Zone et Samothrace

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ACADEMIE DES INSCRIPTION S & B EL LE S-LETTRES I COMPTES REND US DES SEANCES D E L'ANNEE 2006 JANV IE R· MAR S ZONE ET SAMOTHRACE: LUEURS SUR LA LANGUE THRACE ET NOUVEAU CHAPITRE DE LA GRAMMAIRE COMPAREE ? PAR M . CLA U DE BRlXHE , CORRESPONDANT DE L'ACAD E MI E PA RI S DIFFUSION DE BaCCA RI) I II , RUE DE 2006

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Claude Brixhe

Transcript of Zone et Samothrace

  • ACADEMIE

    DES

    INSCRIPTIONS & BELLES-LETTRESI COMPTES RENDUS

    DES

    SEANCES D E L'ANNEE

    2006 JANV IE R MARS

    ZONE ET SAMOTHRACE:

    LUEURS SUR LA LANGUE THRACE

    ET NOUVEAU CHAPITRE

    DE LA GRAMMAIRE COMPAREE ?

    PAR M . CLAUDE BRlXHE, CORRESPONDANT DE L'ACADEMI E

    PA RIS

    DIFFUSION DE BaCCARI)

    I II , RUE DE M~DlC I S 2006

  • ~: L
  • 122 COMfYrES RE .....;:OUS DE L"ACADEMIE DES INSCRIPT IONS

    En 1988, Mine Tsatsopoulou met au jour Ie batiment actue llement Ie plus import ant de la cite, qui se revclera eire Ie temple d'Apolion. A l'interieur et autour. e l1 e decouvrc un grand nombre de graffites sur vases en langue non grccquc. II y a quelques annees. sangeant a Ja publication des resultats de la fouille. elle cherche un linguiste pour les trailer. Deux amis lui soufflent mon nom. Et c'est ainsi que jc suis mis en presence de ce petit lresor, que j'ai eu Ie pla isir de voir de pres en ffia i 2005.

    2. Des documcols tbraces

    Un rapide examen des documents de Zone et de ccux de Samothrace (cf. infra) nOllSassure que nous sommes en presence de la me me langue (comparez , pa r exemple. la fi n d u n 20 + 176 + 273 [fig. I ) avec celie du n I (fig. 21).

    Quelle est ceHe langue? Problablement celie dont parle Diodore (V47.3). qui dcsigne la popula tion precoloniale simplemenl commc autochtone e t scion lequel celle-ci avail conserve sa langue propre, ~C; ltoUQ EV Teli,; 900\mt; j.lXpt wu vuv Trlpet'tot.

    Les sources antiques divergent quant aI'idcntite de la population en place lorsque dans la premiere moilie du VI ~ siecle4 des colons samiens vinrent coloniser Samothrace : mais il semble bien que c'ctaient des D:iiot\ une tribu thrace en soi au une section des

    6KiKOVEc;, sur Ie te rritoire desquels se trouva it ZOne . Quel qu 'ai t e te son statut , ZOne e tait dans la Peree de Samothracc. Et iI est raisonnable de penser que la langue concernee est Ie thrace.

    2.1. Nous savons malheureusemcnt bien peu de chose sur Ie thrace7 eertes \'onomastique (hydronymes. loponymes.. anthroponymes) livrcc par une documentation (inscriptions et auteurs) grecque puis latine. Ie plus sauvent tardive. revele une langue indo-europeenne el jette quelque lumi~re sur la composit ion nominale e t sur divers aspects de la phonctique : mais. actue lJcment, iI n'est pas une Iigne de thrace qui soil ('obje t d 'une in terpre tation consensue llc : les quelques inscriptions archuiques au cl assiques fournies par la Bulgarie on l donne li eu aaUlanl d 'exe

    4. CL GK'\IJ"~I 2002, 5, Ccu~- Ia mcnu;s allX(llId~ se heuTtcn:nt Ic~ culon~ pariclI$ venus colonise, Thasos au d~blll du \'11" si~dc ,

    6. l{"f"TCIICCS chez T!lMA\.(.H~" 1%:0, 1_It 4244, CI J.>r" '>C1iE.... 1976.p, 244 cl 410. 7. Voi r BkIX"," P" SMmOIlI994.

    ZONE ET SAMOTHRACE : LUEURS SUR LA LANGUE TH RACE 123

    : A'" t' I '--41 P. ,J~ t~ ' . .

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    FIG, 1. _ oedicac.:es non grecques de ZOne. CI. cl dessiM : p, Tsauopoulou 1989. 1997 e12001 el l'cquipe qu 'cUe dirige.

  • 124 COMPTES RENDUS DE L"ACADJ::MIE DES INSCRIPTIONS

    geses que d'~diteurs. Etle materieilrouve dans Ie sanctuaire des Grands Dieux de Samothrace (environ 75 graUites sur vases des VIe_V" s. et une inscription su r pierre du V"-IV" s.) etait trap mutile pOUf etre efficacement utiljse.

    2.2. Les trouvailles de Zone sont donc particulierement bienvenues. Je laisserai de cote, parce que plus tardives (vraisemblablemenllV" s.). quelques pierres (deux en thrace et une bilingue greoo-thrace) pour De m'occuper que des documents sur vases : actuellement 284 entr6e~ qui, aquelques exceptions pres, correspondent a autant de graffites (generalement iragmentaires) graves a la pointe seche apres cuisson sur des vases attiques a figures noires, trouves autour et surtout (environ 200) sous Ie sol du temple et assignabJes dans. leur immense majorite a1a seconde moitie du VIe siecie (10 % seulement peuven! etre allribues au premier quart du ve). Je me suis engage ane pas deflorer ce corpus avant sa publica

    tion, qui interviendra dans un ouvrage collectif sur les n!sultals des fouilles, sous la direction de M .... Tsatsopoulou. Je me conlen terai d'uliliser ici les seuls documents tomMs dans Ie domaine public SOliS la forme d'une photographie donnce par celle-ci en 1989. 1997 ou 2001. Sachez que ce corpus se compose de 26 graffites Iinguistique

    ment non identifiables,38 grecs reduits majoritairement aux deux lettres initiales du nom d' Apollon , 220 indigenes. Tous les textes grccs sont ecrits de gauche adroite. Sur les 220

    indigenes, une centaine sont sinistroverses. Dans les documents indigenes, les mots ou les syntagmes

    peuvent etre isoles par une interponction: un point (qu' il n'est pas toujours facile de stparer du point accidentel, ct. ici fig. 1, n 36), Ie plus souvent deux points superposes (ici fig. 1, n 20 + 176 + 273, et fig. 3, n 1), en un cas deux petits traits horizontaux paralleles.

    Contrairement ~ ce que certains croient nai'vement , tous ceux qui se son l frones au dccryptage d'une langue totalement inconnue ou seulement en voie de dcchiffrement saven! qu'a deraut d 'atre bilingue un document cst d 'autant plus impenetrable qu ' il est long.

    Les circonstances sont ici , au contraire, eminemment favo rabIes a une penetration, qui ne menera peuH! tre pas bien loin , mais dont les resultats risquent d'offrir une relative securite :

    N ,

    N 0 4

    FK;. 2. _ D6diC

  • 126 (,OMPTE.~ RENDUS DE L'ACAD~M1E DES INSCRIPTIONS

    - Ie contenu est assure par la frcquence du nom d'Apollon : nous avons affaire a des dedieaees : - ees d~dicaccs sontlargment stercotypees. ee qui prcsente un

    double avantage : on restaure aiscmcnt nombre de documents mUliles et les diverses variations observces permettem d'miliser a plein la methode combinatoire :

    - les conditions sont done reunies pour faire intcrvenir efficacement la comparaison, eventucllcment J'etymologie. et ab() utir a des resultat s hermeneutiques, modestes O1ais relativeOl.ent solides.

    3. L'ecriture

    Nous sommes en presence d 'une langue inconnue. mais ec rite en un alphabet connu : Ie grec, dont on preciscra plus loin I'origme.

    3.1. Si lous les documents grees de Zl>ne sont dextroverses. une centaine de d&licaces indig~ne~ je I'ai dit , sur les 220 du corpus sont sinis(fQverses.Avec la n!temion de ee trait archa'iquc, nous avons une premiere marque a vocation manifestement identitaire.

    3.2. Le trace de ce rtaines lett res va dans Ie mcOtc sens : ainsi celui de I'a/pha, qui dans les textes thraces ressemble souvenl a un rho anguleux (cr. fig. I, nO 5, nO 20 + 176 + 273, nO 36 el n" 153). landis qu ' il a dans les documents grecs la forme attendue a J"cpoque arehai'que. Mais on observe quelquefois.. sur ce point, des chevauchements enlre les deux lots de documents : I'alp lla i< Ihrace dans les grecs et Ie ... normal .. dans Ics tbraces.

    3.3. Si la fi g. 4 donne la dedicace grecque 226. fragmentaire et anociioe, c'est pour illustrcr i'origine de r alphabet gree utilise: omicron et Omega y ont un emploi inverse de celui auquel on est habitue. C'est III un trait parien : l'ecriture qui s'esl imposec dans la region a ete apportee par les Pariens venus colonise r Thasos (debut du Vile s..).

    ZONE ET SAMOTHRACE: LUEURS SUR 1.A lANGUETHRACE 127

    flo. 4. _ Dedicacc grecquc de Zimc. Ct.: P. TsalSOpoulou 1989. 1m el 20m el require qu'cllc dirigc.

    L'hypothese est corroboree par la fo rme lunaire du beta8, ici dedicaces nO 5 et n 36 (fig. 1), deuxi ~me signe a partir de la droile. Dans la documentation thrace,on n'observe que quelques cas de bera c1assique . Quelques ind ices sugg~rent qu 'a ce digraphisme correspondait un bi linguisme, du ma ins cbez les redacteurs indigenes.

    On ne s'~tonnera pas de I'absence, dans Ie r6perloire, du digamma , que la disparition du phonl::me lwl avait elimine des plus anciens alphabets ioniens', Aulrement dit , si la langue uti lisee ou connaissail celle articulation a u avait a1a noter a"occa sia n de l'importation d'un anthroponyme par exemple, e ll e ne pouvail user que d'un expedient (0, T ou OT).

    8. Valeu. di!jlt reonnnue par T~"ThOI'OIJIJ'XJ I~. P. S8U. 9. En dehors du sys.l~mc numt.,,1 d il ""Ielicn . 011 la le llre vaUI .6_. un seol

    clIcmpic CQIIntl : daM till alph"be. SBlIlien ~u. "lie, QUlUtOl JCCI L961. P. 26.S-266. 0- 1.

  • 128 COMPTI;S RENDl1S DE L'ACA De:MIE DES INSCRlYriONS

    3.4. En revanche. cerlains signes pourraient indiquer a. que i"ecrilurc eSI peut-elre a rriv~e dans la region avant 13

    colonisati on propremcnt dite de Thasos, eventuellement avec Ics artisans ou commen;ants pariens doni les activites ant dO preceder la mainmise grecquc sur ril e et sa Perce, et

    b. qu 'eHe y a re nconlrc un autre sys temc graphique, susceptible de venic de l'Est. L'aJphabet epichorique de ZOne et de Samothrace se dcmarque, en eifct, du plus ancien systeme parien connu10 sur deux points. qui semblent etre autant d 'archatsmes: - on n'y trou ve ni H vocaJique oi n. L'ccriture ne rend done

    pas compte de I'opposition entre les voycllcs longues et breves que, commc nous Ie venons" rcvele I'analyse linguistique; - et, surtOut , on a la surprise d'y decouvrir lID signc, d'orienta

    tio(l indirrerentc. qui, ao'en pas douter, vaut yll , ici a. ZOne fig. 1, n 5 et n IS3.11 Samothrace fig. 3, nO 3 :ce signe, je vous en ai Ion guement entretenu en 200412 a propos du paJeo-phrygien 1-f.J' : au yod semitique : 1-, 1,. , correspondent dans Je monde grec I - $ pour if:), en Phrygie, aLemnos el en Tbrace : I - 1..f,t res pecti vement pour if:) e l y.

    L'ecriture dispose done, comme en Phrygie, d'un signe pour li(:)/ et d'un autre pOUT y, phoneme, second tSit!Olent de diph. tongue ou glide apres li(:)1 en hiatus. Autre surprise; en elargissant mes investigations regionales, je retrouve Ie me me couple sur la celebre stele de Lemnos (langue 1), a u Ie signe special concerni! a e L~ jusqu'ici considere par taus les exegetes eomme symbole d'une sifflante, diversemenl translitcree (z. J , etc.)! ' : sa distribution est lout a fait comp.lli ble avec la valeur y. Ai nsi se confirme que, dans les ecritures grecques ct apparenh~es. dans un premie r temps fi r:)) ct {yJ ont vraisemblablcment ete notes par un signe unique, avatar simplifie du yQd semitique (cr. .wpra) ; puis ledit yod a ctc dedouble sur Ie modele du waw fou rnissant une image graphique pour / wl et une autre pour lu(:)!. De ce couple, qui apparti ent par consequent aI'une des phases primi

    10. J/)ld . p. l.59 160. n- .5 II . J'uuliw: rei ce ,)mhok. au lieu du j de ... . p.i. . pour reSter en cnntlCl .vee Ie phry gi~n. oll ledit ~if!C: n t.Wi OdinairemenllrlmJilb.!.

    12. KRIXIII!~. 13. En phryp:n. ;C Ie (;o"",,11e. Ie ~gtM:. '!t.it p!Qstmcot Inmlittrl! pal '" i-I;u'l It

    dicQuven" de NO vt:ri1abl" .-.leur par M. Lejeune. en 1.969 (Lst;ur..E 10;169, p. JO(38).

    Z6N~ ET SAMOTHRACE : LUEURS SUR LA LANGUE 11 tRACE J29 tives de l"aJpbabet (audeJa de I"histoire), le grec a garde Ie sou venir. sous la forme de ses deux iotas, serpentin ($) et recrilignc ( I). Simplement. la langue ayant perdu Ie Iyl .chacun des abecc daires grees a eliminc run des deux symboles, au profit de l'aulre, desormais habilite it recouvrir l i(:)1 et accessoire ment fyJ second clement de diphtongue au glide. Le thrace de Zone/Samothrace avait, au contraire. conserve son Iyl.

    3.5. II cst une autre parlicularite de I"abecedaire qui devrait eire imputee a la phonologie de la langue emprunteuse : l'ab-senee des signes qui , en grec. recouvrent les aspi recs. Le traitement gree des aspirees,. voisces indo-europeennes est exccplionnel ; Ie phrygien et tres probablement Ie thrnce, comme bien d'autres langues de la ramillc, en ant fa it des sonores simples. II est done normal que Ie systeme graphique utilise n'ait, comme en Phrygie, retenu ni e, oi ~ ni X (ou variante).

    3.6. C'est lao assurement une raisoD pour ne pas recherchcr I'equivalent du khi occidental dans Ie ca ractere 't' /'f, qui apparait une demidouzaine de fois aZone (ici f ig. 1. n 20 + 176 + 273) et UDe fois II Samothrace (fig. 2. nO 1 ). 1I ne s'agil pas Ia. non plus du psi c1assique, lequel ne semble pas avoi r figure dans les plus anciens alphabets cycladiques. Un au deux indices pourraient orienter vers la valeur {hI que ce meme trace a dans certains abccedaires grecs'4 et peut-etre en paleo_phrygien15

    4. La langue

    La plupart des documents soo t eo s.criplio continua. La seg mentation est de ce fait d'autant plus diffici le que les graffites sont gcneralement fragmcntaires.

    4.1. Heureusemenl, une treotaioe d 'inscriptions de ZOne et une de Samothrace utilJsent l' interponcLion pour isoler les mots ou les syntagmes, voir supra 2.2.

    1.& . Voi l Gu....1UX)f.'C11961. p. 83. n. I .CI p. 96 :1 0kx11C (erNe). ib;,1.. po 183 CI 193. n- \I ; 1 Mc k>s. ibid. . P. 32.l cl 325. n- J : " n.rn.. ibid. . p. 349 e, ).504.).5.5. n R.

    IS. a. OltllOtr. I..f.Jt'.:t.lI'oI, 19IW. po 2:112. lelln: II 20.

  • 130 COM I"TES RENDUS DE L'ACADtMIE DES INSCRWI"IONS

    L'utilisalion de eel indice et la confrontation. ~ Z6n~. des n 20 + 176 + 273 el n 153 (fig. 1) interdisent de voir en Aj}oA.o\)VEnol/) UDe forme unique. equivalant a 'AltoU,cova

  • 132 COMt'TES RENDUS DE LACAD~ IE DES INSCRIPTIONS

    4.2.2. Pour qui s'interesse a la situation linguistique de 1a region, Ie voisement du p d'Altollwv n'est pas surprenant : M. Hatzopoulos111 a mis en ~vidence , en Maccdoine.la frcquencc d'un phenomene qui aHecte (outes les occlusives sourdes, cf. 4!.g. 6\''(oia pour ouwia. epithe te d' Art~mis. Dans I'aire thrace e lle. merne (documents grecs) les echanges entre Ie signe de la sowde (renet de I'etymologie. sans doute) et eelui de la sonore sont fre quents, cr. par cxcmple les anthroponymes thraces en tOK0t; : a Rogozenl9 I:mOKO (nO I) ou A~atOKOU (n 23), dans les Icgendes mon6taireslV tOKO~ aootc de -OOK~, 1\ Beroia (Macedoine21) trois fois A~UtOKoc; pour une fo is A~aooKoC;;. chez Thucydide l:aooKOC;;. Q U'OD songe aussi au couple LltUAK'lt; - I10a1..~, etc.

    Bref, la sanore d' AI\oAO ilIustre une mlJlation arcale.

    4.3. rvO"o. L'identite de desinence avec AfklAO m'a irnmMia. tement fait penser a un adjectif d~tenninant Ie tbeonyme et done grammatiealement accorde avec lui. Daos quelques cas, Ie mot est susceptible de constituer l'enonee avee APoAO; il semble meme pouvoir apparaitre sew sans A/kll..o et, comm!:! on ne Ie retrouve pas parmi les graffites du sanctuaire des Grands Dieux de Sarno. thrace.j'ai ~videmment songe aune epithete divine.

    Le culte d' Apollon est largeme nl repandu en Thrace : quand son nom est accompagne d'une epithe te, celJeci a gene ralemenl une origine toponymique23. Or aucun toponyme connu ne parait pouvoir expliquer UVEOO.

    N'aurionsnous pas affai re a I'ava tar tbrace d'un adjectif grec rererant ala nature a u aux qualites de ta divinite ? Ce me semble eIre actue llemenlla meilleure hypothese.

    En eifc t, i1 suffit de rappeler deux traits linguistiq ues pour approchcr quclque chose de connu :

    - Ie grec apporte ici par les Samiens est rionien (ct It Z6nc, 1. Thrace, n E401 et suiv.), ou l"ancien 0; est devenu [e:J repre. sentc par E dans Ie systeme graphique qu uti.liscnt nos graffites;

    I S. HAnOl'OUlUS 1~. p. 406-401. 19. Ml1f "fUW 1987 .

    2O. 111!Al)1'iI I, p.2il2jqq.

    21. VOlr T"T,,". I98/!. 22. DI;I'SO rrw 197fl. po ~. 4SO-l52 0;1 488. 23. n lflJCf! 1'J'...... p. 145

    ZON~ ETSAMOTHRACE : LUEUIU; SUR LA LANGUETI IRACE 133

    _ nous sommes dans unc zone au des rAntiqui t~ les voyeUes brevcs moycnnes, atones au toniques. a nt eu tendaoee ~ se fermer. Par la suite, celie tendnoce a eu un eUet maximal quaod la voyc lle t tait atoDe2

  • 134 COMPTES RENDl JS DE L'ACADEMIE DES INSCRH'TlONS

    Surtout, on observera : - I'elimination du -s final; ['ensemble du dossier mantre que

    toutes les consonnes finales subissent Ie meme sort; - la substitution de E au 0 de la forme de depart. A nouveau,

    pour ceux qui s'interessent linguistiquement.it la region, ce n'est pas rccllement une surprise. On retrouve, en eifet. plus tard it est vrai, sans doute la mcme mutation d'un 101 final atone. avec meme image graphique :

    a. en Thessalie (Hestiaotide) aux [Jle/H' siecles a.c., avec des formes telles que KAiavope-; pour KUavopo.;, et

    b. aux 11 c/lll e siedes de notre ere dans la partie sud-ouest de Thasos, au, par exemple. on rcncontrc .1.oAu(5~ pour fl,oACiSoC; au .1.l(Jl(OPUC; pour .1.wo"Kopac;28. Je DC m'attarderai pas sur ce dossier. que je reprendrai en

    detail ailleurs (Melanges Christidis). Je soulignerai seulement a. que la mutation de la voyelle semble bien encore corres

    pondre a un phenomene areal, eta!e sur de longs sieeles ; b. que mutation de 101, elimination de la consonne finale et

    sans doute reduction de la geminee aune simpleN pourraient bien refleter l'emergence precoce, dans la region, d'un accent a dominante intensive30, qui affaiblissait la partie ultimc, atone, du mot;

    c. que la delabialisation du 10/, sans nccessairement anteriorisation, aboutissait sans doute aune voyelle reduite de type schwa, dont E ne donne qu'une image approximative;

    d. que, si ron se rappelle ee qui a ete dil supra ( 4.3) apropos de !"initiale d'uvEo"o, force est de conelure que l'inventaire des voyclles breves atones devait etre fort reduit, surtout en position finale.

    4_5. Katr/I((l a. Ie n 20 + 176 + 273 (fig. 1) de ZOne et Ie n 1 (fig.2) du sanc

    tuaire des Grands Dieux de Samothrace assurent cette segmenta

    21>. La nllUatiOll. iei. monttc que Ic nom ttait senti eonUlle un jU~l ap 5 ct 290 (fig. 1) :

    b. lc fiottcment de la graph ie, a Zone et Samothrace, indique que AT est une graphie historique pour une diphtongue qui a perdu son second element (d'ou A).

    Nous avons rencontre jusqu'ici la designation de la divinite honoree (accompagnce vraisemblablement d 'une epithete) et Ie nom du dedicant. Restent deux candidats possibles pour l'ultimc sequence:

    _ l'objet dedie ou l'attribut de cet objet. alors implicite, _ ou Ie verbe de la dedicace, l'objet etant impl.icite. Ce que nous avons appris jusqu 'ici sur la langue peut encou

    rager les deux hypotheses: _ un ne utre en -iyonl-yoll, avec elimination de la nasale et

    substitution de E a0 (cf.sllpra 4.4); _ un verbe : si ron en juge par Ie flottement AI - A la finale -E

    peut u priori renvoyer a *-ei, finale de present ; mais l'absence d'Msitation 1 - E (qui serait surprenante, eu egard au nombre des attestations de ]'unite) et Je fait qu'en pareil cas 1es textes grecs presentent un passe orientent pluWt vcrs un preterit sans augment, qui aurait, comme en grec, perdu son -f etymologique final (voir infra).

    Dans les deux cas, on peut difficilement cchapper a l'hypothese d'un derive du theme *ka(;)w- brUIer, faire brUler : _ si substantif, emploi substantive d'un adjectif en -iya-I-yo- au

    derive en -iyoni-yon (Chantraine'\ derives sur racincs verbales), d. e.g. grec 1tUpmuJS

  • 1.36 COMMC.S RENDUS DE L'''CAD~M[E DES INSCRIPT IONS

    Cela dil, en raison a) de la necessite de recouriT A une double mutation pour faire de la sequence un substantif e l b) de I'existence en gTec d 'un ve rbe de rneme structure. je crois devoir privj. l ~gier I' hypoth~se verbaJe comme la plus ~conomique.

    La forme peut difficilemcnl eire un empTuRt au gree, ou un le i emploi de "all!) semble inconnu. Dans Ie (hrace de la region, ce verbe. done sans do ute autochtone. aurait connu la meme derive semantiquc que Ie grec 900 : 9~ d~signe I'offrande qu'on hrille . chez Hom~re 900 rUhe toujours ~ I'offrande aux dieux par combustion ",12, Or avtBooe e t ses va riantes dialectalcs ove. 9UOC/UVE900E sont employes en Arcadie pour Ie banal aviSr",. a dcdie ",ll.

    Compte tenu de I'elimination des consonnes finales. on devrail se demander si Ia desi nence de IWLe/1CUE renvoie au modele grec *eluet (J..lJE) o u au mod~le phrygien edaes (= etymologiquement fecit, e9r)1CE) : plutOI au premier, ca r theme de present. Mais. en I'e tat aetue l de nos conna issances. loute specuJaLion sur ce suje t me parait va ine. Un tra it seulement cst evident : I'absence d 'augment (cf. infra 6.2).

    5. VcrificatioDs

    Il est naturell ement des dedicaces dont la structure s'ecarte de celie qui vient d 'etre mise en evidence. Mats l'ordre divini(t honoree (datif) - dedieonl (nomina tif) - verbe semble bien e tre celui de la formule standard .

    O n dcvrait pouvoir verifie r la vra isemblance de cc seMma. Ainsi, avanlICQlE/lwE, on esl cense avoir un nom de personne ;

    les sequences concern~ dans les lextes de mes illustrations (choisis. je Ie rappcUe, non par commodite, mais parcc que Pin venteur en a donne au moins une photo.c( 2.2) ont-eUes chance de correspondre ~ des an lhroponymes ?

    5.1. Le n 5 (fig. I) est la seule dedicace qui n 'ait pas besoin d 'une rcslauration pour etre complete. Que penser de TttAu"h: ?

    32. CHMomtAI!'oE 1968.10. ' \ &v.. 13. Ct. DUIlOCi 1'l86.1. po 2)..24. ,,' II. P. 91 (Ma I) . m ( IG 554).3117 .309 (lG S5!1-556).

    313314 (I'a 1,:1 2).

    ZONE ~TSAMOTIIRACE : LUEURS SUR LA I....A1'-IGUI: I'HRACE 137

    Tel que l. si ant hroponyme,le nom semble inconnu des onomas tiques grccque el thrace. Mais. si nous appliquons les deux r~gles revelees par A1(OAoOoPE ( 4.4) , nous decouvrons l'avaLar de la finale grecque -aloe;. Aurions-nous aHaire a un anthropon)1l1e grec emprunte? Tres probablement. L'un des ra res seclcurs thraees ou il y a consensus parmi les exegetes est ceJui du sort des aspirees indoeurop6ennes : cUes sont reprl!sen[ecs par des sonores simplesl-'. Dans sa phonologie, Ie thrace n'a done pas I'equivalent des aspirees sourdes du grec : en cas d 'emprunt , comme toutes les langues qui connaisscni pareille situation. il assimilera I'aspiree sourde du grec it. son occlusive sourde non voisee (d . Ie grec de Phrygic ou d 'Egyple, ou la langue de

    r~tfilnger chez Aristophane). En vertu de quoi IUAO "". peut Ires bien e lre 13 version thrace d 'un l A.atOC; emprunte. nom bien eonnu des repertoires onomaSltques grees.

    5.2. Entre Ie nom de la divinite (+ epithe te ) el Ie ve rbe, Ie nO 20 + 176 + 273 (fig. J) presente la s~que nce SaAtE1VQ : feminin a u masculin en u: ampute de son -s fina l ? Valeur exacte de 0/ (voir 3.6)? Quoi qU' il en soit, je ne trouvc rien dans les repe r to ires grec au thracc qui evoque globa1cmcnt ce nom. Je n' cntrcrai pas ici dans Ie detail des interrogations qu ' il suscite. Je dirai simplement que fa i I'impression d'avoir affairc ~ un compose a premier elemen t MU..loc; (ionien-attique 6fV.,toc;). epithete bicn connue d'Apollon, qui entre, a cette place, dans 1a composition d 'un certain nombre de noms de personnes grecs : tei emprunt au grec ou hybride greco-thrace ? L'appa rition de daAlO- en milieu ionicn n'est pas un obstacle a I ' hypolh~se: ]'onomasti que person ne Lle consLitue un sousensemble qui, on Ie sa it, echappe souvcnt partic llcmcnt aux r~gles du dia lccle en raison dc la circulat io n des noms ct... dcs personnes.

    5.3. Compte tenu de I'climination des consonnes finales. dans Ie nO 1 de Samoth race (fig. 2) on peut le:gitimement isoler, avao l ICQe.la suite wvro: un e lement onomastiqut: thrace illuslre par Ie L:xvtolh9\X; que donne DetschewJ5. Comme la graphie represente par E Ie 101 original , la finale -0 de ce nom devl'ait corrcspondrc au grec -rov.

    34. 0. RMIXHI;. P",s...VOTOU 1994. p. 1\17. 35. 1)}o'fSOlfW 1976.p. ..I21.

  • l3S COMPT ES REND US DE L'ACADEM[E DES INSCR[YTlONS

    Pr~sen h~ de fa~on incohcrente par I'editeur (Lehmann : .6.ENT .~E : OCvt[o].E:), Ie n 4 (fig. 2) du meme sanctuaire des Grands Dieux pourrait e rre lu, par exemple, .6.EvtfO K: ]Q au .6.Evt[l le)Q. Le document semble complet agauche el adroite : la designation des divinites concern6es serait done iei implicile. 6E:vtfOI ou varianle renvoie a un radicallargernen t repandu dans I'onomasrique thrace36,

    5.4. Ma visite aSamothrace, en rn ai 2005, m 'a donne I'occasion d 'autres vcrifications.

    II existe au Centre-Sud de I'ile les mines d'une eglisc qui fUi eonsaeree a navaytQ M6:vta:4. Notre-Dame du Mandalosl Mandala 37. A proximite gisent des ruines antiques, qui ont e le I'objet d 'investigations a la fin du XIXC siccie, par un erudit local. D. Matsas, dirccteur du musee, qui m'a longuement re~u, a fouill e les Ijeux en 1993, compl6tant Jes trouvailles anciennes. A partir d' idoles anthropomorphes feminines en terre euite, qui s'etalent de la fin du Ville siecle a,c' (done anterieures a Ia colonisation pour les plus ancicIUles) au [(~ p.c., et de deux fragments d'inscriptions., on avait conclu qu'on avail affai re a un sanctume dedit a une divinite feminine indigene, la Grande Mere , banalemen t assimiMe al'Artemis grccque~. A rna grande surprise, Ie fouilleur m'a montre trois graffil es Ihraces, qu' il venait d 'ailleurs de publier3'1 : vous les trouverez a la fig. 3, dessines par leur inventeur. qui malheureusement n'avail pas les moyens d'en comprendre tou t l ' int~r8t.4ll.

    5.4,1. Absent du sa llctuaire des Grands Dieux, UVE

  • 140 COMPTES RENDUS DE L'I\CADMIE DES INSCRJPTIONS

    Lc vernis noir de la poterie qui porte Ie graffite n 1, dextro\'ersc, cst fo rt endommage au niveau de i'inscription ; mais ce lleci ressort asse:.! bien et Ie dessin de O. Matsas me semble correct, sauf sur un point peut-elre: avant \)VECO, ala limite de la fracture, il me semble bien qU'on a un trace qui rcssemble a eelui d'un lambda (A) : s' il fa llait y voir en rtalite un 4, nous pourrions restituer [&VJ~1 el avoir eonfinnation du nom de la dcesse honoree sur Ie site.

    Si cette restitution eSI exacte, on doit sou ligner Ie double morpheme de ce datil de theme en -i : -1 et -I . 5.4.4. J'ai cru pouvoir identifier WEOO comme cpith ~ t e

    d'ApolJon ~ ZOne. Or iei ('adject if se rt ~ qualifie r une divinite f~ min ine. Le double probl~me pose, s~mantique et morphologique, eSI loin d'etre insurmontable :

    a. en raison de leur scns. dans Ie monde grec de nombreuses epithetes divines ne sont pas propres a une divinite. e.g. oUln)pl awtt:lpo. awSoov. EJtr,K

  • 142 CO~U'TES REND US DE L'ACAOEMIE DES INSCRIPTIONS

    de I'Egec, rcfoull~s par et sans doule Ie plus souvent melts aux colons grccs. Le gros des Phrygiens. Testes eux aussi aux partes de la peninsule Balkanique, migre vers J'Asie Mineure a ux XIJ~Xle siccles. Mais des isolats subsistent sur place. Les sources antiques les signalent, sous divers noms. de l'lIIyrie a la Chalcidique. L'histoire des Grecs., des Thraces e t des Ph rygiens est ceUe d'une tres longue cohabitation, de Ja Prchistoire a J'cpoque romaine.

    6.4. La proximite geographique a sans doule freine la diffe reneiation linguistiquc, rna is sans jamais I'Lnterrompre e[ une partie au ma ins des divergences conslalables o'est ccrtaincment pas prehistorique. Les trois sous-ensembles o 'en constiluaient pas moins a

    I'epoque hislorique une veritable aire eultu re lle el, pour designer sa situation linguistique, je me risque a utilise r l'expression de jazykov soyuz (traduite en allemand par Sprachbulld) propnsee par Troubetzkoy pour caracteriser la situa ti on balkanique modem.:: et ses phenomenes de convergence49 .

    Dans Ie cas qui nous occupe ici, malgre la modestic du corpus utilise, on a pu clltrevoir cette conve rgence a travers l'tcriture et quelques phenomenes phonetiques

  • APPENDICE

    Rererences bibliognphiques

    1. Throe/! : L. D. Loukopoulou et alii (ed .)./nscriptiones ollliqlloe portis Thraciae quae ad ora Maris A egaei sito est {pmefecluroe Xanth e.s, Rhodopes el Helm} 'E1trypa~ rii~ 0paKTlC; TOU Aiyaiou )le't(]~\J 'twv nOlO)l cOv Neato\) !W1 "Eppo\) (\'0)101 '=:

  • 146 COMPTES RENDUS DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

    MATSAS, D ., KARAD~MA, Ch. e t KOlITSOUMANES, M . H ovaaKa4lTl