Les « Minerais du conflit », comme la cassérite et le coltan, alimentent la guerre en République démocratique
du Congo, et se retrouvent à l’état transformé dans nos tablettes et téléphones portables.
A l’autre bout de la chaîne, les usines d’assemblage sont loin d’être exemplaires en matière de respect des
droits des travailleurs.
Face à cette situation, FairPhone, une entreprise sociale néerlandaise, a pris le pari de faire de la commercia-
lisation d’un smartphone un outil de changement.
Le 4 juin 2013, FairPhone1 atteignait son objectif : en seule-
ment trois semaines, plus de 5.000 personnes avaient pré-
commandé leur nouveau smartphone en ligne. Ce « crowdfun-
ding » a permis à l’organisation d’éviter le recours à de gros
investisseurs, et de maintenir son indépendance, pour lancer la
production du premier téléphone se voulant le plus équitable
possible. Les clients ont payé 325 € pour un appareil qui leur
sera livré en décembre de cette année.
Pendant 3 ans, FairPhone a mené des campagnes de sensibi-
lisation sur les conditions d’extraction et le trafic des minerais
de la guerre en RDC, ainsi que sur les conditions de travail
dans les usines de fabrication en Chine.
Puis, les responsables du projet ont voulu démontrer qu’il était
possible de produire et de commercialiser un smartphone tout
en ayant des préoccupations éthiques, sociales et environne-
mentales. Ils voulaient un produit qui fonctionne comme cata-
lyseur pour changer la façon dont nos tablettes et GSM sont
fabriqués.
Pour Bas Van Abel, à l’initiative du projet : « Même si l’intention
première est d’inspirer le secteur et non de le concurrencer, la
meilleure manière de faire avancer les choses est d’offrir une
alternative. Le FairPhone, n’est peut-être pas encore complète-
ment équitable, mais ce sera le plus équitable au monde ! Dans
le même temps, il sera un instrument politique devant pousser
les consommateurs ainsi que les fabricants et les décideurs
politiques à l’action. »
Selon Massimo Banzi, Co-fondateur et PDG d’Arduino,
leader en hardware open-source : « Fairphone touche un
point important dans l’industrie électronique que
personne ne veut aborder : l'origine de nos produits. »
FairPhone veut jouer la carte de la transparence. La société a
publié la liste des sous-traitants associés au projet, ainsi que
le détail des coûts de fabrication de l’appareil. Dommage que
l’on ne puisse pas voir la part du prix revenant aux ouvriers de
l’usine d’assemblage ou aux creuseurs dans les mines.
Une partie importante des métaux dans nos appareils électro-
niques - on parle notamment des trois « T » : tantale, étain (tin
en anglais) et tungstène - provient directement des zones de
conflit de l’Est de la République démocratique du Congo, où
les mines sont généralement contrôlées par les chefs de
guerre locaux. Une situation qui avait poussé les Etats-Unis à
légiférer. La loi Dodd Franck, adoptée par le Congrès en 2011,
oblige en effet les entreprises américaines à communiquer sur
les chaînes d’approvisionnement, à préciser l'origine des mi-
nerais afin de garantir que leur achat ne finance pas les
groupes armés en RDC.
Particulièrement visé : le coltan, un minerais de grande valeur
dont on extrait le tantale, un métal « stratégique » indispen-
sable à l’industrie aéronautique, aérospatiale et de défense
(réacteurs, missiles, satellites, etc). Y avoir accès est un enjeu
géo-politique et la région du Kivu détient entre 60 et 80 % des
réserves mondiales.
Le tantale est utilisé dans la fabrication de condensateurs pour
les équipements électroniques. Il permet de rendre ces der-
niers plus petits et, dans le cas des smartphones, de dévelop-
per des designs ultra-fins.
Solutions for Hope
Pour l’approvisionnement en tantale, FairPhone s’est associé
au projet Solutions for Hope, lancé en juillet 2011 par Motorola
Solutions Inc., en collaboration avec AVX, un important fabri-
cant de condensateurs. Le coltan provient de mines sans
conflits de Mai Baridi, Kisengo et Luba, situées dans la partie
nord de la province du Katanga, en RDC. Ses condensateurs
portent des numéros de série et sont traçables jusqu'au produit
final. Aucune information n’est pour l’instant disponible quant
aux rémunérations et conditions de travail des creuseurs.
Conflict-Free Tin Initiative
Pour l’étain de la pâte à souder, FairPhone s'est associé à
l'initiative néerlandaise Conflict-Free-Tin (CFTI), qui a mis en
place au Sud-Kivu, en RDC, une chaîne de production d'étain
indépendante des groupes armés et contrôlée par une ONG
(Pact), le ministère des Affaires étrangères néerlandais et le
gouvernement congolais. Le projet, rejoint entre autres par
Philips, Tata Steel, Motorola Solutions, HP, Research In Mo-
tion (RIM) permet de créer des emplois.
Au début, à peine 100 creuseurs y travaillaient. Le site minier
offre maintenant des emplois à environ 1200 mineurs artisa-
naux dont le revenu a plus que doublé, passant de 2 dollars à
4, voire 6 dollars par kilo, en fonction de la qualité de l'étain et
Le FairPhone possède un processeur quadricœur MediaTek MTK6589 de 1,2
GHz, une mémoire vive de 1Go, un écran tactile de 4,3 pouces, un appareil photo
de 8 mégapixels au verso et un capteur de 1,3 mégapixel au recto.
Le système d’exploitation (OS) par défaut est l’Android 4.2 (Jelly Bean), annoncé
avec une interface utilisateur développée en open-source par Kwamecorp pour
réduire la consommation d’énergie. Les utilisateurs les plus avancés peuvent le
remplacer.
Le FairPhone propose un espace de stockage de 16 Go, extensible via des cartes
Micro SD, et la possibilité d’utiliser deux cartes SIM. Sa batterie de 2000 mAh est
amovible.
Autre caractéristique, concernant la santé des utilisateurs cette fois : l'indice DAS
(indice d’absorption spécifique – rayonnement magnétique), du Fairphone est
bas, avec une valeur moyenne de 0,318 W/kg. (pour l’OMS, la limite est de 2W/kg
au niveau de la tête et du tronc).
Cobalt et cuivre en route vers Lumumbashi © FairPhone Creuseurs à la Gécamines (RDC) © FairPhone
du prix mondial. Suite à l'augmentation des liquidités dans la
région, des petits commerces se développent. Les conditions
de travail et la sécurité se sont nettement améliorées, avec
l’achat de différents équipements : casques, bottes, pompes à
eau et pieux en bois pour stabiliser les galeries. 2
Vers du Cobalt équitable
En outre, Fairphone et ActionAid mènent une étude de faisabi-
lité pour la mise en place de conditions équitables pour l’ex-
traction et la commercialisation du Cobalt (utilisé dans les
batteries) du sud de la République Démocratique du Congo.
Les usines d’assemblage de nos téléphones ne brillent pas
par le respect des droits des travailleurs. Les conditions de
travail y sont souvent déplorables. On se souvient des
scandales « Foxconn », ce géant de l'électronique qui fournit
notamment Apple, devenu tristement célèbre pour les nom-
breux suicides de ses employés.
Pour son premier téléphone, FairPhone a choisi une usine qui
présentait à ses yeux les meilleures garanties en terme de
conditions de travail pour les ouvriers : A’Hong, une société
qui exploite des usines à Shenzen et Chongqing. L’entreprise
a accepté le principe d’ouvrir ses portes pour des audits régu-
liers (réalisés par un organisme indépendant : TAOS). Un
fonds social, réunissant travailleurs et management, devrait
permettre à terme de résoudre les problèmes révélés par les
audits et d’améliorer les salaires.
Cette démarche axée sur les audits sociaux, sans implication
réelle d’organisations représentant les travailleurs, a pourtant
ses limites, comme l’a très bien montré le drame du Rana
Plaza dans l’industrie textile au Bangladesh. Avant que le
bâtiment ne s’effondre, deux des entreprises présentes
avaient été auditées sur base du code de conduite de la
BSCI3, sans que ne soit relevée l’illégalité de la construction
du bâtiment. Au Pakistan, cette fois, l’usine Ali Entreprise pre-
nait feu en septembre 2012 en raison de manquements
graves à la sécurité. Elle avait pourtant été auditée par Kik
(magasin allemand de textiles bon marché) et était accréditée
SA8000.4
La durée de vie de nos GSM n’est pas très longue. Dès qu’un
problème survient nous les remplaçons par de nouveaux. Il
faut dire que nous ne sommes pas aidés par les fabricants,
qui les rendent parfois difficiles voire impossibles à ouvrir et
donc à réparer.
Batteries, mémoires, et même le système d’exploitation (OS)
du FairPhone pourront être changés, modifiés. Sa durée de
vie est estimée à 5 ans.
Outre la fabrication, FairPhone porte une attention à la fin de
vie des produits électroniques. Pour chaque téléphone vendu,
3 euros sont reversés à Closing the Loop, une association
visant à optimiser le recyclage des téléphones mobiles. Grâce
au projet de FairPhone, 100.000 GSM et batteries pourront
être retirées du Ghana et recyclées en Belgique.
Le chemin à parcourir est encore long, mais une partie de la
vision des initiateurs du projet « FairPhone » est déjà devenue
une réalité concrète. Reste, entre autres, à s’assurer de rému-
nérations équitables pour les creuseurs et ouvriers, ainsi qu’à
permettre une véritable organisation des travailleurs de l’usine
d’assemblage pour qu’ils soient en mesure de défendre réelle-
ment leurs droits dans un pays, la Chine, où c’est loin d’être
évident. Un challenge qui n’est pas encore remporté, mais qui
pourra faire du FairPhone un véritable produit équitable.
Recyclage de déchets électroniques. Urban mining © FairPhone
Notes :
1. Plus d’info : www.fairphone.com
2. Source : Conflict-Free Tin Initiative
3. Business Social Compliance Initiative - www.bsci-intl.org
4. Source : achAct, Bangladesh - Accord sur la sécurité des bâtiments. Que font
les entreprises belges ?, 17 juillet 2013.
Trade for Development Centre
Septembre 2013
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