senghor, Diop, Sartre (Orphée Noir), Daeninckx.

-Témoignages directs : récits de conquête, récits de « colonisés »…

Accordez-vous une place privilégiée ou spécifique à ces thèmes ?

Sur 50 questionnaires :

- pas de réponse : 5

- « oui » : 7

- « non » : 24

- autres réponses (« non mais », « ça dépend », « non sauf pour », « oui et non ») : 14

Abordez-vous cette question de manière indirecte ?

100% répondent « oui »

Exemples les plus cités : Troupes coloniales dans les 1e et 2

e guerres mondiales, travailleurs

migrants durant les Trente Glorieuses.

Autres exemples : abolition de l’esclavage en 1848, expositions universelles, francophonie, pré-

carré de la France, « Françafrique », le génocide rwandais…

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Éducation civique : sur la citoyenneté et la nationalité…

Quels manuels et quels documents privilégiez-vous ?

Très grande diversité des manuels utilisés (pas de plébiscite pour un manuel en particulier)

En collège, manuels cités :

Belin 5e, Hachette 6

e et 4

e, Hatier 4

e et 3

e, Nathan 3

e, Magnard 3

e, Belin 3

e.

En lycée, manuels cités :

Nathan Terminale, Belin 1re

STI, Hachette 1re

et Terminale, Bréal 1re

et Terminale, Hatier 1re

,

Magnard 1re

et Terminale.

Documents divers utilisés (hors manuels)

CD-Rom Nathan

Cinéma (ex. Controverse de Valladolid, Indigènes, extraits des Fragments d’Antonin,

documentaires divers : Nanterre dans les années 1960, documentaires divers d’Arte), chanson (Je

suis franc de Magyd Cherfi), littérature (ex. Terre d’Ebène d’Albert Londres, Le gone du Chaâba

d’Azouz Begag )

Dossiers documentaires sur Internet (ex. sur l’Algérie récupéré sur le site eduscol)

Textes divers

Sites Internet

Iconographie, affiches, publicités, photographies…

Avez-vous une approche spécifique de ces questions ?

18 enseignants (sur les 50 enquêtés) estiment ne pas mettre en œuvre des moyens différents de ceux

utilisés pour d’autres leçons Ŕ et certains disent explicitement qu’ils s’y refusent (au motif que c’est

une histoire comme une autre).

Dans les autres cas, parmi les approches privilégiées : films, études iconographiques, questionnaire

sur la mémoire familiale (mais ça n’a pas très bien fonctionné ou c’est délicat), analyses de textes.

8 ne répondent pas à la question.

Collaboration éventuelle avec professeurs de Lettres

Sur 50 questionnaires :

- Pas de réponse : 8

- « Non » : 34

- « Oui » : 8

Parmi ceux qui répondent « non », quelques regrets exprimés sur cette absence de passerelles.

Le fait colonial : une question sensible ?

Le thème est-il plus « délicat » à enseigner que les autres ?

- 10 % ne répondent pas à cette question.

- Une moitié répond « non », de façon parfois argumentée : l’historien n’est pas un juge, il faut

dépassionner, il faut restituer la complexité et le contexte et non pas faire de l’histoire un tribunal.

Mais ce n’est pas plus délicat que d’autres thèmes « difficiles » du programme.

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- Un gros tiers répond « plutôt oui », notamment en fonction de risques d’instrumentalisation par

certains élèves. Cela dépend aussi de la composition socioculturelle des classes ; parfois, sur ces

questions, il y a des préjugés plus ancrés que pour d’autres thèmes (rôle des mémoires familiales ?).

Par ailleurs, il y a des risques de renforcer un discours de victimisation et d'interférence avec le

débat public. De plus, certains jugent que cela fait partie des heures les plus difficiles de notre

histoire. Dans ces conditions, il est difficile pour les élèves de s'identifier à l'histoire nationale.

Résurgence des mémoires et enseignement du fait colonial/postcolonial ?

- Une majorité pense que cela ne rend ni plus facile ni plus difficile cette question car les élèves

sont peu touchés par ces aspects mémoriels.

- Une autre partie considère que la sensibilisation des élèves est un bon point d'appui et stimule la

curiosité des élèves, même si c'est à double tranchant : préjugés ancrés (2 cas d'antisémitisme et de

racisme exprimés en classe) ou la médiatisation excessive qui amène des positions caricaturales ou

à des connaissances manichéennes.

L'actualité joue-t-elle un rôle dans le traitement du fait colonial ?

Parmi les quelques réponses exploitables, il apparaît que les élèves sont peu informés, mis à part

lorsqu'il s'agit d'événements très médiatisés comme la sortie du film Indigènes. Cependant, le

recours à l'actualité peut être un bon point de départ au traitement du fait colonial.

Y a-t-il une influence du débat public lié au fait colonial sur le métier d'enseignant ?

Une majorité présente un souci accru de prudence et de rigueur historique. Certains pensent que

cela n'a aucune influence.

Suggestions et attentes

Les enseignants qui ont répondu attendent essentiellement :

- une mise au point scientifique.

- la mise à disposition de bibliographies et de corpus documentaires.

QUESTIONNAIRE PROPOSE AUX ENSEIGNANTS DE LETTRES

Faites-vous référence au fait colonial dans votre enseignement ?

Tous les professeurs qui ont répondu au questionnaire font référence au fait colonial dans le cadre

de leur enseignement, au collège comme au lycée et à tous les niveaux.

Niveaux, séquences et supports ?

Collège :

6e : une œuvre intégrale (cf. La forêt d'émeraude).

5e :

- les grandes découvertes, les récits de voyage et les carnets de route : Bougainville, Colomb, ,

Cortès, Diderot, Las Casas, Jean de Léry, Montaigne, Marco Polo, T.Monod,...

- les œuvres intégrales (cf. le thème du mythe de Robinson avec Vendredi ou la vie sauvage...).

4e :

- la satire du discours critique et le débat sur l'esclavage au XVIIIe siècle : Diderot, Montesquieu,

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Voltaire (« Le nègre de Surinam »), Bernardin de Saint-Pierre, Gobineau (Le discours sur l'inégalité

des races).

3e :

- le lyrisme en poésie : Césaire, Senghor, Depestre,...

- la poésie engagée : Césaire, Depestre,...

- le récit à visée argumentative : Daeninckx, Cannibale, Mérimée, Toumango,...

- le récit autobiographique : Chamoiseau, L'enfance créole, Duras, ...

Lycée :

Les professeurs qui ont répondu choisissent parfois des textes en rapport avec le fait colonial qui

correspondent aux programmes par exemple :

Seconde :

- l'altérité : découverte de l'Autre et de l'Aillleurs sans précision d'exemples de supports.

- l'apologue (discours critique).

- l'éloge et le blâme.

Première :

- TPE : Memmi, Portrait du colonisé, Gide, Voyage au Congo.

- groupement de textes sur la francophonie : Chamoiseau, Césaire, Glissant, Senghor,...

- l'argumentation avec le travail sur l'Autre et le racisme.

- le récit de vie autobiographique.

Avez-vous recours à des auteurs originaires de l'ex-Empire colonial ?

Quinze professeurs ont répondu de manière affirmative. Les autres n'étudient pas ces auteurs par

manque d'intérêt ou ne les connaissent pas.

Les auteurs sont assez variés : Ben Jelloun, Césaire, Chamoiseau, Condé, Memmi, Ousmane,

Senghor,...

Intégrez-vous des thématiques coloniales et postcoloniales dans votre enseignement ?

Les professeurs qui ont répondu par l'affirmative ont recours à des groupements de textes, des

études d'images, l'organisation de débats (en référence à l'actualité par exemple) et d'expositions

(utilisant des créations d'élèves),...

Les autres n'ont pas jugé utile de justifier la non-prise en compte de ces thématiques dans leur

enseignement.

Intérêt des professeurs pour des séquences consacrées au fait colonial ?

L'ensemble des professeurs est intéressé par l'intégration des thématiques du fait colonial en

remarquant que la plupart la réalise déjà.

Les attentes et les suggestions

Une partie des professeurs semble favorable à une approche de ces questions en liaison avec le

professeur d'histoire et attend une meilleure connaissance de la littérature francophone.

Page 14: Rapport Fait colonial

14

LES QUESTIONS COLONIALES DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES

Le phénomène colonial apparaît dans les programmes de collège et de lycée, de la 5e à la 3

e, de

la 2e à la Terminale, avec les termes spécifiques de colonisation et de décolonisation, mais aussi

avec ceux de nouveau monde ou de traites négrières par exemple. Le traitement de la question du

fait colonial n’est pas toujours explicitement précisé comme par exemple, le rôle des « tirailleurs

africains » lors de la Première Guerre mondiale. Ce n’est pas forcément un problème car les

programmes sont des cadres qui se pensent et qui peuvent évoluer de l’intérieur. Par ailleurs, des

passerelles peuvent être établies avec la géographie, par exemple dans le programme actuel de la

classe de troisième sur le thème de l’immigration, ou avec l’éducation civique et l’image de la

femme. Le contenu des programmes actuels et à venir (cf les nouveaux programmes au collège)

montre une histoire essentiellement vue de la métropole, centrée sur le domaine français et

l’Afrique, et, où la référence au colonisé apparaît peu, même si le nouveau programme de 4e permet

l’étude d’un exemple au choix d’une société coloniale. Nous avons été forcés d’en tenir compte

pour répondre aux nécessités de ces programmes et des enseignants.

Nouveaux programmes collège

Les nouveaux programmes de collège qui entrent en vigueur en 6e en septembre 2009 font la part

large à l'histoire coloniale française.

L'approche littéraire concerne plus particulièrement la lecture de textes « porteurs d'un regard sur

l'histoire et le monde contemporain d'oeuvres du patrimoine en relation avec le programme

d'histoire ». L'étude précise des philosophes des Lumières n'apparaît plus explicitement.

En 5e (2010)

Du Moyen Age aux Temps modernes

IV. Vers la modernité fin XVe-XVIIe siècle (environ 40% du temps consacré à l’histoire) Connaissances. Les découvertes européennes et la conquête des Européens ouvrent le monde aux

européens.

Démarches. Ouverture au monde :

- un voyage de découverte et un épisode de la conquête ;

- une carte des découvertes européennes et des premiers empires.

Capacités. Raconter et expliquer un épisode des découvertes ou de la conquête de l’empire

espagnol d’Amérique.

En 4e (2011)

Du siècle des Lumières à l’âge industriel

1. L’Europe et le monde au XVIIIe siècle (environ 25% du temps consacré à l’histoire)

Thème 3 Ŕ Les traites négrières et l'esclavage Connaissances. La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique

connaît un grand développement dans le cadre du «commerce triangulaire » et de l’économie de

plantation.

Démarches. La traite atlantique est inscrite dans le contexte général des traites négrières. L’étude

s’appuie sur un exemple de trajet de cette traite.

Capacités. Raconter la capture, le trajet, et le travail forcé d’un groupe d’esclaves.

Page 15: Rapport Fait colonial

15

3. Le XIXe siècle (environ 50% du temps consacré à l’histoire)

Thème 4 Ŕ Les colonies Connaissances. Les conquêtes coloniales assoient la domination européenne. Les colonies

constituent, dès lors, un monde dominé confronté à la modernité européenne.

Démarches. Étude: d’un exemple au choix de conquête coloniale et d’un exemple au choix de

société coloniale.

Capacités. Connaître et utiliser le repère suivant : les principales colonies britanniques et françaises

en 1914. Décrire et expliquer quelques unes des modifications introduites par l’arrivée des

Européens dans un territoire colonisé

En 3e (2012)

Le monde depuis 1914

III Ŕ Une géopolitique mondiale (depuis 1945) ( environ 25% du temps consacré à l’histoire)

Thème 2 Ŕ Des colonies aux états nouvellement indépendants Connaissances. Dès le lendemain du conflit mondial, grandissent des revendications qui

débouchent sur les indépendances. Les nouveaux États entendent être reconnus sur la scène

internationale, notamment par le biais de l’ONU.

Démarches. L’étude est conduite à partir d’un exemple au choix : l’Inde, l’Algérie, un pays

d’Afrique subsaharienne. Elle porte sur le processus de la décolonisation, les problèmes de

développement du nouvel État et ses efforts d’affirmation sur la scène internationale. Les

décolonisations sont présentées à partir d’une carte.

Capacités. Connaître et utiliser le repère suivant. Principale phase de la décolonisation : 1947-1962

Raconter la manière dont une colonie devient un État souverain. Décrire quelques problèmes de

développement auxquels ce nouvel État est confronté

Programmes de lycée

En Seconde

Education civique, juridique et sociale

Les quatre grands thèmes d’éducation civique en Seconde (citoyenneté et civilité,

citoyenneté et intégration, citoyenneté et travail, citoyenneté et transformation des liens familiaux)

peuvent se prêter à une réflexion sur ce que fut l’esclavage dans les colonies françaises et l’héritage

qu’il en reste aujourd’hui, notamment les questions d’intégration et de travail.

Ainsi, par exemple, dans le cadre du travail, on peut aborder une réflexion globale sur l’évolution

des lois du travail en France, en démarrant du degré zéro (l’esclavage) pour arriver à la situation

d’aujourd’hui (Code du travail, lois, conventions collectives, prud’hommes, syndicats, congés,

grèves, chômage, lutte contre l’esclavage moderne…) pour que les élèves comprennent que nos

conditions de travail aujourd’hui ne sont pas tombées du ciel mais sont le résultat d’un long

processus, souvent issu de rapports de force et toujours susceptible d’être remis en question.

L’approche de l’esclavage peut, par exemple, se faire à partir de la situation dans les îles à sucre

françaises au XVIIIe siècle. Outre l’étude de la condition servile, occasion peut être prise de se

pencher sur quelques figures qui, du fait des circonstances et de leurs talents, se sont distingués,

parfois tragiquement (Toussaint Louverture, Jean-Baptiste Belley, Louis Delgrès, le chevalier de

Saint-George, Makandal, Guillaume Léthière, Edmond Albius, Catherine Flon, la mulâtresse

Solitude, etc.).

Page 16: Rapport Fait colonial

16

La question de l’intégration peut évidemment permettre un questionnement sur la

provenance géographique des migrants et les liens historiques entre leur pays d’origine et la France,

ainsi que leur évolution dans le temps…

Histoire

L’étude de la démocratie athénienne peut rappeler que ce modèle politique est en partie

permis du fait qu’une nombreuse population servile permettait à Athènes de produire, ce qui

dégageait du temps pour les citoyens (par ailleurs, ne pas oublier que le trésor de la ligue de Délos

est détourné par Athènes pour indemniser les citoyens afin de favoriser leur participation aux

assemblées).

L’étude de la Renaissance et l’Humanisme est l’occasion d’évoquer l’arrivée des Européens

aux Amériques et l’instauration progressive du système esclavagiste, auprès de populations

autochtones d’abord, puis en important des esclaves Noirs d’Afrique ensuite, dans les mines d’or ou

d’agent et dans un vaste ensemble de plantations agricoles à des fins d’exportation (tabac, cacao,

sucre, café, coton, indigo, cannelle, muscade…). Le débat pour ou contre la colonisation est

alimenté très tôt par des penseurs comme Victoria, Las Casas, Sepulveda ou Montaigne, les

« réductions » jésuites sont un moyen de protéger les populations amérindiennes du manque de

scrupules de certains colons…

L’étude de la Révolution française permet d’aborder clairement la situation et l’évolution du

premier empire colonial français à cette époque.

Une heure de module peut être l’occasion de travailler sur la vie quotidienne dans les sucreries, ou

d’étudier la condition de l’esclave, ou encore d’examiner les « temps forts » de la secousse

révolutionnaire outre-mer, qui conduit notamment à la première abolition de l’esclavage par la

Convention (16 pluviôse An II, 4 février 1794) et à son rétablissement par Bonaparte, à

l’indépendance de la partie française de Saint-Domingue (Haïti) le 1er

janvier 1804 (première

défaite de Bonaparte), à la perte d’autres îles (Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, Tobago, Ile de

France) ou à l’installation des Anglais au Cap ou à Ceylan.

Si ces points ne sont pas traités en module, ils peuvent être rapidement abordés en une heure de

cours.

En Première L, ES, S, STG, ST2S, STI/STL

L’étude de la IIe République ou de l’évolution du peuple français de 1848 à 1914 sont l’occasion

d’aborder l’abolition de l’esclavage en 1848 mais aussi ses conséquences.

Cette abolition n’a pas été seulement décrétée « d’en haut », par quelques philanthropes européens

dont Victor Schœlcher serait le modèle. Des mulâtres (Cyrile Bissette ou François-Auguste

Perrinon, pour ne parler que du cas martiniquais) ont aussi été partie prenante d’un débat qui ne

s’est pas confiné à quelques cercles éclairés, et les esclaves eux-mêmes ont joué un rôle

considérable, au point que les gouverneurs de Martinique et de Guadeloupe signent un décret

d’abolition de l’esclavage avant l’arrivée des représentants officiels de la République.

Par ailleurs, la question de l’évolution du peuple français peut être l’occasion de parler de

l’évolution de cette population ultramarine devenue citoyenne mais dont la condition sociale en fait

d’abord un prolétariat agricole. Le passage par l’école républicaine jacobine a pour ambition de tirer

cette population vers le haut mais, du passé faisant table rase, ne parle pas des racines historiques de

l’esclavage, si bien que de génération en génération cette douloureuse question identitaire est

transmise par des histoires de famille, avant de se transformer en large une demande sociale.

L’autre grande question est la colonisation de l’Afrique et d’une partie de l’Asie par les puissances

européennes (sauf pour la section S, qui aborde cette question en Terminale) : localisation des

empires, leur constitution progressive, le regard que le colonisateur porte sur son œuvre, les

résistances des colonisés, l’implication des empires coloniaux dans les deux conflits mondiaux

Page 17: Rapport Fait colonial

17

(troupes, mais aussi ravitaillement, théâtres de combats ou relais géostratégiques : combien d’élèves

savent que la France Libre du général de Gaulle commence à avoir une existence concrète avec le

ralliement de l’Afrique Equatoriale Française (août-octobre 1940) et que le drapeau tricolore frappé

de la croix de Lorraine est créé à Brazzaville ?)

Enfin, le thème de la décolonisation est étudié en STI/STL dans la perspective de l’épreuve

anticipée du baccalauréat d’histoire-géographie.

En Terminale L, ES, S, STG, ST2S

La grande question est celle de la décolonisation (et aussi, très rapidement abordée, de la

colonisation pour la section S) : revendications des colonisés, attitudes des métropoles, processus

d’indépendance (violent ou négocié), liens (économiques, politiques, culturels, démographiques…)

postérieurs aux indépendances... ainsi que l’évolution interne des sociétés des anciennes puissances

coloniales…

Lycées professionnels

En classe de seconde, les programmes abordent explicitement la question de l’organisation d’une

plantation sucrière ou caféière. On peut aussi évoquer rapidement les débats suscités autour de la

question de l’esclavage, notamment durant la Révolution française et, dans le cas français, rappeler

qu’il y a eu deux processus d’abolition.

Page 18: Rapport Fait colonial

18

UN RAPIDE BILAN HISTORIOGRAPHIQUE

Quelques repères sur l’historiographie de la 1re

colonisation

Un chantier de recherche dynamique

Parmi les travaux sur la traite négrière, les chercheurs anglophones, américains en tête, ont dès

les années 19609 eu une nette longueur d’avance sur le reste de la communauté historienne. En

France, il a fallu attendre un congrès fondateur en 198510

pour que cette question commence

vraiment à sortir de la confidentialité où elle évoluait. Les recherches se sont d’abord orientées vers

l’étude des traites occidentales (Atlantique et Océan Indien), pour laquelle la documentation est

importante et accessible. On ne saurait oublier le rôle incitatif de l’UNESCO dans cette vaste

enquête, notamment pour son inventaire des sources documentaires, des lieux de mémoire11

et pour

son action en direction de la jeunesse (opération « Briser le silence », programme « Route de

l’esclave »). Certains chercheurs explorent aussi l’histoire des traites orientales12

ou s’interrogent

sur les traites internes à l’Afrique. Tout un pan de l’historiographie questionne également les

mouvements abolitionnistes, l’évolution de leurs discours et de leurs actions, leurs figures de proue,

leur influence13

, sans oublier d’analyser les fondements idéologiques du système esclavagiste et les

représentations de l’image du Noir dans les sociétés occidentales14

. Ce dynamisme a conduit à la

mise en place par le CNRS d’un Centre International de Recherches sur les Esclavages (CIRESC)

pour donner davantage d’écho aux travaux et faciliter la mise en relation des chercheurs.

On y voit désormais un peu plus clair du point de vue quantitatif sur les traites : probablement

11 millions de déportés pour les traites occidentales et peut-être 17 millions pour les traites

orientales. On connaît également mieux les aspects sociaux, politiques et culturels qui ont contribué

à les alimenter ; on revisite les pratiques de négoce dans les lieux d’embarquement des esclaves15

ou

à bord des vaisseaux négriers ; on s’intéresse au rôle de tous les acteurs dans les circuits de traite,

sans oublier la question essentielle des profits qui ont été tirés d’une telle entreprise, tant sur le plan

individuel (négociants, planteurs…) qu’au niveau des États impliqués. Bien entendu, les

controverses et les débats demeurent vigoureux16

. Rappelons aussi que les témoignages sur la traite

négrière et sur l’esclavage sont fort anciens. Nombre de récits de témoins directs Ŕ voyageurs,

missionnaires, militaires et autres explorateurs Ŕ les évoquent en détail comme le feront, plus tard,

9 CURTIN (Philip), The Atlantic Slave Trade, a census, Madison, University of Wisconsin Press, 1969.

10 DAGET (Serge) (dir.), De la traite à l’esclavage, du XV

e au XVIII

e siècle, Actes du colloque de Nantes, 1985, Nantes,

Paris, Centre d’étude du monde atlantique Ŕ Société française d’histoire d’outre-mer, 2 vol. 1988. Voir aussi METTAS

(Jean), Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris, SFHOM 1978.

11 Voir par exemple Comité português de « A rota do escravo » (comité portugais de « La route de l’esclave ») Ŕ

UNESCO, Lugares de memoria da escravatura e do trafico negreiro (lieux de mémoire de l’esclavage et de la traite

négrière), Lisbonne, Centro de Estudos Africanos da Faculdade de letras da Universidade de Lisboa (sans date ; années

1990). 12

Ainsi, la récente synthèse de CHEBEL (Malek), L’esclavage en terre d’islam, Paris, Fayard, 2007. 13

Par exemple DORIGNY (Marcel), METELLUS (Jean), De l’esclavage aux abolitions, Paris, Cercle d’Art, 1998 ;

DORIGNY (Marcel), dir., Les abolitions de l’esclavage, de L.-F. Sontonax à V. Schœlcher, 1793-1848, Paris, UNESCO

Ŕ Presses universitaires de Vincennes, 1995 ; SCHMIDT (Nelly), Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des

colonies, 1820-1851, Paris, Karthala, 2001. 14

Voir NOËL (Erick), Être noir en France au XVIIIe siècle, Paris, Tallandier, 2006, ou BOULLE (Pierre), Race et

esclavage dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2007. 15

Voir les études de LAW (Robin), Ouidah, The Social History of a West African Slaving Port, 1727-1892, Ohio

University Press, 2004, ou de DEVEAU (Jean-Michel), L’or des esclaves : histoire des forts du Ghana, du XVIe au

XVIIIe siècles, Paris, UNESCO et Karthala, 2005 (coll. « Mémoires des peuples : la route de l’esclave »).

16 Voir notamment les débats animés, au sein de la communauté des historiens, après la parution du livre d’Olivier

Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004. Voir tout particulièrement les

critiques adressées à l’historien par Marcel Dorigny et Christiane Chivallon.

Page 19: Rapport Fait colonial

19

certains anciens esclaves au moment de rédiger leurs mémoires17

. Autant de témoignages qui

constituent aujourd’hui des sources précieuses pour la recherche et que des éditeurs ont contribué à

rééditer régulièrement.

Étant donné l’étendue du champ de recherche, non seulement dans l’espace mais aussi dans le

temps, l’un des grands défis à venir est de mener des travaux transversaux permettant d’affiner la

connaissance des traites et des esclavages qui ont impliqué des acteurs européens, africains,

asiatiques et américains. Le chercheur se heurte aux problèmes dus à l’éclatement géographique,

dans des cadres sociopolitiques différents. Cette difficulté à embrasser un ensemble multiforme et

multipolaire conduit bien souvent, inévitablement, à un relatif foisonnement des études à caractère

local (telle ou telle recherche sur le cas brésilien, martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien,

jamaïcain, réunionnais, mauricien, etc.)18

. Mais un travail transversal commence à s’organiser sur le

plan international19

, début de concrétisation du vœu formulé par Édouard Glissant dans un récent

rapport sur l’état de la question en France20

.

Pour les chercheurs, il s’agit de mieux appréhender les sociétés esclavagistes dans leur

complexité. Après l’approche par études de cas (monographies d’habitations ou portraits de grands

propriétaires ou grands négociants)21

, les études se sont par exemple réorientées sur le rôle, l’action

et l’influence des élites affranchies, ces « Libres de couleur » dont, par exemple, le nombre

augmente considérablement aux Antilles françaises à la veille de la Révolution. Comment ces

personnages s’inséraient-ils dans une société coloniale prompte à édicter des règlements

discriminatoires en leur défaveur ? Dans quelle mesure en reproduisaient-ils les schémas et les

codes (car ces anciens esclaves pouvaient être, à leur tour, propriétaires d’esclaves)22

? Il ne faut pas

oublier que c’est parmi ces élites que se recruteront les cadres de la nation haïtienne en émergence

ou des militants abolitionnistes comme Cyril Bissette ou François-Auguste Perrinon Ŕ pour ne

parler que du cas martiniquais Ŕ que la figure de Victor Schœlcher ne saurait faire oublier.

Dans le cas des colonies françaises, la question de l’initiative des abolitions de l’esclavage est

également au cœur de vigoureuses interrogations. L’origine du soulèvement des esclaves de la

Plaine du Nord (Saint-Domingue), dans la nuit du 22-23 août 1791, renvoie à la problématique

(controversée) de l’auto-libération23

. Quant à l’état d’esprit des maîtres à la veille de la Révolution Ŕ

entre confiance en la Couronne et volonté d’émancipation à leur seul profit Ŕ, il a été depuis

17

Dans la sphère anglo-saxonne, Olaudah Equiano ou Frederick Douglass sont les noms les plus souvent cités. À

signaler, toujours dans la même aire, l’heureuse découverte et récente publication d’un roman autobiographique :

CRAFT (Hannah), The Bondwoman’s narrative, New York, Warner Books, 2002 (trad. française : Autobiographie

d’une esclave, Paris, Payot, 2006). 18

Pour l’outre-mer français, signalons, par exemple, pour la Guyane : POLDERMAN (Marie), La Guyane française de

1676 à 1763 : mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissages, Matoury, Ibis Rouge éditions,

2004 ; pour la Réunion, GÉRAUD (Jean-François), Les esclaves du sucre, île Bourbon – 1810-1848, Saint-André,

Océan éditions, 2008… 19

Par exemple, dans le cadre du projet EURESCL, Programme européen de recherche sur les esclavages (auquel le

CIRESC participe), associant divers organismes et laboratoires européens et travaillant en collaboration avec des

universités africaines et américaines. 20

GLISSANT (Édouard), Mémoires des esclavages, Paris, Gallimard / La Documentation française, 2007. 21

Dans le domaine des monographies d’habitations et des portraits de colons se distingue le travail pionnier de Gabriel

Debien. 22

ROGERS (Dominique), Les libres de couleur dans les capitales de Saint-Domingue : fortune, mentalités et

intégration à la fin de l’Ancien Régime (1776-1789), Thèse de doctorat, Bordeaux III, 1999 ; KING (Stewart), Blue

Coat or Powdered Wig: Free People of Color in Pre-Revolutionary Saint-Domingue, Athens (Georgia) and London,

The University of Georgia Press, 2001 ; en 2005, la Société d’Histoire de la Martinique a présenté l’exposition Liberté,

égalité, citoyenneté, libres de couleur à la Martinique 1635-1848, exposition qui a été ensuite visible aux Archives

Nationales (Paris) et aux ANOM (Aix-en-Provence) en 2007. 23

de CAUNA (Jacques), L’Eldorado des Aquitains, Biarritz, Atlantica, 1998, p. 396-402. Du même auteur, voir aussi

« Toussaint Louverture et le déclenchement de l’insurrection de 1791 : un retour aux sources », DESSENS (Nathalie),

LE GLAUNEC (Jean-Pierre), Haïti, regards croisés, Paris, Manuscrits de l’Université, 2007, p. 231-250.

Page 20: Rapport Fait colonial

20

longtemps objet de questionnements24

. C’est aussi avec profit que plusieurs historiens se sont

essayés à étudier le rôle des esclaves durant la Révolution française : par qui sont-ils encadrés, a-t-

on affaire à un phénomène de clientélisme à la romaine dans le processus conduisant à

l’indépendance de la première république noire du monde25

? Quelles ont été les résistances lors du

rétablissement de l'esclavage ordonné par Bonaparte26

? Comment appréhender la diversité des

scénarios, entre l’indépendance pour Haïti, la tragédie du Matouba en Guadeloupe, ou le statu quo

en Martinique ou à la Réunion ? Les modalités de la seconde abolition en 1848 sont également

largement revisistées aujourd’hui.

À cela, s’ajoute la dimension politique des processus envisagés. L’indépendance d’Haïti,

proclamée le 1er

janvier 1804, formidable défi lancé à Bonaparte Ŕ il ne s’agit pas moins que de sa

première défaite, alors que le Premier Consul n’est pas encore couronné empereur Ŕ a évidemment

focalisé l’attention de nombreux historiens, caribéens27

ou français en premier lieu. Le regard s’est

bien sûr porté sur un personnage phare, Toussaint Louverture, qui est à placer au Panthéon des

Grands Américains au même titre que George Washington ou Simon Bolivar. Mais cette figure est

longtemps restée auréolée de légende ; ce n’est que très progressivement, et non sans peine, que la

recherche s’est dégagée de l’aura du Spartacus noir pour découvrir une personnalité au profil pour

le moins complexe28

.

Entre enjeux de mémoire et travail d’histoire

Parallèlement, dans une France métropolitaine longtemps indifférente ou ignorante de ces

questions coloniales et post-coloniales, la publication en 2007 d’un Guide des sources de la traite

négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions29

a montré combien les fonds d’archives français sont

riches et que l’on n’a pas fini d’en étudier le contenu. À ce précieux inventaire s’ajoutent des

papiers de famille qui dorment encore dans les greniers et qui , au hasard des découvertes, sont eux-

aussi susceptibles de donner des éclairages complémentaires, d’affiner la connaissance, et dans tous

les cas de la faire avancer, à la surprise parfois des érudits locaux qui méconnaissaient les liens de

leur région avec l’outre-mer30

. Loin de relever d’une histoire à la marge, confinée de l’autre côté

des mers, la traite négrière et l’esclavage doivent retrouver une place importante dans l’histoire

nationale. Si des traces du passé esclavagiste sont effectivement repérables outre-mer, dans les

vestiges d’habitations, l’héritage culturel et certains lieux muséographiques, qu’en est-il des espaces

qui, en métropole même, en ont profité ? Dans le cas français, les ports de la façade atlantique,

Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, Saint-Jean-de-Luz, voire Marseille en Méditerranée, sont

connus pour avoir bâti une bonne part de leur prospérité grâce au commerce avec « les isles ». On

pense moins à l’intérieur des terres, aux châteaux et aux maisons de maître que certains

personnages, partis outre-mer, se sont fait construire ou ont embelli à leur retour, une fois leur

24

MAUREL (Blanche), Saint-Domingue et la Révolution française, les représentants des colons en France de 1789 à

1795, Paris, Presses Universitaires de France, 1943, ou DEBIEN (Gabriel), Les colons de Saint-Domingue et la

Révolution. Essai sur le club Massiac, Paris, Armand Colin, 1953. 25

PLUCHON (Pierre), Toussaint Louverture, un révolutionnaire d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988. 26

BENOT (Yves), DORIGNY (Marcel) (dir.), Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, 1802.

Ruptures et continuités de la politique coloniale française (1800-1830), Paris, Maisonneuve et Larose, 2003. 27

Comme par exemple, au XIXe siècle, MADIOU (Thomas), Histoire d’Haïti (1847-48 pour les tomes 1 à 3, le reste

publié post mortem) ou ARDOUIN (Céligny), Essais sur l’histoire d’Haïti, 1865 [travaux précieux car s’appuyant sur

des témoignages de vétérans de la guerre d’indépendance d’Haïti]. 28

Voir la mise au point de de CAUNA (Jacques), Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, Paris, Karthala,

2004. 29

Ouvrage coordonné par Claire SIBILLE et paru à la Documentation française. 30

Ainsi, dans le cas de la Gascogne, la Société Archéologique du Gers a-t-elle publié dans son Bulletin trimestriel, en

l’espace d’un an (entre juillet 2007 et mai 2008), deux articles originaux : des lettres du comte de Ferbeaux, propriétaire

d'habitations sucrerie en Martinique, s'étalant de 1845 à 1854, ainsi que l'inventaire de l'habitation martiniquaise

Tiberge, datant de 1771, retrouvé dans une vieille maison non loin de l’abbaye de Flaran.

Page 21: Rapport Fait colonial

21

fortune assurée, ou du fait d’un opportun mariage créole. Ces cas sont pourtant nombreux, y

compris dans des lieux a priori sans connexion avec l’outre-mer.

Depuis quelques décennies, des initiatives se sont multipliées et un certain marquage du

territoire a commencé, avec une accélération tangible dans les années 2000. Musées, lieux de

mémoire, plaques, expositions, réunions, colloques31

, et maintenant commémorations, les initiatives

foisonnent. Parmi les grands points d’ancrage, on peut d’abord penser aux façades maritimes : le

musée des ducs de Bretagne à Nantes, celui de la Compagnie des Indes à Port-Louis (près de

Lorient), celui du Nouveau Monde à La Rochelle ou le musée d’Aquitaine à Bordeaux évoquent ce

passé. De 1992 à 1994, la manifestation récurrente des « Anneaux de la Mémoire » Ŕ qui a mobilisé

plus de 300 000 visiteurs Ŕ est devenue une référence et a largement contribué à lever un coin du

voile sur l’histoire des traites et de l’esclavage auprès d’un large public, à Nantes et au-delà.

À l’intérieur même du territoire métropolitain, les initiatives se font plus nombreuses. Dans

l’Est de la France existe aujourd’hui un parcours de découverte baptisé « Route des abolitions », qui

réunit le Fort de Joux (où a été emprisonné Toussaint Louverture), la Maison de la Négritude et des

Droits de l’Homme de Champagney, la Maison Abbé Grégoire d’Emberménil et la Maison

Schœlcher de Fessenheim. La Normandie commence à promouvoir une « route du Philanthrope »,

du nom du dernier vaisseau négrier, formellement identifié comme tel Ŕ toute ironie mise à part Ŕ,

parti du Havre en 1840. Les initiatives existent aussi outre-mer, évidemment : la ville de Mana

(Guyane) commémore l’œuvre de la sœur Anne-Marie Javouhey, originaire de Bourgogne ; à

Pointe-à-Pitre, un important mémorial est en chantier. Ces opérations s’ajoutent aux sites et

monuments déjà existants, aux Caraïbes comme à la Réunion.

Quant aux plaques commémoratives, elles se multiplient : à Paris, la rue Richepanse (général

ayant rétabli l’esclavage en Guadeloupe en 1802) a été renommée rue du Chevalier de Saint-George

(métis guadeloupéen dont on a redécouvert l’œuvre musicale) ; l’allée du parc du château gascon de

L’Isle-de-Noé s’appelle désormais « Allée Toussaint-Louverture » et la plaque devant l’entrée

rappelle la figure de Jean-Baptiste Belley, le premier député Noir à la Convention. Maintes autres

inscriptions fleurissent ici et là, inaugurées notamment à l’occasion de la journée du 10 mai,

récemment instituée journée commémorative nationale de l’abolition de l’esclavage. Et que dire du

potentiel mémoriel de maints autres lieux? L'Auvergne pourrait s’intéresser notamment à l'amiral

d'Estaing, gouverneur de Saint-Domingue, ou au marquis de Lafayette qui, en rachetant l'habitation

guyanaise « La Gabrielle », où poussaient girofle et cannelle, avait un projet d'émancipation

progressive de l'atelier servile. Au cœur du Berry, on peut aussi trouver la trace de liens forts avec

les « isles à sucre »32

.

Le résultat est là : foisonnement des initiatives publiques ou privées, multiplication

d’émissions audiovisuelles, de films, de sites électroniques en ligne, de stages de formation

d’enseignants, souci de stimuler l’enseignement sur ces questions, hommage de la nation rendu à

Aimé Césaire lors de ses obsèques (20 avril 2008), idée de créer un mémorial national33

… On

remarque une certaine effervescence du débat public autour de ce passé douloureux, dans une

interaction stimulante entre recherche historique et quête mémorielle.

C’est que notre perception des choses a bien changé depuis le XVIIe siècle, depuis par

exemple cette année 1693, quand le père missionnaire dominicain Jean-Baptiste Labat arrive en vue

de Saint-Pierre, en Martinique. Accoudé au bastingage du bâtiment qui l’a amené « aux isles »,

quelle est sa première impression ? « Il vint beaucoup de nègres à bord ; ils n’avaient pour tout

habillement qu’un simple caleçon de toile, quelques-uns un bonnet ou un méchant chapeau,

beaucoup portaient sur leur dos les marques des coups de fouet qu’ils avaient reçus : cela excitait

31

Ainsi, la Guyane a organisé son premier colloque « Guyane, Histoire et Mémoire » en 2005. 32

Par exemple, du fait du mariage en 1789 de Charles-Hélion, marquis de Barbançois-Villegongis (1760-1822) Ŕ grand

seigneur dont la lignée était liée aux Dupin (famille de George Sand), gentleman farmer, introducteur du mouton

mérinos en Berry Ŕ avec une créole propriétaire d’une sucrerie dans la Plaine du Cul-de-Sac à Saint-Domingue. 33

GLISSANT (Édouard), Mémoires des esclavages, op. cit.

Page 22: Rapport Fait colonial

22

la compassion de ceux qui n’y étaient pas accoutumés, mais on s’y fait bientôt ».34

À l’époque, avoir des esclaves et les fouetter pour les faire travailler faisait partie de l’ordre

des choses. Aujourd’hui, de tels propos sont insupportables et il y a une authentique douleur et une

émotion réelle à redécouvrir ce passé-là. C’est l’ensemble des pays européens qui est pris à partie,

et pas seulement les « grandes nations » qui se sont taillé un empire colonial outre-Atlantique.

Quelle ne fut pas la surprise des Scandinaves, à la suite de la découverte de l’épave du vaisseau

négrier Fredensborg au large de la Norvège en 1974, de se (re)trouver un passé esclavagiste35

; et

que dire de celle des Suisses, dont les subsides pouvaient financer des expéditions négrières36

C’est dans ce contexte que l’UNESCO a retenu une journée commémorative du « souvenir de la

traite négrière et de son abolition » (le 23 août, en rappel du soulèvement des esclaves de la Plaine-

du-Nord, à Saint-Domingue, en 1791) et s’intéresse de près à ces questions, ce n’est pas pour rien

que Liverpool, comme Nantes, a spectaculairement réexaminé son passé de port négrier37

. En

France métropolitaine, l’intérêt est désormais manifeste pour la traite négrière et l’esclavage, illustré

par une loi de 2001 dite « loi Taubira », du nom de la députée de Guyane qui a porté au cœur de la

représentation nationale ces questions longtemps considérées comme périphériques. De même s’est

affirmée la volonté de voir les programmes scolaires métropolitains faire davantage de place Ŕ et

une place explicite – à ces faits et à ne pas les cantonner au programme d’histoire régionale destiné

aux élèves de l’outre-mer38

.

Renouant les fils de l’histoire et de la mémoire, tout un ensemble de facteurs pousse à intégrer

le passé négrier et esclavagiste dans une histoire nationale donnant à l’outre-mer toute sa place Ŕ

celle de territoires devenus français deux bons siècles avant la Savoie ou le comté de Nice Ŕ, tout en

en montrant l’ampleur et les ramifications, jusqu’aux petits villages de la Bourgogne ou de la

Gascogne.

Quelques repères sur l’historiographie de la colonisation des XIXe et XX

e siècles

En ce qui concerne la phase dite « impérialiste » de l’expansion coloniale Ŕqui a coïncidé après

la 1re

révolution industrielle et a correspondu à une expansion sans précédent, débouchant sur un

remaniement profond de l’économie-monde Ŕ, son étude n’a cessé d’être menée par les historiens

depuis de nombreuses décennies, dans une relative indifférence jusqu’à ces derniers temps. On a

certainement assisté, au début des années 2000, à un moment-charnière où mémoire et histoire de la

colonisation française Ŕ en prise avec une demande sociale émergente Ŕ sont entrées en interaction

dans un mouvement de réappropriation complexe du passé colonial. Cette conjonction constituait

d’ailleurs une relative nouveauté dans l’historiographie du fait colonial, le passé impérialiste de la

France (et de la plupart des grands pays occidentaux) n’ayant guère suscité l’intérêt du grand public

depuis les années 1960.

Notons d’ailleurs que cette articulation entre histoire, mémoire(s) et demande sociale a souvent

conféré aux discours récents un tour passionnel et politique, voire « politiquement correct » : idée

(plus que contestable) d’un « trou noir » de la mémoire coloniale, d’une occultation de ce passé,

34

Père Jean-Baptiste Labat, Nouveau voyage aux isles d’Amérique, 1722. 35

Par exemple AUST (Kurth), SVALESEN (Leif), WESSEL (Kin), The Slaver Fredensbord. The Final Journey 1767-

68, Oslo, Huitfeldt Forlag et Musée maritime norvégien (sans date) [paru dans les années 1990]. Par ailleurs, combien

savent que la Suède a, sur le modèle français ou espagnol, édicté un code esclavagiste pour la partie de l’île de Saint-

Martin qu’elle contrôlait ? 36

FAESSLER (Hans), Reise in Schwarz-Weiss. Schweizer-Orstermine in Sachen Sklaverei, Zürich, Rotpunktverlag,

2005 (trad. franç. Une Suisse esclavagiste, voyage dans un pays au-dessus de tout soupçon, Paris, Duboiris, 2007). 37

Exposition Transatlantic Slavery Gallery, au Musée maritime en 1994 (en 2007 y a été inauguré un « Musée

international de l’esclavage »). 38

Le Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale n° 8 du 24 février 2000 prévoit des aménagements de programmes en

lycée pour les Départements d’Outre-Mer, « afin de permettre d’adapter l’enseignement de l’histoire et de la géographie

donné dans les départements d’outre-mer à la situation régionale et à un héritage culturel local ».

Page 23: Rapport Fait colonial

23

d’une filiation automatique entre colonisés d’hier et immigrés d’aujourd’hui39

, etc.

Mais, indépendamment de cette médiatisation des problématiques coloniales, l’historiographie

de la colonisation française a été riche et abondante. Cette historiographie ne peut d’ailleurs pas

s’envisager dans un huis clos franco-français puisqu’elle implique, depuis une bonne cinquantaine

d’années, des chercheurs appartenant aux ex-territoires colonisés, aux anciennes métropoles, mais

aussi à de nouveaux pôles de recherche comme les Etats-Unis (qui comptent de nombreux

spécialistes de la colonisation européenne, et notamment française). Les historiens n’ont pas été en

reste pour proposer, régulièrement, un état des lieux de l’histoire de la colonisation française40

.

Afin de dégager les grandes lignes d’évolution de l’historiographie de la colonisation, plusieurs

idées-forces peuvent être mises en avant :

L’histoire de la colonisation est devenue, depuis les années 1950-1960 au moins, une histoire des

colonisés et non plus une histoire des colonisateurs

Dans la dernière décennie avant les indépendances, le relatif désintérêt par rapport au destin

impérial de la France achève de précipiter la rupture avec les interprétations historiques qui avaient

cours au temps de la domination sans états d’âme : « à travers les combats idéologiques et

scientifiques des années 1950-60, s’engage une décolonisation des savoirs »41

. Tout un courant

d’histoire critique émerge avec des historiens tels Charles-André Julien, Jean-Louis Miège ou Jean

Suret-Canale42

qui contribuent à former les premières générations de chercheurs des pays devenus

indépendants.

Les nouvelles historiographies se bâtissent en grande part sur le refus de l’histoire « d’avant »

qui glorifiait la geste coloniale : un livre programmatique de l’historien algérien Mohammed Sahli,

paru en 1965, est ainsi symboliquement intitulé Décoloniser l'histoire. La majorité des chercheurs

des années 1960 et 1970, ainsi que certains spécialistes occidentaux43

, se démarquent fortement de

l’histoire écrite par les « coloniaux » en adoptant une démarche qui entendait renverser les rapports

de domination. L’engagement de nombreux historiens lors de la guerre d’Algérie n’est d’ailleurs

pas étranger à cette approche militante. La remise en cause des thèmes de prédilection de l'histoire

coloniale est manifeste, tant dans la production historiographique des nouveaux États que dans les

constructions mémorielles des sociétés décolonisées : on pose d’autres questions, on exalte de

nouveaux héros, on apprend de nouvelles dates-clés, on invente d’autres lieux de mémoire44

Les perspectives se recentrent donc sur les colonisés plutôt que sur les colonisateurs, sur les

résistances plutôt que sur les conquêtes, et sur les luttes mettant aux prises dominants et dominés.

Les grilles de lecture marxistes, nationalistes et/ou tiers-mondistes fournissent des schémas

39

Cf. Pascal Blanchard, Nicolas Bancel & Sandrine Lemaire. La fracture coloniale. La société française au prisme de

l’héritage de la colonisation, 2005. 40

Parmi d’autres, citons Daniel Rivet, « Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement », Vingtième Siècle. Revue

d’histoire, 1992, pp. 127-138 et Claude Liauzu, « Interrogations sur l’histoire française de la colonisation », Genèses, n°

46, mars 2002, pp. 44-59. 41

Claude Liauzu, Colonisation : droit d’inventaire, Paris, Armand Colin, 2004, p. 5. 42

Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris,

Julliard, 1952 ; Jean-Louis Miège, Le Maroc et l'Europe (t. 1 : 1830-1894), PUF, 1961 ; Jean Suret-Canale, Afrique

noire occidentale et centrale. L'ère coloniale (1900-1945), Éditions sociales, 1964. 43

Parmi bien d’autres, on peut citer André Nouschi, Enquête sur le niveau de vie des populations rurales

constantinoises de la conquête jusqu’en 1919, PUF, 1961 ; René Gallissot, Le Patronat européen au Maroc (1931-

1942), Rabat, 1964 ; Merad Ali, Le réformisme musulman en Algérie de 1900 à 1940. Essai d’histoire religieuse et

sociale, Mouton, 1967 ; Mahfoud Kaddache, La Vie politique à Alger de 1919 à 1939, Alger, 1970 ; Joseph Ki-Zerbo,

Histoire générale de l'Afrique noire, d’hier à matin, Hatier, 1972 ; Lucette Valensi, Fellah tunisiens. L’économie des

campagnes tunisiennes aux XVIIe-XVIII

e siècles, Mouton, 1975 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des

grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Mouton, 1972 ; Claude Liauzu, Salariat et mouvement ouvrier en

Tunisie: crises et mutations, 1931-1939, CNRS, 1978 ; etc. 44

Sophie Dulucq & Colette Zytnicki (dir.), Décoloniser l’histoire ? De l'histoire coloniale aux histoires nationales en

Amérique latine et en Afrique (XIXe –XX

e siècles), SFHOM, 2003.

Page 24: Rapport Fait colonial

24

interprétatifs globaux, privilégiant une lecture de la confrontation, du pillage, de l’échange inégal,

de l’aliénation, mettant en exergue le lien entre colonisation et sous-développement et renouant le

fil avec les processus précoloniaux interrompus par l’impérialisme européen. L’histoire économique

et sociale est systématiquement privilégiée Ŕ comme c’est d’ailleurs le cas dans une bonne partie de

l’historiographie, quel que soit le sujet abordé, en ces temps de prédominance de l’« École des

Annales »… Ŕ ainsi que l’histoire politique (histoire des « résistants » à la colonisation, histoire de

la montée des nationalismes…).

Dans les années 1980-1990 : une histoire de la colonisation en voie d’émiettement

Les grandes explications d’ensemble connaissent cependant, à partir des années 1980, une

érosion sensible Ŕ avec plus ou moins de décalage. L’intérêt suscité par l’étude de la colonisation et

des espaces colonisés semble même s’émousser : « Les vocations exotiques deviennent moins

nombreuses […] et l’histoire anticolonialiste subit les conséquences de la désaffection générale

envers les tristes tropiques »45

. Ainsi certains chercheurs se détournent-ils d’une histoire globale de

la colonisation Ŕ abusivement confondue avec l’histoire coloniale elle-même Ŕ et jugée obsolète,

presque « ringarde », voire potentiellement nostalgique des temps impériaux.

Le concept unificateur de Tiers-Monde, qui avait dans une certaine mesure pris le relais de celui

de territoires colonisés, est lui-même en recul : les pays du Sud se diversifient et ne sont plus

réductibles à une catégorisation globale. Un peu partout dans les laboratoires de sciences sociales,

l’institutionnalisation des aires culturelles contribue à fragmenter la recherche, à émietter, sur le

plan scientifique, l’étude des ex-empires. C’est enfin une période où l’acuité des enjeux liés aux

luttes de la décolonisation se dissout et où pointe une déception certaine par rapport aux espoirs

suscités par les indépendances.

Pourtant, la désaffection n’est pas totale et des remaniements profonds s’opèrent. Ce renouveau

n’est pas uniquement dû à l’usure des grands paradigmes mais aussi, de façon positive, aux

évolutions conceptuelles de l’historiographie générale. Il est aussi imputable à l’émergence d’une

histoire écrite au Sud (groupe des Subaltern studies à Delhi, au début des années 1980 ; nouvelle

historiographie sud-africaine libérale) et dans des pôles de la recherche extra-européens. Outre-

Atlantique, la recherche de leurs racines africaines par les Afro-américains contribue à l’essor

spectaculaire des African Studies tandis que les logiques institutionnelles et scientifiques confortent,

en privilégiant les Cultural Studies, le succès des Colonial et des Postcolonial Studies... De

nombreux intellectuels du Sud jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans cette dynamique et

contribuent à la montée en puissance de certains courants théoriques qui, sur les campus américains,

retravaillent la pensée occidentale46

. Sans doute plus que tout autre, l’histoire du fait colonial reste

sous-tendue par un enjeu épistémologique important : celui de la confrontation entre « notre

histoire » et « celle des autres », où la question spécifique des « regards croisés » entre chercheurs

d’horizons divers pose des problèmes spécifiques renvoyant à des querelles de légitimité et

perpétuant même, dans certains cas, une division scientifique du travail héritée des temps

coloniaux. »

Depuis les années 1990 : vers une histoire de la complexité des expériences coloniales

Élaborées ailleurs, dans un autre contexte et en écho à d’autres demandes sociales, ces

problématiques ont fait retour dans l’histoire de la colonisation élaborée en Europe et en aAfrique

dans les années 1990. Parallèlement, des démarches novatrices Ŕ parfois construites pour d’autres

espaces et/ou d’autres phénomènes historiques, parfois forgées par la réflexion sur le fait colonial

45

Claude Liauzu, Colonisation : droit d’inventaire p. 7. Il parle aussi, dans un article de 2002, de « paysage après la

bataille ». 46

Cf. Mamadou Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales,

Karthala, 1999.

Page 25: Rapport Fait colonial

25

lui-même47

Ŕ suscitent de nouvelles questions. L’histoire des femmes et du genre, l’exploration de

pistes ouvertes par Michel Foucault (marginalités, enfermement, déconstruction des savoirs), la

réflexion sur la mémoire, l’essor de la nouvelle histoire culturelle, de la nouvelle histoire politique,

de la socio-histoire contribuent à renouveler le regard sur les sociétés colonisées48

. En histoire

politique, la réflexion conduit à reconsidérer les nationalismes des années 1950-60 en s’intéressant

aux diasporas, aux minorités, à l’ethnogenèse, aux constructions identitaires, et en étudiant la

« marge de manœuvre » (l’agency) des dominés en situation coloniale. En histoire sociale et

culturelle, des mutations tout aussi importantes sont repérables, qui font sortir de l’ombre des

groupes et acteurs sociaux jusqu’alors négligés (femmes, esclaves, marginaux, minorités, élites,

anciens combattants, jeunes…). En histoire économique, on réévalue l’impact de la colonisation49

.

Les méthodologies évoluent, tandis que l’on travaille d’autres sources : témoignages, sources

orales, sources littéraires, iconographie, discours scientifique, etc.

L’éloignement du fait colonial, le déplacement des thématiques, le renouvellement des

générations ont sans doute permis de poser, de façon de plus en plus convaincante et dépassionnée,

la question de l’ambiguïté fondamentale de la « situation coloniale » théorisée par Georges

Balandier dès 1951 : faite d’oppression et de violence, d’inauthenticité et d’inégalité, elle a aussi été

génératrice d’hybridations, de métissages, de va-et-vient entre les cultures et, qu’on le veuille ou

non, a constitué la voie spécifique d’entrée dans la modernité pour la plupart des pays colonisés.

Elle a non seulement formé un système englobant, mais elle a aussi été une expérience historique où

ont eu à se déterminer des acteurs, ce qui suppose une analyse très fine des rapports

intercommunautaires.

L’accent est donc mis de plus en plus sur la complexité des expériences coloniales et sur

l’hétérogénéité des forces en présence, la diversité des agents, des motivations, des modalités

d’exécution, des conséquences sociales et des mutations induites par le projet impérialiste. Pierre

Boilley et Ibrahima Thioub, lorsqu’ils analysent le concept de « résistance » à la colonisation,

montrent qu’il « a donné à l’historiographie les moyens de présenter un tableau d’ensemble du

continent au cours de la seconde moitié du XIXe siècle [et] de penser de façon cohérente les réponses

des sociétés africaines » ; mais ils soulignent aussitôt que le concept, si fécond qu’il ait pu être, a

occulté la profonde diversité des sociétés coloniales, induisant « d’importantes difficultés à penser

les tensions internes aux sociétés africaines pendant cette séquence historique »50. Ces auteurs font

le même travail d’analyse à propos d’un autre thème sensible : celui de la participation des

Africains à la traite atlantique, généralement analysée selon une opposition purement

« chromatique » (négriers blancs, esclaves noirs), alors même que tout le système de « production »

47

Par exemple autour de la relecture des notions d’« acculturation » (Roger Bastide), de « métissage » (Nathan

Wachtel, Serge Gruzinski) ou de « situation coloniale » (Georges Balandier). L’idée que l’impérialisme a été une

matrice de la modernité occidentale est travaillée à nouveau dans les années 1990, à mesure que s’affirme, autour

d’auteurs comme Frederick Cooper & Ann Stoler (Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World,

Berkeley, University of California Press, 1997. 48

On ne peut bien sûr les citer tous, mais dans cette veine signalons quelques travaux : Florence Bernault sur les

prisons ; Ch.-Didier Gondola ou Odile Goerg sur la sociabilité urbaine ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Anne Hugon,

Pascale Barthélémy, Julia Clancy-Smith, Dalenda Larguèche sur femmes et genre ; Jean-Hervé Jézéquel ou Noureddine

Sraïeb sur les “élites” ; Daniel Hémery sur la société indochinoise ; Isabelle Merle sur la Nouvelle-Calédonie ; Edmund

Burke III, François Pouillon, Daniel Rivet, Kmar Bendana, Nabila Oulebsir, Laurent Dartigues, Emmanuelle Sibeud,

Anne Piriou ou Marie-Albane de Suremain sur les savoirs coloniaux ; Charles Tshimanga ou Nicolas Bancel sur les

jeunes ; Faranirina Rajaonah ou Emmanuelle Saada sur les métis ; David Prochaska ou Joe Lunn sur les

représentations ; Omar Carlier ou Annie Rey-Golzeiguer sur le politique ; Ibrahima Thioub ou Habib Larguèche sur les

marginalités ; Christelle Taraud sur la prostitution ; sans oublier des travaux novateurs sur la guerre d’Algérie (Djamila

Amrane, Mohamed Harbi, Guy Pervillé, Benjamin Stora, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénaud), etc. 49

Cf. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, A. Michel, 1984 ; Daniel

Lefeuvre, Chère Algérie (1930-1962), Société Française d’histoire d’Outre-mer, 1997. 50

Pierre Boilley et Ibrahima Thioub, « Pour une histoire africaine de la complexité » in Séverine Awenengo, Pascale

Barthélémy et al. (éd.), Écrire l’histoire de l’Afrique autrement, L’Harmattan, 2004, p. 36.

Page 26: Rapport Fait colonial

26

des esclaves supposait la participation active de certains groupes africains détenteurs de pouvoir.

Depuis le début des années 2000, on peut noter le fort dynamisme de l'histoire sociale et

culturelle du fait colonial, qui prône la nécessité d’aller au-delà des analyses relevant de l’histoire

politique et économique (années 1950-1990). L’idée centrale de l’histoire culturelle du colonial est

que la domination 1°) est passée par des dispositifs d’ordre culturel ; 2°) a engendré des

hybridations culturelles intéressantes.

Quelques exemples parmi tant d’autres :

Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique? La construction des savoirs

africanistes en France 1878-1930, Editions de l’EHESS, 2002. (sur les « sciences

coloniales »)

Sean Hawkins, Writing and Colonialism in Northern Ghana, The Encounter between the

LoDagaa and the « World on paper », University of Toronto Press, 2002. (sur l’introduction

de l’écriture via l’administration coloniale)

James Burns, Flickering Shadows. Cinema and Identity in Colonial Zimbabwe, University of

Ohio Press, 2002. (sur le cinéma en Afrique)

Luise White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, University of

California Press, 2000. (sur les représentations négatives des colonisateurs européenns en

milieu populaire)

Pascale Barthélemy, Femmes, africaines et diplômées : une élite auxiliaire à l'époque

coloniale. Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale française (1918-1957), thèse

de doctorat d'histoire, Université Paris 7-Denis Diderot, 2004, 945 p.

Jean-Hervé Jézéquel, Les « mangeurs de craies ». Étude socio-historique d’une catégorie

lettrée. Les instituteurs de l’école normale William-Ponty (c. 1900-c. 1960), thèse de

l’EHESS, 2002, 792 p.

Hélène Charton, La genèse ambiguë de l'élite kenyane : origine, formation et intégration, de

1945 à l'indépendance, thèse de doctorat de l’université de Paris-7, 2003.

De manière générale, un des indices du regain d’intérêt pour l’histoire coloniale française est

peut-être à rechercher dans le renouvellement des manuels et dans la multiplication des ouvrages

bilans51

qui prennent en compte le renouveau des paradigmes et les mutations de l’historiographie

récente.

La volonté d’en saisir les ressorts complexes n’empêche pas de penser le fait colonial comme

profondément lié à la modernité occidentale et de vouloir l’étudier sans discontinuité entre

métropole et colonies52

, afin de saisir la circulation des idées, des hommes, des pratiques. Ainsi

« découvre »-t-on que le terrain colonial a été, bien souvent, un laboratoire d’expérimentation et

d’innovation (par exemple : la protection des monuments historiques s’ancre dans l’expérience de

Algérie coloniale), que les itinéraires coloniaux ont été primordiaux dans bien des carrières

nationales (par exemple : Paul Doumer est gouverneur de l’Indochine avant de devenir président de

la République) et que certaines pratiques coloniales discriminatoires ont pu servir de matrice à des

pratiques métropolitaines (par exemple, le fait que, dans les colonies, la citoyenneté soit

déconnectée de la nationalité a sans doute servi de précédent au statut des juifs sous Vichy).

Ce lien consubstantiel entre colonies et métropoles est de plus en plus souvent envisagé par les

chercheurs sous le concept unificateur de « sociétés impériales ». Dès la colonisation des XVIe, XVII

e

et XVIIIe siècles, de « systèmes » lient dans un même espace colonisateurs et colonisés,

51

Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2002 ; Jacques Frémeaux, Les empires coloniaux

dans le processus de mondialisation, Maisonneuve & Larose, 2002 ; Claude Liauzu (dir.), Colonisation : droit

d’inventaire, A. Colin, 2004 ; Benjamin Stora et Mohamed Harbi (dir.), La guerre d’Algérie (1954-2004). La fin de

l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004. 52 Cf. notamment les travaux des chercheurs anglophones : Frederik Cooper et Ann Stoler, Tensions of Empire 1997 ;

Alice Conklin, “Boundaries Unbound: Teaching French History as Colonial History and Colonial History as French

History”, French Historical Studies, vol. 23, 2000, pp. 215-238. Voir aussi : Herman Lebovics, La vraie France. Les

enjeux de l’identité culturelle, 1900-1945, Paris, Belin, 1995.

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27

métropolitains et colons, économe domestique et économie d’outre-mer. Ces systèmes coloniaux

ont reposé à la fois sur des échanges économiques spécifiques, sur la circulation des hommes entre

métropoles et colonies, mais aussi sur des constructions idéologiques fortes Ŕ notamment en termes

d’identités supranationales de nature impériale (notion de britishness, formule de la « Plus grande

France », etc.).

Au final, la notion de postcolonialité actuellement en vogue rend bien compte du fait que les

sociétés des ex-métropoles comme des ex-colonies sont intimement façonnées par le passé colonial.

L’identité de la France s’est, par exemple, construite dans et par la colonisation. De la même façon,

les sociétés du Sud sont profondément imprégnées par des héritages coloniaux. Enfin, si l’histoire

coloniale est à replacer au cœur des histoires nationales des pays colonisateurs et des pays

colonisés, elle doit aussi s’envisager dans une perspective d’histoire globale : le phénomène

colonial a été un moment crucial de l’histoire de la mondialisation, de l’articulation (par contacts,

affrontements, expansion, conquête et domination) entre des multiples sociétés et civilisations de la

planète.

Page 28: Rapport Fait colonial

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IV. PISTES DE TRAVAIL

SEPT DOSSIERS DOCUMENTAIRES

Dossier 1 : Économie et société dans les empires coloniaux

Dossier 2 : Séquence Lettres-Histoire : Au cœur d’une plantation sucrière

Dossier 3 : Faire régner l’ordre colonial

Dossier 4 : Contester l’ordre colonial

Dossier 5 : Vivre aux colonies : la complexité des dynamiques sociales

Dossier 6 : Femmes, métis, métissages

Dossier 7 : Expositions coloniales et cultures impériales

La sélection de nos sept dossiers a procédé d’un certain nombre de choix et de convictions,

qu’il convient d’exposer brièvement.

Nous avons d’abord voulu axer le travail sur le vécu et sur la parole des colonisés, en

proposant autant que faire se pouvait des documents centrés sur les « dominés ». C’est aussi pour

cette raison que nous avons essayé de nous démarquer d’une certaine histoire des représentations

(histoire de la « propagande » coloniale sous toutes ses formes) qui, si elle a produit une

iconographie abondante dans les manuels scolaires et couramment utilisée en classe, fait souvent

l’économie d’une véritable réflexion sur la réception de ces images et qui, une fois encore, analyse

le discours produit par les colonisateurs à l’usage de leurs propres sociétés.

Il nous a semblé important de mettre en avant les multiples ressorts de la domination juridique

et politique qui ont fondé de façon extrêmement concrète l’« ordre colonial » : on a notamment

tâché de rendre compte d’un chantier de recherche récent, consacré au droit colonial comme

dispositif central de la domination (statuts juridico-politiques dans le cadre impérial, inégalités

juridiques et politiques, formes de la répression et de la violence)

Dans plusieurs dossiers, nous avons choisi d’insister sur les formes de continuité entre 1re

colonisation et 2e colonisation, envisageant ainsi l’histoire de la domination dans la longue durée

(XVIe-XX

e s.). Ce choix renvoie à la critique de plus en plus explicite de la césure

traditionnellement employée dans l’histoire de la colonisation française. Ce découpage est d’abord

très franco-français, l’historiographie française marquant un « avant » et un « après » 1789 qui

introduit une coupure parfois totalement artificielle pour des phénomènes de longue durée (comme

notamment la colonisation). Par ailleurs, cette rupture classique a longtemps empêché de réfléchir

de façon argumentée la notion d’impérialisme colonial, la réservant au seul XIXe siècle Ŕ là encore,

des travaux récents mettent en lumière des continuités intéressantes entre colonisation de l’époque

moderne et contemporaine.

Nous avons essayé, autant que possible, de mettre en avant l’idée d’ambiguïté et d’ambivalence

de la relation coloniale. Au-delà de la mise en évidence des aspects coercitifs et répressifs de la

colonisation (aujourd’hui relativement bien documentés par les historiens), nous avons voulu rendre

compte de l’attention grandissante des chercheurs pour les phénomènes d’« hybridation »,

(appropriation par les colonisés d'éléments importés par les Européens et vice versa) et pour la mise

en évidence d’une « marge de manœuvre » (agency) des colonisés dans le système colonial

(marronnage, résistances, adaptation, métissages, etc.). Les sociétés coloniales, qu’on le veuille ou

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non, ont aussi fourni des opportunités aux « indigènes », opportunités ouvertes par les

bouleversements sociaux liés à la colonisation (mobilité sociale, émergence d’élites, école, armée,

politiques sanitaires, etc.). Il ne s’agit pas là d’évoquer l’hypothétique « rôle positif de la

colonisation » et autres « bienfaits », mais d’être attentifs aux profondes et complexes mutations

intervenues au sein des sociétés soumises au phénomène impérial.

Les dossiers proposés concernent les classes de 4e, 3

e, 2

e, 1

e et Terminale d’ histoire et abordent les

différents chapitres des programmes consacrés à la colonisation. Les heures dévolues aux différents

chapitres des programmes ne permettent pas de toujours approfondir le thème étudié. Aussi,

certains documents ou groupes de documents peuvent apparaître comme inapplicables avec des

élèves. Cependant, d’une part, certains extraits sont longs afin que l’enseignant puisse mener le

travail d’appropriation. D’autre part, outre que du travail sur les documents peut être donné à la

maison et peut s’inscrire dans un projet ou un dossier qui s’échelonne durant l’année scolaire, avec

du travail en groupe et une production à fournir sous forme d’exposé par exemple, plusieurs

documents peuvent être coupés. En effet, nous avons souhaité donner accès à des documents inédits

ou peu connus en proposant des pistes de réflexion ; au professeur intéressé à se l’approprier et à

l’adapter à sa personnalité, à son enseignement et à ses classes. Par ailleurs, ces dossiers offrent la

possibilité d’établir des liens avec le programme de lettres, notamment au collège (cf la proposition

de séquence croisée) et avec le programme de philosophie en classe de Terminale. Enfin, certains

documents, notamment ceux consacrés au droit, peuvent faire l’objet d’un travail en éducation

civique.

Page 30: Rapport Fait colonial

30

DOSSIER 1

ÉCONOMIE ET SOCIETE

DANS LES EMPIRES COLONIAUX

L’histoire critique de la colonisation, depuis les années 1950, s’est d’abord construite sur

l’étude du fonctionnement économique de la domination européenne. Elle a mis en évidence les

ressorts concrets de l’économie impériale, tant durant la 1re

colonisation que durant la 2e. Spoliation

foncière, « mise au travail » des populations (et, dans cas des « vieilles colonies », mise en

esclavage et déportation des Africains), économie de traite et de pillage, productions destinées à

l’exportation dans le cadre de l’économie de plantation ou minière (sur la base de l’esclavagisme,

puis du salariat), transfert vers les métropoles de biens et de capitaux, rôle du commerce de

l’économie coloniale dans le « décollage » des économies européennes et dans le sous-

développement des pays colonisés, etc. Autant d’éléments analysés, discutés (parfois âprement) par

les spécialistes Ŕ on peut renvoyer aux grands débats marxistes sur les liens entre impérialisme et

colonialisme ou, plus récemment, aux polémiques autour des analyses d’Olivier Pétré-Grenouilleau

sur l’apport du commerce de la traite dans le take-off de la Révolution industrielle.

Ces questions générales étant relativement documentées dans les manuels scolaires, nous avons

choisi, dans ce premier dossier, de privilégier une approche plus « micro », au plus près du terrain.

Pour ce faire, nous avons sélectionné quelques documents centrés sur les effets concrets de la

colonisation qui devraient permettre aux élèves de prendre en compte la dimension humaine de la

colonisation. La domination européenne a, en effet, bouleversé des sociétés locales (en Afrique, en

Asie) ou construit de toutes pièces des mondes nouveaux (aux Antilles et en Guyane, notamment)

(doc. 1, 2). Elle a imposé des formes de travail particulièrement violentes (esclavage, travail forcé,

travail dans les mines, etc.) (doc. 1, 2, 3, 4, 6). Elle a façonné des paysages et des terroirs, balayant

bien souvent l’organisation antérieure des colonisés (doc. 2, doc. 5).

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Pierre Brocheux, Histoire économique du Vietnam de 1860 à nos jours, Les Indes savantes,

2009.

Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Le Congo au temps des grandes compagnies

concessionnaires, 1898-1930, Paris, Éditions de l´EHESS, 2001 (1re

éd. 1972).

Marcel DORIGNY et Bernard Gainot, Atlas des esclavages. Traites négrières, sociétés

coloniales, abolition de l’Antiquité à nos jours, Paris, Editions Autrement, 2006.

Jean-Louis DONNADIEU, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles

et Gascogne, Presses universitaires du Mirail, 2009.

Marie POLDERMAN, La Guyane française de 1676 à 1763 : mise en place et évolution de la

société coloniale, tensions et métissage, Ibis Rouge, 2004.

Christian SCHNAKENBOURG, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe (XIXeŔ XX

e

siècles), L’Harmattan, 3 tomes parus dans les années 2000.

Dossier sur géographie & colonisation, revue Mappemonde, n° 91 et n° 92 (3 et 4/2008),

revue en ligne : http://mappemonde.mgm.fr

Page 31: Rapport Fait colonial

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1 Ŕ

ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR L’APPORT DE L’ARCHEOLOGIE

À L’HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE

Présentation générale

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les esclaves n’ont guère laissé de trace matérielle. Biens meubles,

lorsqu’ils décèdent, les esclaves sont inhumés le plus souvent dans le cimetière de la plantation sans

même que leur décès apparaisse sur le registre des sépultures de la paroisse. Cependant des

campagnes de fouille récentes (une habitation coloniale en Guyane, un cimetière en Guadeloupe)

ont donné quelques résultats.

Documents : Extraits divers sur les recherches archéologiques menées en Guyane et en

Guadeloupe

1. L’habitation Loyola, à Rémire en Guyane

En Guyane, les fouilles archéologiques menées l’habitation « Loyola », la plus importante de la

colonie sous l’Ancien Régime, ont permis de dégager la réalité du fonctionnement matériel d’une

grande sucrerie :

« Ainsi, on y [sur l’habitation Loyola] trouve les restes de la plus vieille chapelle retrouvée à ce

jour ; la forge et le cimetière sont les premiers aménagements de ce genre à être étudiés. Malgré ce

constat positif, les fouilles n'ont pas permis de localiser l'emplacement du quartier des esclaves. En

effet, celui-ci était régulièrement déplacé pour faire place à de nouveaux champs de cannes. Notre

connaissance de la vie quotidienne des esclaves se limite à ce que les auteurs anciens aient bien

voulu nous dire ; leur univers matériel se composait en partie d'objets en matière organique disparus

sous l'action de l'acidité du sol. »

Source : Nathalie Croteau,

« L’habitation de Loyola : un rare exemple de prospérité en Guyane française », Journal of Caribbean

Archaeology, 2004.

Mais les fouilles n’ont rien apporté ou presque en ce qui concerne la vie quotidienne des

esclaves à l’exception des pipes d’esclaves, lesquelles constituent un maigre témoignage des

habitus et des compétences serviles :

« [Au XVIIIe siècle], pour fumer le tabac, les Noirs utilisaient des pipes en terre. [En Guyane],

les pipes sont les seuls objets spécifiques aux esclaves que l’archéologie nous ait livrés jusqu’à

présent. On a retrouvé des pipes d’esclaves sur une dizaine de sites ».

Source : Yannick Leroux,

L’habitation guyanaise sous l’Ancien Régime, Thèse de l’EHESS, Paris, 1994.

2. Le cimetière de l’anse Sainte-Marguerite en Guadeloupe

En 1995 puis en 1996, les cyclones Luis et Marylin labourent les côtes de la Guadeloupe. Ils

mettent au jour des ossements humains dans l’anse Sainte-Marguerite, sur la commune du Moule.

Page 32: Rapport Fait colonial

32

Les spécialistes accourent. Parmi eux, Thomas Romon, un métropolitain attaché à l’Institut national

de recherches archéologiques préventives. Les pelles révèlent quelques sépultures amérindiennes,

datant de l’an 1000. Mais d’autres fosses attirent l’attention. « Les corps n’étaient cette fois pas

disposés en position foetale, se souvient Thomas Romon. Ils étaient allongés, la tête à l’ouest. Ce

cimetière était clairement d’époque coloniale ».

En dix années de campagne, plus de 300 corps Ŕ 200 adultes et 100 enfants - ont été exhumés et

stockés au Musée archéologique du Moule. Des sondages et des extrapolations laissent penser

qu’un millier de personnes ont été enterrées là, anonymement.

L’étude des ossements ne laisse guère de doutes à Thomas Romon : « Nous avons très

probablement mis au jour un cimetière d’esclaves. » Les dépouilles ont donné de précieuses

indications sur les conditions de vie de ceux qui ont été inhumés là. « Les individus ont pour la

plupart moins de 30 ans, mais ont les ossements de gens de 60 ans. Ils sont sans doute morts de

surexploitation : ils ont tous les marqueurs du stress physique, notamment des problèmes

articulaires. Beaucoup souffrent de caries, voire n’ont plus de dents, signe de carences

alimentaires. On retrouve également de multiples cas de tuberculose osseuse, ce qui laisse penser

que cette maladie était endémique dans la population. »

Les esclaves étaient baptisés. La découverte de clous, de restes de croix permet d’imaginer que

ces individus ont été enterrés religieusement. Des couples semblent avoir été formés. Des enfants

ont été rapprochés de ce qui devait être leur mère. Une pipe, un crucifix taillé dans un os de vache

ont également été retrouvés...

Source : Benoît Hopquin, Le Monde du 16 août 2006

Pistes de travail

Page 33: Rapport Fait colonial

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- Sur la carte, indiquer la Guyane française, la Guadeloupe, la mer des Caraïbes, l’océan

Atlantique, l’océan Pacifique.

- Pour quelles raisons les fouilles archéologiques des quartiers d’esclaves sur les plantations en

Guyane au XVIIIe siècle, donnent-elles peu d’informations sur la vie quotidienne des

esclaves ? (document 1)

- Quels sont les seuls objets spécifiques aux esclaves que les fouilles archéologiques ont permis

de retrouver ? (document 2)

- Où se situe le cimetière de l’anse Marguerite ? Dans quelles conditions a-t-il été découvert et

quand ? Pourquoi s’agit-il d’une découverte importante pour l’histoire de l’esclavage ?

Qu’apprend-on sur les conditions de vie des esclaves inhumés là ? (document 3)

Mots clés

Esclavage / première colonisation / habitation / Guyane / sépulture/ archéologie / Guadeloupe

Pistes d’exploitation possibles

4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle

2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle

LEP : idem

Page 34: Rapport Fait colonial

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2 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE

SUR LA VIE QUOTIDIENNE DANS LES PLANTATIONS

DE SAINT-DOMINGUE AU XVIIIe SIECLE

Présentation générale

Le pilier économique principal Ŕ mais non unique Ŕ des « îles » était la production de sucre. À

la veille de la Révolution française, la partie française de Saint-Domingue (actuelle Haïti) à elle

seule produisait 40 % du sucre mondial, mais cette réussite avait un terrible coût social : demi-

million d’esclaves. Comment était organisée une sucrerie, comment le sucre était-il fabriqué,

quelles étaient les préoccupations premières des maîtres et à quelles duretés quotidiennes la vie des

esclaves était-elle confrontée ? L’ensemble documentaire présenté ici en fournit plusieurs exemples.

Mots-clés : plantation (habitation), sucre, esclavage, Antilles, Saint-Domingue

Pistes d’exploitation possibles

4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries).

LEP : idem

2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

Relations avec autres disciplines

Français (textes sur la condition des esclaves).

Cours sur la condition des esclaves, la relation maître-valet.

Page 35: Rapport Fait colonial

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doc. A Ŕ Plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis (Saint-Domingue, 1785)

(reproduction simplifiée de l’original)

Page 36: Rapport Fait colonial

36

Présentation du document

Ce plan de la sucrerie Juchereau de Saint-Denis, dressé en 1785, a été retrouvé au château de

L’Isle-de-Noé (Gers). Il faisait partie d’un lot de documents relatifs à cette habitation, papiers de

famille conservées en mains privées. Une fois constitué le dossier d’indemnisation des anciens

colons de Saint-Domingue, ces documents ont été remisés dans un grenier où ils ont dormi durant

des décennies. L’original de ce plan a été abîmé par l’humidité et les moisissures, restant cependant

lisible. Il a été possible de le reproduire à l’identique (au trait noir ; le fin liseré de couleurs qui

entourait les parcelles a été négligé). Cette reproduction contient deux ajouts par rapport à

l’original : à côté du numéro de chaque parcelle est également indiqué son nom (les noms ont été

retrouvés dans un document comptable qui accompagnait le plan). Par ailleurs, un essai

d’identification des bâtiments et des principaux lieux est proposé.

Analyse

Au moment de relevé de ce plan, la sucrerie Juchereau appartient à Louis-Barbe Juchereau

de Saint-Denis, grand planteur de Saint-Domingue. Située au Trou-du-Nord, non loin de Fort-

Dauphin (aujourd’hui Fort Liberté), elle faisait 254 carreaux (1 carreau correspond à 1,29 ha, soit,

dans le cas présent, un domaine de 327 ha de surface totale). Une mention précise que 60 carreaux

(77 ha) ont été acquis d’une habitation voisine appartenant aux héritiers Dureau. On peut donc en

déduire qu’à l’origine la sucrerie Juchereau faisait 194 carreaux (250 ha), soit déjà une taille

« américaine » (l’historien David Geggus a calculé que la taille moyenne des sucreries du nord de

Saint-Domingue oscillait entre 240 et 310 ha à cette époque). Les sucreries des petites Antilles

(Guadeloupe, Martinique…) étaient de taille nettement inférieure, tout en restant de superficie

importante quand on se souvient que le paysan français à la même époque, en métropole, n’avait

guère que l’équivalent d’un hectare en moyenne pour subsister.

L’échelle du plan est en « pas » (un pas correspond à 3 pieds 6 pouces, soit 1,13 m ). Sur sa

plus grande longueur (AB ou CD) le domaine s’étire sur environ 2,8 km de long, ce qui nous donne

une nouvelle indication quant à sa dimension. Quant aux surfaces plantées en cannes, elles

représentent quasiment 130 ha (100 carreaux) selon le plan.

Description des terrains

Ce qui frappe au premier regard est le découpage géométrique des pièces (parcelles)

plantées en cannes à sucre. L’habitation Juchereau illustre de façon exemplaire l’organisation d’une

telle culture, avec ses 24 pièces de forme géométrique, numérotées et portant des noms assez

banaux (en rapport avec la nature : morne, source, ravine…, les plantations : mokas, citronnier,

acajous, savane, manioc…, ou les installations : aqueduc, fossé, vuide, cases à nègres…). Comme il

fallait 18 mois pour qu’une bouture de canne arrive à maturité (12 mois dans le cas d’un « rejeton »,

repousse de cannes) toutes les parcelles n’étaient pas coupées en même temps. Numérotage et

nomenclature permettaient au gérant de suivre au plus près l’évolution de la croissance des plants et

des rendements. Ces parcelles nécessitaient une irrigation, l’eau captée dans la rivière de Caracol

servant à cet usage, ainsi qu’à la force motrice nécessaire pour le moulin broyeur de cannes. On peu

remarquer au passage que le lit de la rivière s’est modifié, le « lit actuel » ayant été creusé à la suite

d’une « avalasse » (orage tropical) particulièrement violent, qui a fait déborder le cours d’eau et

abandonner « l’ancien lit ». Une pièce non numérotée, juste au dessous de la pièce 23, semble être

une pépinière, mais on n’a aucune indication précise de ce qui est planté.

Au-dessus (nord-est) des pièces de cannes on remarque des sillons qui correspondent très

probablement aux places à vivres, jardins collectifs plantés en racines (manioc), bananes plantain ou

légumes afin de servir à l’alimentation des esclaves. Les esclaves pouvaient également disposer

d’un petit lopin privatif pour leur production personnelle (non explicités sur ce plan).

Au-dessus des sillons se trouvent les « bois debout », collines plantées d’arbres pouvant

Page 37: Rapport Fait colonial

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servir de bois d’œuvre ou de combustible pour la sucrerie (ou la cuisine). Chaque habitation ayant

ses animaux (mulets, bovins, chevaux) sont prévus des pâturages (« savanes ») pour leur nourriture.

La zone délimitée par les points CFGE, acquise par le maître, est-elle destinée à augmenter les

places à vivres, ou servir de réserve de bois debout ? On ne sait.

Description des bâtiments

On peut distinguer deux sortes de bâtiments : les logements et les constructions destinées à

la production sucrière.

Alignées parallèlement aux pièces 6, 7 et 23 on remarque une vingtaine Ŕ si tant est que le

trait du dessinateur corresponde à la réalité Ŕ de « cases à nègres » (logement des esclaves),

construites en matériaux les moins chers possibles. Cet alignement tranche par rapport à la

configuration observée ailleurs, où les cases sont regroupées en trois ou quatre petites « rues »,

formant une sorte de village. De l’ordre de 200 esclaves vivaient à Juchereau, on a donc affaire à

des logements collectifs (une case pour dix occupants, en moyenne ?). On remarque dans la parcelle

acquise une case isolée, peut-être le logement d’un esclave méritant ayant obtenu la « liberté de

savane » (liberté de circuler à l’intérieur de l’habitation) ou d’un « commandeur » (contremaître).

On observe également, isolée Ŕ et probablement un peu en hauteur Ŕ une grande case pouvant servir

de logement au gérant blanc chargé de veiller aux intérêts du maître en son absence (ce qui est le

cas). Il semble probable qu’une ancienne grande case, située près des bâtiments industriels, ait été

reconvertie à d’autres fonctions qui nous échappent.

Parmi les construction de type industriel, on peut remarquer le canal amenant l’eau au

moulin, un bâtiment en long servant de sucrerie (là où le jus est réduit en une mélasse épaisse

moulée dans des formes), un bâtiment en U servant de purgerie, avec un appentis servant de « case

à bagasses » (résidus de cannes broyées, pouvant servir de combustible pour les chaudières), ainsi

que l’étuve double permettant d’éliminer les dernières traces résiduelles d’eau dans les pains de

sucre. On remarque aussi un clocher (la cloche servant à l’appel des esclaves et à rythmer le

travail), l’hôpital (dispensaire) et un enclos servant au parcage des animaux.

Page 38: Rapport Fait colonial

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doc. B Ŕ Instructions pour l’entretien des esclaves d’une plantation (1783) (extraits)

L’hôpital sera mis en régie et l’on y administrera avec soin, quoique avec une sage économie, le

régime et les remèdes prescrits par l’ordonnance du chirurgien.

Tous les objets qui composeront cette dépense seront réunis dans un seul chapitre, et le journal du

chirurgien où seront relatés le nombre, le genre et le traitement des maladies, servira de pièce justificative.

Ce chapitre de dépense comprendra en outre tous les vivres et salaisons qu’on achètera pour les Nègres, ainsi

que toutes les gratifications, toiles, vêtements, etc., qui leur seront accordés pendant le courant de l’année.

Les femmes en couche, les nourrices, les enfants recevront tous les secours que l’état des unes et la

faiblesse des autres, exigeront humainement.

Les mères qui apporteront un enfant nouvellement né au premier de l’an recevront en outre de la

quantité de toile ordinaire de quoi faire un déshabillé complet en indienne ou gingo, avec un mouchoir du

Béarn pour elles, et de la cotonnade pour habiller leurs enfants.

Les Négresses qui auront cinq enfants vivant prendront une journée de la semaine à leur choix ; on

exigera qu’elles la déterminent une fois pour toutes, afin de prévenir les abus, les désordres, et soulager les

commandeurs nègres dans leur inspection, les distributions du travail, et le compte qu’ils en rendent aux

Blancs.

Celles qui auront six enfants vivant jouiront d’une entière liberté, à la charge d’en avoir le plus grand

soin, de leur ôter les chiques, de les tenir proprement, etc. et dans le cas de contravention, de négligence ou

d’abus de leur liberté, elles redeviendront soumises aux peines infligées par les maîtres sans perdre leur

liberté. Si cependant elles récidivaient trop souvent, on les remettrait au travail et l’on prendrait un soin

particulier de leurs enfants.

On distribuera tous les ans dans le mois de janvier la toile destinée à vêtir les Nègres, et dans des

quantités relatives à l’âge, la taille et l’état de chaque individu.

Ces toiles viennent de la Bretagne et ne peuvent être remplacées plus utilement ; mais on pourrait les

faire venir des manufactures elles-mêmes, au reste c’est une bien faible économie.

On aura soin que les places à vivres soient toujours bien garnies de vivres de toute espèce, et

particulièrement de manioc qui est de la plus grande ressource dans les sécheresses et les disettes.

Enfin on se mettra à même de ne jamais compter avec un Nègre qui a des besoins, et s’il y a un abus à

tolérer ce serait sans doute celui qui proviendrait d’une trop grande profusion dans la distribution des vivres.

On fera inoculer tous les Nègres nouvellement achetés, ainsi que tous les enfants nouvellement nés et

jugés en état de recevoir et soutenir cette maladie. On choisira pour la leur donner le meilleur inoculateur

connu, à moins que le chirurgien de l’habitation n’ait fait des preuves suffisantes de capacité dans cet état.

On ne détournera ni Nègres ni Négresses, mulâtres ni mulâtresses pour en faire des perruquiers,

couturiers, etc. ou pour les employer à tout autre usage qu’au service de la Manufacture, ou à celui du

procureur à qui on recommande la plus grande discrétion dans le nombre et choix des Nègres destinés à son

usage personnel.

Indépendamment de l’augmentation momentanée du mobilier que l’on portera au point où il doit être

pour balancer la résistance à laquelle il est appliqué, il sera fait tous les ans un remplacement mesuré et

calculé sur les pertes qu’on aura faites, mais en général on remplacera deux Nègres morts par trois nouveaux

ou 3 par 4, suivant les besoins de l’atelier.

Source : archives privées

Présentation du document

Ces instructions émanent d’un propriétaire vivant en métropole, et confiant l’administration de

son domaine à un procureur, c’est-à-dire un homme ayant procuration de signature pour engager

son nom dans toutes les opérations jugées nécessaires pour la bonne marche du domaine (achats

d’esclaves ou d’outillage, contrats avec négociants, actes passés devant notaire…). Ce document a

été retrouvé au château de L’Isle-de-Noé (Gers). Une fois constitué le dossier d’indemnisation des

anciens colons de Saint-Domingue, ces documents ont été remisés dans un grenier où ils ont dormi

durant des décennies.

Page 39: Rapport Fait colonial

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Analyse

La date de ce document est 1783, moment où M. de Juchereau, grand propriétaire absentéiste Ŕ

c’est le cas des trois-quarts des propriétaires à Saint-Domingue Ŕ change de procureur pour confier

la gestion de son domaine à Siméon Worlock, médecin anglais (originaire de la Jamaïque), l’un des

pionniers de la vaccination (on disait alors « inoculation ») antivariolique à Saint-Domingue. Cette

vaccination était pratiquée non par philanthropie, mais pour améliorer la condition sanitaire des

esclaves et donc en conserver le maximum pour la production agricole.

Les extraits présentés ici, en tête du document, nous montrent les dispositions relatives aux

esclaves (le terme de « nègre » n’est pas péjoratif à l’époque), telles que le maître entend qu’elles

soient appliquées par celui à qui il confie la procuration de sa signature, et donc l’administration du

domaine.

Comme on peut s’y attendre, le maître veut que les esclaves soient bien traités

(« humainement », est-il écrit), que rien ne soit épargné pour les soins, notamment envers les

femmes, les enfants et les malades… (pour qu’ils soient le plus vite possible rétablis et aptes à

reprendre le travail). De fait, le Code Noir fait obligation aux maîtres d’entretenir la main d’œuvre

servile, de la loger, l’habiller et de la soigner. D’où, explicitement indiqué, la distribution de toile

pour faire des vêtements. Mais rapporté à l’année, la quantité de toile attribuée n’est que peu de

chose et il n’était malheureusement pas rare que les esclaves soient déguenillés. Quant à la

provenance des toiles, il est fait allusion à la Bretagne, et à d’autres « manufactures » (selon les

arrivages ? Du port de Bordeaux arrivaient des tissus confectionnés en différents ateliers du Sud

Ouest). Le gingo est un tissu grossier confectionné localement.

Mention particulière doit être faite du régime des femmes. Ainsi, les mères de cinq enfants Ŕ

ayant donc assuré un niveau important de reproduction du cheptel humain Ŕ ont droit à un jour de

repos par semaine. Les mères de six enfants bénéficient même de la « liberté de savane » (liberté à

l’intérieur du périmètre de l’habitation). C’est l’usage, le maître n’innove pas. Mais leur

comportement Ŕ soins apportés aux enfants, respect de l’encadrement… - doit être exemplaire, sous

peine de punition, voire de remise pure et simple au travail (les femmes travaillaient aux champs

comme les hommes)… À quel moment est-il jugé que les bornes sont dépassées ? Cela reste de

l’estimation du gérant, on est dans le règne de l’arbitraire. Cela étant, ces dispositions semblent

traduire une politique nataliste, qui commence à être partagée par certains colons (cette pratique

était assez courante au XVIIe siècle dans les Antilles françaises, avant de laisser la place à des

importations massives d’esclaves adultes au XVIIIe siècle).

Le maître demande au régisseur de veiller aux « places à vivres » (c’est-à-dire aux jardins

collectifs servant à nourrir les esclaves, et notamment plantés en manioc). Tout ce qui est produit

sur place n’est pas à acheter, n’est pas une dépense à imputer au budget général. Mais il n’en reste

pas moins que l’alimentation est toujours un problème sur les habitations : les esclaves sont,

généralement, mal nourris, avec des rations déséquilibrées, riches en féculents, pauvres en viande

ou poisson.

Le propriétaire fait allusion à « l’inoculation », autrement dit la vaccination antivariolique. La

colonie de Saint-Domingue est effectivement pionnière en la matière, bien avant l’Europe. Il faut

dire que, dans le cas présent, nous avons affaire à une situation avantageuse, puisque celui qui reçoit

la procuration de Juchereau de Saint-Denis n’est autre que Siméon Worlock, l’un des propagateurs

de la méthode d’inoculation dans les ateliers du nord de St-Domingue.

Le maître insiste, par ailleurs, afin que ne soient pas donnés de « talents » particuliers aux

esclaves autres que ceux requis pour la bonne marche des travaux de l’habitation : tonnelier, sucrier,

maçon, ou charpentier, pratiques dont il y a immédiate utilité sur les lieux. En revanche, hors de

question de former des « perruquiers ou couturiers » pouvant certes travailler pour le procureur-

gérant mais dont le besoin se fait moins sentir, selon le maître, et surtout qui auraient des talents

susceptibles d’être reconvertis en profession libérale en cas d’affranchissement. Dans le même

ordre d’idée, le procureur-gérant aura selon le maître le personnel servile domestique en nombre le

Page 40: Rapport Fait colonial

40

plus réduit possible, et discret. Il s’agit d’éviter au maximum une trop grande familiarité et, à terme,

la tentation de trop affranchir pour services rendus.

Malgré les dispositions que l’on peut considérer comme natalistes, il semble manifeste que la

natalité à Juchereau ne suffise pas pour entretenir, sinon développer, le nombre de personnels

nécessaire à la bonne marche générale (et qu’est-ce que la « résistance » à cette politique ? Un refus

des mères d’enfanter des enfants destinés à l’esclavage ?). D’où la précision donnée quant au taux

de « remplacement »de la main d’œuvre disparue par décès (voire marronnage, non dit) : 3 ou 4

nouveaux pour 2 morts, selon les circonstances.

Le maître a conscience de la nécessité de renforcer l’atelier, de ne pas le laisser dépérir en

effectif en retardant l’achat de main d’œuvre, toujours coûteux (contrairement par exemple à

l’habitation des Manquets, appartenant au comte de Noé, où le personnel n’augmente pas alors que

la charge de travail s’accroît de façon considérable, dans les dernières années avant la Révolution)

Page 41: Rapport Fait colonial

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doc C Ŕ Bilan comptable de l’habitation Juchereau de Saint-Denis (1785)

Mobilier existant le 1er

mars 1785

Nègres 206

Naissances 8

Acquisitions 6

Mortalité 8

total 1er

mars 1785 212

Mulets 29

Acquisitions 17

Mortalité 8

Total 38

Bœufs 17

Acquisitions 13

Mortalité 26

Total 4

Vaches et suites 49 (vaches) 86 (suites)

Naissances - 21

Ventes 2 -

Mortalité 5 -

Total 42 105

Bêtes cavalines

Juments chevaux poulains

Existait en 1784 17 10 5

Acquisitions 1 -

Naissances 6

Ventes et mortalité 1 4 6

Total 17 6 5

1 taureau

2 bourriquots

Source : archives privées

Présentation du document

Il s’agit de l’état récapitulatif du mobilier existant en 1785 pour l’habitation Juchereau Saint-

Denis, au Trou-du-Nord (Saint-Domingue), issu du bilan comptable annuel envoyé par le procureur

(intendant) qui gérait le domaine. Il s’agit d’un exemple parmi bien d’autres ; ces états récapitulatifs

se présentaient selon le même modèle.

Page 42: Rapport Fait colonial

42

Ce bilan comptable a été retrouvé au château de L’Isle-de-Noé (Gers) dans des archives privées

Analyse

Le propriétaire vivant en métropole, il était d’usage que le procureur envoie un bilan annuel des

opérations (productions, recettes, dépenses) et éventuellement un journal mensuel de travaux, ainsi

que des correspondances relatives aux récoltes, travaux et état d’esprit général dans la propriété. Le

document présenté est la dernière page du bilan couvrant la période allant du 1er

mars 1784 au 1er

mars 1785 (le décalage par rapport à une année civile s’explique par la date d’entrée en fonction du

procureur). Cet état des lieux du « mobilier » n’est que la traduction brutale du Code Noir qui

considère les esclaves comme des biens meubles, au même titre que les animaux (article 44 de

l’ordonnance de 1685).

Nous ne sommes pas renseignés sur le pourquoi du dynamisme démographique. Contrairement

au souhait du maître, le procureur n’a pas renouvelé les pertes (8 décès) par plus d’achats de vivants

(6 acquisitions), peut-être du fait qu’il a estimé les 8 naissances comme susceptibles à terme de

compenser la perte. 212 individus commencent à faire un atelier important. La surface plantée en

cannes est de l’ordre de 130 ha, selon le plan, soit 100 carreaux selon l’ancienne unité utilisée à

l’époque (1 carreau = 1,29 hectare), ce qui fait un taux théoriquement « confortable » de 2 esclaves

à l’hectare, correspondant au seuil considéré alors comme optimal pour la culture de la canne et la

fabrication du sucre. Il semble bien que la charge de travail reposant sur les épaules du personnel

servile de Juchereau ne les harassait pas (du moins en théorie), ce qui n’était pas le cas partout,

malheureusement.

Nous ne sommes pas renseignés sur les raisons de la forte mortalité des bœufs (26 disparitions

en un an), peut-être une épizootie, mal endémique susceptible de décimer les troupeaux. Par

« suites », il faut entendre veaux et génisses. Les mulets servaient soient à faire tourner un « moulin

à bêtes », tourniquet susceptible de prendre le relais du moulin à eau pour presser les cannes, en cas

de trop faible débit de la rivière apportant l’eau nécessaire au moulin, soit de force motrice pour

tracter des cabrouets (charrettes) si les bœufs ne suffisaient pas. Le bon maintien en état du cheptel

animal était essentiel pour la bonne marche d’une habitation. Un procureur avisé faisait venir

régulièrement un chirurgien pour vérifier l’état sanitaire des esclaves, et un vétérinaire pour

examiner les bêtes de somme...

Page 43: Rapport Fait colonial

43

doc D Ŕ Processus de fabrication du sucre au XVIIIe siècle

Source : montage de gravures du XVIIIe siècle (notamment de L’Encyclopédie),

issu de l’exposition L’Isle-de-Noé, île des Antilles, tenue à L’Isle-de-Noé (Gers), été 2003)

Analyse

Dans ces divers documents iconographiques, sont illustrées les différentes phases de fabrication

du sucre selon les méthodes de l’époque. Une fois les cannes coupées et acheminées par cabrouets

jusqu’au pressoir, elles sont broyées pour en exprimer le jus (« vesou »). Ce jus passe dans une

batterie de chaudières où il est réduit en un sirop de plus en plus épais et clarifié des impuretés.

Lorsqu’il est très pâteux, ce sirop est versé dans des moules (appelés « formes »). On peut

éventuellement y ajouter en surface une argile humide qui, libérant de l’eau, contribue à éliminer

des impuretés (on parle alors de sucre « terré », sinon le sucre reste brut ; les opérations de raffinage

sont réservées à la métropole). Ces formes sont placées dans une purgerie, où le sucre cristallise et

où l’eau résiduelle finit par être recueillie dans des récipients (dits « recette à mélasse »). Une fois

démoulés, les pains de sucre sont placés dans une étuve durant une quinzaine de jours : la douce

chaleur qui s’y diffuse permet d’éliminer les toutes dernières traces d’eau. Enfin, les pains de sucre

sont réduits en poudre par pilage, avant d’être mis en barriques et expédiés en métropole. Le rhum

(ou « tafia ») venait de la distillation des résidus de mélasse.

Page 44: Rapport Fait colonial

44

Mots clés : sucre, habitation, esclavage

Pistes d’exploitation possibles

4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

LEP : idem

2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

Relations avec autres disciplines :

Français (textes sur la condition des esclaves)

Page 45: Rapport Fait colonial

45

doc. E Ŕ Un grand planteur esclavagiste à Saint-Domingue : le comte de Noé

Instructions du comté de Noé à son intendant (1790)

Par devant le notaire royal de la ville de Montesquiou Danglès, district de Mirande, département du Gers,

soussigné, présent les témoins bas nommés, fut présent et constitué en personne Louis-Pantaléon de Noé,

maréchal de camp et armées du roi sans ajouter les qualifications qu’il a toujours prises ainsi que ses ancêtres

de temps immémorial pour se conformer au décret de l’Assemblée nationale, lequel de son gré et volonté a

par ces présentes créé et constitué pour son procureur général et spécial, l’une qualité ne dérogeant à l’autre,

M. Duménil, actuellement sur l’habitation de mondit sieur de Noé dite de Manquets, située paroisse de

l’Acul, dépendance du Cap-Français, île et côte St-Domingue, auquel il donne pouvoir de pour lui et en son

nom régir et administrer ladite habitation en bon père de famille aux clauses et conditions ci-après.

Ledit sieur constituant accorde audit sieur procureur fondé pour émoluments de ses peines et soins cinq

pour cent qu’il percevra tous les ans sur les revenus de ladite habitation, de plus la somme de trois mille

livres argent de la colonie tant pour la pension et nourriture du raffineur et ouvrier quelconque qui pourront

être employés sur ladite habitation que pour l’entretien des voitures et chevaux dont ledit sieur procureur

fondé se pourvoir à ses dépens pour les voyages nécessaires aux affaires de l’habitation.

Ledit sieur procureur fondé jouira pour son usage seulement avec toute l’économie d’un bon père de

famille des douceurs de l’habitation, savoir pigeonnier, troupeau de moutons, vivres du pays pour ses

domestiques et grains qu’il recueillera pour sa volaille, etc., entendant ledit sieur constituant qu’il ne soit fait

chez lui aucun commerce direct ni indirect, en vivres, volailles, cochons, moutons, bœufs, chevaux ou

mulets ; lui permettant seulement de vendre les vieux bœufs, vaches et brebis pour le compte de l’habitation

seulement.

La dépense pour nourriture, remèdes et entretien d’hôpital sera portée au compte général des dépenses

d’habitation ; les frais seront faits avec une sage économie. Ledit sieur constituant entendant qu’il ne soit rien

épargné pour ses nègres malades et même pour ceux qui ont besoin d’être aidés, même ledit sieur procureur

fondé aura attention de planter le plus de vivres possibles.

Ledit sieur procureur fondé aura sous ses ordres un raffineur auquel il ne pourra donner plus de six mille

livres par an et il ne parviendra à lui donner cette somme qu’après avoir augmenté chaque année celle qu’il

lui donnera en entrant sur l’habitation à mesure qu’il sera satisfait de ses talents, surtout pour la fabrique du

sucre que ledit sieur procureur fondé surveillera avec la plus grande exactitude.

Ledit sieur constituant exige que son procureur fondé réside sur son habitation des Manquets, qu’il soit

uniquement chargé de ses affaires et ne pourra prendre d’autres procurations que du consentement dudit sieur

constituant. Son habitation étant assez considérable pour occuper seule son procureur fondé qui dirigera par

lui-même tous les travaux de ladite habitation pour lesquels il donnera des ordres sans aucun intermédiaire.

Ledit sieur procureur fondé enverra tous les mois exactement audit sieur constituant un journal de travaux

faits sur son habitation chaque jour, suivant le modèle qui lui en sera remis.

Ledit sieur procureur fondé donnera tous les ans audit sieur constituant, au trente-et-un décembre, par les

mains de son procureur honoraire, un compte général des recettes et dépenses qui sera débattu et arrêté par

ledit sieur procureur honoraire.

Ledit sieur procureur fondé sera tenu de faire passer à Messieurs Guilbaud et Gerbier et Compagnie,

négociants au Cap, tous les revenus de ladite habitation au fur et à mesure de leur fabrication, qui en

disposeront d’après la volonté dudit sieur constituant, à l’exception des sirops qu’il pourra vendre et il sera

tenu d’en rapporter le produit dans ses comptes.

Promettant d’avoir pour agréable tout ce qui sera fait et géré par son dit procureur constitué en vertu de la

présente procuration à laquelle voudra nonobstant surannation jusqu’à révocation expresse tant de la part

Page 46: Rapport Fait colonial

46

dudit sieur constituant que de son procureur honoraire. Promettant, &, obligeant, &, fait, passé et lu audit

sieur constituant dans son château de L’Isle-de-Noé le seizième jour du mois de septembre de l’an mil sept

cent quatre-vingt dix, avant midi, en présence du sieur Joseph-Marie Delort, bourgeois dudit L’Isle-de-Noé,

et de M. Joseph Agut-Lasserre, avocat en parlement, juge de la baronnie de Montesquiou, habitant de

Montesquiou, soussignés avec ledit sieur constituant et notaire.

signatures : Louis-Pantaléon de Noé, J. Delort, Agut-Lasserre, Ayliès notaire royal

Source : Archives Départementales du Gers, 3 E 14777

(registre des années 1789-1790 de Me Ayliès, notaire à Montesquiou), acte n° 1175

Présentation du document

Cet acte notarié datant de 1790 contient les instructions qu’un propriétaire de plantation

absentéiste, le comte de Noé, adresse à celui qui va détenir sa procuration pour gérer sa sucrerie à

Saint-Domingue.

Le comte Louis-Pantaléon de Noé (1728-1816), d’origine gasconne, est né à Saint-Domingue

(son père, officier de marine désargenté, s’y était marié avec Marie-Anne de Bréda, fille d’un

propriétaire sucrier). À l’âge de huit ans et demi, le jeune garçon va en métropole où, en digne fils

de l’aristocratie, il entame, à partir de l’âge de douze ans, une carrière d’officier dans les armées du

roi. Devenu en 1764 seul héritier des biens de sa mère, Louis-Pantaléon de Noé fait un séjour de six

ans (1769-1775) dans son île natale, pour redresser une situation financièrement délicate. Il va

s’associer avec son cousin, le chevalier d’Héricourt, propriétaire d’une sucrerie mitoyenne, fondant

ainsi la grande sucrerie des Manquets (700 ha, dont 300 plantés en cannes à la veille de la

Révolution). Une fois la situation redressée, il rentre en métropole, se marie et connaît, de 1776 à

1791, la vie de grand seigneur sur les terres familiales de L’Isle-de-Noé, en Gascogne. Mais la

tournure des événements révolutionnaires le pousse à émigrer, à Coblence (fin 1791) puis en

Angleterre, où sa situation va devenir financièrement de plus en plus délicate. Finalement le comte

de Noé se rallie à Bonaparte et revient en France. Mais le temps de la splendeur est définitivement

passé. Couverts de dettes, les Noé sont contraints de vendre leur château en 1809. Devenu Pair de

France Ŕ à titre héréditaire Ŕ sous la Restauration, Louis-Pantaléon de Noé meurt à Paris début

1816. En 1818, la famille a la possibilité de racheter le château de L’Isle-de-Noé.

En 2003, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture, des manifestations

historiques ont eu lieu à L’Isle-de-Noé. L’allée conduisant au parc du château s’appelle désormais

« allée Toussaint Louverture » et la place devant les grilles du château « place Jean-Baptiste

Belley » du nom du premier député Noir à la Convention.

Analyse

Il était d’usage pour les propriétaires sucriers absentéistes de consigner par-devant notaire les

instructions qu’ils transmettaient à leur procureur (le titulaire de leur procuration, ayant donc

pouvoir de signer et d’engager des dépenses pour la bonne marche du domaine) à Saint-Domingue.

Cela avait un caractère officiel indispensable pour que les choses soient fixées en cas de litige. En

l’occurrence, le comte de Noé nomme procureur un jeune raffineur blanc employé sur son

habitation, Joseph-Nicolas Duménil. Cette nomination se fait après quelques bouleversements :

licenciement du procureur Bayon de Libertat en 1789 (après dix ans de présence), courte gestion du

procureur Langlois de Laheuse de 1789 à 1790 (disparition du fait d’un brusque décès). Duménil a

été recommandé au comte par un cousin revenu un temps à Saint-Domingue, le comte de Butler.

Faute de mieux, Noé fait confiance à son cousin mais va, par ailleurs, nommer un « procureur

Page 47: Rapport Fait colonial

47

honoraire » chargé de surveiller la bonne marche de l’ensemble, à savoir François Guilbaud,

négociant au Cap-Français, par qui transitent les sucres produits par l’habitation.

Les émoluments du procureur consistent en un intéressement de 5% aux revenus de la sucrerie,

de façon à stimuler et la production et le zèle du titulaire de la procuration. Le taux est intéressant.

À cela s’ajoute un forfait de 3 000 livres pour entretenir un raffineur blanc (c’est-à-dire un

contremaître chargé de superviser la fabrication des sucres) et un ouvrier blanc éventuellement

embauché, ainsi que pour « l’entretien des voitures et chevaux » nécessaires au service de

l’habitation (laquelle se trouve à huit bons km du Cap-Français, et donc de la maison de négoce à

qui sont confiés les sucres). Par ailleurs les émoluments du raffineur sont plafonnés à 6 000 livres,

important salaire, pour un poste sensible, mais qui exige un étroit contrôle de qualité (aux Manquets

on produisait du sucre « terré », c’est-à-dire du sucre teint en blanc par une terre spéciale, et non pas

du sucre brut Ŕqui se vendait moins cher. Les opérations de raffinage étaient réservés pour la

métropole).

Le procureur (régisseur) a, comme le veut l’usage, la jouissance des « douceurs » de l’habitation

(pigeonnier, moutons, vivres du pays, grains…) pour sa consommation personnelle et l’entretien de

son personnel domestique, en « bon père de famille ». Mais le maître interdit explicitement tout

commerce desdites douceurs qui se ferait au détriment de l’habitation, probablement échaudé par

les pratiques des précédents procureurs dont il a finalement eu vent. Il faut dire que la réputation des

procureurs et gérants (comptables) appointés par des propriétaires absents était déplorable à Saint-

Domingue, leur position encourageant détournements et pratiques d’enrichissement rapide. Cela

explique également que le maître exige que le procureur réside constamment sur place et ne se

contente de faire des apparitions de temps à autre. Il doit aussi envoyer chaque mois un « journal de

travaux » selon un modèle à suivre, ainsi qu’un bilan comptable établi par année civile, ne se

bornant donc plus à des comptes approximatifs et quelques correspondances, comme ce fut

effectivement le cas durant les années précédentes. À ses dépens, Noé avait appris que ses revenus

en avaient souffert. Il ne sait pas encore que la condition de ses esclaves pouvait aussi directement

en pâtir.

À leur propos, le maître entend « qu’il ne soit rien épargné pour ses nègres malades et même

pour ceux qui ont besoin d’être aidés ». Le Code Noir fait obligation aux propriétaires d’entretenir

la force de travail servile, considérée comme meuble. De loin, le comte de Noé souhaite que cela

soit particulièrement le cas pour les soins médicaux et pour la nourriture (d’où l’ordre que soit

planté « le plus de vivres possibles »), avec une « sage économie » cependant, propos qui semble

quelque peu contradictoire avec l’intention généreuse qu’il affiche.

Mots-clés : plantation (habitation), esclavage, colon

Pistes d’exploitation possibles

2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

Relations avec autres disciplines Français (textes sur la condition des esclaves)

Page 48: Rapport Fait colonial

48

DOC. F. La vie quotidienne des esclaves de l’habitation des Manquets : les problèmes

sanitaires

Extraits de lettres retrouvées de l’intendant, Bayon de Libertat, adressées au comte de Noé

(1779-1787)

Lettre du 2 novembre 1779

Votre hôpital est très bien tenu, il y a beaucoup d’ordre, et vos malades sont très bien soignés, votre

chirurgien est un nommé Mauvezin auquel on donne 1500 [livres] et on fournit les remèdes. Il vient trois fois

la semaine et même plus s’il le faut, il reste sur l’habitation de M. de Bréda à la Plaine-du-Nord.

Lettre du 12 mars 1780

Je ne puis vous exprimer dans quel excès de contentement sont vos nègres, ils se portent tous bien,

travailleurs de bon cœur, ils sont dans la plus grande aisance, je n’en ai aucun de marron. Il m’en est revenu

plusieurs, que le chevalier [d’Héricourt, cousin du comte de Noé] croyait perdus, j’ai donné des places à plus

de 80 anciens nègres qui n’en avaient pas, pour les faciliter je les leur ai données toutes plantées.

La population est très belle chez vous, je l’encourage beaucoup. J’ai pris le parti d’attirer dans votre

grande case tous vos négrillons, ils y sont journellement, on leur donne à manger et on les soigne, si cette

partie n’est pas négligée, votre habitation se soutiendra, vous ferez un très bon et superbe atelier, vous êtes

présentement père de famille, vous devez penser différemment que le chevalier qui ne voulait que jouir.

Lettre du 11 août 1780

Les nègres sont très contents et travaillent de bon cœur pour vous, ils ont le cœur un peu plus tranquille,

les plus malheureux sont bien soulagés. Ils regorgent de vivres. Il n’y a pas d’habitation dans toute la colonie

où il y en ait autant. La population remplacera par la suite la mortalité. Je ferai tout ce qui dépendra de moi

pour l’encourager. Votre atelier est de la plus rare beauté. Je n’en connais pas de plus beau dans aucune

habitation.

Lettre du 27 mai 1782

Je puis vous protester, monsieur le comte, que jamais l’abondance en vivres aux Manquets a été comme

elle est et que jamais les nègres y ont été mieux soignés, soit en bonne santé, soit malades. On foule les

vivres dans tous les coins de l’habitation, ils s’y perdent pour ainsi dire (…)

Lettre du 8 octobre 1783

J’ai un soin extrême de vos nègres et surtout de la population que j’encourage le plus que je puis par les

douceurs, je nourris journellement les nègres du moulin, de la sucrerie et du fourneau, et je leur donne un peu

de morue depuis que les Américains viennent nous acheter nos sirops. (…)

Les négriers ne sont pas encore venus comme on nous l’avait annoncé, on ne traite qu’au comptant ou à

des termes qui sont comme tels, il serait nécessaire de vous mettre bon nombre de jeunesse dès 4 ou 5 ans et

de suite, et après quoi tous les ans une demi-douzaine, voilà ce qui soutiendra l’atelier de votre habitation, je

vais à la fin de cette année vous en faire connaître le nombre, par un inventaire que je vais en faire.

Lettre du 15 avril 1786

Il est temps, monsieur le comte, de commencer à acheter des nègres pour remplacer tout ce que j’ai perdu

depuis la mort du chevalier, il est inouï que je puisse soutenir à faire le revenu que je fais avec moins de

force qu’il n’y en avait, je voudrais bien vous acheter 12 nègres de 15 à 16 ans qui vous coûteront autant que

les plus grands et après quoi, tous les ans, six de douze ans. Cet achat est assez difficile à faire quand on veut

avoir des Arada et Congo. Il les faudrait un peu plus jeunes, et cela se trouve aisément, votre atelier est fort

beau et en bon état, j’ai une quarantaine d’enfants bien tenus proprement, desquels on prend le plus grand

soin, j’encourage le plus qu’il m’est possible la population, non seulement par l’argent que je donne aux

Page 49: Rapport Fait colonial

49

mères et à l’accoucheuse, mais encore par le grand soin qu’on prend de ces enfants lorsqu’ils sont sevrés. Ils

ne sont plus dès cet instant à la charge de la mère, pour l’habillement, la tenue et la nourriture. J’ai trois

femmes qui sont chargées de ce soin. Je compte que cela réussira bien.

Source : archives privées

Lettres reproduites dans DONNADIEU (Jean-Louis), Entre Gascogne et Saint-Domingue :

le comte Louis-Pantaléon de Noé, grand propriétaire créole et aristocrate gascon (1728-1816),

thèse de doctorat d’histoire, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2006.

Présentation du document

Ont été sauvées de l’oubli quatorze lettres, s’étalant de 1779 à1787, que le procureur (= le

régisseur de la plantation) Antoine-François Bayon de Libertat a adressées au comte de Noé,

propriétaire de la grande sucrerie des Manquets, au quartier de l’Acul-du-Nord (nord de Saint-

Domingue, actuelle Haïti), permettant ainsi de ressusciter la vie quotidienne de cette habitation,

l’une des plus importante du nord de la grande île. Bien entendu, les événements sont vus au travers

du regard d’un administrateur de domaine, toujours prêt à se mettre en avant et à se donner le beau

rôle. Bayon est également procureur de l’oncle du comte de Noé, Pantaléon II de Bréda, dont il

administre les sucreries Bréda du Haut-du-Cap et Bréda à-la-Plaine-du-Nord.

Mais, au-delà du satisfecit, ces extraits nous apprennent quelques aspects importants de la vie

quotidienne du personnel servile, en particulier les questions sanitaires, la nourriture, la politique

nataliste suivie par Bayon et les difficultés croissantes à produire toujours plus de sucre avec un

effectif constant.

Analyse

Questions sanitaires

« Votre hôpital est très bien tenu » (lettre du 2 novembre 1779) et un chirurgien vient trois

fois par semaine examiner les esclaves. Par hôpital, il fut entendre un dispensaire où les soins les

plus importants sont apportés aux malades, comme le Code Noir l’impose aux maîtres. Les visites

d’un chirurgien (et d’un vétérinaire, pour les animaux) s’avéraient indispensables pour surveiller

l’état sanitaire général. Il semble effectivement que l’atelier des Manquets soit bien suivi. En 1783-

1784, rougeole, dysenterie et petite vérole frappent la région, mais la grande sucrerie des Manquets

est moins touchée que d’autres. Curieusement, dans sa correspondance, Bayon ne parle pas de la

pratique de « l’inoculation » (vaccination antivariolique) qui commence à se développer à Saint-

Domingue.

nourriture

La question cruciale de la satisfaction des besoins alimentaires revient sans cesse, Bayon

insistant lourdement, au fil de sa correspondance, sur l’abondance dont l’habitation des Manquets

semble pourvue. On voudrait bien le croire, mais ce qu’il indique (lettre du 8 octobre 1783) à

propos des esclaves travaillant à la sucrerie, effectuant la pénible transformation du jus de canne en

sucre, dans une atmosphère surchauffée, jette quelque doute sur l’équilibre de la ration alimentaire

de l’ensemble. En effet, si à ces travailleurs de force est donné « un peu de morue » (achetée à

l’extérieur), cela signifie que les autres esclaves n’y ont pas forcément droit. Les esclaves

mangeaient beaucoup de féculents (manioc, banane plantain) mais l’apport en protides et lipides

était parfois insuffisant. Par ailleurs, il pouvait y avoir des trafics de nourriture sur les habitations,

aux Manquets comme ailleurs.

Page 50: Rapport Fait colonial

50

politique nataliste

En 1786, Bayon parle d’une quarantaine d’enfants dont il prend un soin particulier (trois vieilles

femmes se consacrent à leurs soins) et de l’encouragement qu’il porte aux mères et à l’accoucheuse

(probable affranchie) par des dons en argent. Mais cela n’est pas assez pour compenser les pertes

dues aux maladies, à la vieillesse (en 1780 Bayon parle de « 80 anciens nègres » qui cultivent des

« places » - jardins - participant ainsi à la production de nourriture, mais qui ne sont plus affectés à

la coupe de la canne), ainsi qu’à l’évasion (marronnage).

Au total, cette politique est insuffisante, car Bayon ne cesse de rappeler au comte qu’il souhaite

acheter de la main d’œuvre importée, jeune de préférence Ŕ moins chère que les adultes, plus apte

peut-être à s’adapter aux pandémies locales, plus malléable aussi. Mais le comte de Noé ne semble

avoir pris ni l’exacte mesure du manque d’effectif ni accepté la dépense nécessaire. L’atelier a beau

être décrit comme « fort beau et en bon état », la réalité est autre.

Production de sucre et atmosphère de travail

Bayon ne parle guère du travail des champs de canne, dont la superficie va, de 1779 à 1791, être

augmentée de deux tiers alors que l’effectif des bras disponibles ne bouge guère. Une conclusion

s’impose : la charge de travail tombant sur les valides est à la limite du supportable, bien à l’opposé

du « contentement » sempiternellement décrit. Le marronnage est à peine évoqué, il existe

cependant aux Manquets comme ailleurs. De fait, au fil du temps, la situation se détériore, cela

transparaît de correspondances ultérieures (mais non dues à la plume de Bayon). Lors de la grande

révolte des esclaves de la Plaine du Nord de Saint-Domingue (qui conduira à l’indépendance

d’Haïti), la sucrerie des Manquets sera l’une des toutes premières Ŕ sinon la première Ŕ à se

révolter.

Mots-clés : esclavage, santé, plantation (habitation)

Pistes d’exploitation possibles

4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

LEP : idem

2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIII

e siècle (fonctionnement des sucreries)

Relations avec autres disciplines

Français (textes sur la condition des esclaves)

Page 51: Rapport Fait colonial

51

3 Ŕ LE TRAVAIL FORCE EN AFRIQUE ÉQUATORIALE FRANÇAISE

AUTOUR DE 1910

Aux ordres de récolte du caoutchouc, les villages répondirent par un refus et, pour appuyer

l'administration, des colonnes volantes de gardes furent envoyées dans le pays. Les indigènes n’essayèrent

pas de résister, mais plusieurs milliers, proches du fleuve, s'enfuirent au Congo belge. Les autres se cachèrent

dans la brousse, ou dans des grottes dont on les délogea à coups de grenades. (…). Chaque village ou groupe

de villages fut alors occupé par un ou plusieurs gardes, assistés d'un certain nombre d'auxiliaires, et

l'exploitation du caoutchouc commença.

Il s'agissait de traiter la « landolphia humilis » (…). C’était un petit arbuste, très répandu dans toutes les

savanes, dont les racines profondes sécrétaient un latex de seconde qualité. Un programme fut élaboré (…).

Après l’appel du matin, tous, hommes et femmes, transformés en récolteurs, se dispersaient pour l'arrachage

des rhizomes et, à leur retour au village, chaque fagot était minutieusement contrôlé. (…) En fin de mois, la

récolte était portée au chef-lieu où avait lieu la vente, à raison de 15 sous le kilo. L'administration procédait à

la pesée et l’acheteur, prenant livraison de la marchandise, payait comptant non aux récolteurs, mais au

fonctionnaire qui versait la somme à l'impôt du village. La masse travaillait ainsi neuf mois consécutifs sans

toucher la moindre rémunération (souligné par Jean Suret-Canale).

Ce travail forcé alla à peu près les deux premières années, parce que le produit abondait et que la

nourriture était encore assurée par d’anciennes plantations de manioc. Mais vint un temps où la landolphia

se raréfiant à proximité des agglomérations, les récolteurs furent déportés vers de nouveaux

peuplements, parfois très éloignés des villages, où n'étaient autorisés à rester que les malades et les

jeunes enfants. (…) On avait prévu trois mois pour les plantations. Mais épuisés, découragés, persuadés

qu'on ne leur laisserait pas le temps d’entretenir leur champ, (…), les indigènes ne plantaient presque plus.

C'est alors que, pour se disculper, certains lancèrent ce slogan : « Ces gens sont tellement fainéants qu'ils ne

plantent même plus. Quoi d'étonnant à ce qu'ils crèvent de faim. »

Bientôt des primes de production, alcool, viande, marchandises diverses (…) furent largement distribués

par les acheteurs (les compagnies) aux chefs de village et aux gardes, incitant ces derniers à intensifier la

récolte, et ce furent le travail de nuit, les violences, les exactions. Des auxiliaires s'érigeant en policiers

donnaient la chasse aux nombreux récolteurs qui essayaient de se soustraire à la corvée et l'on rencontrait de

longues files de prisonniers, la corde au cou, nus, pitoyables. Que de ces malheureux, abrutis par les mauvais

traitements, n’ai-je pas vu défiler à cette époque sur certaines pistes écartées. Affamés, malades, ils

tombaient comme des mouches. Les malades et les petits enfants, abandonnés au village, y mouraient de

faim. (…) Par suite de ce lamentable état da choses, de nombreux villages, il n'existait plus que des ruines ;

les populations étaient réduites à la plus noire misère et plongées dans le désespoir. (…) Pour détourner

l’attention, on allait mettre tous les malheurs occasionnés par l’inhumaine exploitation du caoutchouc à

l’actif de la maladie du sommeil qui, il faut le reconnaître, avait fait aussi de graves ravages depuis une

dizaine d'années.

Source : Père Daigre, Oubangui-Chari. Témoignage sur son évolution (1900-1940), Dillen, 1947.

Cité par Jean Suret-Canale, Afrique Noire. L’ère coloniale (1900-1945), Paris, 1964..

Mots-clés : colonisation française, travail forcé, violence, exploitation économique, compagnies

concessionnaires, Afrique Équatoriale française.

Place dans les programmes

Classes de 4e, de 1

re et de Ter. S.

Thématiques

Page 52: Rapport Fait colonial

52

- Travail autour du travail forcé et de la violence en situation coloniale.

- Travail sur le système des compagnies concessionnaires et sur la collusion entre

administration coloniale et entreprises privées pour l’exploitation économique des

territoires » (prolongements possibles avec des extraits choisis d’André Gide, Voyage au

Congo).

- Travail sur la notion d’économie de traite.

- Travail sur les liens entre colonisation et mondialisation (le boom mondial du caoutchouc et

ses conséquences concrète au fin fond de l’AEF).

Pistes de travail

- Repérage géographique de l’AEF, et plus particulièrement de l’Oubangui-Chari.

- Exposé sur les formes anciennes et actuelles de « travail forcé ».

- Repérage et documentation dur l’histoire du caoutchouc, ses zones de production, ses usages

lors de la 2e révolution industrielle…

Analyse du document

Le texte proposé est issu des mémoires, publiées en 1947, du père spiritain Joseph Daigre (1881-

1952), missionnaire présent en Oubangui-Chari (Afrique Équatoriale française) de 1905 à 1939.

L’homme n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un anticolonialiste, ce qui donne d’autant

plus de force encore à son témoignage sur le travail forcé en AEF à la fin des années 1900. Il faut le

remarquer, toutefois, que si Daigre a été un témoin direct des faits qu’il décrit, il s’agit là d’un

témoignage très postérieur aux événements (1910 / 1947), témoignage qui n’expose guère son

auteur (qui a alors quitté l’Afrique) et ce, d’autant moins que l’ère qui s’ouvre après 1945 coïncide

avec une montée des récriminations contre les « abus » du système colonial.

La fonction occupée par le missionnaire le place dans une position critique vis-à-vis des autres

acteurs de la colonisation présents sur le terrain :

- 1°) l’administration coloniale, tout d’abord, représentante de l’État français dans les

territoires colonisés. À une époque marquée par un rude conflit entre État et l’Église en

métropole Ŕ et même si, dans les colonies, il n’y a pas d’application de la loi de Séparation

entre l’Église et l’État Ŕ, les relations ne sont pas nécessairement au beau fixe entre

administrateurs et missionnaires. Ces derniers reprochent souvent au premier d’épuiser les

« indigènes » et d’empêcher leur évangélisation. L’idée du missionnaire comme « rempart »

systématique protégeant les Africains contre les abus coloniaux se développe dans les

milieux ecclésiastiques et culmine dans les années 40-50 (date de parution des mémoires de

J. Daigre). C’est en fait une simplification abusive des relations qui ont été, sur le terrain,

très variables (collusion missions/administration, rivalités missions/administration, etc.).

- 2°) les entreprises privées, très actives dans le développement de l’économie coloniale et

très soucieuses du « retour sur investissement ». En Oubangui-Chari, plusieurs sont actives

autour de 1900 : la Société des Sultanats de l’Oubangui-Chari, la Cie de la Kotto, la C

ie de la

Moyabe, etc. Le texte n’en désigne pas une en particulier. L’activité de ces entreprises, qui

ont obtenu des larges concessions de terrains (voir infra), est contradictoire avec le travail

des missions d’évangélisation.

Daigre est un farouche adversaire du système concessionnaire qui s’est établi en Afrique

Équatoriale Française à la toute fin du XIXe siècle. L’État français a concédé en 1899, pour une

durée de 30 ans, de vastes portions des territoires colonisés à des entreprises privées (« compagnies

concessionnaires »). Celles-ci peuvent exploiter les espaces ainsi mis à leur disposition, à charge de

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les « mettre en valeur » et de les « équiper » en infrastructures de transport. L’administration

française, encore peu présente dans une AEF en cours d’organisation, abandonne parfois aux agents

des compagnies concessionnaires des prérogatives régaliennes (faire régner l’ordre, lever

l’impôt…) ou, comme c’est le cas ici, donne son concours aux activités commerciales des

entreprises, assurant la levée de main d’œuvre grâce aux agents de la force publique, fermant les

yeux sur les exactions commises, organisant les ventes à des prix fixés par les acheteurs européens

dans le cadre de la traite des matières premières.

À l’époque des faits décrits dans le document, on assiste à un boom mondial du caoutchouc

(2e révolution industrielle : pneus de voitures, de bicyclette, caoutchouc pour l’industrie, vêtements

imperméables, etc…). La demande internationale, extrêmement forte, n’est plus satisfaite par la

seule exploitation de la forêt amazonienne et le temps n’est pas encore venu des grandes plantations

d’hévéas dans le sud-est asiatique. La conséquence est un niveau élevé des prix mondiaux dans les

années 1900-1910 et l’intérêt d’étendre les zones de récolte du caoutchouc sauvage dans les empires

coloniaux. En AEF, c’est sous le double signe de l’économie de traite (cueillette intensive imposée

aux « indigènes », marchandises drainées par une pyramide de maisons de commerce, faibles

investissements productifs) et du système concessionnaire qu’est placée la ruée sur le caoutchouc.

La question du travail forcé est centrale dans ce texte. Ce travail forcé est imposé par

l’administration en parfaite collusion avec les compagnies privées qui ont besoin de main d’œuvre

bon marché. L’administration la leur fournit en contrepartie des services rendus dans le cadre de la

concession publique et au nom de la « mise en valeur » des territoires colonisés, en obligeant

notamment les populations à travailler pour payer l’impôt collectif (« L'administration procédait à

la pesée et l’acheteur, prenant livraison de la marchandise, payait comptant non aux

récolteurs, mais au fonctionnaire qui versait la somme à l'impôt du village ») ou au gré de

peines infligées dans le cadre judiciaire ou dans celui du régime de l’indigénat (« et l'on rencontrait

de longues files de prisonniers, la corde au cou, nus, pitoyables »). On a calculé que, dans

l’AEF de l’avant-guerre, les prestations obligatoires en travail pouvaient atteindre les 270

jours/an. La mise en place progressive, après la Première guerre mondiale, de l’impôt individuel

(de capitation), payé en numéraire, va contribuer à éliminer progressivement les formes de

travail forcé lié aux paiement de l’impôt « en nature » ou « en prestations de travail ». La

pression fiscale de l’ « impôt civilisateur » contribue alors à la progression du salariat ou à

l’extension des cultures de rente (denrées agricoles commercialisables) Ŕ les contribuables

devant se procurer de l’argent frais pour s’acquitter de leur impôt. La pression fiscale a donc

joué un rôle central dans la « mise au travail » des populations selon les logiques des

colonisateurs, et pour le bon fonctionnement de l’économie coloniale.

Ce système assure un approvisionnement continu en caoutchouc et un contrôle étroit des

prix d’achat de la denrée Ŕ notoirement sous-évaluée. En AEF, le kg de latex est acheté à 0,75

F, contre 7 à 9 F en Guinée française à la même époque Ŕ le système concessionnaire qui sévit

dans la seule AEF est sans doute pour beaucoup dans cette distorsion de prix (reconnaissons

toutefois que la comparaison est difficile, car ces chiffres ne disent rien de la qualité du latex

commercialisé dans les deux colonies).

En Oubangui-Chari, les conséquences économiques et démographiques d’une telle

exploitation économique sont clairement mises en évidence par le texte : violence directe

exercée par la force publique (rôle des gardes-cercle, les troupes coloniales au service des

administrateurs) ou par les chefs africains eux-mêmes, sur lesquels s’appuient à la fois

l’administration et les compagnies concessionnaires (primes distribuées par les compagnies

concessionnaires), épuisement des populations, déplacements de travail sur de longue distance,

effondrement des cultures vivrières, disette, épidémies liées à la dénutrition, mortalité en forte

hausse. Ce « choc démographique » est visible jusqu’aux années 1920 (stagnation de la

population à l’échelle du continent, baisse forte dans certaines régions particulièrement

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touchées par le travail forcé et les disettes), marque la violence du choc colonial et contribue à

un manque de main d’œuvre dont se plaindront, chroniquement, les administrateurs coloniaux

de l’entre-deux-guerres.

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4 - LES CORVEES EN INDOCHINE DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRES

Les corvées ne servent pas seulement à aménager autour des résidences des promenades pour

l'agrément de quelques Européens, les corvéables, toujours à la merci des résidents, exécutent aussi des

travaux plus pénibles.

À la seule annonce du voyage du ministre des colonies en Indochine, 10 000 hommes levés pour

achever la ligne de V.L., qu'on voulait lui faire inaugurer.

Pendant l'été de 18 .. , quelque temps avant la famine qui désola le centre de l'Annam, 10 000

Annamites, conduits par les maires de leurs villages, furent réquisitionnés pour draguer un canal. Une bonne

partie de cette main d’oeuvre énorme se trouva sans travail ; on la garda quand même pendant des mois, loin

des rizières au moment où la présence de tant de bras inoccupés eût été indispensable dans les champs. Il faut

remarquer que l'on n'a jamais réuni de telles armées lorsqu'il s'agissait de parer à une calamité publique ; à la

fin de 18 ... , la plupart des malheureux qui périrent de faim dans l’Annam auraient été sauvés, si l'on avait

organisé à partir de Tourane un service de transport pour approvisionner les régions où sévissait la famine ;

les 10 000 Annamites du canal auraient pu, en un mois, répartir dans leurs provinces 2 000 tonnes de riz.

Les travaux de la route de Tourane et ceux de Tran-Ninh et d'Ai-Lao laissent des souvenirs

douloureux. Les corvéables devaient, parcourir avant d'arriver sur les chantiers une centaine de kilomètres.

Puis ils étaient logés dans paillotes lamentables. Hygiène nulle ; service médical inorganisé ; sur la route

aucun relais, aucun abri. Ils recevaient une ration insuffisante de riz, un peu de poisson séché, et buvaient

l’eau malsaine et redoutée de la montagne. Les maladies, la fatigue, les mauvais traitements provoquaient

une mortalité formidable.

Si on remplace les corvées par des réquisitions, il n'y a entre les deux systèmes qu’une différence, c'est

que la durée des corvées est limitée et que celle des réquisitions ne l'est pas. Toutes deux satisfont à tous les

besoins Ŕ si la douane veut faire transporter du sel, elle réquisitionne, des barques, faut-il construire un

entrepôt, on réquisitionne ouvriers et matériaux à la fois.

La réquisition surtout est une déportation mal déguisée. Sans tenir compte des travaux agricoles, des

fêtes religieuses, elle draine des communes entières vers des chantiers. Il n'en revient qu'une faible partie et,

d'ailleurs, on ne fait rien pour assurer ce retour.

En route pour le Lanabion, en route pour la montagne où la mort les attendait, nourris avec

parcimonie, passant même des journées sans vivres, corvéables ou réquisitionnés, par convois entiers, se

débandaient ou se révoltaient, provoquant une répression terrible de la part des gardes et parsemant la route

de leurs cadavres ?

L’administration de Quangchou-Wan reçut des instructions du gouvernement pour recruter. A cette

occasion, on saisit tous les indigènes qui travaillaient sur les quais. Ils furent ficelés et jetés dans le bateau

convoyeur.

Les habitants du Laos, les misérables autochtones, vivent dans la crainte perpétuelle des corvées.

Lorsque des officiers recruteurs arrivent devant les cases, ils trouvent des cases vides.

À Thydau-Mot, un administrateur juge qu'il a besoin d’un rouleau compresseur. Que fait-il ? Il

s'entend avec une société concessionnaire qui cherche de la main-d'oeuvre à bon marché. La société achète le

rouleau et le livre à l'administrateur au prix de 13 500 francs. L’administrateur impose la corvée à ses

administrés au profit de la société, en convenant que la journée d'un corvéable vaut 0 fr. 50. Pendant trois

ans, les habitants de Thydau sont mis à la disposition de cette société et paient en corvée le rouleau qu'il a plu

à M. l'administrateur d'acheter pour son jardin.

Dans une autre localité, les corvéables, leur journée finie, étaient obligés de transporter gratuitement,

sur une distance d'un kilomètre, des pierres destinées à construire le mur d’enceinte de l'hôtel de

l'Administrateur.

À toute heure, l'Annamite peut ainsi être enlevé, contraint aux pires besognes, mal nourri, mal payé,

réquisitionné pendant un temps illimité, abandonné, à des centaines de kilomètres de son village.

Source : Hô Chi Minh, Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « Chapitre

VII, L’exploitation des Indigènes », Le Temps des cerises, p. 97-100.

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Présentation du document

Le document proposé est un extrait de l’ouvrage Le procès de la colonisation française et autres

textes de jeunesse d’Hô Chi Minh ou Nguyen Aïc Quôc dans une réédition de 1999, préfacée par

Alain Ruscio. Ce livre a été initialement publié dans la revue Le Paria puis, en 1925 par la

Librairie du travail, quai de Jemmapes à Paris. L’édition est brochée et compte 123 pages. Nguyen

Aïc Quôc (« Nguyen le Patriote ») est le surnom sous lequel le futur Hô Chi-Minh entre dans

l’histoire de son pays, le Viêt-nam ; surnom adopté après la conférence de la paix à Versailles. En

réalité, ce texte aurait été écrit ou aurait été inspiré et corrigé par l’avocat nationaliste Phan Van

Truong, qui a fait office pendant de nombreuses années de mentor. Ce texte est un pamphlet

virulent et ironique, parfois cynique du sort des « Indigènes » essentiellement en Indochine.

Cet ouvrage est publié à La Librairie de Paris, quai de Jemmapes à Paris. La Librairie de Paris

(1917-1939) est une librairie engagée, animée par des militants de tendance syndicaliste

révolutionnaire proche du PCF qui s’en éloignent à partir de 1924, avec la prise de conscience des

abus du « bolchevisme » en URSS. Cette librairie est un lieu de rencontre de diverses minorités

oppositionnelles et révolutionnaires du mouvement ouvrier (trotskystes, syndicalistes-

révolutionnaires) et publie, par exemple, des écrits de Léon Trotski, Alfred Rosmer, Rosa

Luxemburg ou Victor Serge. Selon l’historien Alain Ruscio, cet ouvrage est peu cité dans les

bibliographies spécialisées. En effet, seulement deux rééditions sont connues, l’une en 1945 à

Hanoi dans la jeune République démocratique du Viêt-nam, l’autre en 1999 au Temps des cerises,

préfacée par Alain Ruscio. Enfin, le relatif oubli du texte peut s’expliquer par la victoire d’Hô Chi-

Minh face la France puis face aux États-Unis.

L’édition de 1999 de 159 pages reprend la structure de l’édition initiale : une préface du

nationaliste Ng.The Truyène, douze chapitres parfois subdivisées en plusieurs parties, un appendice

intitulée « A la jeunesse annamite ».

Le Procès de la colonisation française est un long tract cherchant l’efficacité dans le style assez

abrupt de la IIIe Internationale. Les phrases sont sèches, les faits sont bruts, les mots sont utilisés

comme des coups de poing et les anecdotes alternent l’ironie et le dramatique. L’auteur entend

dénoncer l’exploitation des colonisés et les abus de la colonisation française durant le début du XXe

siècle et lancer un appel aux peuples colonisés en reprenant l’idéologie communiste pour lutter

contre « l’impérialisme ». Hô Chi Minh mène une critique systématique de la colonisation

française. Il part de quelques cas qu’il généralise dans un but de propagande. Il est donc nécessaire

de prendre ses écrits, parfois excessifs, avec des précautions. Par ailleurs, de nombreux faits décrits

sont difficilement vérifiables.

Si un mouvement de critique des abus de la colonisation au lendemain de la Première Guerre

mondiale est largement initié et relayé par des journalistes ou des écrivains comme Andrée Viollis,

Léon Werth ou Roland Dorgelès en 1925 avec La route mandarine, Hô Chi Minh s’inscrit dans

celui de l’anticolonialisme qui se développe durant les années 1920 en France. Ce mouvement est le

fait de la gauche et surtout du parti communiste ; en effet, pour l’essentiel, le parti socialiste ne

dénonce pas le fait colonial et propose, en faisant appel à la mission civilisatrice de la France, la

mise en place de réformes de la gestion de la colonisation. Dans le cadre de cette lutte contre la

colonisation, le parti communiste regroupe les militants des différentes colonies résidant en France.

Les années 20 sont aussi un moment important de la répression contre la résistance anticoloniale

des « indigènes » (cf. au Maroc). C’est le moment où les colonisés immigrés en France, à l’exemple

d’Hô Chi Minh, commencent à se radicaliser et où les revendications nationales se multiplient et

s’étendent dans les colonies (cf en Algérie, en Indochine,…).

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En 1925, la souveraineté française s’exerce sur la péninsule indochinoise dans le cadre de

l’Union indochinoise créée en 1887, qui s’étend au début du XXe siècle sur 803 054 km

2 et compte

environ 16,3 millions d’habitants. Cette dernière regroupe deux pays indianisés, les deux

monarchies du Cambodge et du Laos qui sont des protectorats depuis 1869 et 1894, un pays sinisé,

l’ancien royaume du Viêt-nam, réunifié depuis 1802 par la dynastie impériale des Nguyen. La

France a divisé le royaume en 3 régions ou ky, la colonie de Cochinchine en 1867, l’Annam et le

Tonkin, protectorats en 1883 et 1884, le nom d’Union indochinoise permettant de nier les

spécificités culturelles. Enfin, la Chine cède l’enclave de Kouang-tchéou-wan en 1900.L’Union

indochinoise dépend du ministère des Colonies et est placée sous l’autorité d’un gouverneur général

aux pouvoirs très étendus ; chacune des cinq régions est dirigée par un résident supérieur, à

l’exception de la Cochinchine, possession la plus ancienne et la plus importante, avec un lieutenant-

gouverneur. Les monarques sont maintenus par les Français, mais la monarchie vietnamienne, dont

la capitale est située dans la ville de Huê et dont l’empereur est Khai Dinh, est vidée de sa substance

politique. La tendance est à l’administration directe. Les notables peuvent être associés à la vie

administrative avec par exemple la création par le gouverneur général Doumer de « commissions

consultatives de notables ».

L’Union indochinoise tient une place importante dans l’investissement de l’Empire avec 15 à

18% de l’ensemble des investissements et avec le rôle particulier de la Banque d’Indochine. Les

principales productions sont le charbon au Tonkin, le riz en Cochinchine et le caoutchouc, après

1910 au Cambodge et en Cochinchine, ces deux dernières étant favorisées par l’administration

française.

Les résistances à la colonisation française se développent dès la fin de la conquête et s’aggravent

fin XIXe Ŕ début XX

e siècles avec l’alourdissement du poids de la colonisation en particulier sous le

gouverneur général Paul Doumer qui réorganise les impôts ; ce qui aggrave les tensions au Viêt-

nam et suscite des protestations populaires et des revendications nationalistes avec deux courants ;

d’une part celui de Phan Boi Chau (1867-1940) qui entend mener des actions militaires pour

renverser l’ordre colonial, d’autre part, celui de Phan Chu Trinh (1872-1926) qui veut moderniser

le Viêt-nam pour recouvrer l’indépendance. Les autorités coloniales répriment sévèrement les

émeutes et les révoltes, comme celle de 1908, et frappent durement les nationalistes avec par

exemple la condamnation au bagne à perpétuité pour Phan Chu Trinh. Le poids des appareils

répressifs est considérable avec la mise en place d’un État de police qui s’appuie sur la Sûreté

générale indochinoise et un système pénitentiaire avec le bagne de Poulo Condore. En métropole,

des campagnes de dénonciation des abus de la colonisation sont menées par la presse anarchiste, la

Ligue des droits de l’homme et les socialistes de la SFIO à l’exemple de Jean Jaurès. Le

gouvernement adopte alors la politique d’ « association » qui ouvre une « participation

consultative » des « indigènes » à la gestion de l’Indochine conduite notamment par Albert Sarraut,

gouverneur général de 1911 à 1914 et de 1917 à 1919. Par exemple, le conseil colonial de

Cochinchine, créé en 1880, est réorganisé en 1922 avec 10 conseillers français, élus par les citoyens

français et 10 conseillers « indigènes » élus par les notables.

Ce texte est rédigé officiellement par Nguyen Ai Quoc plus connu comme Hô Chi Minh (1890-

1969), dernier nom de guerre porté par cette future grande figure du communisme international et

futur père de l’indépendance du Viêt-nam. Hô Chi Minh est né Nguyên Sinh Cung puis se

prénomme quelques années plus tard Nguyen Tat Thanh, vers 1894 ou 1895 mais officiellement le

19 mai 1890 ; cette date correspondant à l’anniversaire de la fondation du Viêt-minh. La fixation

officielle de la naissance d’Hô Chi Minh, comme plusieurs autres dates de sa vie, revêt une valeur

symbolique et participe ainsi à la construction du mythe du personnage. Il est intéressant de noter

qu’avec cette date, Hô Chi Minh est cinquantenaire en 1945, ce qui lui confère selon la tradition

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vietnamienne de la hiérarchie des générations la dignité pour être chef de l’Etat. En fait, la plus

grande incertitude règne sur la date réelle de la naissance du futur leader vietnamien : 1892 dans un

de ses écrits, 1894 pour la Sureté française, 1895 sur le visa délivré en 1893 pour se rendre en

URSS. Cela montre qu’il est difficile de connaître avec précision la biographie d’Hô Chi Minh et en

particulier les années précédant son départ de France pour l’URSS. Le secret cultivé par Hô Chi

Minh sur son identité et sur ses actions, y compris dans ses autobiographies, les démarches

hagiographiques et les raisons politiques ne permettent ainsi d’ « avoir qu’une mosaïque

d’impressions différentes » selon l’analyse de l’historien Nguyen The Anh. Tout semble écrit

comme si l’itinéraire d’Hô Chi Minh ne peut l’amener inévitablement qu’au communisme, et,

comme si son existence ne commence réellement qu’à partir de son adhésion officielle au

communisme en 1920, ne laissant place à aucune vie privée. Cependant, il est possible de dégager

quelques éléments de la vie d’Hô Chi Minh jusqu’à la publication du Procès de la colonisation

française.

La région d’origine d’Hô Chi Minh est le Nghe an, province septentrionale de l’Annam au nord

de la ville impériale de Hué. Son père, Nguyen Sinh Huy, est un mandarin aux fonctions de sous-

préfet qui est révoqué en 1910 ou 1911, officiellement pour ivrognerie et brutalité ; il aurait fait

battre à mort un détenu. Officieusement, il aurait payé son soutien aux manifestations des annamites

contre l’impôt en 1908. Son fils reçoit un enseignement traditionnel et aurait obtenu le certificat

d’études primaires franco-indigène mais n’a pas poursuivi dans la voie des études supérieures. En

effet, Hô Chi Minh s’embarque en avril ou juin 1911 sur l’Amiral Latouche Tréville de la

Compagnie des Chargeurs Réunis pour effectuer le « Voyage à l’Ouest » comme de nombreux

jeunes vietnamiens, c'est-à-dire « aller étudier à l’étranger et revenir aider le pays » pour « trouver

une voie de salut pour sa patrie » d’après sa biographie officielle. Par ce voyage, Hô Chi Minh

s’inscrit dans la voie du lettré réformiste Phan Chau Trinh (1872-1926) qui est à l’opposé de celle

du lettré Phan Boi Chau (1867-1940) qui préfère recourir à l’action directe, voie sans issue depuis

son expulsion du Japon en 1908. Hô Chi Minh aurait navigué comme garçon de cabine ou aide

cuisinier, faisant des escales à Alexandrie, New-York, Londres où il occupe divers métiers dont

celui de pâtissier à l’hôtel Carlton dans la brigade du chef cuisinier Escoffier. Une des escales aurait

été Marseille en septembre 1911 où Hô Chi Minh demande officiellement à être admis, comme une

minorité de jeunes colonisés de l’Empire, à la section indigène de l’Ecole Coloniale, ce qui montre

que le jeune homme envisageait alors une carrière dans l’administration coloniale.

La date de son installation en France fait débat : pour Daniel Hémery, Hô Chi Minh se fixe en

France en 1919, pour Nugyen Thé Anh, il s’installe à Paris en décembre 1917 où il gagne sa vie

comme photographe et dessinateur d’antiquités classiques. Pour d’autres, comme l’historien Harold

Isaacs, il se serait trouvé parmi les milliers de travailleurs annamites employés derrière le front des

Flandres durant la Première Guerre mondiale. Hô Chi Minh participe au Groupe des Patriotes

Annamites, créé par le lettré réformiste Phan Chau Trinh et l’avocat Truong en 1918, au 6, villa des

Gobelins dans le XIIIe arrondissement de Paris, demeure de ce dernier. Progressivement, Hô Chi

Minh se radicalise et émerge sur la scène politique française et internationale. En juin 1919, le

groupe des Patriotes Annamites, sous le nom collectif de Nguyen Ai Quoc (qui aime son pays, le

patriote) adresse un texte rédigé, « Revendications du peuple annamite », fondé sur les déclarations

du président américain Wilson. Ce texte réclame pour les Annamites les libertés fondamentales

ainsi que la libéralisation du régime politique. Il est envoyé au président de la République française,

au ministre des Colonies, Albert Sarraut, aux parlementaires et transmis lors de la Conférence pour

la paix de Versailles à un conseiller du président américain mais personne ne répond.

L’orientation politique de Thanh (Hô Chi Minh) se précise et s’accélère avec l’adhésion au parti

socialiste et la participation au 18e Congrès du parti socialiste à Tours en décembre 1920. Il apparaît

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sous le nom de Nguyen Ai Quôc et prononce un discours où il justifie l’adhésion à la Troisième

Internationale, meilleure voie selon lui pour renverser l’ordre colonial. Nguyen Ai Quôc est très

actif et exprime ses opinions anticolonialistes. Il collabore ainsi à plusieurs journaux d’extrême

gauche, comme Le Populaire, dirigé par le député socialiste René Longuin, où il publie des articles

sur la répression coloniale française ; cela lui permet de s’émanciper en partie de la tutelle de Phan

Van Truong. Il fréquente La Librairie, le club du Faubourg de Léo Poldès et assiste à divers

meetings croisant Léon Blum, Henri Barbusse ou Colette. Enfin, en 1922, il est chargé de diriger Le

Paria, revue de l’Union inter-coloniale, mise sur pied par le Parti communiste français pour

regrouper les adhérents originaires des colonies, Algériens, Africains, Annamites,…. . En 1923 et

en 1924, Nguyen Ai Quôc séjourne pour la première fois à Moscou, qui donne alors la priorité au

soutien des nationalistes révolutionnaires d’Asie dans la lutte pour l’indépendance. Puis, en 1925, il

est envoyé en Chine pour répandre l’esprit révolutionnaire. C’est au seuil de cette nouvelle vie

qu’est publié Le Procès de la colonisation française en 1925.

Analyse

Ce document est un extrait du chapitre VII du Procès de la colonisation française intitulé

« L’exploitation des indigènes ». Il est intéressant de noter qu’en tête de chapitre est mise en

exergue une citation de Vigné d’Octon, médecin de marine, écrivain et homme politique qui a pris

position contre les abus de la colonisation : « Après avoir volé des terres fertiles, les requins

français prélèvent sur les mauvaises terres des dîmes cent fois plus scandaleuses que les dîmes

féodales ».

Dans ce chapitre, Hô Chi Minh décrit les exigences qui pèsent sur les colonisés, pression

fiscale (impôts, obligation de recourir aux emprunts,…) et travail forcé avec les corvées et les

réquisitions. L’extrait retenu dénonce la lourdeur des corvées et des réquisitions ainsi que les

mauvais traitements infligés aux Annamites. Cependant, la critique d’Hô Chi Minh est une critique

contre l’administration en général, administration française et administration mandarinale. Or, les

abus des auxiliaires indigènes notamment des subalternes peuvent être plus lourds que ceux des

fonctionnaires européens.

Dans l’Empire français, le colonisé est un sujet qui est privé de certains droits, comme les

droits civiques, et qui est astreint à un nombre de contraintes spécifiques. Le colonisé est soumis au

régime de l’indigénat, régime d’exception. En Indochine, par exemple, ce régime est en principe

aboli en 1903 mais le gouverneur général possède de larges prérogatives qui lui permettent de

déterminer les infractions et les charges spécifiques qui pèsent sur les populations colonisées. Ainsi,

les prisonniers et condamnés constituent une abondante source de main-d’œuvre (cf les peines de

l’Indigénat). De plus, les impôts directs et indirects ainsi que les corvées et les réquisitions,

assimilées à du travail forcé, pratique courante dans les colonies françaises, sont des moyens pour

contourner l’inadaptation d’une fiscalité moderne au contexte colonial et la réticence voire le refus

des populations colonisées pour s’engager comme porteurs ou comme travailleurs salariés avec de

faibles rémunérations. Déjà, durant la conquête, la réquisition de porteurs et de travailleurs est

imposée sous la contrainte aux « indigènes » pour ravitailler les troupes ou construire des

infrastructures comme les routes ou les chemins de fer.

L’administration reprend le principe du système des corvées qui existaient sous l’empire

vietnamien. En Indochine, les hommes doivent trente journées de corvées par an, le corvéable

devant amener son alimentation (essentiellement du riz). Pour alléger les charges, les hommes

peuvent faire venir leurs femmes. Ces corvées peuvent être rachetées, au Tonkin, dès 1886. Le

gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, dans sa volonté d’accroître les revenus du budget,

décide en octobre 1897 d’étendre le rachat au protectorat de l’Annam. L’ordonnance du 15 août

1898 de Thanh-Thai, empereur d’Annam fusionne l’impôt personnel et l’impôt du rachat des

corvées. Cette nouvelle taxe concerne tout habitant inscrit valide de 18 à 60 ans, pour un montant de

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2,20 piastres : 0.20 pour la cote personnelle et 2 pour le rachat obligatoire de vingt journées sur les

trente dues par les inscrits soumis précédemment aux corvées [le salaire journalier d’un coolie

d’une plantation est compris entre 0.35 et 0.70 piastre]. Plusieurs catégories de la population

comme les mandarins, les diplômés universitaires, les Annamites travaillant pour l’administration

française, les prêtres annamites… y échappent alors que les inscrits précédemment exempts de

corvées ne payent que 0,40 piastre. Le rachat des corvées correspond à un nouvel impôt à verser en

numéraire et alourdit ainsi l’impôt personnel. Par ailleurs, rapidement, les prestations en nature sont

alourdies. Ainsi, les journées de corvées dues à l’Etat pour les travaux publics d’intérêt provincial

augmentent régulièrement, passant entre 1904 et 1907 de 6, rachetables, à 8 dont deux

obligatoirement rachetables pour un montant de 0.20 piastre l’une, ce qui entraîne une hausse de

18% de l’impôt personnel de 2.20 à 2.60 piastres. Cela se fait au détriment des 10 journées

initialement prévues par l’ordonnance pour les travaux communaux des villages. Cependant, les

corvées vont persister et vont s’alourdir (cf le document). Les hommes qui ne peuvent pas racheter

les corvées doivent les effectuer. Mais si « [l]es corvées sont complètement supprimées,

puisqu’elles sont rachetées par le paiement de l’impôt. Il est bien entendu que, pour un travail

d’intérêt général décidé par le Résident Supérieur et le Co-Mat les villages devront fournir des

coolies au taux du rachat de la journée de corvée, soit à 0 $ 10 par journée. » [Ordonnance du 15

août 1898 de l’empereur d’Annam].

Aux corvées s’ajoutent donc les réquisitions avec un temps d’engagement variable même si en

théorie la durée est de 6 mois. Cependant, les temps des trajets ne sont pas compris.

L’administration utilise l’instrument de la réquisition à son bon vouloir pour des travaux divers.

L’objectif final étant d’amener le colonisé à un degré supérieur de civilisation, les besoins en main

d’œuvre pour les travaux publics sont très importants. Ainsi, en Indochine, il s’agit de développer

la péninsule dans différents domaines, la riziculture et les cultures indigènes d’exportation, les

industries et les agro-industries et les équipements et les infrastructures. Lors des cycles du

développement économique, comme celui de la riziculture entre les années 1860 et le début du XXe

siècle, des canaux sont construits dans le sud du Vietnam et le réseau des canaux de drainage du

delta du Mékong est creusé notamment par le recours à la corvée. Par ailleurs, la construction d’une

infrastructure de transports modernes s’effectue avec la construction de voies ferrées et avec, à

partir de 1911, le lancement d’un programme routier. Il s’agit notamment de débloquer le Laos et

les hauts plateaux vietnamiens. Une des routes les plus importantes est la RC 1 de Hanoi à la

frontière du Siam qui reprend en le modifiant le tracé de l’ancienne « route mandarine ». Dans le

texte, les routes de Tourane, port d’escale de l’Annam, à proximité à Hué, des montagnes du Tran-

Ninh au Laos sont évoquées. À ces travaux s’ajoutent l’entretien des digues, indispensable sous

peine de famine, qui demande une main d’œuvre importante, et des routes qui mènent aux villages.

Les prestations de travail sont utilisées aussi à la demande des entreprises privées, ainsi les

planteurs, avec l’aide de l’administration, réquisitionnent de la main d’œuvre, dont les conditions de

vie sont souvent très difficiles.

L’administration coloniale utilise diverses méthodes pour contraindre les populations. D’une

part, elle recherche l’entente avec les autorités traditionnelles en déléguant aux chefs locaux de

lever la main-d’œuvre nécessaire aux besoins. Ce qui donne aux notables un pouvoir de choisir les

prestataires en fonction de leurs sympathies ou de leurs inimitiés et de montrer leur puissance au

sein du village par exemple. D’autre part, elle recourt à la pression avec la mise en oeuvre de la

réquisition et l’obligation pour chaque village ou communauté de fournir un nombre déterminé

d’hommes et, souvent, les intermédiaires, les chefs locaux, sont considérés comme responsables.

L’application du système des prestations avec les corvées et les réquisitions entraîne de

nombreux abus. Par exemple, il n’est pas rare, comme le souligne le texte, que des administrateurs

fassent construire des routes avec des crédits dérisoires, le travail des prestataires étant quasiment

Page 61: Rapport Fait colonial

61

gratuit. Il n’évite pas les brutalités (cf. document). Par ailleurs, les reproches des populations sont

nombreux comme celui de prélever une part importante de bras valides lors des travaux agricoles

notamment dans les rizières, ce qui peut se révéler dramatique comme lors de la famine, évoquée

par l’auteur qui touche l’Annam mais aussi le Tonkin durant les années 1890. Les mauvaises

conditions de vie et de travail (maladie, mortalité élevée, ration alimentaire insuffisante, carences

alimentaires) sont très dures et sont dénoncées (cf. document). La lourdeur des corvées et des

réquisitions suscite ainsi des oppositions. Par exemple, le poids des corvées et la pression fiscale

sont les causes principales de l’embrasement du Vietnam en 1908 qui commence dans la partie

centrale de l’Annam. Enfin, le recrutement de corvéables pour les travaux routiers lancés au

Cambodge en 1912 suscite un mouvement paysan en 1916. Face aux réticences des populations, les

réactions de l’administration vont de l’accroissement de la pression jusqu’à la « promenade

militaire » en cas de forte opposition en passant par les amendes et l’emprisonnement.

Mots-clefs : abus, Annamites, corvées, Indochine, prestations, réquisitions, travail forcé, travaux

publics, corvéables.

Pistes pédagogiques

. Quelles sont les deux prestations que doivent les colonisés à l’administration ?

. Quels sont les travaux que doivent accomplir les corvéables ?

. Décrire leur condition de vie.

. Montrer que les conséquences peuvent être dramatiques pour les populations.

. Quels sont les abus dénoncés par l’auteur ? Comment pouvez-vous les expliquer ?

Niveaux

Au collège

. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.

. Quatrième rentrée 2011/2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible

celle de la société coloniale.

Au lycée

. 1re

ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :

L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.

. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le

système colonial

Pistes bibliographiques

. Pierre BROCHEUX , Hô Chin Minh, Presses de Sciences Po, Paris, 2000.

. Pierre BROCHEUX Pierre, Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambigüe (1858-1954),

Paris, La Découverte, 2001.

. Daniel HEMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam, Découvertes, Gallimard, 1994.

. Institut de Recherche sur le Sud Est Asiatique, Le contact franco-vietnamien, Le premier demi-

siècle (1858-1911), Publications de l’Université de Provence, 1999.

. NGUYEN THE ANH, Parcours d’un historien du Viêt Nam, Recueil des articles écrits par

Nguyen Thê Anh, Les Indes savantes, 2008.

Page 62: Rapport Fait colonial

62

5 Ŕ LES FORMES DE LA DOMINATION :

LES PAYSAGES RURAUX DE L’AFRIQUE DU NORD COLONISEE

Cet article de Pascal Clerc a été publié dans la revue en ligne Mappemonde, n° 91, 3/2008. Il est

téléchargeable en pdf à l’adresse suivante :

http://mappemonde.mgm.fr/num91

Cet article propose une série de huit photographies commentées des paysages agraires de

l’Algérie coloniale et analyse le discours des géographes coloniaux sur les espaces produits par les

indigènes et les colons.

Il fait partie d’un dossier sur « Géographie et colonisation » publié dans trois numéros de

Mappemonde de 2008 et 2009 (n° 91, 92 et 93)

Page 63: Rapport Fait colonial

63

DOSSIER 2

AU CŒUR D’UNE PLANTATION NEGRIERE

SEQUENCE LETTRES / HISTOIRE, CLASSE DE 4e

Une séquence interdisciplinaire ambitieuse nous a paru intéressante à proposer, afin de prolonger

de façon logique le dossier précédent.

Du côté de l’histoire, la séquence s’inscrit dans le programme de la classe de 4e, Thème 3 des

I.O. Ŕ traites négrières et esclavages.

Du côté des Lettres, nous renvoyons aux I.O. sur le récit au XIXe siècle.

Cette séquence n’est pas conçue comme un cours « clés en main » mais comme une trame, un

chemin jalonné par des documents originaux inclus ou faisant référence à des documents présentés

et commentés par ailleurs dans le cadre du présent rapport.

Aux enseignants, donc, de s’appuyer sur les repères et éléments fournis pour bâtir leur cours en

fonction du niveau de classe (de collège, lycée général ou professionnel) et des élèves qu’ils ont en

face d’eux. Nous espérons que ces jalons seront utiles et faciliteront la compréhension d’une

question difficile, douloureuse et pouvant également ouvrir à une réflexion sur les formes modernes

d’esclavage.

Objectifs en lettres : découvrir un personnage romanesque et approfondir les caractéristiques du

roman d’aventure historique. Pré-requis : le statut du narrateur, les composantes du récit (narration-

description-dialogue), les temps du récit.

Objectifs en histoire : Connaître les principaux phénomènes relatifs au commerce négrier dans

l’Atlantique ou l’Océan Indien (lieux, durée, acteurs). Appréhender la place de l’économie de

plantation, basée sur le travail servile, dans l’Empire colonial français d’Ancien Régime. Découvrir

l’encadrement juridique de l’esclavage et la logique raciste le justifiant. Connaître les grandes lignes

du fonctionnement d’une sucrerie (emblème des « îles à sucre ») et la vie quotidienne des esclaves.

Découvrir les formes de résistance des esclaves. Aborder les processus d’abolition (1794 et 1848

dans le cas français).

Objectifs communs : confronter la fiction romanesque à la réalité historique à travers l’exemple

de l’esclavage au XVIIIe siècle .

Durée de la séquence : 14 heures (6 heures en histoire, 8 heures en lettres).

Séances Discipline concernée Objectifs

S.1 (1h) Histoire Présentation de la traite négrière (cf. H1) en rappelant, si

possible, les conditions d’achat des esclavages en utilisant

un petit extrait de texte (en vue de la séance 9 de lettres).

S.2 (1h) Histoire Présentation de l’esclavage dans les colonies françaises, en

précisant, si possible, le cas de l’Ile de France. (cf H2)

S. 3 (1h) Lettres La situation initiale dans Georges d’Alexandre Dumas :

présentation de la société coloniale (chapitre 1, P27-28,

Folio Classique).

S. 4 (1h) Lettres La fonction des portraits (chapitre 3, p. 53-54).

Page 64: Rapport Fait colonial

64

S. 5 (1h) Histoire La vie quotidienne d’une sucrerie au XVIIIe siècle (cf H 3)

en utilisant notamment la description de la plantation

familiale dans Georges (chapitre 6, p. 122-123) et en la

confrontant aux autres sources de la séance.

S. 6 (1h) Lettres La description idéale de la plantation familiale (chapitre 6,

p. 122-123). (étude du vocabulaire subjectif).

S. 7 (2h) Lettres Evaluation intermédiaire : rédiger une description de

plantation en utilisant le plan de l’habitation Juchereau (cf

H3). La description sera rédigée de façon à produire une

impression plus conforme à la réalité historique.

S. 8 (1h) Histoire Les résistances à l’esclavage (cf H4)

S. 9 (1h) Lettres La scène d’achat des esclaves : les procédés de

dramatisation et de suspense (chapitre 13, p. 213-215).

S. 10 (1h) Lettres La préparation de la révolte et l’élection d’un chef : la

visée argumentative du dialogue (chapitre 19, p. 314-316).

S. 11 (1h) Histoire Les abolitions de l’esclavage (cf H5)

S. 12 (1h) Lettres Évaluation finale : bilan sur le roman d’aventure.

S. 13 (1h) Histoire Évaluation (à déterminer)

Page 65: Rapport Fait colonial

65

Séance 1 : la traite négrière transatlantique ou dans l’Océan Indien (1h)

1 Ŕ Connaissances préalables sur la traite

Doc. 1 : Timbre du Bénin « la route de l’esclave » (1992)

Source : collection particulière

Questions que l’enseignant peut poser pour avoir une première idée des connaissances des élèves

sur le sujet :

- Quels lieux concernés ? À partir de quand, jusqu’à quand ?

- Que signifie un voyage triangulaire ? (est-ce la seule manière ? Ne pas oublier le commerce

direct, « en droiture », Brésil-Afrique)

- Qui est le vendeur ? Qui est l’acheteur ?

- Pourquoi ? (motivations du vendeur ? motivations de l’acheteur ?)

(Bras pour le travail, convertir à la foi chrétienne ; l’argument raciste se développe surtout au cours

du XVIIIe siècle)

2 Ŕ Les pratiques de la traite

L’achat

Négocié sur les côtes africaines, dans les comptoirs et places qui s’échelonnent de Gorée à

l’Angola, au Mozambique, à Madagascar. Principaux lieux d’embarquement : golfe du Bénin, côtes

angolaise et congolaise.

Ce sont les souverains africains qui contrôlent la vente et fixent les prix (le rapt d’esclaves par les

Européens n’a été que pratique très marginale, au début).

La traversée

Vie quotidienne à bord : illustrations maintes fois reproduites (attention toutefois à la célèbre

gravure représentant l’entassement des esclaves dans le Brookes ; il y a certes entassement et

promiscuité, mais l’intérêt bien compris des capitaines et armateurs était que le maximum

d’esclaves arrive vivants à destination et en état d’être vendus).

Page 66: Rapport Fait colonial

66

Surveillance, crainte de révolte

(Tamango de Prosper Mérimée, révolte de l’Amistad, BD des Passagers du Vent de François

Bourgeon)

voir aussi Chasseurs de Noirs de Daniel Vaxelaire (récit d’un négoce d’esclaves sur la côte

mozambicaine et voyage jusqu’à l’île Bourbon Ŕ La Réunion).

Arrivée : le plus souvent vente à bord des navires ; les marchés à terre ne viennent qu’après.

3 Ŕ Pourquoi la traite et l’esclavage ?

Doc. 2 : De l’importance du commerce

La traite qui se fait aux côtes d’Afrique est très avantageuse à la navigation, au commerce et

aux colonies françaises. Elle encourage la construction et l’armement des vaisseaux ; elle occupe un

nombre infini d’ouvriers, de matelots et navigateurs ; elle procure de grands débouchés aux denrées

et marchandises ; enfin, sans elle, il serait impossible de pouvoir cultiver nos îles de l’Amérique.

Les retours qui proviennent de la traite consistent en Noirs, en poudre d’or, en gomme, en

ivoire, en cire et en vivres pour les navires qui fréquentent ces parages. Le travail des Nègres fournit

à la France le sucre, le café, le cacao, l’indigo, le coton, le rocou53

et autres denrées qui enrichissent

continuellement le royaume, qui augmentent les revenus de l’Etat et l’aisance publique : il convient

donc de protéger et d’encourager ce commerce par toutes sortes de moyens.

Source : Archives Départementales de la Loire-Atlantique, C 738-54

Extrait du Mémoire des négociants de Nantes… envoyé à M. de Sartine

(alors ministre de la Marine et des colonies) le 5 novembre 1777

Questions

- Quels sont les avantages de la traite pour la France, selon ce mémoire ?

- Relever ce que fournit l’Afrique, ce que fournit l’Amérique.

- À quelle conclusion arrive ce mémoire ? Pourquoi (qui en sont les auteurs ?) ?

Remarque : ce mémoire date de 1777, pour défendre un commerce négrier que des voix

abolitionnistes commencent à critiquer…

4 - Esquisse de bilan

Doc. 3 : Quelques chiffres

a : Les pays négriers (XVIe-XIX

e siècles)

Les puissances maritimes de l’Europe participèrent toutes à l’activité négrière. Quatre pays

assurèrent plus de 90% de l’ensemble de la traite atlantique : le Portugal, avec 4,650 millions de

captifs transportés, suivi de l’Angleterre (2,6 millions), de l’Espagne (1,6 million) et de la France

(1,25 million). Le cas du Portugal est exceptionnel : petite puissance, il joua le rôle majeur dans le

peuplement africain du continent américain.(…) Mieux vaudrait parler de traite luso-brésilienne.

Destinations des cargaisons humaines

53

Pâte obtenue à l’aide de graines de fruits qui sert à la coloration.

Page 67: Rapport Fait colonial

67

Deux grands ensembles géopolitiques reçurent à eux seuls près de 10 millions d’esclaves, soit plus

de 80% de l’ensemble de la traite atlantique : le Brésil reçu environ 4 millions d’esclaves et

l’archipel des Antilles en reçut près de 6 millions, toutes colonies confondues. Les Etats-Unis,

époque anglaise comprise, en reçurent environ 500 000 et l’ensemble de l’Amérique espagnole

environ 1,6 million. L’esclavage colonial fut donc massivement le fait de la Caraïbe et de

l’immense Brésil, mais selon une chronologie décalée.

Source : DORIGNY (Marcel), GAINOT (Bernard), Atlas des Esclavages,

Paris, Autrement, 2006, p. 19.

Questions :

- Qui pratique la traite négrière transatlantique ?

- De quand à quand ?

- Combien d’esclaves sont concernés ? Où sont-ils embarqués ?

- Où arrivent-ils ?

Page 68: Rapport Fait colonial

68

Séance 2 : Dans les colonies françaises : un esclavage très encadré (1h)

1 Ŕ Où cela se passe-t-il ? (repérage sur une carte du domaine colonial français) :

Doc. 4 : carte de l’empire colonial français en 1789

- Amériques : pour mémoire : Canada (quelques esclaves domestiques de colons français)

Surtout : Saint-Domingue, Louisiane, petites Antilles (Guadeloupe, Martinique notamment ; mais

aussi Tobago, Sainte-Lucie, Saint-Martin…), Guyane

- Afrique : quelques comptoirs (Saint-Louis, Gorée au Sénégal, Ouidah au Danhomè, Fort-Dauphin

à Madagascar…) lieux de négoce

- Océan Indien :

Surtout : Bourbon (Réunion), France (Maurice), Seychelles

Cinq comptoirs des Indes (pour mémoire)

2 Ŕ Que produit-on ? (explications du professeur)

Une classique iconographie est reproduite dans nombre de manuels, montrant une sucrerie ou

une caféière. Ces documents peuvent servir d’appui à l’inventaire des denrées produites.

À titre d’aide, voici une illustration extraite d’une thèse (DONNADIEU Jean-Louis, Entre

Gascogne et Saint-Domingue, le comte Louis-Pantaléon de Noé, grand propriétaire créole et

aristocrate gascon, 1728-1816, Pau, UPPA, 2006) et donnant une première idée d’une sucrerie.

Page 69: Rapport Fait colonial

69

Doc. 5 : vue générale d’une « habitation » (plantation) sucrière

Remarque : cette illustration de Chambon a été également reproduite dans L’Encyclopédie de

Diderot et d’Alembert.

Page 70: Rapport Fait colonial

70

Questions :

- Dans quel type d’exploitation agricole produit-on du sucre ?

- Y a-t-il d’autres productions tropicales faites dans les colonies pour être consommées en Europe ?

Lesquelles ?

tabac (XVIIe siècle), sucre (Brésil, grâce aux Hollandais et Juifs « nouveaux convertis » portugais

puis, à partir de 1654, en Martinique), café (à partir de 1720 en Martinique, culture qui va, de là,

s’étendre au reste de l’Amérique), indigo, gingembre, coton… La cannelle et le girofle démarrent

dans les années 1780 (grâce à Pierre Poivre, qui réussit à ramener des plants des îles de la Sonde

néerlandaises), d’abord dans l’Océan Indien puis en Guyane.

À la veille de la Révolution française, Saint-Domingue à elle seule produit 40% du sucre et 60% du

café produits dans le monde… Mais au prix d’un demi-million d’esclaves.

3 Ŕ L’encadrement juridique de l’esclavage : le Code Noir

Doc. 6 : Extraits du Code Noir de 1685

Art.15 : Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive ni gros bâtons, à peine de fouet et

de confiscation des armes (…)

Art.28 : Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur maître (…)

Art.33 : l’esclave qui aura frappé son maître (…) sera puni de mort. (…)

Art.38 : l’esclave fugitif (…) aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une

épaule ; et s’il récidive une autre fois (…) aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur

l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort.

Art.42 : (…) Défendons [aux maîtres] de leur donner la torture [aux esclaves] ni de leur faire

aucune mutilation de membre (…)

Art.44 : Déclarons les esclaves être meubles (…)

Art.55 : les maîtres (…) pourront affranchir leurs esclaves (…) sans qu’ils soient tenus de rendre

raison de leur affranchissement (…)

Art.58 : Commandons aux affranchis de porter un respect particulier à leurs anciens maîtres (…)

Questions

- Qui édicte ces règles, et quand ?

- Pourquoi de telles dispositions ? Quel est le but recherché ?

- Comment est défini l’esclave ? Quels sont ses droits, quels sont ses devoirs ?

- Le maître peut-il faire n’importe quoi envers son esclave ? Quels sont ses droits ? Quels sont ses

devoirs ?

L’analyse du document doit permettre aux élèves de comprendre :

- qu’il s’agit d’une réglementation royale, pour empêcher l’ordre arbitraire (qui régnait auparavant)

de se perpétuer (volonté de Louis XIV d’affermir son autorité sur les colonies) ;

Page 71: Rapport Fait colonial

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- que les esclaves sont assimilés à des biens meubles, du cheptel humain. Les maîtres doivent

l’entretenir (nourriture, logement, vêtement, soins médicaux). Mais entre la théorie et la pratique, il

y a des différences (l’usage montre que les maîtres dépensent le moins possible pour l’entretien de

leur main d’œuvre) ;

- que le maître ne peut pas châtier l’esclave comme il veut (mais les agents du roi sont peu

nombreux, et les cas de sévices Ŕ sinon de pur sadisme Ŕ malheureusement arrivent et restent pour

la plupart non sanctionnés) ;

- que l’esclave a surtout le devoir de travailler et obéir : la rébellion physique comme la fuite

(marronnage) sont brutalement et durement sanctionnés, du moins en théorie ;

- que le maître a la possibilité d’affranchir (mesure par définition aléatoire et arbitraire) et les

affranchis (« Libres de couleur ») doivent alors gagner leur vie (commerçants, artisans, parfois

planteurs Ŕ notamment de café -, peuvent devenir possesseurs d’esclaves à leur tour). Mais ils

doivent un respect particulier à leurs anciens maîtres et toute une série de mesures discriminatoires

est prise pour qu’ils ne ressemblent pas tout à fait aux Blancs : pas de droit de vote, interdiction

d’imiter les Blancs dans le vêtement (cette dernière mesure est peu respectée)…

On peut ajouter (selon les questions des élèves) des remarques sur l’aspect raciste du système et sur

la provenance des esclaves.

Doc. 7 : Évolution du sentiment raciste dans la France d’Ancien Régime

Qu’un sentiment racial se soit développé en premier lieu aux colonies n’est pas surprenant. La

société coloniale était faite d’une infime minorité de planteurs, marchands et agents

gouvernementaux blancs, qui contrôlaient un énorme nombre d’esclaves noirs. Une vision

manichéenne de races devenait essentielle au maintien de l’ordre. (…)

L’autre phénomène est la montée d’une nouvelle orthodoxie dans les sciences naturelles (…),

[cette conception] menait à concevoir le monde physique en une hiérarchie selon le concept de la

grande chaîne des êtres terrestres : si les animaux étaient supérieurs aux plantes et les plantes aux

objets inanimés, un rapport similaire entre supérieurs et inférieurs s’appliquait à l’intérieur de

chaque domaine et au sein de chaque espèce. Ainsi, il [Buffon] considérait que les humains étaient

divisés en « races » qui s’étaient séparées du type européen originel par l’effet du climat. Au cours

des temps, cela avait créé des différences héréditaires. Les non-Européens avaient « dégénéré » de

la norme tempérée.

Pierre H. BOULLE, Race et esclavage dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2007

Questions

- Quelle idée développent des naturalistes comme Buffon à propos de l’espère humaine ?

- Quelles conséquences dans les rapports humains cette vision peut-elle entraîner ?

Au XVIIIe siècle se développe donc une théorie raciste selon laquelle la moindre goutte de sang

noir place l’individu la possédant à un rang automatiquement inférieur à celui de l’individu blanc,

selon une subtile échelle de dégradés allant du noir total (en bas) au blanc total (en haut), en passant

par des échelons de croisement (mulâtre = un parent blanc, un parent noir, soit ½ de sang noir ;

quarteron = un parent blanc, un parent mulâtre, soit ¼ de sang noir, grif = un parent mulâtre, un

parent noir, soit ¾ de sang noir, etc.)

Page 72: Rapport Fait colonial

72

Provenance des esclaves africains (dits « bossales ») : embarqués sur les côtes d’Afrique par des

vaisseaux négriers européens (ou américains, notamment brésiliens, au XIXe siècle), vendus par des

souverains africains (du Sénégal au Mozambique) à ces capitaines européens agissant pour le

compte de maisons de négoce. Longue traversée de l’Atlantique (« passage du milieu ») avant leur

vente aux Amériques. Il y avait un temps d’adaptation avant leur mise au travail. Existent aussi des

esclaves « créoles », nés aux colonies.

Les esclaves des Mascareignes (Bourbon, île de France, Seychelles) venaient de la côte orientale

africaine, Madagascar et Mozambique notamment.

Séance 3 : extrait du chapitre I de Georges (1h)

Objectif : la situation initiale : la présentation de la société coloniale

I

L’ILE DE FRANCE

Ne vous est-il pas arrivé quelquefois, pendant une de ces longues, tristes et froides soirées d’hiver,

où, seul avec votre pensée, vous entendiez le vent siffler dans vos corridors, et la pluie fouetter

contre vos fenêtres ; ne vous est-il pas arrivé, le front appuyé contre votre cheminée, et regardant,

sans les voir, les tisons pétillants dans l’âtre ; ne vous est-il pas arrivé, dis-je, de prendre en dégoût

notre climat sombre, notre Paris humide et boueux, et de rêver quelque oasis enchantée, tapissée de

verdure et pleine de fraîcheur, où vous puissiez, en quelque saison de l’année que ce fût, au bord

d’une source d’eau vive, au pied d’un palmier, à l’ombre des jamboses, vous endormir peu à peu

dans une sensation de bien-être et de langueur ?

Eh bien, ce paradis que vous rêviez existe ; cet Eden que vous convoitiez vous attend ; ce ruisseau

qui doit bercer votre somnolente sieste tombe en cascade et rejaillit en poussière ; le palmier qui

doit abriter votre sommeil abandonne à la brise de la mer ses longues feuilles, pareilles au panache

d’un géant. Les jamboses, couverts de leurs fruits irisés, vous offrent leur ombre odorante ; suivez-

moi ; venez. (…)

Devant nous, c’est le port Louis, autrefois le port Napoléon, la capitale de l’île, avec ses

nombreuses maisons en bois, ses deux ruisseaux qui, à chaque orage, deviennent des torrents, son

île des Tonneliers qui en défend les approches, et sa population bariolée qui semble un échantillon

de tous les peuples de la terre, depuis le créole indolent qui se fait porter en palanquin s’il a besoin

de traverser la rue, et pour qui parler est une si grande fatigue qu’il a habitué ses esclaves à obéir à

son geste, jusqu’au nègre que le fouet ramène du travail le soir. Entre ces deux extrémités de

l’échelle sociale, voyez les Lascars verts et rouges, que vous distinguez à leurs turbans, qui ne

sortent pas de ces deux couleurs, et à leurs traits bronzés, mélange du type malais et du type

malabar. Voyez le nègre Yoloff, de la grande et belle race de la Sénégambie, au teint noir comme

du jais, aux yeux ardents comme des escarboucles, aux dents blanches comme des perles ; le

Chinois court, à la poitrine plate et aux épaules larges, avec son crâne nu, ses moustaches

pendantes, son patois que personne n’entend et avec lequel cependant tout le monde traite : car le

Chinois vend toutes les marchandises, fait tous les métiers, exerce toutes les professions ; car le

Chinois, c’est le juif de la colonie ; les Malais, cuivrés, petits, vindicatifs, rusés, oubliant toujours

un bienfait, jamais une injure ; vendant, comme les bohémiens, de ces choses que l’on demande tout

bas ; les Mozambiques, doux, bons et stupides, et estimés seulement à cause de leur force ; les

Malgaches, fins, rusés, au teint olivâtre, au nez épaté et aux grosses lèvres, et qu’on distingue des

nègres du Sénégal au reflet rougeâtre de leur peau ; les Namaquais, élancés, adroits et fiers, dressés

Page 73: Rapport Fait colonial

73

dès leur enfance à la chasse du tigre et de l’éléphant, et qui s’étonnent d’être transportés sur une

terre où il n’y a plus de monstres à combattre ; enfin, au milieu de tout cela, l’officier anglais en

garnison dans l’île ou en station dans le port ; l’officier anglais, avec son gilet rond écarlate, son

schako en forme de casquette, son pantalon blanc ; l’officier anglais, qui regarde du haut de sa

grandeur créoles et mulâtres, maîtres et esclaves, colons et indigènes, ne parle que de Londres, ne

vante que l’Angleterre, et n’estime que lui-même.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p.27-29.

Questions

1. Quel est le statut du narrateur ? A qui s’adresse-t-il ? Quel est l’effet recherché ?

2. Quelle opposition remarquez-vous entre les deux premiers paragraphes et le suivant ?

3. Repérez les différents groupes humains présents dans la ville :

. comment chaque groupe humain est-il caractérisé ?

. quel déterminant précède les groupes nominaux ? quel effet produit-il ?

. quel est l’ordre de présentation choisi ?

4. Quel est le temps verbal dominant ? Quel effet produit-il sur l’ensemble du texte ?

Bilan

1. Le narrateur est présent dans l’énonciation avec le pronom « je » et « moi » même s’il n’apparaît

pas directement comme personnage. Il interpelle le lecteur en le vouvoyant : « Ne vous est-il

pas… », « suivez-moi ». Il créé un effet de complicité avec le lecteur.

2. Le narrateur cherche à montrer l’opposition entre la grisaille de la vie parisienne et la douceur de

vivre des tropiques : ce cliché permet de lancer naturellement l’histoire.

3. Les différents groupes humains sont : « le créole » défini comme « indolent », le « nègre », « les

Lascars »définis par les couleurs de leur tenue traditionnelle ; « le nègre Yoloff » caractérisé par sa

beauté physique ; « le Chinois » réputés pour son sens du commerce ; « les Malais » associés à des

adjectifs marquant leur duplicité ; « les Mozambiques » connus pour leur bonhomie et leur force ;

« les Malgaches » décrits physiquement, « les Namaquais » fameux pour leurs talents de chasseurs ;

enfin, « l’officier anglais » élégant et méprisant et sans doute victime du préjugé de l’auteur.

. Les différents groupes nominaux sont précédés de l’article défini singulier ou pluriel « le , les »

qui acquiert une valeur généralisante.

. L’ordre de présentation fait les populations de couleurs sont placées entre le colon et l’officier

anglais qui représentent les autorités locales et officielles.

4. Le temps principal est le présent de l’indicatif ; il a une valeur de vérité générale. Il permet au

narrateur de se faire l’écho des différents préjugés liés à la réputation des groupes de populations.

Ainsi, cette description initiale donne-t-elle l’impression d’une vision réaliste de la population de

Port-Louis.

Séance 4 : extrait du chapitre III (1h)

Objectif : la situation initiale : la fonction des portraits

III

TROIS ENFANTS

Page 74: Rapport Fait colonial

74

Depuis plusieurs semaines, les habitants de l’île de France assistent de loin au combat que se

livrent, au large de leur île, les flottes française et britannique. Après plusieurs défaites, cette

dernière compte bien s’emparer de l’île. Les habitants organisent la résistance.

L’homme était grand, maigre, d’une charpente tout osseuse, un peu courbé, non point par l’âge,

puisque nous avons dit qu’il avait quarante-huit ans au plus, mais par l’humilité d’une position

secondaire. En effet, à son teint cuivré, à ses cheveux légèrement crépus, on devait, au premier coup

d’œil reconnaître un de ces mulâtres auxquels, dans les colonies, la fortune, souvent énorme, à

laquelle ils sont arrivés par leur industrie, ne fait point pardonner leur couleur. Il était vêtu avec une

riche simplicité, tenait à la main une carabine damasquinée d’or, armée d’une baïonnette longue et

effilée, et avait au côté un sabre de cuirassier, qui, grâce à sa haute taille, restait suspendu le long de

sa cuisse comme une épée. De plus, outre celles qui étaient contenues dans sa giberne, ses poches

regorgeaient de cartouches.

L’aîné des deux enfants qui accompagnaient cet homme était, comme nous l’avons dit, un grand

garçon de quatorze ans, à qui, l’habitude de la chasse, plus encore que son origine africaine, avait

bruni le teint ; grâce à la vie active qu’il avait menée, il était robuste comme un jeune homme de

dix-huit ans ; aussi avait-il obtenu de son père de prendre part à l’action qui allait avoir lieu. Il était

donc armé de son côté d’un fusil à deux coups, le même dont il avait l’habitude de se servir dans ses

excursions à travers l’île, et avec lequel, tout jeune qu’il était, il s’était déjà fait une réputation

d’adresse que lui enviaient les chasseurs les plus renommés. Mais, pour le moment, son âge réel

l’emportait sur l’apparence de son âge. Il avait posé son fusil à terre et se roulait avec un énorme

chien malgache, qui semblait, de son côté, être venu là pour le cas où les Anglais auraient amené

avec eux quelques-uns de leurs bouledogues.

Le frère du jeune chasseur, le second fils de cet homme à la haute taille et à l’air humble, celui

enfin qui complétait le groupe que nous avons entrepris de décrire, était un enfant de douze ans à

peu près, mais dont la nature grêle et chétive ne tenait en rien de la haute stature de son père, ni de

la puissante organisation de son frère, qui semblait avoir pris à lui seul la vigueur destinée à tous les

deux ; aussi, tout au contraire de Jacques, c’était ainsi qu’on appelait son aîné, le petit Georges

paraissait-il deux ans de moins qu’il n’avait réellement, tant, comme nous l’avons dit, sa taille

exiguë, sa figure pâle, maigre et mélancolique, ombragée par de longs cheveux noirs, avaient peu de

cette force physique si commune aux colonies ; mais, en revanche, on lisait dans son regard inquiet

et pénétrant une intelligence si ardente, et, dans le précoce froncement de sourcil qui lui était déjà

habituel, une réflexion si virile et une volonté si tenace, que l’on s’étonnait de rencontrer à la fois

dans le même individu tant de chétivité et tant de puissance.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 53-54.

Questions

1. Précisez le statut du narrateur à travers l’emploi du « on » et du « nous » ; quel avantage permet

ce statut ?

2. Montrez le rapport entre la disposition en paragraphes et la présentation des personnages.

3. Quel détail physique se répète dans les différents portraits ? Quelle position sociale leur donne-t-

il ?

Page 75: Rapport Fait colonial

75

4. Quel mot revient deux fois (sous forme nominale et adjectivale) pour désigner le père ?

5. En quoi les deux frères s’opposent-ils ?

6. Quelle qualité particulière le cadet semble-t-il posséder ?

. Quelle construction grammaticale est utilisée à plusieurs reprises ?

. Pourquoi le narrateur prend-il la précaution de préciser cette qualité à ce moment du texte ?

7. Quelle impression ces portraits cherchent-ils à produire sur le lecteur ?

Bilan

1. Les interventions du narrateur sont nombreuses : l’emploi du « on » et du « nous » ne fait pas de

lui un narrateur personnage mais une sorte de témoin de l’histoire rendant le récit vif et naturel.

2. Les trois personnages sont présentés de façon décroissante dans trois paragraphes distincts : du

père au fils cadet : « L’homme », « L’aîné », « le second fils ».

3. Les allusions au métissage se répètent dans les différents portraits : le père « à son teint cuivré, à

ses cheveux légèrement crépus », « l’origine africaine » de l’aîné, la « figure pâle » du second fils.

Les adjectifs « cuivré », « pâle » ou l’adverbe « légèrement » sont choisis de façon à minimiser les

caractéristiques physiques noires que ce soit la couleur ou la qualité du cheveu.

La position de mulâtre donne à cette famille un statut social intermédiaire : cette famille est riche

tout en semblant freinée dans sa réussite par sa couleur.

4. Cette situation sociale intermédiaire est confirmée par l’emploi du nom « humilité » et de

l’adjectif « humble » pour définir l’attitude du père.

5. Les deux frères s’opposent par leur stature physique et leur vitalité : l’aîné « était robuste » et « il

s’était déjà fait une réputation d’adresse » tandis que le second avait « une nature grêle et chétive »,

« sa taille exiguë », « sa figure pâle, maigre et mélancolique ».

6. Si le cadet ne possède pas l’énergie de son aîné, il semble posséder une force intérieure qui ne

demande

qu’à s’exprimer : la construction syntaxique « si ardente … que », « si virile…que », « si tenace…

que » laisse deviner une personnalité hors du commun qui donne du reste son prénom au roman.

7. Ces portraits remplissent différentes fonctions :

- Ils permettent au lecteur de faire connaissance avec les personnages dont il va suivre les aventures

dans le roman ; le narrateur les présente de façon à les rendre sympathiques.

- Ils soulignent une contradiction : c’est le personnage en apparence le plus fragile qui donne son

nom au roman et qui s’impose dans l’histoire dans les chapitres suivants.

- Ils montrent le statut particulier de ces personnages dans la société coloniale : riches mais

déterminés par leur couleur noire.

Séance 5 : la vie quotidienne d’une sucrerie au XVIIIe siècle (1h)

1 Ŕ Qu’est-ce qu’une sucrerie ? (le cas le plus général)

NB : la configuration des habitations est la même, aux Antilles, en Guyane ou dans les

Mascareignes.

a- Description dans Georges d’Alexandre Dumas : aspect bucolique, charmant…

(doc. 8 : texte extrait de Georges)

b- Description à partir d’un exemple (doc. 9 : plan habitation Juchereau de Saint-denis).

Page 76: Rapport Fait colonial

76

(N.B. ce document et présenté et commenté par ailleurs, dans le dossier 1 « Économie et société

dans les empires coloniaux »).

Questions

- Repérer les différents types de champs, de bâtiments.

- Calculer la surface approximative des champs (« pièces ») plantés en cannes à sucre. Qu’en

déduire (sachant qu’un petit paysan, en France à la même époque, ne possède souvent guère qu’un

hectare) ?

On observe l’étendue des parcelles, l’organisation raisonnée de l’occupation de l’espace, tant pour

les « pièces » (parcelles) de cannes que pour les bâtiments dont on peut faire un repérage. Il s’agit

d’une unité de production à des fins d’exportation.

Page 77: Rapport Fait colonial

77

Certaines questions importantes concernant l’organisation ne sont pas visibles sur le document :

ainsi, le rôle de l’encadrement blanc pour superviser le travail aux champs ou à la sucrerie

(contremaître sucrier, machoquet Ŕ forgeron Ŕ, comptable…), et les tâches d’encadrement

subalterne confiés à des esclaves de confiance (« commandeurs »).

Constat :

Il y a un grand décalage entre l’aspect champêtre, voire bucolique, de la description littéraire et

la dure réalité de l’organisation d’une unité de production fondée sur l’esclavage.

On sait par ailleurs que l’atelier esclave se divise en plusieurs catégories :

- les domestiques

Le personnel domestique est le plus proche des maîtres (cuisinier, blanchisseuse, cocher...) et

aussi le plus apte à écouter les Blancs, le plus chanceux pour être éventuellement affranchi.

- les ouvriers et artisans (esclaves « à talent »)

Pour des travaux exigeant une qualification, comme la transformation du jus de canne en sucre,

et les tâches annexes : conducteur de cabrouets Ŕ charrettes Ŕ, ouvriers tonneliers, etc.

- les « nègres de jardin » :

- grand atelier : tâches de coupe, de travail des parcelles (le plus pénible, et ne demandant pas de

qualification) ;

- le « petit atelier » : pour les jeunes, les femmes enceintes ou les anciens et invalidés : garder

les animaux, broyer la canne…

2 Ŕ Conditions matérielle de vie des esclaves

On peut repérer sur le plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis l’alignement des « cases à

nègres », les « pièces » (parcelles) de cannes, les « places à vivres », l’hôpital…

Question que peut poser l’enseignant : que savez-vous des conditions matérielles de vie des

esclaves ?

(NB. On peut aussi s’appuyer sur d’autres documents commentés dans le dossier « Économie et

société… », comme :

- bilan comptable de l’habitation Juchereau (1785) ;

- commentaires du gérant Bayon de Libertat sur les conditions sanitaires dans la sucrerie dont il a

la responsabilité ;

- instructions du comte de Noé en faveur de son procureur (Duménil) de1790)

On s’aperçoit que les esclaves sont, dans les faits, considérés comme des biens meubles. Le

maître se doit, selon le Code Noir, d’entretenir cette force de travail : logement, nourriture, soins,

vêtement…

Dans la pratique, il le fait bien souvent à l’économie : logement peu chers, nourriture fournie de

façon parcimonieuse (les esclaves doivent cultiver des parcelles communes dites places à vivres et,

en plus, peuvent cultiver un jardin en propre pour avoir des compléments alimentaires). Au bout du

compte, cette nourriture est déséquilibrée (surabondance de féculents, manque de protides)…

Page 78: Rapport Fait colonial

78

3 Ŕ Le travail du sucre

doc. 10 : principe de fabrication du sucre de canne au XVIIIe siècle

Illustration extraite de l’exposition L’Isle-de-Noé, île des Antilles, qui s’est tenue au château de

L’Isle-de-Noé (Gers) en 2003 (document présenté et commenté dans le dossier « Économie et

société… »)

Question : observer les étapes du processus, illustrer et tenter d’expliquer le mode de fabrication du

sucre à cette époque.

Décrire les étapes, comprendre le processus conduisant à exprimer le jus de canne pour le

transformer en un sirop de plus en plus épais, qui finit par cristalliser. Une fois sec, le sucre est

réduit en poudre et mis en barriques pour être expédié en métropole.

La coupe des cannes, leur pressage et la réduction du jus en sirop sont des travaux pénibles

(pénibilité de la coupe, atmosphère surchauffée de la sucrerie), parfois dangereux (accidents

possibles dans le moulin broyeur de cannes : en témoigne l’exemple de Makandal, esclave qui

perdit un bras, s’enfuit et durant plusieurs années se vengea en empoisonnant cheptel voire maîtres

Blancs, au nord de Saint-Domingue, avant d’être capturé et exécuté en place publique, au Cap-

Français, début 1758 Ŕ voir document de l’heure 4 « résistances à l’esclavage » ci-après)

Pour mémoire, on peut rappeler d’autres tâches elles aussi pénibles, dans d’autres types

d’habitations : cueillette et séchage du café, récolte de l’indigo ou du coton… On peut aussi

rappeler qu’il y avait des esclaves affectés à des tâches non agricoles, dans les ports : portefaix,

ouvriers d’une équipe d’un maître artisan…

4 Ŕ Un encadrement violent

Doc. 11 : une machine à remonter

Pour M. de Malmédie54

, les nègres, ce n'étaient pas des hommes, c'étaient des machines devant

rapporter un certain produit. Or, quand une machine ne rapporte pas ce qu'elle doit rapporter, on la

remonte par des moyens mécaniques. M. de Malmédie appliquait donc purement et simplement à

ses nègres la théorie qu'il eût appliquée à des machines. Quand les nègres cessaient de fonctionner,

soit par paresse, soit par fatigue, le commandeur les remontait à coups de fouet ; la machine

reprenait son mouvement et, à la fin de la semaine, le produit général était ce qu'il devait être.

Alexandre Dumas, Georges, chapitre VII

Questions

- Que veut nous faire comprendre Alexandre Dumas à propos des méthodes employées sur les

sucreries ?

- Quel regard le maître porte-t-il sur esclaves ?

- Quelle peut être la conséquence à long terme de pareille méthode ?

54

Habitant de l’île Maurice.

Page 79: Rapport Fait colonial

79

Alexandre Dumas n’exagère malheureusement rien, et cet extrait littéraire relatif à l’île Maurice

est corroboré par maints faits enregistrés par ailleurs : le fouet était l’instrument communément

utilisé, tant aux Mascareignes qu’aux Amériques, pour que les esclaves accélèrent la cadence de

travail, ou pour punir la plupart des infractions au Code Noir (les plaies faites par le fouet étant

ensuite enduite de jus de citron ou de sel, non par sadisme, mais pour éviter l’infection ; une

« recette » utilisée depuis le XVIIe siècle à bord des bateaux de la marine royale).

Question parallèle : qui est Alexandre Dumas ?

Alexandre Dumas (dit « Dumas père »), auteur de Georges (et d’autres romans fameux de la

littérature populaire, comme Les trois mousquetaires, Le comte de Monte-Cristo…) fils du général

Thomas-Alexandre Dumas (Davy de la Pailleterie).

Thomas-Alexandre Dumas (« Dumas grand-père ») est un mulâtre de Saint-Domingue, né à

Jérémie (sud) en 1762, esclave affranchi par son père, aristocrate normand ; sa mère noire et esclave

s’appelait Marie-Cézette du Mas). Général de la République, mis à la retraite de l’armée en 1802,

mort en 1806.

Doc. 12 : Alexandre Dumas père

Timbre-poste de L’île Maurice - Collection particulière

Page 80: Rapport Fait colonial

80

Séance 6 : extrait du chapitre VI (1h)

Objectif : la description de la plantation, une vision idéale

VI

TRANSFIGURATION

Après quatorze ans d’absence, Georges est de retour sur l’île de France et retrouve la plantation

familiale. Entre temps l’île a été conquise par l’Angleterre.

Après trois heures de marche, on arriva à la plantation ; à un quart d’heure de la maison,

Télémaque avait pris les devants, de sorte qu’en arrivant, Georges et son père trouvèrent tous les

nègres qui les attendaient avec une joie mêlée de crainte : car ce jeune homme qu’ils n’avaient vu

qu’enfant, c’était un nouveau maître qui leur arrivait, et ce maître, que serait-il ?

Ce retour était donc une question capitale pour toute cette pauvre population. Les augures furent

favorables. Georges commença par leur donner congé pour ce jour et pour le lendemain. Or, comme

le surlendemain était un dimanche, cette vacance leur faisait de bon compte trois jours de repos.

Puis Georges, impatient de juger par lui-même de l’importance que sa fortune territoriale pouvait

lui donner dans l’île, prit à peine le temps de dîner, et, suivi de son père, visita toute l’habitation.

D’heureuses spéculations et un travail assidu et bien dirigé en avaient fait une des plus belles

propriétés de la colonie. Au centre de la propriété était la maison, bâtiment simple et spacieux,

entouré d’un triple ombrage de bananiers, de manguiers et de tamariniers, s’ouvrant, par-devant, sur

une longue allée d’arbres conduisant jusqu’à la route, et, par-derrière, sur des vergers parfumés où

la grenade à fleurs doubles, mollement balancée par le vent, allait tour à tour caresser un bouquet

d’oranges purpurines ou un régime de bananes jaunes, montant et descendant toujours, indécise et

pareille à une abeille qui voltige entre deux fleurs, à une âme qui flotte entre deux désirs ; puis tout

alentour, et à perte de vue, s’étendaient des champs immenses de cannes et de maïs, qui semblaient,

fatigués de leur charge nourricière, implorer la main des moissonneurs.

Puis enfin on arriva à ce qu’on appelle, dans chaque plantation, le camp des noirs.

Au milieu du camp s’élevait un grand bâtiment qui servait de grange l’hiver, et de salle de danse

l’été ; de grands cris de joie en sortaient, mêlés au son de tambourin, du tam-tam et de la harpe

malgache. Les nègres, profitant des vacances données, s’étaient aussitôt joyeusement mis en fête ;

car, dans ces natures primitives, il n’y a pas de nuances ; du travail, elles passent au plaisir, et se

reposent de la fatigue par la danse. Georges et son père ouvrirent la porte et parurent tout à coup au

milieu d’eux.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 122-123.

Questions

1. Repérez les principaux passages descriptifs : comment les distinguez-vous de la narration ?

2. Quelle impression générale produit la plantation ?

3. Quels sont les espaces de la plantation mentionnés ?

. sur quoi la description insiste-t-elle le plus ?

. le camp des esclaves est-il décrit avec précision ? sur quelle partie de leur camp la description

insiste-t-elle ? Comment l’expliquez-vous ?

4. Dans le 3ème

paragraphe, quelle image la nature donne-t-elle ?

. montrez que la végétation est riche et diverse.

. montrez que la nature semble animée.

Page 81: Rapport Fait colonial

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5. Quelle est la fonction de cette description ?

Bilan

1. Les passages descriptifs se distinguent de la narration (dont le temps dominant est le passé

simple) par l’emploi de l’imparfait, des connecteurs spatiaux et de différentes expansions

nominales.

2. La plantation produit une impression de beauté avec la tournure superlative « une des plus belles

propriétés » de prospérité et d’ordre comme l’indiquent les indications spatiales « Au centre de »,

« entouré de… », « tout alentour, et à perte de vue… ».

3. Les espaces mentionnés sont « la maison », « une longue allée d’arbres », « des vergers », « des

champs immenses de cannes et de maïs » et « le camp des noirs ».

. La description insiste surtout sur les espaces naturels au détriment des espaces humains où se

trouvent les esclaves : ainsi le camp des noirs est-il à peine évoqué et leurs conditions de vie ne sont

pas précisées si ce n’est pour souligner leur sens de la fête : « de grands cris de joie en sortaient,

mêlés au son de tambourin, du tam-tam… ». Ce choix s’explique par la nécessité de donner une

image positive et idéale de la plantation.

4. Dans le 3e paragraphe, la description multiplie les images mélioratives et les clichés sur la nature

luxuriante, bienfaisante et généreuse : elle dispense ses bienfaits sur le mode du multiple dans « un

triple ombrage de bananiers… » et dans « la grenade à fleurs doubles » ; les pluriels et les

expressions de sens collectif abondent : « un bouquet d’oranges purpurines ou un régime de

bananes jaunes ».

. Cette nature s’anime sous l’effet de comparaisons Ŕ « où la grenade (…) pareille à une abeille qui

voltige entre deux fleurs, à une âme qui flotte entre deux désirs » - ou de personnifications : « des

champs immenses de cannes et de maïs, qui semblaient, fatigués de leur charge nourricière,

implorer la main des moissonneurs. »

5. Cette description particulièrement valorisante de la plantation est destinée à conforter l’image

positive de la famille de Georges Munier en soulignant ses qualités de gestionnaire et sa

bienveillance envers les esclaves.

Séance 7 : Expression écrite (2h)

Rédigez une description de plantation en utilisant le plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis.

Elle sera rédigée de façon à produire une impression plus conforme à la réalité historique.

Séance 8 : Les formes de résistances à l’esclavage (1h)

Question générale à poser en préalable : quels sont les moyens que les esclaves ont pour résister à

l’esclavage ? (La fuite ou la révolte sont des réponses souvent entendues, mais ces moyens ne sont

pas les seuls et ne sont employés que dans des conditions très particulières. D’où l’inventaire qui

suit).

1 Ŕ Les loisirs des esclaves

Il est surtout exigé d’eux du travail. Mais les maîtres leur autorisaient des loisirs (musiques,

danses, jeux, cultiver son jardin privé Ŕ comme complément alimentaire, ce qui dédouanait les

maîtres d’une partie de leur obligation de fournir la nourriture).

Musiques et danses avaient lieu le samedi ou le dimanche ; les esclaves devaient (en principe)

suivre la messe dominicale. Un marché de leurs productions en fruits et légumes pouvait se tenir

lieu à l’issue de l’office.

Page 82: Rapport Fait colonial

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Musiques, danses et jeux vont vite devenir des formes de résistance passive (occasion de

manifester sa culture d’origine, de pratiquer une religion parallèle au catholicisme officiel Ŕ pas

toujours enseigné par les maîtres, qui se méfiaient de l’idée de fraternité du christianisme).

Il existe maintes gravures d’époque représentant des scènes de danses, de musiques, etc.

(notamment celle extraites du Recueil des vues des lieux principaux de la colonie française de

Saint-Domingue…, de Moreau de Saint-Méry, publié à Paris en 1791, souvent reproduite dans les

manuels) pour qu’il ne soit pas la peine d’insister sur ces points.

On peut aussi amener les élèves à s’interroger sur les héritages de cette résistance sublimée :

capoeira brésilienne, samba, rumba, syncrétisme religieux (vaudou…).

Une autre grande forme de résistance est la fuite (le « marronnage »). À Saint-Domingue ou

dans les autres « îles à sucre », il s’agit bien souvent de « petit marronnage » (fuite de petit rayon,

l’esclave revient de temps à autre pour chercher de la nourriture, une compagnie…), rarement de

« grand marronnage » (fuite sans retour). En effet, dans les colonies françaises, le marronnage est

resté au stade de l’aventure individuelle ou du petit groupe (mais pas de cas similaires aux

véritables villages ou communautés de marrons de Jamaïque ou du Surinam, avec qui les autorités

coloniales en viennent à négocier).

2 Ŕ La résistance violente

Poison, coups et blessures envers le maître, suicide, révolte…

Doc. 13 : L’exemple de Makandal (nord de Saint-Domingue, 1746-1748)

C’est de l’habitation de M. Le Normand de Mézy, au Limbé, que dépendait le nègre Macandal,

né en Afrique. Sa main ayant été prise au moulin, il avait fallu la lui couper, et on le fit gardien

d’animaux. Il devint fugitif.

Pendant sa désertion, il se rendit célèbre par des empoisonnements qui répandirent la terreur

parmi les nègres et qui les lui soumit tous. (…) Dans son vaste plan, il avait conçu l’infernal projet

de faire disparaître de la surface de Saint-Domingue tous les hommes qui ne seraient pas noirs, et

ses succès qui allaient toujours croissants avaient propagé un effroi qui les assuraient encore. (…)

Macandal (…) fut condamné à être brûlé vif par un arrêt du Conseil du Cap du 20 janvier 1758.

Source : Médéric Moreau de Saint-Méry,

Description… de la partie française de Saint-Domingue…, 1797

(réédition Société française d’histoire d’outre-mer, 2004, t. I, p. 629-630)

(littérature : Voir aussi Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, ou Alejo Carpentier, El

reino de este mundo, Le Royaume de ce monde Ŕ dans ce dernier titre, l’histoire de Makandal est

traitée en détail).

Questions

- Qui est Makandal ? Que lui arrive-t-il et que fait-il ?

- Quel est son sort final et pourquoi ?

- Qui est l’auteur du texte ? Approuve-t-il la vengeance de Makandal ou la condamne-t-il ?

Makandal est donc un « bossale » (esclave débarqué d’Afrique), accidenté (perte d’une main au

moulin à sucre, d’où sa colère et son désir de vengeance), fait partie d’une élite (est un « docteur

feuilles » : connaissance des plantes, pour soigner… ou pour empoisonner).

Page 83: Rapport Fait colonial

83

Devenu marron, il va semer la terreur dans les grandes sucreries de la Plaine-du-Nord de Saint-

Domingue et se constituer un réseau de complicités (de par son influence sur les esclaves).

Finalement capturé après deux ans de clandestinité, il est brûlé en place publique au Cap-Français,

subissant le châtiment des sorciers. Son exécution publique n’a pas valeur d’exemple pour les

esclaves ; la légende va vite courir qu’il s’est échappé des flammes, et le nom de Makandal devient

vite synonyme de vengeur, de héros qui revient frapper les maîtres… De fait, le mot makandal

désigne vite un talisman porte-bonheur ou porte-malheur selon le cas.

Les coups et blessures portés au maître étaient réprimés selon le Code Noir (voir plus haut,

art. 33)

À défaut de s’en prendre au maître, il est arrivé à des esclaves de choisir le suicide, à des mères

de préférer tuer leur nouveau-né plutôt que de leur faire subir une vie de servitude.

3 Ŕ Une sourde inquiétude des maîtres

Doc. 14 : Vivre dans l’isolement

Imaginez un homme non marié, seul Blanc dans sa maison de campagne, environné d’une

troupe plus ou moins considérable de nègres et de négresses qui sont ses domestiques, ses esclaves,

par conséquent ses ennemis. Une mulâtresse conduit son ménage ; en elle réside toute sa confiance.

Ennemie par vanité du peuple africain, fière des faveurs du sultan, elle ne lui est peut-être

pas moins utile pour sa sûreté que pour ses plaisirs.

Source : GIROD DE CHANTRANS (Justin),

Voyage d’un Suisse dans différentes colonies d’Amérique, 1785 (réédition Tallandier, 1980)

Questions

- Dans quel environnement évolue le maître blanc ?

- Si ce maître est célibataire, qui prend-il souvent comme compagne ?

- Quelle est la position de cette compagne vis-à-vis du maître ? Vis-à-vis des autres esclaves ?

Justin Girod de Chantrans n’est pas suisse mais franc-comtois (il publie son récit de voyage en

Suisse) ; il visite Saint-Domingue en 1782 et observe.

Dans les habitations, le maître blanc, propriétaire ou gérant, est certes « sultan » car il règne en

maître, mais il est bien souvent seul. Une « ménagère », selon le mot de l’époque, est sa compagne,

Noire ou Mulâtresse, lui servant d’intermédiaire avec le monde des esclaves qu’il ne connaît

finalement que de façon superficielle, et qu’il redoute (« ennemis » aux musiques, chants, danses, et

pensées difficiles à pénétrer). Et jusqu’où faire confiance à cette concubine ? Jusqu’à

l’affranchissement, le concubinage notoire voire, parfois, le mariage ? Dans quelle situation se

trouve-t-elle face à la masse des esclaves ?

La domesticité de la grande case a, en tous cas, une situation privilégiée par rapport au grand

atelier : proximité Ŕ voire intimité Ŕ des maîtres, travail plus gratifiant, possibilité bien plus grande

d’être affranchie (ceci restant cependant aléatoire et arbitraire, selon la bonne volonté du maître).

Pour les esclaves, toutes les voies possibles d’affranchissement ou, à tout le moins, d’amélioration

du sort quotidien, étaient recherchées.

Il est manifeste que les maîtres craignent les actes violents, soit individuels, soit de façon

massive (la révolte collective).

Page 84: Rapport Fait colonial

84

La révolte collective est exceptionnelle, car il faut que des conditions soient réunies : sentiment

de force parmi les esclaves, une cohésion d’un ensemble (et donc une conscience politique

suffisante pour dépasser le stade de l’individu pour celui du groupe), existence d’un ou plusieurs

meneurs, un climat devenu insupportable et sans retour, l’impression pour les esclaves que le maître

a baissé la garde ou s’est affaibli, un but à atteindre…

À Saint-Domingue, le soulèvement des esclaves de la plaine du Nord (nuit du 22 au 23 août

1791) finit par conduire à l’indépendance d’Haïti, le 1er

janvier 1804.

Reprendre le texte de Georges sur la révolte. Voir aussi Victor HUGO, Bug Jargal, à propos de

la révolte des esclaves de la Plaine-du-Nord, dans la nuit du 22 au 23 août 1791.

Séance 9 : extrait du chapitre XIII (1 h)

Objectif : les procédés de dramatisation et de suspense

XIII

LE NEGRIER

Georges souhaite développer les capacités de la plantation familiale ce qui nécessite plus de main-

d’œuvre. En accord avec son père, ils font appel à un marchand d’esclaves.

Georges et son père s’avancèrent sur le rivage. De son côté, l’homme que, de loin, on avait pu

voir assis à la poupe, avait déjà mis pied à terre.

Derrière lui descendirent une douzaine de matelots armés de mousquets et de haches. C’étaient les

mêmes qui avaient ramé le fusil sur l’épaule. Celui qui était descendu le premier leur fit signe, et ils

commencèrent à débarquer les nègres. Il y en avait trente de couchés au fond de la barque ; une

seconde chaloupe devait en amener encore autant.

Alors les deux mulâtres et l’homme qui était descendu le premier s’abordèrent et échangèrent

quelques paroles. Il en résulta que Georges et son père furent convaincus de ce dont ils s’étaient

déjà doutés, c’est qu’ils avaient devant les yeux le capitaine négrier lui-même. (…)

Les yeux du commerçant en chair noire se portaient de l’un à l’autre avec une égale curiosité, et

semblaient, à mesure qu’il les examinait davantage, s’en pouvoir moins détacher. Sans doute,

Georges et son père, ou ne s’aperçurent point de cette persistance, ou ne pensèrent pas qu’elle dût

autrement les inquiéter ; car ils entamèrent le marché pour lequel ils étaient venus, examinant les

uns après les autres les nègres que la première chaloupe avait amenés, et qui étaient presque tous

originaires de la côte occidentale d’Afrique, c’est-à-dire de la Sénégambie et de la Guinée :

circonstance qui leur donne toujours une valeur plus grande, attendu que, n’ayant pas, comme les

Madécasses, les Mozambiques et les Cafres, l’espoir de regagner leur pays, ils n’essayent presque

jamais de s’enfuir. Or, comme, malgré cette cause de hausse, le capitaine fut très raisonnable sur les

prix, lorsque arriva la seconde chaloupe, le marché était déjà fait pour la première. (…)

Quand tous les nègres furent débarqués, et quand le marché fut conclu, Télémaque, qui était lui-

même du Congo, s’approcha d’eux, et leur fit un discours dans sa langue maternelle, qui était la

leur : ce discours avait pour but de leur vanter les douceurs de leur vie à venir, comparée à la vie

que leurs compatriotes menaient chez les autres planteurs de l’île, et de leur dire qu’ils avaient eu de

la chance de tomber à MM. Pierre et Georges Munier, c’est-à-dire aux deux meilleurs maîtres de

l’île. Les nègres s’approchèrent alors des deux mulâtres, et, tombant à genoux, promirent, par

Page 85: Rapport Fait colonial

85

l’organe de Télémaque, de se rendre dignes eux-mêmes du bonheur que leur avait gardé la

Providence. (…)

Enfin, le moment vint de régulariser le marché. Georges demanda au négrier de quelle façon il

désirait être payé, et, si c’était en or ou en traites, son père avait apporté de l’or dans les sacoches de

son cheval et des traites dans son portefeuille, afin de faire face à toutes les exigences. Le négrier

préféra l’or. La somme, en conséquence, lui fut comptée à l’instant même et transportée dans la

seconde chaloupe ; puis les matelots se rembarquèrent. Ŕ Mais, au grand étonnement de Georges et

de son père, le capitaine ne descendit point avec eux dans les chaloupes, qui s’éloignèrent sur un

ordre de lui et l’abandonnèrent sur le rivage.

Le capitaine les suivit quelque temps des yeux ; puis, lorsqu’elles furent hors de la portée du

regard et de la voix, il se retourna vers les mulâtres étonnés, s’avança vers eux, et, leur tendant la

main à tous deux :

- Bonjour, père !... Bonjour, frère !dit-il

Puis, comme ils hésitaient :

- Eh bien, ajouta-t-il, ne reconnaissez-vous pas votre Jacques ?

Tous deux jetèrent un cri de surprise et lui tendirent les bras. Jacques se précipita dans ceux de

son père ; puis, des bras de son père, il passa dans ceux de Georges ; après quoi, Télémaque eut

aussi son tour, quoique, il faut le dire, ce ne fût qu’en tremblant qu’il osât toucher les mains d’un

négrier.

En effet, par une coïncidence étrange, le hasard réunissait dans la même famille l’homme qui

avait toute sa vie plié sous le préjugé de la couleur, l’homme qui faisait sa fortune en l’exploitant, et

l’homme qui était prêt à risquer sa vie pour le combattre.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 213-215.

Questions

1. Relevez les reprises nominales et pronominales désignant le négrier ; observez ses différentes

réactions ; comment permettent-elles de préparer la fin de la scène ? Vous attendiez-vous à cette

fin ?

2. En quoi cette scène est-elle invraisemblable ? en quoi est-elle vraisemblable ?

Bilan

1. Le négrier est d’abord désigné de façon vague avec le groupe nominal « l’homme » ; puis sa

désignation se fait plus précise avec les expressions « celui qui était descendu le premier », « le

capitaine négrier lui-même », « les yeux du commerçant en chair noir » ; dans la suite du texte, il est

dénommé tour à tour « le négrier » ou « le capitaine ». Dès le départ, il semble avoir reconnu son

père et son frère car il les regarde avec insistance, « à mesure qu’il les examinait davantage », tandis

que ces derniers ne se doutent pas de son identité. Au moment de repartir, il ne suit pas ses

compagnons « au grand étonnement du père et du fils » ; c’est alors qu’il se présente à eux

brutalement, ce qui constitue un coup de théâtre auquel le lecteur ne s’attend pas.

2. Cette scène est invraisemblable car il est assez rare qu’une même famille réunisse un planteur

et un négrier ; cette coïncidence est un des procédés romanesques des récits d’aventures. Ce procédé

est renforcé par l’éloge qui est fait des maîtres Munier considérés comme les «deux meilleurs

maîtres de l’île » par l’esclave Télémaque. Mais un autre détail donne de la vraisemblance au récit :

le narrateur nomme précisément les contrées dont sont originaires les futurs esclaves et le narrateur

semble bien renseigné sur les avantages à tirer de leur origine : « … circonstance qui leur donne

toujours une valeur plus grande… ». L’emploi du présent de vérité générale donne du sérieux à son

propos.

Page 86: Rapport Fait colonial

86

Séance 10 : extrait du chapitre XIX (1h)

Objectif : la visée argumentative du dialogue

XIX

LE YAMSE

Georges est revenu d’Europe dans l’intention de combattre, par tous les moyens possibles, le

préjugé qui pesait sur les hommes de couleur. Il n a pas oublié non plus un vieux contentieux qui

l’oppose à MM. de Malmédie père et fils, propriétaires blancs d’une autre plantation.

Laïza, un noir libre, propose à ses camarades esclaves que Georges prenne la tête de la révolte.

Laïza frappa trois fois dans ses mains ; au même instant, on entendit retentir le galop d’un cheval,

et, aux premières lueurs du jour naissant, on vit sortir de la forêt un cavalier qui, arrivant à toute

bride, entra jusqu’au cœur du groupe, et là, par un simple mouvement de la main, arrêta son cheval

si court, que, de la secousse, il plia sur ses jarrets.

Laïza étendit la main avec un geste de suprême dignité vers le cavalier.

- Votre chef, dit-il, le voilà !

- Georges Munier ! s’écrièrent dix mille voix.

- Oui, Georges Munier, dit Laïza. Vous avez demandé un chef qui puisse opposer la ruse à la ru

se, la force à la force, le courage au courage, le voilà !... Vous avez demandé un chef qui ait vécu

avec les blancs et avec les noirs, qui tînt par le sang aux uns et aux autres, le voilà !...Vous avez

demandé un chef qui fût libre et qui fît le sacrifice de sa liberté ; qui eût une case et un champ, et

qui risquât de perdre sa case et son champ ; eh bien, ce chef le voilà ! Où en chercherez-vous un

autre ? où en trouverez-vous un pareil ? (…)

Georges connaissait les hommes auxquels il avait affaire, et il avait compris qu’il devait avant

tout parler aux yeux : il était donc revêtu d’un magnifique burnous tout brodé d’or, et, sous son

burnous, il portait un cafetan d’honneur qu’il tenait d’Ibrahim-Pacha, et sur lequel brillaient les

croix de la Légion d’honneur et de Charles III ; de son côté, Antrim, couvert d’une magnifique

housse rouge, frémissait sous son maître, impatient et orgueilleux à la fois.

- Mais, s’écria Antonio, qui nous répondra de lui ?

- Moi, dit Laïza.

- A-t-il vécu avec nous ? connaît-il nos besoins ?

- Non, il n’a pas vécu avec nous ; mais il a vécu avec les blancs, dont il a étudié les sciences ;

oui, il connaît nos désirs et nos besoins, car nous n’avons qu’un besoin et qu’un désir : la liberté.

- Qu’il commence donc par la rendre à ses trois cents esclaves, la liberté.

- C’est déjà fait depuis ce matin, dit Georges.

- Oui, oui, s’écrièrent des voix dans la foule ; oui, nous libres, maître Georges a donné liberté à

nous.

- Mais il est lié avec les blancs, dit Antonio.

- En face de vous tous, répondit Georges, j’ai rompu avec eux hier.

- Mais il aime une fille blanche, dit Antonio.

- Et c’est un triomphe de plus pour nous autres hommes de couleur, répondit Georges ; car la fille

m’aime.

- Mais, si on vient la lui offrir pour femme, reprit Antonio, il nous trahira, nous, et pactisera avec les

blancs.

- Si on vient me l’offrir pour femme, je la refuserai, répondit Georges ; car je veux la tenir d’elle

seule, et n’ai besoin de personne pour me la donner.

Antonio voulut faire une nouvelle objection, mais les cris de « Vive Georges ! vive notre chef »

retentirent de tous côtés et couvrirent sa voix de telle façon, qu’il ne put prononcer une parole.

Page 87: Rapport Fait colonial

87

Georges fit signe qu’il voulait parler ; chacun se tut.

- Mes amis, dit-il, voici le jour, et, par conséquent, l’heure de nous séparer. Jeudi est jour de fête ;

jeudi, vous êtes tous libres ; jeudi, à huit heures du soir, ici, au même endroit, j’y serai ; je me

mettrai à votre tête, et nous marcherons sur la ville.

- Oui, oui ! crièrent toutes les voix.

La révolte tourne court. Les autorités ont été averties de la révolte et ont placé sur le parcours des

esclaves des tonneaux d’eau-de-vie auxquels ces derniers n’ont pas résisté. Quelques hommes, dont

Laïza et Georges, se retranchent dans les bois. Poursuivis par les anglais, ils résistent

vaillamment ; cependant, se sentant acculé, Laïza se transperce le corps d’un coup de couteau

tandis que Georges, fait prisonnier, est condamné à mort.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 313.

Questions

1. Repérez les passages narratifs et dialogués : quel est le principal sujet des passages narratifs ?

Quel est leur rôle ?

2. Qui se fait le porte-parole de Georges ? Comment s’y prend-il pour capter l’attention de

l’auditoire ?

3. Quels arguments met-il en avant pour soutenir Georges ?

4. A quel moment Georges prend-il personnellement la parole ? quel effet produit ce retardement ?

quel effet produisent ses paroles ?

5. Quel personnage s’oppose à Georges ? Quelles objections oppose-t-il à Georges ?

Bilan

1. On repère trois passages narratifs dont deux se trouvent dans la première moitié du texte : ils

s’intéressent au personnage de Georges. Ces passages servent à dramatiser l’apparition et la

présence de Georges. Dans les premières lignes, Georges est désigné de façon mystérieuse comme

« un cavalier » qui fait une entrée spectaculaire avec son cheval. Dans le deuxième passage, la

description met en valeur l’élégance et les détails de sa tenue qui rappelle ses expériences passées :

« cafetan d’honneur qu’il tenait d’Ibrahim-Pacha et sur lequel brillaient les croix de la Légion

d’honneur et de Charles III ».

2. C’est Laïza qui se fait le porte-parole de Georges. Pour capter l’attention de l’auditoire, il

l’interpelle avec le pronom « vous », il multiplie les tournures répétitives « Vous avez demandé un

chef qui… » ; il utilise des tournures doubles « la force à la force », « avec les blancs et avec les

noirs… » qui montre la complémentarité de Georges.

3. Pour convaincre la foule de prendre Georges comme chef de la révolte, il s’appuie sur sa

double identité « qui tînt par le sang aux uns et aux autres », sur le fait qu’il est prêt à perdre sa

liberté et ses biens « qui risquât de perdre sa case et son champ » ; il met également en avant son

éducation « il a étudié les sciences » et sa connaissance des noirs « il connaît nos désirs et nos

besoins ».

4. Georges prend la parole tardivement ce qui créé un effet d’attente et de suspense. Ses

premières paroles sont destinées à produire une forte impression car il annonce la libération de ses

esclaves, ce qui donne la preuve de son engagement personnel et de sa détermination à mener la

révolte.

5. C’est Antonio qui se montre méfiant et s’oppose à Georges : il demande des preuves concrètes

de son soutien et insiste sur les liens de Georges avec la société blanche ; en particulier, il souligne

les liens amoureux de Georges avec Sara « une fille blanche ».

Page 88: Rapport Fait colonial

88

Séance 11 : abolitions de l’esclavage (1h)

1 Ŕ La révolte massive de Saint-Domingue (à partir du 23 août 1791)

Doc. 15 : La reconstitution légendée du passé (cérémonie vaudou du Bois Caïman, 14 août

1791)

Timbre d’Haïti commémorant le bicentenaire de la révolte des esclaves de la Plaine-du-Nord (23

août 1791)

Source : Collection particulière

Questions

- Décrire le document ; de quand date-t-il ?

- Quelle vision de la révolte des esclaves donne-t-il ?

Il s’agit d’une glorification, de l’exaltation de cette cérémonie (bien peu discrète !) d’esclaves

qui ont décidé de briser leurs chaines… Cette cérémonie est entrée dans la légende mais est-ce

l’élément déclencheur de la révolte ? Cette vision glorieuse n’est-elle pas trop simple ? Correspond-

elle vraiment aux faits ?

La réalité est bien plus complexe que la vision héroïque de la révolte des gueux. Le débat entre

historiens est vif, mais il semblerait que cette révolte soit une action coordonnée (dans la discrétion)

par des affranchis avec les autorités officielles (débordées par une faction autonomiste de colons)

pour qu’une action massive d’esclaves libérés menace l’installation au Cap-Français d’une

assemblée de colons autonomistes. En effet, depuis 1789, certains colons parlent de s’affranchir du

contrôle de la métropole en matière économique (« Exclusif » du commerce, que le pouvoir royal

avait un peu assoupli) voire politique (faire une assemblée coloniale dans la ville de Saint-Marc, qui

légifère sur place, et non recevoir des lois votées en métropole par des députés ne connaissant rien

aux colonies… ce qui pousse au maintien du système esclavagiste pur et dur).

Les événements sont d’une très grande complexité et on ne peut, en collège ou en lycée,

qu’esquisser quelques grandes lignes de la Révolution à Saint-Domingue, laquelle se déroule

parallèlement aux événements en France.

Page 89: Rapport Fait colonial

89

Les revendications des colons autonomistes qui refusent le « despotisme » (contrôle administratif

royal) et veulent plus d’autonomie, leur crainte de la montée en puissance du groupe des « libres de

couleur » revendiquant le droit de vote (et animosité des petits Blancs à l’égard de ce groupe), leur

inquiétude face au discours philanthropique d’abolition de l’esclavage, tout ceci constitue un

mélange explosif. Les esclaves, jusque là à l’écart (mais ils ont des yeux et des oreilles), ne bougent

pas jusqu’à l’ébranlement de la nuit du 22 au 23 août 1791. Désormais plus rien ne va être comme

avant.

Où se trouve l’épicentre de la révolte ? Selon un témoignage resté anonyme, « c’est (…) sur

l’hab[itation] Nöé (…) que le massacre des blancs par les nègres a commencé dans la nuit du 22

au 23 août 55

. [1791] (voir aussi Victor Hugo, Bug Jargal). Que s’est-il passé ? Quelles sont les

conséquences immédiates d’un tel événement ?

De fait, dès le 23 août, on compte 37 Blancs assassinés et des dizaines d’habitations ravagées. Et

surtout, plus rien ne va être comme avant. Les esclaves en révolte font une entrée fracassante dans

un débat politique qui les avait jusque là tenus à l’écart.

2 Ŕ La première abolition de l’esclavage

Doc. 16 : Décret 16 Pluviose An II (4 février 1794)

La Convention nationale déclare abolir l’esclavage dans toutes les colonies ; en conséquence, elle

décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens

français et jouissent de tous les droits assurés par la Constitution.

Questions

- Quelle décision solennelle adopte la Convention ? Quelle en est la conséquence théorique ?

- Comment en est-on arrivé là, dans quelles circonstances ?

Les années 1792-93 sont marquées, à Saint-Domingue, par la reprise en main progressive de

l’autorité métropolitaine face aux velléités autonomistes. Non sans mal (tergiversations législatives,

refus braqué de « petits Blancs »), le droit de vote est accordé aux « libres de couleur » ; tandis que

l’agitation des esclaves révoltés s’étend et qu’un parti de colons menés par le gouverneur Galbaud

tente de résister à l’autorité des envoyés de la Convention, les commissaires Sonthonax et Polverel.

Sonthonax s’allie à des bandes d’esclaves révoltés pour expulser Galbaud et ses partisans du Cap-

Français (ville incendiée en juin 1793) et proclame l’abolition de l’esclavage (29 août 1793) en

espérant obtenir le ralliement à la République de ces révoltés. C’est l’échec, les anciens esclaves

n’ont pas attendu après la République… Sonthonax envoie trois députés à la Convention pour

raconter dans quelle situation se trouve Saint-Domingue : Louis Dufay de la Tour (Blanc), Jean-

Baptiste Mills (Mulâtre), Jean-Baptiste Belley (Noir ; son portrait par Girodet est reproduit dans de

nombreux manuels).

Leur arrivée à la Convention, à Paris, fait sensation (3 février 1794). Le lendemain, l’esclavage

est aboli par les Conventionnels, confirmant ainsi la décision déjà prise dans l’île. Une île menacée

par les Espagnols et les Anglais, qui tentent d’en prendre le contrôle. C’est à ce moment que la

figure de Toussaint Louverture, ancien esclave affranchi, devenu « libre de couleur », apparaît. Chef

d’une unité dans l’armée espagnole, il passe dans le camp français (mai 1794) et devient général de

55

ANOM, F/3/197, cité in CAMARA (Evelyne), DION (Isabelle), DION (Jacques) Ŕ Esclaves, Regards de Blancs,

1672-1913 Ŕ Archives nationales d’Outre-Mer / Images en Manœuvres Editions, 2008, p. 162.

Page 90: Rapport Fait colonial

90

l’armée française. Les années qui suivent sont marquées par sa montée en puissance, l’île de Saint-

Domingue passant progressivement sous son contrôle. Au point d’irriter Bonaparte, qui n’accepte

pas la Constitution autonomiste que Toussaint Louverture fait adopter en juillet 1801. Influencé par

un puissant groupe de colons réfugiés à Paris, le Premier Consul monte une très importante

expédition il a été aboli.

Page 91: Rapport Fait colonial

91

3 Ŕ Le rétablissement de l’esclavage et ses conséquences

Doc. 17 : Figure de Louis Delgrès (portrait imaginaire) (2002)

Source : Collection particulière

Travail : recherche sur Louis Delgrès : qui était-il, qu’a-t-il fait et pourquoi ? Pourquoi reste-t-il

un symbole de la lutte contre l’esclavage ?

En Guadeloupe, le commissaire Victor Hugues porteur du décret d’abolition en 1794 était

parvenu à reprendre l’île aux Anglais et à instaurer un régime de travail obligatoire pour relancer les

plantations.

Quand en 1802 le général Richepanse débarque pour rétablir l’esclavage, il va se heurter à la

résistance désespérée d’un groupe d’anciens esclaves menés par l’officier mulâtre martiniquais

Louis Delgrès (épisode du Matouba : les 300 derniers combattants se font sauter plutôt que de se

rendre, au cri révolutionnaire de « la liberté ou la mort »), le 10 mai 1802. Le nom de Louis Delgrès

figure au Panthéon.

À Saint-Domingue, l’arrestation de Toussaint Louverture (6 juin 1802) et son exil en France

(emprisonné au fort de Joux, Doubs, où il meurt le 7 avril 1803) et la nouvelle du rétablissement de

l’esclavage en Guadeloupe déclenchent un soulèvement général. L’armée française, minée par les

fièvres et sans cesse harcelée dans un pays montagneux, est incapable de contrôler quoi que ce soit.

Résultat : la proclamation de la République indépendante d’Haïti.

Doc. 18 : Acte d’indépendance d’Haïti (1er

janvier 1804)

Aujourd’hui, premier janvier dix-huit cent quatre, le Général en chef de l’armée indigène,

accompagné des généraux chefs de l’armée (…) après avoir fait connaître (…) ses véritables

intentions d’assurer à jamais aux indigènes d’Haïti un gouvernement stable, objet de sa plus vive

sollicitude (…) a demandé que chacun des généraux assemblées prononçât le serment de renoncer à

jamais à la France, de mourir plutôt que de vivre sous sa domination et de combattre jusqu’au

dernier soupir pour l’indépendance. (…)

Fait aux Gonaïves, ce premier janvier mil huit cent quatre et le premier jour de

l’indépendance d’Haïti.

Page 92: Rapport Fait colonial

92

Questions

- Quelle décision est adoptée à Saint-Domingue ? Pour quelles raisons ?

- Quel est le ton employé ?

- Quelles sont les conséquences d’une telle décision ?

Le successeur de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, proclame la rupture avec la

France et ordonne le massacre des (rares) Blancs encore dans l’île. Pendant une vingtaine d’années

Haïti reste sur le qui-vive, craignant une opération de reconquête de la France. Rien ne se produit.

Finalement, la France reconnaît officiellement l’indépendance d’Haïti en 1825, après la proposition

du président haïtien Pierre Boyer d’indemniser les anciens colons.

En Martinique, l’occupation anglaise impose le maintien du régime esclavagiste. À la Réunion,

le décret de la Convention n’a pas été appliqué.

4 Ŕ La seconde abolition de l’esclavage : 1848

Doc. 19 : Timbre-poste émis pour le tricentenaire des Antilles françaises (1935) à l’effigie de Victor

Schoelcher, commémorant l’abolition de l’esclavage de 1848

Source : collection particulière

Questions

- Qui est Victor Schœlcher ?

- Quelle idée ce document suggère-t-il ?

- Quelle est l’attitude des esclaves ? Que remarque-t-on ?

C’est dans les premiers mois de la Seconde République, le 27 avril 1848, qu’est adopté le décret

d’abolition de l’esclavage inspiré par Victor Schœlcher, dont la figure fait oublier d’autres

abolitionnistes engagés avant lui dans ce mouvement, comme le martiniquais Cyrille Bissette. Mais

l’image d’une abolition octroyée par des esprits généreux, ainsi que l’image des esclaves aux

chaînes brisées remerciant cette initiative, sont réductrices. L’idée était dans l’air du temps depuis

des années (l’Angleterre ayant aboli l’esclavage dans ses colonies en 1833, et les puissances

Page 93: Rapport Fait colonial

93

européennes faisaient la chasse aux navires négriers). Et les esclaves n’ont pas attendu patiemment

une décision qui serait tombée du ciel.

Doc. 20 : Une réalité plus complexe, vue par un historien

Les décisions prises à Paris mirent un mois pour parvenir à la connaissance des Antillais.

Chargés en même temps de les appliquer, les commissaires nommés par Schoelcher (…) ne

débarquèrent que début juin. Depuis les premiers jours de mars, en Martinique, les esclaves

remuaient dans les ateliers, les bruits d’une émancipation toute proche (…) Le 21 mai, Saint-Pierre

était « encombré par les nègres ». Le lendemain se produisit l’incident [un esclave ayant menacé

son maître blanc avec un coutelas est arrêté par la police, les esclaves des ateliers voisins, avertis,

convergent vers la ville en demandant la libération de leur camarade] (…) La panique poussa de

nombreux colons à se réfugier sur les navires en rade de Saint-Pierre. Le lendemain, 23 mai, à la

demande de la municipalité, le gouverneur Rostoland proclama un décret solennel : « L’esclavage

est abolit à partir de ce jour à la Martinique, le maintien de l’ordre public est confié au bon esprit

des anciens et des nouveaux citoyens français ». (…) En Guadeloupe, la nouvelle connue le 26 mai,

la municipalité de Pointe-à-Pitre demandait aux autorités de s’aligner sur la Martinique, et, le 27, à

Basse-Terre, le gouverneur Layrle déclarait effective l’abolition.

Source : Paul BUTEL (Paul), Histoire des Antilles françaises, XVII

e-XX

e siècles,

Paris, Perrin, 2002

« Neg pété chen » (Les Nègres brisent les chaînes), dit-on en Martinique, en rappel au rôle joué

par les esclaves dans leur propre libération. En Guyane, l’abolition est officielle le 10 août, deux

mois après l’arrivée du commissaire chargé de faire appliquer la mesure. À la Réunion, l’envoyé de

la République proclame l’abolition le 20 décembre, après la rentrée des récoltes.

De fait, chaque département d’outre-mer a une date officielle différente de commémoration

d’abolition de l’esclavage.

Restait maintenant à faire des anciens serviles des citoyens à part entière…

Séance 12 : extrait du chapitre XXVIII (1h)

Objectif : évaluation finale sur le roman d’aventure

XXVIII

L’EGLISE DE SAINT-SAUVEUR

La porte de la rue, comme on le comprend bien, était encombrée de curieux. Les spectacles sont

rares à Port-Louis, et tout le monde avait voulu voir, sinon mourir, du moins passer le condamné.

(…)

En arrivant devant la porte, Georges tressaillit. Près du bon vieux prêtre, qui l’attendait sous le

porche, était une femme vêtue de noir, voilée de noir.

Cette femme, en costume de veuve, que faisait-elle là ? Qu’attendait-elle là ?

Malgré lui, Georges doubla le pas ; ses yeux étaient fixés sur cette femme et ne pouvaient s’en

détacher.

Puis, à mesure qu’il approchait, son cœur battait plus fort ; son pouls, si calme devant la mort,

devenait fiévreux devant cette femme.

Page 94: Rapport Fait colonial

94

Au moment où il mettait un pied sur la première marche de la petite église, cette femme elle-

même fit un pas au-devant de lui ; Georges franchit les quatre marches d’un bond, leva le voile, jeta

un grand cri et tomba à genoux.

C’était Sara*.

Sara étendit la main d’un mouvement lent et solennel : il se fit un grand silence dans toute cette

foule.

- Ecoutez, dit-elle, sur le seuil de l’église où il entre, sur le seuil du tombeau où il est près d’entrer, à

la face de Dieu et des hommes, je vous prends tous à témoin que, moi, Sara de Malmédie, je viens

demander à M. Georges Munier s’il veut bien me prendre pour épouse.

- Sara ! s’écria Georges en éclatant en sanglots, Sara, tu es la plus digne, la plus noble, la plus

généreuse de toutes les femmes. (…)

Une vingtaine de soldats formaient la haie dans l’église ; quatre soldats gardaient le chœur ;

Georges passa au milieu d’eux sans les voir, et vint s’agenouiller avec Sara devant l’autel.

Le prêtre commença la messe nuptiale ; mais, Georges n’écoutait point les paroles du prêtre ;

Georges tenait la main de Sara, et, de temps en temps, il se retournait vers la foule et jetait sur elle

un regard de souverain mépris. (…)

Ce pendant la messe s’avançait, lorsque Georges, en se retournant, aperçut Miko-Miko**, qui

faisait tout ce qu’il pouvait, non point par ses paroles, mais par ses gestes, pour fléchir les soldats

qui gardaient l’entrée du chœur, et pour arriver jusqu’à Georges. (…)

Miko-Miko se jeta aux genoux de Georges, et Georges lui tendit la main.

Miko-Miko prit cette main entre les siennes et y appuya ses lèvres ; mais, en même temps,

Georges sentit que le Chinois lui glissait entre les mains un petit billet. Georges tressaillit. (…)

On en était à la consécration. Le prêtre leva l’hostie consacrée, l’enfant de chœur fit entendre sa

sonnette, tout le monde s’agenouilla.

Georges profita de ce moment, et, en s’agenouillant aussi, il ouvrit la main.

Le billet contenait cette seule ligne : « Nous sommes là. Ŕ Tiens-toi prêt. »

La première phrase était écrite de la main de Jacques ; la seconde, de la main de Pierre Munier.

Au même instant, et comme Georges, étonné, seul au milieu de toute cette foule, relevait la tête et

regardait autour de lui, la porte de la sacristie s’ouvrit toute grande ; huit marins s’élancèrent,

saisissant les quatre soldats du chœur, et leur appuyant à chacun deux poignards sur la poitrine.

Jacques et Pierre Munier bondirent : Jacques enlevant Sara dans ses bras, Pierre entraînant Georges

par la main. Les deux époux se trouvèrent dans la sacristie. (…) Jacques et Pierre refermèrent la

porte ; une autre porte donnait sur la campagne ; à cette porte, deux chevaux tout sellés attendaient :

c’étaient Antrim et Yambo. (…)

Et Antrim partit comme le vent, emportant son cavalier, qui, en moins de dix minutes, disparut

avec Sara derrière le camp malabar, tandis que Pierre Munier, Jacques et ses marins le suivaient

avec une telle rapidité, qu’avant que les Anglais fussent revenus de leur étonnement, la petite troupe

était déjà de l’autre côté du ruisseau des Pucelles, c’est-à-dire hors de portée de fusil.

Georges devra surmonter encore quelques épreuves pour vivre librement avec Sara.

Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 412-419 ------------------

*Fiancée de Sara et fille de l’ennemi familial M. de Malmédie.

** Nom d’un commerçant chinois qui est déjà venu en aide à Georges.

.

Questions :

1/ Montrez comment la reconnaissance de Sara est dramatisée.

2/ Observez les réactions physiques de Georges : quel est l’effet recherché ?

3/a/ Quelle annonce Sara fait-elle à la foule ?

Page 95: Rapport Fait colonial

95

b/ Sur quel ton parle-t-elle ? Justifiez votre réponse à l’aide d’indices relevés dans le texte.

4/ Montrez que Georges est le personnage principal de la scène.

5/a/ Durant la fuite, comment l’impression de vitesse est-elle produite ?

b/ Les fugitifs rencontrent-ils de véritable obstacle ? Expliquez cette situation.

6/ Expliquez pourquoi cette scène constitue un coup de théâtre.

7/ Montrez le lien entre cette scène et la présentation des personnages au chapitre III.

Séance 13 : évaluation (1 heure)

I- Commentaire de document : timbre de 1992 du Bénin

Le littoral du Bénin s’appelait autrefois « Côte des Esclaves » car ce pays a fourni de nombreux

esclaves aux Amériques.

1- Décrire le document : quel est-il ? Que porte le personnage autour des mains, qu’en déduire ?

Que représentent les flèches et les masses de couleur bleue ?

2- Quel commerce évoque ce timbre-poste ? Quand a-t-il eu lieu ? Entre quelles régions du monde ?

3- Quels ont été les principaux acteurs de ce commerce ?

4- Quelles en ont été les principales conséquences pour l’Afrique, pour l’Amérique, pour l’Europe ?

II Ŕ D’après ce que vous avez vu en cours, rappelez ce que l’on produit dans les colonies

françaises grâce à la main d’œuvre esclave, entre le XVIIe et le XIX

e siècles ?

III- Document 2 : texte d’Alexandre Dumas extrait du roman Georges

Pour M. de Malmédie56

, les nègres, ce n'étaient pas des hommes, c'étaient des machines devant

rapporter un certain produit. Or, quand une machine ne rapporte pas ce qu'elle doit rapporter, on la

remonte par des moyens mécaniques. M. de Malmédie appliquait donc purement et simplement à

ses nègres la théorie qu'il eût appliquée à des machines. Quand les nègres cessaient de fonctionner,

soit par paresse, soit par fatigue, le commandeur les remontait à coups de fouet ; la machine

reprenait son mouvement et, à la fin de la semaine, le produit général était ce qu'il devait être.

Alexandre Dumas, Georges, chapitre VII

1- À quoi, dans ce roman, les esclaves sont-ils comparés ? Comment sont-ils mis au travail ? Est-ce

un effet littéraire ou cela correspond-il à la réalité ?

56

Habitant de l’île Maurice.

Page 96: Rapport Fait colonial

96

2- Sur quel texte de loi s’appuyaient les propriétaires d’esclaves dans les colonies françaises ? Quels

étaient les droits et devoirs du maître ? Quels étaient les droits et devoirs de l’esclave ?

IV Ŕ Citer deux exemples de résistance passive des esclaves au système esclavagiste. Citer

deux exemples de résistance plus violente.

V Ŕ Que se passe-t-il à partir du 22 août 1791 à Saint-Domingue ? Quelles sont les

conséquences de cet événement ?

VI Ŕ Quand la France abolit-elle l’esclavage une première fois ? Pourquoi y a-t-il une seconde

abolition en 1848 ?

Page 97: Rapport Fait colonial

97

DOSSIER 3

FAIRE REGNER L’ORDRE COLONIAL

Depuis plusieurs années, la question de la violence coloniale Ŕ dénoncée en son temps par les

philosophes des Lumières comme, plus tard, par les militants anticolonialistes Ŕ a fait l’objet de

diverses publications. On peut évoquer quelques-uns de ces travaux de qualité variable, qui vont du

Livre noir du colonialisme (2003) à Massacres coloniaux (2005) en passant par le très conversé

ouvrage d’Olivier La Cour-Grandmaison (Coloniser, Exterminer, 2005) ou par le remarquable

travail de Raphaëlle Branche sur la torture en Algérie (La torture et l'armée pendant la guerre

d'Algérie, 1954-1962, Gallimard, Paris, 2001).

Même en dehors de ses phases les plus aiguës (traite, lutte contre le marronnage, conquêtes

militaires, guerres de décolonisation), la domination coloniale a constamment reposé sur un système

coercitif plus ou moins discret, mais toujours efficace. De nombreux travaux de recherche récents

ou encore en chantiers ont ainsi analysé le fonctionnement de la police, de la justice et, plus

globalement, des systèmes répressifs en situation coloniale. L’intérêt pour les statuts et les textes

juridiques appliqués aux colonisés a été largement éveillé, dans les années 1980-90, par les travaux

et les débats sur le Code Noir de 1685, (cf. Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de

Canaan, Presses universitaires de France, 1re

éd. 1987, rééd. 2002). Le regard se porte aujourd’hui

sur la spécificité du droit colonial des XIXe et XX

e siècles et sur son cortège de statuts inégaux

(« esclave », « indigène », « sujet d’Empire », « protégé », « musulman », « citoyen », « non

citoyen », « métis », etc.).

Les applications concrètes du droit, son fonctionnement sur le terrain sont un élément clé Ŕ au

même titre que la présence de forces armées Ŕ de l’ordre colonial. La répression passe aussi, bien

évidemment, par la généralisation de l’enfermement carcéral, des fameux bagnes de Cayenne ou de

« Biribi » (Dominique Kalifa, Biribi. Les bagnes coloniaux de l'armée française, Perrin, 2009). Ce

sont ces aspects, parfois encore imparfaitement étudiés, que nous avons voulu mettre en avant dans

ce dossier en évoquant les réalités de la « pacification » en Afrique de l’Ouest (doc. 1), le régime de

l’indigénat en AOF ou le bagne de Poulo-Condore en Indochine (ensemble documentaire 3).

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Dossier « Sujets d’Empire » dans Genèses, n° 53, décembre 2003.

Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du XIXe siècle à

nos jours, Karthala, 1999.

Raphaëlle Branche, Anne-Marie Pathé et Sylvie Thénault, « Répression, contrôle et

encadrement dans le monde colonial au XXe siècle », Bulletin de l’Institut d’Histoire du

Temps présent, n° 83, 1er

semestre 2004.

Mamadou Dian Cherif Diallo, Répression et enfermement en Guinée. Le pénitencier de

Fotoba et la prison centrale de Conakry de 1900 à 1958, l’Harmattan, 2005.

Patrice Morlat et Daniel Hémery, La répression coloniale au Vietnam , 1908-1940,

L’Harmattan, 1990.

Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La

Découverte, 2001 (rééd. en poche coll. « Sciences humaines », 2004).

Page 98: Rapport Fait colonial

98

1 Ŕ CONQUETE ET « PACIFICATION »

LE JOURNAL D’UN OFFICIER FRANÇAIS (1898)

18 mai 1898

Nous quittions ce matin Ouagadougou, mon capitaine et moi, avec une colonne volante ainsi composée :

un peloton d'infanterie (50 hommes), 10 spahis auxiliaires, 10 cavaliers toucouleurs, 10 cavaliers mossis, 1

pièce de 80 de montagne

Point de direction : Bittou par Touïli, Nobéré, Gou et Léré.

Objectif de l'opération : 1°) soumettre les villages récalcitrants qui sont nombreux encore sur ce

parcours ; 2°) régler sur place les contestations territoriales avec les officiers anglais de la Côte d'Or ; 3°)

achever la soumission des contrées sud non encore parcourues, les intimider par le passage d'une troupe

armée d'assez fort effectif.

Nous arrivions à 8 heures du soir à Kounda, par une nuit si noire que, depuis 6 h et demi, nous marchions

aux torches. Nous bivouaquons en plein air ou sous des paillassons qui nous abritent à peine d'une jolie fin

de tornade reçue en cours de route, et qui continue à tomber en pluie fine. Si ça continue, nous ne crèverons

pas de soif cette fois-ci. […]

23 mai 1898

Nous arrivions en présence de Gou vers 11 h, après une longue étape par une nuit noire et dans une

brousse assez épaisse. Nous transportons à Bittou un fort convoi de vivres : sur nos 80 porteurs, plus de 30

ont pris la fuite à la faveur de l'obscurité et des difficultés de la route, jetant leurs caisses sur le bord du

chemin et disparaissant dans les taillis. Rien à faire par cette nuit noire et malgré les coups de fusils tirés au

hasard sur les fuyards et les efforts de nos admirables cavaliers, 20 caisses de vin restent brisées en cours de

route à 100 km de leur destination, après avoir fait près de 3000 km sans accident. C'est à mourir de rage.

Nos tirailleurs transportent en plus de leur barda habituel celles qui en valent encore la peine. La limonière57

de notre pièce de montagne se casse au passage d'un ravin, nous perdons une heure à réparer cet accident.

À Gou que nous trouvons évacué, pas un chat, pas un grain de mil ; seuls quelques paniers de pistaches

ont été oubliés dans les soukalas58. À midi, nous faisons flamber le village, l'incendie se propage sur 3 ou 4

km d'étendue, mais c'est un spectacle qui ne remplit ni le ventre des hommes ni celui des chevaux. L'eau est

au diable et il fait une chaleur atroce. À midi et demi, nos cavaliers nous ramènent un de nos porteurs

fuyards. Le pauvre diable est fusillé séance tenante en présence de tout le convoi. Je me souviendrai

longtemps de ce repas pris au milieu d'un incendie, coupé par la courte délibération d'un jugement que nous

rendions tout en mangeant, et agrémenté d'une exécution qui eut lieu sous nos yeux à 10 pas de notre table,

entre «la poire et le fromage» (il est bien entendu que la poire et le fromage étaient imaginaires).

À 1 heure, je monte à cheval avec nos 30 cavaliers, il s'agit de razzier à tout prix des grains, du bétail, de

ramener des provisions et des otages et d'infliger une dure leçon à ce village, pour la 3e fois récalcitrant. À 2

km, après avoir suivi la trace fraîche des troupeaux et des habitants, mes cavaliers de pointe sont assaillis à

coups de flèches. Les Boussangas sont rassemblés derrière un marigot peu profond mais couvert d'une

épaisse végétation. Nous franchissons le ruisseau aux berges escarpées sans mettre pied à terre et tombons,

sur la rive droite, dans un terrain rocheux d'où nous faisons déguerpir une multitude d'hommes armés d'arcs,

de flèches, de lances et de javelots. Rien de plus impressionnant que ces flèches qui partent silencieuses de

tous les fourrés, sifflent en passant et se fichent au tronc des arbres. Toutes ces armes sont trempées dans un

poison terrible et la moindre écorchure est mortelle.

Nos hommes sont bien armés : mousquetons et carabines commencent leur besogne et, bien que tirés un

peu au hasard, les coups de feu font déguerpir les guerriers boussangas. Nos cavaliers toucouleurs m'amènent

bientôt 2 Boussangas désarmés. Le premier refuse catégoriquement d'indiquer la retraite du Naba et le parc

du troupeau ; on lui loge une balle dans la tête pour faire parler l'autre.

À cinq heures, nous rentrions avec 40 bœufs, 6 ânes, 27 moutons et de nombreux captifs auxquels était

57

Partie formée par les brancards auxquels on attelle le cheval. 58

Groupe de cases entourées d’un mur d’enceinte.

Page 99: Rapport Fait colonial

99

confiée la garde du troupeau. C'est un joli butin. Les captifs sont gardés comme otages ou distribués à nos

partisans, et le bétail servira à la nourriture de la colonne. La poursuite des habitants est du reste impossible,

dans cette brousse épaisse, rocheuse, ravinée, et nous nous exposerions à tomber dans une embuscade ; puis

nos chevaux n'en peuvent plus. J'ai passé avec mes cavaliers 16 heures à cheval avec deux heures

d'interruption Ŕ pas un blessé.

Nous campons ce soir en carré et bien gardés, quoique nous ne comptions guère sur une attaque de nuit.

Le village continue à brûler. Par cette nuit noire, ces feux de paille sont du plus bel effet.

24 mai 1898

Nous ne quittions Gou qu'à 5 heures du matin pour éviter la promenade nocturne d'hier qui nous a coûté

le 1/4 de nos caisses, et de peur aussi d'une attaque en cours de route. Pas d'incident. À 3 h de l'après-midi (!)

nous arrivions en face de Niao, grand village où, comme hier à Gou, nous ne trouvons plus que les derniers

fuyards avec lesquels nous échangions quelques coups de feu. Comme hier aussi, nous faisons flamber les

soukalas. Comme nous avons de quoi manger, que nous sommes exténués par une marche de 10 heures en

plein soleil, nous ne tentons aucune opération, du reste Niao fait partie de la circonscription de Bittou et

nous préférons laisser au chef de ce poste le soin de punir.

Source : Archives privées

(voir l’édition critique établie et annotée par Sophie Dulucq :

Émile Dussaulx, Journal du Soudan (1894-1898), Paris, L’Harmattan, 2000, p. 435 sq.)

Mots-clés : colonisation française, AOF, conquête, violence, « pacification ».

Place dans les programmes : Classes de 4e, de 1

re et de Ter. S.

Thématique centrale

- La notion de violence coloniale (outils de répression à la disposition des colonisateurs), sur

le concept de « pacification », sur les modalités de la conquête.

Pistes de travail possibles

- Travail de repérage géographique et chronologique et repérage des formes de violence

imposées aux populations.

- Recherche plus approfondie sur la célèbre « affaire Voulet-Chanoine », scandale colonial lié

à l’appétit de conquête de deux officiers française. Visionnage du téléfilm de Serge Moati

consacré à cet épisode sanglant de la conquête française en AOF : « Capitaine des

ténèbres » (2004).

Un documentaire de 52 mn, co-produit par le Sceren et le CNDP, revient sur la mémoire

actuelle de ces exactions : Blancs de mémoire, de Manuel Gasquet (2004) ; un livret

pédagogique sur ce téléfilm est disponible sur le site du Sceren :

<http://www.sceren.fr/tice/teledoc/Mire/mire_capitaines.htm>

Analyse du document

Émile Dussaulx (1870-1914), capitaine d’infanterie de Marine, effectue deux séjours en Afrique

de l’Ouest entre 1894 et 1898. Il occupe tour à tour plusieurs fonctions dans ces régions récemment

conquises, ou encore soumises à la « pacification » de l’armée française. Au long de ses deux

séjours africains, il rédige un journal par lettres, qu’il adresse régulièrement à ses deux sœurs,

institutrices dans l’Est de la France. Il y relate ses actions, ses états d’âme, y transmet ses

découvertes et sa vision de la colonisation vécue « de l’intérieur ».

Dans ces extraits de mai 1898, Dussaulx raconte la campagne militaire effectuée en pays bissa

(sud-est du Burkina Faso actuel). Ouagadougou, la capitale de l’empire mossi, a été conquise par

Page 100: Rapport Fait colonial

100

les Français en 1896 et le souverain des Mossi, le Mogho Naba, a été déposé et remplacé par un

chaf plus docile. Les années 1897-1898 sont marquées par une course de vitesse entre les Français

et les Britanniques qui, plus au Sud (dans l’actuel Ghana), lorgnent sur les territoires tout juste

conquis par leurs rivaux coloniaux et soutiennent le souverain déchu Ŕ projetant même de l’armer

pour une reconquête de son trône.

C’est dans ce contexte que se situe l’épisode auquel prend part Dussaulx : il s’agit tout à la fois

d’achever la conquête en éteignant toute velléité de contestation de la part des populations bissa (ou

boussanga), de contenir l’avancée des Britanniques au sud et d’affirmer l’occupation effective des

territoires contestés en vue de la très prochaine signature d’une convention franco-britannique de

délimitation des frontières coloniales (elle sera signée effectivement en juin 1898).

Une des questions centrales qui émergent de ce témoignage de première main tourne autour des

conditions de la conquête coloniale, de la violence à l’encontre des populations civiles. Les armées

coloniales étaient composées, on le voit ici, d’éléments disparates : officiers et sous-officiers

européens très peu nombreux, tirailleurs africains appartenant aux troupes coloniales régulières,

« partisans » recrutés localement et colonnes de porteurs réquisitionnés de force pour le transport

des matériels.

Le ravitaillement des colonnes militaires devait s’effectuer « sur le pays », ce qui signifiait des

réquisitions de vivres et des intimidations permanentes, lorsqu’il fallait (comme ici) nourrir une

petite centaine d’hommes. Exactions en tout genre, sentiment d’impunité, « justice » expéditive

sont des caractéristiques des différentes phases de la conquête puis de la « pacification » Ŕ terme

militaire consacré dont on voit à quel point il occulte la réalité des violences perpétrées sur le

terrain.

Une autre entrée dans le texte peut être la thématique de la résistance des populations, de leur

(faible !) marge de manœuvre. Fuites en brousse, stratégies d’évitement, mais aussi affrontements

directs et actes de courage font partie de toute une gamme de réactions à la conquête, qu’il s’agit de

replacer dans le contexte 1°) d’extrême déséquilibre des forces en présence (armement occidental

moderne/armes à feu anciennes ou arcs et flèches, dans certains cas ; colonnes militaires/

populations villageoises ; etc.) et 2°) de déstabilisation politique récente (déposition du Mogho

Naba régnant, nomination par les Français d’un nouveau souverain plus « docile », etc.).

Au final, le journal tenu par un officier de terrain, pour sa famille, constitue un témoignage de

tout premier ordre : la parole privée de Dussaulx est bien plus libre que ne pourrait une prise de

position publique. La force du témoignage, la liberté de ton, la cynique désinvolture en disent long

sur les modalités concrètes de la conquête.

Page 101: Rapport Fait colonial

101

2 Ŕ LE REGIME DE L’INDIGENAT

EN AOF AU DEBUT DU XXe SIECLE

Article 1er

de l’arrêté général du 14 septembre 1907, applicable dans toutes les colonies de la Fédération

d’AOF

1. Refus de payer les impôts, amendes ou de rembourser toute somme due à la colonie, ainsi que

d’exécuter des prestations en nature. Négligence dans ces paiements et dans l’exécution de ces prestations ;

2. Dissimulation de la matière imposable, connivence dans cette dissimulation. Déclaration volontairement

inexacte du nombre des habitants soumis à l’impôt, entraves au recensement ou à la perception ;

3. Départ sans autorisation d’une circonscription administrative, dans le but de se soustraire au paiement

de l’impôt ou à l’exécution d’une décision de justice ;

4. Refus de fournir les renseignements demandés par les représentants ou agents de l’autorité dans

l’exercice de leurs fonctions. Déclaration sciemment inexacte ;

5. Refus ou négligence de faire les travaux ou de prêter les secours réclamés par réquisition écrite ou

verbale dans tous les cas intéressant l’ordre, la sécurité et l’utilité publique, ainsi que dans les cas d’incendie,

naufrage et autres sinistres ;

6. Entraves à un service public ;

7. Refus ou omission volontaire de se présenter devant le commandant de cercle ou le chef de poste, sur

convocation écrite ou verbale, transmise par un de ses agents ;

8. Tout acte irrespectueux ou propos offensant vis-à-vis d’un représentant ou d’un agent de l’autorité ;

9. Discours ou propos tenus en public dans le but d’affaiblir le respect dû à l’autorité française ou à ses

fonctionnaires. Chants proférés dans les mêmes conditions. Propos séditieux, incitation au désordre ou à

l’indiscipline ne revêtant pas un caractère de gravité suffisante pour tomber sous l’application du décret du

21 novembre 1904. Bruits alarmants et mensongers mis en circulation dans le but d’agiter les populations ou

de nuire à l’exercice de l’autorité ;

10. Immixtion de la part d’indigènes, non désignés à cet effet, dans le règlement des affaires publiques ;

11. Usurpation de fonctions conférées par l’autorité. Port illégal ou imitation de costumes ou insignes

officiels. Tentative d’intimidation pour obtenir, au nom de l’autorité ; des sommes d’argent, des dons ou un

service quelconque ;

12. Tentative de corruption d’un agent indigène de l’autorité ;

13. Pratiques de charlatanisme susceptibles de nuire ou d’effrayer ou ayant pour but d’obtenir des dons en

espèces ou en nature et ne revêtant pas un caractère criminel ;

14. Plaintes ou réclamations sciemment inexactes, renouvelées après une solution régulière ;

15. Asile ou aides accordés dans le but de les soustraire à des poursuites judiciaires ou à des recherches

administratives, à des agents qui viennent de commettre un crime ou un délit, à des condamnés évadés ou des

agitateurs politiques ou religieux ;

16. Ouverture sans autorisation d’établissements religieux ou écoles, formation d’associations non

autorisées ;

17. Détérioration ou destruction de travaux, matériel, bâtiments de l’administration ou de tous ouvrages et

objets affectés à l’utilité publique ;

18. Coupe, abattage ou détérioration sans autorisation des bois domaniaux. (Voir décret du 20 juillet 1900

et arrêté du 24 février 1908) ;

19. Allumage de feux de brousse sans précautions suffisantes pour éviter la propagation de l’incendie ;

20. Entraves à la navigation par le jet dans les fleuves et cours d’eau de tous objets pouvant en rendre le

passage difficile ou dangereux ;

21. Défaut de surveillance, de la part de ceux qui en sont chargés, de fous furieux, de lépreux ou d’animaux

malfaisants ou féroces ;

22. Non-restitution, dans un délai de trois jours, d’animaux ou défaut de déclaration à l’autorité dans les

mêmes délais ;

23. Coups de feu tirés sans autorisation à moins de 500 mètres de toute agglomération européenne. Tam-

tam ou autres réjouissances bruyantes au-delà de l’heure fixée par l’autorité ;

Page 102: Rapport Fait colonial

102

24. Abattage de bétail et dépôt d’immondices hors des lieux réservés à cet effet ou à moins de 100 mètres

des habitations ou d’un chemin. Non-enfouissement des animaux domestiques ou autres, morts ou tués, ou

enfouissement à moins de 1 m 50 de profondeur et de 500 mètres de distances des habitations ou d’un

chemin ;

25. Inhumation hors du lieu consacré ou à une profondeur inférieure à 1 m 50 et à moins de 500 mètres des

habitations ;

26. Refus d’exécuter en cas d’épidémie.

Source : Archives Nationales du Sénégal, M 216, arrêté du 14 septembre 1907.

Cet arrêté fédéral remplace un arrêté antérieur datant de 1888.

Dans chaque colonie, des clauses spécifiques pouvaient être ajoutées par les gouverneurs coloniaux.

Mots-clés : colonisation française, AOF, justice coloniale, régime de l’indigénat, ordre colonial,

statut des colonisés.

Place dans les programmes

Classes de 4e, de 1

re et de Ter. S.

Thématiques

- Travail sur les inégalités juridiques en situation coloniale (qu’est-ce que signifie le fait

d’être un « indigène » ?)

- Travail sur la notion d’ordre colonial (outils de répression à la disposition des

administrateurs).

- Travail sur la figure centrale de l’administrateur colonial (en complément avec d’autres

documents, notamment iconographiques).

Pistes de travail possibles

- Travail sur des autobiographies d’ « indigènes » et sur les passages concernant leurs

rapports avec les administrateurs (ex. les souvenirs d’enfance d’Amadou Hampâté Bâ :

Amkoullel, L’enfant peul, Actes Sud, 1992)

- Recherche, dans divers dictionnaires, de la définition du mot « indigène » et notamment

dans des dictionnaires historiques (ex. dans le Dictionnaire de la colonisation française, dir.

Liauzu, Hachette, 2007 ou Les mots de la colonisation, dir. S. Dulucq, J.-F. Klein, B. Stora,

Presses universitaires du Mirail, 2008).

Analyse du document

Cet arrêté fédéral de 1907 Ŕ applicable à l’ensemble des colonies de la fédération d’Afrique

Occidentale Française Ŕ est l’un des nombreux textes qui ont progressivement défini les contours de

cette « aberration juridique » (selon l’expression de plusieurs juristes français) qu’a constitué le

« code de l’indigénat ». Cette appellation Ŕ il vaudrait sans doute mieux dire « régime de

l’indigénat » Ŕ désigne un ensemble de réglementations disparates autorisant les administrateurs des

colonies à appliquer aux populations autochtones des sanctions disciplinaires (emprisonnement de

courte durée, amendes…) en dehors de toute procédure judiciaire. Autrement dit, un commandant

de cercle pouvait infliger, sans autre forme de procès, des « sanctions disciplinaires » à tout

indigène qu’il désirait punir pour telle ou telle infraction relevant de l’indigénat (voir ici la liste des

26 articles). Parallèlement à ce régime disciplinaire, se développe une « justice indigène » Ŕ

également contrôlée par les colonisateurs Ŕ chargée de régler les affaires civiles et pénales entre

autochtones.

Page 103: Rapport Fait colonial

103

Instauré en Algérie en 1881, puis en Afrique subsaharienne et en Indochine, ce régime

juridique d’exception est d’abord justifié par la nécessité d’établir l’autorité des colonisateurs sur

les territoires récemment conquis. Maintenu au-delà de la « pacification », il constitue une arme

puissante et très efficace dans les mains des administrateurs de terrain, puisque son champ

d’application est vaste, comme en atteste cet arrêté de 1907.

En analysant les différents articles, on voit qu’il s’agit essentiellement de réprimer les atteintes

à l’ordre colonial : refus de payer l’impôt, de répondre à une convocation de l’administration,

critique de la politique coloniale, activités potentiellement subversives, entraves au commerce, etc.

Plus qu’un « code » au sens juridique du terme, l’indigénat apparaît comme un code de conduite des

colonisés à l’égard des colonisateurs, destiné à réprimer les atteintes au prestige et à l’autorité des

représentants de la souveraineté française. Si certaines personnes y échappent, à partir de 1924 (les

chefs de canton par exemple), la plupart des colonisés d’AOF y restent soumis jusqu’au lendemain

de la Seconde Guerre mondiale. Symbole de l’arbitraire colonial, le « code » de l’indigénat est la

cible privilégiée des contestations dans les colonies et en métropole. Il est supprimé par le décret du

20 février 1946.

Ce régime d’indigénat renvoie à la notion de « sujet », d’« indigène » et au statut juridique de

tous ceux qui, dans l’empire colonial, ne sont pas des citoyens français. À la différence du citoyen Ŕ

qui jouit de la plénitude de ses droits puisqu’il a le droit de vote, qu’il élit des représentants au

Parlement, qu’il est justiciable devant la justice française ordinaire, etc. Ŕ, le sujet colonial est

« exclu de toute participation à la Cité au nom de ses “mœurs et coutumes” incompatibles avec le

droit français » (Isabelle Merle, dossier spécial de la revue Genèses, n° 53 : Sujets d’Empire, 2003).

Selon le statut personnel qui est le sien, il est jugé par des tribunaux particuliers appliquant les

« coutumes » ou le droit local, et peut bénéficier d’un certain nombre de droits spécifiques (mariage

polygamique, par exemple, en Afrique).

Cette situation renvoie à ce que certains auteurs ont appelé le compromis républicain qui, dans

les territoires colonisés, a conduit à une catégorisation juridique complexe et inégalitaire des

individus et, plus encore, à « un décrochement fondamental entre la nationalité et la citoyenneté qui

oblige à repenser non seulement ce que veut dire “être Français” mais aussi ce que signifie “être

citoyen” » (I. Merle, Genèses, idem).

Page 104: Rapport Fait colonial

104

3 - ENSEMBLE DOCUMENTAIRE

LE BAGNE DE POULO CONDORE EN INDOCHINE

Présentation générale du dossier

Les îles de Poulo Condore, réputées pour leurs paysages paradisiaques, vont abriter pendant

plus de quatre-vingt dix années, de 1862 à 1953, le plus grand bagne français des XIXe ŔXX

e siècles

de la période coloniale, après celui de la Guyane et le plus redouté des onze pénitenciers de

l’Indochine. L’intérêt de l’étude du bagne de Poulo Condore est d’une part d’analyser un des

symboles de la répression coloniale, d’autre part de souligner son rôle essentiel dans la formation

des révolutionnaires communistes qui renverseront l’ordre colonial français lors de la guerre

d’Indochine (1946-1954). L’étude de ce bagne est rendue difficile par les carences des sources (cf

les statistiques sur les populations pénitentiaires coloniales), les archives ayant été brûlées en

décembre 1945 par le Vietminh. Nous disposons cependant de plusieurs témoignages dont celui de

Jean-Claude Demariaux, attaché au service des Postes et Télécommunications de l'Indochine, qui se

rend à quatre reprises dans l’archipel, dont trois entre 1936 et 1940, où il s'informe des conditions

de vie des détenus. Son enquête très poussée le mène à interroger bagnards, personnel carcéral et

directeur du pénitencier. Il en tire un livre Les secrets des îles Poulo Condore, le grand bagne

indochinois publié en 1956 à Paris aux éditions Peyronnet. Par la suite, son fils Maurice, qui vécut

lui aussi en Indochine, complète le récit de son père, dans Poulo Condore, archipel du Vietnam, du

bagne historique à la nouvelle zone de développement économique publié en 1999 chez

L’Harmattan. A ces deux récits, il faut ajouter celui du capitaine de la Légion Étrangère, Jacques

Brulé, directeur du bagne de 1947 à 1948, dont la plaquette publié à Saigon, est aujourd’hui

introuvable.

Le dossier se compose de sept documents : une carte de l’Indochine coloniale et une carte des

îles de Poulo Condore avec la localisation des différents bâtiments composant le pénitencier (doc.

A1 et A2), des extraits du règlement révisé du pénitencier de Poulo Condore (doc. B), deux cartes

postales sur la vie quotidienne des bagnards (doc. C), un témoignage sur les conditions de vie (doc.

D), un récit de la grande révolte de 1918 (doc. E), trois tableaux statistiques sur la population

incarcérée et sur les maladies et la mortalité (doc. F1 er F2) et un témoignage sur la formation des

politiques au bagne n° 2 (doc. G).

Page 105: Rapport Fait colonial

105

doc A1. L’Indochine coloniale

(www.indochine-souvenir.com/cartes/)

Page 106: Rapport Fait colonial

106

doc. A2. La localisation du bagne de Poulo Condore

Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois, Peyronnet,

Paris, 1956.

Page 107: Rapport Fait colonial

107

doc B. Extraits du règlement révisé du 8 avril 1903 du pénitencier de Poulo Condore

Art.2. […] [L’] action [du directeur des îles et du pénitencier] s’étend sur tout le territoire des îles

de Poulo Condore et à toutes les parties du service intérieur et extérieur du pénitencier dont il est

responsable.

Art.3. Tous les employés lui sont subordonnés et doivent lui obéir. Le Directeur est chargé de

l’exécution des règlements relatifs au régime intérieur économique et du maintien de la police et de

la discipline dans le pénitencier.

Art.4. Le Directeur est investi dans toute l’étendue des îles et des attributions d’officier de l’état

civil et de la police judiciaire.

Art.5. Le Directeur est seul autorisé à infliger des peines disciplinaires aux agents directement

placés sous ses ordres et signale au Gouverneur de la Cochinchine ceux qui auraient encouru des

peines sévères.

Art.6. Le Directeur inflige seul les peines disciplinaires encourus par les détenus.

Art.7. Les peines qui peuvent être infligées à chaque détenu sont les suivantes : la chaîne simple ; la

chaîne double ; la chaîne simple avec boulet ; la privation de salaire ; la mise au riz et à l’eau ; la

détention en cellule pendant un mois au plus ; les fers1. […] Les peines corporelles ne peuvent être

prononcées cumulativement entre elles.

Art. 8. Le Directeur est spécialement chargé de tout ce qui concerne les travaux des prisonniers et

de l'application des tarifs pour les cessions des objets fabriqués.

Art. 10. [...] Le Directeur envoie chaque année un état nominatif des propositions pour remises ou

réductions de peines, établi en faveur des détenus méritants2.

Art. 27. La ration journalière des prisonniers se compose de : 800 grammes de riz ; 250 grammes de

poisson salé ou 300 grammes de poisson frais; 100 grammes de légumes frais; 30 grammes de

nuoc-mam ; 8 grammes de sel ; 3 grammes de poivre; 10 grammes de graisse. Quand l'état du

troupeau le permettra, il sera fait distributions de porc frais à raison de 200 grammes par détenu ; le

porc, dans ce cas, remplacera le poisson.

Art. 30. Les détenus seront vêtus d'un pantalon et d'une en cotonnade bleue. Les costumes des

prisonniers comme plantons ou domestiques seront en cotonnade blanche.

Art. 36. Lorsque le résultat de la pêche le permettra, le directeur fera donner, à titre gratuit, 300

grammes de poisson par malade en traitement.

Art. 39. Tous les jours de la semaine, les dimanches et jours de fête exceptés, les ateliers sont

ouverts de six heures, du matin à dix heures et demie et de une heure et demie à cinq heures et

demie du soir.

Art. 45. La quotité des salaires à accorder aux détenus les plus méritants est fixée à 2 cents par jour

et par homme. Ces sommes seront versées à la caisse du comptable et constitueront un pécule qui

leur sera remis à leur libération.

Art. 97. Le territoire des îles est inaliénable. Aucune industrie privée ne peut y être autorisée et tous

les produits du sol appartiennent de droit au pénitencier. Il est fait une exception en ce qui concerne

les jardins cultivés par les rares et anciens habitants du village dit le petit Cambodge jusqu'à leur

complète extinction.

Art. 98. Aucun Européen ou Asiatique ne peut résider sur le territoire des îles, qui est exclusivement

affecté à un établissement pénitentiaire agricole. Les marchands asiatiques, dont la présence est

tolérée dans l'enceinte du pénitencier, construisent leur habitation à leurs risques et périls […].

Art. 105. La capture d'un prisonnier évadé du pénitencier donnera droit à une prime de 30 francs.

----------------------- 1 Le décret du 17 mai 1916 crée une peine d'isolement dans une salle ou cellule spéciale des détenus dangereux ou

refusant le travail. Lorsqu'il excède 3 mois, l'isolement doit être prononcé par le gouverneur de la Cochinchine.

Page 108: Rapport Fait colonial

108

2 Le décret du 17 mai 1916 contient des dispositions concernant le classement des condamnés ;

- La première classe comprend les mieux notés. Les condamnés de cette classe peuvent seuls ; 1°) obtenir une

concession urbaine ou rurale, 2°) être employés chez les habitants de la colonie.

- Les condamnés de la deuxième classe sont employés à des travaux de colonisation et d'utilité publique pour le compte

de l'État, de la colonie, des municipalités, dans les conditions prévues par le règlement.

- Les condamnés de la troisième classe sont affectés aux travaux les plus particulièrement pénibles. En outre, ils sont, si

possible, séparés des condamnés des autres classes.

Il est à noter qu'il est possible de changer la classe, et même de faire passer un condamné directement de la troisième à

la première.

Source : M. DEMARIAUX, Poulo Condore, archipel du Vietnam,

L’Harmattan, 1999, p. 53-55, p. 115-116.

Page 109: Rapport Fait colonial

109

doc C. La vie quotidienne des bagnards

Source : Daniel HÉMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam,

Gallimard, coll. « Découvertes » , 1994, p. 167.

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110

doc D. Une description du bagne

[…] Du côté opposé à la mer, la Maison des Passagers donne sur le quai Andouard, ainsi

baptisé en souvenir du directeur du pénitencier assassiné par un bagnard. C’est la promenade chic et

l’endroit le plus animé de Poulo Condore. Le poste, l’hôtel gubernatorial, l’école des petits français,

l’infirmerie sont bâtis en bordure du rivage, et, toute la journée, de la salle de lecture, on peut

assister à un pittoresque défilé. Comme fond de décor, des montagnes boisées qui barrent l’horizon.

[…] Pendant la conversation, des transportés défilent devant la porte. Ils sont coiffés d’une façon

disparate : chapeaux coniques en feuilles de latanier, turbans blancs ou noirs, casques français

peints en jaune, vieux feutres crasseux. Beaucoup sont tête nue, et, parmi ceux Ŕ là deux catégories :

ceux qui ont conservé la chevelure longue et luisante, orgueil des Annamites, et les tondus. […]

Cette première vue de Poulo Condore, de la Maison des Passagers, me donne l’impression d’un

bagne débonnaire. Certes, des troupes de forçats se rendent au travail escortés par des surveillants,

fusil à la bretelle ou révolver au sautoir. Mais je vois aussi de nombreux individus qui errent,

solitaires, dans les rues, sans paraître nullement pressés ; d’autres qui sont couchés au bord de la

mer.

- 7 ou 800 détenus circulent en liberté dans l’île, grogne le Corse. Comme les autres vous vous

attendiez à voir un enfer. Certes, les forçats annamites sont des enfants, comparés à ceux de la

Guyane. Mais Poulo Condore est un bagne à la noix de coco, à côté de Cayenne.[…] (p. 41,43,45).

Je me suis rendu compte que trois couleurs : le blanc, le bleu, le kaki, divisaient en trois classes

bien distinctes l’humanité qui défilait devant mes yeux. Le bleu, c’est la couleur des vrais bagnards,

du prolétariat du pénitencier, de ceux qui font les corvées, percent des routes, cassent des cailloux,

vont à la pêche, abattent des arbres, cultivent rizières et jardins, et expient réellement leurs

crimes.[…] La deuxième couleur est le blanc. C’est celle de ceux qu’on appelle à la Guyane « les

garçons de famille ». À Poulo Condore, les domestiques de toutes sortes, les boys, les bêps, les

coolies-bébé, l’armée des secrétaires qui travaillent dans les bureaux sont désignés par la couleur de

leur costume. […] Le blanc revêt les malins et les embusqués, ceux qui ont su composer avec le

malheur et vivre à l’aise dans la camisole de force des lois. Pendant la sieste, et après huit heures

trente le soir, tous les forçats vêtus de bleu ont réintégré les bagnes. Mais on peut voir, par contre,

quelques « tui ao trang » [les gens vêtus de blanc] qui rêvent le long du quai Andouard, ou

échangent des conversation, à voix basse, avec des soldats du 11e Colonial au bord de la mer.

Enfin, il y a la couleur kaki, qui est celle des hommes libres : gardiens français et surveillants

annamites. […] Les gardiens français sont au nombre d’une trentaine à Poulo Condore, divisés en

trois clans : les Indiens, les Corses et les Continentaux, qui frayent peu ensemble. […] (p. 45, 46,

47, 49).

La grande grille du bagne n°1 : domicile des « droits communs », s’ouvre sur la rue Aujard [les

noms plaques bleus indicatrices correspondent aux chefs et gardiens tués par les détenus], ombragée

de tamariniers. À gauche de la porte, un magasin de paddy et de poisson sec. À droite, le bureau du

gardien-chef. Dans ce dernier, un grand tableau donne la décomposition de l’effectif du pénitencier.

J’y lis que le nombre de prisonniers inscrits dépasse légèrement 2 000, parmi lesquels 110 évadés.

[…] Une grande cour s’offre tout d’abord à ma vue, avec un peu de verdure entre les cailloux. Au

milieu de la cour, un puits à margelle basse et lépreuse. Des deux côtés, un long préau, sous lequel

s’ouvrent les portes ferrées des salles de bagnards. Au fond, les cuisines, et les cellules qui forment

une sorte de ruelle de cachots, isolée du restant. À gauche, derrière les barreaux, j’aperçois des

hommes presque nus, qui tournent de grosses meules en bois. Ce sont les incorrigibles, les fortes

têtes du bagne, en train de décortiquer du paddy.

Dans un coin, des transportés, assis en rond, cassent des madrépores pour la route.

Tout à coup, mon gardien-cicerone se met à hurler :

- Di vè (Va-t-en !)

Page 111: Rapport Fait colonial

111

C’est un bagnard qui s’est approché trop près de nous, à moins des six mètres réglementaires.

[…]

Me voici aujourd’hui dans le bagne n° 2. Une grande cour de cent vingt mètres de long, sur

quatre-vingt de large, est entourée de murs noirâtres, hérissés de tessons de bouteilles. Au milieu :

quatre puits à margelle basse. La mer gronde à cent mètres à peine. Le bruit monotone du ressac

résonne dans les prisons. Mais jamais, au grand jamais, les prisonniers d’ici ne peuvent reposer

leurs yeux sur la vaste étendue bleue, dont ils entendent le murmure ou les colères. Car jamais plus,

ils ne doivent franchir les redoutables portes de cette enceinte. [… ]

Près de la léproserie, le bagne n° 3 est l’enceinte des mauvaises têtes de Poulo Condore : la

dernière étape avant la décortiquerie, qui est la fin des fins. On enferme là d’abord, pendant huit

jours, les forçats nouvellement débarqués, pour qu’ils ne répandent pas les nouvelles de Saigon.

Puis, les « durs », les évadés repris, les assassins de leurs codétenus.

[…] Le bagne n° 3 forme un petit monde à part : domaine de la crapule, sous la direction d’un

gardien français à poigne.[…] Nous avons parcouru tous deux les cellules et les salles. Partout des

crânes rasés, des regards farouches, des torses nus illustrés de tatouages. C’est ici que les Matas

doivent bien prendre la précaution de regarder si personne n’est caché derrière le tambour, avant de

franchir la grille d’entrée. […]

Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,

Peyronnet, Paris, 1956, extraits p. 41-49, 180-181, 255.

doc E. La grande révolte du bagne n° 1 en 1918

Nous voici au début de 1918. La révolte gronde sourdement dans le bagne, sans que les

gardiens se soient aperçus de rien. De fausses nouvelles de la guerre sont parvenues à Poulo

Condore et y entretiennent une secrète effervescence. On murmure que la France est écrasée par les

Empires centraux, et que l’Allemagne va s’emparer de l’Indochine. Des poèmes sont même

composés, par les prisonniers politiques, à la louange de Guillaume II, appelé « Duy Liêm » [le

conservateur de l’honnêteté ; plus certainement la transposition phonétique de Guillaume].

Le 14 février 1918 au matin, des cris sinistres près de la cuisine dans la cour du Bagne 1. Une

centaine de condamnés à perpétuité, qui cassaient des cailloux, se précipitent sur le gardien Simon

Jean et deux annamites. En un clin d'oeil, les trois hommes sont abattus, le crâne fracassé, sous de

terribles coups de massette, et la horde sanguinaire déferle vers le corps de garde. Elle veut

s'emparer des armes au râtelier et massacrer la garnison.

Fort heureusement, le caporal Larmurier Ŕ au nom prédestiné - a entendu les forcenés. Il a le

temps de fermer la porte et, avec ses deux de ses hommes, ouvre le feu à travers les grilles.

C’est alors que le lieutenant Andouard, directeur du pénitencier, accourt en hâte, à la tête des

marsouins. Andouard est un manchot de guerre. Il a eu le bras droit emporté sous Verdun, et a reçu

la croix de la Légion d'Honneur brille sur sa poitrine.

Calmement, comme à l'exercice, il commande des feux de salve sur les forçats massés dans la

cuisine, la vannerie et décortiquerie : « trois îlots de résistance », comme il l'expliquera plus tard

dans un rapport. On aperçoit encore aujourd’hui les traces de balles sur les murs décrépis.

Quand la fusillade s’est tue, quatre-vingt-trois cadavres jonchent le sol. La révolte est matée.

Andouard a sauvé la vie de tous les Français du poste. Il est félicité par le gouvernement de

Cochinchine et cité à l'ordre du jour des troupes de l’Indochine par le général Lombard,

commandant supérieur. Mais l'affaire est loin d'être terminée. On ne sait comment, des récits

mensongers de la rébellion sont parvenus sur le continent et soulèvent l’indignation de la masse

annamite. On raconte, avec forces détails, des scènes d’horreur. Des blessés, implorant la clémence

Page 112: Rapport Fait colonial

112

des soldats, auraient été achevés à coup de révolver dans l’oreille par un Français de l’Inde, qui

serait devenu sourd depuis par punition de Bouddah.

Quelques journaux de Saigon, bravant la censure, se répandent en invectives contre « le

bourreau de Poulo Condore ». Ils l'accusent d'avoir mitraillé des prisonniers étrangers à la révolte et

demandent des sanctions au ministère des Colonies.

Il faut en finir ! Sous quatre-vingt-trois chefs d'accusation, Andouard est traduit devant un

conseil de guerre, le 1er octobre 1918. Le lieutenant-colonel Paraire préside les débats.

« J'ai fusillé avec sang-froid, s'écrie l'accusé. Je le referais si c'était à refaire. Savez-vous qu'il y

avait quatre cent cinquante bagnards dehors ? Laisser des prisonniers derrière soi eût créé un danger

effroyable. »

L'avocat militaire n'a aucune peine pour défendre brillamment son camarade :

« Les officiers du Conseil de Guerre ne s'égareront pas dans de misérables arguties ! Nous ne

sommes pas ici assouvir des rancunes personnelles et complaire à une certaine presse. »

Quesnel, magistrat qui a procédé à une enquête sur place, vient lui-même lui même à la

rescousse. Il rend hommage à l'énergie de l'accusé « rendue nécessaire par le relâchement coupable

et la bénévolance (sic) du directeur précédent ! ».

Andouard est acquitté à l'unanimité, sous les applaudissements, et va reprendre son

commandement Poulo Condore.

Les journaux d'opposition, pourtant, ne désarment pas, et continuent à vilipender « le bourreau

altéré de sang ».

Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,

Peyronnet, Paris, 1956, p. 71-73)

doc F1. La population incarcérée en Indochine (1867 Ŕ 1945)

Années

Population

incarcérée totale, au

31/12 (P.I.T.)

En détention dans les

pénitenciers ; nombre de

pénitenciers (entre

parenthèses)

% de

la P.I.T

En détention

à Poulo

Condore

% de

la

P.I.T.

1867 . . . 500 ? .

1890 . . . 1530 .

1912 . 1932 . 1435 .

1913 18 340 2301 12,55 . .

1919 22 722 2638 11,61 . .

1922 21 185 2810 13,26 . .

1929 16 087 . . 1992 12,38

1930 20 312 (7) 3297 16,23 2146 10,56

1931 23 719 (10) 3666 18,67 2276 9,59

1932 28 097 (10) 4895 17,42 2584 9,19

1935 23 388 4279 18,30 2399 10,25

1936 20 515 3850 18,77 2436 11,87

1937 20 842 3648 17,50 2018 9,68

1939 21 441 4043 18,86 2271 10,59

Page 113: Rapport Fait colonial

113

1940 26 233 4350 16,58 2634 10,04

1941 29 871 6813 22,81 4204 14

1942 28 722 6280 21,86 4403 15,32

1945

(janvier) . . . 4500 ? .

doc F2. Décès et taux de mortalité à Poulo Condore (1925 Ŕ 1939)

Années Nombre de décès Taux de mortalité/1000

1925 129 88,2

1926 58 27

1927 69 33,8

1928 103 49

1929 117 58,7

1930 338 157,5

1931 154 67,6

1932 100 38,6

1933 78 27,6

1934 76 27,9

1935 37 15,4

1936 50 20

1937 26 12,8

1938 22 10

1939 41 18,1

1940 48 18,2

Source : Daniel HÉMERY, « Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore (1862-1953) »,

Europe solidaire sans frontières, janvier 2008, <europesolidaire.org>

Page 114: Rapport Fait colonial

114

doc G. Au bagne n° 2, domaine des « politiques »

Des Matas annamites me dévisagent avec curiosité. […] De chaque côté, cinq portes ferrées,

munies d’un judas, donnent sur le préau sombre. Au fond, les cuisines. Tout brille, et le repas du

soir répand déjà un agréable fumet. Les « politiques » ont obtenu de se débarrasser des prisonniers

de droit commun qui remplissaient les fonctions de cuisiniers et de gens de propreté. Ils se

plaignaient d’être volés, et de manger des mets sales. Ils sont maintenant entre eux, préparent leur

nourriture eux-mêmes, et le bagne n° 2 ressemble à un petite république, où règne une discipline

librement consentie.

- Un véritable Soviet, dit le gardien français qui m’accompagne dans ma visite. Tout est bien

calme maintenant, ajoute-t-il. La grande amnistie du Front Populaire d’octobre 1936 a fait un large

vide ici. 200 Nationalistes et 250 Communistes environ ont été libérés. Il ne reste plus qu’une

centaine de prisonniers : presque tous nationalistes. Quand le bagne n°2 était plein, nous séparions

les Nationalistes des Communistes, car des disputes fréquentes Ŕ qui se terminaient dans le sang Ŕ

éclataient entre les deux camps. Tout le monde s’est assagi maintenant. On ne met à part que les

tuberculeux, dans la salle n°1. Les déportés doivent rester au bagne jusqu’à la fin de leurs jours, ou

plutôt jusqu’à la prochaine amnistie. Les détentionnaires, au contraire, ne sont condamnés qu’à

vingt ans au plus. » […]

Tout est propre et bien rangé. Aucun tatouage. Les visages sont en général plus intelligents et

les mains plus soignées qu’au bagne n° 1. On se sent tout de suite dans un milieu plus relevé.

Pourtant, au milieu des intellectuels et des autodidactes, je remarque des gens du peuple : paysans et

anciens tirailleurs. Ce sont les laissés pour compte de l’amnistie du Front Populaire. […]

L’emploi du temps des « politiques » est ainsi fixé, invariablement : lever à 6 heures. Sortie

dans la cour de 6 heures à 10 heures. Déjeuner à 10 heures (fermeture du bagne). Sieste jusqu’ à 14

heures. Sortie dans la cour de 14 heures à 17 heures. Dîner à 17 heures. Coucher à 18 heures. La loi

n’astreint pas les déportés et les détentionnaires au travail. Mais beaucoup, pour échapper à l’ennui

mortel qui les accable dans cette enceinte d’où ils ne sortent jamais, ont demandé une occupation.

60 % des « politiques » travaillent. Ils gagnent alors 30 cents par mois. J’en vois qui confectionnent

des filets, des cordes avec des fibres de coco, des cravaches avec du rotin, des vêtements, de petits

objets en écaille, des ustensiles de cuisine en ferblanterie.

Aucune fumerie dans les paquetages. L’opium est formellement proscrit par les Nationalistes et

les Communistes. Ils se surveillent entre eux, et font leur police eux-mêmes pour cela. Seuls, deux

vieux, qui mourraient s’ils étaient privés subitement du « riz noir », sont autorisés à tirer sur le

bambou de temps en temps. Aucun jeu d’argent également. Les « politiques » ne veulent pas se

dépouiller entre eux. Seuls les échecs sont autorisés par les Communistes, qui s’y adonnent avec

une véritable passion. Une unique exception pour la fête du Têt. Pendant quelques jours, les chefs

de camps tolèrent les cartes annamites, le tù sàc (jeu des quatre couleurs), et le soc dia (jeu des

quatre sapèques).

- La République prolétarienne annamite que nous fonderons, m’a dit plus tard un Communiste,

doit être à base de moralité. […]

Je remarque de nombreux livres et journaux, sur les bat-flanc du bagne n° 2. […] On autorisa

désormais la plupart des journaux de Saigon, et Je suis partout, Les Nouvelles littéraires, Le

Canard enchaîné, L’Oeuvre, Gringoire, Le Mercure, La Flèche, Regards, etc. Je vois aussi

quelques numéros de Défense, Vu, et Lu. […] En dehors des livres d’étude : grammaires, ouvrages

de sciences, de mathématiques, on y trouve les œuvres d’Alfred de Musset, de Claude Farrère,

d’Émile Zola, d’Alphonse Daudet, de Paul Bourget et de Guy de Maupassant. […] Les murs sont

couverts de schémas, de découpures de journaux et de gravures. De dessins d’éprouvettes, de

baromètres, de thermomètres, d’alambics et de cornues. Pas une seule femme nue. Partout, des

Page 115: Rapport Fait colonial

115

cartes géographiques dessinées à la main, d’une plume très artistique : l’Univers, l’Europe, l’Asie,

la France, l’Indochine, et surtout l’U.R.S.S., qui est reproduite à plusieurs exemplaires. Dans les

salles communistes, sont accrochés aussi des portraits d’hommes illustres : Lénine, Karl Marx,

Romain Rolland, Barbusse, Staline, Dimitroff.

Le chef incontesté du Bagne n°2 est Bui-Cong-Trung, leader communiste de retour de Russie,

et condamné à 15 ans de détention. Malingre et boiteux, ses yeux pétillent de malice. C’est le

théoricien du Parti, au style sarcastique et ardent. Plusieurs brochures clandestines sont de lui : La

ligne politique du Parti Communiste Indochinois, Sur la route de la lutte. Arrêté un mois à peine

après son arrivée de Moscou, il n’eut pas le temps de militer activement en Indochine. […] Pendant

la guerre civile d’Espagne, les Communistes du bagne n°2 suivaient avec anxiété les péripéties de la

lutte sur une grande carte dessinée le long d’un mur. Et c’est Bui-Cong-Trung qui, chaque jour,

claudicant, allait marquer les divers fronts de bataille avec de petits drapeaux rouges. […]

Suspendus aux murs, quelques instruments de musique de fortune, confectionnés avec des noix de

coco : le Kiêm, qui est une sorte de guitare à deux cordes, le gao, une guitare monocorde, et le co,

qui ressemble à notre violon […] les cordes frémissantes accompagnent souvent toute la gamme des

refrains révolutionnaires : la Carmagnole, l’Internationale, la jeune Garde, le Hoang-Pho, qui est la

chanson des Communistes chinois. […]

Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,

Peyronnet, Paris, 1956, p. 161-180.

Analyse

Les documents A sont extraits d’un l’ouvrage de Jean-Claude Demariaux (voir infra). Le

document A2 montre l’archipel de Poulo Condore composé d’une douzaine d’îles volcaniques et

montagneuses excentrées au sud du delta du Mékong en mer de Chine méridionale à plus de 200

miles marins de la ville de Saigon. La principale île, la grande Condore (Con Dao) s’étend sur

environ 5212 hectares avec un point culminant à 584 mètres. Les bâtiments principaux se trouvent à

proximité du rivage.

Les documents D, E et G sont des extraits du témoignage riche et précis avec de nombreuses

descriptions de Jean-Claude Demariaux sur son séjour dans le bagne après l’amnistie du Front

populaire. Dans ces extraits, l’auteur fait preuve très souvent d’honnêteté même s’il n’est pas dit

grand-chose des dérives éventuelles des comportements de l’administration et des gardiens souvent

dénoncés au cours des années, ou si les mots utilisés sont parfois empreints d’une posture de

supériorité et de dédain comme dans le récit de la révolte de 1918 (doc. E). Cette révolte se déroule

durant la Première Guerre mondiale, à un moment où l’encadrement colonial est moindre du fait de

la mobilisation des Français, ce qui favorise en Indochine comme dans d’autres parties de l’empire

français des résistances et des révoltes d’autant plus qu’au début de l’année le conflit est loin d’être

gagné.

La description de l’organisation du bagne et des conditions de vie des bagnards (doc. D) et le

récit de la formation des opposants communistes dans le bagne n° 2 durant les années 1930,

moment où se développent la contestation de l’ordre colonial français et l’accroissement de la

répression (doc. G) complètent le dossier. Jean-Claude Demariaux visite l’ensemble du bagne,

notamment la léproserie où les prisonniers malades ou trop faibles sont laissés à l’abandon par

l’administration. Lors de ses visites, il est accompagné par des fonctionnaires.

Le document B est composé d’extraits de règlement du pénitencier de Poulo Condore de la

version révisée du 8 avril 1903, tirés de l’ouvrage de Maurice DEMARIAUX, Poulo Condore,

archipel du Vietnam, du bagne historique à la nouvelle zone de développement économique,

Page 116: Rapport Fait colonial

116

L’Harmattan, 1999. Le pénitencier est en effet réorganisé à plusieurs reprises, comme en 1871, du

fait des nombreux incidents (tentatives d’insurrection et d’évasion) et face à un nombre croissant de

bagnards. Cependant, la sévérité accrue des règlements successifs comme celui du décret du 11

décembre 1889 n’empêche pas l’éclatement de nouvelles révoltes comme celle du 17 juin 1890 où

près de 400 prisonniers assassinent une dizaine de gardiens avant d’être rapidement réprimés par le

directeur du pénitencier. Enfin, le régime des pénitenciers de l’Indochine est réorganisé par neuf

arrêtés en 1916. Les différentes versions des règlements sont définies par décrets ou par arrêtés par

les autorités françaises.

Le document C reproduit deux cartes postales des années 1920 extraites de l’ouvrage de Daniel

Hémery, Hô Chi Minh, De l’Indochine au Vietnam, Gallimard, « Découverte Gallimard », 1994, qui

montrent des prisonniers au travail en train de confectionner des objets en rotin et un groupe de

prisonniers dont l’un porte la chaîne. Ces cartes postales sont souvent envoyées à leurs familles par

les Européens comme les fonctionnaires, cela fait couleur locale. Il s’agit de vrais bagnards et non

pas de reconstitution.

Les documents F1 et F2 présentent deux tableaux statistiques sur les effectifs des populations

incarcérées en Indochine et à Poulo Condore et sur les maladies et la mortalité dans le bagne. Ils

sont extraits de l’article de Daniel Hémery, Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore

(1862-1953), europe-solidaire.org, janvier 2008. Ce dernier a élaboré ces tableaux (F1 et F2) en

regroupant différentes sources, dont l’Annuaire statistique de l’Indochine de 1913 à 1942 ou le

récent ouvrage de Peter ZINOMAN, Colonial Bastille : A History of Imprisonment in French

Indochina, 1862-1940, Berkeley, University of California Press, 2001, ainsi que ses propres

publications comme Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonia en Indochine, Maspero, 1975.

Ces tableaux sont lacunaires du fait de l’indisponibilité de nombreux chiffres, nous l’avons déjà

évoqué, les archives de Poulo Condore ayant notamment brûlé.

L’archipel des îles de Poulo Condore, dont le nom viendrait du malais Pulau Kondor (« île des

courges »), a depuis toujours une mauvaise réputation, servant notamment de refuge à des pirates

chinois durant de longues années. Des populations y vivent depuis 4 ou 5 000 ans selon les

historiens vietnamiens, et le premier occidental en à fouler le sol est Marco Polo en 1294. À partir

du début du XVIe siècle, les Européens tentent d’y installer un comptoir : d’abord les Portugais et les

Espagnols, puis les Français où dès novembre 1686 un agent de la Compagnie Française des Indes

Orientales préconise la fondation d’un établissement, et, enfin les Anglais qui y construisent un fort

en 1702 avec l’East India Compagny. Ces derniers en sont chassés rapidement en mars 1705 lors de

la révolte de leurs mercenaires Macassars des Célèbes. Tout au long du XVIIIe siècle, plusieurs

projets d’installation des Français se succèdent sans aboutir. En effet, le traité de Versailles du 28

novembre 1787 entre le futur empereur vietnamien Gia Long, qui s’est réfugié sur l’archipel avec sa

famille en 1783, et le roi de France, Louis XVI, assure à ce dernier la propriété et la souveraineté

mais n’est pas appliqué. Finalement, le 28 novembre 1861, le lieutenant de vaisseau Lespès, prend

possession de l’archipel, le ministre de la Marine Casseloup-Caubat voulant éviter l’installation

d’une autre puissance occidentale. Les îles de l’archipel servent déjà de lieu de détention pour le

gouvernement annamite de Hué, les Français y découvrent 119 captifs et une garnison de 80

hommes. Le traité de Saigon du 5 juin 1861 entérine cette prise de possession.

Le bagne est créé par le décret du 1er

février1862 par le contre-amiral Bonard, commandant en

chef de l’expédition de Cochinchine, pour servir de relégation en Indochine aux prisonniers de droit

commun et aux prisonniers politiques. Le 17 mai 1863 les premiers détenus escortés de 25 fusiliers-

marins arrivent au bagne. L’internement au bagne est régi par le Code pénal métropolitain avec cinq

peines de condamnation (travaux forcés, détention de longue durée, déportation, relégation,

réclusion). Cependant, il est intéressant de noter qu’en principe le régime est différent entre

prisonnier de droit commun et « politique ». Mais, dans les colonies, il y a confusion pénale du

politique et du criminel. Il s’agit pour les autorités d’atténuer fortement la distinction du crime et de

Page 117: Rapport Fait colonial

117

la résistance à l’ordre colonial. À Poulo Condore, les condamnés qui arrivent dans le pénitencier

sont ainsi traités uniformément dans un premier temps en étant enfermés durant plusieurs jours dans

le même bâtiment.

Les premiers prisonniers sont les Vietnamiens de Cochinchine qui s’opposent sous forme de

guérilla à l’ordre colonial. Par la suite, de nombreux opposants, nationalistes puis communistes,

mais aussi des criminels sont envoyés au bagne, pour certains dans les bagnes plus lointains comme

ceux de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie. Dans le système pénitentiaire de l’Indochine, Poulo

Condore occupe une place essentielle comptant entre 9 et 12 % de la totalité de la population

incarcérée en Indochine. La moyenne annuelle des détenus de Poulo Condore est d’environ 1 500-

1 600 détenus à partir de 1900 puis 2 200 détenus durant les années 1920, et de plus de 4 000 de

1930 à 1944 (cf. doc. F1). Les effectifs, droits communs, politiques nationalistes puis communistes,

varient en fonction du contexte : répression coloniale par exemple lors de la conquête du Tonkin et

de l’Annam de 1883 à 1896 ou lors de la Première Guerre mondiale. L’augmentation du nombre de

détenus est constante du fait de la crise politique et sociale des années 1927-1936, notamment avec

l’insurrection de Yên Bay au Tonkin le 10 février 1930, de la Deuxième Guerre mondiale avec la

répression de plusieurs soulèvements et enfin de la guerre d’Indochine, à l’exception du

gouvernement du Front populaire où une politique moins répressive, avec l’amnistie du 11 août

1936, entraîne la baisse des effectifs avec la libération d’environ 500 prisonniers, essentiellement

des « politiques ».

Le bagne s’étend sur plusieurs sites distincts, les bagnes 1 à 3 et la léproserie (cf doc. A2, D,

G), qui sont différenciés par le critère pénal. Chaque site est subdivisé en plusieurs salles

collectives et comportent plusieurs cellules d’isolement. Le bagne n° 1 est le premier construit et est

achevé en 1875. Réservé aux droits communs, il se compose de 10 salles communes qui font office

de dortoirs d’environ 150 m2 et 80 prisonniers. Le bagne n° 2, construit en 1916-1917, compte 12

salles, à l’origine réservé aux lettrés annamites, on l’appelle la maison des lettrés, puis aux

prisonniers politiques nationalistes et communistes à partir des années 1920. L’augmentation du

nombre de prisonniers incarcérés nécessite la construction en 1928 du bagne n° 3 avec 8 salles. Ce

dernier devient le bagne des réclusionnaires, qui sortent très peu de leurs cellules. L’organisation du

pénitencier est complétée par la léproserie et par les différents bâtiments accueillant les habitations

de l’administration comme la maison du directeur, la Maison des passagers qui accueille les

voyageurs comme Camille Saint-Saëns, la caserne, le dispensaire ainsi que l’usine électrique sans

oublier le village peuplé notamment de commerçants chinois.

L’encadrement est constitué de fonctionnaires français et d’indigènes. A la tête du bagne, le

directeur fait fonction d’officier de police judiciaire et de juge de paix. Surnommé Chua Dao, le

Seigneur des îles par les Vietnamiens, ses pouvoirs, définis par le règlement, sont considérables (cf.

doc. B). L’encadrement est assez pléthorique. Dans les années 1930 (1935), pour 2 400 détenus, il y

a environ un peu moins de 30 gardiens européens, des anciens militaires, et une soixantaine de

« matas », surveillants vietnamiens ou cambodgiens. Durant leur service, ils sont armés. Ce qui fait

un gardien pour 30 prisonniers. Par ailleurs, les caplans sont des auxiliaires choisis parmi les

détenus par l’administration, à la fois mouchard et surveillant. Enfin, une compagnie du 11e

régiment d’infanterie coloniale, une centaine d’hommes, est cantonnée sur l’île principale.

Ce pénitencier véhicule une vision d’enfer, même si le bagne de Cayenne demeure le plus

terrible, comme le souligne Jean-Claude Demariaux lors de son séjour : « […] trois images heurtent

parfois mon esprit : les cachots des réclusionnaires remplis de désespoir, la décortiquerie avec ses

bagnards tourneurs de meules, et le hideux dépotoir de la léproserie […] » (op.cit., p. 16,).

La vie quotidienne des bagnards s’organise selon un barème de bonne conduite qui reprend la

classification métropolitaine en trois classes : l’organisation avec les corvées, l’attribution des

postes de travail et la formation des équipes (cf. doc. B). Ces dernières sont directement gérées par

Page 118: Rapport Fait colonial

118

les gardiens et surtout les matas et les caplans. Poulo Condore, à l’image des autres bagnes, a un

fonctionnement semi-autarcique. Chaque jour, le bagnard doit produire son propre entretien mais

aussi celui du personnel pour une rémunération très faible : 2 cents par jour en 1889, entre 3 et 4 en

1934. De cette somme sont retranchés les deux tenues et les deux nattes de couchage annuelles et le

coût de son cercueil. Mais il existe une hiérarchie entre les prisonniers. En effet, en principe, seuls

les droits communs du bagne n° 1 sont soumis aux travaux forcés durant huit heures et demie par

jour dans les rizières et les fermes, dans les jardins, dans les différents ateliers, à la pêcherie et à la

décortiquerie. Cependant, les prisonniers les mieux notés par l’administration peuvent s’y soustraire

en occupant des postes d’interprètes, de plantons, de boys,… Nombre de bagnards ont donc un

emploi fixe et peuvent coucher hors du bagne (cf. doc. D). Les détenus des deux autres bagnes

peuvent travailler sous condition de volontariat et de non-dangerosité. Ainsi, certains « politiques »

pour éviter l’ennui, n’hésitent-ils pas à travailler. La main d’œuvre du pénitencier est parfois

réquisitionnée par les administrations de la Cochinchine et du Cambodge et sur les grands chantiers

de travaux publics.

Les conditions de réclusion sont particulièrement rudes avec des travaux souvent meurtriers

comme le ramassage du corail qui est cassé pour construire des routes ou qui est brûlé dans des

fours à chaux, pour en extraire du calcium. Plusieurs menaces sont omniprésentes comme les

violences des gardiens, notamment des caplans. Si les moyens de punition prévus par le règlement

sont larges, de la chaîne simple (cf. doc. C) à la mise aux fers en passant par la chaîne simple avec

boulet (cf. doc. B) ou au cachot, progressivement perfectionné par les Français avec la mise en

place en 1940 de cellules sans porte ni toiture mais couvertes de grilles avec une galerie de ronde,

les mauvais traitements sont répandus. Malgré les interdictions officielles, les prisonniers peuvent

subir des coups et des brutalités physiques à l’aide des rotins, des nerfs de bœuf, de la cadouille (os

de queue de raie), des coups de crosse…

Par ailleurs, le sort des réclusionnaires s’apparente à une mort lente avec une promenade

seulement de deux heures dans la journée et une mise aux fers chaque nuit. Les prisonniers peuvent

aussi être affectés aux chantiers et aux ateliers les plus éprouvants comme le ramassage du corail, la

terrible décortiquerie, où les bagnards les plus durs et les plus rebelles sont astreints à un travail

particulièrement pénible : ils doivent faire tourner une meule pour décortiquer le paddy avec une

ration alimentaire composée seulement d’une boulette de riz par jour et d’un peu de sel pour dix

jours, la construction sans fin de la route circulaire. Ces mauvais traitements infligés aux détenus

des prisons et des bagnes indochinois sont dénoncés régulièrement par les inspecteurs des affaires

administratives, par des journalistes et par des hommes de gauche.

D’autres menaces pèsent sur les bagnards. Tout d’abord, les typhons qui frappent les îles sont

de véritables catastrophes tuant des condamnés, détruisant les bâtiments et les structures du bagne,

ravageant les plantations de légumes ce qui entraîne un recrudescence du scorbut…Ensuite

l’omniprésence de la maladie comme le typhus. Les maladies sont aggravées par l’insuffisance des

rations alimentaires (cf. doc. B). Par ailleurs, les installations sanitaires et l’hygiène sont

insuffisantes. Ainsi, la léproserie est un mouroir pour les lépreux mais aussi pour les prisonniers qui

ne peuvent plus travailler. La mortalité due aux maladies et au déséquilibre des rations alimentaires

ainsi qu’au surpeuplement du bagne est très élevée. Lors des premières années de fonctionnement

du bagne, le béri-béri occasionne des ravages parmi les prisonniers. Par la suite, la mortalité

demeure forte (cf. doc. F2). Mais il y a aussi le paludisme, la fièvre des bois, le scorbut, la

dysenterie, la tuberculose,... De plus, il y a juste une ambulance-infirmerie et le transfert à Saigon

est impossible. Aux difficiles conditions de vie pénitentiaire s’ajoutent les violences entre détenus

avec des bagarres et des assassinats. Des divertissements permettent aux bagnards de s’évader de

l’univers carcéral comme lors de la fête du Têt, nouvel an lunaire au Vietnam. Les jeux de cartes y

sont tolérés et les prisonniers présentent des spectacles devant les fonctionnaires avec, par exemple,

Page 119: Rapport Fait colonial

119

la danse de la licorne mais aussi des pièces de théâtre avec des comédies de Molière ou de

Dostoïevski.

La rareté des inspections, une fois tous les cinq ans à l’exception de troubles graves, et un

personnel inadapté expliquent les abus commis sur les prisonniers. Ainsi, jusqu’au début des années

1930, l’administration envoie pour diriger le bagne des militaires de réserve ou à la retraite qui se

comportent comme des chefs de clan ou des tortionnaires. Les dérives des directeurs ne sont pas

rares à l’exemple de celle d’Andouard, le lieutenant de réserve, qui utilisait deux chiens bergers

contre les forçats récalcitrants et avait installé un couple de tigres dans les montagnes pour limiter

les évasions. Par ailleurs, les gardiens indigènes, les matas, n’hésitent pas à escroquer ou à voler les

bagnards mais aussi l’administration.

Enfin, tout un ensemble de personnes, les caplans, les matas, mais aussi les gardiens européens,

les usuriers (bagnards, caplans, femmes des caplans et des matas, boutiquiers chinois) tirent des

prisonniers des prestations occultes et des prélèvements.

À la fin des années 1920 et durant les années 1930, le nombre de prisonniers politiques

impliqués dans les grèves et les révoltes de 1930-1932 ou militants du parti communiste

indochinois clandestin augmente fortement. Poulo Condore devient un lieu de rencontre entre les

opposants à la colonisation avec par exemple Pham Van Dong, Nguyen An Ninh, ce qui favorise la

construction de la nation vietnamienne moderne, et aussi un lieu d’affrontement idéologique entre

nationalistes et communistes qui se traduit par des féroces bagarres comme en 1935. Les

communistes prennent rapidement le dessus sur les nationalistes et les chefs des droits communs.

Ainsi, se met en place dans le bagne n° 2 une véritable structure d’encadrement des prisonniers qui

gère la vie quotidienne, imposant des règles de vie et une école de formation communiste, une

véritable université rouge, école de référence de l’apprentissage révolutionnaire pour nombre de

détenus (cf. doc. G). C’est ainsi que le bagne n° 2 se transforme en un véritable soviet : les détenus

communistes sont organisés en cellules, coordonnées par un comité exécutif. Différentes formes de

résistance se développent comme les tentatives pour communiquer avec l’extérieur ou les grèves de

la faim voire les tentatives d’évasion. Toute une activité clandestine d’édition de textes comme le

journal Tiên Liên (En Avant) se développe. Poulo Condore devient ainsi le lieu de formation de

futurs militants et cadres communistes (on peut citer Nguyên Van Linh ou Trân Van Giau) et

prépare la lutte pour l’indépendance des années 1940-1945. L’action de ces politiques a des

conséquences sur l’attitude face à l’ordre colonial : de nombreux droits communs sont désormais

formés politiquement et deviennent des opposants à l’ordre colonial.

Le contrôle des détenus s’avère difficile et le fonctionnement du pénitencier est souvent

anarchique. Il existe ainsi une contre-société avec ses jeux d’argent et son trafic d’opium. Par

ailleurs, les évasions des prisonniers sont courantes, entre 10 et 15 % des effectifs en moyenne. En

fait, les évadés se réfugient dans les collines couvertes d’une épaisse forêt. L’évasion par mer

constitue l’exception. Les révoltes ne sont pas rares et s’inscrivent souvent dans un mouvement plus

large de révoltes coloniales comme à la fin de la Première Guerre mondiale ou dans les années

1930. Au quotidien, les protestations des détenus sont régulières. Les tensions se traduisent par des

vengeances contre des matas ou des gardiens qui doivent toujours être sur leur garde (cf. doc. D).

Parmi les révoltes, on peut citer la première, celle de juin 1862, celle de juin 1890 et surtout celle de

1918 (cf. doc. E). La répression radicale est le moyen utilisé pour réprimer les révoltes ou les

tentatives d’évasion, à l’exemple de celle de la révolte de 1918 où le directeur Andouard fait tiré sur

les mutins dont 83 sont tués. La violence de la répression de cette révolte entraîne une enquête et le

jugement du directeur Andouard, qui est acquitté. Mais ce dernier, détesté, est assassiné quelques

mois plus tard le 3 décembre 1919 par des bagnards. Les protestations sont nombreuses et face à un

verdict considéré comme scandaleux, Nguyên Ai Quôc, le futur Hô Chi Minh, publie un article

intitulé « C'est cela la justice des colonialistes français en Indochine ». Par la suite, des moyens plus

appropriés sont utilisés comme les pompes à incendie et le gaz lacrymogène.

Page 120: Rapport Fait colonial

120

Durant les années trente, Poulo Condore devient un des lieux de contestation principaux de

l’univers carcéral en Indochine contre la colonisation et contre l’enfermement de prisonniers

politiques. Ainsi, au début de 1935, Poulo Condore joue un rôle essentiel dans le déclenchement du

mouvement général de manifestations et de grèves dans les prisons et les bagnes indochinois. En

Indochine des mouvements de sympathie à l’égard du bagnard apparaissent, en particulier dans la

littérature vietnamienne, et en France, les prisonniers politiques indochinois sont soutenus par

divers organismes et partis comme le Secours rouge international ou le Parti communiste français.

Face à la réputation du bagne, Albert Londres a un projet d’enquête que sa mort ne lui permet pas

de réaliser. C’est finalement, Jean-Claude Demariaux (voir supra) qui mènera donc trois enquêtes

entre 1936 et 1940. La revendication essentielle des « politiques » est l’amnistie. Pour l’obtenir, les

grèves des corvées et surtout de la faim se multiplient, par exemple en mars-avril 1935, les

prisonniers protestent aussi contre la mauvaise qualité de l’alimentation. Une mission d’enquête est

menée. Finalement, après une nouvelle grève de la faim, le Front populaire promulgue une amnistie

le 11 août 1936 : plus de 1 532 prisonniers politiques sont libérés dont 500 de Poulo Condore.

Cependant, le bagne n’est pas supprimé et il n’y aura pas de réforme pénitentiaire.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Français perdent le contrôle de l’archipel suite au

coup de force des Japonais du 9 mars 1945. Les îles sont ensuite contrôlées par le Vietminh puis par

des prisonniers de droit commun comme le « roi des montagnes ». Il ne reste plus que 400 droits

communs lors du retour des Français le 18 avril 1946. Durant la guerre d’Indochine, les effectifs du

bagne augmentent de nouveau comptant jusqu’à plus de 2 000 prisonniers. Après le départ des

Français, le 1er

Septembre 1955, le bagne continue de fonctionner et est agrandi sous la République

du Viêt-nam et reçoit désormais des communistes capturés par les troupes gouvernementales et

américaines. Les effectifs atteignent alors leur maximum avec plus de 10 000 prisonniers.

Après la réunification du Viêt-nam, le bagne sert de camps de rééducation jusqu’au début des

années 1990. Par la suite, le gouvernement met en place un plan de développement économique

avec l’aménagement de différents ports, dont un port de pêche, mais le développement touristique

est favorisé avec la création d’un parc national en mars 1993 et le classement de Poulo Condore,

Con Dao, comme un des lieux de mémoire de l’histoire révolutionnaire, avec la restauration de

plusieurs sites de l’ancien bagne, et la création de lieux de villégiature.

Mots-clefs : bagnards, bagne, communisme, Indochine, nationalisme, ordre colonial, pénitencier,

prisonniers politiques, Poulo Condore, répression coloniale, Viêt-nam.

Les pistes d’exploitation pédagogique possibles

. Situer et décrire le bagne et ses bâtiments. Quelle est la composition du personnel d’encadrement ?

(doc. A et doc. D)

. Quels sont les prisonniers enfermés ? Comment les effectifs du bagne évoluent-ils ? Justifier votre

réponse (doc. B, D, F)

. Pour quelles raisons peut-on dire que les conditions de vie des bagnards sont particulièrement

rudes et très inégales ? (doc. B et doc. D)

. Dans quelle mesure le contrôle des détenus s’avère-t-il difficile ? (doc. E,G)

. Décrire et expliquer l’évolution qui apparaît à partir des années trente dans l’organisation des

prisonniers. (doc. G). Quelles en sont les conséquences pour la lutte contre la colonisation ?

. Au final, montrer l’importance de Poulo Condore dans la mise en place du respect de l’ordre

colonial mais aussi dans sa contestation.

Niveaux Au collège

. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.

Page 121: Rapport Fait colonial

121

. Quatrième rentrée 2011/2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible

celle de la société coloniale.

Au lycée

. 1re

ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :

L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.

. 1re

STG : chapitre I, La construction de la République (8-10h), leçon 1 : Moments et actes

fondateurs (8-10h).

. 1re

STI/STL : éventuellement le chapitre intitulé : La France et le monde aux XIXe et XXe siècles,

question obligatoire 1 : La démocratie française de 1848 à nos jours.

. 1re

ST2S : éventuellement le chapitre I, La République des années 1880 aux années 1940, question

obligatoire : La France en République, de 1880 au début des années vingt.

. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le

système colonial.

Pistes bibliographiques . Maurice DEMARIAUX Maurice, Poulo Condore, Archipel du Vietnam, du bagne historique à la

nouvelle zone de développement économique, L’Harmattan, 1999.

Daniel HEMERY, « Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore (1862-1953) », Europe

solidaire sans frontières, janvier 2008, europe-solidaire.org.

. Patrice MORLAT, La répression coloniale au Vietnam (1908-1940), L’Harmattan, 1990.

Page 122: Rapport Fait colonial

122

DOSSIER 4

CONTESTER L’ORDRE COLONIAL

La contestation de la colonisation n’a pas pris la forme exclusive des mouvements nationalistes

du XXe siècle, comme pourrait le laisser croire l’abondante littérature des années 1950-1970.

L’historiographie a, en effet, souvent privilégié Ŕ notamment dans les 1960-1970 Ŕ la thématique

des résistances à la conquête, créant un véritable « panthéon » des adversaires de l’impérialisme :

Toussaint Louverture, Abd el Kader, El Mokrani, Abd el Krim, Samory Touré, Lat Dior, Bourguiba

ou Ho-Chi-Minh… Certaines de ces figures ont joué un rôle essentiel même si elles s’avèrent

souvent plus complexes, moins monolithiquement « anticolonialistes » qu’on ne pourrait

l’imaginer. Leur action doit d’ailleurs être replacée dans un contexte plus large : celui de la

contestation diffuse des multiples formes de l’emprise européenne. Notons aussi que l’on a parfois

sélectionné les « bons » héros de l’abolition (Victor Schoelcher plutôt que les esclaves révoltés) ou

de l’indépendance (plutôt Boumediene que Messali Hadj), construit des figures anticolonialistes

anachroniques (Samory Touré en Afrique de l’Ouest), laissant dans l’ombre certains personnages

méconnus du grand public.

La contestation est consubstantielle à la domination coloniale. Dès l’Ancien régime, les

colonisés s’élèvent contre la domination des maîtres, les esclaves cherchent à s’émanciper par le

marronnage (doc. 2). De leur côté, certains penseurs européens s’insurgent contre la traite et contre

les abus du système esclavagiste (doc. 1), dans un mouvement plus complexe et moins linéaire que

ce qu’en ont longtemps retenu les manuels scolaires. C’est aussi contre la domination au quotidien

que luttent les individus et les groupes colonisés, soit anonymement, soit par la voix de porte-parole

issus de l’élite Ŕ contre les agissements d’un administrateur (doc. 4) en particulier ou contre les

injustices de la société coloniale en général (doc. 3, 5 et 6). Plus largement, ces luttes individuelles

et collectives conduisent progressivement à dénoncer l’ensemble du système et à revendiquer

liberté, autonomie, puis indépendance.

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Marcel Dorigny, Les abolitions de l'esclavage de L.F Sonthonax à V. Schoelcher . (1793-

1794 ; 1848), La Documentation française, 2007.

Marcel Dorigny (dir.), Esclavage, résistance et abolitions, actes du 123e Congrès des Sociétés

historiques et scientifiques, Fort-de-France, avril 1998, Éditions du CTHS, Paris, 1999.

Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et Réformateurs des colonies : 1820-1851,

Karthala , 2001.

Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN : Documents et histoire, 1954-1962, Fayard,

2004.

Pierre Brocheux et Daniel Hémery, L’Indochine : La Colonisation ambiguë (1858-1954), La

Découverte, 2e éd. 2004 (1

re éd. 2001).

Page 123: Rapport Fait colonial

123

1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR LA CRITIQUE DE L’ESCLAVAGE

ESCLAVAGE, DROITS DE L’HOMME ET DIGNITE HUMAINE

Du XVII° au XIX° siècle, la critique de l'esclavage, notamment celle des penseurs des

Lumières, a rendu possible l'abolition mais selon un cours qui, sur le plan des idées comme celui de

la politique, ne fut pas toujours un progrès linéaire ou lisible. De plus, la critique de l'esclavage

n'est pas forcément totale et l'antiesclavagisme n'est pas toujours synonyme d'abolitionnisme

immédiat.

Toutefois ce qui est foncièrement bien que graduellement remis en question, c'est un ordre

politique de droit divin qui impliquerait une société humaine organisée comme l'expression

analogique de la hiérarchie de la Création justifiant en l'occurrence la subordination servile.

Il y a là un tournant décisif et finalement irrésistible: malgré les résistances traditionalistes,

l'esclavage va être analysé selon une logique politique nouvelle comme une institution humaine et

jugé selon un nouvel angle juridique comme contraire aux droits de l'homme.

La notion spécifique des droits de l'homme se distingue des autres droits dont le contenu varie

suivant les temps et les lieux. Les droits de l'homme sont considérés comme essentiels à

l'accomplissement de toute vie humaine digne de ce nom, ils seront comme “attachés” à l'homme;

on ne peut mener une vie pleinement humaine sans eux. Ces droits, dits naturels, doivent être

déclarés( rendus publics) et impliquent une certaine forme d'Etat, lequel doit les respecter et en

sanctionner toute violation, fût-ce par lui-même. Ce qui ne va pas sans difficulté puisque cette

autorité est à la fois juge( l'instance qui sanctionne) et partie( le sanctionné potentiel, celui à qui le

droit est opposable).

Les droits de l'homme se réfèrent, dans leur principe, à la dignité de la personne humaine. Parce

que les hommes sont des « êtres raisonnables », « appelés des personnes,(...) leur nature les désigne

comme des fins en soi, c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut être employé simplement

comme moyen, quelque chose qui par suite limite d'autant toute faculté d'agir comme bon nous

semble (et qui est objet de respect) » (Kant Fondements de la métaphysique des mœurs,1785,

deuxième section, trad. V. Delbos, Delagrave, 1986, p. 149). Ici la fin est la limite absolue où

doivent s'arrêter le désir et l'intérêt. La personne doit être respectée, elle est inviolable, la dignité

n'est pas susceptible d'entrer en commerce, elle est sans prix.

L'enjeu politique et juridique au nom de ces valeurs humanistes et universalistes, c'est la liberté

et de l'égalité en droits de tous les hommes. Les esclavagistes, en effet, vivaient complaisamment

dans une fausse conscience en excluant de l'humanité ceux qu'ils asservissaient.

Plus précisément la lutte contre l'esclavage s'est employée à réfuter un à un tous les arguments

cherchant à justifier l'esclavage, notamment une servitude par consentement tacite en échange de sa

subsistance, la réduction en esclavage des prisonniers de guerre ou encore plus prosaïquement une

nécessité par intérêt économique.

La critique de l'esclavage -les maîtres sont souvent qualifiés de tyrans- peut servir de fil

conducteur à l'histoire des principes de la philosophie du droit. Il convient de considérer qu'en

dépit de certaines ambiguïtés et atermoiements et malgré l'hostilité farouche des milieux influents et

puissants liés au système esclavagiste et à la traite, l'humanisme des Lumières, animé d'esprit

Page 124: Rapport Fait colonial

124

critique, a mené globalement un travail de sape à l'encontre de l'institution de l'esclavage, de la

pratique de la traite et a ébranlé par là l'ordre établi colonial. Les hommes des Lumières savent que

la valeur de leurs projets pour faire cesser ce qui porte atteinte à la dignité humaine, s'appréciera

sur leur réalisation.

L'idée de progrès ne connote pas seulement l'avancement des sciences, des techniques et de

l'économie, elle traduit plus profondément une dynamique volontaire qui œuvre à la promotion

politique et éthique, à travers des réformes institutionnelles ou la révolution, de la liberté, de

l'égalité en droits, de l'assistance et de l'instruction publiques. L'objectif des pages qui suivent, ne

consiste pas à relever les insuffisances des Lumières mais s'efforce plutôt de souligner la puissance

de leur projet d'émancipation articulée à la prééminence de la raison, la tache du présent n'étant pas

de tirer un trait sur ce projet mais plutôt de se hisser à sa hauteur et de relever les insuffisances de

notre réflexion et de notre vigilance à l'égard des servitudes contemporaines.

Nous nous proposons d'étudier quelques textes qui ont servi de références décisives au combat

politique pour l'abolition de l'esclavage et de la traite.

Montesquieu (1689-1755): le procès de l'esclavage.

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède, étudie le droit. Conseiller au Parlement de

Bordeaux, il hérite après son mariage du titre de Montesquieu et de la charge de magistrat. Les

Lettres persanes (1721) lui valurent un succès considérable, elles ne sont pas seulement une satire

des mœurs sociales et politiques, la correspondance ingénue d'Usbek et de Rhédi sur « la justice »

ou « les lois » préfigurent les contestations plus systématiques des postérieures.

De 1728 à 1731, Montesquieu voyage à travers toute l'Europe, il emplit des cahiers de notes et

de remarques. Dans de l'Esprit des lois, son œuvre maîtresse qui paraît en 1748, deux idées se

rencontrent: d'une part le rapport que les lois ont avec la constitution de chaque gouvernement, les

mœurs, le climat, la religion, le commerce etc. dans les diverses sociétés humaines, d'autre part le

souci de la liberté des citoyens.

En 1750, Montesquieu réplique aux attaques sur son œuvre en publiant Défense de l'Esprit des

lois qui incite l'Eglise à mettre l'ouvrage à l'index.

« L'esclavage, proprement dit, est l'établissement d'un droit qui rend un homme tellement

propre à un autre homme, qu'il est le maître absolu de sa vie et de ses biens. Il n'est pas bon

par sa nature: il n'est utile ni au maître ni à l'esclave: à celui-ci, parce qu'il ne peut rien faire

par vertu; à celui-là, parce qu'il contracte avec ses esclaves toutes sortes de mauvaises

habitudes, qu'il s'accoutume insensiblement à manquer à toutes les vertus morales » de

l'Esprit des lois, XV, 1.

La question de l'esclavage grâce à Montesquieu ne pourra plus être reléguée ou close et l'on

trouve dans son œuvre la matrice des critiques ultérieures.

Le livre XV dont dix-sept chapitres sont consacrés au débat sur l'esclavage, s'ouvre sur une

définition de l'esclave, suivie d'une critique dont il convient de prendre la juste mesure et la

portée. « Il n'est pas bon par sa nature », en d'autres termes l'esclavage n'est pas amendable, il est

radicalement dénoncé. L'esclave, empêché d'agir par lui-même, « ne peut rien faire par vertu », il vit

Page 125: Rapport Fait colonial

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contraint à une totale soumission d'où, par définition, toute liberté responsable est absente. La vertu

suppose obligation, non nécessité. L'esclavage instaure non seulement une condition humiliante

mais deshumanisante puisque la négation de toute liberté possible équivaut à la négation de la

nature humaine. Cet extrait préfigure les analyses de Rousseau pour qui l'effet le plus monstrueux

de l'esclavage est d'abrutir l'esclave au point qu'il ne voit plus ses chaînes, critiquant par là

évidemment la cause d'un tel état dans la terrible oppression imposant un comportement de bête de

somme. Quant à Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1840), il soulignera

que la civilité est le fruit de l'égalisation des conditions.

Pour le maître, l'esclavage a aussi un effet dévastateur de corruption: le pouvoir absolu exercé

sur ses esclaves, l'habitude du luxe font qu'il devient lui-même esclave de ses passions , d'un

insensible égoïsme, d'une violence sans retenue, « dur », « cruel ». La possession d'esclaves ne peut

manquer invariablement de produire un avilissement déshonorant, une tendance de plus en plus

prononcée à toutes sortes d'abus puisque, d'une façon générale, tout pouvoir d'un homme sur les

autres veut irrépressiblement s'augmenter, or l'esclave sans droit opposable est à la merci de tous

les excès.

Dans le chapitre 2, Montesquieu réfute les motifs juridiques traditionnellement donnés pour

justifier l'esclavage. Les « raisons des jurisconsultes ne sont point sensées ». D'une part, dans le

droit de la guerre, l'esclavage des vaincus est irrecevable : « Il est faux qu'il soit permis de tuer dans

la guerre autrement que dans le cas de nécessité ; mais, dès qu'un homme en a fait un autre esclave,

on ne peut pas dire qu'il ait été dans la nécessité de le tuer puisqu'il ne l'a pas fait » (XV,2).

D'autre part et surtout, dans le droit civil, « il n'est pas vrai qu'un homme libre puisse se vendre.

La vente suppose un prix : l'esclave se vendant, tous ses biens entreraient dans la propriété du

maître ; le maître ne donnerait donc rien, et l'esclave ne recevrait rien » (ibid.). Ce que dénonce

Montesquieu, c'est l'idée reçue que l'esclavage peut être légitimé par le fait que l'esclave a

volontairement aliéné, vendu sa liberté. L'esclavage reposerait alors sur un contrat. Or Montesquieu

démontre que premièrement la liberté n'est pas une propriété qu' un homme puisse aliéner, que

deuxièmement ce prétendu contrat n'est qu'une imposture insensée puisque s'y manifeste jusqu'à

l'absurde l'absence d'équilibre le manquement à toute équité. Un tel contrat serait de plus

moralement intolérable : un homme n'a pas un prix, il a une dignité, on ne saurait le vendre comme

une chose. Montesquieu insiste que son propos vise l'esclavage tel qu'il est « établi dans nos

colonies » (note c ibid.).

Contrairement à ce que plusieurs commentateurs ont laissé entendre ou prétendu, Montesquieu

n'est pas ambigu dans son procès de l'esclavage. Affirmer, en effet, que Montesquieu atténue

singulièrement sa condamnation de l'esclavage « dans certains pays » (chap.7) sous certains climats,

résulte de l'équivoque polysémie du terme de nature-ensemble de faits régis causalement et norme.

Dans sa volonté d'explication quasi expérimentale en ce qui concerne les faits, Montesquieu

cherche à dégager les raisons naturelles de l'esclavage existant « dans certains pays » sous certains

climats, il ne le justifie aucunement pour autant. L'esclavage viole la loi naturelle -normative cette

fois- de l'égalité des hommes entre eux. Contre tous ceux qui prétendent invoquer des esclaves

« par nature », Montesquieu rétorque sans appel : « tous les hommes naissent égaux, il faut dire que

l'esclavage est contre la nature » (ibid.). La révolte des esclaves est, selon Montesquieu, une guerre

juste. Dans ses « Pensées » (174), il écrit que la guerre conduite par Spartacus fut « la plus légitime

qui ait jamais été entreprise ».

Page 126: Rapport Fait colonial

126

La démarche de Montesquieu, dans une tension singulière entre héritage et esprit des temps

nouveaux, met à l'ordre du jour l'écart entre les droits positifs et le droit naturel ou droit des gens

reconnu comme norme commune à l'humanité. Si attentif aux différences de mœurs et de lois que

l'histoire des peuples a pu produire en étroite conjugaison avec la nature, Montesquieu choisit, du

moins dans son œuvre maîtresse, l'universel non le particulier, l'humanité et non pas une société

plutôt qu'une autre. Ce juriste philosophe hiérarchise les droits : droit privé, droit civil ou public et

enfin droit des gens que tous les hommes ont par nature, quelles que puissent être leurs différences

concrètes. Ce droit des gens n'est ni privé, ni public, il est cosmopolite. Ce choix de Montesquieu

est en faveur du droit des gens, nous conduit à citer sa magistrale formulation pratique : « Si savais

quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille je le rejetterais de mon esprit. Si

je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier.

Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l'Europe ou bien qui fût utile à

l'Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime » (Pensées).

Le prix du sucre justifie-t-il le déshonneur de maintenir l’esclavage ?

« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclave, voici ce que

je dirais :

Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage

ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.

Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par les esclaves.

Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il

est presque impossible de les plaindre.

On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme bonne,

dans un corps tout noir.

Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité […].

On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les

meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir

tous les hommes roux qui leur tombaient sous les mains.

Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un

collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si

nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes nous-mêmes

chrétiens.

De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle

qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant

de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et la pitié ? » De

l’Esprit des lois, livre xv,5 .

Ce chapitre, à juste titre si fameux, pour son réquisitoire ironique, nous l'évoquons ici

principalement pour sa dénonciation du préjugé « raciste » sous-jacent à la pratique de l'esclavage.

Montesquieu fait un relevé des opinions reçues, il en dévoile les mobiles et les motifs pour que

son lecteur puisse en juger selon la raison et le cœur. « Si j'avais à soutenir le droit que nous avons

eu de rendre les nègres esclaves... ». L'hypothèse rend sensible le décalage entre le fait et le droit, il

Page 127: Rapport Fait colonial

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faut rétablir l'ellipse du discours : le droit que nous avons « eu » mais que nous n'avons plus le droit

d'avoir.

Le premier argument souligne la priorité accordée à l'économie au mépris de la dignité humaine.

« C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ! » répond en écho le nègre de Surinam à

Candide. Quant à Bernardin de Saint Pierre, il procède à une reprise du même argument en

dénonçant l'esclavage comme le scandaleux produit du cynisme des Européens : « Je ne sais pas si

le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux

ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour

les planter : on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour les cultiver » (Voyage à l'Ile de

France, Paris, La découverte/Maspero,1983, p. 121).

Le second groupe d'arguments rend compte avec force du préjugé raciste : la couleur et la

physionomie rendent les noirs étrangers à toute compassion. C'est déjà, par antiphrase, un essai sur

l'égalité des « races » humaines qui contredit par avance les thèses racistes du XIX° siècle en

fonction desquelles au nom de critères pseudo-scientifiques on prétend justifier une inégalité et une

discrimination de statut politique et juridique entre des catégories de population. Nous

reconnaissons sur ce point notre accord avec l'analyse de C. Delacampagne sur les raisons d'une

indifférence : « si le sort inique de cet étranger n'intéressait personne, si « les bonnes âmes »

humanistes et chrétiennes s'en accommodaient si facilement, c'est parce que cet étranger faisait, lui

et la civilisation d'où il venait, l'objet de la plus totale indifférence, sinon du plus profond mépris, de

la part des Européens. Un mépris qu'il n'est pas interdit de qualifier de « raciste » » (Une histoire de

l'esclavage, le Livre de Poche 2002, p.188). Le racisme a précédé le siècle de la théorie raciste.

Montesquieu sape le fondement prétendument religieux de ce préjugé raciste qui remonte à

l'exégèse douteuse d'un passage de la Genèse (9, 20-27) sur la malédiction de Canaan et de ses

descendants, préjugé si opposée à l'idée chrétienne d'une fraternité humaine. Il dévoile ainsi des

raisons inavouées qui soutiennent de fait l'esclavage, l'idée d'une supériorité « raciale »

implicitement affirmée, entretenue par tous les autres préjugés attachés à la méconnaissance d'une

autre culture dévalorisée par un ethnocentrisme d'autant plus fort qu'il est le plus souvent

insoupçonné. « Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas

d'un collier de verre que de l'or ».

Le dernier paragraphe de l'extrait souligne avec ingénuité la non intervention de la part des

« princes d'Europe » et par suite une complicité quasi générale couvrant un abus intolérable par une

hypocrisie consommée. L' interprétation de C. Delacampagne pour qui Montesquieu se bornerait à

des « propos charitables » (ibid. p. 195) sans visée politique apparaît en l'occurrence bien

tendancieuse. L'ironie permet d'exposer les deux intentions de l'Esprit des lois, l'étude objective des

faits de société et la dénonciation des abus, elle apparaît ici d'une efficacité redoutable puisque le

lecteur participe ainsi réflexivement à l'indignation qui la sous-tend.

Ce réquisitoire contre l'esclavage va, en tout cas, briser l'indifférence et le silence du début du

XVIII° siècle et le procès de l'esclavage sera relayée par d'autres voix accusatrices. A partir de

Montesquieu, la question de l'esclavage prend une tournure nouvelle, car ce qui est affirmé, c'est la

primauté du droit naturel sur tous les cas particuliers et plus personne dans l'instruction de ce procès

ne peut désormais ignorer cette primauté du droit sur les faits.

Page 128: Rapport Fait colonial

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Rousseau (1712-1778) : « esclavage et droit sont contradictoires ».

Fils d'un horloger genevois, il s'enfuit à seize ans pour échapper à la brutalité d'un patron qui lui

enseigne la gravure et commence une existence errante et mouvementée (laquais, précepteur,

secrétaire d'ambassade...).

Autodidacte, il se fait connaître par sa réponse à la question mise au concours par l'Académie de

Dijon : « Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou épuré les mœurs ». C'est

en répondant négativement à cette question que Rousseau se fait connaître, suscitant objections et

polémiques. En 1753, Rousseau décide de répondre à la question nouvellement posée : « Quelle est

l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? » Dans cet

ouvrage, il développe l'idée selon laquelle « l'homme est naturellement bon et il est devenu mauvais

par les institutions », c'est l'invention de la propriété qui marque l'apparition de l'inégalité : l'homme

ajoute à la nature des barrières qui empêchent les autres de cultiver la terre et, pour protéger ces

barrières un droit, des lois qui « renforcent » le fort et affaiblissent les faibles. Se brouillant avec ses

amis encyclopédistes, d'Alembert et Diderot, il écrit un roman à succès (La Nouvelle Héloïse, 1761)

mais suite à la condamnation dès leur parution de l'Emile et du Contrat social, Rousseau est

contraint dans un premier temps à l'exil puis mène une existence isolée ; il se sent oppressé par la

crainte d'une persécution dont témoignent les Rêveries d'un promeneur solitaire et auparavant les

célèbres Confessions.

Rousseau ne se donne pas pour tache de décrire et encore moins de justifier tel ou tel système

étatique ou juridique : son propos est normatif, il affirme la nécessité d'une critique des institutions

politiques. Ce qui l'intéresse, c'est de trouver le fondement légitime de l'autorité politique, de

réfléchir aux conditions qui rendent possible une loi juste qui n'ait pas pour origine la volonté

particulière d'un tyran pour satisfaire ses appétits et réduire en esclavage ses sujets mais soit

l'expression d'une volonté générale, une loi pour tous (égalité), par tous ( liberté).

En définissant l'humanité par la perfectibilité - Rousseau est en effet l'inventeur de ce néologisme

qui désignera pour Condorcet la valeur humaine par excellence - il est le fondateur d'une

anthropologie qui a conféré à l'univers éthique issu de la Révolution française son sens

philosophique le plus profond. Capable de s'arracher à tout ce qui emprisonne l'animal « stupide et

borné », l'homme est voué à ses risques et périls à une histoire qui est celle de sa liberté.

« Puisque aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force

ne produit aucun droit, restent donc les conventions1 pour base de toute autorité légitime

parmi les hommes …

Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ;

un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens.

Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous ; la folie ne fait pas le

droit .

Quand chacun pourrait s'aliéner soi-même, il ne peut aliéner2 ses enfants ; ils naissent

hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n'a droit d'en disposer qu'eux. Avant qu'ils

soient en âge de raison le père peut en leur nom stipuler des conditions pour leur

conservation, pour leur bien-être ; mais non les donner irrévocablement et sans condition ;

car un tel don est contraire aux fins de la nature et passe les droits de la paternité...

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1. Les conventions renvoient à l'idée d'un accord mutuel entre les parties eu vue d'un avantage commun.

2. Aliéner, c'est transmettre le droit de propriété, donner ou vendre.

Renoncer à la liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité,

même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une

telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à

ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et

contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans

bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger ?

Et cette seule condition, sans équivalent, sans échange, n’entraîne-t-elle pas la nullité de

l’acte ? Car, quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient

et que, son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun

sens ?

Grotius1 et les autres tirent de la guerre une autre origine du prétendu droit d'esclavage.

Le vainqueur ayant, selon eux, le droit de tuer le vaincu, celui-ci peut racheter sa vie aux

dépens de sa liberté...

Mais (…) si la guerre ne donne point au vainqueur le droit de massacrer les peuples

vaincus, ce droit qu'il n'a pas ne peut fonder celui de les asservir....

Ainsi, de quelque sens qu'on envisage les choses, le droit d'esclave est nul, non seulement

parce qu'il est illégitime, mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage et

droit, sont contradictoires ; ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, soit

d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé : Je fais avec toi une

convention toute à ta charge et toute mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu

observeras tant qu'il me plaira » (Du contrat social, Livre I, chap. 4 de l'esclavage).

Le Contrat social n'est pas une recherche historique, un panorama des régimes et des institutions

politiques mais un exposé des principes du droit politique : « je cherche le droit et la raison et ne

dispute pas des faits » écrit Rousseau dans le Manuscrit de Genève, Pléiade III, p.295.

Le problème auquel le Contrat social tente de répondre, est : comment faire pour que les

hommes soient liés les uns aux autres sans que s'établissent entre eux des rapports de domination ?

« L'homme est libre et partout il est dans les fers », l'expression désigne non seulement les

esclaves mais aussi toutes les formes d'assujettissement selon lesquelles ceux qui dépendent de

ceux qui détiennent une position dominante, renforcée par des lois injustes, sont humiliés et avilis.

L'inégalité en droits entraîne la servitude. L'enjeu des premiers chapitres est d'examiner et de

dénoncer tout contrat usurpé tout à l'avantage des forts et au détriment des faibles, par lequel le plus

fort cherche à transformer « sa force en droit et l'obéissance en devoir » chap. 3 du droit du plus

fort. Or « force ne fait pas droit » (ibid.) et on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes.

Avant cet examen des conventions, Rousseau avait réfuté tout asservissement se réclamant d'une

autorité naturelle qui suppose une infériorité essentielle des hommes soumis à un maître ou des

peuples soumis à un despote.

1 Grotius (1583-1645) né en Hollande, son œuvre principale Du droit de la guerre et de la paix, tente un

éclaircissement philosophique des principes juridiques. Il choisit de faire du droit une science profane et laïque. On lui

doit la première doctrine nettement contractualiste.

Page 130: Rapport Fait colonial

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L'idée directrice de l'extrait ci-dessus est qu'une convention par laquelle un homme ou un peuple

se soumet à l'arbitraire d'un maître, est non seulement illégitime mais encore absurde.

Rousseau ne nie pas l'institution de l'esclavage mais lui refuse toute validité et par là même toute

autorité qui puisse obliger les hommes à s'y soumettre. Il n'y a et il ne peut y avoir de pacte ou de

contrat d'esclavage pour deux raisons qui en démontrent l'irrecevabilité radicale.

La première raison est qu'un tel pacte serait un étrange contrat, par lequel l'un donnerait tout et

ne recevrait rien. L'argumentation consiste à rappeler que lorsqu'il s'agit de la liberté, « de la qualité

d'homme », le don est inconcevable, l'homme ne peut aliéner par contrat sa liberté car donner sa

liberté, ce serait donner son être même. Ensuite un tel échange est contraire à la raison, même dans

le cas où, poussé par la misère, l'homme se vendrait en échange de sa subsistance. Celui qui vend un

certain travail ,défini, contre des aliments en guise de salaire, fait un marché, juste ou injuste, mais

ayant un sens. Mais celui qui vend sa personne en esclavage, vend des biens indéfinis - toute sa

capacité d'action - contre … rien, car le maître n'a aucune obligation envers son esclave : « N'est-il

pas clair qu'on est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger …? »

La seconde raison est la réfutation de la justification de l'esclavage par le droit de la guerre

qu'invoquaient les juristes tels Grotius ou Pufendorf1

: la vie des vaincus en échange de leur

servitude. Or pour Rousseau, la guerre même si on y pille, ravage... n'en demeure pas moins une

violence organisée et l'état de guerre ne comporte pas que l'on tue les vaincus, mais uniquement les

combattants adverses tant qu'ils combattent. Sitôt qu'ils renoncent au combat, ils sortent de l'état de

guerre, il n'y a plus rien qui peut justifier de porter atteinte à leur vie, l'on soigne les blessés

ennemis, on libère les prisonniers la guerre finie. Rousseau éclaire le concept de guerre en le

différenciant de ce que nous pouvons appeler le terrorisme qui refuse toute borne à la violence, qui

bafoue les droits subsistant même à l'état de guerre. Le vainqueur s'il renonce au meurtre, montre

par là qu'il n'est pas un assassin. Si le vainqueur contraint le vaincu à le servir, il s'agit seulement

d'un abus de la force. Justifier l'esclavage par la guerre, c'est abuser de sa force et laisser subsister le

combat, refuser la paix ; bref, selon Rousseau, ce qui est justifié, c'est la révolte des esclaves qui ne

doivent rien à leur maître dont la seule contrainte ne peut valoir obligation. M. Castillo commente

ainsi l'extrait ci-dessus : « Sans une relation morale de l'humanité à elle-même, sans une conception

morale de la qualité d'homme, antérieure au droit et condition de celui-ci, il restera possible de

justifier l'esclavage par un contrat d'échange entre la liberté et la vie, et de justifier encore

l'esclavage par la guerre. On doit à Rousseau d'avoir conçu comme un non-droit le pseudo-droit de

réduire le vaincu en esclavage. Parce que la guerre, tout simplement, est une relation entre les États,

et non entre les individus, qui n'ont aucune compétence, en l'occurrence, pour pratiquer une

quelconque justice punitive personnelle » (La citoyenneté en question, Paris, Ellipses, 2002, p. 22).

La servitude ne peut être le fruit d'un contrat librement consenti. Ou bien elle est une situation de

force sans droit, ou bien elle est le fruit d'une mystification dont l'examen manifeste l'absurdité.

Dans tous les cas, la situation de servitude, pur rapport de force plus ou moins masqué, légitime un

droit de résistance.

La liberté est à l'individu ce que, dans le livre II du Contrat social, la souveraineté est au peuple :

l'une et l'autre sont inaliénables.

1. Pufendorf (163261694), dans son ouvrage Droit de la nature et des gens, il critique les théories de l'absolutisme de

droit divin, il n'en reste pas moins partisan, à l'opposé de Rousseau, de l'idée d'un droit d'esclavage volontaire: un

homme peut se vendre et renoncer à sa liberté pour avoir la vie sauve.

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Condorcet (1743-1794): un philosophe engagé contre l'esclavage et la traite des Noirs.

Mathématicien, économiste, philosophe, encyclopédiste et homme politique, Condorcet incarne

par sa curiosité et sa volonté de « rendre la raison populaire » l'esprit des Lumières.

Elu à l'assemblée législative en 1791, il en devient président, il prévoit tout un réseau

d'institutions pour lutter contre les iniquités, dénonçant les privilèges nobiliaires et s'occupant

particulièrement de l'organisation de l'instruction publique gratuite.

Devenu membre de la Convention, il s'oppose à la peine capitale du roi et ayant protesté contre

l'arrestation des Girondins, il est proscrit. Arrêté, il est trouvé empoisonné dans sa prison (7 avril

1794). Deux mois plus tôt, la Convention avait adopté le décret de Pluviôse an II abolissant

l'esclavage ; Bonaparte, cédant à la pression influente des colons, s'empressa de le rétablir dès 1802

et l'esclavage ne fut définitivement aboli que le 27 avril 1848, suite au décret proposé par Victor

Schoelcher.

Philosophe du progrès, Condorcet considère que le sens général de l'histoire est le passage des

besoins à la raison, que l'espèce humaine ne cessera de s'améliorer, non seulement dans son

organisation matérielle et sociale, mais dans sa vie physique, plus longue et plus saine, et aussi dans

ses facultés intellectuelles et morales. Cette thèse de la « perfectibilité indéfinie » devait être

contestée dès le début du XIX° siècle, ses formulations du progrès seront néanmoins reprises durant

tout le siècle.

Partisan de l'égalité des droits entre les sexes, seul philosophe et homme politique de son temps à

s'indigner de voir les femmes traitées en mineures politiques, il prit publiquement par ses écrits

position, malgré une réprobation générale, en faveur du droit de vote pour les femmes. Enfin de

toutes les injustices et cruautés héritées du passé, aucune n'est plus odieuse à Condorcet que

l'esclavage et la traite des Noirs qu'il qualifie « d'horrible barbarie » et « d'horrible trafic ».

« Par quels traits se marque l'originalité de Condorcet (...) ? Contrairement à la philosophie des

nombreux disciples de Rousseau, ce n'est pas la volonté générale, mais la Raison qui est le moteur

du progrès humain (...). Le rôle du philosophe et du savant est de contribuer à ce progrès, d'en

accélérer la marche, par le développement des Lumières et de l'instruction publique (...).

De là découlent, pour le politique, deux impératifs. Les institutions ne valent qu'autant qu'elles

garantissent le respect des Droits de l'homme : c'est l'exigence de la liberté. Une société ne vaut

qu'autant que chaque homme y jouit de la plénitude de ses droits : c'est l'exigence d'égalité.

Comment se résigner en effet à une société où les femmes, les pauvres, les protestants, les juifs se

voient, à des degrés divers, dénier la jouissance des Droits de l'homme ? Et, pis encore, où les Noirs

se voient refuser jusqu'à la qualité d'hommes ? » (Condorcet, un intellectuel en politique, Badinter

(Elisabeth et Robert), LGF 2001 pp.287-288).

L'œuvre et l'action de Condorcet ne sont pas seulement un aboutissement de l'esprit des

Lumières, par bien des aspects il fut aussi un précurseur invitant à la vigilance civique : « une

association où la tranquillité générale exigerait la violation du droit des citoyens et des étrangers ne

serait plus une société d'hommes, mais une troupe de brigands ».

Page 132: Rapport Fait colonial

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Extraits de Réflexions sur l'esclavage des Nègres et leurs commentaires.

Dans la première édition de 1781, les Réflexions sont présentées comme le texte d'un suisse du

nom de Schwartz ( en allemand noir) ; la symbolique de ce pseudonyme par identification à la cause

des Noirs, est évidente.

Dans cet ouvrage, Condorcet réfute les arguments cherchant à justifier la nécessité de l'esclavage

et de la traite. Ce n'est pas qu'un débat d'idées mais un combat politique, il convient en effet d'avoir

à l'esprit les intérêts économiques considérables que la traite et l'esclavage généraient d'une part au

profit des armateurs négriers principalement de Nantes, Bordeaux, Marseille, Le Havre dont le

trafic était d'autant plus prospère que l'Etat le soutenait par des primes, et, d'autre part, au profit des

planteurs pour qui cette domination sociale laissait impunie une exploitation sans bornes.

Rééditées en 1788, à la veille de la Révolution, les Réflexions reçoivent un écho cette fois

retentissant en faveur de la cause anti-esclavagiste qui s'organise en fondant la Société des Amis des

Noirs sur le modèle d'associations déjà existantes en Angleterre et aux Etats-Unis. Autour de

Condorcet, on compte parmi les membres de la Société Brissot, Mirabeau, l'abbé Grégoire, La

Fayette, Lavoisier.

« Réduire un homme à l'esclavage, l'acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce

sont de véritables crimes […]. En effet, on dépouille l'esclave, non seulement de toute

propriété mobilière ou foncière, mais de la faculté d'en acquérir, mais de la propriété de son

temps, de ses forces, de tout ce que la nature lui a donné pour conserver sa vie ou satisfaire ses

besoins. A ce tort on joint celui d'enlever à l'esclave le droit de disposer de sa personne.

Ou il n'y a point de morale, ou il faut convenir de ce principe. Que l'opinion ne

flétrisse point ce genre de crime ; que la loi du pays ne le tolère ; ni l'opinion, ni la loi ne

peuvent changer la nature de ses actions: et cette opinion serait celle de tous les hommes; et le

genre humain assemblé aurait d'une voix unanime, porté cette loi, que le crime resterait

toujours un crime ». (Réflexions sur l'esclavage des Nègres, Mille et une nuits, Fayard, 2001,

chap. I, p. 7-8).

Cette ouverture des Réflexions est une condamnation sans appel de l'esclavage, le qualifiant de

“crime”. Condorcet définit la condition d'esclave : la servitude lui ôte tout droit sur les choses, son

activité, sa propre personne, une telle servitude fait violence au droit naturel. Le maître d'esclaves

porte atteinte à l'intégrité physique et psychique de l'esclave, disposant à sa guise de sa force de

travail, voir de sa vie en toute impunité.

Condorcet revient dans le chapitre IV sur la différence entre la servitude et les autres formes de

soumission qui relèvent de convention, d'un recours possible à des droits et à des sanctions en cas

de violation. Celui qui peut juridiquement être protégé des abus de pouvoir qu'un homme exerce sur

lui, n'est pas esclave. Celui qui, sans droit, est à la merci des caprices et de l'avidité du maître, est

esclave.

« Ou il n'y a point de morale, ou il faut convenir de ce principe ». Condorcet souligne que ce

principe ou fondement de toute légitimité ne peut être confondu avec « l'opinion » ou « la loi du

pays ». Il s'agit d'un principe de la raison qui se distingue et s'oppose à l'opinion entendue ici

comme un ensemble de préjugés, de même ce principe permet de critiquer la « loi du pays », dès

lors que celle-ci se rapporterait à l'ensemble des coutumes ou législations autorisant la pratique de

Page 133: Rapport Fait colonial

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l'esclavage. Toute opinion et toute institution prétendant justifier l'esclavage, est contraire aux droits

de l'homme. Les esclaves étant exclus à faire valoir leur droit à l'expression, la majorité, voire

l'unanimité des suffrages en faveur de l'esclavage ne peut rien y changer: l'esclavage est un crime

contre l'humanité. Condorcet refuse toute forme atténuée de critique de l'esclavage, une telle

critique ne serait, au fond, qu'une complaisance ou une complicité à l'égard de sa pratique. Une loi

autorisant la pratique de l'esclavage, protégeant la violation du droit naturel, est injuste. La force

publique au service d'une telle loi commet elle-même un crime.

Dans la suite de l'ouvrage, Condorcet réfute les motifs de « prospérité du commerce », « de

richesse nationale », qui, même d'un point de vue strictement économique, ne peuvent faire

prévaloir que par courte vue et faussement la nécessité de l'esclavage puisqu'une conception

économique élargie au moyen terme démontre une productivité accrue d'un système non

esclavagiste. Mais, de toute façon, aucun intérêt économique ne peut être mis en balance avec les

exigences de justice liées au principe du droit naturel. Condorcet reconnaît que les exigences des

droits de l'homme sont violées non seulement du fait de l'avidité des colons mais par les Etats et,

selon sa formule superbe, par « la doctrine ordinaire des politiques » alors même que « l'intérêt de

puissance et de richesse d'une nation doit disparaître devant le droit d'un seul homme » (chap. V p.

19). Il nous instruit ainsi des tensions toujours actuelles entre la défense des droits de l'homme et les

intérêts économiques d'un Etat.

« Ce n'est donc pas l'intérêt d'augmentation de culture qui fait prendre la défense de

l'esclavage des Nègres ; c'est l'intérêt d'augmentation de revenu des colons. Ce n'est pas

l'intérêt patriotique plus ou moins fondé ; c'est tout simplement l'avarice et la barbarie des

propriétaires. La destruction de l'esclavage ne ruinerait ni les colonies, ni le commerce ; elle

rendrait les colonies plus florissantes ; elle augmenterait le commerce. Elle ne ferait d'autre

mal que d'empêcher quelques hommes barbares de s'engraisser des sueurs et du sang de leurs

frères. En un mot la masse entière des hommes y gagnerait, tandis que quelques particuliers

n'y perdraient que l'avantage de pouvoir commettre impunément un crime utile à leurs

intérêts.

On a prétendu disculper la traite des Nègres, en supposant que l'importation des Nègres est

nécessaire pour la culture : c'est encore une erreur.

Les femmes nègres sont très fécondes ; les habitations bien gouvernées s'entretiennent,

même sous la servitude, sans importation nouvelle. C'est l'incontinence, l'avarice et la cruauté

des Européens qui dépeuplent les habitations ; et lorsqu'on prostitue les Négresses pour leur

voler ensuite ce qu'elles ont gagné ; lorsqu'on les oblige, à force de traitements barbares, de se

livrer, soit à leur maître, soit à ses valets ; lorsqu'on fait déchirer devant elles les Noirs qu'on

les soupçonne de préférer à leurs tyrans ; lorsque l'avarice surcharge les Nègres de travail et

de coups, ou leur refuse le nécessaire ; lorsqu'ils voient leurs camarades, tantôt mis à la

question, tantôt brûlés dans les fours pour cacher les traces de ces assassinats : alors ils

désertent, ils s'empoisonnent, les femmes se font avorter, et l'habitation ne peut se soutenir

qu'en tirant d'Afrique de nouvelles victimes. Il est si peu vrai que la population des Nègres ne

puisse se recruter par elle-même, qu'on voit la race des Nègres marrons se soutenir dans les

forêts, au milieu des rochers, quoique leurs maîtres s'amusent à les chasser comme des bêtes

fauves, et qu'on se vante d'avoir assassiné un Nègre marron, comme en Europe on tire vanité

d'avoir tué par derrière un daim ou un chevreuil » (chap. VI, p. 24 à 27).

Page 134: Rapport Fait colonial

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Le moins que l'on puisse soutenir, c'est que la critique de Condorcet ne relève ni de la prudence,

ni des accommodements, elle dévoile des raisons et des violences habituellement masquées par les

partisans de l'esclavage : « l'avarice et la barbarie des propriétaires ». L'esclavage corrompt toute

société, en portant atteinte à l'usage de la liberté à la fois des maîtres et des esclaves. Il n'y a là qu'un

paradoxe apparent : les maîtres sont prisonniers non seulement de leurs préjugés mais de leur

avidité et leur soif de domination sans bornes sur leurs esclaves ; quant à ces derniers, subissant

l'oppression, ils sont victimes d'un manque d'éducation, l'effet le plus pernicieux de l'esclavage car

seule l'éducation permet de faire usage de la liberté sans préjudice pour autrui et pour soi.

« L'abrutissement contracté dans l'esclavage » (chap. V p. 17), ce méfait terrible mais remédiable

commande le devoir d'abolir l'esclavage, devoir indissociablement moral et politique supposant

l'égalité de droits pour tout homme, notamment un droit à l'instruction. Un autre effet corrupteur

consisterait dans l'imitation « des vices et de l'exemple de leurs maîtres » (ibid). Ou encore « avilis

par les outrages de leurs maîtres, abattus par leur dureté, ils sont encore corrompus par leur

exemple » (chap. VIII p. 33). Tous ces extraits confirment en tout cas un engagement militant qui

relativise et infirme en ce qui concerne Condorcet la thèse de l'indifférence ou des compromissions

des philosophes des Lumières envers l'esclavage.

Une société véritable où prévaut le souci de se donner des lois légitimes, est totalement

inconciliable avec l'esclavage, tout comme l'intérêt général. « En un mot la masse entière y ( à la

destruction de l'esclavage) gagnerait, tandis que quelques particuliers n'y perdraient que l'avantage

de commettre impunément un crime utile à leurs intérêts ».

Quant à la nécessité de poursuivre une traite incessante, Condorcet démontre qu'il ne s'agit que

d'une conséquence des iniquités de la condition servile, il convient d'en analyser les causes : la

misère et le désespoir liés aux traitements subis par les esclaves.

L'indignation de Condorcet face à la négation de l'humanité des Noirs confrontés sans recours

possible à la torture ou l'assassinat, est d'autant plus convaincante qu'elle s'appuie sur une

investigation informée des pratiques dans les colonies selon les Etats, des Amériques, des Antilles

aux Philippines en passant par Madagascar (cf. note1, chap. IX, pp. 36-37 ). La poursuite de la

traite, cet « horrible trafic », qui perpétue et entretient en quelque sorte la violence et les abus sur

les esclaves, rabaissés au statut de bêtes, renouvelables par l'importation de nouveaux esclaves.

Cette argumentation permet aussi de comprendre pourquoi Condorcet et la Société des Amis des

Noirs préconisaient l'interdiction immédiate de la traite ce qui entraînerait de facto des conditions

de vie un peu moins exposées à la brutalité des maîtres.

Bref, aucune justification de l'esclavage et de la traite ne peut contrebalancer « les raisons de

justice qui obligent le législateur, sous peine de crime, à détruire un usage injuste et barbare ».

Dans la suite de ses Réflexions, Condorcet s'en prend aux préjugés que les partisans des abus ont

su répandre pour perpétuer une situation intolérable, il esquisse avec lucidité les résistances, les

détournements de l'esprit des lois que tout changement de l'ordre colonial ou de simples

amendements ne manqueront pas de susciter, les colons s'en servant pour rendre encore plus dur le

sort des esclaves, ou encore le risque de manipulations à propos des rébellions d'esclaves (celles-ci

seront, en effet, l'objet de toutes sortes de falsification). Lui-même fut poursuivi par une vindicte

hargneuse par les partisans de l'ordre colonial : « la passion est devenue si vive, la haine si intense,

chez certains planteurs, qu'Arthur Dillon (élu aux Etats généraux par la noblesse martiniquaise)

Page 135: Rapport Fait colonial

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s'écrie lors d'une discussion à propos de l'esclavage : Il [ Condorcet] ne périra que de ma main ! »

(E. et R. Badinter, op.cit., p.337).

La Société des Amis des Noirs dont Condorcet fut un membre très actif, redoutait que l'abolition

immédiate, pourtant seule « conforme à la justice », ne trouble la « sûreté publique » notamment du

fait « de la fureur de leurs maîtres, offensés à la fois dans deux passions bien fortes, l'avidité et

l'orgueil ; car l'homme accoutumé à se voir entouré d'esclaves, ne se console point de n'avoir que

des inférieurs » (chap. V, p. 19) et qu' une abolition précipitée n'aboutisse en définitive qu'à différer

son application effective en renforçant les partisans de l'ordre colonial. Nous avons déjà mentionné

le fait que l'abolition votée en 1790 suite aux événements de Saint Domingue, sera remise en cause

par le décret de 1802 rétablissant l'esclavage, la traite et le Code noir. Un décret en 1815 abolira à

nouveau la traite mais il faudra attendre la loi de 1818 complétée par celle de 1831 en raison de la

mauvaise, voire de la non-exécution de la première pour rendre effective la fin de la traite. Le sens

politique de Condorcet n'avait pas sous-estimé les résistances.

« Les hommes qui osent assurer que l'esclavage des Nègres est nécessaire, ne manquent

guère d'ajouter à leurs ouvrages un petit projet de lois pour adoucir le sort des malheureux

qu'ils outragent: mais eux-mêmes ne croient pas à l'efficacité de ces lois, et ils ajoutent

l'hypocrisie à la barbarie. Ils savent bien que tout appareil ne sauvera pas aux Nègres un seul

coup de fouet, n'augmentera point d'une once leur misérable nourriture. Mais, colons eux-

mêmes, ou vendus aux colons, ils veulent du moins endormir les gouvernements, arrêter le

zèle de ceux des gens en place dont l'âme ne s'est pas dégradée au point de regarder comme

honnête tout ce qu'il est d'usage de laisser impuni. Ils semblent craindre, tant ils font honneur

à leur siècle, que les gouvernements n'aient pas assez d'indifférence pour la justice, et que la

raison et l'humanité n'aient trop d'empire » (chap. X, p. 47).

Renouant avec l'ironie d'un Montesquieu ou d'un Voltaire, Condorcet montre qu'il n'est pas dupe

d'une propagande coloniale, du hiatus entre la compassion affichée et la détermination à perpétuer

le statu quo, relevant les tensions sous-jacentes et inévitables entre colons et gouvernements qui

chercheraient vraiment à abolir l'ordre colonial. Du fait des intérêts économiques en jeu y compris

en métropole, le courant esclavagiste a su constitué ce que l'on appelle aujourd'hui un lobby

formant de puissants réseaux en particulier dans les chambres de commerce des grands ports de la

traite. Sur place les colons exercent un pouvoir corrupteur à l'égard des « magistrats », des cadres

d'entreprise et de leurs employés, « tous des hommes qui vont chercher dans les îles une fortune à

laquelle ils ne peuvent prétendre en Europe » ; quant aux « officiers français » ils se laissent séduire

par l'hypocrisie des colons, et par une sorte d'habitus en commun avec les colons, « ils ont, ou cédé

au préjugé qui fait croire l'esclavage nécessaire, ou manqué de courage qu'il faut pour s'occuper des

moyens de détruire la servitude des Nègres » (ibid. p. 49). Enfin, Condorcet souligne indirectement

l'hommage que les esclavagistes dans leurs efforts à contrecarrer tout progrès de la justice rendent

au siècle des Lumières épris la raison et l'humanité.

« Après tout, dit-on, les Nègres ne sont pas si maltraités que l'ont prétendu nos

déclamateurs philosophes; la perte de la liberté n'est rien pour eux. Au fond, ils sont même

plus heureux que les paysans libres de l'Europe. Enfin, leurs maîtres étant intéressés à les

conserver, ils doivent les ménager du moins comme nous ménageons les bêtes de somme.

Page 136: Rapport Fait colonial

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De ces quatre assertions, aucune n'est vraie. Les Nègres sont beaucoup plus maltraités

qu'on ne le croit en Europe: j'en juge, non par les livres qu'impriment leurs maîtres, mais par

les aveux qui leur échappent ; j'en juge par le témoignage d'hommes respectables, que ce

spectacle a rempli d'horreur. Je ne prends pas l'indignation qu'ils montrent pour de la

déclamation, parce que je ne crois pas qu'un homme doive parler froidement d'excès qui

révoltent la nature [...]. Je crois enfin ceux qui ont décrit les horreurs de l'esclavage des

Nègres, parce qu'ils sont exempts d'intérêt, parce qu'on n'en peut avoir aucun (d'ignoble du

moins) à combattre pour les malheureux Noirs. Je rejette au contraire le témoignage de ceux

qui défendent la cause de l'esclavage, qui proposent de l'adoucir par des lois, lorsque je vois

qu'ils ont ou qu'ils espèrent des emplois par le crédit des colons, qu'ils ont eux-mêmes des

esclaves, qu'enfin, ils ont été dans les îles ou les protecteurs, ou les complices de la tyrannie; et

je doute qu'on ne puisse citer en faveur de l'esclavage, le témoignage d'aucun homme tiré

d'une autre classe. Malheur à une cause contre laquelle se sont réunis tous ceux qui n'ont

point un intérêt personnel à soutenir !

La perte de la liberté est beaucoup pour les Nègres ; il n'y a point d'hommes pour qui elle

ne soit un grand malheur [...].

On a osé dire que les Nègres sont mieux […] que les paysans de France ou d'Espagne […]

mais jamais on a pu regarder (cette allégation) comme une assertion réfléchie. Dans les pays

dont on parle, il y a sans cesse, à la vérité, une petite partie du peuple qui se détruit par la

misère; mais il est fort douteux qu'un mendiant soit plus malheureux qu'un Nègre ; et si on

excepte les temps des calamités ou les malheurs particuliers, la vie du journalier le plu pauvre

est moins dure, moins malheureuse que celle des Noirs esclaves [...].

On a dit encore : le colon, intéressé à conserver ses Nègres, les traitera bien, comme les

Européens traitent bien leurs chevaux [...].

Tel est l'exemple qu'on propose sérieusement, pour montrer qu'un esclave sera bien traité,

d'après ce principe, que l'intérêt de son maître est de le conserver ! comme si l'intérêt du

maître pour l'esclave, ainsi que pour le cheval, n'était pas d'en tirer […], pendant qu'ils

dureront, un plus grand profit ! D'ailleurs, un homme n'est pas un cheval, et un homme mis

au régime de captivité du cheval le plus humainement traité, serait encore très malheureux.

Les animaux ne sentent que les coups ou la gêne ; les hommes sentent l'injustice et l'outrage.

Les animaux n'ont que des besoins, mais l'homme est misérable par les privations. Le cheval

ne souffre que de la douleur qu'il ressent ; l'homme est révolté de l'injustice de celui qui le

frappe. Les animaux ne sont malheureux que pour le moment présent; le malheur de l'homme

dans un instant embrasse toute sa vie. En fin, un maître a plus d'humeur contre ses esclaves

que contre ses chevaux, et il a plus de choses à démêler avec eux. Il s'irrite de la fermeté de

leur maintien, qu'il appelle insolence ; des raisons qu'ils opposent à ses caprices, du courage

même avec lequel ils essuient ses coups et ses tortures » (chap. XII, p. 58 et suivantes).

Condorcet qualifie les partisans de l'esclavage d'adversaires des Lumières, ils veulent discréditer

les propos des philosophes dont ils soupçonnent le danger qu'ils représentent à discerner leurs

contre- vérités et leurs préjugés. Condorcet, en effet, dissèque une à une les assertions en faveur de

l'esclavage selon lesquelles le sort des nègres esclaves ne serait pas en réalité si blâmable ; bref,

notre philosophe contrecarre tout l'argumentaire de propagande pour maintenir l'esclavage. Toutes

les affirmations qui tendent à masquer la misère et le malheur des esclaves sont fausses. Condorcet

Page 137: Rapport Fait colonial

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décèle le principe sous-jacent à toutes ces affirmations : une discrimination essentielle entre les

hommes, une hiérarchie tranchée entre les ayant droits et les sans droits et enfin le mépris. Celui-ci

se manifeste le plus vigoureusement en déniant aux esclaves le désir et l'usage de la liberté : « la

perte de la liberté n'est rien pour eux ». Or dès lors que la liberté est la « qualité d'homme » comme

l'écrit Rousseau, cela revient à ne pas considérer les esclaves en tant qu' hommes avec les droits et

les devoirs de l'humanité qui s'y attachent. A cette terrifiante humiliation et avilissement,

Condorcet, dans cet ouvrage datant de 1781, réplique par une déclaration solennelle et universelle :

« il n'y a point d'hommes pour qui elle (la perte de la liberté) ne soit un grand malheur ».

Condorcet ne peut accepter l'indifférence ou ce sentiment d'humanité restreint à plaindre

seulement les maux que l'on a sous les yeux. Quant à ceux qui accusent les philosophes de «

déclamations », leur objectif est de détourner l'opinion de juger l'indignation fondée qui s'y exprime

et qui traduit la compassion d'un homme à l'égard de la souffrance d'un autre homme. L'inhumanité

de l'esclavage, c'est précisément de ne pas tenir les esclaves comme appartenant à l' humanité. Enfin

Condorcet, philosophe engagé à la charnière du débat intellectuel et de l'action politique, s'en prend

à la posture d'un froid cynisme, au sens moderne du mot, qui cultive l'impassibilité devant l'«

horreur » et la laisse s'exercer, et lui oppose un cœur intelligent et une raison sensible.

Les arguments des partisans de l'esclavage sont analysés dans une perspective de ce que

l'acception marxiste appellera idéologie, c'est-à-dire des arguments à situer dans les conditions

historiques sous la loupe des jeux d'intérêts et d'alliances. Ainsi Condorcet s'en prend à la véracité

des discours de ceux qui défendent la cause de l'esclavage car leur « intérêt » les pousse à être

«complices de la tyrannie».

L'on jugerait mal les propos de Condorcet si l'on les réduisait à une harangue militante : l'enjeu

véritable est moral et politique, cosmopolite même, il éclaire le sens de sa réflexion et de son

combat : il y a ceux qui défendent des intérêts particuliers et ceux qui s'engagent « exempts d'intérêt

».

Le combat contre l'esclavage s'est joué non seulement sur l'idée soutenue par plusieurs

économistes de l'époque comme Adam Smith dans son ouvrage sur la Richesse des nations (1776),

que l'esclavage est moins efficace que le travail libre, mais d'abord et surtout sur l'idée de sujet

humain comme autonomie et sur l'idée que l'esclavage est moralement dégradant( pour l'esclave et

pour le maître). Dans le mouvement d'idées qui a su mobiliser l'opinion publique en faveur de

l'antiesclavagisme, l'idée prévalente est que tous les humains partagent les mêmes caractéristiques

ce qui les oblige réciproquement à une solidarité éthique et cosmopolite. Même les personnes qui ne

possèdent pas des esclaves sont responsables du sort fait aux esclaves : le prix du café, du sucre, des

cotonnades ne peut être mis en balance avec le déshonneur qui ferait ignorer les larmes et le sang

des hommes esclaves. Il n'est pas anodin de relever que la discussion sur l'esclavage fait intervenir

pour la première fois dans l'histoire la notion de consommation. La lutte contre l'esclavage apparaît

comme un paradigme de la primauté des convictions morales sur toutes les autres considérations

d'intérêts économiques.

La critique philosophique de l'esclavage témoigne en tout cas de la puissance d'un mouvement

d'idées fournissant un cadre de référence pour la remise en cause de l'esclavage, autant par des

esclaves que par des citoyens libres et produisant des effets politiques et juridiques.

Page 138: Rapport Fait colonial

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Mots clés

Esclavage / citoyenneté / droit positif / droit naturel / droits de l'homme / cosmopolitisme /

dignité / justice / liberté / Lumières / raison .

Pistes de travail

Qu'est-ce qu'être esclave?

Racisme et esclavagisme.

Qu'est-ce qu'être citoyen?

Faut-il opposer la force et le droit?

Les droits de l'homme: un problème moral ou un problème juridique?

Qu'est-ce un pouvoir politique légitime?

L'avis de la majorité suffit-il à légitimer une décision d'ordre politique?

Classes et matières concernées: histoire troisième et seconde, éducation civique, juridique et

sociale de la seconde à la terminale, philosophie terminale toutes séries.

Pour aller plus loin...

Maîtres et valets.

L’ordre que l’on croyait immuable s’est retourné contre les privilégiés… Le maître a trouvé son

maître en la personne de son valet !

La comédie retrace ce lent retournement de situation. Sous Molière, Scapin a déjà conquis le

premier rôle. Avec le XVIII ° siècle, Marivaux et Beaumarchais montrent des valets qui s’opposent

à leurs maîtres et leur donnent la leçon. Au contact direct de la réalité, les valets ont développé ce

qui relève dans la comédie de la débrouillardise une sagacité ostentatoire et déplacée aux yeux de

leurs maîtres. Ils ont su tirer de la société un enseignement qui les place à présent en situation de

supériorité par rapport aux maîtres qui se déshonoreraient à se confronter à la réalité sociale.

L’essentiel de la relation dialectique unissant le maître à son esclave, le maître à son valet est

donc déjà sensible dans la littérature des Lumières, avant même que le philosophe Hegel ne lui

donne sa vigoureuse formulation dans la Phénoménologie de l’Esprit.

Rappelons brièvement quelques traits de cette dialectique. Le maître ne domine que par ses

ordres mais il reste à l'écart de l'œuvre humaine. Il s'avilit dans la jouissance des fruits du travail

fourni par l'esclave. Celui-ci transforme la nature par le travail et par là se transforme lui-même : en

formant les choses, il se forme lui-même, développe son ingéniosité et des capacités humaines, il

s'élève ainsi au-dessus du maître.

C'est donc du côté de l'esclave qui travaille que l'on trouve le véritable moteur de l'histoire

émancipatrice de l'homme.

De plus, la reconnaissance du maître dépend en définitive de l'esclave; la reconnaissance

véritable ne peut être unilatérale et inégale, la reconnaissance de l'autre dans son humanité implique

réciprocité à la fois des libertés et des droits. Quand cette reconnaissance sera-t-elle non seulement

formelle mais effective ?

Page 139: Rapport Fait colonial

139

Hannah Arendt ou une réflexion critique sur l'impuissance des droits de l'homme contre

tous les abus de pouvoir.

Dans la deuxième partie sur Les origines du totalitarisme intitulée « L'Impérialisme » avec pour

exergue cette citation de Cecil Rhodes : « Si je le pouvais, j'annexerais les planètes », Arendt

entreprend l'analyse du Léviathan de Hobbes, son identification de l'intérêt privé à l'intérêt public,

sa logique démystificatrice de l'État de droit ; elle le cite : « La Raison... n'est rien d'autre que des

Comptes » (éd. du Seuil, coll. Points, 1997, p.36). Elle établit plus ou moins explicitement que

l'expansion coloniale ayant entraîné une déshumanisation des liens sociaux au profit d'une violence

désinhibée des rapports humains, par son échelle rendra possible la tuerie de la Première Guerre

mondiale, laquelle, à son tour, rend possibles la barbarie nazie qui désigne les Juifs pour être

exterminés et certaines minorités comme des races serviles, ainsi que le totalitarisme stalinien.

Sans doute convient-il de nuancer une telle analyse en rappelant qu'après les guerres mondiales, les

survivants des troupes coloniales venues sur les champs de bataille européens et orientaux

retournèrent chez eux plus sensibilisés au respect des droits de l'homme et à l'auto-détermination

des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Arendt nous rend toutefois vigilants à repérer de nouvelles formes de réification: ainsi une

incapacité certaine des Etats nations à traiter les apatrides en personnes légales puisque privés du

statut juridique de citoyens, ce qui donne évidement à réfléchir sur le statut de ce que nous appelons

aujourd'hui des sans-papiers, leur situation remet en question le principe même de l'égalité juridique

de nos États- nations. Que sont les droits de l'homme dissociés des droits du citoyen ?

L'analyse d'Arendt sur les origines du totalitarisme est aussi éclairante sur ce qui a pu faire la

force du système colonial et ses fonctionnaires de la violence. L'adhésion massive au seul point de

vue justifiant le système a partiellement annihilé la capacité de distinguer entre le bien et le mal,

notre auteur dénonce un tel phénomène qualifié de « banalité du mal ».

Pistes de travail

Comment juger un crime contre l'humanité ?

L'apatride : à quels droits peut-il prétendre ?

Bibliographie

Hannah Arendt, Eichman à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Folio-Histoire,

Gallimard, 1997.

Du commerce équitable.

Montesquieu avait demandé à ses lecteurs de réfléchir sur le processus de production du sucre et

si le désir d'un bas prix pouvait justifier le déshonneur d'un travail forcé, il encourageait chacun à

expérimenter en imagination le renversement des rôles entre maître et esclave.

De nos jours, un courant d’opinion, soucieux d’équité dans les échanges, demande à des gens

ordinaires d’imaginer le renversement des rôles entre producteur contraint et consommateur libre.

Ce que l’on tourne au fond de sa tasse de café ou de thé, c’est du temps de vie aliéné, du travail

exploité.

Page 140: Rapport Fait colonial

140

La consommation est bel et bien morale et politique. Contre le fétichisme de la marchandise,

métaphore utilisée par Marx (Le Capital livre V, chap.1, section 4) pour décrire et démystifier la

valeur en soi d’une marchandise coupée du rapport social aux hommes, il convient à tout

consommateur de penser au processus de production y compris dans sa dimension écologique et

préférer payer un prix qui permet de ne plus autant léser la force de travail des producteurs.

Des servitudes contemporaines

La démarche vise à dissiper confusions et amalgames, à éviter un usage trop large du terme

esclavage à propos d'autres formes de domination et d'exploitation, si scandaleuses soient-elles.

Les différentes formes contemporaines de la servitude ne peuvent pas s'appuyer sur une

légitimité ou une légalité déniant l'humanité de ceux qui sont asservis, il n'existe plus aujourd'hui un

système massif, complet, institutionnel justifiant l'esclavage.

Il convient de ne pas identifier esclavage et servitude. L'esclavage peut être défini comme l'état

ou la condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété, l'esclave

équivaut en ce sens à une marchandise, alors que la servitude ne suppose pas la propriété de

l'individu. Ainsi le travail forcé n'implique pas la propriété de l'individu par son employeur. Mais du

fait de l'exercice de la contrainte, de la violence ou de sa menace, le travail forcé doit être aboli

« dans le plus bref délai possible », selon la Convention de 1930 de l'Organisation internationale du

travail.

Il y a un écart entre le droit et les faits. Par exemple en Inde, le droit proscrit le travail des

enfants de moins de dix ans. On peut s'interroger sur la légitimité de l'âge légal ainsi prescrit. Les

faits eux n'en ont cure puisque le travail des enfants de moins de dix ans se compte par dizaines de

millions avec une incertitude effrayante.

Une des raisons des formes de servitudes contemporaines, outre les intérêts économiques, est à

rechercher dans la part d'ombre et d'illégalité qui s'accroit au cœur de nos institutions ce qui pose le

problème de leur complaisance active ou passive et parfois même celle de leurs victimes.

Nelly Schmidt dans son ouvrage L'abolition de l'esclavage (éd. Fayard 2005), rapporte cette

indication fournie par les organismes internationaux : « Le Bureau international du travail et le Haut

Commissariat aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies estiment aujourd'hui, au

début du XXI° siècle, le nombre d'adultes vivant en situation d'esclavage dit traditionnel à 27

millions de personnes. Les mêmes instances évaluent le nombre d'enfants et de jeunes gens (de 5 à

17 ans) travaillant dans des conditions assimilables à l'esclavage entre 250 et 300 millions ». Cette

information diffusée reste le plus souvent sans suite. Nelly Schmidt souligne que « l'indifférence

globale d'une opinion publique pourtant informée ne fait que conforter cet état de fait » (ibid. p.

318).

Force est de reconnaître que les recommandations des organismes internationaux sont sans effet

dès lors que les gouvernements nationaux eux-mêmes ne prennent aucune mesure. Cela pose le

problème de l' application du droit, le recours nécessaire à la force au service du droit pour ne pas

laisser s'étendre les zones de non-droit.

Que faire toutefois face à des États nationaux qui abritent, dissimulent ou engendrent la servitude

? Il y a un paradoxe : le droit international reposait sur la non-ingérence au nom du principe de la

souveraineté des États, alors que les défenseurs de la sauvegarde des droits de l'homme et des

Page 141: Rapport Fait colonial

141

libertés fondamentales réclament un droit d'ingérence dès lors qu'il y a violation massive et

incontestable de ces droits et de ces libertés.

Le refus de ce droit d'ingérence invoque la difficulté à fonder la légitimité d'un dispositif global:

qui décide de s'ingérer chez qui, au nom de quoi ? existe-t-il, au-dessus des États, une communauté

internationale ? quelle en serait sa substance : juridique, politique, normative ?

Ceux qui défendent le droit d'ingérence le distinguent des autres ingérences prises dans un

rapport de forces où le puissant vient imposer sa volonté au faible ; le droit d'ingérence ne peut être

légitime que parce qu'il porte secours aux victimes, l'objectif n'est pas seulement humanitaire mais

politique, un pouvoir ne pourra plus se réfugier derrière le principe de souveraineté lorsqu'il s'est

discrédité par sa violation massive des droits de l'homme, il ne doit plus pouvoir massacrer

impunément à l'abri de ses frontières. En ce sens, cette ingérence prétend venir en assistance aux

peuples contre les abus de pouvoir de leurs dirigeants.

La mise en place, dans les esprits et dans les instituions au niveau international du principe du

droit d'ingérence constitue sans doute l'une des grandes aventures de ce siècle sur le plan juridique

et politique. L'idée semble s'imposer que la souveraineté des États n'est plus opposable au libre

accès aux victimes ou aux populations en détresse. Le droit d'ingérence ne fait fi de la souveraineté

des États que dans des situations extrêmes où l'une au moins des parties du conflit est déjà sortie du

droit.

Pistes de travail

- Pouvez-vous donner des exemples de situation concernant les enfants en violation de leurs

droits ? concernant les adultes ?

- Quels sont les problèmes que soulève le droit d'ingérence ?

- Pour que les recommandations ne demeurent pas des déclarations de principe sans effet,

quels sont, selon vous, les meilleurs moyens pour lutter contre les servitudes

contemporaines ?

Bibliographie

. Michèle Métoudi et Jean-Paul Thomas, Abolir l'esclavage, Gallimard Education 1998.

. M. Bettati, Le droit d'ingérence, mutation de l'ordre international, Odile Jacob ,1996.

. Ph. Moreau Deforges, Un monde d'ingérences, Presses de Sciences Po, 2000.

Page 142: Rapport Fait colonial

142

Du commerce équitable.

Montesquieu avait demandé à ses lecteurs de réfléchir sur le processus de production du sucre et

si le désir d'un bas prix pouvait justifier le déshonneur d'un travail forcé, il leur demandait aussi

d’imaginer le renversement des rôles entre esclave et maître.

De nos jours, un courant d’opinion, soucieux d’équité dans les échanges, demande à des gens

ordinaires d’imaginer le renversement des rôles entre producteur contraint et consommateur libre.

Ce que l’on tourne au fond de sa tasse de café ou de thé, c’est du temps de vie aliéné, du travail

exploité.

La consommation est bel et bien morale et politique. Contre le fétichisme de la marchandise,

métaphore utilisée par Marx (Le Capital livre V, chap.1, section 4) pour décrire et démystifier la

valeur en soi d’une marchandise coupée du rapport social aux hommes, il convient à tout

consommateur de penser au processus de production y compris dans sa dimension écologique et

préférer payer un prix qui permet de ne plus autant léser la force de travail des producteurs.

La réflexion sur le commerce équitable même si l'expression est plus contemporaine, s'inscrit en

fait dans une histoire longue dont Montesquieu n'est lui-même qu'un héritier avec le mérite

toutefois d'oser l'appliquer concrètement à la réalité coloniale.

2- ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR

Page 143: Rapport Fait colonial

143

LES FORMES DE RESISTANCE A L’ESCLAVAGE

EXEMPLES EN GUYANE FRANÇAISE ET HOLLANDAISE

(XVIIe SIECLE Ŕ XVIII

e SIECLES)

Présentations générale

La résistance à la servitude est inhérente à l’existence même de l’esclavage et s’observe dès

l’arrivée des premiers esclaves dans les colonies. Elle se décline sous diverses formes.

- Se laisser mourir (dès le départ d’Afrique, sur les navires négriers, dans les habitations…) est le

moyen le plus radical de se soustraire à la domination du blanc.

- Faire preuve de mauvaise volonté dans l'exécution des ordres au quotidien (brocardage des

colons, lenteur au travail, etc.) est une autre façon de contrer l'esclavage.

- Limiter autant que faire se peut sa descendance, c'est soustraire des esclaves potentiels à la

domination du maître.

- Se révolter et fuir est un choix que font certains captifs dès le départ des côtes africaines, ainsi

qu’en témoignent les journaux de bord des capitaines de navires négriers59

. Pour d’autres, ce sera

plus tard, lorsque, vendus à un colon, ils deviennent esclaves d’une plantation. La fuite prend alors

deux formes : on parle de « grand marronnage » et de « petit marronnage ».

Dans le premier cas, les esclaves fugitifs s'enfoncent dans les bois. Réfugiés dans des lieux

difficiles d'accès, les fugitifs peuvent se regrouper survivant grâce aux cultures vivrières de leurs

abattis ; grâce aussi au troc ou encore par le pillage des plantations. Dans le second cas, le « petit

marronnage » n'est qu'un absentéisme de quelques jours, une fugue temporaire.

Revenus d'eux-mêmes60

ou bien repris, les nègres « marrons » sont soumis à la justice du roi ou

à celle du maître. La nature de la punition dépend de la durée du marronnage, d'une récidive

éventuelle, de la gravité des exactions commises, des conditions de la réintégration, ou du bon

vouloir des juges ou des maîtres.61

Documents

59

La base de données concerne près de 35 000 expéditions négrières menées entre 1514 et 1866 (The Trans-Atlantic

Slave Trade Database comprises nearly 35,000 individual slaving expeditions between 1514 and 1866. Records of the

voyages have been found in archives and libraries throughout the Atlantic world. They provide information about

vessels, enslaved peoples, slave traders and owners, and trading routes. A variable (Source) cites the records for each

voyage in the database. Other variables enable users to search for information about a particular voyage or group of

voyages. The website provides full interactive capability to analyze the data and report results in the form of statistical

tables, graphs, maps, or on a timeline)

Adresse : http://www.slavevoyages.org/tast/database/index.facesap or on a timeline. 60

Lors des fêtes de Noël, il est fréquent que les administrateurs rendent une ordonnance « portant amnistie pour les

esclaves qui rentreraient chez leurs maîtres en janvier » (Albon en 1721), afin de maintenir le petit marronnage dans

des limites contrôlables. 61 Marie Polderman, La Guyane française 1676-1763 : mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et

métissages, université de Toulouse (2002). Cayenne, Ibis Rouge éditions, 2004, p. 412 et suiv.

Page 144: Rapport Fait colonial

144

1. Le grand marronnage62

en Guyane hollandaise et la naissance de nations libres

Marron vient d’un mot espagnol cimarron qui qualifiait à l’origine des animaux domestiques

redevenus sauvages. Fuyant les plantations, les esclaves fugitifs se regroupaient en communautés

dont certaines comptaient plusieurs milliers de personnes. « Le grand marronnage aboutissait à la

création de communautés durables, installées dans la forêt profonde ».

En Guyane hollandaise, les premiers marrons fuient les plantations situées à proximité du littoral

dès le XVIIe siècle. De nombreuses expéditions militaires, composées de civils, de soldats,

d’Amérindiens et d’esclaves sont organisées contre les fuyards. Leur coût est élevé « plus de

100 000 florins » en moyenne. Les difficultés rencontrées en limitent l’efficacité : une expédition

doit traverser « quarante montagnes et soixante criques », et les esclaves qui la composent se

retrouvent bien souvent tentés par le marronnage. En 1730, une des expéditions composée de 50

habitants et 200 esclaves revient avec 16 adultes et 10 enfants et annonce avoir tué 16 fugitifs. Dans

le dernier tiers du XVIIIe siècle, les autorités coloniales en viennent à conclure des traités de paix

avec les rebelles (1760-1767). Ces traités « octroyaient la liberté aux Marrons, reconnaissaient leur

intégrité territoriale, prenaient en charge leurs besoins économiques »… Leurs descendants

forment encore des enclaves semi indépendantes dans plusieurs pays d’Amérique latine : au Brésil,

en Colombie, à la Jamaïque, à Cuba, au Surinam, en Guyane française, etc.

1674 Première révolte importante d’esclaves. Alliés aux Amérindiens, ils harcèlent les plantations

au point de pousser les colons à se réfugier au fort. Plusieurs expéditions sont menées à leur

encontre par les gouverneurs successifs ; en 1684 les Marrons de la Coppename signent un traité

avec les colons hollandais :

« 700 esclaves révoltés s’étaient réfugiés en forêt sur un affluent de la rivière Suriname, le Para,

dont ils furent chassés en 1681. Les rescapés s’installèrent alors sur la Coppename, où ils obtinrent

quelques années plus tard le statut de Noirs libres. Les descendants de ces Marrons se métissèrent

par la suite avec les Kalinas présents dans cette région, formant au moins une des branches du

groupe désigné aujourd’hui comme « mulato ».

Source : Gérard Collomb, Na’na Ka’lina : une histoire des Kali’na En Guyane, Matoury, Ibis Rouge

éditions, 2000.

1748-1749 Les Saramaka forment alors un groupe nombreux et organisé de Noirs Marrons

contre lequel le gouverneur hollandais lance une offensive d’envergure :

« Les Saramaka commémorent la bataille de Bakakuun comme le plus éclatant de leurs faits de

guerre. Les défenseurs […] attirèrent les Blancs au-dessus du grand fossé et, ensuite, au moment

où ils atteignaient le sommet, leur envoyèrent une pluie de grosses pierres ou de troncs d’arbre

pour les anéantir […]. La bataille de Bakakuun eut lieu en novembre 1749, lors de la grande

expédition du lieutenant-capitaine Carel Otto Creutz, une expédition différente des précédentes

dans la mesure où elle avait pour but explicite l’élaboration d’un traité. […] Les troupes, ayant mis

tous les villages et les abattis des environs à feu et à sang, atteignirent le « dernier village » le 5

novembre. Le lendemain, ayant estimé que « les fugitifs étaient maintenant dans les grands bois, où

ils avaient vraisemblablement caché leurs femmes et enfants » […] Creutz incendia le village – 84

grandes maisons et un immense jardin- et envoya un émissaire pour commencer les négociations de

« paix ». Au moment où l’expédition se remettait en route pour Paramaribo, après huit semaines

dans la forêt, les plus grands espoirs du gouverneur Mauricius avaient été réalisés : Creutz avait

62

Sur ce sujet, voir Richard Price et Sally Price, Les Marrons, La Roque d’Anthéron, Vents d’Ailleurs, 2004, 127 p.

Page 145: Rapport Fait colonial

145

découvert et détruit pas moins de neuf villages saramaka comprenant quelque 415 maisons. Il avait

négocié un cessez-le-feu provisoire avec Adoe et ils étaient d’accord pour signer un traité final, qui

devrait être scellé par l’envoi, au mois de septembre suivant, d’une longue liste de marchandises

pour les Saramaka. [… ] Creutz avait fait la paix les armes à la main ».

Source : Richard Price, Les premiers temps : la conception de l’histoire des Marrons saramaka, Paris,

Seuil, 1994, p. 209.

2. La fuite au quotidien : le petit marronnage en Guyane française

En 1753, Philippe Antoine Lemoyne63

et Gilbert d’Orvilliers64

, administrateurs de la colonie,

adressent ce courrier au ministre de la marine et des colonies :

« Nous avons eu l’honneur de vous rendre compte des différentes expéditions qui ont été faites

contre les Nègres marrons. Monsieur d’Orvilliers a rendu compte en particulier à monseigneur des

différentes chasses qu’il a fait faire par divers détachements et particulièrement par celui que

commandait le sieur Blanchard.

Les chasses faites dans le temps des abatis65

ont empêché les Marrons de faire des plantages.

Les dernières depuis, dans lesquelles on a détruit la plus grande partie des vivres qui leur restait

dans des endroits découverts, ont mis le trouble parmi eux.

Deux d’entre eux qui sans doute avaient déjà un parti fait sont venus et ont tout hasardé pour

obtenir leur grâce. Nous avons profité de leurs dispositions qui nous parurent vraies et ils furent

renvoyés après les avoir confirmés dans l’intérêt où ils étaient de détruire les chefs avec l’aide du

chef Augustin qu’ils disaient être certains de mettre de leur parti et nous leur promîmes grâce pour

eux, pour cet Augustin et pour tous ceux qui contribueraient à les tuer ou à les prendre. Ils

partirent et, après avoir formé leur complot prêt à réussir, Augustin les trahit et leur fit manquer la

capture des chefs et des plus déterminés à rester fugitifs. Ils se sont battus plusieurs fois, ont détruit

les vivres du carbet d’Augustin et partie de celui d’André, et se sont retirés en se battant jusques

dehors le bois. Ils ont amené avec eux ceux de leur parti, leurs femmes et leurs enfants. Ils ont

enlevé le fusil d’Augustin, des arcs et des flèches, ses serpes et des chaudières en quantité ; un

d’eux a reçu un coup de fusil. Le nombre de ceux revenus tant hommes que femmes et enfants est de

39 personnes.

Les preuves qu’ils ont données de l’effort qu’ils avoient fait nous ont paru assez complètes pour

leur faire grâce. Nous comptons que cette grâce opérera et nous ne doutons point qu’elle ne

contribue à en déterminer d’autres à achever ce que ceux-ci avaient commencé. Ces nègres

serviront l’été prochain à guider : comme ils n’ont plus de grâce à espérer de leurs camarades, on

pourra les armer et les faire servir utilement pour achever de détruire les opiniâtres ».

Source : Correspondance officielle en provenance des colonies,

ANOM, Sous-série C 14, Registre 22, folii 107-108.

63

Philippe Antoine Lemoyne est ordonnateur en Guyane de 1748 à 1762. 64

Gilbert d’Orvilliers est gouverneur de la colonie de 1744 à 1763. 65

Un abattis est un espace mis en culture après brûlis, qui sera ensuite restitué à la forêt au profit d'autres zones à

déboiser.

Page 146: Rapport Fait colonial

146

3. Articles du Code Noir concernant le marronnage

Article 38 - L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son

maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis une

épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé,

et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.

Article 39 - Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs, seront

condamnés par corps envers les maîtres en l'amende de 300 livres de sucre par chacun jour de

rétention, et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en 10 livres tournois

d'amende par chacun jour de rétention.

Source : Code noir, 1685.

Page 147: Rapport Fait colonial

147

4. Marronnage au Surinam et en Guyane 1674-1772

Surinam66

Guyane

1674 Première révolte importante d’esclaves. Alliés aux Amérindiens, ils harcèlent

les plantations au point de pousser les colons à se réfugier au fort.

1690 Nouvelle révolte d’esclaves. Petit marronnage dont témoignent recensements et

jugements prononcés contre des esclaves fugitifs. 1690 Evasion collective d’esclaves de la plantation du sieur Machado.

1714 A partir de cette date et jusqu’en 1748, les groupes de

Marrons se multiplient : les habitants se sentent

menacés.

1748/1749 1749. Bataille Saramaka de Bakakuun. Les Saramaka forment alors un groupe

nombreux et organisé contre lequel le gouverneur hollandais lance une

offensive d’envergure.

1748. Il existe un groupe organisé de Marrons contre

lequel le gouverneur envoie des détachements de

soldats.

1761 Traité de paix signé au Surinam entre les Hollandais et les Noirs marrons Djuka

1762 Traité similaire signé entre les Hollandais et les Noirs marrons Saramaca

1772 Nouvelle révolte d'esclaves au Surinam. Formation du groupe des Noirs

marrons Boni.

Le nombre de Marrons dans la colonie hollandaise est alors estimé à plusieurs

milliers (entre 5 et 10 000).

Le gouverneur de la Guyane française, Fiedmont, est

favorable à l'installation des Bonis sur le Maroni.

Le nombre de Marrons dans la colonie française est

alors estimé à quelques centaines.

66

Un grand nombre de données concernant les Marrons du Surinam proviennent du travail de Richard Price, opus cité.

Page 148: Rapport Fait colonial

Pistes de travail

- Localisation géographique

- Repérer la Guyane française et le Surinam sur le planisphère (carte 1).

- Indiquer le nom des océans, colorier les deux zones géographiques dont il est question dans les

documents (carte 2). Quelles sont les frontières actuelles de la Guyane française ? Quel est le nom

actuel de la Guyane hollandaise ? Quelles en sont les frontières ?

- Quelles sont les principales puissances européennes au XVIIIe siècle? Quels territoires coloniaux

contrôlent-ils (planisphère, tableau) ?

France Angleterre Hollande Espagne Portugal

Guyane

Saint-Domingue

Guadeloupe

Martinique

Québec

Louisiane

Haïti

Amérique du nord (est)

Canada

Guyane

Jamaïque

Guyane

Curaçao

Amérique centrale

Cuba

Saint-Domingue

Amérique du sud

Brésil

Guyane

Planisphère (carte 1)

Amérique du Sud (carte 2)

Page 149: Rapport Fait colonial

149

- Transcrire la première page du courrier adressé par les administrateurs au ministre.

Page 150: Rapport Fait colonial

150

Analyser les documents

- Comment les Marrons survivent-ils en forêt ?

- Quels sont les moyens utilisés par les autorités coloniales pour mettre fin au marronnage ? - -

Quelles difficultés rencontrent-elles ?

- Quels châtiments prévoit le Code noir à l’encontre des esclaves en fuite dans les colonies

françaises ? Pour quelles raisons ceux-ci ne sont pas toujours appliqués ?

- Dans quels pays actuels vivent des descendants des communautés de Noirs Marrons ?

- Pourquoi, au XVIIIe siècle, le grand marronnage est-il important en Guyane hollandaise et réduit en

Guyane française ?

- Quelles sont les autres formes de résistance à l’esclavage ?

Mots-clés

Code noir/ marronnage/ première colonisation/ esclavage / Surinam/ Guyane française.

Page 151: Rapport Fait colonial

151

3 Ŕ LA DENONCIATION DES RECRUTEMENTS FORCES

EN INDOCHINE

PENDANT LA 1re

GUERRE MONDIALE

Voici ce que nous dit un confrère : le prolétariat indigène de l'Indochine pressuré de tous temps sous

forme d'impôts, prestations, corvées de toute nature, d'achats, par ordres officiels, d'alcool et d'opium, subit

depuis 1915-16 le supplice du volontariat. Les événements de ces dernières années ont donné prétexte, sur

toute l'étendue du pays, à, de grandes rafles de matériel humain encaserné sous les dénominations les plus

diverses - tirailleurs, ouvriers spécialisés, ouvriers non spécialisés, etc.

De l'avis de toutes les compétences impartiales qui ont été appelées à utiliser en Europe le matériel

humain asiatique, ce matériel n'a pas donné de résultats en rapport avec les énormes dépenses que son

transport et son entretien ont occasionnées. Ensuite, la chasse au dit matériel humain, dénommée pour la

circonstance « Volontariat » (mot d'une affreuse ironie), a donné lieu aux plus scandaleux abus.

Voici comment ce recrutement volontaire s'est pratiqué. Le « satrape » qu'est chacun des résidents

indochinois avise ses mandarins que dans un délai fixé il faut que sa Province ait fourni tel chiffre d'hommes.

Les moyens importent peu. Aux mandarins de se débrouiller. Et pour le système D, ils s'y connaissent, les

gaillards, surtout pour monnayer les affaires. Ils commencent par ramasser des sujets valides, sans

ressources, lesquels sont sacrifiés, sans recours. Ensuite, ils mandent des fils de famille riche ; s'ils sont

récalcitrants. On trouve très facilement l'occasion de leur chercher quelque histoire, à eux ou à leur famille,

et, au besoin, de les emprisonner jusqu'à ce qu'ils aient résolu le dilemme suivant « Volontariat ou finance ».

On conçoit que des gens ramassés dans de pareilles conditions soient dépourvus de tout enthousiasme pour le

métier auquel on les destine. À peine encasernés, ils guettent la moindre occasion pour prendre la fuite.

D'autres, ne pouvant se préserver de ce qui constitue pour eux un fâcheux destin, s'inoculent les plus graves

maladies, dont la plus commune est la conjonctivite purulente, provenant du frottement des yeux avec divers

ingrédients, allant de la chaux vive jusqu'au pus blennorragique.

N'empêche que, ayant promis des grades mandarinaux aux volontaires indochinois qui survivraient et

des titres posthumes à ceux qui seraient morts « pour la patrie », le gouvernement général de l'Indochine

poursuivait ainsi sa proclamation :

« Vous vous êtes engagés en foule, vous avez quitté sans hésitation votre terre natale à laquelle vous

êtes pourtant si attachés, vous, tirailleurs, pour donner votre sang, vous, ouvriers, pour offrir vos bras. »

Si les Annamites étaient tellement enchantés d'être soldats, pourquoi les uns étaient-ils emmenés au

chef-lieu enchaînés, tandis que d'autres étaient, en attendant l'embarquement, enfermés dans un collège de

Saigon, sous l'œil des sentinelles françaises, baïonnette au canon, fusil chargé ? Les manifestations

sanglantes du Cambodge, les émeutes de Saigon, de Bien-Hoa et d'ailleurs, étaient-elles donc les

manifestations de cet empressement à s'engager « en foule » et « sans hésitation » ? Les fuites et les

désertions (on en a compté 50 pour cent dans les classes de réservistes) provoquèrent des répressions

impitoyables, et celles-ci des révoltes qui ont été étouffées dans le sang.

Le gouvernement général a pris soin d'ajouter que, bien entendu, pour mériter la « visible bienveillance

» et la « grande bonté» de l'Administration, « il faut que vous (soldats indochinois) vous vous conduisiez

bien et que vous ne donniez aucun sujet de mécontentement ». Le commandant supérieur des troupes, de

l'Indochine prit une autre précaution: il fit inscrire sur le dos ou le poignet de chaque recrue, un numéro

ineffaçable au moyen d'une solution de nitrate d'argent. […]

Ajoutons, à ce propos, qu'il existe un autre genre de volontariat : le volontariat pour les souscriptions

aux divers emprunts. Procédés identiques, Quiconque possède est tenu de souscrire. On emploie contre les

récalcitrants, des moyens persuasifs et coercitifs tels que tous s'exécutent […]

Voyons maintenant comment le volontariat a été organisé dans les autres colonies. Prenons, par

exemple, l'Afrique Occidentale. Des commandants, accompagnés de leurs forces armées, se rendaient de

village en village pour obliger les notables indigènes à leur fournir immédiatement le nombre d'hommes

qu'ils voulaient recruter. […] Nous avons en main une lettre d'un indigène du Dahomey, ancien combattant

qui a fait son « devoir » dans la guerre du droit. Quelques extraits de cette lettre vous montreront comment

Page 152: Rapport Fait colonial

152

les « Batouala » sont protégés et de quelle façon nos administrateurs coloniaux fabriquent du loyalisme

indigène qui décore tous les discours officiels et qui alimente tous les articles des Régismanset et des Hauser

de tout calibre.

« En 1915, dit la lettre, lors du recrutement forcé ordonné par M Noufflard, gouverneur du Dahomey,

mon village a été pillé et incendié par les agents de la police et les gardes du Cercle. Au cours de ces

pillages et incendies, tout ce que je possédais comme bien m'a été enlevé. Néanmoins, j'ai été enrôlé par

force, et, sans tenir compte de cet odieux attentat dont j'ai été la victime j'ai fait mon devoir au front

français. J'ai été blesse à l'Aisne. Maintenant que la guerre est terminée, je vais rentrer dans mon pays, sans

foyer et sans ressources […] »

Les « Boches» de Guillaume n'auraient pas fait mieux.

Source : Hô Chi Minh, Le Procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « chapitre I,

Le volontariat », Paris, Le Temps des cerises, 1999, p. 32-37.

Présentation

La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du

contexte indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société,

document 4 intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les

redites au sein du rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.

Analyse

Cet extrait intitulé « Le volontariat » présente un moment essentiel dans les relations entre la

métropole et les colonies : la Première Guerre mondiale et la question de la mise à contribution des

colonies sous différentes formes avec l’accroissement des impôts, l’exemple principal de la

mobilisation des hommes et le recours à l’emprunt. L’auteur commence par évoquer et dénoncer la

pression fiscale, selon lui un des effets pervers de la « mission civilisatrice », qui pèse sur les

colonisés de l’Indochine. Il reprend le vocabulaire communiste « le prolétariat indigène » pour

désigner la population colonisée, en particulier les paysanneries colonisées, les colonisés et les

prolétaires étant réunis d’un point de vue idéologique dans la lutte contre le capitalisme et le

colonialisme ; population indochinoise qui est soumise à différentes formes de prélèvement (impôts,

prestations, corvées, achats obligatoires, alcool, opium).

En effet, l’objectif pour le colonisateur est que les colonies financent leur propre

fonctionnement, c’est le principe de l’autonomie financière qui est posé dès le XVIIIe siècle par les

Anglais et par la loi d’avril 1900 en France. En Indochine, le gouverneur Paul Doumer réorganise

les finances dès le printemps de 1897 en mettant en place un système fiscal efficace selon deux

principes : la prépondérance de la fiscalité indirecte qui va désormais alimenter le budget général de

l’Union, et l’individualisation des impôts directs qui vont alimenter les budgets locaux de chaque

« pays ». Dans l’empire vietnamien, la fiscalité traditionnelle avait une faible productivité et

reposait sur la communauté villageoise. Ainsi, l’impôt personnel, pour les hommes de 18-60 ans qui

possédaient des biens, les prestations en travail et la levée de soldats étaient-elles basés sur les rôles

d’inscrits (dinh bo) dans chaque village tandis que l’impôt foncier reposait sur le rôle cadastral, le

dia bo levé sous Gia Long, premier empereur de la dynastie des Nguyen au début du XIXe siècle.

Le montant global de l’impôt était ensuite réparti entre les habitants du village par les notables,

c’est donc la communauté villageoise qui payait l’impôt. Ce montant correspond à une ligature,

monnaie de compte de l’empire vietnamien, et était pesant pour les populations mais reste faible par

rapport aux impôts développés par les Français.

Page 153: Rapport Fait colonial

153

En effet, le colonisateur bouleverse ce compromis fiscal entre pouvoir villageois et pouvoir

impérial. Désormais, le système mis en place en Cochinchine en novembre 1880 est généralisé au

reste de l’Indochine : l’impôt personnel (de capitation) est fixé non plus par inscrit mais par homme

valide, même si le montant est inférieur pour les non-inscrits de l’ancien système. Par exemple, au

Tonkin, la capitation est de 2,50 piastres pour les inscrits et de 0,40 pour les non-inscrits. Par

ailleurs, la carte de l’impôt, mise en place en Cochinchine en 1884, est étendue au Tonkin (1897) et

à l’Annam (1913). Cette carte est établie par les chefs de village et sert de carte d’identité dont le

port est obligatoire et permet de lutter contre la fraude. Les impôts, personnel et foncier, sont perçus

en faisant jouer la responsabilité collective des communautés villageoises au Viêt-nam et des

cantons au Cambodge. La charge fiscale directe s’alourdit continuellement, d’autant plus que le

chiffre de la population est surestimé pour une meilleure rentabilité : la charge fiscale par habitant

est de 3,45 piastres en 1913, de 4,19 en 1920 soit une hausse de plus de 20 %. Dans le budget d’un

paysan du Tonkin au début du XXe siècle, l’alimentation représente 50 piastres (63 %), les fêtes 12

(15 %) et les impôts directs 10 (12%). Cette augmentation des impôts directs est dénoncée en

métropole, par exemple par le député Messimy en 1910. Enfin, les corvées, fixées à 30 jours par an

et par inscrit depuis la fin du XIXe siècle, peuvent être rachetées en partie pour 0,10 piastre par jour

mais cela ne permet pas d’éviter les éventuelles réquisitions.

Cependant, la fiscalité indirecte, impôts de consommation et monopoles d’État, domine dans

les colonies, comme elle dominait sous l’Ancien Régime et est fortement développée par Paul

Doumer. Le précédent anglais avec le modèle de Singapour incite le gouvernement général à mettre

en place le système des régies en Cochinchine, système de trois régies du sel (1897), des alcools

indigènes (1897), très utilisés pour les fêtes vietnamiennes, et de l’opium (1898) qui est généralisé

au reste de l’Indochine du fait de l’emprunt de 200 millions de francs contracté par l’Union

indochinoise. L’achat pour l’opium, la production pour le sel et l’alcool, et la vente sont confiés à

des particuliers comme les sauniers de Bac Lieu regroupés en un syndicat, ou à des grandes sociétés

comme la Compagnie générale du Tonkin et du Nord-Annam qui déjà concessionnaire du sel, de

l’opium obtient en 1902 pour dix ans celle de l’alcool, ou la Société des distilleries de l’Indochine.

Les abus commis par les régies (immoralité, violence, hausse de prix) sont fréquents. Par exemple,

les droits sur le sel explosent de 2712 % passant de 0,08 piastre en 1897 à 1 en 1899 puis à 2,25 en

1906. Un système répressif pour améliorer le rendement du monopole et pour lutter contre la fraude

et la contrebande complète le dispositif. La fiscalité est alourdie en taxant la consommation

paysanne (allumettes, barques, bois, tabac, noix d’arec,…) et cette réorganisation accroît son

rendement. Les recettes nettes des régies constituent désormais une part non négligeable des

ressources directes du budget général de l’Indochine (44 % en 1920, par exemple).

La pression fiscale ne cesse d’augmenter, les recettes du Trésor impérial sont comprises entre

12,6 et 40 millions de francs en 1878, en 1912, les budgets du gouvernement général prélèvent sur

les populations d’Indochine 150 millions de francs dont 135 pour l’ancien Viêt-nam et sont

excédentaires. Désormais, la vie quotidienne des colonisés est bouleversée, impôts et taxes sont

perçus le plus souvent en argent, ce qui implique de s’intégrer partiellement dans un système

monétaire, et rythmée par cette forte pression fiscale directe et indirecte. Cette pression est inégale

selon les territoires, la charge de l’impôt direct est plus élevée en Cochinchine qu’en Annam, et

selon les groupes sociaux, le développement de l’économie coloniale est financé par les

paysanneries colonisées. Ces dernières réagiront en multipliant les résistances et les révoltes

antifiscales comme celle de 1908. La guerre va accentuer les prélèvements, avec la mobilisation

des hommes et le recours à l’emprunt de guerre.

La France entend recourir à la contribution des colonies sous forme d’efforts imposés dans

différents domaines avec le recrutement des hommes (soldats et main d’œuvre), la fourniture de

matières premières et de produits alimentaires et le recours à l’emprunt. En ce qui concerne les

Page 154: Rapport Fait colonial

154

hommes, la France envisage, dès la constitution de l’Empire, pour des raisons démographiques, la

possibilité de recourir à des « troupes indigènes » en cas de conflit européen. Par exemple, les

zouaves, constitués de Berbères, et les tirailleurs algériens, corps d’infanterie recrutés dans les

territoires colonisés fondés en 1842, participent à la guerre de 1870-1871 contre la Prusse. Par

ailleurs, en 1910, le colonel Mangin démontre dans son ouvrage, La force noire, que l’Afrique

subsaharienne est un réservoir d’hommes permettant de lever des troupes et de remédier ainsi à la

baisse de la natalité française. Cependant, les politiques ne sont pas convaincus et, à la veille de la

guerre de 1914-1918, les troupes coloniales sont principalement composées d’engagés (plus ou

moins volontaires !), à l’exemple de l’Armée d’Afrique et sa centaine de milliers d’hommes, le

recours à la conscription, en échanges de droits politiques, étant utilisé avec une grande prudence.

En Indochine, le décret de 1908 instituant l’appel est peu appliqué avec, en 1912, 1 350 appelés en

Cochinchine, 786 au Tonkin et 12 en Annam.

La transformation rapide d’une guerre pensée comme courte en conflit de longue durée

nécessite de trouver un nombre croissant d’hommes. En août 1914, l’essentiel des contingents

coloniaux combat en France, mais face à la baisse régulière du recrutement de supplétifs et à la

nécessité de remplacer les nombreux soldats tués lors des premiers mois du conflit, il est nécessaire,

dès 1915, d’élargir les territoires de recrutement et de faire appel à des « volontaires », comme le

précise l’auteur du texte pour l’exemple de l’Indochine et de l’Afrique subsaharienne. Il est à noter

que c’est aussi un moyen pour la France de développer le patriotisme parmi les populations

colonisées. Le Parlement français édicte ainsi plusieurs décrets, par exemple celui du 9 octobre

1915, qui vont permettre de recruter des soldats mais aussi des travailleurs « indigènes » avec le

rôle important de Blaise Daigne et du colonel Mangin. En Indochine, la proclamation de la

mobilisation s’effectue tardivement, le 1er

avril 1915, du fait de la mauvaise réputation des soldas

annamites véhiculée par le général Joffre, un ancien du Tonkin, et relayée par la propagande. Ainsi

au début du conflit, les Annamites participent davantage à des travaux de génie qu’à des combats.

Le recrutement des recrues est théoriquement basé sur le « volontariat » comme en Indochine,

au Maroc, en AEF et dans le Pacifique, sur l’appel en AOF. Cependant, et ce dès 1914, la plupart

du temps, les recrues sont engagées sous la contrainte ou par la force comme en Algérie. Ainsi, en

AOF, en 1916, le système des « engagements volontaires » est mis en place. Par ailleurs, face aux

besoins de soldats, le recrutement peut concerner tout indigène avec le décret du 7 septembre 1916.

Les « volontaires » sont engagés pour la durée de la guerre et reçoivent différentes primes

(d’incorporation, d’indemnités familiales,…). On peut noter que les « indigènes » les plus aisés

peuvent acheter un remplaçant.

Comme le recrutement repose en principe sur le volontariat, la France mène différentes actions

pour attirer, voire séduire, les futurs combattants et travailleurs. Toute une action psychologique est

menée en direction des colonisés avec par exemple l’édition de brochures ou des articles dans les

journaux… Il est intéressant de noter l’évolution du discours officiel envers les colonisés : pour la

première fois ces derniers sont considérés comme des êtres civilisés dans le combat commun de la

civilisation contre la barbarie des Allemands et des Turcs. Pour favoriser les recrutements, les

administrateurs coloniaux font appel aux notables indigènes. En Annam et au Tonkin, où un

nombre d’hommes est déterminé pour chaque province, les mandarins, qui demeurent le plus

souvent fidèles à la France, doivent fournir un quota de volontaires ou offrir une compensation

financière. En échange, les notables reçoivent des sommes d’argent ou des progressions de carrière.

Il en est de même en AOF et en AEF où pendant la mission du député sénégalais Blaise Diagne en

janvier 1918 en vue de recruter des hommes, les fils de chef sont promus sous Ŕ officiers, certains

même lieutenants. Aussi, comme le souligne Hô Chi Minh, les excès de zèle et les enrôlements

forcés sont inévitables comme partout dans le reste de l’Empire avec son lot d’abus et d’exactions.

Cependant, le discours de Hô Chi Minh manque parfois de nuance, il est exagéré avec un langage

Page 155: Rapport Fait colonial

155

outrancier, par exemple lors de la description de recrues enchaînées, dans le but de dénoncer la

colonisation française. Par ailleurs, les résistances à la levée de recrues ont toujours existé, les

recrues partent contre leur gré, ne voulant pas abandonner leur famille.

Face aux contraintes de l’effort de guerre, de multiples formes de résistances apparaissent par

exemple pour le « volontariat » notamment en 1916 et 1917, où les bataillons de Sénégalais sont

décimés lors de l’offensive Nivelle : résistance passive, fuites massives et désertions en Indochine

ou en A.O.F, refus de pères de livrer leurs fils, évasions collectives de recrues, mutilations ou

inoculations de maladies, présentation de recrues inaptes, Annamites minuscules ou à peine

adolescents, Africains malingres ou trop âgés. La levée des recrues, tout comme l’augmentation de

la pression fiscale, entraînent presque partout des résistances armées, même s’il n’existe pas dans

les territoires colonisés de front uni pour lutter contre les Français, et en dépit du loyalisme affirmé

des populations comme en AOF. Mais dans cette dernière, comme au Soudan ou entre l’affluent du

Niger et de la Volta, régulièrement des révoltes voire des insurrections éclatent contre les

enrôlements forcés. Ainsi, le texte en rapporte un exemple : des villages réfractaires à l’effort de

guerre sont l’objet d’expéditions punitives faites de pillages et d’incendies pour les obliger à fournir

les hommes exigés par l’administration. La réaction des autorités coloniales est souvent implacable.

Face aux résistances, le gouverneur de l’AOF, Van Vollenhoven, demande à Paris d’arrêter les

recrutements et d’insister plutôt sur la contribution économique. Si les recrutements sont modérés

en 1917, à l’exception de l’Algérie, son avis n’est finalement pas suivi. Le recrutement reprend avec

l’arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau en novembre 1917. Par exemple, en AOF, en 1918, la

mission Diagne, déjà mentionnée, permet de lever plus de 60 000 hommes, essentiellement parmi

les élites occidentalisées des villes, en échange de l’accession complète à la citoyenneté à la fin du

conflit.

On peut noter que des troubles renaissent profitant du conflit pour prolonger certaines

résistances antérieures, soutenus par les exilés. Ils s’inscrivent donc dans le cadre de la résistance

anticoloniale. En Indochine, en janvier 1916, des bandes armées s’opposent aux opérations de

recrutement. Ces bandes sont renforcées de mutins évadés de la prison de Bien-Hoa et multiplient

les actions contre les autorités coloniales, c’est ainsi que près de 300 hommes débarquent à

l’embouchure de l’arroyo chinois et de la rivière de Saigon, qu’une tentative avortée pour prendre

d’assaut la prison centrale est menée et que des affrontements ont lieu à Saigon et à Cholon. Par

ailleurs, se greffe sur ces résistances, un mouvement religieux dont le chef se prend pour le nouvel

empereur du Vietnam. La répression est sévère et rapide et ces actions finalement demeurent

isolées, la base populaire étant trop étroite. Le conflit favorise ces résistances et l’augmentation de

l’insécurité du fait notamment de la baisse non négligeable de l’encadrement français dans les

territoires colonisés. En Indochine, près de 6 000 hommes, la quasi-totalité des militaires de

carrière sont envoyés en France dès le mois d’août 1914. Par ailleurs, les cadres français sont

remplacés par des officiers de réserve ou des cadres métropolitains blessés qui n’ont aucune

expérience du territoire. En fin de compte, le pouvoir colonial n’est jamais profondément menacé.

Au total, les troupes coloniales représentent plus de 518 000 hommes - 180 000 Africains noirs,

175 000 Algériens, 80 000 Tunisiens et 43 430 Annamites et Tonkinois, 40 000 Marocains Ŕ plus

quelques milliers de Malgaches (6 000 environ) soit entre 7 et 8% des 8 000 000 d’appelés en

métropole. Cependant, l’Indochine de part l’importance de sa population (environ 19 millions

d’habitants) et de la relative profondeur de la colonisation, est la grande colonie qui fournit

proportionnellement le moins de combattants. En effet, les 4/5e des hommes sont prélevés durant les

années 1915 et 1916. La réputation de chétivité des Annamites, nous l’avons vu, et l’éloignement

mais surtout les difficultés économiques et la crise des transports maritimes liées au conflit, ainsi

que l’importante résistance des populations expliquent la chute du nombre d’hommes mobilisés en

1917 ; proche de zéro en 1918 et au total l’envoi de peu d’hommes à l’opposé de l’AOF.

Page 156: Rapport Fait colonial

156

Le nombre de morts des troupes coloniales est compris entre 66 000 et 71 000, soit autour de

12-13% du total des effectifs, ce qui équivaut au pourcentage des combattants français. Si les

Indochinois servent essentiellement dans les bataillons d’étape chargés de l’aménagement et du

transport ou comme auxiliaires de police au début du conflit, par la suite, 43 000 soldats, en grande

partie des Tonkinois, se trouvent par exemple en 1916 dans les tranchées ; certains combattant

même à Salonique en 1917. Au total, 1123 sont morts sur les champs de bataille alors que les

« tirailleurs sénégalais », combattant le plus souvent en première ligne, ont environ 25 000 tués

essentiellement lors des assauts sans compter les blessés et les mutilés ; ces soldats indochinois sont

ainsi peu présents dans les mémoires collectives. Pour l’Empire britannique, seuls les colonisés

issus de l’Inde et de Birmanie, environ 90 000, sont envoyés combattre sur le front européen, les

Africains recrutés, environ 30 000, devant surtout combattre les troupes allemandes en Afrique.

La Première Guerre mondiale est une guerre totale nécessitant la mobilisation non seulement

des hommes mais aussi de l’ensemble de l’économie et de la société. Les besoins de l’économie de

guerre nécessitent le recrutement d’une main-d’œuvre. Il s’agit de combler les vides dans l’industrie

où 25% des effectifs sont encore mobilisés sur le front malgré la loi Dalbiez du 17 août 1915.

Durant les premières années du conflit, la main-d’œuvre est recrutée de manière empirique soit par

des industriels soit par différents ministères. En 1916, le recrutement est rationalisé avec la création

du Service de l’Organisation des Travailleurs Sociaux (SOTC) qui en a le monopole et avec le rôle

important d’Albert Thomas. Il est difficile d’établir un recensement des travailleurs coloniaux. Leur

nombre serait compris entre 240 000 et 310 000 personnes, essentiellement des Algériens (un tiers

des effectifs) et des Maghrébins (environ 50% des effectifs). Les Annamites comptent pour 1/6e,

soit environ 48 981 travailleurs, dont peut-être le futur Hô Chi Minh. Au total, une commission

parlementaire de 1919 établit que 600 000 « indigènes » auraient travaillé en France durant le

conflit. Ces travailleurs occupent des postes dans les usines de guerre, les ports et dans quelques

exploitations agricoles en particulier pour ces dernières avec des Annamites. Enfin, les colonies

sont davantage mises à contribution pour aider les budgets coloniaux en difficulté et pour financer

la guerre en souscrivant aux différents emprunts nationaux et aux titres de la Défense nationale. Par

exemple, L’Indochine par la Banque de l’Indochine verse 184 millions de francs, l’Algérie 963,

entre 1915 et 1918 sur un total d’environ 1,5 milliards. Et au total les colonies contribuent à hauteur

de 6,7% aux emprunts de Défense nationale.

Ainsi, si les populations localement subissent pleinement les exigences liées à la guerre

(exigence d’hommes, pression fiscale), l’apport colonial n’est pas aussi essentiel que proclamé. En

effet, il est à noter que la France ne dispose pas d’une marine marchande développée et que les

relations entre la France et l’outre-mer sont paralysées en grande partie par la crise des transports

maritimes, précédemment évoquée. De plus, l’Empire ne peut pas fournir grand-chose du fait de

son sous-équipement et de sa faible exploitation. Il y a une certaine illusion des observateurs et une

exaltation officielle des apports coloniaux à la France en guerre. Le conflit joue donc un rôle

essentiel dans la prise de conscience de l’importance économique potentielle de l’Empire, d’où le

plan Sarraut de 1920.

Mots-clefs : abus, Africains, Annamites, emprunt, Indochinois, impôts, recrutement, résistances,

volontariat, troupes coloniales, travailleurs coloniaux.

Pistes pédagogiques

- Quelles sont les différentes obligations que le colonisateur impose aux colonisés en Indochine.

Pour quelles raisons ?

- Comment les soldats sont-ils recrutés ? Montrer que le terme de « volontariat » employé par

l’auteur est ironique.

- Comment les colonisés indochinois réagissent-ils aux campagnes de recrutement ?

Page 157: Rapport Fait colonial

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- Dans quelle mesure cette situation se retrouve-t-elle dans le reste de l’Empire ?

- Selon vous quelles peuvent être les conséquences de ce recours à l’Empire au sortir de la guerre ?

Niveaux

Au collège

. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.

. Quatrième rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible

celle de la société coloniale.

. Troisième : chapitre I, Guerres, démocratie, totalitarisme, thème 1 : La Première Guerre mondiale

et ses conséquences.

. Troisième (rentrée 2012-2013) : Chapitre II, Guerres mondiales et régimes totalitaires (1914-

1945), thème 1 : La Première Guerre mondiale : vers une guerre totale (1914-1918).

Au lycée

. 1e ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIX

e siècle à 1939, leçon 3 :

L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.

.1e STG : éventuellement chapitre II, Guerre et paix (1914-1946), leçon 1 : L’Europe au cœur des

affrontements […].

.1e ST2S : éventuellement, le chapitre I, La République des années 1880 aux années 1940, question

obligatoire : La France en République, de 1880 au début des années vingt.

. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le

système colonial.

Pistes bibliographiques

. Chantal ANTIER, « Le recrutement dans l’Empire colonial français 1914-1918 », Guerres

mondiales et conflits contemporains, n°230, février 2008.

. Jacques FRÉMAUX Jacques, Les colonies dans la grande Guerre. Combats épreuves et peuples

d’Outre-mer, Paris, 14-18 Éditions, 2006.

Page 158: Rapport Fait colonial

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4 - LES ABUS D’UN ADMINISTRATEUR EN INDOCHINE

Le résident M. DARLES

Les Cahiers des Droits de l'Homme : publiaient récemment une lettre de M. Ferdinand Buisson,

président de la Ligue des Droits de l'Homme, à M. Sarraut, ministre des Colonies, au sujet de la révolte

survenue, en 1917, à Thaï N'Guyen (Indochine) et de la répression qui s'ensuivit.

Dans cette lettre, le rôle du résident de la province, M. Darles, est clairement défini : ce fonctionnaire,

par les abus dont il s'est rendu coupable a été l'auteur responsable de la rébellion. Sa culpabilité a d'ailleurs

été établie par la Cour de Saigon, dès 1917.

Or, le croirait-on? Aucune sanction administrative n'a été prise. Au contraire M. Darles a été nommé

membre du Conseil municipal de Saigon. Quant à la sanction judiciaire, elle fut dérisoire: 200 francs

d'amende.

Ce M. Darles est un administrateur de valeur. Il a acquis sa science politique au Quartier latin, où il fut

marchand de soupe.

Par la volonté d'un homme politique influent. M. Darles, alors sans ressources et criblé de dettes, fut fait

administrateur en Indochine.

Confortablement mis à la tête d'une province de plusieurs milliers d'habitants et investi d’un pouvoir

sans contrôle, il est préfet, maire, juge, huissier, garnisaire, en un mot, il cumule tous les pouvoirs. Justice,

impôt, propriété, vies et biens des indigènes, droits des fonctionnaires, élections des maires et chefs de

canton, c'est-à-dire la destinée d'une province entière est confiée aux mains de cet ancien popotier.

Puisqu'il n'avait pu devenir riche en extorquant ses clients à Paris, il prend sa revanche au Tonkin en

faisant arrêter, emprisonner, condamner arbitrairement les Annamites pour les pressurer.

Voici quelques faits qui illustrent le règne despotique de ce charmant administrateur que la République

mère a bien voulu nous envoyer pour nous civiliser.

Des volontaires (!) indigènes sont amenés pour servir aux tirailleurs et passer, à cet effet, la visite

médicale. Ce sont des illettrés, intimidés, que M. le Résident apostrophe et qu'il frappe à coups de poings, à

coups de canne, parce qu'ils ne répondent pas assez vite.

Il a frappé brutalement à coups de poings trois miliciens qui avaient laissé échapper un prisonnier, les

traînant à terre par les cheveux, leur cognant la tête contre le mur de sa résidence.

Pour interroger des prisonniers, M. le Résident leur piquait les cuisses avec son épée d'administrateur. Il

y en a qui s'étaient évanouis à leur retour à la prison.

De malheureux prisonniers mal nourris, habillés de haillons sordides, levés dès le point du jour, la

cangue au cou, de grosses chaînes aux pieds, attachés les uns aux autres, tirent le rouleau, un rouleau

compresseur énorme qu'il faut faire avancer sur les épaisses couches de grès. Complètement épuisés, ils

avancent péniblement sous un soleil implacable. Le résident arrive, porteur habituel d' une forte canne et,

sans raison, par un sadisme de bestialité inconcevable, il frappe à tour de bras sur ces malheureux avec sa

trique, leur reprochant d'être paresseux.

Un jour, notre civilisateur venant de faire des reproches à, un agent européen et ne sachant sur qui

décharger sa colère, prit sur son bureau une règle de fer et cassa deux doigts à un malheureux écrivain

indigène qui n'était pour rien dans l'affaire.

Un autre jour, il cravacha, en pleine figure, un sergent indigène en présence de ses hommes.

Une autre fois, il fit enterrer jusqu'au cou des miliciens qui lui déplaisaient et ne les fit déterrer qu'à

demi-morts.

Quand il se rend sur les routes où il contraint les indigènes à travailler pour un ou deux sous 1 par jour,

après leur avoir fait racheter leur journée de corvée au prix de quinze sous par journée, c'est par demi-

douzaines que l'on compte les jambes cassées à coups de pelles et de manches de pioche.

Une fois, dans un chantier, il s'empara du fusil d'un garde de surveillance pour frapper un prisonnier. Ce

dernier ayant réussi à s' esquiver, le résident se retourna contre le garde qu'il frappa avec le même fusil. Sa

digne moitié, Mme la Résidente, intervenait à son tour, elle frappait volontiers les prisonniers et faisait punir

les miliciens à l'occasion.

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On a vu M. le Résident crever d'un coup de canne l'œil d'un sergent. Il a accompli encore d'autres hauts

faits, mais nous ne pouvons les énumérer tous ici.

Tout cela est au su et au vu de tout le monde, y compris ses supérieurs hiérarchiques, les gouverneurs

généraux et résidents supérieurs qui pour récompenser son « énergie » et sa « vertu bien républicaine », lui

infligent impitoyablement des avancements.

Source : Hô Chi Minh in Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « Chapitre

IV, Les administrateurs, M. Darles », Paris, Le Temps des cerises, 1999, p. 61.

Présentation

La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du

contexte indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société,

document 4 intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les

redites au sein du rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.

Analyse

Ce document est une longue dénonciation de multiples abus du résident Darles à la tête de la

province de Thai Nguyen, au Tonkin, durant les années 1910. Le protectorat du Tonkin est dirigé par

un résident supérieur qui a le grade de gouverneur de première classe. Le ky est subdivisé en

plusieurs provinces, chacune sous la direction d’un résident. L’auteur s’appuie notamment sur la

publication d’une lettre du président de la Ligue des Droits de l’Homme, Ferdinand Buisson, dans la

revue Les Cahiers des Droits de l’Homme, qui remplace le Bulletin des Droits de l’Homme en 1920.

En effet, des organismes, surtout de gauche, sont particulièrement actifs, ils suivent et défendent la

situation des colonisés, considérés comme des peuples opprimés. Par exemple, le député socialiste de

Villeurbanne entre 1902 et 1910, Francis de Pressensé, deuxième président de la Ligue de 1903 à

1914, intervient au Parlement pour critiquer la brutalité de la répression de 1909 en Indochine suite à

la révolte de 1908. De même lors du congrès de la Ligue de 1917, où participent des parlementaires

partisans de réformes dans les territoires colonisés, comme les députés du Rhône Marius Moutet ou

d’Eure-et-Loir Maurice Viollette, l’application des principes de 1789 dans les colonies est

recommandée. La lettre citée par Hô Chi Minh est une demande pour faire condamner Darles.

L’ordre colonial impose la mise en place d’un encadrement administratif hiérarchisé,

l’administration civile et régulière coloniale, dont les membres doivent en principe respecter les

populations locales dans la mesure où cela n’entrave pas l’autorité française. Dans les colonies, cette

administration est composée d’un ensemble de fonctionnaires européens : des gouverneurs généraux

et des gouverneurs aux administrateurs de terrain, sans oublier les fonctionnaires indigènes aux

échelons inférieurs. Le recrutement du personnel administratif des colonies est très inégal, formation

sur le tas, comme cela semble le cas pour le résident Darles, ou passage par l’École coloniale, créée

en 1889. En Indochine, le recrutement des fonctionnaires est réorganisé par un décret du président

Loubet de 1899. Le « Personnel des Services civils de l’Indochine » est unifié du commis de

troisième classe à l’inspecteur, en passant par cinq classes d’administrateurs.

Les administrations coloniales se caractérisent par la confusion des pouvoirs. En effet, les

pouvoirs sont très étendus et sont concentrés dans les mains des mêmes personnages aux différents

échelons de l’administration : au sommet de la hiérarchie, le gouverneur général dans les colonies

françaises comme dans les autres empires. Celui-ci est le « dépositaire des pouvoirs de la

République », pouvoirs quasi-proconsulaires et peu à peu renforcés en Indochine, par exemple, avec

Page 160: Rapport Fait colonial

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le contrôle des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. C’est lui qui nomme les fonctionnaires

administratifs qu’il peut révoquer ou suspendre voire déplacer dans le cas du résident Darles en

Indochine. Ces pouvoirs très étendus en matière de police, de fiscalité, de justice se retrouvent aux

échelons inférieurs et ressemblent souvent à la loi du plus fort avec la tendance à imposer une

administration directe aux protectorats comme celui du Tonkin. Cela peut avoir des conséquences

graves sur les populations colonisées, d’autant plus que la médiocrité de l’encadrement colonial n’est

pas rare, comme le montre l’exemple du résident Darles.

L’administrateur, comme le résident, adopte le style des préfets ou des sous-préfets de la

République. Il habite la plus belle maison de sa circonscription, a de nombreux domestiques et

organise des réceptions où il reçoit les visiteurs importants. Par ailleurs, l’administrateur est souvent

omnicompétent et isolé, ce qui ne facilite pas les contrôles et favorise les abus. De plus, il ne faut pas

oublier que l’Etat administratif colonial recourt parfois à la contrainte et à la coercition pour imposer

un nouvel ordre du monde à des populations soumises et presque dépourvues de droits. Ce qui peut

expliquer et permettre les nombreux et divers abus commis par le résident Darles et rapportés par Hô

Chi Minh. Si le récit de ce dernier est souvent excessif, pour l’exemple de Darles, il suit assez

fidèlement la réalité.

En effet, le résident Darles est détesté par les populations colonisées et incarne l’ordre colonial

brutal. Il se conduit comme un potentat local à l’encontre des ordres de ses supérieurs comme le

gouverneur général Albert Sarraut. Ses abus témoignent du comportement marqué par l’arbitraire de

certains administrateurs, qui profitent de leur toute puissance, envers une population colonisée mise

dans une situation d’infériorité par le droit colonial. Ils entraînent des incidents violents avec la

révolte de la province en 1917. Celle-ci débute le 30 août 1917 avec une mutinerie des miliciens de la

garde indigène et la prise d’assaut du pénitencier de Thai Nguyen et de la résidence. Les prisonniers

sont libérés et surtout la ville est contrôlée temporairement. Les chefs de la mutinerie, le doï (sergent

Cam) et surtout Luong Ngoc Quyen, fils du lettré le plus célèbre de Hanoï et un des héros du

mouvement national vietnamien, mènent un mouvement qui revêt un caractère populaire de guérilla

paysanne. Quatre mois sont nécessaires aux autorités coloniales pour réduire les différents maquis

avec la mort de ses chefs au début de l’année 1918. Finalement, face à la gravité de la dérive du

comportement du résident Darles, l’administration coloniale réagit et ce dernier est convaincu de

brutalité dans l’exercice de ses fonctions. Mais sa condamnation ne semble pas à la mesure des

dérives de son comportement : il est condamné à une amende de 200 francs (ou piastres) et est

déplacé par le gouverneur général de l’Union indochinoise, Albert Sarraut. Par la suite, Darles est

chassé de l’administration ; il profite de l’aide de colons de Cochinchine, hostiles souvent à

l’administration, en occupant un poste important dans les distilleries Fontaine en Cochinchine et en

siégeant au conseil municipal de Saigon.

La médiocrité de l’encadrement colonial n’est donc pas rare, comme le dénonce aussi avec force

Claude Farrère dans son roman, Les civilisés, prix Goncourt en 1905. Cependant, le comportement

des administrateurs est assez inégal, s’il y a des abus, certains administrateurs veulent aider les

populations à défendre leur identité comme le résident Léopold Sabatier dans le pays du peuple Moi

(ou Moï). Il arrive même qu’ils soient vénérés par les populations et élevés en Indochine au rang de

génie protecteur du village. Il s’agit donc d’éviter de noircir la situation générale. Au total, la brutalité

est différente selon les régions et selon les administrateurs.

Mots-clefs : abus, administrateur, administration, Darles, Indochine, résident, révolte, Tonkin, Viêt-

nam.

Pistes pédagogiques

Page 161: Rapport Fait colonial

161

- Localiser la province du résident Darles.

- Quels sont les pouvoirs d’un résident ? Comment pourriez-vous les qualifier ?

- Quels sont les abus commis par Darles et dénoncés par l’auteur ? Expliquer les procédés rhétoriques

utilisés par ce dernier.

- Comment expliquer ces abus ?

- Comment Darles est-il sanctionné ? Que penser de cette sanction ?

Niveaux

Au collège

. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.

. Quatrième rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible

celle de la société coloniale.

Au lycée

. 1re

ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :

L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.

. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le

système colonial.

Page 162: Rapport Fait colonial

162

5 Ŕ DISCOURS DE MESSALI HADJ EN FEVRIER 1927

Les revendications immédiates

1. Abolition immédiate de l'odieux Code de l'indigénat et de toutes les mesures d'exception.

2. Amnistie pour tous ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale ou exilés pour infraction au

Code de l'indigénat ou pour délit politique.

3. Liberté de voyage absolue pour la France et l'étranger.

4. Liberté de presse, d'association, de réunions, droits politiques et syndicaux.

5. Remplacement des délégations financières élues au suffrage restreint, par un parlement national

algérien élu au suffrage universel.

6. Suppression des communes mixtes et des territoires militaires, remplacement de ces organismes par

des assemblées municipales élues au suffrage universel.

7. Accession de tous les Algériens à toutes les fonctions publiques sans aucune distinction, fonction

égale, traitement égal pour tous.

8. L'instruction obligatoire en langue arabe accession à l'enseignement à tous les degrés; création de

nouvelles écoles arabes. Tous les actes officiels doivent être simultanément rédigés dans les deux

langues.

9. Application des lois sociales et ouvrières. Droit au secours de chômage aux familles algériennes en

Algérie et aux allocations familiales.

Les revendications politiques

1. L'indépendance totale de l'Algérie.

2. Le retrait total des troupes d'occupation.

3. Constitution d'une armée nationale, d'un gouvernement national révolutionnaire, d'une assemblée

constituante élue au suffrage universel. Le suffrage universel à tous les degrés et l'éligibilité dans

toutes les assemblées pour tous les habitants de l'Algérie. La langue arabe considérée comme langue

officielle.

4. La remise en totalité à l'État algérien des banques, des mines, des chemins de fer, des forts et

services publics accaparés par les conquérants.

5. La confiscation des grandes propriétés accaparées par les féodaux alliés des conquérants, les colons

et les sociétés financières et la restitution aux paysans des terres confisquées. Le respect de la

moyenne et petite propriété. Le retour à l'État algérien des terres et forêts accaparées par l'État

français.

6. L'instruction gratuite obligatoire à tous les degrés en langue arabe.

7. La reconnaissance par l'État algérien du droit syndical, de coalition et de grève, l'élaboration des lois

sociales.

8. Aide immédiate aux fellahs pour l'affectation à l'agriculture de crédits sans intérêts pour l'achat de

machines, de semences, d'engrais ; organisation de l'irrigation et amélioration des voies de

communications.

Présentation du texte

Au moment Messali Had prononce ces mots, l’Algérie est un territoire dominé par la France

depuis 1830. D’après le recensement de 1926, on y compte 5 130 000 « Musulmans » et 870 000

« Européens ». Bien que le pays, divisé en trois départements, soit assimilé à la métropole, ses

habitants ne bénéficient pas tous d’un statut politique et de conditions de vie semblables. Les

« Européens », venus de France, d’Espagne, d’Italie auxquels se sont ajoutés les Juifs, naturalisés

Page 163: Rapport Fait colonial

163

français depuis le décret Crémieux de 1870, ont les mêmes droits politiques que les métropolitains

et représentent une minorité globalement plus aisée que les « Indigènes musulmans ». Ces derniers

étaient bien, selon le senatus-consulte de 1865, de nationalité française, sans pouvoir, toutefois,

bénéficier de la citoyenneté pleine et entière. Ils continuaient à relever de la « loi musulmane » pour

ce qui touchait au droit personnel, par exemple. Ils n’avaient pas le droit de vote, sauf dans le cas

des élections municipales des communes de plein exercice (celles qui comptaient une forte

proportion de population « européenne »). Les électeurs étaient toutefois, en 1866, divisés en

plusieurs collèges.

Celui qui rassemblait les citoyens français élisait deux tiers des sièges. Les communes mixtes,

vaste circonscription où la population française était nettement minoritaire, regroupant plusieurs

villages musulmans, était administrée par un fonctionnaire colonial non pas élu mais nommé par les

autorités coloniale, et son adjoint était nécessairement un « Indigène ».

Les enfants musulmans étaient aussi largement exclus du réseau scolaire déployé par les

autorités françaises. En 1931, En 1931, Maurice Viollette, ancien gouverneur général de l’Algérie,

écrivait : « Il y a actuellement en Algérie 1 199 classes, comportant 466 maîtres européens et 468

maîtres indigènes. Or, d’après le recensement de 1926, on compte 5 147 000 indigènes, ce qui

représente 900 000 enfants, garçons et filles d’âge scolaire. Nos écoles en reçoivent 60 000 ! Il reste

donc à construire plus de 20 000 classes pour plus de 800 000 enfants67

. »

En 1874, une liste d’infractions spécifiquement appliquées aux « Indigènes » est établie.

Augmentée dans les années suivantes, elle est rassemblée dans ce que l’on a appelé le code de

l’indigénat mis en place en 1881. Les libertés fondamentales Ŕ de réunion sans autorisation,

d’information, etc. Ŕ sont infiniment restreintes. Par ailleurs, le code prévoit diverses infractions qui

ne s’appliquent qu’aux habitants musulmans de la colonie : départ du territoire de la commune sans

permis de voyage, acte irrespectueux ou propos offensant vis-à-vis d’un agent de l’autorité même

en dehors de ses fonctions, etc. Les peines vont de l’amende à l’internement. Peuvent également

s’ajouter des amendes collectives infligées aux tribus ou aux villages, dans le cas d’incendies de

forêts, contredisant les bases mêmes du droit français.

C’est pour lutter contre cette inégalité de statut et de condition que Messali Hadj a rejoint en

1926 le premier parti nationaliste algérien. Né en 1898, à Tlemcen dans une famille très religieuse,

de son vrai nom Ahmed Messali, il est fils d’un cordonnier. Il fait son service militaire en France, à

Bordeaux, de 1918 à 1921. Il revient en France en 1924, devient ouvrier et épouse Emile Busquant.

C’est aussi le moment où il fréquente le Parti communiste. Sous la recommandation du Komintern,

le leader communiste Hadj Ali Abd el-Kader préconisait alors la création d’une organisation laïque

anticoloniale, qui prendra naissance sous le nom de l’Etoile nord-africaine en 1926. La nouvelle

organisation est composée de militants venus du Maghreb, essentiellement d’Algérie. Messali Hadj

en devient le secrétaire général.

Le discours ci-dessus est prononcé lors d’un congrès anticolonial, réuni à Bruxelles en février

1927, à l’initiative du parti communiste français. Messali Hadj résuma en quinze minutes les

objectifs de son parti. Si la première partie peut être qualifiée de réformiste, réclamant avec force

l’égalité sociale et politique entre tous les habitants de l’Algérie, la seconde est nettement plus

novatrice. Messali Hadj ne se contente pas de condamner sans nuance la colonisation française, il

appelle de ses vœux l’indépendance du pays. Ainsi, le discours marque-t-il une étape importante

dans l’histoire du mouvement national algérien, mais aussi dans celle du mouvement anticolonial

mondial en affirmant clairement la volonté d’indépendance d’un des États les plus anciennement

colonisés.

Le parti de l’Étoile nord-africaine se fixe donc des buts éminemment politiques : indépendance

de l’Algérie, unité entre les trois pays du Maghreb et transformation de l’Empire en une sorte de

Commonwealth franco-africain. Il devient alors le représentant des jeunes nationalistes algériens et

67

Maurice Viollette, L’Algérie vivra-t-elle ? Notes d’un ancien Gouverneur général, Paris, Libr. F. Alcan, 1931.

Page 164: Rapport Fait colonial

164

compte alors près de 3 000 militants. En 1928, il rompt ses attaches avec le Parti communiste. Il est

interdit par les autorités françaises en 1929. Il reprend vie sous différents noms, comme l’Union

nationale des musulmans nord-africains en 1935. En 1937 est solennellement fondé le PPA (parti du

peuple algérien), interdit en 1939. 1946 voit la naissance du MTLD (mouvement pour les libertés

démocratiques), toujours présidé par Messali Hadj.

Sa lutte contre la colonisation valut à ce dernier d’être plusieurs arrêté et emprisonné. Pendant la

Guerre d’Algérie, il s’oppose à la stratégie définie par la FLN, entraînant des combats fratricides

entre les diverses fractions du mouvement indépendantiste. Messali Hadj meurt en 1974 en France.

Signalons enfin que le code de l’indigénat qui, parti d’Algérie, a essaimé dans toute l’Afrique dès la

fin du XIXe siècle, n’a été supprimé qu’en 1946.

Place dans les programmes

Classes de 3e, de 1

re et de Ter. S.

Questions

1. Qu’appelle-t-on le Code de l’Indigénat ? Qu’est-ce qu’un fellah ?

2. Montrez en quoi les Musulmans d’Algérie ne bénéficient pas des mêmes droits que les

habitants européens de la colonie.

3. Pourquoi l’auteur distingue-t-il les revendications immédiates des revendications

politiques ?

4. Parmi les revendications politiques défendues par Messali Hadj, quelle est la plus importante

pour l’avenir de l’Algérie ?

5. Quelle forme d’Etat prévoit-il, sur le plan social et politique, pour la future Algérie ?

6. Pourquoi ce texte est-il considéré comme un des fondements du mouvement national

algérien ?

Mots-clés

Algérie, colonisation, anticolonialisme, indépendance, communisme, mouvement national.

Page 165: Rapport Fait colonial

165

6 Ŕ Les revendications d’une délégation du Destour tunisien

en 1920

Les Tunisiens ont chargé une délégation de venir à Paris se mettre en contact avec le Gouvernement de la

République et avec le Parlement afin d’exposer à la France la situation actuelle de la Tunisie, situation issue

d’un régime qui a cessé d’assurer le progressif épanouissement des facultés économiques et sociales de notre

pays…

Messieurs les Membres du Parlement

La Délégation tunisienne a l’honneur de vous remettre ci-joint, une note concernant la « Question

tunisienne », dans laquelle vous trouverez le commentaire des articles suivants, qui forment le programme

des revendications tunisiennes.

1/ Une assemblée délibérative, composée de membres tunisiens et français élus au suffrage universel,

maîtresse de son ordre du jour et à compétence budgétaire étendue ;

2/ Un gouvernement responsable devant cette Chambre ;

3/ La séparation absolue des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ;

4/ L’accès des Tunisiens à tous les postes administratifs à condition de présenter les garanties

intellectuelles et morales requises pour les candidats français ;

5/ L’égalité de traitement des fonctionnaires occupant, à compétence égale, des fonctions identiques, sans

qu’il soit fait de différence en faveur des Européens et au détriment des Tunisiens ;

6/ L’organisation de municipalités élues au suffrage universel dans tous les centres de Tunisie ;

7/ L’instruction obligatoire ;

8/ La participation des Tunisiens à l’achat des lots de l’agriculture et des terres domaniales ;

9/ La liberté de presse, de réunion et d’association.

La Délégation tunisienne a la conviction que ses revendications, en raison de leur caractère juste et

légitime, trouveront auprès de vous l’appui de votre haut esprit de justice et d’équité et de votre sympathie

agissante.

Hassouna Aïachi (Avocat au barreau de Sousse) ; Taher Ben Amar (Agriculteur) ; Farhati ben Ayed

(Propriétaire) ; Abderahmane Lazzem (Membre de la commission consultative, industriel à Bizerte) ; Elie

Zerah (avocat au barreau de Tunis) ; Hamouda El Mestiri (Agriculteur).

Présentation du document

Depuis 1881, la Tunisie est devenue un protectorat français. Si l’administration beylicale (du

nom du chef de l’État tunisien, le Bey) est maintenue (réduite toutefois à trois ministères), il n’en

reste pas moins que l’essentiel du pouvoir est détenu par le Résident général, nommé par les

autorités coloniales, épaulé par le secrétaire général et sept départements administratifs qui

gèrent le pays en son ensemble. En 1907, une commission consultative (qui a pour fonction

d’examiner le budget) est créée. Les Tunisiens, bien que de façon très minoritaire, y sont

représentés. Il n’est donc pas étonnant que le personnel administratif soit majoritairement constitué

de fonctionnaires français (11 500) pour 7 000 Tunisiens. Par ailleurs, seuls les postes subalternes

de la fonction publique étaient accessibles à ces derniers qui recevaient en outre des traitements de

50 à 60 % inférieurs à ceux de leurs collègues français. Les Tunisiens, en tant que sujets du Bey,

relevaient de la justice rendue par ses services. L’accès à la nationalité française était très

strictement contrôlé.

Page 166: Rapport Fait colonial

166

Aux inégalités politiques, s’ajoutaient les injustices sociales. Dans les années 1880, sous

l’influence du directeur de l’instruction publique, Louis Machuel, le protectorat avait lancé le projet

d’un réseau d’écoles franco-arabes, ouvertes à tous les enfants. Mais, en 1920, beaucoup de villages

en étaient encore dépourvus. Enfin, les terres les plus fertiles étaient largement passées dans les

mains des colons. Ainsi, en 1914, les Européens disposaient-ils d’un million d’hectares (sur les 9

millions d’hectares de terres cultivables du pays). Ils représentaient une infime minorité de 1274

agriculteurs. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Etat soutient la colonisation agricole en distribuant des

terres aux colons français, suscitant le mécontentement des propriétaires tunisiens qui se sentaient

exclus de ce mouvement d’appropriation du sol.

La résistance à la colonisation n’a pas engendré, comme en Algérie ou au Maroc, de conflit armé

(mis à part les premiers mois de la colonisation). Mais dès la fin du XIXe siècle, un groupe de jeunes

intellectuels, qui se font appeler les Jeunes Tunisiens, le plus souvent issus du collège Sadiki (un

établissement secondaire créé avant la colonisation) et des institutions scolaires françaises,

prennent la parole pour demander une plus large participation de leurs compatriotes à la vie

politique du pays. Ils se regroupent dans des associations de type culturel comme la Khaldounyia

(1897) ou les Anciens du collège Sadiki, et défendent leurs positions dans la presse. Ils font

entendre leur voix au Congrès colonial de Marseille en 1906. Ils fondent ainsi un journal en 1907

qui exprime leurs revendications, Le Tunisien. Leur mouvement est toutefois réprimé en 1911,

après des manifestations durement châtiées par le pouvoir en place.

Après la Première Guerre mondiale, les questions politiques reviennent au-devant de la scène.

En 1919, le Cheikh Abdelaziz Thaalbi part pour la France où se tient la Conférence de la Paix. La

mission qu'il s'est fixée comporte un triple objectif : réclamer l'indépendance de la Tunisie en se

fondant sur le principe wilsonien du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ; prendre de discrets

contacts avec les nationalistes arabes exilés ; faire connaître les revendications tunisiennes auprès

des milieux gouvernementaux et parlementaires français. Ces vœux s’expriment dans un pamphlet,

La Tunisie martyre. Ses revendications, rédigé par Abdelaziz Taalbi, et qui vaut à son auteur d’être

arrêté. Dans son texte, l’auteur réclame en effet l’indépendance pour son pays et une constitution.

C’est dans ce contexte qu’est créé en février 1920 le Destour ou parti libéral constitutionnel qui

reprend l’idée de constitution avancée par Thaalbi. En 1920, deux délégations sont envoyées à Paris

pour faire connaître les vœux des élites tunisiennes. La dernière est menée par Tahar Ben Ammar

en décembre 1920, (futur Premier ministre de la Tunisie qui négocia son autonomie). Elle remit le

texte présenté ci-dessus. Elle fut reçue par le Président du Conseil en exercice, Georges Leygues

qui prit en considération un certain nombre des revendications exprimées par les Tunisiens. Au

contraire du pamphlet d’A. Thaalbi, elles ne remettaient en effet nullement en question la

colonisation en son principe, portant essentiellement sur la revendication d’une meilleure

participation des Tunisiens à la vie politique, sociale et économique de leur pays.

Les délégations reçurent un donc certain écho de la part des autorités françaises qui dépêchèrent

en Tunisie un Résident général, Lucien Saint, réputé plus souple que son prédécesseur. L’état de

siège qui avait été instauré dans le pays une dizaine d’années plus tôt fut levé. Un ministère de la

Justice fut créé, attribué à un notable musulman. Quelques mois plus tard, la conférence

consultative fut remplacée par un grand conseil, formé de deux assemblées (l’une française, l’autre

tunisienne), dont les compétences restèrent toutefois étroites.

Mais au total, le système colonial ne fut en rien modifié. La revendication d’une véritable

constitution n’a pas été acceptée par les autorités coloniales. Le Destour renforça ses effectifs,

estimés à 45 000 adhérents en 1924. Il participa à la constitution du syndicat tunisien, la

Confédération générale tunisienne du travail, qui mena des actions à la fois sociales et nationales.

En 1934, une aile plus revendicative du parti, menée par Habib Bourguiba, se détacha du parti

pour devenir le Néo-Destour dont les revendications nationalistes étaient clairement affichées.

Place dans les programmes

Page 167: Rapport Fait colonial

167

Classes de 3e, de 1

re et de Ter. S.

Questions

1/ Chercher dans la documentation le fonctionnement des institutions du protectorat de Tunisie.

2/ Quel type de régime politique demandent les membres de la délégation menée par Tahar ben

Ammar ?

3/ À quelles catégories de populations appartiennent les signataires ?

4/ Quelles comparaisons peut-on établir avec le mouvement national au Maroc et en Algérie ?

5/ Qui est Habib Bourguiba ?

Mots-clés

Protectorat, mouvement national, Tunisie, notables, scolarisation.

Page 168: Rapport Fait colonial

168

DOSSIER 5

VIVRE AUX COLONIES :

LA COMPLEXITE DES DYNAMIQUES SOCIALES

Aujourd’hui, les historiens insistent de plus en plus sur le vécu des acteurs en situation coloniale,

sur les « interstices » où ils évoluaient, sur les « marges de manœuvre » dont ils disposaient et, au

final, sur la profonde complexité de leurs expériences.

Vivre aux colonies, pour un « indigène » et plus encore pour un esclave, c’est vivre dans un

cadre de contraintes extrêmes. Pour autant, les possibilités d’évolution ne sont pas inexistantes : le

marronnage, l’affranchissement, le rachat, le métissage, la promotion sociale existent dans les

sociétés esclavagistes (doc. 1) qui, surtout à la fin du XVIIIe siècle, voient ainsi monter un groupe

particulièrement dynamique, celui des « Libres de couleur ». Ces derniers possèdent d’ailleurs eux

aussi des esclaves (doc. 3). Les relations maître-esclave sont parfois empreintes d’ambiguïté et, plus

encore lorsque qu’une tourmente révolutionnaire rebat les cartes politiques (doc. 2). La situation des

femmes est elle aussi parfois fluide, comme en atteste l’exemple de Suzanne Amomba Paillé,

également évoquée plus loin dans le dossier 6 (Femmes, métis, métissages).

De manière générale, des élites « indigènes » nouvelles ont émergé dans tous les territoires

colonisés, parfois au grand dam des membres des aristocraties anciennes (doc. 4). Parallèlement, les

élites traditionnelles ont pu être renforcées par le système colonial qui avait besoin des relais

autochtones.

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Frédéric REGENT, Esclavage, métissage, liberté, la Révolution française en Guadeloupe,

Grasset, 2004.

Amadou HAMPATE BA, L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète

africain, 10/18, 1973 (roman).

Mohammed HARBI, Une vie debout. Mémoires politiques (tome 1), La Découverte, 2001.

Page 169: Rapport Fait colonial

169

1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR SUZANNE AMOMBA PAILLE,

UNE ESCLAVE AFFRANCHIE DE GUYANE

(1re

MOITIE DU XVIIIe SIECLE)

Présentation générale

Il existe peu de données personnelles concernant les libres dans les archives. En Guyane, il y

eut cependant une femme qui fit beaucoup parler d’elle. Alors même qu’elle ne savait ni lire ni

écrire, son histoire nous est connue par les nombreux courriers échangés entre les administrateurs et

la métropole à son sujet.

Esclave sur une habitation prospère de Guyane à l’extrême fin du XVIIe siècle, puis affranchie

par son mariage, Suzanne Amomba Paillé68

est née dans le dernier quart du XVIe siècle. Elle a

épousé en 1704, « Jean Paillé, soldat de la garnison et maître maçon, tailleur de pierre»69

, avec

lequel elle va mettre en valeur une plantation (habitation) qui en trois décennies devient fort

prospère : six esclaves en 1707, soixante-sept, trente années plus tard. L’habitation produit les

cultures coloniales alors en usage en Guyane : cacao, indigo, café et rocou. Les époux Payé

possèdent trois pirogues, un colombier et une maison dans le bourg de Cayenne.

De sa naissance, nous ne savons rien. Mais un acte de mariage et un acte de sépulture

encadrent sa vie de femme. Le 29 juin 1704, en effet, le père Mousnier, curé de la paroisse Saint-

Sauveur de Cayenne, reçoit « le consentement mutuel de mariage [...] après la publication des trois

bans et en présence des témoins soussignés de Jean Paillé, soldat de la garnison et maître maçon,

tailleur de pierre, natif du Pont Saint-Martin en Basse Marche et de Suzanne Amomba, négresse

libre »70

.

C’est en 1755, le 28 janvier, que l’acte de sépulture de Suzanne Amomba Paillé est enregistré

par le père Ruel, curé de la paroisse Saint-Sauveur de Cayenne,. « Suzanne Amomba, veuve de Jean

Paillé, habitant de Macouria, âgée d’environ cent ans71

, morte cette nuit dernière a été inhumée

dans l’église en la gallerie du côté de la Sainte-Vierge en présence des sieurs Lacoste et Brillouët

qui ont signé. Signé à l’original Brillouët, Lacoste et Ruel, jésuite»72

.

68

Suzanne est son nom « colonial », celui de son baptême ; Amomba, son nom africain, ce qui laisse supposer qu’elle

est née dans le golfe de Guinée et qu’il s’agit d’une esclave « bossale » ; Paillé, son nom d’épouse. Ces trois noms

ponctuent le rythme géographique d’un destin exceptionnel. 69

Arch. dép. Guyane, 1 Mi 203, registres paroissiaux de Saint-Sauveur de Cayenne. 70

Id. 71

Selon le recensement de 1717, Suzanne Amomba était âgée en 1717 de 34 ans. Elle serait donc née vers 1683 et

décédée autour de sa soixante-douzième année. Le recensement de 1737 lui attribue l’âge de 64 ans... Elle serait alors

née vers 1673 et décédée autour de sa quatre-vingt deuxième année. 72

Arch. dép. Guyane, 1 Mi 203, registres paroissiaux de Saint Sauveur de Cayenne.

Page 170: Rapport Fait colonial

170

Une femme libre à la tête d’une grande exploitation

Donation par Suzanne Amomba, Négresse libre, veuve Paillé, en date du 30 avril 1748.

Par-devant nous, l’un des notaires royaux, […] fut présente en personne Suzanne Amomba, Négresse

libre, veuve de feu Jean Paillé, vivant habitant demeurant à Cayenne, rue des Cazernes, laquelle considérant

que elle ne savoit faire un meilleur usage [de ses biens] que de les employer à l’éducation des enfants de

cette colonie où, après avoir elle-même acquis la liberté le plus précieux de tous les biens, elle jouit encore

d’une fortune assez considérable. A par ces présentes fait donation entre vifs […] aux enfants de l’un et de

l’autre sexe pour leur bonne instruction et éducation, ce acceptant par Monsieur d’Orvilliers, […]

commandant à Cayenne, Monsieur Lemoyne […] ordonnateur de cette colonie […], d’une habitation sise au

quartier de Macouria plantée en rocou, circonstances et dépendances et généralement tous les biens meubles

et immeubles qui pourraient se trouver appartenir à ladite donatrice […] avec les esclaves ci-dénommés […].

Source : Arch. dép. Guyane, 1 Mi 242, naf 2577

Recueil de pièces concernant le petit collège de Cayenne

Une habitation prospère : « le Courbary »

Recensements 1709 1711 1717 1737

Esclaves 6 10 16 67

« Bestes à corne » 1 3 5 46

Production de « vivres » : - « Milh » oui oui ? oui

- Manioc oui oui ? oui

- Ignames oui oui ? oui

Cultures d’exportation : - Rocou - oui oui oui

- Indigo - - oui oui

- Café - - - oui

- Cacao - - - oui

Armes : - Sabre - 1 1 1

- Fusil 1 3 2 2

Maison à Cayenne - - 1 1

Une fortune très convoitée

Jacques François Artur, médecin du roi dans la colonie, raconte ainsi ce qu’il advint de la propriété

de Suzanne Amomba Paillé :

Le 30 avril 1748, la nommée Amomba, négresse libre, veuve Paillé, qui se trouvait un bien

considérable, attirait l’attention des hérédipettes de la colonie. Plusieurs s’étaient déjà appropriés, de manière

ou d’autre, une bonne partie de son bien. D’autres visaient à lui faire faire en leur faveur une donation entre

vifs, de tout le reste. Enfin elle paraissait décidée en faveur de M. de L’Isle Adam à qui elle allait faire cette

donation : on l’en détourna ; et le 30 avril de cette année 1748, elle fit cette donation aux enfants de l’un et

l’autre sexes de la colonie, pour être employée à l’établissement de deux écoles pour leur éducation».

Page 171: Rapport Fait colonial

171

Source : Bibl. nat. de France, naf 2572.

Une colonie faiblement peuplée : la Guyane entre 1704 et 1739

Source : Archives nationales, Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), série C14.

N.B : Les Amérindiens ne sont pas compris, sauf dans la population servile.

Les affranchis dans la société guyanaise

Code Noir de 1685

Article 57

Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nos dites îles

et les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos

sujets naturels de notre royauté, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les

pays étrangers.

Article 58

Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et

à leurs enfants, en sorte que l'injure qu'ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle

était faite à une autre personne: les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres

charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs

personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.

Article 59

Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes

nées libres; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes

que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres

sujets.

Source : Moreau de Saint-Méry,

Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique sous le Vent de 1550 à 1785

Paris, 1774

Dispositions diverses de 1733

Tout habitant de sang-mêlé ne pourra exercer aucune charge dans la judicature. […]

Années Blancs % Total Esclaves % Total Libres % Total Population totale

1704 264

17.5 1215 82 5 0.5 1484

1714 367 13 2488 86.5 11 0.5 2866

1716 296 10 2637 89 28 1 2961

1720 388 12 2774 87 32 1 3194

1733 468 9.5 4303 90 20 0.5 4791

1737 475 10 4297 89.5 33 0.5 4805

1739 566 10.5 4653 88.5 44 1 5263

Page 172: Rapport Fait colonial

172

Tout habitant qui se mariera avec une négresse ou mulâtresse ne pourra être officier, ni

posséder aucun emploi dans les colonies. Source : Moreau de Saint-Méry,

Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique sous le Vent de 1550 à 1785

Paris, 1774

La première colonisation en Guyane française

1604 Les premiers Français abordent la côte guyanaise.

1664 Début d’une véritable implantation française : premières « habitations » et

premiers esclaves. Fondation de la ville de Cayenne.

1749 Révolte des esclaves en Guyane. Un grand nombre d'entre eux s'enfuient et

s'installent dans la forêt : c'est le marronnage.

1763 Expédition de Kourou EX "Kourou ou Courou ou Caourou" ou essai de

colonisation blanche, c'est-à-dire sans apport de main d'œuvre servile. C’est un

échec : l'impéritie des responsables de l'expédition, une mauvaise organisation,

la saison des pluies favorisent le développement des maladies, provoquant la

mort de plus de sept mille personnes.

1787 À la veille de la Révolution, la colonie compte 1 300 blancs, 10 400 esclaves et

483 noirs libres. Les Amérindiens ne sont pas dénombrés.

Page 173: Rapport Fait colonial

173

Pistes de travail

Contexte géographique : localisation de la Guyane, de Macouria (carte)

- Sur la carte 1, indiquer par un repérage de couleur la Guyane française, le Brésil et le Surinam.

- Sur la carte 2, écrire le nom des fleuves (Oyapock, Approuague, Kourou, Mroni) et celui du bourg

de Cayenne. Reporter l’emplacement de l’habitation des époux Paillé.

Contexte démographique

- Montrer sous forme d’un graphique l’évolution de la population de la Guyane entre 1704 et 1739.

- Réaliser la carte d’identité des différentes cultures pratiquées sur l’habitation « Courbary »

(dictionnaire, encyclopédies).

- Quels sont les éléments montrant qu’il s’agit d’une habitation prospère ? Comment cette habitation

a-t-elle évoluée entre 1704 et 1737 ?

- Que sait-on du mari de Suzanne Amomba ? Que se passe-t-il à sa mort ?

- Quels sont les éléments qui montrent que a) Suzanne est devenue une personne importante de la

Amérique du Sud (carte 1)

La Guyane française (carte 2)

Page 174: Rapport Fait colonial

174

colonie et b) qu’elle n’est cependant pas réellement acceptée par l’élite de la société coloniale.

- À quels épisodes de sa vie correspondent les trois éléments de son nom (Suzanne Amomba

Paillé) ?

- Qu’est-ce que le Code Noir ? Quels sont les articles concernant les affranchis ? Que disent-ils ?

Mots-clés

Esclavage / première colonisation / femme / affranchissement / habitation / recensement / Guyane /

Code noir

Pistes d’exploitation possibles

2e : module sur l’application du Code Noir

Page 175: Rapport Fait colonial

175

2 Ŕ LETTRE DU COMTE DE NOE

A TOUSSAINT LOUVERTURE (1799)

Londres, 6 avril 1799

Ce que je viens d’apprendre, mon cher Toussaint, des services que vous avez rendus au Sieur

Bayon, notre ancien procureur, me confirme dans l’opinion que j’avais déjà conçue de vous, sur les

derniers actes publics de votre conduite. Cela me prouve également que vous n’avez pas [oublié]73

ceux auxquels vous avez été attaché pendant tant d’années. Tous ces motifs me font penser avec

confiance, que vous trouverez le même plaisir à m’être utile du moment que je vous aurai fait

connaître la position malheureuse dans laquelle les malheurs de la Révolution m’ont réduit, en me

dépouillant d’une grande fortune et me réduisant à la misère, et à manquer de tout dans un âge

avancé. Sans cette affreuse révolution, mon intention était d’aller avec mes enfants, finir mes jours

paisiblement sur mes habitations, où ma plus grande jouissance aurait été de rendre heureux tous

ceux qui dépendaient de moi, comme vous savez bien que moi et mes parents, nous l’avons fait

pendant notre séjour dans la colonie. Mais hélas ! je crains bien que ce plan ne puisse jamais

s’exécuter ; cependant il pourrait encore avoir lieu ; si, comme j’aime à me le persuader, vous

voulez employer votre pouvoir, et vos moyens au Rétablissement de mes habitations, et de celles de

mes parents, que vous avez connus, et me faire passer dans ce pays-ci où je réside actuellement, des

secours qui sont nécessaires à ma subsistance, et à la conservation de ma vie, et de celle de mes

enfants.

Adieu ! mon cher Toussaint, votre réponse que j’attendrai avec une impatience égale à mes

besoins me confirmera, j’en suis convaincu, dans la bonne opinion que j’ai de vous, et me prouvera

que j’avais raison, ainsi que mes parents, de vous avoir donné notre confiance, de même qu’au bon

Nègre Blaise, et à quelques autres bons sujets, qui avaient été attachés à mes père et mère, et à toute

ma famille.

Le comte de Noé

P.S. : Les enfants de ma sœur, la Comtesse de Polastron, ainsi que mon cousin le Comte de

Butler, anciens propriétaires des habitations Bréda, sont dans la même position malheureuse que

moi, étant également dépouillés de leur fortune. Le comte de Butler, qui vous a connu à Saint-

Domingue, ne vous écrit pas, sachant que je le fais.

Votre réponse pourra me parvenir sûrement si vous la faites passer par la même voie par

laquelle je vous envoie cette lettre.

Comme je suis bien convaincu, mon cher Toussaint, que vous arrivez à mon secours en me

faisant passer des fonds, soit en sucre ou en argent et je joins à ma lettre, l’adresse d’une maison de

commerce établie à la Jamaïque, à laquelle vous pourrez adresser les objets que vous me ferez

passer, et qui me seront envoyés avec exactitude.

Boble and Jopp

Kingston

Jamaïque74

Source : Archives publiques britanniques, Kew, Public Record Office, CO 137/50.

Présentation du document

73

Le mot manque dans l’original. 74

On lit aussi la mention « 8 April 1999 Jamaica » rajoutée en quatrième feuille du document. David Geggus est le

premier historien à avoir signalé l’existence de cette lettre (voir “Toussaint Louverture and the Slaves of the Bréda

Plantations”, Journal of Carribean History, vol. 20, 1985-86, p. 267).

Page 176: Rapport Fait colonial

176

Ce document est la copie d’une lettre écrite en 1799 par le comte de Noé à « l’homme qui

monte » à Saint-Domingue, Toussaint Louverture, que le comte de Noé avait connu lors de son

séjour dans l’île de 1769 à 1775, puisqu’il ne s’agit autre que d’un ancien esclave de la sucrerie

Bréda du Haut-du-Cap appartenant à son oncle Pantaléon II de Bréda. Cette copie est conservée aux

archives britanniques du Public Record Office, du fait que le comte de Noé était, à cette époque,

émigré en Angleterre. Privé de ressources, ses réserves ont fondu et, apprenant que l’ancien esclave

de Bréda qu’il a connu autrefois étendait sa domination sur Saint-Domingue, il lui écrit pour lui

demander du secours.

Qu’un ancien maître, aristocrate émigré et désargenté, écrive à un ancien esclave, cela parait le

monde à l’envers. C’est pourtant ce qui s’est passé en avril 1799 quand le comte de Noé, grand

propriétaire de Saint-Domingue, demande de l’aide à « l’homme qui monte » dans la grande île,

Toussaint Louverture.

Au-delà de ce cas particulier, l’histoire retrouve nombre de cas de « Libres de couleur », anciens

esclaves ou descendants directs, dont le rôle économique va croissant dans la société antillaise tout

au long du XVIIIe siècle. Reproduisant le modèle colonial, ils sont à leur tour propriétaires

d’esclaves Ŕ qu’ils vendent ou louent Ŕ et font leurs affaires (artisans, commerçants, propriétaires

terriens). C’est dans cette catégorie de population que vont se recruter les cadres de la nation

haïtienne en devenir.

Analyse

Le ton est à la fois familier (« mon cher Toussaint », signe d’une relation ancienne, solide et

authentique) et déferrent, car il s’agit de demander de l’aide à un individu que son ascension

politique pouvait rendre « chatouilleux ». Noé fait allusion à l’aide que Toussaint Louverture a

apporté à Bayon de Libertat, l’ancien procureur des habitations Bréda et de la sucrerie du comte à

l’Acul-du-Nord : il s’agit plus précisément du processus d’encouragement au retour d’anciens

colons, le nouveau maître de Saint-Domingue souhaitant leur rétablissement dans l’île pour relancer

l’économie des cultures d’exportation, sucre et café notamment. Bayon est donc revenu sur sa

sucrerie au Limbé, et relance la production. Ce genre d’information ne pouvait échapper au comte,

qui demande à l’ancien esclave le « rétablissement » (entendre : la relance) de ses domaines. Et, en

attendant, de lui faire parvenir soit de l’argent, soit des barriques de sucre à vendre sur le marché

londonien. Le comte en rajoute sur la corde sensible en faisant allusion à un souhait bien

hypothétique de venir finir ses jours dans son île natale (son attitude de grand seigneur à L’Isle-de-

Noé ne le confirme pas du tout). Il fait également allusion à un service qu’il avait rendu autrefois à

l’ex-esclave, mais comment interpréter cette phrase « j’avais raison de vous avoir donné notre

confiance » ? Il s’agit probablement de l’affranchissement de l’esclave Toussaint, devenu Toussaint

Bréda. Le comte en a-t-il pris la décision, est-il intervenu conjointement avec le procureur Bayon de

Libertat pour que l’oncle Bréda accepte l’affranchissement d’un esclave méritant, dont la tradition

fait un cocher de Bayon ? La lettre malheureusement ne dit rien d’explicite à ce sujet mais sous-

entend une relation importante entre les trois hommes du fait de cet affranchissement. L’allusion au

« bon nègre Blaise », Blaise Bréda, un Arada (venant du sud du Bénin actuel) comme le père de

Toussaint, affranchi avant 1770, ajoute à la familiarité (Blaise Bréda avait été le cuisinier du comte

durant son séjour), ce n’est évidemment pas une allusion gratuite.

On n’a pas la preuve formelle, mais il semble bien que le souhait du comte de recevoir des

secours ait été exaucé, c’est du moins le souvenir qu’en a gardé la tradition familiale chez les Noé.

Cette lettre, exceptionnel document, illustre la complexité des rapports entre anciens maîtres et

anciens esclaves, que l’on aurait tort d’analyser de façon trop manichéenne.

Mots-clés : Toussaint Louverture, esclave, Révolution française

Page 177: Rapport Fait colonial

177

Pistes d’exploitation possibles 2

e : module sur la Révolution française aux Amériques

Relations avec autres disciplines :

Français (textes sur la condition des esclaves, la relation maître-serviteur)

Page 178: Rapport Fait colonial

178

3 Ŕ LA LOCATION D’UN ESCLAVE

PAR UN « LIBRE DE COULEUR » (1778)

Par devant les notaires du roi au Cap-Français, île et côte de Saint-Domingue, soussignés

Fut présent Blaise dit Bréda, nègre libre demeurant en cette paroisse Notre-Dame de l’Assomption,

au nom et comme tuteur du nommé Nicolas, mulâtre libre, autorisé par justice à affermer amiablement le

nègre appartenant audit mineur, ainsi qu’il résulte de l’ordonnance de M. le Sénéchal, juge royal de cette

ville du 26 mai 1768

Lequel en sa qualité a par ce présenté, loué et affermé à titre de bail à ferme à prix d’argent pour le

temps et l’espace de trois années entières et consécutives qui commenceront à courir de ce jour pour finir à

pareil de l’année 1781 et promet faire jouir ledit temps exempt de tous troubles et empêchement quelconque

Au nommé Matthieu Blaise, nègre libre, maçon, demeurant en cette ville susdite paroisse à ce

présent et acceptant preneur pour lui et les siens, un nègre nommé Mars, de nation Congo, âgé d’environ

vingt-deux ans, étampé sur le sein droit N.las Monteuil, estimé amiablement entre les parties mil sept cents

livres, lequel nègre le preneur a déclaré parfaitement connaître pour l’avoir vu et visité, en être content et

satisfait et s’en reconnaît en possession pour par lui en jouir et user aux charges claires et conditions qui

suivent.

Le présent bail est fait à la charge par ledit preneur qui s’y oblige de jouir dudit nègre en bon père de

famille, de le loger, nourrir, vêtir, traiter et médicamenter tant en santé qu’en maladie, de répondre de sa mort

naturelle, accidentelle et marronnage sur le prix de l’estimation ci-dessus, de payer tout droit imposé et à

supposer sur icelui, et fournir caution et certificateur tant pour l’exécution du présent bail que pour le prix

dudit nègre dans le cas où il viendrait à décéder avant l’expiration du présent [acte] qui est en outre fait pour

la somme de deux cents livres pour chacune desdites trois années, que le preneur promet et s’oblige payer au

bailleur en sa qualité ou au porteur de ses ordres en quatre termes et paiements égaux de l’année, de trois en

trois mois à peine de tous dépens dommages et intérêts

Nonobstant lequel terme, le bailleur en sa qualité reconnaît que le preneur, par anticipation à iceux,

lui a payé la somme de deux cents livres montant de la première année du bail dont il le quitte et décharge

À ce faire étaient présent et sont intervenus les nommé Ignace Pompée Guesquin et Pierre Chiquet,

tous deux nègres libres, maçons, demeurant en cette ville susdite paroisse, lesquels après avoir pris

communication et que lecture leur a été faite du bail ci-dessus, ont déclaré savoir ledit Ignace Pompée

Guesquin et se rendre et constituer caution pleine et répondant dudit Matthieu Blaise, et ledit Pierre Chiquet

certificateur de la solvabilité dudit Guesquin lesquels ont promis et se sont obligés solidairement avec ledit

Matthieu Blaise, les uns pour les autres (…) pour le tout sous les renonciations aux exceptions et bénéfices

de droit de remplir et exécuter toutes les charges clauses et conditions du présent bail et d’en payer le

fermage aux termes ci énoncés et le prix du nègre en formant l’objet dans le cas ci-désigné, sous l’obligation

et hypothèque de tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir, et sous les mêmes obligations

ledit Matthieu Blaise a promis et s’est obligé de relever, garantir et indemniser lesdits Guesquin et Chiquet

des charges du présent cautionnement, à l’entière exécution du présent, les parties sont chacune à leur égard

obligé, affecté et hypothéqué généralement tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir

promettant et obligeant et renonçant, etc.

Fait et passé au Cap en l’étude l’an mil sept cent soixante-dix huit, le six juillet avant midi, et a ledit

Chiquet signé ces présentes pour double minute en vertu de l’édit du roi et lesdits Blaise Bréda, Matthieu

Blaise et Ignace Pompée Guesquin déclaré ne savoir écrire ni signer de ce requis suivant l’ordonnance

Signatures : Chiquet, Ellu, Tach, Bordier Jeune

Source : Archives Nationales d’Outre-Mer, Dépôt des Papiers Publics des Colonies,

notSdom (notaires de Saint-Domingue), reg. 174 (Me Jean-François Bordier Jeune)

Présentation du document

Il s’agit d’un acte notarié daté du 6 juillet 1778, issu du registre des doubles minutes de Me Jean-

François Bordier Jeune, notaire au Cap-Français, qui traitait nombre d’affaires de « libres de

Page 179: Rapport Fait colonial

179

couleur ». En l’occurrence, il s’agit d’une location d’esclave pour trois ans. On pouvait louer un

esclave, de la même manière qu’un logement. Les registres des notaires des colonies d’Ancien

Régime sont aujourd’hui consultables aux Archives Nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence. Ce

fonds fait partie du Dépôt des Papiers Publics des Colonies (institué par le pouvoir royal en 1776.

Avant cette date, le dépôt d’un double des actes notariés en métropole était fort aléatoire).

Analyse

Tout acte de vente ou de location d’esclave s’effectuait devant notaire (ainsi que les

affranchissements), de façon à en confirmer le caractère officiel pour éviter toute contestation

ultérieure. Dans le cas des affranchissements, certains se faisaient tacitement (on appelait cela la

« liberté de savane »), ce qui permettait au maître de ne pas payer la taxe afférente, au montant

élevé et donc dissuasif, mais alors, dans les faits, l’esclave affranchi n’était libre qu’à l’intérieur du

périmètre de l’habitation dont il dépendait auparavant.

Les protagonistes dans le document présenté sont des « libres de couleur », Noirs ou Mulâtres

devenus libres soit par affranchissement, soit par naissance. Ces personnes, évoluant dans un milieu

esclavagiste, reproduisent elles aussi le modèle colonial dans lequel elles évoluent. Il ne faut donc

pas être surpris de voir d’anciens esclaves faire commerce d’esclaves ou en louer, et en affranchir.

L’affaire précise implique Blaise Bréda, ancien esclave de l’habitation Bréda du Haut-du-Cap,

ancien cuisinier du comte de Noé durant son séjour dans l’île (de 1769 à 1775), homme dont la

réputation, le conseil et la sagesse semblent avoir été appréciés de son milieu des « libres de

couleur ». Il est présentement tuteur d’un certain Nicolas Monteuil, « mulâtre libre » non émancipé,

mais propriétaire d’un esclave bossale (importé d’Afrique), un certain Mars de nation Congo,

présumé âgé de 22 ans et marqué au fer « N.las Monteuil » pour bien en préciser la propriété. Cet

esclave est loué pour trois ans à un « libre de couleur » exerçant la profession de maçon, Matthieu

Blaise (probablement pour travailler sur des chantiers de construction).

Comme il se doit, la procédure précise que, conformément au Code Noir, le locataire doit veiller

à l’entretien de l’esclave. Les baux sont précisés, au même titre que s’il s’agissait de louer un

logement. L’opération se fait devant témoins Ŕ également « libres de couleur » et maçons de

profession Ŕ pouvant se porter caution (Ignace Pompée).

Les « libres de couleur » exerçaient en ville des professions de commerçant, ou d’artisans (le

bâtiment étant un secteur particulièrement actif). Dans les terres, on les voit devenir propriétaires de

caféières et concurrencer sérieusement les « petits Blancs » arrivés en nombre dans les années 1770

attirés par l’Eldorado américain (les revenus du café faisaient chavirer nombre de têtes). À la veille

de la Révolution, ces « libres de couleurs » sont de l’ordre de 40 000 personnes, davantage que les

Bancs (30 000).

Mots-clés : esclave, libre de couleur, notaire, Code Noir

Pistes d’exploitation possibles

2e : module sur l’application du Code Noir

Relations avec autres disciplines

Français (textes sur la condition des esclaves, relations maître-valet)

Page 180: Rapport Fait colonial

180

4 – ÉCOLE COLONIALE ET MUTATIONS SOCIALES

EN A.O.F. AU DEBUT DU XXe SIECLE

Alors que je coulais des jours heureux entre l’école coranique, mon frère et mes camarades

d’association75, survint un élément qui allait marquer un tournant majeur dans ma vie. (…) voilà que

l’on m’arrache brutalement à mes occupations traditionnelles, qui m’auraient sans doute dirigé vers

une carrière classique de marabout-enseignant, pour m’envoyer d’office à « l’école des Blancs »,

alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en enfer !

À l’époque, les commandants de cercle avaient trois secteurs à alimenter par le biais de l’école :

le secteur public (enseignants, fonctionnaires, subalternes de l’administration coloniale, médecins

auxiliaires, etc.) où allaient les meilleurs élèves ; le secteur militaire, car on souhaitait que les

tirailleurs, spahis et goumiers aient une connaissance de base du français ; enfin le secteur

domestique, qui héritait des élèves les moins doués. Le quota annuel à fournir pour les deux

premiers secteurs était fixé par le gouverneur du territoire ; les commandants de cercle exécutaient

la « commande » en indiquant aux chefs de canton et aux chefs traditionnels combien d’enfants il

fallait réquisitionner pour l’école.

C’est ainsi qu’un beau jour de l’année 1912, vers les deux tiers de l’année scolaire, le

commandant de cercle de Bandiagara Camille Maillet donna ordre au chef traditionnel de la ville,

Alfa Maki Tall, fils de l’ancien roi Aguibou Tall, de lui fournir deux garçons de bonne famille, âgés

de moins de dix-huit ans, pour compléter l’effectif de l’école primaire de Bandiagara. (Victimes

d’une vengeance de Koniba Kondala, chef de quartier nommé par les Français, Amkoullel76 et son

frère Hammadoun sont sélectionnés. Koniba Kondala vient les chercher).

- Où nous emmènes-tu ? osa demander Hammadoun.

- Là où vous méritez d’aller, à la porcherie des toubabs77 ! Vous y serez transformés en

pourceaux, ou mieux encore, en petits fagots destinés à alimenter les feux de l’enfer !

(On emmène ensuite Amkoullel chez le commandant de cercle. Un interprète traduit à l’enfant,

qui ne parle pas français, ce que dit le commandant).

- Veux-tu aller à l’école pour apprendre à lire, à écrire et à parler le français, qui est une langue

de chef, une langue qui fait acquérir pouvoir et richesse ?

Je réponds avec force : « Oui, papa commandant ! Et je t’en conjure par Dieu et son prophète

Mohammad, ne me renvoie pas, garde-moi et envoie-moi à ton école le plus vite possible ! »

Visiblement, le commandant est interloqué par une réponse aussi inattendue de la part d’un petit

nègre, surtout dans cette région très musulmane. (…)

- Pourquoi, mon petit, tiens-tu tellement à aller à l’école, contrairement à tous les enfants de

Bandiagara ?

- Interprète, dis au commandant que j’ai manqué deux fois l’occasion d’être chef78 (…). Le

commandant me donne une troisième chance de devenir chef, je ne voudrais pas la rater comme j’ai

raté les deux premières!

- Et pourquoi veux-tu devenir chef ? Que feras-tu après ? demanda le commandant.

- D’abord, je veux apprendre la langue du commandant pour pouvoir parler directement avec lui,

sans passer par un interprète. Ensuite, je voudrais devenir chef pour pouvoir casser la figure à

Koniba Kondala, cet ancien captif de mes ancêtres qui se permet, parce qu’il est envoyé par le

commandant, de couvrir d’insultes toute ma famille. (…)

75

De famille aristocratique, Hampaté Bâ était alors à la tête d’une association de classe d’âge qui regroupait tous les

garçons de 12 ans de son quartier. 76

Surnom d’A. Hampâté Bâ lorsqu’il était enfant. 77

Mot wolof signifiant « Blanc ». 78

À deux reprises, avec la mort de son père et la disgrâce de son beau-père lors de la conquête française, le jeune

Hampâté Bâ a été éloigné du pouvoir dont il aurait dû normalement hériter.

Page 181: Rapport Fait colonial

181

(Amkoullel est amené à l’école où il intègre la classe de M. Haïdara, moniteur de l’enseignement

indigène).

Le maître se leva et nous conduisit au dernier rang de la classe. Il me fit asseoir à l’avant-

dernière place et Madani à la dernière, en nous demandant de tenir nos bras sagement croisés sur la

table. Pourquoi m’avait-on placé avant Madani, qui était le fils du chef du pays, et pourquoi Daye

Konaré, l’un de ses captifs, était-il assis au premier rang ? Peut-être était-ce une erreur ? Après

un moment, je me levai pour céder ma place à Madani et m’installai à la sienne.

- Qui vous a permis de changer de place ? s’écria le maître en bambara. (…)

- Madani est mon prince, monsieur. Je ne peux pas me mettre devant lui.

- Ici, c’est moi qui désigne les places, on ne les choisit pas. Tu m’entends ?

- J’entends, monsieur.

- Reprenez les places que je vous ai données. Ici, il n’y a ni princes ni sujets. Il faut laisser tout cela

derrière vous, derrière la rivière.

Source : Amadou Hampâté Bâ

Amkoullel, l’enfant peul. Mémoires, Actes Sud, 1992, p. 307 sq.

Mots-clés

colonisation française, AOF, justice coloniale, régime de l’indigénat, ordre colonial, statut des

colonisés.

Place dans les programmes

Classes de 4e, de 1ère et de Ter.S.

Thématiques

- Réflexion sur les transformations sociales induites par la colonisation – et notamment via

l’école – qui transforme profondément les hiérarchies traditionnelles.

-

- Réflexion sur les formes d’adaptation des colonisés à la nouvelle donne.

Pistes de travail possibles

Découverte de la société dans laquelle a grandi le jeune Amkoullel, né dans un milieu aisé

et aristocratique

- Localiser la ville de Bandiagara sur une carte du Mali actuel.

- L’enfant était-t-il non scolarisé dans le système traditionnel ? Que devine-t-on du milieu où a

grandi le narrateur (quel est son milieu social, ses activités culturelles, sa religion, etc.) ?

Qu’est-ce qu’une « association de classe d’âge » ? Quelle aurait probablement été sa trajectoire

professionnelle s’il n’y avait pas eu la conquête française ? La colonisation a-t-elle

complètement balayé les hiérarchies traditionnelles à Bandiagara? Qui sont les différents

« chefs » dont parle le texte ?

Travail sur l’enseignement colonial

- Relever dans le document toutes les informations pertinentes concernant l’école coloniale.

Quelle langue d’enseignement ? Qu’est-ce qu’un « moniteur de l’enseignement indigène » ?

Page 182: Rapport Fait colonial

182

Quels sont les objectifs principaux de l’école coloniale, d’après ce texte ?

- L’école est-elle un choix pour les habitants de Bandiagara en 1912 ? Quelles sont leurs

inquiétudes face à l’enseignement français ?

Page 183: Rapport Fait colonial

183

DOSSIER 6

FEMMES, METIS, METISSAGES

Sous l’impulsion de l’histoire des femmes et de l’histoire du genre, les historiens ont

progressivement découvert que les femmes n’avaient pas été affectées par l’esclavage et la

colonisation au même titre, et selon les mêmes modalités, que les hommes. La promiscuité sexuelle

imposée par le maître de plantation ou le commandant de cercle, la naissance d’enfants métis ont

ainsi été le lot de nombreuses colonisées, modifiant le cours de leur vie de façon parfois

spectaculaire et brutale. À l’inverse, le relatif dédain des colonisateurs pour les femmes, dans

l’Afrique coloniale par exemple, les a soustraites à un certain nombre de taxes, corvées et

contraintes qui ont pesé systématiquement sur les seuls hommes. Et plus généralement, comme l’a

montré l’ouvrage collectif dirigé par Anne Hugon (Les femmes en situation coloniale, Karthala,

200), les rapports sociaux de sexe ont été, au sein des sociétés indigènes, profondément modifiés

par la présence coloniale : recul des systèmes d’héritage matrilinéaires, contrôle étroit des

migrations féminines, mais aussi parfois émancipation par l’école et éventuelle protection par des

institutions coloniales (mission, tribunaux, etc.). On le voit, là encore, la complexité et la pluralité

des expériences sont manifestes (doc. 1, 2 et 3).

La question des métis a également beaucoup intéressé les chercheurs Ŕ mais aussi les écrivains

« postcoloniaux » Ŕ ces dernières années. Situés dans un inconfortable entre-deux, suscitant souvent

le trouble auprès des autorités (voir ouvrage d’Emmanuelle Saada), objets de placement forcé dans

des orphelinats (alors même que leurs parents étaient vivants !) ou dans des institutions spécifiques,

la « question métisse » est un des révélateurs des contradictions des sociétés coloniales.

Nous avons choisi de privilégier, dans ce dossier, une approche interdisciplinaire. Nous avons

proposé deux modules documentaires utilisables plus spécifiquement, par les professeurs de Lettres

(doc. 4 et 5).

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Les Africaines. Histoire des femmes d'Afrique noire du

XIXe au XX

e siècle, Desjonquères, 1999.

Anne HUGON (dir.), Histoire des femmes en situation coloniale, Afrique, Asie, XIXe – XX

e

siècles, Karthala, 2004.

Emmanuelle SAADA, Les Enfants de la colonie. Les Métis de l’Empire français entre

sujétion et citoyenneté, La Découverte, 2007.

Page 184: Rapport Fait colonial

184

1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE :

UNE FAMILLE METISSEE DANS LA GUYANE DU XVIIe SIECLE

Présentation générale

Le métissage, une réalité dès l’arrivée des premiers esclaves en territoire colonial, prend parfois

une couleur légale dans les premiers temps de la colonisation, les unions mixtes étant tolérées par

l’administration coloniale jusqu’au début du XVIIIe siècle. Par la suite, ces mariages ne sont plus

autorisés.

Cependant, avec l’augmentation du nombre d’esclaves et de colons, le métissage se développe

dans le cadre d’un concubinage de fait. Les enfants nés de ces unions sont parfois affranchis et vont

former l’essentiel de la population « libre de couleur » de la colonie. Celle-ci, bien qu’en

augmentation tout au long du siècle reste cependant infime rapportée à la population servile et à

celle des colons blancs.

Le groupe des libres commence à émerger vers 1740 et, à la veille de la Révolution79

, les

colons des quatre colonies commencent à se sentir menacés : 1 libre pour 3 Blancs en Guyane, 1

pour 2 en Martinique, 1 pour 4 en Guadeloupe, 1 pour 1 à Saint-Domingue.

doc A. Une famille métissée en Guyane au XVIIIe siècle : les Tirel

L’arbre généalogique de cette famille fait apparaître les principales composantes de la société

coloniale guyanaise à l’époque moderne : parmi les membres de cette famille, on trouve des

Européens, des Amérindiens, des Africains esclaves et affranchis, un flibustier ou un soldat, des

mères célibataires, un déserteur… Métissage biologique, culturel, social, économique.

Leur histoire en Guyane commence à la fin du XVIIe siècle. Vers 1679, Jean Tirel, dit Le Malouin

(il s’agit soit d’un ancien soldat, soit d’un marin/pirate), a épousé Marguerite, une Amérindienne. Il

est âgé d’une trentaine d’années, elle est encore une toute jeune fille d’une quinzaine d’années. Six

enfants au moins naîtront de cette union.

En 1685, son habitation compte dix esclaves africains et amérindiens ; il y cultive «des vivres».

À sa mort, en 1690, il est inhumé dans le cimetière « côté de l’Evangile », signe d'une certaine

79

Dès les années 1760-1770 à Saint-Domingue, voire dès le début du siècle à La Martinique, selon Yvan Debbasch.

Page 185: Rapport Fait colonial

185

reconnaissance sociale.

Un quart de siècle plus tard (1709), un des fils, également prénommé Jean, a repris l’habitation

familiale qui n’a guère prospéré (un seul esclave) Avec lui vivent sa mère, sa sœur et une « bâtarde

de la sœur »80

. Il est propriétaire d’une « maison dans le bourg ». En 1717, il cultive le rocou. En

1737, du cacao (70 hectares environ). À cette date, il a trois esclaves. Son habitation dite

« Lespagnol » est alors située à Montsinnéry. Jean Tirel a épousé en 1720 Louison, « négresse

libre créole, fille de feu Jean Burgo, dit Mercier, habitant ». Sa mère, Marguerite était une esclave

affranchie par son mariage en 1697 avec le sieur Mercier dont elle avait déjà trois enfants. Peut-on

parler d’hérédité en matière de métissage ? Une certaine ascension sociale est marquée dans le

choix du parrain des enfants : s’il s’agit pour la première génération de la grand-mère, et des aînés

pour les plus jeunes, à la génération suivante, officiers de garnison, capitaine de navire marchand et

femmes d’habitants ont été sollicités. Pierre Drouillard, un des petits-fils, aura pour parrain en 1715

le gouverneur de la colonie.

Une petite-fille de Jean Tirel, Marie Drouillard, décédée en 1714 à l’âge de 10 ans, est enterrée

comme son aïeul dans l’église, sépulture réservée aux notables.

Source : Marie Polderman, La Guyane française 1676-1763 :

mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissages

Doctorat de l’université de Toulouse-II (2002)

Cayenne, Ibis Rouge éditions, 2004, 721 p.

doc B. Célibat et pauvreté des habitants en Guyane 1717-1737

Les

femmes européennes sont en nombre nettement moins important que les hommes européens : le

rapport moyen est de trois femmes pour quatre hommes

Source (tableau et citation) : Marie Polderman, idem.

80

Dans la génération suivante, deux autres enfants illégitimes sont signalés chez les Tirel En 1745, naît Pierre Tirel, fils

« d’un père inconnu et de Madeleine Tirel, mulâtresse libre ». Madeleine épouse l’année suivante Jean-Baptiste

Timoutou, « Indien libre nourague de nation ». En 1746, Marie Claudine, fille naturelle de Marie Tirel, voit le jour.

1717 1737

Esclaves Plantations Célibataires Plantations Célibataires

> 100 6 1 5 1

50 -100 10 1 17 3

10 - 50 44 2 83 10

1 - 10 59 10 62 18

Sans

esclaves

14 7 33 22

TOTAL 133 21 200 53

Page 186: Rapport Fait colonial

186

c. Mariage et métissage

Les registres paroissiaux de l'église Saint-Sauveur de Cayenne témoignent de mariages entre

blancs et esclaves à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIII

e. Au début du XVIII

e siècle, ces

mariages sont peu à peu interdits dans les colonies françaises d'Amérique : dès 1711 à la

Guadeloupe, en 1724 pour la Louisiane : « Défendons à nos sujets blancs de l'un et l'autre sexe de

contracter mariage avec les Noirs […], et à tous curés, prêtres ou missionnaires […] de les

marier ». Le décret de 1741 confirme cette interdiction en Guyane : « L’intention de Sa Majesté

n’est point de permettre le mélange de sang des habitants de la colonie de Cayenne avec celui des

Nègres ».

Néanmoins, le 9 novembre 1695, le père François Guyard, curé de la paroisse, écrit : « J'ai

reçu le consentement mutuel de mariage, fait en face d'Église, entre Nicolas Raison dit La

Montagne, soldat dans la garnison fils de Jean Raison et de Marie Boulet de St-Pierre de Lanion en

Bretagne d'une part et Marie, négresse libre, veuve de Pierre Moreau habitant de cette isle d'autre

part après avoir été dispensés des bans par le RP supérieur et avoir eu l'agrément de M. le

gouverneur… »

Le 10 décembre 1687, le père Rullier reçoit le « consentement mutuel de mariage entre Marc

Miton, fils de Marc Miton […] et Marianne cy-devant esclave du sieur Constant à présent libre par

l'accord de ce mariage ». Marianne est une Amérindienne.

Source: Arch. dép. Guyane, 1Mi 203, in Marie Polderman, op. cit.

D. Etre nommé…

Même affranchi, (l’esclave) n’est qu’un prénom, celui, chrétien, qui lui a été attribué lors de sa

réduction en esclavage ; souvent le même que celui de ses compagnons de misère (comme les

soldats…). Le nom choisi par le maître est parfois celui d’un nom illustre de l’histoire occidentale.

Parfois (rarement) est indiqué son nom africain, ou le nom de la tribu africaine dont il est

originaire.

Les affranchis sortent de leur condition d’ancien esclave lorsqu’ils (la plupart du temps elles)

épousent un habitant ou un soldat, si pauvre soit-il : ils se « blanchissent » ainsi et les termes de

« mulâtre », de « nègre libre » disparaissent de l’état civil ; il y a intégration complète et leur origine

est ainsi occultée. Le nom se « blanchit » par mariage ; l’esclave n’est qu’un seul prénom,

l’affranchi devient réellement un « libre » lorsqu’il porte un prénom chrétien, un nom européen et

que son statut initial n’apparaît plus dans les registres d’état civil. Il n’est l’égal des autres habitants,

soldats et fonctionnaires qu’après deux voire trois générations.

Source: Marie Polderman, op. cit.

Pistes de travail

Page 187: Rapport Fait colonial

187

- À partir des éléments du document A, tracer l’arbre généalogique de la famille Tirel entre 1679

et 1755.

- En quoi cette famille est-elle métissée ?

- Quels indices montrent que le statut de métis permet de sortir de la condition d’esclave ?

- Comment la famille Tirel est-elle un exemple de métissage biologique, culturel, social,

économique ?

- Calculer le pourcentage d’hommes célibataires en 1717 et en 1737 (document B). Que constate-t-

on ? En quoi cela va-t-il favoriser le métissage ?

- Le mariage avec une esclave est-il autorisé ? Quel peut en être l’avantage pour l’esclave ? Que

dit le décret de 1741 à ce propos en Guyane ? Qu’en est-il dans les autres colonies françaises

d’Amérique ? (document C)

- Comment le nom et le prénom traduisent-ils le statut social de la personne ? En quoi lui confère-

t-il une identité (document D) ?

Mots-clés

Esclavage / première colonisation / femme / Guyane / Code noir / métissage / mariage

Lien Voir aussi le dossier 1 (Économie & société dans les empires coloniaux) : « Suzanne Amomba

Paillé, une esclave affranchie en Guyane » (cartes)

Page 188: Rapport Fait colonial

188

2 Ŕ LA CONDITION DES FEMMES EN INDOCHINE

Le martyre de la femme indigène

D'après ce que nous avons relaté dans les pages précédentes, on a pu voir de quelle manière la femme

annamite est « protégée » par nos civilisateurs. Nulle part elle n'est à l'abri de la brutalité. En ville, dans sa

maison, au marché ou à la campagne, partout elle est en butte aux mauvais traitements de l'administrateur, de

l'officier, du gendarme, du douanier, de l'employé de gare. Il n'est point rare d'entendre un Européen traiter une

Annamite de con-dhi [putain] ou de bouzou [singe]. Même aux Halles centrales de Saigon, ville française, dit-

on, les gardiens européens n'hésitent pas à frapper les femmes indigènes à coups de nerf de boeuf ou de

matraque pour les faire circuler. […] C’est une douloureuse ironie que la civilisation Ŕ symbolisée en ces

différentes formes, liberté, justice, etc. par la douce image de la femme et agencée par une catégorie d’hommes

qui se piquent de galanterie Ŕ fasse subir à son emblème vivant les traitements les plus ignobles et l’atteigne

honteusement dans ses mœurs, dans sa pudeur et dans sa vie. […] Ce ne sont pas seulement des visites

domiciliaires à jet continu, ce sont des visites corporelles qui peuvent être opérées en tous lieux sur les indigènes

des deux sexes ! Des agents des douanes pénètrent dans des habitations indigènes, obligent des femmes et de

jeunes filles à se dévêtir complètement devant eux et, quand elles sont dans le costume de la Vérité, poussent

leur fantaisie lubrique jusqu’à apposer sur le corps le cachet de la douane.

Oh ! mères, femmes, filles françaises, qu’en pensez-vous, mes sœurs ! Et vous, fils, maris et frères français ?

C’est bien de la galanterie française et « colonialisée », n’est-ce pas ?

L’enthousiasme des Annamites pour l’instruction moderne effraie l’Administration du Protectorat. C’est

pourquoi elle ferme les écoles communales, elle les transforme en écuries pour messieurs les officiers, elle

chasse les élèves et coffre les maîtres. Une institutrice indigène fut arrêtée, amenée, tête nue au chef-lieu, sous le

soleil brûlant, la cangue au cou.

Un adjudant-chef d’artillerie mettait le feu à une maison sous prétexte que la propriétaire ne voulait pas le

recevoir à minuit.

Un lieutenant, polygame, jetait à terre une jeune femme annamite et l’assommait à coup de rotin, parce

qu’elle ne voulait pas être sa concubine.

Un autre officier avait violé une fillette dans des conditions odieuses de sadisme. Traduit devant la Cour

Criminelle, il fut acquitté parce que la victime était une Annamite. […]

Source : Hô Chi Minh, Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse,

« Chapitre XI, Le martyre de la femme indigène »,Paris, Le Temps des cerises, p. 127-135.

Présentation

La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du contexte

indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société, document 4

intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les redites au sein du

rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.

Analyse

Ce document est un extrait du chapitre XI, « Le martyre de la femme indigène », où Hô Chi

Minh rapporte des exemples des mauvais traitements infligés aux femmes en Indochine mais aussi

dans les autres parties de l’empire français, qui n’ont pas été retranscrits, tout en ironisant sur la

mission civilisatrice de la colonisation. L’auteur dresse ainsi une liste effroyable du comportement

des colonisateurs, du fonctionnaire au colon, envers les femmes annamites. L’attitude de supériorité

des Européens envers les femmes colonisées qui apparaît n’est pas spécifique à l’Indochine.

Page 189: Rapport Fait colonial

189

La colonisation a un impact très différent pour les hommes et pour les femmes. Bien que le

discours colonial sur la France civilisatrice la présente comme émancipatrice pour ces dernières, la

réalité est tout autre. En effet, les femmes, qui représentent les gardiennes de l’identité du groupe

avec les rôles de conservation du sang et de reproduction de la famille et de ses valeurs,

apparaissent désormais comme des obstacles aux changements. La condition des femmes

s’aggrave : ainsi avec la mise en subordination ou/et la détérioration de leur statut, de leur rôle, de

leur place. Par exemple, les femmes sont pénalisées par l’introduction du droit européen comme le

Code Napoléon qui amoindrit l’autonomie financière féminines dans les sociétés matrilinéaires

africaines, ou par les changements de code de la famille comme en Indochine où le code chinois Gia

Long (principe confucéen des trois obéissances au père, au mari et au fils aîné) est désormais

appliqué. Ce code est plus inégalitaire que la coutume vietnamienne qui ouvre le droit a un égal

héritage et offre la possibilité de choisir son conjoint. Par ailleurs, les colonisateurs ne traitent

qu’avec les hommes ce qui entraîne souvent la non-reconnaissance de la femme dans certains

secteurs (agriculture, commerce, sociétés secrètes,…) et elles se retrouvent souvent à l’écart des

secteurs les plus modernes de l’économie et de la société coloniales. Enfin, il n’est pas inutile de

rappeler que la femme est considérée comme inférieure à l’homme dans la société française.

Ces comportements abusifs et violents peuvent aussi s’expliquer par l’image véhiculée des

femmes colonisées, notamment sur les cartes postales mais aussi sur les affiches ou dans la

littérature, qui participe à un imaginaire colonial où les femmes sont inférieures et disponibles pour

tous les désirs des hommes. Ainsi, les cartes postales montrent des femmes tonkinoises souvent

nues ou des femmes dominées par leur époux, donc des femmes qui doivent accéder à la

civilisation occidentale et à la liberté par rapport au poids des coutumes locales grâce à la

colonisation française. Ensuite, la dimension érotique est très présente avec un discours très

sexualisé. Par exemple, la femme tonkinoise est souvent représentée avec distinction afin

d’exprimer l’image de la sexualité mystérieuse et sensuelle des Asiatiques. Ainsi, le colon domine

la femme qui est avant tout un objet sexuel. La terre coloniale est perçue comme une occasion

d’assouvir ses désirs les plus inavouables et permet d’expulser l’énergie sexuelle réprimée par la

société européenne. Par ailleurs, en Indochine, de nombreuses femmes deviennent la concubine

d’un européen notamment des militaires et des fonctionnaires civils : la congaï, qui signifie

également jeune fille en vietnamien, est un terme péjoratif dans la bouche d’un européen. Il n’y a

pas de respect pour les concubines en général de la part des Européens. En cela les européens

reprennent la tradition vietnamienne où le chef de famille est autorisé à avoir jusqu’à dix

concubines, qui doivent obéissance à la femme principale. Ces concubines peuvent servir de

servantes ou pallier la stérilité de la femme principale ou son impossibilité à donner naissance à un

enfant mâle.

Le respect pour les femmes de l’Indochine et au-delà pour les femmes de l’ensemble de l’Empi-

re n’existe pas.

Mots-clefs : abus, femme, violence, Indochine, Viêt-nam.

Pistes pédagogiques

- Comment les Européens se comportent-ils envers les femmes annamites ? Citer des exemples.

- Comment l’auteur dénonce-t-il ces comportements ?

- En quoi cela est-il contradictoire avec la mission civilisatrice de la France ?

- Montrer que ce traitement des femmes a un but précis. Quelles peuvent en être les conséquences pour

la place des femmes dans la société vietnamienne ?

Niveaux

Page 190: Rapport Fait colonial

190

Collège

. 4e: Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.

. 4e rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible celle de la

société coloniale.

Lycée

. 1re

ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe

siècle à 1939, leçon 3 :

L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.

. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le

système colonial

Pistes bibliographiques

. Pierre BROCHEUX , Hô Chin Minh, Presses de Sciences Po, Paris, 2000.

. Pierre BROCHEUX Pierre, Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambigüe (1858-1954),

Paris, La Découverte, 2001.

. Daniel HEMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam, coll. « Découvertes », Gallimard,

1994.

Page 191: Rapport Fait colonial

191

DOC 3 Ŕ ENTRETIEN AVEC UNE SAGE-FEMME GABONAISE

FORMEE A L’EPOQUE COLONIALE

Je m’appelle Azizet Fall N’Diaye, je suis née le 6 mai 1924 à Brazzaville, de père sénégalais et de mère

gabonaise. Je suis veuve et mère de six enfants. J’ai fait mes études primaires au Sénégal chez les sœurs de

Saint-Joseph où j’ai obtenu mon certificat d’étude en 1939.

Il faut signaler que les écoles ont d’abord été construites pour former des Noirs qui puissent aider les

Blancs. (…) À l’époque, il n’y avait que des hommes, ce sont eux qui faisaient office de secrétaires, les

femmes, c’est bien plus tard. Ma mère, par exemple, était scolarisée, elle savait lire et écrire, mais on leur

apprenait l’art ménager, l’entretien de la maison et du foyer, c’est tout. Quand il s’est agi de recruter du

personnel pour la santé, c’étaient les hommes qui étaient infirmiers et les militaires qui s’occupaient de la

santé. (…)

Quand je suis partie (au Sénégal) avec mon père à l’âge de six ans (en 1930), il existait déjà une école de

sages-femmes. L’Afrique de l’Ouest était en avance sur l’Afrique centrale sur la formation professionnelle

des femmes. Il existait l’École des sages-femmes et l’École normale d’institutrices. Les premières sages-

femmes que j’ai connues là-bas ont l’âge de ma mère, mais ici (au Gabon), nous sommes les premières. Les

sages-femmes de là-bas et qui sont de ma génération sont de 5e ou 6

e promotion. Nous sommes la 1

re

promotion (de Gabonaises formées au Sénégal), Marguerite Issembet et moi. La première sage-femme, c’est

Marguerite Issembet ; son premier poste d’affectation a été au Mali. Elle a obtenu son certificat d’étude à

Saint-Louis-du-Sénégal et, à l’époque, on recrutait au niveau du certificat d’étude. (…)

C’est surtout mon père qui voulait que je sois sage-femme parce qu’à l’époque, les sages-femmes étaient

de grandes élites. (…) Il n’y avait rien à l’époque, il n’y avait pas de lycées, l’université n’en parlons même

pas, l’université a été créée il y a à peine trente ans. Quelle que soit ton intelligence, il y avait un seuil qu’il

ne fallait pas dépasser, en un mot, on était limitées dans nos choix. S’il avait existé des lycées, je ne serais

pas que sage-femme. J’avais une institutrice qui voulait que j’aille continuer mes études au lycée en France,

mais je ne le pouvais pas, à l’époque il n’y avait pas de bourses, et mon père n’avait pas de moyens pour m’y

envoyer. Je suis donc partie à Dakar pour être sage-femme.

(…) Mon premier poste d’affectation a été Brazzaville (au Congo français) en 1947 ; à la fin de cette

même année, j’ai rejoint mon premier poste d’affectation au Gabon, c'est-à-dire Mouila, où j’ai exercé

pendant un an. Après mon mariage, en 1948, mon mari a bénéficié d’un stage, je l’ai accompagné et, de là-

bas, j’ai demandé une bourse pour continuer les études (…). J’ai pu ainsi préparer mon diplôme d’infirmière

d’État.

Source : Extraits d’un entretien mené avec Madame Azizet FALL N’DIAYE en 2000,

in Aurélie AYENI, Les femmes dans les services de santé au Gabon (1950-1980),

Thèse de doctorat d’histoire, Université d’Aix-en-Provence, 2007, p. 77-78

(thèse non publiée).

Mots-clés : colonisation française, AEF, Gabon, femmes, scolarisation, sages-femmes.

Place dans les programmes

Classe de 4e, de 1ère et de Ter.S.

Pistes de travail

- Travail sur la scolarisation et la formation professionnelle des filles à la période coloniale.

- Quelles étaient leurs possibilités de promotion par l’école ? Ces possibilités étaient-elles

comparables à celles des garçons ? Quelles carrières s’offraient aux meilleures élèves ?

- Localiser les lieux de formation et d’affectation mentionnés par Madame Fall N’Diaye.

Page 192: Rapport Fait colonial

192

Analyse

Madame Azizet Fall N’Diaye, qui fut l’une des deux premières sages-femmes gabonaises (elle

est diplômée en 1947), a enseigné à partir de 1958 à l’Ecole des sages-femmes de Libreville (créée

à la veille de l’indépendance) et a exercé des fonctions de Directrice des Affaires sociales du Gabon

de 1970 à 1976. Elle a accepté, au début des années 2000, de témoigner de son parcours de vie

auprès d’une jeune chercheuse gabonaise qui consacrait sa thèse à l’histoire des femmes gabonaises.

Son récit de vie, dont quelques extraits sont présentés ici, constitue un intéressant témoignage sur le

parcours scolaire des jeunes filles durant la période coloniale.

Le document évoque la marge de manœuvre très étroite des filles Ŕ plus étroite encore que celle

des garçons Ŕ dans les années 1930-1940, dans cette parente pauvre de l’Empire qu’était l’Afrique

Équatoriale française : faiblesse numérique de la scolarisation féminine, relative médiocrité de

l’enseignement (consensus généralisé pour penser que la « vocation » naturelle des filles était de

s’occuper de leur foyer), rareté des « métiers » possibles (deux carrières envisageables seulement :

institutrice ou sage-femme)...

Mme Fall N’Diaye a un parcours atypique à plusieurs égards. Elle est d’abord fille unique et a

été fortement soutenue par son père, qui a de grandes ambitions professionnelles pour elle : c’est

déjà, en soi, une rareté dans le contexte des années 1930-1940 (même en métropole !).

Elle a la chance de pouvoir quitter très tôt le Gabon pour rejoindre le Sénégal, patrie de son père

Ŕ Sénégal où, surtout dans les villes, le réseau des écoles (publiques et privée) et le niveau de

scolarisation est, globalement, l’un des meilleurs de l’Afrique française. Ensuite, elle est scolarisée

dans une très bonne école privée, celle des sœurs de Saint-Joseph-de-Cluny, congrégation implantée

à Saint-Louis-du-Sénégal depuis 1819 Ŕ où elle s’avère une excellente élève. C’est en effet

généralement dans les écoles privées catholiques ou protestantes que sont offertes de véritables

possibilités d’ascension sociale aux élèves indigènes les plus doués (N.B : c’est le cas par exemple

pour Léopold Sédar Senghor qui commença ses études chez les Pères Spiritains, puis à Dakar au

collège-séminaire François Libermann, avant de rejoindre l’enseignement public).

Pour autant, l’accès aux études supérieures reste alors très limité ; il faut attendre les années 1950

pour voir se développer un système de bourses d’enseignement supérieur Ŕ et les débouchés

professionnels sont étroits, notamment pour les filles cantonnées à deux domaines principaux. La

mobilité professionnelle imposée aux institutrices et aux sages-femmes (qui peuvent être affectées

n’importe où dans la fédération) contribue également certainement à éloigner les filles de ces deux

carrières de la fonction publique indigène.

Ces métiers sont pourtant socialement valorisés et les institutrices comme les sages-femmes

appartiennent aux élites colonisées. Précisons cependant que, dans le système colonial, instituteurs

et personnels de santé n’appartiennent pas au même cadre de la fonction publique que les citoyens

français. Ils appartiennent en effet au « cadre indigène », sont formés dans des écoles différentes (et

généralement dans des filières plus courtes), ont des diplômes spécifiques moins bien cotés

(« moniteurs de l’enseignement indigène », « médecins indigènes », etc.) et sont, bien sûr, beaucoup

moins bien payés que les fonctionnaires français…

Le document témoigne enfin du développement tardif du secteur de la santé dans certaines

régions de l’Empire et de la faible attention portée à l’obstétrique, surtout en AEF. La médecine

coloniale a en effet connu un développement limité (campagnes de vaccination, lutte contre

certaines maladies endémiques) et les efforts ont été souvent tournés vers la main d’œuvre

masculine…

Pistes bibliographiques

Pascale Barthélémy, Femmes, africaines et diplômées : une élite auxiliaire à l’époque coloniale.

Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale française (1918-1957), thèse de doctorat

Page 193: Rapport Fait colonial

193

d’histoire de l’université Paris 7 Ŕ Denis Diderot, 2004, 945 p. (à paraître en 2010 aux Presses

Universitaires de Rennes).

Pascale Barthélémy, « Sages-femmes africaines diplômées en Afrique occidentale française des

années 1920 aux années 1960 : une redéfinition des rapports sociaux de sexe en contexte colonial »,

in Anne Hugon (dir.), Histoire de femmes en situation coloniale, Afrique et Asie, XXe siècle, Paris,

Karthala, 2004, p. 119-144.

Anne Hugon, « L’historiographie de la maternité en Afrique subsaharienne », Clio. Histoire,

Femmes & Sociétés, nº 21, 2005.

Page 194: Rapport Fait colonial

194

4 Ŕ SEQUENCE LETTRES

AUTOUR DE LA NOUVELLE LES JEUNES FILLES DE LA COLONIE

DE LEÏLA SEBBAR

in Une enfance outremer (Points virgule)

Niveau : Classe de 3e, dans le cadre « des récits d’enfance ou de récits porteurs d’un regard sur

l’histoire et le monde contemporains » (B.O. août 2008).

Présentation de la nouvelle Les jeunes filles de la colonie

La narratrice évoque sa situation d’enfant métis ayant grandi en Algérie dans les années 50. La

nouvelle est centrée sur deux expériences fondatrices qui lui rappellent son étrangeté pour les deux

communautés dont elle est issue : la rencontre des garçons arabes qui insultent les filles du maître

d’école et les allusions perfides des jeunes filles pieds-noirs.

Ces expériences sont présentes dans son œuvre depuis longtemps, que ce soit dans Si je ne parle

pas la langue de mon père écrit en 1988 (L’arabe est un chant secret, Bleu autour, 2007) ou Je ne

parle pas la langue de mon père publié en 2003 (Julliard). Leïla Sebbar s’y interroge déjà sur ses

relations à la langue paternelle qu’elle ne parle ni ne comprend. Elle éprouve une véritable curiosité

et attirance pour cette langue à la fois proche, exotique mais aussi menaçante.

1/ Le statut du narrateur autobiographique

- Quelle est la personne grammaticale utilisée par le narrateur ?

- Comment le narrateur est-il nommé dans la suite du texte ?

- Quelle relation pouvez-vous établir entre le narrateur et l’auteur ?

- Que pouvez-vous conclure sur le genre auquel appartient ce texte ?

C’est un récit à la première personne. Le nom de ce « je » Leïla Sebbar apparaît dans le cours du

récit. On peut donc dire qu’auteur, narrateur et personnage se confondent. Ce texte appartient donc

au genre autobiographique.

2/ La structure du récit : les différents niveaux temporels

- Quels sont les différents lieux mentionnés dans le texte ? À quelles différentes époques

correspondent-ils ?

- a/ Quelle est la situation familiale du narrateur enfant ? du narrateur adulte ?

b/ Repérez les passages où ces informations nous sont données. Comment sont-elles placées

dans le texte ?

- Quel est le temps verbal dominant ? quelles sont ses valeurs ?

Ce n’est pas un récit linéaire mais un récit fragmenté et elliptique fait de bribes d’informations,

de souvenirs et d’événements où se mélangent passé et moment de l’écriture.

Les informations principales ne sont pas données d’emblée, dès les premières lignes de la

situation initiale. Ainsi, faut-il attendre la citation de la marque « Banania », pour comprendre la

situation professionnelle des parents de la narratrice enfant, au détour de l’évocation du rituel du

petit-déjeuner familial.

Dans les premiers paragraphes, deux lieux sont facilement identifiables de part et d’autre de la

Méditerranée : « de l’autre côté de sa terre, de l’autre côté de la mer » : c’est d’une part la maison

familiale maternelle qui se trouve en France dans le Périgord, devenue « la maison de mémoire », et

Page 195: Rapport Fait colonial

195

d’autre part « la maison d’école » à la végétation et à la constitution méditerranéennes « roses

trémières », « figuier » « moustiquaires », en Algérie. Cette dernière impression est confirmée

quelques lignes plus loin par l’allusion au père « … l’école de mon père » ou « élève instituteur à

l’École normale d’Alger ». L’enfance de la narratrice dans les années 50 en Algérie forme le

premier niveau temporel.

Les autres lieux correspondent à une autre époque, celui de l’exil c’est-à-dire après la guerre

d’Algérie : « …jusqu’au moment où il lira, des années plus tard, de l’autre côté de la mer, exilé à

son tour… ». C’est le moment où la narratrice cherche les marques concrètes de son enfance « à la

Bibliothèque nationale de France » ou « dans les cafés arabes de Barbès », à la recherche d’un éclat

de voix ou d’une marque publicitaire. Les périodes de l’âge adulte Ŕ deuxième niveau de lecture Ŕ

se mêlent à l’évocation du passé. On comprend que la famille a définitivement quitté la terre

algérienne pour la France.

La situation personnelle de la narratrice a également changé : le père « Jeune élève instituteur

n’est plus. Elle le dit de façon allusive à plusieurs reprises : «… je ne peux plus lui poser mes

questions indiscrètes… » ; « … jusqu’à sa mort, un mercredi, je crois… » ; « Je ne peux pas, ici,

aujourd’hui, faire parler mon père d’outre-tombe. »

L’emploi dominant du présent de l’indicatif entretient la confusion des niveaux temporels : le

présent de narration sert à relater les anecdotes du passé et produit un effet d’actualité.

Le présent d’énonciation est réservé au moment de l’écriture « ici, aujourd’hui ».

3/ Le contexte colonial

- Quelles sont les deux principales parties de la nouvelle ? A quoi cette division correspond-

elle ?

- La narratrice reproduit le message publicitaire d’un modèle de chaussures : quelle image de

la femme algérienne donne-t-il ?

- Comment les femmes sont-elles nommées selon qu’elles sont algériennes (indigènes), pieds

noirs ou métropolitaines ?

- Quelle image de la société se dégage du discours et du mode de vie des jeunes filles de la

colonie ?

a/ Le texte de la nouvelle est divisé en deux parties isolées : « D’abord, Ce n’est pas la guerre » et

« Jusqu’au jour où C’est la guerre »

b/ Les messages publicitaires sont inscrits dans la mémoire comme n’importe quel autre souvenir

visuel, auditif ou olfactif. Celui des chaussures « Mauresque », terme utilisé par les pieds noirs pour

désigner une femme algérienne, véhicule une image exotique de la femme orientale faite de mystère

« aux airs mystérieux », indolente « mouvements lents et sûrs » et sensuelle « grâce ».

c/ Le discours des jeunes filles pieds noirs qui s’interrogent sur l’origine du nom de la narratrice

montre une société cloisonnée où chacun doit s’inscrire dans l’une ou l’autre des communautés sans

qu’il soit possible d’établir de passerelles.

Les noms disent la communauté à laquelle on appartient selon qu’on s’appelle « Benali » ou

« Sabbag ».

Les femmes algériennes sont désignées par le terme « mauresque » et les bonnes qui travaillent chez

les pieds noirs comme des « fatmas ». Une distinction est faite entre les français nés en Algérie et

les français de France que l’on nomme « Frankaoui » ou « Patos ».

La séparation des noms se prolonge dans celle du mode de vie : les jeunes filles de la colonie

mène une vie aisée et insouciante sur des « plages », dans des « villas », auxquelles les autres

communautés n’ont pas accès.

Page 196: Rapport Fait colonial

196

4/ La double identité de la narratrice

- Cherchez le sens du mot « bigarrée ».

- Quelles sont les deux expériences fondatrices de son identité ?

- Quel regard porte sur elle, les enfants de son entourage ?

- Relevez une phrase qui montre la difficulté de la narratrice à trouver sa place.

Le récit rétrospectif permet à la narratrice adulte de dire ce que l’enfant n’était pas capable de

formuler : d’emblée, dès les premières lignes de la nouvelle, la narratrice choisit un adjectif rare aux

consonnes sonores pour dire sa situation de métisse : « bigarrée ». Comme par jeu, elle ne manque

pas de le comparer à son paronyme « bigarreaux », sorte de cerises associées aux sensations

visuelles et gustatives de l’enfance.

L’adjectif « bigarrée » est employé une autre fois dans le texte ou est décliné avec « singulier ».

La narratrice entretient l’écart entre ce que son expérience d’adulte lui a appris et l’ignorance de son

enfance ; elle cherche à traduire la sensation de sa différence avant même qu’elle en prenne

pleinement conscience et qu’elle en connaisse les raisons. C’est pourquoi elle emploie la même

construction syntaxique « Et je ne sais pas que je suis « bigarré » » ; « Et j’ignore que je suis

« singulière » ». Ce qu’elle éprouve est de l’ordre de l’intuition plus que de la raison. Elle semble

avoir découvert ce mot à travers ses lectures de Brantôme ou de Montaigne, comme si elle avait

trouvé des réponses à ses questions dans les livres.

Elle prend progressivement conscience de sa différence dans le regard des autres : « Je dis que je

l’ignore, pas tout à fait ». Ce sont les autres enfants qu’ils soient arabes ou pieds noirs qui vont lui

dire ce qu’elle est : le regard des garçons arabes sur les tenues des « trois sœurs, robes trop courtes,

jambes nues, socquettes blanches, rubans écossais » dit qu’elles n’appartiennent pas à leur monde.

Il est possible de prolonger cette réflexion sur l’identité et la mémoire par la lecture cursive

d’autres nouvelles de Leila Sebbar, tiré de recueil La jeune fille au balcon, ou celle du recueil Sous

le jasmin la nuit de Maïssa Bey, en particulier la nouvelle intitulée Sur la virgule.

Page 197: Rapport Fait colonial

197

5 Ŕ SEQUENCE DE LETTRES (6 SEANCES)

GROUPEMENT DE TEXTES DE KIM LEFÈVRE

Extraits de Métisse Blanche et de Retour à la saison des pluies (L’aube poche).

Niveau : Classe de 3e, dans le cadre « des récits d’enfance ou de récits porteurs d’un regard sur

l’histoire et le monde contemporains » (B.O. août 2008).

Présentation de Métisse Blanche

Dans le récit autobiographique Métisse Blanche, la narratrice raconte son quotidien d’enfant

métis dans l’Indochine et le Vietnam des années 1940 et 1950. Elle insiste particulièrement sur ses

relations avec sa mère et sur l’étrangeté de son statut de métisse. Retour à la saison des pluies relate

son retour au pays au début des années 90, après trente d’absence.

Corpus

- p. 13-14, le projet autobiographique

- p. 107-108, la figure maternelle

- p. 30 et p.154-155, l’autoportrait

- p. 190-191, le travail de la mémoire

Texte 1 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 13-14)

Je suis née, paraît-il, à Hanoi un jour de printemps, peu avant la Seconde Guerre mondiale, de

l’union éphémère entre une jeune Annamite et un Français.

Je n’ai, sur ce sujet, pas de preuve tangible, aucun acte de naissance n’ayant été établi avant ma

quinzième année. D’ailleurs je n’ai pas cherché à le savoir. Cela n’avait aucune importance ni pour

moi, ni pour les autres. Nous vivions dans une société où la notion de temps quantifié n’existait

pas. Nous savions que notre vie se divise en grandes périodes : l’enfance, le temps des règles pour

une fille Ŕ signe de l’enfantement possible, donc du mariage proche Ŕ, l’âge d’être mère, puis celui

d’être belle-mère lorsque enfin on a acquis le droit Ŕ si la chance vous a dotée d’un fils Ŕ de régner

sur une bru craintive qui entre dans votre maison. Quatre ou cinq ans de plus ou de moins

représentaient peu de chose.

Je ne sais à quoi ressemble mon géniteur. Ma mère ne m’en a jamais parlé. Dans mes jours

sombres il me plaît de l’imaginer légionnaire, non pas « mon beau légionnaire », comme dit ici la

chanson, mais colon arrogant, détestable, un homme de l’autre côté. J’ai nourri à l’égard de ce père

inconnu une haine violente, comme seuls en sont capables les enfants profondément meurtris.

J’ai porté des noms successifs qui ont été les charnières de ma vie. D’abord celui de ma mère Ŕ

Trân Ŕ, lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec une enfant à charge. Affolée par l’ampleur des

conséquences que mon existence allait faire peser sur sa vie, elle me confia à une nourrice avant de

s’enfuir loin, jusqu’à Saigon, terre pour elle étrangère où elle espérait rebâtir un avenir. Ensuite, le

nom de mon géniteur Ŕ Tiffon Ŕ, à l époque où, poussée par la famille unanime, ma mère chercha à

me placer dans un orphelinat afin de me rendre « à ma race ». Car j’étais à proprement parler une

monstruosité dans le milieu très nationaliste où je vivais.

Texte 2 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p.107-108)

Page 198: Rapport Fait colonial

198

Je ne savais presque rien de moi-même, je n’avais eu personne pour me raconter mon enfance.

J’aurais aimé savoir si j’avais été un bébé gai ou morose. M’avait-on trouvée agréable ?

Ressemblais-je aux nourrissons vagissants que je voyais autour de moi ? À ces questions, ma mère

elle-même n’était pas en mesure de répondre : elle était loin de moi à cette époque. Le seul souvenir

qui lui restait concernait un devin qui lui avait prédit que je ferais le malheur de sa vie. Ce qu’elle

m’apprit me glaça de frayeur. Je me sentais monstrueuse. J’aimais ma mère, quel désespoir de

savoir que j’allais inéluctablement lui faire du mal ! J’aurais désiré ne pas être sa fille. Je

m’imaginais issue d’une autre femme, déjà morte en couches, car ainsi je ne pourrais plus gâcher la

vie de personne. Elle ne serait plus concernée par la prédiction et moi, je pourrais alors lui apporter

tendresse et consolation. Je la trouvais si belle qu’il me semblait juste qu’elle eût les meilleures

choses de ce monde. Elle avait le visage d’un ovale parfait, des cheveux de jais. Ses yeux aux larges

paupières Ŕ que je retrouvai plus tard chez Marlène Dietrich Ŕ étaient surprenants chez une

Asiatique. Des pupilles d’ébène faisaient de son regard deux taches brillantes d’une infinie douceur.

Sa bouche, même au repos, avait toujours l’air d’être sur le point de dire quelque chose de tendre et

grave. Il émanait de sa personne une distinction, une grâce qui la tenaient au-dessus des gens qui

l’entouraient. Et cependant, je ne l’avais jamais vue heureuse. Elle ne semblait ne souhaiter rien

d’autre qu’un toit sur nos têtes et du riz dans la marmite chaque jour. Elle supportait ses frustrations

comme on s’arrange pour vivre avec une maladie incurable. Plus je grandissais et plus je prenais

conscience de l’échec de sa vie. Cette découverte déclencha en moi des sentiments contradictoires ;

j’étais tout à la fois désireuse de rester près d’elle pour adoucir ses peines, et poussée par un

impérieux besoin de fuir très loin. Tirer un trait sur les misères matérielles et morales qui tissaient la

trame de sa vie, faire peau neuve ailleurs. Briser le cercle du malheur. Échapper à l’engrenage.

Texte 3 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 30 ; p. 154-155)

Sur les murs étaient accrochées des photographies de femmes françaises aux yeux immenses,

bordés de cils si épais et recourbés qu’on avait du mal à y croire. Leurs bouches peintes en forme

de cœur semblaient m’adresser des sourires d’une imperceptible ironie. J’interrogeais le miroir ; la

comparaison était à mon désavantage. Je me trouvais laide. Je détestais violemment mes cheveux

raides, tous les cheveux raides des Vietnamiennes. Je me trouvais le teint trop sombre, les cils

clairsemés, les yeux petits, le nez plat ; les lèvres trop épaisses. Je rêvais d’être une Française moi

aussi. Or française je l’étais, mais à demi, assez pour qu’on pût me distinguer des Vietnamiennes à

part entière, pas assez pour qu’on me prît pour une Européenne. En tout cas, pas assez pour qu’on

me trouvât belle comme je trouvais extraordinairement attirantes ces images qui me toisaient du

haut de leur encadrement. (p. 30)

C’était une photographie d’identité où l’on voyait une petite fille au visage rond, aux cheveux

courts avec une frange sur le front. Je ne pouvais croire que ce fût moi. Cette image était celle d’une

étrangère. Elle avait l’air si particulière, si différente des autres ! Elle n’avait ni la même apparence,

ni les mêmes expressions que ceux qui m’étaient familiers. Je l’examinai longuement, avec le

sentiment que son univers n’était pas le mien. Je me pensais vietnamienne, je me percevais

intimement, en tout point, semblable à ma mère et à mes sœurs. Comment pouvais-je être celle-ci

qui avait l’air de venir d’ailleurs? J’étais ignorante de mon image car j’avais eu peu d’occasions de

me regarder dans un miroir. Chez nous, seul mon parâtre possédait une glace rectangulaire qu’il

utilisait uniquement pour se raser et qu’il rangeait aussitôt.

La vision de la photographie me bouleversa au point que ma mère, inquiète, courut chercher la

glace de son mari qu’elle me tendit. Je regardai dans le miroir : ma surprise fut profonde. Je n’étais

pas du tout comme je m’étais imaginée. Je dus reconnaître que j’étais plus proche de la photo que

de l’idée que j’avais de moi-même. Ce visage étranger, ce regard interrogatif de quelqu’un qui ne

Page 199: Rapport Fait colonial

199

savait pas très bien où il se trouvait, c’était donc moi. Je pris douloureusement conscience de mon

altérité. Mais, si brutale qu’elle fût, cette découverte eut au moins le mérite de me guérir de ma

cécité intérieure. Je savais désormais que je n’étais pas pareille aux autres. (p. 154-155)

Texte 4 : Retour à la saison des pluies, K. Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 190-191)

(Après avoir quitté le Vietnam dans les années 60, Kim Lefèvre est revenu dans son pays dans les

années 90.)

Sur ma droite je vois un marché couvert où il y a beaucoup de monde. J’éprouve, en le voyant,

une impression de déjà-vu. Il me rappelle quelque chose mais je n’arrive pas à savoir quoi. J’en suis

encore à m’interroger sur la raison qui me rend ce marché si familier quand mon regard rencontre

une église. Cette fois, il n’y a pas de doute, c’est bien l’église dans laquelle s’est déroulée la

cérémonie de ma confirmation. Elle est attenante à l’école des sœurs où j’étais pensionnaire. Si ma

mémoire n’est pas défaillante, le bâtiment voisin doit être mon ancienne école. Mais je peux me

tromper, toutes les églises se ressemblent.

Le chauffeur interrogé me confirme que nous sommes à Tân Dinh. C’est donc bien l’endroit où

j’ai fait mes études. Je n’en crois pas mes yeux. Comme le hasard fait parfois bien les choses ! Je

fais arrêter la voiture et descends pour revoir les lieux où j’ai vécu jadis. Devant le portail, il y a une

table derrière laquelle se tient un employé. Je pénètre dans la cour : pas l’ombre d’une religieuse,

rien que des fonctionnaires indifférents. Les allées de graviers ont disparu, mais à part ce détail tout

est resté intact.

Devant moi le parloir surplombé par le buste d’un Sacré-Cœur en stuc est toujours là, seulement

noirci par le temps. Aujourd’hui on l’a condamné en installant une barrière de bois devant la porte.

À quoi bon un parloir quand il n’y a plus de fonctionnaires ? À droite, là où se trouvaient les salles

de classe, une école maternelle d’État abrite quelques dizaines de bambins. Je regarde, de loin, celle

où j’avais étudié pendant quatre ans et dont la porte est restée ouverte. Je voudrais savoir si elle a

changé, si je retrouverai le banc où j’étais assise. Je m’avance mais une femme m’arrête : il est

interdit aux étrangers d’y pénétrer. J’explique que je ne suis pas tout à fait une étrangère à cette

école, que j’y ai fait mes études il y a bien longtemps… La femme ne m’écoute pas, elle n’y peut

rien, c’est la consigne, me dit-elle.

Dans le préau je revois les bancs de pierre où nous venions nous asseoir après les classes en

attendant l’heure du repas. Je tourne en rond dans la cour, j’explore. Tiens, on a abattu le tamarinier

centenaire et bouché la grotte de la Vierge ! Je m’aventure là où c’était jadis le territoire privé des

religieuses, le domaine interdit aux élèves. Aux grandes vacances, l’année où j’avais été obligée de

rester une semaine après le départ des autres dans l’attente d’une entrevue avec ma future marraine,

j’avais bien souvent rôdé près de ce bâtiment pour tromper mon ennui et dans l’espoir de croiser

sœur Aimée que le règlement maintenait cloîtrée dans sa communauté.

Près du calvaire je rencontre une femme habillée de noir. Se pourrait-il que des religieuses vivent

encore ici ? Elle me demande ce que je cherche.

« J’étais pensionnaire dans cette institution il y a très longtemps, est-ce que d’anciennes

religieuses y vivent encore?

Ŕ Qui cherchez-vous exactement?

Je me tais. J’aurais l’air ridicule si j’avouais que je cherche sœur Aimée. D’ailleurs il y a peu de

chances que cette femme la connaisse, elle est beaucoup trop jeune. La femme en noir m’observe

avec un mélange de curiosité et de méfiance. Je suis tentée de dire : « Je ne cherche personne » et de

m’en aller, mais son regard insistant me retient.

« Eh bien, j’étais l’élève de sœur Aimée et je me demande si par hasard vous sauriez où elle se

trouve…

Page 200: Rapport Fait colonial

200

Ŕ Elle est là, je vais la chercher. »

PRESENTATION DE LA SEQUENCE

SEANCE 1 : présentation de l’auteur et de l’œuvre

- analyse du titre : définition du métis

- consonances asiatique et française du nom de l’auteur

SEANCE 2 : comment reconnaît-on une autobiographie ?

Texte 1 : analyse méthodique de l’incipit

- Quel est le pronom personnel qui se répète le plus souvent ? Peut-on faire un lien entre le nom des

personnages et celui de l’auteur ?

- En quoi l’entrée dans le texte est-elle brutale ?

- En quoi l’identité de la narratrice est-elle incertaine ? Quelles expressions montrent cette

incertitude ?

- Relevez les groupes nominaux qui désignent le père : quel commentaire inspirent-ils ?

1/ le statut du narrateur

Le statut particulier du « je » suppose l’identité auteur/narrateur/personnage :

La particularité du « je » autobiographique est que l’auteur, le narrateur et le personnage

principal se confondent ; dans le cours du récit, le nom du personnage permet de faire le lien avec

celui de l’auteur inscrit sur la couverture du livre.

L’emploi du pronom « je » se prolonge dans le « nous » et les adjectifs possessifs.

2/ un pacte de sincérité

a/ un aveu brutal

L’auteur instaure une relation de confiance et de franchise avec le lecteur. Même si ce qu’elle

raconte paraît impudique, elle ne cherche pas cacher la vérité ou ses sentiments. C’est pourquoi

elle évoque le contexte de sa naissance en soulignant de façon un peu provocante ce qui fait sa

singularité.

Le « je suis née » est nuancé par la mise en incise de « paraît-il » qui montre la fragilité de son

identité.

Elle n’hésite pas à afficher sa situation de métisse en parlant « d’union éphémère entre une jeune

Annamite et un Français ». Dans le dernier paragraphe, elle insiste sur l’inconfort de sa situation de

métisse, rejetée par la communauté vietnamienne et considérée comme « une monstruosité ».

b/ des sentiments excessifs mais sincères

Le père est désigné à l’aide d’expressions impersonnelles comme « mon géniteur », « ce père

inconnu » qui montrent l’absence de lien entre la narratrice et son père. Elle a été élevée dans

l’ignorance de son image « à quoi ressemble mon géniteur…» et de son identité « Ma mère ne

m’en a jamais parlé », ce qui a développé un imaginaire et des sentiments négatifs : s’inspirant de

la chanson d’E. Piaf, elle le voit en « colon arrogant » ; elle affiche également « une haine

violente ».

SEANCE 3 : Comment exprimer ses sentiments?

Page 201: Rapport Fait colonial

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Texte 2 : le portrait maternel

- Quelle phrase introduit le portrait maternel?

- Quel type de vocabulaire domine dans ce portrait?

- Quel sentiment s’exprime à travers ce portrait?

- Quel terme est utilisé pour nuancer le portrait?

- Quelle leçon la narratrice tire-t-elle de ce portrait?

Le portrait commence avec la phrase « Je la trouvais si belle … ».

Le vocabulaire dominant dans ce portrait est celui de la perfection et de l’exception : la

narratrice utilise des expansions du nom qui soulignent la perfection de ses traits physiques :

« visage d’un ovale parfait », « yeux aux larges paupières », « des pupilles d’ébène ». Elle compare

sa mère à la grande actrice des années 30 et 40, M. Dietrich et en fait une figure d’exception avec la

formule « une distinction, une grâce qui la tenaient au-dessus des gens qui l’entouraient ».

À travers ce portrait, la narratrice exprime son admiration pour sa mère en projetant sur elle une

image idéale, fantasmée, qui n’est peut-être pas vraie.

SEANCE 4 : Comment raconter un épisode de son enfance?

Je garde un souvenir assez précis du jour où je rencontrais celui/celle qui allait devenir mon/ma

meilleure amie. Racontez cette rencontre en situant l’époque et le lieu et en exprimant vos

impressions ; vous ne manquerez pas d’exprimer vos sentiments pour cette personne, en utilisant la

description à la manière de Kim Lefèvre dans le texte étudié.

SEANCE 5 : Comment se décrire soi -même?

Texte 3 : l’autoportrait 1

re partie : p. 30

- Comment la narratrice se voit-elle ?

- Quel genre de verbes utilise-t-elle ?

- Repérez les adjectifs la caractérisant : quel effet produisent-ils ? quel adverbe les accompagne ?

- Quel rôle jouent les connecteurs d’opposition « or », « mais » et la négation « pas » ?

2e partie : p. 154

- Quelle personne grammaticale la narratrice utilise-t-elle ? Justifiez ce choix.

- Relevez les groupes nominaux désignant la fillette ? Observez les déterminants qui les

accompagnent ; quel est l’effet produit ?

- Sur quelle opposition le texte est-il organisé ?

1/ l’autodénigrement (p. 30)

Comme l’indique la déclaration « Je me trouvais laide », la narratrice ne se plaît pas. Elle utilise

des verbes de jugement Ŕ « détester », « se trouver » Ŕ et les adjectifs péjoratifs la définissant sont

accompagnés de l’adverbe d’intensité « trop » qui accentue son jugement.

Les connecteurs d’opposition « or », « mais » montrent la dualité qui caractérise la narratrice ; la

construction binaire « assez pour », « pas assez pour » montre qu’elle est tiraillée entre deux

identités qu’elle ne parvient à concilier.

2/ le sentiment d’étrangeté à soi

La narratrice utilise la 3e pers. « on », « elle », car elle ne se reconnaît pas dans la personne

qu’elle découvre sur la photographie. Elle décrit avec distance « une petite fille au visage rond » et

Page 202: Rapport Fait colonial

202

admet que la fillette est pour elle « une étrangère ». Plus loin dans le texte, elle emploie l’adjectif

démonstratif « ce » dans « ce visage étranger, ce regard…de quelqu’un… » qui accentue la mise à

distance.

D’ailleurs, le texte est organisé sur l’opposition du semblable et du différent : l’enfant de la

photo est associée aux termes « si différente », « son univers », « ailleurs » ; la narratrice se

rattache aux mots « familiers », « le mien », « semblable à ma mère ».

La photographie est l’occasion de se confronter à sa propre image. C’est une expérience

troublante car l’image que l’on se fait de soi-même ne correspond pas forcément à celle que l’on

renvoie ou à celle que les autres se font de nous. Des verbes comme « reconnaître », « je pris

conscience », « bouleversa » attestent de cette révélation à soi-même qui apprend à chacun à se

familiariser avec soi-même. Écriture : Vous retrouvez une photo sur laquelle vous avez du mal à vous reconnaître : vous

essayez de situer le lieu et l’époque ; vous vous décrivez en insistant sur les détails physiques et sur

les vêtements.

SEANCE 6 : Comment montrer la distance passé/présent ?

Texte 4 : un lieu de l’enfance

- Quel sens domine dès les premières lignes ?

- Relevez des expressions qui montrent l’hésitation de la mémoire.

- Quels endroits précis la narratrice retrouve-t-elle ? Quels changements remarque-t-elle ?

- Devenu adulte, vous retournez sur un lieu de votre enfance ; il ne correspond pas exactement au

souvenir que vous en gardiez : décrivez-le.

1/ Le travail de la mémoire

On constate que l’exercice de la mémoire est lié à celui des sens : dans ce texte, c’est la vue qui

aide la narratrice à se souvenir d’un lieu précis : « je vois un marché… », « mon regard

rencontre… ».

La reconnaissance du lieu se fait de façon progressive et hésitante comme l’indique la phrase

« Il me rappelle quelque chose mais je n’arrive pas à savoir quoi ».

2/ La liaison entre le passé et le présent

L’école fréquentée par la narratrice dans son enfance n’a pas tellement changé même si elle

constate différents changements : « le parloir » est « seulement noirci par le temps » ; les salles de

classe ont été transformées en « école maternelle » mais ne peut retrouver le banc qu’elle occupait

car elle en est empêchée par son occupante. Elle retrouve les « bancs de pierre » apparemment

intacts.

De fait, la permanence des lieux s’illustre dans la présence de la religieuse sœur Aimée à

laquelle la narratrice n’ose croire.

3/ Écriture

Pour décrire un lieu de votre enfance,

- utilisez le vocabulaire des sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher.

- décrivez les personnes et les éléments qui se trouvent dans ce lieu ; soulignez les qualités, les

défauts, les formes et les couleurs ; montrez les différences et les ressemblances entre le passé et le

moment présent.

- exprimez vos sentiments et montrez l’hésitation de la mémoire.

Page 203: Rapport Fait colonial

203

DOSSIER 7

EXPOSITIONS COLONIALES, « VILLAGES NEGRES »

ET CULTURE IMPERIALE (XIXe Ŕ XX

e SIECLES)

La question des cultures coloniales a été très présente dans l’historiographie de ces dernières

années, suscitant travaux et débats. Pour Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, les colonies ont

véritablement conquis la IIIe et la IV

e République, ses valeurs : autrement dit, la vision impériale et

impérialiste s’est imposée à la société français, saturant de ses discours propagandistes la pensée, la

culture et les projets politiques, de la France de Jules Ferry à celle de Gaulle. De fait, on ne peut

qu’être frappé par l’omniprésence, le dynamisme, la variété des discours coloniaux, notamment

dans l’apogée de l’entre-deux-guerres : expositions, articles de presse, affiches, publicité, littérature,

cinéma, chanson, bande dessinée, etc., saturent le paysage, entre exotisme et colonialisme, au

prisme d’un ethnocentrisme sans complexes. Il n’est pas jusqu’aux menus gastronomiques de

certaines sociétés savantes qui ne soient accommodés à la sauce coloniale (doc. 3).

Pour autant, il paraît un peu délicat d’affirmer l’existence d’une « culture impériale » sans

s’interroger sur la réception de ces discours par la société. Finalement, l’omniprésence de la

propagande est-elle le signe d’une pénétration et d’une adhésion aux valeurs impériales ou, au

contraire, justement, l’aveu de la difficulté à s’imposer au plus grand monde ? Le succès de

l’Exposition coloniale de Vincennes (doc. 2), visitée en 1931 par 8 millions de personnes, doit-il

être interprété comme un soutien massif au projet colonial ou s’inscrit-il dans la culture et dans la

consommation de loisirs qui se développe depuis le XIXe siècle et qui voit triompher les parcs

d’attraction et les foires-expositions ?

Sur la question particulière des villages nègres (pour utiliser la terminologie de l’époque), les

interprétations sont également délicates : impitoyables « zoos humains » ou spectacles

exotiques finalement assez banals ? Lieux de pur avilissement de victimes exhibées malgré elles ou

mises en scènes plus complexes qui n’excluent pas la participation active des « indigènes » eux-

mêmes ? On s’en doute, la réponse est forcément nuancée, appelle au croisement des sources, à la

multiplication des études et à dépasser une vertueuse indignation rétrospective (doc. 1).

Au bout du compte, les vocations coloniales sont restées assez rares en France, quand on les

compare avec ce qui s’est passé au même moment en Grande-Bretagne. Et, face à la perte de leur

Empire dans les années 1950-60, les Français ont fait preuve d’une relative indifférence qui cadre

finalement assez mal avec l’idée d’un enracinement profond de la culture impériale.

LECTURES COMPLEMENTAIRES

Jean-Michel BERGOUNIOU, Rémi CLIGNET et Philippe DAVID, Villages noirs et autres

visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870-1940), Karthala, 2001.

Pascal BLANCHARD, Nicolas Bancel et al., Zoos humains, au temps des exhibitions

humaines, La Découverte, 2e éd. 2004 (1

re éd. 2002).

Catherine Hodeir et Michel Pierre, 1931. L’Exposition coloniale, Editions complexe, coll.

« La Mémoire du siècle », 1999.

Christèle LOZERE, Le Bordeaux colonial (1850-1940), Sud-Ouest, 2007.

Page 204: Rapport Fait colonial

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1 Ŕ UN BAPTEME AU « VILLAGE NOIR »

CARTE POSTALE DE L’EXPOSITION DE TOULOUSE DE 1908

Depuis le milieu du XIXe siècle, on ne compte plus en Europe les expositions, qu’elles soient

universelles (comme à Londres en 1851 ou à Paris en 1889 ou en 1900) ou locales. Toutes les

grandes villes de France organisèrent en effet des foires ou des expositions commerciales et, de plus

en plus souvent, coloniales, au fur et à mesure que s’étendait la domination impériale française en

Asie et en Afrique.

Lors de ces manifestations, les visiteurs pouvaient alors découvrir des villages indigènes, qu’ils

soient africains ou asiatiques. L’idée de ce type d’exhibition remonte au début du XIXe siècle où l’on

a commencé à montrer, dans le cadre des Jardins d’acclimatation, des Lapons, par exemple, ou

autres peuples considérés comme exotiques. Mais, avec la colonisation, ce sont plutôt les

populations des pays soumis par la France qui sont données à voir. Dans les premiers temps des

exhibitions humaines, l’accent était plutôt mis sur l’aspect étrange, dépaysant, des personnes ainsi

livrées à la curiosité des Occidentaux. À la fin du XIXe siècle, leur situation de colonisés est

également mise en valeur. Leur présence dans les allées des foires et expositions de la métropole

rappelle et exalte la geste coloniale. Elle permet, en replaçant les individus dans des villages

reconstitués et « vendus » comme authentiques, de mesurer l’écart entre les indigènes et les

habitants métropolitains et de légitimer ainsi la domination coloniale. Si l’on insistait sur le

caractère encore fruste, voire sauvage des populations exhibées, c’était bien pour souligner les

efforts de la France à les faire accéder aux stades supérieurs de la « civilisation ».

À partir de l’Exposition universelle de 1889 où les visiteurs purent découvrir pour la première

fois quatre « villages noirs », le phénomène se répand en France. Des « villages nègres » sont

présentés à Marseille en 1890 et 1906, à Strasbourg (1891, 1895, 1924), Bordeaux (1895, 1904,

1907), etc. Devenus des attractions recherchées, ils sont pris en main par de véritables

organisateurs. L’un de ces entrepreneurs est Ferdinand Gravier, ancien militaire colonial, qui

proposa, dès la fin du XIXe siècle, des villages noirs et annamites dans le cadre de diverses

expositions et foires locales. Il fit la rencontre de Jean-Alfred Vigé, qui fut le maître d’œuvre de

l’exposition de Toulouse. Celui-ci, ancien courtier bordelais, se fit nommer administrateur de

l’exposition internationale et coloniale de Rochefort, en 1898, ce qui marqua ses premiers pas dans

la carrière. Il fut ainsi l’organisateur d’une vingtaine d’expositions en France et d’une douzaine de

villages noirs. Ainsi, si la foire de Toulouse qui se tint dans la ville de mai à octobre 1908, n’était

en aucune manière coloniale, elle n’en compta pas moins un village noir, de la seule initiative de

Vigé qui fit venir 98 Sénégalais.

Les organisateurs des villages nègres recouraient au service de notables sénégalais ou guinéens

pour recruter les acteurs de leur mise en scène. Ceux-ci, mobilisant leur réseau familial pour

répondre aux demandes des entrepreneurs français, sont devenus à leur tour de véritables

professionnels de l’exhibition de leurs compatriotes. Ainsi le bijoutier sénégalais Jean Thiam, chef

de « village noir », est-il présent à de nombreuses expositions où il reçoit, comme à Toulouse en

1908, des prix récompensant ses productions. Il fut élu au conseil municipal de Gorée en 1904 et

reçut la légion d’honneur en 1920. Son activité de « chef de village » professionnel lui procura

donc une honnête aisance, qui en fit un véritable notable au Sénégal. Les autres « villageois »

recevaient, quant à eux, un modeste salaire.

Page 205: Rapport Fait colonial

Source : Archives municipales de Toulouse

Page 206: Rapport Fait colonial

Les villages noirs se présentaient comme des enclos où des maisons ou cases avaient été

construites pour loger les habitants. Inclus dans le périmètre de l’exposition, ils se visitaient

toutefois à part. Les droits d’entrée variaient entre 25 et 50 centimes par personne.

Les organisateurs cherchaient à reconstituer la vie d’un village, avec ses artisans, ses activités de

tous les jours et même les lieux de culte. Mais le souci « anthropologique » ne l’emportait pas

toujours et les conditions de vie des populations exhibées laissaient souvent à désirer. Les villages

regroupaient 50 à 200 personnes, selon les cas. Enfin, les directeurs des villages nègres se plaisaient

à mettre en scène les fêtes religieuses, musulmanes pour la plupart, et les cérémonies liées au cycle

de la vie. Les naissances étaient particulièrement bienvenues. Les recruteurs prenaient d’ailleurs

soin de choisir des femmes enceintes dans leur équipe. Les déclarations de naissances donnaient

lieu à des baptêmes, parfaitement médiatisés.

À Toulouse, il y eut cinq naissances ! La carte postale présentée illustre l’une de ces fêtes

orchestrées pour la curiosité des Toulousains. Il s’agit peut-être du baptême de l’enfant de Guej

Ndiaye, né le 12 mai 1908, auquel Vigié, en tant que parrain, avait donné son double prénom de

Jean-Alfred. À l’un de ces baptêmes toulousains, l’on note aussi la présence de François Benga,

jeune Sénégalais, étudiant à Montpellier, appartenant peut-être à la famille d’un des membres du

village noir de Toulouse.

On ne peut nier le succès remporté par les villages noirs qui attirèrent un public curieux et

volontiers condescendant à l’égard des « indigènes ». La presse locale, comme la fit La Dépêche à

Toulouse, ne manqua pas de saluer l’événement et d’en faire des comptes rendus élogieux. Un des

journalistes du journal de Toulouse écrit ainsi en 1908 : « Physiquement, les hommes sont beaux,

grands robustes et si chez les femmes, les traits du visage ne répond pas à notre idée de la beauté, du

moins présentent-elles une physionomie des plus régulières ».

Mais les villages noirs ne manquèrent pas non plus, çà et là, de choquer, car ils bafouaient la

dignité des personnes ainsi exhibées. À Bordeaux, l’une des associations culturelles importantes où

se retrouvait une partie de l’élite politique et commerçante de la vie, très liée au mouvement

colonial, la société philomatique de Bordeaux, dénonça le village noir organisé en 1895 par

Ferdinand Gravier, qualifié « d’exhibitions de simili-anthropologie ». L’un des membres de la

société allait même jusqu’à écrire : « Je ne puis m’empêcher de plaindre ces pauvres diables en

deuil de soleil, rongés de nostalgie. Je les plains, oh sincèrement, d’avoir vécu six mois au contact

de l’énorme et féroce bêtise des foules occidentales. » On ne saurait mieux dire.

En 1912, le journaliste Léon Werth, de retour d’une visite d’un village indigène au Jardin

d’acclimatation de Paris, dressait un portrait féroce des spectateurs des villages noirs, volontiers

racistes et méprisants à l’égard des populations exhibées. En 1931, le ministre des Colonies, Paul

Reynaud, dénonça « la curiosité malsaine » qui entourait ces manifestations et interdit aux

administrateurs coloniaux le recrutement d’indigènes pour des spectacles privés. Le temps des

villages noirs était révolu, laissant la place à des expositions qui se voulaient plus ethnographiques

des peuples colonisés….

Mots-clés

Indigènes, expositions coloniales, Toulouse, villages noirs, racisme

Place dans les programmes

Classes de 4e, de 1

re et de Ter.S.

Questions 1/ Quels sont les éléments qui rappellent le contexte colonial sur la carte postale ?

2/ Quelles sont les régions de l’Afrique colonisées par les Français en 1908 ? Comment sont-elles alors

organisées ?

3/ Rechercher dans des ouvrages locaux la trace de villages noirs.

4/ À quelle date se tint la grande exposition coloniale à Paris ? Y trouvait-on des villages indigènes ?

Page 207: Rapport Fait colonial

207

5/ Le souvenir de ces villages noirs est-il de nos jours toujours vivace ?

Page 208: Rapport Fait colonial

208

2 Ŕ « L’EXPOSITION COLONIALE DE 1931.

CARTOGRAPHIE DE L’IMAGINAIRE COLONIAL »

L’ensemble de l’article (paru dans Mappemonde, n° 1, 1991, p. 23-28), est téléchargeable en

format pdf à l’adresse suivante :

http://www.mgm.fr/PUB/Mappemonde/Mappe191R.html

Mots-clés

Culture coloniale, expositions coloniales, Exposition de 1931, propagande.

Niveaux

Classes de 4e, de 1

re et de Ter. S.

Thématiques

- Réflexion sur les formes multiples prises par la propagande coloniale.

- Réflexion sur la réception de la « culture coloniale ».

Pistes de travail possibles

On trouvera dans ce document, plusieurs schémas analysant l’espace de l’Exposition coloniale

de 1931, ainsi que la reproduction d’un plan scénographique d’ensemble publié du numéro spécial

de L’Illustration de 1931 consacré à l’événement de la Porte Dorée.

Cet ensemble pourra fournir aux enseignants un document original, faisant appréhender de

manière concrète aux élèves l’espace de l’Exposition, sa « scénographie » et étudier une des

manifestations phares révélatrices de la « culture coloniale » de l’entre-deux-guerres.

Il pourra aussi permettre aux enseignants d’aborder l’épineuse question de la réception de ces

expositions coloniales : y t-il eu acquiescement profond à l’idée coloniale ou simple engouement

pour une expérience « exotique » à peu de frais ? Leur forme ludique a assuré aux expositions

coloniales de véritable succès populaires en termes de fréquentation. Ainsi, l’Exposition coloniale

de 1931 a-t-elle donné lieu à la vente de 24 millions de billets d’entrée Ŕ ce qui a correspondu à une

fréquentation réelle de 8 millions de personnes (il fallait en effet acheter 3 billets différents pour

accéder aux différents espaces Ŕ attention, l’article, déjà ancien, est fautif sur les chiffres réels de

fréquentation !).

Au final, quelle fut la profondeur réelle de l’adhésion au projet colonial, et l’enracinement de cette

culture « impériale » ? C’est là une des questions les plus difficiles à résoudre en histoire des

représentations Ŕ et une question souvent éludée par les ouvrages consacrés à la propagande et à

l’iconographie coloniales.

Page 209: Rapport Fait colonial

209

3 Ŕ MENU GASTRONOMIQUE

DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE DE TOULOUSE (1903)

Vingtième anniversaire de la Société de géographie de Toulouse

Compte-rendu du 14 février 1902

Tous les membres de la société s’intéressant particulièrement à sa prospérité, ont fêté, dans un

banquet, le vingtième anniversaire de sa fondation. Ce banquet a été admirablement servi par M.

Dupont, dans les vastes salons de l’hôtel de l’Europe, très bien décorés par la circonstance.

Voici le menu de cette agréable agape :

Potages Niams-Niams

Purée de Huang-Ho ou fleuve jaune

Manioc des Galibis

Relevé saharo-cambdogien

Saumon du T’chad ou du Toulé-Sap

Entrées d’Andranovopolopaposy

Filet d’auroch aux truffes caraïbes

Cuissot du grand cerf des cavernes

Pâté de foie chinois à la japonaise

Rôts des Taïpings

Faisans vénérés de l’Inde aux truffes

Primeurs des tropiques

Salade truffée de congaïs, de mousmées et de bayadères

Entremets polaires

Glaciers du Nethou

Fragments de l’Himalaya

Croustades Barios

Vins

Graves Moulins à vent !

Saint-Esthèphe, L. Chandon

Moka, vieille fine

Source : Bulletin de la société de géographie de Toulouse, 1903, T.XXII, p.30

Présentation du document

Si la société de géographie de Paris a vu le jour dès 1821, il faut attendre le derniers tiers du XIXe

siècle pour que les autres villes de France se dotent d’une institution semblable : Lyon en 1873,

Bordeaux en 1874, Marseille en 1876 et Toulouse en 1882. La création en série des sociétés de

géographie est en partie liée à la reprise de l’expansion coloniale qui coïncide avec les débuts de la

Troisième République.

Les sociétés de géographie ont pour objectif de diffuser, parmi un public d’amateurs et d’érudits,

le goût pour la connaissance des territoires et des peuples qui les habitent, proches ou lointains.

Page 210: Rapport Fait colonial

210

Elles vont largement participer au mouvement impérial, en finançant des explorations en Afrique ou

en Asie et en publiant des études sur les régions lointaines.

La Société de géographie de Toulouse est donc fondée en 1882. Elle regroupait des hommes

d’affaires, des membres des professions libérales, des universitaires et des militaires. Ces derniers

étaient alors le principal lien de la capitale languedocienne avec les colonies. Beaucoup d’entre eux

y avaient effectué un séjour de plus ou moins longue durée avant d’être affectés dans la ville rose.

La présidence de la société de géographie leur était attribuée une année sur deux.

La société se dote d’un bulletin mensuel assez dense. On peut y lire le texte des conférences

données dans les salons de l’institution par les érudits locaux ou les explorateurs de passage à

Toulouse et des études géographiques sur le Sud-ouest de la France ou le vaste monde. Les centres

d’intérêt de l’institution sont en effet fort variés comme en atteste de manière humoristique le menu

de son vingtième anniversaire. La région toulousaine et surtout les Pyrénées occupaient une place

importante dans les colonnes du périodique. Mais dès sa création, la société s’intéresse de très près

au monde colonial : l’Afrique, Madagascar, l’Extrême-Orient indochinois font l’objet de multiples

articles. Ainsi, par le biais des conférences et du bulletin de l’Association, Toulouse s’est-elle mise

à l’heure impériale au temps de la Belle Époque.

Place dans les programmes

Classes de 4e, de 1

re et de Ter.S.

Questions

1. Sur une carte du monde, porter les régions colonisées par la France en 1902.

2. À l’aide de dictionnaire et d’ouvrages sur la colonisation, trouver les régions de l’Empire

colonial français auxquels font allusion de manière humoristique les plats suivants :

Relevé saharo-cambdogien

Saumon du T’chad ou du Toulé-Sap

Potages Niams-niams

3. À quel pays font référence la purée de Huang-Ho ou fleuve jaune ou les rôts des Taïpings ?

4. Chercher dans un dictionnaire la signification des termes : congaïs, mousmées et bayadères.

Quelles visions de la femme dans les colonies ou les pays lointains nous révèlent-ils ?

5. Chercher également la signification du terme Niam-Niam ? Quelle représentation des

populations africaines suggère-t-il ?

Mots-clés

Colonisation, sociétés savantes, sociétés de géographie, culture coloniale, Afrique, Indochine.

Page 211: Rapport Fait colonial

211

4 Ŕ UNIVERSALITE DE LA CULTURE, CRITIQUE DE L’ETHNOCENTRISME

Pendant la période coloniale, l'administration et les pouvoirs établis sur place et en métropole ont

utilisé les enquêtes sur une région ou sur une ethnie faites par les anthropologues pour consolider

leur domination et leur exploitation.

Plus gravement l'anthropologie a été accusée - non sans quelques raisons par rapport aux

premières générations d'anthropologues - d'avoir servi de caution à l'idée d'une « mission

civilisatrice », d'avoir rempli une fonction plus légitimante que contestatrice vis à vis du

colonialisme.

Certaines analyses ethnologiques ou leurs interprétations parfois tendancieuses ont accrédité

l'idée que les sociétés dites primitives1 vivent dans une sorte d'enfance de l'humanité ou en marge

du progrès et de la civilisation, ou encore bloquées dans leur évolution à un stade depuis longtemps

dépassé par les sociétés les plus développées de l'humanité. L'inventaire des différences culturelles

et sociales fut lié de manière plus ou moins explicite à des conceptions de l'histoire dominées par le

progressisme et l'évolutionnisme culturel quand il n'était pas rabattu sur une prétendue hiérarchie

des races. Des travaux - parfois polarisés sur les différences anatomiques - suscitèrent l'inquiétude

de quelques esprits héritiers des Lumières qui défendaient l'unité du genre humain et l'universalité

de la raison. Si l'anthropologie raciale céda à une anthropologie de plus en plus sociale, il n'en

demeure pas moins que la plupart des anthropologues jusque dans les dernières années du XIX°

siècle, partageaient l'idée dominante de leur époque d'une histoire universelle embrassant dans un

même mouvement, orienté et irréversible, l'ensemble de l'humanité, ce qui ne permettait guère un

regard critique sur la croyance d'une supériorité non seulement technique mais économique, sociale,

voire morale de l'Occident sur les autres peuples au point d'approuver ou ne pas désavouer les

politiques coloniales de leurs nations d'origine. Si ces anthropologues soutenaient, en effet, l'unité

du genre humain et s'opposaient par là à toute forme de racisme, ils postulaient en même temps que

ce genre était soumis à une seule et même histoire ce qui revenait, par voie de conséquence, à

justifier une politique coloniale paternaliste qui avait le devoir d'arracher les peuples enfants à la

stagnation pour les conduire à la maturité. L'Europe et ses colons étaient chargés d'une lourde

mission devant l'humanité, celle de faire connaître aux peuples sauvages, aux sociétés primitives les

bienfaits de la civilisation. La mystification consistait à penser que les puissances coloniales

apportaient la civilisation alors qu'elles n'apportaient - ce qui est évident pour nous a postériori - que

leur civilisation.

Nous ne proposons pas de présenter les méandres d'une histoire de l'anthropologie, notre objectif

est de faire partager la pertinence, la rigueur, parfois la malice de C. Lévi-Strauss dans sa critique

des avatars passés que l'anthropologie a pu, parfois en dépit de ses intentions ou projets, engendrer,

les a priori idéologiques, des illusions sur son objectivité sous-estimant le lien qui unissait les

ethnologues à leur société d'origine dont ils étaient l'émanation culturelle.

L'œuvre de Lévi-Strauss permet de mesurer le travail d'élucidation de l'anthropologie, y compris

à l'égard de sa propre démarche, travail sans doute inachevé et non exempt de crise. Un des intérêts

de la démarche anthropologique consiste à nous étonner de ce qui nous est le plus familier (ce que

nous vivons quotidiennement dans la société dans laquelle nous sommes nés) et à rendre plus

familier ce qui nous est étranger (les comportements, les croyances, les coutumes des sociétés qui

ne sont pas les nôtres, mais dans lesquelles nous aurions pu naître).

1 Ce n'est que très récemment que les arts de ces peuples ne sont plus qualifiés de « primitifs » mais de « premiers » ce

qui ne demeure pas dénué d'ambiguïtés. Et même pendant longtemps la production artistique de ces peuples n'était

considéré que comme folklore ou au mieux artisanat.

Page 212: Rapport Fait colonial

212

Avant l'exposé de quelques éléments de réflexion, parmi d'autres, que nous inspirent les

analyses de Lévi-Strauss, il convient de souligner les mises au point, les inflexions, voire les

renversements opérés par l'anthropologie par rapport à ses débuts :

- la considération des multiples dimensions de l'être humain en société et, par voie de

conséquence, le souci d'articuler les divers champs d'investigation ;

- l'étude de l'homme dans toutes les sociétés, sous toutes les latitudes ;

- la reconnaissance de la diversité culturelle sans référence à sa propre culture prise comme

l'expression de la civilisation ou l'expression de la raison universelle, bref sans hiérarchisation ;

- un engagement en faveur de l'anticolonialisme et pour les droits des minorités ethniques ;

- l'urgence de conservation des patrimoines culturels menacés ;

- la conviction forte qu'il n'y a pas d'anthropologie sans échange, ce qui implique une rupture

avec une conception asymétrique de la recherche, fondée seulement sur une captation

d'informations.

1. Tous les peuples ont une culture.

Lévi-Strauss dénonce le préjugé qui consiste à rejeter hors de la culture des peuples parce que

nous les tenons pour plus proches de la nature que nous. En fait, tous les peuples sans exception ont

une culture, c'est-à-dire une langue, un système de parenté, des croyances, une organisation

politique et juridique etc... Le monde de l'homme est le monde de la culture avec la même rigueur

quelles que soient les sociétés, leur niveau de pauvreté ou de prospérité économique. La présence de

la culture se signale par des règles, , des techniques, des institutions par lesquelles les sociétés se

différencient et s'opposent. Ainsi si « le dénuement où vivent les Nambikwara paraît à peine

croyable », ils n'ont pas moins des techniques de jardinage, des parures, des mœurs qui les situent

d'emblée du coté de la culture :

« L'année nambikwara se divise en deux périodes distinctes. Pendant la saison pluvieuse,

d'octobre à mars, chaque groupe séjourne sur une petite éminence surplombant le cours d'un

ruisseau (...). Ils ouvrent des brûlis dans la forêt-galerie qui occupe le fond humide des vallées,

et ils plantent et cultivent des jardins où figurent surtout le manioc (doux et amer), diverses

espèces de maïs, du tabac, parfois des haricots, du coton, des arachides et des calebasses (...).

Au début de la saison sèche, le village est abandonné et chaque groupe éclate en plusieurs

bandes nomades. Pendant sept mois, ces bandes vont errer à travers la savane, à la recherche

du gibier : petits animaux surtout, tels que larves, araignées, sauterelles, rongeurs, serpents,

lézards ; et de fruits, graines, racines ou miel sauvage, bref tout ce qui peut les empêcher de

mourir de faim.

(…) Le costume des femmes se réduisait à un mince rang de perles de coquilles, noué

autour de la taille et quelques autres en guise de colliers ou de bandoulières ; des pendants

d'oreilles en nacre ou en plumes, des bracelets taillés dans la carapace du grand tatou et

parfois d'étroites bandelettes en coton (tissé par les hommes) ou en paille, serrées autour des

biceps ou des chevilles.

(…) Tous les biens des Nambikwara tiennent aisément dans la hotte portée par les femmes

au cours de la vie nomade.

(…) La consonance du nambikwara est un peu sourde, comme si la langue était aspirée ou

chuchotée. Les femmes se plaisent à souligner ce caractère et déforment certains mots (ainsi,

kititu devient dans leur bouche kediustu) ; articulant du bout des lèvres (…) leur émission

témoigne d'un maniérisme et d'une préciosité dont elles ont parfaitement conscience » (Tristes

tropiques 1955 La Pléiade Gallimard 2008, p.273-277).

L'anthropologue observe que chez tous les groupes humains le pas qui mène de l'animalité à

l'artifice, des instincts à l'institution, de la nuit animale au symbolisme et à la fonction clarifiante du

Page 213: Rapport Fait colonial

213

langage articulé, a toujours déjà été franchi. Aucun peuple ne vit naturellement. L'expression

« vivre naturellement » pour l'homme est une contradiction dans les termes ; elle n'est pour l'animal

qu'une tautologie. Le pire contre-sens que l'on puisse commettre sur les peuples sans écriture ou sur

les peuples sans histoire -il serait plus judicieux de préciser que ce sont des peuples qui n'ont pas

envie d'avoir des histoires- est de les imaginer vivre comme des animaux. A bien des égards , leurs

croyances et leurs mœurs sont plus complexes que les nôtres, leurs conventions et leurs artifices

témoignent d'une ingéniosité dont nous avons perdu le sens.

L'homme est le seul animal à ne pas se contenter de ce que la nature lui donne. Partout l'homme

orne, maquille, peint, vêt son corps. Aucun animal ne le fait.

De même aucun animal ne fera cuire ses aliments avant de les absorber.

De même si les animaux ont des signes de communication, ceux-ci sont liés à des stimulations

internes ou externes, seul l'homme a un langage articulé, institué, symbolique et grâce à la

combinaison de mots il peut produire un discours au potentiel infini pour exprimer ses pensées et

connaître le monde.

De même seul l'homme cultive la terre.

De même seul l'homme ne transforme pas seulement la nature mais se transforme lui-même. Il

ne se laisse pas commander par ses instincts, ses pulsions de façon incontrôlée, sa conduite se

soumet à des règles, à des interdits qui n'existent pas à l'état naturel comme la prohibition de

l'inceste et toutes sortes de prescriptions.

La culture n'est pas une particularité ou une donnée seulement propre à certaines sociétés

humaines, elle est un fait humain fondamental : par le jeu combiné du symbolisme et de la

fabrication, les hommes ne vivent pas une vie simplement animale, consistant à naître, se conserver,

se reproduire et mourir. Ce décalage de la vie humaine d'avec la vie animale signifie que toute

injonction d'un retour à la nature ne doit être comprise que métaphoriquement et qu'il s'agit en

l'occurrence d'une injonction culturelle.

Le fait même de vivre dans des cultures est le lot commun des hommes : les langues diffèrent et

avec elles les manières de symboliser et de discourir, mais on ne connait pas d'homme vivant en

dehors du langage ; les formes du travail et de la production diffèrent dans le temps et l'espace, mais

le travail est partout présent ; les institutions juridiques, politiques, les coutumes varient, mais il y

en a dans toutes les sociétés humaines. Ce qu'ont en commun les hommes, c'est leur aptitude à la

variation culturelle.

2. Le concept de culture sous l'angle de l'anthropologie.

L'anthropologie culturelle a commencé par une rupture épistémologique avec le sens

traditionnel et normatif du terme culture désignant et valorisant certaines pratiques, notamment les

productions intellectuelles et les manières de l'élite d'une société. Pour les anthropologues, la culture

concerne aussi les phénomènes que leur banalité, leur quotidienneté faisaient apparaître à tort

comme insignifiants ou naturels, ils ont considéré que la culture est constitué de l'ensemble des

activités, des comportements et des représentations acquis par l'homme, de toutes les manières

d'être, de faire, de penser qui forment un système relativement stable, susceptible de se transmettre

au fil des générations. Relèvent de la culture pour les anthropologues sans appréciation de valeur

positive ou négative aussi bien la tragédie grecque, la dynamo électrique, la sorcellerie etc. L'on

voit, par là, que les anthropologues donnent congé à des jugements de valeur établis sur des

normes culturelles particulières qui, bien qu'elles soient en réalité des plus variables du fait de la

diversité des cultures, s'imposent de façon quasi inconsciente comme des références évidentes à

ceux qui font partie de cette culture. Ainsi l'anthropologie nous rend attentifs à ne pas tenir la

diversité des cultures pour une inégalité des cultures, nous rend compréhensible ce qui, au premier

abord, ne l'était pas (comment peut-on penser qu'un mariage avec toute autre personne que sa

Page 214: Rapport Fait colonial

214

cousine est condamnable ? Comment peut-on croire à la magie ?, etc.) nous oblige enfin à prendre

quelque distance à l'égard de jugements qui valorisent certaines choses mais à l'exclusion d'autres,

et finalement nous comprendre les uns les autres.

« L'humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier,

ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête

lui est acquise ; elle évoque plutôt le joueur dont la chance est répartie sur plusieurs dés et

qui, chaque fois qu'il les jette, les voit s'éparpiller sur le tapis, amenant autant de comptes

différents. Ce que l'on gagne sur un, on est toujours exposé à le perdre sur l'autre, et c'est

seulement de temps à autre que l'histoire est cumulative, c'est-à-dire que les comptes

s'additionnent pour former une combinaison favorable. (...)

La civilisation occidentale s'est entièrement voué, depuis deux ou trois siècles, à mettre

à la disposition de l'homme des moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l'on adopte

ce critère, on fera de la quantité d'énergie disponible par tête d'habitant l'expression du plus

ou moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale sous

sa forme nord-américaine occupera la place en tête, les sociétés européennes venant ensuite,

avec, à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite

indistinctes (...). Si le critère retenu avait été le degré d'aptitude à triompher des milieux

géographiques les plus hostiles, il n'y a guère de doute que les Eskimos d'une part, les

Bédouins de l'autre emporteraient la palme. L'Inde a su, mieux qu'aucune autre civilisation,

élaborer un système philosophico-religieux, et la Chine un genre de vie1, l'un et l'autre

capable de réduire les conséquences psychologiques d'un déséquilibre démographique. Il a

déjà treize siècles, l'Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de la vie

humaine : technique, économique, sociale, spirituelle2, que l'Occident ne devait retrouver que

tout récemment avec certains aspects de la pensée marxiste et la naissance de l'ethnologie

moderne. On sait quelle place prééminente cette vision prophétique a permis aux Arabes

d'occuper dans la vie spirituelle du Moyen Age. L'Occident, maître des machines, témoigne de

connaissances très élémentaires sur l'utilisation et les ressources de cette suprême machine

qu'est le corps humain. Dans ce domaine au contraire, comme dans celui connexe des

rapports entre le physique et le moral, l'Orient et l'Extrême-Orient possèdent sur lui une

avance de plusieurs millénaires ; ils ont produit ces vastes sommes théoriques et pratiques que

sont le yoga de l'Inde, les techniques du souffle chinoises ou la gymnastique viscérale des

anciens Maoris3. » (Claude Lévi-Strauss, Race et histoire , folio essais 1997, p. 38-39, 46-47).

Les sociétés les plus différentes de la nôtre, nous les tenons spontanément pour indifférenciées,

elles « deviennent vite indistinctes », alors qu'elles sont en fait aussi différentes entre elles qu'elles

le sont de celle à laquelle nous appartenons. Et, plus encore, elles sont pour chacune d'entre elles,

très rarement homogènes (comme nous pouvions spontanément nous y attendre) mais, au contraire,

diversifiées.

Chaque culture représente un ensemble d'adaptations à un milieu donné et de réponses aux

interrogations de l'homme, chacune privilégie certains aspects de l'existence, des exigences et des

projets spécifiques, certaines valeurs plutôt que d'autres. Il n'existe en conséquence aucun critère

neutre ou absolu qui permettrait d'établir une hiérarchie entre les cultures.

3. La critique du racisme

1 Lévi-Strauss pense vraisemblablement au bouddhisme d'une part, au confucianisme de l'autre.

2 Cf. par exemple l'œuvre d'Ibn Khaldoun (1332-1406).

3 Indigènes de Nouvelle-Zélande.

Page 215: Rapport Fait colonial

215

Le racisme soutient que les hommes constitue un ensemble hétérogène et inégal de « races »

hiérarchiquement réparties, il veut préserver la race dite supérieure de tout croisement et prétend

justifier sa domination sur les autres races. Dans les pays démocratiques, la constitution et les lois

condamnent toutes les formes de discrimination raciale. Pour autant, un racisme diffus ou virulent

n'en persiste pas moins.

Le fantasme biologique est dominant dans le racisme : on sait le rôle qu'y jouent la couleur de la

peau ou la prétendue pureté du sang. En ravalant l'autre à un rang inférieur, le raciste cherche à

présenter et à préserver les inégalités sociales comme des inégalités de race fondées en nature.

Pour les biologistes, l'humanité est une même espèce génétiquement. Tout découpage dans le

champ continu de l'espèce humaine est arbitraire : il n'existe pas scientifiquement de races

humaines, il existe certes des types physiques (taille, forme de visage, couleur de la peau etc.) mais

leur variété extrême rend tout classement scientifique impossible.

Quant aux peuples, leur existence est le résultat de leur culture.

On peut aussi effectuer un retour sur la civilisation qui a généré l'idéologie raciste, dans sa

prétention faussement scientifique, et l'expansion coloniale qu'elle a justifiée en tant qu' exploitation

méthodique d'un territoire étranger et asservissement de sa population : c'est interroger l'Occident et

dans une certaine mesure le monde arabe. Cela permet de souligner qu'aujourd'hui ce qui importe

c'est le refus théorique, politique et moral de tout compromis ou de toute compromission avec une

idéologie obscurantiste s'opposant aux droits de l' homme.

Lévi-Strauss, dans les extraits qui suivent, a le mérite d'élucider les préjugés d'une idéologie qui

confond les différences physiques entre les hommes avec des différences culturelles, qui prétend

déduire de caractères physiques un mode de comportement, des aptitudes intellectuelles ou des

qualités morales. Lévi-Strauss démontre l'absurdité des présupposés d'une telle idéologie dont les

premières générations d'anthropologues n'ont pas été exempts.

« Le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement

biologique de race (à supposer, d'ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puise

prétendre à l'objectivité ce que la génétique moderne conteste) et les productions

sociologiques et psychologiques des cultures humaines. (…)

[L'originalité des apports culturels de l'Asie ou de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique]

tient à des circonstances géographiques, historiques et sociologiques, non à des aptitudes

distinctes liées à la constitution anatomique ou physiologique des noirs, des jaunes ou des

blancs. (…) Il y a beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les

unes se comptent par milliers et les autres par unités : deux cultures élaborées par des

hommes appartenant à la même race peuvent différer autant, ou davantage, que deux

cultures relevant de groupes racialement éloignées. » (Race et histoire, p. 10-11).

4. La critique de l'illusion archaïque.

Une autre façon de méconnaître la culture de certains peuples, tout aussi anti-scientifique, c'est

de les considérer comme les survivants d'une enfance de l'humanité. Ce ne sont plus des bêtes mais

ce sont encore des primitifs (en tout cas ils demeurent inaccomplis)1. Ce préjugé que Lévi-Strauss

1

La notion de primitivité appliquée aux sociétés non occidentales est une invention du XVIII° siècle: elle repose sur

l'idée que certaines sociétés figurent un stade de développement révolu. Cette notion, comme celle de civilisation qui

lui fait pendant, est liée à une conception de l'histoire qui embrasserait dans un même mouvement uniforme, linéaire

et ascendant l'ensemble des sociétés. Précisons que lorsque Lévi-Strauss utilise l'expression « sociétés primitives », il

ne fait que désigner sans aucune connotation péjorative et selon une convention ethnologique qui perdure, des

Page 216: Rapport Fait colonial

216

qualifie d' « illusion archaïque », en engendre un autre le faux évolutionnisme assimilant les

différentes cultures aux différents stades d'un même processus évolutif: « Car, si l'on traite les

différents états où se trouvent les sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des

stades ou des étapes d'un développement unique qui, partant d'un même point, doit les faire

converger vers le même but, on voit bien que la diversité n'est plus qu'apparente. » (Race et

histoire, p. 23-24)

Le faux évolutionnisme présuppose que l'on retrouverait, étalés dans l'espace, les différents

stades culturels qui se sont succédés dans le temps et dont l'aboutissement est représenté par

l'Occident. C'est ainsi que le touriste s'imagine retrouver l'âge de pierre auprès des aborigènes en

Australie, nos premiers siècles dans les campagnes en Ethiopie, le Moyen Age dans certains

marchés du Proche-Orient.

Quant à l'illusion archaïque, elle consiste à penser que certaines sociétés seraient, du fait d'une

stagnation culturelle, plus proches des états originaires de l'humanité représentant une figure de

l'histoire passée ; bref tout en feignant de leur reconnaître une culture, cette illusion nie à sa façon

la diversité culturelle dans la mesure où celle-ci est rattachée aux étapes d'un développement social

uniforme, comparable aux âges de la vie. Or aucun peuple ne représente une étape infantile de

l'humanité, les peuples dits primitifs ne sont ni des enfants attardés ni des témoins vivants des temps

préhistoriques, appelés à devenir adultes, « matures » en s'intégrant à la civilisation occidentale.

Lévi-Strauss critique cette illusion en expliquant comment s'est formée une telle représentation et

les raisons de sa persistance.

« Il est tentant, en vérité, de voir dans les sociétés primitives une image approximative

d'une plus ou moins métaphorique enfance de l'humanité, dont le développement intellectuel

de l'enfant reproduirait aussi pour sa part et sur le plan individuel, les stades principaux (…).

[Mais l'enfant n'est] pas un adulte ; il ne l'est, ni dans notre société, ni dans aucune autre,

et dans toutes, il est également éloigné du niveau de pensée de l'adulte ; si bien que la

distinction entre pensée adulte et pensée infantile recoupe, si l'on peut dire, sur la même ligne,

toutes les cultures et toutes les formes d'organisation sociale. (…) la culture la plus primitive

est toujours une culture adulte, et par cela même incompatible avec les manifestations

infantiles (...).

Quand nous comparons la pensée primitive et la pensée infantile, et que nous voyons

apparaître tant de ressemblances entre les deux, nous sommes donc victimes d'une illusion

subjective, et qui se reproduirait sans doute pour les adultes de n'importe quelle culture

comparant leurs propres enfants avec les adultes relevant d'une culture différente. La pensée

de l'enfant étant moins spécialisée que celle e l'adulte, elle offre en effet, toujours à celui-ci,

non seulement l'image de sa propre synthèse, mais aussi de toutes celles susceptibles de se

réaliser ailleurs et sous d'autres conditions (…) si bien que, pour une société quelconque, ce

sont toujours ses propres enfants qui offrent le point de comparaison le plus commode avec

des coutumes et des attitudes étrangères. Les mœurs très éloignées des nôtres nous

apparaissent toujours, et très normalement, puériles » (Les structures élémentaires de la

parenté,1947, Mouton, 1971, p. 102-111)

L'enfant n'est pas encore formé par la culture ; il reste apte à acquérir tous les comportements

possibles, de même qu'il n'a pas encore , parmi l'infinité des sons qu'il reste apte encore à prononcer,

sélectionné sous l'effet de l'habitude et de l'imitation, le système de sons et de règles grammaticales

qui constituera son langage. Mais ne soyons pas victimes de cette illusion en confondant le monde

adulte et celui de l'enfant. Tous les peuples sont adultes.

sociétés sans écriture; dans ses dernières œuvres, il prend la précaution d'employer l'expression « sociétés dites

primitives ».

Page 217: Rapport Fait colonial

217

Lévi-Strauss remet en cause la mystique d'un devenir historique univoque conçu comme une

évolution continue, le postulat d'un sens de l'histoire unique et totalisateur avec sa tendance à ne

reconnaître les singularités culturelles qu' étalonnées par référence à la norme des sociétés

occidentales.

Les sociétés dites primitives se définissaient avant tout par leurs insuffisances leurs manques

supposées : sans écriture, sans histoire, sans État. Les particules privatives employées pour qualifier

ces sociétés par rapport à la nôtre, ne sont désormais plus dépréciatives. Ainsi l'ethnologue Pierre

Clastres a vu dans l'absence d'État une maîtrise intentionnelle de défense contre la division de la

société : « Tout se passe comme si ces sociétés constituaient leur sphère politique en fonction d'une

intuition qui leur tiendrait lieu de règle: à savoir que le pouvoir est en son essence coercition.(..) Ces

sociétés ont très tôt pressenti que la transcendance du pouvoir recèle pour le groupe un risque

mortel. » La société contre l'État, Minuit, 1974, p. 40.

5. La critique de l'ethnocentrisme.

A la différence de l'idéologie raciste qui n'a imprégné que certaines sociétés à certaines époques,

l'ethnocentrisme apparaît comme un comportement quasi universel1.

En quoi consiste l'ethnocentrisme? Il désigne une attitude collective à répudier les autres cultures

à partir de la sienne érigée, le plus souvent inconsciemment, en absolu, à refuser une culture autre.

Pour chaque groupe social, l'humanité cesse à la frontière linguistique, ethnique voire de classe ou

de caste. On préfère diagnostiquer l'absence de culture plutôt que la diversité des cultures. Bien

souvent les peuples se nomment eux-mêmes les « hommes », les « bons »,les « excellents » les

« complets », « impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des

vertus - ou même de la nature - humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de

« méchants », de « singes de terre » ou d' « œufs de pou ». (Race et histoire, p. 21). Les autres, les

étrangers, sont vus comme des sauvages ou des barbares, leur langue est inintelligible, leur

nourriture immangeable, leurs vêtements ridicules, leurs lois injustes. Nous refusons aux autres le

droit d'être différents en jugeant leurs manières d'être, de faire, de penser d'après les critères

propres à notre culture prise comme référence universelle et en allant jusqu'à rejeter hors de

l'humanité ceux dont les us et coutumes apparaissent trop incompréhensibles ou nous semblent trop

éloignés de nos habitudes culturelles. Ce rejet trahit à la fois un dégoût et une peur. Les hommes

d'autres cultures ne sont donc parfois pas reconnus comme des hommes à part entière, comme nos

semblables, leur réalité relève d'un ordre fantasmé, imaginaire, qui fait écran à leur

(re)connaissance.

Ainsi les Espagnols dressèrent le catalogue des comportements inhumains qui leur permettent de

voir en tout Indien, une bête: «Ils mangent de la chair humaine,ils n'ont pas de justice, ils vont tous

nus, mangent des puces, des araignées et des vers crus...Ils n'ont pas de barbe et si par hasard il leur

en pousse, ils s'empressent de l'épiler.» (Ortiz devant le Conseil des Indes, 1525.) (Tristes tropiques,

p. 61). La conclusion s'impose: ils seront mieux en «hommes esclaves» qu'en «animaux libres».

Quant aux Indiens pour vérifier l'éventuelle divinité des Espagnols, ils montaient la garde autour de

leurs cadavres afin de voir s'ils étaient sujets à putréfaction on non.

Ce mécanisme psychologique et social semble bien être la chose du monde la plus partagée et

fait de nous tous des barbares si l'on y prend garde ; le partage ne se joue pas entre civilisés d'une

part et barbares de l'autre, mais au sein même de toutes les cultures, chacune peut être porteuse de

barbarie.

« L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur les fondements psychologiques

solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans

1 Cf. M. Leiris, Cinq études d'ethnologie, Denoël-Gonthier, 1969.

Page 218: Rapport Fait colonial

218

une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles:

morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous

nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait

pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette

même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont

étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture

grecque (puis gréco-latine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite

utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même

jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à

l'inarticulation du chant des oiseaux opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et

sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la

culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité

culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas

à la norme sous laquelle on vit (...).

Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu'on

choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus

marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion

d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce

humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée(...). C'est dans la mesure même

où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on

s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier(...) Le barbare, c'est d'abord

celui qui croit à la barbarie » (Race et histoire, p.19 à 22)

Il convient de bien interpréter la pensée de Lévi-Strauss : toute nomination qualifiant l'autre de

barbare est prisonnière d'une affirmation systématique du particulier, elle nie ou déprécie la culture

des autres. Mais il y a plus qu'une barbarie: la plus terrifiante ne provient pas de ces peuples

démunis, de ces « Indiens des tropiques et leurs semblables dans le monde », « tous voués à

l'extinction, sous le choc des maladies et des modes de vie- plus horribles encore- que nous leur

avons apportés » (Anthropologie structurale II, Plon 1973 p. 44).

L'ethnocentrisme peut engendrer l'intolérance - du fait d'une adhésion aveugle et exclusive à ses

propres valeurs -, prendre des formes extrêmes (religieuses, politiques, culturelles) allant jusqu'à la

destruction d'autres cultures et d'autres peuples (ethnocide, génocide).

Un exemple de cet ethnocentrisme est la répulsion que suscite l'anthropophagie. La question est

de savoir si certaines de nos institutions ne sembleraient pas tout aussi barbares à des hommes d'une

autre culture. Les coutumes sont des règles sociales qui font partie de la culture des peuples chez

qui elles apparaissent et leurs usages ont une raison d'être par la fonction qu'ils remplissent dans la

société. Les procédés en usage dans notre société sont-ils toujours plus honorables ?

« Prenons le cas de l'anthropophagie, qui, de toutes les pratiques sauvages, est sans doute

celle qui nous inspire le plus d'horreur et de dégoût (...) l'ingestion d'une parcelle du corps

d'un ascendant ou d'un fragment d'un cadavre ennemi, pour permettre l'incorporation de ses

vertus ou encore la neutralisation de son pouvoir ; outre que de tels rites s'accomplissent le

plus souvent de manière fort discrète, portant sur de menues quantités de matière organique

pulvérisée ou mêlée à d'autres aliments, on reconnaîtra, même quand elles revêtent des

formes plus franches, que la condamnation morale de telles coutumes implique soit une

croyance dans la résurrection corporelle qui serait compromise par la destruction matérielle

du cadavre, soit l'affirmation d'un lien entre l'âme et le corps et le dualisme correspondant,

c'est-à-dire des convictions qui sont de même nature que celles au nom desquelles la

consommation rituelle est pratiquée, et que nous n'avons pas de raisons de leur préférer.

D'autant plus que la désinvolture vis à vis de la mémoire du défunt, dont nous pourrions faire

Page 219: Rapport Fait colonial

219

grief au cannibalisme, n'est certainement pas plus grande, que celle que nous tolérons dans les

amphithéâtres de dissection.

Mais surtout, nous devons nous persuader que certains usages qui nous sont propres,

considérés par un observateur relevant d'une société différente, lui apparaîtraient de même

nature que cette anthropophagie qui nous semble étrangère à la notion de civilisation. Je

pense à nos coutumes judiciaires et pénitentiaires. A les étudier du dehors, on serait tenté

d'opposer deux types de sociétés: celles qui pratiquent l'anthropophagie, c'est-à-dire qui

voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen

de neutraliser celles-ci, et même de les mettre à profit ; et celles qui, comme la nôtre, adoptent

ce que l'on pourrait appeler l'anthropoémie (du grec émein, vomir) ; placés devant le même

problème, elles ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres redoutables hors

du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec

l'humanité, dans des établissements destinés à cet usage. A la plupart des sociétés que nous

appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde ; elle nous marquerait à

leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en raison de leurs

coutumes symétriques. (Tristes tropiques, p. 415-416)

Thèmes et débats

. Pour ne pas succomber à l'ethnocentrisme -dont on ne se libère peut-être jamais complètement-

le mieux est de s'adonner à l'étude patiente et généreuse des autres cultures, ce qui amène à

relativiser celle dans laquelle nous avons été éduqués. Faut-il pour autant répudier toute exigence

d' universalité et de normativité? Si tous les points de vue se valent, au nom de quoi combattre

l'ethnocentrisme? Ou encore: prendre en compte la diversité des cultures contraint-il à renoncer à

l'idée même de valeurs universelles?

. Peut-on juger sa propre culture?

. Le phénomène communautariste

. Que faut-il penser de l'expression « choc des civilisations »?

Mots clés

anthropologie/barbarie/civilisation/culture/ethnologie/ethnocentrisme/évolutionnisme/

illusion archaïque /sauvage.

Page 220: Rapport Fait colonial

220

DES PROPOSITIONS DE STAGES DANS LE CADRE DU PAF 2009-2010

Nous avons proposé trois stages pluridisciplinaires ouverts aux enseignants d’histoire-

géographie, de lettres, de langues, de philosophie, aux professeurs-documentalistes…

Trois thèmes nous paraissaient particulièrement intéressants :

- un stage « Sociétés coloniales : inégalités et tensions » ;

- un stage « Colonisation, littérature et philosophie » ;

- un stage Migrations coloniales et postcoloniales transformés en « Migrations et Europe :

XXe-XX

e siècles » lors de la réunion de la formation continue.

Au final, le stage retenu au PAF pour l’année 2009-2010 s’intitule : « Regards croisés sur la

colonisation »

Objectif pédagogique

1. Dresser un bilan des apports de la recherche récente en lien avec l’étude de la colonisation dans

les nouveaux programmes (collège).

2. Mener une approche pluridisciplinaire de la colonisation (histoire, lettres, philosophie).

3. Etudier des regards croisés sur la colonisation (la colonisation vue des colonisateurs et des

colonisés).

Description du contenu

Proposer des documents historiques neufs. Formation menée en partenariat avec l’Université de

Toulouse-Le Mirail. Mises au point scientifique, concevoir et échanger des pratiques de classe.

Public

Professeurs d’histoire-géographie et de lettres collège/lycée/lycée professionnel ; professeurs de

philosophie et documentalistes.

Page 221: Rapport Fait colonial

221

V. OUTILS DE TRAVAIL

PISTES DE LECTURE

Atlas, dictionnaires et manuels

• Généralités

Marcel DORIGNY, Bernard GAINOT & Fabrice LE GOFF, Atlas des esclavages. Traites, sociétés

coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours, Autrement, 2006.

Sophie DULUCQ, Jean-François KLEIN et Benjamin STORA (dir.), Les mots de la colonisation,

Presses universitaires de Mirail, coll. « Les mots de », 2008.

Jacques FREMEAUX, Les empires coloniaux dans le processus de mondialisation, Maisonneuve &

Larose, 2002.

Gilles GAUVIN, Abécédaire de l’esclavage des Noirs, Éditions Dapper, 2007.

Claude LIAUZU, Colonisation, droit d’inventaire, A. Colin, coll. « U », 2004.

Claude LIAUZU, Dictionnaire de la colonisation française, Larousse, coll. « À présent », 2007.

Éric MESNARD & Aude DESIRE, Enseigner l’histoire des traites négrières et de l’esclavage, Cycle

3, coll. « Repères pour agir », Sceren/ CRDP de Créteil, 2007 (conçu pour le niveau fin primaire

Ŕ début secondaire, mais fort utile pour l’enseignement en collège).

MEYER Jean et al., Histoire de la France coloniale, 2 tomes, A. Colin, 1991.

Guy PERVILLE, De l'Empire français à la décolonisation, Hachette, « Carré Histoire », 1993.

Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, Les traites négrières, Documentation photographique, n° 8032,

2003.

Patrick WEIL, Stéphane DUFOIX et al. (dir.), L’esclavage, la colonisation et après… France, Etats-

Unis, Grande-Bretagne, PUF, 2005.

Manuels sur l’histoire des Antilles

Paul BUTEL, Histoire des Antilles françaises, XVIIe – XX

e siècles, Perrin, 2002 (éd. de Poche 2006).

Frédéric REGENT La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Grasset,

2007.

Jacqueline ZONZON et Gérard PROST, Histoire de la Guyane, Maisonneuve & Larose – Servedit,

1996.

Manuels sur l’histoire du Maghreb colonial

Frédéric ABECASSIS, Gilles BOYER, Benoit FALAIZE, Gilbert MEYNIER & Michelle ZANCARINI-

FOURNEL, La France et l'Algérie : leçons d'histoire. De l'école en situation coloniale à

l'enseignement du fait colonial, INRP – Université Lyon 1, 2007.

Yvette KATAN-BENSAMOUN, Le Maghreb. De l’empire ottoman à la fin de la colonisation

française, Éditions Belin, collection « Sup. », 2007.

Daniel RIVET, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2003.

Page 222: Rapport Fait colonial

222

Manuels sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne coloniale

Elikia M’BOKOLO, Afrique Noire. Histoire et civilisations, t. 2 : XIXe-XX

e siècles, Hatier/ Aupelf,

1992.

Hélène D’ALMEIDA-TOPOR, L’Afrique au XXe siècle, A. Colin, coll. « U », 1993.

Hélène D’ALMEIDA-TOPOR et MONIQUE LAKROUM, L’Europe et l’Afrique. Un siècle d’échanges

économiques, A. Colin, coll. « U », 1994.

Catherine COQUERY-VIDROVITCH, L'Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions,

crises, A. Colin, coll. « U », 1999 (chapitre 6. L’intervention coloniale).

Manuels sur l’histoire de l’Indochine coloniale

Pierre BROCHEUX et Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambiguë (1858-1954), La

Découverte, 2001.

Daniel HEMERY, Hô Chi Minh, de l’Indochine au Vietnam, Gallimard, coll. « Découvertes », 1994.

NGUYEN The Anh, Parcours d’un historien du Viêt Nam, Recueil des articles écrits par Nguyen Thê

Anh, Les Indes savantes, 2008.

Institut de Recherche sur le Sud Est Asiatique, Le contact franco-vietnamien, Le premier demi-

siècle (1858-1911), Publications de l’Université de Provence, 1999.

Documents publiés

Traites, esclavage

Equiano Olaudah, Ma véridique histoire, Africain, esclave en Amérique, homme libre, Mercure de

France, coll. « Le temps retrouvé», Paris, 2008.

Il s’agit de la dernière édition d’un récit paru dès 1789 à Londres. Traduction, présentation et

annotations réalisées par Régine Mfoumou-Athur. Il en existe une version pour la jeunesse

éditée par Rageot.

Douglass, Frederick / Tronc, Hélène.- La vie de Frederick Douglass, esclave américain, écrite par

lui-même.- Gallimard, 2006.- 1 vol. (193 p.) ; ill., couv. ill. en coul. ; 18 cm.- La bibliothèque

Gallimard, Bibliogr. et webliogr. p. 191-192. Glossaire.-

En 1845, Frederick Douglass, ancien esclave américain, publie l'un des récits les plus

puissants contre l'esclavage. Dossier pédagogique< ;

Capitaine William Snalgrave, Journal d’un négrier au XVIIIe siècle, Gallimard, coll. « Témoins »,

2008 (édition établie par Pierre Gibert).

Estévez, Francisco, Le Rancheador, Journal d’un chasseur d’esclaves, Tallandier, Paris, 2008.

Marronnage à Cuba première moitié du XVIIIe siècle.

Jean-Gabriel Stedman, Capitaine au Surinam : une campagne de cinq ans contre les esclaves

révoltés, édition Sylvie Messinger, 1989.

Colonisation des XIXe et XX

e siècles

Page 223: Rapport Fait colonial

223

Émile Dussaulx, Journal du Soudan (1894-1898) (édition établie par Sophie Dulucq), L’Harmattan,

2000.

Mohammed Dib, L’incendie, Points Seuil (1e édition 1954).

Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre, Livre de Poche, 1997 (1e édition : 1950)

Amadou Hampâté Bâ, t. 1 : Amkoullel, l’enfant peul, Actes Sud, 1991, t. 2 : Oui, mon commandant,

Actes Sud, 1999.

Albert Londres, Terre d’ébène, Albin Michel, 1929 (rééd. Le serpent à plumes, 1998).

Bachir Hadjaj, Les voleurs de rêves. 150 ans d’histoire d’une famille algérienne , Albin Michel,

2007.

Mohamed Harbi, Mémoires politiques, t. 1 : 1945-1962. Une vie debout, La Découverte, coll.

« Cahiers libres », 2001.

Jacques Weulersse, Noirs et Blancs. À travers l'Afrique nouvelle de Dakar au Cap, Paris, 1931

(réédition CTHS 1993)

Littérature générale

Récits autobiographiques

Antilles

Chamoiseau, Patrick, Une enfance créole, Gallimard, Folio.

Confiant, Raphaël, Ravines du devant-jour, Gallimard, Folio.

Lahens, Yannicks, Dans la maison de mon père, Paris, Le Serpent à plumes, 2000.

Dans les années 1940, Alice Bienaimé grandit dans une famille de la grande bourgeoisie

d’Haïti. En pratiquant la danse, elle découvre ses racines africaines.

Algérie

Bey, Maïssa, Entendez-vous dans les montagnes…, L’aube, 2005

Au hasard d’un voyage en train, une jeune femme retrouve le bourreau de son père.

Bey, Maïssa, Bleu blanc vert, L’aube, 2006

Récits parallèles de jeunes Algériens ayant vécu les premiers jours de l’indépendance…

Bey, Maïssa, Sous le jasmin la nuit, L’aube, 2008.

Chraïbi, Driss, La Civilisation, ma Mère!…, Gallimard Folio, 1989.

Collectif, Algérie, un rêve de fraternité, recueil de récits d’E.Roblès, J.Roy, M. Dib etc. , Omnibus,

1997.

Sebbar, Leïla, Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003.

La narratrice s’interroge sur le silence de son père, maître d’école, qui ne lui a pas appris la

langue de son peuple.

Page 224: Rapport Fait colonial

224

Mammeri, Mouloud, La colline oubliée, Folio Gallimard, 1952.

Sebbar, Leïla, L’arabe comme un chant secret, Bleu autour, 2007.

Sebbar, Leïla, Une enfance algérienne, Gallimard Folio 1999.

Les seize écrivains présents dans ce recueil sont nés en Algérie avant l'indépendance. Ils se

retrouvent réunis ici comme ils ne l'ont jamais été sur la terre natale. Ils nous disent leur

Algérie : éclats d'enfance heureuse ou meurtrie par la guerre, approches résurrectives qui

restituent une société polyphonique où se côtoient musulmans, juifs, chrétiens, et où

s'échangent, s'adoptent et parfois s'excluent traditions et cultures.

Sebbar, Leïla, Une enfance outremer, Seuil Points virgule, 2001.

Sebbar, Leïla, J’étais enfant en Algérie (juin 1962), Éditions du Sorbier, 2001.

Yacine, Kateb, Nedjma, 1956

Afrique subsaharienne

Amadou Hampâté Bâ, L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain, 10/18,

1973.

Roman désopilant sur l’ascension sociale d’un interprète colonial.

Ousmane Sembene, Les bouts de bois de Dieu, Presses Pocket, 1960.

.sur la grande grève des cheminots du Dakar-Niger en 1947.

Indochine

Coatelem, Jean-Luc, Suite indochinoise, La Table Ronde, 2008.

Le dilettante : un jeune écrivain d’une trentaine d’années retourne sur les traces d’un grand-

père, militaire en Indochine dans les années 30.

Dorgelès, Roland, Sur la route mandarine, Editions Kailash, 1997.

Lefèvre, Kim, Métisse blanche ; Retour à la saison des pluies, L’aube, 2003.

Roze, Pascal, L’eau rouge, Stock, 2006.

Le narrateur évoque le séjour en Indochine d’une jeune française dans les années 1948

Récits, romans

Esclavage

Chamoiseau, Patrick, L’esclave vieil homme et le molosse, Gallimard Folio, 2000.

Kanor, Humus, Continents noirs, Gallimard, 2006.

Variation poétique autour du périple de femmes esclaves noires entre Badagry et Saint-

Domingue ; chacune prend successivement la parole.

Page 225: Rapport Fait colonial

225

Saint-Pierre, Bernardin de, Esclaves des îles françaises, Les éditeurs libres, 2006.

Trouillot, Lyonel, Bicentenaire, Actes Sud Babel, 2006.

Voltaire, Candide, Larousse, 2007.

Afrique

Bouyain, Métisse façon, La chambre d’échos, 2003.

Waberi, Le pays sans ombre, Edition du Rocher, 2000.

« Conte de fer »: prophétie sur le développement du chemin de fer à travers le continent africain.

Indochine

Moï, Anna, Rapaces, Gallimard, 2005.

Le narrateur, un artiste peu concerné par la guerre d’indépendance fait pourtant le messager

dans les montagnes du haut Tonkin. Il se remémore les années 1944-45. Chaque chapitre

présente une citation du gouverneur général de l’époque.

Ragon, Michel, Ma sœur aux yeux d’Asie, Albin Michel, 2000.

Sebbar, Leïla, Travail à domicile in Le ravin de la femme sauvage, Editions Thierry Magnier, 2007.

Une jeune française d’origine vietnamienne retourne sur la terre de ses ancêtres et découvre le

tourisme sexuel.

Algérie

Sebbar, Leïla, La photo d’identité in La jeune fille au balcon, Points Seuil, 2007.

Un adolescent d’origine algérienne se trouve fasciné par une photo de femme présentée dans

la vitrine d’une librairie. Ce cliché fait partie d’un ensemble de photos prises par un militaire

durant la guerre d’Algérie.

Sebbar, Leïla, Monologue du soldat in Le ravin de la femme sauvage, Editions Thierry Magnier,

2007.

Récit sur le statut du soldat considéré comme traître ; parallèle entre le destin du père et du

fils.

Textes critiques

Collectif, Littérature et histoire coloniale, Indes Savantes, 2004.

Copin, Henri, L’Indochine des romans, Kailash, 2000.

Page 226: Rapport Fait colonial

226

Littérature jeunesse

Romans

Esclavage

Bally-Kenguet Sokpe, Romain / Boucher, Bernard / Pinguilly Yves - Les prisonniers du vent.- Paris

: Oskar jeunesse, 2009.- 305 p. ; 21 x 13 cm.- Cadet, Lexique.-

Un navire négrier français se rend à l'embouchure du fleuve Niger pour embarquer de futurs

esclaves noirs. Un très jeune garçon, qui tente en vain de sauver les nouveaux prisonniers, est

à son tour esclave en Martinique où il subit des violences. Puis, en pensant embarquer

clandestinement pour l'Afrique, il se retrouve esclave au Québec avec les Indiens.

Borton de Trevino, Elizabeth.- Je suis Juan de Pareja : né esclave à Séville élève en secret de

Velazquez, peintre malgé tout.- Ecole des loisirs, 2000.- 330 p..- Medium

Juan de Pareja fut donné en héritage, comme esclave au peintre Velazquez. Etre esclave,

même au service d'un des plus grands peintres de son époque, n'est pas n'est pas une situation

enviable, mais il apprendra beaucoup, rencontrera d'autres artistes, voyagera et son destin

finira par basculer.

Equiano, Olaudah / Cameron, Ann.- Le prince esclave.- Rageot, 2008.- 154 p. : ill. ; 18 x 13 cm.-

Rageot romans, 160.-

L'histoire vraie d'un jeune prince africain arraché à sa terre natale du Bénin pour devenir

esclave.

Gaude.- Voyages en Terres Inconnues.- Magnard, 2008.- 108 p..- Dossier pédagogique.-

Deux nouvelles ayant pour cadre le continent africain : " Sang négrier" et "Dans la nuit du

Mozambique".

Hendry Frances Mary, Les Enfants du négrier. Milan, 2003, coll. Poche Histoire Ŕ

Embarqués de force sur un même navire, Juliet, fille d’un riche marchand, Dand, jeune

écossais Gbodi, arrachée à son village africain et Hassan, fils de marchand d’esclaves, sont

réunis par leur destin et destinés au trafic d’esclaves.

Pinguilly Yves, L’île de la lune, Milan, 2004, coll. Poche Junior Ŕ

Émile, 14 ans embarque avec son père à bord de la Belle Hortense. Ils quittent Nantes pour

l’Afrique, puis Madagascar et l’océan Indien, en quête de la fleur de l’Ylang-ylang. Mais leur

Page 227: Rapport Fait colonial

227

route croise celle de pirates et ils vont connaître la captivité, l’esclavage et bien d’autres

péripéties.

Pool, Joyce / Andriga, Kim.- Cœur noir.- Flammarion, 2004.- 236 p. ; 21 x 14 cm.- Glossaire.-

La vie d'une fillette dont les parents, colons hollandais, ont une exploitation dans la forêt

tropicale : Map et sa famille doivent fuir lorsque les français menacent d'envahir le pays et

Kwasi, jeune esclave du père de Map, lui sauve la vie. Map découvre alors la vie de ces

hommes opprimés par leurs maîtres. Permet d'aborder le thème de l'esclavage au Surinam

(Guyane) en 1712.

Solet Bertrand, Chasseurs d’esclaves, Flammarion, Castor Poche « Voyage au temps de… », 2005

Des hommes blancs accostent les rives d’Afrique, on les appelle les chasseurs d’esclaves. Ils

viennent chercher des hommes et les emmènent travailler dans leur pays. Ouma, de retour de

la chasse, découvre son village décimé. Il décide de sauver les siens et part à leur recherche.

Mais lui aussi devient prisonnier…

Second empire colonial

Daeninckx, Didier.- L'enfant du zoo.- Rue du monde, 2004.- 111 p..-

Ève a la chance de visiter la grande Exposition coloniale de Paris en 1931, ses extraordinaires

palais, ses festivités. Mais elle y découvre aussi un enfant venu de loin, enfermé derrière des

barreaux comme un dangereux animal...

Davy, Pierre, Oran 62, la rupture, Nathan, 2003.

Nozière, Jean-Paul, Un été algérien, Gallimard folio, 1998.

Ouvrages documentaires

Esclavage

Davidson, Marie-Thérèse / Aprile, Thierry / Heinrich, Christian.- Sur les traces des esclaves.-

Gallimard-Jeunesse, 2004.- 128 p. : ill. en nb. ; 21 x 17 cm.- Sur les traces de.., Bibliographie..-

Sur trois générations, la destinée de deux familles d'esclaves, de la capture en Afrique à la

proclamation de l'abolition de l'esclavage en 1848. Pour en apprendre plus sur le commerce

négrier, la société esclavagiste aux Antilles et en Amérique, les plantations, le monde créole,

les différents mouvements abolitionnistes.

Dhotel, Gérard.- Esclavage ancien et moderne.- Milan, 2004.- 37 p. ; 21 x 14 cm.- Les essentiels

Milan junior, 48.-

Retrace l'histoire de l'esclavage depuis l'Antiquité, où il est une pratique courante, à nos jours,

en passant par la période de la conquête de l'Amérique par les Européens au XVIe siècle où de

Page 228: Rapport Fait colonial

228

véritables réseaux de vente d'hommes se développent. Aujourd'hui, l'esclavage prend de

nouvelles formes : ventes d'enfants, travail forcé, prostitution des femmes, etc.

Haudrère, Philippe / Vergès, Francoise.- De l'esclave au citoyen.- Gallimard, 1998.- 185 p. ; ill.,

couv. ill. ; 18 cm.- Découvertes texto., Bibliogr. p. 174-177. Index.-

Metoudi, Michèle / Thomas, Jean-Paul.- Abolir l’esclavage : Essai et anthologie.- Gallimard,

1998.- 166 p., bibliogr..-

Une anthologie sur l'esclavage divisée selon 5 concepts : justifier, décrire et comprendre,

textes officiels, critiquer, rester vigilant, choisis dans des oeuvres philosophiques, poétiques,

romanesques ou journalistiques à travers le temps.

Moissac, Patrick.- Esclavage : La République se déchaîne – 150e anniversaire de l'Abolition de

l'Esclavage.- Archer, 1998.- 108 p., ill..-

De l'esclavage en France, de ses débuts à son abolition en 1848. Textes de Montesquieu, Voltaire,

Schoelcher.

Second empire colonial

Jarry, Grégory / Otto, T..- Petite histoire des colonies françaises. Tome 1 : l'Amérique française.-

éditions FLBLB, 2008.- 126 p..- Tome 2 L'Empire.- Poitiers : Ed. FLBLB, 2007.

Articles de périodiques

Vautravers, Anne.- Séquences et lecture cursive : la colonisation.- L'École des Lettres des collèges

(Paris), 15/05/2004, 2003/04-12, p.19-26.

Présentation de romans ayant pour thème la colonisation à des élèves de classe de 4e.

Delain, Flore.- L'esclavage au siècle des Lumières.- L'École des Lettres des collèges (Paris),

15/04/2004, 2003/04-11, p.23-58.

Séquence sur l'argumentation à partir de l'étude d'un groupement de textes sur l'esclavage au

18e siècle, en classe de 4

e .

Discours contre l'esclavage au XVIIIe siècle.- BT2. Nouvelle série, 09/2001, 041, p.1-63.

Dossier d'analyse comparée du thème de l'esclavage dans les oeuvres de Montesquieu et de

Bernardin de Saint-Pierre et en particulier dans L'Esprit des lois et Paul et Virginie : la

question de l'esclavage des Noirs dans la littérature française avantet après la Révolution

française ; la mode coloniale ; le genre littéraire de la pastorale. Bibliographie.

La France esclavagiste : le Code Noir.- BT2. Nouvelle série, 09/2002, 051, p.1-63.

Page 229: Rapport Fait colonial

229

De 1685 à 1848, un texte juridique français (le Code noir) a encadré l'exploitation de

centaines de milliers d'Africains transplantés aux Antilles dans le cadre d'un commerce mené

par des marchands venant de France.

Jahier, Marie-Claire.- Cannibale, de Didier Daeninckx (à suivre).- L'École des Lettres des collèges

(Paris), 15/10/2002, 2002/03-05, p.87-104.

Étude, en classe de 3e, du livre de Didier Daeninckx, qui dénonce le mépris dont ont fait

preuve les Occidentaux envers des populations de Nouvelle-Calédonie en les « exposant » à

Paris.

Bonrepaux, Christian.- Enseignants à former, programmes à réformer.- Le Monde de l'éducation,

03/2006, 345, p.42-43.

Réflexion, en 2006, sur l'enseignement de l'histoire de l'esclavage et des colonisations :

comment réformer les programmes et notamment la formation initiale pour qu'ils prennent en

considération l'esclavage ; comment former les enseignants face aux difficultés des différents

points de vue.

Deslouis, Emmanuel.- La traite de Noirs, le commerce de la honte.- Science & vie junior, 04/2006,

199, p.74-81.- Cartes, glossaire, schémas.

Dossier, réalisé en 2006 sur la loi Taubira et les mouvements de commémoration, l'étude de

l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau sur "Les Traites négrières" : rappel historique, définition

de la traite et du commerce triangulaire. Rôle du monde musulman et des pays occidentaux

dans ce trafic. Les mouvements abolitionnistes au 19e siècle. Encadrés sur un trafiquant

occidental : Joseph Mosneron-Dupin et un trafiquant oriental : Tippo Tip.

Dubray, Jean.- L'abbé Grégoire et l'abolition de l'esclavage.- Inter CDI (Etampes), 05/2006, 201,

p.68-70.- Bibliographie, biographie.

Hommage, en 2006, au prêtre Henri Grégoire, figure de la Révolution française : son

engagement en faveur des droits de l'homme, comme l'abolition de l'esclavage ; ses victoires

et ses échecs dans le contexte colonialiste du 18e siècle ; l'aspect théologique et scientifique de

sa cause ; les ouvrages critiques à son propos et les traces modernes de ses luttes contre les

discriminations raciales.

Lafitte, Corinne.- Philosopher en quatrième.- NRP. Lettres collège, 01/2007, 2006/07-05, p.33-42.

En 2007, séquence pédagogique qui propose une initiation à la philosophie dans le cadre du

cours de français en classe de 4e. Présentation d'une réflexion argumentative sur le thème de

l'esclavage à partir d'un groupement de textes d'Aristote, de Rousseau, de Victor Hugo et

Henry Winterfeld.

Salles, Daniel.- De La Case de l'oncle Tom à l'élection d'Obama.- L'École des Lettres des collèges

(Paris), 11/2008, 2008/09-03, p. 53-55.

Étude historique, en 2008 de la question de l'esclavage à l'aide de données en ligne. Thèmes

proposés : historique de l'esclavage, les Afro-Américains, Rosa Parks, Martin Luther King,

Barak Hussein Obama, l'Amérique et Obama, le racisme.

Page 230: Rapport Fait colonial

230

Thiriet, Delphine.- Harriet Beecher-Stowe : La Case de l'oncle Tom.- L'École des Lettres des

collèges (Paris), 11/2008, 2008/09-03, p.3-47.

Plan de séquence pour une classe de 5e ou une classe de 4e. Pour les 5

e, étude du cadre

générique et du récit d'aventures, pour les 4e, étude de la dimension historique et le livre en

tant qu'œuvre majeure du 19e siècle.

Argot, Pascale.- Carnets de voyage, mémoire des échanges : des pistes utiles.- Inter CDI (Etampes),

07/2004, 190, p.34-35.

Nécessité de développer des actions éducatives autour des voyages de la Mémoire.

Présentation du projet éducatif « La route de l'esclave » qui fédère aujourd'hui 25 pays. De

nombreuses pistes documentaires signalées.

Bandes dessinées

Esclavage

. François Bourgeon, Les Passagers du Vent, 5 tomes, Casterman (la traite négrière)

. Patrice Pellerin, L’épervier, Tome 5 : Le trésor du Mahury, Repérages, Dupuis, 2001 (série qui se

déroule en partie en Guyane au milieu du XVIIIe siècle).

Second empire colonial

. Baloup, Quitter Saigon, La boîte à bulles, 2006 (trois récits de vie racontant les circonstances du

départ) .

. Christophe Daitch et Jean-Denis Pendanx, Abdallahi, 2 tomes, Futuropolis, 2006 (l’itinéraire de

René Caillé vers Tombouctou).

. Giroud et Lax, Azrayen, l’intégrale, Dupuis, 2004 (la guerre d’Algérie).

. Ferrandez, Carnet d’Orient, 10 tomes, Casterman , 1990-2009 (l’Algérie de 1830 à la fin des

années 50).

. Hergé, plusieurs aventures de Tintin (Tintin au Congo, Tintin et le Crabe aux pinces d’or ,…).

. Serge Huo-chao-si et Apollo, La grippe coloniale, Vents d’Ouest, 2003 (le retour à La Réunion de

soldats de la Première Guerre mondiale).

. Grégory Jarry et Otto T, Petite histoire des colonies françaises, 2 tomes parus, FLBLB, 2006-

2007.

. Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn, Tramp, tome 7 : Escale dans le passé, Dargaud, 2005).

. Hugo Pratt, Les Scorpions du désert, Casterman, 1993 (les soldats enrôlés de force durant la

Deuxième Guerre mondiale).

. Joann Sfar, Le chat du rabbin, 5 tomes, Dargaud (Alger et le quartier juif durant la colonisation).

SUGGESTIONS FILMOGRAPHIQUES

. Jean-Jacques ANNAUD, La victoire en chantant, 1976 (des français d’un petit comptoir aux confins

de l’Oubangui et du Cameroun décident de s’emparer d’un poste allemand durant la Première

Guerre mondiale).

Page 231: Rapport Fait colonial

231

. Richard ATTENBOROUGH, Gandhi, 1984 (la vie du leader indien)

. Jean-Claude BARNY, Tropiques amers, France Télévision distribution, 2 DVD 2007.

. Jacques de BARONCELLI, L’homme du Niger, 1940 (un officier français fait construire un barrage

au Soudan puis est abattu par un « indigène »).

. Rachid BOUCHAREB, Indigènes, 2006 (un groupe de tirailleurs maghrébins durant la Deuxième

Guerre mondiale).

. Sarah BOUYAIN, Les Enfants du Blanc, 2000 (documentaire sur le destin de la grand-mère métisse

de la réalisatrice, née en 1920 au Burkina).

. Alain CORNEAU, Fort Saganne, 1984 (les aventures de l’officier Charles Saganne dans sa lutte

contre des rebelles au Sahara).

. Julien DUVIVIER, Pépé le Moko, 1937 (un truand trouve refuge dans la Casbah d’Alger).

. Manuel GASQUET, Blancs de mémoire (2004), documentaire de 52 mn, co-produit par le Sceren et

le CNDP (sur l’affaire Voulet-Chanoine vue du côté des colonisés)

(un livret pédagogique sur ce téléfilm est disponible sur le site du Sceren :

<http://www.sceren.fr/tice/teledoc/Mire/mire_capitaines.htm>)

. Marcel L’HERBIER, Les hommes nouveaux, 1936 (un homme d’affaires dans le Maroc de Lyautey)

. Jean-Pierre LLEDO, Le rêve algérien, documentaire, 110 minutes, 2003, DVD, Doriane Films. (sur

le retour en Algérie d’Henry Alleg en 2002).

. Serge MOATI, Capitaine des ténèbres (2004), consacré à l’affaire Voulet-Chanoine.

. Euzhan PALCY, Rue Cases-Nègres, 1983 (un village d'ouvriers agricoles en Martinique au début

des années 1930).

. Sydney POLLACK, Out of Africa, 1986 (les amours entre une propriétaire blanche et un aventurier

au Kenya au début du XXe siècle).

. Bertrand TAVERNIER, Coup de torchon, 1981 (chronique amère et désenchantée de la vie de la

communauté française dans un village du Sénégal à la fin des années trente).

. Régis WARNIER, Indochine, 1992 (l’Indochine des années 20 aux années 1950).

Page 232: Rapport Fait colonial

INTERNET ET L’HISTOIRE DE LA COLONISATION, UN APERÇU SITOGRAPHIQUE

Nous nous sommes proposé de dresser un inventaire de sites Web proposant des ressources pédagogiques exploitables sur les thématiques

coloniales : sites institutionnels (centres d’archives, bibliothèques, ministères, musées, UNESCO, etc.) ; sites pédagogiques (sites académiques,

CRDP, IUFM, etc.) ; sites divers (sites associatifs, sites personnels…).

1. Sites institutionnels

- Nationaux

Intitulé URL Descriptif Mots-clés Outils

pédagogiques

BN

F

http://gallica.bnf.fr/VoyagesEnAfrique

Dossier constitué par la BNF sur l’Afrique (ouvrages,

articles de revues, cartes, iconographie) du XVIIIe siècle à

la période coloniale. Cet ensemble, d’une très grande

richesse, permet d’accéder à de très nombreux documents

numérisés qui vont bien au-delà des seuls récits de voyage

récits de voyage. Le site offre également des mises au

point, des bibliographies et des chronologies.

Afrique

Voyages

Explorations

Esclavage

Traite

Iconographie

Page 233: Rapport Fait colonial

233

Cen

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Arc

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Mer

(AN

OM

)

http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/

caom/fr

Archives nationales d’Outre-mer (ANOM), correspondant

aux fonds des anciennes colonies françaises (à l’exception

des protectorats français du Maroc, de la Tunisie, qui sont

conservés à Nantes et dépendent du ministère des Affaires

étrangères).

Le site propose un accès en ligne (cliquer sur IREL) à

certaines archives, comme notamment l’état civil de

l’Algérie coloniale ou une riche base iconographique : la

base Ulysse. Cette dernière permet d’avoir accès aux

images numérisées des documents de l’iconothèque et de

la cartothèque des ANOM : photographies, cartes postales,

affiches, dessins et gravures, cartes et plans. Ensemble

d’une richesse exceptionnelle pour l’histoire des premier et

deuxième empires coloniaux français.

Iconographie

Cartographie

État civil Algérie

Indochine

Afrique

Amériques

Océan indien

Polynésie

CN

RS

/

CIR

ES

C

http://www.esclavages.cnrs.fr/

Le Centre International de Recherches sur les Esclavages.

Il est composé d’un réseau international de chercheurs

appartenant à des universités et des centres de recherche

des continents africain, américain et européen. Il propose

des documents d’archives, des séquences pédagogiques et

des bibliographies exhaustives.

Esclavage

Traite

Afrique

Amériques

Marronnage

Plantations

Séquences

pédagogiques

Page 234: Rapport Fait colonial

234

INA

http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php

L’INA propose des émissions de télévision qui peuvent

être utilisées pédagogiquement. Exemples :

- Avec une recherche « esclavage » : des émissions sur la

commémoration de l’abolition.

- Avec une recherche « colonisation » : des émissions

comme « Itinéraires » ou « Apostrophes »

Support

audiovisuele

INR

P

http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/actualites/enseign

er-l-histoire-de-l-immigration-a-l-ecole

Ce rapport d'enquête réalisé sous la direction de Benoît

Falaize fait un état des lieux sur l’enseignement de

l'histoire de l'immigration à l'école. Il propose une analyse

des programmes et des manuels du primaire et du

secondaire, des entretiens avec des enseignants et des

séquences pédagogiques.

Immigration

Séquences

pédagogiques

http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/enjeux-de-

memoire Site de l’INRP (Institut National de Recherche

Pédagogique)

Les questions vives et sensibles de l’enseignement

(colonisation, esclavage, immigration) sont présentées sous

forme de dossiers : ressources et séquences pédagogiques,

état de la recherche.

Algérie

Esclavage

Immigration

Recherche

universitaire

Séquences

pédagogiques

Page 235: Rapport Fait colonial

235

Min

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l’E

du

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nati

on

ale

http://www.cndp.fr/memoire/esclavages/ecole/

selecdoc.htm

et

http://www.educnet.education.fr/bd/urtic/histg

eo/index.php?commande=changepage&id=1

Une sélection de sites portant sur l’esclavage : textes,

iconographie, séquences pédagogiques (en particulier pour

les enseignants de français), repères chronologiques.

EDU'bases : références documentaires et pédagogiques en

histoire-géographie. Plusieurs notices concernant

l’esclavage et la colonisation.

Esclavage

Traite

Iconographie

Littérature

jeunesse

Séquences

pédagogiques

Chronologie

Min

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ffair

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Etr

an

gèr

es

http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie

rs/regards/asie.html Ministère des Affaires étrangères.- Archives et

patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères, 07/2003,

Date de mise à jour 03/2002 [réf. du 24/02/2009].- Regards

sur l'Asie.-

Historique de la colonisation de l'Extrême-Orient par les

grands pays européens, notamment la France, du milieu du

19e siècle au début du 20e siècle : les conséquences des

guerres de l'opium, le système des concessions

extraterritoriales en Chine, la conquête de l'Indochine par

les français.

Chine

Indochine

Min

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Etr

an

gèr

es

http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie

rs/regards/afrique-sub.html Archives et patrimoine.-, 07/2003, Date de mise à jour

03/2002 [réf. du 24/02/2009].- Regards sur l'Afrique

subsaharienne.- [env. 3p.],

Historique de la politique coloniale française en Afrique

Noire au tournant du 20e siècle : les ambitions du ministre

des Affaires étrangères, Charles Freycinet ; la conquête de

nouveaux territoires (Guinée, Afrique Equatoriale,

Madagascar..) ; la concurrence de l'Allemagne et de

l'Angleterre dans la mise en place de l'empire colonial

français.

Afrique noire

Page 236: Rapport Fait colonial

236

Min

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Aff

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tran

gèr

es http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie

rs/regards/afrique-du-nord.html Archives et patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères,

07/2003, Date de mise à jour 03/2002 [réf. du

24/02/2009].- Regards sur l'Afrique du Nord.- [env. 3p.],

Les origines de la colonisation du Maghreb par la France,

de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle, et la mise en

place des protectorats en Tunisie et au Maroc.

L'importance de la photographie pour la propagande et le

renseignement.

Maghreb

Maroc

Tunisie

Iconographie

Min

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ffair

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tran

gèr

es http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie

rs/shanghai/index.html Archives et patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères,

07/2003, Date de mise à jour 05/2002 [réf. du

24/02/2009].- Le Paris de l'orient : présence française à

Shanghai, 1849-1946.- [env. 30p.]

Chronologie et dossier complet sur l'installation des

Français dans la ville chinoise de Shangaï, du milieu du

19e au milieu du 20e siècle : la mise en place de la

municipalité et du consulat, les rapports avec les notables

locaux, le problème de l'opium, une ville composée de

nombreuses nationalités, les échanges commerciaux et

artistiques, les débuts du parti communiste chinois. De

nombreuses photos et documents pour parcourir la ville de

l'époque.

Indochine

Iconographie

RM

N

(Mu

sées

Nati

on

au

x)

http://www.histoire-

image.org/site/rech/index.php Documents iconographiques en provenance des fonds

institutionnels (musées, archives) avec analyse et étude

comparative.

Iconographie

Page 237: Rapport Fait colonial

237

RF

O

(Rad

io F

ran

ce O

utr

e-M

er)

http://10-mai.rfo.fr/index-

fr.php?page=article&id_rubrique=5&id_article

=23

Noires Mémoires.- L'Esclavage : histoire de la traite

négrière.- In RFO : Réseau France Outremer.- Réseau

France Outremer, 2008, Date de mise à jour 05/2006 [réf.

du 24/02/2009].- [env. 3p.],

Dossier sur les origines et les caractéristiques de

l'esclavage, sur la déportation de millions d'africains vers

les plantations américaines entre le 16e et le 19e siècle :

reportage télé sur le commerce triangulaire au départ de

Nantes, description des conditions inhumaines

d'internement et de transport des esclaves, fonctionnement

de la traite des noirs, présentation de la légitimité de

l'esclavage en Europe avec notamment le texte du Code

noir, édicté par Colbert, ministre de Louis 14. L’article 27

de la même émission est consacrée au marronnage, l’article

24 aux abolitions.

La rubrique 6 concerne d'anciens esclaves ou des hommes

politiques qui se sont battus pour l'abolition de l'esclavage

dans les colonies françaises et américaines, au 18e et 19e

siècle : Harriet Tubman, le Chevalier de Saint-George,

Louis Delgrès, Toussaint Louverture, l'abbé Grégoire et

Victor Schoelcher. Ce dossier complet est accompagné de

reportages télévisés.

Esclavage

Marronnage

Abolitions

Document audio

Iconographie

Document video

Fra

nce

5

http://www.curiosphere.tv/esclavage_eleves/in

dex.html Dossier pédagogique : histoire, évolution et actualité de

l'esclavage

Esclavage

Iconographie

Arc

h. D

ép.

La R

éun

ion

http://iconotheque-de-l-ocean-indien.org/

Iconothèque historique de l’Océan indien. Réalisée par le

conseil général de la Réunion (la moitié des documents

proposés relèvent du fonds des AD).

L’iconothèque propose plus de 30 000 images en

consultation : dessins, photos, aquarelles fin XVIe / début

XXe

Iconographie

La Réunion

Océan indien

Page 238: Rapport Fait colonial

238

- Organisations internationales

Un

esco

http://webworld.unesco.org/goree/fr/ Bureau Régional de l' UNESCO à Dakar.- Visite virtuelle

de l'île de Gorée - Unesco, 2008, Date de mise à jour

03/2008 [réf. du 24/02/2009].- 30 photos + 1 vidéo

(10mn). Découverte de photos et d'un reportage vidéo sur

le centre esclavagiste de l'île de Gorée, au large de Dakar,

au Sénégal.

Iconographie

Sénégal

Gorée

Esclavage

Traite

Page 239: Rapport Fait colonial

239

2. Sites institutionnels académiques

Intitulé URL Descriptif Mots-clés Outils

pédagogiques Amiens

IUFM

http://www.amiens.iufm.fr/amiens/histoire/colonisat

ion/index.html

Site pédagogique consacré à « Colonisation

et décolonisation française du milieu du

XVIIe aux années 60 » : textes et documents,

analyses historiques, notes de lecture.

Historiographie

Traite

Esclavage

Afrique

Indochine

Algérie

Dossiers

pédagogiques

Bes

an

çon

Aca

dém

ie http://www.missiontice.ac-besançon.fr/hg/

Dix planisphères permettent de comparer les

principaux empires coloniaux à la veille de la

première guerre mondiale.

Colonisation 1914

Empires coloniaux

Cartes

interactives

Bord

eau

x

Aca

dém

ie http://histoire-geographie.ac-

bordeaux.fr/lycee/index.htm

Un diaporama (powerpoint) : « La France et la

colonisation au début du XXe siècle ». Analyse

d’une image du Petit journal (téléchargeable sur le

site).

Diaporama

Cré

teil

CR

DP

http://hgc.ac-

creteil.fr/spip/echelles/IMG/pdf/Echelle_27.pdf

Échelles, revue en ligne des enseignants d'histoire

et de géographie de l'Académie de Créteil.

Le numéro de janvier 2008 concerne l'immigration

et la colonisation.

Immigration

Page 240: Rapport Fait colonial

240

IUF

M d

e C

rét

eil

http://pedagene.creteil.iufm.fr/ressources/mada/index.h

tm Dachet, Fabienne.- Madagascar : l'empire colonial

français.- In Ressources pédagogiques de l’IUFM

de Créteil, 12/1998, Date de mise à jour 12/1998

[réf. du 24/02/2009].- [env. 50p.]

Historique de Madagascar. Définition de la

colonisation et des opinions divisées sur le sujet au

début du XXe siècle. Biographies de l'explorateur

Paul Boucabeille et du général Gallieni. Récit d'une

expédition coloniale de 1897 entre Tananarive et

Diego-Suarez.

Madagascar G

uad

elou

pe

Aca

dém

ie

http://www.ac-

guadeloupe.fr/actualite/seminaire/enseigner_esclavage.

htm

Séminaire (avril 2006) « Enseigner la traite et

l'esclavage aux Antilles ». Bibliographie raisonnée

(4 thèmes : traites et esclavage, esclavage hier et

aujourd’hui, histoire et mémoire, racisme,

esclavage et colonisation).

Sitographie.

Traite

Esclavage

La R

éun

ion

Acé

dém

ie

http://www.ac-reunion.fr/pedagogie/HistEtGeo/

et

http://www.ac-

reunion.fr/Pedagogie/HistEtGeo/expo/expocollo.htm

- Pas de page « dédiée » à l’histoire de la

colonisation. Des séquences pédagogiques en lien

avec les programmes.

- Compte rendu du Colloque « La Réunion et

l'Océan indien, de la décolonisation au XXIe

siècle" Co-organisé par l'AHIOI (Association

Historique Internationale de l'Océan Indien) et

le CRESOI (Centre de Recherches sur les

Sociétés de l'Océan Indien) octobre 2006 .

* "La décolonisation aujourd'hui, entre histoire

et mémoires"

* "Décolonisations des espaces insulaires de

l'Ouest de l'Océan Indien"

Page 241: Rapport Fait colonial

241

La

Réu

nio

n

IUF

M

http://www.reunion.iufm.fr/dep/HG/biblio%20r%E9un

ion.doc Bibliographie et sitographie.

Esclavage

Abolitions

Plantations

La Réunion

Océan indien

Lyon

Aca

dém

ie http://www2.ac-lyon.fr

Sélection de ressources en ligne sur l’abolition de

l’esclavage

Abolition

Esclavage

Mars

eill

e

Aca

dém

ie

- http://www.lettres-histoire.ac-aix-

marseille.fr/hgbacpro.htm

- http://histgeo.ac-aix-

marseille.fr/durance/brochure2005.doc

- La politique coloniale sous la Troisième

République.

- Colonisations, développement, mondialisation.

Compte rendu très complet des journées organisées

par l’inspection d’histoire pour un public

d’enseignants de la discipline.

Décolonisation

Empires coloniaux

Mart

iniq

ue

Aca

dém

ie

http://www.crdp.ac-martinique.fr

Nan

cy-

Met

z

Aca

dém

ie http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/Hist-

Geo/EspacePeda/LYCEE/Christophe/Algerie/prese.ht

m

Présentation pédagogique de sites internet

concernant l’Algérie. Public : lycée.

Algérie Séquences

pédagogiques

Nan

tes

Aca

dém

ie http://www.pedagogie.ac-nantes.fr

-

nantes.fr/1157644391968/0/fiche___actualite/&RH=I

A44

Dans l’espace « pédagogie », choisir « histoire-

géographie-citoyenneté » : un dossier sur la traite

négrière atlantique, l'esclavage et leurs abolitions.

Ttraite

Esclavage

Abolition

Nantes

Mémoire

Séquences

pédagogiques

Page 242: Rapport Fait colonial

242

Nic

e

CR

DP

http://www.crdp-

nice.net/bouquet/imprimer.php?rub_id=&ssr_id=&cat_id=719

Compilation thématique de liens réalisée par

Claudine Vidal « dans un but strictement

pédagogique » (mai 2006)

Esclavage

Marronnage

Traite

Abolition

Bibliographie

Nou

vel

le

Calé

don

i

e http://www.ac-noumea.nc/histoire-geo/ Histoire de la Nouvelle Calédonie. Sur le site des

professeurs d’histoire et de géographie, de

nombreux dossiers concernant la colonisation en

Océanie.

Océanie

Nouvelle

Calédonie

Séquences

pédagogiques

Pari

s

Aca

dém

ie

http://crdp.ac-paris.fr/

Comptes-rendus d'ouvrages ou d'expositions se

rapportant à la colonisation et aux migrations.

Précieux outil bibliographique pour les enseignants

qui fait aussi la part des ouvrages publiés dans les

CRDP et qui sont moins connus du grand public.

Dans la série « Parcours littéraires francophones »,

de nombreuses séquences pédagogiques sur la

littérature francophone.

Littérature

francophone

Théâtre

Exposition

Poit

iers

Aca

dém

ie http://ww2.ac-poitiers.fr/civique/spip.php?rubrique62 Sitographie sur l'histoire de la colonisation et de la

décolonisation.

Colonisation

Poit

iers

CR

DP

http://ww2.ac-poitiers.fr/civique/spip.php?rubrique46

Sitographie sur l'esclavage et les traites. Esclavage

Traite

Rei

ms

CR

DP

http://crdp.ac-reims.fr/cinquieme/decolonisation.htm

http://crdp-

reims.fr/ressources/brochures/blphg/default.htm

La France face à la décolonisation de 1945 à 1962 :

dossier pédagogique.

Revue des professeurs d’histoire-géo de l’académie

de Reims. Numéro 26 : analyse d’une statue de

Lyautey.

Décolonisation

Lyautey

Maroc

Page 243: Rapport Fait colonial

243

Rei

ms

Aca

dém

ie http://www.ac-reims.fr/datice/hist-

geo/dossier/site_indochine/index.html

Dossier Indochine, public de lycée. Cours, cartes,

documents sonores, sitographie.

Indochine

Rou

en

Aca

dém

ie

http://www.ac-rouen.fr

Sur la page d’accueil, chercher dans "ressources

pédagogiques" puis "histoire-géographie" puis

"mémoires de l'esclavage". Bibliographie,

chronologie, exemples de situations de classes,

documentation sur Victor Schoelcher, la situation

aux Mascareignes (Maurice, Réunion), nombreux

liens avec d'autres sites-ressources. Textes officiels.

Traite

Eesclavage

Abolitions

Schoelcher

La Réunion

Maurice

Séquences

pédagogiques

Tou

lou

se

Aca

dém

ie http://pedagogie.ac-toulouse.fr/histgeo/

Dans l’espace disciplinaire « histoire-géo »,

rechercher « colonisation », puis stage de formation

sur les nouveaux programmes STG : l’Algérie de

1954 à nos jours.

Algérie

Décolonisation

Séquences

pédagogiques

Page 244: Rapport Fait colonial

244

Ver

sail

les

Aca

dém

ie

http://www.histoire.ac-versailles.fr/

Voir la page Strabon réservée à l'enseignement de

l'histoire.

1/Dans ce site on peut consulter le très intéressant

dossier constitué par Claude Robinot, « Etudier la

colonisation : l'exemple africain ». Le dossier

comporte des cartes, des documents

iconographiques, des textes. Il propose aussi des

exercices et des conseils pédagogiques.

2/ Sur le même site Strabon, on peut également

consulter les conférences prononcées lors d'un

colloque qui s'est tenu le 16 novembre 2006 au

CDDP des Hauts de Seine de Marc Vigié, Daniel

Rivet et Jean-Pierre Rioux sur l'enseignement et la

mémoire de la colonisation

3/Une conférence de Marie-Albane de Suremain sur

« Histoire coloniale et construction des savoirs sur

l'Afrique ».

Mémoire,

Enseignement

Historiographie

Séquences

pédagogiques

Page 245: Rapport Fait colonial

245

3. Sites à l'étranger

A

rch

ives

Nati

on

ale

s

du

Sén

égal

http://www.archivesdusenegal.gouv.sn/ Site des Archives nationales du Sénégal conservant les

archives fédérales de l’ancienne AOF (Afrique

occidentale française) : en construction.

Accès en ligne à quelques documents numérisés (cartes

postales coloniales, notamment, et documents officiels).

Iconographie B

ibli

oth

èqu

e

du

Con

grè

s

http://international.loc.gov/intldl/fiahtml/fiawebsite

s.html

Quelques documents à propos de la Louisiane et du

Canada.

Louisiane

Canada

Can

ad

a

http://www.oceanie.org/graphes/gouvernements_coloniaux.html

Musée de la civilisation de Québec.- L'Océanie : peuples

des eaux, gens des îles.- Musée de la civilisation, 2001,

Date de mise à jour 2001 [réf. du 24/02/2009].-

Rappel des conséquences de la colonisation de l'Océanie

qui eut un impact dévastateur sur les cultures locales. Les

puissances coloniales gèrent les archipels sous leur

contrôle en infligeant aux Océaniens, l'ordre social et les

lois de leur pays d'origine.

Océanie

Page 246: Rapport Fait colonial

246

Sit

e U

niv

ersi

tair

e ou

est

afr

icain

http://www.histoire-afrique.org/rubrique3.html

Ce site est l’œuvre commune d’historiens de plusieurs

universités ouest africaines.

En exergue du site : « Aussi longtemps que les lions

n’auront pas leur historien, les récits de chasse

tourneront toujours à la gloire du chasseur »

Historiographie : la sélection proposée ici aborde

l’histoire de la discipline et en particulier de l’histoire

africaine : comment s’est-elle développée ? Quels sont

ses objets ? ses perspectives ? Ces textes en appellent

d’autres et lancent le débat.

Méthodologie : comment travaille l’historien de

l’Afrique ? Quelles sont ses sources et comment les fait-il

parler ? Quelles sont les influences de la recherche

africaine sur ses collègues d’autres périodes et espaces

géographiques ?

Historiograph

ie

Burkina Faso

Togo

Niger

Mali

Sénégal

Côte d’Ivoire

Sla

vev

oyages

http://www.slavevoyages.org

Base de données exhaustive sur les voyages de traite.

En anglais.

Traite

Esclavage

Su

isse

http://hypo.ge.ch/www/cliotexte//index.html

Cliotextes : catalogue de textes utiles à l’enseignement de

l’histoire

XIXe et XX

e siècle : colonialisme et impérialisme

Enseignement

Page 247: Rapport Fait colonial

247

4. Sites associatifs

Intitulé URL Descriptif Mots-clés Outils

pédagogiques

An

nea

ux d

e

la m

émoir

e

http://www.lesanneauxdelamemoire.com

Site de l’association nantaise « Les anneaux de la

mémoire ». Retrace « cinq siècles de relations Europe-

Afrique-Amériques » : exposition virtuelle sur la traite et

l'esclavage, les migrations. Des références de

publications, mallette pédagogique, calendrier d'activités

(conférences, publications)

Traite négrière

Esclavage

Nantes

Abolition

Migration

Etu

des

colo

nia

les http://letempscolonial.canalblog.com/

Répertoire des historiens du temps colonial. Historiographie

« C

lion

au

tes

» http://www.clionautes.org/spip.php?rubrique163

Les clionautes sont une association de professeurs

d’histoire géographie.

Sur la page « le fait colonial », des articles et des analyses

de documents en ligne, ainsi que les url de nombreux

sites sur le sujet.

Historiographie

Com

ité

de

Vig

ilan

ce

face

au

x u

sages

pu

bli

cs d

e l’

His

toir

e. http://cvuh.free.fr/spip.php?article10

et

http://cvuh.free.fr/spip.php?article119

Deux articles d’Éric Mesnard (iufm Créteil)

- « Quelques réflexions pour contribuer à l’enseignement

de l’histoire de la traite transatlantique et de l’esclavage

des Noirs dans les colonies d’Amérique » avril 2005

- « Mémoire de la traite négrière : ce qu’on enseigne à

l’école », Monde diplomatique, novembre 2007.

Enseignement

Page 248: Rapport Fait colonial

248

Féd

érati

on

de

revu

es e

n

scie

nce

s

hu

main

es e

t

soci

ale

s

http://www.revues.org/

http://nuevomundo.revues.org/document492.html

- Index thématique de recherche

- Bibliographie sur l’esclavage dans le monde

Bibliographie

Amérique latine

Jou

rnal

of

Cari

bb

ean

arc

heo

logy

http://www.flmnh.ufl.edu/jca/ansestemarg.pdf

Le site archéologique d'Anse Sainte-Marguerite (Guadeloupe, Grande Terre) :

présentation d’un cimetière d’époque coloniale. Il s’agit des fouilles d’un ensemble funéraire d’époque

coloniale regroupant 150 tombes dont certaines

concernent des esclaves.

Esclavage

Archéologie

La R

éun

ion

AP

HG

http://aphgreunion.free.fr/

Ressources en ligne proposées par les professeurs

d’histoire et géographie de La Réunion : cartes,

documents d’archives, bibliographie.

Textes officiels et programmes.

Esclavage

Océanie

La Réunion

Maurice

Traite

Abolitions

Bibliographie

LD

H

Tou

lon

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?rubrique20

La rubrique « histoire et colonies » comporte de

nombreuses sous rubriques permettant l’analyse,

alimentant la réflexion, sous forme de commentaires de

l’actualité.

Traite

Esclavage

Décolonisation

Philosophie

Le

web

his

toir

e-

géo

http://www.histoire-geo.org/

Site personnel d'un professeur, Jean-François Carémel.

On y trouve des méthodes, des cours sous forme de plans

ou rédigés, des documents (chronologies, cartes,

tableaux), des évaluations (questions accompagnées de

photos, textes, citations, cartes) parfois corrigées, des

fiches, ainsi que des liens avec des sites sur l'histoire-

géographie et des bibliographies).

Enseignement Séquences

pédagogiques

Page 249: Rapport Fait colonial

249

LM

SI

(Coll

ecti

f L

es

mots

son

t

imp

ort

an

ts)

http://lmsi.net/article.php3?id_article=460

Site d’analyses politiques de livres traitant de questions

de sociétés dont la colonisation, les traites et l’esclavage.

En particulier, les enjeux d’un livre récent « Les traites

négrières » d’Olivier Pétré-Grenouilleau. Article de

Marcel Dorigny, maître de conférence à Paris VIII

(septembre 2005).

Traite

Esclavage

Racisme

Sit

e

ass

oci

ati

f

http://kapeskreyol.potomitan.info/dissertation_bibli

o.php

Sur ce site d'information du CAPES de créole, études et

bibliographie concernant les Antilles, la Guyane et la

Réunion.

La société d’habitation : une civilisation historique.

Article et bibliographie.

Plantation

Antilles

Guyane

Littérature

Sit

es p

erso

nn

els

http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/esclaves.

htm.

et

http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/colonisa

tion.htm

Clioweb, site indépendant réalisé par une professeur

d’histoire du lycée de Vire dans l’académie de Caen.

- Histoire des esclavages : site comportant bibliographie

et sitographie abondantes de l’existant en matière

d’enseignement. A noter des sites anglophones

concernant l’esclavage en Amérique du nord.

Histoires coloniales : Le cas de l’histoire franco-

algérienne

Algérie

Esclavage

Amériques

SM

EP

Soci

été

des

Mis

sion

s

Evan

gél

iqu

e

de

Pari

s

http://www.defap-bibliotheque.fr/ La bibliothèque du Defap-service protestant de missions

est l’unique centre spécifiquement consacré à l’histoire

des missions protestantes. Sur son site, on trouve des

photographies et des expositions virtuelles (Les missions

protestantes à l’exposition coloniale de 1931).

Missions

Colonisation

Iconographie

Soci

été

fran

çais

e

d’h

isto

ire

d’o

utr

e-

mer

http://sfhom.free.fr/Revue.php

Site de la société française d’histoire d’outre-mer, créée

en 1912. Site de la revue exclusivement réservée à

l’histoire de la colonisation : Outre-mers. Revue

d’histoire.

Propose les sommaires des numéros.

Bibliographie

Page 250: Rapport Fait colonial

250

Rou

tes

du

ph

ilan

thro

pe

http://www.routesduphilanthrope.org Se propose de recenser et commenter les "lieux de

mémoire et d'histoire de la traite négrière, de l'esclavage

et de leurs abolitions en Normandie". Aspect

documentaire, encore en cours de constitution

Version en français, anglais et créole réunionnais.

Traite

Esclavage

Normandie

Le Havre

Abolitions

La Réunion

Com

ité

pou

r

la m

émoir

e d

e

l’es

clavage

http://www.comite-memoire-

esclavage.fr/inventaire/presentation.html

Traite négrière, esclavage et abolitions, pour un

inventaire muséographique

Esclavage

Traite

Abolitions

Iconographie

Arts plastiques

Page 251: Rapport Fait colonial

251

5. Sites personnels

N

gu

yen

, T

an

Loc

http://nguyentl.free.fr/html/sommaire_photo_ancienn

e_fr.htm Nguyen, Tan Loc.- Vietnam, mon pays natal.- Nguyen,

Tan Loc, 07/2003, Date de mise à jour 07/2003 [réf. du

24/02/2009].- Les images d'autrefois du Vietnam.- [env.

100p.]

Un panorama de photos, regroupés par thèmes, présente

l'histoire de la société vietnamienne, notamment à l'époque

de l'occupation française : les vieux métiers, les scènes de

la vie quotidienne, l'éducation, les Français en Indochine,

la Cour Royale, l'Indochine et les expositions universelles,

l'armée indochinoise, la résistance vietnamienne à

l'occupation française...

Indochine

Iconographie

Fu

ma, S

ud

el

http://www.futura-

sciences.com/comprendre/d/dossier158-1.php .- L'esclavage et le marronnage à la Réunion.- In Les

dossiers de Futura Sciences : homme.- Futura-

Sciences.com, 2005, Date de mise à jour 01/12/2002 [réf.

du 24/02/2009].- [4p.],

Etude du phénomène de l'esclavage et du marronnage à La

Réunion au 18e siècle.

Esclavage

Marronnage

La Réunion

Cla

ud

e R

ich

ard

et

http://www.memo.fr/article.asp?ID=CON_COL_004 Les empires européens.- In Mémo : le site de l'histoire.-,

2006, Date de mise à jour 05/2005 [réf. du 24/02/2009].-

[env. 5p.]

Historique des différents statuts des territoires, dans le

monde, sous le contrôle des grandes puissances, du 19e

siècle à la Seconde Guerre Mondiale : l'influence des

Etats-Unis dans les Caraïbes et le Pacifique, le sort de

l'Afrique, victime de la colonisation des pays européens et

de leurs rivalités politiques et militaires

Colonisation

Page 252: Rapport Fait colonial

252

Dom

iniq

ue

Ch

ath

uan

t

http://abolitions.free.fr/ Site personnel d'un enseignant : documents sur l'esclavage

et sur les abolitions.

Esclavage

Abolition

Sit

e P

erso

nn

el http://www.esclavage-martinique.com/index.php# Site bilingue sur l'esclavage en Martinique : documents

d'archives, chronologie.

Esclavage

Martinique

Page 253: Rapport Fait colonial

CONCLUSION & PERSPECTIVES

Apports

Nous avons essayé d’ancrer nos dossiers dans les problématiques de recherche actuelles, de

manière à fournir aux enseignants des pistes de réflexion en prise avec les chantiers en cours. Nous

avons ainsi voulu dépasser le découpage « classique » entre 1re

et 2e colonisation afin d’envisager le

phénomène colonial dans la longue durée, ne pas nous focaliser sur une période donnée (le XXe

siècle) ou sur la seule Algérie, comme il est souvent de mise dans les travaux généralistes sur

l’histoire de la colonisation.

Afin de ne pas rebattre des sentiers déjà bien balisés, nous avons également choisi de limiter les

documents iconographiques liés à la propagande coloniale, déjà très présents dans les manuels. De

même, il nous a semblé que les thèmes de l’exploitation économique, des thématiques politiques et

des décolonisations étaient déjà largement traités dans les outils pédagogiques à la disposition des

enseignants.

Nous avons donc privilégié des thématiques travaillées aujourd’hui par les spécialistes en

présentant des documents, pour une bonne part inédits, et des séquences que nous espérons

novatrices (une séquence histoire-lettres, une séquence lettres). L’interdisciplinarité démontre une

fois encore ses vertus : multiplicité des points d’entrée dans le sujet, ponts entre des approches

disciplinaires distinctes, enrichissement mutuel des analyses.

Limites

Nous avons conscience d’avoir privilégié une approche franco-centrée de la question, approche

qui nous paraît répondre aux besoins concrets des enseignants, les programmes étant

essentiellement focalisés sur la colonisation française et sur l’histoire de la construction nationale.

Il a fallu également opérer des choix et donc rejeter, pour des raisons de faisabilité, des

thématiques pourtant passionnantes (sur les conquêtes, les découvertes, les décolonisations, les

migrations coloniales et post-coloniales).

Nous avons opté pour la remise d’un rapport rédigé, plutôt que pour la réalisation d’un site

Page 254: Rapport Fait colonial

254

Internet qui aurait nécessité des moyens financiers, des compétences techniques et du temps dont

nous ne disposions pas. Enfin, ne bénéficiant pas d’un budget pour l’acquisition de divers droits liés

à la propriété intellectuelle (citations, images), nous avons dû renoncer à la mise à disposition de

certains supports, au profit de documents libres de droits.

Perspectives

Il est évident qu’une ouverture plus grande aux autres empires coloniaux pourrait enrichir encore

notre travail. La réalisation d’un document sur l’ascension de la famille Tata, grands industriels

indiens, pourrait compléter, par exemple, notre dossier sur les dynamiques sociales en situation

coloniale. Et, de façon générale, l’idée de faire la lumière sur des figures, connues ou pas, de

l’histoire coloniale (esclaves, négriers, colonisés, colonisateurs) nous paraît tout à fait intéressante.

La bibliographie propose des références utiles pour les enseignants qui aimeraient choisir tel ou tel

personnage comme point d’entrée dans un sujet donné.

De même, nous avions envisagé de construire un dossier sur les migrations à l’époque coloniale,

centré sur le Marseille des années 1940 et appuyé en grande partie sur le roman d’Ousmane

Sembène, Le docker noir. Un tour d’horizon plus approfondi sur les littératures en situation

coloniale et postcoloniale aurait pu trouver sa place. Nous n’avons guère abordé la question des

héritages postcoloniaux, pourtant passionnante et fort actuelle.

Faute de temps, nos ambitions de départ ont nécessairement été revues à la baisse. Mais, nous

l’espérons, les outils proposés (dossiers, mise au point scientifique, bibliographie, sitographie et

filmographie) permettront aux professeurs de s’approprier le sujet, de construire leur propre

démarche et d’explorer des voies nouvelles.