LA RECHERCHE DES ÉPAVES DE NAVIRE COMMENCE DANS LES ARCHIVES , DETECTIV"ES SOUS-MARI NS Cela ressemble à un reve d'enfant. Partir à la recherche de l'épave d'un navire vieux de plu
sieurs siècles dans l'espoir de lire des récits uniques et, si possible, de tomber sur un trésor.
Toutefois, les chasseurs d'épaves ne vont plus très loin de nos jours s'ils ne sont portés que par
ce type d'aventure romanesque. Ce qu'ils veulent, ce sont des indications indéniables et des
informations précises provenant de cartes et de documents anciens. En effet, une expédition
coûte une fortune. La Française Emmanuelle Lizé a fait de ce type de recherches maritimes
son métier. Telle un détective, elle épluche des archives poussiéreuses dans toute l'Europe à
la recherche d'indications précises sur base desquelles les archéologues ou les firmes de ren
flouement pourront entamer leurs investigations.
Inge TAUCHER
Em manuelle Lizé (29 ans) a hérité désormais commencé à voler de ses propres
du virus de la recherche mari ailes après dix années de formation et de
time de son père, Patrick Lizé collaboration avec son père. Avec un peu de
(voir encadré), A l'âge de 3 ans, chance, elle va peut-être collaborer avec des
elle se promenait déjà avec un Tc archéologues du gouvernement philippin.
shirt de pirate. A la différence qu'elle posait Elle a réuni un impressionnant dossier sur
sur une plage de l'île Maurice, avec la repro l' Oxftrd, une épave du pirate du I7 e siècle
duction d'un portrait du' pirate du ISe siècle Henry Morgan (voir encadré). Et elle met la
"Le secteur de l'archéologie maritime fourmille de requins"
John Bowen imprimée sur le ventre, à côté toute dernière main à son premier livre (en
de quelques trouvailles que son père venait deux tomes), un aperçu schématique et chro
juste de remonter de l'épave du bateau pi nologique de tous les naufrages dans les eaux
rate de Bowen, le Speaker. Pendant toute son françaises, de 1120 à 1945.
enfance, elle a vécu de près cene profession Comment en arrive-t-on à éplucher des rare - dans le monde entier il n'y a au grand archives à la recherche de navires coulés?
maximum qu'une vingtaine de spécialistes Dans votre cas, cela me paraît plutôt évi
des archives maritimes à plein temps - et a dent, mais comment votre père a-t-il ern-
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A 29 ans, Emmanuelle Lizé est une des spécialistes mondiales de l'archéologie maritime.
plu s jarnais lâché mon père. Lors de son re
rour en France, il s'est im m éd iatemen t lancé
dans la consultation d'archives, à la rech erche
d'a utres navires. Il en a alors [Out simplement
fait sa profession . Aussi loin qu e je me sou
vien ne, cela m'a touj ours fascinée . Imaginez
un peu: un papa qui est rarem ent à la maison
et, à chaque reto ur, raconte des histoi res de
tréso rs à sa fille de onze ans. Je rêvais de faire
la mê m e chos e' Vers l'âge de seize ans, j'ai
commencé à travailler avec lui ; pendant les
vacances scolaires , je l'accom pagnais da ns ses
voyages de reche rche en Espagne ou à Lon
dres. C'est vrai qu 'il y a beaucoup de gens qui .
se sont, un e fois dans leur vie, consacrés par
curiosité à ce travail d'archive. Ma is peu sa
vent qu e cela peur être un e profession à temps
plein . Sa.ns mo n père, je n'aurais jam ais em
brassé cette profession . Elle n'existe d 'ailleurs
En consultant les archives, on a parfois que depuis une petite vingtaine d'années." les doigts recouverts de pa illettes parce Est-ce que cela a été difficile de tracer que, à l'époque, "encre contenait de fines
vot re propre voie, Cil tant que jeune femmeparticules d'or. et avec le nom que vous portez, et qui en
bras sé cette profession? plus déb arque dans un monde d'bommes?
"Par hasard. Pen dant son service militaire "Ce n'est pas génial d 'être une fem me dans
il s'est rendu à La Ré un ion et à M aurice. 11 ce microcosme, mais en fin de comp te j'ai
y a rencontré des pêche urs qu i lu i ont de su rto ut dû faire mes p reuves parce que j'étais
mandé s'il voulait les accompag ner à l' épave fort jeu ne. Au déb ut , je t ravaillais pour mo n
du Saint-Géran. C'est tout un co nce pt en père et pour ses clients , mais je restais déli
France, à cau se du roman "Paul et Virginie" bérément il l'arrière-p lan. Après un mo ment,
de Bernardin de Saint-P ierre (et un feuilleto n j'ai voulu voler de mes propres ailes. Ce la
télévisé éponyme dans les années 1970 ndlr) . n'ét ait pas facile, pa rce que je ne voulais pas
Dans ce rom an, le Sain r-C éran cou le avec souHler des clients à mo n père. Et malgré
Virginie à son bord et Paul at tend en vain le mo n nom de fam ille, qui a une bo nne r épu
retour de sa bien-aimée. Ce tte excursion n'a ration dan s ce milieu, cela n'a pas immédiate
, PATRICK LIZE Patrick Lizé se qualifie lui-mêm e d 'arc hiviste-historien. Autodid acte, il s'est forgé un no m
au fil des a ns dans le monde de la rech erc he dan s les a rchives maritimes. En 1979, il jou e
avec le plongeur fran çais Jacqu es Dumas un rôle de pionnier dans l'a rchéolog ie maritime .
Ils décou vrent le navire Banda, batt ant pavillon des Indes orienta les néerl andais es, co ulé
en 1615 . Pou r la première fois da ns l'histoi re, un gouvernem ent collabore avec une équipe
d'archéolog ues, avec le so utien de l'Unesco . On y trouve ra nota mmen t 90 pièc es de po rce
laine de la dynastie Ming et différents inst ruments de navigatio n. En 1980, Lizé, une nouvelle
fois souten u pa r l'Une sco, découvre des morc eau x d 'ép ave du Speaker, le bat eau du pirate
Jo hn Bowen qui avait sombré e n 1702 . Ce q ui rend Cette découverte unique, c'est qu e c' est
uniquemen t grâce a ux don nées d 'archives de Lizé qu'on a pu montr er qu 'il s'agissait bien
d' un bate au pirate . Car il n'av a it pa s été possible de remonter des preuves irréfutables de
l'épave.
Patrick Lizé, par la s uite, co llabore ra pendant de nom breuses a nnées avec l'arch éologue
so us- marin médiagé nique et s e lfma de ma n Franck God dio (qui s 'entourait d 'ailleurs de
scien tifiques de haut vol), Ils découvriront ense mble, en tre autres , L'Orient, un navire-am ira l
de Napoléon armé de 120 canons , et le ga lion San Diego , coulé aux Philippines après une
bataille navale (les objet s remo ntés sont visibles au musée nat ional de Manille). On dit auss i
que ce serait Lizé qui aurait initié les expéditions de Goddio dans la ville immergée d' Alexan
drie, qu i so nt le thème d 'un e expos ition qui se tient à Paris (Gra nd Palais) jusqu'au 16 mars
2007. Goddio et Lizé ne collaborent plus ensemble depuis un bon mom ent. Patrick Lizé a
privilégié ces dern ières an nées une o rientation académique et ne se limite plus exclusive
ment à l'histoire navale . Il trava ille régu lièrement pour le ministre po rtugais de la Culture .
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me nt m arché. Personne ne prenait une aussi
jeune femme au sérieux. Finalement, j'ai p u
quan d mêm e m'atteler à mon premi er dossier
qui m'a été confié par un client de mon pè re.
Petit à pet it, vous étab lissez d'autres contacts,
aussi via les forums sur intern et, et les perits
ruisseaux se mettent à faire de grandes riviè
res. Cela fait mai ntenant dix ans que je suis
dans la profession et j'ai quelqu es bonnes ré
férences, donc ce probl ème comme nce à se
résoud re de lui-m ême. J' ai aussi beauco up de
chance d 'avoir reçu tellement d'archives de
mo n père. J'ai complété certa ins dos siers, et
j'ai aussi commencé il en consti tuer tout un
tas de no uveaux. Je dois avoir p rès de 10.000
épaves dans mes fichiers . Mais je le répète,
sans mo n père je ne serais pas où je suis."
Voue profession est assez unique. Ave:r.
vous suivi une formation qui vous en a
donné les bases?
"Non , je n'ai auc une format ion universi taire
en arch éologie ou en histoire. ]'ai fait des étu
des de marketi ng et communicat ion . Pour le
reste , c'es t mon père qui m'a form ée. Il y a
dix ans , j'aurais aimé su ivre un e formation en
archéo logie maritime, mais elle ne se donnair
qu'en Flo ride. En Europe, vous devez d'abord
suivre le parcours généra l de quar re ans d'ar
chéologie, avant de pou voir vous spécialiser.
Je n'en avais pas envie. Et m ême si j'avais
étudié l'archéologie mariti me, je n'au rais pas
enco re été p our amant capable d'exerce r ce
mé tier. Une uni versité aurait pu m'enseigner
l'histoi re mar itime ou l'arch itecture navale,
mais pas com me nt éplucher les archives à la
man ière d'un d étective, Mais bon , je so uhaite
aujourd' hui obte nir quelques d iplômes, no
rammem un certificat recon nu par l'Un esco
sur les tech niques Ct les méthodes de fouilles
archéologiques sous-marines."
Quelle est votre crédibilité auprès des cer
cles scientifiques et acadé m iques, ne crai
gnez-vous pas d 'être assimilée à ces aventu
riers dans le milieu des chasseurs d 'épave?
"En France certainement , vous êtes rapide
ment cata logué si vous n'avez.pas le diplôm e
universita ire ad hoc, mais dans le reste du
mo nde cela se passe plut ôt bien . Si vou s racon
rez à des un iversitaires français que vous avez
trouvé telle ou telle épave, vous to uchez un
point se;"sible. Non pas qu' ils ne vont pas me
croire, mais ils von t se sentir terribleme nt mal
à l'aise à cet égard. Parce qu e j'ai trouvé sans
d iplôme une chose qu'i ls n'o nt pas trouvée.
M ais peut-être ma crédibilité va-t-elle s'amé
liorer avec la pub licatio n de mon pre mier
livre. En France, chaque t rouvai lle archéo lo
gique revient toujours à 100 % à l'Etat , sans
aucune reco nn aissance po ur la person ne qu i a
fait la découverte. Je tr availle dès lors surto ut
à l'ét ranger, aussi parce que la Chi ne ou les
Caraïbes frappent davanta ge mon im agina
don . Pour le reste, votre crédibilit édépend de
la personne avec qui vous collaborez. Je refuse
de m'em barqu er avec des chasseurs de t résors
purs er durs. Ils ne recherchent que l'or et ne
veulen t pas enrendre parler de l'hi stoire. Ils ne
se soucient pas du nom du bateau . . . du m o
m ent qu'on y trouve de l' or. A l'autre extr ê
me, vous avez des archéologues universitaire s
qui n e s' in réressen r qu 'à l'h istoire."
Où vous situez-vous sur cette échelle, où 6
gIll'cnt d'un côté les chasseurs de trésors sans
pitié et de l'autre les purs universitaires?
"Ce n'esr pas aussi simp le. . . mais disons qu e
je m e situe quelque part au milieu. Je ne pe ux
pas j urer qu e l'a rchitectu re navale me lasse
planer. Mais j'adore les r écirs el' les petites
parties d 'histoire qu'ils dévoilent. Et le travail
de recherche me pa ssion ne! C'est la raison
pri ncip ale qui me pousse à exercer ce mét ier.
Mai s je ne cacherai pas que j'aime les tréso rs.
Pas en premier lieu pou r l'a rgen t, mais bien
parce qu'un tréso r a une b eau t é d e con re de
fées. C'est to ut simp lement magn ifiqu e d 'ad
mirer des bijou x qui one reposé penda nt des
siècles dans le fond de la mer. Je trouve cela
bien plu s beau qu'u n mo rceau de bois pou rri
ou un tas de crânes. N' oubliez pas que cha
que nau frage exigeait son lor de mo rts. Une
épave est aussi souvent un cirne rière."
Recherchez-vous aussi une reconnaissance
ou une collaboration scien ti fique?
"J' aimerais en effet beau coup collaborer
avec des insti tuts universitaires ou scienti
fiques. M ais ce n'est pas dans ma nature de
me pr ésen ter à eux. A eux de savo ir où me
trouver. .. Mais je sera is très contente si cela
se produ isait. Je trou verais par exemp le fan
tastique de réécrire J'hi sto ire mariti me d 'un
pays. O u donner toutes les informations que
j'ai sur un pays d étermin é à un institu t re
no mmé er gérer ses archives. C'est un de m es
rêves. Je suis touj ours en train d 'apprendre
er de m'exercer dans ce m étier, mais j'espè
re travailler un jo ur pour les autori t és d'un
pays. Je t rouve impo rtant de faire quel qu e
chose avec un e déco uverte archéologique.
Elle doit êt re expos ée pour être m on trée au
je m 'en occu pe moi-même. J' est ime vraiment
qu 'il doit y avo ir un rapp o rt détaillé de l'en
rreprise, avec to us les moyens, un inven tai re
des objets trouvés, etc. cr qu 'il soit publié
dan s un e revue scicncifique."
Qu'est-ce qui vous motive personnelle
ment? Uniquement le travail de d étective?
"En tour cas pas l'argent. La célébrité? Je
n'ai aucu ne env ie d ' êrre connue. C 'est pour
moi une satisfaction personnelle quand mes
recherches abo utissent. J' aime fouiller dans
l'hi stoire. Vous ouvrez un manu scrit an cien . . .
"Une épave de navire est bien souvent aussi un cimetière" grand public. O u alors elle doir faire l'ob jet
d 'un reportage télévisé du National Geogra
p hie ou quelque cho se du genre. M on père
a avert i officiellemem les au to rités de M au
rice de la d écou vert e du Speaker, et tolit es les
pièces uniques som allées au m usée. Er nous
avons pu conserver qu elques obj ets. N 'est- il
pas normal que le d écouvreur reçoive tom
de mê me qu elque chose? Il a d'ailleurs aussi
t ravaillé avec des universitaires à des pu blica
t ions scientifiqu es sur ses décou vertes dans
l' International jo urnal ofNau tical Areheology (IjNA), la très rép uté e revue du secteur. C'est
la raison pour laquelle j' exige toujours par
contrar qu 'une exposit ion et un rappon écrit
soien t réalisés q uand une découvert e esr faire .
Er si mes clients n'assu rent pas la publication ,
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et vous avez les do igts recouverts de paillettes,
par ce qu e ce document a été écrit avec de
l'encre qui contient de fines panicules d 'or.
Vous plon gez alor s da ns une époque complè
tement différente. Vous lisez des choses qui
n'auraien t jamais pu se produire à notre épo
qu e. J' oublie to ur. .. commen t je m'appelle,
où j' habit e, je n'existe plus. Je suis plongée
dans un autre monde. C'est fascinant. Co m
me dans un rêve. Le plus fantastiqu e dans ces
archives, c'est quand vous tombez sur un ma
gnifique navire q ue plu s personne ne connaît.
E t le fait de pou voir prouver à J'aide de docu
m enrs que le nav ire a réellem ent exisré,j'ado
re ça! Cel a ar rive raremen t, mais ce rype de
dossier, je le mets de côté dans l'attente que le
client ad hoc se pr ésente."
Avez-vous une période p référée? "Je SU IS ma joritairement co ntactée par des
"Vous pouv ez en principe remonter jus mi lliardaires qui ont fait fo rt une da ns un
q u' avant notre ère... Dans la Bible, il est autre sec teur ou ont hérité de so m mes impo r
indi qu é co mm en t la flotte d u roi Josaphat a tante s, et qui son t passion nés par l' archéo
sombré dans la me r Rou ge. Mais ce n'est pas logie maritime. Ils veulent deveni r le grand
mon tr uc. Je démarre à partir du 16e siècle, découvreur d 'une épav e impo rta n te. C ela ne
mais je préfère le ISe siècle, celu i des bat ailles m e dérange pas. Parfoi s, des entr ep rises de
navales, des flibustiers cc des pira tes. Je m e renflo uem ent so nt u niq uement fondées dans
suis entichée de la période de la gue rre de Sé le bu t de découvrir des épaves et des tr ésors.
cession en Am érique. Je m'i nt éresse beaucoup O u c'est une association que veut lan cer un
aussi aux ba teaux d' esclaves, m ais ce suje t res m usée . Mon père a déjà travaillé pour des
te, aux Etats -Unis su rto ut, encore tab ou." d épar tem ents ph ilanr ro piques d'une multi
Quelles son t les personnes qui font appel nationale o u pour le ministère portugais de
à votre travail de recherche? Qui so nt vos la C ul tu re. Il existe à vrai dire deux typ es de
clients? clien ts avec lesquels je refuse catégor iq ue-
Henry Morgan & The Oxford "Je prenais le repas du soir avec
les autres quand le grand mât
s'est arraché et est tombé sur
le capitaine Aylett et le capitaine
Bigford et les autres et les a tou
chés à la tête. Je me suis sauvé
en rampant à califourchon sur le
mât de misaine. Seuls Morgan
et ceux qu i étaient assis de son
côté de la tab le ont été sauvés."
C'est ainsi que s'exprime dans
ses écrits Browne, le médecin
de bord de la flott e du corsaire
pirate Henry Morgan. Le bateau
en question , The Oxford , a coulé
peu après cette grotesque explo
sion . Nous sommes le 2 janvier
i 669. Sur le pont de l'Oxford se
tenait une grande fête richement
arrosée. Dans l'agitation de la
fête, on a tiré des feux de joie,
mais une seule ét incelle fatale est
tombée dans le magasin de pou
dre et a provoqué une énorme explosion. Plus de trois cents marins anglais et prisonniers
français ont péri. Seuls Morgan et une poignée d'officiers, qui se tenaient à la poupe, ont
survécu.
Henry Morgan est, avec Blackbeard (Edward Teach), William Kidd et Black Sam Bellamy,
l'un des pirates qui figurent habitu ellement dans les livres d'enfants. Les légendes ont tou
tefois aussi négligé quelques navires. A ce jour, on n'a retrouvé et reconnu avec certitude
qu'un seul bateau-pirate: il s'agit de l'épave du Whydah de Black Sam Bellamy décou
verte en 1984. Certains aussi revendiqu ent avoir découvert ou localisé le Queen Anne 's
Revenge (Blackb eard) et le Jamaica Merchant (Henry Morgan), mais il n'y a pour l'instant
(encore) aucune unanimité.
Emmanuelle Lizé souhaite maintenant , avec le Sud-Africain Christopher Juredin (qui vit
sur les îles Vierges britanniques et y travaille notamment en tant que plongeur pour le
gouvernement) retrouver la trace du navire amiral du corsaire Henry Morgan, The Oxfo rd.
Elle se fait fort de connaître l'emplacement exact du naufrage. Les initiés cherchent autour
de l'île à Vache, devant la côte sud d' Haïti mais, selon Lizé, l'épave repose plus au nord .
Elle est en bonne voie d 'obtenir les autorisat ions des autorités haït iennes. Normalement,
i'expédition devrait être lancée cette année.
ru ent de tr availler. Je ne tr availle jamais pour
des chasseurs de tr ésors purs et durs. S' ils dé
co uvrent une épave dans les eaux inr ernario
nales, ils vendent rou tes leurs trouvailles aux
enchè res chez Ch rist ie's. C'est rid icu le! Et je
ne travaille jamais no n plus pour des gen s qui
ne dispo sent d 'aucune au rorisa rio n officielle
po ur leur expédition . Com m e je l' ai dé jà dit ,
to us mes clien ts doivent aussi ma rquer leur
acco rd sur la clause de réd act ion d 'un rap pon
scient ifiq ue O ll d 'organ isation d 'une exposi
tio n décence. Le grand pub lic doi t po uvoi r
profit er de nos découvertes. Si ces conditions
so m remplies , ils peuvent b ien m onter l'exp é
dirion po u r l'argem ou les éventuels tr ésors.
C ela ne m e pose aucu n problème ."
D e com bien d 'informations disposez-vous
quand vous VOlIS lancez dans ce type de re
cherches? Et comment cela se passe-t-il?
"En règle géné rale, Je client me contac te
q uand il d ispose d 'une au torisatio n po ur un
pays ou un e épave déterminée. Il ne possède
d 'hab itude pas d 'aut res renseignem enrs. Il n'a
aucune idée de l' époq ue non plus. Parfois il
me demande ce qui peur êtr e découvert dans
u n certain pays. Je suggère alors des épaves
potentiellement in téressan tes sur lesqu elles
no us pourrio ns travai ller. En fin , je reste avare
d 'i nformarions jusqu'à ce que le co ntr at soit
signé. Mo n pè re a eu u o p d 'exp ériences né
gatives avec des gens qui s'évapo raient dans
la nature avec ses in for m ations. C e secteu r
grouille de requins. Il arrive pa rfo is qu e je
dispose déjà de routes les informations sur
l'épave so uhaitée chez moi. J'ai bo uclé qu el
ques dossiers su r des épaves très convo itées,
m ais je ne les vendrai qu 'au client pa rfait,
qui sera prêt à le [rai rel' de faço n scien tifiq ue.
Sino n , généralement, je n'ai que le nom du
ba teau ou la date d u naufrage. Er c'est avec
ces données qu e je me m ets au travail. Prenez
pa r exem ple un navi re fran çais q ui a coulé en
Angleterre. Je fais alo rs des recherches dans
les archives françaises et anglaises. En Fran ce,
je co llabo re beau co up avec le Service Histo
rique de la Marine à Vincennes, LeI Archives
Na tionales à Par is, les arch ives du ministère
à Paris . . . Cela vous perm er de co nnaître le
nom du capitaine ou de l'ami ral, j'e ssaie alors
de mettre la ma in sur sa biographie, car les
so urces SOnt so uve nt in t éressantes. Par ce
bia is, vous trou vez une référence aux [ivres
de bo rd que je pe ux consu lter au près de la
High Court ofAdmiralty à Lon dres. A l'aide
d 'autres mots-clés, il se peur aussi que je
co nsulte les archives de The Times, The State
Papa , Archiuos Genemles de Indias à Séville . . .
Je lis to ur. Dans J'un de ces do cuments, vous
fini ssez par tro uver un rapp ort p récis de l'en
droit où le navire en q uestion a cou lé. Vous
décou vrez d 'où est parti le bateau. Ce qui me
per met de déd uire q ue lle était sa cargaison ;
Eos 62
un navire qui venait de Chine transporte ra
généra lem ent de la porcelain e. C' est v érira
blement un tra vail de d érec rive. Au d éb u t, je
me ret rou vais fréqu emment bloquée et je té
léph onais à roue instant à mon père pour lui
de man der conseil. D epuis, je sais main tenan t
précisément o ù je dois chercher."
Ne rencontrez-vous pa s trop de fausses pis
tes? Ou y a-t-il d 'autres diffi cuités?
"Je me méfie généralement des do cuments
ou des livres im pri més daran r de certa ines pé
riod es. Les récit s sone sou vent roma ncés. Les
navi res qu i o nr péri corps et biens cons ti tuent
souvent un poin t d ifficile. Tous les mem bres
de l'équipage ont été noyés, il n'y a aucu n ré
m oin d u naufrage. Seuls les survivants à terre
peuvent supposer qu e le bateau ait coulé: ils
l'at rendaien r avec sa cargaison à une p ériode dérerminée. Vous po uvez alors vo us mettre
en quête des bull et ins m étéo de cette péri ode.
Ou de navires qu i rài saien t à l'époque la m ê
me route - il Y a peut-êt re qu and même eu
un tém oin? Mai s ce type de dossier ne repose
jamais sur du con cret .
C'est aussi la raison pou r laqu elle les épa
rée par des gens qui courenr derrière un my
the!"
Combien de temps fa ",t- il pour boucler
ce genre de dossier? Et jusqu'à quel point
êtes-vous certaine qu'il y a une épave ou
un tr ésor?
"Q uand vous avez beauco up de chance, cela
peut ne pren dre qu'u n seul jour . M ais, géné
ralem ent, le tra vail de reche rche prend un à deux mois. Cela dépend, cela peut aussi du
rer t rois ans. Si la source fait une erreur ; un
survivan t qui affirme avoir nagé 3 km , alors
qu 'ii y avait tout au plus 500 mètr es. Vous
ne pou vez jam ais être cerrain à 100 %. Je
répète tou jou rs à mes client s que je n'y étais
pas. Il se peut par exem ple qu 'il y ait eu, vingr
ans a près le naufrage, une op ératio n de ren
flouage, au cou rs de laq uelle la cargaison (ou
le t réso r) ait disparu . C én éra lem em , ce gen re
d ' événeru en r est d ocument é quelque parr.
C'est la raison pou r laqu elle je co mpulse cou
jours les archives au moin s un an après la dace
du naufrage, po ur voir s'i l y a eu des ten ta
tives de ren flo uement. Mais vous ne pouvez
pas épluche r toutes les archives sur 15 ou 20
"J'ai envie de me pencher, dans les prochaines années, sur les archives russes, en fait peu étudiées parce que la plupart des archivistes ne parlent pas le russe"
ves les plus convoit ées n'ont pas encore ét é
retrouvées. Il y a tr op de sources sujett es à
caution, les navires one péri corps et b iens ou
ils sont comp lètemen t ensablés. Il est arrivé
un e fo is qu'un collègue me dem ande des in
formation s sur un navire particul ier, le Notre
Dame de la Délivrance. Un bareau connu , qu i
a coulé au large de la Flor ide en 1756, d isait
il. Je n'ai absolumen t rien retr ouvé dans m es
archives. Il esr vrai que je ne con nais pas rous
les bureaux, mais cela m e sembla it quand
même bizarre. Surtou t parce qu e, d'ap rès ce
qu'on disait, c'était un bateau très connu. Je
n'a i retrou vé n ulle pan l'in for m ation selon
laqu elle il aurait coulé. Fin alem ent, j'ai lu
dans un ancien catalogue de la Cham bre dt:
C ommerce de Marseille qu'i l avait été pr is
par les Anglais. D éto urné, pas coulé. Alo rs
qu 'u ne firme am éricaine clam ait qu'e lle avai t
trou vé cette épave pleine d 'or.
Avec mes sources, ce collègue a p u montrer
que des myth es circulent pa rfois cr qu e l'on
raconte des absurdités. Vous ne pou vez pas
vous im aginer combien de fois je suis con tac
ans. Un risque subsiste dès lors. D ans le cas
d'une épave par 2.000 m ètres de fond, vous
pouvez être sûr qu e personne ne l'a visitée
ava nt 1945. Vous savez, je con na is des per
sonnes qu i recherchent dep uis de nom breuses
années, aux Ph ilippin es, un e épave espagno le
qui rransportait beau coup d'argenr et qui a
coul é en 1806 à Panagatan. Ce ne sont pas
les premiers à y avoi r perdu beaucoup d 'ar
gen t. Mais à m on avis, ils se basen t rous sur
les mau vais documents. J' ai des indi cations
selon lesquell es le naufrage se serai t produit
50 0 km plus loin. Je sais où il a coulé, mais
je le garde po ur moi jusq u'à ce qu e je trouve
le client ad hoc. Ce qui est spécia l, c'est que
nous j'avons t rouvé tout à fait par hasard,
seulem en t pa rce que, mo n père et mo i, nous
avon s l'h abitude de toujours lire plus loin
dans les documents d'archives. Si nous t rou
vons à la pag e d ix les informa tion s que nous
che rch ons, nous po urs uivons quand même
no tre lectu re. Q u i sait, no us pourr ions tom
ber su t d 'autres naufr ages."
Pourtant, tout le monde n e fait pas des re -
Eos 63
cherches app rofondi es. Quell e importance
revêt un bon travail d'archive?
"fi arrive encore de temps à autre qu'un pê
cheur ou un plongeu r en apn ée en Asie du
Sud-Est ramène une belle pièce. Mais ce
genre de hasard est devenu rare. l es eaux
peu profo ndes one été prati qu em ent pillées.
Pou rt ant, certa ins chasseurs de trésors tr a
vaillent encore au peti t bonheu r avec tr ès peu
d' iulor macions sur J'épave. Avec leu r équipe
ment high-tech , ils prennent deux ans à ex
plorer une zone de 10 km sur lada ns l'espoir
de trouver un trésor. Q uels im béciles! M ais il
ya encore une raison pour laquelle le t ravail
d 'arch ive est util e. Vous savez avec précision
ce qu e VO LlS cherchez. Ce pêcheur ou ce plon
geur en ap née qui trou ve par h asard un ma
gnifique objet, mais n'en sait rien de plus, va
peu t-être le vendre pour une bouchée de pain
aux m auvaises person nes. D ommage."
Quelle est l'épave la plus fantastique que
vous aYC7. découverte jusqu'ici?
"Je ne peux malheureusement pas en dire
grand-chose. Vou s devez être très discret dans
ce métier. Ce rtains clients ne veulent pas faire
savoir q u' ils s'occupen t ou se SOn! occupés de
ce type de reche rches. O u parfo is vous tra
vaillez pour deux clients différent s, qui igno
rene qu ' ils ont engagé le même cherche ur.
C 'es t dès lors un sujet ext rême men t délicat,
je ne veux pas com promett re mes bonnes re
lations, ni celles de mon père."
Accompagnez-vous les expéditions, afin
de voi r en vrai la découverte quc vous avez
faite dans les archives?
"Peu de chercheurs part icipent aussi aux
expéd itio ns. Cela demande énor mément de
temps. Je ne peux pas me permettre d'être
part ie penda nt six mois. Mais pou r l'expédi
tion de l' Oxftrd, à Haïti, je serai pro bable
ment là, parce que cett e histoire me rient fort . " a cœu r.
Quels so nt vos ambitions futures et vos rê
ves dans ce métier ?
"Si je devais un jour avoir beaucou p d'argem,
je rêve de créer une fon dation, de former et
d 'employer beaucou p de gens - architectes,
ingénieurs, plon geurs - et de monter mes
propres expéd irions. J'ai aussi envie de me
pencher dans les prochaines années sur les
archives russes. Elles n'ont pas encore été vé
ritablement étudiées, parce que la plupart des
archiv istes ne prat iquent pas le russe. En fait,
oui, je devrais aussi apprendre le néerlandais,
car les archives de la Haye ou de Rorrerdam
regorgent aussi d ' inform ations. Ce n'est pas
la mêm e chose quand on t ravaille avec un tra
ducteu r. Mais la langue me rebu te un peu . . .
J'aimerais encore écrire lin livre sur la façon
don t les pir ates parvenaien t à leurs fins , avec
des déta ils qu i ne figurent dans aucu n autre
ouv rage." •
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