Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Ecole doctorale de Droit et de Sciences politiques
LA TRANSACTION ADMINISTRATIVE
Thèse pour le doctorat en droit
présentée et soutenue publiquement le 19 novembre 2015
par Anne-Laure Ponsard
sous la direction de Mme Sabine Boussard
Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Jury
Mme Sabine Boussard, Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La
Défense (directrice de thèse)
M. Bertrand Dacosta, Conseiller d’Etat
Mme Laurence Folliot-Lalliot, Professeur à l’Université Paris Ouest
Nanterre La Défense
M. Benoît Plessix, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, Paris II
(rapporteur)
M. Philippe Yolka, Professeur à l’Université Pierre Mendès France,
Grenoble II (rapporteur)
L’Université Paris Ouest Nanterre La Défense n’entend donner aucune approbation,
ni improbation aux opinions émises dans la présente thèse ; ces opinions devront être
considérées comme propres à leur auteur.
Remerciements
Mes premiers remerciements vont à Mme le Professeur Sabine Boussard qui guida
mes recherches de ses avis et précieux conseils. Qu’elle veuille bien trouver ici
l’expression de ma gratitude.
Au cours de ces années, des amis m’ont apporté de très utiles suggestions. Je tiens à
citer Antoine, Thomas, Emilie et Valérie et leur témoigner toute ma reconnaissance.
Lara, Hugues et Tiphaine ont accompagné mes derniers moments de bibliothèque, qui,
sans eux, auraient été autrement plus difficiles. Je leur dois beaucoup.
Nul n’est plus à remercier que mes parents et mes frères. Je mesure ce que je dois à
leur patiente affection et à leur soutien indéfectible.
Enfin, je ne puis oublier Anne-Laure, Alexandra, Marie, Sarah, Claire, Aude, Victoria,
Nicolas, Franck, Pauline, Paul, Soulef et ma chère grand-mère ainsi que tous ceux dont
la présence fut un insigne bonheur. Ils savent désormais presque tout de la transaction
sans l’avoir jamais pratiquée.
SOMMAIRE
Première partie
La consécration de la transaction administrative
Titre I. La qualification de la transaction administrative
Chapitre I. L’élément litigieux dans la transaction administrative
Chapitre II. La dimension contractuelle de la transaction administrative
Titre II. Le régime juridique de la transaction administrative
Chapitre I. La passation des transactions administratives
Chapitre II. Les effets des transactions administratives
Seconde partie
La place secondaire de la transaction administrative
Titre I. Les entraves extérieures à la transaction administrative
Chapitre I. Les entraves extra-juridiques
Chapitre II. Les entraves juridiques
Titre II. Les entraves intrinsèques à la transaction administrative
Chapitre I. Les entraves liées à la formation des transactions administratives
Chapitre II. Les entraves liées à l’exécution des transactions administratives
TABLE DES ABREVIATIONS ET DES SIGLES PRINCIPAUX
AJCT Actualité juridique. Collectivités territoriales
AJDA Actualité juridique. Droit administratif
Arch. Philo. Droit Archives de philosophie du droit
BJDCP Bulletin juridique des contrats publics
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambres civiles)
CAA Cour administrative d’appel
Cass. Cour de cassation
CC Conseil constitutionnel
CE Conseil d’Etat
Civ. Cour de cassation, chambre civile
CDBF Cour de discipline budgétaire et comptable
CJCE/CJUE Cour de justice des Communautés européennes/de l’Union européenne
CJEG Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz
Contrats-marchés publics Revue Contrats et marchés publics
CP-ACCP Contrats publics. L’actualité de la commande et des contrats publics
Crim. Cour de cassation, chambre criminelle
D. Recueil Dalloz
Dr. Adm. Revue Droit administratif
GAJA Les grands arrêts de la jurisprudence administrative
JCP A La semaine juridique, édition Administration et collectivités territoriales
JCP E La semaine juridique, édition Entreprise et affaires
JCP G La semaine juridique, édition générale
JOCE/JOUE Journal officiel des Communautés européennes/de l’Union européenne
JORF Journal officiel de la République française
Leb. Recueil Lebon des arrêts du Conseil d’Etat, des décisions du Tribunal des conflits, des
arrêts et jugements des Cours administratives d’appel et des Tribunaux administratifs
LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA Les Petites affiches
Mon. TP Moniteur des travaux publics et du bâtiment
RDC Revue des contrats
RDI Revue de droit de l’immobilier
RDP Revue du droit publics et de la science politique en France et à l’étranger
Rev. Administrative Revue administrative
RFDA Revue française de droit administratif
RJEP Revue juridique de l’entreprise publique
RJF Revue de jurisprudence fiscale
RRJ Revue de recherche juridique et de droit prospectif
RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil
TA Tribunal administratif
TC Tribunal des conflits
1
INTRODUCTION
S'il est courant aujourd’hui de signaler que la transaction et plus généralement les
modes de règlement des litiges séduisent, un tel constat ne doit pas faire oublier que leur
histoire est millénaire. Ainsi, il y a un siècle, F. Lepelletier débutait sa thèse, De la
transaction en droit romain et en droit français, par l’observation suivante : « Le contrat que
nous prenons pour objet de cette étude est un de ceux dont l’utilité a, de tout temps, été
proclamée et que le législateur a vu avec la plus grande faveur. Son but est la raison même de
sa persistance à tous les âges de l’histoire du Droit. Transiger c’est, en effet, résoudre à
l’amiable les différends et les procès, c’est éviter, par un échange de concessions librement
discutées et librement consenties, les frais, les longueurs et les incertitudes des contestations
judiciaires »1.
Comme il a été observé, « la tendance actuelle n’est pas d’inventer de nouvelles
formes de justice, mais bien plutôt de redécouvrir des formes de justice ancestrales. C’est
avant tout l’essor et l’engouement pour ce que l’on nomme les MARC qui confèrent à ce
phénomène sa nouveauté »2. En effet, connus du droit romain, ces outils étaient encore
pratiqués au Moyen Age ─ où l’entremise, l’arbitrage, la composition, les conciliation et
transaction tenaient une grande place ─, avant d'être retrouvés lors de la Révolution française
et consacrés par les Codes napoléoniens3. Historiquement, il est même très probable que les
mécanismes présentés aujourd’hui comme alternatifs à la justice étatique l’aient en réalité
1 F. LEPELLETIER, De la transaction en droit romain et en droit français, thèse dactylographiée, Faculté de droit de Caen,
1890, p. 1. 2 J.-B. RACINE, « Introduction », in Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, J.-
B. Racine (dir.), Lyon, L’Hermès, 2002, p. 9. 3 Le Code civil consacre quelques articles à l’arbitrage et à la transaction (en son titre XV plus précisément). Quant à la
conciliation, elle trouve pleinement sa place dans le Code de procédure civile. V. Infra, p. 8.
2
précédée4. Un auteur a pu identifier « un mouvement de flux et de reflux » entre la résolution
étatique et la résolution alternative des litiges5. Quoi qu’il en soit, ce « mouvement de flux et
de reflux » est, actuellement, depuis au moins une trentaine d’années, favorable aux modes
alternatifs de règlement des litiges, en droit privé comme en droit public.
Il convient de préciser d’emblée que le regain d’intérêt des pouvoirs publics pour ces
procédés n’est pas désintéressé. Indépendamment de leurs précieux avantages, ils y voient un
moyen pouvant contribuer au désencombrement des juridictions étatiques. Confrontées à
l’explosion du contentieux, ces dernières sont contraintes d’accélérer leur rythme de travail
tout en satisfaisant aux exigences d’une justice de qualité. C'est ainsi que différentes mesures
de nature à prévenir, modérer ou encore limiter le contentieux devant les juridictions
administratives ont été adoptées6. Certaines peuvent être qualifiées de ponctuelles, celles qui
résultent de textes particuliers et qui visent à limiter l’afflux du contentieux de manière
immédiatement perceptible, à l’instar de la généralisation du ministère d’avocat, de la
suppression de l’appel pour des contentieux désignés, de la multiplication des motifs
d’irrecevabilité des recours ou encore de la mise en place d’une procédure d’admission des
pourvois en cassation7. D’autres mesures sont plus substantielles, en ce qu’elles sont
destinées, à long terme, à désencombrer les juridictions, en repensant les relations entre
l’administration et les administrés et l’état d’esprit qui doit présider à la résolution des litiges.
Dans cette perspective, il a été fait appel aux modes alternatifs de règlement des litiges, choix
généralement salué. Dès 1983, R. Denoix de Saint-Marc estimait que « le tout judiciaire »
était « une mauvaise formule », et qu’il fallait « combattre un acharnement judiciaire, qui
existe incontestablement chez certains juristes comme l’acharnement thérapeutique qu’on
4 C’est l’idée que développe Max Weber, s’agissant de l’arbitrage. Pour lui, « Le contrat d’arbitrage, issu des contrats
d’expiation entre clans […] est la source non seulement de tout le droit processuel mais aussi […] de tous anciens types de contrat de droit privé », Sociologie du droit, trad. J. Grosclaude, PUF, coll. Quadrige, 2013, p. 60. Toutefois, comme le relève D. Cohen, cette thèse ne fait pas l’unanimité. V. sur ce point, D.COHEN, « Justice publique et justice privée », Arch. phil. droit, 41, 1997, p. 153. 5 C. NELISSE, « Le règlement déjudiciarisé : entre la flexibilité technique et la pluralité juridique », La revue de droit, vol. 23,
n° 1, 1992, p. 271. 6 Ces mesures s’inscrivent plus généralement dans le cadre du « new public management », une nouvelle politique de
gestion publique qui touche tous les services de l’administration publique et qui repose sur le « rendement, le productivisme et l’efficacité », C. CASTAINGS, « Regards croisés droit public-droit privé, les procédures civiles et administratives confrontées aux mêmes exigences du management de la justice », AJDA 2009, p. 913. 7
Sur ces différents éléments, v. C. CASTAINGS, « Regards croisés droit public-droit privé, les procédures civiles et administratives confrontées aux mêmes exigences du management de la justice », préc.
3
rencontre chez certains médecins », en « ménag[eant] une place importante à d’autres modes
de règlement des litiges […] »8.
Expliquer ce regain d’intérêt pour les modes alternatifs de règlement des litiges par des
impératifs contentieux, uniquement, serait trop réducteur. Outre ces considérations
matérielles, ils présentent de grands avantages et forment à ce titre des compléments utiles à
la justice administrative en particulier et à la justice étatique en général. Il a été observé avec
justesse que « l’engouement contemporain pour les modes alternatifs de règlement des litiges
est plus qu’une simple mode : sous l’écume s’est formée une lame de fond, qui impose de
prendre ces techniques au sérieux »9.
§I. LE CHAMP DE L’ETUDE : LES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES
LITIGES
Dès lors que la transaction administrative est qualifiée de « mode alternatif de
règlement des litiges », une étude qui lui serait consacrée ne peut faire l’économie d’une
définition de ce qu'est un « MARL ». A cet égard, c'est l'adjectif « alternatif » qui permet de
délimiter ces outils juridiques (A) et qui en éclaire toute l’originalité (B).
A. La délimitation des modes alternatifs de règlement des litiges
Le terme de « mode alternatif de règlement des litiges » est la transcription française
de la formule anglo-saxonne Alternativ Dispute Resolution, apparue dans les années 1990.
Encore faut-il déterminer de quelle « alternative » il s’agit. En effet, le périmètre des modes
alternatifs de règlement des litiges ne s’impose pas avec évidence. Il y a, en la matière, autant
de suggestions que d’auteurs. Les termes mêmes sont multiples : il est question de modes
alternatifs de règlement des conflits, de modes alternatifs de règlement des litiges, de modes
de règlement des différends, de modes conventionnels, de modes non-juridictionnels, de
modes amiables. Les formules sont nombreuses, proches sans être synonymes. En
l’occurrence, c'est celle à la fois précise et englobante de mode alternatif de règlement des
8 R. DENOIX DE SAINT-MARC s’exprimait ainsi dans un discours sur « Le service public de la justice judiciaire », prononcé à
l’Institut d’études politiques de Paris, en 1983. Il est cité par M. GUYOMAR dans ses conclusions sur CE, Ass., 7 juillet 2006, France Nature Environnement, « Les conditions de la transaction pénale », RFDA 2006, p. 1261. 9 P. YOLKA, Traité de droit administratif, P. Gonod, F. Melleray, P. Yolka (dir.), Paris, Dalloz, coll. Traités, t. II, 2011, p. 586.
4
litiges qu’il convient de privilégier. A partir de là, des sous-catégories de procédés alternatifs
se dégagent et l'extrême diversité des outils (b) n’empêche pas l’émergence d’un élément
commun (a).
a. Le dénominateur commun
« Les modes alternatifs […] ne sont pas une catégorie juridique aux contours
tranchés », a-t-il été signalé10
. Plus exactement, ils forment une catégorie juridique ouverte
qui se définit en creux. Tous ces procédés ont en commun de constituer une alternative à la
justice étatique, c’est-à-dire au juge étatique intervenant dans sa mission de jurisdictio11
. La
summa divisio se dessine ainsi : il est des modes de résolution des litiges, consistant pour
certains à faire trancher le litige par le juge étatique dans le cadre de son pouvoir de
jurisdictio, d’autres à régler les litiges « autrement ». L'expression « régler les litiges
autrement », utilisée par le Conseil d’Etat dans son rapport de 1993, était du reste très
éclairante. Il y a la résolution des litiges telle qu’opérée par le juge étatique et la résolution par
d’autres mécanismes non étatiques.
Au-delà de leurs profondes différences, l’arbitrage, la transaction, la conciliation, la
médiation et le recours administratif principalement, présentent tous cette caractéristique de
permettre de régler un litige sans faire appel au juge étatique dans sa mission de jurisdictio.
C’est aussi le cas de modes alternatifs plus spécifiques et toujours plus techniques, à l’instar
des « mini-trial, négociation assistée, med-arb, co-med-arb, last offer arbitration ou baseball
arbitration, medaloa (encore appelée med then arb), summary jury trial, early trial
evaluation… »12
. Sur la base de cette caractéristique commune, ces mécanismes forment une
même catégorie juridique, au sein de laquelle existent des modes amiables, conventionnels,
consensuels, non juridictionnels. Tous ces termes renvoient aux sous-catégories de la
catégorie plus générale de modes alternatifs.
Que les modes alternatifs soient définis négativement par référence à la justice étatique
ne doit pas étonner. Cela s’explique aisément, compte tenu de la prégnance, en France, de la
10
J.-B RACINE, « Introduction », in Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, préc., p. 10. 11
Il pourra être observé que les missions attribuées au juge étatique sont très diverses désormais, et qu’il lui est loisible d’intervenir en tant que « conciliateur » - pour le juge judiciaire, article 21 du CPC et pour le juge administratif, article L. 211-4 du CJA. 12
C. JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », Rev. Internationale de droit comparé, 1997, p. 330.
5
justice étatique. Il apparaît, en effet, qu’au cours des siècles derniers, le mouvement de « flux
et de reflux » évoqué précédemment13
entre la justice étatique et la justice alternative s’est
largement opéré au profit de la première. Dans l’opinion commune, la résolution des litiges
passe en tout premier lieu par le juge étatique, perception propre à la culture juridique
française14
.
Ainsi qu'un auteur l’a souligné, le qualificatif d’alternatif est très « révélateur car il
serait loisible, à l’inverse, de penser que c’est le juge étatique qui constitue une alternative »15
.
Dans cette perspective, il n’interviendrait qu’en dernier lieu, en cas d’échec d’un autre mode
de règlement des litiges, un de ceux qualifiés aujourd’hui d’alternatifs. La logique serait alors
inverse : que ce soit en raison d’un mode de pensée qui ne privilégierait pas la justice étatique
ou du fait d’une obligation textuelle, les parties se tourneraient en priorité vers un mode
alternatif, comme l’arbitrage ou la transaction, et en cas d’échec, vers le juge étatique. Ce
dernier constituerait un ultime recours afin de régler un litige. Mais cette logique n'est pas
celle du droit français.
La résolution des litiges telle qu’elle est pratiquée dans un pays est inhérente à son
histoire et à son système de pensée. Or, le système français de tradition romano-germanique,
marqué en outre par un fort centralisme, ne pouvait qu’accorder la primauté à la justice
étatique et corrélativement, regarder comme secondaires, si ce n’est marginaux, les modes dits
alternatifs. Depuis quelques années, certes, il est des cas dans lesquels le législateur a rendu
obligatoire avant la saisine du juge étatique, la mise en œuvre d’un mode alternatif. C’est par
exemple le cas du « recours administratif préalable obligatoire » pour certains litiges16
. Mais,
il ne faut pas s’y tromper, ce sont là des exceptions. Un véritable renversement de l’ordre des
priorités semble peu probable. Peut-être la pratique à long terme des modes alternatifs
favorisera-t-elle le changement des esprits indispensable à un renversement du schéma qui
prévaut aujourd’hui. Toutefois, rien n'est garanti tant la place de la justice étatique est
13
C. NELISSE, « Le règlement déjudiciarisé : entre la flexibilité technique et la pluralité juridique », préc., p. 271. 14
V. sur ce point, partie II, titre I, chapitre I, section I, p. 332. 15
R. LE GOFF, « Les modes alternatifs de règlement des litiges, vers l’efficience juridique ? », JCP A 2005, p. 1286. 16
Ont ainsi été rendus obligatoires les recours administratifs préalables aux recours contentieux formés devant le juge étatique à l’encontre de certaines décisions de l’administration fiscale par les contribuables et des actes relatifs à leur situation personnelle par les militaires et gendarmes – le recours étant porté devant une commission spéciale dite « des recours militaires », plus précisément. V. sur ce point, C. BERGEAL, « Le traitement des problèmes juridiques au ministère de la Défense », Dr. Adm. 2006, n° 11, entretien 1, p. 4. V. à ce sujet le rapport du Conseil d’Etat conduit sous la direction d’O. Schrameck, Les recours administratifs préalables obligatoires, Paris, La documentation française, 2007. Le rapport plaidait pour l’élargissement du RAPO au contentieux des permis de conduire, à certaines décisions relatives au droit des étrangers, au contentieux de la fonction publique et à la matière pénitentiaire. Ces propositions n’ont, cependant, guère été suivies. V. aussi la thèse d’E. PREVEDOUROU, Les recours administratifs obligatoires, étude comparée des droits allemand et français, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 180, 1994. Sur le mécanisme du recours administratif plus généralement, v. S. JEANNARD, Le recours administratif dans le système juridique français, Paris, LGDJ, coll. Systèmes Droit, 2013, et F. BRISSON, Les recours administratifs en droit public français : contribution à l’étude du contentieux administratif non juridictionnel, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 185, 1996.
6
prégnante en droit français, et qui plus est en droit administratif, où nombre de litiges relèvent
nécessairement et exclusivement du juge étatique au regard des impératifs d’ordre public17
.
Cette analyse de l’alternative que représentent les modes alternatifs conduit, en outre,
à retenir le terme de litige, plutôt que celui de conflit. Tout ce qui est du ressort du juge
étatique peut relever d’un mode alternatif. Or, seuls lui sont soumis les conflits juridiques.
Comme le signale L. Cadiet, « la notion de conflit a vocation à englober la notion de litige en
ce sens que le litige est un conflit juridiquement relevant, c’est-à-dire susceptible de faire
l’objet d’une solution juridique, par application des règles de droit »18
. L’expression « mode
alternatif de règlement des litiges », en tant qu’elle suppose un litige, c’est-à-dire un
désaccord des parties quant à l’interprétation ou à l’application d’une règle de droit présente
un champ plus limité. C’est là un nouvel élément de délimitation de la catégorie ouverte des
modes alternatifs : le litige opposant les parties doit se poser en termes juridiques. Il doit
s’agir de « contestations relatives à un acte ou une situation juridique ou encore à des faits
matériels à conséquences juridiques »19
. Cette caractéristique exclut tous les conflits, qui par
leur nature même, ne pourraient relever du juge étatique, à l’instar de conflits survenant au
sein d’une famille.
Au regard de tous ces éléments, c’est bien le terme de « mode de règlement alternatif
des litiges » qu’il convient de retenir pour désigner les mécanismes permettant de régler un
litige « autrement » que par la justice étatique. Ce terme est à la fois précis et englobant.
b. La diversité
Les modes alternatifs sont aussi nombreux que divers. En la matière, les juristes font
preuve d’une remarquable imagination. La doctrine s’emploie régulièrement à classer les
différents modes alternatifs. S. Boussard a recensé quatre types de classification, qui rendent
compte de la grande diversité des modes alternatifs : la première repose sur le caractère
conventionnel ou non des procédés, la deuxième sur « l’intervention ou non d’un tiers », la
17
V. sur ce point, partie II, titre I, chapitre II, section I, p. 404. 18
L. CADIET, « Des modes alternatifs de règlement des conflits en général et de la médiation en particulier », in La médiation, Société de législation comparée, Paris, Dalloz et Société de législation comparée, 2009, p. 14. L’auteur en conclut que « tout conflit n’est donc pas un litige » et qu’un « litige peut être réglé sans que le conflit qui y a donné naissance ne le soit : ainsi, un conflit social dans une entreprise à propos des conditions de travail peut donner lieu à une occupation de l’usine qui, si l’employeur saisit le juge, pourra déboucher sur une décision d’expulsion ; le litige né de l’occupation de l’usine sera terminé par la décision d’expulsion, mais le conflit opposant l’employeur à ses employés ne sera pas réglé pour autant ». 19
J.-M. AUBY, R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, Paris, LGDJ, 1984, t. I, n° 2.
7
troisième sur le fait qu'ils soient communs ou non au droit privé et au droit public, et la
quatrième sur la place que chaque matière permet d’accorder aux procédés, matière « plus ou
moins propice à leur développement »20
. Plutôt que de se livrer à une analyse exhaustive de
tous ces procédés, il s’agit davantage ici de mettre en évidence la spécificité de la transaction
parmi eux. Deux critères apparaissent à cet égard : la finalité des mécanismes et la marge de
manœuvre laissée aux parties litigantes.
Certes, chacun des modes alternatifs vise au règlement des litiges par d’autres voies
que celle du juge étatique, mais ce à quoi tous tendent concrètement diffère. Certains se
suffisent quand d’autres ne sont que des processus, des phases, vers la finalisation du
règlement du litige. La démarche des parties faisant appel à un mode alternatif se décompose
en deux temps : il y a d’abord la mise en œuvre d’un mode alternatif donné et ensuite la
solution du litige, autrement dit le moyen et la solution. Certains modes alternatifs consacrent
la solution, quand d’autres sont le procédé vers la solution.
La transaction et l’arbitrage ont en commun de mettre fin à un litige au moyen d’un
acte juridique supposé bénéficier de l’autorité de la chose jugée, ce qui a pu faire dire qu’ils
présentent tous deux « une dimension juridictionnelle »21
. La transaction est ainsi définie par
les articles 2044 et 2052 du Code civil comme « un contrat par lequel les parties terminent
une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » et disposant de « l’autorité
de la chose jugée ». Quant à l’arbitrage, il « consiste […] à faire trancher un litige par des
juges qui rendent une sentence statuant sur les droits et obligations respectifs des parties et
ayant l’autorité de la chose jugée »22
. Aux termes de l’article 1476 du nouveau Code de
procédure civile dès lors qu’elle est rendue, la sentence arbitrale est dotée de l’autorité de la
chose jugée relativement à la contestation à laquelle il est mis fin.
A l’inverse, la médiation et la conciliation constituent des outils de dialogue et de
négociation, des procédés et non des actes juridiques. Elles permettent aux parties de se
rapprocher afin d’aboutir à une solution. En cas de succès, elles laissent place à d’autres
instruments comme une transaction qui formalisent l’accord des parties. C’est en cela que
F. Munoz les qualifie de modes alternatifs « imparfaits »23
. De ce point de vue, le recours
administratif est assez original. Il semble qu’il faille le classer parmi ces modes alternatifs
20
S. BOUSSARD, « Conciliation, transaction et arbitrage », J.-Cl. Administratif, fasc. 1005, n° 6 et s. V. aussi C. JARROSSON, La notion d’arbitrage, coll. Bibliothèque de droit privé, Paris, LGDJ, 1987, t. 198. 21
A. NOURY, Les alternatives au règlement par les juridictions étatiques des litiges intéressant l’administration, étude Faculté de droit de Lille-CNRS, 2001, p. 3. 22
Cette définition est issue du Rapport du Conseil d’Etat de 1993, Régler autrement les conflits : conciliation, transaction, arbitrage en matière administrative, Paris, La documentation française, 1993, p. 85. 23
F. MUNOZ, La conciliation : du droit privé au droit public, thèse Paris I, 1997, n° 8.
8
imparfaits, c’est-à-dire parmi les processus favorisant un règlement non juridictionnel et
public des litiges. Il permet à l’administré de demander à l’administration de réexaminer la
légalité et l’opportunité de sa décision. Par là-même, il s’agit de signifier un désaccord et de
défendre une autre solution, la décision finale appartenant à la seule administration.
L’introduction d’un recours administratif n’empêche pas, d'ailleurs, le demandeur de saisir le
juge administratif d’une requête contestant soit la première décision litigieuse
─ concomitamment à l’introduction du recours administratif ─ soit la seconde rendue au
terme du recours administratif. S'il peut permettre de résoudre un litige, le recours
administratif doit être distingué de la décision administrative finale.
Manifestement, il est, au sein de la catégorie des modes alternatifs, des sous-catégories
répertoriées selon leur finalité : rechercher une solution ou la formaliser. En résumé, il
convient de distinguer avec G. Cornu la transaction et l’arbitrage, véritables modes alternatifs
de règlement des litiges, des « expédients juridictionnels » que sont ces « divers procédés qui
tendent à faciliter, à simplifier, à améliorer le travail judiciaire, et à permettre à l’appareil
judiciaire de faire face au défi de la masse des affaires, moyennant surtout un allègement des
procédures et une participation des intéressés à la recherche de solutions plus ou moins
contentieuses […] »24
. La distinction a le mérite de souligner toute l’hétérogénéité des modes
alternatifs, même s’il est regrettable d’appréhender « ces divers procédés » que sont la
conciliation, la médiation, le recours administratif, comme des moyens visant uniquement à
désengorger les tribunaux. La préoccupation est prégnante, certes, mais ceux-ci présentent par
eux-mêmes des avantages25
.
L’observation de G. Cornu met en évidence un second élément de distinction : le
degré d’implication des parties dans la recherche d’une solution à leur litige. Une fois le
procédé sélectionné, la marge de manœuvre des parties est singulièrement différente selon le
mécanisme. Deux types de modes alternatifs se dégagent : ceux qui laissent les parties aboutir
à la solution et ceux qui consistent à la leur imposer. Cette fois, la transaction doit être
rapprochée de la médiation et de la conciliation, voire du recours administratif, mais en aucun
cas de l’arbitrage.
L’arbitrage est un instrument de résolution des litiges tout à fait remarquable en ce que
les parties vont s’accorder pour soumettre leur litige à une instance juridictionnelle non
24
G. CORNU, « Les modes alternatifs de règlement des conflits, rapport de synthèse », Rencontres internationales de droit comparé, Damas, 5-8 octobre 1996, RIDC 1997, n°2, p. 313. 25
V. Infra, p. 12.
9
étatique. Plus précisément, elles vont charger un jury arbitral de trancher le litige. Cette justice
est donc à la fois juridictionnelle et privée26
. C. Jarrosson définit ainsi l’arbitrage : « il est un
mode juridictionnel et non pacifique de règlement des litiges. L’arbitre, à l’issue d’un procès,
tranche et impose une solution à des parties qui n’en connaissaient pas encore les termes
lorsqu’elles s’étaient engagées à la respecter »27
. En cela, l’arbitrage constitue bien une
alternative à la justice étatique, mais pas au juge. Aussi, le principe d’un recours à l’arbitrage
admis, l’implication des parties dans la résolution des litiges est très faible.
Au contraire, la médiation et la conciliation accordent aux parties un rôle de premier
plan, puisque, dans tous les cas, elles vont, aidées par un tiers, tâcher de parvenir à une
solution acceptable pour chacune. Toute la différence entre la conciliation et la médiation
repose sur le degré d’implication de ce tiers. C’est, en effet, la distinction qu’identifie
F. Munoz dans sa thèse, La conciliation : du droit privé au droit public 28, faute de définition
précise de ces procédés par des textes29
. Pour ce faire, l’auteur propose de revenir sur
26
Le fait qu’il s’agisse d’une justice privée explique d’ailleurs pourquoi la sentence arbitrale ne dispose pas tout à fait des mêmes effets qu’une décision de justice rendue par une juridiction étatique. Alors que sont attachés, à la seconde, à la fois, la jurisdictio ─ le pouvoir de dire le droit ─ et l’imperium ─ le pouvoir de contrainte ─, la première ne disposera que de la jurisdictio, les mesures de contrainte relevant exclusivement de la juridiction étatique. La sentence arbitrale ne sera susceptible d’exécution forcée que si l’exequatur lui est conféré par une juridiction étatique. Cela explique aussi pourquoi, le recours à l’arbitrage a longtemps été interdit pour les personnes publiques. Dans la lignée de l’article 2060 du Code civil, l’avis du Conseil d’Etat du 6 mars 1986, rendu à propos de l’affaire d’Eurodisneyland ─ et de la possibilité d’introduire une clause compromissoire dans le contrat passé par différentes personnes publiques françaises avec la société Eurodisneyland, pour la création d’un parc d’attractions ─ , indique que « les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre à solution des litiges auxquels elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne ». Cette interdiction, pour le Conseil d’Etat, résulte « des principes généraux du droit public français ». Des textes et des conventions internationales prévoient, toutefois, des exceptions à ce principe de prohibition ; il y a un élargissement de l’arbitrage en droit public ─ et concomitamment une tendance à l’extension de son domaine en droit privé. Il a même été envisagé en 2007, de créer un régime spécifique d’arbitrage administratif qui échapperait aux règles du Code de procédure civile. Cet avant-projet de loi sur l’arbitrage des personnes publiques, élaboré en 2007, par un groupe de travail, présidé par M. Labetoulle, à la demande du ministre de la Justice, n’a cependant pas abouti, le principe restant celui de l’interdiction. V. notamment, sur ce sujet, C. JARROSSON, La notion d’arbitrage, préc., A. PATRIKIOS, L’arbitrage en matière administrative, coll. Bibliothèque de droit public, Paris, LGDJ, t. 189, 1997, L. RICHER, « Arbitrage et conciliation », Répertoire de contentieux administratif, n° 28 et s., G. MARCOU, « L’arbitrage des contrats de l’administration. Les enseignements du droit comparé et de l’arbitrage international pour la réforme du droit français », in Le contrôle des marchés publics, G. Marcou, L. Folliot-Lalliot, D. I. Gordon, S. L. Schooner, J. Schwartz et C. Yukins (dir.), Paris, Irjs éd., Bibliothèque de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne, t. 21, 2009, p. 373, et le rapport du groupe de travail dirigé par D. Labetoulle, « Arbitrage des litiges intéressants les personnes publiques », remis le 27 mars 2007 au ministre de la Justice et publié sur www.ladocumentationfrançaise.fr/rapports-publics/, suivie de l’entretien de D. LABETOULLE, « L’arbitrage n’est pas un troisième ordre de juridiction », JCP G 2007, I, 143. 27
C. JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », préc., p. 328. 28
F. MUNOZ, La conciliation : du droit privé au droit public, préc., p. 28 et s. 29
Certes, depuis le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends, la médiation est ainsi définie par l’article 1530 du Code de procédure civile : « tout processus structuré par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leur différends avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ». Toutefois, une définition aussi large n’est pas de nature à véritablement distinguer la médiation de la conciliation. Elle aurait pu tout aussi bien concerner la conciliation. Le décret du 20 janvier 2012 - pris en application de la loi du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires et de l’ordonnance du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale - a au moins le mérite d’installer encore davantage les modes alternatifs de règlement des litiges dans le paysage juridique français, puisqu’il introduit un livre qui leur est spécialement
10
l’étymologie de ces deux concepts et d’analyser les textes législatifs mettant en place
successivement une procédure de conciliation et une procédure de médiation. En l’occurrence,
le terme « médiation » vient du latin medius, signifiant qui est du milieu, à rapprocher du mot
« médiat », ce qui suppose un intermédiaire, et celui de « conciliation », est issu du latin
conciliare, unir. Elle en conclut ainsi que « la conciliation implique que les parties soient
réunies, confrontées, pour que leurs points de vue soient conciliés. La conciliation vient donc
des parties ; le conciliateur n’a pas pour mission de trouver une solution : il doit faire en sorte
qu’elle se dégage de la discussion entre les parties (ce qui ne signifie pas, bien au contraire,
qu’il ne puisse pas prendre part à la discussion et faire aux parties, des suggestions ou
propositions de solution) »30
. A l’inverse, « le médiateur intervient lorsque les parties n’ont
pas l’espoir (ou l’envie) de trouver ne solution commune par la discussion, et préfèrent s’en
remettre à un tiers pour qu’il dégage lui-même une solution et rende un avis. Ici la solution ne
vient pas des parties, mais du médiateur »31
. La médiation et la conciliation répondraient donc
à une « méthode »32
différente, dans la recherche d’un accord des parties, « la conciliation,
contrairement à la médiation, supposant la participation des parties (ou de leurs représentants)
à la recherche de la solution »33
. Cette différence de méthode entraîne également une
différence d’organisation des procédures. Au terme de cette analyse, F. Munoz définit la
conciliation comme un mode de règlement des litiges, « faisant intervenir un tiers chargé de
diriger la discussion des parties, de mener leur négociation afin de leur permettre de clore le
litige qui les oppose par un accord amiable »34
. La conciliation est donc le « mécanisme le
plus souple et le moins contraignant pour les parties, qui non seulement participent à
l’élaboration de la solution, mais aussi sont libres d’accepter ou de rejeter les propositions du
conciliateur »35
, la médiation apparaissant comme « une solution intermédiaire entre
l’arbitrage et la conciliation : ici, les parties ne participent pas à l’élaboration de la solution et
n’en négocient pas les termes ; cependant, elles sont toujours libres de rejeter les propositions
de solution du médiateur »36
. La distinction semble ténue, de « l’ordre du papier de soie »37
, à
consacré dans le Code de procédure civile. Sur ce décret, v. notamment, T. CLAY (dir.), Chron. de droit judiciaire privé, JCP G 2012, doctr. 690. De même, le futur Code des relations entre le public et l’administration, qui réserve plusieurs articles à la médiation et à la conciliation au sein de son titre sur « les modes non juridictionels de règlement des litiges », les évoque ensemble sans chercher à les définir ou à les distinguer. V. Code des relations entre le public et les administrations – qui entrera en vigueur le 1
er janvier 2016 -, art. L. 421-1 à L 422-2.
30 F. MUNOZ, La conciliation : du droit privé au droit public, préc., p. 28.
31 Ibid, p. 29.
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Ibid, p. 37.
35 Ibid, p. 33.
36 Ibid.
37 P. YOLKA, Traité de droit administratif, t. II, préc., p. 590.
11
tel point qu’elles sont généralement évoquées ensemble, le mode alternatif étant alors celui de
« la médiation-conciliation »38
.
En cas de succès les parties pourront conclure une transaction. Le rapprochement de la
transaction et de la médiation-conciliation est pertinent, en ce que tous ces procédés laissent
une place prépondérante aux parties, qui disposent in fine de la liberté de décision, aucune
solution ne devant leur être imposée. Il présente une importante limite : la nature de ces
instruments diffère profondément, puisque la conciliation-médiation est une « méthode »39
,
quand la transaction est un acte juridique contractuel. Qu’advient-il alors quand une
transaction est conclue sans conciliation-médiation ? Toutes ne vont pas absolument de pair,
en effet. Si l’aboutissement d’une conciliation-médiation réussie n’est pas nécessairement une
transaction, l’inverse est vrai aussi. Il est loisible aux parties de s’accorder et de transiger,
sans faire appel à un tiers. Cette étape de discussion préalable doit être clairement distinguée
de l’acte de transaction. Il convient de qualifier cette phase de « processus transactionnel », ce
qui permet de la différencier à la fois de la conciliation-médiation, qui suppose dans tous les
cas l’intervention d’un tiers, et de la transaction, qui, conformément à l’article 2044, est un
contrat. Le processus transactionnel est un cheminement menant éventuellement à la
conclusion d’une transaction.
Analysé sous l’angle de l’implication des parties, le recours administratif constitue un
procédé tout à fait original, puisqu’il consiste pour une partie à s’en remettre à l’autre pour
régler le litige. Plus précisément, il appartient à l’administration de reconsidérer sa décision à
l’aune des moyens avancés par le demandeur. Il ne s’agit donc pas d’une négociation, ou
même d’une participation équilibrée entre les parties. De ce point de vue, le recours
administratif représente un troisième modèle, entre l’arbitrage qui consiste à appliquer aux
parties la sentence arbitrale, et la conciliation-médiation et le processus transactionnel qui
laissent les parties rechercher elles-mêmes la décision. Dans le cadre de ce mode alternatif,
une partie s’exprime, la décision revenant cependant à l’autre.
Cette grande diversité des modes de règlement des litiges est la marque de la richesse
du système juridique français. Elle est un gage de liberté pour les parties litigantes. Et à de
nombreux égards, les alternatives au juge étatique présentent un grand intérêt.
38
Régler autrement les conflits, préc., p. 31. 39
F. MUNOZ, La conciliation : du droit privé au droit public, préc., p. 29.
12
B. L’engouement pour les modes alternatifs de règlement des litiges
Les modes alternatifs ne sont pas seulement encouragés par les pouvoirs publics ; ils
suscitent un véritable engouement des intéressés, en droit privé comme en droit public.
L’engouement est double, tant pour les modes alternatifs en général, que pour les modes
conventionnels en particulier. Dans les deux cas, ce phénomène ne doit pas étonner, puisqu’au
souci des pouvoirs publics de désencombrer les juridictions, s’ajoute un besoin d’autonomie
des personnes privées, physiques ou morales. Une évolution sociale s’est produite, qui
encourage dans une certaine mesure le développement des modes alternatifs. Il y a une
méfiance vis-à-vis de l’Etat et de la solution imposée qui favorise le recours aux modes
alternatifs de résolution des litiges et, parmi eux, le recours aux modes négociés. Certes, la
justice traditionnelle, c’est-à-dire étatique, demeure très largement prépondérante, mais une
place plus évidente est faite aux modes alternatifs. Il faut ajouter que le mouvement n’est pas
une originalité du système juridique français.
La résolution des litiges ne saurait répondre à un schéma définitif. On sait qu’il existe
ce que M. Nélisse appelle un « chassé-croisé »40
entre justice étatique et justice alternative qui
dépend largement de l'environnement social. Le contexte actuel, en l’occurrence, est marqué
par « la crise de l’autorité », où beaucoup veulent choisir eux-mêmes leurs propres valeurs et
critères d’action. « Cette volonté de pouvoir choisir annonce une importante dynamique
d’autonomisation des individus et engendre chez eux un mouvement d’intolérance face à
toute forme d’autorité cherchant à imposer ses valeurs. De plus en plus, l’individu
postmoderne prend conscience de la multiplicité des manières de vivre et des visions du
monde, valorise l’hétérogénéité et le pluralisme »41
. Nul besoin de définir davantage ce
phénomène qui a été largement commenté en doctrine42
. Il est en revanche, intéressant de
constater que cette nouvelle évolution tend à conférer une plus grande place aux modes
alternatifs de règlement des litiges. Au déclin de la loi et à la crise de l’Etat-Providence
répond le regain d’intérêt pour ces mécanismes.
En effet, ils correspondent à cette nouvelle conception des relations sociales : « […] le
recul de la loi et le repli de l’Etat abandonnent à la volonté des acteurs sociaux de nouvelles
40
C. NELISSE, « Le règlement déjudiciarisé : entre la flexibilité technique et la pluralité juridique », préc., p. 271. 41
L. BORGEAT, I. GIROUX, « Droit et administration publique : entre tradition et postmodernité », Administration publique du Canada, 1997, vol. 40, n° 2, p. 307. 42
V. notamment J. CHEVALLIER, L’Etat post-moderne, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso éd., coll. Droit et société, série politique 35, 4
e éd., 2014.
13
plages de liberté, y compris celle d’assurer, en dehors des juridictions, la solution des litiges
qui les opposent »43
. Comme l’explique justement F. Munoz, « le développement [des modes
alternatifs de règlement des litiges] correspond à un besoin profond de la société qu’il faut
relier à un phénomène beaucoup plus global apparu depuis une trentaine d’années dans les
pays occidentaux et que certains auteurs qualifient de "mutation postmoderne" de l’Etat et de
son administration, et par conséquent du droit lui-même, instrument et voix officiels des
pouvoirs publics »44
. Consécutivement à cette mutation sociale, s'opère une contestation par
les individus du « fonctionnement et des structures de l’Etat, de la règle de droit et de la façon
dont elle est appliquée par le juge »45
.
Il faut aujourd’hui compter avec la solution résultant d’un mode alternatif de
règlement des litiges, c’est-à-dire une solution négociée par les parties ou élaborée par une
instance qu’elles ont elles-mêmes mise en place. Il doit être précisé d’emblée qu’il ne s’agit
pas tant pour les intéressés de s’affranchir de la règle de droit que de se l’approprier, de
présider à son application pour leur litige, conformément au besoin d’autonomie caractérisant
les individus postmodernes. Du fait de ce nouveau besoin de régulation sociale, les modes
alternatifs voient leur place rehaussée au sein du paysage juridique français.
« L’épanouissement des MARL est bien plus qu’un remède aux dysfonctionnements du
service public de la Justice, à la crise, tant structurelle que conjoncturelle, de la justice (dont la
lenteur est le révélateur le plus marquant). Le développement des modes alternatifs révèle, en
réalité, une mutation profonde du système juridique contemporain. [...] L’ère de l’Etat tout
puissant est révolue (durant cette période la loi, puis le règlement étaient les modes privilégiés
de régulation. […] », explique encore J.-B. Racine46
.
Le cas français n’est pas isolé. Sans doute a-t-il été influencé et relayé par d’autres
systèmes juridiques : le droit international et le droit européen. La multiplication des échanges
commerciaux ne peut naturellement que favoriser ces influences réciproques.
Le droit international utilise de longue date les modes alternatifs de règlement des
litiges, et ce pour différents types de litiges. « Formes "pré-juridictionnelles", les modes
alternatifs de règlement des litiges se sont imposés pour régler les différends interétatiques qui
43
L. CADIET, « Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit », in Les modes alternatifs de règlement des litiges : les voies d’une autre justice, P. Chevalier, Y. Desdevises, P. Milburn (dir.), Mission de recherche « Droit et justice », La Documentation française, 2003, p. 257. 44
F. MUNOZ, La conciliation : du droit privé au droit public, préc., n° 48. 45
Ibid, n° 49. 46
J.-B. RACINE, « Introduction », in Pluralisme des modes alternatifs de résolution des litiges, pluralisme du droit, préc., p. 19.
14
ne pouvaient l’être autrement (faute d’existence, pendant longtemps, de juridictions
internationales). D’origine coutumière, codifiés par maints traités, les modes de résolution
pacifique des conflits (médiation, conciliation, arbitrage) sont visés par l’article 33 de la
Charte des Nations unies »47
. Quant aux litiges commerciaux entre entreprises, ils sont
régulièrement réglés par la voie d’un arbitrage48
, et ce d’autant plus volontiers qu’il est des
systèmes juridiques nationaux où la pratique des modes alternatifs de règlement des litiges est
usuelle. Le système juridique américain, par exemple, n’accorde pas une telle primauté à la
justice étatique, et laisse a contrario une place importante aux techniques dites alternatives49
.
Ceci procède d’une représentation de la justice tout à fait différente que ce qui prévaut dans
les systèmes juridiques de tradition romano-germanique, comme le droit français. Tout ceci a
sans doute participé de la redécouverte des modes alternatifs de règlement des litiges en droit
français.
Il faut ajouter que les droits européens encouragent également leur recours. C’est
d’abord le cas du Conseil de l’Europe. Dès 1999, il s’était montré favorable aux modes
alternatifs s’agissant de la résolution des litiges entre autorités administratives et personnes
privées50
. Position qui avait fait ensuite l’objet d’une recommandation du comité des
ministres51
. C’est aussi le cas de l’Union européenne, qui promeut depuis quelques années le
recours à ces outils juridiques, essentiellement la médiation et presqu’exclusivement dans le
domaine civil et commercial. Elle leur a ainsi consacré, un « Livre vert » en 200252
, un « code
de conduite européen pour les médiateurs civils et commerciaux » en 200453
et, plus
récemment, en 2008, une directive portant sur « certains aspects de la médiation en matière
civile et commerciale »54
. Aux termes de celle-ci, les Etats-membres doivent veiller à
autoriser leurs tribunaux à suggérer aux parties ─ sans les y obliger ─ de recourir à la
médiation lors d'un litige transfrontalier relevant du droit civil et commercial. Les Etats
doivent ainsi instaurer une procédure permettant, à la demande des parties, de confirmer
47
P. YOLKA, Traité de droit administratif, t. II, préc., p. 586. 48
C. JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », préc., p. 326. 49
V. sur ce point, partie II, titre I, chapitre I, section II, § II, p. 348 et s. 50
CONSEIL DE L’EUROPE, « Les solutions alternatives aux litiges entre les autorités administratives et les personnes privées : conciliation, médiation et arbitrage », Actes conf. multilatérale de Lisbonne, 1999. 51
Rec. 2001-9, 5 septembre 2001. 52
Livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, COM(2002) 196. Le Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures avait invité la Commission européenne à présenter un Livre vert sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial autres que l’arbitrage, destiné à « faire le point de la situation existante » et « lancer une large consultation en vue de préparer les mesures concrètes à prendre ». 53
« Le présent code de conduite énonce une série de principes que les médiateurs peuvent volontairement s’engager à respecter, sous leur propre responsabilité. Il peut être utilisé par les médiateurs intervenant dans tout type de médiation en matière civile et commerciale », est-il indiqué en préambule. Il énonce, plus précisément, une série de principes, à l’instar de la compétence, le mode de désignation, la rémunération, l’indépendance et l’impartialité, etc. 54
Dir. n° 2008-52 CE 21 mai 2008, pour la médiation civile et commerciale.
15
l’accord éventuellement trouvé par elles, au terme d’un jugement, d’une décision, d’un acte
authentique d’une juridiction ou d’une autorité publique. In fine, il s’agit de garantir la
reconnaissance mutuelle et l’exécution, au sein de l’Union européenne, des accords issus
d’une médiation aux mêmes conditions que celles établies pour la reconnaissance et
l’exécution des décisions judiciaires en matière civile et commerciale, ainsi qu’en matière
matrimoniale et de responsabilité parentale. Enfin, comme l’observent les auteurs du Traité de
droit administratif, « la pression communautaire s’exerce sous contrainte juridictionnelle ; à
titre d’illustration, la France a fait l’objet d’une condamnation pour n’avoir pas transposé les
dispositions de la directive 92/13/CEE du 25 février 1992, qui obligent les États à mettre en
place une procédure de conciliation pour les litiges relatifs à certains marchés (CJCE, 19 mai
1999, Comm. c/ Rép. Française, BJCP 1999. 282, concl. La Pergola) »55
.
L’originalité des modes alternatifs séduit donc. Il faut dire que leurs avantages sont
nombreux et non-négligeables : gain de temps et d’argent, moindre formalisme et maîtrise de
l’issue du litige. Le gain de temps et d’argent résulte de l’économie d’une procédure
juridictionnelle réputée longue et coûteuse du fait de l’assistance juridique d’un avocat56
. De
même, à l’exception de l’arbitrage, les modes alternatifs offrent aux parties une plus grande
prévisibilité sur l’issue de ce litige. Sa résolution ne va pas dépendre de règles procédurales et
de fond, jugées parfois complexes, surannées ou trop rigides, mais être conduite par les
parties. Sur ce point, les modes alternatifs de règlement des litiges s’opposent à la justice
étatique, qui, par sa complexité et son caractère distant et autoritaire, peut inquiéter les parties
et les pousser y à renoncer. Ils sont aussi le signe d’une plus grande responsabilité des parties
dans la résolution de leur litige. Celles-ci ne sont plus passives et soumises à la décision d’un
tiers, mais participent activement à la solution. Caractéristique assez appréciable, dans un
contexte de méfiance à l’égard de l’autorité. Comme le signale C. Jarrosson, « dans les pays
de tradition romano-germanique, même si la pratique n’est encore guère répandue, un besoin
est né, auquel ni le juge étatique, ni l’arbitre ne peuvent aujourd’hui répondre », celle de la
« certitude de la solution »57
. C’est aussi la garantie d’une meilleure adhésion, de la part des
55
P. YOLKA, Traité de droit administratif, préc., p. 586. 56
Les gains de temps et d’argent ne sont toutefois pas garantis en toute hypothèse dans le cadre de la transaction. Mieux vaut, en effet, faire appel, en amont, aux services d’un avocat pour sécuriser la transaction administrative, v. sur ce point, partie I, titre II, chapitre I, section I, § II, C, p. 193 et s. De même, la transaction peut susciter de nouveaux litiges à la résolution potentiellement longue et coûteuse, v. ici partie II, titre II, chapitres I et II. 57
C. JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », préc., p. 326. L’auteur rappelle que « les parties, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises, veulent garder la haute main sur le litige qu’elles "gèrent" comme elles le feraient d’une affaire commerciale ou financière ».
16
parties, à la solution apportée à leur litige. D’autant plus, que les parties seront en mesure de
retenir la solution qui leur paraît la plus adaptée, dans le respect de la règle de droit.
Les modes alternatifs, à la différence d'une décision de justice, présentent l’avantage
de la souplesse en laissant plus de place, notamment, à des considérations d’équité ─ notion
délicate renvoyant « au sentiment d’une justice naturelle, opposé à celle de la justice
positive »58
. La mission du juge étatique est, en effet, de faire respecter le droit ; il n’y a donc
lieu de s'adresser à lui que si la violation d'une règle de droit ou la méconnaissance d'un droit
peuvent être invoquées59
. Il est alors tenu d’appliquer la loi, même trop sévère et contraire à
toute équité60
. A l’inverse, les modes alternatifs, et surtout les modes conventionnels, sont
réputés plus souples, en ce qu’ils offrent aux parties une marge de manœuvre plus importante.
Dans le respect de la règle de droit et notamment de l’ordre public, celles-ci pourront, par
exemple, choisir de valoriser certains éléments du litige. C’est particulièrement flagrant dans
le cadre de la transaction administrative. Les parties arrêtent librement la solution au litige,
sous réserve de ne pas convenir de concessions réciproques manifestement disproportionnées
au regard de ce qui est dû, que ce soit pour les personnes publiques ou privées. Pareille
solution revient, d’une part, à instituer la règle de droit comme base de la négociation des
concessions réciproques, et, d’autre part, à accorder aux parties une certaine marge de
manœuvre. Protection et souplesse dans la résolution des litiges sont ainsi assurées. De même,
un dialogue concret et direct entre les parties leur offre aussi plus de chance d'épuiser le litige.
La confidentialité inhérente à la mise en œuvre d’un mode amiable est également
appréciable, les parties ne souhaitant pas nécessairement que leur litige fasse l’objet d’une
décision publique61
.
Enfin, le rôle de pacification des relations sociales de ces outils juridiques est à
souligner. En ce qu’ils permettent aux parties de résoudre leur litige dans des conditions
58
Telle est la définition proposée par M. COMBARNOUS, « L'équité et le juge administratif », Justices, n° 9, janvier/mars 1998, p. 77. 59
Il ne s’agit pas d’un « redresseur de tort », comme l’explique le guide pratique de la justice administrative édité par le Conseil d'Etat pour les usagers potentiels. 60
C’est du moins ce qui prévaut, en principe. Comme le rappelle M. Combarnous dans son article, bien que le terme ne soit jamais employé en dehors des cas exceptionnels où les textes en font état, l’équité trouve tout-de-même sa place dans l’office du juge administratif. M. COMBARNOUS, « L'équité et le juge administratif », préc. 61
Certains auteurs ne manquent pas, cependant, de mettre en évidence les inconvénients d’une telle absence de publicité en droit privé. E. CAMOUS et L. POULET, dans leur thèse respective, Règlements non juridictionnels des litiges de la consommation. Contribution critique à l’analyse des modes alternatifs de règlement des conflits, Paris, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 362, 2002, n° 918 et s., et Transaction et protection des parties, LGDJ, coll. Biliothèque de droit privé, t. 452, 2005, n° 13, soulignent la fonction préventive, à l’égard des parties intéressées et des tiers, des sanctions prononcées dans le cadre d’un règlement juridictionnel des litiges. M. Camous montre ainsi que les modes alternatifs de règlement des litiges ne permettent pas de protéger efficacement l’intérêt collectif des consommateurs. Sur les avantages et difficultés de la confidentialité de la transaction pénale, v. J.-B. PERRIER, La transaction en matière pénale, LGDJ, coll. Bibliothèque des sciences criminelles, t. 61, 2014, n° 10 et s. Quant au droit administratif, il ne permet pas toujours de garantir cette confidentialité. V sur ce point, partie I, titre II, chapitre I, section I, § II, C, b, p. 201.
17
relativement sereines et harmonieuses, ils participent de l'apaisement social. L’affrontement et
les tensions qui caractérisent le règlement juridictionnel des litiges laissent ici place au
compromis. S’il est des matières pour lesquelles ce souci est particulièrement prégnant,
comme les litiges familiaux, il existe aussi en matière administrative. Il s’agit alors
d’améliorer des rapports en l’administration et les citoyens62
.
La redécouverte de ces modes anciens de règlement des litiges ouvre ainsi de
nouvelles perspectives pour la résolution des litiges. Il y a manifestement, une « nouvelle
approche du règlement des conflits qui constitue une véritable révolution […] »63
. Désormais,
deux approches coexistent pleinement : la résolution étatique et la résolution amiable des
litiges64
. A cet égard, un malentendu doit être dissipé.
Les modes alternatifs sont parfois perçus comme une « privatisation de la justice ». La
contestation de la normativité du droit conduirait à une contractualisation du règlement des
litiges, et donc, à une privatisation de la justice, voire à une sorte de reféodalisation du droit.
Ce serait finalement un retour à une justice archaïque où le droit et l’égalité ne sont pas
assurés. Cette analyse doit être rejetée. En effet, « les modes alternatifs ne sont pas dans le
non-droit ; au contraire, ils se situent dans le droit, mais ils s’y meuvent [...] autrement que les
procédés juridictionnels classiques »65
. En ce qui concerne les litiges impliquant des
personnes publiques, les parties peuvent, certes, les régler sans faire appel au juge étatique,
mais la règle de droit n’en sera pas pour autant écartée. D'une part, les transactions tirent leur
force juridique de la reconnaissance de ce mode de règlement des litiges par l’Etat, et d’autre
part, elles sont encadrées par le droit en vigueur. Il convient de rappeler que « […] si l’on
s’accorde traditionnellement pour dire que la finalité de la transaction est d’évincer l’Etat dans
la résolution des litiges entre particuliers, cette assertion commune cache toutefois une réalité
historique, celle du rôle en amont de l’Etat. C’est en effet la puissance publique qui donne à la
62
Les modes alternatifs « constituent aussi, voire d’abord et avant tout, un moyen d’améliorer les rapports entre l’administration et les citoyens », A. NOURY, « Les modes alternatifs peuvent-ils prospérer dans le contentieux administratif ? », JCP A 2005, p. 1287. 63
J.-M. COULON, « Le devenir des modes alternatifs de règlement des litiges dans l’économie des systèmes judiciaires », in Les modes alternatifs de règlement des litiges : les voies d’une autre justice, préc., p. 247. 64
Il est intéressant, à cet égard, de noter que dans son rapport public de 1993, le Conseil d’Etat qualifiait les modes alternatifs de règlement des litiges, de « modes nouveaux », par opposition aux « modes classiques », « normaux », « traditionnels », c’est-à-dire le règlement juridictionnel assuré par « des instances juridictionnelles étatiques », Régler autrement les conflits, préc., p. 13. 65
C. JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits : présentation générale », préc., p. 326.
18
transaction à la fois sa force obligatoire (pour faire obstacle au retour au litige) et sa force
exécutoire (de manière privilégiée par rapport à tous les autres contrats) »66
.
En outre, il est trop réducteur d’opposer ces deux modes de résolution des litiges dans
la mesure notamment où le choix de recourir à l’un ou l’autre n’est pas exclusif. A l’inverse,
recourir à un mode alternatif de règlement des litiges ne signifie pas se priver définitivement
de la possibilité de saisir le juge étatique, que ce soit parallèlement à la requête
juridictionnelle ─ pour tâcher de s’accorder ─ ou en cas d’échec du mode alternatif mis en
œuvre. L’hypothèse inverse est également vraie. Aussi parle-t-on de coexistence et non pas
d’opposition. Pour L. Cadiet, il s’agit d’un « système de la justice plurielle », au sein duquel
« les MARC ne doivent pas se construire en opposition, mais en articulation avec les modes
juridictionnels de règlement des conflits »67
.
Plus qu’à la privatisation du droit, les modes alternatifs participent ainsi au dynamisme
et à la richesse du système juridique français. Il y a là un « pluralisme judiciaire »68
qui
bénéficie heureusement aux parties litigantes. En consacrant clairement l’existence d’une
transaction administrative, le Conseil d’Etat a contribué à cette richesse.
§II. L’OBJET DE L’ETUDE : LA TRANSACTION ADMINISTRATIVE
« Les racines de ce contrat plongent profondément dans l’histoire et ses prolongements
semblent infinis » a-t-il été observé à propos de la transaction69
. Les deux acceptions se
vérifient tout à fait. Théorisée par le Code de Justinien70
, la transaction survit à la chute de
l’Empire romain. Toutefois, les autorités successives n’auront de cesse de la contrôler et de la
marginaliser jusqu’au Code civil de 1804 qui vient formellement l’encadrer71
. Aujourd’hui, la
transaction bénéficie d’un retour en grâce, suivant le mouvement de « chassé-croisé »
66
Note de synthèse de l’étude La résolution des conflits. Justice publique et justice privée : une frontière mouvante, S. Dauchy, V. Demars-Sion, A. Deperchin, T. Le March’adour (dir.), S. Castelain (coord.), CHJ-CNRS, Mission « Droit et justice », 2008, p. 3. 67
L. CADIET (dir.), T. CLAY, E. JEULAND, Médiation et arbitrage, Alternative à la justice ou justice alternative ? Perspectives comparatives, Litec, coll. Pratique professionnelle procédure, 2005, p. 8. 68
L. CADIET, « Les modes alternatifs de règlement des litiges et le droit », préc., p. 263. 69
E. SERVERIN, « La force du contrat de transaction », in La résolution des conflits. Justice publique et justice privée : une frontière mouvante, préc., p. 36. 70
Le droit de Justinien avait construit déjà une théorie générale de la transaction. Elle constituait alors un contrat innommé, relevant des conventions conclues à titre onéreux et sanctionné, éventuellement, par l’actio praescriptis verbis, distinct du pactum de non petendo, qui éteint un rapport de droit existant, à titre onéreux ou gratuit. Sur la transaction en droit romain, v. notamment, G. BOYER, « Le pacte extinctif d’action en droit civil romain », Rec. de législation de Toulouse, 1937, p. 53 et s., et 1937, p. 33 et s., ainsi que F. LEPELLETIER, De la transaction en droit romain et en droit français, préc. 71
Sur des différents éléments à caractère historique, v. partie II, titre I, chapitre I, section I, § I, p. 332 et s.
19
évoqué72
. Elle est encouragée dans tous les champs du droit. Qu’elle trouve sa place en droit
privé s'explique aisément, qu’elle soit également présente dans des branches mettant en cause
des intérêts publics comme le droit administratif et le droit fiscal, ou encore le droit pénal,
surprend davantage. Il est probable qu’au-delà des spécificités exigées par chaque branche du
droit, toutes ces transactions présentent des caractéristiques fondamentales communes, de
sorte qu’il existerait une notion unique de transaction. Une telle question nécessiterait une
recherche particulière qui ne relève pas de cette étude.
Celle-ci porte plus précisément sur la transaction administrative c’est-à-dire sur la
transaction réglant les litiges qui auraient relevé du juge administratif si les parties avaient
opté pour un règlement juridictionnel. C’est là le critère de qualification retenu par le Conseil
d’Etat dans son avis L’Haÿ-les-Roses du 6 décembre 200273
et repris ensuite par le Tribunal
des conflits74
. Ce faisant, l’avis de 2002 consacre l’existence d’une transaction spécifique
pour le règlement des litiges administratifs (A) qu’il convient d’ores et déjà de distinguer des
transactions fiscale et pénale afin de circonscrire plus encore le champ de cette étude (B).
A. L’existence d’une transaction administrative
Si l’existence d’une transaction réservée au règlement des litiges administratifs et
communément nommée transaction administrative, est aujourd’hui acquise, il n’en a pas
toujours été ainsi. Trois étapes conduisent à l’établissement de la transaction administrative
telle qu’elle existe aujourd'hui. Toutes ont contribué à la façonner, c’est-à-dire à lui conférer
sa spécificité ; toutes ont été déterminantes, à des degrés divers, dans l’élaboration de cet outil
parachevée en 2002 de manière éclatante. Aussi méritent-elles d’être évoquées. La transaction
administrative résulte d’une évolution patiente et fluide. Il y eut d’abord le temps de
l’adaptation discrète pour les litiges des personnes publiques (a), plus tard, dans les années
1990, celui de l’encouragement (b), et enfin la consécration en 2002 (c). A partir de cette
date, il n’est plus question d’une transaction en matière administrative, mais bel et bien d’une
transaction administrative.
72
C. NELISSE, « Le règlement déjudiciarisé : entre la flexibilité technique et la pluralité juridique », préc., p. 271. 73
CE, Avis, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses, RFDA 2003, p. 291, concl. G. Le Chatelier, p. 302, note B. Pacteau, AJDA 2003, p. 280, chron. F. Donnat, D. Casas, Dr. Adm. 2003, n° 44, A. Ménéménis, Dr. Adm. 2003, chron. n° 8, F. Sabiani, CJEG 2003, p. 543, note J. Gourdou, P. Terneyre, JCP Entreprise et Affaires 2003, comm. 107, note F. Linditch, Contrats-marchés publics 2003, p. 31, note G. Eckert. 74
TC, 18 juin 2007, n° 3600, Sté Briançon Bus et M. B. contre Commune de Briançon, Dr. Adm. 2007, comm. 156, note F. Melleray, Contrats-marchés publics 2007, comm. 289, note G. Eckert, JCP G 2007, I, 193, chron. B. Plessix, JCP G 2008, II, 10017, note H. Kenfack. V. plus généralement sur ce point, partie I, titre I, chapitre I, section II, § I, p. 86.
20
a. L’adaptation discrète de la transaction pour les litiges des personnes publiques
Si la transaction est un procédé très ancien, la genèse de la transaction administrative
actuelle remonte au XIXe
siècle. En effet, le titre XV du Code civil, « Des transactions »,
comporte certaines dispositions qui intéressent directement les personnes publiques en leur
reconnaissant le droit de transiger (1). Prenant acte de ce droit, la jurisprudence a apporté très
tôt des adaptations aux règles gouvernant la conclusion des transactions telles qu’elles sont
prévues par le Code civil pour les personnes publiques (2). Toutefois, l’utilisation de cet outil
resta très parcimonieuse (3).
1. La reconnaissance du droit de transiger pour les personnes publiques
L’exaltation de la fraternité et de la concorde qui prévalait dans des discours de
Révolution renouvela la faveur pour la transaction, quitte parfois même à l'idéaliser. On se
rappelle de l’invitation du député Louis Prugnon, à l’Assemblée, en 1790 : « Rendre la justice
n’est que la seconde dette de la société. Empêcher les procès, c’est la première. Il faut que la
société dise aux parties : pour arriver au temple de la Justice, passez par celui de la concorde.
J’espère qu’en passant vous transigerez »75
. Cette bienveillance ne valait toutefois que pour
les litiges des personnes privées. Il en allait tout autrement pour ceux impliquant des
personnes publiques et mettant en cause l’ordre public. On craignait une certaine privatisation
des affaires publiques, propice à des détournements financiers. La transaction était alors
perçue comme un abandon de droits. G. Le Chatelier relève que « plus globalement, c’est le
respect de l’égalité de tous les citoyens devant les charges publiques, posé par l’article 13 de
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui est en cause »76
.
Aussi le recours transactionnel, pour les personnes publiques, fut-il difficilement
admis et encadré par un important formalisme nécessitant autorisation et approbation. Le
décret des 27-31 août 1791 prévoyait, en effet, que « s’il s’agit de transiger, l’Agent du
Trésor Public pourra y être autorisé par les Commissaires de la trésorerie, mais la transaction
n’aura d’effet vis-à-vis de la Nation qu’après approbation du Corps législatif »77
. L’ordre
75
L. PRUGNON s’exprimait ainsi le 7 juillet 1790, lors des débats préparatoires à la loi des 16-24 août 1790, Archives Parlementaires, tome XVI, p. 739. 76
G. LE CHATELIER, « Transaction », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, n° 3. 77
Décret du 31 août 1791 relatif aux fonctions de l’agent du trésor, art. 5. V. Rec. Duvergier, vol. 3, 1824, p. 268.
21
public et les créances de l’Etat étant en cause, la transaction ne pouvait échapper à
l'approbation de la Nation. La réticence des révolutionnaires à l'égard des transactions pour
le règlement des affaires publiques était telle qu’ils l’exclurent d’un certain nombre de
contentieux, à l'instar du contentieux fiscal78
.
Les rédacteurs du Code civil partagèrent cette méfiance. Il faut tout d’abord relever
que ce n’est qu’in extremis que le procédé transactionnel fut introduit dans le Code civil. Il
semble que ses auteurs aient tout bonnement oublié ce mécanisme, ce que les Tribunaux
d’appel et le Tribunal de cassation dénoncèrent lors du discours préparatoire de présentation
du Code civil79
. Les articles 2044 à 2049 qui forment le titre XV consacré à la transaction
furent donc rédigés à la hâte. Aujourd’hui encore ces textes témoignent de certaines
insuffisances80
.
De manière générale, la résolution des litiges des personnes publiques par des modes
dits alternatifs n’allait pas de soi. L’arbitrage fut, par exemple, catégoriquement interdit pour
les personnes publiques. Il n’était pas concevable que celles-ci confient l’issue de leurs
litiges à des arbitres, et ce faisant, « se dérobe[nt] aux juridictions établies »81
. Le principe
demeure aujourd’hui, assorti toutefois d’exceptions. La transaction, en revanche, a été
admise. « […] L’objection aurait pu être faite que les personnes administratives ne peuvent
renoncer à des droits dont l’exercice leur est assigné dans l’intérêt public », mais elle « ne
paraît pas avoir été soulevée », ainsi que le souligne J.-M. Auby82
. Les avantages que
présente la transaction ont pris le pas sur les difficultés d’ordre théorique : « Conformément
à une idée traditionnelle dans le commerce juridique privé, on a considéré qu’il était utile de
permettre aux parties de régler à l’amiable leurs différends et d’éviter ainsi les débats
contentieux qui laissent longtemps en suspens les situations litigieuses »83
.
C’est ainsi que la possibilité de transiger fut reconnue aux personnes publiques par le
Code civil de 1804, du moins pour les communes et les établissements publics. A leur égard,
la reconnaissance était expresse. L’article 2045, dans sa version initiale, c’est-à-dire avant la
78
Loi du 4 germinal an II. En cette dernière matière, le procédé fut finalement autorisé par les ordonnances des 30 janvier et 13 février 1822 et s’y trouve aujourd’hui assez couramment pratiqué. V. R. RAYSSAC, La transaction en matière administrative, thèse Tours, 1999, p. 39 et s. 79
P.-A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, Videcoq, 1836, t. II, p. 743 et s., t.III, pp. 174, 205 et 561. 80
L’existence de concessions réciproques comme élément caractéristique du contrat transactionnel n’a, par exemple, pas été mentionnée dans le Code civil. V. sur ce point, partie I, titre I, chapitre II, section II, § I, A, p. 127. 81
La formule est celle de J. ROMIEU, dans ses conclusions sur l’arrêt CE, 17 mars 1893, Chemin de fer du Nord, de l’Est et autres contre ministre de la guerre, publiées en partie dans S. 1893, III, p. 119. 82
J.-M. AUBY, « La transaction en matière administrative », AJDA 1956, p. 1. 83
Ibid.
22
modification de la loi du 17 mai 201184
, disposait que « les communes et établissement
publics ne peuvent transiger qu’avec l’autorisation expresse du Roi ». Dans sa version
actualisée, l’article 2045 ne fait plus mention que des transactions des établissements publics
de l’Etat qui doivent être autorisées par décret du Premier ministre. C’est qu’avec la
suppression de la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales, a disparu également
l’obligation pour elles de demander une autorisation afin de transiger85
. Dans un avis de
1997, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que la tutelle ayant été supprimée sur les
collectivités territoriales, il n’y avait plus lieu de continuer à appliquer les dispositions de
l’article 204586
. La loi de 2011 n’a fait qu'entériner cet état du droit. Désormais, le droit de
transiger est donc implicitement reconnu aux communes et à leurs établissements publics.
Le Code civil ne fait pas davantage mention des transactions de l’Etat. Aucun texte
n’est jamais venu ni lui reconnaître la faculté de transiger ni la lui dénier. Aussi, la
jurisprudence a-t-elle pallié ce silence. En l’occurrence, elle a déduit de l’ancien article 2045
qu’il n’y avait pas d’opposition de principe au recours à cet outil s’agissant des litiges des
personnes publiques, y compris donc, ceux de l’Etat. Un arrêt de 1887, Evêque de Moulins, a
ainsi reconnu aux ministres, dans leur champ de compétences, le pouvoir de signer les
transactions au nom de l’Etat, avant qu’un avis de 1893, Compagnies des chemins de fer,
indique clairement qu’« aucune disposition de loi ou de règlement n’interdit à l’Etat, la
faculté de transiger […] »87
. De cette façon, il a été considéré que l’Etat était aussi autorisé à
transiger88
.
Cette considération a présidé également à la reconnaissance pour les départements et
régions de ce droit. S’agissant des départements, le silence du Code de 1804 s’explique. En
effet, la Révolution qui a créé les départements dans le cadre d'une importante
réorganisation du pays89
, ne leur a toutefois pas accordé la personnalité juridique. Ils ne
constituaient que « l’instrument majeur de la centralisation à la française en produisant des
84
L. n° 2011-525 du 17 mai 2011, art. 158. 85
Sur la procédure de passation des transactions des collectivités territoriales, v. p. 210 et s. 86
CE, Avis, Sect. Travaux publics, 21 janvier 1997, EDCE 1998, p. 184. 87
CE, 17 mars 1893, Chemin de fer Nord, de l’Est et autres contre ministre de la guerre, préc. 88
Sur la compétence matérielle pour signer les transactions, v. partie I, titre II, chapitre I, section II, § I, B, p. 207 et s. 89
Le principe de la départementalisation est arrêté en 1789, et ses modalités pratiques furent votées par la Constituante en février 1790 et sanctionnées par le Roi en mars 1790. Plus précisément, les départements furent crées par la loi du 22 décembre 1789 relative à la constitution des assemblées administratives. V. S. VERCLYTTE (dir.), La déconcentration en France : histoire et actualité, Paris, La documentation française, 1997.
23
circonscriptions dépourvues de la personnalité juridique […] »90
. C’est plus tard, en 1838
─ par la loi du 10 mai ─, que la personnalité juridique leur a été reconnue, et en 1871, la
faculté de transiger. L’article 46-16° de la loi du 10 août 187191
permet, en effet, aux
départements de transiger, faculté aujourd’hui consacrée par l’article L. 3213-5 du Code
général des collectivités territoriales : « le Conseil départemental statue sur les transactions
concernant les droits du département ». Quant aux régions, elles doivent à la jurisprudence
de pouvoir transiger92
.
Les personnes publiques disposèrent donc très tôt de la capacité de transiger au
même titre que les personnes privées, sans toutefois se voir appliquer les mêmes règles
juridiques.
2. L’élaboration de règles propres aux transactions des personnes publiques
Plus que de dérogation, c’est d’adaptation qu’il s’agit. Hors cas de textes spéciaux,
comme pour la transaction fiscale, la jurisprudence de la fin du XIXe siècle appliquait aux
transactions des personnes publiques les règles prévues par le Code civil. Mais, compte tenu
de leur nature particulière, des intérêts dont elles ont la charge ainsi que des deniers publics
qu’elles manient, des règles spécifiques aux personnes publiques ont été introduites. R. Drago
observait, à cet égard, que « ces règles [gouvernant la conclusion des transactions des
personnes publiques], telles qu’elles ont été formulées par la jurisprudence depuis l’arrêt du
17 mars 1893, Chemin de fer du Nord, consistent à appliquer tels quels les articles 2044 à
2058 du Code civil »93
.
Les dispositions du Code civil s’appliquaient certes aux transactions impliquant au
moins une personne publique, mais s'y ajoutèrent des règles spécifiques. En effet, « bien que
la transaction administrative puisse être considérée comme soumise aux règles du Code civil
et aux principes du droit privé, une simple référence à ces règles et à ces p
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