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NOM : GENOTTE Prénom : Corentin Matricule : s140284 Filière d’études : Master en Gestion des Ressources Humaines La non-professionnalisation de la politique passe-t-elle par une professionnalisation de la gestion des carrières ? Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Master en gestion des ressources humaines, à finalité spécialisée "Mise en œuvre de la gestion stratégique des ressources humaines" Promoteur : François PICHAULT Lecteur : Mélanie DE WINTER Lecteur : Pierre CASTELAIN Faculté des Sciences Sociales & HEC Année académique 2018-2019

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NOM : GENOTTE

Prénom : Corentin

Matricule : s140284

Filière d’études : Master en Gestion des Ressources Humaines

La non-professionnalisation de la politique passe-t-elle

par une professionnalisation de la gestion des carrières ?

Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de

Master en gestion des ressources humaines, à finalité spécialisée

"Mise en œuvre de la gestion stratégique des ressources humaines"

Promoteur : François PICHAULT

Lecteur : Mélanie DE WINTER

Lecteur : Pierre CASTELAIN

Faculté des Sciences Sociales & HEC

Année académique 2018-2019

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Remerciements

Avant toutes choses, je tiens à remercier plusieurs personnes sans lesquelles, grâce à leur

soutien, le temps qu’elles y ont consacré et leurs précieux conseils, je n’aurais pas pu prendre autant

de plaisir à l’écriture de ce mémoire.

Tout d’abord, je remercie Monsieur Pichault, mon promoteur. Par ses conseils, son

accompagnement, j’ai pu comprendre la complexité et l’enjeu des sciences sociales.

Ensuite, je souhaite remercier Madame De Winter, lectrice, qui depuis mon stage, a montré une

grande disponibilité. Grâce à elle, j’ai su prendre du recul en particulier au moment de choisir le

thème de ce mémoire.

De plus, je souhaite remercier Monsieur Castelain, lecteur, avec qui j’ai eu la chance de

découvrir d’autres facettes du monde que ce soit au niveau de la sociologie ou d’Ecolo.

Je tiens aussi à remercier toutes les personnes qui ont accepté de partager une partie de leur

vie avec moi. Sans eux, ce travail n’aurait pas de sens.

Je tiens également à souligner la coopération du parti politique Ecolo et ainsi que celle des

organismes rattachés tels qu’Etopia et l’Académie Verte.

Maman, Papa, Marraine, Parrain, Marie, Simon, à plus d’une reprise, je vous ai sollicités pour

mes travaux universitaires d’un point de vue moral et effectif. Merci pour votre aide qui m’a permis

d’atteindre la fin de mes études.

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Résumé

Dans le contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, dont Ecolo en est

le parfait exemple, nous nous sommes posé la question de recherche suivante : « Dans un

contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, comment les députés

écologistes gèrent-ils leur carrière professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? ».

Pour répondre à cette question, nous avons réalisé 19 entretiens que nous avons analysés à

l’aune du cadre théorique des scripts de carrière. Ces résultats nous ont permis de construire

une typologie de laquelle ressort deux types d’itinéraires et quatre scripts de carrière. Cette

recherche tend à montrer l’influence de la gestion des carrières des parlementaires (ou de

son absence) sur le déficit de représentativité et de renouvellement des assemblées

législatives.

Abstract

In the current environment of limited number of mandates and non-plurality, Ecolo being

a perfect example of this, we tried to figure out the answer to the following research

question: “In the current environment of limited number of mandates and non-plurality,

how do Ecologists deputies manage their professional careers during the period of their

mandate? » To answer this question we have conducted 19 interviews that we have

analyzed in the light of the theoretical framework of career scripts. The results have enabled

us to construct a typology showing two different paths and four career scripts. This research

tends to show the influence on parliamentarians' career management (or non-management)

concerning lack of representativeness or renewal of legislatives assemblies.

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Table des matières INTRODUCTION ................................................................................................................................. 5 PREMIERE PARTIE : MISE EN CONTEXTE ................................................................................ 7

Section 1 - La Belgique, une démocratie représentative multiniveaux ........................................... 7

Section 2 - Le terrain de recherche .................................................................................................. 9

Section 3 - La politique est-elle professionnelle ? ......................................................................... 10

DEUXIEME PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE ................................................................... 12

Chapitre Premier : La carrière ...................................................................................................... 12

Section 1 - Le concept de carrière ................................................................................................. 12

Section 2 - Carrière ou trajectoire professionnelle, une sémantique équivoque ? ......................... 13

Section 3 - L’approche traditionnelle des carrières ....................................................................... 15

Section 4 - L’évolution du modèle traditionnel ............................................................................. 16

Section 5 - Carrière nomade ou carrière traditionnelle ? ............................................................... 18

Chapitre II : Les étapes de la carrière ........................................................................................... 20

Chapitre III : Les grandes pratiques autour de la gestion de la carrière .................................. 22

Chapitre IV : Le cadre analytique, les scripts de carrière ........................................................... 23

Section 1 - L’agence et la structure comme socle de base ............................................................ 23

Section 2 - Les scripts de carrière.................................................................................................. 25

Section 3 - Critiques du concept .................................................................................................... 28

TROISIEME PARTIE : METHODOLOGIE .................................................................................. 29

Chapitre Premier : Le cheminement vers la problématique ....................................................... 29

Section 1 - L’évolution de la réflexion .......................................................................................... 29

Section 2 - Une démarche qualitative et inductive ........................................................................ 31

Section 3 - Une double rupture épistémologique .......................................................................... 32

Chapitre II : Méthode de recueil des données .............................................................................. 32

Section 1 - Les personnes interviewées ......................................................................................... 32

Section 2 - La conduite des entretiens ........................................................................................... 35

Section 3 - Analyse des entretiens ................................................................................................. 36

Section 4 - L’analyse documentaire et l’observation .................................................................... 36

Chapitre III : Un cadre analytique, des objectifs et des limites .................................................. 36

Section 1 - Le choix du cadre analytique ...................................................................................... 36

Section 2 - Les objectifs de la recherche ....................................................................................... 37

Section 3 - Les limites de la démarche .......................................................................................... 37

QUATRIEME PARTIE : MISE A PLAT DES DONNEES ............................................................ 39

Chapitre Premier : La représentation de la carrière .................................................................. 39

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Section 1 - Une vision court-termiste ............................................................................................ 39

Section 2 - La politique et la carrière : une relation incertaine et ambiguë ................................... 40

Chapitre III : L’influence du parti sur les représentations ......................................................... 46

Section 1 - Un parti avec de nombreuses règles ............................................................................ 46

Section 2 - Les dispositifs mis en place ......................................................................................... 49

Chapitre IV : Les caractéristiques et tactiques individuelles ...................................................... 51

Section 1 - L’âge ........................................................................................................................... 51

Section 2 - L’étiquette ................................................................................................................... 52

Section 3 - Le capital social et le capital humain .......................................................................... 53

CINQUIEME PARTIE : ANALYSE ET DISCUSSION ................................................................. 56

Chapitre Premier : Quelle approche des (ex) députés écologistes face à la carrière ? .............. 56

Section 1 - Une conjoncture économique et politique propre à la carrière nomade ...................... 56

Chapitre II : Les scripts de carrière .............................................................................................. 57

Section 1 - Dimension comportementale des scripts ..................................................................... 57

Section 2 - Dimension cognitive des scripts .................................................................................. 60

Section 3 - Un environnement faible ............................................................................................. 62

Section 4 - L’influence du script sur l’orientation de l’action individuelle ................................... 64

Chapitre III : Discussion, recommandations et recherches futures............................................ 66

Section 1 - Une analyse qui pose question .................................................................................... 66

Section 2 - Des perspectives de réponses ...................................................................................... 67

Section 3 - Une recherche partielle ............................................................................................... 68

CONCLUSION .................................................................................................................................... 71 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 73 LISTE DES ILLUSTRATIONS ......................................................................................................... 77

Section 1 - Les figures ................................................................................................................... 77

Section 2 - Les tableaux ................................................................................................................ 77

Annexes ................................................................................................................................................ 78

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INTRODUCTION

« Je crois qu’il y a une professionnalisation de la vie politique dans tous les pays du monde.

Est-ce que ça entraîne un déficit démocratique ? Je ne sais pas, je n’ai pas assez réfléchi à ces

questions-là. Mais il y a un monde qui tourne un peu sur lui-même ».

Christine Lagarde, ex-ministre et directrice du FMI, à propos de son expérience de Ministre des

Finances de 2007 à 20121.

« La durabilité restreinte à un impact sur le recrutement des députés […] Quand vous avez une

rotation rapide, quand une personne ne reste élue qu’une ou deux fois, on a tendance à s’auto-

protéger parce que c’est un risque […] La politique est un métier ‘risqué’. Si maintenant vous le

‘dé-risquez’ […] Vous arrivez à un grand danger de corporatisme potentiel »

Herman De Croo, ex-ministre et député depuis 51 ans2.

A travers les médias, nombreuses sont les critiques portant sur les avantages des politiciens

lorsque leur carrière « politique » s’arrête (Baudu, 2009). Pas plus tard qu’en juin dernier, la RTBF titrait

« Indemnités de sortie et salaire des députés : des montants trop élevés 3? ». Pourtant deux mois plus

tard, en août, le journal la Libre Belgique écrivait à la Une de son éditorial « Retrouver un emploi après

une carrière politique, compliqué ? ‘Politique sur le CV, ça met mal à l’aise’4 ». N’y aurait-il pas une

pièce à double face concernant la carrière des députés ? En réalité, la critique est plus globale. Déjà en

1989, Touraine soulignait la crise de représentativité5 dans nos démocraties. Ainsi, il existerait « un

déficit de représentativité » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014). D’autres

auteurs mettent en avant la méconnaissance du statut de mandataire politique (Michon & Ollion 2018).

Investi dans le parti politique Ecolo, nous avons observé des pratiques visant à éviter le

phénomène « du monde qui tourne sur lui-même » : la limitation des mandats dans le temps et le principe

du décumul. Si l’objectif est louable et annoncé, est-il pour autant efficace et respecté ? N’y a-t-il pas

des conséquences latentes sur les trajectoires professionnelles des députés écologistes ?

C’est dans ce cadre que nous nous sommes posé la question de recherche suivante : « Dans un

contexte de limitation des mandats dans le temps et du décumul, comment les députés écologistes

gèrent-ils leur carrière professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? » Pour y répondre, nous

1 Entretien télévisé dans 13 h 15 le Dimanche, France 2, 13 septembre 2015. 2 L’invité de Matin Première : Herman De Croo, mardi 18 juin à 7 h 45. 3 Camille Toussaint, 18 juin 2019, Indemnités de sortie et salaire des députés : des montants trop élevés ?

consultable sur : https://www.rtbf.be/info/dossier/la-prem1ere-soir-prem1ere/detail_indemnites-de-sortie-et-

salaire-des-deputes-des-montants-trop-eleves?id=10249591 4 Adrien de Marneffe, le 5 août 2019, Retrouver un emploi après une carrière politique, compliqué ? « Politique

sur le CV, ça met mal à l’aise », consultable sur : https://www.lalibre.be/belgique/societe/retrouver-un-emploi-

apres-une-carriere-en-politique-complique-politique-sur-le-cv-ca-met-l-employeur-mal-a-l-aise-

5d47babe9978e254e24e6141 5 Les concepts de « représentativité » ou de « démocratie » sont des termes polysémiques. A ce titre, il est

complexe de les définir. Pour bien cerner les enjeux inhérents, nous renvoyons vers l’ouvrage de Bernard Manin

publié chez Flammarion en 2012 : « Principes du gouvernement représentatif ».

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utilisons une méthode inductive et qualitative. Ainsi, nous avons interviewé 16 (ex) députés écologistes.

Notre question a une double intention. Tout d’abord, nous voulons analyser les carrières politiques dans

leur ensemble et ainsi prendre du recul sur les critiques actuelles portées sur cette profession. Nous

voulons également comprendre comment les députés se représentent et organisent leur carrière dans ce

contexte particulier. Pour atteindre cet objectif, nous nous baserons sur le cadre analytique de Barley et

Tolbert (1997) : les scripts de carrière.

Pour rendre la lecture intelligible, le travail est structuré en plusieurs parties. Contextualiser

notre recherche dans un premier temps. Ensuite, nous faisons l’état de l’art de la littérature. En troisième

lieu, nous expliquons et justifions nos choix méthodologiques. Puis, dans une quatrième partie, notre

objet de recherche est décrit à travers la mise à plat des données. Enfin, la cinquième et dernière partie

du travail vise à analyser notre objet d’étude et à le mettre en perspective face à l’enjeu sociétal :

transition professionnelle et démocratie représentative sont-elles inter-reliées ? Et avant d’évoquer cette

question, nous tenterons de décrire les conditions de carrière, parfois très différentes, des mandataires

politiques et des actions qui en découlent.

Avant de commencer et afin d’être tout à fait clair vis-à-vis du lecteur de cette recherche, nous

désirons préciser notre relation avec le parti politique Ecolo. En effet nous disposons d’une carte de

membre et avons une proximité idéologique avec notre terrain de recherche. D’autre part, nous nous

sommes présenté aux élections pour le parlement wallon en 2019 impliquant une ambition

professionnelle en lien avec notre objet d’étude.

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PREMIERE PARTIE : MISE EN CONTEXTE

La carrière des parlementaires écolos s’intègre dans des contextes spécifiques et à plusieurs

niveaux que nous allons décrire : le mode d’organisation du système politique belge, le parti politique

Ecolo, la professionnalisation de la politique.

Section 1 - La Belgique, une démocratie représentative multiniveaux

Depuis sa naissance, la Belgique connaît un régime parlementaire (Reuchamps dans Dandoy,

Matagne, & Van Wynsberghe, 2013 : 29). Les parlementaires sont responsables du pouvoir législatif et

siègent dans des assemblées législatives pour une durée de cinq ans. La particularité du système belge

est la répartition multiniveaux de ses assemblées. Il en existe sept : le Parlement fédéral (qui se compose

de la Chambre des représentants et du Sénat), le Parlement flamand, le Parlement wallon, le Parlement

de la Région Bruxelles-Capital, le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement européen

(Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013 : 112). Ce pluralisme des parlements rend la carrière des

parlementaires dynamique et augmente les opportunités6 professionnelles, qui sont devenues moins

ascendantes suite aux différentes réformes de l’Etat (Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013). D’ailleurs,

Dodeigne (2013) met en avant la forte proportion de mouvements inter-niveaux entre les parlements en

Wallonie, ce qu’il qualifie de carrière intégrée : « trajectoire politique caractérisée par l’absence de

frontière entre parlements » (Dodeigne, 2013 : 4). Dans la même veine, Pilet & Fiers (dans Dandoy et

al., 2013) désignent ce comportement de « level-hoping ». Dans cet environnement, la stratégie serait :

« une volonté de se maintenir au pouvoir quel que soit le lieu » (Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013 :

130). De plus, depuis les années 90, le comportement électoral des citoyens belges est devenu plus

volatil (Manin, 2012 ; Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013). En conséquence, les assemblées font face

à l’arrivée massive de nouveaux entrants en politique (avec comme caractéristique le fait qu’ils soient

de plus en plus jeunes) combinée à un taux de réélection de plus en plus faible (Michon & Ollion, 2018 ;

Pilet & Fiers dans Dandoy et al., 2013).

Le système électoral belge fonctionne selon le principe du scrutin proportionnel (selon la clé

d’Hondt7). Les candidats députés se présentent aux élections au sein d’une circonscription électorale.

Toutefois, en fonction de leur poids démographique, les circonscriptions envoient un nombre variable

de représentants (Dandoy et al., 2013). Des listes électorales sont constituées dans chaque

circonscription. Pour être élu, les candidats doivent disposer d’un nombre suffisant de voix. Ce nombre

de voix dépend du choix de l’électeur qui peut voter soit en « case de tête » ou émettre un vote « de

6 Le nombre de mandats parlementaires est passé de 407 en 1978 à 558 en 2005 (Pilet & Fiers dans Dandoy et

al., 2013, p.130). Ajoutons également que le jeu politique est plus ouvert que par le passé suite au décret spécial

wallon limitant le cumul de mandats dans le chef des députés du Parlement wallon (Grandjean, 2015 : 5). 7 « Cette clé d’attribution des sièges dans le cadre d’un système proportionnel repose sur une répartition de la

plus forte moyenne » (Reuchamps dans Dandoy, Matagne, & Van Wynsberghe, 2013 : 40).

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préférence ». Ces deux types de votes s’additionnent pour atteindre le coefficient électoral selon le

principe de la dévolution de la « case de tête », ce qui va octroyer le siège au candidat (Delwit & van

Haute, 2003). L’ordre de la liste joue ainsi un rôle primordial pour déterminer qui obtiendra un mandat

politique.

En Belgique, les listes sont constituées par les partis politiques8 qui sont des acteurs majeurs du

système politique belge (Dandoy et al., 2013). Hermet (2015) les définit comme : « Des organisations

durables dont les membres se rassemblent au regard de projets politiques partagés, de valeurs

communes, ou encore d’alliances d’intérêts. Dans le cadre de la démocratie représentative, ils ont

normalement pour objectif la conquête du pouvoir ou, au moins, l’accès à celui-ci par des voies

constitutionnelles régulières et, spécialement, par le truchement des élections » (Hermet, 2010 : 2015).

Au triple scrutin électoral de mai 2019, 18 partis disposaient d’élus parlementaires en Belgique9.

Tableau 1 : Listes du nombre de députés par niveau de pouvoir et par parti10

Toutefois, si les partis politiques jouent un rôle prépondérant, ce ne sont pas des acteurs

autonomes puisque d’autres organisations sont présentes dans le système politique belge.

Historiquement, la Belgique est organisée sous forme de piliers (le pilier chrétien, le pilier socialiste, le

pilier libéral), qui constituent des ensembles plus grands (Delwit, 2018 ; Faniel & Vandaele, 2011).

Vrancken (2014) définit le phénomène de pilarisation de la société comme : « conglomérats verticaux

regroupant partis politiques, syndicats, mutuelles, sociétés coopératives, réseaux d’enseignements,

organisations de l’éducation permanente, de santé, de loisir, de presse, etc. au sein de grandes familles

au départ idéologiques » (Vrancken, 2014 : 19). Ces piliers créent des « mondes » sur lesquels ils vont

avoir une influence sociologique et idéologique importante (Faniel & Vandaele, 2011).

8 Notons qu’au sein du parti politique Ecolo, ce sont des comités de liste qui soumettent une liste de candidats

aux militants d’Ecolo dans chaque circonscription électorale. Un vote est organisé pour accepter ou refuser la

liste. Dans le cas d’un refus, chaque candidat se présente devant les militants et un nouveau vote est proposé

pour chaque place de la liste. 9 Election 2019, 1 juillet 2019, consultable sur : https://elections2019.belgium.be/fr. 10Ce tableau comprend les élus directs. Les sénateurs et certains membres des communautés n’y sont pas

présents. Le Sénat est composé de cinquante élus indirects et dix cooptés. La communauté française recouvre 94

membres (issu des entités du parlement wallon et du parlement bruxellois).

Parlemant flamand Parlemenant wallon Parlement germanophone Parlement bruxellois Parlement fédéral Parlement européen Total par parti

N-VA 35 3 25 3 66

VLAAMS BELANG 23 1 18 3 45

CD&V 19 1 12 2 34

Open Vld 16 3 12 2 33

sp.a 12 9 1 22

GROEN 14 4 8 1 27

PTB*PVDA 4 10 11 13 1 39

ECOLO 12 3 15 12 2 44

PS 23 4 17 20 2 66

MR 20 3 13 14 2 52

CDH 10 6 5 2 23

VIVANT 3 3

ProDG 6 6

CSP 6 6

DEFI 10 2 12

one.brussels-sp.a 1 3 4

DierAnmial 1 1

Agora 1 1

Total par parlement 124 75 25 89 150 21 484

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Section 2 - Le terrain de recherche

« ECOLO lutte de façon permanente pour une démocratie réelle et participative » (Art.2 des statuts)

Ecolo est un parti politique belge francophone et germanophone créé en 198011. Le parti s’ancre

autour de plusieurs valeurs fondamentales comme l’écologie, la justice sociale et la démocratie. En

2018, l’organisation employait 68 ETP (équivalent temps plein) répartis sur 95 travailleurs12. A la suite

des élections de mai 2019, Ecolo est devenu la 3e force politique en Wallonie et la deuxième à Bruxelles.

Ses résultats électoraux se traduisent par la présence de 46 parlementaires13 dans les différentes

assemblées. Ces résultats sont en nette progression par rapport aux dernières élections, visibles sur le

graphique ci-dessous.

Figure 1 : Évolution des résultats électoraux d’Ecolo en Wallonie depuis 198114

Dans ses statuts, Ecolo montre la priorité qu’il accorde au caractère représentatif de la démocratie.

A cette fin, le parti met en place des normes internes contraignantes pour ses mandataires. C’est

pourquoi, il est interdit d’exercer plus de deux mandats dans le temps15 ou de cumuler des mandats16,

sauf dérogation. Pour donner un ordre de grandeur, les députés écologistes restent en fonction en

moyenne sept ans17. Avant de s’engager avec le parti, le député ou le parlementaire18 signe un contrat

de réciprocité par lequel il s’engage entre autre à exercer son mandat à temps plein, à exclure toute autre

activité rémunérée et à rétrocéder une partie de sa rémunération19. Plusieurs instances internes sont en

11 « Manifeste politique d’Ecolo » (2013). 12 Cette donnée doit probablement être revue à la hausse suite au score électoral du parti en 2019. 13 Nous avons réalisé le calcul sur base de la présentation des élus par le parti (nous avons pris en compte

l’ensemble des députés, il faut ajouter au graphique sur les partis les sénateurs et membres des communautés),

Ecolo, 7 juillet 2019, consultable sur : https://ecolo.be/elu-e-s/ 14 Consultable sur : https://twitter.com/PDelwit/status/1139425194471239680/photo/1 15 Art.137 des statuts d’Ecolo. 16 Art. 138 des statuts d’Ecolo. 17 Estimation réalisée par le parti politique Ecolo. Ces informations nous ont été dispensées pendant l’Académie

Verte. 18 Dans ce mémoire, nous utilisons comme synonyme le mot parlementaire et le mot député, car ils désignent

tous deux un membre élu au sein d’une assemblée législative à la suite d’une élection (Le Petit Robert, 2015). 19 Le niveau de rétrocession dépend de plusieurs facteurs comme les fonctions exercées ou l’ancienneté.

Généralement, elle s’élève aux alentours de 40 % de la rémunération brut mensuelle.

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charges d’amender les règles touchant aux carrières des parlementaires dont le Comité d’Arbitrage20, le

Comité des Mandats21, le Comité de Déontologie et d’Ethique22, le Bureau Politique23, l’Assemblée

Générale24 et le Conseil de Fédération25.

Section 3 - La politique est-elle professionnelle ?

Gaxie (2001) ouvre le débat du caractère légitime ou non d’un politique professionnel : « Un

univers politique non professionnalisé est-il imaginable et souhaitable ? Faut-il chercher à limiter la

professionnalisation ? […] Faut-il, par exemple, chercher à élargir le débat sur le cumul des mandats en

réclamant la limitation des mandats dans le temps et la non-rééligibilité de ceux qui ont déjà été investis

d’un mandat électoral ? » (Gaxie, 2001 : 4). Il y aurait, selon Gaxie (2015), un double phénomène de

professionnalisation en politique. D’une part, l’exercice d’un mandat rémunéré à temps plein et d’autre

part : « une forme particulière d’organisation des métiers » (Gaxie, 2001 : 23).

Au 19e siècle, la politique n’était pas professionnelle, elle était exercée par des bourgeois ou des

nobles de manière bénévole (Michon & Ollion, 2018; Offerlé, 2016). Elle l’est devenue à la suite de la

démocratisation de la société26 et à la mise en place des indemnités, ce qui a permis l’accès au pouvoir

des personnes moins fortunées (Michon & Ollion, 2018). Ainsi, la qualification de professionnel est liée

au fait d’avoir une position rémunérée en politique, mais aussi à l’augmentation du nombre de personnes

présentent dans ce champ (Michon & Ollion, 2018). D’ailleurs, Michon & Ollion (2018) précisent que,

si souvent les députés sont qualifiés sur cette base, peu de personnes connaissent la situation financière

réelle des élus. Selon eux, certains politiques sont dans une situation professionnelle précaire (en

particulier ceux ayant dû mettre entre parenthèses leur activité professionnelle). Ces auteurs vont plus

loin que la définition rémunératrice, ils ajoutent qu’il est également possible de se baser sur leurs

parcours (un individu salarié dans le domaine politique depuis longtemps27) ou de ses compétences (par

son expertise et ses savoirs) (Michon & Ollion, 2018).

Gaxie (2001), par organisation particulière des métiers, on entend la spécialisation des activités

politiques périphériques. Si, auparavant, les tâches étaient réalisées par les militants ou les hommes

politiques eux-mêmes, les partis politiques s’entourent désormais de spécialistes, qu’il s’agisse de

20 Le Comité d’Arbitrage est compétent pour, se fondant sur les statuts, les règles internes d’Ecolo et les

principes généraux du droit (Art.75 des statuts). 21 Information obtenue lors de l’Académie Verte. 22 Le Comité de Déontologie et d’Ethique a pour missions d'aider le parti à définir les règles déontologiques et

d’éthique applicables aux personnes s'investissant en politique […] en ce compris les conflits d'intérêts, les

incompatibilités et les cumuls (Art. 96 des statuts). 23 Le Bureau politique est en charge de l'articulation de l'action des mandataires politiques d'Ecolo et de

l’ensemble du parti (Art.73 des statuts). 24 L’Assemblée générale est en charge de désigner les candidats pour les listes électorales (Art.19 des statuts). 25 Le Conseil de Fédération peut déroger aux interdictions (l’interdiction du cumul des mandats et la limitation

des mandats dans le temps) qui précèdent par une décision motivée aux deux tiers des voix (Art.143 des statuts). 26 Notamment avec l’avènement du suffrage universel 27 Cette définition vise les individus n’ayant eu aucune expérience professionnelle en dehors du champ politique.

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« média trainer » ou d’entreprises de communication (Gaxie, 2001; Manin, 2012). Il en va de même

pour les journalistes qui ne sont plus des proches du parti, mais des travailleurs rattachés à des entreprises

avec des objectifs propres.

Pour Gaxie (2001), cette division du travail, en plus d’augmenter la concurrence politique,

provoque une crise de la représentativité des démocraties. Selon lui, la division du travail a construit une

séparation entre le politique et le citoyen, car l’élu ne percevrait plus que son propre monde professionnel

basé sur des intérêts particuliers. Offerlé (2016) quant à lui précise : « les réseaux partisans, enracinant

le parti, ont eu tendance à se déliter, entraînant une fermeture du champ politique sur lui-même, malgré

les discours récurrents qui enjoignent à la participation citoyenne » (Offerlé, 2016 : 116). Il convient

également de souligner que si ce métier peut être considéré comme professionnel, ni les citoyens et ni

les élus eux-mêmes ne le revendiquent comme tel (Michon & Ollion, 2018; Offerlé, 2016).

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DEUXIEME PARTIE : REVUE DE LITTÉRATURE

Ce chapitre vise à présenter les différents courants, théories et concepts mobilisés dans ce travail.

Dans un premier temps, nous clarifions le concept de carrière et ses évolutions théoriques. Ensuite, nous

abordons la théorie des étapes de la carrière ainsi que ses modes de gestion. Pour terminer, nous

présentons le cadre analytique retenu pour analyser les données récoltées dans le cadre de notre

recherche : les scripts de carrière.

CHAPITRE PREMIER : La carrière

Section 1 - Le concept de carrière

Le concept de carrière est large et peut se définir de différentes manières tant les théories abondent

sur le sujet. Il fût développé dans de nombreux domaines (Szucs, Gunz, & Baruch, 2015). Par souci de

clarté et pour pouvoir généraliser le concept, nous nous baserons sur la définition suivante : « une

succession de séquences d’expériences de travail que vit une personne au cours du temps » (Arthur,

1989, cité par Dejoux & Wechtler, 2012 : 52). À travers cette définition, nous observons la notion de

« séquences » (Hughes, 1937). Ce sont ces parties de la carrière qui vont nous intéresser, car elles

présentent les expériences professionnelles comme étant fragmentées, d’une durée définie, et sortant du

champ propre à une organisation (Cadin, 2012). Il découle également de ces séquences, une

compréhension supplémentaire de la carrière liée à l’influence de ces étapes sur les suivantes (Arthur,

Inkson & Pringle 1999). En effet, comme le soulignent Fabre, Turnau, & Ventolini (2012), aujourd’hui,

les carrières sont rarement linéaires et uniformes au sein d’une même société à cause du contexte socio-

économique instable. Dany (dans Allouche et al., 2012) quant à lui parle d’incertitude des trajectoires

professionnelles. Les individus sont, dorénavant, responsables de la construction de leur carrière, car

les entreprises ne sont plus en capacité de le faire pour eux (Fabre et al., 2012). Cependant, cette

conception n’a pas toujours été d’actualité. Avant l’apparition du contexte socio-économique instable

que l’on connaît aujourd’hui, la notion de carrière était caractérisée par une stabilité qui était de mise,

car conçue selon le prisme d’une entreprise. En réalité, c’est l’évolution des contextes à travers le temps

qui est venue partiellement redéfinir les contours de la notion même de la carrière.

À ses débuts, la carrière ne concerne pas l’ensemble des travailleurs (Dany dans Allouche et al.,

2012). Une distinction nette est faite en effet entre ouvriers, employés et cadres (ou hauts potentiels).

Notons que la majorité des études portant sur les carrières restent centrées sur les cadres. Seule

l’évolution verticale pouvait être prise en compte, ce qui n’est plus le cas. Actuellement, la notion s’est

complexifiée car elle touche toutes les personnes aptes au travail : « l’idée de carrière n’exclut plus celle

de la précarité, ni de parcours atypiques tels que ceux alternant par exemple les périodes d’emploi avec

d’autres activités […] la gestion des carrières intéresse un grand nombre d’individus » (Dany dans

Allouche et al., 2012 : 144). D’ailleurs, des modes alternatifs à la mobilité verticale (synonyme de

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progression) existent : la mobilité environnementale (synonyme de mutation) ou la mobilité horizontale

(synonyme de fonctionnelle) (Cadin, 2012 : 520). De surcroît, comme l’explique Dany (dans Allouche

et al, 2012) faire carrière ne peut pas être ascendant dans tous les professions. Certains, comme les

médecins ou les avocats, évoluent au sein même de leur métier. Toutefois, même si du point de vue

hiérarchique, elle présente certaines vertus, la mobilité représente d’importants défis, notamment en tant

que variable d’ajustement. Nombreux sont les travailleurs et les entreprises qui l’appréhendent et se

questionnent sur leurs capacités à réussir ce type de changement. Généralement, les individus prennent

en compte plusieurs éléments dans leurs choix : les procédures de gestion, les normes et valeurs

véhiculées par l’entreprise, les contraintes techniques (transfert des compétences, structure de

l’entreprise28), les contraintes économiques (ressources financières de l’entreprise et de l’individu)

(Cadin, 2012). Une analyse en terme de coût-bénéfice sera ainsi effectuée par l’entreprise et l’individu

pour déterminer la faisabilité et la pertinence d’une mobilité (Cadin, 2012).

Au fil du temps et des contingences économiques, de nouveaux mots sont venus connoter le

concept de carrière : employabilité, nomadisme, flexibilité (Floquet, 2012 ; Dany dans Allouche et al.,

2012). Désormais, la carrière est conçue comme un modèle intégrant à la fois le rôle de l’organisation

et de l’individu en tant que phénomène co-construit. Ce double aspect a mené vers une évolution

engendrant deux grands courants : les carrières organisationnelles et les carrières nomades (Cadin,

2012). Certains auteurs vont plus loin que l’intégration de cette apparente dichotomie, ajoutant

l’influence de contextes multiples pour conceptualiser la carrière (Cappellen & Janssens, 2010).

D’autres auteurs encore ont permis des avancées majeures dans ce domaine. S’il n’est pas possible de

débattre sur toutes, nous partagerons avec vous une approche des différentes étapes d’une carrière ainsi

que certains outils pour la gérer.

Section 2 - Carrière ou trajectoire professionnelle, une sémantique équivoque ?

« The necessity of identifying the boundaries of a word's usage seems especially critical in a case

like career where the same term may denote something quite different to members of different

theoretical communities who appear, at first glance, to speak much the same language » (Barley,

1989 : 47).

À plusieurs reprises, nous utilisons les synonymes « trajectoire professionnelle » et « parcours

professionnel » pour remplacer le concept de carrière dans le cadre de cette recherche. Cette similarité

et utilisation équivoque est-elle justifiée pour autant ? Ces concepts ont-ils vraiment une signification

semblable parfaite ?

Guerrero, Cerdin, & Roger (2004) à la première page de leur livre reviennent déjà sur ce débat.

Ils affirment que de nombreux auteurs préfèrent la signification de « parcours professionnel » ou

28 Par exemple, une entreprise de petite taille pourra proposer des perspectives de mobilités plus restreintes

qu’une entreprise de grande taille.

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« parcours de vie » à celle de carrière. Ils rappellent que la dénomination « carrière » reste fortement

implantée dans le sens commun et donc utile. Pour eux, la notion de carrière est vue de deux manières.

D’une part, une vision stricte qui s’arrête aux organisations et d’autre part, une vision plus large

englobant le contexte dans lequel elle se trouve. Il n’y a pas de consensus pour déterminer une

notion claire : « selon le contexte économique et culturel, selon le type de contrat de travail ou la

profession des salariés, les conceptions de ce que représente la carrière sont très différentes » (Guerrero

et al., 2004 : 1). Ainsi, sous une même dénomination, le concept reflète une grande variété de

significations. Et ce, bien que certains auteurs l’utilisent systématiquement de manière restrictive sous

l’angle de la relation salariale (Guerrero et al., 2004). Au même titre que le dictionnaire « Le Petit

Robert » (2015) qui fait référence aux « cadres » lorsqu’il explique la définition du mot carrière.

De notre point de vue, il est possible d’étendre cette conception à d’autres populations sans pour

autant perdre en pertinence sémantique. En effet, pour revenir aux propos de Dany (dans Allouche et

al., 2012), la carrière touche l’ensemble des individus. Ce parti pris nous paraît d’autant plus pertinent

au regard des nouvelles études portant sur les travailleurs atypiques. Bien que titulaires d’un contrat

d’indépendant, ils restent fortement influencés par l’organisation au niveau de leur carrière (Cicmil,

Lindgren, & Packendorff, 2016).

Pour plus de clarté, nous préférons donc utiliser les termes de trajectoire professionnelle, parcours

professionnel ou career path en anglais à celui de carrière (Garewal, 2019). Car à notre sens, ils

répondent à la problématique qui vient d’être soulevée ci-avant. En effet, comme l'énoncent Levené &

Bros (2011) parcours et trajectoire peuvent être considérés comme des synonymes. Levené & Bros

(2011) définissent le terme trajectoire, sur base de la physique et la complète par l’angle sociologique :

« La trajectoire, dans son acception balistique – […] une courbe décrite par le centre de gravité d’un

mobile – est précise, elle peut se prévoir. Impulsion et force de gravité donnent à ce terme une

connotation dynamique et en même temps ‘déterminée’ au sens où des variables connues lui confèrent

une force prédictive […], mais la trajectoire peut aussi être déviée par des obstacles à l’origine de

‘bifurcations’ biographiques » (Levené & Bros, 2011 : 90). Cette conception est utile, elle permet de

conserver une forme déterministe de la carrière sans pour autant remettre en cause les capacités de

l’action individuelle (telles que les opportunités professionnelles). De plus, cette appellation va au-delà

de la relation salariale. De cette façon, il est possible de considérer toutes les formes d’emploi. L’adjectif

professionnel se définit, quant à lui, de la manière suivante : « relatif à la profession ou à un métier »

(Le Petit Robert, 2015). Nous entendons donc nous séparer de la conception du sens commun qui intègre

essentiellement une relation salariale au concept de carrière et nous lui préférons la signification de

trajectoire professionnelle bien plus inclusive. Career paths, parcours professionnel et trajectoire

professionnelle sont davantage révélateurs de diversité (Garewal, 2019).

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Cependant, afin de faciliter l’intelligibilité pour le lecteur par la suite, nous utilisons de manière

univoque le mot carrière au sens trajectoire professionnelle dont le sens nous semble plus approprié.

Section 3 - L’approche traditionnelle des carrières

Le concept de carrière est apparu au début des Trente Glorieuses. La manière dont elle sera pensée

correspondra au contexte économique de cette période qui prendra fin dans les années 90, c’est-à-dire

comme stable, linéaire et ascendante où les individus montent les échelons organisationnels jusqu’à la

retraite (Szucs et al., 2015). Les individus voient la carrière de manière planifiée, longue, où la loyauté

est valorisée (Arthur et al., 1999). Cette conception de la carrière est appelée par les auteurs : « carrière

organisationnelle » ou « carrière traditionnelle » (Clarke, 2013 ; Guan, Arthur, Khapova, Hall, & Lord,

2019). Pour illustrer cette approche, Dahan & Dufour (2012) utilisent la métaphore de l’escalier et de

la flèche, qui représente une trajectoire montante et constante au sein d’une organisation. Dans cette

perspective, les carrières traditionnelles sont vues comme verticales au sein d’une seule organisation, ne

contenant parfois qu’une seule fonction au cours de leur existence (Van der Horst & Klehe, 2019). Elles

offrent stabilité et sécurité aux individus qui travaillent dans ce type d’organisation (Tomlinson, Baird,

Berg, & Cooper, 2018). L’entreprise idéale est grande, stable, organisée de manière pyramidale et

l’employé loyal, conformiste, cherchant à « monter » dans l’entreprise (Arthur et al., 1999).

La carrière est donc fondamentalement intra-organisationnelle, donnant une place majeure à

l’organisation (Garbe, 2015). Ainsi, un contrat psychologique sous-tend la relation entre l’individu et

son organisation, où l’un troque sa fidélité à l’organisation contre une promesse de sécurité, de

motivation et d’opportunités professionnelles, créant de ce fait une certaine dépendance (Hall & Lerner,

1980 ; Tomlinson et al., 2018).

Dahan & Dufour (2012) ajoutent qu’elle se caractérise par des jeux de conformité, à l’image d’une

clé qui ne correspond qu’à un barillet, permettant d’ouvrir la porte du succès de la carrière. Par

conformité, il faut entendre selon Falcoz, (2001) : « un ensemble de prescriptions relatives aux

comportements, parce que la carrière est aussi un moyen de sélectionner les individus les plus conformes

aux valeurs culturelles, aux normes et au style de management en vigueur dans une organisation

donnée » (Falcoz, 2001 : 5). Dans ce modèle traditionnel, l’enjeu est de monter les échelons le plus

rapidement possible, avec des étapes clés à franchir. Ainsi, la carrière est vue telle une donnée objective

qui s’évalue par le nombre de promotions reçues sur une période donnée (Dahan & Dufour, 2012). Enfin,

Falcoz (2001) complète cette description du modèle par la mise en place de dispositifs de gestion émis

par une fonction RH avec pour rôle de fixer les règles des trajectoires professionnelles des individus.

L’organisation, dans cette conception, incarne un rôle prépondérant, voire paternaliste dans la gestion

de la carrière des individus, qui comme dénués de capacité, n’en seraient pas maîtres (Arthur et al.,

1999).

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De nombreux articles dénoncent l’absence de pertinence de ce modèle. De nombreux auteurs, tels

qu’Arthur et al.(1999) expliquent que les carrières traditionnelles n’intègrent ni la variété des transitions

professionnelles et les significations accordées par les acteurs, ni le caractère dynamique entre les

différentes séquences de la carrière. De plus, pour Arthur et al. (1999), la dimension subjective est

également mise de côté. Le modèle traditionnel ne comprend comme critère de réussite que l’argent ou

l’évolution hiérarchique. De plus, toujours selon Arthur et al. (1999), l’individu est acteur de sa carrière

et influence l’environnement dans laquelle il se trouve, et donc, in fine, la manière dont est gérée sa

carrière.

Section 4 - L’évolution du modèle traditionnel

À partir des années 90, et suite à un retournement de la conjoncture économique qui désormais

demande de la flexibilité, les organisations ne peuvent plus respecter leur contrat psychologique tacite

d’offrir sécurité et stabilité à leurs travailleurs (Arthur et al., 1999). Pour Arthur et al. (1999), ce qui

détermine la carrière, ce n’est pas tant la planification bienveillante de la gestion des ressources

humaines que la recherche constante d’opportunités de changements des travailleurs. Des news deals

apparaissent, car il n’est plus possible de disposer d’emplois à vie, en raison d’un avenir incertain et de

l’avènement d’organisations plus plates : « the new reality of the organizational career experience for

many is that organizations no longer symbolize security, stability and permanence. The career for life

is being replaced by developmental opportunities, and the promise of future rewards for loyalty is being

replaced by the promise of short-term contracts in return for performance against agreed objectives»

(Adamson, Doherty & Viney, 1999 : 257). Ainsi, les contrats psychologiques des Trente Glorieuses,

pouvant être qualifiés de « relationnels » se transforment en contrats psychologiques « transactionnels »

(Giraud & Roger, 2011).

Cette conception de la carrière se nomme « protéenne29 », dite « nomade » ou

« boundaryless career » en anglais (Giraud & Roger, 2011 ; Pralong & Peretti-Ndiaye, 2016). Pour

Valette & Culié (2015), il est possible de la définir de la manière suivante : « the concept describes the

trajectories of individuals who develop their career capital by crossing organizational boundaries, and

has been seens as the ‘opposite of organizational careers’ » (Arthur & Rousseau, 1996 : 5, cité par

Valette & Culié, 2015 : 1747). Inkson, Gunz, Ganesh, & Roper (2012) vont plus loin que la définition

et rappelle les six caractéristiques qui constituent le concept :

« where a career (1) moves across the boundaries of separate employers; (2) draws validation from outside

the present employer; (3) is sustained by external networks or information; (4) involves breaking traditional

organizational career boundaries, such as hierarchical reporting and advancement; (5) involves rejecting

career opportunities for personal or family reasons; (6) is seen by the career actor as leading to a

29 Protéenne renvoie à l’adjectif protéiforme : « qui peut prendre toutes les formes, se présente sous les aspects

les plus divers » (Le Petit Robert, 2015).

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boundaryless future regardless of structural constraints » (Arthur & Rousseau, 1996 : 6, cité par Inkson et

al., 2012 : 326)

Si l’exemple phare des carrières traditionnelles est une grande entreprise bureaucratique, celui

des carrières nomades peut être illustré par celles de la Silicone Valley (Valette & Culié, 2015). Weick,

par ses travaux, montre les fondements de la dichotomie carrière traditionnelle versus carrière nomade :

Types de carrières Carrières organisationnelles Boundaryless careers

Caractérisation de

l’environnement Fort Faible

Formes organisationnelles Bureaucraties Self-Designing organizations

Repères de carrière Objectifs Subjectifs

Parcours privilégiés Normés ou linéaires Idiosyncratiques

Tableau 2 : Quelques fondements des Boundaryless Careers selon Weick (Cadin, Bender, &

Saint-Giniez, 2003 : 39)

La « caractérisation de l’environnement » provient de l’école de Chicago qui s’était intéressée au

parcours des immigrés (Cadin et al., 2003). Cadin et al. (2003) expliquent que ceux-ci perdaient leurs

repères, ils ne savaient pas décoder les codes culturels. Ainsi, ils passaient d’un « environnement très

fort à un environnement très faible » (Cadin et al., 2003 : 39). Un environnement faible se caractérise

par du flou, de l’instabilité et il est prévisible, représentatif de situations fortement incertaines. À

l’inverse, un environnement fort est peu ambigu, intelligible et prévisible (Cadin et al., 2003 : 35).

Weick associe la période d’après-guerre à des environnements forts, ce qui correspond à la carrière

traditionnelle et celles des nomades est associée à des environnements faibles (Cadin et al., 2003). Pour

eux, les organisations ne sont pas des phénomènes stables, immuables, mais plutôt des éléments qui se

construisent (Cadin et al., 2003). Pour répondre à cette perte de sens, les individus présents dans un

environnement faible et dont ils ne maîtrisent pas les conventions, vont recréer un milieu qui va leur

permettre de structurer leurs actions, ce que Weick appelle l’ « organizing » (Cadin et al., 2003). Tandis

que le « Self-Designing organization » est une forme de réponse à un système qui produit des

expériences collectives continues d’emplois à court terme et d’improvisation où il est demandé une mise

à jour constante. Il en découle de l’adaptation par opposition au modèle bureaucratique (Weick dans

Arthur & Rousseau, 1996). Ainsi, les personnes exerçant leur profession dans un tel contexte, et d’une

telle manière, sont à l’image de « zigzag people » ou encore perçus comme des individus plus attachés

à leur travail qu’à leur organisation (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996 : 43). Au sein de leur

organisation, les acteurs, de par leurs actions, ont une force d’institutionnalisation car ils ont une marge

de manœuvre importante : « the set of structuring mechanisms includes more than individual

disposition. It is larger set of possibilities that include mechanisms by which career development shapes

social systems » (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996 : 43). L’action individuelle (la possibilité d’un

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individu de s’extraire du déterminisme organisationnel) fait échos au travail de Hughes (1937) qui

différenciait la carrière objective et subjective (d’une part l’institution et d’autre part l’individu). La

première renvoie à des statuts qui se suivent, avec des fonctions précises, dans une organisation

structurée. La seconde relève de la perception individuelle globale de l’individu face à l’évolution de sa

vie et fait sens de ce qui lui arrive (Hughes, 1937 ; Giraud & Roger, 2011). En d’autres mots, le rapport

objectif se rapporte à des éléments tels que le niveau hiérarchique ou le niveau de rémunération, alors

que le rapport subjectif met en avant la signification pour l’individu de ce qu’il a réalisé (Dany dans

Allouche et al., 2012).

Le paradigme des carrières nomades a aussi été mis en cause. Pour certains, ce courant ne

s’applique pas à l’ensemble de la population, mais plutôt à des individus avec un haut niveau de

qualification dans les économies occidentales (Valette & Culié, 2015). De plus, il n’y a pas de prise en

compte du pouvoir institutionnel qui peut rendre la carrière inégale entre les travailleurs (Valette &

Culié, 2015). Bien que le concept ait été populaire, peu de travaux empiriques ont été réalisés,

relativisant la pertinence du paradigme (Inkson, Gunz, Ganesh, & Roper, 2012). Puis, l’appellation

même peut-être remise en cause, selon Inkson et al. (2012), il ne s’agirait pas de carrière sans frontière,

mais de frontières à franchir, car il n’est pas possible de faire valoir un concept sans soumettre son

périmètre. Si le courant des boundaryless career apporte des avancées majeures, il semble utopique

d’enlever les frontières qui structurent le parcours professionnel (Inkson et al., 2012).

Section 5 - Carrière nomade ou carrière traditionnelle ?

Cadin et al. (2003) rejoignent ces deux courants et les complexifient. Pour eux, la mobilité inter-

entreprise seule ne permet pas de cautionner l’appellation nomade pour la carrière. Ils rappellent qu’il

faut prendre en compte la subjectivité de l’individu pour comprendre les raisons d’une mobilité. Ces

auteurs proposent de mieux comprendre la diversité qui se cachent derrière les carrières nomades et

construisent une taxinomie : les sédentaires, les migrants, les itinérants, les frontaliers, les sans

frontières. Ils forment une gradation pouvant se refléter sur un continuum, qui suit l’étalement de nos

explications des cinq prochains paragraphes.

Les sédentaires sont la représentation parfaite de la carrière traditionnelle. Ils sont généralement

actifs dans des organisations bureaucratiques telles que les services publics. Leur carrière est fortement

influencée par les outils RH de l’entreprise. Les moteurs de leur mobilité (intra-organisationnelle)

verticale ou horizontale découlent des compétences spécifiques des individus ou de leurs

correspondances avec les valeurs organisationnelles. Ainsi, des changements au cours des trajectoires

sont possibles, mais restent associés avec le courant des carrières traditionnelles. En effet, les

sédentaires, bien qu’ils soient eux aussi soumis aux changements, gardent certaines caractéristiques

inéluctables : un seul employeur durant l’ensemble de la carrière ; les mobilités sont possibles mais entre

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des métiers proches les uns des autres ; ils désirent garder leur employeur et recherchent le succès

objectif (Cadin et al., 2003).

L’exemple type du migrant est le fonctionnaire détaché dans un cabinet ministériel. Il reste actif

au sein d’une seule organisation, mais ne renonce pas pour autant à son idiosyncrasie. Certes, son

approche de la carrière est moins sécuritaire que celle des sédentaires, mais il réussit à limiter la prise

de risques inhérente à une mobilité. Il officie généralement dans une grande société avec un marché

interne diversifié, il exerce plusieurs métiers pendant sa carrière avec l’« existence d’un projet

personnel » ou encore il a opéré « une transition professionnelle importante » (Cadin et al., 2003 : 103).

Cadin et al. (2003) qualifient ce type de carrière d’« organisationnelle étendue » (Cadin et al., 2003 :

101). Ils se distancient de l’approche traditionnelle au sens où la frontière du métier est franchie.

La vie professionnelle des itinérants est rythmée par de nombreux changements d’employeurs,

mais toujours au sein d’une même fonction. Ils sont propres à la logique « sectorielle » ou de « métier ».

Leurs compétences sont propres à un secteur d’activité, ce sont des spécialistes. La réussite ne passe pas

nécessairement par une ascension et peut être erratique, il s’agit davantage de renforcer le capital

carrière. Souvent, pour les itinérants, la vie professionnelle n’est pas un long fleuve tranquille. Les

périodes de transition peuvent être volontaires ou non. Ces individus oscillent entre stress et

épanouissement. Ils se caractérisent par un grand nombre d’employeurs et majoritairement s’identifient

par leur profession et leur secteur d’activité. Ils vont en dehors de la frontière propre à l’organisation et

rompent de cette manière avec le courant traditionnel (Cadin et al., 2003).

Les frontaliers sont un mélange de la carrière traditionnelle avec celle d’un indépendant. Dans

le sens où, s’ils peuvent rester longtemps dans une fonction, ils ne dépendent pas des trajectoires

soumises par leurs employeurs. Leur objectif est de capitaliser les savoirs d’une organisation. Grâce à

leur expérience personnelle, ils ont l’opportunité d’être indépendant. Pour autant, ce type de trajectoire

n’est pas à sens unique, il est coutumier pour les frontaliers de passer du statut de salarié à celui

d’indépendant et vice-versa. Les relations personnelles jouent ici un rôle important, permettant ce va-

et-vient. En général, les frontaliers connaissent plusieurs employeurs ; passent par une période

d’entrepreneuriat ; restent dans une logique métier et font sens de leur identité professionnelle au travers

de leurs projets. Les frontaliers challengent le concept de frontière en changeant de statut (Cadin et al.,

2003).

Les sans-frontières sont des individus qui se soumettent difficilement aux contraintes

organisationnelles, préférant le changement plutôt que d’être limités. Si l’entrepreneuriat est un statut

qui leur convient, ce n’est pas pour autant une vocation inhérente. Au sein de leur parcours professionnel,

on retrouve des changements radicaux avec des intermittences professionnelles, qui ne se retrouvent pas

dans une logique métier. Leur identité peut être multiple et induite par un projet. À l’inverse du

sédentaire, leur objectif de carrière est subjectif. Toutefois, le parcours n’est pas toujours bien vécu. Les

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sans-frontières relèvent bien du courant « boundaryless career », car ils incarnent la volonté individuelle

qui ne se régit pas par les organisations. La logique de leur carrière ne peut s’expliquer qu’à travers leur

subjectivité (Cadin et al., 2003).

Pour Cadin et al. (2003), seul le sédentaire peut se qualifier comme convenant à la carrière

traditionnelle. Les autres non, ils possèdent une certaine capacité stratégique qui leur permet une forme

de mobilité. Ces stratégies ne s’arrêtent pas au champ propre de l’organisation, les individus prennent

également en compte les conjonctures économiques et leurs compétences propres (Cadin et al., 2003).

Selon Cadin et al. (2003), il est possible de comprendre ces stratégies à travers le concept de

capital carrière. C’est un outil pour analyser la réussite subjective des individus. Celui-ci se représente

par une triple déclinaison : le knowing why, le knowing-how, le knowing-whom. Le « knowing why » se

réfère à l’« identité personnelle et aux motivations de l’individu », ce qui ne signifie pas nécessairement

que tous les individus organisent ou planifient leur carrière (Cadin et al., 2003 : 41). Les motivations

pouvant être plurielles, les identités et les facettes de l’image de soi aussi. Ces identités peuvent alors

être prises en considération selon le contexte dans lequel elles se trouvent. Ainsi, elles évoluent au cours

du temps, mais doivent rester harmonieuses. Le « knowing-how » sont les compétences de savoir et de

savoir-faire. Enfin, « le knowing-whom » fait directement référence au capital social, aux réseaux

sociaux des individus. Par exemple, l’appartenance à certaines communautés peut directement

influencer la carrière d’un individu, notamment au niveau des opportunités. Toutefois, les auteurs

rappellent que cette appartenance ne suffit pas, l’agence joue aussi son rôle. L’individu doit être capable

d’intéresser la communauté à sa carrière pour activer ce capital. Ainsi, faire du relationnel relève aussi

d’une stratégie possible. C’est grâce à l’intégration de ces trois éléments que l’individu va faire sens de

sa carrière et déterminer sa trajectoire professionnelle (Cadin et al., 2003).

CHAPITRE II : Les étapes de la carrière

Des auteurs ont abordé la carrière sous l’angle de la temporalisation, évoquant la notion d’étapes :

« les expériences, les besoins, les valeurs et les situations de tous les individus changent au fur et à

mesure que ceux-ci évoluent, ce qui permet de raisonnablement concevoir la carrière comme une série

d’étapes ou de phases uniques » (Greenhaus et al., 2010 : 28, citée par Giraud, 2015 : 62). Ces étapes

mettent en relief, à la fois la spécificité de l’individu, mais également d’autres paramètres comme l’âge,

son évolution psychologique ou encore son investissement dans les étapes de sa carrière (Garbe, 2015).

La carrière est comparée à un cycle de vie, où comme les enfants, la carrière professionnelle des

individus peut être prédéterminée, car il y a une séquence d’étapes à suivre (Giraud & Roger, 2011).

Quatre étapes font figure de référence dans la littérature : l’exploration, l’établissement, la maintenance

et le désengagement (Gosselin, Paquet, & Marcoux, 2009).

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1) L’exploration : phase durant laquelle l’individu va s’intégrer à son environnement. Il va essayer

de prendre sa place et de se construire un statut. Il est essentiellement à la recherche

d’informations et il va observer les opportunités qui se présentent à lui (Giraud, 2015). Il prend

en considération ses capacités et voit dans quelle mesure elles correspondent à son emploi

(Gosselin et al., 2009).

2) L’établissement : étape au cours de laquelle l’exploration perd sa place, où l’individu prend

confiance et commence à développer une certaine relation affective avec son travail (Giraud,

2015). Ce dernier va rechercher de la stabilité, mais aussi de la progression dans sa carrière

(Gosselin et al., 2009). Il va ainsi clarifier sa position dans la hiérarchie et augmenter le spectre

de ses compétences (Giraud & Roger, 2011).

3) La maintenance : appelée étape de « mi-carrière », elle se rapporte au besoin de se sentir utile.

L’individu, pendant cette période, va tenter de répondre à l’adéquation entre ses ambitions

personnelles et le rôle du travail dans sa vie (Giraud & Roger, 2011). Les individus sont moins

en recherche d’expertise et de développement de leurs compétences que d’assurer ce dont ils

sont déjà capables (Gosselin et al., 2009). Ainsi, cette étape est parfois appelée « plafonnement

de la carrière », qui représente la fin de l’ascendance et le désir de se maintenir (Giraud, 2015).

4) Le désengagement : il s’agit de la fin de la carrière pour l’individu qui s’implique de moins en

moins dans son métier afin de se consacrer à d’autres sphères de sa vie (Giraud, 2015). Cette

période correspond à la sortie du marché de l’emploi (Gosselin et al., 2009).

Cette approche par étape de la carrière a été critiquée. Une approche prédictive de la carrière n’est

pas toujours possible. Il n’y aurait pas de démarche, étape par étape, à suivre pour avoir le bon

cheminement d’une carrière, surtout si, dans une certaine mesure, elles peuvent toutes être considérées

comme uniques et originales (Giraud & Roger, 2011). Ainsi, à la fin du XXe siècle, de nouveaux

concepts apparaissent, qui mettent en relief le caractère hétérogène des parcours de

vie : « désinstitutionalisation » ou « désynchronisation » (Carpentier & White, 2013 : 282). D’ailleurs,

lorsque Stambulova (2010) parle de transition, elle en voit de deux sortes : les prédictives et les non-

normatives. Dans son exemple sur le sport, la transition prédictive se réfère au moment où les athlètes

passent de l’école secondaire à l’université. La seconde, non-normative, se rapporte aux moments

imprévisibles que sont une blessure, un divorce, un changement de clubs etc. (Stambulova, 2010).

D’ailleurs, les cycles ne seraient pas linéaires. En réalité, il y aurait différentes étapes de la carrière, non

pas tout au long de celle-ci, mais au sein même de ces séquences (Giraud & Roger, 2011). Le phénomène

de post-carrière des sportifs de haut niveau, comme l’énonce Stambulova (2010), en est caractéristique.

Le concept peut donc se « recycler », passant d’une vision macro-chronologique à micro-chronologique.

En plus des différentes séquences, à proprement parler, au cours d’une carrière, il y a donc

également des étapes transitoires (dans une perspective plus psychologique). Ces « déstabilisations »

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peuvent être gérées à la fois par l’individu et par l’organisation au travers des dispositifs de gestion de

la carrière.

CHAPITRE III : Les grandes pratiques autour de la gestion de la carrière

Face aux enjeux de la carrière, la littérature relève plusieurs dispositifs permettant de la gérer.

Avant de rentrer dans la description de certains outils, il est nécessaire de rappeler quelques préalables.

Premièrement, il s’agit d’outils. Il nous paraît inutile de les utiliser de manière sporadique sans une

conception d’ensemble intégrant une politique claire. Non seulement cette politique doit comprendre

des objectifs, mais elle doit s’insérer dans une démarche volontariste de l’organisation, et ce en

particulier pour informer ses collaborateurs (Cadin, 2012).

Les bourses emplois : un ensemble de supports écrits qui a pour objectif d’informer les individus sur

les postes à pourvoir au sein d’une organisation. Ainsi, les individus peuvent postuler, de manière

volontaire, aux emplois vacants pour lesquels ils éprouvent un intérêt (Mercier, 2004).

Les comités de carrière : comités réunissant le personnel RH, les supérieures hiérarchiques et des

représentants du personnel, dont les tâches principales consistent à discuter des évolutions possibles

pour certains travailleurs concernés, à analyser les besoins de l’organisation et à chercher des solutions

lors d’un désaccord en lien avec la carrière (Mercier, 2004; Dany dans Allouche et al., 2012).

Les entretiens de carrière : il s’agit d’un moment spécifique pour discuter de la carrière. C’est un

moment de réflexion pour le travailleur et l’employeur sur le projet et les objectifs professionnels. Cet

entretien peut parfois se limiter à vérifier que « tout va bien ». Généralement, ils sont réalisés à la

demande du travailleur. Cependant, dans une politique de prévention, ceux-ci peuvent être fixés par la

direction. Dans une période incertaine et complexe, ou de menace sur l’emploi, les entretiens de carrière

peuvent apporter une solution (Dany dans Allouche et al., 2012).

Les mesures d’accompagnement de départ : la gestion des carrières concerne dorénavant également

la sortie du travailleur de l’entreprise et son employabilité. L’outil phare illustrant les mesures

d’accompagnement est l’outplacement, dans l’idée de reconstruire un projet professionnel en adéquation

avec le contexte économique. Souvent, cela passe par un bilan de compétences et une meilleure

connaissance des opportunités d’emploi (Dany dans Allouche et al., 2012).

Les cartes métiers : l’objectif est d’informer les collaborateurs sur les postes actuels au sein de

l’organisation, mais également sur les opportunités ou évolutions possibles de ceux-ci. Il s’agit de faire

un inventaire et de montrer les évolutions souhaitables et possibles au sein de l’organisation, de montrer

les « passerelles » (Cadin 2012).

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CHAPITRE IV : Le cadre analytique, les scripts de carrière

Pour étudier la manière dont les individus construisent et gèrent leur carrière, en intégrant de

manière conjointe l’organisation (la structure – l’institution) et les capacités individuelles (l’agence), un

concept ressort dans la littérature scientifique : les scripts de carrière (Barley & Tolbert, 1997).

Par le passé, les auteurs ont souvent séparé la carrière en deux éléments distincts : l’agence et la

structure. Ils représentent respectivement le rôle de l’individu et le rôle de l’organisation comme

différents. Mais, ils ont tous deux le pouvoir d’influencer la construction de la carrière des individus

(Barley & Tolbert, 1997). Grâce aux travaux de Giddens, cette distinction dialectique peut être

appréhendée sous un seul prisme, celui de la dualité (Garbe, 2015). Bien avant ces travaux, Hughes

(1937) rappelait déjà cette « connexion » entre l’individu et la structure lorsque l’on parle de carrière

(Hughes, 1937 : 410). Garbe & Duberley (2019) vont plus loin quand ils associent ces deux concepts,

parlant même, non pas d’opposition, mais de « présupposition » (Sewell, 1992 : 4 cité par Garbe &

Duberley, 2019 : 4). De sorte qu’il est possible de concevoir au sein des parcours de vie à la fois des

constituants homogènes (concept de structure) et d’autre part des composants hétérogènes liés aux

capacités individuelles (agence), alliant prédictibilité et imprévisibilité (Carpentier & White, 2013). La

théorie des scripts de carrière permet d’intégrer en son sein, à la fois l’agence et la structure (Garbe &

Cadin, 2015). Les scripts de carrière permettent donc de répondre à l’enjeu de théoriser la complexité

des carrières (Valette & Culié, 2015). La théorie a été utilisée dans différents secteurs d’activités tels

que la recherche, les nouvelles technologies, le milieu du militantisme ou l’humanitaire (Duberley,

Cohen, & Mallon, 2006; Garbe & Cadin, 2015; Kyoung-Hee Yu, 2016; Valette & Culié, 2015).

Section 1 - L’agence et la structure comme socle de base

Le concept de structure peut se définir comme : « Rules and resources, recursively implicated in

the reproduction of social systems. Structure exists only as memory traces, the organic basis of human

knowledgeability, and as instantiated in action » (Giddens, 1984 : 377, cité par Turner, 1986 : 5). Pour

Barley et Tolbert (1997), le concept d’institution est quant à lui un synonyme de celui de structure ; ils

le définissent comme : « a shared rules and typification that identify categories of social actors and

their appropriate activities or relationship » (Barley & Tolbert, 1997 : 96). Selon Turner (1986), les

« rules » sont des procédures et des méthodes généralisables qui se présentent sous la forme d’un « stock

de connaissances », utilisées tel un « formulaire » impliquant la création de codes pour l’action au sein

d’un système social. Les « ressources » nécessitent l’utilisation de « matériel d’équipement » ou encore

de « capacités organisationnelles » pour faire bouger les choses. Ceux disposant des ressources et de la

possibilité de les utiliser ont du pouvoir. Notons que les règles et les ressources sont mobilisées dans

l’interaction. Au sens de Turner (1986), elles sont modifiables, et donc « transformationnelles ». On

comprend que la structure suppose une certaine reproduction du système social, sans pour autant être

immuable. En effet, si la structure modifie les comportements et pratiques des individus, les pratiques

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des individus vont elles aussi modifier la structure, et ce bien que l’image de la structure soit couramment

perçue comme un élément de stabilité (Sewell, 1992). Dès lors, comme le soumet Sewell (1992), il ne

faut pas voir la structure comme unique contrainte à l’action individuelle, mais plutôt comme un élément

les habilitants. Ceci nous renvoie à la définition de Barley & Tolbert (1997) : « Institutions, therefore,

represent constraints on the options that individuals and collectives are likely to exercise, albeit

constraints that are open to modification over time » (Barley & Tolbert, 1997 : 94).

Souvent développé, le concept de structure montre pourtant certaines limites par son caractère

tacite (Garbe & Duberley, 2019). Sewell (1992) le rappelle, il est difficile de définir le concept car il

manque de précision, au même titre que le structuralisme de Levistrauss. Enfin, Garbe & Cadin (2015)

indiquent : la validation empirique de la théorie de la structuration reste complexe et floue. Retenons

que la structure est un ensemble de dispositions mentales co-construites avec l’individu qui, de ce fait,

dans une certaine mesure, va contraindre la conception qu’il a des possibilités qui s’offrent à lui et ainsi

tendre à modifier certains de ses comportements.

L’agence ou agency en anglais se rapporte à l’action individuelle mais n’enlève pas l’influence

de la structure, qui en réalité y répond (Sewell, 1992 ; Lee, 2019). Pour Lee (2019), l’agence peut se

définir comme : « a temporally embedded process of social engagement that is informed by the past (in

its habitual aspect), but also oriented towards the future (as a capacity to imagine alternative

possibilities) and towards the present (as a capacity to contextualize past habits and future projects

within the contingencies of the moment) (Emirbayer and Mische 1998 : 963 citée par Lee, 2019 : 85).

Sewell (1992) considère l’agence plutôt comme la capacité de convertir et d’étendre des schémas à de

nouveaux contextes ; il ajoute qu’elle est inhérente à tous les individus. D’ailleurs, lorsqu’on regarde

l’historique du mot agence, celui-ci se réfère à une personne qui joue un « rôle actif » afin de créer un

effet spécifique, « the doer of an action» (Burkitt, 2016 : 323). Concrètement, comme l’explique Porpora

(2013), l’agence est ce que nous faisons individuellement avec ce qui est produit collectivement. Burkitt

(2016) voit dans l’agence la capacité réflexive des acteurs, car au sein d’une même situation, ils peuvent

agir de différentes manières. Ainsi, pour Porpora (2013), l’agence est révélatrice de la créativité des

individus. Si des différences peuvent apparaître sur le concept même d’agence, les auteurs s’accordent

qu’il s’agit de l’« individual possession » ou de la « property of individuals » dont l’opposé est la

« structure » (Burkitt, 2016 : 323). Toutefois, de par sa composante mentale, il est difficile d’y entrevoir

la priorisation des choix faits par les individus (Burkitt 2016). Le concept d’agence manque donc d’une

définition claire au même titre que celui de structure (Garbe & Cadin, 2015). Il est effectivement difficile

d’analyser dans quelle mesure, la structure contraint l’agence (Duberley et al., 2006).

Nous voyons, de notre perspective, la relation agence et structure comme une dualité : « the active

practice, and the active constitution of structure by practice » (Connell, 1987 : 94 cité par Duberley et

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al., 2006 : 1133). C’est cette dualité qui va servir de base à la constitution de la théorie des scripts de

carrière, permettant de nuancer l’explication des trajectoires professionnelles.

Section 2 - Les scripts de carrière

Si la notion de carrière a été définie au chapitre premier, il nous semble important de revenir sur

la notion de scripts pour comprendre la sémantique de cette théorie développée par Barley & Tolbert

(1997), qui nous servira de cadre analytique.

Le concept de script a été pensé par Schank & Abelson en 1977 (Abelson, 1981). Ces derniers

présupposaient que tout individu pouvait conceptualiser la représentation d’une séquence d’événements

stéréotypés adaptables à certaines situations (Abelson, 1981). Pour exemplifier leur approche, ils

utilisent l’image d’une personne allant dans un restaurant. Celle-ci entre, s’assied et aperçoit le serveur

approcher. À cet instant, comme suivant un schéma préétabli dans son esprit, elle remarque avoir oublié

ses lunettes. Ce souvenir vient du script « restaurant », qui lui communique une séquence d’étapes à

venir, débutant avec le serveur qui apporte le menu. Elle anticipe le fait qu’elle ne saura pas le lire, ayant

des problèmes de vue (Abelson, 1981 : 716). Le script va, de cette manière, construire l’action, celle

d’aller chercher ses lunettes et dans un même temps créer des attentes : le type d’aliments présents sur

le menu, les pourboires, le paiement, etc. Le script est donc un scénario qui va régir à un ensemble de

déduction (Abelson, 1981).

Toutefois, comme le rappellent à juste titre Garbe & Cadin (2015), le script implique des variantes

appelées « track », « manger au restaurant » ne sera pas le même si la personne mange au fast food ou

dans un restaurant gastronomique. De plus, il y aurait des scripts forts et des scripts faibles (Abelson,

1981). La distinction se présente par le caractère significatif ou non de la relation de cause à effet entre

des évènements antérieurs et de ce qui en découle (Abelson, 1981). Le concept de script, au sens Gioia

& Poole se définit comme: « schematic structure held in memory […] specifies behaviour or event

sequences that are appropriate for specific situations » (Gioia et pool, 1984 : 449 cité par Morrell, 2004

: 548). Garbe et Cadin (2015), eux voient les scripts comme : « des structures cognitives qui, une fois

activées, organisent la compréhension individuelle d’une situation » (Garbe & Cadin, 2015 : 64). Pour

Barley & Tolbert (1997), les scripts sont un moyen de rassembler conceptuellement les influences entre

institutions et actions individuelles, ce qui permet de comprendre les systèmes d’actions. De plus,

comme le soulignent Garbe & Cadin (2015), les scripts intègrent : une dimension comportementale (agir

conformément aux attentes selon les situations) et une dimension cognitive (faisant sens de la situation).

De cette façon, les scripts de carrière sont un moyen de relier la sociologie (dimension comportementale)

et la psychologie (dimension cognitive) (Garbe & Cadin, 2015).

Pour Barley (1989), le lien entre les scripts et les scripts de carrière est marqué par un

élargissement temporel du concept. En effet, les scripts de carrière doivent être considérés dans une

« temporalité plus longue » que les scripts (Barley, 1989 : 53 cité par Garbe & Cadin, 2015 : 65). Ainsi,

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les scripts peuvent s’appliquer à la carrière et ils peuvent parfois guider l’individu durant l’ensemble de

sa vie professionnelle (Garbe & Cadin, 2015). Nous voyons le concept de script de carrière au sens de

Garbe & Cadin (2015), qui reprennent les travaux de Barley et le définissent comme : « l’ensemble des

schémas cognitifs, des ressources et des normes diffusées par la structure et mises en œuvre par l’action

individuelle » (Garbe & Cadin, 2015 : 60). Bien que, plus récemment, Laudel, Bielick, & Gläser (2019),

le considère davantage comme des phénomènes collectifs : « collective interpretive schemes that encode

sequences of actions within a career » (Laudel et al., 2019 : 955).

Pour Garbe & Cadin (2015), les scripts de carrière permettent d’analyser la carrière à un double

niveau (micro – macro) en intégrant action individuelle et structure. En effet, les acteurs sont influencés

par la structure à travers les scripts de carrière. Cependant, les individus, par le processus d’enactment,

peuvent modifier la structure elle-même, donnant par ce biais, à la relation entre individu et

organisations, une connotation dynamique autour de la carrière (Garbe & Cadin, 2015). La dimension

systémique et récursive de cette relation est expliquée par Weick :

« As people work, they organize within weak situations. As they organize weak situations the weak

situations into stronger ones. And strong situations lay down traces of larger organizations. These traces

are formed out of work and organizing and reflect both influences. Local coping and local scripting of that

coping into careers constrain and define coping and scripting on a larger scale. People enact the strongest

situation, which then constrains them » (Weick dans Arhur & Rousseau, 1996 : 44).

Les scripts de carrière peuvent donc évoluer (Duberley et al., 2006). Pour clarifier nos

explications, notons que cette théorie peut être représentée schématiquement comme ci-dessous par

Duberley, Cohen, & Mallon (2006). Rappelons aussi que ce processus reste tacite, les acteurs ne sont

pas toujours conscients d’enact (créer) le script de carrière (Barley & Tolbert, 1997; Cappellen &

Janssens, 2010).

Figure 2: The Role of Career in the Structuring Process: the Barley Model (Barley 1989: 54

cité par Duberley et al. 2006 : 1134)

Dans leur article, les auteurs se centrent sur les scripts de carrière vécus par un individu et mettent

en relief comment celui-ci réussi à gérer sa carrière et met en place des stratégies. Ils ajoutent une autre

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variable à la théorie, allant au-delà de l’institution purement organisationnelle, celle de la

contextualisation institutionnelle. Ils dénombrent et nomment cinq contextes, qui sont intégrés dans le

script de carrière et « mediated » à travers celui-ci : « science »,« profession », « family »,

« governement » et la « national culture » (Duberley et al., 2006 : 1138). Dans le même ordre d’idées,

Cappellen & Janssens (2010) intègrent le concept de : « Contexte of the global economy ». De cette

manière, ils se rapprochent du courant des carrières nomades, en évaluant l’individu selon sa

« marketability » en tant qu’élément externe à l’organisation. Ces auteurs analysent la manière dont les

individus répondent aux opportunités et contraintes de l’organisation en tenant compte à la fois de

l’organisation, mais aussi du contexte économique dans lequel celle-ci se trouve. Selon Capellen &

Janssens (2010), face aux contraintes et aux opportunités, les individus développent des tactiques de

carrière afin d’atteindre leurs objectifs professionnels. Il y aurait donc un troisième niveau d’analyse :

l’individu, l’organisation et l’économie globale. Ainsi, les individus vont se représenter leur carrière et

les actions qui doivent en découler sur la base de ce qu’ils comprennent de leurs environnements : le

contexte global et l’organisation. Ils intègrent un ensemble de règles provenant de leurs environnements,

ce qui va façonner la manière dont ils perçoivent leur carrière (Cappellen & Janssens, 2010). Toutefois,

cette relation est interactive, les individus se construisent une capacité sur leurs environnements

(Cappellen & Janssens, 2010). Cette nouvelle représentation du fonctionnement des scripts de carrière

est visible à la figure 3.

Figure 3 : Global careers as multiply referenced (Cappellen & Janssens, 2010 : 690)

Dany et al. (2011) ajoutent que lorsque les scripts sont faiblement institutionnalisés, ils continuent

à être interprétés par les individus, modifiant leurs comportements. De plus, selon leur étude, les

individus considèrent que des événements externes tels que la chance sont plus décisifs dans les

changements de leur carrière plutôt que leurs choix individuels. Les acteurs, bien qu’influencés par la

force des scripts, peuvent toutefois adopter des stratégies particulières pour atteindre leurs objectifs

(Dany et al., 2011).

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Il y a donc des scripts de carrière forts et des scripts de carrière faibles qui découlent des

environnements forts et faibles pensés par Weick (Garbe & Cadin, 2015). Plus l’environnement est

institutionnalisé, plus les comportements seront guidés, notamment grâce à une représentation claire des

actions à entreprendre. A contrario, au plus l’environnement est faiblement institutionnalisé, au plus les

règles et normes seront ambiguës, l’individu devra alors lui-même donner du sens à la situation (Garbe

& Cadin, 2015). En d’autres mots, lorsque l’environnement est faiblement structuré, l’action de

l’individu dispose d’une marge de manœuvre relativement importante pour agir sur la structure et les

interactions. Dans cette perspective, les relations entre agence et structure sont plus développées. À

l’inverse, lorsque l’environnement est fortement structuré, l’action de l’individu est plus faible et

l’interaction agence – structure est plus limitée (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996).

Section 3 - Critiques du concept

La théorie des scripts de carrière ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique.

Laudel, Bielick, & Gläser (2019) en rappellent les limites inhérentes. Tout d’abord, il est nécessaire de

clarifier la position des scripts de carrière entre l’agence et la structure. Il faut faire des scripts de carrière

un facteur distinct pouvant se joindre à des explications théoriques et distinguer les phénomènes

empiriques des scripts de carrière de ceux qui n’en sont pas. Comme l’explique Garbe & Cadin (2015),

la théorie serait floue, ne rendant pas sa validation empirique aisée. Laudel et al. (2019) parlent quant à

eux d’ambiguïté. De plus, Morrell (2004) modère la capacité explicative de cette théorie. Pour lui, si les

scripts sont un intermédiaire entre la structure et l’agence, il est complexe de les questionner. Si les

scripts s’intègrent à un niveau culturel ou se basent sur des contextes bien connus, ils constituent des

« habitudes de l’esprit », faisant perdurer certains scripts obsolètes : « As an illustration, phrases such

as ‘career ladder’, ‘fast-track’ and ‘highflyer’ can all be understood as indicating a career script where

success is understood in terms of organizational hierarchies » (Morrell, 2004 :549). Ainsi, s’ils

organisent les connaissances, aident à l’inférence et aux choix, il devient complexe de les remettre en

question (Morrell, 2004). La question de savoir si on peut mettre sur un même pied d’égalité l’action

individuelle et l’institution peut alors se poser (Laudel et al., 2019). Selon Laudel et al., (2019), les

scientifiques n’ont pas conçu les scripts de carrière comme un intermédiaire, mais ont plutôt pris en

considération soit l’individu, soit l’institution. Pour ces auteurs, le problème provient conjointement du

niveau d’abstraction élevé de la théorie et de l’absence de précision théorique.

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TROISIEME PARTIE : METHODOLOGIE

Dans cette partie, nous allons revenir sur les moyens mis en œuvre pour réaliser cette recherche.

L’objectif est d’une part, d’expliquer la manière dont nous avons posé nos choix et d’autre part,

d’émettre une série de précautions face à nos résultats et analyses.

CHAPITRE PREMIER : Le cheminement vers la problématique

Section 1 - L’évolution de la réflexion

Un travail de fin d’études s’étale sur une longue période, il demande un investissement

conséquent. Dès lors, le choix du sujet est essentiel pour deux raisons. Il doit viser un apport scientifique

(que l’on peut soumettre à la critique) et, dans une moindre mesure, apporter à la collectivité. D’autre

part, il est préférable d’avoir un intérêt prononcé pour réaliser ce travail long de plusieurs mois.

Intéressé depuis plusieurs années par la politique, nous nous sommes engagé dans le parti

politique Ecolo dans le courant du mois de mai 2018. Depuis plus d’un an, nous avons eu l’occasion de

participer à des AG30 provinciales, des réunions, des élections ainsi qu’à l’Académie Verte31. Grâce à

ces moments d’échanges, nous avons pu rencontrer et discuter de manière informelle avec des

mandataires politiques. Certains nous ont fait part de la difficulté de gérer dans la durée leur carrière

professionnelle et leur investissement en politique. S’en sont suivis deux entretiens exploratoires, dont

l’objectif était de découvrir les différents aspects du problème lié à la carrière professionnelle d’un

mandataire politique (Van Campenhoudt, Marquet, & Quivy, 2017). Ces entretiens ont permis de

recentrer l’objet pour arriver à notre question de recherche : « Dans un contexte de limitation des

mandats dans le temps et du décumul, comment les députés écologistes gèrent-ils leur carrière

professionnelle pendant l’exercice de leur mandat ? ». À travers les entretiens exploratoires, nous

avons pu déceler un paradoxe entre, d’une part s’investir de manière professionnelle en politique avec

les risques que cela peut engendrer : discrimination, un emploi à durée limitée, inquiétude des élections,

abandon de son travail, conditions de travail difficiles, etc., et d’autre part l’absence apparente de

promesses de la part d’Ecolo pour assurer le continuum de la carrière de ses parlementaires. Face à cette

contraction institutionnelle32 et sociétale33, la question de savoir comment les carrières des

parlementaires se construisent et sont gérées par les individus concernés chez Ecolo semblait être un

terrain fertile pour une analyse en sciences humaines et sociales.

30Assemblée Générale 31 L’Académie Verte est un programme intensif d’une année sur l’étude de l’écologie politique. Nous avons

participé à ce programme durant l’année académique 2019-2020. 32Institutionnelle parce qu’Ecolo demande au parlementaire d’avoir de l’expertise sans avoir de l’expérience. 33 Sociétale parce que le citoyen vote pour les politiciens connus mais ne veut pas voir toujours « les mêmes têtes ».

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Deux raisons ont déterminé le choix de nous intéresser aux députés écologistes. Premièrement, se

centrer sur les seuls parlementaires permet de réduire le champ d’investigations et se justifie par un

choix de cohérence. En effet, les lois qui régissent les droits des individus diffèrent selon leurs mandats

ou leurs statuts. Ainsi, un parlementaire, un échevin ou un travailleur interne chez Ecolo n’auront, par

exemple, pas les mêmes conditions de sortie à la fin de leur contrat. Le deuxième élément reflète le désir

d’observer la manière dont sont construites et gérées les carrières professionnelles dans un contexte de

rejet des élites politiques, notamment par rapport aux avantages de leur carrière (Baudu, 2009; Offerlé,

2016).

Ensuite, nous avons décidé de limiter notre terrain de recherche uniquement au parti politique

Ecolo. En effet, il est le seul parti au sein du paysage politique francophone à mettre en place de manière

conjointe le décumul et la limitation des mandats dans le temps. Le choix de ce parti répond à une

exigence de faisabilité, nous n’avions de points d’entrée et de contact qu’à l’intérieur de ce parti. Dans

une moindre mesure, et dans un but comparatif, il aurait toutefois été intéressant de suivre également le

parti politique Groen! qui dispose d’un règlement intérieur similaire à celui d’Ecolo. Dans cette optique,

nous avons eu l’occasion d’avoir un entretien avec l’un de leur ancien mandataire politique qui, par

ailleurs, a également été un collaborateur d’Ecolo. De plus, durant l’année 2018-2019, deux élections

ont été organisées successivement en octobre 2018 et en mai 2019 rendant, de ce fait, notre étude plus

opportune concernant le questionnement de la carrière professionnelle des individus étudiés. Notons

également que par le passé, Ecolo a rencontré des difficultés dans la gestion de son personnel. Il s’est

alors professionnalisé, mais reste sujet à de nombreuses problématiques au niveau de la gestion des

ressources humaines (rétentions des talents, gestion de la mobilité, conditions de travail, variations des

effectifs). L’ensemble de ces facteurs constitue un terrain propice à l’étude du rôle de ce parti dans la

construction des carrières en politique. Il s’agit donc d’une occasion unique d’étudier les mécanismes

favorisant l’entrée et la sortie en politique, un champ sous étudié en sciences humaines pour lequel existe

un vide dans la littérature (Michon & Ollion, 2018).

Enfin, il semblait intéressant, dans une période de crise de la politique traditionnelle, d’analyser

comment des innovations en terme de gouvernance (décumul et limitation des mandats dans le temps)

peuvent avoir une incidence sur la manière dont des élites politiques perçoivent, construisent et gèrent

leur carrière professionnelle (Association belge francophone de science politique. Congrès, 2017).

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31

Section 2 - Une démarche qualitative et inductive

Une démarche qualitative nous semble être opportune. D’une part, notre formation nous dote de

capacité d’analyse qualitative et d’autre part, comme le soulève justement Dumez (2013), il semble

ambitieux d’y ajouter une méthode quantitative sophistiquée. Notre fonctionnement, comme le signale

Lejeune (2014) dans son ouvrage, est soumis à un mode itératif. Nous avons travaillé de manière

parallèle entre la problématisation, la collecte de matériaux empiriques, leur analyse et la rédaction de

leurs résultats. Notre mode de fonctionnement est schématisé dans la figure 1 ci-dessous.

Figure 4 : L’évolution de la démarche qualitative et inductive

La recherche qualitative prospecte, d’une manière compréhensive, le raisonnement et l’intention

des acteurs. À cet effet, elle s’intéresse à leurs discours pour y découvrir le « pourquoi » et le

« comment » de l’action (Dumez, 2013 : 30). Dumez (2013) parle d’ailleurs de recherche

compréhensive qui aurait pour finalité d’objectiver des situations dans un contexte donné, séparant la

posture de l’acteur et celle du chercheur. Dans une fonction explicative, la démarche qualitative va

rechercher à produire des typologies, de manière à prendre en considération la diversité de la réalité tout

en permettant de s’élever en généralité (Dumez, 2013). L’objectif est donc : « de mettre de l’ordre dans

les matériaux recueillis, [de] les classer selon des critères pertinents, [de] trouver les variables cachées

qui expliquent les variations des diverses dimensions observables » (Dubar et Demazière, 1997 : 274

cité par Cadin et al., 2003 : 96). Au cours de ce travail, nous tenterons de construire des typologies sur

base du cadre analytique de Barley & Tolbert (1997). Rappelons que l’un des objectifs premiers d’une

démarche qualitative reste : « de dégager le sens que l’acteur a construit à partir de sa réalité » (Blais &

Martineau, 2006, p. 3). Comme Thomas & Znaniecki l’expliquent, les histoires de vie sont une technique

pour généraliser des « hypothèses réalistes » (Thomas & Znaniecki, 1931 cité par Barley, 1989 : 43).

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32

Notre étude se base sur le modèle de l’induction qui se définit comme : « un type de raisonnement

qui consiste à passer du spécifique vers le général ; cela signifie qu’à partir de faits rapportés ou observés

(expériences, événements, etc.), le chercheur aboutit à une idée par généralisation et non par vérification

à partir d’un cadre théorique pré-établi » (Blais & Martineau, 2006 : 4). Notre mode de fonctionnement

correspond effectivement à cette démarche, car nous partons d’éléments empiriques spécifiques que

nous généralisons par la suite à la lumière d’un cadre analytique.

Section 3 - Une double rupture épistémologique

Comme le soulignent Van Campenhoudt et al., (2017), le choix d’un objet de recherche n’est pas

dénué d’intérêts. Par conséquent, une implication personnelle est souvent sous-jacente à la recherche.

Si une connaissance préalable du sujet peut être utile à certains égards, elle peut également engendrer

des biais :

« Notre esprit n’est pas vierge ; il est chargé d’un amoncellement d’images, de croyances, d’aspirations, de

schémas d’explications plus ou moins inconscientes, de souvenirs d’expériences agréables ou douloureuses,

à la fois collectives et personnelles, qui préformatent notre approche de ce sujet. Ce pré-formatage est déjà

présent dans le fait que c’est ce sujet-là et pas un autre qui a été choisis » (Van Campenhoudt et al., 2017 :

31).

Au regard de notre militantisme et de notre connivence avec notre terrain de recherche, une prise de

recul s’impose. En effet, sans une rupture épistémologique, seules les normes admises pourront être

remises en perspectives. Il est dès lors nécessaire de prendre ses distances avec le sens commun et d’être

conscient de ses accointances afin de garder son esprit critique. En tant que chercheur, il s’agit d’ « être

conscient de son ignorance […] pour savoir ‘comment ça marche’ » (Bertaux, 2010 : 20).

Une autre rupture doit prendre place, cette fois, non pas avec le terrain de recherche, mais avec la

théorie utilisée pour l’analyse. Comme l’explique Dumez (2013), le chercheur doit se prémunir du risque

de la « circularité » : « Dès le moment qu’une personne se forme une théorie, son imagination ne voit

plus, dans tout objet, que les traits en faveur de cette théorie » (Berg, 1905 : 312 cité par Dumez, 2013 :

32). Pour s’en prémunir, Dumez (2013) propose que la théorie reste ouverte pour laisser place aux

aspects empiriques, offrant aux matériaux une certaine indépendance. Par conséquent, et par moment, il

est nécessaire de remettre également en question son propre cadre théorique afin de garder son sens

critique.

CHAPITRE II : Méthode de recueil des données

Section 1 - Les personnes interviewées

Pour déterminer l’objet de recherche, nous avons réalisé deux entretiens exploratoires. D’une part,

une personnes avec un mandat politique et d’autre part avec un haut dirigeant du parti. Nous les avons

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33

rencontrés grâce à notre implication au sein de l’Académie Verte. Par la suite, nous nous sommes

renseigné sur la littérature scientifique concernant les carrières et la professionnalisation de la politique,

ce qui nous a permis de cerner notre problématique et notre question de recherche. Ces éléments nous

ont servi de fil conducteur pour la poursuite de notre travail.

Après avoir clarifié notre objet de recherche, nous nous sommes informé auprès de notre public

cible : des personnes avec une expérience de parlementaire étiqueté Ecolo. Les premiers contacts ont

été possibles par le réseau personnel, notamment grâce à une sénatrice et à une connaissance travaillant

au sein du parti. De cette manière, nous avons eu l’occasion de rencontrer sept personnes correspondant

à nos critères de recherches. Ensuite, à chaque rencontre, nous avons demandé aux interviewés de nous

mettre en contact avec d’autres personnes de contacts afin de poursuivre la recherche. Ainsi, nous avons

constitué nos interviews par effet « boule de neige » (Anderson, 2008). En parallèle, pour compléter la

recherche et les informations connues sur les parlementaires, nous avons conjointement utilisé les sites

Cumuléo34, le parlement de Wallonie35 et celui de la Chambre36. De plus, nous nous sommes servi d’un

article de journal reprenant une liste de parlementaires écolos37. Au total, dix-neuf interviews ont été

réalisées entre décembre 2018 et Avril 2019. Nous contactions les (anciens) parlementaires par

téléphone ou par email.

Pour cette étude, seize personnes du public cible ont été rencontrées. Les entretiens duraient entre

45 minutes et 1H30. L’ensemble des personnes interviewées ont travaillé en tant que députés durant une

période de quatre ans minimum. Dans ce travail, nous recherchons la diversité des parcours de vie,

raison pour laquelle nos interviews touchent des publics aussi divers que possible (genre, âge, diplôme,

lieu d’habitation, nombre de mandats, type de reconversion). Parmi ceux-ci, certains sont encore actifs

au sein d’Ecolo en tant que bénévoles, travailleurs ou mandataires, d’autres non. À ces seize entretiens

concernant notre public cible, trois s’ajoutent : un entretien avec le responsable des ressources humaines

d’Ecolo ainsi que les deux entretiens exploratoires. L’interview avec le gestionnaire des ressources

humaines s’est réalisé uniquement selon la méthode de l’entretien semi-directif sur base d’un guide

d’entretien. La finalité étant de percevoir le rôle de l’institution sur la carrière des parlementaires et ainsi

avoir une vision holistique. Tandis que les entretiens exploratoires ont été réalisés selon les critères de

l’entretien non directif (Ghihlione, Matalon, & Bacri, 1985). Notons que notre décision de s’arrêter à

seize entretiens ne relève nullement d’un principe de saturation, mais davantage du principe de

faisabilité (Hennink, Kaiser, & Marconi, 2017). Nous avons tenté de rencontrer le maximum de

34 Cumuléo, juin 2019, consultable sur : https://www.cumuleo.be/ 35 Site internet du parlement de Wallonie, juin 2019, consultable sur : https://www.parlement-wallonie.be/ 36 La Chambre des représentants, juin 2019, consultable sur :

https://www.lachambre.be/kvvcr/index.cfm?language=fr 37Geelkens Mélanie, 30 juillet 2015, Ecolo : le calvaire après la défaite, LeVif, consultable sur :

https://www.levif.be/actualite/belgique/ecolo-le-calvaire-apres-la-defaite/article-normal-407969.html.

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personnes selon nos impératifs temporels. Pour anonymiser l’appellation des parlementaires, nous les

nommons P plus un chiffre distinctif.

Appellation38 Genre Formation Nombre de

mandats

Durée de l’entretien (en

minute)

Date de

l’entretien

Parlementaire 1 Femme Master 3 66’ 01/02/2019

Parlementaire 2 Homme Bachelier 1 56’ 22/03/2019

Parlementaire 3 Homme Bachelier 1 106’ 26/02/2019

Parlementaire 4 Femme Master 1 50’ 11/03/2019

Parlementaire 5 Femme Master 2 53’ 14/03/2019

Parlementaire 6 Homme Master 1 18’ 20/04/2019

Parlementaire 7 Femme Master 3 66’ 30/01/2019

Parlementaire 8 Femme Master 3 40’ 28/01/2019

Parlementaire 9 Homme CTSS 1 48’ 28/01/2019

Parlementaire 10 Homme Master 2 57’ 26/02/2019

Parlementaire 11 Homme Master 3 40’ 05/04/2019

Parlementaire 12 Homme Master 3 58’ 22/03/2019

Parlementaire 13 Femme Master 1 105’ 19/03/2019

Parlementaire 14 Homme Master 1 74’ 18/03/2019

Parlementaire 15 Femme Master 4 102’ 28/03/2019

Parlementaire 16 Homme Master 3 90’ 25/03/2019

Tableau 2 : Listes des entretiens

38 Par facilité, nous nommons parlementaire toutes personnes ayant travaillé au moins quatre ans comme député

dans l’une des assemblées législatives parmi lesquelles Ecolo peut y présenter ses mandataires politiques.

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35

Section 2 - La conduite des entretiens

Les entretiens, indépendamment de leurs méthodes, lorsqu’ils sont utilisés à bon escient, sont un

moyen pertinent pour retirer de l’information riche et nuancée (Van Campenhoudt et al., 2017). Ces

méthodes, selon Van Campenhoudt et al.(2017) : « se caractérisent par un contact direct entre le

chercheur et ses interlocuteurs et par une faible directivité de sa part » (Van Campenhoudt et al., 2017 :

241). En effet, ces auteurs considèrent le chercheur responsable de la qualité de l’interaction et des

informations découvertes par sa capacité à « faciliter l’expression ». Pour mener au mieux les entretiens,

nous avons suivi les principes de Van Campenhoudt et al. (2017) : « (1) Poser le moins de questions

possible [...] (2) formuler les interventions d’une manière aussi ouverte que possible […] (3) s’abstenir

de s’impliquer soi-même dans le contenu de l’entretien » (Van Campenhoudt et al., 2017 : 87). De plus,

lorsque c’était envisageable, nous avons essayé de diriger les entretiens dans un contexte adapté.

Toutefois, il n’a pas toujours été possible d’avoir des conditions optimales.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons opéré selon deux modes. Le premier se base sur les

récits de vie au sens où Bertraux (2010) l’entend et le second vient compléter les besoins d’information

par des entretiens semi-directifs. La décision de réaliser des entretiens nous a semblé être pertinente en

tant que moyen pour faire émerger les stratégies des individus (Cappellen & Janssens, 2010).

Nous avons choisi la méthode des récits de vie, car elle peut se calquer à la fois sur notre objet

d’étude et sur notre cadre analytique. Les récits de vie, comme l’explique Bertaux (2010), sont des

entretiens narratifs, durant lesquels un chercheur invite un sujet à lui raconter tout ou une partie de son

expérience vécue. La manière de concevoir les scripts de carrière ou de gérer sa carrière se réalise sur

une période relativement longue, correspondant en tout point à la notion de trajectoire sociale. Comme

l’énonce Bertaux (2010), celle-ci doit être entrevue et analysée à travers un « objet maîtrisable »

(Bertaux, 2010 : 19). L’auteur exemplifie cette notion en montrant qu’il est possible, grâce aux récits de

vie, d’analyser non pas « la réussite sociale » ou « la chute sociale » qui sont des dénominations vagues,

mais : « S’il s’agit en revanche d’étudier comment on devient homme ou femme politique […] ou SDF,

il apparaît que ce qui donne cohérence à de tels objets d’étude c’est qu’ils relèvent d’un même monde

social » (Bertaux, 2010 : 19). À travers cette méthode, nous voulons mettre en avant la manière dont

les parlementaires perçoivent leur parcours professionnel et expliquent leur choix de carrière.

La première partie des interviews est donc consacrée aux récits de vie et nous poursuivons avec

un entretien semi-directif dans le but de cerner au mieux notre objet de recherche. Cette seconde

méthode, grâce à un questionnaire guide, nous permet de recadrer l’entretien afin de disposer

d’informations précises et requises pour la poursuite de notre travail (Ghihlione et al., 1985).

Pour débuter les interviews, nous leur demandons de raconter leur parcours scolaire, professionnel

et politique jusqu’à aujourd’hui. Les entretiens sont ouverts avec peu d’interventions de notre part, si ce

n’est pour clarifier des explications. Généralement, il s’agit de la période la plus longue de l’entretien.

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36

Cependant, contrairement à ce que Van Campenhoudt et al. (2017) prodiguent, nous n’avons pas eu

l’occasion de réaliser plusieurs séances. L’entretien se poursuivait avec des questions plus précises

issues de notre guide d’entretien. Ce guide a été adapté au fur et à mesure de l’avancée des rencontres.

Section 3 - Analyse des entretiens

L’ensemble des entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Ce fonctionnement

répond à l’évolution de notre recherche, qui par sa volatilité, exige ce principe de précaution afin de

disposer de l’ensemble de nos matériaux.

L’analyse a pour but, dans un premier temps, de nouer les scripts de carrière à notre objet de

recherche et dans un deuxième temps de comprendre les stratégies mises en place par les parlementaires

pour gérer leur carrière professionnelle. Pour cela, nous analysons le discours de chaque interviewé et

nous comparons les ressemblances et les différences des trajectoires professionnelles. À cette fin, nous

utilisons l’analyse thématique comme moyen (Blanchet & Gotman dans De Singly 2007). Nous avons

également codé nos résultats de manière horizontale et verticale afin d’identifier la dimension cognitive

et comportementale des trajectoires professionnelles.

Section 4 - L’analyse documentaire et l’observation

Pendant la réalisation de notre mémoire, nous avons profité de notre engagement politique pour

réaliser des observations. Celles-ci se déroulaient pendant les formations de l’Académie Verte, les

assemblées générales provinciales ou diverses réunions. Ces observations nous ont permis de nous

immerger dans notre terrain de recherche. Toutefois, nous gardions à l’esprit la nécessité de conserver

nos distances. Grâce à nos contacts, nous avons pu obtenir certains documents internes du parti comme

le règlement des statuts, des documents relatifs aux indemnités, la préparation de nouveaux règlements

internes, les contrats de réciprocités etc., nous permettant de réaliser des analyses documentaires.

CHAPITRE III : Un cadre analytique, des objectifs et des limites

Section 1 - Le choix du cadre analytique

Pour l’analyse de nos matériaux, nous nous basons sur le cadre théorique des scripts de carrière

développés par Barley & Tolbert, (1997). Si ce cadre analytique répond aux nombreux besoins et enjeux

de notre problématique, l’idée de son utilisation ne nous est pas imputable. C’est à la suite d’échanges

avec notre promoteur que nous avons convenu du cadre analytique pour notre recherche. En effet, en

plus de connaître un nouvel élan de recherche depuis quelques années, les scripts permettent à la fois

d’intégrer l’influence des acteurs et celle de la structure. Ce qui offre une analyse dynamique du parcours

de carrière. Enfin, les scripts de carrière sont en adéquation avec notre méthode de recherche qui, par

les récits de vie, expriment bien les trajectoires professionnelles (Bertaux, 2010). De plus, ce travail

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37

répond à l’incitation de Garbe & Cadin (2015) de poursuivre les recherches des scripts de carrière sur

un métier donné ou encore de les étudier dans d’autres contextes.

Section 2 - Les objectifs de la recherche

Grâce à notre expérience obtenue au sein de notre terrain de recherche, nous avons pu soulever la

problématique de notre mémoire. Nous avons observé l’ambigüité du parti concernant la

professionnalisation de la politique et celle de ses députés d’une part, et la difficulté pour certains

parlementaires de construire dans la continuité leur carrière professionnelle d’autre part. Ainsi, l’objectif

de la recherche est multiple. Avant tout, nous désirons en savoir davantage sur la manière dont sont

conçues et pensées les carrières par des individus avec un statut libre, mais sujet à un ensemble de règles

provenant d’une institution. De cette façon, nous espérons développer nos connaissances sur les enjeux

liés à un investissement en politique au niveau de la carrière professionnelle et de voir dans quelle

mesure certains dispositifs contraignent la professionnalisation de la politique. Ensuite, il nous semble

primordial de comprendre le vécu39 (usages, pratiques et discours) d’un métier qui, de par le

particularisme de son statut, ne permet pas aisément de se remettre en question. Il convient également

d’essayer de prendre en considération les facteurs qui façonnent les trajectoires professionnelles des

parlementaires écolos et la façon dont ceux-ci les « enact » (Weick dans Arthur & Rousseau, 1996).

Enfin, par notre travail, permettre aux partis politiques ainsi qu’aux parlementaires de mieux

appréhender les trajectoires professionnelles dans un contexte spécifique, qui est le leur.

Section 3 - Les limites de la démarche

De nombreuses limites peuvent être pointées. Tout d’abord, nos entretiens concernent une faible

proportion du public cible, n’atteignant pas le principe de saturation. Par ailleurs, notre étude ne porte

que sur un corps de métier, mettant de côté d’autres professions avec des conditions sociales similaires

tels que les mandataires locaux ou les travailleurs internes du parti. Notons également que les personnes

interviewées n’ont pas exercé la fonction de parlementaire durant la même période de temps, ouvrant

une dimension diachronique à notre travail. De surcroît, il n’a pas été aisé de réaliser les entretiens dans

des endroits propices à leur réalisation. La plupart des personnes interviewées étaient d’anciens

parlementaires ne disposant plus de bureaux. Par conséquent, il était courant de s’entretenir dans des

lieux communs tels qu’un café, ce qui ne permettait ni le calme ni l’isolement (Van Campenhoudt et al.,

2017). Comme l’exprime Blanchet (2007), tout lieu, de par sa configuration et sa définition engendre

diverses significations pouvant influencer l’entretien. De plus, de par notre méthode, il faut compter sur

une part de subjectivité de la part des interviewés, s’agissant de récits de vie qui n’ont pas de vérité

historique, et opérés surtout par des dissonances cognitives (Cadin et al., 2003). Une autre difficulté a

été la disponibilité des personnes rencontrées. À plusieurs reprises, nous avons été obligé de raccourcir

39 Plus spécifiquement, nous analysons le discours du vécu. Nous nous intéressons non pas à ce qu’ils perçoivent

mais à ce qu’ils font car le vécu est déjà, en soit, une construction subjective.

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38

les entretiens, nos interlocuteurs étant tenus par le temps. Enfin, bien que la littérature nous aide à mettre

en place une rupture épistémologique40, pouvoir nous détacher de notre implication dans le parti a été

une étape complexe. Parallèlement aux problèmes inhérents à notre terrain de recherche, il s’est avéré

ésotérique de réaliser une revue de littérature. Fréquemment, nous avons dû faire face à des accès

restreints concernant la littérature scientifique. Dès lors, nous n’avons pas pu aller aussi loin que nous

le souhaitions pour réaliser notre état de l’art. Au vu des limites énoncées, de celles dont nous n’avons

probablement pas conscience, et de nos connaissances scientifiques relatives, une posture humble

s’impose quant à la portée de notre travail.

40 La revue de littérature nous a permis de comprendre les différentes manières de concevoir les trajectoires

professionnelles et ainsi de faire un pas de côté.

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39

QUATRIEME PARTIE : MISE A PLAT DES DONNEES

Pour comprendre la manière dont les parlementaires se représentent et gèrent leur carrière

professionnelle, nous allons maintenant mettre en relief nos données empiriques relevées lors de nos

entretiens. Dans un premier temps, nous allons décrire comment les parlementaires perçoivent la

carrière. Ensuite, nous nous intéresserons plus spécifiquement à la conception d’une étape politique au

sein de leur carrière. Nous poursuivrons sur l’influence cognitive du parti, sur les représentations des

individus et les dispositifs mis en place. Enfin, nous terminerons sur leurs caractéristiques individuelles

et ce qu’implique un investissement en politique par rapport à leur trajectoire professionnelle ainsi que

les stratégies de carrière.

CHAPITRE PREMIER : La représentation de la carrière

Section 1 - Une vision court-termiste

Lorsque nous avons demandé aux parlementaires de nous livrer leur conception de la carrière et

la manière dont elle a évolué, la plupart de ceux-ci ont mis en avant une vision court-termiste où la

notion de « faire carrière » était absente.

« À partir de ce moment, on a cherché du boulot partout mon mari et moi. Donc, on a choisi cette

voie-là, ce n’est pas du tout construit, ce n’est pas un plan de carrière. […] Je pense qu’au jour

d’aujourd’hui personne ne fera une carrière complète dans la vie privée d’aujourd’hui » (P1).

« Mon premier boulot, mon premier contrat je l’ai signé en 82 en sortant de l’école, je n’ai jamais

pensé que je ferais carrière, jamais, jamais. […] Carrière, c’est un mot presque étranger dans mon

parcours. Avant d’être parlementaire et encore plus après. Est-ce que je pouvais rêver, un petit

éducateur de devenir parlementaire ? La plupart des gens ont un diplôme universitaire, ils sont issus

d’une certaine classe bourgeoise, moi je suis issu du monde ouvrier rural. Voilà, je suis très

conscient que j’ai pu, à un moment donné, faire des choses qui sont rares et exceptionnelles. […]

J’avais une vie avant la politique, j’en aurai une après. Moi ce n’était pas un problème conceptuel

de travailler à autre chose. […] Déjà dans ma génération, on n’est pas nombreux à avoir eu des

carrières linéaires, c’est de moins en moins probable. Avant, c’était linéaire, tu étais engagé un jour

et tu y étais jusqu’à ta pension. Donc, pour moi, c’est un enjeu à garder en mémoire » (P3).

« Ah non, mais moi je n’ai pas de plan de carrière ! Je n’ai pas de plan de vie tout court. Non non

vraiment. Je suis trop consciente que la vie s’arrête du jour au lendemain. […] Je n’aime pas les

trucs qui sont trop préparés, les plans de carrière. […] Je pense qu’on perd énormément d’énergie

à suivre un plan de carrière plutôt qu’à se laisser guider dans une vie qui devient une carrière […]

Tu es aussi vite monté que descendu et il faut garder ça à l’esprit. C’est déjà une chance de monter

par moment dans une vie » (P4).

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40

« Je vois ma vie professionnelle comme une succession de chapitres, mais effectivement, je n’ai

jamais eu de plan de carrière. [Ne pas être réélu…] Ce n’est pas très agréable à vivre, mais en fait,

pour moi, dans mon ‘non-plan de carrière’, j’étais déjà ailleurs. Je n’ai pas du tout de plan en tête,

je n’ai pas du tout non plus d’envie particulière. […] Beaucoup de gens me disent c’est quoi ton

projet ? Qu’est-ce que tu veux ? Et je ne sais pas répondre à cette question. Peut-être qu’un jour, je

referais de la politique. […] Mais, moi, je n’avais pas peur. C’était peut-être mon côté tête brulée »

(P5).

« Mais bon, je savais que c’était un job dur, mais l’important c’était de continuer à faire avancer la

boutique. J’ai toujours été à des endroits où j’ai pu contribuer à faire avancer les choses et cela ne

m’a jamais gêné de le faire en étant dans des positions différentes : parlementaire, assistant

parlementaire, dans les services d’études ou échevin. Pour moi, l’important, c’était de faire avancer

les projets […] je réfléchissais en termes de courant politique, plutôt que de carrière » (P12).

« Oui, moi je n’avais pas d’idée préconçue pour ma carrière professionnelle et donc pas non plus

pour ma carrière politique. Quand j’ai commencé à travailler pour Madame X, je n’imaginais pas

que quelques mois plus tard, après les élections, je serais impliqué dans les négociations et que je

me retrouverais directeur de cabinet. Je n’avais pas d’objectif dans cette optique-là. […] J’ai

souvent pris des risques, forcément à Ecolo on prend des risques en entrant en politique et en

assurant des mandats » (P14).

Il ressort de ces extraits une absence de planification, les individus ne sont pas centrés sur un

objectif particulier ou des étapes à suivre. La trajectoire professionnelle dépend de l’interprétation

individuelle et est soumise aux aléas. Ainsi, le parcours professionnel global des individus ne semble

pas être un phénomène construit proactivement. D’une part, il convient de comprendre qu’ils voient leur

expérience professionnelle comme des surprises avec peu d’attentes et dont l’issue n’est jamais certaine.

D’autre part, ils estiment prendre des risques durant leur carrière. La carrière n’est pas vue comme

linéaire, mais plutôt dynamique et faite de rebondissements dans un environnement socio-économique

instable. Les expériences sont multiples et pluri-organisationnelles. Le chemin n’est pas tracé, mais

ponctué par des événements particuliers vecteurs de changements.

Section 2 - La politique et la carrière : une relation incertaine et ambiguë

Pendant les entretiens, l’expérience d’un mandat politique était considérée comme une étape

parmi d’autres. Il n’était pas question d’un choix spécifique ou d’attentes particulières, mais davantage

dû à la conjoncture politique. Ainsi, faire carrière en politique était complexe et incertain, ils étaient

conscients que de nombreux facteurs externes déterminaient la poursuite ou non de leur carrière.

« Il y a une règle de base contre laquelle on ne sait rien faire, un mandat politique est un mandat à

durée déterminée et on ne sait pas combien de temps il va durer. Tout peut changer à chaque fois,

on peut monter et descendre. […] En politique, du jour au lendemain, tout s’arrête. Enfin, peut

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s’arrêter. Dès que l’on a un mandat, on est la personne la plus importante du monde. Quand c’est

fini, on n’a plus aucune valeur, on ne sert plus à rien » (P15).

Les résultats électoraux du parti jouent un rôle prépondérant pour déterminer si oui ou non il est

possible de se projeter. En effet, en fonction du nombre de votes, le financement des partis fluctue. Dans

le cas d’une victoire, le parti est demandeur d’une main d’œuvre qualifiée et la concurrence pour des

postes à l’intérieur du parti est moindre, sans parler d’éventuels postes à pourvoir à l’extérieur de celui-

ci. Cette demande peut être d’autant plus accrue dans le cas d’une participation au pouvoir. A l’inverse,

si les résultats électoraux chutent, le parti rencontre des difficultés pour conserver ses travailleurs,

mandataires, etc. D’autant plus s’il n’a pas d’« assise électorale » et que le parti ne dispose pas de

« pilier ». D’autre part, la concurrence pour rester en politique est plus forte et les finances plus faibles.

« On ne peut pas avoir une assurance emploi. […] C’est impossible puisque les ressources d’un

parti sont notamment liées au nombre d’élus et donc ça fluctue beaucoup chez Ecolo. Ça fluctue

beaucoup moins au CDH, au PS, au MR, ils ont encore des structures satellites où ils peuvent

recaser leur personnel. […] Non il n’y a pas vraiment de filet parce qu’en réalité, et les contrats le

mentionnent, avec la défaite de 2014, il a fallu licencier la moitié du personnel. Donc, dans un parti

comme Ecolo qui n’est pas un parti traditionnel, où les résultats sont en dents de scie, on sait bien

qu’on risque de se retrouver à un moment donné … sans emploi » (P13).

« C’est-à-dire, je n’avais aucune chance d’être réélu parce qu’en 2004 on a fort fort perdu les

élections. En plus à X [ville wallonne], on avait 3 ministres sortants : Monsieur X1, Monsieur X2,

Madame X3. Il n’y avait vraiment pas place pour tout le monde, ça ne servait à rien, je savais que

je n’allais pas être réélu. C’est pour cela que j’ai saisi la balle au bond de m’occuper du parti. Le

parti avait vraiment besoin d’être relancé, car on avait fort perdu les élections […] il n’y a pas de

garanties parce qu’Ecolo ne sait pas garantir dans la durée son financement. Tout le monde, même

les permanents ne sont pas garantis, ils ne sont pas fonctionnaires. À tout moment donné, ils peuvent

être licenciés parce qu’il n’y a plus de place pour eux. […] D’ici là, on verra les possibilités qui

seront là pour moi puisqu’Ecolo va progresser, va se redéployer. Il y aura beaucoup de nouveaux

postes ou sinon, je chercherai d’autres postes donc c’est un peu l’inconnu. Je chercherai tout à fait

autre chose » (P11).

« Maintenant, si tu vois au parti, de nombreux permanents sont partis parce qu’ils ont un poste

d’échevin ou de bourgmestre. On ne saura pas ce que seront les résultats des élections mais il y a

beaucoup de chance que d’autres soient nommés. Donc, je pense que je pourrais aussi être utile au

sein du parti à une fonction ou à une autre » (P1).

« Il y a plein de personnes qui arrêtent après un ou deux mandats, ou trois. Le fait que nos résultats

sont en dents de scie font qu’il y a une espèce de sélection naturelle. […] Par rapport aux autres

partis, on est quand même beaucoup plus fragile » (P14).

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« Comme jusqu’à présent, on renfloue le cadre, on a besoin de plein de gens, on gagne les élections,

c’est bingo puis on s’effondre et il n’y a plus personne. Après, le cadre est tellement petit qu’on ne

saurait pas proposer quoi que ce soit ailleurs à tous les élus Ecolo qui ne sont plus réélus » (P4).

« Pour les parlementaires qui partent, je pense que ce sera un peu plus facile de se recaser [après

les élections] parce qu’il y aura des cabinets ministériels qui vont se créer où ils peuvent postuler

ou dans des associations proches d’Ecolo, Green Peace, Oxfam. Beaucoup de gens sont partis chez

Oxfam après les élections en 2014 donc c’est plus facile pour un parlementaire de partir quand le

parti a le vent en poupe » (GRH, 2019).

Parallèlement aux résultats électoraux, ceux-ci sont d’autant plus déterminants en fonction de la

circonscription électorale. Ainsi, si la taille de la circonscription est importante, c’est-à-dire avec un

nombre important d’électeurs comme dans les grandes villes, la probabilité de continuer son expérience

politique est plus forte. La probabilité d’être élu ou réélu varie aussi selon la sociologie de la

circonscription. Les candidats déduisent des probabilités selon le potentiel de voix par localisations dont

certaines sont plus porteuses que d’autres.

« Quand on fait de la politique, on fait du théâtre et donc, j’ai la posture que je vais l’avoir mais au

fond de moi-même je ne pense pas que je vais l’avoir. Parce que le seuil électoral en province du

Luxembourg est trop élevé. Ici, je me présente à la chambre et ça reste encore très élevé. En fait, ici

c’est plus de 15 % pour l’avoir. Ce n’est pas du tout gagné en fait. Moi, voilà ça a été dit, c’est un

poste de combat » (P1).

« La vraie difficulté, c’est si tu n’habites pas dans une grande ville, si tu n’es pas dans un

arrondissement qui pèse d’un point de vue électoral. Ça, c’est une vraie difficulté, on m’avait déjà

proposé d’aller habiter à X [grande ville] […] et le système d’apparentement fait que ce n’est

accessible qu’à partir d’un certain seuil électoral. Ce n’est pas positif pour les plus petits partis.

Ça, tu le sais quand tu es chez Ecolo que tu n’as pas de certitude. Moi, aujourd’hui, je n’ai pas de

certitude » (P2).

« C’est plus dur de faire de bons résultats à Charleroi que dans une ville du Brabant wallon, parce

que la sociologie par rapport à Ecolo n’est pas la même » (P12).

« Si j’avais habité le Luxembourg, je n’aurais pas été parlementaire. Si j’avais habité Bruxelles, je

serais resté plus longtemps parlementaire » (P16).

Les évolutions de la législation peuvent déterminer la durée de la trajectoire professionnelle.

Ainsi, durant les précédentes législatures, les règles encadrants les conditions d’exercices du métier de

parlementaires étaient différentes. Pour avoir une pension complète, un député devait exercer sa fonction

pendant vingt ans. De cette façon, si un parlementaire était élu pour un mandat, il avait droit à 5/20 de

la pension de député. Depuis, 2014, les règles ont changé, dorénavant la pension se calcule sur 45 ans

et son droit s’ouvre, non plus à 55 ans mais à 67 ans. De plus, le nombre d’élus par circonscription peut

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également fluctuer pour s’adapter à un recensement de population41, ou à un changement de la

législation.

A la fin de la législature que j’ai faite, en 2014, les règles ont changé et sont devenues beaucoup

plus strictes, à juste titre. Avant, la période parlementaire se calculait sur 20 ans et maintenant, elle

est passée ensuite à 36 ans. Quand moi j’avais fait 15 ans, j’avais fait un trois quarts de mandat. Si

j’étais restée ou si j’avais été un peu plus vieille, tout aurait été décalé, 15 ans sur 36 ans, ça ne

ferait même pas la moitié. Donc quelque part, les vieux parlementaires et ceux qui ont terminé avant

2014 bénéficient de conditions de pension bien plus intéressantes que maintenant. Donc, quelque

part, je suis beaucoup plus à l’aise que si j’étais un tout petit peu plus jeune ou que si la question se

posait maintenant » (P8).

« La pension pouvait être acquise à partir de 55 ans et donc elle a été reportée à 62 […] J’avais

mon indemnité de sortie jusqu’en 2015 et puis j’avais droit à la pension. Mais je suis resté longtemps

dans l’incertitude à cause des mesures transitoires, il y a eu 36 versions, et j’aurais pu me retrouver

seulement avec la pension à 62 ans. […] Dès que le règlement de pension a été voté, l’incertitude a

été levée mais pendant l’année des négociations, j’étais dans l’incertitude totale. Et revenir sur le

marché du travail à 54 ans avec un parcours exclusivement politique … » (P12).

« Aujourd’hui, la discrimination n’existe plus parce que nous avons le Conseil d’Etat et la Cour

Constitutionnelle qui ont dit qu’une circonscription de moins de 2 ou 3 élus est anticonstitutionnelle

[deux circonscriptions ont été fusionnées] et donc maintenant la discrimination n’existe plus. La

province du Luxembourg ne bénéficiera plus de la cooptation du Sénat42 » (P1).

Les parlementaires écolos considèrent qu’ils ont peu d’emprise sur la décision d’entrer ou de

continuer en politique. D’ailleurs, leur entrée en politique43, selon eux, découle d’un concours de

circonstances qui va produire une série d’opportunités.

« Je votais Ecolo mais je n’étais pas très engagée politiquement. Mais voilà, l’opportunité s’est faite

et j’ai mis les doigts dans l’engrenage. Cela a duré 23 ans finalement : 8 ans d’attaché plus 15 ans

parlementaire. […] J’étais onzième donc il n’y avait limite rien qui me prédestinait à siéger et

pourtant, on a eu 14 élus à cette époque-là et j’étais parmi ces élus, vraiment pas de préférence.

Mais voilà, en 1999, il y avait la dioxine et plein de choses qui nous ont menés au pouvoir » (P8).

« C’est plutôt la saisie d’opportunité dans le bon sens du terme. Je pense qu’à l’inverse, je ne me

suis jamais dit, je vais faire de la politique » (P4).

«’Allez, t’es jeune, t’es bien, tu as des idées’, on se fait un peu pousser, et puis on a des idées, on a

envie que ça bouge. Au début, on ne va pas là avec des ambitions, un truc de carrière, mais c’est

41 Les recensements de population se réalisent tous les deux ans. 42 Aujourd’hui, la probabilité d’être élu est plus importante qu’avant, le seuil électoral étant passé de 25 % à 15%

pour avoir un élu. 43 Ici, lorsque les parlementaires évoquent l’entrée en politique, ils mettent en avant l’obtention d’un mandat de

parlementaire.

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petit à petit, quand on est dans la machine on finit par se dire, tiens, il va y a avoir des élections, il

n’y a personne qui se présente pourquoi est-ce que moi je n’irais pas, en me disant je n’ai aucune

chance d’être élu de toute façon. Puis, en grattant un peu, on se dit : ‘tout compte fait il y a peut-

être moyen’. On n’y croit pas vraiment, enfin ça se construit petit à petit » (P10).

« A l’époque, Ecolo est partagé sur la participation. Il n’y a personne qui m’a dit :’est-ce que tu ne

serais pas ministre ? Est-ce que tu ne te proposerais pas ?’ C’est moi qui me suis proposé. […] On

est 700, le bureau du conseil de fédération est sur la scène d’un grand amphi et pose la question : ‘

qui est candidat ?’ Tu es devant les 700 personnes et tu lèves ta main. Je lève ma main, point44 »

(P16).

Toutefois, d’autres mettaient en avant, non pas le caractère opportuniste, mais davantage la

passion pour la politique ou le sentiment d’être utile avec une certaine vision politique de leur trajectoire

professionnelle. Cependant, il n’est pas question de périodes de temps prédéterminées ou d’étapes

claires à suivre.

« Moi, je suis toujours parti de la passion et des valeurs, je ne suis pas parti de la carrière. Je me

suis investi, c’est après que la carrière est venue. […] Voilà, moi ce que j’avais envie de devenir,

au début de ma carrière, c’était parlementaire parce que c’était le débat public, le fait de débattre,

d’exprimer des valeurs, tout ça en fait […] De travailler dans un boulot, une fonction, sauf si tu as

des évolutions de carrière, ce n’est pas trop mon truc surtout que moi j’aime bien relever des défis

etc. C’est un peu ça qui me motive dans ma carrière. Je n’avais pas de plan de carrière, enfin si,

celui de faire de la politique, mais ce n’était pas, je vais aller là, je vais aller là. […] Non, je n’ai

jamais arrêté, même sans rémunération. J’ai toujours continué parce que ça me passionnait, voilà.

Je continue d’être actif à tous les niveaux où je pouvais m’investir » (P2).

« Moi, j’ai toujours trouvé qu’il était vraiment utile d’être dans l’action donc, de ce point de vue-

là, j’étais candidat ministre, forcément pas tout de suite, je savais bien qu’il fallait de l’expérience

et connaître le système, etc. » (P11).

Pour les députés écologistes, ce sont les citoyens mais surtout les militants qui ont le pouvoir.

Ainsi, comme le parti est décentralisé, l’environnement est mouvant et il est difficile d’anticiper ce qui

peut se produire. Il serait complexe de « préparer ses arrières ». D’une part, à chaque élection, tout

individu en ordre de cotisation chez Ecolo a le droit de se présenter. D’autre part, les militants peuvent

changer de comportement et soutenir ou retirer leur confiance à un candidat. De plus, ce ne sont pas

toujours les mêmes militants qui sont présents lors de chaque poll électoral45. Ainsi, être en place

stratégique46 sur une liste n’est jamais acquis. Par ailleurs, certains mandats sont décernés par cooptation

44 La personne est devenue ministre. 45 Le poll électoral est le moment de la désignation et de l’ordre des places stratégiques sur les listes. 46 Place où la chance d’être élu est significative.

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en fonction des votes « restants » soumis là aussi au vote des militants. Il est donc impossible de prévoir

le résultat.

« Le pouvoir chez Ecolo, j’utilise le terme d’archipel avec beaucoup d’îles. Avec des grandes îles,

des petites îles, des îles ou des endroits avec beaucoup de pouvoir. […] C’est très diffus et c’est très

complexe pour une personne externe de décoder et de comprendre. Le pouvoir ça bouge tout le

temps et c’est très dispersé avec une culture avec trop de méfiance […] N’oubliez pas qui désigne

les têtes de liste ! Ce sont les AG, les militants, si vous voulez une longue carrière chez Ecolo, il faut

surtout garder la confiance des militants. […] Ce sont les militants qui font un premier choix […]

Ce sont les militants qui décident de la carrière. Dans 5 ans, la composition de l’AG sera différente

de celle de cette année, ce sera d’autres militants qui auront d’autres idées. Est-ce qu’ils vont dire

que Monsieur X est toujours un excellent parlementaire ?» (P6).

« Le mandat ne t’appartient pas. C’est quelque chose qui ne t’appartient pas en fait. C’est l’électeur

qui décide. […] Elle, elle se donne [une potentielle candidate], elle sacrifie peut-être même sa

carrière. En se disant voilà, je serai députée demain et elle n’est pas retenue par le parti [lors du

vote des militants] alors qu’elle avait toutes les chances de l’être. Et c’est Madame X qui sort de

nulle part » (P1).

« Les listes, elles sont faites plusieurs mois avant les élections et on n’est jamais certains des

résultats quand on fait les listes et même si on connaissait les résultats, on ne sait pas forcément

dire qui va être élu parce que ça dépend aussi des autres partis. Il y a une part de loterie dans ceux

qui vont être élus » (P11).

« Il ne s’attendait pas à se faire recaler en fait, jusqu’au dernier jour. Je ne pense pas que les gens

soient dans une trajectoire d’une défaite électorale, d’un poll négatif ou une décision d’AG. Ils vont

y croire jusqu’à la dernière minute, puisqu’il s’agit de se battre pour obtenir un mandat. Tu ne

prépares pas spécialement bien tes arrières » (Directeur Politique, décembre 2018).

La politique est perçue comme un environnement hostile où des évènements inattendus

surviennent. Il est question de faire face à de la « violence ». Pendant les entretiens, les (ex) députés

pointaient leur surprise face à cette animosité. Deux raisons sont mises en avant, bien qu’elles soient

considérées comme informelles. La première est la concurrence pour l’obtention d’un mandat, il

convient de se mettre en avant par rapport à d’autres candidats afin d’obtenir des positions stratégiques

sur les listes électorales. La deuxième raison est l’image négative des parlementaires auprès des militants

qui seraient hostiles à une quelconque concentration du pouvoir.

« Chez Ecolo, comme ailleurs, le moment où il faut constituer les listes, c’est un moment de grande

violence. […] Cela ne peut être que des alliés et des amis mais ce n’est pas vrai. Il y a aussi des

interactions violentes, des pièges, des attentats à l’interne du parti. Cela existe, j’en ai vécu » (P3).

« Puis après, tous les côtés horribles de la politique, je veux dire la politique c’est blindé de

poignards dans le dos. Mais voilà, ça ne me décourage pas, je trouve que ça fait partie du deal. Si

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on veut faire bouger les choses, il faut redresser les épaules et il faut y aller. Je l’ai bien vécu.

Autrement je ne remettrais pas le couvert ! » (P4).

« Puisqu’en interne, tu es député, tu as fait ton premier mandat, tu te dis : ‘et bien voilà je suis

candidat au 2e’. Mais il faut d’abord qu’en interne on te dise : ‘mais oui, c’est toi le meilleur

candidat’. Et ça aussi ce sont des expériences difficiles, ce n’est pas une belle amitié bien nette, bien

claire et bien sincère. Il y a des jeux d’influences, il y a des coups bas même si c’est chez Ecolo, il y

a des trucs que tu ne comprends pas et moi j’avais l’impression que ça allait aller les doigts dans le

nez, que tout le monde disait c’est toi qui dois être tête de liste etc. Et puis, trois jours avant,

quelqu’un te dit : ‘tu es en train de te faire ‘b*****’, tu vas te faire avoir’. Je n’avais rien vu venir »

(P10).

L’utilisation de ces extraits d’entretiens nous permet de dresser plusieurs constats. Tout d’abord,

l’expérience de mandataire politique est par essence à durée limitée. Indépendamment des choix posés,

la remise en question de son statut et de sa position est renouvelée à chaque nouvelle élection. Ensuite,

les chances d’être (ré)élu varient en fonction des résultats électoraux du parti, sur lesquelles ils ont une

influence relative. Cette probabilité peut être pondérée en fonction de la taille de la circonscription

électorale ou de la cooptation. Cette pondération peut être d’autant plus conséquente si le parti participe

au pouvoir. Ajoutons que les résultats électoraux ont des conséquences en cascade, en perdant ou en

gagnant les élections, les opportunités d’emplois fluctuent au sein du parti, ce qui peut s’accentuer selon

son pilier. Autre constat, le caractère incertain du positionnement dans la liste du candidat. En effet, de

par la décentralisation du parti, il est complexe d’avoir une posture stable et assurée lors des élections.

Par ailleurs, l’expérience politique est perçue comme difficile et laborieuse, où il est nécessaire de se

battre pour se faire une place, ainsi « rien n’est jamais acquis », et où tout est « une question de

résilience ». Pour autant, elle est vue comme une « opportunité », une « passion » ou encore un lieu où

l’on est « le plus utile ». Enfin, l’évolution de la législation qui entoure le statut du parlementaire est en

constante évolution, rendant leur trajectoire politique d’autant plus incertaine.

CHAPITRE III : L’INFLUENCE DU PARTI SUR LES REPRÉSENTATIONS

Section 1 - Un parti avec de nombreuses règles

Lorsque nous avons abordé la question du fonctionnement d’Ecolo concernant la gestion de

carrière des députés, les (ex) parlementaires nous l’on décrit comme un espace fortement réglementé.

Ainsi, de leur point de vue, ce qui les différencie des autres partis politiques, c’est qu’ils sont conscients

d’être des « humains » comme les « autres », c’est-à-dire des humains attirés par le pouvoir. Pour faire

face à cette problématique, ils mettent en place une série de règles « strictes » pour assurer un de leurs

objectifs : un fonctionnement démocratique. C’est pourquoi il existe la limitation des mandats dans le

temps et le principe du décumul.

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« Ecolo n’est pas un parti plus pur que les autres, c’est une assemblée d’êtres humains. Ce sont les

règles du jeu qui balisent, qui font en sortent que les comportements humains sont plus intéressants

que chez les autres. C’est la règle qui fait ça. Les règles sont plus précises et plus strictes

qu’ailleurs. […] Par rapport à Ecolo, le mandataire est considéré comme au service du parti et le

parti, ce sont des instances de décisions comme l’assemblée régionale, le conseil de fédération etc.

On a des contrats de réciprocité, on a des tas de trucs. Si l’assemblée générale ne respecte pas le

parlementaire, il peut danser sur sa tête. […] Voilà, le parlementaire est considéré comme un

soldat » (P3).

Cependant, s’il existe un consensus parmi les (ex) parlementaires concernant la nécessité d’avoir

des règles, elles ne sont pas immuables pour autant. Il est possible d’y déroger.

« On se donne des règles. Quelque part, à la naissance d’Ecolo, on est un parti différent mais on

est des gens comme les autres et on préjuge du fait que le pouvoir peut tourner la tête. Quelque part,

la fonction crée l’organe quand tu y es, tu as envie d’y rester, on est des gens comme les autres.

Comme on a peut-être plus conscience qu’on est des gens comme les autres, on se donne des règles

plus strictes. Et moi, je suis la première concernée, je vais chez Ecolo en me disant, c’est quelque

chose qui me motive d’avoir deux mandats dans le temps et quand je suis concernée je demande une

dérogation, c’est hallucinant quoi. Je n’en suis pas fière mais je l’ai obtenue presque à 100%, je

l’ai obtenue de manière unanime aussi. […] Je trouve qu’il est très important de s’en rendre compte,

on se donne des règles. Ça serait dogmatique que les règles soient absolues » (P1).

« Parfois je me dis, j’ai vu certains de mes collègues qui ont fait 4-5 mandats et je trouve que par

rapport à notre idée de départ, c’est difficile à faire passer dans l’opinion publique et même par

rapport à soi-même, de se dire pourquoi on met des règles si on les contourne si facilement. Je

trouve que l’idée qu’on ne fasse pas ça toute sa vie, c’est bien » (P8).

Il n’existe pas que des règles formelles (limitation dans le temps, non cumul, rétrocession, contrat

de réciprocité, etc.), il ressort des entretiens une série de règles informelles (chez Ecolo, c’est le mandat

« avant tout » et on ne te « recase » pas).

« De se mettre dans un état d’esprit qui est : ‘un mandat politique, on demande que cela soit à temps

plein et cela devient un boulot effectivement’. On doit toujours se dire quand : ‘c’est fini c’est fini

le parti ne m’est pas redevable de quelque chose’ […] Les exigences d’Ecolo sont telles que c’est

d’abord le mandat politique » (P15).

« Surtout chez Ecolo tu n’as aucune garantie. Personne ne te promet rien. Et Ecolo est peut-être

plus assassin qu’un autre parti. Il n’y a que des règles et les règles sont froides tandis que l’humain

est chaud. […] Mais voilà, on ne va vous trouver un job parce que vous avez perdu le vôtre, ça ne

se fait pas dans le parti » (P2).

« Un journaliste m’a dit un jour, je pense en 2014 : ‘mais P1 si tu n’es pas réélue, j’imagine que le

parti a un plan pour toi’. Mais non, non évidement que non et cela change vraiment par rapport aux

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autres partis. Il n’y avait pas de place pour me recaser dans un cabinet ou n’importe où, ce n’est

pas comme ça que ça fonctionne » (P1).

Pour être « recasé », les (ex) parlementaires ne peuvent pas faire prévaloir leur statut. Ils sont

évalués de la même manière que d’autres candidats. Ils sont, à ce titre, soumis à des procédures de

sélection.

« Dans l’intérêt du parti, tu lances une procédure et tu gardes le meilleur. Est-ce que c’est l’ancien

parlementaire ? Tant mieux, peut-être pas » (P6).

Il ressort des entretiens une vision ambiguë sur le nombre de mandats à réaliser, que ce soit d’un

point de vue réglementaire ou d’un point de vue moral. Pour certains, il s’agit de réaliser deux mandats

et de se projeter dans cette perspective. D’autres considèrent qu’il est possible de faire trois mandats, le

premier pour apprendre, le second pour exceller et le dernier pour sortir de la politique. Or, chez Ecolo,

si la règle est fixée à deux mandats, en moyenne, les parlementaires ne font qu’une législature. L’enjeu

est de rester représentatif du citoyen par le biais d’une rotation des élus tout en conservant une certaine

expertise.

« Quand moi, je me suis projeté, je devais faire 2 mandats. C’est 10 ans et donc à la fin de mon

deuxième mandat, je devais me préparer à une sortie. Or, chez Ecolo, on fait en général un mandat »

(P9).

« La catégorie des gens comme moi et d’autres qui savaient que c’était leur dernière législature et

qui ont décidé d’arrêter [elle a réalisé trois mandats]. Puisqu’il y a ceux qui n’ont fait qu’un seul

mandat et qui n’ont pas été réélus alors qu’ils espéraient l’être » (P8).

« C’est clair que pendant tout un temps, quelques-uns ont quand même un peu utilisé le système en

passant d’une assemblée à l’autre, en passant d’une assemblée régionale à fédérale ou en passant

d’une assemblée fédérale à régionale. Le compteur arrêtait de tourner » (P14).

Il y a des dérogations prévues qui doivent être validées en conseil des fédérations, c’est prévu mais

personnellement, je ne suis pas tout à fait adhérent à cette limitation des mandats dans le temps. Je

trouve que l’on perd quand même beaucoup d’expérience. 5 ans pour un mandat, cela reste très

court et puis il y en a qui ont une très belle vision des choses et qui pourraient rester10 ou 15 ans…

A partir du moment où ils restent à l’écoute et sont représentatifs de la population, je ne vois pas

trop le problème que cela pose. Mais l’idée, c’est aussi qu’il faut faire émerger des nouvelles têtes

(GRH, 2019).

Pour faire face à ce paradoxe (une limitation floue sur la durée des mandats), les (ex)

parlementaires montent en généralité et dégagent d’autres règles. Pour eux, ce qui compte, c’est à la fois

de ne pas « dépendre » de la politique ou du parti et de ne pas être « hors sol ». En d’autres mots, il

convient de comprendre qu’ils doivent rester en contact avec les citoyens et éviter de rester en politique

uniquement pour des raisons financières, l’objectif premier ne doit pas être de « faire carrière ».

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« Ne pas faire carrière en politique c’est fondamental. Enfin, je trouve que pour nous écologistes,

c’est plus facile. Demain ça peut être fini, alors que dans les partis traditionnels envisagent ça plus

comme une carrière. Nous ici, on le sait. […] C’est une conception qui est biaisée que de se dire, tu

vas faire carrière en politique. C’est sain de retourner dans la société, d’avoir un ancrage. La vie

réelle ... Il ne faut pas devenir hors sol » (P1).

« Quand on dit qu’un parlementaire n’est pas professionnel, c’est qu’il n’est pas censé faire toute

sa carrière en tant que parlementaire. Cela doit être limité à 2 ou 3 mandats et pas plus. Sinon cela

devient péjoratif. […] Cela me pose un problème, pour moi, je pense qu’il faut être en phase avec

la société. On peut être dans sa tour d’ivoire et pondre des textes en toute bonne foi et être sûr d’être

dans le bon, mais il faut aussi être sur le terrain et être sur le terrain, ce n’est pas juste écouter,

rencontrer, etc. C’est aussi revenir soi-même, revivre ce que vivent les citoyens, parce que c’est un

autre monde. La politique à ce niveau-là c’est un autre monde. Donc, on peut très vite s’éloigner

des réalités de terrain (P13).

« Moi, je n’ai pas envie d’être dépendante de la politique. C’est mon caractère. Je n’ai pas envie

de n’avoir fait que de la politique et que ça soit trop tard pour me reconvertir » (P7).

« Moi, à la base, ça ne gêne personne que quelqu’un fasse carrière chez Ecolo. L’idée c’est qu’il ne

faut pas que l’objectif premier de quelqu’un quand il rentre en politique ce soit de faire carrière »

(P10).

Cependant, lorsque nous leur demandions de décrire ce que c’est : « faire carrière en politique »

ou être un « professionnel de la politique », la définition variait. Pour certain, il s’agissait de tous les

métiers en politique et pas exclusivement les mandats : « Il y en a qui font carrière chez Ecolo, qui la

font à l’interne aussi. Il y a des gens qui ont des postes internes de conseillers, que ce soit des conseillers

juridiques, des conseillers politiques, des conseillers informatiques, etc. » (P13). Pour d’autres, faire

carrière ou être professionnel se définit par la rémunération : « Je n’ai pas envie de dire professionnel

enfin si on peut dire professionnel parce que dissocier un parcours de mandat politique d’un parcours

professionnel, ce n’est pas possible. Il s’intègre parfaitement dans le parcours professionnel parce

qu’on est payé » (P9). Enfin, d’autres propose l’idée que l’on est professionnel dès le moment où on est

depuis longtemps présent en politique : « Il y en a qui font carrière chez Ecolo. Il y a des gens qui font

une vraie carrière chez Ecolo […] Si on appelle carrière rester longtemps quoi » (P4). La description

de « faire carrière » est équivoque, il est difficile de mesurer clairement la signification d’être « hors

sol » ou d’« être professionnel ».

Section 2 - Les dispositifs mis en place

Lorsque le mandat politique s’arrête, Ecolo met en place deux types de dispositifs pour aider ses

(ex) parlementaires à la reconversion. D’une part, il existe un système de circulation d’offres d’emplois.

D’autre part, lorsque la reconversion est difficile, le parti propose à l’ex-parlementaire un travail sous la

forme de bénévolat. Plus précisément, l’ex-parlementaire se verra proposer un contrat de travail à la fin

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de ses indemnités en échange d’un travail bénévole pendant cette période. De cette façon, l’ancien

député pourra récupérer le droit47 au chômage. Cependant, il ne s’agit pas de la préoccupation principale

du parti car ce n’est pas dans sa « culture » et qu’il n’est pas « capable » de faire des « promesses ».

« Donc, c’est vrai qu’en 2014, je n’ai pas été réélue et le directeur général d’Ecolo m’avait appelée

pour savoir si j’avais besoin d’aide etc. Donc, il y avait une récolte des informations d’emploi, ces

offres d’emploi nous étaient communiquées » (P1).

« Il faut savoir que quand j’ai été réengagé par le parti, c’était de manière bénévole. C’est-à-dire

que comme j’avais des indemnités le parti ne me rémunérait pas. Cela voulait dire que pendant un

an, je travaillais gratuitement parce que j’étais indemnisé, mais après j’aurais été rémunéré

normalement dans la fonction. Cela était un peu le principe » (P2).

« Que fait Ecolo pour les gens qui sortent de charge ? Ecolo ne propose pas de parachute doré,

aucune garantie d’emploi. En général, en plus, Ecolo, c’est régulièrement des baisses, des

licenciements importants, donc forcément dans ces moments-là on ne peut faire de fleurs à personne.

Puis, on n’a pas de pilier non plus même si on est proche d’associations. En tant que pilier, on ne

peut pas recaser des gens, ce n’est pas dans notre éthique politique. Le service du personnel propose

des formations gratuites à toutes les sorties de tables. Des formations heu… à la recherche d’emploi

pour se reconvertir un peu, à la réorientation, un volet coaching aussi » (Directeur Politique, 2018).

Ces dispositifs, pour les (ex) députés ne sont, soit pas connus, soit insuffisants. Ils semblent

n’avoir que peu d’attente du parti.

« Par Ecolo, pas grand chose, on a juste eu une espèce d’entretien en disant : ‘est-ce que tu comptes

te représenter ? Pour toi, qu’est-ce qui va se passer ?’ Je n’ai eu aucune proposition mais moi je

suis sorti aussi de mon deuxième mandat lorsque les résultats avaient été très mauvais. C’était un

peu la catastrophe financière, ils en ont repéché un ou deux mais pas beaucoup et donc moi je

n’attendais rien d’Ecolo » (P10).

« La situation aujourd’hui c’est que vous êtes voilà… abandonné à vous-même. […] Je n’attendais

pas de copinage. […] Ils ne veulent pas être apparentés à du copinage et comme Ecolo a envie

d’être plus blanc que blanc, il a parfois envie d’avoir le comportement inverse. C’est-à-dire des

choses qu’il pourrait faire, il ne les fait pas de peur d’être pointé du doigt. Oui, il faut que l’on soit

‘hyper clean’ […] quand vous êtes dans le groupe, ça va, mais une fois que vous êtes à l’extérieur,

vous êtes moins utile » (P9).

Dans ce chapitre, il est possible de dresser des constats sur le positionnement du parti politique

par rapport à la carrière des parlementaires. Tout d’abord, le parti se dote d’un ensemble de règles qui

conditionnent l’expérience politique. Il convient, pour le parlementaire, de la voir comme un élément à

durée déterminée pour laquelle il n’est pas possible d’être un « professionnel ». Les statuts à cet effet

47 Les parlementaires ont un statut d’indépendant, au bout de neuf années ils perdent le droit au chômage.

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sont clairs, la limitation est fixée à deux mandats dans le temps. Cette règle est connue, pourtant elle

n’est pas respectée. Pour les députés, cette réglementation est floue et peu pertinente. D’une part, tous

n’ont pas la même compréhension sur la signification de « faire carrière » ou d’« être un

professionnel de la politique ». D’autre part, il est possible de déroger à la règle aisément. Ce serait

davantage la conjoncture électorale qui déterminerait la limitation des mandats dans le temps plutôt que

la règle en elle-même. Ainsi, pour faire face à cette dissonance cognitive (l’éthique vs le pragmatisme),

les parlementaires sont amenés à se réapproprier ces règles strictes en normes informelles. Une sorte de

jurisprudence semble prendre le pas sur la règle de base (la limitation de deux mandats dans le temps).

Ce qui importe n’est pas le nombre de mandats réalisés, mais bien de ne pas être « hors sol », de ne pas

« dépendre de la politique ». En d’autres mots, les députés doivent rester au contact du citoyen et ne pas

s’enfermer dans le monde politique. Autre constat, Ecolo met en place des dispositifs d’aide à la carrière

des parlementaires. Fort attaché à la bonne « gouvernance », le parti évite au maximum toutes formes

de « recasage ». Il n’y a pas de « matelas ». Ainsi, il informe les députés sortants des opportunités

d’emploi ou alors, il propose une forme de contrat de bénévolat qui leur permet de récupérer des droits

de chômage. Ce sont des procédures informelles cependant et les (ex) parlementaires considèrent que le

parti ne fait que peu ou « rien » pour eux. En d’autres mots, lorsqu’ils perdent leur mandat, les ex-

parlementaires ne sont pas la priorité du parti et sont voués à se prendre en charge eux-mêmes. Pour les

mandataires, la politique c’est : « une affaire personnelle », un « cheminement personnel » où il faut se

« prendre en main », une « question de résilience », ou encore ils sont alors « abandonnés à eux-mêmes ».

D’ailleurs, ils sont conscients qu’il n’y a pas ou peu de possibilités de rester au sein d’Ecolo lorsque la

conjoncture politique est défavorable.

CHAPITRE IV : Les caractéristiques et tactiques individuelles

Durant les entretiens, des caractéristiques individuelles (c’est-à-dire pouvant dépendre selon la

situation de chaque parlementaire) ont été mises en avant en tant qu’éléments déterminants pour les

trajectoires professionnelles et leurs évolutions.

Section 1 - L’âge

Tout d’abord, les parlementaires adaptent l’approche de leur carrière selon leur âge. Ils associent

leur aptitude à prendre des risques, et donc à s’investir en politique, selon qu’ils soient jeunes ou non.

Au plus un individu avance en âge au moins il pourra changer de trajectoire professionnelle ce qui est

pourtant, en théorie, inévitable chez Ecolo. Diverses raisons l’expliquent. La première, il est moins aisé

de reprendre des études à partir d’un certain âge, le marché de l’emploi est moins favorable aux individus

avec une expérience importante. La seconde, la situation individuelle ne permet plus de prendre des

risques importants (famille, emprunts…). Il en ressort une certaine frilosité soit pour s’investir en

politique soit pour la quitter lorsqu’une personne atteint un certain âge.

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« Moi quand j’ai été élu parlementaire, c’était en 2009. J’avais 31 ans. Quand j’ai perdu mon

mandat, j’avais 36 ans, … j’avais le temps de me retourner. J’étais jeune avec de l’énergie, mais le

temps passe. Imaginons que je sois élu aujourd’hui, j’aurais 41 ans plus 5 ans ça fait 46 ans. Après

c’est beaucoup plus difficile de trouver un job sur le marché de l’emploi quand tu dépasses les 45

ans. […] C’est clair que quand tu es jeune, tu t’en fous […] Je ne peux pas prendre les mêmes

risques que lorsque j’avais 22 ans où j’avais encore tout à écrire, … où je n’avais pas de situation.

Aujourd’hui, j’ai une maison à payer, j’ai des enfants, j’ai des emprunts. Voilà, il faut penser à ça,

c’est très prosaïque… […] Moi je savais rebondir, j’avais 35 ans. Mais je peux te parler d’autres

personnes que moi qui avais plus de 50 ans et qui avaient énormément de mal à rebondir » (P2).

« Moi à mon âge ce n’était plus reprendre des études à 55 ans, … je le savais. Mais voilà, pour des

plus jeunes de 35 ans, tout dépend comment chacun peut se développer à l’avenir et à partir de son

mandat » (P3).

Section 2 - L’étiquette

S’investir en politique est vu comme une prise de risques, car il est question d’être « étiqueté »

en tant qu’Ecolo ou d’ex-parlementaire. Cet étiquetage est porteur d’une potentielle « discrimination »

à l’embauche dans le futur, lorsqu’une personne désire quitter le monde politique rémunéré. Ils sont

tantôt considérés comme des personnes voulant à tout prix retourner en politique tantôt comme

surqualifiés.

« J’ai toujours perçu qu’il y a cette méfiance par rapport à quelqu’un qui vient d’un parti politique,

[…] il est décrédibilisé parce qu’il vient de perdre les élections. Et cela donne d’eux une mauvaise

image. Ils apparaissent comme des emmerdeurs : ‘Est-ce qu’on va réussir à le maîtriser ?’ Une

organisation, elle essaye de maitriser les travailleurs […]. Soit pour l’âge soit parce qu’il a été

parlementaire, … il y a un grand panneau où il est marqué emmerdeur avec une grosse flèche qui

descend vers lui » (P3).

« L’impression que j’avais quand j’allais me présenter c’était : ‘Pourquoi est-ce qu’un mec qui

connait autant de choses, postule juste pour un mi-temps, pour un emploi qui ne paie pas de mine ?

Il y a quelque chose de pas normal, de bizarre... Est-ce qu’il a envie de monter après dans la

hiérarchie ? […] c’est qu’il a une idée derrière la tête pour faire autre chose après, ou bien qu’il

va s’emmerder chez nous et donc ne va pas rester...’ » (P12).

Cette étiquette politique peut-être plus ou moins forte selon le comportement ou le métier de l’(ex)

parlementaire durant son mandat. Une personne avec des prises de positions franches et fortes sera plus

sujette à ce type de discrimination qu’une personne « discrète » en dehors du parti. Ainsi, le caractère

médiatique d’un individu peut influencer sa trajectoire professionnelle. Toutefois, être visible ou en

désaccord avec le parti en interne peut également avoir des incidences.

« Les gens, ils étaient toujours dans l’étape antérieure et c’était l’une des grosses difficultés. Les

lieux communs : ‘un homme politique, il a envie d’être politicien toute sa vie et fait tout pour y

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rester’ […] Par exemple, au CFIP, ils étaient ouverts et intelligents, mais les clients ne voulaient

pas d’un intervenant, car j’avais une étiquette politique, … j’avais été ministre […] Texto on m’a

dit : ‘on ne peut pas te prendre, on ne veut pas que le CNCD soit connoté Ecolo de manière aussi

directe’ » (P16).

« Moi, j’étais dans le radical avec une position assez forte sur certains sujets. […] Vous sentez

vraiment que ça ne va pas » (P9).

« Tu as des gens qui ne disent jamais rien, qui se plient aux règles du parti. Moi, quand j’avais

quelque chose à dire, je le disais et ça, ça coûte du point de vue de la carrière. Il vaut mieux

quelqu’un qui ne dit pas tout haut son désaccord plutôt que quelqu’un comme moi qui le disais »

(P2).

« Surtout que moi, j’étais députée parmi les 150. Je n’étais pas chef de groupe. Je n’ai pas été

extrêmement médiatisée. Je n’ai pas porté des dossiers cristallisants non plus […] J’étais une

députée plutôt discrète. Bien sûr, j’étais dans les médias, mais pas de manière folle non plus […] Je

n’ai pas mené des combats qui font que je suis persona non grata ou blacklistée » (P5).

Section 3 - Le capital social et le capital humain

Si le concept de capital social48 (Bourdieu, 1980) ou de capital humain49 (Guillard & Roussel,

2010) n’ont pas été abordés en tant que tel, ils ont, à plusieurs reprises, été sous-jacents lors des entretiens

sous différentes formes. Tout d’abord, d’un point de vue des compétences, certains ont eu des

expériences multiples (certaines plus sécurisantes que d’autres50) et d’autres exclusivement politiques.

Ainsi, le niveau d’études des (ex) parlementaires semble également influencer la trajectoire

professionnelle des individus. Le titulaire d’un master aura une autre conception des possibilités futures

que celle d’un bachelier ou d’un CESS. Ainsi, « la manière dont on atterrit après dépend de qui on était

avant ».

« J’avais la chance d’avoir le statut qui était une forme de sécurité. Je me suis dit : je vais me donner

quelque mois pour me construire un métier. A l’époque, j’avais déjà une expérience professionnelle

48 Selon Bourdieu, le capital social peut se définir comme : « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles

qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées

d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme

ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par

l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles »

(Bourdieu, 1980 : 2). 49 Pour Guilliard & Roussel : « Le capital humain d’un individu se définit donc surtout par les connaissances et

compétences que ce dernier maîtrise. Ces connaissances et compétences se sont accumulées tout au long de la

scolarité, au cours des diverses formations suivies et à l’occasion des expériences vécues (Fuente et Ciccone,

2002). On peut en distinguer trois composantes essentielles (Fuente et Ciccone, 2002) : les compétences

générales (alphabétisation, calcul de base, capacités d’apprentissage), les compétences spécifiques liées aux

technologies ou aux processus de production (programmation informatique, entretien et réparation des pièces

mécaniques) et les compétences techniques et scientifiques (maîtrise de masses organisées de connaissances et

de techniques analytiques spécifiques) » (Guilliard & Roussel, 2010 : 162). 50 Dans les entretiens, les acteurs faisaient référence au congé politique (des fonctionnaires ou de certains

professeurs).

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multiple. C’est quand même extrêmement important. Il est clair que ma position était plus facile

qu’un ex-parlementaire écolo qui n’a pas de diplôme de l’enseignement supérieur et qui n’a pas

d’expérience professionnelle autre que chez Ecolo. Il y en a eu des gens qui ont travaillé pour

Ecolo j51 ou pour Etopia52 … puis tu deviens parlementaire et tu n’as pas d’autre expérience

qu’Ecolo » (P16).

« Puis cela dépend du parcours que vous avez, si vous êtes haut fonctionnaire, que vous savez que

vous allez récupérer votre mandat, que vous savez que les instances politiques qui succèderont sont

de votre bord … c’est moins violent. Tandis que si vous êtes de milieu populaire et que pendant 15

ans vous vous êtes battu dans le cadre d’un idéal et avez fait des sacrifices ... ce n’est pas la même

chose, voilà ! Et donc, la manière dont on atterrit après dépend de qui on était auparavant » (P9).

Ensuite, pour sortir du monde politique, plusieurs (ex) parlementaires tentent d’augmenter leur

employabilité en reprenant des études ou en suivant des formations.

« Enfin, je veux dire que je n’ai jamais attendu qu’Ecolo me fournisse une porte de sortie, …ou

non. C’était comme ça ! Dans ma tête, comme c’était ma dernière législature, je me suis dit : ‘qu’est-

ce que je vais faire après ?’ Et j’ai entamé à ce moment-là un master en politique économique et

sociale en horaire décalé [durant le deuxième mandat] […] Par la suite, à la fin de mon troisième

mandat, je me suis dit, je vais donner cours à des adultes et j’ai fait un an de formation français-

langues étrangères » (P8).

Enfin, il y aurait deux types de parlementaires. D’une part, des individus avec un capital social

fort qui n’auraient pas de problème d’avenir. D’autre part, les parlementaires moins connus et dotés de

compétences politiques moindres.

« La politique vous avez le haut clergé et le bas clergé. Le haut clergé trouvera toujours où atterrir.

Le bas clergé devra trouver des solutions. Un curé de campagne aura plus de difficultés à se

51 « Ecolo j est une organisation de jeunesse politique reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui

s’inscrit dans l’objectif de formation de citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires. L’organisation

sensibilise les jeunes de 15 à 35 ans aux enjeux et aux valeurs de l’écologie politique, particulièrement en

matière culturelle, sociale, économique et environnementale. Elle se donne pour projet de les amener à s’en saisir

et à y adhérer de façon à pouvoir collectivement influencer la décision et l’agenda politiques, en vue de la

construction d’une société plus juste, plus solidaire, plus durable et plus ouverte aux jeunes » (Consulté le 7 août

2019 sur : http://www.ecoloj.be/content/ecolo-j). 52 « ETOPIA est un Centre d’animation et de recherche en écologie politique. Fondé en 2004, basé à Namur, notre

think tank rassemble des militants écologistes, des chercheurs-associés, des formateurs et des acteurs du

changement. Nos missions sont de trois ordre : un travail de prospective, un travail de formation et un travail de

mémoire. Nous publions de nombreuses analyses et études, nous éditons des livres et une revue. Actifs dans

l’éducation permanente, nous organisons des colloques, des conférences et de nombreuses formations. Nous

abritons également un centre de documentation et d’archives qui rassemble ce que l’écologie politique et les

mouvements environnementaux ont produit depuis plus de quarante ans. Enfin, nous fournissons une série de

services au parti Ecolo et mutualisons avec lui nos services techniques. Entièrement distinct de son service

d’études, nous sommes orientés “long terme et anticipation”, à l’écart de l’actualité. Nous sommes une passerelle

entre la société civile, la recherche, la militance et le travail politique » (Christophe Derenne, consulté le 7 aout

2019 sur : https://etopia.be/pourquoi-etopia/.

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reconvertir qu’un cardinal. Je vous dis ça parce que le clergé et la politique sont des choses

similaires » (P9).

« On sait qu’on est fragile comme député, sauf pour ceux qui sont dans les gros bastions, ou qui ont

une forte assise au niveau du parti, ou qui ont de bonnes capacités de négociation et qui peuvent

s’assurer d’avoir toujours la première place. Mais ça ne concerne qu’un petit nombre d’élus. La

majorité des élus sont quand même dans une situation de grande fragilité et on le sait en se

présentant et en étant élu. Pour la majorité d’entre nous, on sait que ce n’est pas à vie. Donc on ne

nous prend pas en traitre, mais il y a quand même toujours un discours du parti qui est de dire oui

nous sommes là pour vous aider, mais ça, ça n’existe pas en fait » (P14).

« Il y certaines personnalités qui pèsent au sein du parti parce qu’elles ont été ministres longtemps,

elles ont un réseau interne, voilà ce n’est pas une règle » (P3).

Dans ce chapitre, nous nous sommes intéressé à certaines caractéristiques individuelles pouvant

influencer la trajectoire professionnelle des parlementaires. Dans un premier temps, nous avons montré

que selon leur âge, les parlementaires modifient leur conception de la carrière et optent pour des

stratégies différentes. Ensuite, nous avons décrit le rôle d’un investissement politique sur la carrière et

son étiquetage. Ce dernier pouvant être plus ou moins fort selon la visibilité du politique. Enfin, le capital

social et le capital humain des (ex) parlementaires influencent la trajectoire professionnelle des

individus. Ainsi, selon leurs expériences et leurs niveaux d’études, leurs opportunités professionnelles

seront différentes. Certains parlementaires, pour quitter la politique, se forment à d’autres domaines ou

suivent à nouveau des études. Enfin, il existerait deux catégories de parlementaires : Ceux avec un

capital social fort au sein du parti, ayant un niveau élevé de compétences, et ceux avec des compétences

et un capital social moindres.

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CINQUIEME PARTIE : ANALYSE ET DISCUSSION

Cette partie a pour objectif de mettre en perspective nos données empiriques grâce à notre cadre

analytique pensé par Barley & Tolbert, (1997). Dans un premier temps, nous dresserons une analyse

contextuelle qui nous permettra de déterminer dans quel courant de carrière se situent les députés

écologistes, illustrant ainsi le « contexte of the global economic » vu par Cappellen & Janssens (2010 :

69053). Ensuite, nous définirons les scripts de carrière mobilisés par les députés écologistes et pour

chacun, leur capacité de guidance en lien avec leur expérience politique. Ces scripts de carrière seront

vus selon l’angle des représentations, mais aussi selon leur historique professionnel. À partir des scripts

de carrière, nous tenterons d’expliquer les stratégies opérées par les parlementaires. Ces dernières

mettront en lumière le concept d’enactment. Nous porterons également un regard critique sur les

mécanismes sociaux et réglementaires d’Ecolo. Ainsi, nous nous questionnerons pour savoir dans quelle

mesure ils apportent plus ou moins de représentativité dans les assemblées législatives. Enfin, nous

terminons ce travail en suggérant quelques recommandations et les possibilités pour des recherches

futures.

CHAPITRE PREMIER : Quelle approche des (ex) députés écologistes face à la

carrière ?

Dans ce chapitre, nous ne tentons pas de démontrer la véracité empirique de l’une ou l’autre

approche de la carrière, mais plutôt de déterminer le contexte dans lequel les (ex) députés écologistes se

trouvent.

Section 1 - Une conjoncture économique et politique propre à la carrière nomade

Les (ex) députés écologistes, à travers la mise à plat des données, ont montré une vision incertaine

de la carrière. En opposition forte à toute forme de planification et peu intéressés par l’aspect sécuritaire

de l’emploi, ils se laissent porter par les opportunités qui s’ouvrent et se ferment en fonction de la

conjoncture économique et politique. Il est question d’avoir de la « résilience », de ne pas « dépendre »

d’une organisation et surtout de faire valoir son idiosyncrasie. Les (ex) députés écologistes n’attendent

pas une relation à long terme là où la loyauté prime (Zeitz, Blau, & Fertig, 2009). Ils expriment d’ailleurs

relativement peu d’attentes. Leurs objectifs s’accordent surtout d’être à l’endroit où ils seront le plus

utiles en accord avec ce qu’ils sont. Pour eux, le marché de l’emploi a évolué et ils le mettent sur le

même pied d’égalité que celui de la politique. Ainsi, la politique et le marché de l’emploi sont perçus

comme deux continuums sur lesquels les mêmes réalités s’appliquent. Il n’est plus question de faire une

« carrière complète » tant le contexte politique et économique est incertain.

53 Cette analyse est visible à la figure 3.

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57

A l’image d’un fonctionnement balistique en physique, la trajectoire professionnelle, si elle est

partiellement déterminée par le capital humain et le capital social, reste fortement sujette aux imprévus.

De nombreux parlementaires ne s’attendaient pas à devenir un député. Plusieurs rappellent leur

étonnement de passer d’un statut de « fils d’ouvrier » ou de « femme au foyer » à celui de parlementaire

et de l’impact des opportunités sur la trajectoire professionnelle. Dans leurs parcours de vie, il y a de

nombreuses « bifurcations » biographiques (Levené & Bros, 2011 : 90), ils alternent différents statuts,

métiers et organisations, loin d’une conception prédictive. À tout moment, il est possible de « monter »

ou « descendre ».

Il ressort des interviews qu’il est possible de qualifier la carrière des parlementaires de

« boundaryless career » au sens de Arthur & Rousseau (1996) ou de « sans frontière » (Cadin, 2003).

Toutefois, il est nécessaire de relativiser cette affirmation en raison de deux éléments. D’une part,

certains parlementaires (P2, P11, P14, P15, P1654) sont majoritairement dans une logique du métier de

politique ou de leur précédente profession et sont ancrés au sein d’une institution - Ecolo. La critique de

Inkson (2012) reste pertinente dans ce cadre, si les frontières sont minces, elles n’en sont pas pour autant

absentes.

CHAPITRE II : Les scripts de carrière

Pour comprendre la double dimension cognitive et comportementale, ou sociologique et

psychologique selon Barley & Tolbert (1997), nous allons analyser, d’une part le parcours professionnel

des (ex) députés écologistes, et d’autre part, nous allons faire apparaître l’aspect cognitif des (ex)

parlementaires. Ainsi, nous dresserons une typologie des différents scripts de carrière, révélatrice de

leur représentation. Enfin, nous déterminerons les capacités de guidances des scripts et les stratégies.

Section 1 - Dimension comportementale des scripts

La figure 4 ci-après représente la dimension comportementale des (ex) députés écologistes. Dans

la même veine que Garbe & Cadin (2015), nous avons retracé le « parcours effectif » des travailleurs,

lequel permet de tirer plusieurs enseignements.

Force est de constater que les (ex) parlementaires écolos interviewés n’ont qu’une faible

propension à investir leur trajectoire professionnelle dans le secteur marchand. Leur parcours est

majoritairement ponctué par des expériences dans le secteur non marchand et/ou au sein du parti

politique Ecolo. De plus, on observe un niveau d’études élevé.

Par l’analyse du graphique, nous avons remarqué deux types de comportements : « le politique à

durée définie » et « le politique à durée indéfinie ». Le premier concerne des (ex) députés écologistes

54 Cette analyse est visible à la figure 4.

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qui se sont investis en politique (ETP55) pour une durée déterminée (parcours séquentiel). Cela signifie

qu’ils ont exercé une activité professionnelle en lien avec le parti sur une durée continue avec au

maximum trois expériences en tant que mandataire politique. Notons que deux d’entre eux ont entamé

des études supérieures ou diverses formations à la fin de leur troisième mandat. Le second type de

comportement cible des individus avec une carrière plus fragmentée (parcours alternatif). Dans cette

conception, ils alternent entre différents emplois politiques56 et non-politiques. Dans cette catégorie se

trouvent également les mandataires politiques de très longues durées. Il s’agit d’individus ayant réalisé

plus de trois mandats de manière ininterrompue. Voilà pourquoi nous avons identifié deux types

d’itinéraires : « le politique à durée définie » et « le politique à durée indéfinie ». Dans la section

suivante, nous allons analyser les représentations de ces itinéraires et construire des typologies.

55 Nous reprenons l’acronyme ETP (équivalent temps plein) pour cibler les individus dans une fonction

rémunératrice en lien avec le parti politique Ecolo à temps plein. 56 Par emploi politique nous entendons : un mandat, une désignation politique ou un contrat de travail en lien

avec un parti. Tandis que la notion de non-politique vise un emploi qui n’a aucun lien direct avec un parti.

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Figure 4 : Dimension comportementale de la carrière des (ex) parlementaires

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Section 2 - Dimension cognitive des scripts

« Le politique à durée indéfinie » considère qu’il est possible de travailler en politique durant

l’ensemble de sa trajectoire professionnelle. S’il estime ne pas être un professionnel de la politique et

qu’il est important de respecter la limitation des mandats dans le temps, la politique reste leur domaine

de prédilection. Il s’agit en effet de l’environnement dans lequel il est le plus « utile ». Ce script est

privilégié par les individus « passionnés » par la politique. Pour eux, il s’agit de l’endroit où ils peuvent

exercer au mieux leurs compétences, peu importe le métier. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux montrent

une certaine ambition politique : « Moi j’ai toujours trouvé qu’il était vraiment utile d’être dans l’action

donc, de ce point de vue-là, j’étais candidat ministre » (P11). Au sein de cette catégorie « Le politique

à durée indéfinie », il est possible d’identifier deux types de représentations : les « experts » et les

« passionnés ».

« Les experts » ont un capital social fort, ils disposent d’un réseau important. Ils font partie du

« haut clergé ». Sans trop de difficulté, ils pourront retrouver un emploi, car ils connaissent « beaucoup

de monde » : « Oui, mais cela ne m’inquiète pas, j’ai beaucoup de contacts » (P11). « Les experts » ont

une « forte assise au niveau du parti » et de « bonnes capacités de négociation », ce qui leur permet

de « s’assurer d’avoir toujours la première place ». Ils ont réalisé plus de deux mandats et peuvent

revendiquer des positions au sein du parti. Légitimés et dotés d’une expérience politique conséquente,

les règles s’appliquent moins fortement à eux. Ils sont localisés dans les « gros bastions »

(circonscription électorale de taille importante avec une sociologie territoriale favorable). Ce sont les

« plus en vue », les « plus talentueux ». Les experts peuvent faire de la politique « à vie ».

Indépendamment des résultats électoraux du parti, ils y gardent un emploi : « C’est pour cela que j’ai

saisi la balle au bond de m’occuper du parti. Le parti avait vraiment besoin d’être relancé, car on avait

fort perdu les élections » (P11). Cependant, ils ne sont pas opposés à l’idée de retourner dans le monde

de l’entreprise ou à celle de créer une société, car ils considèrent avoir acquis suffisamment de

compétences : « maintenant, je suis considérée comme une grande spécialiste des politiques de santé

en Belgique » (P15). Les experts ne sont pas en position de « fragilité » mais ils ne représentent qu’un

« petit nombre d’élus ». À ce titre, ils n’estiment pas dépendre directement de la politique.

« Les passionnés » font quant à eux partie du « bas clergé ». Ils ont un capital social et un capital

humain moins forts que les « experts ». Quand la conjoncture politique est mauvaise, ils subissent la

« sélection naturelle » et sont obligés de quitter le monde politique contre leur gré. Par conséquent, leur

trajectoire professionnelle est davantage morcelée, en alternant différents statuts : sans emploi,

indépendant, travail bénévole pour le parti afin de récupérer des droits, employé dans le secteur

marchand et non marchand. Il s’agit d’individus qui n’arrivent pas à valoriser suffisamment les

compétences acquises en dehors du monde politique. D’ailleurs, c’est dans cette catégorie que l’on

retrouve les personnes avec le niveau d’éducation le moins élevé. Dès que possible, ils tentent de

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récupérer un mandat politique indépendamment du niveau de pouvoir : échevin, parlementaire. Ainsi,

ils voient leur carrière professionnelle au plus près du parti. L’âge est un facteur qui les pousse à

développer des stratégies. Au plus ils avancent en âge, au moins ils se sentent capables d’être valorisés

sur le marché de l’emploi : « La fin de ma carrière m’oblige maintenant de devoir développer des

stratégies […] alors que j’ai joué les choses de manière très collectives pendant toute la première partie

de ma carrière politique […] En tout cas, à avoir une part de stratégie individuelle plus forte que ce

qu’elle a pu être » (P14). Parallèlement, cette conception corrobore le caractère médiatique de ces

individus, qui occupent des postes plus visibles et ont des positions politiques « radicales » :« Moi

j’étais dans le radical avec des positions assez fortes sur certains sujets » (P9). Enfin, ce sont des

individus qui n’ont pas un statut leur permettant de prendre des congés politiques ou d’assurer leurs

« arrières » : « Puis cela dépend du parcours que vous avez, si vous êtes haut fonctionnaire et que vous

savez que vous allez le récupérer… » (P9). Les individus qui mobilisent ce script n’ont pas exercé

plusieurs mandats consécutivement, bien qu’ils se soient projetés dans la durée. Les « passionnés » sont

conscients de ne pas faire partie des « intouchables » et qu’ils ont des capacités de travail moins

importantes que les « experts » : « moi j’entendais quand même que mon travail soit moyennement

apprécié dans les hautes instances par Isabelle Durant, Jacky Morael,… Faut savoir écouter et entendre

cela. Je n’étais pas un Nollet, un Daras ou un Cheron. J’étais un deuxième, voire un troisième couteau,

ça moi je crois qu’il faut savoir l’entendre » (P10). Les « passionnés » connaissent un nombre important

d’employeurs durant leur carrière contrairement aux « experts ». Il est également intéressant de

remarquer que dans notre étude, il s’agit d’hommes exclusivement.

« Le politique à durée définie » ne voit pas, dans ce second itinéraire, la politique comme une

finalité. Il n’est pas question d’y faire carrière. Pour lui, c’est essentiellement un moyen de faire valoir

« ses valeurs » à un moment donné. La politique se serait « mise sur leur chemin » et ne serait qu’une

étape dans un parcours plus général. Contrairement au « politique à durée indéfinie », le cheminement

politique n’est pas pensé, mais surtout porté par les aléas. D’ailleurs, il n’est pas concevable de rester

en politique longtemps, car ils sont attachés à la limitation des mandats dans le temps. Il y a un vrai

sentiment de devoir quitter le monde politique après une certaine période. Ils sont satisfaits des

expériences acquises et vivent bien leur départ de la politique, car c’est un milieu « épuisant » et

« violent » : « donc, dans la vie privée, c’est très compliqué. J’ai accueilli la défaite personnelle en 2014

comme étant une chance de me relancer professionnellement dans tout autre chose et de mettre une

parenthèse sur cette carrière politique qui est une implication compliquée qui demande énormément de

temps physique, de disponibilité mentale aussi » (P5). Ce sont des parlementaires « discrets ». De cette

seconde représentation, il ressort deux scripts de carrière distincts : « les opportunistes » et « les

vocationnels ».

« Les opportunistes » sont des individus en recherche constante d’opportunités : « Eh ben voilà,

l’opportunité s’est faite et j’ai mis les doigts dans l’engrenage qui a duré 23 ans finalement, 8 ans

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d’attaché plus 15 ans parlementaire […] J’étais onzième donc il y avait limite rien qui me prédestinait

à siéger et pourtant, on a eu 14 élus à cette époque-là et j’étais parmi ces élus, vraiment pas de

préférence » (P8). Ce sont les individus avec les carrières les moins construites proactivement. Pour

autant, il convient de les voir comme sécuritaires. Il s’agit d’individus qui disposent, soit d’un statut leur

octroyant une assurance « retour vers l’ancien employeur » (par exemple dans la fonction publique), soit

ils ont une employabilité élevée. S’ils considèrent leur employabilité insuffisante parce qu’ils ont passé

« trop de temps en politique », ils recommenceront des études ou des formations à la fin de leur troisième

mandat : « Il faudrait me recaser quelque part dans le parti, sans que ça soit mon choix ? Je ne veux

pas cette situation […] Moi j’ai 42 ans, c’est ma dernière législature, ça fait 20 ans que je suis

professionnellement dans la politique. C’est le moment de préparer ça ! […] Donc, finalement je me

suis portée vers un bac en comptabilité » (P7). Ce sont des individus qui valorisent peu leur expérience

politique en dehors de la sphère d’Ecolo. Ainsi, ils ne sont ni dans une logique de métier, ni dans une

logique de secteur car ils dissocient fondamentalement les deux expériences (avant et après la politique).

Au fil des opportunités, ils peuvent être tentés de mobiliser le script des « experts », mais ne disposent

pas de suffisamment des compétences ou de la reconnaissance nécessaire pour asseoir cette

représentation, raison pour laquelle, ils font parties des individus sujets à des comportements

opportunistes, mais ne réalisent qu’une seule dérogation.

« Les vocationnels » se différencient des « opportunistes » par leur militantisme. La politique

représente une arène dans lequel ils peuvent faire valoir leurs valeurs. Leur désir est de faire avancer les

« choses » indépendamment du lieu dans lequel ils peuvent exercer leur emploi : « Je la vois comme un

passage obligé [la politique] pour faire avancer les choses qui me sont chères, mais si ce n’est pas via

la politique, je pense qu’être au sein d’une ONG57 comme Green Peace, c’est aussi un outil essentiel

pour faire avancer les choses qui me sont chères » (P5). Leur passé ou leur conception future de la

carrière est ancré dans une forte idéologie : « j’ai travaillé quelque temps au Drapeau Rouge qui n’existe

plus aujourd’hui, qui était le journal du parti communiste […] et si j’ai quitté ce métier, c’est qu’il était

temps de m’engager autrement » (P13). Ces individus, qui sont capables de valoriser leurs compétences

acquises, rencontrent peu de difficulté à la sortie d’un mandat. S’ils ne choisissent pas délibérément

d’arrêter la politique, les « vocationnels » n’y voient pas un problème majeur. Pour eux, l’important est

de continuer à faire vivre leurs valeurs.

Section 3 - Un environnement faible

Les scripts peuvent être forts ou faibles selon l’environnement dans lequel ils se situent. Ils

seront plus ou moins prescripteurs de l’action individuelle. Pour rappel, un environnement faible se

caractérise par de « l’incertitude », de « l’imprévisibilité » et de « l’ambiguïté » alors qu’un

environnement fort sera « prévisible » et « intelligible » (Cadin et al., 2003). Au plus l’environnement

57 Organisation non-gouvernementale

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sera faible, au moins le script de carrière sera « guidant » et demandera à l’individu un investissement

cognitif important pour faire sens de la situation (de sa carrière). Lorsque l’on regarde l’environnement

du parti politique Ecolo, nous pouvons observer un grand nombre de variables qui rendent la trajectoire

professionnelle incertaine : la volatilité électorale, la taille du parti, la circonscription électorale, la

visibilité (ou étiquette politique), le capital social, le capital humain, l’évolution du cadre législatif, les

statuts du parti, la décentralisation du pouvoir, la participation du parti au pouvoir et l’âge. Il semble

cohérent de qualifier cet environnement de faible.

Pour faire face à un environnement faible, les individus sont amenés à réaliser du « self

organizing », ce qui s’associe au processus d’enactment dans notre théorie (Cadin et al., 2003). Ce

phénomène est observable lors de l’analyse des représentations des (ex) parlementaires. En effet, si la

règle de base prévoit une limitation de deux mandats dans le temps, cette norme s’est vue transformée

de deux manières. La première, une conception plus générale, consiste à ne pas être « hors sol ». En

d’autres termes, il n’est plus question d’exercer un certain nombre de mandats, mais de rester au contact

avec le citoyen. Cette norme est majoritairement mobilisée par le script « le politique à durée indéfinie »,

et demande un investissement cognitif plus important. La deuxième représentation se base sur

l’institution d’une jurisprudence. Il convient non plus de se limiter à deux mandats consécutifs, mais à

trois. Ainsi, cette représentation finit elle-même par être contraignante. Les individus, même s’ils le

pouvaient, s’autolimitent à trois mandats et sortent volontairement du métier. Cette seconde norme est

essentiellement mobilisée par les individus avec le script « le politique à durée définie ». Notons que les

(ex) parlementaires peuvent mobiliser ces deux types de représentations. Cependant, l’une tend à primer

sur l’autre. Ces deux représentations sont communément admises, car elles répondent au paradoxe de

« faire participer le plus d’individus possible au pouvoir » et de « disposer de suffisamment d’expertise »

pour faire « survivre » le parti. On observe donc bien une forme de négociation entre l’institution, les

individus et le caractère dynamique de la relation « structure » et « agence ».

Ecolo, de par sa politique des carrières des parlementaires, rend cet environnement d’autant plus

incertain. D’une part, la politique de limitation des mandats dans le temps n’est pas strictement

contraignante. Les individus peuvent effectivement se voir octroyer des dérogations. D’autre part, le

parti ne définit pas ce qu’est « un professionnel de la politique ». Les individus n’en ont pas une

représentation univoque. Lors des entretiens, il est ressorti trois manières de qualifier ce « statut » :

nombre de mandats réalisés, le fait d’être rémunéré et le temps passé en politique. De plus, nous

remarquons un biais cognitif lorsque les parlementaires se projettent dans leur carrière. Au début de leur

mandat, les parlementaires se réfèrent à cette limitation de deux mandats ou trois mandats, soit entre dix

et quinze ans. Dans cette perspective, ils considèrent devoir mettre en place des stratégies de

reconversions à partir du second mandat. Or, en moyenne, les députés écologistes restent en fonction

sept ans. De plus, il ne serait pas possible d’organiser une alternative à l’expérience politique pendant

le premier mandat :

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« Quand moi, je me suis projeté, je vais faire deux mandats. C’est dix ans et donc à la fin de mon

deuxième mandat je vais me préparer à une sortie. Or, chez Ecolo on fait en général un mandat. Et

donc vous vous investissez pleinement et vous n’êtes pas réélu. Vous ne vous y attendiez pas ! Il y a

très peu de députés qui sont préparés à la sortie. P8 par exemple a fait trois mandats et dans son 3e

mandat elle a investi du temps pour suivre des cours du soir en comptabilité en se disant je vais me

réorienter. Il faut du temps, le premier mandat ce n’est jamais le mandat pendant lequel vous pensez

à vous préparer à la sortie, jamais … » (P9).

À l’inverse, les individus ayant réalisé plusieurs mandats peuvent plus facilement se réorienter, car les

étapes sont plus claires. Le nombre de mandats réalisés consécutivement semble jouer un rôle positif

sur la transition professionnelle.

Enfin, l’organisation instaure peu de dispositifs pour assurer la continuité des carrières hors de sa

sphère et elle est contre toutes formes de « recasages ». Pour l’institution, la carrière relève de la

responsabilité individuelle, bien qu’elle prône des valeurs collectivistes. Ce paradoxe va pousser les

individus à adapter des stratégies plus individualistes et des efforts cognitifs plus importants.

« C’est pour ça que j’étais favorable de m’être formée pendant mon troisième mandat parce que je

trouve que trois, c’est quand même une espèce de cycle et là aussi, il faut arrêter l’hypocrisie. On

ne peut pas préparer sa reconversion et être full militant de toutes les soirées organisées par

l’associatif plus toutes les réunions Ecolo en soirées plus les AG et tout ça. Ce n’est pas vrai. Moi,

je peux suivre mes cours parce que j’ai décidé de ne plus aller aux AG. C’est l’un ou l’autre ! »

(P7).

Section 4 - L’influence du script sur l’orientation de l’action individuelle

Selon le script mobilisé, les actions individuelles seront plus ou moins prescrites que ce soit

d’un point de vue comportemental ou cognitif (Garbe & Cadin, 2015). Lorsque nous regardons à nos

données, nous pouvons déterminer trois types de guidance : relatif, faible et très faible.

Les scripts « vocationnels » et « opportunistes » offrent une vision de la carrière la plus guidée.

Tous deux ne déterminent pas la durée de la présence de l’acteur en politique, mais assurent une

continuité de la carrière. Ils réalisent une nette différenciation entre l’expérience politique et non

politique. Ils savent que leur carrière politique est une étape parmi d’autres. Ainsi, les « vocationnels »

et les « opportunistes » ne tentent pas de revenir en politique lorsque leur carrière s’est achevée. Ils

savent vers quoi ils pourront se tourner à la fin de leur mandat. Pour les « vocationnels », il s’agit d’aller

vers des organisations avec une configuration « missionnaire »58 (Pichault & Nizet 2013: 51). Tandis

58 « Le terme ‘missionnaire’ se réfère à la problématique de buts : ce type de configuration se caractérise en effet

par une nette prédominance des buts de missions – à savoir ceux qui concernent les clients de l’organisation – sur

les buts de systèmes […] il conduit les travailleurs à adhérer aux buts de l’organisation et à s’impliquer fortement

dans son fonctionnement. Cette implication se réalise donc grâce aux valeurs plutôt que par des gratifications

matérielles » (Pichault & Nizet, 2013 : 46).

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que les « opportunistes » auront tendance à retourner vers leur ancien métier qui sont des organisations

avec une configuration « mécaniste » parfois appelée « bureaucratie » (Pichault & Nizet, 2013 : 47, 51).

Le script de carrière des « experts » tend à moins contraindre l’action individuelle. Leur

présence en politique est moins soumise aux règles du parti et leur capacité à se « recaser » est plus

forte. Toutefois, ils savent que leur carrière politique reste sujette à l’approbation des militants. Ainsi,

ils n’ont pas une vision déterminée du temps à passer en politique contrairement aux « vocationnels »

et aux « opportunistes ». De par leur statut, ils auront tendance à rester en politique (notamment grâce

au soutien des militants).

Enfin, les « passionnés » ont un script de carrière qui contraint l’action individuelle très

faiblement. Ce sont les acteurs qui subissent le plus l’incertitude. Contrairement aux experts, ils ont une

faible emprise sur la volatilité électorale, il leur est plus difficile d’avoir une place stratégique sur les

listes électorales et ils se situent dans des circonscriptions électorales moins favorables. Ils sont moins

en capacité de valoriser leurs compétences en dehors de la sphère Ecolo : « Ce n’est pas toi qui décides

de mettre fin, c’est un tiers dans un contexte pas évident parce que tu ne l’as pas choisi » (P16). Ce sont

les individus qui tentent de revenir en politique, ils essayent ainsi d’y garder un « pied » : « mais en

terme de politique classique, j’ai fait un choix qui s’est avéré perdant. Choix politique classique, cela

veut dire toujours avoir un pied quelque part pour se remettre » (P16). Cette catégorie d’individus a le

plus tendance à être en crise personnelle lorsqu’ils retourneront sur le marché de l’emploi et ils prendront

plus de temps pour se reconvertir. D’ailleurs, ce sont les « passionnés » qui utilisent les dispositifs du

parti, et ce bien qu’ils les considèrent non pertinents et inadaptés. De cette façon, ils doivent fournir un

effort cognitif conséquent pour faire sens de la situation, car ils sont régulièrement amenés à transiter

par différents environnements. Ils expriment une incompréhension de la société à leur égard, une forme

de décalage. Dans ce cas-ci, la société tend à contraindre l’individu à porter son intérêt professionnel

vers la politique.

« J’avais vécu le meilleur et tu construis autre chose. Les gens, ils étaient toujours dans l’étape

antérieure et c’est l’une des grosses difficultés. Les lieux communs, un homme politique il a envie

d’être politicien toute sa vie et il fait tout pour y rester. Ok ? Ça, c’est un lieu commun. Moi j’aurais

voulu continuer, j’ai perdu quelque chose. Je me suis dit ok c’est comme ça, je fais autre chose. Les

gens restent calés dans l’étape antérieure. La majorité des gens ne comprennent rien à la

politique […] Les gens imaginent que tu ne peux rien faire, que de retourner dans un mandat

politique puisque tu es fait pour ça. Les mêmes personnes vont te dire : il ne faut pas faire ça toute

sa vie, mais c’est normal qu’ils le fassent. Il y a une forme de paradoxe » (P16).

Dans ce chapitre, nous avons montré les quatre scripts de carrières mobilisés par les (ex) députés

écologistes : « les experts », « les passionnés », « les vocationnels » et « les opportunistes ». Si tous se

situent dans un environnement faible, la capacité de guidance de leur script peut différer. Pour rendre

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nos propos plus intelligibles, nous avons établi un tableau récapitulatif des différents scripts avec leurs

sources d’influences.

Tableau 3 : Les scripts de carrière

CHAPITRE III : Discussion, recommandations et recherches futures

Section 1 - Une analyse qui pose question

Dans notre analyse, nous avons différentié les scripts de carrière des (ex) députés écologistes

grâce à l’article Barley & Tolbert (1997). Nous avons montré dans quelles mesures ils prescrivaient

l’action individuelle en mobilisant les concepts théoriques de Garbe & Cadin (2015). De cette façon, il

a été possible de déterminer plusieurs types de stratégies : avoir un capital social fort, garder un « pied »

en politique, se former, passer à d’autres niveaux de pouvoir, assurer son retour vers son ancien métier,

chercher du travail dans des ONG « proches », déménager dans une circonscription électorale plus

favorable, être « discret », avoir une posture plus individualiste avec l’âge, justifier les dérogations

(influencer les représentations du parti face à la carrière), être un spécialiste dans un domaine, ne pas

dépendre de sa situation personnelle, se lancer comme indépendant, avoir une vision claire de la fin de

son expérience politique. Les rôles de l’agence et de la structure ont également été définis. Nous avons

aussi mis en lumière le phénomène de l’enactment à travers notre analyse empirique sur les

transformations des représentations du « professionnel de la politique ». Cependant, nous désirons

apporter un regard réflexif face à certains enjeux et certaines problématiques organisationnelles ou

sociétales observées.

Pour rappel dans ses statuts, Ecolo souligne son attachement à la démocratie : « Ecolo lutte de

façon permanente pour une démocratie réelle et participative » (Art.2 des statuts). Pour y répondre,

l’organisation a instauré des règles, notamment la limitation des mandats dans le temps et le décumul.

Pourtant, nous avons montré que les (ex) parlementaires écologistes n’ont pas une représentation

univoque du « professionnel de la politique ». De plus, nous avons mis en relief une similitude dans les

trajectoires professionnelles des (ex) parlementaires écologistes. Ceux-ci ont effectivement un parcours

essentiellement marqué par le monde non marchand et/ou politique. Ces tendances nous invitent à nous

poser les questions suivantes : « Existe-t-il un lien de cause à effet entre le risque de s’investir en

Parcours politique

Expérience en politique

Niveau d'étude

Elu à d'autres niveaux de pouvoir

Circonscription électoral

Capital social

Ambition

Etiquette politique

Reconversion

Travail cognitif

Marge de manœuvre

Guidance du script

Oui Oui Non Non

Très fort Fort Fort Fort

Fort Fort Faible Faible

Fort Relatif Relatif Relatif

Fort Relatif Relatif Relatif

Relatif Faible Fort Fort

faible Très faible Relatif Relatif

Fort Relatif Fort Fort

Fort Fort Faible Faible

Fort Très Fort Fort Fort

Alternatif (interne) Alternatif (interne et externe) Séquentiel Séquentiel

Fort Relatif Relatif Relatif

LE POLITIQUE A DUREE INDEFINIE LE POLITIQUE A DUREE DEFINIE

Les experts Les passsionés Les opportunistes Les vocationnelles

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politique et la faible propension des citoyens issus du monde marchand à s’investir chez Ecolo ? Les

politiques internes du parti ne favorisent-elles pas l’essor d’une certaine population avec des

caractéristiques similaires (statut sécurisant et employabilité élevée) ? En d’autres termes, les

parlementaires écologistes sont-ils représentatifs de la population belge, de leur électorat ou des

individus capables de s’investir en politique ? Les citoyens belges sont-ils égaux pour accepter ou

refuser ce script ? L’article de Dandoy, Decker, & Pilet (2007) peut à ce titre apporter des pistes de

réflexion. Dans l’étude quantitative, l’article confirme notre approche de la carrière sur les profils

sociologiques des parlementaires en Belgique francophone. En tout cas, comme le disait Barley (1989),

c’est bien aux chercheurs de répondre à ces questions : « researchers need to verify that differently

structured careers, in fact, sustain differently ordered institutions. The crucial question is whether

certain types of careers are more frequently associated with different institutional forms » […] « In fact,

to fully chart the articulation of careers and social institutions, analysts must eventually look beyond

even relations of production to the family, to religion, and to the structure of communities. The

structuration perspective would therefore admonish career theorists to extend their purview to the very

fortunes of society itself » (Barley, 1989 :57 ; Glaser, 1968 : 15 cité par Barley, 1989 : 59).

Ensuite, les (ex) parlementaires écologistes ont fait montre d’une incohérence organisationnelle

entre le fonctionnement collectif du parti et l’absence de gestion collective de leurs carrières.

Indépendamment des questions soulevées au paragraphe précédent (auxquelles il ne nous est pas

possible de répondre), deux questions restent en suspens : « En dehors d’une limitation des mandats

dans le temps et du décumul, est-il possible de rendre la démocratie plus « réelle » et plus

« participative » au sein des assemblées (c’est-à-dire augmenter le taux de rotation des élus) ? Est-il

possible de rendre le fonctionnement du parti et de la politique de gestion des carrières plus cohérente ?

Section 2 - Des perspectives de réponses

Au regard de nos analyses, il nous semble pertinent de poser l’hypothèse59 suivante : « en

professionnalisant la gestion des ressources humaines, la lisibilité des scripts sera plus forte et favorisera

les transitions de carrière ». Selon nous, rendre le script plus intelligible aux individus permettrait, d’une

part de mieux appréhender la fin de l’expérience politique, et d’autre part de permettre à plus d’individus

de s’investir en politique. En d’autres mots, il s’agirait de favoriser les transitions professionnelles sous

un prisme collectif et de les organiser. Dès lors, nous posons les cinq recommandations suivantes :

1) Donner une définition du « professionnel de la politique » univoque : en clarifiant cette notion, les

individus pourront anticiper les étapes de leur carrière. Le nombre de mandats à réaliser sera moins

soumis à l’interprétation individuelle. Ainsi, la carrière des parlementaires dépendra moins des aléas

59 Notre recherche a une portée exploratoire. Il n’est donc pas concevable de se baser uniquement sur nos

recommandations. La vérification de cette hypothèse devrait faire l’objet d’une autre recherche.

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de la conjoncture politique puisque l’individu deviendra capable d’anticiper l’échéance de son

mandat.

2) Instaurer des entretiens de carrière : au vu du caractère complexe et imprévisible de l’expérience

politique, les entretiens de carrière peuvent être utilisés à titre de prévention. Par exemple, au regard

des caractéristiques individuelles et contextuelles (nombre de mandats réalisés, sondages, perte des

droits de chômage à la fin du second mandat, changements législatifs, etc.), il s’agirait de sensibiliser

les députés quant à leur avenir professionnel.

3) Organiser des comités de carrière : les comités de carrière viseraient, en concertation avec

l’individu, à définir un plan de carrière. Ainsi, ils détermineront si la suite professionnelle se

réalisera à l’interne ou à l’externe du parti. En fonction des éventualités, l’organisation pourra

prévoir des moyens de développer l’employabilité de l’individu (formations, etc.) en vue

d’améliorer sa transition professionnelle.

4) Formaliser les mesures d’accompagnement de départ : si certaines mesures existent déjà

(communication des offres d’emploi, travail bénévole au sein du parti, etc.), celles-ci ne sont pas

connues et ne concernent pas l’ensemble des parlementaires ("Je n’ai pas de diplôme… Pour

pouvoir répondre à une offre d’emploi, il fallait chaque fois avoir un bachelier ou un master […]

la politique telle qu’elle est perçue par Ecolo, c’est un travail académique » (P9)). Formaliser les

dispositifs et les communiquer seraient le moyen d’améliorer les transitions professionnelles et de

les adapter à chaque public.

5) Créer une carte métier : ce dispositif a pour objectif d’exposer les possibilités de transition de

carrière sur base de l’expérience politique et non-politique de l’individu. Les députés auraient une

meilleure connaissance des différents emplois à l’interne du parti ainsi que des métiers ou

institutions au sein desquels ils pourraient valoriser leur expérience professionnelle.

Section 3 - Une recherche partielle

Nous souhaitons rappeler le caractère qualitatif et exploratoire de notre recherche. Notre travail

doit effectivement faire face à plusieurs limites. Bien que nous ayons identifié plusieurs types de scripts,

notre analyse se base sur 19 entretiens. Notons que l’ensemble de ces entretiens se sont déroulés avant

les élections de 2019, ce qui peut induire un certain biais. En effet, un réel enjeu s’est constitué au sein

d’Ecolo du point de vue de la carrière des parlementaires. Au cours de la période précitée, le parti

profitait d’une conjoncture politique favorable, certains parlant même de « vague verte ». Or, une

variation des résultats électoraux a une incidence sur la manière dont est organisée la gestion des

ressources humaines du parti, que ce soit au niveau des mandats ou des effectifs internes. Ces interviews

ont été réalisées dans une seule organisation et sur un seul corps de métier. De plus, nous n’avons pas

rencontré de députés européens ou germanophones. A ce stade, il serait intéressant d’élargir notre étude

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à d’autres statuts politiques (les membres d’un cabinet ministériel, les employés d’Ecolo, les

mandataires politiques, à d’autres niveaux de pouvoir, etc.) ainsi qu’à d’autres formations politiques.

Force est de constater la pertinence de la critique de Laudel, Bielick & Gläser (2019) lorsqu’ils

remettent en question la capacité des chercheurs à prendre en considération l’agence et la structure.

Durant cette recherche, nous avons effectivement eu tendance à davantage prendre compte les

phénomènes d’agence. De plus, nous avons centré notre travail essentiellement sur la limitation dans le

temps et peu sur la règle du décumul.

Il est également utile de rappeler notre proximité avec notre terrain de recherche. Nous sommes

effectivement militant et nous avons été candidat aux élections de mai 2019. De surcroît, nous avons

participé à l’Académie Verte durant 2018-2019. Dans ce travail, nous avons volontairement omis un

facteur : l’influence de l’Académie Verte sur les trajectoires professionnelles. En effet, c’est un

programme de formation d’une année instauré par Ecolo afin de préparer les futurs cadres du parti. Ce

cycle de formation a été créé en 2007 et par conséquent aucun de nos intervenants n’y a participé. Or, il

est probable que ce type d’organisme joue un rôle sur la socialisation des individus et donc sur les

carrières. Comme nous l’avons décrit, le capital social, dans un environnement politique, semble prendre

un rôle prépondérant. Raison pour laquelle, il pourrait être fructueux de poursuivre notre recherche sur

l’influence de ce type de programme.

Pointons aussi que notre étude ne porte que sur un élément de la démocratie représentative : les

parlementaires. Comme l’a décrit Touraine (1989), de nombreux autres enjeux la sous-tendent et

l’influencent. Manin (2012) lui parle : « un système complexe, formé de plusieurs éléments » (Manin,

2012 : 332). De plus, si nous proposons des moyens de faciliter les transitions professionnelles dans le

but de rendre la démocratie plus représentative, est-ce vraiment un objectif louable ? Car, comme

Herman De Croo le dit : « On doit prendre garde à ne pas aller vers un Parlement où plus personne

n’aura la mémoire des faits. On réduit la force de la représentation populaire par la rotation excessive

des élus. Les gens ne connaissent pas leurs élus. L’élu ne connaît pas ses électeurs et n’a pas de contact

avec eux et puis, c’est impossible d’avoir une expérience utile après trois ou quatre ans60 ? ».

La validité de nos recommandations peut être remise en cause. D’une part, elles se basent sur une

hypothèse non validée. D’autre part, le fonctionnement interne d’un parti politique pourrait ne pas être

compatible avec une formalisation des pratiques de gestion des carrières. A ce titre, il pourrait être utile

de réaliser une analyse de cohérence des conventions RH et de la configuration organisationnelle

d’Ecolo (Pichault & Nizet, 2013). Dans une moindre mesure, les travaux de Crozier et Friedberg pour

60Martin Bruxant, 6 avril 2018, Herman De Croo : « C'est une vie de chien », consultable sur :

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/federal/herman-de-croo-c-est-une-vie-de-chien/9999400.html

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réaliser une analyse stratégique de l’organisation d’Ecolo pourraient permettre de mieux comprendre les

enjeux de la carrière politique (par exemple le système d’action concret du processus de dérogation).

Nous encourageons également des études futures sur l’influence des règles internes des partis

politiques (limitation des mandats dans le temps, décumul, etc.) et sur les capacités des citoyens à

s’investir en politique. Un des prolongements possibles serait d’utiliser le concept des ancres de carrière

développé par Schein (1996). Les ancres de carrière permettraient de faire des liens entre les raisons

pour lesquelles les individus s’investissent en politique et leurs caractéristiques individuelles. Ainsi, il

serait possible de savoir si un individu ne s’investit pas en politique à cause de son ancre ou s’il est

question d’un problème de transition de parcours ou de valorisation des compétences.

Enfin, il pourrait être intéressant de réaliser des études sur la discrimination due à l’appartenance

politique et d’observer dans quelles mesures elles déterminent les trajectoires professionnelles. D’après

notre analyse, la discrimination politique semble effectivement pousser les individus à entretenir des

stratégies centrifuges vers le monde politique. A ce titre, l’ouvrage Outsider de Becker (1963) pourrait

être une entrée en matière à cette recherche.

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71

CONCLUSION

L’objectif de cette recherche était de comprendre comment les parlementaires écologistes

francophones conçoivent et gèrent leur carrière professionnelle face au décumul et à la limitation des

mandats dans le temps. Pour atteindre ce but, nous avons analysé le discours des acteurs et utilisé une

méthode inductive. Afin de cerner les enjeux inhérents de la carrière et d’identifier notre cadre

analytique (les scripts de carrière de Barley & Tolbert (1997)). Nous avons ensuite construit une revue

de littérature. Par la combinaison de ces informations, nous avons pu réaliser un travail d’analyse, duquel

plusieurs constats et interprétations ont été dressés.

Tout d’abord, les députés écologistes ont un type de carrière nomade. Ils se situent effectivement

dans un environnement faible et exercent des efforts cognitifs importants. Cet environnement est rendu

plus incertain par l’« éthique » et la politique des ressources humaines d’Ecolo. Ensuite, nous avons

identifié deux itinéraires de carrière : « le politique à durée définie », « le politique à durée indéfinie ; et

quatre scripts de carrière : « les passionnés », « les experts », « les opportunistes » et « les vocationnels ».

Tous ont une représentation de la carrière différente et in fine adoptent des stratégies en fonction du

script mobilisé. Ainsi, certains individus tendent à avoir un comportement centrifuge avec la politique

et d’autres un comportement centripète en fonction de leurs représentations et caractéristiques

individuelles. À ce titre, nous avons souligné que les individus avec le script « les passionnés » sont

davantage en situation de difficulté lors d’une transition professionnelle. Sur base de ces analyses, nous

avons émis l’hypothèse qu’en rendant le script plus lisible, les trajectoires professionnelles seraient plus

sécurisantes, ce qui améliorerait le renouvellement des élus politiques. Ainsi, nous suggérons que les

règles visant à limiter la durée des mandats dans le temps et du décumul puissent être accompagnées par

une politique de gestion formalisée des carrières. Cette hypothèse devra être confirmée ou infirmée dans

des recherches futures. De plus, au regard des évolutions de la conjoncture politique et économique (la

moyenne d’âge des mandataires politiques diminue et l’âge de la retraite augmente), notre problématique

pourrait devenir de plus en plus prégnante.

Lors de nos discussions, nous nous sommes étonné des effets latents envisageables d’une telle

règlementation. Il semble en effet possible qu’une limitation des mandats dans le temps et le décumul

puissent favoriser l’essor d’une population avec un statut professionnel plus sécurisant : non marchand,

classe politique ou individus avec une employabilité élevée. L’objectif d’une démocratie « réelle » et

« participative », comme voulue par Ecolo, ne serait pas possible dans ce cadre. Pour terminer, nous

voulons rappeler le caractère non directif et exploratoire de cette recherche. Notre réflexion pourrait

servir à questionner d’une manière plus approfondie l’impact des règles (législation ou statuts d’un parti)

sur la carrière des parlementaires, ou encore notre typologie pourrait servir à identifier les individus les

plus sensibles aux risques de transitions professionnelles et enfin rappeler l’opportunité offerte aux

ressources humaines de prendre part, par la gestion, à des enjeux sociétaux.

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« Si un parti préfère la pureté de ses convictions à la prise de responsabilité, c’est qu’au fond il

ne croit pas lui-même en la force de ses convictions61 ».

Jacky Morael

61Bertrand Henne, 11 juillet 2019, L'Arc-en-ciel, 20 ans de rancœurs, consultable sur :

https://www.rtbf.be/info/article/detail_l-arc-en-ciel-20-ans-de-ranc-urs-bertrand-henne?id=10268334

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LISTE DES ILLUSTRATIONS

Section 1 - Les figures

Figure 1 : Évolution des résultats électoraux d’Ecolo en Wallonie depuis 1981 (Pascal Delwit 2019),

consultable sur : https://twitter.com/PDelwit/status/1139425194471239680/photo/1

Figure 2 : The Role of Career in the Structuring Process: the Barley Model (Barley 1989:

54 cités par Duberley et al. 2006 : 1134)

Figure 3: Globale careers as multiply referenced (Cappellen & Janssens, 2010, p. 690)

Figure 4 : Dimension comportementale de la carrière des (ex) parlementaires (création individuelle)

Section 2 - Les tableaux

Tableau 1 : Listes du nombre de députés par niveau de pouvoir et par parti (création individuelle)

Tableau 2 : Quelques fondements des Boundaryless careers selon Weick (Cadin, Bender & Saint-Giniez,

2003, p.39)

Tableau 3 : Liste des entretiens (création individuelle)

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Annexes

Annexe 1 : Le, la, un, une / les « politique(s) » ?

Le politique : « Le politique correspond à ma notion de ‘polity’ en anglais. Il désigne la dimension

politique d’une société, son ordre politique. Lui sont apparentées des notions anciennes comme la cité,

la ‘polis’, la république – du latin ‘res republica’, la ‘chose publique’-, la patrie, la communauté

politique ou le régime politique […] le politique est immanent à la société, c’est-à-dire qu’il est dans

celle-ci, grâce à trois fonctions qu’il assure : il promeut l’intégration sociale, assure un ordre social et

définit des finalités et des valeurs » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 30).

La politique : « La politique correspond à la notion de ‘politics’ en anglais et désigne l’ensemble des

activités politiques, la vie politique, la mobilisation des acteurs politiques, entendus comme producteurs

d’activités touchant au politique […] dans un sens étroit, ‘le plus politique du terme’, la notion vise

l’action d’un élu, d’un ministre, d’un chef d’État, ou d’un chef de parti d’opposition » (Balzacq,

Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 31).

Un politique : « L’expression ‘un politique’ désigne avant tout un type particulier d’acteur politique,

un professionnel de la politique, entendu au sens restreint du terme en, équivalent de ‘political man’ ou

‘polician’, en anglais, c’est-à-dire un ‘homme ou femme politique’, ‘un politicien’ (Balzacq,

Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014: 32).

Une politique / les politiques : « Une politique, substantif singulier, équivaut à la notion de ‘policy’ en

anglais. L’expression désigne communément une ligne de conduite ou un programme plus ou moins

intégré d’actions guidées par des principes et des objectifs. Il peut s’agir, par exemple, de la politique

de l’emploi proposée par tel parti. Mais également de la politique de recrutement ou des ressources

humaines d’une entreprise […] De façon encore plus pointue, dans un sens encore plus spécialisé, ‘les’

politiques peuvent être conçues en science politique comme les produits, les ‘outputs’ fournis par le

système politique sous une forme d’actions et de décisions » (Balzacq, Baudewyns, Jamin, Legrand,

Paye & Schiffino, 2014: 33-34).

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Annexe 2 : Continuum et imbrication entre société civile, monde politique et système global

Source : (Balzacq,Baudewyns, Jamin, Legrand, Paye & Schiffino, 2014 : 39).

Annexe 3 : Organisation interne du parti

Source : document reçu à l’Académie Verte.

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Annexe 3 : Répartition des résultats électoraux par commune à la chambre en 2019

Source : Pascal Lorent, 7 juin 2019, Le scrutin du 26 mai a (un peu) rebattu les cartes pour les partis

francophones, consultable sur : https://plus.lesoir.be/229246/article/2019-06-07/elections-2019-les-

tops-et-les-flops-des-partis-par-commune-carte-interactive.