Week-end · fessionnel de la communication ne devrait jamais tomber des nues en ... la nouvelle...

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SALVATOR ROSA/ULLSTEIN BILD/ALINARI ARCHIVES Couple La monogamie des oiseaux, un mythe mis à mal Page 24 Vins L’or pâle du chasselas, roi des cépages romands Page 20 Week-end Page 17 Samedi 6 avril 2013 Dynastie Champion de père en fils, la loi du sang Pages 20, 21 123RF.COM Le mensonge politique, on avait presque fini par s’y habituer. Quelle campagne électorale n’est faite que de promesses tenues? Quel dis- cours repose exclusivement sur des faits exacts, vrais et non pas seule- ment vraisemblables? D’ailleurs, qu’est-ce que la vérité? Quant au mensonge pour raison d’Etat, qui peut encore s’en indigner sans se faire traiter de populiste? Sous le soleil du mensonge, rien de nouveau donc. Pourtant, celui de Jérôme Cahuzac émeut. C’est que, à la lumière des faits, il appa- raît tellement grossier, presque en- fantin. D’aucuns aujourd’hui vou- draient en faire l’erreur d’un seul homme, cupide et amoral, qui a menti pour cacher un délit, le pire qui soit dans le climat politique du moment: une fraude fiscale. En réa- lité, cette version de l’histoire ar- rangerait tout le monde. Jérôme Cahuzac n’est pas un seul homme. Il est d’abord l’un des rouages de cette gigantesque machine à incarner du discours qu’est devenu son gouvernement (lire page 18). Dans ce dispositif, l’homme, nécessairement, tient un rôle écrit par d’autres. Aussi se de- mande-t-on aujourd’hui: qui a bien pu conseiller à Jérôme Cahuzac d’adopter la stratégie du men- songe? Ses avocats? Ses conseillers en communication? Ou les deux? Le Watergate avait pourtant dé- travail consiste, à tout moment d’une affaire, à communiquer sans jamais hypothéquer l’avenir. C’est pourquoi le mensonge n’est jamais une option. Mais il faut compren- dre que, en situation de crise, les gens ont tendance à choisir les so- lutions qui semblent fonctionner à court terme. Comme un enfant, un accusé commence par nier le pro- blème. Il espère qu’en déclarant qu’il n’existe pas, le problème finira par disparaître.» «S’il sait qu’une infraction a été commise, un avocat ne prendra ja- mais la position de la contester, es- time Me Marc Bonnant. Il plaidera les circonstances du délit, les tour- ments de l’âme… Mais vous savez, les clients nous mentent, comme ils mentent au juge.» Sans surprise, donc, l’ensemble des professionnels du droit et de la communication interrogés est unanime et catégorique. Le men- Le mensonge est une forme d’arrogance. C’est croire que l’on a le pouvoir de manipuler son public. ö Suite en page 18 KEYSTONE Les affaires se succèdent où les hommes mentent, puis avouent et se répandent en excuses sanglotantes. Est-ce donc cela que l’on enseigne dans les écoles de communication? se demande Rinny Gremaud La stratégie du mensonge songe n’est jamais conseillé. D’au- tant qu’une telle stratégie peut, à terme, se retourne contre le com- municant lui-même, explique Da- niel Herrera, directeur de l’agence Yjoo à Lausanne. «Mon métier re- pose sur la confiance que m’accor- dent mes partenaires et les médias. Si je participe à communiquer un mensonge, je ruine cette confiance, qui est un capital indispensable.» Qu’en pense Stéphane Fouks, président de Havas Worldwide (ex- Euro RSCG) et conseiller en com- munication de Jérôme Cahuzac? De ses vacances dans l’Ouest cana- dien, l’homme répond au Temps qu’il «ne saurait croire ni accepter la stratégie du mensonge». D’ail- leurs, il ne travaille «bien sûr!!!» (sic) plus pour lui. Autre communicante dans l’en- tourage de Jérôme Cahuzac, Ma- rion Bougeard affirmait vendredi dans nos colonnes: «C’est une trahi- son inouïe. Je l’ai cru. Comme beau- coup. Je suis dévastée. En miettes.» Tout comme Me Gilles August, ex-avocat de l’ex-ministre du Bud- get, qui nous fait savoir… par la voix de sa conseillère en communi- cation, Stéphanie Prunier, qu’il est encore sous le choc après les aveux de son ex-client (il a résilié son mandat) et ne souhaite pas s’expri- mer sur cette question. «Il s’était énormément investi, nous expli- que Stéphanie Prunier. Aujour- d’hui, il est bouleversé. En appre- nant le mensonge, il est vraiment tombé de l’armoire, comme on dit.» Nathalie Maroun: «Un bon pro- fessionnel de la communication ne devrait jamais tomber des nues en apprenant que son client a menti. En situation de crise, on part du principe qu’on ne fait confiance à personne. Non pas seulement parce que le client pourrait mentir, mais aussi parce qu’il peut lui- même se tromper. En pratique, on procède par scénarisation. A tout moment, on se demande: et si cette version de l’histoire n’était pas la seule possible? Dans l’esprit d’un communicant, le mensonge du client est toujours une hypothèse.» Et pourtant, la théorie de la seule déraison d’un homme sans scru- pule fait florès, et le discours de la vierge effarouchée qui tombe des nues est repris partout dans l’en- tourage du ministre déchu. Pour un peu, on croirait qu’il s’agit là de la nouvelle stratégie de communi- cation, version post-désastre: quitte à passer pour naïf, autant charger le bouc émissaire au maxi- mum – perfidie, y compris envers ses proches – en attendant qu’on l’égorge. «On ment toujours avec plus de conviction lorsqu’on ne le fait pas seulement pour soi», rappelait Edwy Plenel sur les ondes de Radio France cette semaine, à propos de l’aplomb dont a fait preuve Jérôme Cahuzac. Et de s’interroger: ce compte ouvert depuis 20 ans, ces avoirs que l’on a pris si grand soin d’enfouir à Singapour, un paradis fiscal réputé plus fermé, était-ce seulement pour s’évader du devoir fiscal? D’où vient cet argent? A quoi et à qui servait-il? Etait-ce l’argent privé de Jérôme Cahuzac? Edwy Plenel, lui, en doute. Dans l’affaire Bettencourt, le cas d’Eric Woerth est emblématique du mensonge pour autrui. Si l’an- cien ministre du Budget et trésorier de l’UMP avait été seul en cause, il aurait sans doute fini par lâcher le morceau. Sa détermination à men- tir de toutes les façons possibles a seulement démontré que les en- jeux le dépassaient. De même pour ‘‘ Je ne saurais croire ni accepter la stratégie du mensonge,, Stéphane Fouks Président de Havas Worldwide, conseiller en communication de Jérôme Cahuzac et Dominique Strauss-Kahn montré que le déni par le men- songe était une voie sans issue. Le Monicagate dans lequel Bill Clin- ton s’était enferré n’a visiblement servi de leçon à personne – il faut dire qu’il s’en est si bien sorti. De- puis quelques années, on assiste à une succession d’affaires dans les- quelles on voit des hommes mentir en public et jouer les indignés, jus- qu’à ce qu’ils soient confondus. Alors ils avouent, se répandent en excuses et en sanglots, espérant que des confessions télévisuelles assureront leur rédemption. Le scé- nario est si stéréotypé que l’on finit par se demander: est-ce donc cela que l’on apprend dans les écoles de communication? Ou alors, sont-ce les avocats qui poussent au men- songe? Nathalie Maroun est analyste des médias, membre de l’Observa- toire international des crises, et for- matrice en communication: «Notre

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VinsL’or pâle du chasselas,roi des cépages romands Page 20

Week-endPage 17Samedi 6 avril 2013

DynastieChampion de père en fils,la loi du sang Pages 20, 21

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Le mensonge politique, on avaitpresque fini par s’y habituer. Quellecampagne électorale n’est faite quede promesses tenues? Quel dis-cours repose exclusivement sur desfaits exacts, vrais et non pas seule-ment vraisemblables? D’ailleurs,qu’est-ce que la vérité? Quant aumensonge pour raison d’Etat, quipeut encore s’en indigner sans sefaire traiter de populiste?

Sous le soleil du mensonge, riende nouveau donc. Pourtant, celuide Jérôme Cahuzac émeut. C’estque, à la lumière des faits, il appa-raît tellement grossier, presque en-fantin. D’aucuns aujourd’hui vou-draient en faire l’erreur d’un seulhomme, cupide et amoral, qui amenti pour cacher un délit, le pirequi soit dans le climat politique dumoment: une fraude fiscale. En réa-lité, cette version de l’histoire ar-rangerait tout le monde.

Jérôme Cahuzac n’est pas un seulhomme. Il est d’abord l’un desrouages de cette gigantesquemachine à incarner du discoursqu’est devenu son gouvernement(lire page 18). Dans ce dispositif,l’homme, nécessairement, tient unrôle écrit par d’autres. Aussi se de-mande-t-on aujourd’hui: qui a bienpu conseiller à Jérôme Cahuzacd’adopter la stratégie du men-songe? Ses avocats? Ses conseillersen communication? Ou les deux?

Le Watergate avait pourtant dé-

travail consiste, à tout momentd’une affaire, à communiquer sansjamais hypothéquer l’avenir. C’estpourquoi le mensonge n’est jamaisune option. Mais il faut compren-dre que, en situation de crise, lesgens ont tendance à choisir les so-lutions qui semblent fonctionner àcourt terme. Comme un enfant, unaccusé commence par nier le pro-blème. Il espère qu’en déclarantqu’il n’existe pas, le problème finirapar disparaître.»

«S’il sait qu’une infraction a étécommise, un avocat ne prendra ja-mais la position de la contester, es-time Me Marc Bonnant. Il plaiderales circonstances du délit, les tour-ments de l’âme… Mais vous savez,les clients nous mentent, comme ilsmentent au juge.»

Sans surprise, donc, l’ensembledes professionnels du droit et de lacommunication interrogés estunanime et catégorique. Le men-

Le mensonge est une forme d’arrogance. C’est croire que l’on a le pouvoir de manipuler son public.

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Les affairesse succèdentoù les hommesmentent,puis avouentet se répandenten excusessanglotantes.Est-ce donccela que l’onenseigne dansles écoles decommunication?se demandeRinny Gremaud

La stratégiedu mensonge

songe n’est jamais conseillé. D’au-tant qu’une telle stratégie peut, àterme, se retourne contre le com-municant lui-même, explique Da-niel Herrera, directeur de l’agenceYjoo à Lausanne. «Mon métier re-pose sur la confiance que m’accor-dent mes partenaires et les médias.Si je participe à communiquer unmensonge, je ruine cette confiance,qui est un capital indispensable.»

Qu’en pense Stéphane Fouks,président de Havas Worldwide (ex-Euro RSCG) et conseiller en com-munication de Jérôme Cahuzac?De ses vacances dans l’Ouest cana-dien, l’homme répond au Tempsqu’il «ne saurait croire ni accepterla stratégie du mensonge». D’ail-leurs, il ne travaille «bien sûr!!!»(sic) plus pour lui.

Autre communicante dans l’en-tourage de Jérôme Cahuzac, Ma-rion Bougeard affirmait vendredidans nos colonnes: «C’est une trahi-

son inouïe. Je l’ai cru. Comme beau-coup. Je suis dévastée. En miettes.»

Tout comme Me Gilles August,ex-avocat de l’ex-ministre du Bud-get, qui nous fait savoir… par lavoix de sa conseillère en communi-cation, Stéphanie Prunier, qu’il estencore sous le choc après les aveuxde son ex-client (il a résilié sonmandat) et ne souhaite pas s’expri-mer sur cette question. «Il s’étaiténormément investi, nous expli-que Stéphanie Prunier. Aujour-d’hui, il est bouleversé. En appre-nant le mensonge, il est vraimenttombé de l’armoire, comme on dit.»

Nathalie Maroun: «Un bon pro-fessionnel de la communication nedevrait jamais tomber des nues enapprenant que son client a menti.En situation de crise, on part duprincipe qu’on ne fait confiance àpersonne. Non pas seulementparce que le client pourrait mentir,mais aussi parce qu’il peut lui-même se tromper. En pratique, onprocède par scénarisation. A toutmoment, on se demande: et si cetteversion de l’histoire n’était pas laseule possible? Dans l’esprit d’uncommunicant, le mensonge duclient est toujours une hypothèse.»

Et pourtant, la théorie de la seuledéraison d’un homme sans scru-pule fait florès, et le discours de lavierge effarouchée qui tombe desnues est repris partout dans l’en-tourage du ministre déchu. Pourun peu, on croirait qu’il s’agit là dela nouvelle stratégie de communi-cation, version post-désastre:quitte à passer pour naïf, autantcharger le bouc émissaire au maxi-mum – perfidie, y compris enversses proches – en attendant qu’onl’égorge.

«On ment toujours avec plus deconviction lorsqu’on ne le fait passeulement pour soi», rappelaitEdwy Plenel sur les ondes de RadioFrance cette semaine, à propos del’aplomb dont a fait preuve JérômeCahuzac. Et de s’interroger: cecompte ouvert depuis 20 ans, cesavoirs que l’on a pris si grand soind’enfouir à Singapour, un paradisfiscal réputé plus fermé, était-ceseulement pour s’évader du devoirfiscal? D’où vient cet argent? A quoiet à qui servait-il? Etait-ce l’argentprivé de Jérôme Cahuzac? EdwyPlenel, lui, en doute.

Dans l’affaire Bettencourt, le casd’Eric Woerth est emblématiquedu mensonge pour autrui. Si l’an-cien ministre du Budget et trésorierde l’UMP avait été seul en cause, ilaurait sans doute fini par lâcher lemorceau. Sa détermination à men-tir de toutes les façons possibles aseulement démontré que les en-jeux le dépassaient. De même pour

‘‘ Je ne saurais croireni accepter la stratégiedu mensonge,,

Stéphane FouksPrésident de Havas Worldwide,

conseiller en communicationde Jérôme Cahuzac

et Dominique Strauss-Kahn

montré que le déni par le men-songe était une voie sans issue. LeMonicagate dans lequel Bill Clin-ton s’était enferré n’a visiblementservi de leçon à personne – il fautdire qu’il s’en est si bien sorti. De-puis quelques années, on assiste àune succession d’affaires dans les-quelles on voit des hommes mentiren public et jouer les indignés, jus-qu’à ce qu’ils soient confondus.Alors ils avouent, se répandent enexcuses et en sanglots, espérantque des confessions télévisuellesassureront leur rédemption. Le scé-nario est si stéréotypé que l’on finitpar se demander: est-ce donc celaque l’on apprend dans les écoles decommunication? Ou alors, sont-celes avocats qui poussent au men-songe?

Nathalie Maroun est analystedes médias, membre de l’Observa-toire international des crises, et for-matrice en communication: «Notre

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Week-end Le TempsSamedi 6 avril 201318

Quand le mensonge manifeste la décomposition du champ politique

«La parole publique ne vaut plus rien»

Christian Salmon est sociologue,auteur, notamment, de Storytelling:la machine à fabriquer des histoires et àformater les esprits. En mai, il pu-bliera chez Fayard La Cérémonie can-nibale, consacré à la dévoration dupolitique.

Le Temps: Qu’est-ce que l’affaireCahuzac dit de l’état de la démo-cratie?Christian Salmon: Après ses aveux,

on s’est mis àpousser des crisd’orfraie: leshommes politi-ques nousmentent, c’estindigne, hon-teux, etc. On

réduit à des considérations éthico-morales une affaire qui, en réalité,manifeste un problème plus pro-fond, touchant au fonctionnementmême de la démocratie, à ses insti-tutions et ses relais, à l’indépen-dance des contre-pouvoirs que sontla justice et les médias.Jérôme Cahuzac a menti devant lareprésentation nationale. Pour mapart, je m’interroge encore: com-ment est-ce possible? La réponsen’est pas à chercher du côté de la

psychologie du personnage, ce n’estpas ce qui compte. Mais qu’estdevenu le parlement pour que lesparoles qu’on y prononce, pour direla vérité ou le mensonge, n’aient à cepoint plus d’importance? Dès lorsque l’on vit dans ce monde du simu-lacre, pour parler comme Bau-drillard, on est dans une logique deperformance, la frontière entreréalité et fiction, vérité et mensonge,perd toute son importance au profitde la seule efficacité de l’énoncé.

– Comment en est-on arrivé à cettedévalorisation de la parole publique?– Depuis une trentaine d’années, onassiste à une réduction progressivedu pouvoir des Etats. Ils ont perduleurs prérogatives de base, commecelle de battre monnaie ou de con-trôler les frontières. En mêmetemps, ils sont toujours plus soumisà des intérêts qui les dépassent: ceuxdes marchés financiers d’abord, desorganisations et des alliances supra-nationales, des lobbys privés. Paral-lèlement, les logiques de la démo-cratie participative ontcomplètement changé. Avant, lascène du pouvoir, c’était les assem-blées parlementaires, les cabinetsministériels. L’étude des dossiers

Lance Armstrong. «Les mensongesde Lance Armstrong cachaient biensûr des intérêts extrêmement di-vers, commente Daniel Herrera.Personne ne pourra me convaincrequ’il se dopait seul, à l’insu de tous.Le mensonge était institutionnaliséet concernait le monde cyclistedans son ensemble.»

D’un point de vue strictementprofessionnel, Nathalie Marounne dit pas autre chose: «La commu-nication de crise commence tou-jours par se demander: qu’y a-t-il àprotéger? Parfois, cela peut être laréputation ou les intérêts d’un seulhomme. Mais, souvent, cela con-cerne tout un groupe ou une en-treprise.»

Revenons donc à la stratégie:comment s’y prendre lorsque lemensonge est une donnée de basedu dossier qu’on a la charge de dé-fendre, auprès des médias ou desjuges? Nathalie Maroun: «Parexemple, lorsqu’une entreprise esttouchée par un scandale interne,elle dira: Festina n’a rien à voir avecla pratique de ses cyclistes. Ou Vi-

vendi n’a rien à voir avec les prati-ques de ses dirigeants.»

Ou: le gouvernement socialisten’a rien à voir avec les pratiquessans scrupule de cet homme qui aagi seul.

Depuis plusieurs années, il sem-ble que le pouvoir des communi-cants s’accroît, du moins il estrendu plus visible. C’est ainsi que,dans le cadre d’affaires à fort poten-tiel médiatique, avocats et commu-nicants sont amenés à travailler deconcert. Comment se déroulent cescollaborations? «Ce sont deux mé-tiers qui poursuivent des objectifssouvent convergents, mais qui sebasent sur des règles différentes»,explique Daniel Herrera, tout enprécisant qu’il est encore rare, enSuisse, que ces collaborationssoient systématiques. «Nous par-tons du principe qu’un avocat nesait pas communiquer, expliqueNathalie Maroun. Ce que veulentbien admettre certains hommes deloi, qui recommandent de tels ser-vices à leurs clients lorsque l’affaireprend une tournure médiatique.L’un deux témoigne: «Le travail ducommunicant peut contribuer à li-

miter l’effet de buzz. Dès qu’une af-faire devient publique, cela changela façon dont elle sera traitée par lajustice. Si l’affaire tourne au fait desociété, le petit règlement à l’amia-ble devient impossible.»

Me Marc Bonnant, lui, n’est pasde cet avis: «Les conseillers en com-munication sont tous nuls. Si unclient vient me voir en me disant«j’ai un conseiller en communica-tion», je lui dirai «virez-le». En prin-cipe, un avocat est un intellectuel,un homme de lettres et de paroles.Il ne va tout de même pas déléguerses prises de parole à un soi-disantprofessionnel du langage! Leurtravail consiste à produire des for-mules toutes faites qu’ils épar-pillent dans la bouche de toutessortes de gens, indépendammentdes personnalités de chacun. Laproduction de ce langage stéréo-typé est absolument contre-pro-ductive et décrédibilise n’importequel message.»

Lorsqu’ils en arrivent à collabo-rer, avocats et communicants peu-vent encore diverger sur les actionsà entreprendre. «Par exemple, expli-que Nathalie Maroun, dans une

ö Suite de la page 17

Jérôme Cahuzac devant l’Assemblée nationale. Dans le monde du simulacre, la frontière entre vrai et faux disparaît au profit de l’efficacité. PARIS, 5 DÉCEMBRE 2012

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Philipp HildebrandL’affaireHildebrandest renduepublique dansles premiersjours dejanvier 2012.

Le président de la Banque natio-nale suisse est accusé de délitd’initié dans le cadre d’importan-tes transactions en dollars effec-tuées par son épouse sur leurcompte commun. Dans cetteaffaire, Philipp Hildebrand estconseillé par son avocat PeterNobel, qui recourra à un con-

seiller en communication, JörgDenzler, avec lequel il travaillerégulièrement.Après avoir déclaré «ne pas avoirconnaissance» des transactionsincriminées, un courriel de sabanque révèle qu’il avait lui-même approuvé l’une d’entreelles. Acculé, il finit par donnersa démission le 9 janvier, esti-mant avoir perdu la crédibiliténécessaire à assumer ses fonc-tions. Mais, sur le fond de l’af-faire, il continue d’affirmer querien ne peut lui être reproché auregard du droit suisse.

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Lance ArmstrongAccusé dedopage à denombreusesreprises toutau long de sacarrière,Lance Arm-

strong a toujours nié en bloc,discrédité ses accusateurs, ettrouvé le moyen d’échapper àl’enquête grâce à diverses com-plicités institutionnelles.En juin 2012, toutefois, l’agenceaméricaine antidopage ouvreune procédure sur la base detémoignages d’anciens coéqui-

piers attestant qu’il avait eurecours au dopage entre 1998 et2005. En août, Lance Armstrongannonce sa décision de ne pascontester les éléments de l’en-quête.En octobre, l’Union cyclisteinternationale le déchoit de tousses titres et le radie à vie.Il faudra attendre janvier 2013pour entendre Lance Armstrongformuler des aveux pour lapremière fois. Il choisit la scènetélévisuelle d’Oprah Winfreypour cet acte de contritionpublique.

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Eric WoerthDans le cadrede la tentacu-laire affaireBettencourt,Eric Woerthest mis encause directe-

ment, en tant que trésorier del’UMP et ministre du Budget, etindirectement, puisque sonépouse Florence était une colla-boratrice de Patrice de Maistre,le gérant de fortune des Betten-court. Les accusations diverses –conflits d’intérêts, financementsoccultes – tombent dans le cou-rant de l’été 2010. Eric Woerthadopte une stratégie de négationtotale, répète à l’envi qu’il n’a

jamais menti, qu’il est la victimed’une entreprise de démolition. Ilest appuyé par l’ensemble de sonparti, Nicolas Sarkozy en tête.Tout au plus finit-il par avoueravoir recommandé Patrice deMaistre pour la Légion d’honneur,alors qu’il avait longtemps af-firmé «à peine connaître» cemonsieur. Sur le fond de l’affaire,Eric Woerth n’a jamais rien lâché.Il démissionnera de sa fonctionde trésorier de l’UMP, maisjamais de sa fonction ministé-rielle. Il mènera jusqu’au bout ledébat sur la réforme des retrai-tes, avant d’être exfiltré du gou-vernement lors du remaniementministériel de novembre 2010.

AFP

Bill ClintonDans l’affaireLewinsky, leprésident desEtats-Unis,qui se trouve àla fin de sondeuxième

mandat, nie de toutes les maniè-res possibles avoir eu des rela-tions sexuelles avec la stagiairede la Maison-Blanche. Dans unedéclaration télévisée en janvier1998, il déclare: «Je n’ai pas eude rapports sexuels avec cettefemme, MademoiselleLewinsky.» Il aura égalementcette fameuse formule: «Il n’y apas de relation sexuelle, derelation sexuelle inappropriée ouune quelconque relation indé-

cente»; en VO: «There is not asexual relationship, an impropersexual relationship or any otherkind of improper relationship.»Une position qu’il défendradevant le jury d’accusation,arguant que l’usage du tempsprésent rendait sa formulationexacte: «It depends on what themeaning of the word «is», décla-re-t-il. Après avoir longuementdisserté sur la question de savoirce qu’était vraiment un rapportsexuel oral, Bill Clinton finira paradmettre qu’il a bien eu avecMonica Lewinsky un «contactintime inapproprié». La procé-dure d’impeachment contre luisera finalement repoussée parles sénateurs en janvier 1999. R.G.

AFP

DSKLorsqu’il estplacé endétentionpréventive, enmai 2011,DominiqueStrauss-Kahn

nie «de la manière la plus fortepossible» avoir agressé sexuelle-ment, tenté de violer ou séques-tré Nafissatou Diallo, une femmede chambre du Sofitel de NewYork. Il démissionne de la direc-tion du FMI, tout en déclarantqu’il plaidera non coupable. Le

volet pénal de l’affaire se soldepar la libération sur parole deDSK en juillet, après que lacrédibilité de la plaignante a étémise en doute.Un mois plus tard, NafissatouDiallo dépose une plainte civile.En mai de l’année suivante, DSKdépose lui-même une plaintecontre Nafissatou Diallo, l’accu-sant de lui avoir «volontairementinfligé une souffrance émotion-nelle». En novembre 2012, unaccord à l’amiable est trouvéentre les deux parties.

AFP

prenait du temps, tout comme lesdélibérations. Aujourd’hui, la scènedu pouvoir, c’est la télévision et lesréseaux sociaux. Les espaces politi-ques et médiatiques ont fusionné. Etce nouveau dispositif du pouvoirréclame des hommes politiques unetélé-présence continue. Le publicassiste donc au spectacle de ceshommes qui ne sont plus que lesfigures d’un pouvoir qu’ils ne dé-tiennent plus.

– Que dire de l’omniprésence descommunicants?– Le dispositif du pouvoir s’esttransformé. Ces dernières décen-nies, on a vu une pénétration desagences de communication ausein de l’appareil d’Etat. A l’épo-que, un ministre était entouré d’undirecteur de cabinet et d’unevingtaine de collaborateurs, dansune logique d’expertise et d’appro-fondissement des problèmes.Aujourd’hui, le pouvoir, ce n’estplus qu’un trio: l’homme politi-que, son chargé de communica-tion, et le journaliste. On se croi-rait dans la série télévisée Borgen.

– Les médias aussi ont perdu leurcrédibilité.

– L’espace du dialogue républicain etde l’information n’a cessé de seréduire au profit du décryptage, del’analyse de performance publique.On étudie la gestuelle de l’hommepolitique, on commente le choix deses vêtements. Les médias ne cher-chent plus les faits. Le journalisten’est plus qu’un animateur, unperformeur. A la logique du dialo-gue s’est substituée celle de l’inter-ruption. Le résultat, c’est évidem-ment cette perte de crédibilité de laparole publique.

– Puisque la perte de confiance estgénéralisée, pourquoi s’émouvoir dumensonge de Jérôme Cahuzac?– Le problème, c’est que le ministredu Budget incarnait un certain«parler vrai», qui est le discours dupouvoir en temps de crise. Dire lavérité aux citoyens, c’est aussi lesenjoindre aux sacrifices. Derrière laVérité, il y a la Rigueur, le Désendet-tement – qui, soit dit en passant, necache rien d’autre que la perte desouveraineté. La rigueur, c’estl’Union européenne et les marchésfinanciers… L’affaire Cahuzac, endécrédibilisant sa parole, suffit àébranler toute la logique gouverne-mentale. Propos recueillis par R. G.

communication de crise, porterplainte en guise de réplique est unacte fort. C’est une façon d’exprimerson indignation. Mais, pour un avo-cat,c’esttouteuneprocéduredontilsouhaitera étudier les tenants et lesaboutissants avant de s’y lancer. Ilvoit les choses sous un autre angle.»

Cette omniprésence des com-municants, aux alentours du bar-reau et ailleurs, est le signe destemps médiatiques, et du souhaitde chacun d’en acquérir la maîtrise.Toutefois, à force d’être confrontésà des messages calibrés, les médiaset leur public éprouvent en perma-nence le besoin d’un décryptage.Les conseillers en communicationse sont mis à courir eux-mêmes lesplateaux pour commenter le travailde leurs confrères. «C’est exacte-ment ce que je suis en train de faire,regrette Nathalie Maroun. Malheu-reusement, c’est saborder notrepropre travail que d’en donner lesclés. Dans ce métier qui, autrefois,était celui de l’ombre, il y a au-jourd’hui aussi un fort besoin dereconnaissance. Mais cette exposi-tion permanente risque de nousconduire à l’extinction du métier.»

DR