1. Jules SUPERVIELLE «Paris», Poèmes de la France malheureuse
2. Charles BAUDELAIRE PAYSAGE Tableaux Parisiens - Les fleurs du mal
3. Charles BAUDELAIRE Le cygne I
4. Charles BAUDELAIRE Le cygne II
5. Charles BAUDELAIRE Le crépuscule du matin
6. Jacques PRÉVERT La Seine a rencontré Paris
7. André LAUDE C’est la parade des grands monuments
8. Francis LEMARQUE A Paris
9. Jacques CHARPENTREAU Le Lion
10. Jacques CHARPENTREAU C’est place de la Concorde
11. Maurice CARÊME La Tour Eiffel
12. Henri THOMAS Je descendais la rue Soufflot
13. Jacques BREL Paris-blessure
14. MOULOUDJI J’ai le mal de Paris
15. Paul VERLAINE Clochi-clocha
16. Théophile GAUTIER L'obélisque de Paris
17. Victor HUGO Paris bloqué
18. Victor HUGO Jour de fête aux environs de Paris
19. Victor HUGO A l'Arc de triomphe
20. Paul VERLAINE L'aube à l'envers
21. Guillaume APOLLINAIRE Le pont Mirabeau, Alcools (1912)
22. Guillaume APOLLINAIRE Extrait de Zone, Alcools (1912)
23. Paul ELUARD Dans Paris
24. Jacques PREVERTChanson de la Seine
25. Paul VERLAINE Paris et la Seine
26. Paul VERLAINE Paris
27. Pierre REVERDY Plupart du temps
28. Jacques PRÉVERT Enfants de la haute ville
29. Alfred de MUSSET Que j'aime le premier frisson d'hiver...
30. Robert DESNOS Couplet da la rue de Bagnolet
31. Isaac de BENSERADE XVII s. Sur la ville de Paris
32. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"
33. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"
34. Louis ARAGON Paris
35. Louis ARAGON Sur le Pont Neuf
36. Louis ARAGON LES FEUX DE PARIS « Les Poètes »
37. Jacques DUTRONC Il Est Cinq Heures
38. André HARDELLET La Cité Montgol, Paris : Seghers, 1952
39. Jacques JOUET Poèmes de métro
1. Jules SUPERVIELLE «Paris», Poèmes de la France malheureuse
O Paris, ville ouverte
Ainsi qu'une blessure,
Que n'es-tu devenue
De la campagne verte.
Te voilà regardée
Par des yeux ennemis,
De nouvelles oreilles
Écoutent nos vieux bruits.
La Seine est surveillée
Comme du haut d'un puits
Et ses eaux jour et nuit
Coulent emprisonnées.
Tous les siècles français
Si bien pris dans la pierre
Vont-ils pas nous quitter
Dans leur grande colère ?
L'ombre est lourde de têtes
D'un pays étranger.
Voulant rester secrète
Au milieu du danger
S'éteint quelque merveille
Qui préfère mourir
Pour ne pas nous trahir
En demeurant pareille.
2. Charles BAUDELAIRE PAYSAGE Tableaux Parisiens - Les fleurs du mal
Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans 1'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer an soleil de mon cœur et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
3. Charles BAUDELAIRE Le cygne I
A Victor Hugo.
I
Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile,
Comme je traversais le nouveau Carrousel.
Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;
Je ne vois qu'en esprit, tout ce camp de baraques,
Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,
Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,
Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.
Là s'étalait jadis une ménagerie ;
Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux
Froids et clairs le travail s'éveille, où la voirie
Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'était évadé de sa cage,
Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,
Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.
Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,
Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :
" Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? "
Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,
Vers le ciel ironique et cruellement bleu,
Sur son cou convulsif tendant sa tête avide
Comme s'il adressait des reproches à Dieu !
4. Charles BAUDELAIRE Le cygne II
A Victor Hugo. II
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :
Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,
Comme les exilés, ridicule et sublime,
Et rongé d'un, désir sans trêve ! et puis à vous,
Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,
Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,
Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ;
Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,
Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,
Les cocotiers absents de la superbe Afrique
Derrière la muraille immense du brouillard ;
A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve
Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs
Et tètent la douleur comme une bonne louve !
Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !
Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
5. Charles BAUDELAIRE Le crépuscule du matin
La diane chantait dans les cours des casernes,
Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.
C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants
Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;
Où, comme un oeil sanglant qui palpite et qui bouge,
La lampe sur le jour fait une tache rouge ;
Où l'âme, sous le poids du corps revêche et lourd,
Imite les combats de la lampe et du jour.
Comme un visage en pleurs que les brises essuient,
L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient,
Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer.
Les maisons çà et là commençaient à fumer.
Les femmes de plaisir, la paupière livide,
Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;
Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,
Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.
C'était l'heure où parmi le froid et la lésine
S'aggravent les douleurs des femmes en gésine ;
Comme un sanglot coupé par un sang écumeux
Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux ;
Une mer de brouillards baignait les édifices,
Et les agonisants dans le fond des hospices
Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.
Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.
L'aurore grelottante en robe rose et verte
S'avançait lentement sur la Seine déserte,
Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,
Empoignait ses outils, vieillard laborieux.
6. Jacques PRÉVERT La Seine a rencontré Paris
Qui est là
toujours là dans la ville
et qui pourtant sans cesse arrive
et qui pourtant sans cesse s’en va
C’est un fleuve répond un enfant
un devineur de devinettes
Et puis l’œil brillant il ajoute
Et le fleuve s’appelle la Seine
quand la ville s’appelle Paris
et la Seine c’est comme une personne
Des fois elle court elle va très vite
elle presse le pas quand tombe le soir
Des fois au printemps elle s’arrête
et vous regarde comme un miroir
et elle pleure si vous pleurez
ou sourit pour vous consoler
et toujours elle éclate de rire
quand arrive le soleil d’été.
7. André LAUDE C’est la parade des grands monuments
C’est la parade des grands monuments
Tour Eiffel Notre-Dame
La foule va et vient baguenaude des Champs-Elysées
à la Défense.
Elle flâne du côté de l’Ecole militaire
où les beaux zouaves ont laissé la place
aux embouteillages.
Dans les voitures il y a des gens qui habitent
dans de grandes tours le long des grands boulevards
et qui achètent mille choses dans de grands magasins
et puis vont flâner le long des quais
pour oublier les fumées des usines
qui polluent la Seine
et tuent les légumes dans les jardins de banlieue.
Sous les grandes gares – Gare de Lyon – Gare d’Austerlitz - Gare du Nord – Gare de l’Est – Gare
Montparnasse
Le métro conduit aux musées
où derrière les vitrines lumineuses
la reine Karomama sourit avec ses lèvres orientales
et des jeunes filles rêveuses
vont acheter à la FNAC un album plein de photographies
de dieux et d’idoles qu’elles contemplent avec des yeux tristes
de somnambules urbaines.
8. Francis LEMARQUE A Paris
A Paris
Quand un amour fleurit
Ça fait pendant des semaines
Deux cœurs qui se sourient
Tout ça parce qu'ils s'aiment
A Paris
Au printemps
Sur les toits les girouettes
Tournent et font les coquettes
Avec le premier vent
Qui passe indifférent
Nonchalant
Car le vent
Quand il vient à Paris
N'a plus qu'un seul souci
C'est d'aller musarder
Dans tous les beaux quartiers
De Paris
Le soleil
Qui est son vieux copain
Est aussi de la fête
Et comme deux collégiens
Ils s'en vont en goguette
Dans Paris
Et la main dans la main
Ils vont sans se frapper
Regardant en chemin
Si Paris a changé
[…]
A Paris
Au quatorze juillet
A la lueur des lampions
On danse sans arrêt
Au son de l'accordéon
Dans les rues
Depuis qu'à Paris
On a pris la Bastille
Dans tous les faubourgs
Et à chaque carrefour
Il y a des gars
Et il y a des filles
Qui sur les pavés
Sans arrêt nuit et jour
Font des tours et des tours
A Paris
9. Jacques CHARPENTREAU Le Lion
A Denfert-Rochereau
Sur son socle là-haut
Un lion très comme il faut
Surveille les autos
Du matin jusqu’au soir
Il fait plaisir à voir
Image du devoir
C’est un lion sans histoires
Quand le temps est au beau
Le lion fait du vélo
Quand le temps est à l’eau
Il fait du pédalo
Il va voir ses amis
Les chevaux de Marly
Les lionceaux et les lions
Place de la Nation
Au milieu de la nuit
Le lion bâille et s’ennuie
Il saut de son socle
Il chausse son binocle
Il prend son parapluie
Et disparaît sans bruit
Dans les rues de Paris
La nuit les lions sont gris
Il revient au matin
D’un pas plus incertain
Il ôte son binocle
Il saute sur son socle
Et devient aussitôt
Un lion très comme il faut
Immobile là-haut
A Denfert-Rochereau
Comme un vieux Parisien
Le lion va le lion vient
Personne n’en sait rien
Mais en écoutant bien
On entend tout là-haut
A Denfert-Rochereau
Le gros lion qui ronronne
Ne le dis à personne.
10. Jacques CHARPENTREAU C’est place de la Concorde
C’est place de la Concorde à Paris
qu’un enfant assis au bord des fontaines
entre pas à pas au cœur de la nuit
fraîche comme l’eau claire des fontaines
Un enfant de nuit de rêve d’espoir
qui voudrait pouvoir lutter sans répit
contre son sommeil pour apercevoir
ses rêves de nuit venir à la vie
Toutes les voitures avec leurs phares
toutes les voitures tracent pour lui
des lignes de feu flottant dans la nuit
comme de longs fils de vierges où Paris
retient son cœur ses rêves ses espoirs
11. Maurice CARÊME La Tour Eiffel
Mais oui, je suis une girafe
M’a raconté la tour Eiffel.
Et si ma tête est dans le ciel,
C’est pour mieux brouter les nuages,
Car ils me rendent éternelle.
Mais j’ai quatre pieds bien assis
Dans une courbe de la Seine.
On ne s’ennuie pas à Paris.
Les femmes, comme des phalènes,
Les hommes, comme des fourmis,
Glissent sans fin entre mes jambes
Et les fous, les plus ingambes,
Montent et descendent le long
De mon cou comme des frelons.
La nuit, je lèche les étoiles.
Et si l’on m’aperçoit de loin
C’est que très souvent j’en avale
Une sans avoir l’air de rien.
12. Henri THOMAS Je descendais la rue Soufflot
Je descendais la rue Soufflot, quel âge avais-je, vingt-deux ans,
Sur les arbres du Luxembourg, la tour Eiffel au soleil couchant
Semblait faite de verre blond et poussiéreux,
Je ne recherche aucun détail, je crois voir briller des yeux,
Qui j’ai rencontré m’apparaît, la scène profonde se rouvre,
Le soleil du soir me guide de la Contrescarpe au Louvre,
Les cafés s’allument, je ferme un livre,
Je sens le délice et le supplice de vivre,
Les lumières font partout des espaces magiques,
L’amour inconnu se montre dans cette rouge musique,
Et le silence, le désert de la chambre où je rentrais tard,
Cette lampe que j’avais, phare de tous les départs,
Rien n’a sombré, tout grandit jusqu’au miroir de décembre,
Sur l’avenir s’ouvre toujours l’ancienne chambre.
13. Jacques BREL Paris-blessure Le soleil qui se lève
Et caresse les toits
Et c’est Paris le jour
La Seine qui se promène
Et me guide du doigt
Et c’est Paris toujours
Et mon cœur qui s’arrête
Sur ton cœur qui sourit
Et c’est Paris bonjour
Et ta main dans ma main
Qui me dit déjà oui
Et c’est Paris l’amour
Le premier rendez-vous
A l’île Saint-Louis
C’est Paris qui commence
Et le premier baiser
Volé aux Tuileries
Et c’est Paris la chance
Et le premier baisé
Reçu sous un portail
Et c’est Paris romance
Et deux têtes qui se tournent
En regardant Versailles
Et c’est Paris la France
Des jours que l’on oublie
Qui oublient de nous voir
Et c’est Paris l’espoir
Des heures où nos regards
Ne sont qu’un seul regard
Et c’est Paris miroir
Rien que des nuits encore
Qui séparent nos chansons
Et c’est Paris bonsoir
Et ce jour-là enfin
Où tu ne dis plus non
Et c’est Paris ce soir
Une chambre un peu triste
Où s’arrête la ronde
Et c’est Paris nous deux
Un regard qui reçoit
La tendresse du monde
Et c’est Paris tes yeux
Ce serment que je pleure
Plutôt que ne le dis
C’est Paris si tu veux
Et savoir que demain
Sera comme aujourd’hui
C’est Paris merveilleux
Mais la fin du voyage
La fin de la chanson
C’est Paris tout gris
Dernier jour, dernière heure
Première larme aussi
Et c’est Paris la pluie
Ces jardins remontés
Qui n’ont plus leur parure
Et c’est Paris l’ennui
La gare où s’accomplit
La dernière déchirure
Et c’est Paris fini
Loin des yeux loin du cœur
Chassé du paradis
Et c’est Paris chagrin
Mais une lettre de toi
Une lettre qui dit oui
Et c’est Paris demain
Des villes et des villages
Les roues tremblent de chance
C’est Paris en chemin
Et toi qui m’attends là
Et tout qui recommence
Et c’est Paris je reviens
14. MOULOUDJI J’ai le mal de Paris
J’ai le mal de Paris
De ses rues de ses boulevards
De son air triste et gris
De ses jours, des es soirs
Et l’odeur du métro
Me revient aussitôt
Que je quitte mon Paris
Pour des pays moins gris
J’ai le mal de la Seine
Qui écoute mes peines
Et je regrette tant
Les quais doux aux amants
J’aime me promener
Dans tous les beaux quartiers
Voir au Palais-Royal
Les filles à marier
Traîner à Montparnasse
De café en café
Et monter à Belleville
Tout en haut de la ville
Pour la voir en entier
J’ai le mal de Paris
Quand je suis loin d’ici
Me prend le vague à l’âme
J’ai le cœur qui s’ennuie
Et je rêve à cette dame
Dont les toits épanouis
Autour de Notre-Dame
Font des vagues infinies
J’ai le mal de la nuit
De la nuit de Paris
Quand les filles vont et viennent
A l’heure où moi je traîne
J’ai le mal des saisons
Qui poussent leur voiture
Dans les rues de Paris
Et changent sa parure
Le printemps va gaiement
Les arbres sont contents
Puis l’été se promène
Et c’est dimanche toute la semaine
Les feuilles tombent blêmes
J’ai le mal de Paris
Durant les jours d’hiver
C’est gris et c’est désert
Plein de mélancolie
Oui j’ai le mal d’amour
Et je l’aurai toujours
C’est drôle mais c’est ainsi
J’ai le mal de Paris.
15. Paul VERLAINE Clochi-clocha
L'église Saint-Nicolas
Du Chardonnet bat un glas,
Et l'église Saint-Étienne
Du Mont lance à perdre haleine
Des carillons variés
Pour de jeunes mariés,
Tandis que la cathédrale
Notre-Dame de Paris,
Nuptiale et sépulcrale,
Bourdonne dans le ciel gris.
Ainsi la chance bourrue
Qui m'a logé dans la rue
Saint-Victor, seize, le veut ;
Et l'on fait ce que l'on peut,
Surtout à l'endroit des cloches,
Quand on a peu dans ses poches
De cet or qui vous rend rois,
Et lorsque l'on déménage,
Vous permet de faire un choix
À l'abri d'un tel tapage.
Après tout, ce bruit n'est pas
Pour annoncer mon trépas
Ni mes noces. Lors, me plaindre
Est oiseux, n'ayant à craindre
De ce conflit de sonneurs
Grands malheurs ni gros bonheurs.
Faut en prendre l'habitude ;
C'est de la vie, aussi bien :
La voix douce et la voix rude
Se fondant en chant chrétien...
16. Théophile GAUTIER L'obélisque de Paris
Sur cette place je m'ennuie,
Obélisque dépareillé ;
Neige, givre, bruine et pluie
Glacent mon flanc déjà rouillé ;
Et ma vieille aiguille, rougie
Aux fournaises d'un ciel de feu,
Prend des pâleurs de nostalgie
Dans cet air qui n'est jamais bleu.
Devant les colosses moroses
Et les pylônes de Luxor,
Près de mon frère aux teintes roses
Que ne suis-je debout encor,
Plongeant dans l'azur immuable
Mon pyramidion vermeil
Et de mon ombre, sur le sable,
Écrivant les pas du soleil !
Rhamsès, un jour mon bloc superbe,
Où l'éternité s'ébréchait,
Roula fauché comme un brin d'herbe,
Et Paris s'en fit un hochet.
La sentinelle granitique,
Gardienne des énormités,
Se dresse entre un faux temple antique
Et la chambre des députés.
Sur l'échafaud de Louis seize,
Monolithe au sens aboli,
On a mis mon secret, qui pèse
Le poids de cinq mille ans d'oubli.
[…]
17. Victor HUGO Paris bloqué
Ô ville, tu feras agenouiller l'histoire.
Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.
Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux
Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,
S'étonnent : tu franchis la flamme expiatoire,
Dans l'admiration des peuples, dans la gloire,
Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.
Ceux qui t'assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.
La prospérité basse et fausse est la mort lente ;
Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.
Tu sors, toi qu'endormit l'empire empoisonneur,
Du rapetissement de ce hideux bonheur.
Tu t'éveilles déesse et chasses le satyre.
Tu redeviens guerrière en devenant martyre ;
Et dans l'honneur, le beau, le vrai, les grandes moeurs,
Tu renais d'un côté quand de l'autre tu meurs.
18. Victor HUGO Jour de fête aux environs de Paris
Midi chauffe et sème la mousse ;
Les champs sont pleins de tambourins ;
On voit dans une lueur douce
Des groupes vagues et sereins.
Là-bas, à l'horizon, poudroie
Le vieux donjon de saint Louis ;
Le soleil dans toute sa joie
Accable les champs éblouis.
L'air brûlant fait, sous ses haleines
Sans murmures et sans échos,
Luire en la fournaise des plaines
La braise des coquelicots.
Les brebis paissent inégales ;
Le jour est splendide et dormant ;
Presque pas d'ombre ; les cigales
Chantent sous le bleu flamboiement.
Voilà les avoines rentrées.
Trêve au travail. Amis, du vin !
Des larges tonnes éventrées
Sort l'éclat de rire divin.
[…]
Les enfants courent par volée.
Clichy montre, honneur aux anciens !
Sa grande muraille étoilée
Par la mitraille des Prussiens.
La charrette roule et cahote ;
Paris élève au loin sa voix,
Noir chiffonnier qui dans sa hotte
Porte le sombre tas des rois.
On voit au loin les cheminées
Et les dômes d'azur voilés ;
Des filles passent, couronnées
De joie et de fleurs, dans les blés.
19. Victor HUGO A l'Arc de triomphe
(extrait)
II
Oh ! Paris est la cité mère !
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel !
Paris ! feu sombre ou pure étoile !
Morne Isis couverte d'un voile !
Araignée à l'immense toile
Où se prennent les nations !
Fontaine d'urnes obsédée !
Mamelle sans cesse inondée
Où pour se nourrir de l'idée
Viennent les générations !
Quand Paris se met à l'ouvrage
Dans sa forge aux mille clameurs,
A tout peuple, heureux, brave ou
sage,
Il prend ses lois, ses dieux, ses
moeurs.
Dans sa fournaise, pêle-mêle,
Il fond, transforme et renouvelle
Cette science universelle
Qu'il emprunte à tous les humains ;
Puis il rejette aux peuples blêmes
Leurs sceptres et leurs diadèmes,
Leurs préjugés et leurs systèmes,
Tout tordus par ses fortes mains !
Paris, qui garde, sans y croire,
Les faisceaux et les encensoirs,
Tous les matins dresse une gloire,
Eteint un soleil tous les soirs ;
Avec l'idée, avec le glaive,
Avec la chose, avec le rêve,
Il refait, recloue et relève
L'échelle de la terre aux cieux ;
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux !
Ville qu'un orage enveloppe !
C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour,
Réveille le géant Europe
Avec sa cloche et son tambour !
Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme,
Il entend la cité difforme
Bourdonner sur sa tête énorme
Comme un essaim dans la forêt.
Toujours Paris s'écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde !
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait !
20. Paul VERLAINE L'aube à l'envers
Le Point-du-Jour avec Paris au large,
Des chants, des tirs, les femmes qu'on " rêvait ",
La Seine claire et la foule qui fait
Sur ce poème un vague essai de charge.
On danse aussi, car tout est dans la marge
Que fait le fleuve à ce livre parfait,
Et si parfois l'on tuait ou buvait,
Le fleuve est sourd et le vin est litharge.
Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris !
Un calembour a béni son histoire
D'affreux baisers et d'immondes paris.
En attendant que sonne l'heure noire
Où les bateaux-omnibus et les trains
Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins !
21. Guillaume APOLLINAIRE Le pont Mirabeau, Alcools (1912)
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
22. Guillaume APOLLINAIRE Extrait de Zone, Alcools (1912)
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes
[...]
23. Paul ELUARD Dans Paris
Dans Paris il y a une rue; Dans cette rue il y a une maison; Dans cette maison il y a un escalier; Dans cet escalier il y a une chambre; Dans cette chambre il y a une table; Sur cette table il y a un tapis; Sur ce tapis il y a une cage;
Dans cette cage il y a un nid; Dans ce nid il y a un œuf, Dans cet œuf il y a un oiseau.
L'oiseau renversa l' œuf;
L' œuf renversa le nid;
Le nid renversa la cage;
La cage renversa le tapis;
Le tapis renversa la table;
La table renversa la chambre;
La chambre renversa l'escalier;
L'escalier renversa la maison;
la maison renversa la rue;
la rue renversa la ville de Paris.
24. Jacques PRÉVERT Chanson de la Seine
La Seine a de la chance
Elle n'a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source
Tout doucement, sans bruit...
Sans sortir de son lit
Et sans se faire de mousse,
Elle s'en va vers la mer
En passant par Paris.
La Seine a de la chance
Elle n'a pas de souci
Et quand elle se promène
Tout au long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre-Dame jalouse,
Immobile et sévère
Du haut de toutes ses pierres
La regarde de travers
Mais la Seine s'en balance
Elle n'a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s'en va vers le Havre
Et s'en va vers la mer
En passant comme un rêve
Au milieu des mystères
Des misères de Paris.
25. Paul VERLAINE Paris et la Seine
Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout
D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne
Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil et de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !
Les nuages, chassés par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne;
Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre
Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s'apaise autour. A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson.
26. Paul VERLAINE Paris
Paris n'a de beauté qu'en son
histoire,
Mais cette histoire est belle tellement
!
La Seine est encaissée absurdement,
Mais son vert clair à lui seul vaut la
gloire.
Paris n'a de gaîté que son bagout,
Mais ce bagout, encor qu'assez
immonde,
Il fait le tour des langages du monde,
Salant un peu ce trop fade ragoût.
Paris n'a de sagesse que le sombre
Flux de son peuple et de ses factions,
Alors qu'il fait des révolutions
Avec l'Ordre embusqué dans la
pénombre.
Paris n'a que sa Fille de charmant
Laquelle n'est au prix de l'Exotique
Que torts gentils et vice peu pratique
Et ce quasi désintéressement.
Paris n'a de bonté que sa légère
Ivresse de désir et de plaisir,
Sans rien de trop que le vague désir
De voir son plaisir égayer son frère.
Paris n'a rien de triste et de cruel
Que le poëte annuel ou chronique,
Crevant d'ennui sous l'oeil d'une
clinique
Non loin du vieil ouvrier fraternel.
Vive Paris quand même et son
histoire
Et son bagout et sa Fille, naïf
Produit d'un art pervers et primitif,
Et meure son poëte expiatoire !
27. Pierre REVERDY Plupart du temps
Il y a parfois dans la ville ceux qui ne bougent plus
entre les murs noircis comme des pages pleines
Le cadre illuminé passant sur les trottoirs
Dans ce paysage parisien roux à l’heure où on n’allume
pas encore les vitrines
Il y a tous ceux qui passent feuilles et gens
Sur le fond du jardin bien rangé sous le ciel
A droite les belles rues
A gauche le grand fleuve
Ceux qui ne bougent pas et qui parlent sur la terrasse
dallée près de la balustrade noire au reflet vert
La ville tourne autour de l’obélisque et la province
regarde les images
Les images en relief et en couleurs
Il y a au fond de l’air cette algue majuscule
Cette tête nue sous les éclairs
Cette figure précise plus fine et plus réelle qui se détache
en clair
Sur le brouillard.
28. Jacques PRÉVERT Enfants de la haute ville
Enfants de la haute ville
filles des bas quartiers
le dimanche vous promène
dans la rue de la Paix
Le quartier est désert
les magasins fermés
Mais sous le ciel gris souris
la ville est un peu verte
derrière les grilles des Tuileries
Et vous dansez sans le savoir
vous dansez en marchant
sur les trottoirs cirés
Et vous lancez la mode
sans même vous en douter
Un manteau de fou rire
sur vos robes imprimées
Et vos robes imprimées
sur le velours potelé
de vos corps amoureux
tout nouveaux tout dorés
Folles enfants de la haute ville
ravissantes filles des bas quartiers
modèles impossibles à copier
cover-girls
colored girls
de la Goutte d'Or ou de Belleville
de Grenelle ou de Bagnolet.
29. Alfred de MUSSET Que j'aime le premier frisson d'hiver...
Que j'aime le premier frisson d'hiver ! le chaume,
Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !
Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,
Au fond du vieux château s'éveille le foyer ;
C'est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l'an dernier,
J'y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
(J'entends encore au vent les postillons crier),
Que j'aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine
Sous ses mille falots assise en souveraine !
J'allais revoir l'hiver. - Et toi, ma vie, et toi !
Oh ! dans tes longs regards j'allais tremper mon âme
Je saluais tes murs. - Car, qui m'eût dit, madame,
Que votre coeur sitôt avait changé pour moi ?
30. Robert DESNOS Couplet da la rue de Bagnolet
Le soleil de la rue de Bagnolet
N'est pas un soleil comme les autres.
Il se baigne dans le ruisseau,
Il se coiffe avec un seau,
Tout comme les autres,
Mais, quand il caresse mes épaules,
C'est bien lui et pas un autre,
Le soleil de la rue de Bagnolet
Qui conduit son cabriolet
Ailleurs qu'aux portes des palais.
Soleil ni beau ni laid,
Soleil tout drôle et tout content,
Soleil d'hiver et de printemps,
Soleil de la rue de Bagnolet,
Pas comme les autres.
31. Isaac de BENSERADE XVII s. Sur la ville de Paris
Rien n'égale Paris ; on le blâme, on le louë ;
L'un y suit son plaisir, l'autre son interest ;
Mal ou bien, tout s'y fait, vaste grand comme il est
On y vole, on y tuë, on y pend, on y rouë.
On s'y montre, on s'y cache, on y plaide, on y jouë ;
On y rit, on y pleure, on y meurt, on y naist :
Dans sa diversité tout amuse, tout plaist,
Jusques à son tumulte et jusques à sa bouë.
Mais il a ses défauts, comme il a ses appas,
Fatal au courtisan, le roy n'y venant pas ;
Avecque sûreté nul ne s'y peut conduire :
Trop loin de son salut pour être au rang des saints,
Par les occasions de pécher et de nuire,
Et pour vivre longtemps trop prés des médecins.
32. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"
[...]
C'est un pont que je vois si je clos mes paupières La Seine y tourne avec ses tragiques totons Ô noyés dans ses bras noueux comment dort-on C'est un pont qui s'en va dans les loges de pierre Des repos arrondis en forment les festons
Un roi de bronze noir à cheval le surmonte Et l'île qu'il franchit à double floraison Pour verdure un jardin pour roses des maisons On dirait un bateau sur son ancre de fonte Que font trembler les voitures de livraison
L'aorte du Pont-Neuf frémit comme un orchestre Où j'entends préluder le vin de mes vingt ans Il souffle un vent ici qui vient des temps d'antan Mourir comme les cheveux de la statue équestre La ville comme un coeur s'y ouvre à deux battants
Sachant qu'il faut périr les garçons de mon âge Mirage se leurraient d'une ville au ciel gris Nous derniers nés d'un siècle et ses derniers conscrits Les pieds pris dans la boue et la tête aux nuages Nous attendions l'heure H en parlant de Paris
Quand la chanson disait Tu reverras Paname Ceux qu'un oeillet de sang allait fleurir tantôt Quelque part devant Saint-Mihiel ou Neufchâteau Entourant le chanteur comme des mains la flamme Sentaient frémir en eux la pointe du couteau
Depuis lors j'ai toujours trouvé dans ce que j'aime Un reflet de ma ville une ombre de ses rues Monuments oubliés passages disparus J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même Et plus qu'en mon soleil en toi Paris j'ai cru
[…]
33. Louis ARAGON Extrait de "Absent de Paris"
[...]
C'est Paris ce théâtre d'ombres que je porte Mon Paris qu'on ne peut tout fait m'avoir pris Pas plus qu'on ne peut prendre à des lèvres leur cri Que n'aura-t-il fallu pour m'en mettre ŕ la porte Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris C'est de ce Paris-là que j'ai fait mes poèmes Mes mots sont la couleur étrange de ces toits La gorge des pigeons y roucoule et chatoie J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même
Et plus que de vieillir souffert d'être sans toi [...] Une chanson qui dit un mal inguérissable Plus triste qu'à minuit la Place d'Italie Pareille au Point-du-Jour pour la mélancolie Plus de rêves aux doigts que le marchand de sable Annonçant le plaisir comme un marchand d'oublies
Une chanson vulgaire et douce où la voix baisse Comme un amour d'un soir doutant du lendemain Une chanson qui prend les femmes par la main Une chanson qu'on dit sous le métro Barbès Et qui change à l'Étoile et descend à Jasmin
Le vent murmurera mes vers aux terrains vagues Il frôlera les bancs où nul ne s'est assis On l'entendra pleurer sur le quai de Passy Et les ponts répétant la promesse des bagues S'en iront fiancés aux rimes que voici [...]
34. Louis ARAGON Paris
Où fait-il bon même au cœur de l'orage
Où fait-il clair même au cœur de la nuit
L'air est alcool et le malheur courage
Carreaux cassés l'espoir encore y luit
Et les chansons montent des murs détruits
Jamais éteint renaissant dans sa braise
Perpétuel brûlot de la patrie
Du Point-du-Jour jusqu'au Père Lachaise
Ce doux rosier au mois d'août refleuri
Gens de partout c'est le sang de Paris
Rien n'a l'éclat de Paris dans la poudre
Rien n'est si pur que son front d'insurgé
Rien n'est si fort ni le feu ni la foudre
Que mon Paris défiant les dangers
Rien n'est si beau que ce Paris que j'ai
Rien ne m'a fait jamais battre le cœur
Rien ne m'a fait ainsi rire et pleurer
Comme ce cri de mon peuple vainqueur
Rien n'est si grand qu'un linceul déchiré
Paris Paris soi-même libéré.
35. Louis ARAGON Sur le Pont Neuf
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré D’où sort cette chanson lointaine
D’une péniche mal ancrée Ou du métro Samaritaine
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Sans chien sans canne sans pancarte Pitié pour les désespérés Devant qui la foule s’écarte
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré L’ancienne image de moi-même Qui n’avait d’yeux que pour pleurer De bouche que pour le blasphème
[…]
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Le joueur qui joua son âme Comme une colombe égarée Entre les tours de Notre-Dame
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Ce spectre de moi qui commence La ville à l’aval est dorée A l’amont se meurt la romance
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Ce pauvre petit mon pareil
Il m’a sur la Seine montré Au loin les taches de soleil
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Mon autre au loin ma mascarade Et dans le jour décoloré Il m’a dit tout bas Camarade
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Mon double ignorant et crédule Et je suis longtemps demeuré Dans ma propre ombre qui recule
Sur le Pont Neuf j’ai rencontré Assis à l’usure des pierres Le refrain que j’ai murmuré Le rêve qui fut ma lumière
Aveugle aveugle rencontré
Passant avec tes regards veufs
Ô mon passé désemparé
Sur le Pont Neuf.
36. Louis ARAGON LES FEUX DE PARIS « Les Poètes »
Toujours quand aux matins obscènes Entre les jambes de la Seine Comme une noyée aux yeux fous De la brume de vos poèmes L'Île Saint-Louis se lève blême Baudelaire je pense à vous
Lorsque j'appris à voir les choses O lenteur des métamorphoses C'est votre Paris que je vis Il fallait pour que Paris change Comme bleuissent les oranges Toute la longueur de ma vie
Mais pour courir ses aventures La ville a jeté sa ceinture De murs d'herbe verte et de vent Elle a fardé son paysage Comme une fille son visage Pour séduire un nouvel amant
Rien n'est plus à la même place Et l'eau des fontaines Wallace Pleure après le marchand d'oublies Qui criait le Plaisir Mesdames Quand les pianos faisaient des gammes Dans les salons à panoplies
[…]
Au diable la beauté lunaire Et les ténèbres millénaires Plein feu dans les Champs-Elysées Voici le nouveau carnaval Où l'électricité ravale Les édifices embrasés
Plein feu sur l'homme et sur la femme Sur le Louvre et sur Notre-Dame Du Sacré-Coeur au Panthéon Plein feu de la Concorde aux Ternes
Plein feu sur l'univers moderne Plein feu sur notre âme au néon
Plein feu sur la noirceur des songes Plein feu sur les arts du mensonge
Flambe perpétuel été Flambe de notre flamme humaine Et que partout nos mains ramènent Le soleil de la vérité.
37. Jacques DUTRONC Il Est Cinq Heures
Je suis le dauphin de la place Dauphine Et la place Blanche a mauvaise mine Les camions sont pleins de lait Les balayeurs sont pleins de balais Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les travestis vont se raser Les stripteaseuses sont rhabillées Les traversins sont écrasés Les amoureux sont fatigués Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Le café est dans les tasses Les cafés nettoient leurs glaces Et sur le boulevard Montparnasse La gare n'est plus qu'une carcasse Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille
La tour Eiffel a froid aux pieds L'Arc de Triomphe est ranimé Et l'Obélisque est bien dressé Entre la nuit et la journée Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les banlieusards sont dans les gares A la Villette on tranche le lard Paris by night, regagne les cars Les boulangers font des bâtards Il est cinq heures Paris s'éveille Paris s'éveille Les journaux sont imprimés Les ouvriers sont déprimés Les gens se lèvent, ils sont brimés C'est l'heure où je vais me coucher Il est cinq heures Paris se lève Il est cinq heures Je n'ai pas sommeil.
38. André HARDELLET La Cité Montgol, Paris : Seghers, 1952
Les muses du quai de Bercy M'avaient conduit jusqu'à Grenelle Et leurs sœurs de la Grange-aux-Belles Vers les jardins clos de Passy, La nuit s'entendait avec elles, Les muses du quai de Bercy. J'allais dans Paris, port de songe
Ouvert au piéton noctambule, Avec des amis de toujours Embarqués vers le crépuscule Et disparus au point du jour. J'allais dans Paris port de songe. Restif, Nerval, Apollinaire, Léon-Paul Fargue et tous les autres
Qui me montriez le chemin, Abordez-vous les lendemains Rayonnant sur les îles claires ? Restif, Nerval, Apollinaire... D'abord c'est le dimanche au cœur : Un départ à Paris-Bastille Vers les Eldorados sur Marne, La blonde en robe de fraîcheur, Ses seins fleuris par les jonquilles. D'abord c'est le dimanche au cœur. Salut les valseurs du bitume ! Voici les quatorze Juillet, Tant de filles comme un bouquet Offert par l'Été qui s'allume Et la faim qui nous en prenait. Salut les valseurs du bitume ! Puis la musique s'atténue
Dans un soupir d'accordéon, Déjà l'ombre a cerné la rue Où brille en lettres de néon La magique enseigne d'un BAL. Puis la musique s'atténue. J'entre mais vous n'êtes pas là, Ce soir non plus, mes Vénitiennes, Vous que mon rêve suscitait D'un nom évoquant la blondeur Sans qu'il vous rencontrât jamais. J'entre, mais vous n'êtes pas là. […] L'aube va chasser le silence Rassemblant ses oiseaux de feutre, Maintenant la ville apparaît – Et voici demain qui commence Entre deux nuits et leurs secrets. L'aube va chasser le silence.
39. Jacques JOUET Poèmes de métro
J'écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un.
Voulez-vous savoir ce qu'est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc
ce qu'est un poème de métro.
Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d'un parcours.
Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un.
Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en
comptant la station de départ).
Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station deux.
Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage.
Il est transcrit sur le papier quand la rame s'arrête à la station trois. Et ainsi de suite.
Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche.
Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée.
Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station.
Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes
ou davantage.
Si par malchance la rame s'arrête entre deux stations, c'est toujours un moment délicat de
l'écriture d'un poème de métro.
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