NOM : GENOTTE
Prénom : Corentin
Matricule : s140284
Filière d’études : Master en Gestion des Ressources Humaines
La non-professionnalisation de la politique passe-t-elle
par une professionnalisation de la gestion des carrières ?
Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de
Master en gestion des ressources humaines, à finalité spécialisée
"Mise en œuvre de la gestion stratégique des ressources humaines"
Promoteur : François PICHAULT
Lecteur : Mélanie DE WINTER
Lecteur : Pierre CASTELAIN
Faculté des Sciences Sociales & HEC
Année académique 2018-2019
1
Remerciements
Avant toutes choses, je tiens à remercier plusieurs personnes sans lesquelles, grâce à leur
soutien, le temps qu’elles y ont consacré et leurs précieux conseils, je n’aurais pas pu prendre autant
de plaisir à l’écriture de ce mémoire.
Tout d’abord, je remercie Monsieur Pichault, mon promoteur. Par ses conseils, son
accompagnement, j’ai pu comprendre la complexité et l’enjeu des sciences sociales.
Ensuite, je souhaite remercier Madame De Winter, lectrice, qui depuis mon stage, a montré une
grande disponibilité. Grâce à elle, j’ai su prendre du recul en particulier au moment de choisir le
thème de ce mémoire.
De plus, je souhaite remercier Monsieur Castelain, lecteur, avec qui j’ai eu la chance de
découvrir d’autres facettes du monde que ce soit au niveau de la sociologie ou d’Ecolo.
Je tiens aussi à remercier toutes les personnes qui ont accepté de partager une partie de leur
vie avec moi. Sans eux, ce travail n’aurait pas de sens.
Je tiens également à souligner la coopération du parti politique Ecolo et ainsi que celle des
organismes rattachés tels qu’Etopia et l’Académie Verte.
Maman, Papa, Marraine, Parrain, Marie, Simon, à plus d’une reprise, je vous ai sollicités pour
mes travaux universitaires d’un point de vue moral et effectif. Merci pour votre aide qui m’a permis
d’atteindre la fin de mes études.
2
Résumé
Dans le contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, dont Ecolo en est
le parfait exemple, nous nous sommes posé la question de recherche suivante : « Dans un
contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, comment les députés
écologistes gèrent-ils leur carrière professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? ».
Pour répondre à cette question, nous avons réalisé 19 entretiens que nous avons analysés à
l’aune du cadre théorique des scripts de carrière. Ces résultats nous ont permis de construire
une typologie de laquelle ressort deux types d’itinéraires et quatre scripts de carrière. Cette
recherche tend à montrer l’influence de la gestion des carrières des parlementaires (ou de
son absence) sur le déficit de représentativité et de renouvellement des assemblées
législatives.
Abstract
In the current environment of limited number of mandates and non-plurality, Ecolo being
a perfect example of this, we tried to figure out the answer to the following research
question: “In the current environment of limited number of mandates and non-plurality,
how do Ecologists deputies manage their professional careers during the period of their
mandate? » To answer this question we have conducted 19 interviews that we have
analyzed in the light of the theoretical framework of career scripts. The results have enabled
us to construct a typology showing two different paths and four career scripts. This research
tends to show the influence on parliamentarians' career management (or non-management)
concerning lack of representativeness or renewal of legislatives assemblies.
3
Table des matières INTRODUCTION ................................................................................................................................. 5 PREMIERE PARTIE : MISE EN CONTEXTE ................................................................................ 7
Section 1 - La Belgique, une démocratie représentative multiniveaux ........................................... 7
Section 2 - Le terrain de recherche .................................................................................................. 9
Section 3 - La politique est-elle professionnelle ? ......................................................................... 10
DEUXIEME PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE ................................................................... 12
Chapitre Premier : La carrière ...................................................................................................... 12
Section 1 - Le concept de carrière ................................................................................................. 12
Section 2 - Carrière ou trajectoire professionnelle, une sémantique équivoque ? ......................... 13
Section 3 - L’approche traditionnelle des carrières ....................................................................... 15
Section 4 - L’évolution du modèle traditionnel ............................................................................. 16
Section 5 - Carrière nomade ou carrière traditionnelle ? ............................................................... 18
Chapitre II : Les étapes de la carrière ........................................................................................... 20
Chapitre III : Les grandes pratiques autour de la gestion de la carrière .................................. 22
Chapitre IV : Le cadre analytique, les scripts de carrière ........................................................... 23
Section 1 - L’agence et la structure comme socle de base ............................................................ 23
Section 2 - Les scripts de carrière.................................................................................................. 25
Section 3 - Critiques du concept .................................................................................................... 28
TROISIEME PARTIE : METHODOLOGIE .................................................................................. 29
Chapitre Premier : Le cheminement vers la problématique ....................................................... 29
Section 1 - L’évolution de la réflexion .......................................................................................... 29
Section 2 - Une démarche qualitative et inductive ........................................................................ 31
Section 3 - Une double rupture épistémologique .......................................................................... 32
Chapitre II : Méthode de recueil des données .............................................................................. 32
Section 1 - Les personnes interviewées ......................................................................................... 32
Section 2 - La conduite des entretiens ........................................................................................... 35
Section 3 - Analyse des entretiens ................................................................................................. 36
Section 4 - L’analyse documentaire et l’observation .................................................................... 36
Chapitre III : Un cadre analytique, des objectifs et des limites .................................................. 36
Section 1 - Le choix du cadre analytique ...................................................................................... 36
Section 2 - Les objectifs de la recherche ....................................................................................... 37
Section 3 - Les limites de la démarche .......................................................................................... 37
QUATRIEME PARTIE : MISE A PLAT DES DONNEES ............................................................ 39
Chapitre Premier : La représentation de la carrière .................................................................. 39
4
Section 1 - Une vision court-termiste ............................................................................................ 39
Section 2 - La politique et la carrière : une relation incertaine et ambiguë ................................... 40
Chapitre III : L’influence du parti sur les représentations ......................................................... 46
Section 1 - Un parti avec de nombreuses règles ............................................................................ 46
Section 2 - Les dispositifs mis en place ......................................................................................... 49
Chapitre IV : Les caractéristiques et tactiques individuelles ...................................................... 51
Section 1 - L’âge ........................................................................................................................... 51
Section 2 - L’étiquette ................................................................................................................... 52
Section 3 - Le capital social et le capital humain .......................................................................... 53
CINQUIEME PARTIE : ANALYSE ET DISCUSSION ................................................................. 56
Chapitre Premier : Quelle approche des (ex) députés écologistes face à la carrière ? .............. 56
Section 1 - Une conjoncture économique et politique propre à la carrière nomade ...................... 56
Chapitre II : Les scripts de carrière .............................................................................................. 57
Section 1 - Dimension comportementale des scripts ..................................................................... 57
Section 2 - Dimension cognitive des scripts .................................................................................. 60
Section 3 - Un environnement faible ............................................................................................. 62
Section 4 - L’influence du script sur l’orientation de l’action individuelle ................................... 64
Chapitre III : Discussion, recommandations et recherches futures............................................ 66
Section 1 - Une analyse qui pose question .................................................................................... 66
Section 2 - Des perspectives de réponses ...................................................................................... 67
Section 3 - Une recherche partielle ............................................................................................... 68
CONCLUSION .................................................................................................................................... 71 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 73 LISTE DES ILLUSTRATIONS ......................................................................................................... 77
Section 1 - Les figures ................................................................................................................... 77
Section 2 - Les tableaux ................................................................................................................ 77
Annexes ................................................................................................................................................ 78
5
INTRODUCTION
« Je crois qu’il y a une professionnalisation de la vie politique dans tous les pays du monde.
Est-ce que ça entraîne un déficit démocratique ? Je ne sais pas, je n’ai pas assez réfléchi à ces
questions-là. Mais il y a un monde qui tourne un peu sur lui-même ».
Christine Lagarde, ex-ministre et directrice du FMI, à propos de son expérience de Ministre des
Finances de 2007 à 20121.
« La durabilité restreinte à un impact sur le recrutement des députés […] Quand vous avez une
rotation rapide, quand une personne ne reste élue qu’une ou deux fois, on a tendance à s’auto-
protéger parce que c’est un risque […] La politique est un métier ‘risqué’. Si maintenant vous le
‘dé-risquez’ […] Vous arrivez à un grand danger de corporatisme potentiel »
Herman De Croo, ex-ministre et député depuis 51 ans2.
A travers les médias, nombreuses sont les critiques portant sur les avantages des politiciens
lorsque leur carrière « politique » s’arrête (Baudu, 2009). Pas plus tard qu’en juin dernier, la RTBF titrait
« Indemnités de sortie et salaire des députés : des montants trop élevés 3? ». Pourtant deux mois plus
tard, en août, le journal la Libre Belgique écrivait à la Une de son éditorial « Retrouver un emploi après
une carrière politique, compliqué ? ‘Politique sur le CV, ça met mal à l’aise’4 ». N’y aurait-il pas une
pièce à double face concernant la carrière des députés ? En réalité, la critique est plus globale. Déjà en
1989, Touraine soulignait la crise de représentativité5 dans nos démocraties. Ainsi, il existerait « un
déficit de représentativité » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014). D’autres
auteurs mettent en avant la méconnaissance du statut de mandataire politique (Michon & Ollion 2018).
Investi dans le parti politique Ecolo, nous avons observé des pratiques visant à éviter le
phénomène « du monde qui tourne sur lui-même » : la limitation des mandats dans le temps et le principe
du décumul. Si l’objectif est louable et annoncé, est-il pour autant efficace et respecté ? N’y a-t-il pas
des conséquences latentes sur les trajectoires professionnelles des députés écologistes ?
C’est dans ce cadre que nous nous sommes posé la question de recherche suivante : « Dans un
contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, comment les députés écologistes
gèrent-ils leur carrière professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? » Pour y répondre, nous
1 Entretien télévisé dans 13 h 15 le Dimanche, France 2, 13 septembre 2015. 2 L’invité de Matin Première : Herman De Croo, mardi 18 juin à 7 h 45. 3 Camille Toussaint, 18 juin 2019, Indemnités de sortie et salaire des députés : des montants trop élevés ?
consultable sur : https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-
salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591 4 Adrien de Marneffe, le 5 août 2019, Retrouver un emploi après une carrière politique, compliqué ? « Politique
sur le CV, ça met mal à l’aise », consultable sur : https://www.lalibre.be/belgique/societe/retrouver-un-emploi-
apres-une-carriere-en-politique-complique-politique-sur-le-cv-ca-met-l-employeur-mal-a-l-aise-
5d47babe9978e254e24e6141 5 Les concepts de « représentativité » ou de « démocratie » sont des termes polysémiques. A ce titre, il est
complexe de les définir. Pour bien cerner les enjeux inhérents, nous renvoyons vers l’ouvrage de Bernard Manin
publié chez Flammarion en 2012 : « Principes du gouvernement représentatif ».
6
utilisons une méthode inductive et qualitative. Ainsi, nous avons interviewé 16 (ex) députés écologistes.
Notre question a une double intention. Tout d’abord, nous voulons analyser les carrières politiques dans
leur ensemble et ainsi prendre du recul sur les critiques actuelles portées sur cette profession. Nous
voulons également comprendre comment les députés se représentent et organisent leur carrière dans ce
contexte particulier. Pour atteindre cet objectif, nous nous baserons sur le cadre analytique de Barley et
Tolbert (1997) : les scripts de carrière.
Pour rendre la lecture intelligible, le travail est structuré en plusieurs parties. Contextualiser
notre recherche dans un premier temps. Ensuite, nous faisons l’état de l’art de la littérature. En troisième
lieu, nous expliquons et justifions nos choix méthodologiques. Puis, dans une quatrième partie, notre
objet de recherche est décrit à travers la mise à plat des données. Enfin, la cinquième et dernière partie
du travail vise à analyser notre objet d’étude et à le mettre en perspective face à l’enjeu sociétal :
transition professionnelle et démocratie représentative sont-elles inter-reliées ? Et avant d’évoquer cette
question, nous tenterons de décrire les conditions de carrière, parfois très différentes, des mandataires
politiques et des actions qui en découlent.
Avant de commencer et afin d’être tout à fait clair vis-à-vis du lecteur de cette recherche, nous
désirons préciser notre relation avec le parti politique Ecolo. En effet nous disposons d’une carte de
membre et avons une proximité idéologique avec notre terrain de recherche. D’autre part, nous nous
sommes présenté aux élections pour le parlement wallon en 2019 impliquant une ambition
professionnelle en lien avec notre objet d’étude.
7
PREMIERE PARTIE : MISE EN CONTEXTE
La carrière des parlementaires écolos s’intègre dans des contextes spécifiques et à plusieurs
niveaux que nous allons décrire : le mode d’organisation du système politique belge, le parti politique
Ecolo, la professionnalisation de la politique.
Section 1 - La Belgique, une démocratie représentative multiniveaux
Depuis sa naissance, la Belgique connaît un régime parlementaire (Reuchamps dans Dandoy,
Matagne, & Van Wynsberghe, 2013 : 29). Les parlementaires sont responsables du pouvoir législatif et
siègent dans des assemblées législatives pour une durée de cinq ans. La particularité du système belge
est la répartition multiniveaux de ses assemblées. Il en existe sept : le Parlement fédéral (qui se compose
de la Chambre des représentants et du Sénat), le Parlement flamand, le Parlement wallon, le Parlement
de la Région Bruxelles-Capital, le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement européen
(Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013 : 112). Ce pluralisme des parlements rend la carrière des
parlementaires dynamique et augmente les opportunités6 professionnelles, qui sont devenues moins
ascendantes suite aux différentes réformes de l’Etat (Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013). D’ailleurs,
Dodeigne (2013) met en avant la forte proportion de mouvements inter-niveaux entre les parlements en
Wallonie, ce qu’il qualifie de carrière intégrée : « trajectoire politique caractérisée par l’absence de
frontière entre parlements » (Dodeigne, 2013 : 4). Dans la même veine, Pilet & Fiers (dans Dandoy et
al., 2013) désignent ce comportement de « level-hoping ». Dans cet environnement, la stratégie serait :
« une volonté de se maintenir au pouvoir quel que soit le lieu » (Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013 :
130). De plus, depuis les années 90, le comportement électoral des citoyens belges est devenu plus
volatil (Manin, 2012 ; Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013). En conséquence, les assemblées font face
à l’arrivée massive de nouveaux entrants en politique (avec comme caractéristique le fait qu’ils soient
de plus en plus jeunes) combinée à un taux de réélection de plus en plus faible (Michon & Ollion, 2018 ;
Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013).
Le système électoral belge fonctionne selon le principe du scrutin proportionnel (selon la clé
d’Hondt7). Les candidats députés se présentent aux élections au sein d’une circonscription électorale.
Toutefois, en fonction de leur poids démographique, les circonscriptions envoient un nombre variable
de représentants (Dandoy et al., 2013). Des listes électorales sont constituées dans chaque
circonscription. Pour être élu, les candidats doivent disposer d’un nombre suffisant de voix. Ce nombre
de voix dépend du choix de l’électeur qui peut voter soit en « case de tête » ou émettre un vote « de
6 Le nombre de mandats parlementaires est passé de 407 en 1978 à 558 en 2005 (Pilet & Fiers dans Dandoy et
al., 2013, p.130). Ajoutons également que le jeu politique est plus ouvert que par le passé suite au décret spécial
wallon limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon (Grandjean, 2015 : 5). 7 « Cette clé d’attribution des sièges dans le cadre d’un système proportionnel repose sur une répartition de la
plus forte moyenne » (Reuchamps dans Dandoy, Matagne, & Van Wynsberghe, 2013 : 40).
8
préférence ». Ces deux types de votes s’additionnent pour atteindre le coefficient électoral selon le
principe de la dévolution de la « case de tête », ce qui va octroyer le siège au candidat (Delwit & van
Haute, 2003). L’ordre de la liste joue ainsi un rôle primordial pour déterminer qui obtiendra un mandat
politique.
En Belgique, les listes sont constituées par les partis politiques8 qui sont des acteurs majeurs du
système politique belge (Dandoy et al., 2013). Hermet (2015) les définit comme : « Des organisations
durables dont les membres se rassemblent au regard de projets politiques partagés, de valeurs
communes, ou encore d’alliances d’intérêts. Dans le cadre de la démocratie représentative, ils ont
normalement pour objectif la conquête du pouvoir ou, au moins, l’accès à celui-ci par des voies
constitutionnelles régulières et, spécialement, par le truchement des élections » (Hermet, 2010 : 2015).
Au triple scrutin électoral de mai 2019, 18 partis disposaient d’élus parlementaires en Belgique9.
Tableau 1 : Listes du nombre de députés par niveau de pouvoir et par parti10
Toutefois, si les partis politiques jouent un rôle prépondérant, ce ne sont pas des acteurs
autonomes puisque d’autres organisations sont présentes dans le système politique belge.
Historiquement, la Belgique est organisée sous forme de piliers (le pilier chrétien, le pilier socialiste, le
pilier libéral), qui constituent des ensembles plus grands (Delwit, 2018 ; Faniel & Vandaele, 2011).
Vrancken (2014) définit le phénomène de pilarisation de la société comme : « conglomérats verticaux
regroupant partis politiques, syndicats, mutuelles, sociétés coopératives, réseaux d’enseignements,
organisations de l’éducation permanente, de santé, de loisir, de presse, etc. au sein de grandes familles
au départ idéologiques » (Vrancken, 2014 : 19). Ces piliers créent des « mondes » sur lesquels ils vont
avoir une influence sociologique et idéologique importante (Faniel & Vandaele, 2011).
8 Notons qu’au sein du parti politique Ecolo, ce sont des comités de liste qui soumettent une liste de candidats
aux militants d’Ecolo dans chaque circonscription électorale. Un vote est organisé pour accepter ou refuser la
liste. Dans le cas d’un refus, chaque candidat se présente devant les militants et un nouveau vote est proposé
pour chaque place de la liste. 9 Election 2019, 1 juillet 2019, consultable sur : https://elections2019.belgium.be/fr. 10Ce tableau comprend les élus directs. Les sénateurs et certains membres des communautés n’y sont pas
présents. Le Sénat est composé de cinquante élus indirects et dix cooptés. La communauté française recouvre 94
membres (issu des entités du parlement wallon et du parlement bruxellois).
Parlemant flamand Parlemenant wallon Parlement germanophone Parlement bruxellois Parlement fédéral Parlement européen Total par parti
N-VA 35 3 25 3 66
VLAAMS BELANG 23 1 18 3 45
CD&V 19 1 12 2 34
Open Vld 16 3 12 2 33
sp.a 12 9 1 22
GROEN 14 4 8 1 27
PTB*PVDA 4 10 11 13 1 39
ECOLO 12 3 15 12 2 44
PS 23 4 17 20 2 66
MR 20 3 13 14 2 52
CDH 10 6 5 2 23
VIVANT 3 3
ProDG 6 6
CSP 6 6
DEFI 10 2 12
one.brussels-sp.a 1 3 4
DierAnmial 1 1
Agora 1 1
Total par parlement 124 75 25 89 150 21 484
9
Section 2 - Le terrain de recherche
« ECOLO lutte de façon permanente pour une démocratie réelle et participative » (Art.2 des statuts)
Ecolo est un parti politique belge francophone et germanophone créé en 198011. Le parti s’ancre
autour de plusieurs valeurs fondamentales comme l’écologie, la justice sociale et la démocratie. En
2018, l’organisation employait 68 ETP (équivalent temps plein) répartis sur 95 travailleurs12. A la suite
des élections de mai 2019, Ecolo est devenu la 3e force politique en Wallonie et la deuxième à Bruxelles.
Ses résultats électoraux se traduisent par la présence de 46 parlementaires13 dans les différentes
assemblées. Ces résultats sont en nette progression par rapport aux dernières élections, visibles sur le
graphique ci-dessous.
Figure 1 : Évolution des résultats électoraux d’Ecolo en Wallonie depuis 198114
Dans ses statuts, Ecolo montre la priorité qu’il accorde au caractère représentatif de la démocratie.
A cette fin, le parti met en place des normes internes contraignantes pour ses mandataires. C’est
pourquoi, il est interdit d’exercer plus de deux mandats dans le temps15 ou de cumuler des mandats16,
sauf dérogation. Pour donner un ordre de grandeur, les députés écologistes restent en fonction en
moyenne sept ans17. Avant de s’engager avec le parti, le député ou le parlementaire18 signe un contrat
de réciprocité par lequel il s’engage entre autre à exercer son mandat à temps plein, à exclure toute autre
activité rémunérée et à rétrocéder une partie de sa rémunération19. Plusieurs instances internes sont en
11 « Manifeste politique d’Ecolo » (2013). 12 Cette donnée doit probablement être revue à la hausse suite au score électoral du parti en 2019. 13 Nous avons réalisé le calcul sur base de la présentation des élus par le parti (nous avons pris en compte
l’ensemble des députés, il faut ajouter au graphique sur les partis les sénateurs et membres des communautés),
Ecolo, 7 juillet 2019, consultable sur : https://ecolo.be/elu-e-s/ 14 Consultable sur : https://twitter.com/PDelwit/status/1139425194471239680/photo/1 15 Art.137 des statuts d’Ecolo. 16 Art. 138 des statuts d’Ecolo. 17 Estimation réalisée par le parti politique Ecolo. Ces informations nous ont été dispensées pendant l’Académie
Verte. 18 Dans ce mémoire, nous utilisons comme synonyme le mot parlementaire et le mot député, car ils désignent
tous deux un membre élu au sein d’une assemblée législative à la suite d’une élection (Le Petit Robert, 2015). 19 Le niveau de rétrocession dépend de plusieurs facteurs comme les fonctions exercées ou l’ancienneté.
Généralement, elle s’élève aux alentours de 40 % de la rémunération brut mensuelle.
10
charges d’amender les règles touchant aux carrières des parlementaires dont le Comité d’Arbitrage20, le
Comité des Mandats21, le Comité de Déontologie et d’Ethique22, le Bureau Politique23, l’Assemblée
Générale24 et le Conseil de Fédération25.
Section 3 - La politique est-elle professionnelle ?
Gaxie (2001) ouvre le débat du caractère légitime ou non d’un politique professionnel : « Un
univers politique non professionnalisé est-il imaginable et souhaitable ? Faut-il chercher à limiter la
professionnalisation ? […] Faut-il, par exemple, chercher à élargir le débat sur le cumul des mandats en
réclamant la limitation des mandats dans le temps et la non-rééligibilité de ceux qui ont déjà été investis
d’un mandat électoral ? » (Gaxie, 2001 : 4). Il y aurait, selon Gaxie (2015), un double phénomène de
professionnalisation en politique. D’une part, l’exercice d’un mandat rémunéré à temps plein et d’autre
part : « une forme particulière d’organisation des métiers » (Gaxie, 2001 : 23).
Au 19e siècle, la politique n’était pas professionnelle, elle était exercée par des bourgeois ou des
nobles de manière bénévole (Michon & Ollion, 2018; Offerlé, 2016). Elle l’est devenue à la suite de la
démocratisation de la société26 et à la mise en place des indemnités, ce qui a permis l’accès au pouvoir
des personnes moins fortunées (Michon & Ollion, 2018). Ainsi, la qualification de professionnel est liée
au fait d’avoir une position rémunérée en politique, mais aussi à l’augmentation du nombre de personnes
présentent dans ce champ (Michon & Ollion, 2018). D’ailleurs, Michon & Ollion (2018) précisent que,
si souvent les députés sont qualifiés sur cette base, peu de personnes connaissent la situation financière
réelle des élus. Selon eux, certains politiques sont dans une situation professionnelle précaire (en
particulier ceux ayant dû mettre entre parenthèses leur activité professionnelle). Ces auteurs vont plus
loin que la définition rémunératrice, ils ajoutent qu’il est également possible de se baser sur leurs
parcours (un individu salarié dans le domaine politique depuis longtemps27) ou de ses compétences (par
son expertise et ses savoirs) (Michon & Ollion, 2018).
Gaxie (2001), par organisation particulière des métiers, on entend la spécialisation des activités
politiques périphériques. Si, auparavant, les tâches étaient réalisées par les militants ou les hommes
politiques eux-mêmes, les partis politiques s’entourent désormais de spécialistes, qu’il s’agisse de
20 Le Comité d’Arbitrage est compétent pour, se fondant sur les statuts, les règles internes d’Ecolo et les
principes généraux du droit (Art.75 des statuts). 21 Information obtenue lors de l’Académie Verte. 22 Le Comité de Déontologie et d’Ethique a pour missions d'aider le parti à définir les règles déontologiques et
d’éthique applicables aux personnes s'investissant en politique […] en ce compris les conflits d'intérêts, les
incompatibilités et les cumuls (Art. 96 des statuts). 23 Le Bureau politique est en charge de l'articulation de l'action des mandataires politiques d'Ecolo et de
l’ensemble du parti (Art.73 des statuts). 24 L’Assemblée générale est en charge de désigner les candidats pour les listes électorales (Art.19 des statuts). 25 Le Conseil de Fédération peut déroger aux interdictions (l’interdiction du cumul des mandats et la limitation
des mandats dans le temps) qui précèdent par une décision motivée aux deux tiers des voix (Art.143 des statuts). 26 Notamment avec l’avènement du suffrage universel 27 Cette définition vise les individus n’ayant eu aucune expérience professionnelle en dehors du champ politique.
11
« média trainer » ou d’entreprises de communication (Gaxie, 2001; Manin, 2012). Il en va de même
pour les journalistes qui ne sont plus des proches du parti, mais des travailleurs rattachés à des entreprises
avec des objectifs propres.
Pour Gaxie (2001), cette division du travail, en plus d’augmenter la concurrence politique,
provoque une crise de la représentativité des démocraties. Selon lui, la division du travail a construit une
séparation entre le politique et le citoyen, car l’élu ne percevrait plus que son propre monde professionnel
basé sur des intérêts particuliers. Offerlé (2016) quant à lui précise : « les réseaux partisans, enracinant
le parti, ont eu tendance à se déliter, entraînant une fermeture du champ politique sur lui-même, malgré
les discours récurrents qui enjoignent à la participation citoyenne » (Offerlé, 2016 : 116). Il convient
également de souligner que si ce métier peut être considéré comme professionnel, ni les citoyens et ni
les élus eux-mêmes ne le revendiquent comme tel (Michon & Ollion, 2018; Offerlé, 2016).
12
DEUXIEME PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE
Ce chapitre vise à présenter les différents courants, théories et concepts mobilisés dans ce travail.
Dans un premier temps, nous clarifions le concept de carrière et ses évolutions théoriques. Ensuite, nous
abordons la théorie des étapes de la carrière ainsi que ses modes de gestion. Pour terminer, nous
présentons le cadre analytique retenu pour analyser les données récoltées dans le cadre de notre
recherche : les scripts de carrière.
CHAPITRE PREMIER : La carrière
Section 1 - Le concept de carrière
Le concept de carrière est large et peut se définir de différentes manières tant les théories abondent
sur le sujet. Il fût développé dans de nombreux domaines (Szucs, Gunz, & Baruch, 2015). Par souci de
clarté et pour pouvoir généraliser le concept, nous nous baserons sur la définition suivante : « une
succession de séquences d’expériences de travail que vit une personne au cours du temps » (Arthur,
1989, cité par Dejoux & Wechtler, 2012 : 52). À travers cette définition, nous observons la notion de
« séquences » (Hughes, 1937). Ce sont ces parties de la carrière qui vont nous intéresser, car elles
présentent les expériences professionnelles comme étant fragmentées, d’une durée définie, et sortant du
champ propre à une organisation (Cadin, 2012). Il découle également de ces séquences, une
compréhension supplémentaire de la carrière liée à l’influence de ces étapes sur les suivantes (Arthur,
Inkson & Pringle 1999). En effet, comme le soulignent Fabre, Turnau, & Ventolini (2012), aujourd’hui,
les carrières sont rarement linéaires et uniformes au sein d’une même société à cause du contexte socio-
économique instable. Dany (dans Allouche et al., 2012) quant à lui parle d’incertitude des trajectoires
professionnelles. Les individus sont, dorénavant, responsables de la construction de leur carrière, car
les entreprises ne sont plus en capacité de le faire pour eux (Fabre et al., 2012). Cependant, cette
conception n’a pas toujours été d’actualité. Avant l’apparition du contexte socio-économique instable
que l’on connaît aujourd’hui, la notion de carrière était caractérisée par une stabilité qui était de mise,
car conçue selon le prisme d’une entreprise. En réalité, c’est l’évolution des contextes à travers le temps
qui est venue partiellement redéfinir les contours de la notion même de la carrière.
À ses débuts, la carrière ne concerne pas l’ensemble des travailleurs (Dany dans Allouche et al.,
2012). Une distinction nette est faite en effet entre ouvriers, employés et cadres (ou hauts potentiels).
Notons que la majorité des études portant sur les carrières restent centrées sur les cadres. Seule
l’évolution verticale pouvait être prise en compte, ce qui n’est plus le cas. Actuellement, la notion s’est
complexifiée car elle touche toutes les personnes aptes au travail : « l’idée de carrière n’exclut plus celle
de la précarité, ni de parcours atypiques tels que ceux alternant par exemple les périodes d’emploi avec
d’autres activités […] la gestion des carrières intéresse un grand nombre d’individus » (Dany dans
Allouche et al., 2012 : 144). D’ailleurs, des modes alternatifs à la mobilité verticale (synonyme de
13
progression) existent : la mobilité environnementale (synonyme de mutation) ou la mobilité horizontale
(synonyme de fonctionnelle) (Cadin, 2012 : 520). De surcroît, comme l’explique Dany (dans Allouche
et al, 2012) faire carrière ne peut pas être ascendant dans tous les professions. Certains, comme les
médecins ou les avocats, évoluent au sein même de leur métier. Toutefois, même si du point de vue
hiérarchique, elle présente certaines vertus, la mobilité représente d’importants défis, notamment en tant
que variable d’ajustement. Nombreux sont les travailleurs et les entreprises qui l’appréhendent et se
questionnent sur leurs capacités à réussir ce type de changement. Généralement, les individus prennent
en compte plusieurs éléments dans leurs choix : les procédures de gestion, les normes et valeurs
véhiculées par l’entreprise, les contraintes techniques (transfert des compétences, structure de
l’entreprise28), les contraintes économiques (ressources financières de l’entreprise et de l’individu)
(Cadin, 2012). Une analyse en terme de coût-bénéfice sera ainsi effectuée par l’entreprise et l’individu
pour déterminer la faisabilité et la pertinence d’une mobilité (Cadin, 2012).
Au fil du temps et des contingences économiques, de nouveaux mots sont venus connoter le
concept de carrière : employabilité, nomadisme, flexibilité (Floquet, 2012 ; Dany dans Allouche et al.,
2012). Désormais, la carrière est conçue comme un modèle intégrant à la fois le rôle de l’organisation
et de l’individu en tant que phénomène co-construit. Ce double aspect a mené vers une évolution
engendrant deux grands courants : les carrières organisationnelles et les carrières nomades (Cadin,
2012). Certains auteurs vont plus loin que l’intégration de cette apparente dichotomie, ajoutant
l’influence de contextes multiples pour conceptualiser la carrière (Cappellen & Janssens, 2010).
D’autres auteurs encore ont permis des avancées majeures dans ce domaine. S’il n’est pas possible de
débattre sur toutes, nous partagerons avec vous une approche des différentes étapes d’une carrière ainsi
que certains outils pour la gérer.
Section 2 - Carrière ou trajectoire professionnelle, une sémantique équivoque ?
« The necessity of identifying the boundaries of a word's usage seems especially critical in a case
like career where the same term may denote something quite different to members of different
theoretical communities who appear, at first glance, to speak much the same language » (Barley,
1989 : 47).
À plusieurs reprises, nous utilisons les synonymes « trajectoire professionnelle » et « parcours
professionnel » pour remplacer le concept de carrière dans le cadre de cette recherche. Cette similarité
et utilisation équivoque est-elle justifiée pour autant ? Ces concepts ont-ils vraiment une signification
semblable parfaite ?
Guerrero, Cerdin, & Roger (2004) à la première page de leur livre reviennent déjà sur ce débat.
Ils affirment que de nombreux auteurs préfèrent la signification de « parcours professionnel » ou
28 Par exemple, une entreprise de petite taille pourra proposer des perspectives de mobilités plus restreintes
qu’une entreprise de grande taille.
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« parcours de vie » à celle de carrière. Ils rappellent que la dénomination « carrière » reste fortement
implantée dans le sens commun et donc utile. Pour eux, la notion de carrière est vue de deux manières.
D’une part, une vision stricte qui s’arrête aux organisations et d’autre part, une vision plus large
englobant le contexte dans lequel elle se trouve. Il n’y a pas de consensus pour déterminer une
notion claire : « selon le contexte économique et culturel, selon le type de contrat de travail ou la
profession des salariés, les conceptions de ce que représente la carrière sont très différentes » (Guerrero
et al., 2004 : 1). Ainsi, sous une même dénomination, le concept reflète une grande variété de
significations. Et ce, bien que certains auteurs l’utilisent systématiquement de manière restrictive sous
l’angle de la relation salariale (Guerrero et al., 2004). Au même titre que le dictionnaire « Le Petit
Robert » (2015) qui fait référence aux « cadres » lorsqu’il explique la définition du mot carrière.
De notre point de vue, il est possible d’étendre cette conception à d’autres populations sans pour
autant perdre en pertinence sémantique. En effet, pour revenir aux propos de Dany (dans Allouche et
al., 2012), la carrière touche l’ensemble des individus. Ce parti pris nous paraît d’autant plus pertinent
au regard des nouvelles études portant sur les travailleurs atypiques. Bien que titulaires d’un contrat
d’indépendant, ils restent fortement influencés par l’organisation au niveau de leur carrière (Cicmil,
Lindgren, & Packendorff, 2016).
Pour plus de clarté, nous préférons donc utiliser les termes de trajectoire professionnelle, parcours
professionnel ou career path en anglais à celui de carrière (Garewal, 2019). Car à notre sens, ils
répondent à la problématique qui vient d’être soulevée ci-avant. En effet, comme l'énoncent Levené &
Bros (2011) parcours et trajectoire peuvent être considérés comme des synonymes. Levené & Bros
(2011) définissent le terme trajectoire, sur base de la physique et la complète par l’angle sociologique :
« La trajectoire, dans son acception balistique – […] une courbe décrite par le centre de gravité d’un
mobile – est précise, elle peut se prévoir. Impulsion et force de gravité donnent à ce terme une
connotation dynamique et en même temps ‘déterminée’ au sens où des variables connues lui confèrent
une force prédictive […], mais la trajectoire peut aussi être déviée par des obstacles à l’origine de
‘bifurcations’ biographiques » (Levené & Bros, 2011 : 90). Cette conception est utile, elle permet de
conserver une forme déterministe de la carrière sans pour autant remettre en cause les capacités de
l’action individuelle (telles que les opportunités professionnelles). De plus, cette appellation va au-delà
de la relation salariale. De cette façon, il est possible de considérer toutes les formes d’emploi. L’adjectif
professionnel se définit, quant à lui, de la manière suivante : « relatif à la profession ou à un métier »
(Le Petit Robert, 2015). Nous entendons donc nous séparer de la conception du sens commun qui intègre
essentiellement une relation salariale au concept de carrière et nous lui préférons la signification de
trajectoire professionnelle bien plus inclusive. Career paths, parcours professionnel et trajectoire
professionnelle sont davantage révélateurs de diversité (Garewal, 2019).
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Cependant, afin de faciliter l’intelligibilité pour le lecteur par la suite, nous utilisons de manière
univoque le mot carrière au sens trajectoire professionnelle dont le sens nous semble plus approprié.
Section 3 - L’approche traditionnelle des carrières
Le concept de carrière est apparu au début des Trente Glorieuses. La manière dont elle sera pensée
correspondra au contexte économique de cette période qui prendra fin dans les années 90, c’est-à-dire
comme stable, linéaire et ascendante où les individus montent les échelons organisationnels jusqu’à la
retraite (Szucs et al., 2015). Les individus voient la carrière de manière planifiée, longue, où la loyauté
est valorisée (Arthur et al., 1999). Cette conception de la carrière est appelée par les auteurs : « carrière
organisationnelle » ou « carrière traditionnelle » (Clarke, 2013 ; Guan, Arthur, Khapova, Hall, & Lord,
2019). Pour illustrer cette approche, Dahan & Dufour (2012) utilisent la métaphore de l’escalier et de
la flèche, qui représente une trajectoire montante et constante au sein d’une organisation. Dans cette
perspective, les carrières traditionnelles sont vues comme verticales au sein d’une seule organisation, ne
contenant parfois qu’une seule fonction au cours de leur existence (Van der Horst & Klehe, 2019). Elles
offrent stabilité et sécurité aux individus qui travaillent dans ce type d’organisation (Tomlinson, Baird,
Berg, & Cooper, 2018). L’entreprise idéale est grande, stable, organisée de manière pyramidale et
l’employé loyal, conformiste, cherchant à « monter » dans l’entreprise (Arthur et al., 1999).
La carrière est donc fondamentalement intra-organisationnelle, donnant une place majeure à
l’organisation (Garbe, 2015). Ainsi, un contrat psychologique sous-tend la relation entre l’individu et
son organisation, où l’un troque sa fidélité à l’organisation contre une promesse de sécurité, de
motivation et d’opportunités professionnelles, créant de ce fait une certaine dépendance (Hall & Lerner,
1980 ; Tomlinson et al., 2018).
Dahan & Dufour (2012) ajoutent qu’elle se caractérise par des jeux de conformité, à l’image d’une
clé qui ne correspond qu’à un barillet, permettant d’ouvrir la porte du succès de la carrière. Par
conformité, il faut entendre selon Falcoz, (2001) : « un ensemble de prescriptions relatives aux
comportements, parce que la carrière est aussi un moyen de sélectionner les individus les plus conformes
aux valeurs culturelles, aux normes et au style de management en vigueur dans une organisation
donnée » (Falcoz, 2001 : 5). Dans ce modèle traditionnel, l’enjeu est de monter les échelons le plus
rapidement possible, avec des étapes clés à franchir. Ainsi, la carrière est vue telle une donnée objective
qui s’évalue par le nombre de promotions reçues sur une période donnée (Dahan & Dufour, 2012). Enfin,
Falcoz (2001) complète cette description du modèle par la mise en place de dispositifs de gestion émis
par une fonction RH avec pour rôle de fixer les règles des trajectoires professionnelles des individus.
L’organisation, dans cette conception, incarne un rôle prépondérant, voire paternaliste dans la gestion
de la carrière des individus, qui comme dénués de capacité, n’en seraient pas maîtres (Arthur et al.,
1999).
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De nombreux articles dénoncent l’absence de pertinence de ce modèle. De nombreux auteurs, tels
qu’Arthur et al.(1999) expliquent que les carrières traditionnelles n’intègrent ni la variété des transitions
professionnelles et les significations accordées par les acteurs, ni le caractère dynamique entre les
différentes séquences de la carrière. De plus, pour Arthur et al. (1999), la dimension subjective est
également mise de côté. Le modèle traditionnel ne comprend comme critère de réussite que l’argent ou
l’évolution hiérarchique. De plus, toujours selon Arthur et al. (1999), l’individu est acteur de sa carrière
et influence l’environnement dans laquelle il se trouve, et donc, in fine, la manière dont est gérée sa
carrière.
Section 4 - L’évolution du modèle traditionnel
À partir des années 90, et suite à un retournement de la conjoncture économique qui désormais
demande de la flexibilité, les organisations ne peuvent plus respecter leur contrat psychologique tacite
d’offrir sécurité et stabilité à leurs travailleurs (Arthur et al., 1999). Pour Arthur et al. (1999), ce qui
détermine la carrière, ce n’est pas tant la planification bienveillante de la gestion des ressources
humaines que la recherche constante d’opportunités de changements des travailleurs. Des news deals
apparaissent, car il n’est plus possible de disposer d’emplois à vie, en raison d’un avenir incertain et de
l’avènement d’organisations plus plates : « the new reality of the organizational career experience for
many is that organizations no longer symbolize security, stability and permanence. The career for life
is being replaced by developmental opportunities, and the promise of future rewards for loyalty is being
replaced by the promise of short-term contracts in return for performance against agreed objectives»
(Adamson, Doherty & Viney, 1999 : 257). Ainsi, les contrats psychologiques des Trente Glorieuses,
pouvant être qualifiés de « relationnels » se transforment en contrats psychologiques « transactionnels »
(Giraud & Roger, 2011).
Cette conception de la carrière se nomme « protéenne29 », dite « nomade » ou
« boundaryless career » en anglais (Giraud & Roger, 2011 ; Pralong & Peretti-Ndiaye, 2016). Pour
Valette & Culié (2015), il est possible de la définir de la manière suivante : « the concept describes the
trajectories of individuals who develop their career capital by crossing organizational boundaries, and
has been seens as the ‘opposite of organizational careers’ » (Arthur & Rousseau, 1996 : 5, cité par
Valette & Culié, 2015 : 1747). Inkson, Gunz, Ganesh, & Roper (2012) vont plus loin que la définition
et rappelle les six caractéristiques qui constituent le concept :
« where a career (1) moves across the boundaries of separate employers; (2) draws validation from outside
the present employer; (3) is sustained by external networks or information; (4) involves breaking traditional
organizational career boundaries, such as hierarchical reporting and advancement; (5) involves rejecting
career opportunities for personal or family reasons; (6) is seen by the career actor as leading to a
29 Protéenne renvoie à l’adjectif protéiforme : « qui peut prendre toutes les formes, se présente sous les aspects
les plus divers » (Le Petit Robert, 2015).
17
boundaryless future regardless of structural constraints » (Arthur & Rousseau, 1996 : 6, cité par Inkson et
al., 2012 : 326)
Si l’exemple phare des carrières traditionnelles est une grande entreprise bureaucratique, celui
des carrières nomades peut être illustré par celles de la Silicone Valley (Valette & Culié, 2015). Weick,
par ses travaux, montre les fondements de la dichotomie carrière traditionnelle versus carrière nomade :
Types de carrières Carrières organisationnelles Boundaryless careers
Caractérisation de
l’environnement Fort Faible
Formes organisationnelles Bureaucraties Self-Designing organizations
Repères de carrière Objectifs Subjectifs
Parcours privilégiés Normés ou linéaires Idiosyncratiques
Tableau 2 : Quelques fondements des Boundaryless Careers selon Weick (Cadin, Bender, &
Saint-Giniez, 2003 : 39)
La « caractérisation de l’environnement » provient de l’école de Chicago qui s’était intéressée au
parcours des immigrés (Cadin et al., 2003). Cadin et al. (2003) expliquent que ceux-ci perdaient leurs
repères, ils ne savaient pas décoder les codes culturels. Ainsi, ils passaient d’un « environnement très
fort à un environnement très faible » (Cadin et al., 2003 : 39). Un environnement faible se caractérise
par du flou, de l’instabilité et il est prévisible, représentatif de situations fortement incertaines. À
l’inverse, un environnement fort est peu ambigu, intelligible et prévisible (Cadin et al., 2003 : 35).
Weick associe la période d’après-guerre à des environnements forts, ce qui correspond à la carrière
traditionnelle et celles des nomades est associée à des environnements faibles (Cadin et al., 2003). Pour
eux, les organisations ne sont pas des phénomènes stables, immuables, mais plutôt des éléments qui se
construisent (Cadin et al., 2003). Pour répondre à cette perte de sens, les individus présents dans un
environnement faible et dont ils ne maîtrisent pas les conventions, vont recréer un milieu qui va leur
permettre de structurer leurs actions, ce que Weick appelle l’ « organizing » (Cadin et al., 2003). Tandis
que le « Self-Designing organization » est une forme de réponse à un système qui produit des
expériences collectives continues d’emplois à court terme et d’improvisation où il est demandé une mise
à jour constante. Il en découle de l’adaptation par opposition au modèle bureaucratique (Weick dans
Arthur & Rousseau, 1996). Ainsi, les personnes exerçant leur profession dans un tel contexte, et d’une
telle manière, sont à l’image de « zigzag people » ou encore perçus comme des individus plus attachés
à leur travail qu’à leur organisation (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996 : 43). Au sein de leur
organisation, les acteurs, de par leurs actions, ont une force d’institutionnalisation car ils ont une marge
de manœuvre importante : « the set of structuring mechanisms includes more than individual
disposition. It is larger set of possibilities that include mechanisms by which career development shapes
social systems » (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996 : 43). L’action individuelle (la possibilité d’un
18
individu de s’extraire du déterminisme organisationnel) fait échos au travail de Hughes (1937) qui
différenciait la carrière objective et subjective (d’une part l’institution et d’autre part l’individu). La
première renvoie à des statuts qui se suivent, avec des fonctions précises, dans une organisation
structurée. La seconde relève de la perception individuelle globale de l’individu face à l’évolution de sa
vie et fait sens de ce qui lui arrive (Hughes, 1937 ; Giraud & Roger, 2011). En d’autres mots, le rapport
objectif se rapporte à des éléments tels que le niveau hiérarchique ou le niveau de rémunération, alors
que le rapport subjectif met en avant la signification pour l’individu de ce qu’il a réalisé (Dany dans
Allouche et al., 2012).
Le paradigme des carrières nomades a aussi été mis en cause. Pour certains, ce courant ne
s’applique pas à l’ensemble de la population, mais plutôt à des individus avec un haut niveau de
qualification dans les économies occidentales (Valette & Culié, 2015). De plus, il n’y a pas de prise en
compte du pouvoir institutionnel qui peut rendre la carrière inégale entre les travailleurs (Valette &
Culié, 2015). Bien que le concept ait été populaire, peu de travaux empiriques ont été réalisés,
relativisant la pertinence du paradigme (Inkson, Gunz, Ganesh, & Roper, 2012). Puis, l’appellation
même peut-être remise en cause, selon Inkson et al. (2012), il ne s’agirait pas de carrière sans frontière,
mais de frontières à franchir, car il n’est pas possible de faire valoir un concept sans soumettre son
périmètre. Si le courant des boundaryless career apporte des avancées majeures, il semble utopique
d’enlever les frontières qui structurent le parcours professionnel (Inkson et al., 2012).
Section 5 - Carrière nomade ou carrière traditionnelle ?
Cadin et al. (2003) rejoignent ces deux courants et les complexifient. Pour eux, la mobilité inter-
entreprise seule ne permet pas de cautionner l’appellation nomade pour la carrière. Ils rappellent qu’il
faut prendre en compte la subjectivité de l’individu pour comprendre les raisons d’une mobilité. Ces
auteurs proposent de mieux comprendre la diversité qui se cachent derrière les carrières nomades et
construisent une taxinomie : les sédentaires, les migrants, les itinérants, les frontaliers, les sans
frontières. Ils forment une gradation pouvant se refléter sur un continuum, qui suit l’étalement de nos
explications des cinq prochains paragraphes.
Les sédentaires sont la représentation parfaite de la carrière traditionnelle. Ils sont généralement
actifs dans des organisations bureaucratiques telles que les services publics. Leur carrière est fortement
influencée par les outils RH de l’entreprise. Les moteurs de leur mobilité (intra-organisationnelle)
verticale ou horizontale découlent des compétences spécifiques des individus ou de leurs
correspondances avec les valeurs organisationnelles. Ainsi, des changements au cours des trajectoires
sont possibles, mais restent associés avec le courant des carrières traditionnelles. En effet, les
sédentaires, bien qu’ils soient eux aussi soumis aux changements, gardent certaines caractéristiques
inéluctables : un seul employeur durant l’ensemble de la carrière ; les mobilités sont possibles mais entre
19
des métiers proches les uns des autres ; ils désirent garder leur employeur et recherchent le succès
objectif (Cadin et al., 2003).
L’exemple type du migrant est le fonctionnaire détaché dans un cabinet ministériel. Il reste actif
au sein d’une seule organisation, mais ne renonce pas pour autant à son idiosyncrasie. Certes, son
approche de la carrière est moins sécuritaire que celle des sédentaires, mais il réussit à limiter la prise
de risques inhérente à une mobilité. Il officie généralement dans une grande société avec un marché
interne diversifié, il exerce plusieurs métiers pendant sa carrière avec l’« existence d’un projet
personnel » ou encore il a opéré « une transition professionnelle importante » (Cadin et al., 2003 : 103).
Cadin et al. (2003) qualifient ce type de carrière d’« organisationnelle étendue » (Cadin et al., 2003 :
101). Ils se distancient de l’approche traditionnelle au sens où la frontière du métier est franchie.
La vie professionnelle des itinérants est rythmée par de nombreux changements d’employeurs,
mais toujours au sein d’une même fonction. Ils sont propres à la logique « sectorielle » ou de « métier ».
Leurs compétences sont propres à un secteur d’activité, ce sont des spécialistes. La réussite ne passe pas
nécessairement par une ascension et peut être erratique, il s’agit davantage de renforcer le capital
carrière. Souvent, pour les itinérants, la vie professionnelle n’est pas un long fleuve tranquille. Les
périodes de transition peuvent être volontaires ou non. Ces individus oscillent entre stress et
épanouissement. Ils se caractérisent par un grand nombre d’employeurs et majoritairement s’identifient
par leur profession et leur secteur d’activité. Ils vont en dehors de la frontière propre à l’organisation et
rompent de cette manière avec le courant traditionnel (Cadin et al., 2003).
Les frontaliers sont un mélange de la carrière traditionnelle avec celle d’un indépendant. Dans
le sens où, s’ils peuvent rester longtemps dans une fonction, ils ne dépendent pas des trajectoires
soumises par leurs employeurs. Leur objectif est de capitaliser les savoirs d’une organisation. Grâce à
leur expérience personnelle, ils ont l’opportunité d’être indépendant. Pour autant, ce type de trajectoire
n’est pas à sens unique, il est coutumier pour les frontaliers de passer du statut de salarié à celui
d’indépendant et vice-versa. Les relations personnelles jouent ici un rôle important, permettant ce va-
et-vient. En général, les frontaliers connaissent plusieurs employeurs ; passent par une période
d’entrepreneuriat ; restent dans une logique métier et font sens de leur identité professionnelle au travers
de leurs projets. Les frontaliers challengent le concept de frontière en changeant de statut (Cadin et al.,
2003).
Les sans-frontières sont des individus qui se soumettent difficilement aux contraintes
organisationnelles, préférant le changement plutôt que d’être limités. Si l’entrepreneuriat est un statut
qui leur convient, ce n’est pas pour autant une vocation inhérente. Au sein de leur parcours professionnel,
on retrouve des changements radicaux avec des intermittences professionnelles, qui ne se retrouvent pas
dans une logique métier. Leur identité peut être multiple et induite par un projet. À l’inverse du
sédentaire, leur objectif de carrière est subjectif. Toutefois, le parcours n’est pas toujours bien vécu. Les
20
sans-frontières relèvent bien du courant « boundaryless career », car ils incarnent la volonté individuelle
qui ne se régit pas par les organisations. La logique de leur carrière ne peut s’expliquer qu’à travers leur
subjectivité (Cadin et al., 2003).
Pour Cadin et al. (2003), seul le sédentaire peut se qualifier comme convenant à la carrière
traditionnelle. Les autres non, ils possèdent une certaine capacité stratégique qui leur permet une forme
de mobilité. Ces stratégies ne s’arrêtent pas au champ propre de l’organisation, les individus prennent
également en compte les conjonctures économiques et leurs compétences propres (Cadin et al., 2003).
Selon Cadin et al. (2003), il est possible de comprendre ces stratégies à travers le concept de
capital carrière. C’est un outil pour analyser la réussite subjective des individus. Celui-ci se représente
par une triple déclinaison : le knowing why, le knowing-how, le knowing-whom. Le « knowing why » se
réfère à l’« identité personnelle et aux motivations de l’individu », ce qui ne signifie pas nécessairement
que tous les individus organisent ou planifient leur carrière (Cadin et al., 2003 : 41). Les motivations
pouvant être plurielles, les identités et les facettes de l’image de soi aussi. Ces identités peuvent alors
être prises en considération selon le contexte dans lequel elles se trouvent. Ainsi, elles évoluent au cours
du temps, mais doivent rester harmonieuses. Le « knowing-how » sont les compétences de savoir et de
savoir-faire. Enfin, « le knowing-whom » fait directement référence au capital social, aux réseaux
sociaux des individus. Par exemple, l’appartenance à certaines communautés peut directement
influencer la carrière d’un individu, notamment au niveau des opportunités. Toutefois, les auteurs
rappellent que cette appartenance ne suffit pas, l’agence joue aussi son rôle. L’individu doit être capable
d’intéresser la communauté à sa carrière pour activer ce capital. Ainsi, faire du relationnel relève aussi
d’une stratégie possible. C’est grâce à l’intégration de ces trois éléments que l’individu va faire sens de
sa carrière et déterminer sa trajectoire professionnelle (Cadin et al., 2003).
CHAPITRE II : Les étapes de la carrière
Des auteurs ont abordé la carrière sous l’angle de la temporalisation, évoquant la notion d’étapes :
« les expériences, les besoins, les valeurs et les situations de tous les individus changent au fur et à
mesure que ceux-ci évoluent, ce qui permet de raisonnablement concevoir la carrière comme une série
d’étapes ou de phases uniques » (Greenhaus et al., 2010 : 28, citée par Giraud, 2015 : 62). Ces étapes
mettent en relief, à la fois la spécificité de l’individu, mais également d’autres paramètres comme l’âge,
son évolution psychologique ou encore son investissement dans les étapes de sa carrière (Garbe, 2015).
La carrière est comparée à un cycle de vie, où comme les enfants, la carrière professionnelle des
individus peut être prédéterminée, car il y a une séquence d’étapes à suivre (Giraud & Roger, 2011).
Quatre étapes font figure de référence dans la littérature : l’exploration, l’établissement, la maintenance
et le désengagement (Gosselin, Paquet, & Marcoux, 2009).
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1) L’exploration : phase durant laquelle l’individu va s’intégrer à son environnement. Il va essayer
de prendre sa place et de se construire un statut. Il est essentiellement à la recherche
d’informations et il va observer les opportunités qui se présentent à lui (Giraud, 2015). Il prend
en considération ses capacités et voit dans quelle mesure elles correspondent à son emploi
(Gosselin et al., 2009).
2) L’établissement : étape au cours de laquelle l’exploration perd sa place, où l’individu prend
confiance et commence à développer une certaine relation affective avec son travail (Giraud,
2015). Ce dernier va rechercher de la stabilité, mais aussi de la progression dans sa carrière
(Gosselin et al., 2009). Il va ainsi clarifier sa position dans la hiérarchie et augmenter le spectre
de ses compétences (Giraud & Roger, 2011).
3) La maintenance : appelée étape de « mi-carrière », elle se rapporte au besoin de se sentir utile.
L’individu, pendant cette période, va tenter de répondre à l’adéquation entre ses ambitions
personnelles et le rôle du travail dans sa vie (Giraud & Roger, 2011). Les individus sont moins
en recherche d’expertise et de développement de leurs compétences que d’assurer ce dont ils
sont déjà capables (Gosselin et al., 2009). Ainsi, cette étape est parfois appelée « plafonnement
de la carrière », qui représente la fin de l’ascendance et le désir de se maintenir (Giraud, 2015).
4) Le désengagement : il s’agit de la fin de la carrière pour l’individu qui s’implique de moins en
moins dans son métier afin de se consacrer à d’autres sphères de sa vie (Giraud, 2015). Cette
période correspond à la sortie du marché de l’emploi (Gosselin et al., 2009).
Cette approche par étape de la carrière a été critiquée. Une approche prédictive de la carrière n’est
pas toujours possible. Il n’y aurait pas de démarche, étape par étape, à suivre pour avoir le bon
cheminement d’une carrière, surtout si, dans une certaine mesure, elles peuvent toutes être considérées
comme uniques et originales (Giraud & Roger, 2011). Ainsi, à la fin du XXe siècle, de nouveaux
concepts apparaissent, qui mettent en relief le caractère hétérogène des parcours de
vie : « désinstitutionalisation » ou « désynchronisation » (Carpentier & White, 2013 : 282). D’ailleurs,
lorsque Stambulova (2010) parle de transition, elle en voit de deux sortes : les prédictives et les non-
normatives. Dans son exemple sur le sport, la transition prédictive se réfère au moment où les athlètes
passent de l’école secondaire à l’université. La seconde, non-normative, se rapporte aux moments
imprévisibles que sont une blessure, un divorce, un changement de clubs etc. (Stambulova, 2010).
D’ailleurs, les cycles ne seraient pas linéaires. En réalité, il y aurait différentes étapes de la carrière, non
pas tout au long de celle-ci, mais au sein même de ces séquences (Giraud & Roger, 2011). Le phénomène
de post-carrière des sportifs de haut niveau, comme l’énonce Stambulova (2010), en est caractéristique.
Le concept peut donc se « recycler », passant d’une vision macro-chronologique à micro-chronologique.
En plus des différentes séquences, à proprement parler, au cours d’une carrière, il y a donc
également des étapes transitoires (dans une perspective plus psychologique). Ces « déstabilisations »
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peuvent être gérées à la fois par l’individu et par l’organisation au travers des dispositifs de gestion de
la carrière.
CHAPITRE III : Les grandes pratiques autour de la gestion de la carrière
Face aux enjeux de la carrière, la littérature relève plusieurs dispositifs permettant de la gérer.
Avant de rentrer dans la description de certains outils, il est nécessaire de rappeler quelques préalables.
Premièrement, il s’agit d’outils. Il nous paraît inutile de les utiliser de manière sporadique sans une
conception d’ensemble intégrant une politique claire. Non seulement cette politique doit comprendre
des objectifs, mais elle doit s’insérer dans une démarche volontariste de l’organisation, et ce en
particulier pour informer ses collaborateurs (Cadin, 2012).
Les bourses emplois : un ensemble de supports écrits qui a pour objectif d’informer les individus sur
les postes à pourvoir au sein d’une organisation. Ainsi, les individus peuvent postuler, de manière
volontaire, aux emplois vacants pour lesquels ils éprouvent un intérêt (Mercier, 2004).
Les comités de carrière : comités réunissant le personnel RH, les supérieures hiérarchiques et des
représentants du personnel, dont les tâches principales consistent à discuter des évolutions possibles
pour certains travailleurs concernés, à analyser les besoins de l’organisation et à chercher des solutions
lors d’un désaccord en lien avec la carrière (Mercier, 2004; Dany dans Allouche et al., 2012).
Les entretiens de carrière : il s’agit d’un moment spécifique pour discuter de la carrière. C’est un
moment de réflexion pour le travailleur et l’employeur sur le projet et les objectifs professionnels. Cet
entretien peut parfois se limiter à vérifier que « tout va bien ». Généralement, ils sont réalisés à la
demande du travailleur. Cependant, dans une politique de prévention, ceux-ci peuvent être fixés par la
direction. Dans une période incertaine et complexe, ou de menace sur l’emploi, les entretiens de carrière
peuvent apporter une solution (Dany dans Allouche et al., 2012).
Les mesures d’accompagnement de départ : la gestion des carrières concerne dorénavant également
la sortie du travailleur de l’entreprise et son employabilité. L’outil phare illustrant les mesures
d’accompagnement est l’outplacement, dans l’idée de reconstruire un projet professionnel en adéquation
avec le contexte économique. Souvent, cela passe par un bilan de compétences et une meilleure
connaissance des opportunités d’emploi (Dany dans Allouche et al., 2012).
Les cartes métiers : l’objectif est d’informer les collaborateurs sur les postes actuels au sein de
l’organisation, mais également sur les opportunités ou évolutions possibles de ceux-ci. Il s’agit de faire
un inventaire et de montrer les évolutions souhaitables et possibles au sein de l’organisation, de montrer
les « passerelles » (Cadin 2012).
23
CHAPITRE IV : Le cadre analytique, les scripts de carrière
Pour étudier la manière dont les individus construisent et gèrent leur carrière, en intégrant de
manière conjointe l’organisation (la structure – l’institution) et les capacités individuelles (l’agence), un
concept ressort dans la littérature scientifique : les scripts de carrière (Barley & Tolbert, 1997).
Par le passé, les auteurs ont souvent séparé la carrière en deux éléments distincts : l’agence et la
structure. Ils représentent respectivement le rôle de l’individu et le rôle de l’organisation comme
différents. Mais, ils ont tous deux le pouvoir d’influencer la construction de la carrière des individus
(Barley & Tolbert, 1997). Grâce aux travaux de Giddens, cette distinction dialectique peut être
appréhendée sous un seul prisme, celui de la dualité (Garbe, 2015). Bien avant ces travaux, Hughes
(1937) rappelait déjà cette « connexion » entre l’individu et la structure lorsque l’on parle de carrière
(Hughes, 1937 : 410). Garbe & Duberley (2019) vont plus loin quand ils associent ces deux concepts,
parlant même, non pas d’opposition, mais de « présupposition » (Sewell, 1992 : 4 cité par Garbe &
Duberley, 2019 : 4). De sorte qu’il est possible de concevoir au sein des parcours de vie à la fois des
constituants homogènes (concept de structure) et d’autre part des composants hétérogènes liés aux
capacités individuelles (agence), alliant prédictibilité et imprévisibilité (Carpentier & White, 2013). La
théorie des scripts de carrière permet d’intégrer en son sein, à la fois l’agence et la structure (Garbe &
Cadin, 2015). Les scripts de carrière permettent donc de répondre à l’enjeu de théoriser la complexité
des carrières (Valette & Culié, 2015). La théorie a été utilisée dans différents secteurs d’activités tels
que la recherche, les nouvelles technologies, le milieu du militantisme ou l’humanitaire (Duberley,
Cohen, & Mallon, 2006; Garbe & Cadin, 2015; Kyoung-Hee Yu, 2016; Valette & Culié, 2015).
Section 1 - L’agence et la structure comme socle de base
Le concept de structure peut se définir comme : « Rules and resources, recursively implicated in
the reproduction of social systems. Structure exists only as memory traces, the organic basis of human
knowledgeability, and as instantiated in action » (Giddens, 1984 : 377, cité par Turner, 1986 : 5). Pour
Barley et Tolbert (1997), le concept d’institution est quant à lui un synonyme de celui de structure ; ils
le définissent comme : « a shared rules and typification that identify categories of social actors and
their appropriate activities or relationship » (Barley & Tolbert, 1997 : 96). Selon Turner (1986), les
« rules » sont des procédures et des méthodes généralisables qui se présentent sous la forme d’un « stock
de connaissances », utilisées tel un « formulaire » impliquant la création de codes pour l’action au sein
d’un système social. Les « ressources » nécessitent l’utilisation de « matériel d’équipement » ou encore
de « capacités organisationnelles » pour faire bouger les choses. Ceux disposant des ressources et de la
possibilité de les utiliser ont du pouvoir. Notons que les règles et les ressources sont mobilisées dans
l’interaction. Au sens de Turner (1986), elles sont modifiables, et donc « transformationnelles ». On
comprend que la structure suppose une certaine reproduction du système social, sans pour autant être
immuable. En effet, si la structure modifie les comportements et pratiques des individus, les pratiques
24
des individus vont elles aussi modifier la structure, et ce bien que l’image de la structure soit couramment
perçue comme un élément de stabilité (Sewell, 1992). Dès lors, comme le soumet Sewell (1992), il ne
faut pas voir la structure comme unique contrainte à l’action individuelle, mais plutôt comme un élément
les habilitants. Ceci nous renvoie à la définition de Barley & Tolbert (1997) : « Institutions, therefore,
represent constraints on the options that individuals and collectives are likely to exercise, albeit
constraints that are open to modification over time » (Barley & Tolbert, 1997 : 94).
Souvent développé, le concept de structure montre pourtant certaines limites par son caractère
tacite (Garbe & Duberley, 2019). Sewell (1992) le rappelle, il est difficile de définir le concept car il
manque de précision, au même titre que le structuralisme de Levistrauss. Enfin, Garbe & Cadin (2015)
indiquent : la validation empirique de la théorie de la structuration reste complexe et floue. Retenons
que la structure est un ensemble de dispositions mentales co-construites avec l’individu qui, de ce fait,
dans une certaine mesure, va contraindre la conception qu’il a des possibilités qui s’offrent à lui et ainsi
tendre à modifier certains de ses comportements.
L’agence ou agency en anglais se rapporte à l’action individuelle mais n’enlève pas l’influence
de la structure, qui en réalité y répond (Sewell, 1992 ; Lee, 2019). Pour Lee (2019), l’agence peut se
définir comme : « a temporally embedded process of social engagement that is informed by the past (in
its habitual aspect), but also oriented towards the future (as a capacity to imagine alternative
possibilities) and towards the present (as a capacity to contextualize past habits and future projects
within the contingencies of the moment) (Emirbayer and Mische 1998 : 963 citée par Lee, 2019 : 85).
Sewell (1992) considère l’agence plutôt comme la capacité de convertir et d’étendre des schémas à de
nouveaux contextes ; il ajoute qu’elle est inhérente à tous les individus. D’ailleurs, lorsqu’on regarde
l’historique du mot agence, celui-ci se réfère à une personne qui joue un « rôle actif » afin de créer un
effet spécifique, « the doer of an action» (Burkitt, 2016 : 323). Concrètement, comme l’explique Porpora
(2013), l’agence est ce que nous faisons individuellement avec ce qui est produit collectivement. Burkitt
(2016) voit dans l’agence la capacité réflexive des acteurs, car au sein d’une même situation, ils peuvent
agir de différentes manières. Ainsi, pour Porpora (2013), l’agence est révélatrice de la créativité des
individus. Si des différences peuvent apparaître sur le concept même d’agence, les auteurs s’accordent
qu’il s’agit de l’« individual possession » ou de la « property of individuals » dont l’opposé est la
« structure » (Burkitt, 2016 : 323). Toutefois, de par sa composante mentale, il est difficile d’y entrevoir
la priorisation des choix faits par les individus (Burkitt 2016). Le concept d’agence manque donc d’une
définition claire au même titre que celui de structure (Garbe & Cadin, 2015). Il est effectivement difficile
d’analyser dans quelle mesure, la structure contraint l’agence (Duberley et al., 2006).
Nous voyons, de notre perspective, la relation agence et structure comme une dualité : « the active
practice, and the active constitution of structure by practice » (Connell, 1987 : 94 cité par Duberley et
25
al., 2006 : 1133). C’est cette dualité qui va servir de base à la constitution de la théorie des scripts de
carrière, permettant de nuancer l’explication des trajectoires professionnelles.
Section 2 - Les scripts de carrière
Si la notion de carrière a été définie au chapitre premier, il nous semble important de revenir sur
la notion de scripts pour comprendre la sémantique de cette théorie développée par Barley & Tolbert
(1997), qui nous servira de cadre analytique.
Le concept de script a été pensé par Schank & Abelson en 1977 (Abelson, 1981). Ces derniers
présupposaient que tout individu pouvait conceptualiser la représentation d’une séquence d’événements
stéréotypés adaptables à certaines situations (Abelson, 1981). Pour exemplifier leur approche, ils
utilisent l’image d’une personne allant dans un restaurant. Celle-ci entre, s’assied et aperçoit le serveur
approcher. À cet instant, comme suivant un schéma préétabli dans son esprit, elle remarque avoir oublié
ses lunettes. Ce souvenir vient du script « restaurant », qui lui communique une séquence d’étapes à
venir, débutant avec le serveur qui apporte le menu. Elle anticipe le fait qu’elle ne saura pas le lire, ayant
des problèmes de vue (Abelson, 1981 : 716). Le script va, de cette manière, construire l’action, celle
d’aller chercher ses lunettes et dans un même temps créer des attentes : le type d’aliments présents sur
le menu, les pourboires, le paiement, etc. Le script est donc un scénario qui va régir à un ensemble de
déduction (Abelson, 1981).
Toutefois, comme le rappellent à juste titre Garbe & Cadin (2015), le script implique des variantes
appelées « track », « manger au restaurant » ne sera pas le même si la personne mange au fast food ou
dans un restaurant gastronomique. De plus, il y aurait des scripts forts et des scripts faibles (Abelson,
1981). La distinction se présente par le caractère significatif ou non de la relation de cause à effet entre
des évènements antérieurs et de ce qui en découle (Abelson, 1981). Le concept de script, au sens Gioia
& Poole se définit comme: « schematic structure held in memory […] specifies behaviour or event
sequences that are appropriate for specific situations » (Gioia et pool, 1984 : 449 cité par Morrell, 2004
: 548). Garbe et Cadin (2015), eux voient les scripts comme : « des structures cognitives qui, une fois
activées, organisent la compréhension individuelle d’une situation » (Garbe & Cadin, 2015 : 64). Pour
Barley & Tolbert (1997), les scripts sont un moyen de rassembler conceptuellement les influences entre
institutions et actions individuelles, ce qui permet de comprendre les systèmes d’actions. De plus,
comme le soulignent Garbe & Cadin (2015), les scripts intègrent : une dimension comportementale (agir
conformément aux attentes selon les situations) et une dimension cognitive (faisant sens de la situation).
De cette façon, les scripts de carrière sont un moyen de relier la sociologie (dimension comportementale)
et la psychologie (dimension cognitive) (Garbe & Cadin, 2015).
Pour Barley (1989), le lien entre les scripts et les scripts de carrière est marqué par un
élargissement temporel du concept. En effet, les scripts de carrière doivent être considérés dans une
« temporalité plus longue » que les scripts (Barley, 1989 : 53 cité par Garbe & Cadin, 2015 : 65). Ainsi,
26
les scripts peuvent s’appliquer à la carrière et ils peuvent parfois guider l’individu durant l’ensemble de
sa vie professionnelle (Garbe & Cadin, 2015). Nous voyons le concept de script de carrière au sens de
Garbe & Cadin (2015), qui reprennent les travaux de Barley et le définissent comme : « l’ensemble des
schémas cognitifs, des ressources et des normes diffusées par la structure et mises en œuvre par l’action
individuelle » (Garbe & Cadin, 2015 : 60). Bien que, plus récemment, Laudel, Bielick, & Gläser (2019),
le considère davantage comme des phénomènes collectifs : « collective interpretive schemes that encode
sequences of actions within a career » (Laudel et al., 2019 : 955).
Pour Garbe & Cadin (2015), les scripts de carrière permettent d’analyser la carrière à un double
niveau (micro – macro) en intégrant action individuelle et structure. En effet, les acteurs sont influencés
par la structure à travers les scripts de carrière. Cependant, les individus, par le processus d’enactment,
peuvent modifier la structure elle-même, donnant par ce biais, à la relation entre individu et
organisations, une connotation dynamique autour de la carrière (Garbe & Cadin, 2015). La dimension
systémique et récursive de cette relation est expliquée par Weick :
« As people work, they organize within weak situations. As they organize weak situations the weak
situations into stronger ones. And strong situations lay down traces of larger organizations. These traces
are formed out of work and organizing and reflect both influences. Local coping and local scripting of that
coping into careers constrain and define coping and scripting on a larger scale. People enact the strongest
situation, which then constrains them » (Weick dans Arhur & Rousseau, 1996 : 44).
Les scripts de carrière peuvent donc évoluer (Duberley et al., 2006). Pour clarifier nos
explications, notons que cette théorie peut être représentée schématiquement comme ci-dessous par
Duberley, Cohen, & Mallon (2006). Rappelons aussi que ce processus reste tacite, les acteurs ne sont
pas toujours conscients d’enact (créer) le script de carrière (Barley & Tolbert, 1997; Cappellen &
Janssens, 2010).
Figure 2: The Role of Career in the Structuring Process: the Barley Model (Barley 1989: 54
cité par Duberley et al. 2006 : 1134)
Dans leur article, les auteurs se centrent sur les scripts de carrière vécus par un individu et mettent
en relief comment celui-ci réussi à gérer sa carrière et met en place des stratégies. Ils ajoutent une autre
27
variable à la théorie, allant au-delà de l’institution purement organisationnelle, celle de la
contextualisation institutionnelle. Ils dénombrent et nomment cinq contextes, qui sont intégrés dans le
script de carrière et « mediated » à travers celui-ci : « science »,« profession », « family »,
« governement » et la « national culture » (Duberley et al., 2006 : 1138). Dans le même ordre d’idées,
Cappellen & Janssens (2010) intègrent le concept de : « Contexte of the global economy ». De cette
manière, ils se rapprochent du courant des carrières nomades, en évaluant l’individu selon sa
« marketability » en tant qu’élément externe à l’organisation. Ces auteurs analysent la manière dont les
individus répondent aux opportunités et contraintes de l’organisation en tenant compte à la fois de
l’organisation, mais aussi du contexte économique dans lequel celle-ci se trouve. Selon Capellen &
Janssens (2010), face aux contraintes et aux opportunités, les individus développent des tactiques de
carrière afin d’atteindre leurs objectifs professionnels. Il y aurait donc un troisième niveau d’analyse :
l’individu, l’organisation et l’économie globale. Ainsi, les individus vont se représenter leur carrière et
les actions qui doivent en découler sur la base de ce qu’ils comprennent de leurs environnements : le
contexte global et l’organisation. Ils intègrent un ensemble de règles provenant de leurs environnements,
ce qui va façonner la manière dont ils perçoivent leur carrière (Cappellen & Janssens, 2010). Toutefois,
cette relation est interactive, les individus se construisent une capacité sur leurs environnements
(Cappellen & Janssens, 2010). Cette nouvelle représentation du fonctionnement des scripts de carrière
est visible à la figure 3.
Figure 3 : Global careers as multiply referenced (Cappellen & Janssens, 2010 : 690)
Dany et al. (2011) ajoutent que lorsque les scripts sont faiblement institutionnalisés, ils continuent
à être interprétés par les individus, modifiant leurs comportements. De plus, selon leur étude, les
individus considèrent que des événements externes tels que la chance sont plus décisifs dans les
changements de leur carrière plutôt que leurs choix individuels. Les acteurs, bien qu’influencés par la
force des scripts, peuvent toutefois adopter des stratégies particulières pour atteindre leurs objectifs
(Dany et al., 2011).
28
Il y a donc des scripts de carrière forts et des scripts de carrière faibles qui découlent des
environnements forts et faibles pensés par Weick (Garbe & Cadin, 2015). Plus l’environnement est
institutionnalisé, plus les comportements seront guidés, notamment grâce à une représentation claire des
actions à entreprendre. A contrario, au plus l’environnement est faiblement institutionnalisé, au plus les
règles et normes seront ambiguës, l’individu devra alors lui-même donner du sens à la situation (Garbe
& Cadin, 2015). En d’autres mots, lorsque l’environnement est faiblement structuré, l’action de
l’individu dispose d’une marge de manœuvre relativement importante pour agir sur la structure et les
interactions. Dans cette perspective, les relations entre agence et structure sont plus développées. À
l’inverse, lorsque l’environnement est fortement structuré, l’action de l’individu est plus faible et
l’interaction agence – structure est plus limitée (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996).
Section 3 - Critiques du concept
La théorie des scripts de carrière ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique.
Laudel, Bielick, & Gläser (2019) en rappellent les limites inhérentes. Tout d’abord, il est nécessaire de
clarifier la position des scripts de carrière entre l’agence et la structure. Il faut faire des scripts de carrière
un facteur distinct pouvant se joindre à des explications théoriques et distinguer les phénomènes
empiriques des scripts de carrière de ceux qui n’en sont pas. Comme l’explique Garbe & Cadin (2015),
la théorie serait floue, ne rendant pas sa validation empirique aisée. Laudel et al. (2019) parlent quant à
eux d’ambiguïté. De plus, Morrell (2004) modère la capacité explicative de cette théorie. Pour lui, si les
scripts sont un intermédiaire entre la structure et l’agence, il est complexe de les questionner. Si les
scripts s’intègrent à un niveau culturel ou se basent sur des contextes bien connus, ils constituent des
« habitudes de l’esprit », faisant perdurer certains scripts obsolètes : « As an illustration, phrases such
as ‘career ladder’, ‘fast-track’ and ‘highflyer’ can all be understood as indicating a career script where
success is understood in terms of organizational hierarchies » (Morrell, 2004 :549). Ainsi, s’ils
organisent les connaissances, aident à l’inférence et aux choix, il devient complexe de les remettre en
question (Morrell, 2004). La question de savoir si on peut mettre sur un même pied d’égalité l’action
individuelle et l’institution peut alors se poser (Laudel et al., 2019). Selon Laudel et al., (2019), les
scientifiques n’ont pas conçu les scripts de carrière comme un intermédiaire, mais ont plutôt pris en
considération soit l’individu, soit l’institution. Pour ces auteurs, le problème provient conjointement du
niveau d’abstraction élevé de la théorie et de l’absence de précision théorique.
29
TROISIEME PARTIE : METHODOLOGIE
Dans cette partie, nous allons revenir sur les moyens mis en œuvre pour réaliser cette recherche.
L’objectif est d’une part, d’expliquer la manière dont nous avons posé nos choix et d’autre part,
d’émettre une série de précautions face à nos résultats et analyses.
CHAPITRE PREMIER : Le cheminement vers la problématique
Section 1 - L’évolution de la réflexion
Un travail de fin d’études s’étale sur une longue période, il demande un investissement
conséquent. Dès lors, le choix du sujet est essentiel pour deux raisons. Il doit viser un apport scientifique
(que l’on peut soumettre à la critique) et, dans une moindre mesure, apporter à la collectivité. D’autre
part, il est préférable d’avoir un intérêt prononcé pour réaliser ce travail long de plusieurs mois.
Intéressé depuis plusieurs années par la politique, nous nous sommes engagé dans le parti
politique Ecolo dans le courant du mois de mai 2018. Depuis plus d’un an, nous avons eu l’occasion de
participer à des AG30 provinciales, des réunions, des élections ainsi qu’à l’Académie Verte31. Grâce à
ces moments d’échanges, nous avons pu rencontrer et discuter de manière informelle avec des
mandataires politiques. Certains nous ont fait part de la difficulté de gérer dans la durée leur carrière
professionnelle et leur investissement en politique. S’en sont suivis deux entretiens exploratoires, dont
l’objectif était de découvrir les différents aspects du problème lié à la carrière professionnelle d’un
mandataire politique (Van Campenhoudt, Marquet, & Quivy, 2017). Ces entretiens ont permis de
recentrer l’objet pour arriver à notre question de recherche : « Dans un contexte de limitation des
mandats dans le temps et du décumul, comment les députés écologistes gèrent-ils leur carrière
professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? ». À travers les entretiens exploratoires, nous
avons pu déceler un paradoxe entre, d’une part s’investir de manière professionnelle en politique avec
les risques que cela peut engendrer : discrimination, un emploi à durée limitée, inquiétude des élections,
abandon de son travail, conditions de travail difficiles, etc., et d’autre part l’absence apparente de
promesses de la part d’Ecolo pour assurer le continuum de la carrière de ses parlementaires. Face à cette
contraction institutionnelle32 et sociétale33, la question de savoir comment les carrières des
parlementaires se construisent et sont gérées par les individus concernés chez Ecolo semblait être un
terrain fertile pour une analyse en sciences humaines et sociales.
30Assemblée Générale 31 L’Académie Verte est un programme intensif d’une année sur l’étude de l’écologie politique. Nous avons
participé à ce programme durant l’année académique 2019-2020. 32Institutionnelle parce qu’Ecolo demande au parlementaire d’avoir de l’expertise sans avoir de l’expérience. 33 Sociétale parce que le citoyen vote pour les politiciens connus mais ne veut pas voir toujours « les mêmes têtes ».
30
Deux raisons ont déterminé le choix de nous intéresser aux députés écologistes. Premièrement, se
centrer sur les seuls parlementaires permet de réduire le champ d’investigations et se justifie par un
choix de cohérence. En effet, les lois qui régissent les droits des individus diffèrent selon leurs mandats
ou leurs statuts. Ainsi, un parlementaire, un échevin ou un travailleur interne chez Ecolo n’auront, par
exemple, pas les mêmes conditions de sortie à la fin de leur contrat. Le deuxième élément reflète le désir
d’observer la manière dont sont construites et gérées les carrières professionnelles dans un contexte de
rejet des élites politiques, notamment par rapport aux avantages de leur carrière (Baudu, 2009; Offerlé,
2016).
Ensuite, nous avons décidé de limiter notre terrain de recherche uniquement au parti politique
Ecolo. En effet, il est le seul parti au sein du paysage politique francophone à mettre en place de manière
conjointe le décumul et la limitation des mandats dans le temps. Le choix de ce parti répond à une
exigence de faisabilité, nous n’avions de points d’entrée et de contact qu’à l’intérieur de ce parti. Dans
une moindre mesure, et dans un but comparatif, il aurait toutefois été intéressant de suivre également le
parti politique Groen! qui dispose d’un règlement intérieur similaire à celui d’Ecolo. Dans cette optique,
nous avons eu l’occasion d’avoir un entretien avec l’un de leur ancien mandataire politique qui, par
ailleurs, a également été un collaborateur d’Ecolo. De plus, durant l’année 2018-2019, deux élections
ont été organisées successivement en octobre 2018 et en mai 2019 rendant, de ce fait, notre étude plus
opportune concernant le questionnement de la carrière professionnelle des individus étudiés. Notons
également que par le passé, Ecolo a rencontré des difficultés dans la gestion de son personnel. Il s’est
alors professionnalisé, mais reste sujet à de nombreuses problématiques au niveau de la gestion des
ressources humaines (rétentions des talents, gestion de la mobilité, conditions de travail, variations des
effectifs). L’ensemble de ces facteurs constitue un terrain propice à l’étude du rôle de ce parti dans la
construction des carrières en politique. Il s’agit donc d’une occasion unique d’étudier les mécanismes
favorisant l’entrée et la sortie en politique, un champ sous étudié en sciences humaines pour lequel existe
un vide dans la littérature (Michon & Ollion, 2018).
Enfin, il semblait intéressant, dans une période de crise de la politique traditionnelle, d’analyser
comment des innovations en terme de gouvernance (décumul et limitation des mandats dans le temps)
peuvent avoir une incidence sur la manière dont des élites politiques perçoivent, construisent et gèrent
leur carrière professionnelle (Association belge francophone de science politique. Congrès, 2017).
31
Section 2 - Une démarche qualitative et inductive
Une démarche qualitative nous semble être opportune. D’une part, notre formation nous dote de
capacité d’analyse qualitative et d’autre part, comme le soulève justement Dumez (2013), il semble
ambitieux d’y ajouter une méthode quantitative sophistiquée. Notre fonctionnement, comme le signale
Lejeune (2014) dans son ouvrage, est soumis à un mode itératif. Nous avons travaillé de manière
parallèle entre la problématisation, la collecte de matériaux empiriques, leur analyse et la rédaction de
leurs résultats. Notre mode de fonctionnement est schématisé dans la figure 1 ci-dessous.
Figure 4 : L’évolution de la démarche qualitative et inductive
La recherche qualitative prospecte, d’une manière compréhensive, le raisonnement et l’intention
des acteurs. À cet effet, elle s’intéresse à leurs discours pour y découvrir le « pourquoi » et le
« comment » de l’action (Dumez, 2013 : 30). Dumez (2013) parle d’ailleurs de recherche
compréhensive qui aurait pour finalité d’objectiver des situations dans un contexte donné, séparant la
posture de l’acteur et celle du chercheur. Dans une fonction explicative, la démarche qualitative va
rechercher à produire des typologies, de manière à prendre en considération la diversité de la réalité tout
en permettant de s’élever en généralité (Dumez, 2013). L’objectif est donc : « de mettre de l’ordre dans
les matériaux recueillis, [de] les classer selon des critères pertinents, [de] trouver les variables cachées
qui expliquent les variations des diverses dimensions observables » (Dubar et Demazière, 1997 : 274
cité par Cadin et al., 2003 : 96). Au cours de ce travail, nous tenterons de construire des typologies sur
base du cadre analytique de Barley & Tolbert (1997). Rappelons que l’un des objectifs premiers d’une
démarche qualitative reste : « de dégager le sens que l’acteur a construit à partir de sa réalité » (Blais &
Martineau, 2006, p. 3). Comme Thomas & Znaniecki l’expliquent, les histoires de vie sont une technique
pour généraliser des « hypothèses réalistes » (Thomas & Znaniecki, 1931 cité par Barley, 1989 : 43).
32
Notre étude se base sur le modèle de l’induction qui se définit comme : « un type de raisonnement
qui consiste à passer du spécifique vers le général ; cela signifie qu’à partir de faits rapportés ou observés
(expériences, événements, etc.), le chercheur aboutit à une idée par généralisation et non par vérification
à partir d’un cadre théorique pré-établi » (Blais & Martineau, 2006 : 4). Notre mode de fonctionnement
correspond effectivement à cette démarche, car nous partons d’éléments empiriques spécifiques que
nous généralisons par la suite à la lumière d’un cadre analytique.
Section 3 - Une double rupture épistémologique
Comme le soulignent Van Campenhoudt et al., (2017), le choix d’un objet de recherche n’est pas
dénué d’intérêts. Par conséquent, une implication personnelle est souvent sous-jacente à la recherche.
Si une connaissance préalable du sujet peut être utile à certains égards, elle peut également engendrer
des biais :
« Notre esprit n’est pas vierge ; il est chargé d’un amoncellement d’images, de croyances, d’aspirations, de
schémas d’explications plus ou moins inconscientes, de souvenirs d’expériences agréables ou douloureuses,
à la fois collectives et personnelles, qui préformatent notre approche de ce sujet. Ce pré-formatage est déjà
présent dans le fait que c’est ce sujet-là et pas un autre qui a été choisis » (Van Campenhoudt et al., 2017 :
31).
Au regard de notre militantisme et de notre connivence avec notre terrain de recherche, une prise de
recul s’impose. En effet, sans une rupture épistémologique, seules les normes admises pourront être
remises en perspectives. Il est dès lors nécessaire de prendre ses distances avec le sens commun et d’être
conscient de ses accointances afin de garder son esprit critique. En tant que chercheur, il s’agit d’ « être
conscient de son ignorance […] pour savoir ‘comment ça marche’ » (Bertaux, 2010 : 20).
Une autre rupture doit prendre place, cette fois, non pas avec le terrain de recherche, mais avec la
théorie utilisée pour l’analyse. Comme l’explique Dumez (2013), le chercheur doit se prémunir du risque
de la « circularité » : « Dès le moment qu’une personne se forme une théorie, son imagination ne voit
plus, dans tout objet, que les traits en faveur de cette théorie » (Berg, 1905 : 312 cité par Dumez, 2013 :
32). Pour s’en prémunir, Dumez (2013) propose que la théorie reste ouverte pour laisser place aux
aspects empiriques, offrant aux matériaux une certaine indépendance. Par conséquent, et par moment, il
est nécessaire de remettre également en question son propre cadre théorique afin de garder son sens
critique.
CHAPITRE II : Méthode de recueil des données
Section 1 - Les personnes interviewées
Pour déterminer l’objet de recherche, nous avons réalisé deux entretiens exploratoires. D’une part,
une personnes avec un mandat politique et d’autre part avec un haut dirigeant du parti. Nous les avons
33
rencontrés grâce à notre implication au sein de l’Académie Verte. Par la suite, nous nous sommes
renseigné sur la littérature scientifique concernant les carrières et la professionnalisation de la politique,
ce qui nous a permis de cerner notre problématique et notre question de recherche. Ces éléments nous
ont servi de fil conducteur pour la poursuite de notre travail.
Après avoir clarifié notre objet de recherche, nous nous sommes informé auprès de notre public
cible : des personnes avec une expérience de parlementaire étiqueté Ecolo. Les premiers contacts ont
été possibles par le réseau personnel, notamment grâce à une sénatrice et à une connaissance travaillant
au sein du parti. De cette manière, nous avons eu l’occasion de rencontrer sept personnes correspondant
à nos critères de recherches. Ensuite, à chaque rencontre, nous avons demandé aux interviewés de nous
mettre en contact avec d’autres personnes de contacts afin de poursuivre la recherche. Ainsi, nous avons
constitué nos interviews par effet « boule de neige » (Anderson, 2008). En parallèle, pour compléter la
recherche et les informations connues sur les parlementaires, nous avons conjointement utilisé les sites
Cumuléo34, le parlement de Wallonie35 et celui de la Chambre36. De plus, nous nous sommes servi d’un
article de journal reprenant une liste de parlementaires écolos37. Au total, dix-neuf interviews ont été
réalisées entre décembre 2018 et Avril 2019. Nous contactions les (anciens) parlementaires par
téléphone ou par email.
Pour cette étude, seize personnes du public cible ont été rencontrées. Les entretiens duraient entre
45 minutes et 1H30. L’ensemble des personnes interviewées ont travaillé en tant que députés durant une
période de quatre ans minimum. Dans ce travail, nous recherchons la diversité des parcours de vie,
raison pour laquelle nos interviews touchent des publics aussi divers que possible (genre, âge, diplôme,
lieu d’habitation, nombre de mandats, type de reconversion). Parmi ceux-ci, certains sont encore actifs
au sein d’Ecolo en tant que bénévoles, travailleurs ou mandataires, d’autres non. À ces seize entretiens
concernant notre public cible, trois s’ajoutent : un entretien avec le responsable des ressources humaines
d’Ecolo ainsi que les deux entretiens exploratoires. L’interview avec le gestionnaire des ressources
humaines s’est réalisé uniquement selon la méthode de l’entretien semi-directif sur base d’un guide
d’entretien. La finalité étant de percevoir le rôle de l’institution sur la carrière des parlementaires et ainsi
avoir une vision holistique. Tandis que les entretiens exploratoires ont été réalisés selon les critères de
l’entretien non directif (Ghihlione, Matalon, & Bacri, 1985). Notons que notre décision de s’arrêter à
seize entretiens ne relève nullement d’un principe de saturation, mais davantage du principe de
faisabilité (Hennink, Kaiser, & Marconi, 2017). Nous avons tenté de rencontrer le maximum de
34 Cumuléo, juin 2019, consultable sur : https://www.cumuleo.be/ 35 Site internet du parlement de Wallonie, juin 2019, consultable sur : https://www.parlement-wallonie.be/ 36 La Chambre des représentants, juin 2019, consultable sur :
https://www.lachambre.be/kvvcr/index.cfm?language=fr 37Geelkens Mélanie, 30 juillet 2015, Ecolo : le calvaire après la défaite, LeVif, consultable sur :
https://www.levif.be/actualite/belgique/ecolo-le-calvaire-apres-la-defaite/article-normal-407969.html.
34
personnes selon nos impératifs temporels. Pour anonymiser l’appellation des parlementaires, nous les
nommons P plus un chiffre distinctif.
Appellation38 Genre Formation Nombre de
mandats
Durée de l’entretien (en
minute)
Date de
l’entretien
Parlementaire 1 Femme Master 3 66’ 01/02/2019
Parlementaire 2 Homme Bachelier 1 56’ 22/03/2019
Parlementaire 3 Homme Bachelier 1 106’ 26/02/2019
Parlementaire 4 Femme Master 1 50’ 11/03/2019
Parlementaire 5 Femme Master 2 53’ 14/03/2019
Parlementaire 6 Homme Master 1 18’ 20/04/2019
Parlementaire 7 Femme Master 3 66’ 30/01/2019
Parlementaire 8 Femme Master 3 40’ 28/01/2019
Parlementaire 9 Homme CTSS 1 48’ 28/01/2019
Parlementaire 10 Homme Master 2 57’ 26/02/2019
Parlementaire 11 Homme Master 3 40’ 05/04/2019
Parlementaire 12 Homme Master 3 58’ 22/03/2019
Parlementaire 13 Femme Master 1 105’ 19/03/2019
Parlementaire 14 Homme Master 1 74’ 18/03/2019
Parlementaire 15 Femme Master 4 102’ 28/03/2019
Parlementaire 16 Homme Master 3 90’ 25/03/2019
Tableau 2 : Listes des entretiens
38 Par facilité, nous nommons parlementaire toutes personnes ayant travaillé au moins quatre ans comme député
dans l’une des assemblées législatives parmi lesquelles Ecolo peut y présenter ses mandataires politiques.
35
Section 2 - La conduite des entretiens
Les entretiens, indépendamment de leurs méthodes, lorsqu’ils sont utilisés à bon escient, sont un
moyen pertinent pour retirer de l’information riche et nuancée (Van Campenhoudt et al., 2017). Ces
méthodes, selon Van Campenhoudt et al.(2017) : « se caractérisent par un contact direct entre le
chercheur et ses interlocuteurs et par une faible directivité de sa part » (Van Campenhoudt et al., 2017 :
241). En effet, ces auteurs considèrent le chercheur responsable de la qualité de l’interaction et des
informations découvertes par sa capacité à « faciliter l’expression ». Pour mener au mieux les entretiens,
nous avons suivi les principes de Van Campenhoudt et al. (2017) : « (1) Poser le moins de questions
possible [...] (2) formuler les interventions d’une manière aussi ouverte que possible […] (3) s’abstenir
de s’impliquer soi-même dans le contenu de l’entretien » (Van Campenhoudt et al., 2017 : 87). De plus,
lorsque c’était envisageable, nous avons essayé de diriger les entretiens dans un contexte adapté.
Toutefois, il n’a pas toujours été possible d’avoir des conditions optimales.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons opéré selon deux modes. Le premier se base sur les
récits de vie au sens où Bertraux (2010) l’entend et le second vient compléter les besoins d’information
par des entretiens semi-directifs. La décision de réaliser des entretiens nous a semblé être pertinente en
tant que moyen pour faire émerger les stratégies des individus (Cappellen & Janssens, 2010).
Nous avons choisi la méthode des récits de vie, car elle peut se calquer à la fois sur notre objet
d’étude et sur notre cadre analytique. Les récits de vie, comme l’explique Bertaux (2010), sont des
entretiens narratifs, durant lesquels un chercheur invite un sujet à lui raconter tout ou une partie de son
expérience vécue. La manière de concevoir les scripts de carrière ou de gérer sa carrière se réalise sur
une période relativement longue, correspondant en tout point à la notion de trajectoire sociale. Comme
l’énonce Bertaux (2010), celle-ci doit être entrevue et analysée à travers un « objet maîtrisable »
(Bertaux, 2010 : 19). L’auteur exemplifie cette notion en montrant qu’il est possible, grâce aux récits de
vie, d’analyser non pas « la réussite sociale » ou « la chute sociale » qui sont des dénominations vagues,
mais : « S’il s’agit en revanche d’étudier comment on devient homme ou femme politique […] ou SDF,
il apparaît que ce qui donne cohérence à de tels objets d’étude c’est qu’ils relèvent d’un même monde
social » (Bertaux, 2010 : 19). À travers cette méthode, nous voulons mettre en avant la manière dont
les parlementaires perçoivent leur parcours professionnel et expliquent leur choix de carrière.
La première partie des interviews est donc consacrée aux récits de vie et nous poursuivons avec
un entretien semi-directif dans le but de cerner au mieux notre objet de recherche. Cette seconde
méthode, grâce à un questionnaire guide, nous permet de recadrer l’entretien afin de disposer
d’informations précises et requises pour la poursuite de notre travail (Ghihlione et al., 1985).
Pour débuter les interviews, nous leur demandons de raconter leur parcours scolaire, professionnel
et politique jusqu’à aujourd’hui. Les entretiens sont ouverts avec peu d’interventions de notre part, si ce
n’est pour clarifier des explications. Généralement, il s’agit de la période la plus longue de l’entretien.
36
Cependant, contrairement à ce que Van Campenhoudt et al. (2017) prodiguent, nous n’avons pas eu
l’occasion de réaliser plusieurs séances. L’entretien se poursuivait avec des questions plus précises
issues de notre guide d’entretien. Ce guide a été adapté au fur et à mesure de l’avancée des rencontres.
Section 3 - Analyse des entretiens
L’ensemble des entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Ce fonctionnement
répond à l’évolution de notre recherche, qui par sa volatilité, exige ce principe de précaution afin de
disposer de l’ensemble de nos matériaux.
L’analyse a pour but, dans un premier temps, de nouer les scripts de carrière à notre objet de
recherche et dans un deuxième temps de comprendre les stratégies mises en place par les parlementaires
pour gérer leur carrière professionnelle. Pour cela, nous analysons le discours de chaque interviewé et
nous comparons les ressemblances et les différences des trajectoires professionnelles. À cette fin, nous
utilisons l’analyse thématique comme moyen (Blanchet & Gotman dans De Singly 2007). Nous avons
également codé nos résultats de manière horizontale et verticale afin d’identifier la dimension cognitive
et comportementale des trajectoires professionnelles.
Section 4 - L’analyse documentaire et l’observation
Pendant la réalisation de notre mémoire, nous avons profité de notre engagement politique pour
réaliser des observations. Celles-ci se déroulaient pendant les formations de l’Académie Verte, les
assemblées générales provinciales ou diverses réunions. Ces observations nous ont permis de nous
immerger dans notre terrain de recherche. Toutefois, nous gardions à l’esprit la nécessité de conserver
nos distances. Grâce à nos contacts, nous avons pu obtenir certains documents internes du parti comme
le règlement des statuts, des documents relatifs aux indemnités, la préparation de nouveaux règlements
internes, les contrats de réciprocités etc., nous permettant de réaliser des analyses documentaires.
CHAPITRE III : Un cadre analytique, des objectifs et des limites
Section 1 - Le choix du cadre analytique
Pour l’analyse de nos matériaux, nous nous basons sur le cadre théorique des scripts de carrière
développés par Barley & Tolbert, (1997). Si ce cadre analytique répond aux nombreux besoins et enjeux
de notre problématique, l’idée de son utilisation ne nous est pas imputable. C’est à la suite d’échanges
avec notre promoteur que nous avons convenu du cadre analytique pour notre recherche. En effet, en
plus de connaître un nouvel élan de recherche depuis quelques années, les scripts permettent à la fois
d’intégrer l’influence des acteurs et celle de la structure. Ce qui offre une analyse dynamique du parcours
de carrière. Enfin, les scripts de carrière sont en adéquation avec notre méthode de recherche qui, par
les récits de vie, expriment bien les trajectoires professionnelles (Bertaux, 2010). De plus, ce travail
37
répond à l’incitation de Garbe & Cadin (2015) de poursuivre les recherches des scripts de carrière sur
un métier donné ou encore de les étudier dans d’autres contextes.
Section 2 - Les objectifs de la recherche
Grâce à notre expérience obtenue au sein de notre terrain de recherche, nous avons pu soulever la
problématique de notre mémoire. Nous avons observé l’ambigüité du parti concernant la
professionnalisation de la politique et celle de ses députés d’une part, et la difficulté pour certains
parlementaires de construire dans la continuité leur carrière professionnelle d’autre part. Ainsi, l’objectif
de la recherche est multiple. Avant tout, nous désirons en savoir davantage sur la manière dont sont
conçues et pensées les carrières par des individus avec un statut libre, mais sujet à un ensemble de règles
provenant d’une institution. De cette façon, nous espérons développer nos connaissances sur les enjeux
liés à un investissement en politique au niveau de la carrière professionnelle et de voir dans quelle
mesure certains dispositifs contraignent la professionnalisation de la politique. Ensuite, il nous semble
primordial de comprendre le vécu39 (usages, pratiques et discours) d’un métier qui, de par le
particularisme de son statut, ne permet pas aisément de se remettre en question. Il convient également
d’essayer de prendre en considération les facteurs qui façonnent les trajectoires professionnelles des
parlementaires écolos et la façon dont ceux-ci les « enact » (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996).
Enfin, par notre travail, permettre aux partis politiques ainsi qu’aux parlementaires de mieux
appréhender les trajectoires professionnelles dans un contexte spécifique, qui est le leur.
Section 3 - Les limites de la démarche
De nombreuses limites peuvent être pointées. Tout d’abord, nos entretiens concernent une faible
proportion du public cible, n’atteignant pas le principe de saturation. Par ailleurs, notre étude ne porte
que sur un corps de métier, mettant de côté d’autres professions avec des conditions sociales similaires
tels que les mandataires locaux ou les travailleurs internes du parti. Notons également que les personnes
interviewées n’ont pas exercé la fonction de parlementaire durant la même période de temps, ouvrant
une dimension diachronique à notre travail. De surcroît, il n’a pas été aisé de réaliser les entretiens dans
des endroits propices à leur réalisation. La plupart des personnes interviewées étaient d’anciens
parlementaires ne disposant plus de bureaux. Par conséquent, il était courant de s’entretenir dans des
lieux communs tels qu’un café, ce qui ne permettait ni le calme ni l’isolement (Van Campenhoudt et al.,
2017). Comme l’exprime Blanchet (2007), tout lieu, de par sa configuration et sa définition engendre
diverses significations pouvant influencer l’entretien. De plus, de par notre méthode, il faut compter sur
une part de subjectivité de la part des interviewés, s’agissant de récits de vie qui n’ont pas de vérité
historique, et opérés surtout par des dissonances cognitives (Cadin et al., 2003). Une autre difficulté a
été la disponibilité des personnes rencontrées. À plusieurs reprises, nous avons été obligé de raccourcir
39 Plus spécifiquement, nous analysons le discours du vécu. Nous nous intéressons non pas à ce qu’ils perçoivent
mais à ce qu’ils font car le vécu est déjà, en soit, une construction subjective.
38
les entretiens, nos interlocuteurs étant tenus par le temps. Enfin, bien que la littérature nous aide à mettre
en place une rupture épistémologique40, pouvoir nous détacher de notre implication dans le parti a été
une étape complexe. Parallèlement aux problèmes inhérents à notre terrain de recherche, il s’est avéré
ésotérique de réaliser une revue de littérature. Fréquemment, nous avons dû faire face à des accès
restreints concernant la littérature scientifique. Dès lors, nous n’avons pas pu aller aussi loin que nous
le souhaitions pour réaliser notre état de l’art. Au vu des limites énoncées, de celles dont nous n’avons
probablement pas conscience, et de nos connaissances scientifiques relatives, une posture humble
s’impose quant à la portée de notre travail.
40 La revue de littérature nous a permis de comprendre les différentes manières de concevoir les trajectoires
professionnelles et ainsi de faire un pas de côté.
39
QUATRIEME PARTIE : MISE A PLAT DES DONNEES
Pour comprendre la manière dont les parlementaires se représentent et gèrent leur carrière
professionnelle, nous allons maintenant mettre en relief nos données empiriques relevées lors de nos
entretiens. Dans un premier temps, nous allons décrire comment les parlementaires perçoivent la
carrière. Ensuite, nous nous intéresserons plus spécifiquement à la conception d’une étape politique au
sein de leur carrière. Nous poursuivrons sur l’influence cognitive du parti, sur les représentations des
individus et les dispositifs mis en place. Enfin, nous terminerons sur leurs caractéristiques individuelles
et ce qu’implique un investissement en politique par rapport à leur trajectoire professionnelle ainsi que
les stratégies de carrière.
CHAPITRE PREMIER : La représentation de la carrière
Section 1 - Une vision court-termiste
Lorsque nous avons demandé aux parlementaires de nous livrer leur conception de la carrière et
la manière dont elle a évolué, la plupart de ceux-ci ont mis en avant une vision court-termiste où la
notion de « faire carrière » était absente.
« À partir de ce moment, on a cherché du boulot partout mon mari et moi. Donc, on a choisi cette
voie-là, ce n’est pas du tout construit, ce n’est pas un plan de carrière. […] Je pense qu’au jour
d’aujourd’hui personne ne fera une carrière complète dans la vie privée d’aujourd’hui » (P1).
« Mon premier boulot, mon premier contrat je l’ai signé en 82 en sortant de l’école, je n’ai jamais
pensé que je ferais carrière, jamais, jamais. […] Carrière, c’est un mot presque étranger dans mon
parcours. Avant d’être parlementaire et encore plus après. Est-ce que je pouvais rêver, un petit
éducateur de devenir parlementaire ? La plupart des gens ont un diplôme universitaire, ils sont issus
d’une certaine classe bourgeoise, moi je suis issu du monde ouvrier rural. Voilà, je suis très
conscient que j’ai pu, à un moment donné, faire des choses qui sont rares et exceptionnelles. […]
J’avais une vie avant la politique, j’en aurai une après. Moi ce n’était pas un problème conceptuel
de travailler à autre chose. […] Déjà dans ma génération, on n’est pas nombreux à avoir eu des
carrières linéaires, c’est de moins en moins probable. Avant, c’était linéaire, tu étais engagé un jour
et tu y étais jusqu’à ta pension. Donc, pour moi, c’est un enjeu à garder en mémoire » (P3).
« Ah non, mais moi je n’ai pas de plan de carrière ! Je n’ai pas de plan de vie tout court. Non non
vraiment. Je suis trop consciente que la vie s’arrête du jour au lendemain. […] Je n’aime pas les
trucs qui sont trop préparés, les plans de carrière. […] Je pense qu’on perd énormément d’énergie
à suivre un plan de carrière plutôt qu’à se laisser guider dans une vie qui devient une carrière […]
Tu es aussi vite monté que descendu et il faut garder ça à l’esprit. C’est déjà une chance de monter
par moment dans une vie » (P4).
40
« Je vois ma vie professionnelle comme une succession de chapitres, mais effectivement, je n’ai
jamais eu de plan de carrière. [Ne pas être réélu…] Ce n’est pas très agréable à vivre, mais en fait,
pour moi, dans mon ‘non-plan de carrière’, j’étais déjà ailleurs. Je n’ai pas du tout de plan en tête,
je n’ai pas du tout non plus d’envie particulière. […] Beaucoup de gens me disent c’est quoi ton
projet ? Qu’est-ce que tu veux ? Et je ne sais pas répondre à cette question. Peut-être qu’un jour, je
referais de la politique. […] Mais, moi, je n’avais pas peur. C’était peut-être mon côté tête brulée »
(P5).
« Mais bon, je savais que c’était un job dur, mais l’important c’était de continuer à faire avancer la
boutique. J’ai toujours été à des endroits où j’ai pu contribuer à faire avancer les choses et cela ne
m’a jamais gêné de le faire en étant dans des positions différentes : parlementaire, assistant
parlementaire, dans les services d’études ou échevin. Pour moi, l’important, c’était de faire avancer
les projets […] je réfléchissais en termes de courant politique, plutôt que de carrière » (P12).
« Oui, moi je n’avais pas d’idée préconçue pour ma carrière professionnelle et donc pas non plus
pour ma carrière politique. Quand j’ai commencé à travailler pour Madame X, je n’imaginais pas
que quelques mois plus tard, après les élections, je serais impliqué dans les négociations et que je
me retrouverais directeur de cabinet. Je n’avais pas d’objectif dans cette optique-là. […] J’ai
souvent pris des risques, forcément à Ecolo on prend des risques en entrant en politique et en
assurant des mandats » (P14).
Il ressort de ces extraits une absence de planification, les individus ne sont pas centrés sur un
objectif particulier ou des étapes à suivre. La trajectoire professionnelle dépend de l’interprétation
individuelle et est soumise aux aléas. Ainsi, le parcours professionnel global des individus ne semble
pas être un phénomène construit proactivement. D’une part, il convient de comprendre qu’ils voient leur
expérience professionnelle comme des surprises avec peu d’attentes et dont l’issue n’est jamais certaine.
D’autre part, ils estiment prendre des risques durant leur carrière. La carrière n’est pas vue comme
linéaire, mais plutôt dynamique et faite de rebondissements dans un environnement socio-économique
instable. Les expériences sont multiples et pluri-organisationnelles. Le chemin n’est pas tracé, mais
ponctué par des événements particuliers vecteurs de changements.
Section 2 - La politique et la carrière : une relation incertaine et ambiguë
Pendant les entretiens, l’expérience d’un mandat politique était considérée comme une étape
parmi d’autres. Il n’était pas question d’un choix spécifique ou d’attentes particulières, mais davantage
dû à la conjoncture politique. Ainsi, faire carrière en politique était complexe et incertain, ils étaient
conscients que de nombreux facteurs externes déterminaient la poursuite ou non de leur carrière.
« Il y a une règle de base contre laquelle on ne sait rien faire, un mandat politique est un mandat à
durée déterminée et on ne sait pas combien de temps il va durer. Tout peut changer à chaque fois,
on peut monter et descendre. […] En politique, du jour au lendemain, tout s’arrête. Enfin, peut
41
s’arrêter. Dès que l’on a un mandat, on est la personne la plus importante du monde. Quand c’est
fini, on n’a plus aucune valeur, on ne sert plus à rien » (P15).
Les résultats électoraux du parti jouent un rôle prépondérant pour déterminer si oui ou non il est
possible de se projeter. En effet, en fonction du nombre de votes, le financement des partis fluctue. Dans
le cas d’une victoire, le parti est demandeur d’une main d’œuvre qualifiée et la concurrence pour des
postes à l’intérieur du parti est moindre, sans parler d’éventuels postes à pourvoir à l’extérieur de celui-
ci. Cette demande peut être d’autant plus accrue dans le cas d’une participation au pouvoir. A l’inverse,
si les résultats électoraux chutent, le parti rencontre des difficultés pour conserver ses travailleurs,
mandataires, etc. D’autant plus s’il n’a pas d’« assise électorale » et que le parti ne dispose pas de
« pilier ». D’autre part, la concurrence pour rester en politique est plus forte et les finances plus faibles.
« On ne peut pas avoir une assurance emploi. […] C’est impossible puisque les ressources d’un
parti sont notamment liées au nombre d’élus et donc ça fluctue beaucoup chez Ecolo. Ça fluctue
beaucoup moins au CDH, au PS, au MR, ils ont encore des structures satellites où ils peuvent
recaser leur personnel. […] Non il n’y a pas vraiment de filet parce qu’en réalité, et les contrats le
mentionnent, avec la défaite de 2014, il a fallu licencier la moitié du personnel. Donc, dans un parti
comme Ecolo qui n’est pas un parti traditionnel, où les résultats sont en dents de scie, on sait bien
qu’on risque de se retrouver à un moment donné … sans emploi » (P13).
« C’est-à-dire, je n’avais aucune chance d’être réélu parce qu’en 2004 on a fort fort perdu les
élections. En plus à X [ville wallonne], on avait 3 ministres sortants : Monsieur X1, Monsieur X2,
Madame X3. Il n’y avait vraiment pas place pour tout le monde, ça ne servait à rien, je savais que
je n’allais pas être réélu. C’est pour cela que j’ai saisi la balle au bond de m’occuper du parti. Le
parti avait vraiment besoin d’être relancé, car on avait fort perdu les élections […] il n’y a pas de
garanties parce qu’Ecolo ne sait pas garantir dans la durée son financement. Tout le monde, même
les permanents ne sont pas garantis, ils ne sont pas fonctionnaires. À tout moment donné, ils peuvent
être licenciés parce qu’il n’y a plus de place pour eux. […] D’ici là, on verra les possibilités qui
seront là pour moi puisqu’Ecolo va progresser, va se redéployer. Il y aura beaucoup de nouveaux
postes ou sinon, je chercherai d’autres postes donc c’est un peu l’inconnu. Je chercherai tout à fait
autre chose » (P11).
« Maintenant, si tu vois au parti, de nombreux permanents sont partis parce qu’ils ont un poste
d’échevin ou de bourgmestre. On ne saura pas ce que seront les résultats des élections mais il y a
beaucoup de chance que d’autres soient nommés. Donc, je pense que je pourrais aussi être utile au
sein du parti à une fonction ou à une autre » (P1).
« Il y a plein de personnes qui arrêtent après un ou deux mandats, ou trois. Le fait que nos résultats
sont en dents de scie font qu’il y a une espèce de sélection naturelle. […] Par rapport aux autres
partis, on est quand même beaucoup plus fragile » (P14).
42
« Comme jusqu’à présent, on renfloue le cadre, on a besoin de plein de gens, on gagne les élections,
c’est bingo puis on s’effondre et il n’y a plus personne. Après, le cadre est tellement petit qu’on ne
saurait pas proposer quoi que ce soit ailleurs à tous les élus Ecolo qui ne sont plus réélus » (P4).
« Pour les parlementaires qui partent, je pense que ce sera un peu plus facile de se recaser [après
les élections] parce qu’il y aura des cabinets ministériels qui vont se créer où ils peuvent postuler
ou dans des associations proches d’Ecolo, Green Peace, Oxfam. Beaucoup de gens sont partis chez
Oxfam après les élections en 2014 donc c’est plus facile pour un parlementaire de partir quand le
parti a le vent en poupe » (GRH, 2019).
Parallèlement aux résultats électoraux, ceux-ci sont d’autant plus déterminants en fonction de la
circonscription électorale. Ainsi, si la taille de la circonscription est importante, c’est-à-dire avec un
nombre important d’électeurs comme dans les grandes villes, la probabilité de continuer son expérience
politique est plus forte. La probabilité d’être élu ou réélu varie aussi selon la sociologie de la
circonscription. Les candidats déduisent des probabilités selon le potentiel de voix par localisations dont
certaines sont plus porteuses que d’autres.
« Quand on fait de la politique, on fait du théâtre et donc, j’ai la posture que je vais l’avoir mais au
fond de moi-même je ne pense pas que je vais l’avoir. Parce que le seuil électoral en province du
Luxembourg est trop élevé. Ici, je me présente à la chambre et ça reste encore très élevé. En fait, ici
c’est plus de 15 % pour l’avoir. Ce n’est pas du tout gagné en fait. Moi, voilà ça a été dit, c’est un
poste de combat » (P1).
« La vraie difficulté, c’est si tu n’habites pas dans une grande ville, si tu n’es pas dans un
arrondissement qui pèse d’un point de vue électoral. Ça, c’est une vraie difficulté, on m’avait déjà
proposé d’aller habiter à X [grande ville] […] et le système d’apparentement fait que ce n’est
accessible qu’à partir d’un certain seuil électoral. Ce n’est pas positif pour les plus petits partis.
Ça, tu le sais quand tu es chez Ecolo que tu n’as pas de certitude. Moi, aujourd’hui, je n’ai pas de
certitude » (P2).
« C’est plus dur de faire de bons résultats à Charleroi que dans une ville du Brabant wallon, parce
que la sociologie par rapport à Ecolo n’est pas la même » (P12).
« Si j’avais habité le Luxembourg, je n’aurais pas été parlementaire. Si j’avais habité Bruxelles, je
serais resté plus longtemps parlementaire » (P16).
Les évolutions de la législation peuvent déterminer la durée de la trajectoire professionnelle.
Ainsi, durant les précédentes législatures, les règles encadrants les conditions d’exercices du métier de
parlementaires étaient différentes. Pour avoir une pension complète, un député devait exercer sa fonction
pendant vingt ans. De cette façon, si un parlementaire était élu pour un mandat, il avait droit à 5/20 de
la pension de député. Depuis, 2014, les règles ont changé, dorénavant la pension se calcule sur 45 ans
et son droit s’ouvre, non plus à 55 ans mais à 67 ans. De plus, le nombre d’élus par circonscription peut
43
également fluctuer pour s’adapter à un recensement de population41, ou à un changement de la
législation.
A la fin de la législature que j’ai faite, en 2014, les règles ont changé et sont devenues beaucoup
plus strictes, à juste titre. Avant, la période parlementaire se calculait sur 20 ans et maintenant, elle
est passée ensuite à 36 ans. Quand moi j’avais fait 15 ans, j’avais fait un trois quarts de mandat. Si
j’étais restée ou si j’avais été un peu plus vieille, tout aurait été décalé, 15 ans sur 36 ans, ça ne
ferait même pas la moitié. Donc quelque part, les vieux parlementaires et ceux qui ont terminé avant
2014 bénéficient de conditions de pension bien plus intéressantes que maintenant. Donc, quelque
part, je suis beaucoup plus à l’aise que si j’étais un tout petit peu plus jeune ou que si la question se
posait maintenant » (P8).
« La pension pouvait être acquise à partir de 55 ans et donc elle a été reportée à 62 […] J’avais
mon indemnité de sortie jusqu’en 2015 et puis j’avais droit à la pension. Mais je suis resté longtemps
dans l’incertitude à cause des mesures transitoires, il y a eu 36 versions, et j’aurais pu me retrouver
seulement avec la pension à 62 ans. […] Dès que le règlement de pension a été voté, l’incertitude a
été levée mais pendant l’année des négociations, j’étais dans l’incertitude totale. Et revenir sur le
marché du travail à 54 ans avec un parcours exclusivement politique … » (P12).
« Aujourd’hui, la discrimination n’existe plus parce que nous avons le Conseil d’Etat et la Cour
Constitutionnelle qui ont dit qu’une circonscription de moins de 2 ou 3 élus est anticonstitutionnelle
[deux circonscriptions ont été fusionnées] et donc maintenant la discrimination n’existe plus. La
province du Luxembourg ne bénéficiera plus de la cooptation du Sénat42 » (P1).
Les parlementaires écolos considèrent qu’ils ont peu d’emprise sur la décision d’entrer ou de
continuer en politique. D’ailleurs, leur entrée en politique43, selon eux, découle d’un concours de
circonstances qui va produire une série d’opportunités.
« Je votais Ecolo mais je n’étais pas très engagée politiquement. Mais voilà, l’opportunité s’est faite
et j’ai mis les doigts dans l’engrenage. Cela a duré 23 ans finalement : 8 ans d’attaché plus 15 ans
parlementaire. […] J’étais onzième donc il n’y avait limite rien qui me prédestinait à siéger et
pourtant, on a eu 14 élus à cette époque-là et j’étais parmi ces élus, vraiment pas de préférence.
Mais voilà, en 1999, il y avait la dioxine et plein de choses qui nous ont menés au pouvoir » (P8).
« C’est plutôt la saisie d’opportunité dans le bon sens du terme. Je pense qu’à l’inverse, je ne me
suis jamais dit, je vais faire de la politique » (P4).
«’Allez, t’es jeune, t’es bien, tu as des idées’, on se fait un peu pousser, et puis on a des idées, on a
envie que ça bouge. Au début, on ne va pas là avec des ambitions, un truc de carrière, mais c’est
41 Les recensements de population se réalisent tous les deux ans. 42 Aujourd’hui, la probabilité d’être élu est plus importante qu’avant, le seuil électoral étant passé de 25 % à 15%
pour avoir un élu. 43 Ici, lorsque les parlementaires évoquent l’entrée en politique, ils mettent en avant l’obtention d’un mandat de
parlementaire.
44
petit à petit, quand on est dans la machine on finit par se dire, tiens, il va y a avoir des élections, il
n’y a personne qui se présente pourquoi est-ce que moi je n’irais pas, en me disant je n’ai aucune
chance d’être élu de toute façon. Puis, en grattant un peu, on se dit : ‘tout compte fait il y a peut-
être moyen’. On n’y croit pas vraiment, enfin ça se construit petit à petit » (P10).
« A l’époque, Ecolo est partagé sur la participation. Il n’y a personne qui m’a dit :’est-ce que tu ne
serais pas ministre ? Est-ce que tu ne te proposerais pas ?’ C’est moi qui me suis proposé. […] On
est 700, le bureau du conseil de fédération est sur la scène d’un grand amphi et pose la question : ‘
qui est candidat ?’ Tu es devant les 700 personnes et tu lèves ta main. Je lève ma main, point44 »
(P16).
Toutefois, d’autres mettaient en avant, non pas le caractère opportuniste, mais davantage la
passion pour la politique ou le sentiment d’être utile avec une certaine vision politique de leur trajectoire
professionnelle. Cependant, il n’est pas question de périodes de temps prédéterminées ou d’étapes
claires à suivre.
« Moi, je suis toujours parti de la passion et des valeurs, je ne suis pas parti de la carrière. Je me
suis investi, c’est après que la carrière est venue. […] Voilà, moi ce que j’avais envie de devenir,
au début de ma carrière, c’était parlementaire parce que c’était le débat public, le fait de débattre,
d’exprimer des valeurs, tout ça en fait […] De travailler dans un boulot, une fonction, sauf si tu as
des évolutions de carrière, ce n’est pas trop mon truc surtout que moi j’aime bien relever des défis
etc. C’est un peu ça qui me motive dans ma carrière. Je n’avais pas de plan de carrière, enfin si,
celui de faire de la politique, mais ce n’était pas, je vais aller là, je vais aller là. […] Non, je n’ai
jamais arrêté, même sans rémunération. J’ai toujours continué parce que ça me passionnait, voilà.
Je continue d’être actif à tous les niveaux où je pouvais m’investir » (P2).
« Moi, j’ai toujours trouvé qu’il était vraiment utile d’être dans l’action donc, de ce point de vue-
là, j’étais candidat ministre, forcément pas tout de suite, je savais bien qu’il fallait de l’expérience
et connaître le système, etc. » (P11).
Pour les députés écologistes, ce sont les citoyens mais surtout les militants qui ont le pouvoir.
Ainsi, comme le parti est décentralisé, l’environnement est mouvant et il est difficile d’anticiper ce qui
peut se produire. Il serait complexe de « préparer ses arrières ». D’une part, à chaque élection, tout
individu en ordre de cotisation chez Ecolo a le droit de se présenter. D’autre part, les militants peuvent
changer de comportement et soutenir ou retirer leur confiance à un candidat. De plus, ce ne sont pas
toujours les mêmes militants qui sont présents lors de chaque poll électoral45. Ainsi, être en place
stratégique46 sur une liste n’est jamais acquis. Par ailleurs, certains mandats sont décernés par cooptation
44 La personne est devenue ministre. 45 Le poll électoral est le moment de la désignation et de l’ordre des places stratégiques sur les listes. 46 Place où la chance d’être élu est significative.
45
en fonction des votes « restants » soumis là aussi au vote des militants. Il est donc impossible de prévoir
le résultat.
« Le pouvoir chez Ecolo, j’utilise le terme d’archipel avec beaucoup d’îles. Avec des grandes îles,
des petites îles, des îles ou des endroits avec beaucoup de pouvoir. […] C’est très diffus et c’est très
complexe pour une personne externe de décoder et de comprendre. Le pouvoir ça bouge tout le
temps et c’est très dispersé avec une culture avec trop de méfiance […] N’oubliez pas qui désigne
les têtes de liste ! Ce sont les AG, les militants, si vous voulez une longue carrière chez Ecolo, il faut
surtout garder la confiance des militants. […] Ce sont les militants qui font un premier choix […]
Ce sont les militants qui décident de la carrière. Dans 5 ans, la composition de l’AG sera différente
de celle de cette année, ce sera d’autres militants qui auront d’autres idées. Est-ce qu’ils vont dire
que Monsieur X est toujours un excellent parlementaire ?» (P6).
« Le mandat ne t’appartient pas. C’est quelque chose qui ne t’appartient pas en fait. C’est l’électeur
qui décide. […] Elle, elle se donne [une potentielle candidate], elle sacrifie peut-être même sa
carrière. En se disant voilà, je serai députée demain et elle n’est pas retenue par le parti [lors du
vote des militants] alors qu’elle avait toutes les chances de l’être. Et c’est Madame X qui sort de
nulle part » (P1).
« Les listes, elles sont faites plusieurs mois avant les élections et on n’est jamais certains des
résultats quand on fait les listes et même si on connaissait les résultats, on ne sait pas forcément
dire qui va être élu parce que ça dépend aussi des autres partis. Il y a une part de loterie dans ceux
qui vont être élus » (P11).
« Il ne s’attendait pas à se faire recaler en fait, jusqu’au dernier jour. Je ne pense pas que les gens
soient dans une trajectoire d’une défaite électorale, d’un poll négatif ou une décision d’AG. Ils vont
y croire jusqu’à la dernière minute, puisqu’il s’agit de se battre pour obtenir un mandat. Tu ne
prépares pas spécialement bien tes arrières » (Directeur Politique, décembre 2018).
La politique est perçue comme un environnement hostile où des évènements inattendus
surviennent. Il est question de faire face à de la « violence ». Pendant les entretiens, les (ex) députés
pointaient leur surprise face à cette animosité. Deux raisons sont mises en avant, bien qu’elles soient
considérées comme informelles. La première est la concurrence pour l’obtention d’un mandat, il
convient de se mettre en avant par rapport à d’autres candidats afin d’obtenir des positions stratégiques
sur les listes électorales. La deuxième raison est l’image négative des parlementaires auprès des militants
qui seraient hostiles à une quelconque concentration du pouvoir.
« Chez Ecolo, comme ailleurs, le moment où il faut constituer les listes, c’est un moment de grande
violence. […] Cela ne peut être que des alliés et des amis mais ce n’est pas vrai. Il y a aussi des
interactions violentes, des pièges, des attentats à l’interne du parti. Cela existe, j’en ai vécu » (P3).
« Puis après, tous les côtés horribles de la politique, je veux dire la politique c’est blindé de
poignards dans le dos. Mais voilà, ça ne me décourage pas, je trouve que ça fait partie du deal. Si
46
on veut faire bouger les choses, il faut redresser les épaules et il faut y aller. Je l’ai bien vécu.
Autrement je ne remettrais pas le couvert ! » (P4).
« Puisqu’en interne, tu es député, tu as fait ton premier mandat, tu te dis : ‘et bien voilà je suis
candidat au 2e’. Mais il faut d’abord qu’en interne on te dise : ‘mais oui, c’est toi le meilleur
candidat’. Et ça aussi ce sont des expériences difficiles, ce n’est pas une belle amitié bien nette, bien
claire et bien sincère. Il y a des jeux d’influences, il y a des coups bas même si c’est chez Ecolo, il y
a des trucs que tu ne comprends pas et moi j’avais l’impression que ça allait aller les doigts dans le
nez, que tout le monde disait c’est toi qui dois être tête de liste etc. Et puis, trois jours avant,
quelqu’un te dit : ‘tu es en train de te faire ‘b*****’, tu vas te faire avoir’. Je n’avais rien vu venir »
(P10).
L’utilisation de ces extraits d’entretiens nous permet de dresser plusieurs constats. Tout d’abord,
l’expérience de mandataire politique est par essence à durée limitée. Indépendamment des choix posés,
la remise en question de son statut et de sa position est renouvelée à chaque nouvelle élection. Ensuite,
les chances d’être (ré)élu varient en fonction des résultats électoraux du parti, sur lesquelles ils ont une
influence relative. Cette probabilité peut être pondérée en fonction de la taille de la circonscription
électorale ou de la cooptation. Cette pondération peut être d’autant plus conséquente si le parti participe
au pouvoir. Ajoutons que les résultats électoraux ont des conséquences en cascade, en perdant ou en
gagnant les élections, les opportunités d’emplois fluctuent au sein du parti, ce qui peut s’accentuer selon
son pilier. Autre constat, le caractère incertain du positionnement dans la liste du candidat. En effet, de
par la décentralisation du parti, il est complexe d’avoir une posture stable et assurée lors des élections.
Par ailleurs, l’expérience politique est perçue comme difficile et laborieuse, où il est nécessaire de se
battre pour se faire une place, ainsi « rien n’est jamais acquis », et où tout est « une question de
résilience ». Pour autant, elle est vue comme une « opportunité », une « passion » ou encore un lieu où
l’on est « le plus utile ». Enfin, l’évolution de la législation qui entoure le statut du parlementaire est en
constante évolution, rendant leur trajectoire politique d’autant plus incertaine.
CHAPITRE III : L’INFLUENCE DU PARTI SUR LES REPRÉSENTATIONS
Section 1 - Un parti avec de nombreuses règles
Lorsque nous avons abordé la question du fonctionnement d’Ecolo concernant la gestion de
carrière des députés, les (ex) parlementaires nous l’on décrit comme un espace fortement réglementé.
Ainsi, de leur point de vue, ce qui les différencie des autres partis politiques, c’est qu’ils sont conscients
d’être des « humains » comme les « autres », c’est-à-dire des humains attirés par le pouvoir. Pour faire
face à cette problématique, ils mettent en place une série de règles « strictes » pour assurer un de leurs
objectifs : un fonctionnement démocratique. C’est pourquoi il existe la limitation des mandats dans le
temps et le principe du décumul.
47
« Ecolo n’est pas un parti plus pur que les autres, c’est une assemblée d’êtres humains. Ce sont les
règles du jeu qui balisent, qui font en sortent que les comportements humains sont plus intéressants
que chez les autres. C’est la règle qui fait ça. Les règles sont plus précises et plus strictes
qu’ailleurs. […] Par rapport à Ecolo, le mandataire est considéré comme au service du parti et le
parti, ce sont des instances de décisions comme l’assemblée régionale, le conseil de fédération etc.
On a des contrats de réciprocité, on a des tas de trucs. Si l’assemblée générale ne respecte pas le
parlementaire, il peut danser sur sa tête. […] Voilà, le parlementaire est considéré comme un
soldat » (P3).
Cependant, s’il existe un consensus parmi les (ex) parlementaires concernant la nécessité d’avoir
des règles, elles ne sont pas immuables pour autant. Il est possible d’y déroger.
« On se donne des règles. Quelque part, à la naissance d’Ecolo, on est un parti différent mais on
est des gens comme les autres et on préjuge du fait que le pouvoir peut tourner la tête. Quelque part,
la fonction crée l’organe quand tu y es, tu as envie d’y rester, on est des gens comme les autres.
Comme on a peut-être plus conscience qu’on est des gens comme les autres, on se donne des règles
plus strictes. Et moi, je suis la première concernée, je vais chez Ecolo en me disant, c’est quelque
chose qui me motive d’avoir deux mandats dans le temps et quand je suis concernée je demande une
dérogation, c’est hallucinant quoi. Je n’en suis pas fière mais je l’ai obtenue presque à 100%, je
l’ai obtenue de manière unanime aussi. […] Je trouve qu’il est très important de s’en rendre compte,
on se donne des règles. Ça serait dogmatique que les règles soient absolues » (P1).
« Parfois je me dis, j’ai vu certains de mes collègues qui ont fait 4-5 mandats et je trouve que par
rapport à notre idée de départ, c’est difficile à faire passer dans l’opinion publique et même par
rapport à soi-même, de se dire pourquoi on met des règles si on les contourne si facilement. Je
trouve que l’idée qu’on ne fasse pas ça toute sa vie, c’est bien » (P8).
Il n’existe pas que des règles formelles (limitation dans le temps, non cumul, rétrocession, contrat
de réciprocité, etc.), il ressort des entretiens une série de règles informelles (chez Ecolo, c’est le mandat
« avant tout » et on ne te « recase » pas).
« De se mettre dans un état d’esprit qui est : ‘un mandat politique, on demande que cela soit à temps
plein et cela devient un boulot effectivement’. On doit toujours se dire quand : ‘c’est fini c’est fini
le parti ne m’est pas redevable de quelque chose’ […] Les exigences d’Ecolo sont telles que c’est
d’abord le mandat politique » (P15).
« Surtout chez Ecolo tu n’as aucune garantie. Personne ne te promet rien. Et Ecolo est peut-être
plus assassin qu’un autre parti. Il n’y a que des règles et les règles sont froides tandis que l’humain
est chaud. […] Mais voilà, on ne va vous trouver un job parce que vous avez perdu le vôtre, ça ne
se fait pas dans le parti » (P2).
« Un journaliste m’a dit un jour, je pense en 2014 : ‘mais P1 si tu n’es pas réélue, j’imagine que le
parti a un plan pour toi’. Mais non, non évidement que non et cela change vraiment par rapport aux
48
autres partis. Il n’y avait pas de place pour me recaser dans un cabinet ou n’importe où, ce n’est
pas comme ça que ça fonctionne » (P1).
Pour être « recasé », les (ex) parlementaires ne peuvent pas faire prévaloir leur statut. Ils sont
évalués de la même manière que d’autres candidats. Ils sont, à ce titre, soumis à des procédures de
sélection.
« Dans l’intérêt du parti, tu lances une procédure et tu gardes le meilleur. Est-ce que c’est l’ancien
parlementaire ? Tant mieux, peut-être pas » (P6).
Il ressort des entretiens une vision ambiguë sur le nombre de mandats à réaliser, que ce soit d’un
point de vue réglementaire ou d’un point de vue moral. Pour certains, il s’agit de réaliser deux mandats
et de se projeter dans cette perspective. D’autres considèrent qu’il est possible de faire trois mandats, le
premier pour apprendre, le second pour exceller et le dernier pour sortir de la politique. Or, chez Ecolo,
si la règle est fixée à deux mandats, en moyenne, les parlementaires ne font qu’une législature. L’enjeu
est de rester représentatif du citoyen par le biais d’une rotation des élus tout en conservant une certaine
expertise.
« Quand moi, je me suis projeté, je devais faire 2 mandats. C’est 10 ans et donc à la fin de mon
deuxième mandat, je devais me préparer à une sortie. Or, chez Ecolo, on fait en général un mandat »
(P9).
« La catégorie des gens comme moi et d’autres qui savaient que c’était leur dernière législature et
qui ont décidé d’arrêter [elle a réalisé trois mandats]. Puisqu’il y a ceux qui n’ont fait qu’un seul
mandat et qui n’ont pas été réélus alors qu’ils espéraient l’être » (P8).
« C’est clair que pendant tout un temps, quelques-uns ont quand même un peu utilisé le système en
passant d’une assemblée à l’autre, en passant d’une assemblée régionale à fédérale ou en passant
d’une assemblée fédérale à régionale. Le compteur arrêtait de tourner » (P14).
Il y a des dérogations prévues qui doivent être validées en conseil des fédérations, c’est prévu mais
personnellement, je ne suis pas tout à fait adhérent à cette limitation des mandats dans le temps. Je
trouve que l’on perd quand même beaucoup d’expérience. 5 ans pour un mandat, cela reste très
court et puis il y en a qui ont une très belle vision des choses et qui pourraient rester10 ou 15 ans…
A partir du moment où ils restent à l’écoute et sont représentatifs de la population, je ne vois pas
trop le problème que cela pose. Mais l’idée, c’est aussi qu’il faut faire émerger des nouvelles têtes
(GRH, 2019).
Pour faire face à ce paradoxe (une limitation floue sur la durée des mandats), les (ex)
parlementaires montent en généralité et dégagent d’autres règles. Pour eux, ce qui compte, c’est à la fois
de ne pas « dépendre » de la politique ou du parti et de ne pas être « hors sol ». En d’autres mots, il
convient de comprendre qu’ils doivent rester en contact avec les citoyens et éviter de rester en politique
uniquement pour des raisons financières, l’objectif premier ne doit pas être de « faire carrière ».
49
« Ne pas faire carrière en politique c’est fondamental. Enfin, je trouve que pour nous écologistes,
c’est plus facile. Demain ça peut être fini, alors que dans les partis traditionnels envisagent ça plus
comme une carrière. Nous ici, on le sait. […] C’est une conception qui est biaisée que de se dire, tu
vas faire carrière en politique. C’est sain de retourner dans la société, d’avoir un ancrage. La vie
réelle ... Il ne faut pas devenir hors sol » (P1).
« Quand on dit qu’un parlementaire n’est pas professionnel, c’est qu’il n’est pas censé faire toute
sa carrière en tant que parlementaire. Cela doit être limité à 2 ou 3 mandats et pas plus. Sinon cela
devient péjoratif. […] Cela me pose un problème, pour moi, je pense qu’il faut être en phase avec
la société. On peut être dans sa tour d’ivoire et pondre des textes en toute bonne foi et être sûr d’être
dans le bon, mais il faut aussi être sur le terrain et être sur le terrain, ce n’est pas juste écouter,
rencontrer, etc. C’est aussi revenir soi-même, revivre ce que vivent les citoyens, parce que c’est un
autre monde. La politique à ce niveau-là c’est un autre monde. Donc, on peut très vite s’éloigner
des réalités de terrain (P13).
« Moi, je n’ai pas envie d’être dépendante de la politique. C’est mon caractère. Je n’ai pas envie
de n’avoir fait que de la politique et que ça soit trop tard pour me reconvertir » (P7).
« Moi, à la base, ça ne gêne personne que quelqu’un fasse carrière chez Ecolo. L’idée c’est qu’il ne
faut pas que l’objectif premier de quelqu’un quand il rentre en politique ce soit de faire carrière »
(P10).
Cependant, lorsque nous leur demandions de décrire ce que c’est : « faire carrière en politique »
ou être un « professionnel de la politique », la définition variait. Pour certain, il s’agissait de tous les
métiers en politique et pas exclusivement les mandats : « Il y en a qui font carrière chez Ecolo, qui la
font à l’interne aussi. Il y a des gens qui ont des postes internes de conseillers, que ce soit des conseillers
juridiques, des conseillers politiques, des conseillers informatiques, etc. » (P13). Pour d’autres, faire
carrière ou être professionnel se définit par la rémunération : « Je n’ai pas envie de dire professionnel
enfin si on peut dire professionnel parce que dissocier un parcours de mandat politique d’un parcours
professionnel, ce n’est pas possible. Il s’intègre parfaitement dans le parcours professionnel parce
qu’on est payé » (P9). Enfin, d’autres propose l’idée que l’on est professionnel dès le moment où on est
depuis longtemps présent en politique : « Il y en a qui font carrière chez Ecolo. Il y a des gens qui font
une vraie carrière chez Ecolo […] Si on appelle carrière rester longtemps quoi » (P4). La description
de « faire carrière » est équivoque, il est difficile de mesurer clairement la signification d’être « hors
sol » ou d’« être professionnel ».
Section 2 - Les dispositifs mis en place
Lorsque le mandat politique s’arrête, Ecolo met en place deux types de dispositifs pour aider ses
(ex) parlementaires à la reconversion. D’une part, il existe un système de circulation d’offres d’emplois.
D’autre part, lorsque la reconversion est difficile, le parti propose à l’ex-parlementaire un travail sous la
forme de bénévolat. Plus précisément, l’ex-parlementaire se verra proposer un contrat de travail à la fin
50
de ses indemnités en échange d’un travail bénévole pendant cette période. De cette façon, l’ancien
député pourra récupérer le droit47 au chômage. Cependant, il ne s’agit pas de la préoccupation principale
du parti car ce n’est pas dans sa « culture » et qu’il n’est pas « capable » de faire des « promesses ».
« Donc, c’est vrai qu’en 2014, je n’ai pas été réélue et le directeur général d’Ecolo m’avait appelée
pour savoir si j’avais besoin d’aide etc. Donc, il y avait une récolte des informations d’emploi, ces
offres d’emploi nous étaient communiquées » (P1).
« Il faut savoir que quand j’ai été réengagé par le parti, c’était de manière bénévole. C’est-à-dire
que comme j’avais des indemnités le parti ne me rémunérait pas. Cela voulait dire que pendant un
an, je travaillais gratuitement parce que j’étais indemnisé, mais après j’aurais été rémunéré
normalement dans la fonction. Cela était un peu le principe » (P2).
« Que fait Ecolo pour les gens qui sortent de charge ? Ecolo ne propose pas de parachute doré,
aucune garantie d’emploi. En général, en plus, Ecolo, c’est régulièrement des baisses, des
licenciements importants, donc forcément dans ces moments-là on ne peut faire de fleurs à personne.
Puis, on n’a pas de pilier non plus même si on est proche d’associations. En tant que pilier, on ne
peut pas recaser des gens, ce n’est pas dans notre éthique politique. Le service du personnel propose
des formations gratuites à toutes les sorties de tables. Des formations heu… à la recherche d’emploi
pour se reconvertir un peu, à la réorientation, un volet coaching aussi » (Directeur Politique, 2018).
Ces dispositifs, pour les (ex) députés ne sont, soit pas connus, soit insuffisants. Ils semblent
n’avoir que peu d’attente du parti.
« Par Ecolo, pas grand chose, on a juste eu une espèce d’entretien en disant : ‘est-ce que tu comptes
te représenter ? Pour toi, qu’est-ce qui va se passer ?’ Je n’ai eu aucune proposition mais moi je
suis sorti aussi de mon deuxième mandat lorsque les résultats avaient été très mauvais. C’était un
peu la catastrophe financière, ils en ont repéché un ou deux mais pas beaucoup et donc moi je
n’attendais rien d’Ecolo » (P10).
« La situation aujourd’hui c’est que vous êtes voilà… abandonné à vous-même. […] Je n’attendais
pas de copinage. […] Ils ne veulent pas être apparentés à du copinage et comme Ecolo a envie
d’être plus blanc que blanc, il a parfois envie d’avoir le comportement inverse. C’est-à-dire des
choses qu’il pourrait faire, il ne les fait pas de peur d’être pointé du doigt. Oui, il faut que l’on soit
‘hyper clean’ […] quand vous êtes dans le groupe, ça va, mais une fois que vous êtes à l’extérieur,
vous êtes moins utile » (P9).
Dans ce chapitre, il est possible de dresser des constats sur le positionnement du parti politique
par rapport à la carrière des parlementaires. Tout d’abord, le parti se dote d’un ensemble de règles qui
conditionnent l’expérience politique. Il convient, pour le parlementaire, de la voir comme un élément à
durée déterminée pour laquelle il n’est pas possible d’être un « professionnel ». Les statuts à cet effet
47 Les parlementaires ont un statut d’indépendant, au bout de neuf années ils perdent le droit au chômage.
51
sont clairs, la limitation est fixée à deux mandats dans le temps. Cette règle est connue, pourtant elle
n’est pas respectée. Pour les députés, cette réglementation est floue et peu pertinente. D’une part, tous
n’ont pas la même compréhension sur la signification de « faire carrière » ou d’« être un
professionnel de la politique ». D’autre part, il est possible de déroger à la règle aisément. Ce serait
davantage la conjoncture électorale qui déterminerait la limitation des mandats dans le temps plutôt que
la règle en elle-même. Ainsi, pour faire face à cette dissonance cognitive (l’éthique vs le pragmatisme),
les parlementaires sont amenés à se réapproprier ces règles strictes en normes informelles. Une sorte de
jurisprudence semble prendre le pas sur la règle de base (la limitation de deux mandats dans le temps).
Ce qui importe n’est pas le nombre de mandats réalisés, mais bien de ne pas être « hors sol », de ne pas
« dépendre de la politique ». En d’autres mots, les députés doivent rester au contact du citoyen et ne pas
s’enfermer dans le monde politique. Autre constat, Ecolo met en place des dispositifs d’aide à la carrière
des parlementaires. Fort attaché à la bonne « gouvernance », le parti évite au maximum toutes formes
de « recasage ». Il n’y a pas de « matelas ». Ainsi, il informe les députés sortants des opportunités
d’emploi ou alors, il propose une forme de contrat de bénévolat qui leur permet de récupérer des droits
de chômage. Ce sont des procédures informelles cependant et les (ex) parlementaires considèrent que le
parti ne fait que peu ou « rien » pour eux. En d’autres mots, lorsqu’ils perdent leur mandat, les ex-
parlementaires ne sont pas la priorité du parti et sont voués à se prendre en charge eux-mêmes. Pour les
mandataires, la politique c’est : « une affaire personnelle », un « cheminement personnel » où il faut se
« prendre en main », une « question de résilience », ou encore ils sont alors « abandonnés à eux-mêmes ».
D’ailleurs, ils sont conscients qu’il n’y a pas ou peu de possibilités de rester au sein d’Ecolo lorsque la
conjoncture politique est défavorable.
CHAPITRE IV : Les caractéristiques et tactiques individuelles
Durant les entretiens, des caractéristiques individuelles (c’est-à-dire pouvant dépendre selon la
situation de chaque parlementaire) ont été mises en avant en tant qu’éléments déterminants pour les
trajectoires professionnelles et leurs évolutions.
Section 1 - L’âge
Tout d’abord, les parlementaires adaptent l’approche de leur carrière selon leur âge. Ils associent
leur aptitude à prendre des risques, et donc à s’investir en politique, selon qu’ils soient jeunes ou non.
Au plus un individu avance en âge au moins il pourra changer de trajectoire professionnelle ce qui est
pourtant, en théorie, inévitable chez Ecolo. Diverses raisons l’expliquent. La première, il est moins aisé
de reprendre des études à partir d’un certain âge, le marché de l’emploi est moins favorable aux individus
avec une expérience importante. La seconde, la situation individuelle ne permet plus de prendre des
risques importants (famille, emprunts…). Il en ressort une certaine frilosité soit pour s’investir en
politique soit pour la quitter lorsqu’une personne atteint un certain âge.
52
« Moi quand j’ai été élu parlementaire, c’était en 2009. J’avais 31 ans. Quand j’ai perdu mon
mandat, j’avais 36 ans, … j’avais le temps de me retourner. J’étais jeune avec de l’énergie, mais le
temps passe. Imaginons que je sois élu aujourd’hui, j’aurais 41 ans plus 5 ans ça fait 46 ans. Après
c’est beaucoup plus difficile de trouver un job sur le marché de l’emploi quand tu dépasses les 45
ans. […] C’est clair que quand tu es jeune, tu t’en fous […] Je ne peux pas prendre les mêmes
risques que lorsque j’avais 22 ans où j’avais encore tout à écrire, … où je n’avais pas de situation.
Aujourd’hui, j’ai une maison à payer, j’ai des enfants, j’ai des emprunts. Voilà, il faut penser à ça,
c’est très prosaïque… […] Moi je savais rebondir, j’avais 35 ans. Mais je peux te parler d’autres
personnes que moi qui avais plus de 50 ans et qui avaient énormément de mal à rebondir » (P2).
« Moi à mon âge ce n’était plus reprendre des études à 55 ans, … je le savais. Mais voilà, pour des
plus jeunes de 35 ans, tout dépend comment chacun peut se développer à l’avenir et à partir de son
mandat » (P3).
Section 2 - L’étiquette
S’investir en politique est vu comme une prise de risques, car il est question d’être « étiqueté »
en tant qu’Ecolo ou d’ex-parlementaire. Cet étiquetage est porteur d’une potentielle « discrimination »
à l’embauche dans le futur, lorsqu’une personne désire quitter le monde politique rémunéré. Ils sont
tantôt considérés comme des personnes voulant à tout prix retourner en politique tantôt comme
surqualifiés.
« J’ai toujours perçu qu’il y a cette méfiance par rapport à quelqu’un qui vient d’un parti politique,
[…] il est décrédibilisé parce qu’il vient de perdre les élections. Et cela donne d’eux une mauvaise
image. Ils apparaissent comme des emmerdeurs : ‘Est-ce qu’on va réussir à le maîtriser ?’ Une
organisation, elle essaye de maitriser les travailleurs […]. Soit pour l’âge soit parce qu’il a été
parlementaire, … il y a un grand panneau où il est marqué emmerdeur avec une grosse flèche qui
descend vers lui » (P3).
« L’impression que j’avais quand j’allais me présenter c’était : ‘Pourquoi est-ce qu’un mec qui
connait autant de choses, postule juste pour un mi-temps, pour un emploi qui ne paie pas de mine ?
Il y a quelque chose de pas normal, de bizarre... Est-ce qu’il a envie de monter après dans la
hiérarchie ? […] c’est qu’il a une idée derrière la tête pour faire autre chose après, ou bien qu’il
va s’emmerder chez nous et donc ne va pas rester...’ » (P12).
Cette étiquette politique peut-être plus ou moins forte selon le comportement ou le métier de l’(ex)
parlementaire durant son mandat. Une personne avec des prises de positions franches et fortes sera plus
sujette à ce type de discrimination qu’une personne « discrète » en dehors du parti. Ainsi, le caractère
médiatique d’un individu peut influencer sa trajectoire professionnelle. Toutefois, être visible ou en
désaccord avec le parti en interne peut également avoir des incidences.
« Les gens, ils étaient toujours dans l’étape antérieure et c’était l’une des grosses difficultés. Les
lieux communs : ‘un homme politique, il a envie d’être politicien toute sa vie et fait tout pour y
53
rester’ […] Par exemple, au CFIP, ils étaient ouverts et intelligents, mais les clients ne voulaient
pas d’un intervenant, car j’avais une étiquette politique, … j’avais été ministre […] Texto on m’a
dit : ‘on ne peut pas te prendre, on ne veut pas que le CNCD soit connoté Ecolo de manière aussi
directe’ » (P16).
« Moi, j’étais dans le radical avec une position assez forte sur certains sujets. […] Vous sentez
vraiment que ça ne va pas » (P9).
« Tu as des gens qui ne disent jamais rien, qui se plient aux règles du parti. Moi, quand j’avais
quelque chose à dire, je le disais et ça, ça coûte du point de vue de la carrière. Il vaut mieux
quelqu’un qui ne dit pas tout haut son désaccord plutôt que quelqu’un comme moi qui le disais »
(P2).
« Surtout que moi, j’étais députée parmi les 150. Je n’étais pas chef de groupe. Je n’ai pas été
extrêmement médiatisée. Je n’ai pas porté des dossiers cristallisants non plus […] J’étais une
députée plutôt discrète. Bien sûr, j’étais dans les médias, mais pas de manière folle non plus […] Je
n’ai pas mené des combats qui font que je suis persona non grata ou blacklistée » (P5).
Section 3 - Le capital social et le capital humain
Si le concept de capital social48 (Bourdieu, 1980) ou de capital humain49 (Guillard & Roussel,
2010) n’ont pas été abordés en tant que tel, ils ont, à plusieurs reprises, été sous-jacents lors des entretiens
sous différentes formes. Tout d’abord, d’un point de vue des compétences, certains ont eu des
expériences multiples (certaines plus sécurisantes que d’autres50) et d’autres exclusivement politiques.
Ainsi, le niveau d’études des (ex) parlementaires semble également influencer la trajectoire
professionnelle des individus. Le titulaire d’un master aura une autre conception des possibilités futures
que celle d’un bachelier ou d’un CESS. Ainsi, « la manière dont on atterrit après dépend de qui on était
avant ».
« J’avais la chance d’avoir le statut qui était une forme de sécurité. Je me suis dit : je vais me donner
quelque mois pour me construire un métier. A l’époque, j’avais déjà une expérience professionnelle
48 Selon Bourdieu, le capital social peut se définir comme : « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles
qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées
d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme
ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par
l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles »
(Bourdieu, 1980 : 2). 49 Pour Guilliard & Roussel : « Le capital humain d’un individu se définit donc surtout par les connaissances et
compétences que ce dernier maîtrise. Ces connaissances et compétences se sont accumulées tout au long de la
scolarité, au cours des diverses formations suivies et à l’occasion des expériences vécues (Fuente et Ciccone,
2002). On peut en distinguer trois composantes essentielles (Fuente et Ciccone, 2002) : les compétences
générales (alphabétisation, calcul de base, capacités d’apprentissage), les compétences spécifiques liées aux
technologies ou aux processus de production (programmation informatique, entretien et réparation des pièces
mécaniques) et les compétences techniques et scientifiques (maîtrise de masses organisées de connaissances et
de techniques analytiques spécifiques) » (Guilliard & Roussel, 2010 : 162). 50 Dans les entretiens, les acteurs faisaient référence au congé politique (des fonctionnaires ou de certains
professeurs).
54
multiple. C’est quand même extrêmement important. Il est clair que ma position était plus facile
qu’un ex-parlementaire écolo qui n’a pas de diplôme de l’enseignement supérieur et qui n’a pas
d’expérience professionnelle autre que chez Ecolo. Il y en a eu des gens qui ont travaillé pour
Ecolo j51 ou pour Etopia52 … puis tu deviens parlementaire et tu n’as pas d’autre expérience
qu’Ecolo » (P16).
« Puis cela dépend du parcours que vous avez, si vous êtes haut fonctionnaire, que vous savez que
vous allez récupérer votre mandat, que vous savez que les instances politiques qui succèderont sont
de votre bord … c’est moins violent. Tandis que si vous êtes de milieu populaire et que pendant 15
ans vous vous êtes battu dans le cadre d’un idéal et avez fait des sacrifices ... ce n’est pas la même
chose, voilà ! Et donc, la manière dont on atterrit après dépend de qui on était auparavant » (P9).
Ensuite, pour sortir du monde politique, plusieurs (ex) parlementaires tentent d’augmenter leur
employabilité en reprenant des études ou en suivant des formations.
« Enfin, je veux dire que je n’ai jamais attendu qu’Ecolo me fournisse une porte de sortie, …ou
non. C’était comme ça ! Dans ma tête, comme c’était ma dernière législature, je me suis dit : ‘qu’est-
ce que je vais faire après ?’ Et j’ai entamé à ce moment-là un master en politique économique et
sociale en horaire décalé [durant le deuxième mandat] […] Par la suite, à la fin de mon troisième
mandat, je me suis dit, je vais donner cours à des adultes et j’ai fait un an de formation français-
langues étrangères » (P8).
Enfin, il y aurait deux types de parlementaires. D’une part, des individus avec un capital social
fort qui n’auraient pas de problème d’avenir. D’autre part, les parlementaires moins connus et dotés de
compétences politiques moindres.
« La politique vous avez le haut clergé et le bas clergé. Le haut clergé trouvera toujours où atterrir.
Le bas clergé devra trouver des solutions. Un curé de campagne aura plus de difficultés à se
51 « Ecolo j est une organisation de jeunesse politique reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui
s’inscrit dans l’objectif de formation de citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires. L’organisation
sensibilise les jeunes de 15 à 35 ans aux enjeux et aux valeurs de l’écologie politique, particulièrement en
matière culturelle, sociale, économique et environnementale. Elle se donne pour projet de les amener à s’en saisir
et à y adhérer de façon à pouvoir collectivement influencer la décision et l’agenda politiques, en vue de la
construction d’une société plus juste, plus solidaire, plus durable et plus ouverte aux jeunes » (Consulté le 7 août
2019 sur : http://www.ecoloj.be/content/ecolo-j). 52 « ETOPIA est un Centre d’animation et de recherche en écologie politique. Fondé en 2004, basé à Namur, notre
think tank rassemble des militants écologistes, des chercheurs-associés, des formateurs et des acteurs du
changement. Nos missions sont de trois ordre : un travail de prospective, un travail de formation et un travail de
mémoire. Nous publions de nombreuses analyses et études, nous éditons des livres et une revue. Actifs dans
l’éducation permanente, nous organisons des colloques, des conférences et de nombreuses formations. Nous
abritons également un centre de documentation et d’archives qui rassemble ce que l’écologie politique et les
mouvements environnementaux ont produit depuis plus de quarante ans. Enfin, nous fournissons une série de
services au parti Ecolo et mutualisons avec lui nos services techniques. Entièrement distinct de son service
d’études, nous sommes orientés “long terme et anticipation”, à l’écart de l’actualité. Nous sommes une passerelle
entre la société civile, la recherche, la militance et le travail politique » (Christophe Derenne, consulté le 7 aout
2019 sur : https://etopia.be/pourquoi-etopia/.
55
reconvertir qu’un cardinal. Je vous dis ça parce que le clergé et la politique sont des choses
similaires » (P9).
« On sait qu’on est fragile comme député, sauf pour ceux qui sont dans les gros bastions, ou qui ont
une forte assise au niveau du parti, ou qui ont de bonnes capacités de négociation et qui peuvent
s’assurer d’avoir toujours la première place. Mais ça ne concerne qu’un petit nombre d’élus. La
majorité des élus sont quand même dans une situation de grande fragilité et on le sait en se
présentant et en étant élu. Pour la majorité d’entre nous, on sait que ce n’est pas à vie. Donc on ne
nous prend pas en traitre, mais il y a quand même toujours un discours du parti qui est de dire oui
nous sommes là pour vous aider, mais ça, ça n’existe pas en fait » (P14).
« Il y certaines personnalités qui pèsent au sein du parti parce qu’elles ont été ministres longtemps,
elles ont un réseau interne, voilà ce n’est pas une règle » (P3).
Dans ce chapitre, nous nous sommes intéressé à certaines caractéristiques individuelles pouvant
influencer la trajectoire professionnelle des parlementaires. Dans un premier temps, nous avons montré
que selon leur âge, les parlementaires modifient leur conception de la carrière et optent pour des
stratégies différentes. Ensuite, nous avons décrit le rôle d’un investissement politique sur la carrière et
son étiquetage. Ce dernier pouvant être plus ou moins fort selon la visibilité du politique. Enfin, le capital
social et le capital humain des (ex) parlementaires influencent la trajectoire professionnelle des
individus. Ainsi, selon leurs expériences et leurs niveaux d’études, leurs opportunités professionnelles
seront différentes. Certains parlementaires, pour quitter la politique, se forment à d’autres domaines ou
suivent à nouveau des études. Enfin, il existerait deux catégories de parlementaires : Ceux avec un
capital social fort au sein du parti, ayant un niveau élevé de compétences, et ceux avec des compétences
et un capital social moindres.
56
CINQUIEME PARTIE : ANALYSE ET DISCUSSION
Cette partie a pour objectif de mettre en perspective nos données empiriques grâce à notre cadre
analytique pensé par Barley & Tolbert, (1997). Dans un premier temps, nous dresserons une analyse
contextuelle qui nous permettra de déterminer dans quel courant de carrière se situent les députés
écologistes, illustrant ainsi le « contexte of the global economic » vu par Cappellen & Janssens (2010 :
69053). Ensuite, nous définirons les scripts de carrière mobilisés par les députés écologistes et pour
chacun, leur capacité de guidance en lien avec leur expérience politique. Ces scripts de carrière seront
vus selon l’angle des représentations, mais aussi selon leur historique professionnel. À partir des scripts
de carrière, nous tenterons d’expliquer les stratégies opérées par les parlementaires. Ces dernières
mettront en lumière le concept d’enactment. Nous porterons également un regard critique sur les
mécanismes sociaux et réglementaires d’Ecolo. Ainsi, nous nous questionnerons pour savoir dans quelle
mesure ils apportent plus ou moins de représentativité dans les assemblées législatives. Enfin, nous
terminons ce travail en suggérant quelques recommandations et les possibilités pour des recherches
futures.
CHAPITRE PREMIER : Quelle approche des (ex) députés écologistes face à la
carrière ?
Dans ce chapitre, nous ne tentons pas de démontrer la véracité empirique de l’une ou l’autre
approche de la carrière, mais plutôt de déterminer le contexte dans lequel les (ex) députés écologistes se
trouvent.
Section 1 - Une conjoncture économique et politique propre à la carrière nomade
Les (ex) députés écologistes, à travers la mise à plat des données, ont montré une vision incertaine
de la carrière. En opposition forte à toute forme de planification et peu intéressés par l’aspect sécuritaire
de l’emploi, ils se laissent porter par les opportunités qui s’ouvrent et se ferment en fonction de la
conjoncture économique et politique. Il est question d’avoir de la « résilience », de ne pas « dépendre »
d’une organisation et surtout de faire valoir son idiosyncrasie. Les (ex) députés écologistes n’attendent
pas une relation à long terme là où la loyauté prime (Zeitz, Blau, & Fertig, 2009). Ils expriment d’ailleurs
relativement peu d’attentes. Leurs objectifs s’accordent surtout d’être à l’endroit où ils seront le plus
utiles en accord avec ce qu’ils sont. Pour eux, le marché de l’emploi a évolué et ils le mettent sur le
même pied d’égalité que celui de la politique. Ainsi, la politique et le marché de l’emploi sont perçus
comme deux continuums sur lesquels les mêmes réalités s’appliquent. Il n’est plus question de faire une
« carrière complète » tant le contexte politique et économique est incertain.
53 Cette analyse est visible à la figure 3.
57
A l’image d’un fonctionnement balistique en physique, la trajectoire professionnelle, si elle est
partiellement déterminée par le capital humain et le capital social, reste fortement sujette aux imprévus.
De nombreux parlementaires ne s’attendaient pas à devenir un député. Plusieurs rappellent leur
étonnement de passer d’un statut de « fils d’ouvrier » ou de « femme au foyer » à celui de parlementaire
et de l’impact des opportunités sur la trajectoire professionnelle. Dans leurs parcours de vie, il y a de
nombreuses « bifurcations » biographiques (Levené & Bros, 2011 : 90), ils alternent différents statuts,
métiers et organisations, loin d’une conception prédictive. À tout moment, il est possible de « monter »
ou « descendre ».
Il ressort des interviews qu’il est possible de qualifier la carrière des parlementaires de
« boundaryless career » au sens de Arthur & Rousseau (1996) ou de « sans frontière » (Cadin, 2003).
Toutefois, il est nécessaire de relativiser cette affirmation en raison de deux éléments. D’une part,
certains parlementaires (P2, P11, P14, P15, P1654) sont majoritairement dans une logique du métier de
politique ou de leur précédente profession et sont ancrés au sein d’une institution - Ecolo. La critique de
Inkson (2012) reste pertinente dans ce cadre, si les frontières sont minces, elles n’en sont pas pour autant
absentes.
CHAPITRE II : Les scripts de carrière
Pour comprendre la double dimension cognitive et comportementale, ou sociologique et
psychologique selon Barley & Tolbert (1997), nous allons analyser, d’une part le parcours professionnel
des (ex) députés écologistes, et d’autre part, nous allons faire apparaître l’aspect cognitif des (ex)
parlementaires. Ainsi, nous dresserons une typologie des différents scripts de carrière, révélatrice de
leur représentation. Enfin, nous déterminerons les capacités de guidances des scripts et les stratégies.
Section 1 - Dimension comportementale des scripts
La figure 4 ci-après représente la dimension comportementale des (ex) députés écologistes. Dans
la même veine que Garbe & Cadin (2015), nous avons retracé le « parcours effectif » des travailleurs,
lequel permet de tirer plusieurs enseignements.
Force est de constater que les (ex) parlementaires écolos interviewés n’ont qu’une faible
propension à investir leur trajectoire professionnelle dans le secteur marchand. Leur parcours est
majoritairement ponctué par des expériences dans le secteur non marchand et/ou au sein du parti
politique Ecolo. De plus, on observe un niveau d’études élevé.
Par l’analyse du graphique, nous avons remarqué deux types de comportements : « le politique à
durée définie » et « le politique à durée indéfinie ». Le premier concerne des (ex) députés écologistes
54 Cette analyse est visible à la figure 4.
58
qui se sont investis en politique (ETP55) pour une durée déterminée (parcours séquentiel). Cela signifie
qu’ils ont exercé une activité professionnelle en lien avec le parti sur une durée continue avec au
maximum trois expériences en tant que mandataire politique. Notons que deux d’entre eux ont entamé
des études supérieures ou diverses formations à la fin de leur troisième mandat. Le second type de
comportement cible des individus avec une carrière plus fragmentée (parcours alternatif). Dans cette
conception, ils alternent entre différents emplois politiques56 et non-politiques. Dans cette catégorie se
trouvent également les mandataires politiques de très longues durées. Il s’agit d’individus ayant réalisé
plus de trois mandats de manière ininterrompue. Voilà pourquoi nous avons identifié deux types
d’itinéraires : « le politique à durée définie » et « le politique à durée indéfinie ». Dans la section
suivante, nous allons analyser les représentations de ces itinéraires et construire des typologies.
55 Nous reprenons l’acronyme ETP (équivalent temps plein) pour cibler les individus dans une fonction
rémunératrice en lien avec le parti politique Ecolo à temps plein. 56 Par emploi politique nous entendons : un mandat, une désignation politique ou un contrat de travail en lien
avec un parti. Tandis que la notion de non-politique vise un emploi qui n’a aucun lien direct avec un parti.
59
Figure 4 : Dimension comportementale de la carrière des (ex) parlementaires
60
Section 2 - Dimension cognitive des scripts
« Le politique à durée indéfinie » considère qu’il est possible de travailler en politique durant
l’ensemble de sa trajectoire professionnelle. S’il estime ne pas être un professionnel de la politique et
qu’il est important de respecter la limitation des mandats dans le temps, la politique reste leur domaine
de prédilection. Il s’agit en effet de l’environnement dans lequel il est le plus « utile ». Ce script est
privilégié par les individus « passionnés » par la politique. Pour eux, il s’agit de l’endroit où ils peuvent
exercer au mieux leurs compétences, peu importe le métier. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux montrent
une certaine ambition politique : « Moi j’ai toujours trouvé qu’il était vraiment utile d’être dans l’action
donc, de ce point de vue-là, j’étais candidat ministre » (P11). Au sein de cette catégorie « Le politique
à durée indéfinie », il est possible d’identifier deux types de représentations : les « experts » et les
« passionnés ».
« Les experts » ont un capital social fort, ils disposent d’un réseau important. Ils font partie du
« haut clergé ». Sans trop de difficulté, ils pourront retrouver un emploi, car ils connaissent « beaucoup
de monde » : « Oui, mais cela ne m’inquiète pas, j’ai beaucoup de contacts » (P11). « Les experts » ont
une « forte assise au niveau du parti » et de « bonnes capacités de négociation », ce qui leur permet
de « s’assurer d’avoir toujours la première place ». Ils ont réalisé plus de deux mandats et peuvent
revendiquer des positions au sein du parti. Légitimés et dotés d’une expérience politique conséquente,
les règles s’appliquent moins fortement à eux. Ils sont localisés dans les « gros bastions »
(circonscription électorale de taille importante avec une sociologie territoriale favorable). Ce sont les
« plus en vue », les « plus talentueux ». Les experts peuvent faire de la politique « à vie ».
Indépendamment des résultats électoraux du parti, ils y gardent un emploi : « C’est pour cela que j’ai
saisi la balle au bond de m’occuper du parti. Le parti avait vraiment besoin d’être relancé, car on avait
fort perdu les élections » (P11). Cependant, ils ne sont pas opposés à l’idée de retourner dans le monde
de l’entreprise ou à celle de créer une société, car ils considèrent avoir acquis suffisamment de
compétences : « maintenant, je suis considérée comme une grande spécialiste des politiques de santé
en Belgique » (P15). Les experts ne sont pas en position de « fragilité » mais ils ne représentent qu’un
« petit nombre d’élus ». À ce titre, ils n’estiment pas dépendre directement de la politique.
« Les passionnés » font quant à eux partie du « bas clergé ». Ils ont un capital social et un capital
humain moins forts que les « experts ». Quand la conjoncture politique est mauvaise, ils subissent la
« sélection naturelle » et sont obligés de quitter le monde politique contre leur gré. Par conséquent, leur
trajectoire professionnelle est davantage morcelée, en alternant différents statuts : sans emploi,
indépendant, travail bénévole pour le parti afin de récupérer des droits, employé dans le secteur
marchand et non marchand. Il s’agit d’individus qui n’arrivent pas à valoriser suffisamment les
compétences acquises en dehors du monde politique. D’ailleurs, c’est dans cette catégorie que l’on
retrouve les personnes avec le niveau d’éducation le moins élevé. Dès que possible, ils tentent de
61
récupérer un mandat politique indépendamment du niveau de pouvoir : échevin, parlementaire. Ainsi,
ils voient leur carrière professionnelle au plus près du parti. L’âge est un facteur qui les pousse à
développer des stratégies. Au plus ils avancent en âge, au moins ils se sentent capables d’être valorisés
sur le marché de l’emploi : « La fin de ma carrière m’oblige maintenant de devoir développer des
stratégies […] alors que j’ai joué les choses de manière très collectives pendant toute la première partie
de ma carrière politique […] En tout cas, à avoir une part de stratégie individuelle plus forte que ce
qu’elle a pu être » (P14). Parallèlement, cette conception corrobore le caractère médiatique de ces
individus, qui occupent des postes plus visibles et ont des positions politiques « radicales » :« Moi
j’étais dans le radical avec des positions assez fortes sur certains sujets » (P9). Enfin, ce sont des
individus qui n’ont pas un statut leur permettant de prendre des congés politiques ou d’assurer leurs
« arrières » : « Puis cela dépend du parcours que vous avez, si vous êtes haut fonctionnaire et que vous
savez que vous allez le récupérer… » (P9). Les individus qui mobilisent ce script n’ont pas exercé
plusieurs mandats consécutivement, bien qu’ils se soient projetés dans la durée. Les « passionnés » sont
conscients de ne pas faire partie des « intouchables » et qu’ils ont des capacités de travail moins
importantes que les « experts » : « moi j’entendais quand même que mon travail soit moyennement
apprécié dans les hautes instances par Isabelle Durant, Jacky Morael,… Faut savoir écouter et entendre
cela. Je n’étais pas un Nollet, un Daras ou un Cheron. J’étais un deuxième, voire un troisième couteau,
ça moi je crois qu’il faut savoir l’entendre » (P10). Les « passionnés » connaissent un nombre important
d’employeurs durant leur carrière contrairement aux « experts ». Il est également intéressant de
remarquer que dans notre étude, il s’agit d’hommes exclusivement.
« Le politique à durée définie » ne voit pas, dans ce second itinéraire, la politique comme une
finalité. Il n’est pas question d’y faire carrière. Pour lui, c’est essentiellement un moyen de faire valoir
« ses valeurs » à un moment donné. La politique se serait « mise sur leur chemin » et ne serait qu’une
étape dans un parcours plus général. Contrairement au « politique à durée indéfinie », le cheminement
politique n’est pas pensé, mais surtout porté par les aléas. D’ailleurs, il n’est pas concevable de rester
en politique longtemps, car ils sont attachés à la limitation des mandats dans le temps. Il y a un vrai
sentiment de devoir quitter le monde politique après une certaine période. Ils sont satisfaits des
expériences acquises et vivent bien leur départ de la politique, car c’est un milieu « épuisant » et
« violent » : « donc, dans la vie privée, c’est très compliqué. J’ai accueilli la défaite personnelle en 2014
comme étant une chance de me relancer professionnellement dans tout autre chose et de mettre une
parenthèse sur cette carrière politique qui est une implication compliquée qui demande énormément de
temps physique, de disponibilité mentale aussi » (P5). Ce sont des parlementaires « discrets ». De cette
seconde représentation, il ressort deux scripts de carrière distincts : « les opportunistes » et « les
vocationnels ».
« Les opportunistes » sont des individus en recherche constante d’opportunités : « Eh ben voilà,
l’opportunité s’est faite et j’ai mis les doigts dans l’engrenage qui a duré 23 ans finalement, 8 ans
62
d’attaché plus 15 ans parlementaire […] J’étais onzième donc il y avait limite rien qui me prédestinait
à siéger et pourtant, on a eu 14 élus à cette époque-là et j’étais parmi ces élus, vraiment pas de
préférence » (P8). Ce sont les individus avec les carrières les moins construites proactivement. Pour
autant, il convient de les voir comme sécuritaires. Il s’agit d’individus qui disposent, soit d’un statut leur
octroyant une assurance « retour vers l’ancien employeur » (par exemple dans la fonction publique), soit
ils ont une employabilité élevée. S’ils considèrent leur employabilité insuffisante parce qu’ils ont passé
« trop de temps en politique », ils recommenceront des études ou des formations à la fin de leur troisième
mandat : « Il faudrait me recaser quelque part dans le parti, sans que ça soit mon choix ? Je ne veux
pas cette situation […] Moi j’ai 42 ans, c’est ma dernière législature, ça fait 20 ans que je suis
professionnellement dans la politique. C’est le moment de préparer ça ! […] Donc, finalement je me
suis portée vers un bac en comptabilité » (P7). Ce sont des individus qui valorisent peu leur expérience
politique en dehors de la sphère d’Ecolo. Ainsi, ils ne sont ni dans une logique de métier, ni dans une
logique de secteur car ils dissocient fondamentalement les deux expériences (avant et après la politique).
Au fil des opportunités, ils peuvent être tentés de mobiliser le script des « experts », mais ne disposent
pas de suffisamment des compétences ou de la reconnaissance nécessaire pour asseoir cette
représentation, raison pour laquelle, ils font parties des individus sujets à des comportements
opportunistes, mais ne réalisent qu’une seule dérogation.
« Les vocationnels » se différencient des « opportunistes » par leur militantisme. La politique
représente une arène dans lequel ils peuvent faire valoir leurs valeurs. Leur désir est de faire avancer les
« choses » indépendamment du lieu dans lequel ils peuvent exercer leur emploi : « Je la vois comme un
passage obligé [la politique] pour faire avancer les choses qui me sont chères, mais si ce n’est pas via
la politique, je pense qu’être au sein d’une ONG57 comme Green Peace, c’est aussi un outil essentiel
pour faire avancer les choses qui me sont chères » (P5). Leur passé ou leur conception future de la
carrière est ancré dans une forte idéologie : « j’ai travaillé quelque temps au Drapeau Rouge qui n’existe
plus aujourd’hui, qui était le journal du parti communiste […] et si j’ai quitté ce métier, c’est qu’il était
temps de m’engager autrement » (P13). Ces individus, qui sont capables de valoriser leurs compétences
acquises, rencontrent peu de difficulté à la sortie d’un mandat. S’ils ne choisissent pas délibérément
d’arrêter la politique, les « vocationnels » n’y voient pas un problème majeur. Pour eux, l’important est
de continuer à faire vivre leurs valeurs.
Section 3 - Un environnement faible
Les scripts peuvent être forts ou faibles selon l’environnement dans lequel ils se situent. Ils
seront plus ou moins prescripteurs de l’action individuelle. Pour rappel, un environnement faible se
caractérise par de « l’incertitude », de « l’imprévisibilité » et de « l’ambiguïté » alors qu’un
environnement fort sera « prévisible » et « intelligible » (Cadin et al., 2003). Au plus l’environnement
57 Organisation non-gouvernementale
63
sera faible, au moins le script de carrière sera « guidant » et demandera à l’individu un investissement
cognitif important pour faire sens de la situation (de sa carrière). Lorsque l’on regarde l’environnement
du parti politique Ecolo, nous pouvons observer un grand nombre de variables qui rendent la trajectoire
professionnelle incertaine : la volatilité électorale, la taille du parti, la circonscription électorale, la
visibilité (ou étiquette politique), le capital social, le capital humain, l’évolution du cadre législatif, les
statuts du parti, la décentralisation du pouvoir, la participation du parti au pouvoir et l’âge. Il semble
cohérent de qualifier cet environnement de faible.
Pour faire face à un environnement faible, les individus sont amenés à réaliser du « self
organizing », ce qui s’associe au processus d’enactment dans notre théorie (Cadin et al., 2003). Ce
phénomène est observable lors de l’analyse des représentations des (ex) parlementaires. En effet, si la
règle de base prévoit une limitation de deux mandats dans le temps, cette norme s’est vue transformée
de deux manières. La première, une conception plus générale, consiste à ne pas être « hors sol ». En
d’autres termes, il n’est plus question d’exercer un certain nombre de mandats, mais de rester au contact
avec le citoyen. Cette norme est majoritairement mobilisée par le script « le politique à durée indéfinie »,
et demande un investissement cognitif plus important. La deuxième représentation se base sur
l’institution d’une jurisprudence. Il convient non plus de se limiter à deux mandats consécutifs, mais à
trois. Ainsi, cette représentation finit elle-même par être contraignante. Les individus, même s’ils le
pouvaient, s’autolimitent à trois mandats et sortent volontairement du métier. Cette seconde norme est
essentiellement mobilisée par les individus avec le script « le politique à durée définie ». Notons que les
(ex) parlementaires peuvent mobiliser ces deux types de représentations. Cependant, l’une tend à primer
sur l’autre. Ces deux représentations sont communément admises, car elles répondent au paradoxe de
« faire participer le plus d’individus possible au pouvoir » et de « disposer de suffisamment d’expertise »
pour faire « survivre » le parti. On observe donc bien une forme de négociation entre l’institution, les
individus et le caractère dynamique de la relation « structure » et « agence ».
Ecolo, de par sa politique des carrières des parlementaires, rend cet environnement d’autant plus
incertain. D’une part, la politique de limitation des mandats dans le temps n’est pas strictement
contraignante. Les individus peuvent effectivement se voir octroyer des dérogations. D’autre part, le
parti ne définit pas ce qu’est « un professionnel de la politique ». Les individus n’en ont pas une
représentation univoque. Lors des entretiens, il est ressorti trois manières de qualifier ce « statut » :
nombre de mandats réalisés, le fait d’être rémunéré et le temps passé en politique. De plus, nous
remarquons un biais cognitif lorsque les parlementaires se projettent dans leur carrière. Au début de leur
mandat, les parlementaires se réfèrent à cette limitation de deux mandats ou trois mandats, soit entre dix
et quinze ans. Dans cette perspective, ils considèrent devoir mettre en place des stratégies de
reconversions à partir du second mandat. Or, en moyenne, les députés écologistes restent en fonction
sept ans. De plus, il ne serait pas possible d’organiser une alternative à l’expérience politique pendant
le premier mandat :
64
« Quand moi, je me suis projeté, je vais faire deux mandats. C’est dix ans et donc à la fin de mon
deuxième mandat je vais me préparer à une sortie. Or, chez Ecolo on fait en général un mandat. Et
donc vous vous investissez pleinement et vous n’êtes pas réélu. Vous ne vous y attendiez pas ! Il y a
très peu de députés qui sont préparés à la sortie. P8 par exemple a fait trois mandats et dans son 3e
mandat elle a investi du temps pour suivre des cours du soir en comptabilité en se disant je vais me
réorienter. Il faut du temps, le premier mandat ce n’est jamais le mandat pendant lequel vous pensez
à vous préparer à la sortie, jamais … » (P9).
À l’inverse, les individus ayant réalisé plusieurs mandats peuvent plus facilement se réorienter, car les
étapes sont plus claires. Le nombre de mandats réalisés consécutivement semble jouer un rôle positif
sur la transition professionnelle.
Enfin, l’organisation instaure peu de dispositifs pour assurer la continuité des carrières hors de sa
sphère et elle est contre toutes formes de « recasages ». Pour l’institution, la carrière relève de la
responsabilité individuelle, bien qu’elle prône des valeurs collectivistes. Ce paradoxe va pousser les
individus à adapter des stratégies plus individualistes et des efforts cognitifs plus importants.
« C’est pour ça que j’étais favorable de m’être formée pendant mon troisième mandat parce que je
trouve que trois, c’est quand même une espèce de cycle et là aussi, il faut arrêter l’hypocrisie. On
ne peut pas préparer sa reconversion et être full militant de toutes les soirées organisées par
l’associatif plus toutes les réunions Ecolo en soirées plus les AG et tout ça. Ce n’est pas vrai. Moi,
je peux suivre mes cours parce que j’ai décidé de ne plus aller aux AG. C’est l’un ou l’autre ! »
(P7).
Section 4 - L’influence du script sur l’orientation de l’action individuelle
Selon le script mobilisé, les actions individuelles seront plus ou moins prescrites que ce soit
d’un point de vue comportemental ou cognitif (Garbe & Cadin, 2015). Lorsque nous regardons à nos
données, nous pouvons déterminer trois types de guidance : relatif, faible et très faible.
Les scripts « vocationnels » et « opportunistes » offrent une vision de la carrière la plus guidée.
Tous deux ne déterminent pas la durée de la présence de l’acteur en politique, mais assurent une
continuité de la carrière. Ils réalisent une nette différenciation entre l’expérience politique et non
politique. Ils savent que leur carrière politique est une étape parmi d’autres. Ainsi, les « vocationnels »
et les « opportunistes » ne tentent pas de revenir en politique lorsque leur carrière s’est achevée. Ils
savent vers quoi ils pourront se tourner à la fin de leur mandat. Pour les « vocationnels », il s’agit d’aller
vers des organisations avec une configuration « missionnaire »58 (Pichault & Nizet 2013: 51). Tandis
58 « Le terme ‘missionnaire’ se réfère à la problématique de buts : ce type de configuration se caractérise en effet
par une nette prédominance des buts de missions – à savoir ceux qui concernent les clients de l’organisation – sur
les buts de systèmes […] il conduit les travailleurs à adhérer aux buts de l’organisation et à s’impliquer fortement
dans son fonctionnement. Cette implication se réalise donc grâce aux valeurs plutôt que par des gratifications
matérielles » (Pichault & Nizet, 2013 : 46).
65
que les « opportunistes » auront tendance à retourner vers leur ancien métier qui sont des organisations
avec une configuration « mécaniste » parfois appelée « bureaucratie » (Pichault & Nizet, 2013 : 47, 51).
Le script de carrière des « experts » tend à moins contraindre l’action individuelle. Leur
présence en politique est moins soumise aux règles du parti et leur capacité à se « recaser » est plus
forte. Toutefois, ils savent que leur carrière politique reste sujette à l’approbation des militants. Ainsi,
ils n’ont pas une vision déterminée du temps à passer en politique contrairement aux « vocationnels »
et aux « opportunistes ». De par leur statut, ils auront tendance à rester en politique (notamment grâce
au soutien des militants).
Enfin, les « passionnés » ont un script de carrière qui contraint l’action individuelle très
faiblement. Ce sont les acteurs qui subissent le plus l’incertitude. Contrairement aux experts, ils ont une
faible emprise sur la volatilité électorale, il leur est plus difficile d’avoir une place stratégique sur les
listes électorales et ils se situent dans des circonscriptions électorales moins favorables. Ils sont moins
en capacité de valoriser leurs compétences en dehors de la sphère Ecolo : « Ce n’est pas toi qui décides
de mettre fin, c’est un tiers dans un contexte pas évident parce que tu ne l’as pas choisi » (P16). Ce sont
les individus qui tentent de revenir en politique, ils essayent ainsi d’y garder un « pied » : « mais en
terme de politique classique, j’ai fait un choix qui s’est avéré perdant. Choix politique classique, cela
veut dire toujours avoir un pied quelque part pour se remettre » (P16). Cette catégorie d’individus a le
plus tendance à être en crise personnelle lorsqu’ils retourneront sur le marché de l’emploi et ils prendront
plus de temps pour se reconvertir. D’ailleurs, ce sont les « passionnés » qui utilisent les dispositifs du
parti, et ce bien qu’ils les considèrent non pertinents et inadaptés. De cette façon, ils doivent fournir un
effort cognitif conséquent pour faire sens de la situation, car ils sont régulièrement amenés à transiter
par différents environnements. Ils expriment une incompréhension de la société à leur égard, une forme
de décalage. Dans ce cas-ci, la société tend à contraindre l’individu à porter son intérêt professionnel
vers la politique.
« J’avais vécu le meilleur et tu construis autre chose. Les gens, ils étaient toujours dans l’étape
antérieure et c’est l’une des grosses difficultés. Les lieux communs, un homme politique il a envie
d’être politicien toute sa vie et il fait tout pour y rester. Ok ? Ça, c’est un lieu commun. Moi j’aurais
voulu continuer, j’ai perdu quelque chose. Je me suis dit ok c’est comme ça, je fais autre chose. Les
gens restent calés dans l’étape antérieure. La majorité des gens ne comprennent rien à la
politique […] Les gens imaginent que tu ne peux rien faire, que de retourner dans un mandat
politique puisque tu es fait pour ça. Les mêmes personnes vont te dire : il ne faut pas faire ça toute
sa vie, mais c’est normal qu’ils le fassent. Il y a une forme de paradoxe » (P16).
Dans ce chapitre, nous avons montré les quatre scripts de carrières mobilisés par les (ex) députés
écologistes : « les experts », « les passionnés », « les vocationnels » et « les opportunistes ». Si tous se
situent dans un environnement faible, la capacité de guidance de leur script peut différer. Pour rendre
66
nos propos plus intelligibles, nous avons établi un tableau récapitulatif des différents scripts avec leurs
sources d’influences.
Tableau 3 : Les scripts de carrière
CHAPITRE III : Discussion, recommandations et recherches futures
Section 1 - Une analyse qui pose question
Dans notre analyse, nous avons différentié les scripts de carrière des (ex) députés écologistes
grâce à l’article Barley & Tolbert (1997). Nous avons montré dans quelles mesures ils prescrivaient
l’action individuelle en mobilisant les concepts théoriques de Garbe & Cadin (2015). De cette façon, il
a été possible de déterminer plusieurs types de stratégies : avoir un capital social fort, garder un « pied »
en politique, se former, passer à d’autres niveaux de pouvoir, assurer son retour vers son ancien métier,
chercher du travail dans des ONG « proches », déménager dans une circonscription électorale plus
favorable, être « discret », avoir une posture plus individualiste avec l’âge, justifier les dérogations
(influencer les représentations du parti face à la carrière), être un spécialiste dans un domaine, ne pas
dépendre de sa situation personnelle, se lancer comme indépendant, avoir une vision claire de la fin de
son expérience politique. Les rôles de l’agence et de la structure ont également été définis. Nous avons
aussi mis en lumière le phénomène de l’enactment à travers notre analyse empirique sur les
transformations des représentations du « professionnel de la politique ». Cependant, nous désirons
apporter un regard réflexif face à certains enjeux et certaines problématiques organisationnelles ou
sociétales observées.
Pour rappel dans ses statuts, Ecolo souligne son attachement à la démocratie : « Ecolo lutte de
façon permanente pour une démocratie réelle et participative » (Art.2 des statuts). Pour y répondre,
l’organisation a instauré des règles, notamment la limitation des mandats dans le temps et le décumul.
Pourtant, nous avons montré que les (ex) parlementaires écologistes n’ont pas une représentation
univoque du « professionnel de la politique ». De plus, nous avons mis en relief une similitude dans les
trajectoires professionnelles des (ex) parlementaires écologistes. Ceux-ci ont effectivement un parcours
essentiellement marqué par le monde non marchand et/ou politique. Ces tendances nous invitent à nous
poser les questions suivantes : « Existe-t-il un lien de cause à effet entre le risque de s’investir en
Parcours politique
Expérience en politique
Niveau d'étude
Elu à d'autres niveaux de pouvoir
Circonscription électoral
Capital social
Ambition
Etiquette politique
Reconversion
Travail cognitif
Marge de manœuvre
Guidance du script
Oui Oui Non Non
Très fort Fort Fort Fort
Fort Fort Faible Faible
Fort Relatif Relatif Relatif
Fort Relatif Relatif Relatif
Relatif Faible Fort Fort
faible Très faible Relatif Relatif
Fort Relatif Fort Fort
Fort Fort Faible Faible
Fort Très Fort Fort Fort
Alternatif (interne) Alternatif (interne et externe) Séquentiel Séquentiel
Fort Relatif Relatif Relatif
LE POLITIQUE A DUREE INDEFINIE LE POLITIQUE A DUREE DEFINIE
Les experts Les passsionés Les opportunistes Les vocationnelles
67
politique et la faible propension des citoyens issus du monde marchand à s’investir chez Ecolo ? Les
politiques internes du parti ne favorisent-elles pas l’essor d’une certaine population avec des
caractéristiques similaires (statut sécurisant et employabilité élevée) ? En d’autres termes, les
parlementaires écologistes sont-ils représentatifs de la population belge, de leur électorat ou des
individus capables de s’investir en politique ? Les citoyens belges sont-ils égaux pour accepter ou
refuser ce script ? L’article de Dandoy, Decker, & Pilet (2007) peut à ce titre apporter des pistes de
réflexion. Dans l’étude quantitative, l’article confirme notre approche de la carrière sur les profils
sociologiques des parlementaires en Belgique francophone. En tout cas, comme le disait Barley (1989),
c’est bien aux chercheurs de répondre à ces questions : « researchers need to verify that differently
structured careers, in fact, sustain differently ordered institutions. The crucial question is whether
certain types of careers are more frequently associated with different institutional forms » […] « In fact,
to fully chart the articulation of careers and social institutions, analysts must eventually look beyond
even relations of production to the family, to religion, and to the structure of communities. The
structuration perspective would therefore admonish career theorists to extend their purview to the very
fortunes of society itself » (Barley, 1989 :57 ; Glaser, 1968 : 15 cité par Barley, 1989 : 59).
Ensuite, les (ex) parlementaires écologistes ont fait montre d’une incohérence organisationnelle
entre le fonctionnement collectif du parti et l’absence de gestion collective de leurs carrières.
Indépendamment des questions soulevées au paragraphe précédent (auxquelles il ne nous est pas
possible de répondre), deux questions restent en suspens : « En dehors d’une limitation des mandats
dans le temps et du décumul, est-il possible de rendre la démocratie plus « réelle » et plus
« participative » au sein des assemblées (c’est-à-dire augmenter le taux de rotation des élus) ? Est-il
possible de rendre le fonctionnement du parti et de la politique de gestion des carrières plus cohérente ?
Section 2 - Des perspectives de réponses
Au regard de nos analyses, il nous semble pertinent de poser l’hypothèse59 suivante : « en
professionnalisant la gestion des ressources humaines, la lisibilité des scripts sera plus forte et favorisera
les transitions de carrière ». Selon nous, rendre le script plus intelligible aux individus permettrait, d’une
part de mieux appréhender la fin de l’expérience politique, et d’autre part de permettre à plus d’individus
de s’investir en politique. En d’autres mots, il s’agirait de favoriser les transitions professionnelles sous
un prisme collectif et de les organiser. Dès lors, nous posons les cinq recommandations suivantes :
1) Donner une définition du « professionnel de la politique » univoque : en clarifiant cette notion, les
individus pourront anticiper les étapes de leur carrière. Le nombre de mandats à réaliser sera moins
soumis à l’interprétation individuelle. Ainsi, la carrière des parlementaires dépendra moins des aléas
59 Notre recherche a une portée exploratoire. Il n’est donc pas concevable de se baser uniquement sur nos
recommandations. La vérification de cette hypothèse devrait faire l’objet d’une autre recherche.
68
de la conjoncture politique puisque l’individu deviendra capable d’anticiper l’échéance de son
mandat.
2) Instaurer des entretiens de carrière : au vu du caractère complexe et imprévisible de l’expérience
politique, les entretiens de carrière peuvent être utilisés à titre de prévention. Par exemple, au regard
des caractéristiques individuelles et contextuelles (nombre de mandats réalisés, sondages, perte des
droits de chômage à la fin du second mandat, changements législatifs, etc.), il s’agirait de sensibiliser
les députés quant à leur avenir professionnel.
3) Organiser des comités de carrière : les comités de carrière viseraient, en concertation avec
l’individu, à définir un plan de carrière. Ainsi, ils détermineront si la suite professionnelle se
réalisera à l’interne ou à l’externe du parti. En fonction des éventualités, l’organisation pourra
prévoir des moyens de développer l’employabilité de l’individu (formations, etc.) en vue
d’améliorer sa transition professionnelle.
4) Formaliser les mesures d’accompagnement de départ : si certaines mesures existent déjà
(communication des offres d’emploi, travail bénévole au sein du parti, etc.), celles-ci ne sont pas
connues et ne concernent pas l’ensemble des parlementaires ("Je n’ai pas de diplôme… Pour
pouvoir répondre à une offre d’emploi, il fallait chaque fois avoir un bachelier ou un master […]
la politique telle qu’elle est perçue par Ecolo, c’est un travail académique » (P9)). Formaliser les
dispositifs et les communiquer seraient le moyen d’améliorer les transitions professionnelles et de
les adapter à chaque public.
5) Créer une carte métier : ce dispositif a pour objectif d’exposer les possibilités de transition de
carrière sur base de l’expérience politique et non-politique de l’individu. Les députés auraient une
meilleure connaissance des différents emplois à l’interne du parti ainsi que des métiers ou
institutions au sein desquels ils pourraient valoriser leur expérience professionnelle.
Section 3 - Une recherche partielle
Nous souhaitons rappeler le caractère qualitatif et exploratoire de notre recherche. Notre travail
doit effectivement faire face à plusieurs limites. Bien que nous ayons identifié plusieurs types de scripts,
notre analyse se base sur 19 entretiens. Notons que l’ensemble de ces entretiens se sont déroulés avant
les élections de 2019, ce qui peut induire un certain biais. En effet, un réel enjeu s’est constitué au sein
d’Ecolo du point de vue de la carrière des parlementaires. Au cours de la période précitée, le parti
profitait d’une conjoncture politique favorable, certains parlant même de « vague verte ». Or, une
variation des résultats électoraux a une incidence sur la manière dont est organisée la gestion des
ressources humaines du parti, que ce soit au niveau des mandats ou des effectifs internes. Ces interviews
ont été réalisées dans une seule organisation et sur un seul corps de métier. De plus, nous n’avons pas
rencontré de députés européens ou germanophones. A ce stade, il serait intéressant d’élargir notre étude
69
à d’autres statuts politiques (les membres d’un cabinet ministériel, les employés d’Ecolo, les
mandataires politiques, à d’autres niveaux de pouvoir, etc.) ainsi qu’à d’autres formations politiques.
Force est de constater la pertinence de la critique de Laudel, Bielick & Gläser (2019) lorsqu’ils
remettent en question la capacité des chercheurs à prendre en considération l’agence et la structure.
Durant cette recherche, nous avons effectivement eu tendance à davantage prendre compte les
phénomènes d’agence. De plus, nous avons centré notre travail essentiellement sur la limitation dans le
temps et peu sur la règle du décumul.
Il est également utile de rappeler notre proximité avec notre terrain de recherche. Nous sommes
effectivement militant et nous avons été candidat aux élections de mai 2019. De surcroît, nous avons
participé à l’Académie Verte durant 2018-2019. Dans ce travail, nous avons volontairement omis un
facteur : l’influence de l’Académie Verte sur les trajectoires professionnelles. En effet, c’est un
programme de formation d’une année instauré par Ecolo afin de préparer les futurs cadres du parti. Ce
cycle de formation a été créé en 2007 et par conséquent aucun de nos intervenants n’y a participé. Or, il
est probable que ce type d’organisme joue un rôle sur la socialisation des individus et donc sur les
carrières. Comme nous l’avons décrit, le capital social, dans un environnement politique, semble prendre
un rôle prépondérant. Raison pour laquelle, il pourrait être fructueux de poursuivre notre recherche sur
l’influence de ce type de programme.
Pointons aussi que notre étude ne porte que sur un élément de la démocratie représentative : les
parlementaires. Comme l’a décrit Touraine (1989), de nombreux autres enjeux la sous-tendent et
l’influencent. Manin (2012) lui parle : « un système complexe, formé de plusieurs éléments » (Manin,
2012 : 332). De plus, si nous proposons des moyens de faciliter les transitions professionnelles dans le
but de rendre la démocratie plus représentative, est-ce vraiment un objectif louable ? Car, comme
Herman De Croo le dit : « On doit prendre garde à ne pas aller vers un Parlement où plus personne
n’aura la mémoire des faits. On réduit la force de la représentation populaire par la rotation excessive
des élus. Les gens ne connaissent pas leurs élus. L’élu ne connaît pas ses électeurs et n’a pas de contact
avec eux et puis, c’est impossible d’avoir une expérience utile après trois ou quatre ans60 ? ».
La validité de nos recommandations peut être remise en cause. D’une part, elles se basent sur une
hypothèse non validée. D’autre part, le fonctionnement interne d’un parti politique pourrait ne pas être
compatible avec une formalisation des pratiques de gestion des carrières. A ce titre, il pourrait être utile
de réaliser une analyse de cohérence des conventions RH et de la configuration organisationnelle
d’Ecolo (Pichault & Nizet, 2013). Dans une moindre mesure, les travaux de Crozier et Friedberg pour
60Martin Bruxant, 6 avril 2018, Herman De Croo : « C'est une vie de chien », consultable sur :
https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/herman-de-croo-c-est-une-vie-de-chien/9999400.html
70
réaliser une analyse stratégique de l’organisation d’Ecolo pourraient permettre de mieux comprendre les
enjeux de la carrière politique (par exemple le système d’action concret du processus de dérogation).
Nous encourageons également des études futures sur l’influence des règles internes des partis
politiques (limitation des mandats dans le temps, décumul, etc.) et sur les capacités des citoyens à
s’investir en politique. Un des prolongements possibles serait d’utiliser le concept des ancres de carrière
développé par Schein (1996). Les ancres de carrière permettraient de faire des liens entre les raisons
pour lesquelles les individus s’investissent en politique et leurs caractéristiques individuelles. Ainsi, il
serait possible de savoir si un individu ne s’investit pas en politique à cause de son ancre ou s’il est
question d’un problème de transition de parcours ou de valorisation des compétences.
Enfin, il pourrait être intéressant de réaliser des études sur la discrimination due à l’appartenance
politique et d’observer dans quelles mesures elles déterminent les trajectoires professionnelles. D’après
notre analyse, la discrimination politique semble effectivement pousser les individus à entretenir des
stratégies centrifuges vers le monde politique. A ce titre, l’ouvrage Outsider de Becker (1963) pourrait
être une entrée en matière à cette recherche.
71
CONCLUSION
L’objectif de cette recherche était de comprendre comment les parlementaires écologistes
francophones conçoivent et gèrent leur carrière professionnelle face au décumul et à la limitation des
mandats dans le temps. Pour atteindre ce but, nous avons analysé le discours des acteurs et utilisé une
méthode inductive. Afin de cerner les enjeux inhérents de la carrière et d’identifier notre cadre
analytique (les scripts de carrière de Barley & Tolbert (1997)). Nous avons ensuite construit une revue
de littérature. Par la combinaison de ces informations, nous avons pu réaliser un travail d’analyse, duquel
plusieurs constats et interprétations ont été dressés.
Tout d’abord, les députés écologistes ont un type de carrière nomade. Ils se situent effectivement
dans un environnement faible et exercent des efforts cognitifs importants. Cet environnement est rendu
plus incertain par l’« éthique » et la politique des ressources humaines d’Ecolo. Ensuite, nous avons
identifié deux itinéraires de carrière : « le politique à durée définie », « le politique à durée indéfinie ; et
quatre scripts de carrière : « les passionnés », « les experts », « les opportunistes » et « les vocationnels ».
Tous ont une représentation de la carrière différente et in fine adoptent des stratégies en fonction du
script mobilisé. Ainsi, certains individus tendent à avoir un comportement centrifuge avec la politique
et d’autres un comportement centripète en fonction de leurs représentations et caractéristiques
individuelles. À ce titre, nous avons souligné que les individus avec le script « les passionnés » sont
davantage en situation de difficulté lors d’une transition professionnelle. Sur base de ces analyses, nous
avons émis l’hypothèse qu’en rendant le script plus lisible, les trajectoires professionnelles seraient plus
sécurisantes, ce qui améliorerait le renouvellement des élus politiques. Ainsi, nous suggérons que les
règles visant à limiter la durée des mandats dans le temps et du décumul puissent être accompagnées par
une politique de gestion formalisée des carrières. Cette hypothèse devra être confirmée ou infirmée dans
des recherches futures. De plus, au regard des évolutions de la conjoncture politique et économique (la
moyenne d’âge des mandataires politiques diminue et l’âge de la retraite augmente), notre problématique
pourrait devenir de plus en plus prégnante.
Lors de nos discussions, nous nous sommes étonné des effets latents envisageables d’une telle
règlementation. Il semble en effet possible qu’une limitation des mandats dans le temps et le décumul
puissent favoriser l’essor d’une population avec un statut professionnel plus sécurisant : non marchand,
classe politique ou individus avec une employabilité élevée. L’objectif d’une démocratie « réelle » et
« participative », comme voulue par Ecolo, ne serait pas possible dans ce cadre. Pour terminer, nous
voulons rappeler le caractère non directif et exploratoire de cette recherche. Notre réflexion pourrait
servir à questionner d’une manière plus approfondie l’impact des règles (législation ou statuts d’un parti)
sur la carrière des parlementaires, ou encore notre typologie pourrait servir à identifier les individus les
plus sensibles aux risques de transitions professionnelles et enfin rappeler l’opportunité offerte aux
ressources humaines de prendre part, par la gestion, à des enjeux sociétaux.
72
« Si un parti préfère la pureté de ses convictions à la prise de responsabilité, c’est qu’au fond il
ne croit pas lui-même en la force de ses convictions61 ».
Jacky Morael
61Bertrand Henne, 11 juillet 2019, L'Arc-en-ciel, 20 ans de rancœurs, consultable sur :
https://www.rtbf.be/info/article/detail_l-arc-en-ciel-20-ans-de-ranc-urs-bertrand-henne?id=10268334
73
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LISTE DES ILLUSTRATIONS
Section 1 - Les figures
Figure 1 : Évolution des résultats électoraux d’Ecolo en Wallonie depuis 1981 (Pascal Delwit 2019),
consultable sur : https://twitter.com/PDelwit/status/1139425194471239680/photo/1
Figure 2 : The Role of Career in the Structuring Process: the Barley Model (Barley 1989:
54 cités par Duberley et al. 2006 : 1134)
Figure 3: Globale careers as multiply referenced (Cappellen & Janssens, 2010, p. 690)
Figure 4 : Dimension comportementale de la carrière des (ex) parlementaires (création individuelle)
Section 2 - Les tableaux
Tableau 1 : Listes du nombre de députés par niveau de pouvoir et par parti (création individuelle)
Tableau 2 : Quelques fondements des Boundaryless careers selon Weick (Cadin, Bender & Saint-Giniez,
2003, p.39)
Tableau 3 : Liste des entretiens (création individuelle)
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Annexes
Annexe 1 : Le, la, un, une / les « politique(s) » ?
Le politique : « Le politique correspond à ma notion de ‘polity’ en anglais. Il désigne la dimension
politique d’une société, son ordre politique. Lui sont apparentées des notions anciennes comme la cité,
la ‘polis’, la république – du latin ‘res republica’, la ‘chose publique’-, la patrie, la communauté
politique ou le régime politique […] le politique est immanent à la société, c’est-à-dire qu’il est dans
celle-ci, grâce à trois fonctions qu’il assure : il promeut l’intégration sociale, assure un ordre social et
définit des finalités et des valeurs » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 30).
La politique : « La politique correspond à la notion de ‘politics’ en anglais et désigne l’ensemble des
activités politiques, la vie politique, la mobilisation des acteurs politiques, entendus comme producteurs
d’activités touchant au politique […] dans un sens étroit, ‘le plus politique du terme’, la notion vise
l’action d’un élu, d’un ministre, d’un chef d’État, ou d’un chef de parti d’opposition » (Balzacq,
Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 31).
Un politique : « L’expression ‘un politique’ désigne avant tout un type particulier d’acteur politique,
un professionnel de la politique, entendu au sens restreint du terme en, équivalent de ‘political man’ ou
‘polician’, en anglais, c’est-à-dire un ‘homme ou femme politique’, ‘un politicien’ (Balzacq,
Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 32).
Une politique / les politiques : « Une politique, substantif singulier, équivaut à la notion de ‘policy’ en
anglais. L’expression désigne communément une ligne de conduite ou un programme plus ou moins
intégré d’actions guidées par des principes et des objectifs. Il peut s’agir, par exemple, de la politique
de l’emploi proposée par tel parti. Mais également de la politique de recrutement ou des ressources
humaines d’une entreprise […] De façon encore plus pointue, dans un sens encore plus spécialisé, ‘les’
politiques peuvent être conçues en science politique comme les produits, les ‘outputs’ fournis par le
système politique sous une forme d’actions et de décisions » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand,
Paye & Schiffino, 2014: 33-34).
79
Annexe 2 : Continuum et imbrication entre société civile, monde politique et système global
Source : (Balzacq,Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014 : 39).
Annexe 3 : Organisation interne du parti
Source : document reçu à l’Académie Verte.
80
Annexe 3 : Répartition des résultats électoraux par commune à la chambre en 2019
Source : Pascal Lorent, 7 juin 2019, Le scrutin du 26 mai a (un peu) rebattu les cartes pour les partis
francophones, consultable sur : https://plus.lesoir.be/229246/article/2019-06-07/elections-2019-les-
tops-et-les-flops-des-partis-par-commune-carte-interactive.
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