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5 JUIN 2010 — LE MONDE MAGAZINE 35

le ramadan ! C’était à n’y rien comprendre...Cet étudiant en journalisme était le seul dugroupe rebelle à observer le jeûne. Un vrailaïc. Quinze jours plus tôt, ce jeune, d’une fa-mille conservatrice de Marrakech, avait dé-couvert sur Facebook l’initiative de Zineb El-Rhazoui. « Cette idée d’un acte de désobéissancecivile m’a plu », se souvient-il. Pendant plu-sieurs jours, il a des échanges virtuels avec legroupe en gestation. Et, le jour du pique-nique, il prend le train pour Mohammedia,sans en avertir sa famille. « Je suis croyant etpratiquant, mais aussi pour les libertés indivi-duelles. Beaucoup de mes amis ne faisant pas lecarême, je connais la souffrance d’être margina-lisé. C’est pour cela que j’ai tenu à participer àcette action », explique-t-il tranquillement.

REJETER L’« HYPOCRISIE OBLIGATOIRE »Difficilement traduisible en arabe, le mot

laïcité fait peur au Maghreb. Bien peu font ladifférence entre laïc, agnostique et athée.Comme le résume Abdesslam, 40 ans, croyantmais non pratiquant, « un laïc, c’est quelqu’unqui n’a pas de religion. Il est sorti de la route etn’appartient plus à la communauté musulmane.Je n’ai donc pas de temps à lui accorder ». Uneopinion largement partagée dans les milieuxpopulaires. Dans les foyers privilégiés, en re-vanche, chacun mène sa vie comme il l’en-tend, en partant du principe qu’il ne sert àrien de « faire de la provocation gratuite », etque « si on ne veut pas respecter les principes del’islam, c’est possible, mais chez soi ».

C’est précisément cette schizophrénie querefusent de plus en plus de jeunes. « Ils ne re-jettent pas la religion mais l’hypocrisie obliga-toire », souligne Ahmed Reda Benchemsi, ledirecteur du groupe de presse TelQuel, à lapointe du combat pour la laïcité au Maroc.Pour lui, « on ne naît pas musulman ». Onchoisit « de le devenir, ou de ne pas le devenir ».

Le festival de musiques alternatives L’Bou-

levard – qui draine à Casablanca chaque an-née depuis dix ans quelque 160 000 per-sonnes venues de tout le Maroc – est uneexcellente illustration de cette laïcité émer-gente. « Il existe aujourd’hui un “esprit Boule-vard”, une “communauté Boulevard” d’artistesde toutes les disciplines. Ni riches ni pauvres, nonpolitisés, ils veulent s’amuser, rien d’autre, et par-tagent les mêmes valeurs de liberté et de mixité »,explique Mohamed Merhari, codirecteur dece festival.

En mars 2003, l’incarcération de quatorzemusiciens de hard-rock, accusés de « sata-nisme », va jouer un rôle fédérateur. 10 000personnes manifestent dans les rues de Casa-blanca. L’Etat recule et libère les rockeurs.

D’autres incidents vont suivre et permettreau camp naissant des laïcs de faire entendresa voix, notamment lors des poursuites enga-gées contre l’hebdomadaire arabophoneNichane, après qu’il eut publié des blagues« offensantes » pour l’islam, ou après lesémeutes homophobes de Ksar El-Kébir, pe-tite ville du nord du royaume, à la suite d’unprétendu mariage gay. « Ces happenings ne sontni idéologiques ni maîtrisés. Ils provoquent deschocs successifs qui font évoluer la société maro-caine par à-coups. Il y en aura beaucoupd’autres », prévoit Ahmed Reda Benchemsi.

Abdallah Taïa a été à l’origine de l’un de ces« chocs ». Ce jeune écrivain talentueuxest le premier Marocain à avoir assumé

L’OBSESSION DE LA VIRGINITÉ AVANT LE MARIAGE

Religion et tradition s’entremêlant, certaines coutumes ar-chaïques perdurent et illustrent ces mouvements contradic-toires qui agitent le Maghreb. La question de la virginité en est

une. « Avant même qu’elles m’aient expliqué pourquoi elles viennent, j’aicompris. Elles se tiennent assises dans la salle d’attente, tête baissée, le plussouvent en hidjab, sans doute pour ne pas être reconnues. Elles me donnentun faux nom et une fausse adresse. Ma première tâche, c’est de les mettreen confiance et de les déculpabiliser », explique Khalida, assistante duDr Ahmed T., chirurgien plasticien à Alger. Loin d’être en diminution,le nombre des hyménoplasties – réfection de l’hymen – augmentedans les pays du Maghreb depuis une dizaine d’années, sans douteparce que les femmes savent, à présent, que cette technique existe.

Sur dix demandes, en moyenne, par semaine, le docteur Ahmed T.n’en accepte que trois. « Ces requêtes me pèsent. Elles font perdurer – dansle mensonge – une coutume épouvantable, mais elles permettent d’éviter

des drames familiaux », dit-il. A l’écouter, les mentalités n’ont pas fon-damentalement changé au Maghreb, et la virginité « reste obsédante »,surtout dans les classes moyennes. « Les hommes veulent tous menerune vie moderne, sortir avec des filles auxquelles ils promettent le mariageen échange de rapports sexuels, explique-t-il. Ensuite, ils reculent et obéis-sent à leurs parents qui en ont décidé autrement. C’est ainsi que les fillesse retrouvent larguées. »

Désespérées, persuadées qu’elles ont porté atteinte « à l’honneur dela famille », certaines se revêtent du hidjab, comme on prend le voile,pour faire acte de repentance. Plus tard, quand elles sont demandéesen mariage, « ces malheureuses cherchent une réparation de leur hymenet atterrissent dans mon cabinet », explique encore le docteur Ahmed T.,dont de nombreuses patientes viennent de Tunisie. En Algérie,une hyménoplastie coûte l’équivalent de 1 200 euros. En Tunisie,2 400 euros. En France, 2 500 euros. B Fl. B.

EN CONTRADICTION AVEC LA LAÏCISATION DE LA SOCIÉTÉ, LA DEMANDE D’HYMÉNOPLASTIE AUGMENTE.

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PRÉPARATIFS Le petit groupe de militants du MALI imagine les slogans de la prochaine action,prélude à une campagne pour défendre les libertés sexuelles au Maroc.

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