ÉCONOMIE NUMÉRIQUE CONCURRENCE ÉQUITABLE

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MAISON de la CHIMIE, PARIS 7 E LE RENDEZ-VOUS DE LA RENTRÉE SUPERMARCHÉ TAXI TAXI CODE DU TRAVAIL HOTEL LE RENDEZ-VOUS DE LA RENTRÉE MARDI 18 SEPTEMBRE 2018 ÉCONOMIE NUMÉRIQUE & CONCURRENCE ÉQUITABLE ACTES VALIDÉS

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MAISON de la CHIMIE, PARIS 7E

LE RENDEZ-VOUS DE LA RENTRÉE

SUPERMARCHÉ

TAXI TAXI

CODE DU

TRAVAIL

HOTEL

LE RENDEZ-VOUS DE LA RENTRÉE

M A R D I 1 8 S E P T E M B R E 2 0 1 8

ÉCONOMIE NUMÉRIQUE & CONCURRENCE ÉQUITABLE

ACTES

VALIDÉS

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Remerciements

UngrandmerciàXavierBertrand,présidentdelaRégionHauts-de-France,ancienministreduTravail,del’EmploietdelaSanté,pouravoirhonorécecolloquedesaprésence,ChristianSaint-Etienne,économiste,professeurtitulairedelachaired’économieindustrielleauCNAM,co-présidentdel’Institutdel’iconomie,poursonallocution,ThierryGuerrier, journalistepouravoiranimé lesdébats,ainsique l’ensembledesintervenants qui, par leur expertise et leur contribution aux débats, ont concouru au succès de cettemanifestation.Cetévénementaégalementétérendupossiblegrâceàl’implicationetausoutiendesespartenaires:

AhTop(AssociationpourunHébergementetunTourismeProfessionnels)

Conservatoirenationaldesartsetmétiers(CNAM)

FédérationduCommerceetdelaDistribution(FCD)

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*Synthèsedesproposnonvalidéeparsonauteur(interventionliminaireetéchangesaveclasalle)

Sommaire

INTRODUCTIONChristianSaint-EtienneÉconomiste,professeurtitulairedelachaired’économieindustrielleauCNAM,co-présidentdel’Institutdel’iconomie...................................................1SESSION1Réglementation,régulationetéconomienumérique.................6KEYNOTESHuguesPerinet-MarquetProfesseurdedroitàl’UniversitéParisIIPanthéon-Assas............................7EmmanuelleClaudelProfesseuràl’UniversitéParisIIPanthéon-Assas,directriceduMasterDroiteuropéendesaffaires.................12TABLERONDEUnbesoindecouragepolitiquepourluttercontrelaconcurrencedéloyaleDidierChenet*,présidentduGNI-SYNHORCAT...............................................17VTC:unsecteuràreconstruireSayahBaaroun,.......................................19Unmanqued’égalitédanslesecteurhôtelierSergeCachan,présidentd’Astotel,présidentdel’AhTop(AssociationpourunHébergementetunTourismeProfessionnels)............................................21

DÉBATS........................................……..25SESSION2Fiscalité,législationsocialeetéconomienumérique......................29KEYNOTESMichelTalyAnciendirecteurdelaLégislationfiscaleauministèredesFinances,avocatfiscaliste.......................................30Dominique-JeanChertierPrésident-fondateurdeLuskan,ancienprésidentdePôleEmploi......................33TABLERONDEQuelbilandulégislateurfaceauxplateformes?ÉmilieCariou,députéedelaMeuse,vice-présidentedelacommissiondesfinances.........................................................35Remédieràladésertificationdescentres-villeGillesCarrez,députéduVal-de-Marne,ancienprésidentdelacommissiondesfinances........................................................37Appliquerlecritèredela”présencenumérique”MariettaKaramanli,députéedelaSarthe,rapporteurdelamissionsurlafiscalitédunumérique............................39

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SommaireImposerauxplateformeslerespectdelaloiLaurentGrandguillaume,anciendéputédelaCôte-d’Or,médiateuretrapporteuréponymedelaloirelativeàlasimplification,àlaresponsabilisationetlarégulationdesplateformesetdeschauffeurs(Taxis,VTC).............................................41Commentsoutenirlecommercededétail?,JacquesCreyssel,déléguégénéraldelaFédérationducommerceetdeladistribution(FCD)...................................43Contrelesdistorsionsdeconcurrence,letempspresse!PatrickHayat,fondateurdePatrickHayatHotels,administrateurdel’AhTop(AssociationpourunHébergementetunTourismeProfessionnels),présidentd’ESCPtourisme....................................................45

DÉBATS.............................................48CONCLUSIONChristianSaint-EtienneÉconomiste,professeurtitulairedelachaired’économieindustrielleauCNAM,co-présidentdel’Institutdel’iconomie................................................49CLÔTUREXavierBertrandPrésidentdelaRégionHauts-de-France,ancienministreduTravail,del’EmploietdelaSanté.........................51

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Animationdesdébats

Journaliste de télévision et de radio, Thierry Guerrier débute sa carrière en1981 sur France Inter, avant de rejoindre la télévision (France 5, M6, LCI...).Remplac antsouventdesprésentateurscommeYvesCalviàlate tedeCdansl’airou Patrick Cohen dans C à vous, il fut également chef du service politique àEurope 1 entre 2011 et 2012. En 2015, il anime sur La Chaîne parlementaireCauses Communes, une nouvelle émission qui aborde les grandes thématiquesqui préoccupent les citoyens. Il se consacre désormais à l’animationd’événementsinstitutionnels.

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Introduction

ChristianSaint-Étienne

Christian Saint-Étienne est un économiste, universitaire, analyste et hommepolitiquefrançais. Ilestprofesseurtitulairede lachaired’économie industrielleau Conservatoire national des arts et métiers depuis 2009. Il est conseiller deParisetconseillerd’arrondissementpourleXIearrondissementdeParisdepuisle30mars2014.Ilaétééluvice-présidentduconseildeParis le5avril2014etestdéléguénationalàl’économiedesRépublicainsdepuislacréationdupartienjuin 2015. Christian Saint-Étienne, titulaire de deux masters en scienceséconomiques (London School of Economics et université Carnegie-Mellon), asoutenuunethèsededoctoratd’Étatenscienceséconomiquesàlafacultéd’Assasetesttitulaired’undiplômedel’ESCPEurope.En1984,aprèssixanspassésauxÉtats-Unis, il devient administrateur à l’Organisation de coopération et dedéveloppement économique (OCDE) à Paris. De 1987 à 1995, Christian Saint-Étienneestconseilleréconomiquedeladirectionfinancière,puisaprèslekrachde 1993, contrôleur des engagements du Crédit lyonnais. En 1996, il fondeConseil stratégique européen SA, un cabinet de conseil spécialisé en analysestratégique des marchés et conseil stratégique pour les entreprisespatrimoniales. Christian Saint-Étienne a siégé au conseil d’analyse économiqueduPremierministrede2004à juin2012,dont il adémissionnéparoppositionaux mesures économiques du nouveau gouvernement sous la présidence deFrançoisHollande

ThierryGuerrierBienvenueàtous.Cecolloquederentréeseraconsacréàlaquestiondelaconcurrenceéquitable au sein d’une économie en voie de digitalisation. Je cède la parole àChristian Saint-Étienne, président de la première table ronde, pour introduire nostravaux.

onjourà tous.Enpréambule,je vous propose de procéderà une clarification majeure.Nous vivons une

transformation totale du système

économique, et observons dansl’économie numérique plusieursproblèmes de concurrence. Mais jem’attacherai dans cette introductionà distinguer l’économie numérique(ou des plateformes numériques) de

B

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la transformation totale du système,qui peut être décrite comme unerévolution de l’«iconomie». Cettedistinction est fondamentale pourcomprendrepourquoidesproblèmesseposentdansl’économienumériquedes plateformes, et pourquoi, parailleurs,noussaluonslesinnovationsdesNBIC.Généralement, l’économie dunumérique est vantée pour sesbienfaits dans notre vie future, ainsique pour sa croissance rapide dansun monde où tout serait gratuit. Enoutre, l’économie des plateformesserait pure parce que dominée pardes acteurs empreints de«gentillesse», alors qu’en réalité,nous découvrons des scandales dedétournement de données parFacebook,oulavolontéhégémoniquede Google et d’Amazon. Par ailleurs,les plateformes numériques nepaientpasd’impôts,etlesmillionsdelivreurs ou de conducteurs de VTCtravaillent sans protection sociale.Ainsi, selon les pages des journaux,l’économie numérique est-elleconsidérée comme merveilleuse oudétestable, même si la réussitefinancière des fondateurs etactionnaires de ces sociétés effacefinalementtoutescescritiques.Pourtant,cesplateformesréussissenttrèssouventparcequ’ellesnepaientni impôts ni cotisations sociales, cequimet en péril non seulement toutle système de protection sociale enEurope, mais aussi des pans entiersdesecteursquiserontremplacésparcette économie numérique. Il estdésormais possible, par exemple, dedélocaliser des acteurs locaux d’unterritoire en les remplaçant par destravailleurs de plateformes situésdans d’autres pays, ce qui modifie àl’extrême le paysage économique,puisquenonseulementlesacteursne

sontplus sur les territoires,mais lesprofitsnesontpasnonplustaxéssurces territoires. D’où l’importance dedistinguer l’économie numérique dela révolution «iconomique», dontellen’estqu’unesous-partie.Eneffet,larévolution«iconomique»correspond à la troisième révolutionindustrielle, faisant suite à lapremière révolution centrée sur lavapeur, et la deuxième surl’électricité. Cette troisièmerévolution industrielle concernel’informatique en général, et passeulement les plateformesnumériques, qui n’en sont qu’unsous-produit. Toutes ces révolutionssesontproduitesdans lesannées80de leur siècle (1780, 1880, 1980), etnous savons désormais grâce auxtravauxdeshistoriensetdesgroupesd’économistes du début des années2000 que nous bénéficions de deuxsiècles de transformationextraordinaire après 31 siècles destagnation du niveau de vie et del’espérance de vie. En effet, sur les33siècles d’histoire connue, 31 ontétémarquésparlastagnation,tandisque les deux derniers ont conduit àunessor trèsrapide,encoreaccélérépar la troisième révolutionindustrielle. Selon les statistiques dela Banque mondiale, qui décrit lespauvres comme ceux qui gagnentmoins de 2dollars par jour, laproportiondepauvresagrandementdiminué dans la population,s’établissant aux alentours de 20%,alorsqu’elle étaitdemeuréependant31siècles aux environs de 90 ou95%delapopulation.Ainsi,lesdeuxpremières révolutions industriellesontmultipliépar20leniveaudevie,etonttriplél’espérancedevie.Ilfautbien comprendre que ce sont lesrévolutions industrielles qui ontpermis ces transformations parce

“Généralement,l’économiedu

numériqueestvantéepoursesbienfaitsdansnotreviefuture,ainsiquepoursacroissancerapidedansunmondeoùtoutseraitgratuit.

Enoutre,l’économiedesplateformesseraitpureparcequedominéepardesacteursempreintsde«gentillesse»,alors

qu’enréalité,nousdécouvronsdesscandalesde

détournementdedonnéesparFacebook,

oulavolontéhégémoniquedeGoogle

etd’Amazon.”

CHRISTIANSAINT-ÉTIENNE

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que jusqu’à une période récente, etpendant une trentaine d’années enFrance, le mot «industriel» étaitdevenuuniformémentnégatif, cequia contribué d’ailleurs à ladéconstruction industrielle de notrepays, et donc à l’essor de tous nosproblèmes.Larévolution«iconomique»estunemutation totale, fondée surl’intelligence,l’informatique,internet,l’innovation, l’intégration desystèmes. Par exemple, lesconstructeurs d’avions oud’automobiles sont des concepteursde modèles et des intégrateurs surdes plateformes, qui réalisent 20 ou25% de valeur ajoutée dansl’entreprise. En réalité, tout le restecorrespond à des sous-parties quientrent dans les usines, et sontintégrées dans des systèmesinformatiques. Mais comme cettetransformation de l’informatique alieu dans l’économie habituelle, àsavoir celle qui paie des impôts, ilconvient nécessairement de ladistinguer des plateformesnumériques, qui n’en sont qu’unesous-partie. La transformation del’«iconomie» est ainsi unemutationscientifiqueet technologiqueàpartirdes progrès de l’informatique, del’internet et des logiciels en réseau,puis une mutation capitalistique etentrepreneuriale, puis une mutationorganisationnelle et unetransformation comportementale.Cette mutation de l’«iconomie» estaucœurdelaglobalisationmondiale.Elle pose aussi des problèmessociaux et politiques considérables,comme en témoignent les réactionspopulistes qui dénoncent les écartsde réussite et de niveaux de vie quela mutation en question provoqueentre ceux qui s’intègrent bien dansl’«iconomie» et ceux qui en sont

exclus. Pourtant, cette mutation estsouhaitable même si elle doit êtredominée, maîtrisée et conduite parunestratégieglobale,quin’existequetrès partiellement en France, etabsolument pas en Europe. Leproblème est que cette mutation del’«iconomie» est totalementdominée par la Chine et les États-Unis. En dépit de nos capitaux et denos excellents ingénieurs etentrepreneurseuropéenset français,nous sommes placés dans unesituationdedépendanceà l’égarddecesdeuxpays,etrisquonsdesubiràl’avenirundécalagedeniveaudevieconsidérable tout en devant obéiraux ordres donnés par lesentreprises chinoises et américaines.L’UE taitabsolumentcetenjeu-là,ouprend des initiatives ridicules. Eneffet, elle prévoit dans son prochainbudget d’investir 3ou 4milliardsd’euros sur l’intelligence artificielle,soit ce qu’investit une seuleentreprise chinoise. Nous nerespectons même plus l’ordre degrandeuradéquat.En outre, la transformation quirésulte de l’économie numériquepose toute une série de problèmesrelatifs à la concurrence fiscale etsociale entre les entreprises quipaient des impôts et des cotisationssociales,etcellesquin’enpaientpasdans les mêmes secteurs d’activité.En particulier, un certain nombred’entreprises de l’économie deplateformes hors sol utilisent larévolution de l’«iconomie» pourtransformer des secteurséconomiques.Par exemple,AirBnBaété fondée sur l’idée de la locationsaisonnière de très courte duréeréservée aux particuliers louant unepièce de leur appartement. MaisAirBnB travaille désormais demanière majoritaire en termes de

“Leproblèmeestquecettemutationdel’«iconomie»est

totalementdominéeparlaChineetles

États-Unis.”CHRISTIANSAINT-ÉTIENNE

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chambresoud’appartementsmisàladisposition de sa clientèle avec desloueursprofessionnelsquipossèdentplusieurs appartements, lesquelss’apparentent à des hôtels déguisés.Toutefois,ceshôtelsdéguisésnesontpas soumis à la réglementation dupersonnel, auxnormesanti-incendie,aux charges sociales et fiscales despersonnelsd’unhôtel.Il est donc très important de ne pasconfondre ces deux niveaux: larévolution «iconomique», à laquelleil ne sert à rien de s’opposer,puisqu’elle aura lieu inévitablement,mais pour laquelle il faut concentrernos capacités intellectuelles etfinancières avec pour objectif denousintégrer-cequenousnefaisonspas-,etl’économiedeplateformes,àlaquelle nous sommes totalementsoumis, et contre laquelle nousréagissions peu à cause de notrefascination pour les personnes quiont réussi dans ce secteur. Pourtant,leurcompétitivitévientd’uneidée,etnon de leurs innovationstechnologiques. Fondamentalement,ces plateformes sont couronnées desuccès parce qu’elles ne sont passoumises aux mêmesréglementations que les autresentreprisesdusecteur.Un sujet supplémentaire s’imposedans la question de la concurrencedes plateformes: en réalité, ellesopèrent dans un contexteoligopolistique. Deux oligopoless’opposent: d’une part, celui desGafam américains, et d’autre part,celui des Bathx chinois. Les cinqgrandes plateformes américaines etlescinqchinoisesreprésententàellesseules95%desgrandesplateformesmondiales. Elles s’appuient toutesdeux sur 1milliard de personnesenviron, réparties en Amérique duNord, en Europe occidentale, au

Japon et dans un certain nombre demétropolesdumondeémergentpourles Gafam, et sur le milliard deChinois pour les Bathx. Nouscommençons à assister en outre aucombat terrifiant qui aura lieu aucours des quinze prochaines annéesentre ces deux titans pour capter letroisième milliard de personnes enémergence, et dans tous les cas,l’Europe n’a eu ni la vision ni lacapacitéstratégiquedefaireémergerdes acteurs comparables à cesoligopoles; au contraire, elle estdemeuréetotalementabsente.Que faire alors à l’égard des Gafamqui captent de plus en plus dedonnées,aupointqu’ilsnesontplusrattrapables grâce à l’avance qu’ilsont acquise? La Commissioneuropéenne commence à y réfléchiravec quinze ans de retard, toutcomme les États-Unis qui sont, euxaussi,inquietsdecetteévolution.Lathéoriedelaconcurrenceproposedeuxpistescontredetelsoligopoles.Lapremière est de les contraindre àun partage des données avec lesautres acteurs. Mais cela poseénormément de problèmes, puisquele partage des données peutconcerner soit les données brutes,soit des données signifiantes déjàretravaillées par de l’intelligenceartificielle.Parailleurs,lepartagedesdonnéespardes interfacesconduitàréglementer par API (applicationsprogramming interface), et donc àdemander à chacun qu’il possède àl’avenir sa clé d’API. Mais le divorceentre les quelques spécialistes quisaurontutiliserleurclé,etlerestedela population ne ferait ques’aggraver.La seconde piste consiste à séparerles entreprises dans l’objectif decasser les titans. Il s’agirait, parexemple, de contraindre Facebook à

“Fondamentalement,cesplateformessontcouronnéesdesuccèsparcequ’ellesnesont

passoumisesauxmêmes

réglementationsquelesautresentreprisesdu

secteur.”CHRISTIANSAINT-ÉTIENNE

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revendreWhatsAppetInstagram.Enéconomie de marché, cette thèse dela séparation a plus de succès parceque le partage de données pose laquestion de l’indemnisation de celuiquidissémine lesdonnéesqu’ilavaitrecueillies.Aucontraire,danslapistede la séparation, la question del’indemnisation ne se pose pas. Unepersonne détentrice d’une action deFacebook se retrouverait alors avectrois actions distinctes et valoriséessans problème. Mais la maîtrise desoligopolesseraunsujetessentieldesdixprochainesannées.Ilétaitdoncfondamentald’expliquerque la mutation inévitable del’«iconomie» comprenait une sous-partie relative aux plateformesnumériques, qui opèrent hors sol

sans payer ni impôts ni cotisationssociales, et sans obéir aux diversesnormes et réglementations. Noussommes face à une mutationéconomique, politique et socialeabsolument majeure, et l’enjeu desquinze prochaines années pour nossociétés politiques sera de maîtrisercette mutation au risque d’êtretotalement submergées par cestransformations. J’espère donc quenous saurons les dominer et que cecolloque sera un élément clé quipermettra à nos sociétés politiquesde comprendre les mutations encours et d’aborder avec des idéesclaires toutes ces transformations. Jevousremercie.

“Noussommesfaceàunemutationéconomique,

politiqueetsocialeabsolumentmajeure,et

l’enjeudesquinzeprochaines

annéespournossociétéspolitiquessera

demaîtrisercettemutationaurisqued’êtretotalementsubmergéespar

cestransformations.”CHRISTIANSAINT-ÉTIENNE

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Session1Réglementation,régulationetéconomienumérique

ANIMATEURThierryGuerrierJournalisteINTERVENANTSSergeCachanPrésidentd’Astotel,présidentdel’AhTop(AssociationpourunHébergementetunTourismeProfessionnels)DidierChenetPrésidentduGNI-SYNHORCATEmmanuelleClaudelProfesseuràl’UniversitéParisIIPanthéon-Assas,directriceduMasterDroiteuropéendesaffaires

LaurentGrandguillaumeAnciendéputédelaCôte-d’Or,médiateuretrapporteuréponymedelaloirelativeàlasimplification,àlaresponsabilisationetlarégulationdesplateformesetdeschauffeurs(Taxis,VTC)HuguesPerinet-MarquetProfesseurdedroitàl’UniversitéParisIIPanthéon-Assas

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KeynoteHuguesPerinet-Marquet

Hugues Perinet-Marquet est professeur à l’université Panthéon-Assas etdirecteur du Centre de recherche sur la construction et le logement. Il estégalement directeur de la revue Construction-urbanisme et du jurisclasseurConstruction urbanisme. Il est membre du comité éditorial de différentesrevues juridiques (revue Defrénois, opérations immobilières, ingénierieimmobilière) et tientune chroniquededroitdesbiensà laSemaine juridique.HuguesPerinet-Marquetestprésidentde l’Association françaisededroitde laconstruction (AFDC), membre du conseil d’administration de l’EuropeanSociety for Construction Law (ESCL) et fellow de l’international Academy forConstructionLawyers.IlaétéconsultantauprèsdelaCommissioneuropéenne(DG III) et membre de diverses commissions de réforme législative dont, endernierlieu,cellesurlapublicitéfoncière.Ilprésidelegroupederecherchesurlacopropriété(GRECCO)duConseilnationaldesexpertsencopropriété.

ThierryGuerrierHuguesPerinet-Marquet, selon vous, le vrai problème est la concurrence sociale. Jevouscèdelaparole.

anscette intervention, jemeconsacrerai au secteurimmobilier, et plusprécisément aux locations

de courte durée (ou meublés detourisme) et à leurs impacts surl’économie et le logement. Cettequestion est intéressante parce que,contrairementàdenombreuxautressecteursdel’économienumériqueoùles plateformes rapprochent unprofessionneletunconsommateur(Bto C), elles mettent en contact, dansce domaine, deux particuliers (C toC), même si certains «C» setransforment insidieusement en

«B», les loueurs en meublésprofessionnelsn’étantpasrares.Par ailleurs, autre particularité,l’objet du contrat est un locald’habitation, qui n’est pas un biencomme un autre: sa rareté dans lesgrandes villes en fait un bien àpréserver, et ce local d’habitation sesitue souvent dans un immeublecollectif.Sonutilisationauradoncunimpact sur les voisins et lescopropriétaires, ce qui n’est pas unélémentnégligeableduproblème.Commentledroitprend-ilencomptela concurrence dans ce secteur? Lesrègles classiques de la concurrence

D

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commerciale ne s’y avèrent pas lesplus efficaces. En effet, le Code decommerce n’est pas très adapté: ledroit des ententes ne s’applique pasaisément et les abus de positiondominante restent à démontrer. Lameilleure preuve de cetteinadéquation est d’ailleurs lanécessité à laquelle le législateur aété contraint, dans le secteur destransportsdepersonnes,de recouriràun texte spécial, l’articleL420-2-2duCodeducommercepourrégir lesnouveauxopérateurscommeUber.L’action en concurrence déloyale,fondée sur l’article 1240 du Codecivil, est également d’un usagedifficilecarsesconditionsdemiseenœuvre (parasitisme, confusion avecl’entreprise ou désorganisation del’entreprise concurrente)s’appliquent imparfaitement dans ledomaineimmobilier,.Elle n’est cependant pas excluecommelemontreunarrêtdelaCourd’appel de Chambéry du24avril2018,quiindiqueque:«Silaliberté de la concurrence reste dansune économie demarché le principefondamental des rapportscommerciaux, chaque commerçantou industriel ayant la possibilitéd’attirer à lui la clientèle de sesconcurrents sans que cela puisse luiêtre reproché, cette liberté n’est pasabsolue, la recherche de la clientèlene devant pas observer uncomportementdéloyal. Tel est le caslors d’une captation de la clientèlepar des moyens déloyaux, à savoirl’exploitation d’un établissement nerépondant pas aux exigences de laréglementation, le non-respect decelle-ci entraînant une distorsion deconcurrence, notamment par le faitde ne pas supporter les mêmescharges et contraintes.» L’arrêt estd’autant plus intéressant qu’il

concernait des chambres d’hôtes,passéesdecinqàquinze,assortiesdeprestationsannexesquiapparentaientle logement à un hôtel déguisé.L’hôtelier pénalisé ayant pudémontrer une perte de chiffred’affaires a obtenu 70000euros dedommagesetintérêts.Cet arrêt montre que les juges sontprêts à s’adapter à cette nouvellesituation, même si sa solution nepeutjouerquedansl’hypothèseoùlalocationmeubléeserapproched’uneactivité hôtelière, ce qui est loind’êtrelecasdanstoutesleslocationsdecourtedurée.Lelégislateurlui-mêmeadoncvoulurapprocher les conditions de laconcurrence dans l’exercice del’activité en exigeant d’un certainnombre de loueurs de courte duréequ’ils prennent le statut social detravailleursindépendants.Mais le point le plus original, enmatière de meublés de tourisme,n’est peut-être pas, au regard de laconcurrence, l’aspect commercialclassique,maisplutôtl’existenceetlarèglementation d’une concurrencequant à l’utilisation de ces locauxd’habitation qui peuvent être autantdes logements que des meublés detourisme, voire les deux à la fois.Cettequestion centrale seraabordéesoustroisaspects.Tout d’abord, comment cetteconcurrence dans l’usage est-elleactuellement réglée par la loi? Lelégislateur a précisé dans l’article L631-7duCodedelaconstruction,telquemodifiépar la loiALURde2014,qu’une location de courte durée demoins de120 jours par andans unerésidence principale demeurait dansle secteur de l’habitation. Enrevanche, la location répétée(sachantqueleseuilderépétitionesttrès inférieurà120jours),d’unlocal

“L’objetducontratestunlocald’habitation,quin’estpasunbiencommeunautre:sa

raretédanslesgrandesvillesenfait

unbienàpréserver,etcelocald’habitationsesituesouventdansunimmeublecollectif.

Ainsi,l’utilisationdecelocalauraunimpactsurlesvoisinsetlescopropriétaires.”

HUGUESPERINETMARQUET

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autre qu’une résidence principaleoblige son propriétaire à obtenir,dans les villes de plus de200000habitants, une autorisationde changement d’usage temporaireou définitif. Ces limites, ne sont pasde nature à être allégées dans la loiElan, encore en discussion, qui, aucontraire, vise à règlementerdavantage les locations de courtedurée.La deuxièmequestion à se poser estdesavoirsicetteapprochejuridiqueserait susceptible d’évoluer dansl’avenir. Un adjoint de la mairie deParis , a proposé récemment d’interdire ce genre de locations danscertains arrondissements parisiens.Mais une telle possibilité dépend del’appréciationdelaconstitutionnalitéd’une loi qui serait prise en ce sens.En2014, aumoment de la premièreréglementation importante desmeublés de tourisme, le Conseilconstitutionnel, saisi par lesparlementaires, avait apporté deuxréponsesdifférentessurdeuxpartiesdistinctesdelaloi.Lapremièreconcernaitlapossibilité,pour les pouvoirs publics, desoumettre les locations de courtedurée à la règlementation deschangements d’usage, et dès lors, deles restreindre considérablement. Ils’agissait de savoir si cetencadrement ne portait pas uneatteintedisproportionnéeaudroitdepropriété puisqu’effectivement cesujet suscite un conflit entre deuxdroits qui possèdent, chacun, unevaleur constitutionnelle: le droit depropriété et le droit au logement.Finalement,leConseilconstitutionnelles a conciliés en indiquant qu’: «Ilest loisible au législateur d’apporterauxconditionsd’exercicedudroitdepropriété des personnes privées deslimitations liées à des exigences

constitutionnelles justifiées parl’intérêt général à la condition qu’iln’en résulte pas d’atteintedisproportionnée au regard del’objectif poursuivi.». et en ajoutant«Compte tenu de la pénurie delogements destinés à la location, lelégislateur a poursuivi un objectifd’intérêt général . Toutefois, leConseil constitutionnel ne disposepas d’un pouvoir générald’appréciation et de décision demêmenaturequeleParlement.Donc,ilneluiappartientpasderecherchersi le but visé par le législateurpouvait être atteint par d’autresmoyens».Cet arrêt laisse une marge demanœuvre qu’il est difficiled’apprécierenraisondurecoursà lanotion, somme toute vague, deproportionnalité. Il serait cependantsans doute possible, pour la loi, deréduire encore la possibilité deproposer des locations de courteduréedansdeslogementsautresquelarésidenceprincipale.La jurisprudence récente montre,d’ailleurs que les meublés detourisme peuvent difficilements’abriter derrière ce contrôle deproportionnalité.Ainsi, lemêmejour(5juillet2018), la Cour de cassationet la Cour d’appel de Paris ont,chacune, refusé de poser unequestion prioritaire deconstitutionnalitésur lemontantdesamendes encourues par ceux quiviolent la législation. La Cour decassation précise, notamment, quecette amende «ne paraît pasmanifestement disproportionnée auregardde l’objectifde luttecontre lapénurie de logements destinés à lalocation.».La troisième questionconsiste à sedemander comment faire respecterl’équilibre voulu entre les deux

“Lajurisprudencefaitapparaîtreunenettetendanceversdessanctionsplus

sévèresparcequelephénomènes’est

développéetquelesjugessontsansdoutedeplusen

plusconfrontésàcegenrededifficultés.”

HUGUESPERINETMARQUET

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objectifs concurrents quesontl’habitation d’une part et lesmeublésdetourismed’autrepart?Seconstate, de ce point de vue, unenettetendancedelajurisprudenceauprononcé de sanctions plus sévèressans doute parce que devant ledéveloppement considérable deslocationsdecourtesdurées,lesjugesontprisconsciencedesenjeux.Ainsi,tant la Cour d’appel de Paris que laCour de cassation ont parfaitementadmis la possibilité, pour descopropriétaires,d’agireux-mêmesenviolation de l’article L-631-7. Demême, dans plusieurs arrêts de maiet juin2017, laCourd’appeldeParisa très fortementremonté lemontantdes amendes retenues en premièreinstance, en les faisant passer de2500ou3000eurosà15000,voire25000 euros, afin de les rendrevraimentdissuasives.Par ailleurs, le législateur a inscritdans la loiElan,actuellementdevantla commission mixte paritaire,l’obligation, pour les plateformes, de

déclarer les locations faites parchacun en l’assortissant, en cas denon-respect, d’amendes importantes,pouvantatteindre50000euros.Laconcurrenceentreleshôtelsetlesmeublés de tourisme est, ainsi,rééquilibrée essentiellement par desdispositions latérales qui visent àmaintenir un nombre suffisant delogements sur le marchés. Il s’agitdonc,enuncertainsens,d’uneformeefficace d’outsourcing du droit de laconcurrence.THIERRYGUERRIERVousnousexpliquezdoncquefaceauC qui, insidieusement, devient B, ilexiste déjà un arsenal juridique etque la jurisprudence évolue dans cedomaine, à la lumière del’appréciation socialede cette réaliténumérique.

“Fairerespecterdansdenombreuxcasle

choixconcurrentielenfaveurdel’habitation

conduiraàunrééquilibragedela

concurrencecommerciale,c’est-à-

direàuncertainoutsourcingdudroitde

laconcurrence.”

HUGUESPERINET-MARQUET

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KeynoteEmmanuelleClaudel

Emmanuelle Claudel, professeur agrégée de droit à l’Université Paris IIPanthéon Assas, enseigne le droit de la concurrence, le droit européen desaffairesetledroitdessociétés.ElledirigeleM2dedroitdesaffairesdel’Unioneuropéenne.Depuissondoctorat,sesrecherchesontprincipalementportésurles pratiques anticoncurrentielles, leurs sanctions et les procédures ditesnégociées. Elle a publié de nombreux articles et chroniques en droit de laconcurrence, et participé à plusieurs ouvrages collectifs. Elle a par ailleurscorédigé l’ouvrage L’application en France du droit des pratiquesanticoncurrentielles(LDGJ2008).Elleestégalementconsultanteetmembredel’Associationfrançaised’étudesendroitdelaconcurrence(AFEC).

ThierryGuerrierEmmanuelleClaudel,quelleestvotreanalysedelasituation?

e vous remercie de m’avoirinvitée à ce colloque. Commevous le savez, les pouvoirspublics et les autorités de

concurrencenesontpasdéfavorablesau commerce numérique. Aucontraire, il est considéré commeunfacteur de croissance offrant denombreux avantages auxconsommateurs (accessibilité desproduits, possibilité de comparer lesprix, facilité de l’acte d’achat, prixplus bas éventuellement). En outre,les plateformes numériques sontréputées soutenir fortementl’innovation puisqu’elles dépensentdes sommes colossales en R&D.Cependant, cette approche favorableaseslimites.Uneméfianceestnéedel’utilisation massive des données, à

laquelle lesautoritésdeconcurrenceont commencé à réfléchir. Parailleurs, de nombreuses pratiquescommerciales déloyales émanentmaintenant de ces plateformes,dénoncées aussi bien par leschauffeursdetaxitraditionnelsoulessociétés hôtelières que par degrandes entreprises telles que DartyouVirgin,quiadûdéposerlebilan.Jenetraiteraidanscetteinterventionquedesproblèmesliésauxpratiquestarifaires des plateformes decommerceélectronique,doncsurtoutà la questiondes prix bas. Je signaleque le droit de la concurrence n’aaucune hostilité à l’égard des prixbas. Au contraire, on considère dansle jargonéconomiquequeledroitdela concurrence accorde beaucoup

J

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d’attention au surplus duconsommateur. Or, les pratiquescommerciales qui ont pourconséquencede fairebaisser lesprixprofitentauxconsommateurs,cequele droit de la concurrence regardeavec bienveillance. En revanche, latolérancedevientméfiancelorsqueleprix est anormalement bas. Dans cecas, l’anormalité du prix pourrajustifieruncontrôleautitredel’abus,et même interroger sur la nécessitéd’unevéritablerégulationdusecteur.Il existe aujourd’hui un climatfavorable à une action des pouvoirspublics et des autorités deconcurrence. On ne donnera deuxdeuxillustrations.Enpremierlieu,lasociété prend conscience que desprix très bas peuvent désorganiserun secteur. D’où la loi surl’Agriculture et l’Alimentation, quimodifie le seuil de revente à pertedans ce secteur, afin d’aboutir à desprix un peu plus élevés, et quiencadre les promotionscommerciales.Lafinalitédutexteestde préserver la filière agricole, etprobablement de redonner auconsommateur l’idéede cequ’estunjusteprix.En second lieu,, existe depuisquelques années une volonté decanaliser le pouvoir de marché desplateformes numérique. Entémoignent les deux affaires Google,entreprise qui a subi deux lourdescondamnations en juin2017(2,43milliards d’euros d’amende),puis en avril2018 (4,34milliardsd’euros d’amende). Ces puissantesplateformes numériques brassentcertes des chiffres d’affairesconsidérables, mais les lourdesamendesqui lesmenacentde lapartdes autorités de concurrencecommencentàlesinquiéterunpeu..D’autres contentieux sont très

intéressants, notamment celui qui aopposé les hôteliers et lesplateformes hôtelières. Là encore, ledroit de la concurrence, par le biaisdu droit des ententes, a stigmatisécertaines clauses dites de paritétarifaire, introduisant une certaineformederégulationdusecteur.Cette préoccupation actuelle desautoritésdeconcurrencevis-à-visdudanger de l’économie numériques’incarne par des manifestationsd’envergure. Madame Vestager,commissaire européenne à laconcurrence, a par exemple promisune grande conférence enjanvier2019 autour des plateformesnumériques et de leur pouvoir demarché. En outre, l’OCDE s’estinterrogée en2016 sur la nécessitééventuelle d’adapter des outils dudroit de la concurrence pourrépondre aux nouvellesproblématiquesdunumérique.La question de l’adaptation du droitde la concurrence est en effetcruciale. De nombreuses personnesconsidèrentque lesoutilsexistentetqu’ils sont efficaces à condition desavoirlesutiliser.À mon sens, trois grandes palettesd’outils peuvent être efficaces, àcondition parfois de leur adaptationpourgagnerenefficacité.Il faut d’abord citer la théorie de laconcurrence déloyale, fondée surl’article 1240 du Code civil. On saitque la concurrence est libre maisqu’elle doit aussi être loyale. Le jugedoit donc distinguer au sein d’unrapport de concurrence les actescompétitifs acceptables de ceux quine le sont pas. Appliquons cettedistinction à la sociétéAmazon. Sonprésident déclarait en 1999 que sonentreprise n’était pas rentable, etajoutait qu’il serait très bête devouloir le devenir. Depuis,

“Lasociétéprendconsciencequedesprix

baspeuventdésorganiserun

secteur.”

EMMANUELLECLAUDEL

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l’entreprise est devenue bénéficiairemais ceci davantage grâce auxrevenus du Cloud et de la publicité,quegrâceàl’activitédecommerceenligne. Et le président d’Amazondéclareencorequelarecherchedelarentabilité n’est pas son objectifmajeur. Pourtant, s’affranchir de larentabilité ne revient-il pas às’affranchir d’une certaine égalitédans la concurrence, qui fonde laloyautédelaconcurrence?Parmi les actes de concurrencedéloyale – je fais ici référence à lanomenclatureétablieparRoubierauXXesiècle - figure ladésorganisation.Lanotiondedésorganisationestsansdoute l’une des plus intéressantespour résoudre les problèmes del’économienumérique. Il existedeuxtypes de désorganisation: celle del’entrepriserivaleetcelledumarché,qui peut se définir comme le faitd’utiliser des méthodes de vente oude travail qui créent un avantageconcurrentiel illiciteet indu.L’article1240 du code civil permettrait ainside s‘intéresserdeprèsà lapratiquede prix bas si elle se doublait deméthodes anormales telles qu’unesituation structurellement etsciemmentdéficitaire,lerecoursàunfinancement par des actionnairesplutôt que par des partenairescommerciaux,ouencore lerecoursàdes subventions croisées entre lesdifférentes activités d’uneplateforme. On peut aussi citer ,comme élément d’anormalité, undéfaut structurel d’exemplarité enmatièrefiscale...Notons que le non-respect d’uneréglementationconstitueentantquetel un acte de désorganisation dumarché, parce qu’il «confère à celuiqui se soustrait à la règlementationunavantagedanslaconcurrence»(jecitelePr.LouisVogel).

D’autres droits que celui de laconcurrence déloyale peuvent aussiêtre mobilisés. On pense au droitcommercial stricto sensu, et parexempleàlalégislationsurlareventeà perte. La société Amazon nepourrait-elle pas être suspectée devendre à perte au motif qu’elle nefacturepasà sa justevaleur les fraisde livraison, voire développe unepolitique de gratuité des frais delivraison?Deux problèmes surgissentcependant.Lepremierestqueladéfinitiondelarevente à perte suppose unecomparaison entre le prix d’achateffectif,etleprixderevente.Or,si leprix d’achat effectif prend enconsidération les coûts de transport,ce sont ceux qui concernentl’acheminementduproduitdusiteduproducteur vers le distributeur, etnon du site du distributeur vers leconsommateur-utilisateur. Enconséquence, le fait de ne pasfacturerdesprestationsdetransportau consommateur n’est en l’état passusceptible de poursuite sur lefondement de la législation sur larevente à perte. Compte tenu del’ampleur du phénomène, nefaudrait-ilpascependantrevoircettelégislation? Une grande prudences’imposenéanmoins puisque ce typede réforme aurait des conséquencestrès vastes et des effetsinflationnistesévidents.Le second problème tire son originedu fait que le droit français est enquelque sorte menacé par le droiteuropéen. Une directive du 11 mai2005 protège les opérateurséconomiques contre les pratiquesdéloyales des autres opérateurs et adresséenannexeunelisteexhaustivedes pratiques déloyales per se. Celasignifie que seules peuvent être

“Comptetenudel’ampleurdu

phénomène,nefaudrait-ilpas

cependantrevoircettelégislation?Unegrandeprudence

s’imposenéanmoinspuisquecetypederéformeauraitdesconséquencestrèsvastesetdeseffets

inflationnistesévidents.”

EMMANUELLECLAUDEL

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interdites en tant que telles lespratiques qui y figurent. Or, larevente à perte ne figure pas danscette liste. La Belgique en 2013 etl’Espagne en 2017, dont leslégislations interdisaient en tant quetelles les reventes à perte, ont étécondamnéesparlaCourdeJustice.Leclimatestdoncunpeudélicat,saufàfaire pression sur le législateureuropéen pour qu’il ajoute à cetteliste la revente à perte, facteur dedésorganisationdumarché.Il faut encore citer le droit despratiques restrictives deconcurrence,quiprohibenotammentlefaitpourunproducteur,artisanoucommerçant, d’introduire dans sescontratsdesclausesquiconfèrentunavantage anormal et provoque undéséquilibre significatif entre lesdroits et obligationsdesparties (art.L. 442-6 du code de commerce). Lesopérateurs économiques ont biencompris les potentialités de ce texte.Les pouvoirs publics également,,puisque le ministre de l’Economie,qui a un pouvoir de saisine destribunaux, a déposé une plaintedevant le tribunal de commerce deParis en décembre2017 concernantles pratiques des places de marchéélectroniques (Amazon, Ebay,Cdiscount,etc.).Uneenquêtededeuxansaeneffetrévéléque lescontratsproposésparcesplateformesétaienttruffésdeclausesabusives.Le dernier champ mobilisable est ledroit antitrust sous toutes sesfacettes. On a vu son efficacité avecles affaires Google. S’il est trèstentant de mobiliser le droit de ladominationpourlesplateformes(art.L. 420-2_1 du code de commerce etart. 102 du TFUE), cela n’estcependantpassifacile.Ilfautd’aborddélimiter un marché de référence,opérationcomplexedans ledomaine

desplateformesnumériquesquisontsouvent des marchés bifaces. Enoutre, il convient de prouver laposition dominante. Or, les critèresactuels (parts de marché détenues,etc) ne sont pas toujours efficacesconcernant les plateformesnumériques.D’autresvariablestellesque les données détenues ou lenombre de visites du sitepourraientêtreutilementprisencompte.Enfin,autredifficulté,ilfautprouverl’abus.Ilpeuts’agird’unabusd’évictiondesconcurrents, notamment par despratiques de prix prédateurs. Parexemple, s’il est démontré que lapolitique à court terme d’Amazonn’estpasdefairedesbénéfices,maisde fidéliser la clientèle et de gagnerdes parts demarché vis-à-vis de sesconcurrents, nous pourrions nousinterroger sur la volonté d’Amazond’éliminerlaconcurrence.Demême, est égalementmobilisableledroitdesententes(art.L.420-1ducode de commerce et article 101 duTFUE). Des plateformes numériquestelles qu’Amazon sont soupçonnéesd’imposer des clausesanticoncurrentielles dans leurscontrats. Or, toute clauseanticoncurrentielleayantuneffetsurla concurrence peut être qualifiéed’ententeanticoncurrentielle.En revanche, l’article 420-5 du Codedu commerce qui prohibe les prixabusivement bas, n’est sans doutepasunoutilpertinentparcequecetteprohibition ne s’applique qu’à laventedeproduitstransformésouàlaprestation de services et non à lareventeenl’étatNous avons vu cependant que desoutilsexistent,etenparticulierl’outiltraditionnel du droit de laconcurrence déloyale, qui pourraitaider à résoudre des problèmesmettant en cause des géants de

“Nousavonsvucependantquedesoutilsexistent,etenparticulierl’outil

traditionneldudroitdelaconcurrence

déloyale,quipourraitaideràrésoudredes

problèmesmettantencausedesgéantsde

l’économienumérique.Ilsnesuffirontsansdoutepas,d’oùla

questiondecontrôleroudémantelerles

structures.”

EMMANUELLECLAUDEL

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l’économie numérique. Ils nesuffiront sans doute pas, d’où laquestionde contrôleroudémantelerlesstructures.Jevousremercie.THIERRYGUERRIERVous expliquez bien ce conflit enEuropemêmedevisiondudroitdelaconcurrence et du droit de laconcurrence déloyale, tout en nousrappelantqu’il existedéjàdesoutils,eux-mêmes en évolution, et que celapose leproblèmede la régulationauniveau européen. Nos nations s’enemparent, mais la dimensioneuropéenne est clé, et laproblématique de la revente à pertefaitdébatetasadimensionpolitiqueauniveaueuropéen.CHRISTIANSAINT-ETIENNEQue ce sujet soit abordé sous l’angledel’économieoududroit,lesmêmesquestions relatives au pouvoir demarché et à l’abus du droit de laconcurrence émergent. Cependant,l’hypothèse la plus vraisemblable àlong terme est de casser lesoligopoles. Amazon pose unproblème spécifique puisque ladistribution y est financée par leCloud. Dans ce cas, quelraisonnement économique etjuridique permettrait de décider deséparer les activités de Cloud desactivités de distribution eninterdisantlessubventionscroisées?Surquellesbasesjuridiquesmenercedébat et comment la Commissioneuropéenne pourrait-elle leconclure?EMMANUELLECLAUDELLes instruments existent. On penseaux engagements, comme dansl’affairedelaFrançaisedesjeux,ouà

l’injonction structurelle en droiteuropéen, qui peut permettre decontraindre une entreprise à céderdes actifs et à réduire sa puissanceéconomique.Cetteinjonctionn’existepaspourl’heureendroitfrançais,ouseulement dans des domaines trèscirconscrits. Le législateur français atenté d’obtenir ce pouvoir àl’occasion de la loi Macron, mais letexte prévoyait une telle mesuremême en l’absence de pratiqueanticoncurrentielle, ce qui était tropattentatoireàlalibertéducommerceet de l’industrie, ainsi qu’audroit depropriété. Le Conseil constitutionnell’adonccensuré.Néanmoins, une proposition dedirectiveaétéadoptéeenmars2017par la Commission européenne(proposition de directive dite ECN+)afin de doter les autorités deconcurrence nationales des moyensnécessaires pour une politique deconcurrence plus efficace, dontl’injonction structurelle (à conditionqu’il existe une pratiqueanticoncurrentielle). Ainsi, à courtterme, l’autorité française comme laCommission européenne auront lesmoyens éventuellement d’enjoindredes injonctions structurelles et,pourquoi pas, des séparationsd’activités.DIDIERCHENETEn matière de concurrence, ilfaudraitrendrepossibleslesmesuresconservatoires en Europe et ainsiéviter d’attendre cinq ans avant queBruxelles ne prenne une décision decondamnation pour concurrencedéloyale.

“Enmatièredeconcurrence,ilfaudrait

rendrepossibleslesmesuresconservatoires

enEuropeetainsiéviterd’attendrecinq

ansavantqueBruxellesneprenneunedécisiondecondamnationpourconcurrencedéloyale.”

DIDIERCHENET

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UnbesoindecouragepolitiquepourluttercontrelaconcurrencedéloyaleDidierChenet

Didier Chenet est président du Groupement National des Indépendants del’Hôtellerie & de la Restauration (GNI) depuis 2014 et président du Synhorcatdepuis2004.Auseindecesyndicat, ilmilitepourlabaissedelaTVAetdéfendnotamment ledossierde la réformedebaux commerciaux.DidierChenet a éténomméprésidentduLeadersCluben1996etconserveencoreaujourd’huiuneplace au sein du Bureau Exécutif. Après des études à Sciences Po Paris et unemaitrise de sciences économiques,Didier Chenet estentré à la BDPME commeanalyste financier. Il a également intégré le groupe Intertra pendant 13 ans entantquedirecteuradministratifetfinancierpuisauseindugroupeSodexodanslafilialeFranceEntreprisesAdministrations.En1990,ilprendladirectiondelafiliale restauration publique de Sodexo. A partir de 1993, Didier Chenet vaprendre le contrôle du groupe des restaurants Oh ! Poivrier! Il cédera sonentrepriseen2007.Legroupecomportaitalors15établissements,350salariésetplusde1.4milliondeclientsparan.

ThierryGuerrierDidierChenet,commentdécrivez-vousvotreréalité?

’Europeatotalementéchouéenmatière numérique. Lesplateformes sont devenuesindispensables, et le problème

est que nous leur avons donné lepouvoir, si bien qu’elles se trouventdésormais en situation demonopole.Auparavant, les plateformes deréservation pratiquaient descommissions concevables,équivalentes à celles des agences devoyage, puis progressivement, ellesles ont augmentées à un niveauexorbitant.Par ailleurs, comme elles disposent

d’unmonopole, elles nous volent nospropres marques à travers lebrandjacking. Elles utilisent nosmarquesetnosnomsd’enseignepourfaire croire, à tort, que lesconsommateurssetrouventsurlesitede l’hôtel, alors qu’il continue deconsulterceluidelaplateforme.THIERRYGUERRIERQuel type d’économie défendez-vous?DIDIERCHENETLe groupement national des

L

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indépendantsquejereprésenteest ladeuxième organisation patronalereprésentative du secteur. Nousreprésentons 13000 établissementset un peu plus de 150000 salariés.Notreorganisationest très largementmajoritaire dans les principalesdestinations touristiques de France(Paris, les Alpes, l’arcméditerranéen,l’Atlantique,Lourdes).Nous représentons les entreprisespatrimoniales que toutes tailles,qu’elles commercent sous leurpropre enseigne ou sous uneenseigne franchisée. En outre, nousavonscréé il yaplusdedixansunecommission Europe et Numériqueparce qu’à l’époque, déjà, noussavions que le numérique devait setraiter à Bruxelles, et en particulierles questions de concurrence et lesproblèmesfiscaux.THIERRYGUERRIERCommentvivez-vous ladistorsiondeconcurrence?DIDIERCHENETLa distorsion de concurrence vientdu faitquecesentreprises sonthorssol,etdonc,pardéfinition,travaillentdans l’opacité la plus totale. Leproblème majeur du numérique estainsi un problème de transparence.Nous ignorons les algorithmesqu’ellesutilisentpournousclasser,etelles octroient par exemple desétoiles aux hôtels français qui n’ontrien à voir avec la classificationfrançaise.Par ailleurs, nous n’avons aucuncontrôlesur lesavisdonnésdans lessitesd’avisoud’opinions,alorsquelaloi a responsabilisé les plateformes,et qu’il existe une norme Afnor àlaquelle a participé la principaleplateforme de site d’opinions; mais

ellerefusedel’appliquer.Enfin,lesdeuxdernièresplateformesarrivées sur le marché, à savoirAirBnB et Abritel, sont venuespratiquer une concurrencetotalement déloyale vis-à-vis deshôtels, sous couvert d’économiecollaborative, en particulier d’unpoint de vue fiscal puisqu’elles nepaientaucunimpôt,nichargesociale,ni TVA. Pouvons-nous accepter enFrance qu’une économie prospèresur le dos de toute l’économiefrançaise?Denotrepointdevue, lespolitiques manquent de courage;nous devrions vraiment obtenir lalevéedecetanonymat.THIERRYGUERRIERVoussemblezconsidérerquetoutelasociété qui est victime de cettedistorsion.DIDIERCHENETOui, car il faudra un certain tempsavantderecréerlesemploisdétruits.Enoutre,àpartirdumomentoùtoutunpandel’économieneparticipepasà l’effort social, tout le modèleéconomique social de la Frances’effondre. Comment ferons-nousalors? Nous sommes pour lecommerce, mais pour uneconcurrence loyale. Nous voulonsaussi que les politiques aient lecourage de prendre leursresponsabilités: je m’étonnevraiment quand les plateformes desmeublés touristiques signent unaccord, ou du moins prennent unephotographie avecBrunoLeMaire àlasortiedeBercy,etqu’ensuiteellesportent plainte auprès d’un tribunalde justice européenne contre lesmesures françaises, en déposantmêmeuneQPCconcernantlaloiAlur.

“Ladistorsiondeconcurrencevientdu

faitquecesentreprisessonthorssol,etdonc,

pardéfinition,travaillentdans

l’opacitélaplustotale.”

DIDIERCHENET

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VTC:unsecteuràreconstruireSayahBaaroun

ThierryGuerrierSayahBaaroun,quelleestvotredescriptiondelasituation?

’ubérisation de la société adébuté par les taxis.Historiquement, Pariscomptait 22000 taxis et

environ 700 à 2000 chauffeurs delimousines. En s’installant, Uber adémarché les chauffeurs delimousine et les a surpayés(120euros pour la course Paris-Roissy).Leschauffeursétaientpayés42eurosparheurepournerienfairele temps que la plateforme s’installepuis, dès qu’elle prit l’ascendant surle secteur, mit tous les chauffeurs àl’amende.Lorsquenousavonscréélesyndicat en2015, nous avonsdécouvertquelaformationVTCavaitété réduite à une journée seulementsuite au lobbying intense desplateformes. Puis, il nous a fallubeaucoup de temps pour reprendrele contrôle de la situation parcequ’Uberdisposaitdéjàdemilliersdechauffeurs.Actuellement,desentreprises réelleset concrètes, qui emploient des

salariés, se font briser par uneplateforme qui emploie desprofessionnels, et qui a mis leschauffeurs encore plus en difficultéenrecrutantdesparticuliers.Plus précisément, les plateformesconservent tous les avantages dupatronat sans en subir lesinconvénients: par exemple, en casd’accidentavecunVTC,laplateformeexpliqueraquesonrôleselimiteàdela mise en relation; seul leprofessionnel de transport en seradonctenupourresponsable.Avant, les chauffeurs déclarant tousleurs revenusgagnaientenmoyenne4euros de l’heure. L’État nousdemandait toujours de nous taireparce que, provenant de la banlieue,nous n’avions pas les diplômespermettant de trouver un emploiqualifié. Ainsi, nous étions censésnous réjouir qu’uneplateformenousdonnedequoitravaillerpour4eurosde l’heure. Mais 60 à 70% deschauffeurs VTC qui sont tous en

L

“Actuellement,desentreprisesréelleset

concrètes,quiemploientdessalariés,sefontbriserparune

plateformequiemploiedesprofessionnels,et

quiamisleschauffeursencoreplusendifficulté

enrecrutantdesparticuliers.”

SAYAHBAAROUN

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entreprise ou autoentrepreneurs nedéclarent plus leurs revenus. Ilspayentdonccequ’ils sontcontraintsdepayer,tell’essence,etnedéclarentpas les montants gagnés à l’Urssaf.Travaillant70heuresparsemaine,ilspréfèrenteneffetgarderpoureuxles1800 ou 2000euros péniblementaccumulés. Ainsi, nous avons deschauffeurs qui travaillent pour leSMIC tout en volant l’État. Quant àceux qui déclarent tous leursrevenus, ils gagnent depuis la loiGrandguillaume 5 ou 5,50euros parheure.THIERRYGUERRIERVous décrivez une situationexplosive.SAYAHBAAROUNSelon la chambre des métiers de

Seine-Saint-Denis, 56% despersonnes à la CMA, donc leschauffeurs VTC, disparaissent entreun an et un an et demi d’activité. Leturn-over y est donc élevé. Dès quel’Urssaf procède à un redressement,le chauffeur concerné fait faillite, etsevoitremplacerparunautre.Par ailleurs, les assureurs ont triplélaprimed’assurancedesvéhicules,etles banques ne suivent plus de VTCparcequ’ilssaventquecesecteurestmoribond. De plus en plus dechauffeurs s’endorment au volant, letravail dure au minimum 10 à14heures par jour et, depuis desannées, la même réponse duGouvernement revient en boucle:«Ah oui, mais au moins, on vousdonnedequoimanger.»

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Unmanqued’égalitédanslesecteurhôtelierSergeCachan

SergeCachan,néen1943,estdiplôméd’HECen1966etfondateuravecses2frères de la chaine hôtelière parisienne Astotel en 1971. Propriétaire de 17hôtels3et4étoiles,sachainehôtelièredétient1000chambresexclusivementParis rive droite. Il exerce également de nombreuses fonctions dans lesorganisationsprofessionnelleshôtelièresde1974au1eravril1991.En2015, ilcrée en juin 2015 l’AhTop qu’il préside depuis janvier 2018. Il s’agit d’uneassociationmulti-professionnelledontlavocationestdeparticiperàl’évolutiondelapenséeetdesloisdelanouvelleéconomie,enparticulierdansledomainedeslocationsdecourtedurée.

ThierryGuerrierSerge Cachan, quel complément apporteriez-vous sur l’état des lieux du secteurhôtelier?

onjouràtous.Jesuisflattédeparler devant un public decette qualité. L’AhTOPregroupe depuis 2015 des

hôteliersconscientsduFarWestsansshérif qui est en train de s’installer.En mai2018, une réunion entreAirBnB et un groupe de jeuneshôteliers s’est tenue, durant laquelleunjeunehôtelierquiportemonnoma demandé s’il était possibled’inscrire les hôtels Cachan dansAirBnB. Mais on lui a refusé cettepossibilité, et ce même jour, leshôtels que nous avions en test aveccette plateforme dans un processusd’analyse ont été supprimés parAirBnB. Cet évènement traduit

l’activisme dont nous faisons preuvedepuistroisanspourfaireévoluerlaloi, toutcommed’autresassociationsà Barcelone ou à New York. Doncnousfaisonsaussidulobbying.THIERRYGUERRIERPourtant, vous n’étiez pas hostiles àAirBnB.Pourquoicetteplateformea-t-ellechangédestratégie?Ques’est-ilpassé?SERGECACHANNous défendons l’égalité devant lafisc. AirBnB n’a jamais souhaitécoopérer avec nous, mais a déclaréofficiellement qu’il s’inscrivait aussien concurrence avec les plateformes

B

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tels que Booking ou Expedia pourprendreuneplacedanslemarchédel’hébergement hôtelier. Il avait doncbesoin de travailler avec deshôteliers en complémentaritéévidente avec la location de courtedurée. Au demeurant, des confrèrestravaillent avec AirBnB et, pour mapart, j’ai acheté un hôtel à Paris queje n’ai pas inclus dans mon groupe,mais qui collabore aussi avec cetteplateforme. En effet, si ce moyennous permet de distribuerl’hébergementhôtelieraumêmetitreque Booking et Expedia, mais à uncoût inférieur pour l’hôtelier et unbénéficepourleconsommateur,nousle ferons, mais dans le cadre d’uneégalité.En décembre2016, nous avonsdécouvert qu’AirBnB proposaitofficiellement à ses clientsprestataires de services d’encaisserleur argent à Gibraltar, et de sortircet argent cash en France. Nousavons mené une enquête que nousavons remise au ministère desFinances, qui lui-même a convoquédans l’heure suivante les dirigeantsd’AirBnB.Ian Brossat, l’adjoint à la mairie deParis,n’apaslamêmesensibilitéquenous puisqu’il représente le particommuniste, mais nous travaillonsconjointement, et je salue le livreremarquablement bien documentéqu’il vient de publier. Il déclare quelors de la procédured’enregistrementquelavilledeParisa implémentée, les dirigeantsd’AirBnB lui ont dit qu’ils nerespecteraient la loi que dans lespremier, deuxième, troisième etquatrièmearrondissementsdeParis.Nous travaillons donc et avonsinvesti3millionsd’eurosentroisanspour faire en sorte qu’ils larespectent.

En particulier, nous déposeronsauprès de la Cour de justiceeuropéenne le 20 septembre2018une question préjudicielle, qui a étéretenue par le juge, pour savoir siAirBnB et les plateformes sontassujetties à la loi Hoguet sur laréglementation des agentsimmobiliers. Notre travail consisteainsi à faire du lobbying auprès despolitiques.THIERRYGUERRIEREst-ce que vous appelez àdésubériserlesplateformes?SERGECACHANL’ubérisation correspond à ladérégulation de l’économie, et ladésubération au retour à laréglementation. Nous devons tous yparticiper.DIDIERCHENETC’esteneffettrèssimple,notammentausujetdel’anonymat.Laloiprévoitdéjàuncertainnombredeconditionsd’enregistrement sur AirBnB pourque le loueur ne reste plus dansl’anonymat complet. Mais cesconditions ne sont pas suffisantes.Nous demandons que la loi prévoieun numéro d’enregistrement coupléaunuméro fiscalde lapersonneafinde s’assurer d’une part que lapersonne est vraiment propriétairedu bien, et d’autre part qu’il s’agitréellementdesarésidenceprincipaleou de sa résidence secondaire. Maisnous ne parvenons pas à obtenircette chose extrêmement simple,alors qu’en tant que chefsd’entreprise, nous déclarons àl’administration fiscale les revenusde nos salariés. Et alors qu’il étaitprévuqu’àpartirde2019,pour2020,lesplateformesdéclarentlesrevenusperçus par ceux qui louent, je viens

“Endécembre2016,nousavonsdécouvert

qu’AirBnBproposaitof-ficiellementàses

clientsprestatairesdeservicesd’encaisser

leurargentàGibraltar,etdesortircetargent

cashenFrance.”

SERGECACHAN

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d’apprendre qu’un amendementserait en passe d’être voté pourrepousserencorecettemesuredesixmois. Mais pour quelles raisons? LaFrancemetenplaceladéclarationderevenus à la source, et nous serionsincapables de demander auxplateformes de donner àl’administration fiscale les revenusperçus par les loueurs alors que lesentreprises s’en chargent depuis denombreuses années? C’estincroyable!Parailleurs,nousdemandonsàBercyde faire appliquer la loi telle qu’elleexiste déjà. AirBnB affirme payer lataxe de séjour, mais essaiesystématiquement d’échapper à sesobligations.Ilyaunan,lapublicationde ses comptes avait déjà faitscandale lorsque chacun avait puconstater que cette plateforme nepayait pas d’impôts en France. Maiscette année, elle n’a toujours pasdéposésescomptes2017auTribunalde commerce, alors qu’elle aurait dûle faire avant le 31août2018. Làencore, c’est à Bercy d’intervenir. Iln’estpasnormalquecetteentreprisesedispensederespecterlaloi.Toutefois, l’attitude à son égard semodifie: la population comprend demieux en mieux la vacuité de lanotiond’économiecollaborativedansle cas d’AirBnB, et comprend qu’ils’agit avant tout d’une économiecommerciale qui doit respecter lesrèglescommerciales.SAYAHBAAROUNRécemment,unrapportde l’IGASestparuetamisenvaleurleconceptdepatron hybride dans le secteur desVTC: le patron est indépendant demanière juridique, mais dépendantde manière économique de laplateforme. En Italie, le modèled’Uber a échoué parce que la seule

position acceptable est soit celle dupatron qui décide de tout, et qui estresponsable de tout, soit celle dusalarié. Ainsi, aujourd’hui, nousclarifions laposition,et serons reçuspar les prudhommes le18décembre2018 pour défendre lanotiondesalariédéguisé.Notresituationestpirequecelledesprofessionnels des autresplateformes mondiales parce que,contrairement à eux, nous nedécidonsmêmepasduprixquenousfixons à notre activité, soi-disantparce que les chauffeurs de VTCn’avaientpasd’avenir,etqu’aumoinsUber leur donnait ainsi de quoimanger. Mais aucune autreplateforme ne suit cefonctionnement.Danstouslesautressecteurs, le tarif est fixé par leprofessionnel lui-même, qui assumeles conséquences de sa politique,tandis que la plateforme se contented’uneactiondemiseenrelation.Nous avons obtenu à travers la loiGrandguillaume un tiers de nosrevendications, à savoir unemeilleure formation professionnelle.Il nous reste deux tiers à obtenir:d’une part la régulation du nombrede chauffeurs, actuellement tropélevé, et d’autre part le contrôle dutarif. Nous estimons que chaqueprofessionnel devrait avoir le droitde se fixer un tarif minimum. Pourl’instant, nous ne parvenons pas ànosfinsparcequel’ÉtatenFranceestterrorisé par le corporatisme. Je leconçois tout à fait, mais l’État portealors la responsabilité de rendre lasituation hors de contrôle. D’ores etdéjà, des chauffeurs meurent auvolant tandis que d’autres nedéclarent plus leurs revenus. S’il nesouhaite pas voir la situation sedétériorer jusqu’à devenir intenable,l’Étatsedoitdetrouverunéquilibre.

“Lapopulationcomprenddemieuxenmieuxlavacuitédela

notiond’économiecollaborativedansle

casd’AirBnB,etcomprendqu’ils’agit

avanttoutd’uneéconomiecommercialequidoitrespecterles

règlescommerciales.”

SERGECACHAN

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THIERRYGUERRIERVous insistez donc également sur lejuste prix auquel rétribuer leprofessionnel?SAYAHBAAROUNJe pense que l’une des pistes estd’imposer un tarif minimum pournotreactivitéquinedoitpasdétruirel’humain.Sichaqueprofessiondéfinitun seuil minimal en dessous duquelaucun professionnel ne pourra pasvivre dignement, nous auronsgrandement progressé, et laplateforme sera considérée commeplus humaine. Par exemple, si ondéfinit que la course Paris-Roissydoit être vendue au minimum55euros,etquelaplateformelavendpour sa part 400euros, je ne m’en

plaindrai pas puisque ma dignitéaura été respectée. Cette pistemériterait d’être étudiée égalementdanslesautressecteursd’activité.EMMANUELLECLAUDELConcernant le prix de la course,l’incrimination de prix abusivementbaspourraitêtrerecevable,carilyaune vente directe au consommateur,uneprestationdeserviceencauseetla revente à perte est facilementdémontrable. De plus, en matièreconcurrentielle, un effet sur lemarché doit être invoqué, or enl’occurrence il est massif. Donc unelutte générale contre les prixabusivement bas pratiqués par laplateformepourraitêtreunvecteur.

“Uneluttegénéralecontrelesprix

abusivementbaspratiquésparla

plateformepourraitêtreunvecteur.”

EMMANUELLECLAUDEL

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Débats

PHILIPPEVILLIN,président,PVCPhilippeVillinConseilJe figure parmi les membresfondateurs de l’AhTop avec Jean-BernardFalcoetSergeCachan. Ilestfrappant de constater que depuis 3ans il n’y a eu aucun changementdans la position des pouvoirspublics: on s’agite, on dit que l’onveutfairedeschosesmais,enréalité,on ne fait rien; nous discutons avecdes gens très bien élevés, mais rienne se passe. Exemple extravagant:sur la loi ELAN,il a fallu attendre 2ans pour que des décretsd’application ne soient pas encorepris.Onaramenécelaàlaloiquiestcorrecte du point de vue dessanctions prévues, sauf que l’on nedemande pas aux gens quis’enregistrent de prouver qu’il s’agitbien de leur résidence principale.Nous nous battons depuis des moispour que le numéro fiscal soitindiqué; une meilleure solutionaurait consisté à produire l’avisd’imposition qui est établi audomicile principal du contribuable.Nous avons mené des réunions àMatignon et nous ne sommestoujoursnullepart,alorsqueletextepasseraenCMPjeudi.Cequisepasse,c’estquelespouvoirspublics sont terrifiés par cesplateformes de l’économienumérique qui, pourtant, ne payentaucun impôt en France et pillentl’Europe.JOSEPHIRANI,président,ATPEIlya le justeprixet le justeservice:

quand j’arrive tard dans une gare,aucuntaxineveutmerameneràmondomicile, situé à la Courneuve. Unjour,j’aiutiliséUberetj’avouequeleserviceesttrèsbien,leprixn’estpasbradé (20% moins cher pour serendreàl’aéroport).Pourmapart,jeles paye autant qu’un taxi pour lerespect des clients dont ils fontpreuve.Lesplateformesde taxisne sontpasles seuls à chercher à exploiter et àrecruter les jeunesdenosquartiers;mais c’est un problème socialdifférent. Il ne faut pas galvauder lavolonté de travailler de notrepopulation.LOÏCRIVIERE,déléguégénéral,TechInFranceJe ne suis pas certain que du tempsdes taxis la fraude fiscale ait étémoins massive qu’avec lesplateformesdetransport.THIERRYGUERRIERJ’objecte que les taxis parisiens nepayentpasleursimpôtsàDublin...LOÏCRIVIERE,déléguégénéral,TechInFranceComme l’ont expliqué les experts cematin, les entreprises citées, enraison de leur modèle de captationd’audience ou de développement, neréalisent pas de bénéfice, donclogiquement elles ne payent pasd’impôtsurlessociétés.THIERRYGUERRIERMadame Claudel a souligné que

“Lespouvoirspublicssontterrifiésparces

plateformesdel’économienumérique

qui,pourtant,nepayentaucunimpôten

Franceetpillentl’Europe.”

PHILIPPEVILLIN,

président,PhilippeVillinConseil

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c’étaitartificiel.LOÏCRIVIERE,déléguégénéral,TechInFranceC’est une question compliquée, leGouvernement essaie d’y répondre,l’OCDEégalement.Noussentonsquelesoutilsd’analysede la concurrence ont été conçuspour l’ancienneéconomie,où iln’yapas demarché biface. Aujourd’hui, ilest trèsdifficilededireclairementsiun abus de position dominante estconstitué. Si les décisions deBruxelles prennent du temps, c’estquelaCommissionpréfèreprendreletemps de se documenter avant deprendredesdécisionsimportantes.L’Autoritédelaconcurrencearédigéun très bon mémo expliquant quel’on pouvait fermer une face d’unmarché pour générer davantage deconcurrence et de régulation surl’autrefacedumarché.Dans l’économie numérique, toutesles entreprises se financent avecplusieurs années de déficit, raisonpour laquelle elles font appel à desinvestisseurs en capital. De ce pointdevue-là,lecalculdelaventeàperteestassezcompliquéàfaire.Certains plaident pour une révisiondes outils d’analyse de laconcurrence plutôt que d’essayer deles appliquer, de façon inefficace etinopérante.THIERRYGUERRIERDès lors que le public a consciencequ’Amazonréalisesonbénéficegrâceautraitementdesdonnées,collectéesauprès des clients sur une activitéréalisée à perte et qui déstructureunepartiede l’économie,cesystèmepeut-il encore vous servird’argument?

LOÏCRIVIERE,déléguégénéral,TechInFranceLaventeàperteétaitdéjàévoquéeausujet de la grande distribution, ceproblème n’est pas nouveau. Lesplateformessontdesgroupesquiontdesactivités trèsdiverses.Amazonainventé le cloud pour développer lee-commerce et, aujourd’hui,l’ensemble du e-commerce sedéveloppe grâce au cloud et àAmazon. De nombreux business ontpris de l’essor de cette manière, ycompris au XXe siècle, avec uneactivité qui n’est pas rentable audémarrage.DIDIERCHENETMadameCariou, jesuisstupéfaitquevousayezpu,hiersoir,fairevoterunamendementrepoussantde6moisladéclaration des revenus desplateformes.EMILIECARIOUC’est un article qui nécessite uneautorisation de la Communautéeuropéenne, donc il ne peut pasentrer en vigueur avant cetteautorisation. Je trouve incroyable,alors que nous venons de voter desobligations pour les plateformesvisant à rétablir des conditions deconcurrence équitables, de me faireharponnerdecettemanière.SERGECACHANJ’aimerais demander à Loïc Rivièreoù sont les chiffres d’AirBnB? EnIrlande, ou ailleurs; en tout cas, ilssont inaccessibles. Les services deBercy sont incapables de savoir s’ilsperçoivent la totalité du montantattendudelataxedeséjour.La taxe de séjour d’AirBnB s’élève à88centimes par personne, or nousavons constaté qu’en cas deréservation pour une personne dans

“LesservicesdeBercy

sontincapablesdesavoirs’ilsperçoivent

latotalitédumontantattendudelataxedeséjour.”

SERGECACHAN

Page 32: ÉCONOMIE NUMÉRIQUE CONCURRENCE ÉQUITABLE

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notre hôtel (qui est sur AirBnB), lataxe est égale à zéro et, pour deuxpersonnes, elle s’élève à 1 euro (aulieu de 1,76 euro). À cette question,AirBnB a répondu: «les ordinateursnesaventpastraiterlescentimes».D’accord pour changer les règles dela concurrence, mais à conditiond’avoir des chiffres crédibles surlesquelsnouspouvonstravailler.Depuis 3 ans, nous travaillons defaçon très cordiale avec le mondelégislatif, mais face aux 3 millionsd’eurosquenousconsacronsànotrecommunication,lelobbyingd’AirBnBest colossal. Un juge français nous alancé cet avertissement:«Aujourd’hui, les plateformes quevousattaquezembauchentdespetitscabinetsd’avocatsquinecoûtentpastrès cher, mais le jour où celadeviendra plus important, ellesferontappelàdesbatteriesd’avocatsinternationaux se réfugiant derrièreBruxelles, et vous ne pourrezmêmepassuivre.»Un juste prix: pourquoi pas? Àcondition que la règle du jeu soit lamêmepour tout le monde, TVA etimpôts inclus.Ausujetdesbénéficesde ces entreprises, si Uber est ungouffre financier, AirBnB gagne descentaines de millions de dollars. Jeprécise que c’est de notre bureauqu’est sortie la déclaration selonlaquelle l’entreprise ne paye que95000 euros d’impôt. Enfin, sachezque j’ai signé hier un référédemandant qu’AirBnB publie sesrésultats2017.SAYAHBAAROUNIl a fallu deux ans pour fairecomprendre aux parlementaires lasituation, ils sont terrorisés à l’idéede faire progresser la régulation.Depuis 3 ans, j’explique des choses,mais les régulations sont faites à

moitié.Au sujet des tarifs, EmmanuelMacron avait dit qu’il essaieraitd’imposer un tarif minimum pouréviter la vente à perte, mais dans lecas d’un service c’est compliqué àévaluer.Rappelonsqu’Uberprésenteun déficit de plusieurs milliards dedollars, que Chauffeur Privé a étéracheté par Mercedes, que laplateformeMarcelaétérachetéeparRenault (qui reconnaît avoir commisune erreur), que Keolis a racheté LeCâble et le regrette déjà... AucuneplateformedeVTCne fonctionne.Cesecteur est sinistré, il fautabsolumentleréguler.Il aurait été plus facile de régulerlorsque la plateforme pesait70000 euros; aujourd’hui, elle pèse70milliardsd’euros,c’estunmonstreface auquel il est très difficile des’opposer.Je rappelle qu’en juillet 2016 j’étaisallé filmer en caméra cachée unrestaurant de luxe parisien danslequellespatronsdesplateformesdeVTCdéjeunaientavecdesdéputésetdessénateurs.THIERRYGUERRIERIln’estpas interditdedéjeuneravecdesdéputésetdessénateurs.SAYAHBAAROUNSi nous, nous le faisons, ce seraautour d’un paquet de chips et d’unkébab.THIERRYGUERRIERDe nombreux députés mangent deskébabsdansleurcirconscription.Surcetypedediscours,MonsieurCarrezemploie letermede«caricature».Sivos arguments sont tous recevables,la caricature est insignifiante et lerespectdel’autreestindispensable(jepense à vos propos sur les

“AucuneplateformedeVTCnefonctionne.Cesecteurestsinistré,ilfautabsolumentle

réguler.”

SAYAHBAAROUN

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«députésterrorisés»).SAYAHBAAROUNJe pense que parfois la caricature etles discours frappants peuvent faireréfléchir.L’idée des députés et desparlementaires, parmi lesquelsAurélien Taché, consistait d’un côtéàdemander aux plateformes «s’ilsvous plaît, soyez gentils avec leschauffeurs»etdel’autreàmettreenplace l’impossibilité de les attaqueraux prudhommes pour salariatdéguisé.NousavonsalorsexpliquéàAurélien Taché que cela ne nousconvenait pas, et heureusement lessénateurs ont retoqué cettedisposition. Toutefois, nous nouspréparons à d’autres surprises, quiseront à nouveau concoctéesdiscrètement, avec des moyensautrement plus importants que lesnôtres,cequiestdifficilepournous.EMMANUELLECLAUDELJe pense que le droit de laconcurrence dispose des outils,moyennant des ajustements, pourparveniràdéfinirunmarché.Deplus,la technique des engagements peut

produire des résultats intéressants:l’Autorité de la concurrence serapproche des acteurs ayant descomportements problématiques etélabore avec elles des remèdes quipeuventêtresatisfaisants.Iln’estpasalors nécessaire de déterminer unepositiondominantenidecaractériserunepratiqueanticoncurrentielle.HUGUESPERINET-MARQUETNous avons constaté de nombreuxpoints communs entre cesplateformes numériques, mais ilexiste des différences, et pour êtreefficace, il fautentenircompte.PourAirBnB, c’est davantage par lalimitation du nombre de locationspossibles que lemarché pourra êtrerégulé, c’est-à-dire par des moyenslatéraux au droit classique de laconcurrence. L’Union européenneapplique des règles de concurrencequi nous contraignent, ne l’oublionspas.

“PourAirbnb,c’estdavantageparla

limitationdunombredelocationspossiblesquelemarchépourraêtrerégulé,c’est-à-dire

pardesmoyenslatérauxaudroitclassiquedelaconcurrence.”

HUGUESPERINET-MARQUET

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Session2Fiscalité,législationsocialeetéconomienumérique

ANIMATEURThierryGuerrierJournalisteINTERVENANTSÉmilieCariouDéputéedelaMeuse,vice-présidentedelacommissiondesfinancesGillesCarrezDéputéduVal-de-Marne,ancienprésidentdelacommissiondesFinancesDominique-JeanChertierPrésident-fondateurdeLuskan,ancienprésidentdePôleEmploiJacquesCreysselDéléguégénéraldelaFédérationducommerceetdeladistribution(FCD)

PatrickHayatFondateurdePatrickHayatHotels,administrateurdel’AhTop(AssociationpourunHébergementetunTourismeProfessionnels),présidentd’ESCPtourismeMariettaKaramanliDéputéedelaSarthe,rapporteurdelamissionsurlafiscalitédunumériqueMichelTalyAnciendirecteurdelaLégislationfiscaleauministèredesFinances,avocatfiscaliste

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KeynoteMichelTaly

AffectéauministèredesFinancesen1974àsasortiede l’ENA,MichelTalyaconsacré toute sa vie professionnelle à la fiscalité, que ce soit au sein del’administration fiscale (il anotamment étéDirecteurde laLégislationFiscalede 1989 à 1995), comme directeur fiscal d’entreprise ou avocat fiscaliste (endernierlieuauseinducabinetArsene-Taxandde2006à2017).Ilaégalementétémembre du bureau de la commission fiscale duMedef et expert fiscal del’Institut de l’Entreprise. Il est l’auteur du livre « Les coulisses de la politiquefiscale»paruauxPUFen2016.

ThierryGuerrierMichelTaly,jevouslaisseexposerlesenjeuxfiscauxposésparledébatdecejour.

e vous remercie. Nous avonsclairement un problème avec lafiscalisation de la nouvelleéconomie, et donc des nouveaux

modèles économiques. Actuellement,les administrations fiscales gèrentdeux types de situation dansl’économieclassique:soitdespetitesentreprises aumarché local, soit desgrandes entreprises qui posent desproblèmesinternationaux,departaged’impôts entre pays, de prix detransfert, etc., mais dont le moded’organisation permet de tracer leuractivité.En tant que fiscalistes, nous avonsobservé l’évolution des modèleséconomiques de la façon suivante.Dans un premier temps, nous avonsvuémergerdesentreprisesqui,grâceàl’effondrementduprixdetransport

et aux nouvelles technologies,pouvaient éclater leurs fonctionsdans le monde entier, d’où desproblèmesdeprix de transfert et dedéterminationdulieud’imposition.Dans un deuxième temps, unnouveau modèle économiqueimmatériel est apparu, dans lequell’essentieldelavaleurcrééeprovientde l’immatériel; ces entreprisesn’avaient plusd’usine, ni de servicescommerciaux, mais se contentaientde conserver et de valoriser leurimmatérieltoutenprenantdessous-traitants pour la fabrication et ladistribution de leurs produits. Leurimposition s’avérait déjà pluscompliquée parce que nous nesavions plus quels étaient les fluxtaxés,etàquelmomentlestaxer.Puis, les plateformes bifaces sont

J

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apparues dans un troisième temps.Leur particularité est que,contrairement à une grandeentreprisequipossèdeunemultitudede clients dans une entité unique, laplateforme possède à la fois unemultitudedeclients,ettoutautantdefournisseurs. Or les administrationsfiscales ne savent pas gérer ce typed’organisation où toute la traçabiliténe dépend que du bon vouloir de laplateformebiface.Eneffet,elleest laseule à connaître ses clients etfournisseurs, à pouvoir déterminerquiestunvraiouunfauxparticulier,à connaître la nationalité des clientsoudesfournisseurs,etc.Spontanément, nous pourrionspenser de prime abord qu’il s’agitsimplement d’un problème decontrôle fiscal, et proposer derenforcer les techniques d’échangesde renseignements et de contrôles,sans remettre en cause les principesde taxation.. Toutefois, je pense queceseraituneerreur.Sanstoucherauxfondamentauxdelafiscalité,telsquele calcul de l’impôt et les règlesgénérales de taxation, nous devonsmodifier certains paradigmestraditionnelsdelafiscalité.En particulier, nous devrionsrenoncer à céder à la facilité entaxant les entreprises parce qu’ellesseraient un endroit pratique pourtaxer les flux qui la traversent et,ainsi, atteindre des tiers: le client(TVA), les actionnaires (prélèvementsdivers), les salariés, les fournisseurs,certainsprestatairesde services, etc.Jusqu’à présent, nous allionschercher l’argent là où il était, etétionshabituésàtaxertoutuntasdepersonnesàtraversl’entreprise.Maisce n’est plus possible, parce que sil’on continue de taxer l’ancienneéconomie de façon classique, ellefinira détruite par la nouvelle

économie. Inversement, le problèmen’est pas de tuer la nouvelleéconomie par des taxesinsupportables, mais de rétablirl’égalité de concurrence, soit enmettantdeschargessurceuxquin’enontpas,soitenretirantdeschargesàceuxquienpayenttrop.Ensuite, il faut arrêter de croire quesalariés et non salariés sont deuxmondes tellement différents etétanchesquenouspouvonspratiquerdes différences de taxationconsidérables entre les deux. Lesalariécontribuebiendavantageà laprotection sociale que le non salariédepuis qu’en 1945 certainesorganisationsdenonsalariésontfaitle choix historique de cotiserfaiblement et d’avoirdesprestationsen proportion. Mais cette situationest rendue intenable par la nouvelleéconomie:enréalité,lesplateformesbifaces comblent le fossé entre lesdeux en faisant travailler unemultitude de travailleursindépendantsaveclamêmeefficacitéetlamêmecohérencequelessalariésd’une entreprise intégrée. Nouspourrions alors être tentés derequalifier en salariés cestravailleurs, considérés comme defaux indépendants, mais cela necorrespondrait ni au modèleéconomiquedesplateformes,niàuneaspirationprofondede la société.Eneffet, lesplus jeunessemblentmoinseffrayésqu’autrefoisparlaprécarité,qu’ils perçoivent même comme unmode de vie. Contrairement au«travailler plus pour gagner plus»,ilspréfèrentgagnermoinspouravoirlalibertédefaireautrechose,commele leur permet le modèle de lanouvelle économie. Dès lors, il fautcertes réguler ce nouveau modèle,pour éviter qu’il n’exploite lestravailleurs, mais la société ne

“Lesadministrationsfiscalesnesaventpas

gérercetyped’organisationoù

toutelatraçabiliténedépendquedubon

vouloirdelaplateformebiface.Eneffet,elleestlaseuleàconnaîtresesclientsetfournisseurs,àpouvoirdéterminerquiestun

vraiouunfauxparticulier,àconnaître

lanationalitédesclientsoudes

fournisseurs,etc.”

MICHELTALY

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supporterait pas que nous lescontraignions à se requalifier en lesmenaçant de redressements sociauxou de sanctions pénales. La seulesolution respectueuse de cemouvement profond est d’arrêter detaxer aussidifféremment les salariésetlesnonsalariés.Enfin, cessons de considérer commenormale de pratiquer des taxationsdifférenciées en fonction de la tailledes entités. Évidemment, il semblebeaucoupplussympathiquede taxerles grosses multinationales que lespetites entreprises. Deux argumentspeuvent justifier un taux réduit ouuneexonérationdePME: lepremierest qu’il serait trop compliqué poureux de se soumettre à la règle de

droitcommun, ledeuxièmeestqu’ilsne sont pas en concurrence frontaleavec les grosses entreprises. Maisl’économie numérique rend caducsces deux arguments: d’une part, laplateforme, capable de gérer desmilliards de données et desalgorithmesd’unegrandecomplexité,devrait savoir gérer les obligationsfiscales de ses travailleursindépendants, et d’autre part, il y abien une concurrence frontale avecles grandes entreprises qui sont surlemêmemarché.Ainsi,noussommesface à un vrai sujet constitutionnelsur la justification de l’inégalité detraitement.

“Cessonsdeconsidérercommenormalesdes

taxationsdifférenciéesenfonctiondelatailledes

entités.”

MICHELTALY

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KeynoteDominique-JeanChertier

Aprèsdesétudeslittérairesetdesétudesdegestion,Dominique-JeanChertieradébuté son parcours professionnel en entreprise. Tout d’abord dans l’industrieautomobile,oùilaexercépendantseptannéesauseingroupeRenault,notammentauxAffairesInternationales,puisdansl’industriesidérurgique,pendantlesquatreannéesdegrandsplansderestructuration.Ilaensuiterejointletransportaérienenqualité de DRH de la compagnie Air Inter (intégrée ensuite dans le groupe AirFrance). Appelé par les partenaires sociaux, il a alors dirigé pendant dix annéesl’Assurance Chômage, avant d’entrer au cabinet du PremierMinistre Jean-PierreRaffarin en qualité de Conseiller Social. Revenu dans l’univers industriel, durantdouzeansilaétésuccessivementdirecteurgénéraladjointpuisdirecteurgénéraldélégué du Groupe Safran. Il y amaintenant quatre ans, il a fondé la société deconseilLuskan.Parallèlementàcesdifférentesactivités,Dominique-jeanChertieraenseigné à l’Université et dans plusieurs grandes écoles. Il a été Médiateur surplusieursconflitsetdossierssociauxàlademandedegouvernementssuccessifs.IlaprésidéPole-Emploietaétéetestadministrateurdeplusieurssociétésfrancaiseset étrangères. Il préside actuellement la commission sociale des Assises duTransportAérien.

’aborderai le sujet sous l’angleexclusivement social et, enparticulier,sousceluidelarelationentre le marché, le donneur

d’ordreetl’opérateur.J’ai distingué trois grandes étapes.Globalement, la société rurale du XIXesièclefaisaitprédominerleconceptdetâche.Pourunetâcheàeffectuerdansuneferme,unfermierfaisaitappelàuntâcheron, un opérateur intervenantuniquement pour cette tâche. Lalittérature patronale de cette époquedécritunemain-d’œuvreenperpétuel

mouvement. Très fluide, elle secaractérisaitparsoninstabilitéetétaitimpossible à fixer durablement aumêmeendroit.Puis, après l’émergence de l’èreindustrielle à la fin du XIXe siècle, etsurtout après la Première Guerremondiale, l’environnement aconsidérablement évolué. Deuxbesoins ont émergé: celui de fixationde la main d’œuvre, donc de sastabilité, et celui de sa structuration.Généralement,lepatronats’estinspirépour la structuration de la main-

J

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d’œuvre de ce que la sociétéconnaissait le mieux, à savoir lastructuration hiérarchique militaire,avecpouravantagededémultiplierlesniveaux de donneurs d’ordre commeautantdepromessesdepromotion,etdoncdestabilitédelamaind’œuvre.Puis, lasecondemoitiéduXXesiècleaété marquée par l’accentuation de cephénomènepourgagner labatailledela production. Dans ce contexte, lastabilité de la main-d’œuvre et saqualificationsesont révéléesplusquenécessaires, ce qui s’est traduit danstoutes les conventions collectivescréées en France pendant les années1950 par la notion valoriséed’ancienneté. De même, toute laprotectionsocialeestvenuesegrefferàcetensemble.Ainsi, la politique de santé a étéfinancée par le travail, à savoir par larelation employeur / salarié, maisaussi la politique familiale et lapolitique culturelle, à travers lesœuvres sociales des comitésd’entreprise. Ce modèle s’est diffusédans de nombreux pays industrielsdéveloppés.Cependant,aufildutemps,lelienentrele donneur d’ordre et le salarié estdevenu prédominant, au-delà de latâche. Par exemple, en cas d’inactivitépendant des congés payés, le liencontinue à exister, ainsi qu’en cas debaisse de charge. Cemodèle présentedoncdesinconvénientsdanslamesureoù il fait peser sur le travail lefinancementdelaprotectionsociale,età un point tel que, paradoxalement,celapeutnuireàl’emploienraisondupoidsdescharges.Par ailleurs, il s’agit d’un modèlerigide: les baisses de chargespassagères peuvent être assumées,mais pas forcément les baisses plusdurables, qui rendent difficile lemaintien du lien entre employeur et

opérateur. Pour pallier cette rigidité,deuxphénomènessesontdéveloppés:d’unepartl’intérim,largementdéployéen France, d’autre part l’auto-entrepreneuriat. Mais dans les deuxcas, les gens paient des cotisations, etdonc continuent de financer laprotectionsociale.Depuis,nousobservonslatendancedela ”plateformisation”, l’effacementapparent du donneur d’ordre, ou del’employeur. En réalité, il ne disparaîtpas, mais prend une formeinformatique et impersonnelle. Cettedigitalisation rend le lien desubordination entre le donneurd’ordre et l’opérateur évanescent enapparence, ce qui pose plusieursproblèmes, en particulier celui dufinancement de toute la protectionsociale. Certes, cette dernière est déjàfinancée à 40% environ par l’impôt(CSG). Mais s’il fallait généraliser lefinancement de la protection socialeparl’impôt,ilfaudraits’assurerquelesplateformeslepaientvraimentdanslepaysoùellesontlemarché.Par ailleurs, cette ”plateformisation”,qui coupe le lien de subordinationentre l’employeur et l’opérateur, poseune question juridique car cephénomènepourraits’étendreàtoutesles professions, par exemple àl’aviation marchande, où descompagnies aériennes emploient despilotesaustatutéquivalentàceluideschauffeurs de VTC. Pourtant, dans unavion, le pilote et le commandant debord sont coresponsables de l’avion;cela pose un problème deresponsabilitéencasd’accident.Je peux entendre qu’une société nepaiepasd’impôtsparcequ’ellene faitpasdebénéfices.Maissiellenefaitpasde bénéfices, elle doit toutefois avoirl’intentiond’enréaliserultérieurementgrâceàuneactivitéfuturedifférentedelaprésente.

“S’ilfallaitgénéraliserlefinancementdela

protectionsocialeparl’impôt,ilfaudraits’assurerqueles

plateformeslepaientvraimentdanslepaysoù

ellesontlemarché.”

DOMINIQUE-JEANCHERTIER

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Quelbilandulégislateurfaceauxplateformes?ÉmilieCariou

Émilie Cariou est née en 1971 à Verdun dans la Meuse. Elle étudie le Droit àl’UniversitédeBordeauxetlesSciences-politiquesàl’Institutd’ÉtudesPolitiquesdeBordeauxoùelleyobtientunDEA.Ellepoursuitsaformationàl’ÉcoleNationaledesImpôts. Émilie Cariou entamera sa carrière à Bercy au sein de la Direction desVérifications Nationales et internationales (DVNI). Elle intègre par la suite laDirectiondelaLégislationFiscale,enchargedelafiscalitédesentreprises.En2011,entantqu’expertedelafiscalitéinternationaleetfinancière,elleentreàlaDirectiondesenquêtesàl’autoritédesmarchésfinanciers.En2012,ellerejointlecabinetdeFleurPellerinalorsministredesPetitesetMoyennesEntreprises,del’Innovationetdel’Économienumérique.Enmai2014,elledevientDirectricefinancièreadjointeenchargedubudgetetdesfinancementsauseinducentrenationalducinéma(CNC).Elleconservesonposteàlanominationd’AudreyAzoulayetsevoitconfierlepostede conseillère diplomatique et affaires européennes. À l’occasion des électionslégislativesde2017,ÉmilieCariouestinvestieparLaRépubliqueEnMarche!etéluedéputéedansladeuxièmeCirconscriptiondelaMeuse.Àl’AssembléeNationale,elleestéluevice-présidentedelacommissiondesFinances,del’économiegénéraleetducontrôle budgétaire. Elle est également membre de l’Office parlementaired’évaluationdeschoixscientifiquesettechnologiques(OPECST)oùCédricVillaniluiconfie la tâchede siéger au conseil d’administrationde l’Agencenationale pour lagestiondesdéchetsradioactifs(ANDRA).

ThierryGuerrierÉmilieCariou,vousavezétéinterpelléeausujetdecetamendementquifroisseunpeulaprofessionhôtelière,maisvousêtesunedecellesquiontleplusœuvrédansl’égalitéentrelesplateformesetlesacteursclassiquesdel’économie.Dansquellesituationsetrouvelepolitiqueaujourd’hui,entred’uncôtélapressionexercéeparlesacteursquipaient leurschargeset leurssalariésetde l’autre lesplateformesquisedépartissentdecertainesresponsabilités?

esuisentréeaucabinetdeFleurPellerin en2012, pour traiter dela fiscalité des GAFA. J’avaisprécisé d’emblée que ce sujet se

règlerait à l’OCDE, ce qui tombaitbien puisqu’un grand plan de luttecontre l’évasion fiscale était enpréparation (le BEPS: base erosion

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andprofitshifting).Nousavionsdoncrencontré l’OCDE pour ériger lafiscalité du numérique en priorité.L’OCDEs’estmontréetrèsallantesurle sujet, dans l’objectif de rattacherdes bases fiscales en France. Maistrès vite, les États-Unis ont freinépuis un débat au niveau européen aétéengagé.En tirant le fil de la fiscalité, nousavons tiré celui des donnéespersonnelles, du droit commercial,dudroitdelaconcurrenceetdudroitpénal des affaires. Or nous avonsréalisé que sur tous ces sujets laquestion de la territorialité étaitcentrale: cequi nous empêche debien réguler, c’est le fait que cesgéants mondiaux, souventaméricains, commercent chez noussans avoir aucune obligation,notamment parce qu’au sein del’Union européenne certainesobligations simples comme lereprésentant juridique ont étésupprimées.Je pense pour ma part qu’il fautabsolument réguler les activitésnumériques,avecdenouveauxoutils.Cette question se pose au niveau del’Union européenne: notre ministredel’Économieplaidepourlataxationdu chiffre d’affaires des activitésnumériques, mais je pense que celane suffit pas et qu’il faut garder àl’esprit notre objectif consistant àtaxerlesrésultatsdecesentreprises.Jepenseenoutrequ’unetaxede3%sur le chiffre d’affaire pourraits’avérercontre-productive.Ayant participé à la négociation duRGPD, je puis vous dire que nousavons dû inverser la logique que laCommission européenne avaitproposée à l’origine, à savoir lapossibilité pour les plateformes dechoisir le pays dans lequel elles

voulaient se faire réguler. J’aiégalement travaillé sur la directivesur les services de médiasaudiovisuels, sur la directive desdroits d’auteurs, sur l’enforcement,surlaportabilitédescontenus,etc.Àchaque fois, l’objectif consiste àsoumettre les entreprisesextraeuropéennes au niveau derégulation européen. Ces processusdoivent être menés au niveaueuropéen.Sur les vidéos à la demande, nousavons obtenu que les obligations dupays de destination soient bienappliquées par les plateformes quiles diffusent. Enmatière de TVA, unrèglement a fait en sorte que la taxesoitpayéedanslepaysdedestinationet non plus au Luxembourg, commelefaisaientiTunesouAmazon.À l’attention des commerçants iciprésents,j’ajoutequ’unedirectivesurlaTVAextrêmementpuissanteestenpréparation: tous les commerçantsétrangers s’adressant, via des placesde marché, à des consommateursfrançais (en termes fiscaux ce sontdes «intermédiaires opaques»)devront s’acquitterde laTVA, cequimettra fin à un certain nombre dedistorsionsdeconcurrence.Jepenseque lesparlementairessontparticulièrement actifs, ils sontsoucieux des recettes fiscales et del’équité de traitement en matièreconcurrentielle, mais ce combat estlong, car il supposedesnégociationsinternationales.

“Cequinousempêchedebienréguler,c’estle

faitquecesgéantsmondiaux,souvent

américains,commercentcheznous

sansavoiraucuneobligation,notamment

parcequ’auseindel’Unioneuropéennecertainesobligations

simplescommelereprésentantjuridiqueontétésupprimées.”

ÉMILIECARIOU

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Remédieràdésertificationdescentres-villeGillesCarrez

Gilles Carrez est député de la 5ème circonscription du Val-de-Marne depuis1993etmembredelacommissiondesFinances.Diplôméd’HECetdel’ENA,ilaégalementétémaireduPerreuxde1992à2016maisaussiconseillergénéraldu Val-de-Marne de 1985 à 1993. Auteur de la loi dite «Carrez» sur laprotection des acquéreurs de lots de copropriété en 1996, Gilles Carrez estdevenurapporteurgénéraldubudgetàl’Assembléenationalede2002à2012.Il préside également le Conseil d’orientation des finances publiques depuis2006 et devient président de la commission des Finances à l’Assembléenationale de 2012 à 2017.Depuis 2016, Gilles Carrez est vice-président de lanouvelle Métropole du Grand Paris et devient membre de la commission desurveillancedelaCaissedesDépôtsen2017.

ThierryGuerrierGillesCarrez,vousluttezsurdeuxplans: l’adaptationdelafiscalitéetladéfensedescentres-ville,tantlechocnumériquecontribueàlesdéstructurer.

emesouviensquelacommissiondes Finances avait voté àl’unanimité un amendementimposant la transmission aux

service fiscaux des recettes desplateformes et des loueurs. Nousnous heurtâmes alors à une forteopposition du 3e étage de Bercy, carnous attentions à la nouvelleéconomie, et aujourd’hui, nousn’avons toujours pas obtenu gain decause,d’oùcereportde6mois.Nouspensions pourtant que l’échéance de2018étaitraisonnable.Face à la désertificationdes centres-ville, qui est un problème urgent,comment trouver des solutions à lafois simples et opérationnelles, àl’horizon de 2 ans? Je trouve

frappant que ces sujets soient sur latable depuis des années et que,malgrécela,riennechange.Je propose que l’on redéploie lafiscalité entre commercestraditionnels(fondéesurlefoncieretl’immobilier) et commerce en ligne.Aujourd’hui, toutes les entreprisespayentlaCFE,doncjeproposequ’ellesoit supprimée (cela représente 6milliards d’euros) et qu’encontrepartie une contribution sur lechiffre d’affaires soit instaurée. Lamiseenplacedecettetaxelocalesurle chiffre d’affaires serait tout à faitpossible, elle concernerait de façonéquitable toutes les entreprisesintervenant sur le territoire. Cefaisant, nous retrouverions la taxe

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localequiavaitfaitsespreuvesetquiavait été remplacée par la TVA danslesannées60.S’appliquantà tous, jepenseque cette taxeneposerait pasde problème au niveaucommunautaire, elle pose juste laquestiondelavolontépolitique.Jepensequ’ilyauneurgenceabsolueà rééquilibrer les forces entrecommerces traditionnels etcommerce en ligne, nous disposonsdesinstrumentsfiscauxpourlefaire.Monsouciestavanttoutdeproposerdessolutionsopérationnelles,commeje l’ai fait pour le maintien de l’exittax.

“Jepensequ’ilyauneurgenceabsolueà

rééquilibrerlesforcesentrecommercestraditionnelset

commerceenligne,nousdisposonsdesinstrumentsfiscaux

pourlefaire.”

GILLESCARREZ

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Appliquerlecritèredela”présencenumérique”MariettaKaramanli

Députée de la Sarthe depuis 2007, réélue en 2012 et en 2017, MariettaKaramanli est secrétaire de la commission des Affaires européennes etmembredelacommissiondesLois,oùelleestchargéedelaveilleeuropéenne.Elle est membre suppléante de la délégation franc aise à l’AssembléeparlementaireduConseildel’Europe(APCE)etelleestcoprésidentedugrouped’étudessurlesAssurances.ElleaétéconseillèregénéraledelaSartheetaétévice-présidentedeLeMansMétropolede2014à2017.Née enGrèce, elle estvenue enFrancepour ses étudesuniversitaires. Elle a unemai trise en lettresclassiquesetunDEAd’histoiredudroit.ElleestdocteureenSciencesPolitiques(UniversitédeNancyII)avecunethèseconsacréeà“ÉtatetsociétéenGrèce :permanences et mutations”. Elle a été enseignante en collège et lycée puis àl’IUTduMans.Elleestl’auteuredeplusieursarticlessurleclientélisme,l’Égliseorthodoxeetlaplacedesfemmesenpolitique,etd’unlivreLaGrèce,victimeouresponsable ? paru aux éditions de l’Aube en 2013. Marietta Karamanli estégalementspécialistedesenjeuxnumériquesetdecyberdéfensepuisqu’elleestvice-présidente du groupe d’études «Cybersécurité et souveraineténumérique».

ThierryGuerrierMariettaKaramanli,commentréagissez-vousàcedébat?

ous venons de démarreravec Éric Botorel unemission sur la fiscalité dunumériquedans le cadre de

la commission des Affaireseuropéennes de l’Assembléenationale.Comme l’a dit Émilie Cariou, lataxation doit se poser au niveaueuropéenet international, car c’estàce niveau que les progrès peuventêtreobtenus.Maispenser seulement

àlataxationdesGAFAnesuffitpas,ilfaut travailler sur la définition de laprésence numérique des entrepriseset tenir compte de la similarité desactivitésetdespays.Nousauronsdumal à bâtir un système et un moded’imposition s’appliquant seulementaux plateformes numériques. C’estpourquoijepensequ’ilestpréférabled’incluredesspécificitésnumériquesdansuncadreunpeupluslarge,pouropérer une forme d’harmonisation à

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l’échelle européenne. Je plaide doncpour l’intégration d’un nouveaucritèredeprésencenumériqued’uneentreprisedansunpays,indiquéeparlevolumededonnéespersonnelles.THIERRYGUERRIERC’est-à-dire que, pour territorialiseruneentrepriseet la taxer, vousvousfonderiez sur les donnéespersonnellesprélevéesauxcitoyens?MARIETTAKARAMANLICe serait un élémentcomplémentaire,carlestroiscritèresexistant actuellement ne suffisentpas.Deplus,un travail sur lessimilaritésseraitintéressant.

THIERRYGUERRIERCommentprocéder?MARIETTAKARAMANLILesdonnéesexistent,etlesimplefaitde leur création doit être un critèrepris en compte par la fiscalité dunumérique.

“Lesdonnéesexistent,etlesimplefaitdeleurcréationdoitêtreuncritèreprisencompte

parlafiscalitédunumérique.”

MARIETTAKARAMANLI

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ImposerauxplateformeslerespectdelaloiLaurentGrandguillaume

LaurentGrandguillaume,40ans,estunexpertdesnouvellesformesd’emploi.Aprèsavoirétéélu local, ilestéluDéputéde l’Assembléenationalede2012à2017.Ilaétémembredelacommissiondesfinancesdel’Assembléenationale,rapporteur thématique de la loi Macron sur la partie simplification, et co-président du conseil de simplification pour les entreprises avec GuillaumePoitrinal, puis avec Franc oiseHolder. Il a été sollicité par le Gouvernement àdeux reprises pour e tre médiateur dans le cadre de conflits nationaux(autoentrepreneurs/artisansen2013,taxis–VTC/plateformesen2016).Sespropositionsdesortiedeconflitontétéàchaquefoisadoptéesàl’unanimitéauParlement. Il est l’auteur de la loi d’expérimentation territoriale visant àrésorber le cho mage de longue durée qui a été adoptée à l’unanimité àl’Assemblée nationale et au Sénat. Cette loi a été soutenue par ATD QuartMonde,Emmau sFrance, leSecoursCatholique, lePacteCivique, laFédérationnationale des acteurs de la solidarité. Ce projet est aujourd’hui expérimentédans dix territoires en France pendant cinq ans. Il a présenté ce projetrécemment à l’Université d’Harvard à l’invitationduprofesseurBillWilson. Ilestégalementl’auteurdelaloirelativeàlarégulation,àlaresponsabilisationetàlasimplificationdanslesecteurdutransportpublicparticulierdepersonnes(T3P)adoptéeàl’unanimitéàl’AssembléenationaleetauSénat.Ilcontinuedemener des réflexions sur les nouvelles formes d’emploi et le monde desindépendants au sein de la Fondation Travailler Autrement en tant que Vice-Président.Ilestprésidentdel’associationnationale«territoireszérocho meurdelonguedurée».

ThierryGuerrierLaurent Grandguillaume, vous avez cherché à réguler l’économie numérique etsonimpact,commentvoyez-vousévoluercedébat?

l fut difficile pour moi deconduireundialoguepuisquelesresponsables de plateformes àquij’avaisàfaireavaientplusde

facilité à twitter qu’à dialoguer avecdes chauffeurs. Malgré cela, ils ontréussi à imposer un état de fait à

l’État de droit qui était désarmé:beaucoupontconstatéquelaloiLOTIétait contournée, jusqu’aux servicesde l’État. D’où les manifestations etlesviolencesquisesontexprimées.La loi votée à l’unanimité parl’Assemblée nationale et le Sénat fut

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difficile à élaborer en raison de lapuissance des lobbys, des moyensqu’ils ont déployés dans la presse etailleurs. Cette loi avait d’abord pourbut demettre fin au contournementde la loi, ce qui peut paraîtreétonnant! Rappelons que lesministres avaient demandé parcourrier aux plateformes de leurcommuniquer le nombre dechauffeurs LOTI avec lesquels ellestravaillaient,cequ’ellesontrefusédefaire, se réfugiant derrièrel’obligation qui leur était faite de necommuniquer que la liste deschauffeurs au 1er juillet de chaqueannée.Il se trouve que les chauffeurs VTCétaientaunombrede15600en2017et qu’ils sont aujourd’hui 26300, unanplustard.Lesplateformessesontplaintes dans les médias d’uneréduction du nombre de chauffeursVTCaveclaloi,orilaaugmenté…J’ai mis fin au système en vertuduquel l’examen VTC se vendaitparfoisauprixde1500eurossurdesmarchés parallèles. Aujourd’hui, letauxderéussiteàcetexamens’élèveà75%etiln’empêchepaslesjeunesde travailler contrairement à ce quedéclarent là aussi certainesplateformes.L’article 2 prévoit la remontée dedonnées des plateformes pourréguler (un combat qui fut trèsdifficile),maislesdécretsnesontpasencore publiés. Pour information,cette disposition s’inspire de ce quiexisteàNewYork.Lesorganisationsde chauffeurs que j’ai rencontréesveillent sur ces dispositions car ils’agit de défendre à la fois leconsommateuretlechauffeur.J’ai également mis fin aux clausesd’exclusivité dont bénéficiaient lescentrales de réservation de taxis etquipénalisaientleschauffeurs.

Enfin, j’ai proposé la création d’unfondsdegarantievisantàgarantir leprix de licences et à transformer cesecteur, financé par une taxe sur lesplateformes; mais il s’avère trèsdifficile de taxer les plateformes,même lorsqu’il s’agit de mettre enplace des règles équitables. En effet,le Gouvernement n’a pas suivi cettepropositionderéformecourageuseetstructurelle.THIERRYGUERRIERDes outils techniques existent pourmettre en œuvre les outilsjuridiques: identification,territorialisation.LAURENTGRANDGUILLAUMEIl semble qu’il existe des forces pluspuissantes qu’une loi votée àl’unanimitépar l’Assembléenationaleet le Sénat. Si les décrets ne sortentpas,celasusciteraundébat.THIERRYGUERRIERÉmilie Cariou, vous comprenez cetteinterpellation sur la publication desdécrets?EMILIECARIOUOui. La commission des Finances avotéuneséried’articlesdanslecadrede la loi de finances dont les décretsd’application ne sont toujours passortis. C’est une des raisons pourlesquellesnotregroupeEnMarche! asouhaité renforcer le pouvoir duParlement dans son contrôle duGouvernement.Cela implique de sedoter d’une agence d’évaluation. Parexemple, nous avons décidé deréorganiser le calendrier législatif defin d’année afin de prendre le tempsd’examiner le travail des ministères,notamment sur le sujet des décretsd’application.

“J’aiproposélacréationd’unfondsde

garantievisantàgarantirleprixde

licencesetàtransformercesecteur,financéparunetaxesurlesplateformes;maisils’avèretrèsdifficiledetaxerlesplateformes,mêmelorsqu’ils’agitde

mettreenplacedesrègleséquitables.”

LAURENTGRANDGUILLAUME

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Commentsoutenirlecommercededétail?JacquesCreyssel

Jacques Creyssel est délégué général de la Fédération des entreprises ducommerceetdeladistribution(FCD)depuis2011.IlestdiplômédeSciencesPoParisetdel’ENA.Administrateurcivil,JacquesCreysselaétésous-directeuràladirection du Budget entre 1991 et 1992. Il a ensuite été successivementdirecteurgénéraldesAffaireséconomiquesduCNPEdevenuMEDEF,directeurdélégué puis directeur général de cette organisation de 1998 à 2008. JacquesCreyssel a été membre du CESE de 2004 à 2010. Il est également maître deconférence à Sciences Po, vice-président d’EuroCommerce et de la FédértionInternationale du Retail ainsi que coprésident de la commission économie,compétitivitéetfinancesduMedef.

ThierryGuerrierJacquesCreyssel,quelleestvotrevisiondecedébat?

e voudrais d’abord saluer laqualité d’écoute desparlementaires,, contrairement àcequiaétéditcematinaucours

de la première session. Le Premierministre a lancé une mission del’inspectiongénéraledesfinancessurla fiscalité du commerce et nousavons lancé avecBrunoLeMaire lestravaux d’un contrat de filière avecnotresecteur.Notre secteur est confronté à unerupture complète: le e-commerce aremisencausenotrebusinessmodelet bouleverse les relations avec leconsommateur, la digitalisation posele problème des données et del’automatisation, de l’intelligence

artificielle et donc de l’emploi.S’ajoute à cela la révolution de laconsommationalimentaire.Il ne s’agit pas pour nous d’opposerle commerce physique et le e-commerce,j’enveuxpourpreuvequeCdiscount est le deuxième e-commerçant français. Avec, cenouveau modèle «phygital» nousoffrons au client la possibilité decommander chez lui et de se fairelivrer dans le magasin ouinversement,avecunchoiximmense.Cela suppose néanmoins une égalitédes conditions de concurrence entreacteurs du commerce physique etnumérique, en matière de fiscalité,maispasseulement.

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L’enjeu de cette égalité desconditions de concurrence concerned’abord l’emploi: le commerce dedétail en France représente1,8milliond’emploisetestsouventlepremieremployeurlocal.Unsecondenjeuestceluidenotrevieen société: nous devons faire ensorte que le centre-ville reste vivantet pas seulement constitués decasiers,deshowroomsetdecamionsde livraison. Aujourd’hui, parexemple, il est possible de livrer ledimanche et en soirée mais pasd’ouvrirnosmagasins.Ilfautrétablirl’égalité.Lafiscalitéestégalementaucœurdecessujets.Elleaétéconstruitesurlephysique alors que l’économie l’estaujourd’hui demoins enmoins.Unepremièredistorsion existe auniveaude la TVA, avec la concurrencedéloyale de certains sites extra-communautaires qui s’affranchissentdetoutimpôt.Ensuite,l’impôtsurlessociétésn’estpaspayéparlesgrandspure players transnationaux, quin’ont pas d’existence fiscale etvendent, en plus, à perte. Ainsi,Amazon, qui n’a pas de présencefiscale en France, repose sur unbusinessmodel luipermettantdenepasréaliserdebénéficesursapartieretail (-6% de marge nette), ce quiluiconfèreunavantagede6à10%,dans un secteur où lesmarges sontcomprises entre1 et3%.Enfin, lesacteurstransnationauxnepaientpasd’impôts locaux en dehors dequelques taxes foncières sur leursentrepôts. A l’inverse, ces impôts

locaux, comme la Taxe sur lessurfaces commerciales (TASCOM),pèsent lourdement sur les magasinsphysiques.Ces éléments montrent qu’il faut sebattre à tous les niveaux pourrétabliruneégalitédesconditionsdeconcurrence, à commencer parl’OCDE, où les États-Unis réussissentnéanmoins à bloquer ce processus.Un combat au niveau européen estégalement nécessaire et nouspartageons les propositions desinstitutions européennes, bienqu’ellesvisentdavantagelesservicesde Google que ceux dAmazon. Deplus,le risque actuel de doubletaxationposeunvraiproblème.Enfin, il me paraît nécessaire deprendredesmesuresenFrance,avecune remise en cause de la fiscalitélocalequiestabsurde,quipousselescollectivitésterritorialesàaugmenterles taux et risque de faire fuir lesmagasins. Cette réforme passenotamment par la suppression de laTASCOMetdesimpôtsfoncierssurlecommerce, au profit d’impôts surl’activité. La règle, pour nous, doitêtre simple: à chiffre d’affaires égal,impôtégal.

“LecommercededétailenFrance

représente1,8milliond’emplois

etestsouventlepremieremployeur

local.”

JACQUESCREYSSEL

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Contrelesdistorsionsdeconcurrence,letempspresse!PatrickHayat

Patrick Hayat est le fondateur de Patrick Hayat Hotels qui compte7établissementsparisiens.Ilestl’undesmembresfondateursdel’Associationpour un hébergement et un tourisme professionnels (Ahtop) et présideégalement le Groupe ESCP Tourisme. Diplômé de l’ESCP et de l’Université deCornell, il travaillanotammentpourUnileverde1993à1995etTF1Publicitéde 1994 à 1999. Depuis 2002, il est consultant dans la commercialisationdigitalehôtelièreetfondePatrickHayatHotelsen2006.

ThierryGuerrierPatrickHayat,leconstataétédressé.Quelleestvotreprincipalerevendication?

e vais vous faire part de mavision de chef d’entrepriseengagé économiquement pour laréussite du tourisme. Rappelons

tout d’abord que le tourismereprésente 2,2 millions d’emplois et7à 8% du PIB. C’est un secteur àl’image dégradée, mais quis’améliore.Cemétierestsansarrêtàla recherche de salariés et permet àses salariés de réaliser des carrièresformidables.Notre secteur est enthousiaste,dynamiqueetseremetencausesanscesse:ilaconnutroisrévolutionsen20 ans, avec Internet, les avis et lesplateformes. Ces dernièresprovoquent une distorsion deconcurrencecarellessedéveloppentdans le tourisme sans en subir lescontraintes, avec la fiscalité comme

illustration majeure. Par exemple, laTVA les avantage de 10 points, sansparler des charges sociales et de lataxe de séjour (celle qu’on leur aimposée est au rabais), le summumétant atteint avec ces cartesdistribuées aux hôtes leurpermettant de se faire payer àGibraltar, dans une totale opacitéfiscale.Le temps des affaires n’est pas letempslégislatif,etpournotresecteurle temps est proprement assassinparce qu’en trois ans, à Paris, nousavonseuautantdechambresd’hôtelque de chambres surAirBnB: l’offrea été doublée, et sans contrainte.Nousn’avonsaucunproblèmeaveclaconcurrenceet lesnouveauxacteurs,mais il n’est pas possible de faire lacourseavecunsacàdosde40kgsur

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le dos face à un concurrenttotalementlibredesesmouvements.Je rappelle que le principe dedéveloppement des start-up de laSiliconValleyserésumepar”casseetrépare”, ce qui nous conduitaujourd’hui à une situation où lamaisonbrûle.Jeme réjouis que lesparlementairessoient aussi impliqués, parce quenousrevenonsdeloin.Nous demandons que les principessoient les mêmes pour tous lesacteurs, à commencer par latransparence à l’égard du fisc,l’applicationde la loiet lessanctionsencasd’abus.Parexemple,quand jesers un yaourt périmé, c’est unvéritableséismedansmonhôtel.Je suis convaincu que le secteur dutourisme est très porteur, que c’estune locomotive pour le pays et quelesnormesquenousavonsmisesenplacenousontpermisdedevenirunchampion mondial. Or lesappartementsetmaisonsà louersurles plateformes ne sont pascontrôlées, impliquant un risqued’accident grave (empoisonnement,incendie), qui pourraient avoir desrépercussions colossales sur letourisme. Ne pourrait-on pas exigerlaprésencedansleslocationsAirBnBd’un extincteur, d’un détecteur defumée?LAURENTGRANDGUILLAUMELa loi numérique aurait dû régler leproblème de la remontée desdonnées, mais le lobbying futtellement puissant lors du travail encommissionmixteparitaireque tousles éléments gênants pour lesplateformes disparurent. La loiintervient toujours après un rapportde force, qui s’organise par laconjonctiondesacteurséconomiquesnationaux réunis autour du constat

d’un état de fait imposé à l’État dedroit,cequiestinadmissible.THIERRYGUERRIERLes professionnels réunis iciconsidèrentquecelanevapasassezvite.EMILIECARIOULa Commission européenne aénormément œuvré en matière derégulation.Certes,c’estbeaucouptroplong,maisjetiensàsignalerquenousnous sommes heurtés à un grosproblème, celui du statut del’hébergeur. Créé par la directive e-commerceaudébutdesannées2000,il visait les intermédiaires spécialisésdans le BtoB, et n’était pas du toutadapté aux plateformes de BtoC quiont émergé ensuite avant de devenird’énormesconcurrentssurlemarché.Or j’étais la seule à vouloir rouvrircette directive, donc nous avonsrouvert toutes les autres directivespermettant d’appliquer auxplateformes des niveaux deresponsabilitéoudesobligations.GILLESCARREZLes parlementaires ont montré unevolonté unanime pour transmettreles recettes des plateformes auxservices fiscaux, bien que desdispositions aient disparu encommissionmixteparitaire.Ilrevientmaintenant à l’exécutif demettre enplace des procédures qui soientopérationnelles, avec notammentl’identification de la résidenceprincipale.THIERRYGUERRIERPourquoi ces dispositions n’entrent-ellespasenvigueur?

“Nousdemandonsquelesprincipessoientlesmêmespourtousles

acteurs,àcommencerparlatransparenceà

l’égarddufisc,l’applicationdelaloiet

lessanctionsencasd’abus.”

PATRICKHAYAT

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GILLESCARREZJemeposelamêmequestion.Lataxedeséjour,nousenavonsabsolumentbesoincommeoutildefinancement,àl’imagedemonrapport sur leGrandParisExpress.Pourcesraisons,nousnous escrimons à suivre les décretsd’application, notamment dans lerapportd’applicationdelaloifiscale,mais nous comptons également surlesprofessionnelsetleurcompétencepour faire pression sur l’exécutif,avec des textes appropriés. Car, ducôtéduParlement, l’unanimitérègnesurcessujets.

MARIETTAKARAMANLILes parlementaires font de bonsrapports et de bonnes lois, maisl’application et l’interprétationpeuvent poser problème. Lesministères et l’administrationontunpouvoir de décision et le lobbyingopère également sur eux. Je pensequ’un cadreunifié est nécessaire carl’économie numérique n’est pas laseule concernée: tous les secteurssont concernés et le blocage estsystématique, quel que soit legouvernement.

“Nousnousescrimonsàsuivrelesdécrets

d’application,notammentdansle

rapportd’applicationdelaloifiscale,mais

nouscomptonségalementsurles

professionnelsetleurcompétencepourfairepressionsurl’exécutif,

avecdestextesappropriés.Car,ducôtéduParlement,

l’unanimitérègnesurcessujets.”

GILLESCARREZ

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Débats

BENOITCRESPIN,directeurFrance,eDreamsOdigeoLeproblèmeestposésouslemauvaisangle, celui du fisc, parce que notrepays est drogué à l’impôt. Laprésence de ces acteurs en Irlandes’expliqueparlefaitquelesfiscalitésne sont pas identiques d’un pays àl’autre: ce problème va devoir êtrerégléunjour.Attentionànepas jeter lebébéavecl’eaudubain,cardanslelotrésidentdes acteurs européens qui souffrentd’une seule chose: pour eux, lesmarchés américain et chinois leursont fermés. Les acteurs européensmettent des décennies à gravir leséchelons, franchir les obstaclesadministratifs et réglementaires,subissent les coups de leursconcurrentsravisd’attaquerleleaderdumarché,qui enboutde course seretrouve épuisé. Aujourd’hui, lescampagnes marketing des nouveauxentrants sont omniprésentes, quandlesacteursanciensnedisposentplusdes mêmes moyens. Comment, dansce contexte, favoriser les entreprisesprésentes localement? Le cas deGoogle Shopping est éclairant: laCommission européenne lui infligé2,3milliards d’euros car l’entrepriseavaitunepartdemarchéde96%surlemarchédelacomparaisondesprix.Les remèdes à cette situationappliqués par Google ont porté sapartdemarchéà97%.7ansontéténécessairespourobtenircerésultat.Il faut défendre les entrepriseseuropéennesetfaireensortequelesnouvelles réglementations

s’attaquent réellement aux sourcesdumal.EMILIECARIOUNous essayons actuellement dediminuerlestauxd’impositionsurlessociétés(pouratteindre25%)et leschargesdes entreprises, mais dansune limite que nous imposent lesdépenses dans nos services public,noshôpitauxetnosuniversités,carlaFrancen’estpasunparadisfiscal.Ilfautquel’applicationdudroitdelaconcurrence par la Commissioneuropéenne change de logiciel et deréférentiel pour l’analyse desmarchés. Margrethe Vestager faitbeaucoup de choses intéressantes ets’attaque à des sujets de fiscalité,maisavecdesinstrumentsprovenantdu droit de la concurrence au lieud’employer des instruments fiscaux,cequimeparaîtdangereux.DIMITRI CARBONELLE, président,LivosphereNe pourrait-on pas utiliser les GAFAdefaçonpositive?Desdonnéesqu’ilsrécupèrent, nous pourrions faire unbien commun, à l’image de l’accordentreWazeetLille.LAURENTGRANDGUILLAUMEPourquoi pas? Mais jusqu’à présentles données ont plutôt généré ungrand Far West, notamment en Ile-de-France, et au bout du compte lestravailleurs indépendants nepouvaientplusvivredeleurtravail.

“Lesacteurs

européensmettentdesdécenniesàgravirleséchelons,franchirles

obstaclesadministratifsetréglementaires,

subissentlescoupsdeleursconcurrentsravisd’attaquerle

leaderdumarché,quienboutdecoursese

retrouveépuisé.”

BENOITCRESPIN,directeurFrance,eDreams

Odigeo

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Conclusion

ChristianSaint-Etienne

Christian Saint-Étienne est un économiste, universitaire, analyste et hommepolitiquefrançais.IlestprofesseurtitulairedelaChaired’économieindustrielleauConservatoireNationaldesArtsetMétiersdepuis2009. IlestconseillerdeParis et conseiller d’arrondissement pour le 11e arrondissement de Parisdepuisle30mars2014.Ilaétééluvice-présidentduConseildeParisle5avril2014etestDéléguénationalà l’économiedesRépublicainsdepuis la créationdupartien juin2015.ChristianSaint-Étienneest titulairededeuxMastersenscienceséconomiques(LondonSchoolofEconomicsetdel’universitéCarnegie-Mellon), a soutenuune thèsededoctoratd’État en sciences économiques à lafacultéd’Assasetesttitulaired’undiplômedel’ESCPEurope.En1984,aprèssixans passés aux États-Unis, il devient administrateur à l’Organisation decoopérationetdedéveloppementéconomique(OCDE)àParis.De1987à1995,Christian Saint-Étienne est conseiller économique de la Direction financière,puisaprèslekrachde1993,contro leurdesengagementsduCréditLyonnais.En1996,ilfondeConseilstratégiqueeuropéenSA,uncabinetdeconseilspécialiséenanalysestratégiquedesmarchésetconseilstratégiquepour lesentreprisespatrimoniales.ChristianSaint-ÉtienneasiégéauConseild’analyseéconomiqueduPremierministrede2004àjuin2012dontiladémissionnéparoppositionaux mesures économiques du nouveau gouvernement sous la présidence deFrançoisHollande.

e matin, nous avons eu undébat stratégique, techniqueet politique. Sur le plantechnique, nous avons réalisé

que nous disposions des outils, quenous votons des lois, mais que lesdécrets ne sont pas publiés, ce quiprovoque une grande frustration. Ilfaut donc réfléchir à la stratégie demise en œuvre de ces outilslégislatifs,dudroitdelaconcurrence,etc. L’oligopolisation du marché desplateformes au niveau mondial, leur

taille énorme et le soutien dugouvernement américain constituentunblocquin’aquefairedel’Europe:pour lui, c’est juste un marché àprendre.Ilsnousécraserontpartouslesmoyens,donc ilest indispensablede faire émerger une capacitéstratégique européenne. En effet, lesrares acteurs européens qui ontémergé de cette compétition entreChineetÉtats-Unissontdesvictimesfaciles car ils ne sont pas défenduspar des pays puissants. Par

C

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conséquent,ladimensionstratégiqueeuropéenneestessentielle.Au fond, la bataille d’image a étégagnée par ces plateformes: c’estbeau, c’est bon, c’est pur, c’estgratuit... Cette bataille estincontournablecarmalgrécettebelleimage du numérique, ce qui nousnourrit, c’est le reste de l’économiequi paye les retraites, les hôpitaux,les universités et l’entretien desroutes. La remise à niveau des

charges et des impôts est unequestion vitale, c’est même la seulequestionpolitique.Sil’oncontinuedelaisser se vider le monde dit«archaïque» – qui néanmoinsreprésente encore 93% du PIB – lesystèmerompra.Le défi est technique, il eststratégique, mais il est avant toutpolitique.

”Malgrécettebelleimagedunumérique,cequinousnourrit,

c’estlerestedel’économiequipaye

lesretraites,leshôpitaux,lesuniversitésetl’entretiendes

routes.”CHRISTIANSAINT-ÉTIENNE

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Clôture

XavierBertrand

Xavier Bertrand est né le 21 mars 1965, à Châlons-sur-Marne. Agentd’assurances de profession, il s’engage dès l’âge de 16 ans en politique. Éludéputé de la deuxième circonscription de l’Aisne en 2002, il sera réélu pourtroisnouveauxmandats(2007,2009-2010,2012-2015).NomméministredelaSanté (2005-2007), puis ministre du Travail (2007-2009) et ministre duTravail,del’EmploietdelaSanté(2010-2012), ilremportelamairiedeSaint-Quentin (Aisne) en2010.À la veille de son élection aupostedeprésidentdunouveauConseilrégional,le4janvier2016,ilannoncerenonceràsesfonctionsde député de l’Aisne et de maire de Saint-Quentin pour «se consacrerpleinementàlaRégion».

ThierryGuerrierXavier Bertrand, vous avez récemment abordé le sujet des plateformes. Je vousremerciedebienvouloirconclurenosdébats,surunterrainpolitique.

ui, ici, est opposé auprogrès?Levezlamain.Qui est opposé, en soi, audigital? Pourma part, je ne

suis opposé ni au progrès ni audigital. Je pense cependant que pourcontinuer à vivre dans une sociétéharmonieuse,ilconvientdeposeruncertain nombre de préalables, ou dequestions:- Économie numérique: les règlessont-elles respectées aujourd’hui?Les sociétés de l’univers digitalcontribuent-elles aux dépensespubliques, au travers d’impôts, aumême titre et aumême niveau queles sociétés de l’économie dite« traditionnelle »?

- Lessalariésdecesentreprisessont-ils traités de manière équitable, etsont-ilsrémunéréscorrectement?

- Leconceptde« start-upnation »est-illeseulavenirdelaFrance?J’ai décidé, en politique, de ne pluschercher à faire plaisir à tout lemonde,et laréponseàcesquestionsest,àmesyeux,« Non ».C’est la raison pour laquelle j’aiaccepté de participer à ce colloque,carilétaittemps,c’estvrai,qu’ilyaitune prise de conscience qui dépassece cadre d’aujourd’hui, et quiinterpelle l’ensemble des décideurs,tant au niveau national – lesparlementaires,maispasseulement–qu’aux niveaux international et

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européen.L’économienumériqueatoutd’abordsuscité de beaux espoirs, qui sontdevenus illusions pour certains,espoirs confirmés pour d’autres, etune réelle menace pour l’économieclassique.Quin’apasététenté,àunmomentouàunautre,parlefaitd’avoiruntaxiàmoitié prix, voire moins, deschambresd’hôtelpourpresquerien ?Dites-moi si quelqu’un, en tant queconsommateur,n’apasétéséduitparl’idéed’avoirdelalivraisongratuiteàdomiciledeproduits,desrepas,sansréellement payer la livraison? Toutcela est arrivé, les consommateursont pu en profiter en partie. Lescitoyens et les contribuables n’ontcependant pas vu tout de suite quelenseraitl’impact.Celas’estfaitauprixd’unincroyableaffaiblissement de l’économieclassique et d’une dégradation dustatut de salarié dans les paysdéveloppés, ainsi que des conditionsde vie extrêmement fragilisées denombreux acteurs de l’économieclassique.NousévoquionsUber toutà l’heure:les prix ont baissé, bien entendu,maislessalariésdessociétésdetaxiset les artisans taxis y ont égalementbeaucoupperdu.QuantauxservicesdeAirBnB,ilsontdonnél’illusiondeselogerpourrien,ce qui offre de bonnes conditionslorsque l’on voyage. Mais dans lesvilles touristiques, ce sont deshabitantsquiontaussidûquitter lescentres-ville: on ne peut pasforcémentvivrelàoùl’ontravaille,etj’en ai encore eu un témoignage cematin,laviedanslesimmeublesaétérendue difficile, parfois mêmeimpossible.Ilafalluquesedéveloppetout un mouvement dans lesrèglements intérieursdecopropriété

afind’interdirecela.Peut-êtren’êtes-vous pas directement concernés,maisj’aieucematinletémoignagedequelqu’un qui a dû imposer cerèglementdecopropriétélesoiretlanuit, car cela était devenu invivablepourlui.Nous voyons donc que si nouslaissons complètement faire,l’économie classique n’a aucunechance de s’en sortir, car lacaractéristique de la plupart desservices attractifs offerts parl’économie numérique, est de nepouvoiroffrirdesservicesàdestarifsaussi bas que parce que cesentreprises, pour la plupart toutesaméricaines, non seulement nepayent guère, mais ne payent pasd’impôts sur leur activité enEurope,échappant ainsi à la fiscalitéet auxcharges sociales. Elles permettentégalement à ceux dont ellespermettent les activités d’échapperauxmêmesobligations.Iln’yapasdeconcurrenceéquitable.Prenons la question d’Airbnn oud’autres sites comparables:connaissez le montant de l’impôtpayé par AirBnB en France ?92 444euros exactement. Ce chiffrepeut laisser rêveur lorsque l’on saitquelaFranceestla2eaumondedansles activités d’AirBnB, et l’on estimeaujourd’hui que cela ne produit quedes services marketing. Voilà laraison pour laquelle seuls92 444euros sont acquittés parAirBnB.Les fameux « hôtes », tels qu’on lesappelle, échappent à la taxation deleursrevenuset–toutlemondenelesaitpeut-êtrepas–AirBnBavaitosémettre en place une carte depaiement totalement honteuse, quipermettaitàseshôtesderetirerleursrevenus en espèces. De la mêmefaçon, comment peut-on nommer

”Lesfameux« hôtes »,telsqu’onlesappelle,

échappentàlataxationdeleurs

revenuset–toutlemondenelesaitpeut-

êtrepas–Airbnbavaitosémettreenplaceunecartede

paiementtotalementhonteuse,qui

permettaitàseshôtesderetirerleurs

revenusenespèces.”

XAVIERBERTRAND

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cela, et comment l’empêcher ?Tentatived’évasionfiscale ?Iln’ya,àmes yeux, pas d’autres mots queceux-là.UnautreexempleestceluidelaTVA:quand je dis qu’ils perçoivent 10%de TVA, ils doivent, bien entendu, larépercuter à leurs clients. Or, leshôtesd’AirBnBnepayentstrictementrien.J’ai rencontré dernièrement lePrésidentdelaPoste:AmazonestunclientdelaPoste,et lorsqu’ilyaunepression pour obtenir de la Poste etdes postes classiques des conditionsde prix qui ne couvrent pas les prixréelsdelivraison,etquisontfinancéspar les autres clients des postes,comment appeler cela en termes deconcurrence ?J’en viens aux mesuresd’encadrement prises en France vis-à-vis de l’économie numérique. Lesaménagements de contraintes àappliquer aux acteurs de l’économieclassique demeurent aujourd’huiclairement insuffisants, malgré lavolontéetlespremièrestentatives.Il y a euunephasependant laquelletous les hommes politiques et tousnos concitoyens se sontenthousiasmés, sans trop réfléchir,pour les promesses de cetteéconomie numérique. Force est deconstater aujourd’hui que cetteéconomienumériquen’apastenusespromesses.Laréalitél’atoutdemêmepeuàpeuemporté: une grande partie de nosresponsables politiques et denombreux concitoyens ont comprisque l’économie numérique étaitcertes plaisante pour ceux qui y ontrecours, notamment pour leshabitantsdesgrandesmétropoles,cequi constitue, à mon sens, unefracture: jecirculeenUberpourpascher,jefaistoutlivrerparAmazon,je

dorsenAirBnBquand jemedéplaceet je mange à la maison, livré parDeliveroo.Tout cela emporte cependant denombreuses conséquences négativespour l’ensemble de la société.Mêmesi je n’ai pu assister à l’ensemble dececolloque,lesintervenantsprésentsce matin ont montré que desdispositions importantes, tantlégislatives que réglementaires,avaient été prises pour ancrerl’économienumérique.Noussommesactuellement loin du compte, pourquelaviesocialenesoitpasimpactéepar les débordements de la vienumérique, et, j’insiste sur ce point,pour que les conditions deconcurrence soient rétablies entrel’économie numérique et l’économieclassique. Je ne suis pas contre leprogrès, je ne suis pas pourl’apparition de nouvelles formes deconcurrence,jedemandesimplementquetoutlemondesoittraitéetlogéàla même enseigne, et que lesconditionssoientéquitables.Je crois à la liberté,mais je souhaitenéanmoins que lesmêmes règles deconcurrences’appliquentàtous.Je voudrais également insister sur lasituation des employés, car c’est unsujet peu évoqué. Il y a sur cesplateformes des salariés quibénéficientdesgarantiesduCodedutravail, et qui offrent un véritablestatut.Sans remettre en cause le statut del’autoentrepreneur,quiasesmérites,n’est-il pas, lui aussi, dévoyé parl’économienumérique ?N’a-t-onpas,d’une certaine façon, réinventé letravail ”à lapièce”, comme il existaitautrefois à domicile, et n’assistons-nous pas à une re-canutisation denotre économie? Souvenez-vous, lescanuts revendiquaient un salairegaranti, fixe, face à des négociants,

”Jecroisàlaliberté,maisjesouhaite

néanmoinsquelesmêmesrèglesde

concurrences’appliquentàtous.”

XAVIERBERTRAND

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qui voulaient, eux répercuter lesfluctuations du marché sur lessalaires.CommeledisaitPaulValéry,ne rentrons-nouspasdans l’avenir àreculons ?C’est le sujet du statut social de cessalariés et de ces employés quimériteaujourd’huid’êtreporté.Vousl’avez fait ce matin avec la questionduCodedutravail.Parailleurs,unautresujetn’apasétésuffisamment abordé: si l’on veutimposer des règles à cette économienumérique, nous devons égalementalléger les règles portant sur cetteéconomie traditionnelle. Si nousvoulons que l’économie classiquesurvive, il convient de changercomplètement de paradigme. Despistes ont été évoquées, et j’aicompris la proposition de mon amiGillesCarrez.Jepense,eneffet,quelafiscalitélocaledoitêtrerevueafindepermettre d’avoir des librairies etdescommerces.Certainspensentquec’estterminéetqu’ilnous fautbaisser lesbras, jenele crois pas. Il est cependantnécessaire de s’en donner lesmoyens.Un grand nombre de responsablespolitiques ont entrouvert les yeux.Desactionsbeaucoupplusprofondess’imposent rapidement, tant auniveau national qu’international, oùces acteurs, essentiellement nord-américains,doiventbiencomprendreque la menace qu’ils font peser surnotre économie est enfin prise ausérieux.Il est clair qu’au niveau français, larégulationdes acteursde l’économienumérique, ou l’allègement descontraintes pesant sur l’économieclassique demeurent largementinsuffisants. Cela a été le cas pourM.Creyssel, sur la distribution, maisaussi pour AirBnB. Je le redis

cependant à notre président actuelou à son prédécesseur: lespromesses de régulation, n’ont pastoujoursétésuiviesd’effets,ouceux-cin’ontaujourd’huipasétéapportés.J’aimeraisquel’ensembledelaclassepolitique se réveille. Il ne s’agit pasdechercherquerelleàquiquecesoit,maisdedirequelemomentestvenude se réveiller et de prendre lesmesures.Analysons tout d’abord ce qui a étéfait d’un point de vue fiscal.L’inégalité reste encore presquetotale. Cela ne concerne pasuniquement l’hébergement AirBnB,quand les hôteliers doivent facturerles 10% à leurs clients. Par ailleurs,les revenus des hôtes ne sontfinalement transmis au fisc qu’àpartir de 2020, une date encoreretardée récemment. Je suis tombédes nues, car je me disais quel’administration fiscale pouvaitréparer l’iniquité, car elle estrarement en retard pour avoir desrecettes potentielles. Je necomprendspascedécalage.Jenesuis,pourmapart,pasobjectif,c’est mon ami, je fais cependantconfiance au ministre des Comptespublics afin de réparer ce quej’estimeêtreuneinjusticeetpourquenous prenions les mesures quis’imposent.L’administration fiscale ne peut pas,ne doit pas, reporter sans cesse lemomentoùelleentendconnaitre lesrevenus à taxer, quand le moindrecommerçant, le moindre artisan, esttaxéaumomentmêmeoùilouvresaboutiqueousonatelier.Analysons ensuite ce qui s’est passé,ou non, du côté des règles àrespecter. L'exemple révélateur estcelui de la distribution. Rien n’a étéfait pour comprendre pourquoi lessites de e-commerce peuvent, de

”Desactionsbeaucoupplusprofondes

s’imposentrapidement,tantauniveaunationalqu’international,oùcesacteurs,essentiellementnord-américains,doi-ventbiencomprendrequelamenacequ’ilsfontpesersurnotre

économieestenfinpriseausérieux.”

XAVIERBERTRAND

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facto, vendre à pertequand lescommerçants classiques ne lepeuventpas.S’agissant des commerçants de ladistribution, petits ou grands, ilsn’ont toujours pas le droit d’ouvrirquand ils le veulent, alors que lessites de e-commerce peuvent livrerjour et nuit, samedi et dimanchecompris, ce qui constitue uneinégalitédetraitementinsensée.Pour les règles qui doivent êtrerespectées et qui s’imposent àl’économieclassique,l’inégalitérègneenmaître sur leshôteliers comparésauxhôtelsdutypeAirBnB.Quant aux questions de sécuritéincendie, de l’accès aux personneshandicapées, les hébergements deAirBnB y échappent complètement.Oùestlamorale ?Oùestlasécurité ?Oùestl’équité ?Qu’attend-on ?Qu’ilyaitundrameterriblepoursedirequeoui,ilauraitfallulefaireavant ?Je le dis très clairement, et je le dispubliquement, ici, devant vous, ceuxqui couvrent cela aujourd’hui serendent responsables des drames àvenir.Jevoudraisinsistersurunepiste,carilne s’agit pas de dire « Vite,préparons l’huile bouillante pourempêcher l’économie digitale etnumérique d’arriver ». L’enjeu n’estpas celui-là. Il serait peut-êtred’alléger les contraintes, et dechanger, et non de charger,l’ensemble de la vie de l’économieclassique. Il faut rendre la vie desentreprises plus facile, en allégeantles contraintes fiscales, mais aussiréglementaires.Les taxis se confrontent au systèmeUber. Si nous considérons que lestransports individuels de ce type, àmeilleur marché, sont désormaisindispensables aux politiques detransport public dans toutes les

grandes villespourdesquestionsdemobilité, pourquoi ne pas envisagerune autre approche ? Pourquoi nepas considérer les uns et les autrescomme des éléments de cettepolitique de transport public, enalignant les conditions de travail etles salaires des deux systèmes, etayant soit des salariés taxis, soit desartisans;ets’ilyalieu,d’abaisserleschargessociales ?Les factures des consommateurspourraientêtrediminuées,etsinoussouhaitons baisser le prix descourses, pourquoi ne pas faire uneTVAàtauxzéropourtoutlemonde ?Tout ceci prend d’autant plus dereliefquelaquestionquivaseposerdans lesannéesàvenir sera celledela suppression des emplois. Nousparlerons alors même des véhiculessanschauffeur.Plutôtque subir etne rienanticiper,nous avons intérêt à imaginer unenouvelleformedefiscalitéafindenepas faire face à un bataillon dechômeurs.C'estlavoiequis'impose.S’agissant des hôtels en concurrenceavecleshébergementsB&B:faceauxhôtelstropcherspourlestouristesàfaible pouvoir d’achat, envisageonsuneTVAà tauxréduits,commepourles hôtels d’entrée de gamme ou lesaubergesdejeunesse,enimposantlaTVA aux hôtels de même niveau,selon leur catégorie, et auxhébergementsdetypeAirBnB.Je voudrais, pour terminer, ouvrir levolet européen. Je sais que certainsd’entre vous pensent que l’Europelaisse faire. Il est vrai qu’elle doitabsolument remettre les pendules àl’heure, mais je pense que lesinstances européennes ontlongtemps fait l’objet d’un lobbyingimportant venant de cette nouvelleéconomie et de nombreusesplateformes.

”Jepensequelaréponseesteuropéenne,et

qu’unetaxede3%,quiserarépercutéesurles

consommateurs,neservirapasàgrand-

chose.”

XAVIERBERTRAND

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Il est également vrai que lesdirigeants américains ne se sontjamais démarqués par un grandactivisme pour remettre de l’ordredans tout cela. Je pense que, pourMonsieur Obama, c’était des amisproches, que Monsieur Trump n’yconnait pas grand-chose, donc lerésultatestlemême.Cedébatmontrequel’onabesoindel’Europe.D’ailleurs,cequis’estpasséla semaine précédente est un bonsigne: la liberté de culture et decréationétaiten jeu, commecelledel’information et de la presse. Nousavonscependantbesoinde”tordrelebras”auxGAFA,afinqueces libertéssoient respectées.Si l’Europeapu lefaire dans ce domaine, elle doitpouvoir continuer à le faire ensuite.LaCommissiondoitvoirl’intérêtqu’ilyaàfairepressionsurlesÉtats-Unis,qui partout menacent nos intérêtséconomiques,enrecadrantlesgéantsdu numérique, mais également cesplateformes.Il existe un lobbying fiscal. Je penseque la réponse est européenne, etqu’une taxe de 3%, qui serarépercutée sur les consommateurs,ne servira pas à grand-chose. Cettestratégie européenne a du sens si,commel’ontproposéChristianSaint-Etienne et les parlementaireseuropéens, dont Alain Lamassoure,nous reconstituons complètement labase fiscale du chiffre d’affaires etque nous taxons l’intégralité duchiffre d’affaires. Cette possibilitéexisteégalementauniveaueuropéenet ce recadrage sera d’autant plusnécessaire que tous ces géantsnumériques s’affranchissent desrègles qui régissent nos économies,et qu’ils dissimulent à peine leursambitions, cellede régenternos viesàleursprofits,aprèsavoirdétruitlesactivités correspondantes assurées

par les entreprises de l’économieclassique.C’estuneréellequestiondemodèle de société qui est poséeaujourd’hui.Pourconclure,jevoudraisdirequecen’est pas seulement une prise deconscience, même si je sais quelorsque l’on est responsablepolitique,s’exprimercommejelefaisprésente aussi des risques, car nousallonsêtreaussitôtaccusésd’êtredesdinosaures, des rétrogrades, desconservateurs.Jem’enmoque.Je crois que l’on peut, aujourd’hui,être favorable au progrès, mais quecelui-ci ne doit pas forcément êtredestructeur.Laconcurrenceestsainelorsqu’elle est équitable, oraujourd’hui, elle ne l’est pas. Lemiracle de la «start-up nation» necorrespond pas à l’ADN ni à l’avenirdenotrepays.La France peut continuer à avancerviteetloinsiellemarchesursesdeuxjambes,cetteéconomiedigitale,maisaussi cette économie traditionnelle.La pire des choses,en politique, estde ne pas prendre conscience et denepasanticiper.Ce que je vois, avec le nombre depersonnes présentes ici, c’est que laprise de conscience dépasse notreseul auditoire. Tant vis-à-vis desparlementaires, qui ont différentessensibilités, que vis-à-vis duGouvernement, il faut continuer àfaire pression, car au-delà de nosemplois, au-delà de l’économietraditionnelle, c’est une certainefaçon d’envisager l’avenir de notrepaysquiestremiseenquestion.Ilyale droit, il y a le fisc,mais il y a, au-delàdecela,unecertaineconceptiondel’éthiqueetdel’imagedupaysquenousvoulonsléguerànosenfants.Cen’est pas seulement une questiond’activitéprésente,c’estaussicelledel’avenirdenotrepaysetdel’Europe.

”Lemiracledela«start-upnation»ne

correspondpasàl’ADNniàl’avenirdenotre

pays.”

XAVIERBERTRAND

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L’intelligence artificielle sauveracertainement des vies, elle détruiraaussi des emplois, et la pire deschoses pour les politiques serait desedésintéresserdetoutcela.Entout

état de cause, vous êtes des acteursde l’économie d’aujourd’hui et jepense que vous pouvez être desacteursdel’économiededemain.

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