· Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont...

259
1 GARE AUX COUPS DE SOLEIL ! Jean-François FLEURY Tél : 06 29 36 02 77 Adresse : La Fortinerie – 15, Epaville 50340 LES PIEUX

Transcript of  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont...

Page 1:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

1

GARE AUX COUPS

DE SOLEIL !

Jean-François FLEURY

Tél : 06 29 36 02 77

Adresse : La Fortinerie – 15, Epaville

50340 LES PIEUX

Page 2:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

2

A HugoMon fils, ma fierté.

Hugo le guerrierParce qu’il n’est qu’un seul combat :

Le combat pour la vie !

Page 3:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

3

Avant-propos

Le 4 Novembre 2015, nous avons appris la rechute de notre fils Hugo. Après sept

ans et demi de rémission, il était difficile d’y croire. Les médecins nous ont dit que

c’était exceptionnel. Hugo a répondu qu’il n’aspirait qu’à une vie ordinaire.

Le parcours dans les mois qui ont suivi cette terrible annonce s’est avéré long et

douloureux. Hugo s’est battu de toutes ses forces, faisant preuve de ressources assez

étonnantes. Le traitement lourd qu’il a reçu l’a parfois mis à plat, avec de nombreux

effets secondaires.

Nous, ses parents qui l’avons accompagné à chaque instant, avons traversé des

moments de doute, d’angoisse et de peur.

Aujourd’hui, Hugo est en rémission et a pu reprendre la vie (presque) normale

d’un garçon de douze ans.

Dans ce récit, nous racontons les huit mois du traitement lourd qui nous ont

conduits dans un monde parallèle, nous éloignant quelque peu de notre entourage et

de nos activités habituelles.

Mais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous

ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en

premier lieu, ainsi que l’équipe médicale et l’équipe soignante du service onco-

hématologie pédiatrique du CHU de Caen qui se sont montrées attentives, patientes

et toujours à notre écoute . Ces personnes dévouées et passionnées ont donné à Hugo

la force de se battre et l’énergie pour garder l’espoir.

Page 4:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

4

Et puis nos pensées se tournent toujours vers Edith, notre médecin généraliste qui,

soucieuse de ne rien négliger, a su anticiper les examens et est en permanence restée

proche de notre fils depuis le début de son traitement. Edith a toujours su nous

expliquer les choses simplement et nous a permis d’adopter une attitude plus

positive. La famille et les amis ont également été présents ; leur soutien, leur

réconfort, leur attention nous ont aidés à surmonter cette épreuve.

Pour toutes ces raisons, nous avons voulu rédiger ce cahier de bord avec les

anecdotes, les rencontres, les surprises et les rires de cette période si particulière.

Cette trace écrite est avant tout destinée à Hugo, pour que le traumatisme vécu,

délibérément couché sur le papier, libère son subconscient et ne demeure pas enfoui

durant toute une vie. Tout ce que nous avons partagé et apprécié, redouté et affronté

est rassemblé dans ce livre qui restera le récit d’une drôle de tranche de vie d’un

bonhomme de onze ans qui, aujourd’hui, a retrouvé le sourire.

Page 5:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

5

Août 2016   : les vraies vacances

Maman me tartine le visage et le corps d’écran total. Ça m’énerve un peu mais je

ne bronche pas. Elle étale délicatement la lotion solaire sur ma peau, protégeant avec

soin l’énorme cicatrice de mon dos.

On a roulé toute la nuit et une partie de la journée aussi, pour traverser la France

de haut en bas, depuis la Normandie, jusqu’à ce qu’on trouve le soleil.

En cette fin d’après-midi, nous sommes enfin arrivés. La plage est noire de

monde. Le sable chaud sous mes pieds me donne des fourmis dans les jambes. Je n’ai

qu’une idée en tête : me frayer un chemin au milieu de tous ces corps immobiles ou

assoupis sur leurs serviettes, pour piquer une tête dans cette belle mer bleue et lisse

qui semble m’inviter.

Mais maman ne me lâche pas. Elle me tient solidement le bras et pas un seul

endroit de ma peau n’échappe à son inspection méticuleuse. Le corps entièrement

recouvert de crème blanche, je me sens aussi à l’aise qu’un bonhomme de neige au

pays des cocotiers.

Malgré tout, je ressens un sentiment de liberté comme jamais. Je regarde autour de

moi et tout ce que je vois me semble incroyablement beau. Je me sens bien dans cet

environnement et je me rends compte qu’au fond de moi, j’avais tout oublié, un peu

comme si j’avais renoncé. Quelque chose en moi s’était cassé ; le temps est venu de

recoller les morceaux et repartir de l’avant.

L’appel de la mer se fait pressant.

Page 6:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

6

«  Lève la tête, Hugo.

— Bon, maman ; ça suffit peut-être, là…

— Lève un peu la tête, que je protège ton cou. C’est pas le moment d’attraper

un coup de soleil.

— C’est si grave que ça, un coup de soleil ?

— Mieux vaut être prudents. Il ne s’agit pas de courir le risque que tu déclares

un cancer de la peau. »

Evidemment. Ce serait ballot, un cancer de la peau. Surtout après l’année que je

viens de passer.

Page 7:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

7

Septembre 2015   : la rentrée

Mardi 2 Septembre ; le début d’une nouvelle vie.

Quand la sonnerie du réveil se fait entendre, je ne traîne pas au lit pour une fois.

Aujourd’hui, n’est pas un jour ordinaire : je vais faire ma première rentrée au

collège. C’est une nouvelle page qui s’ouvre et je suis impatient de la découvrir.

J’enfile en toute hâte mon Levi Strauss tout neuf, un sweat bleu à fermeture Eclair

et ma nouvelle paire de Van’s.

Fidèle à mes habitudes, je me plante devant la télévision, savourant mes derniers

instants de liberté en compagnie de Bob l’éponge, un fidèle ami de longue date. Je

dois le reconnaître, j’ai tendance à être du genre casanier. J’apprécie la compagnie de

la télévision et je peux rester planté devant l’écran très longtemps. Bien sûr, j’aime

aller au cinéma, surtout pour voir un Marvel. Sinon, je passe aussi pas mal de temps

à jouer à la console ; je suis accroc. Mes parents tiennent à ce que je sorte pour faire

des activités et rencontrer des copains. Je pratique la natation et je joue au tennis de

façon régulière mais je ne suis pas addict au point de regarder un match sur le petit

écran. Et sinon, depuis trois ans, lorsque le solfège m’a convaincu d’arrêter les cours

de batterie, j’apprends la guitare avec Mimile.

Maman est professeure des écoles. Elle part tôt pour accueillir ses élèves de

grande section dans sa nouvelle école. Pour elle aussi, c’est le début d’une nouvelle

histoire puisqu’elle change d’école et quitte le cycle 3 où elle avait passé tant

d’années .

Page 8:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

8

Papa lui, a commencé une reconversion professionnelle après avoir perdu son

travail il y a déjà plusieurs mois. Il a commencé une formation au mois de Mai et il

part régulièrement à Caen pour suivre ses cours. C’est loin Caen, du moins je trouve ;

à plus de cent vingt kilomètres de notre maison.

Du coup, c’est mamie qui m’emmène au collège. Mamie, elle n’est pas du genre à

être en retard. Ça me rassure un peu parce que je n’ai pas envie d’arriver le dernier,

comme avec papa qui lui, a du mal à être ponctuel. Il faut dire que j’ai passé mes

années de primaire dans une autre circonscription et que je ne connais pas grand

monde au collège. Alors, j’aimerais autant arriver tôt pour pouvoir prendre mes

marques.

Mamie, c’est l’impératrice du dérapage, la reine de l’asphalte. Le collège se

trouve à peine à deux kilomètres de la maison et il nous faut tout juste un quart

d’heure pour y arriver. Mamie trouve une place libre, sans aucun créneau improbable

à faire (ouf !) à huit cents mètres du collège. Sac sur le dos et mamie à mes basques,

je prends mon courage à deux mains pour cette longue marche matinale.

Dans le hall, je retrouve mon copain Nathan, en compagnie de son père qui, lui, a

un vrai métier et n’est pas obligé de partir en formation dans un autre département.

J’aperçois également quelques têtes connues, des gars que j’ai côtoyés au tennis ou à

la piscine.

Bien vite, les choses sérieuses se mettent en route. L’appel des élèves ne me dit

rien qui vaille. Nathan n’est pas dans la même classe que moi ; je vais devoir me

trouver d’autres copains.

Page 9:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

9

Cette première journée au collège donne le ton de ce qui nous attend. On nous

submerge de papiers, d’informations en tout genre, de consignes et de conseils qu’on

n’a même pas le temps de comprendre avant de les retenir.

Le soir, à la maison, je montre à maman les documents qu’elle doit lire et signer.

Les questions qu’elle me pose au sujet du déroulement de ma journée, de mon

emploi du temps ou du nom de mes profs m’obligent déjà à fournir des efforts de

mémoire. Du coup, j’en arrive même à me demander si par hasard je n’aurais pas

oublié une information importante à lui transmettre… Je dois le reconnaître, il

m’arrive d’être un peu étourdi. Du coup, je pars me coucher en me rassurant à l’idée

que la nuit porte conseil.

Page 10:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

Le poids des maux

Le début d’année ne se passe pas si mal finalement. Je réussis à éviter les premiers

obstacles avec brio. Je me surprends même à ne pas me tromper de salle de classe

durant la première semaine.

Mais la vie d’un collégien n’est pas de tout repos. Les pièges sont présents aux

quatre coins de l’établissement et il faut être sur ses gardes en permanence. Le

moindre relâchement peut être fatal et je l’apprends bien vite à mes dépens. Il ne me

faut guère plus d’une semaine pour enfermer mon cartable dans mon casier, oubliant

la clé à l’intérieur. Au retour de deux heures de sport, il ne me reste plus qu’à me

présenter en cours les mains dans les poches.

Mon autre erreur préjudiciable est de ne pas avoir demandé de précisions à propos

de la première heure de cours du mercredi matin. « Vie de classe» est écrit sur mon

emploi du temps. Comme je ne sais absolument pas de quoi il retourne au juste, je

finis par me convaincre que je serai convoqué lorsque mon tour sera venu. Grave

erreur de ma part puisque le professeur principal relève une absence non justifiée.

Cette négligence me vaut un premier rappel à l’ordre, sans conséquence toutefois.

Le 16 Septembre, j’ai droit à mon premier avertissement dans le cahier de liaison.

Le prof de maths n’a pas voulu entendre mes explications au sujet d’un travail non

fait !

Ces péripéties font partie de la vie de tout collégien. C’est en tout cas ce que je

pense. En revanche, quelques jours plus tard, je suis victime d’un autre incident que

j’aurais préféré éviter. Je suis dans le couloir, pendant l’intercours, et je me dirige

Page 11:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

tranquillement vers la salle d’anglais. Tout à coup, deux pimbèches de quatrième

arrivent en sens inverse. Elles parlent un peu trop fort et rigolent de façon exagérée.

En arrivant à ma hauteur, l’une des deux me bouscule involontairement, sans

même prendre le temps de se retourner. Je suis surpris et je n’oppose aucune

résistance. La collision n’a pas été d’une grande violence ; pourtant, je me retrouve

les quatre fers en l’air contre le mur. Pire, j’éprouve les plus grandes difficultés à me

remettre debout. Un « grand » qui passe par là – un troisième, si j’en juge à ses

nombreux boutons sur le front et le nez – se plante devant moi.

«  Ça va mon gars ?

— Oui, oui, ça va » je réponds l’air de rien, soulagé de voir le gaillard

s’éloigner.

La journée se termine cahin caha, mais cette histoire me trotte dans la tête. Mes

super pouvoirs m’auraient-ils abandonné ? Dire qu’à l’âge de deux ans, je me prenais

pour Spiderman. J’avais même été tout près de réussir à m’envoler un jour où, sous

le regard médusé de mes parents, j’avais tenté le grand saut depuis la cinquième

marche de l’escalier de notre maison !

Le soir venu, je me confie à mon père qui écoute attentivement mon récit. Je

remarque toutefois qu’il s’étonne de la chute !

« Ben alors, fils ; qu’est-ce que tu me chantes là ? T’es un costaud, toi. Tu ne vas

quand même pas te laisser marcher sur les pieds. Il faut faire ta place, te faire

respecter comme les autres. »

Qu’est-ce qu’il croit, mon paternel ; que je le fais exprès ? Je ne suis pas sûr qu’il

ait bien compris ce que je voulais lui dire…

Page 12:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

Je me rends compte, jour après jour, que je ne suis pas dans une forme physique

olympique. Des douleurs intermittentes dans le dos m’empêchent de profiter de ce

début d’année. L’entrée au collège, c’est une aventure. Et j’ai l’impression qu’elle est

un peu gâchée. Bien sûr, il y a des moments où je me sens en forme, mais pas une

journée ne se déroule sans que j’aie mal, à un moment ou un autre.

Et puis il y a mon cartable. Il pèse au moins une tonne. Au terme d’une journée de

cours, je n’ai plus la force de le porter. Un comble !

Page 13:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Le cross du collège

Ce début d’année n’est pas catastrophique, loin de là. Je prends mes marques

tranquillement et je m’intègre assez vite à ma nouvelle classe.

Les premières notes arrivent et je n’ai pas à en rougir. La sixième,

finalement,c’est beaucoup de stress alors qu’il s’agit surtout d’une année de

transition essentiellement consacrée aux révisions. Le plus difficile, c’est de

s’adapter à une nouvelle organisation, dans un autre environnement. Je suis plutôt du

genre étourdi et je sais que je dois faire des efforts si je ne veux pas me perdre en

route.

Ce qui me tracasse le plus, c’est ce fichu mal de dos qui ne passe pas. Je n’ai pas

mal en permanence, mais les douleurs sont violentes. Certains cours d’éducation

physique m’obligent à serrer les dents. Mais, comme le conseille le proverbe : je

prends mon mal en patience.

Quand mamie vient me récupérer à la sortie du collège, elle accepte de porter mon

cartable. Mais papa, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il faut dire que j’évoque le

poids de mon sac plutôt que mes douleurs et papa souhaite que je me montre

autonome.

Parfois, en cours, j’ai du mal à rester assis. Je profite du moindre moment où les

profs nous tournent le dos, quand ils écrivent au tableau, pour me mettre debout et

me détendre un peu. Ça fait du bien, même si ça ne dure pas longtemps.

A la fin du mois de Septembre, les choses sont loin de s’arranger. Les douleurs me

réveillent la nuit. Dès que je reste trop longtemps dans la même position, ça devient

vite insupportable. Mes parents se demandent ce qui m’arrive et pensent qu’il y a

Page 14:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

peut-être autre chose. Ils en arrivent à la conclusion que je passe trop de temps sur

ma console de jeux et que ça perturbe mon sommeil. Du coup, je n’ose pas leur dire

comment se passent mes journées au collège.

Comme je souffre beaucoup, Maman m’emmène chez Edith ; c’est notre médecin

de famille. Elle me connait bien parce qu’elle me suit depuis que j’ai trois ans et

demi. La première fois que je suis allé dans son cabinet, j’étais soigné à l’hôpital de

Caen pour une leucémie. C’est la pire chose qui me soit arrivée : six mois de

traitement lourd et dix-huit mois de traitement d’entretien pour venir à bout de ce

cancer du sang.

Edith me prescrit des anti inflammatoires pour quelques jours et nous invite à

reprendre un rendez-vous si les douleurs persistent. Et elles persistent ! Alors, au

deuxième rendez-vous, elle nous rédige une prescription pour que j’aille passer une

radiographie.

La veille des vacances de Toussaint, c’est le traditionnel cross du collège. Toutes

les classes participent et certains élèves invitent parents ou amis à se joindre à la fête.

Moi, l’endurance, c’est vraiment pas mon truc et je ne m’attends pas à réaliser un

exploit.

Mais ce que je vais vivre est bien pire que tout ce que j’avais pu redouter. Un

cauchemar absolu. A côté de moi, Greg Heffley (Journal d’un dégonflé)

ressemblerait presque à un héros indestructible, capable de faire mordre la poussière

à Batman et Superman réunis.

Un an plus tôt, j’avais participé aux foulées organisées par un quotidien local.

Nous étions nombreux sur la ligne de départ et je m’en étais sorti avec les

honneurs.Une accélération dans les cent derniers mètres m’avait même permis de

Page 15:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

terminer honorablement en milieu de classement. J’en étais sorti perclus de

courbatures mais assez fier de moi quand même.

Hélas ! Le cross du collège ne se déroule pas du tout de la même manière. Dès les

premières foulées, je ne me sens pas dans mon assiette. J’ai l’impression de tirer une

remorque derrière moi, ce qui, je l’avoue, me ralentit quelque peu. La douleur ne me

lâche pas un seul instant. Je cours, si on peut appeler ça courir tellement j’avance

lentement, plié en deux. J’ai pratiquement le menton sur les genoux. Pour tout dire,

j’ai un peu le style du capitaine Haddock victime d’une insolation en plein désert !

Finalement, je réussis à éviter la dernière place par un heureux concours de

circonstances. Certes, je dois reconnaître que, tout à fait involontairement, j’ai un peu

coupé les derniers cent mètres avant l’arrivée. Quand je m’en aperçois, je n’ai plus la

force de rebrousser chemin. Mais il y a deux garçons derrière moi et ce n’est pas

rien. Le premier a dû faire face à une crise d’asthme au beau milieu de la course.

Quant à l’autre, il m’aurait devancé s’il n’avait pas été déclassé pour avoir oublié son

dossard. Je ne suis donc pas le seul étourdi du collège !

Une fois l’épreuve terminée, je reste digne. Je sais combien ça a été compliqué

pour moi mais je ne me réfugie pas derrière ce prétexte. Je préfère me réjouir d’être

parvenu à boucler le parcours.

Et puis je sais que les vacances se profilent ; je vais pouvoir me reposer et repartir

du bon pied.

Page 16:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

16

Drôles de vacances

Une semaine après avoir fêté mon anniversaire avec mes copains, je suis en

vacances. La vie devrait être belle. Pourtant, les choses ne se passent pas vraiment

comme je l’avais espéré. J’invite Nathan à venir jouer à la maison. Et puis j’invite

aussi Malo, un copain de l’école primaire qui, à présent, n’est pas dans mon collège.

Je m’amuse, je joue, je prends du bon temps. Mais mon dos me fait toujours aussi

mal, ce qui me contrarie vraiment. Et la douleur continue à me réveiller la nuit.

Pourtant, la radio que j’ai passée entre temps n’a rien révélé d’anormal.

Au début de la deuxième semaine, je vais passer la journée chez Malo. J’aime

bien aller chez Malo. Ses parents exploitent une ferme. Il y a une grande cour, des tas

d’étables pour jouer ou se cacher et plein de champs autour. Et puis j’adore sa

chambre ! Il y a des surprises dans tous les coins. Il empile ses jeux ou ses livres

d’une façon très particulière. C’est comme un bazar organisé ; les tapis de

gymnastique entreposés sur le plancher sont recouverts de boîtes et de cartons qui

regorgent d’objets en tous genres. Malo sait où se trouve chaque chose. Moi, si je

fais comme lui, je ne retrouverai plus rien.

Il fait beau quand je vais chez Malo ce jour-là. Alors, on passe du temps dehors.

En milieu d’après-midi, on accompagne ses parents dans les champs. On marche

beaucoup…et la douleur devient insupportable. Je préfère rentrer à la maison plus tôt

que prévu pour m’allonger un peu.

Maman m’emmène de nouveau au cabinet médical. Edith pense qu’il faut que je

passe une IRM pour enfin trouver la cause de mes ennuis. Elle ajoute qu’elle n’aime

Page 17:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

17

pas ces douleurs nocturnes qui me réveillent toutes les nuits. Je souffre le martyre ;

maman et papa commencent à être vraiment inquiets.

Le 27 Octobre, en début de soirée, alors qu’il reste encore presque une semaine de

vacances, mes parents m’accompagnent aux urgences pédiatriques de l’hôpital de

Cherbourg. C’est moi qui l’ai demandé ; je ne mets plus un pied devant l’autre. La

douleur est si forte qu’aucune position ne m’est confortable. A présent, j’ai mal en

permanence.

Il est déjà tard quand on arrive aux Urgences. Les médecins sont partis et c’est

une jeune interne qui m’accueille et m’ausculte. Finalement, elle décide de me garder

pour la nuit, ce qui va permettre de me donner des médicaments plus puissants pour

me soulager. Maman reste près de moi. Papa, lui, repart à la maison. Il est en stage

en entreprise et cette semaine, il anime des séances qu’il devra présenter au jury lors

son examen final, en Janvier.

Le lendemain matin, les choses prennent une drôle de tournure. Alors qu’on

s’attend à ce que l’IRM demandée soit avancée pour nous apporter une réponse, on

m’envoie finalement passer une scintigraphie. L’examen est réalisé à la Polyclinique

du Cotentin et je pars en ambulance avec maman. L’un comme l’autre, on n’en mène

pas large. J’ignore ce qu’est une scintigraphie et je demande des explications. On

m’explique vaguement que c’est un examen qui permet d’étudier le squelette. Même

si on ne me le dit pas ouvertement, je ne peux m’empêcher de penser que les

médecins suspectent un cancer des os.

La scintigraphie est l’un des pires moments que je dois affronter, dans cette

période où les épreuves ne manquent pourtant pas. Il me semble que l’examen dure

une éternité. Non seulement on m’installe dans des positions qui sont insoutenables

Page 18:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

18

pour moi, mais en plus, on me demande de ne pas bouger. C’est l’horreur. Une

horreur qui n’en finit pas. Et lorsque le calvaire est enfin terminé, on m’abandonne à

mon triste sort. Je regagne seul le couloir et je sens mes dernières forces

m’abandonner. Sans doute me serais-je évanoui si mes parents n’étaient pas venus à

ma rencontre, pour m’aider à regagner la salle d’attente.

Quelques minutes plus tard, un spécialiste en blouse blanche, arborant un air

sérieux de circonstance, nous invite dans son bureau pour délivrer ses conclusions. Il

nous informe que mon squelette tout entier a été décortiqué et qu’il n’a rien remarqué

d’anormal. Il insiste lourdement sur le fait qu’il n’y a rien d’anormal sur mon

squelette. Le message est clair : ne vous réjouissez pas trop vite ; il faut chercher

ailleurs !

Effectivement, nous n’avons pas le temps de nous réjouir. Sitôt revenus à l’hôpital

Pasteur, la pédiatre vient nous informer que le CHU de Caen a été contacté et un

rendez-vous est fixé au lendemain matin pour un myélogramme.

«  Au vu des antécédents d’Hugo, on ne peut écarter aucune hypothèse. Il ne faut

rien négliger », conclut le médecin avant de refermer la porte derrière elle.

Le lendemain matin, à l’heure convenue, accompagné par mes parents, je me

présente au service onco-hématologie du CHU. Le nom ne laisse pas de marbre

quand on sait que l’oncologie étudie, diagnostique et traite les cancers, tandis que

l’hématologie est l’étude du sang et de ses différentes pathologies. J’y prête sans

doute moins attention vu que j’ai été soigné dans ce service (dans l’ancien hôpital à

l’époque) durant deux ans et demi.

C’est Odile qui nous accueille. Odile est chef du service onco-hématologique. Elle

m’a soigné quand j’avais trois ans et demi d’une leucémie aiguë lymphoblastique. Et

Page 19:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

19

depuis, c’est elle qui m’accompagne pendant le traitement de suivi. Elle se montre

étonnée de ma présence. Elle voit que je souffre le martyre et aussitôt souhaite qu’on

me soulage. Et, puisqu’une IRM est programmée, elle souhaite retarder le

myélogramme, un examen relativement douloureux, puisqu’on ignore encore s’il est

indispensable.

Je ne suis pas mécontent d’échapper au myélogramme car c’est un examen qui ne

fait pas vraiment plaisir. Il s’agit de prélever un échantillon de moelle osseuse dans

l’os de la hanche, pour déceler d’éventuelles maladies.

Nous sommes venus avec notre véhicule personnel. Donc, avant de regagner

l’hôpital de Cherbourg où je suis attendu, nous nous accordons un moment de

détente : nous mangeons au Mc Do. Je ne suis pas sûr que mes parents partagent mon

goût pour les hamburgers, mais je sais qu’ils apprécient ce petit moment en famille.

Les médicaments me soulagent un peu mais je me garde bien de faire des folies.

La fin de journée se déroule sans encombres, un semblant de soupçon de moral

finissant par apparaître.

Le lendemain matin, vendredi, je passe une IRM. L’examen est certes moins

douloureux que la scintigraphie mais, vu mon état général, il n’a rien d’une partie de

plaisir. Quand je sors de la salle d’examen, j’ai le plaisir de voir Edith, notre médecin

traitant qui, bien qu’en vacances, a tenu à me soutenir et prendre de mes nouvelles.

Le midi, nous patientons dans ma chambre en attendant les résultats qui tardent à

venir. J’ai hâte d’en savoir un peu plus ; j’ai envie qu’on trouve l’origine de cette

douleur et qu’on puisse me soulager pour de bon.

Page 20:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

20

C’est en début d’après-midi que les médecins demandent à rencontrer mes

parents ; l’IRM a été interprétée. Je me retrouve seul avec Mamie, en train

d’imaginer ce qui se dit dans le bureau. J’ai envie d’être fixé, mais en même temps,

je ne suis pas vraiment serein. J’ai très peur en fait, j’imagine les pires scénarios. Je

ne pose aucune question à Mamie car je sais qu’elle pense la même chose que moi.

Quand papa et maman reviennent, je comprends très vite que les nouvelles

ne sont pas bonnes. Papa et maman affichent une triste mine. Je les regarde, sans dire

un mot. Et le verdict tombe. Brutal. Sans avertissement.

« Les médecins ont repéré une lésion, collée à ta moelle épinière. Pour l’instant,

on ne sait pas ce que c’est. Mais on doit partir immédiatement au CHU en

ambulance. Odile et son équipe t’attendent. »

Tandis que maman prépare mes affaires, en attendant les ambulanciers, j’attrape

mon portable. J’ai besoin d’appeler mon copain Nathan. Je veux lui annoncer la

nouvelle. Nathan décroche.

«  Nath ! C’est Hugo. En fait, j’ai une tache sur la colonne vertébrale. Je dois

partir à Caen… Je crois qu’on n’est pas prêts de se revoir. »

Je suis bien incapable d’articuler autre chose. Je ne peux pas retenir mes larmes

plus longtemps. Je raccroche précipitamment et je m’effondre.

Page 21:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

21

CHU, me (re)voilà

Le Centre Hospitalier Universitaire de Caen, je connais. En Juin 2008, alors que

j’avais seulement trois ans et demi, j’ai été soigné pour une leucémie aiguë

lymphoblastique T hyperleucocytaire avec envahissement méningé. Rien que le nom

fait froid dans le dos (Ah, ce dos décidément !).

Le traitement, débuté le 24 Juin 2008, a duré deux ans. A présent, j’en suis à sept

ans et demi de rémission. Et puisque la durée de la rémission est estimée à cinq ans,

je suis donc considéré guéri, même si Odile me reçoit régulièrement en consultation.

Mon dernier rendez-vous avec elle remonte au 29 Avril et à l’époque j’avais évoqué

des douleurs, prédominant le matin et cédant dans la journée puis changeant de

localisation le lendemain. A l’issue de cette consultation, Odile avait souhaité me

revoir un an plus tard. Je reviens donc plus tôt que prévu.

A l’époque où j’étais soigné pour cette leucémie, le service d’onco-hématologie

pédiatrique était situé dans l’ancien bâtiment qu’on appelle « la tour ». Aujourd’hui,

il se trouve dans le nouvel hôpital, au premier étage. J’y suis déjà venu pour des

soins, il y a longtemps, à l’occasion de ma dernière cure. Je reconnais bien vite les

longs couloirs au sol et aux murs peints en rouge.

L’équipe médicale a un peu changé. Odile, chef de service, est toujours présente

ainsi que Damien que j’avais croisé une fois ou deux. En revanche, je ne connaissais

pas Marianna, l’autre médecin.

En ce qui concerne l’équipe soignante, il en est de même. Certaines infirmières et

aide-soignantes se souviennent de moi mais il y a quand même beaucoup de

Page 22:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

22

nouvelles têtes. Et puis bien sûr, je fais connaissance avec les externes et les

internes.

J’arrive à l’hôpital le vendredi 30 Octobre, en fin d’après-midi. Aussitôt, je suis

rassuré par la présence d’Odile. Elle vient m’ausculter, accompagnée par un interne.

Elle me parle beaucoup, calmement, et répond aux questions de mes parents.

J’entends parler d’un possible lumbago et surtout de l’urgence à attténuer mes

souffrances insupportables.

Une lésion a été découverte sur ma moëlle épinière mais c’est peut-être bénin. Il

faut poursuivre les examens pour en savoir plus. Alors les médecins prennent la

décision de réaliser un myélogramme, ce prélèvement peu agréable dans l’os de la

hanche auquel j’avais échappé quelques jours plus tôt. Petit, je l’avais d’ailleurs

renommé « myélo-drame ».

Le myélogramme est une étude des différentes cellules de la moelle osseuse. Le

prélèvement se fait après désinfection et sous une légère anesthésie locale, à l'aide

d'une fine aiguille à ponction ou, parfois, d’un trocart. Une petite quantité de moelle

est aspirée, et l'aiguille est aussitôt retirée. Le prélèvement est alors rapidement

réparti sur des lames pour réaliser des frottis qui sont ensuite observés au

microscope.

Le samedi matin, Odile entre dans ma chambre et m’annonce que le

myélogramme est tout à fait normal. Ce résultat nous rassure, mes parents et moi,

parce qu’il écarte, provisoirement en tout cas, l’hypothèse de ce qui à nos yeux

pourrait correspondre à une maladie grave.

Je passe le week-end dans ma chambre d’hôpital, soulagé par les anti-douleurs et

la morphine qui ont été prescrits, mais pas assez vaillant pour espérer quitter mon lit.

Page 23:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

23

J’éprouve de la difficulté à bouger et, dès qu’une position me convient, je n’en

change plus.

Quand Odile revient me voir, elle me présente le neuro-chirurgien qui va

s’occuper de mon cas. On m’explique que la neurochirurgie traite les maladies

touchant le cerveau, la moelle épinière, les nerfs crâniens, les nerfs périphériques

ainsi que leurs enveloppes.

Cloué sur mon lit, j’ouvre grand mes oreilles pour comprendre ce que raconte ce

médecin qui me parle en évitant de me regarder. Je trouve cela assez troublant et, du

même coup , je comprends mieux pourquoi mes parents me demandent si souvent de

regarder la personne à qui je m’adresse.

Le neurochirurgien me dit qu’il va m’opérer rapidement. Il doit d’abord consulter

son planning mais il m’assure que les choses ne devraient pas trop traîner.

Quand je le revois au début de la semaine suivante, c’est pour m’entendre dire que

l’opération est prévue pour le mercredi. Effectivement, l’attente n’aura pas été trop

longue. Je vais bientôt être débarrassé de cette tumeur et puis surtout, je ne vais plus

avoir mal. Le neurochirurgien va me soulager d’un sacré poids.

Page 24:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

24

La première opération de ma vie

Le 4 Novembre, c’est le jour de mon opération. Le neurochirurgien qui procède à

l’intervention est revenu me voir dans ma chambre, avec Odile, pour les dernières

précisions. Il va « m’ouvrir » et effectuer un prélèvement qui sera analysé. Si la

tumeur est bénigne, il en retirera le plus possible ; mais il ne pourra sans doute pas

tout enlever parce qu’elle est située sur la moëlle épinière et qu’il y a des risques de

paralysie éventuels. En revanche, si c’est une tumeur cancéreuse, il n’ira pas au-delà

du prélèvement et j’aurai de nouveau un traitement par chimiothérapie.

Le chirurgien nous a bien expliqué comment les choses allaient se passer. Je sais

que l’opération va durer environ trois heures, mais je ne suis pas trop inquiet. Avec

Odile, ils m’ont plutôt rassuré. Et puis je souffre tellement que j’ai hâte d’en avoir

fini. Je ne peux pas dire que l’opération ne me fait pas peur – il s’agit quand même

de passer sur le billard – mais je sais que je suis prêt.

Un brancardier vient me chercher en milieu de matinée pour m’emmener au bloc

opératoire. Papa et maman sont à mes côtés. Le brancardier installe mon lit dans un

coin d’une immense pièce protégé par un simple paravent. Là, je dois patienter

quelque peu en attendant que l’anesthésiste vienne me voir. Je chasse mes angoisses

en bavardant et en racontant des blagues avec mes parents. De l’autre côté du

paravent règne une certaine agitation. Des infirmiers, des médecins, des chirurgiens

peut-être vont et viennent dans tous les sens.

L’anesthésiste arrive enfin. Elle pose des tas de questions sur ma santé, me

demande si je suis sujet à des allergies et note toutes mes réponses dans un dossier.

Page 25:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

25

Elle se montre très gentille avec moi et arrive à me faire sourire. Elle m’a

vaguement entendu plaisanter avec mes parents et me demande de lui répéter une

certaine devinette.

« Qu’est-ce qui est jaune et qui court vite ?

— Alors, c’est quoi ?

— Ben, un citron pressé ! »

Sans doute pour m’aider à me détendre, elle me dit que c’est une bonne blague et

qu’elle va tâcher de s’en souvenir. Après quoi elle m’explique qu’elle sera présente

durant toute la durée de l’intervention,aux côtés du neurochirurgien. Son rôle est

d’endormir les patients lors d'une intervention chirurgicale pour leur éviter de

souffrir. Puis elle les surveille jusqu'au réveil et les soulage des éventuelles douleurs

post-opératoires.

Lorsqu’elle a obtenu toutes les informations souhaitées pour définir le dosage et le

choix du médicament qui va m’endormir, elle m’abandonne un court instant en me

disant que « mon heure est venue » et qu’on va m’accompagner en salle d’opération.

Je me prépare donc à abandonner mes parents quand un branle-bas général se fait

entendre. Des ambulanciers qui arrivent précipitamment sont aussitôt rejoints par

l’équipe médicale. Une dame vient d’être admise en urgence. Aux bribes de

conversation qui parviennent jusqu’à moi, je comprends que c’est une dame vraiment

âgée et anglaise selon toute vraisemblance.

Quand l’agitation diminue, l’anesthésiste revient me voir pour m’expliquer que

cette urgence doit être opérée sur le champ et que je vais être reconduit dans ma

chambre. Je n’en reviens pas ; me faire doubler par une vieille dame anglaise, c’est

encore plus humiliant que ma pitoyable prestation au cross du collège…

Page 26:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

26

Finalement, je n’ai guère le temps de gamberger. En tout début d’après-midi, un

autre brancardier vient me chercher. Le neurochirurgien est disponible. Papa est parti

boire un café dans le hall. Quand il revient, je ne suis plus dans ma chambre. Il tente

de me rejoindre mais ne se dirige pas au bon endroit : normal, je vais être opéré dans

un autre bloc, situé à un autre étage, dans l’autre bâtiment.

Je dois patienter plusieurs heures avant que le neurochirurgien ne s’occupe enfin

de mon cas. L’attente est longue et mes parents ne sont plus là pour me faire la

conversation ou répondre à mes questions. Mais en milieu d’après-midi, mon tour

arrive enfin. Je vois le visage de l’anesthésiste ; je réponds à une question ou deux.

Puis on me pose un masque sur le visage et mes paupières deviennent lourdes

comme du plomb.

Page 27:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

27

La salle de réanimation

Quand je me réveille en salle de réanimation, maman est assise sur une chaise, à

côté de mon lit. Je ne me sens pas en grande forme. Je suis vaseux et en même temps,

je perçois toujours une douleur dans mon dos. Je n’ose pas trop bouger. En fait, je

pense que je n’en suis tout bonnement pas capable.

Dehors, la nuit est tombée. Je ne sais pas depuis combien de temps je me trouve

dans cette chambre. Les doutes ne tardent pas à revenir. Je me demande si

l’opération s’est bien passée et si quelque chose de grave n’a pas été identifié. A

plusieurs reprises, délirant dans mon demi-sommeil agité, j’interroge maman.

« Est-ce que c’est encore la leucémie, m’man ?

Maman me dit qu’elle ne sait pas, qu’on aura les résultats le lendemain matin. Je

replonge alors dans un léger sommeil, l’espace de quelques minutes, puis je repose la

même question qui demeure toujours sans réponse. Puis nous improvisons un jeu,

avec maman. Une idée qui va me permettre d’oublier mes angoisses et faire passer le

temps. On invente des sports improbables qui pourraient être pratiqués aux quatre

coins du monde. Le foot-ball kangourou serait sans doute plus comique et éviterait

probablement toutes ces simagrées insupportables sur les terrains. Et puis, sans

savoir pourquoi ni comment, nous en arrivons à évoquer Hitler.

« Pourquoi il s’est suicidé, en fait ?

— Il n’avait pas envie d’être fait prisonnier, tu penses bien.

— Ouais. Mais à mon avis, y a pas que ça. Un jour, il s’est regardé dans une

glace et il a décidé de se supprimer quand il s’est rendu compte qu’il n’était ni grand

ni blond. Ça lui a été fatal !»

Page 28:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

28

Quand papa arrive, le lendemain matin, il n’a pas sa tête habituelle. Peut-être a-t-il

parlé avec les médecins qui lui ont appris une mauvaise nouvelle ? Ou peut-être est-il

impressionné de me trouver immobile sur mon lit, perfusé de partout, sous oxygène

et affublé d’une sonde urinaire. Un infirmier reste à mon chevet en permanence. Il

me donne mes comprimés, surveille mon pouls et ma tension et relève régulièrement

ma température. Papa se penche vers moi et m’embrasse longuement. Pour le

rassurer, je lui raconte l’anecdote sur Hitler, histoire de lui montrer que je vais bien ;

enfin, disons pas si mal que ça.

Et puis Odile vient me voir. Elle me demande comment je me sens. Bien sûr, je ne

peux pas faire d’acrobaties mais je l’informe que la douleur est supportable, grâce

aux médicaments. Je tiens le coup, ni plus ni moins. Alors Odile me dit qu’elle va me

laisser me reposer et propose de revenir discuter un peu plus tard dans la journée. Il

n’en est pas question !

« Ben, c’est-à-dire… J’ai une question…

—Je t’écoute. Qu’est-ce que tu veux savoir ?

— Est-ce que le chirurgien ne m’a pas bousillé la colonne vertébrale ?

—Non, non. Pas du tout. L’opération s’est bien passée. Et ta colonne vertébrale

est en parfait état. »

Je ressens un profond soulagement et je me tourne légèrement sur le côté, un

sourire au coin des lèvres. Mais cet instant de joie est de courte durée. D’une voix

posée, Odile n’en a pas fini.

« Par contre, tu fais une rechute. La même leucémie qu’il y a huit ans. »

Page 29:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

29

Mon timide sourire se transforme en un rictus crispé. J’ai du mal à avaler ma

salive. Ce qui se dit ensuite m’échappe complètement. J’entends Odile s’éloigner.

Des larmes commencent à couler sur mes joues.

Quand j’ouvre enfin un œil, j’aperçois papa qui me tourne le dos. Il fait face au

mur et je sais aussitôt que lui aussi se retient.

« Tu sais, p’pa, t’as le droit de pleurer. Ça peut te faire du bien. »

Il se laisse aller, l’espace de quelques secondes, puis se reprend. Je devine qu’il ne

veut pas en rajouter à ma tristesse. Il s’approche du lit.

« Le traitement va être long et tu vas passer beaucoup de temps à l’hôpital. Mais

on va rester à tes côtés tout le temps. On va t’accompagner partout. Ensemble, on est

plus forts.

— P’pa ; je voudrais que tu termines ta formation. T’as beaucoup travaillé et ce

serait dommage d’arrêter maintenant. »

Mes parents se penchent vers moi et me serrent – enfin pas trop quand même –

dans leurs bras. Et on se met à pleurer, tous ensemble. Pas sûr qu’on soit plus forts,

mais au moins, on est soudés. Le combat va bientôt commencer.

Page 30:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

30

Le petit salon

Dans le service onco-hématologie pédiatrique du CHU de Caen où je vais passer

l’essentiel de mon temps durant les prochains mois, le petit salon se trouve à l’entrée,

faisant face aux deux ascenseurs. J’appelle cette pièce le « petit salon » parce que je

sais que des fauteuils et une table basse en constituent le mobilier. Mais je devrais

peut-être davantage l’appeler la pièce de confidentialité puisque c’est là que les

médecins reçoivent les familles lorsque la maladie a été identifiée, pour expliquer ce

qui va être mis en œuvre.

Quand mes parents ont été conviés à rejoindre les médecins dans le petit salon,

j’étais encore entre les mains du neuro-chirurgien. Bien évidemment, il n’était pas

question que j’assiste à cet entretien mais j’en connais l’essentiel parce que, sitôt

sorti de réanimation, mes parents ont tenu à compléter ce que m’avait dit Odile. La

leucémie est une maladie grave et les médecins tiennent particulièrement à ce que les

enfants concernés soient parfaitement informés et conscients de ce qui va se passer.

D’ailleurs, lorsqu’ils viennent nous visiter dans nos chambres, durant le traitement,

ils s’adressent toujours à nous, quand bien même nos parents se trouvent au pied du

lit.

Ainsi donc, deux jours plus tôt, tandis que je suis au bloc, mes parents tournent en

rond dans l’hôpital. Pour eux, le temps est suspendu. Ils vont et viennent, se posent

un moment dans « ma » chambre, questionnent les infirmières quand elles passent

dans les parages ou descendent prendre un café au rez de chaussée. C’est sur le coup

de dix-huit heures trente que deux médecins se présentent dans la chambre où papa

patiente seul en essayant de ne pas laisser l’angoisse envahir son cerveau tout entier.

Page 31:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

31

En voyant Odile suivie de Marianna, il comprend aussitôt que quelque chose ne va

pas.

L’instant d’après, maman rejoint le groupe dans le petit salon.

« Vous avez une mauvaise nouvelle à nous annoncer…

— Pourquoi dîtes-vous ça ?.

— Deux médecins qui nous accueillent pour nous donner des nouvelles de

notre fils ; je doute que ce soit bon signe.

— Alors, effectivement, autant que vous le sachiez de suite, c’est une rechute.

Le prélèvement analysé ne laisse aucune place au doute. Il s’agit exactement de la

même leucémie que la première fois. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise

nouvelle, comme vous l’évoquez. L’opération n’était pas anodine. La tumeur était

collée à la moelle épinière et les risques étaient grands, jusqu’à la paralysie

éventuellement. »

Dans leur précipitation et sous le coup de la panique qui les a saisis, mes parents

oublient cet aspect des choses. Ils auraient tellement souhaité qu’on leur parle d’un

épendymome, qu’on leur dise que la tumeur avait été retirée, qu’il faudrait être

patient mais que tout rentrerait dans l’ordre rapidement… Au lieu de ça, on leur

annonce une rechute de leucémie. Alors, forcément, le sol se dérobe sous leur pieds.

Papa ferme les yeux et, le poing serré, se concentre sur sa respiration. Maman fond

en larmes.

« Mais ce n’est pas possible. Hugo est le plus gentil de tous les petits garçons.

— Hélas, ça ne marche pas comme ça, lui répond Odile. S’il suffisait d’être

gentil pour ne pas tomber malade, ça se saurait… Il s’agit d’un cas exceptionnel.

Sept ans et demi de rémission, on ne pouvait pas s’attendre à ça. Une cellule a

Page 32:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

32

résisté ; la chimiothérapie l’avait quand même sérieusement mise à mal, sinon, elle se

serait réveillée beaucoup plus tôt.».

Après un léger silence destiné à recueillir d’éventuelles questions que mes parents

ne posent pas, les médecins enchaînent sur ce qui m’attend, ce qui nous attend.

« Nous avons plus de chances de sauver Hugo que l’inverse, commence Odile.

— Mais le traitement sera long, ajoute Marianna. Environ deux ans et demi.

— Hugo va passer beaucoup de temps avec nous, à l’hôpital, poursuit Odile.

— Et il aura de nombreuses ponctions lombaires, particulièrement au début du

traitement, termine Marianna. »

Passé le moment de colère, mes parents font de leur mieux pour accepter la

situation et envisager l’avenir. Il est entendu que la vie va prendre une autre tournure.

Il s’agit d’une rechute. Mes parents savent ce qu’on a déjà vécu ; et ils comprennent

que ce qui s’annonce sera plus éprouvant encore.

Maman interroge Odile, à propos d’un événement resté dans sa mémoire.

« Docteur, vous souvenez-vous de la réponse que vous aviez faite à Hugo lors

d’un rendez-vous de suivi il y a peut-être trois ans ? Il voulait savoir si la maladie

pouvait revenir. Vous lui aviez alors dit qu’il avait de grandes chances d’être guéri

mais qu’il était possible qu’une cellule microscopique se soit cachée au fond d’une

de ses vertèbres et finisse par réapparaître… »

Odile ne se souvient pas précisément de cet épisode et n’en revient pas elle-même

d’avoir fait cette réponse.

Page 33:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

33

Le silence envahit de nouveau le petit salon. Les médecins guettent les réactions

de mes parents. Ceux-ci accusent le coup mais ne bronchent pas. Ils tentent de

rassembler leurs dernières forces et brûlent d’envie de me serrer dans leurs bras.

Finalement, Odile conclut l’entretien.

« Dès demain, on devrait être en mesure de vous présenter le protocole qui sera

mis en place. »

La pièce se vide. Les médecins font la tournée des chambres. Mes parents quant à

eux errent comme des âmes en peine dans le hall avant d’annoncer la nouvelle aux

proches et aux amis qui patientent depuis des heures, soucieux de savoir ce qui

m’arrive.

Page 34:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

34

Je prends mes quartiers dans la chambre 406

Quand je quitte la salle de réanimation, c’est pour retourner dans la chambre 406

où j’avais pris mes repères avant l’opération. La chambre 406, au bout du couloir à

gauche, est une chambre individuelle. Et je dois avouer que je n’ai rien contre. Bien

sûr, c’est toujours agréable de discuter avec son voisin de chambre. Sauf que là, entre

les douleurs, les nausées et les soins, je n’ai aucune envie de bavarder. Et puis, le

moral dans les chaussettes, j’apprécie de pouvoir me confier à mes parents ou de

pleurer sans honte si j’en ressens le besoin.

Je me retrouve donc coincé dans le lit, une fois de plus. Les violentes douleurs au

dos qui m’avaient amené à l’hôpital sont à présent remplacées par le contrecoup de

l’opération. Je suis immobile, le lit complétement à l’horizontale et débarrassé de son

oreiller pour favoriser la cicatrisation. La position n’est pas très confortable, mais je

me garde bien de bouger.

Les infirmières et les aide-soignantes sont aux petits soins pour moi faisant preuve

d’une infinie douceur. Je n’arrive pas à me reposer comme je le voudrais mais elles

font tout leur possible pour m’épargner des souffrances supplémentaires. La

morphine me permet de tenir le coup. Rapidement d’ailleurs, je gère moi-même

l’administration de cette drogue antidouleur, selon le degré de douleur ressenti. Et si

je fais le choix de ne pas en abuser, c’est tout sauf un acte de bravoure ; j’ai besoin

de savoir si l’opération a réussi et si je fais des progrès. Pour le reste, la sonde

urinaire n’a rien de confortable, mais on m’explique que je n’ai pas le choix… pour

l’instant.

Page 35:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

35

Au début de la semaine suivante, alors que je reprends peu à peu des forces et que

mon lit peut enfin être légèrement incliné, je fais la connaissance du « prof ». Il se

présente puis m’explique qu’il viendra me faire travailler une heure par jour en début

d’après-midi. Il s’est mis en relation avec mon collège et va me proposer des

activités demandées par les professeurs.

Quand papa arrive, cet après-midi-là, le prof est sur le point de partir. Le premier

cours est terminé et il range soigneusement ses affaires. Non sans une petite pointe

de fierté, je peux faire les présentations.

«  Papa, voilà Philippe, le prof de l’hôpital. Je crois que vous allez bien vous

entendre : lui-aussi aime le tennis.

— Hugo m’a dit que vous étiez prof de tennis, précise Philippe.

— Ça, c’était avant, répond papa. Maintenant, je suis de nouveau à l’école,

répond papa. Enfin, en formation, plus précisément.

— Et le tennis ne vous manque pas trop ? »

Là-dessus, les voilà qui se mettent à bavarder comme s’ils se connaissaient depuis

de longs mois. Ils parlent du jeu qui a beaucoup changé, des champions au

tempérament bien trempé qui assuraient le spectacle et soulevaient les foules… Et

bien vite, je décroche. Pourtant, j’aime le tennis et je connais les champions. Mais,

dans leur bouche, Federer, Nadal et même Djokovic, sont remplacés par des

inconnus : Sampras (qui revient sans arrêt sur le tapis), Edberg, Connors, Mc

Enroe…

Environ une semaine après mon opération, les médecins m’informent que je vais

devoir porter un corset. Un corset ! Sur le coup, je pense à une blague ; ce qui

m’étonne de la part des médecins, surtout vu mon état pitoyable. Le seul corset que

Page 36:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

36

j’ai vu jusqu’alors, c’est une jeune femme qui le porte dans une publicité pour un

parfum. Et franchement, je ne me vois pas affublé de cette espèce de sous-vêtement

féminin, plein de lacets et de baleines. Mais on m’explique que c’est une prévention

orthopédique pour maintenir ma colonne vertébrale et qui va me permettre de quitter

mon lit et pouvoir passer un peu de temps dans le fauteuil. Je devrai le porter lorsque

j’en ressentirai le besoin.

Effectivement, dès le lendemain de cette annonce, je reçois la visite d’une

personne qui vient prendre les mesures de ce satané corset dont je n’ai aucune envie.

C’est une jeune dame, souriante et patiente. Elle porte une grosse valise qui

m’intrigue un peu car elle me fait penser à celle de l’électricien qui est venu faire des

travaux à la maison. La jeune femme sort différents instruments et commence à

prendre des mesures. Elle fait des repères, reporte les résultats sur une feuille et

recommence. J’appréhende le moment où je vais me retrouver coincé dans un étau

pendant qu’elle enfoncera la pointe de son compas dans ma peau… Mais il n’en est

rien et elle ne tarde pas à me libérer. Avant de me laisser toutefois, elle me présente

un catalogue.

«  Quel modèle préfères-tu ? » me dit-elle.

Je n’en reviens pas qu’on puisse choisir un modèle de corset. Finalement,

j’opte pour les motifs colorés, genre graffitis, avec des smileys et des dessins aux

couleurs vives.

Le corset est vite réalisé. Mais je ne vais m’en servir que trois fois. Pour aller du

lit jusqu’au fauteuil où je ne reste d’ailleurs pas longtemps car je fatigue vite et je me

sens mieux lorsque je suis allongé.

Page 37:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

37

Le vendredi, en fin d’après-midi, je reçois la visite de David, un copain de

formation de papa. Mes parents ont obtenu l’accord des médecins et David vient

jouer quelques morceaux de guitare. Par la porte laissée entr’ouverte, les notes de

musique s’envolent dans le couloir. J’ai presque l’impression d’assister à un concert

très très privé de Bob Dylan et Neil Young. A la maison, il y a des tas de CD de

Dylan et j’ai déjà entendu des dizaines de fois « Knockin’ on heaven’s door »,

« Blowin’ in the wind », « Like a rolling stone » et plein d’autres. David joue une

demi-douzaine de morceaux. Pas de doute, il est rudement doué. Moi, je prends des

cours de guitare et j’aimerais joue r comme lui plus tard.Quand il pose sa guitare, un

silence inhabituel a englouti le service. C’est à croire que tout le monde a prêté

l’oreille et profité de cet instant de quiétude. J’apprécie également beaucoup le

moment qui suit, pendant lequel David et mes parents restent à mes côtés. Je me

sens comme apaisé lorsque je regagne mon lit. L’aide-soignante passe sa tête par la

porte entr’ouverte pour dire qu’elle a savouré ce moment et Damien ne tarde pas à

son tour à féliciter l’artiste.

Mais lorsque la chambre se vide, comme tous les soirs, les interrogations et les

craintes réapparaissent à mesure que la douleur se réveille. Je sais que je ne suis pas

au bout de mes peines et qu’il me faudra être très patient avant d’espérer remettre le

nez dehors.

La semaine se termine et, si je n’ai toujours pas débuté le traitement lourd qui

m’attend, je n’ai pas chômé pour autant. C’est d’ailleurs durant cette période

difficile, alors que je suis amoché et très limité dans mes déplacements, que je

bénéficie de mon premier CLD : je ne parle pas, bien évidemment, d’un Congé

Longue Durée que le corps médical m’aurait accordé mais plutôt d’une des

conséquences du traitement : Constipation – Laxatif – Diarrhée. La morphine est

Page 38:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

38

passée par là et c’est l’un des effets secondaires. Pour soulager mes maux de ventre

et venir à bout de la constipation, je n’ai pas d’autre choix que d’ingurgiter du

Movicol, un laxatif au goût immonde qui provoque de violentes diarrhées tout aussi

désagréables. Je passe de longs moments de solitude, assis sur la chaise-pot, à me

vider le corps et l’esprit.

Page 39:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

39

Retour au bloc

La semaine qui suit mon opération, je dois de nouveau subir une intervention

chirurgicale. Rien à voir avec la tumeur sur ma moëlle épinière, certes. Cependant, il

s’agit quand même de trois actes médicaux pour le prix d’un.

Odile est venue me voir la veille, tandis que je me remettais doucement, cloué au

lit et bien incapable du moindre mouvement. La discussion que nous avons eue avait

un côté un peu surréaliste. Dans le même temps, je n’étais pas en mesure de contester

quoi que ce soit. Et puis Odile, c’est mon sauveur. Je sais que je peux et dois lui faire

confiance. Odile m’a sauvé il y a huit ans et elle m’accompagne toujours avec

beaucoup de gentillesse. J’aime sa façon de présenter les choses, d’aller droit au but

et j’apprécie qu’elle dise toujours ce qu’elle pense.

Ainsi donc, alors que l’après-midi touche à sa fin, je suis dans ma position

favorite ; allongé, les bras collés au corps, je regarde distraitement la télévision.

Depuis l’opération, à la demande des médecins, le lit est maintenu à l’horizontale

pour m’épargner certaines séquelles ou éviter de ralentir la cicatrisation. Dans ces

conditions, je ne peux pas faire grand-chose, d’autant que la douleur est encore

vivace.

Odile entre dans la chambre et me sourit. Elle se montre aussitôt rassurante.

«  Alors, Hugo ; comment tu vas ?

— Bien, je réponds parce que dans ma position, on est bien obligé de

relativiser.

— Tu sais qu’on va devoir t’implanter une chambre, comme la première fois…

— Un cathéter ?

Page 40:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

40

— Tout à fait. On va en avoir besoin pour te soigner. »

Soudain, certains souvenirs ressurgissent et s’embrouillent. J’ai tendance à tout

mélanger. Il y a tellement de choses que j’avais oubliées ! Et ce cathéter, je n’y avais

pas songé. Je sais déjà que ça ne va pas me plaire car, tout petit, j’avais horreur qu’on

enlève le pansement et qu’on y enfonce l’aiguille. L’appréhension était plus forte que

la douleur mais la répétition des cures m’était difficile à supporter malgré les

précautions des infirmières. Un cathéter, c’est une chambre implantable qu’on pose

sous la peau, au-dessus de la poitrine. Cette chambre, reliée à une veine centrale, est

utilisée pour les traitements lourds qui nécessitent des injections répétées (de

chimiothérapie en ce qui me concerne).

Je réprime donc une grimace et Odile poursuit.

« Tu vas être endormi pour la pose de la chambre. Et comme on n’a pas envie de

te renvoyer au bloc plusieurs fois , on va tout faire d’un coup.

— Ah bon. Parce qu’il y a autre chose ? je demande d’une voix qui me semble

pour le coup un peu trop aigue.

— Dis-moi donc où tu en es avec tes problèmes de pipi, tu veux bien. »

La question est un peu vexante. J’ai quand même fêté mes onze ans quelques

semaines plus tôt. Toutefois, je ne peux pas me défiler. La tumeur a provoqué

quelques dommages et je ne me rends pas toujours compte que ma vessie est pleine.

Cela m’a valu quelques désagréments, parfois très désagréables, dans un passé pas si

lointain. C’est ainsi qu’il m’a même fallu supporter pendant plusieurs jours une

sonde urinaire bien peu confortable.

« Ben, en fait, je balbutie, je sens quand j’ai envie de faire pipi. Mais,

quelquefois, je n’ai pas le temps d’attraper l’urinal…

Page 41:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

41

— Oui, je vois, me répond Odile qui semble effectivement bien deviner ce que

je tente de relativiser. Je pense que les choses vont s’arranger mais ça peut prendre

un peu de temps. On ne va quand même pas te laisser avec une sonde ? C’est pas très

agréable…

— Non, c’est pas vraiment agréable. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?

— Alors, voilà ce que je te propose. On va mettre à profit l’opération pour te

poser un cysthocat.

— Un quoi ?

— Un cysthocat. C’est une sonde implantée directement dans la vessie à travers

la paroi abdominale, fixée à l’intérieur par une sorte de ballon. Et si, dans les

prochains jours, on s’aperçoit que tu n’en as plus besoin, on pourra le retirer

facilement. L’intervention est obligatoire pour le poser ; mais pas pour le retirer. Et

tu n’auras pas mal ; »

Je ne vois pas trop à quoi peut ressembler le cystho-truc. Mais je me rassure en me

disant que ça ne peut pas être pire qu’une sonde. Je n’ai cependant pas trop le temps

de cogiter davantage car Odile sort un autre lapin de son chapeau.

« Tu sais, le traitement que tu vas recevoir est très lourd. Tu vas avoir beaucoup

de chimiothérapie. Et il y a certains risques, notamment des risques de stérilité. Tu

sais ce que ça signifie ?

— Mmouais, je réponds, avec une sérieuse pointe d’inquiétude dans la voix.

— On peut anticiper les choses, reprend Odile. Il est possible de procéder au

prélèvement d’un minuscule morceau de testicule qu’on exploitera le moment venu.

En cas de besoin, naturellement. Aujourd’hui, on ne sait pas faire, mais on peut

espérer que dans dix ans, ce soit envisageable.

— Mmouais, je fais, pour le coup totalement pétrifié.

Page 42:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

42

— Mais pour ça, on a besoin de ton accord. C’est à toi de prendre la

décision. ».

Ce que j’entends me refroidit quand même un peu. Je voudrais être dans un rêve.

Mais Odile est bien là, en face de moi, et attend une réponse de ma part. Je réfléchis

trois secondes et je fais le choix du bon sens. Je fais confiance à Odile.

« Je suis d’accord… pour le prélèvement. »

Et c’est ainsi que je me retrouve à signer un document intitulé « Protocole de

prélèvement de tissu testiculaire chez des patients soumis à un traitement

castrateur ». Pas franchement sexy, la lecture.

Le lendemain, lorsqu’un brancardier me reconduit à ma chambre où m’attendent

mes parents, je ne me sens pas trop mal. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que je suis

frais comme un gardon, bien sûr. Mais disons que je me suis plutôt bien remis de

l’opération. La petite boîte qu’on m’a implantée me fait un peu mal, mais rien de

bien méchant. Papa me demande :

« Comment tu te sens, fils ?

— Ça peut aller, même si j’ai déjà connu mieux. »

Papa prend soudain un air grave que je ne lui ai pas vu depuis longtemps. Il

s’approche du lit et prend ma main dans la sienne.

« Hugo, j’ai quelque chose à te dire. Tu dois m’écouter attentivement.

— Je t’écoute.

— Alors voilà ; tu ne le sais sans doute pas mais figure-toi que tu as un point

commun avec Adolf Hitler…

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je suis devenu cinglé ?

Page 43:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

43

— Pas du tout. Mais tu dois savoir qu’Hitler, lui aussi, n’avait qu’une seule

couille.

— Tu déconnes, p’pa ?

— A moitié. Sans mauvais jeu de mots. Je déconne à moitié. »

J’aime bien l’humour de papa. Il me taquine et je joue le jeu. Bien sûr, je sais que

mon appareil génital est intact. Un tout petit morceau de testicule a été prélevé et la

cicatrice est presque imperceptible. Mais ça fait du bien d’en rajouter un peu,

d’exagérer les choses. C’est un moyen de dédramatiser. Du coup, je décide d’en

remettre une couche. A mon tour, je prends un air accablé.

« Papa ?

— Hugo ?

— Ça va être compliqué…

— De quoi tu parles ?

— Avec les filles, ça va être compliqué.

— Mais pourquoi tu dis ça ?

— Ben, si mon charme ne suffit pas, je pourrai me servir de ma cicatrice pour

les séduire en racontant que j’ai pris part à une bagarre et que j’ai désarmé un voyou

au péril de ma vie.

— Si tu veux. C’est une idée que tu as déjà évoquée.

— Ben oui. Mais après, je ferai comment ? Il faudra bien que je dise que je suis

mono testiculaire. Et là, même avec une cicatrice, les filles risquent de partir en

courant ! ».

Page 44:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

44

Le Buffalo

Quand je me réveille, le samedi matin, après une nuit en partie passée à chercher

le repos, j’ignore encore que deux bonnes nouvelles m’attendent. Mes parents m’ont

appris que Nathan et ses parents vont venir me rendre visite mais, comme l’accès

n’est pas autorisé aux enfants, je me doute qu’on ne va pas avoir beaucoup de temps

pour discuter. Nathan, c’est mon pote. On s’est connus en grande section, six ans

plus tôt, quand j’avais repris l’école après ma première leucémie. Depuis, on traîne

souvent ensemble. Il faut dire qu’on a pas mal de passions communes, telles que la

PS3 ou encore la PS4… C’est d’ailleurs Nathan que j’avais appelé avant mon départ

pour le CHU quelques semaines plus tôt.

Ce matin-là donc, c’est Damien qui va m’informer des bonnes nouvelles. C’est

son week-end de garde et, quand il passe me rendre visite en fin de matinée, il

m’annonce que je vais pouvoir passer un moment avec Nathan et sa famille, à

l’extérieur du service. Ça me fait carrément plaisir, même si je sais que c’est juste

pour une heure ou peut-être moins.

En début d’après-midi, je m’installe dans le fauteuil roulant et mon père

m’accompagne jusque dans le couloir, en face de la salle des parents. Nathan et sa

famille sont là et m’attendent. Au début, personne ne parle trop. Je crois que c’est

compliqué pour tout le monde. Mes parents me regardent et moi, je ne parviens pas à

sortir le moindre mot. Je suis ému. La présence de mon copain me fait plaisir mais

j’ai peur de craquer. Je réponds aux questions qu’on me pose, sans plus. Les adultes,

c’est normal, veulent se montrer rassurants. Mais je sais qu’au fond d’eux, ils n’en

mènent pas plus large que moi.

Page 45:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

45

Avec Nathan, on parle un peu du collège. J’aimerais partager ces moments-là avec

lui plutôt que me retrouver cloué dans une chambre d’hôpital. Nathan arrive même à

me faire sourire avec quelques anecdotes d’épisodes auxquels je regrette de ne pas

avoir assisté.

Au bout d’un peu plus d’une heure, alors que je résiste comme je peux depuis un

moment, je me sens si fatigué que je demande à regagner ma chambre. Il y a une

éternité que je ne suis pas resté assis aussi longtemps et je ressens le besoin de me

reposer. C’est un sentiment curieux parce qu’en même temps, je sais que je ne vais

pas revoir Nathan avant un long moment. Mais je suis à bout de forces. Je fais tout

mon possible pour rester digne en le quittant malgré la tristesse qui me gagne à

mesure que le fauteuil se rapproche de la chambre 406.

Mes parents restent avec moi jusque tard ce soir-là et nous discutons beaucoup.

J’ai besoin d’être rassuré mais je ne veux pas parler de ce qui m’attend. L’école et les

copains que je vais retrouver un jour, ma maison où j’ai mes repères, mes petites

habitudes, sont des sujets réconfortants qui m’aident à oublier la triste réalité.

Le dimanche matin, Damien m’offre un véritable cadeau. Etant donné que je ne

suis pas trop fatigué par ma « sortie » de la veille, et surtout, vu que le traitement va

bientôt débuter, il m’autorise à quitter l’hôpital. Quand il me l’annonce, je n’en crois

pas mes oreilles et je me tourne machinalement vers mes parents pour qu’ils me

confirment l’information. Leur sourire radieux ne laisse aucune place au doute ; je

vais pouvoir mettre le nez dehors et je compte bien en profiter.

Ce dimanche, le dernier avant mon séjour « sous la bulle », je sais que je vais

recevoir des visites. Quelques amis ont prévu de venir m’adresser un « au revoir »

avant que je disparaisse de la circulation pour un bout de temps. Alors, quand mes

Page 46:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

46

parents me demandent ce qui me ferait plaisir, je n’ai pas besoin de réfléchir bien

longtemps pour répondre que je ne cracherais pas sur un bon repas.

Sur le chemin qui nous mène au Buffalo, je mesure combien la ville est encore

loin d’être adaptée aux fauteuils roulants. Chaque trottoir regorge d’embûches : trop

étroit, trop haut, trop plein de déjections canines… Cependant, j’apprécie le grand air

et, entre deux secousses, je porte un regard admiratif sur le paysage. Les rues sont

calmes en ce dimanche midi et ça me convient tout à fait.

Je suis aux anges quand on prend place à notre table. Nous sommes sept et je suis

au centre de toutes les conversations. Mais ce qui m’intéresse plus que tout, c’est de

me remplir l’estomac. J’ai une faim de loup. Je ne crache pas sur la nourriture de

l’hôpital, mais je reconnais que ce n’est pas celle que je préfère. Je jette mon dévolu

sur un menu fort appétissant. Les adultes peuvent faire autant de manières qu’ils

veulent, je me prends une entrée, une entrecôte avec des frites et un dessert par-

dessus le marché. A mes côtés, les conversations vont bon train et les rires

commencent à fuser. Je sens les regards braqués sur moi mais je n’y prête guère

attention.

Le repas se passe à merveille. J’en arrive, l’espace de quelques instants, à oublier

qu’il ne s’agit que d’une permission. Je suis littéralement aux anges. Je ne

m’intéresse qu’au contenu de mon assiette. Je me sens prêt à relever le défi de me

faire péter le ventre. Je suis détendu, heureux, fier comme un pape. Le monde peut

bien s’écrouler, rien ne m’empêcherait de savourer cet extraordinaire moment. Alors,

quand le repas vient à se terminer et qu’il faut reprendre le chemin de l’hôpital, je

ressens un certain pincement au cœur. Pourquoi est-ce que je ne peux pas profiter de

ces moments comme n’importe qui et les voir se prolonger, en toute simplicité?

Page 47:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

47

Nos amis nous raccompagnent jusque dans le hall. Cette journée m’a donné de

l’énergie et je trouve même la force de faire un peu d’humour en m’immiscant dans

la conversation.

« Quoi ? Les adultes sont matures ? On voit que vous ne connaissez pas mon

père ! »

Tout le monde se marre. Ça fait drôlement du bien de rire ; c’est un bon remède

au stress. Malgré tout, vient le moment de se quitter. Les amis repartent chez eux

retrouver leur famille, leur occupations et leur travail. Et moi, je reprends l’ascenseur

qui va me conduire à ma chambre d’enfant malade qui vient de passer un chouette

moment avant d’affronter le traitement lourd qui va le terrasser pour mieux le sauver.

Quand j’arrive dans le service, les infirmières s’activent, comme à leur habitude.

Alexandra m’aperçoit et se rappelle sa promesse :

« Alors, Hugo, tu as passé une bonne après-midi ?

— Ben oui. En plus j’ai bien mangé !

— Et tu as toujours envie de voir la chambre qui t’attend ? On a fini de la

préparer.

— Euh… Oui, pourquoi pas… »

Lorsqu’Alexandra ouvre la porte du flux, je comprends mieux l’hésitation dont

j’ai fait preuve. Je n’aime pas ce que je vois et je demande à mon père d’arrêter le

fauteuil à l’entrée. C’est une grande chambre avec un lit au milieu, entouré de bâches

tendues tout autour. Sur un côté, une sorte de soufflerie aspire l’air du flux pour le

purifier avant de le renvoyer.

Page 48:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

48

La vision n’a rien de rassurant. Et les précisions qui me sont données ne le sont

pas davantage. J’apprends ainsi qu’il règne sous la bulle une température

relativement élévée et que le bourdonnement de la machine n’a rien de reposant.

Mais pour passer le temps, je pourrai disposer d’une télévision avec un lecteur de

DVD. Et puis j’aurai ma tablette et mon téléphone, histoire de garder le contact avec

le monde extérieur. Il va me falloir m’habituer à Skype. Et puis je vais devoir aussi

expliquer à mamie comment l’utiliser si elle veut voir mon visage radieux pendant

ma période d’ hibernation.

Finalement, je ne suis pas mécontent de retrouver ma chambre 406, sans machine

qui bourdonne et sans bâches autour du lit. Mais le soir venu, quand je me retrouve

seul, j’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil. De drôles d’images s’invitent dès

que j’essaie de fermer les yeux. C’est comme si j’étais déjà sous la bulle, seul,

abandonné de tous et luttant de toutes mes forces contre le mal qui me ronge.

Je reste donc de longues heures immobile, scrutant le plafond. Je cherche le

sommeil mais je ne récolte que des idées noires.

Page 49:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

49

La bulle

Le mardi 17 Novembre arrive plus vite que prévu. J’ai beau m’être préparé à cette

échéance, je suis mort d’inquiétude. Dès que je ferme les yeux, je m’imagine dans un

endroit coupé du monde, en proie à des douleurs qui ne me quittent pas. Autour de

moi, l’équipe médicale s’active mais rien n’y fait ; la maladie fait son œuvre et je me

sens prisonnier, abandonné à mon triste sort.

Finalement, le changement de chambre se fait sans ménagement particulier. Je

n’en mène pas large, mais je me garde bien de faire part de mes doutes. Persuadé que

personne ne peut me comprendre, je me mure dans le silence. Tout le monde semble

trouver la situation normale, les propos encourageants ne parviennent cependant pas

à me réconforter.

La chambre me semble grande, ce qui la rend presque effrayante. Pour y accèder,

de nombreuses précautions doivent être prises : port de la tenue jaune fournie par

l’hôpital, charlotte et masque. Bien sûr, il faut se laver les mains et désinfecter tout

objet qu’on apporte. Et puis il y a aussi la surblouse, obligatoire pour accéder au flux.

Je suis un peu épargné par cette corvée à laquelle mes parents, seuls visiteurs

autorisés à pénétrer dans la chambre, devront se soumettre aussi longtemps que je

resterai.

Je me retrouve en tee-shirt et caleçon coincé dans mon lit bâché. Je sais déjà que

je n’en bougerai plus avant plusieurs semaines. Et pour moi, ça veut dire que je

n’aurai plus de contact avec l’extérieur, que je devrai me contenter de ce que mes

parents auront à me raconter. Mes amis, ma famille me manquent déjà.

Page 50:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

50

Les journées vont alors se succéder, identiques les unes aux autres. Le temps s’est

comme figé et mon moral décline chaque jour un peu plus. Au début, j’ai essayé de

lire un peu ; des BD et des mangas. Mais je n’arrive pas à me concentrer. Je suis

impatient de sortir. C’est la seule idée qui me trotte dans la tête. L’après-midi, je

regarde la télé de façon quasi obsessionnelle. Les rediffusions de « Un dîner presque

parfait » me laissent sans voix. Parfois même, je note des idées sur un petit calepin.

Dans ces moments-là, je songe à ma sortie. La nourriture de l’hôpital me dégoûte à

présent, sous l’effet de la chimio, et j’ai envie d’un vrai bon repas. Alors, de façon

presque obsessionnelle, je me mets à dresser des listes : ce que j’aimerais manger, les

personnes avec qui j’aimerais fêter Noël si cette chance m’est accordée, les

ingrédients nécessaires pour préparer le gâteau…

Dans la journée, je reçois la visite du prof, lui aussi habillé en cosmonaute. Il reste

une heure environ, parfois moins si je suis fatigué. Mais c’est la motivation qui n’est

pas toujours au rendez-vous. Parfois, je fais semblant de dormir ; alors il me laisse

tranquille ou me propose de revenir un peu plus tard. Je n’arrive pas à m’intéresser

aux cours, quelle que soit la matière. Le collège me semble tellement loin.

Parmi les autres visites, en dehors de mes parents et de l’équipe soignante, il y a la

psychologue. Il parait que je vis une période traumatisante ! Alors elle est disponible

pour échanger avec moi. Comme elle m’explique que je peux parler ou me taire, je

ne prononce pas un mot. J’aime encore mieux être tout seul. Je veux juste être

tranquille. Ou mieux encore, sortir de cette chambre et rentrer chez moi.

Il y a aussi la kinésithérapeute qui passe de temps en temps pour me faire

travailler. Vu l’espace, je peux tout juste faire trois pas dans un sens, demi-tour et

trois pas dans l’autre sens. Bien sûr, comme je suis allongé toute la journée, mes

Page 51:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

51

muscles fondent et je dois faire un peu d’exercice. Mais une épidémie de bronchiolite

retient la kiné en pédiatrie tandis que moi, je suis de plus en plus courbaturé.

Pendant ce temps, les soins se poursuivent. Durant les trois premières semaines, je

tiens tant bien que mal le choc. Je me lamente parfois auprès de mes parents mais je

supporte le traitement qui m’est infligé.

Et puis un beau matin, on m’annonce que mes globules blancs ont remonté et que

je ne vais pas tarder à sortir. J’appelle mes parents pour leur annoncer la nouvelle.

Pas question qu’ils arrivent en retard le jour de ma sortie. Je ferme les yeux et

m’imagine qu’une aide-soignante s’active à retirer les bâches qui entourent mon lit.

Les signaux sont au vert ; finalement je serai resté moins longtemps que prévu.

Ma mère arrive, un sourire aux lèvres. On partage cet instant de bonheur, curieux

d’entendre les médecins confirmer le bon de sortie. Et puis, tandis qu’on se réjouit,

un premier signal vient doucher notre euphorie : le thermomètre. Depuis mon

admission sous le flux, je n’ai jamais eu de fièvre. Et voilà que le thermomètre fait

des siennes ! Ce ne peut être qu’une erreur ; comme à la maison, on laisse s’écouler

un peu de temps et je replace l’engin sous mon aisselle. Le résultat est le même. Du

coup, les infirmières prennent la chose au sérieux et les contrôles sont faits toutes les

deux heures. La température ne fait que monter.

Finalement, le soir venu, l’interne vient m’expliquer que je ne suis pas sorti

d’aplasie. Certes, les globules blancs ont remonté, mais je n’ai que très peu de

neutrophiles. Les polynucléaires neutrophiles, m’explique-t-elle, sont des globules

blancs importants pour la défense de l'organisme puisqu'ils peuvent absorber les

Page 52:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

52

corps étrangers - dont les bactéries.  Il va donc me falloir rester encore quelques

jours, un peu, beaucoup… ?

Bien sûr, toutes les précautions sont prises. Des hémocultures, c’est-à-dire des

prélévements sanguins, sont pratiquées pour vérifier que je n’ai pas attrapé de

microbes et je suis mis sous antibiotiques pour limiter les risques.

La fièvre tarde à disparaître. Et même si les résultats des prises de sang ne

révèlent rien d’anormal, Odile est attentive à la situation et n’exclut aucune

possibilité.

Finalement, il me faut rester deux semaines de plus. Le temps me semble

interminable. Je ne m’intéresse plus à rien. J’ai juste envie de dormir en attendant

qu’on vienne m’annoncer l’heure de la sortie. Tout le monde commence à craquer. Je

ne parle plus et je ressens l’envie de pleurer à tout bout de champ ; maman quitte le

flux en oubliant d’enlever la surblouse… Nos nerfs sont soumis à rude épreuve.

Durant cette longue phase sous le flux, je dois aussi subir plusieurs ponctions

lombaires, l’examen le plus douloureux que j’ai eu à supporter. La ponction

lombaire  consiste à recueillir le liquide céphalo-rachidien (LCR), par

une ponction dans le dos, entre deux vertèbres. Elle est réalisée sous anesthésie

locale, au moyen d'une fine aiguille pendant que je suis maintenu dans une position

très inconfortable, menton sur les genoux et dos arrondi par une infirmière qui veille

à ce que je ne bouge pas d’un pouce.

Et puis, quelques jours avant Noël, une journée comme les autres s’annonce. Je

n’ai rien avalé au petit-déjeuner, j’ai appelé mes parents pour connaître l’heure de

leur visite et je me suis enfoui sous les couvertures, attendant que le temps passe.

Page 53:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

53

Mais une interne arrive et m’annonce que les bâches autour de mon lit vont être

retirées dans la foulée. J’ose à peine y croire.

Quand maman arrive, quelques minutes plus tard, elle porte ses propres vêtements

et non pas la tenue de l’hôpital. Une infirmière lui a dit de ne pas se changer. Elle

s’avance de quelques pas et s’arrête. Elle me regarde en essuyant les larmes de joie

qui coulent sur ses joues. Assis en tailleur sur mon lit, je renifle un grand coup en

attendant qu’elle me prenne dans ses bras. C’est la fin de mon emprisonnement !

Après être resté quasiment cinq semaines enfermé dans cette fichue « bulle », je

peux enfin remettre le nez dehors. Je ne suis pas très costaud, pas très vif, mais je

suis libre. Les soins sont loin d’être terminés mais je serai chez moi pour passer les

fêtes en famille.

Ce dimanche en début d’après-midi, je traverse le hall de l’hôpital au ralenti. Je

suis faiblard, j’ai les jambes en coton et pourtant rien ne pourrait m’arrêter.

Page 54:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

54

Le prof (1)

Durant mon séjour sous flux, j’ai été le témoin ou la victime de certains épisodes

qui méritent d’être racontés je crois. A commencer par ces retrouvailles avec le

« prof ».

C’est ma troisième journée sous le flux. J’ai le moral en lambeaux et savoir que je

vais devoir rester « entre quatre et six semaines sous cette bulle » me semble tout

bonnement au-dessus de mes forces.

Je me sens prisonnier, dans ce lit entouré de bâches transparentes. Malgré les

propos rassurants de mes parents et les encouragements de toute l’équipe médicale

qui ne ménage pas sa peine pour m’aider à surmonter cette épreuve, je ne vois rien de

positif à me mettre sous la dent. Je suis incapable de me projeter dans l’avenir et

d’envisager des moments plus agréables. Je voudrais juste m’endormir et être

réveillé par une infirmière qui, dans un large sourire, m’annoncerait :

« Hugo ! Le moment est venu pour toi de nous quitter. Tu peux rentrer chez toi. »

Mais bien évidemment, les choses ne se passent jamais comme ça. Et j’ai beau

fournir des efforts permanents, j’ai bien conscience que je ne pourrai pas dormir à la

maison avant de longues semaines.

L’après-midi touche à sa fin et j’en suis là de mes considérations. Autrement dit,

je suis loin de nager en plein bonheur mais plutôt en train de sombrer dans un abîme

de perplexité.

Page 55:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

55

Soudain, quelqu’un toque au carreau de la porte. J’ouvre un œil et je tourne la tête

presque machinalement. Et je le reconnais aussitôt, malgré l’heure inhabituelle de sa

visite. Il a beau avoir enfilé le costume complet, histoire de se fondre dans le

paysage, je le démasque immédiatement. D’ailleurs, je referme illico les yeux, priant

pour m’endormir sur le champ.

Hélas, mon père lui adresse un signe énergique de la main pour l’inviter à entrer.

Mieux, il lui cède sa place à côté de mon lit. Et le prof – puisque c’est de lui dont il

s’agit – s’installe avec ses livres et ses documents qui me donneraient presque la

migraine.

« Je suis passé tout à l’heure, mais tu dormais. J’ai préféré te laisser te reposer,

qu’il me dit comme ça.

— Hum, je réponds en gardant les yeux clos.

— Aujourd’hui, je te propose qu’on fasse un peu d’instruction civique. Qu’est-

ce que tu en penses ?

— Bof ! Je veux dire, si j’ai pas le choix…

— Bon ; on va essayer. Si tu te sens fatigué, tu me le dis. »

Il est sympa, Philippe. Il fait plein d’efforts pour être agréable et il essaie toujours

de proposer des séances intéressantes. C’est même lui qui écrit le plus souvent parce

qu’il voit que je manque d’énergie. Mais là, j’en ai encore moins que d’habitude et

j’ai juste envie de ne rien faire. Près de la fenêtre, papa lève de temps en temps le nez

de son bouquin pour me regarder en souriant. J’aurai deux mots à lui dire quand on

se retrouvera tous les deux. En attendant, c’est Philippe qui me ramène à ses

moutons.

Page 56:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

56

«  Bien. Alors, si t’es d’accord, on va commencer par parler de ce qui se passe

dans ton collège.

— Le collège ? Mais j’y suis resté à peine six semaines…

— Je sais, je sais. Mais je vais t’aider. Dis-moi, par exemple, si les élèves ont le

droit de mâcher du chewing-gum ?

— … Oui.

— Ah bon ? fait Philippe en me regardant d’un drôle d’air.

— Ben oui, je reprends, conscient que ma réponse ne lui convient pas vraiment.

Dans la cour, on a le droit.

— Ah ! Dans la cour, d’accord. Mais lorsque vous êtes en classe ?

— Non. C’est interdit.

— C’est interdit de mâcher du chewing-gum pendant les cours. Et sinon, est-ce

que vous pouvez venir habillés comme vous voulez ? Avez-vous le droit de porter

des vêtements troués, des tee-shirts trop courts, des piercings … ?

— Ben je sais pas. En même temps, je dois dire, même si je n’y suis pas resté

très longtemps, que j’ai encore jamais vu personne habillé comme ça dans mon

collège. Si c’était le cas, je crois que je l’aurais remarqué !

— D’accord, Hugo. Mais je ne pense pas que ce soit autorisé. Et d’ailleurs,

comment peut-on savoir ce qui est autorisé ou pas ?

— … ?

— Eh bien, ces informations sont écrites dans le règlement intérieur qu’on vous

donne à lire en début d’année. Et sais-tu qui rédige ce règlement ?

— Les profs, j’imagine.

— Oui. Mais pas seulement. Il y a aussi la direction de l’établissement. Et puis

les parents d’élèves.

Page 57:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

57

— Hum, je réponds sans grand enthousiasme.

— Une autre question : comment circulez-vous, à l’intérieur du collège ?

— Oh ! Euh… A droite et à gauche.

— A droite et à gauche, répète Philippe qui n’a pas l’air de comprendre ma

réponse.

— Oui. Ça dépend dans quelle salle on doit aller.

— Je comprends, dit Philippe comme s’il voulait me rassurer. Mais alors,

comment faites-vous quand il y a un gros flux ? »

Là, j’ouvre grands les yeux et je fixe Philippe en l’invitant à préciser un peu sa

pensée, de façon fort peu sympathique.

«  Un QUOI ?

— Un flux, reprend Philippe. Tu sais ce que c’est, quand il y a beaucoup…

— Oui, je le coupe. Je SAIS ce que c’est. Et d’ailleurs, pour tout dire, je n’ai

absolument aucune envie de parler de FLUX en ce moment ! ».

A l’autre bout de la chambre, Papa a posé son livre sur ses genoux et regarde en

direction du parking, de l’autre côté de la vitre. Je ne sais pas ce qu’il y voit mais son

corps est agité de drôles de soubresauts qui trahissent son hilarité. Il va vraiment

falloir qu’on discute tous les deux.

Philippe range ses affaires et s’apprête à quitter la chambre. Quant à moi, je ne

quitte pas mon père des yeux, guettant le moment où il voudra bien se retourner.

Page 58:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

58

La psy

Dominique, le psychologue que je connaissais, part à la retraite. Il est remplacé

par Camille qui arrive à peu près en même temps que moi, même si nos raisons sont

loin d’être les mêmes. Très rapidement, elle fait le tour des chambres pour se

présenter aux patients et ainsi faire leur connaissance.

Dès notre première conversation, je ne me montre guère coopératif. Je sais que je

vais passer beaucoup de temps à l’hôpital et que le traitement risque de me mettre à

plat. Je n’ai donc qu’une seule idée en tête : qu’on me laisse tranquille, autant que

faire se peut. De toute façon, si j’ai besoin de parler, c’est vers les médecins que je

me tourne.

J’accepte les soins, je ne manifeste pas mes humeurs que je réserve à mes parents

lorsque l’angoisse est trop forte. Je respecte et j’admire le travail de l’équipe

soignante et je fais tout ce que me disent les médecins en qui j’ai toute confiance.

Mais pour le reste, il ne faut pas trop compter sur moi. Je rêve d’être aussi invisible

que possible, comme absent des débats en attendant de retourner chez moi. Je suis un

peu comme Greg, le personnage central du « Journal d’un loser » dont papa m’a lu

quelques extraits après mon opération. Comme lui, je veux être totalement

transparent. Si Greg ne veut faire partie d’aucun groupe (gothiques, intellos, sportifs,

théâtreux…), il ne peut ignorer les attentes de sa mère qui va lui faire vivre un

cauchemar. En ce qui me concerne, je vais devoir accepter les discussions imprévues

et les activités proposées. Et s’il m’arrive de rechigner à participer aux ateliers

sportifs par exemple, je finis toujours par accepter.

Page 59:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

59

Avec Camille, les choses ne se passent pas exactement comme ça. Bavarder, ce

n’est pas trop mon truc à la base. Et parler de moi ou, pire encore, de ma maladie,

c’est absolument hors de question. A une certaine époque, Dominique m’avait

d’ailleurs affublé d’un surnom que j’avais mis plusieurs années à comprendre. Il

m’appelait « Monsieur Minimum Syndical » ; ce qui, aujourd’hui, se passe de tout

commentaire !

Lors de notre première rencontre, Camille évoque une idée essentielle que je vais

conserver en mémoire jusqu’à la fin de mon traitement. Elle me dit que je ne suis pas

obligé de parler si je n’en ai pas envie. Du coup, il me semble que le problème est

réglé. D’ailleurs, les visites suivantes ressemblent davantage à un monologue dans

lequel elle me tend de petites perches que je prends un malin plaisir à ne pas saisir.

On ne me la fait pas. Un mot en amène un autre et, de fil en aiguille, on finit par

raconter des choses qu’on veut garder pour soi. Moi, tout le monde le sait,les seules

questions qui me préoccupent, c’est aux médecins que je les pose.

Camille comprend très vite que je n’ai aucune intention de me livrer à des

confidences. Elle se montre compréhensive et ne me tient pas rigueur de mon

mutisme. C’est tout juste si je lui livre une information. Je lui confie qu’au fond de

moi, je suis soulagé d’être malade. Lorsque j’avais mal au dos, mes parents avaient

quelque peu douté de ma bonne foi en imaginant que j’étais perturbé par les jeux

vidéo. Le verdict qui est tombé depuis est sans appel et, malgré la gravité de la

maladie, je me sens presque apaisé.

Pour le reste en revanche, je ne cède rien. Il m’est impossible de me confier dans

une chambre d’hôpital. Je me sens prisonnier, retenu par toutes ces perfusions qui

Page 60:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

60

m’empêchent d’être libre de mes mouvements. Qui sait, les choses seraient peut-être

différentes dans un autre endroit ?

Et puis il y a ce cathéter qu’on m’a implanté. Ce cathéter, c’est mon signe

distinctif, mon étoile jaune à moi. C’est ce qui me différencie des autres et c’est ce

que j’ai de plus lourd à porter. J’ai beau savoir que cette « petite boîte » ne se repère

pas au premier coup d’œil, il n’empêche qu’elle me catalogue en tant qu’enfant

gravement malade.

Mais ces considérations me sont personnelles. Un jour peut-être, je trouverai le

courage d’en parler. Mais ce ne sera ni dans une chambre d’hôpital, ni dans le bureau

d’un psychologue. J’ai besoin de me sentir libre et serein pour évoquer mes

souffrances.

Page 61:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

61

Le prof (2)

Je ne peux pas dire que j’adore l’école. Mais je ne déteste pas ça non plus, en fait.

Le truc, avec le collège, c’est que je comprends vite que certaines matières me

plaisent plus que d’autres. J’aime assez bien les maths, même si la géométrie me

saoule un peu. Mais ce que je prefère, et de loin, c’est l’histoire. La mythologie, ça

me passionne vraiment. Le français et l’anglais, ça va encore.

Par contre, je dois bien avouer que les arts plastiques, les sciences ou l’instruction

civique, je ne suis pas fan.

Alors, quand Philippe est arrivé sous le flux dans sa tenue de cosmonaute et qu’il

m’a dit qu’il avait encore préparé une leçon d’instruction civique, je n’ai pas sauté au

plafond. D’ailleurs, vu l’état de mes muscles, je serais plutôt tombé du lit ! Mes

cuisses sont à peine plus grosses que mes bras à force d’être alité. Papa prétend que

j’ai des biceps de champion mais je sais qu’il me charrie. Avec mes pauvres

gambettes atrophiées, de vraies cannes de serin, je serais bien incapable de tenir

debout plus de quelques secondes.

Je reste donc sans voix mais ma mine réjouie traduit mon impatience !!! Philippe

ne s’en laisse pas compter et argumente, comme pour me convaincre.

«  On va surtout travailler à l’oral. Je ne vais pas te demander d’écrire. C’est moi

qui vais recopier les réponses que tu vas me donner. D’accord, Hugo ?.

— Oui, d’accord, je réponds puisque je ne peux pas y couper.

— Très bien. Alors voilà ; je te propose de parler de la courtoisie. Peux-tu me

dire ce que c’est, la courtoisie, pour toi ? ».

Page 62:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

62

Là, je prends mon temps avant de répondre, j’ai besoin de réfléchir un peu.. C’est

vrai, quoi, c’est pas un mot que j’emploie tous les jours ; ça doit dater de l’époque de

Louis XIV ou quelque chose du genre. Une astuce pour séduire les dames de la cour

avec classe et élégance. Mais moi, je « courtoise » pas souvent et donner une

définition me pose un souci. Pas au point de faire appel à un ami mais quand

même… Je sais que ça a un certain rapport avec le savoir vivre, le respect et tout ce

genre de trucs. Mais le formuler, c’est une autre paire de manches.

«  Ben, c’est quand on est poli et gentil avec les autres, des choses comme ça.

— Oui. C’est un peu ça, c’est vrai. Est-ce que tu connais d’autres mots qui

signifient la même chose ?

— Des synonymes, en fait ?

— Oui, si tu veux. Tu peux aussi me donner une définition de la courtoisie ».

Il pousse le bouchon un peu loin, Philippe, avec toutes ses questions. Si j’étais en

classe, il y en aurait bien un pour lui répondre. Mais là, je dois faire tout le boulot

tout seul. Nouvelle réflexion perplexe.

«  Je dirais être aimable, respectueux…bien s’entendre avec les autres.

— Bien, bien. La courtoisie, c’est être sociable. On fait preuve de courtoisie, ou

pas d’ailleurs, dans nos relations avec les autres. Pourrais-tu me donner un exemple ?

— Ne pas bousculer les autres, attendre son tour, comme quand on fait la queue

au self par exemple.

— Oui, voilà. Et dans la vie, comment on peut se montrer courtois ; dans les

transports en commun par exemple ?

— Ah ! Ben, c’est quand on respecte les personnes âgées…

— Oui. Et qu’est-ce qu’on peut faire pour témoigner ce respect ? ».

Page 63:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

63

Je vois bien où il veut en venir, Philippe. Mais il n’est pas question que je me

laisse faire sans réagir. Certainement pas ! Je me redresse sur mon lit et je lui dis tout

haut ce que j’en pense de son exemple.

«  Tu ne crois quand même pas que je vais laisser mon siège à une petite vieille

alors que MOI, je suis HAN-DI-CA-PE ! »

Non mais des fois. Quand la vieille dame anglaise m’a piqué mon tour au bloc

opératoire, je n’ai pas trop vu où elle était, la courtoisie.

D’ailleurs, demain si tu veux bien, on fait des maths, mon cher Philippe.

Page 64:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

64

Joyeux Noël   !

C’est finalement le 20 Décembre que je quitte l’hôpital pour rentrer à la maison.

Quand maman arrive enfin, en milieu de matinée, j’ai l’impression de l’attendre

depuis une éternité. C’est à croire qu’elle ne se rend pas compte : je suis enfin libre !

Maman entre dans la chambre sans sa tenue de cosmonaute habituelle. Elle fait deux

pas et s’immobilise, les larmes aux yeux. Moi, je suis assis en tailleur sur ce lit où

j’ai déjà passé beaucoup trop de temps.

Je dois cependant patienter encore un peu. Les prescriptions médicales, une

dernière auscultation, les recommandations d’usage. C’est un véritable ballet

d’infirmières et de médecins qui se joue dans ma chambre. Je prends mon mal en

patience parce que je ne sais que trop bien que rien n’est laissé au hasard et que si je

mets en application les conseils qui me sont donnés, je me donne les meilleures

chances pour que mon séjour à la maison se passe sans encombres.

Lorsque je quitte enfin le service, c’est une véritable libération qui m’est

accordée. Je suis resté 34 jours sous flux ; j’ai passé au total 55 jours au CHU,

auxquels se rajoutent les 3 passés à l’hopital de Cherbourg. Au passage, j’ai certes

perdu six kilos mais il en faudrait bien davantage pour avoir ma peau !

Malgré tout, lorsque je pose le pied sur le sol, je me rends compte immédiatement

que je ne vais pas pouvoir courir en tous sens et exprimer mon bonheur avec autant

d’exubérance que j’en ai rêvé. Néanmoins, je refuse toute aide extérieure qui

viendrait gâcher ce moment béni. Je veux être autonome et c’est avec une certaine

fierté intérieure que je me rends jusqu’à l’ascenseur , première étape sur le chemin de

ma liberté retrouvée. Quand je traverse le hall, droit comme un « i » malgré une

Page 65:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

65

démarche quelque peu hésitante, j’aperçois Papa et David à une table de la cafétéria.

Ces deux-là, je me demande combien de cafés ils peuvent bien avaler dans une

journée. Mais je ne poserai pas la question ; Papa est capable de me répondre que si

je donnais moins de soucis, il n’aurait pas besoin d’en avaler autant …

La Nissan est propre comme un sou neuf . Papa et David ont passé la matinée à

l’astiquer et le résultat est au-delà de toute espérance : je la reconnais à peine. Pour

un peu, elle brillerait presque. En revanche, question place, c’est pas le top. Le séjour

ayant été plus long que prévu, il y a des tas de choses à ramener à la maison et on n’a

pas d’autre choix que de se serrer comme des sardines.

Le plaisir que je ressens lorsque la voiture s’arrête devant la maison est

indescriptible. C’est un moment que j’attends depuis des semaines et retrouver mon

univers, mes petites habitudes, ma chambre et mes jeux, tout ça n’a pas de prix. Je

sais que j’ai besoin de repos mais je compte bien profiter des quelques jours que j’ai

devant moi pour ne rien avoir à regretter. Avant de quitter l’hôpital, on nous a remis

le protocole de la phase suivante et les soins vont s’enchaîner sans beaucoup de répit.

Je sais donc que je dois retourner au CHU dès le 22 Décembre, autrement dit

quarante-huit heures après mon retour, puis le 29. Et j’y suis même attendu le 1er

Janvier pour des vœux auxquels je vais devoir me préparer.

A la maison, même si mon intention est de remettre ma console de jeux en route,

c’est mon lit que je retrouve en premier. J’ai bien conscience que je suis faible et la

fatigue est plus forte que mon envie de jouer. Peu importe ; je suis de retour chez moi

et je vais gérer mon emploi du temps en fonction de ma forme.

Par contre, j’aimerais bien recevoir quelques visites, bavarder avec les copains,

revoir la famille. Mais, si le téléphone chauffe dès notre retour, rares sont les

Page 66:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

66

personnes qui viennent à la maison. Je suis « fragile » et les gens ont peur de me

transmettre un microbe qui pourrait me terrasser. Ce n’est pas forcément facile à

accepter mais je comprends qu’ils essaient de me protéger. Je n’ai pas beaucoup de

défenses immunitaires et le moindre microbe représente un danger pour moi.

Mes parents m’expliquent qu’autour de nous, de nombreuses personnes viennent

régulièrement aux nouvelles et que si le téléphone ne se repose guère, c’est parce que

beaucoup de monde pense à moi et me soutient. Ils me disent aussi qu’il en est ainsi

depuis le début de mon hospitalisation et que la famille et les amis m’aiment

énormément et sont bouleversés par ce qui m’arrive. Je n’en reviens pas que, pendant

que je luttais contre cette solitude qui me pesait, autant de personnes aient pensé à

moi aussi régulièrement. J’en ai même les larmes aux yeux et j’ai hâte de les

retrouver pour leur dire combien, moi aussi, je les aime fort.

Durant cette période de vacances, entrecoupée de retours au CHU pour de

nouvelles chimios, je reçois toutefois une visite régulière, celle de Mathilde, la kiné,

qui vient pour tenter de me remettre sur pieds. Après cette longue hospitalisation,

mon côté droit est nettement affaibli. Ça ne m’empêche pas de faire preuve d’auto-

dérision et d’amuser la galerie lorsque j’affirme que je suis devenu handidextre par la

force des choses ! Un comble pour un joueur de tennis droitier comme moi…

Le réveillon de Noël retient cependant toute mon attention. Bien sûr, j’ai toujours

apprécié cette fête de famille, mais cette année je me réjouis particulièrement de voir

toute la famille rassemblée. Mes grands-mères, mes frères, leurs compagnes et mon

neveu ont tous répondu à notre invitation, ce qui me réjouit. Ils sont tous là sous mes

yeux, je peux même les toucher et les embrasser après en avoir été si longtemps

privé. Pendant mon séjour sous la bulle, à force de me passionner pour les émissions

Page 67:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

67

culinaires, j’ai eu tout le temps de réfléchir au menu et cette année, c’est dinde aux

marrons. D’ailleurs, je prends les choses en mains et je suis aux premières loges en

cuisine tout l’après-midi.

L’ouverture des cadeaux qui vient clore cette belle soirée fait de moi un garçon

gâté. Je reçois de nombreux jeux, pour la plupart des jeux vidéo d’ailleurs. Mais j’ai

surtout besoin de confort douillet et j’ai commandé des coussins moelleux et

d’épaisses couvertures pour me sentir protégé lorsque je ressens la fatigue.

Page 68:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

68

Mathilde Makiné

Mathilde, c’est ma kiné. Du moins, je fais partie de ses patients. Pendant

longtemps, elle s’est occupée de la rééducation de papa. C’était il y a deux ou trois

ans je crois et ça lui a donné un sacré boulot. Papa a commencé par avoir mal au

dos ; après, c’était une aponévrosite machin-chose à la voûte plantaire et pour finir,

une opération du pied !

Du coup, forcément, Mathilde connait bien la famille, surtout qu’elle jouait au

tennis dans le club où travaillait papa avant d’être déclaré inapte. Il n’aime pas trop

ce mot-là d’ailleurs, papa ; ça doit sans doute lui évoquer une sorte de handicap…. Et

puis c’est sa collègue, à Mathilde, qui m’avait reçu en urgence et conseillé d’aller à

l’hôpital, quelques semaines plus tôt. Alors Mathilde prenait régulièrement de mes

nouvelles. N’empêche, elle a été drôlement surprise quand elle a appris ma rechute.

Elle non plus ne s’attendait pas à ça.

Quand elle a su que j’étais sous flux pour de longues semaines, elle a aussitôt

proposé de s’occuper de ma rééducation à ma sortie. Il parait que lorsqu’on reste alité

une semaine, il faut un mois pour récupérer musculairement. Je sais pas trop si c’est

vrai, mais pour moi qui suis resté cinq semaines allongé, ça signifie que je vais

devoir tout réapprendre.

Pendant les vacances de Noël, à ma sortie de « la bulle », Mathilde commence les

séances à domicile. La prescription médicale est de trente séances de rééducation à la

marche, à raison de trois séances par semaine. Le problème principal vient du fait

que je n’ai plus de forces dans les cuisses. Mes quadriceps ont dû fondre pendant

mon hospitalisation. Pour compenser, je « verrouille » le genou en quelque sorte, ce

Page 69:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

69

qui me donne une marche saccadée, jambe tendue avec les hanches qui partent dans

tous les sens. En plus, les médecins me disent que ce n’est pas bon pour les cartilages

du genou.

Avec Mathilde, je réapprends les bonnes manières. Du moins en ce qui concerne

la façon de me tenir et les habitudes à reprendre. Mathilde est drôlement sympa avec

moi. Elle alterne les séances de travail intensif avec des séances de massages quand

j’ai mal aux cuisses ou aux mollets. Parfois même, quand je suis très fatigué, je fais

la rééducation dans ma chambre.

C’est comme ça qu’elle voit que je lis beaucoup de mangas. Mes étagères croulent

sous le poids de différentes séries, pratiquement complètes : « Fairy tail », « GTO »,

« Bleach » mais aussi « One piece » qu’on me prête.

« Il y a quelques années, je suis allée à la Japan expo, à Paris, me dit Mathilde. Je

suis sûre que ça te plairait. C’est un événement qui se déroule tous les deux ans ».

Sitôt la séance terminée, je me précipite sur mon ordinateur , direction Internet.

Bingo ! En plein dans le mille, c’est bien cette année. La Japan expo se déroulera

début Juillet. Cette bonne nouvelle en poche, je consulte le protocole de soins pour

plus de certitude. Si tout se passe bien, la chimiothérapie prendra fin en Mai. Ça

laisse un mois pour les rayons. J’espère que ça va passer.

Mathilde apporte parfois du matériel qu’elle laisse à ma disposition pour que je

puisse travailler régulièrement. Le pédalier, ça va encore ; je peux pratiquer tout en

regardant la téloche. Mais l’élastique, j’aime moins ; c’est pas très rigolo. Et puis je

peux aussi utiliser le step. Ça plombe un peu le moral de voir combien c’est difficile

pour moi. Je n’ai aucune puissance dans les jambes, alors je dois produire de gros

Page 70:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

70

efforts qui me fatiguent vite. Mais Mathilde m’encourage toujours. Elle positive

même quand je me trouve pathétique !

Ce qui est chouette avec Mathilde, c’est qu’on discute beaucoup pendant les

séances. Elle s’intéresse à ce que je fais, à ce que je lis. Elle me prête des BD. Un

jour, elle arrive même avec des posters de mangas que je m’empresse d’accrocher

dans ma salle de jeux.

Les séances se passent toujours bien. Parfois, je suis si faible que je ne peux pas

quitter mon lit. Mais je suis toujours heureux de mon rendez-vous avec ma kiné

parce qu’on passe un bon moment. Et si je suis en forme et que je travaille bien, il

m’arrive quelquefois de monter l’escalier sans l’aide de personne.

Quand les trente séances sont faites, les médecins en prescrivent trente autres . Ça

tombe bien ; on a encore des trucs à se raconter avec Mathilde.

Page 71:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

71

La première consolidation du traitement

Cette phase qui fait immédiatement suite à ma longue période sous flux est

nettement moins traumatisante même si je prends rapidement conscience des

différentes contraintes qui m’attendent. Bien sûr, j’apprécie beaucoup le fait qu’il n’y

ait pas d’hospitalisation et de pouvoir rentrer à la maison après les soins et les

injections. Les examens de contrôle et, surtout, les échanges avec les médecins

durant les auscultations me rassurent à chaque fois ; j’ai besoin d’entendre leurs avis

et conseils pour me sentir bien. Par ailleurs, de nombreuses prises de sang sont

réalisées pour détecter une éventuelle aplasie, toujours possible.

Je dois donc me rendre au CHU le mardi et le vendredi pendant quatre semaines.

La première chimio est fixée au 22 Décembre et, dans la foulée, je commence la

kinésithérapie motrice à domicile. Le séjour sous la bulle m’a quelque peu affaibli,

c’est rien de le dire. Comme je l’ai déjà évoqué, Mathilde débarque donc à la maison

juste avant Noël pour me faire travailler les quadriceps. Je dois reconnaître que je

n’ai pas beaucoup de résistance et les exercices qu’elle me propose, même les plus

simples, me mettent rapidement sur les genoux.

Le 1er Janvier, je commence l’année 2016 au CHU. La veille, le réveillon à la

maison avec la famille et quelques amis a été marqué du sceau de la sagesse et du

raisonnable. Nous avons quand même réussi à veiller jusqu’à minuit mais au milieu

des embrassades et des vœux, la situation avait un côté un peu ironique.

« Bonne année et bonne san… Euh, meilleure santé, on va dire, hein ?

— Ben oui, d’accord. En même temps, je sais que ça va durer plusieurs mois.

Donc l’année 2016, elle risque quand même d’être un peu pourrie. »

Page 72:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

72

Je me retrouve donc au service oncologie pour débuter cette nouvelle année. Les

sentiments qui me traversent l’esprit sont assez contradictoires. J’aimerais être

n’importe où ailleurs mais je sais que si je veux prétendre à des jours meilleurs, c’est

là que je dois être parce que la maladie ne me laisse pas le choix et qu’on prend soin

de moi. Et puis tous ces hommes et ces femmes, dévoués à leur métier et qui font des

miracles, j’ai vraiment envie qu’ils profitent d’une belle et heureuse année ; je profite

donc de ma présence pour leur dire avec la plus grande sincérité.

Le premier contretemps auquel je suis confronté en ce début d’année est causé par

une constipation. La chimio réserve des surprises qu’on appelle également effets

secondaires ; la constipation en fait partie même si ça n’a rien de glorieux. Et puis,

bien sûr, quelques jours plus tard, je suis aux prises avec une forte diarrhée

provoquée par les médicaments ingurgités pour venir à bout de la constipation. A ce

jeu du chat et de la souris, je préférerais passer mon tour si on m’en donnait la

possibilité.

Le 11 Janvier est une date que j’ai cochée sur mon calendrier. En effet, je dois me

rendre au collège et passer une heure dans ma classe. Mais il ne s’agit pas d’un cours

classique auquel je viens assister. L’infirmière coordinatrice et le professeur du CHU

sont là eux-aussi. Nous rencontrons les élèves de ma classe ainsi que quelques

professeurs et la principale adjointe pour parler ouvertement de ma maladie. Après la

projection d’un film qui présente la leucémie, son traitement et la vie à l’hôpital, je

réponds aux questions qui me sont posées. Oui, les cinq semaines sous flux ont été

longues ; oui, j’ai parfois perdu le moral ; non, je ne suis pas inquiet parce que j’ai

confiance en toutes ces personnes qui s’occupent de moi. Et oui, je peux faire des

choses comme sortir ou recevoir des visites, même si je dois me montrer prudent et

ne pas aller dans les endroits où il y a beaucoup de monde par exemple.

Page 73:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

73

Au cours de cette intervention dans mon collège où il était question de

dédramatiser la maladie et montrer que la vie continue malgré tout, je rencontre

Anthony. Lui aussi a rechuté, quelques mois avant moi. Il en est presque à la moitié

de son traitement d’entretien et on lui a retiré son port à cath. Il a l’air en forme et

semble suivre sa scolarité dans de bonnes conditions. Le voir et bavarder un court

moment avec lui me donne meilleur moral, même si je sais que, pour moi, le chemin

s’annonce encore long.

Je poursuis mon traitement. Les deux déplacements hebdomadaires se déroulent

dans les meilleures conditions possibles et, même si la fatigue prend parfois le

dessus, je parviens à profiter des moments passés à la maison. Je ne ressens

pratiquement pas d’effets secondaires ; du coup, je me prends à espérer que le

traitement soit moins douloureux que prévu.

Même ma tignasse semble supporter la chimiothérapie ! C’est ainsi que, début

janvier, Odile m’en attrape une poignée et tire dessus, histoire de vérifier. Surprise,

elle ne découvre pas le moindre cheveu quand elle déplie sa main. Moi aussi je suis

épaté : petit, la chimio avait rapidement eu raison de mes tifs qui tombaient par

poignées.

Durant cette première consolidation du traitement, je ne fais pas d’aplasie, ce qui

me permet d’être un peu plus détendu . Mine de rien, ça aide à surmonter l’épreuve.

Mes globules blancs ne me laissent pas tomber pour l’instant et il n’est pas

nécessaire de contrôler ma température à tout bout de champ.

A l’occasion d’une de mes dernières chimios, un peu poussé par mes parents qui

ne sont pas en mesure de me répondre, je me risque à demander à Damien si je

pourrai retourner à l’école avant la fin de l’année scolaire. Damien, très pédagogue,

Page 74:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

74

me montre alors mon protocole de soins et m’explique la façon dont les choses

risquent de se dérouler, avec les périodes de fatigue et d’aplasie. Mais sa réponse me

réjouit puisqu’il m’apprend que, selon toute vraisemblance, je devrais pouvoir

retourner une semaine au collège, en Mai ou Juin.

Et je suis bien obligé de lui faire répéter sa conclusion que j’ai peur d’avoir mal

entendue. Alors, calmement, Damien me dit une seconde fois :

« Tu réagis très bien au traitement pour l’instant. Et puis, s’il le fallait, on a

d’autres choses qu’on pourrait te proposer. Mais tu dois savoir qu’avec les autres

médecins, on n’est pas inquiets pour ta vie. »

Là où d’autres auraient peut-être envie de crier, de faire des bonds, de courir

partout, moi, j’enfonce ma tête dans l’oreiller et je me répéte en boucle ce qui vient

d’être dit. Et puis, pour plus de certitude, je me tourne vers mon père.

« P’pa, t’as entendu comme moi ce que vient de dire Damien ? »

P’pa se contente d’un signe de tête. De toute façon, vu son sourire, je sais qu’il a

entendu la même chose que moi.

Page 75:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

75

Le prof de sport

Mes douleurs au dos avaient rendu mon début d’année très difficile à tout point de

vue. Alors, au fil du temps, j’avais peu à peu tiré un trait sur le sport jusqu’à me voir

délivrer un certificat de dispense. Le cross du collège avait été un supplice et je

n’étais plus en mesure de participer à un entraînement de tennis sans m’arrêter.

C’est ainsi que je me retrouve allongé sur un lit d’hôpital, perfusé, nauséeux et

guère vaillant quand la porte de la chambre s’ouvre et qu’un jeune homme vêtu de la

fameuse tunique bleue réservée au personnel hospitalier se présente.

« Bonjour Hugo. Je m’appelle Vincent et je viens te proposer de participer à des

activités sportives si tu es d’accord ».

Je me pince, histoire d’être sûr que je ne suis pas en plein cauchemar. Du sport !

Ben oui, pourquoi pas… Ça tombe bien je commençais à avoir des fourmis dans les

jambes. D’ailleurs, je me verrais bien foncer dans les couloirs de l’hôpital sur des

rollers ; ou même m’éclater sur un trampoline, à inventer des figures de malade.

« Aujourd’hui, je passe te voir pour qu’on fasse connaissance. Et puis, les jours où

tu ne seras pas trop fatigué, on pourra faire des petites séances de quinze ou vingt

minutes. »

Okay ! Alors comme ça, le gars Vincent, il ne blague pas ; il compte vraiment

qu’on fasse du sport dans ma chambre, alors que je suis perfusé et que je peux à

peine poser le pied par terre. Je le vois venir, avec ses gros sabots ; mais je ne vais

pas me laisser faire. Osselets, dominos, mikado ou sophrologie, c’est tout vu, je

refuse direct.

Page 76:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

76

« Alors, Hugo, dis-moi ; qu’est-ce que tu aimes comme sports ? Le foot ? Le

basket ? Je peux te proposer pas mal de trucs, tu sais. »

Me voilà dans de beaux draps. Il ne plaisante donc vraiment pas. Mais comment

peut-il croire que, dans mon état, je vais attraper ou même simplement lancer un

ballon ? Pourtant, devant son insistance, j’opte pour le basket – je n’aime pas le foot

– en imaginant déjà les dégâts dans la chambre. S’il m’embarque dans son délire, j’ai

intérêt à garder la sonnette d’alarme dans la main !

Et pourtant, trois jours plus tard, sous mes yeux ébahis, je vois Vincent

transformer ma chambre en véritable salle omnisports. Il accroche un panier de

basket à la porte, pose des bandes au sol et dispose des ballons de mini basket sur le

lit. C’est parti pour un tour ! On commence par des passes, puis des lancers. Mais,

comme je le redoutais, les choses ne tardent pas à se corser. Le bougre me propose

un parcours où il me faut lancer le ballon, puis aller le récupérer, passer au-dessus du

lit sans lâcher le ballon et recommencer. Je réalise l’exercice sous le nez de mon père

qui me regarde avec de grands yeux ronds et un sourire niais venu de nulle part.

Quand la séance s’arrête, au bout d’un quart d’heure, je suis mort de fatigue. Plier les

jambes pour récupérer le ballon au sol m’a demandé des efforts surhumains.

Les séances vont ainsi s’enchaîner pendant environ cinq mois, tantôt dans ma

chambre – y compris durant mes séjours en secteur stérile – tantôt dans les couloirs

du service. Et de nombreux sports vont y passer : fléchettes, hockey, trampoline, tir à

l’arc…

Au fur et à mesure de nos rendez-vous, on apprend à se connaître. Je découvre

ainsi que Vincent est étudiant en STAPS : Sciences et Techniques des Activités

Physiques et Sportives. Sa présence à l’hôpital est le résultat du choix de son option

Page 77:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

77

APS : activité physique adaptée et santé. Il anime donc des séances adaptées aux

possibilités de chacun, auprès de publics à besoins spécifiques. Ses sports de

prédilection sont la natation et le judo, tandis que moi, c’est plutôt tennis et basket.

Et son objectif est de montrer l’avantage du sport adapté sur la qualité de vie du

patient (moral, confiance en soi…) durant l’hospitalisation.

Vincent est trop fort dans un domaine précis : la persuasion. C’est le roi de la

discussion, le maître des arguments qui font mouche. Il finit toujours par me

convaincre de participer, même les jours où je ne vaux pas grand-chose. Quand je ne

suis pas trop motivé, je ferme les yeux et je m’enfonce dans mon matelas. J’ai beau

faire semblant d’être au bout du rouleau, parler tout bas, bâiller et geindre, rien n’y

fait. C’est dire s’il est fort parce que j’ai quand même obtenu le césar du meilleur

acteur pour mon rôle de composition dans « Je suis cuit, j’en peux plus ! ». Je dois

cependant préciser que les séances se déroulent l’après-midi et que mon père est

presque toujours présent. Et je ne peux pas compter sur son soutien, vu qu’il se range

toujours du côté des méchants…

C’est en Janvier que j’ai fait la connaissance de Vincent, pendant mes premières

cures après être sorti de la bulle. Je reconnais que je n’étais pas toujours enchanté par

ses visites mais il savait y faire. Il disait comme moi, reprenait mes mots en laissant

les maux de côté. Jamais il ne m’obligeait à participer à une activité…mais jamais il

n’est reparti avant de m’avoir fait sortir de mon lit. Souvent, j’ai rechigné ; savoir

que j’allais avoir mal aux jambes, qu’il me faudrait plusieurs heures pour m’en

remettre n’avait rien d’encourageant. Mais je dois aussi avouer qu’il m’est arrivé,

même si je me suis bien gardé de le laisser voir, de prendre goût à ce qui était

proposé. Réussir à franchir un obstacle ou atteindre une cible quand on est persuadé

qu’on va échouer procure un sentiment de fierté qui fait du bien au moral.

Page 78:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

78

Au début, on fait beaucoup de basket. Je n’ai pas beaucoup de déplacements à

effectuer mais Vincent, l’air de rien, ajoute progressivement certaines difficultés

pour m’amener à fournir de petits efforts et faire travailler mes muscles endormis. Je

pousse des soupirs, jette des dizaines de coups d’oeil sur l’aiguille de ma montre,

pressé d’en finir. Et puis, quand je me laisse convaincre de sortir de ma chambre, je

prends part à des exercices variés sous forme de parcours. Je fais alors beaucoup de

motricité dans le couloir où Vincent dispose des tas d’appareils (agrès, trampoline,

haie, panier de basket, cibles …)

Au mois de Mai, pour fêter sa dernière séance, Vincent nous propose purement et

simplement un challenge. Je me retrouve au beau milieu d’un groupe d’enfants

perfusés prêts à en découdre. Les parents présents ont pour mission de pousser les

pieds à perfusion tout en gardant un œil sur les tubulures soumises à rude épreuve et

qui ne demandent qu’à s’emmêler. Pour l’occasion, l’étage est transformé en stade

olympique. Il y a des ateliers installés partout dans le service mais aussi dans le

grand couloir. De nouveaux parcours ont été aménagés et chaque espace est dédié à

un sport : ping pong, hockey, tir à l’arc, foot…

Le challenge dure une partie de l’après-midi. Je m’éclate bien parce que je peux

passer rapidement d’une activité à une autre. Et comme Vincent n’a rien laissé au

hasard, l’animation se termine sur un goûter fort apprécié. Il est trop fort, Vincent. Et

c’est lui qui a raison ; le sport, c’est bon pour le moral ! En plus, ça ouvre l’appétit…

même à l’hôpital !

Page 79:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

79

L’entonox

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux. » Tu parles, Charles ! Je ne sais

pas exactement qui a écrit ça mais, si j’en ai l’occasion, j’aurai deux mots à lui dire à

celui-là.

A l’hôpital non plus, nous ne sommes pas vraiment libres. Et pas égaux non plus

d’ailleurs, face à la maladie ou aux effets secondaires. En ce qui me concerne, je ne

suis pas trop victime de nausées. Beaucoup moins en tout cas que certains voisins,

compagnons d’infortune, qui réagissent violemment à certaines chimios et vomissent

tripes et boyaux.

Malgré tout, je ne suis pas plus épargné que cela. Je dois, moi aussi, affronter ma

part de douleurs et faire face à certains examens qui ne font guère plaisir. Au premier

rang de ceux-ci, juste devant la ponction lombaire, je place le myélogramme. Dans

les deux cas, j’appréhende le moment car je sais que je vais passer un sale quart

d’heure…sans parler du temps d’immobilisation qui suit.

La ponction lombaire et le myélogramme sont des examens médicaux réalisés

sous anesthésie locale. La ponction, qu’elle soit réalisée dans le dos ou sur la crête

iliaque, est un examen douloureux qui peut s’avérer traumatisant. A quatre ans, je me

réveillais angoissé les matins où je devais subir une ponction lombaire.

A onze ans, et même si je suis matinal, j’avoue que je ne me sens pas vraiment de

taille à affronter ces examens qui me fichent une trouille bleue. Sans compter que,

pour faciliter la tâche du médecin ou de l’interne, il ne faut pas bouger. Mais

comment être détendu en pareilles circonstances ? C’est dans ces occasions que je

reçois le renfort de deux solides chevaliers nommés Entonox et Hypnovel.

Page 80:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

80

L’Entonox est un gaz administré par inhalation lors des actes douloureux. Il

entraîne un apaisement, une relaxation et une diminution des réflexes qui favorisent

l’examen. L’Entonox me détend et atténue la douleur ; cependant, parfois, lorsque je

suis trop anxieux, il est associé à l’Hypnovel, un sédatif à action rapide.

L’Hypnovel désinhibe et entraîne une diminution de la mémorisation. Ainsi, je

n’ai pas de souvenir de la façon dont l’examen s’est déroulé, ni de mon

comportement. Et je me dis que c’est mieux ainsi, si j’en crois ce que me rapportent

mes parents.

Lors de l’une des dernières cures, alors que Damien s’apprête à réaliser la

ponction et qu’Odile veille à ce que j’adopte la bonne posture, l’Hypnovel fait des

ravages. Ma discrétion naturelle disparait bien vite et je me lance dans une discussion

à bâtons rompus avec les médecins médusés.

« N’empêche, je crois que tous les enfants qui sont à l’hôpital, et même les adultes

d’ailleurs, peuvent vous remercier.

— Ah bon. Pourquoi dis-tu ça ?

— Ben, c’est quand même grâce à vous si on est là…

— Euh… Nous, on préférerait que vous ne soyez pas là, on peut te l’assurer !

— Oui, oui, je sais mais… Je m’exprime mal. Ce que je veux dire, c’est que

c’est vous qui nous guérissez, quand même. C’est à vous qu’on doit dire merci.

— Vu comme ça, d’accord. »

L’Hypnovel agit vite et je commence à rire nerveusement, sans raison. Mais

quand je me tourne légèrement et que j’aperçois mon père avec une tête de chat, je ne

peux pas me retenir. J’essaie de raconter ce qui m’arrive mais je bafouille et tout le

monde rigole dans la chambre. Je reprends quand même le fil de ma discussion.

Page 81:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

81

« Moi, j’aimerais vous faire un cadeau à tous. Un cadeau d’anniversaire, ce serait

bien. Mais je ne connais pas la date de votre anniversaire.

— Et toi, c’est quand, ton anniversaire, Hugo ? me répond Odile.

— Moi, c’est le… euh… 9 Octobre. »

Alors Odile, sans me donner de réponse, me glisse un indice.

« Tu prends les mêmes chiffres et tu en changes l’ordre ; alors tu connaitras la

date de mon anniversaire. »

Je me concentre à mort pour réfléchir puis je lui fais part de ma réponse. Bingo !

«Incroyable ! Même sous Hypnovel, tu as réussi à calculer sans te tromper. »

J’essaie d’obtenir les dates d’anniversaire des autres personnes mais mes propos

sont de plus en plus décousus et incompréhensibles. J’entends rire une dernière fois

puis la voix d’un médecin qui ramène le silence :

« Je crois qu’il est prêt. »

La ponction lombaire peut démarrer ; je suis aux abonnés absents.

Page 82:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

82

La vie à la maison

Si l’on regarde le calendrier – chose dont je laisse le soin à mes parents tellement

je suis dépité – je passe plus de temps à la maison qu’à l’hôpital. Mes parents

semblent y prêter attention, surtout lorsqu’il s’agit de me remonter le moral. Mais je

vois clair dans leur jeu ; tout ça, c’est de la fiction. Les journées à la maison passent

beaucoup plus vite que celles où je reste enfermé dans une chambre d’hôpital. Et puis

il y a le stress lié aux risques d’aplasie fébrile qui me conduirait en chambre stérile.

Et ça, c’est tout sauf des chiffres ; c’est la triste réalité qui empiète sur mes moments

de liberté conditionnelle.

Quand arrive le dernier jour d’une cure, je ne vois pas le moment de rentrer. J’ai

hâte de retrouver ma maison, je suis pressé de reprendre mes activités favorites et,

dans mes rêves, j’imagine que je vais pouvoir partager un peu de temps avec mes

copains, à jouer à la console. Mais les choses ne se passent jamais comme je le

voudrais. Sitôt rentré, je dois me faire une raison. Je manque d’énergie et le lit est

mon plus fidèle compagnon. Il me faut à chaque fois deux jours pour reprendre un

peu de forces. L’escalier n’est rien d’autre à mes yeux qu’un parcours du combattant.

Il m’arrive parfois, quand je me repose dans ma chambre, d’utiliser le portable pour

appeler mes parents au rez-de-chaussée. Naturellement, mes besoins sont assez

limités : un verre d’eau ou un fruit le plus souvent. Mais je n’ai pas la force de me

lever. Les effets de la chimio mettent un certain temps à s’estomper et il en va de

même pour ce qui concerne le goût. J’ai l’impression de mâcher du plastique ; même

le jus d’oranges a un goût infect. Je mange très peu y compris quand on me présente

un plat dont j’ai très envie. Mes parents se montrent à l’écoute mais il n’y a rien à

faire, tout me semble écoeurant.

Page 83:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

83

Au troisième jour, les nausées se font plus rares et je retrouve en partie l’appétit.

Je peux alors sortir de ma chambre pour me rendre à la salle de jeux située à l’autre

bout du couloir. J’y passe un petit moment à jouer à Minecraft, Batman ou Star

Wars. Et puis, petit à petit, la fatigue se fait sentir et je dois regagner ma chambre où

je finis immanquablement par somnoler devant une vidéo qui, au départ pourtant, me

distrayait. Me lever ou marcher me fatigue ; prendre une douche m’épuise. Chaque

chose m’oblige à fournir de gros efforts que je paie cash dans la foulée.

Les visites se font rares. La famille et les amis sont très présents, mais toujours par

téléphone. Ils n’osent pas venir à la maison, craignant de me refiler un microbe

quelconque qui aurait tôt fait de me terrasser. Et je n’ai pas non plus à faire face aux

soins qui m’avaient été imposés sept ans plus tôt, durant ce même traitement lourd.

Après une trombophlébite cérébrale (un caillot de sang qui obstruait une veine),

j’avais dû supporter durant plusieurs mois l’injection d’un anticoagulant par piqûre

dans la cuisse que l’infirmier m’infligeait tous les jours.

Cette fois, pas de soin journalier mais des numérations, une ou deux, voire trois

fois par semaine selon mon état. Toutefois, les visiteurs qui frappent à la porte ne

viennent pas pour me distraire. Leur objectif est de m’accompagner dans mon

rétablissement et m’aider à rattraper le temps perdu en vue de jours meilleurs.

Il y a tout d’abord Mathilde, ma Kiné qui vient deux fois par semaine, parfois

trois. Mathilde alterne les séances de rééducation qui mettent ma faible mobilité et

ma pauvre résistance à rude épreuve avec des séances de massage qui me font le plus

grand bien. Dès le début, elle a annoncé la couleur, confirmant les propos des

médecins : la rééducation sera longue, faite de hauts et de bas. Il me suffit

Page 84:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

84

aujourd’hui d’écrire ces quelques lignes pour ressentir encore la fatigue provoquée

par toutes ces séances !

Les profs du collège viennent aussi me faire travailler à la maison. Dès le début de

l’année, on m’a accordé des cours particuliers et, pour le coup, je trouve qu’ils

portent bien leur nom. Je préférerais, de loin, aller au collège avec les copains et

jamais je n’aurais imaginé bénéficier de cours à domicile. Dans le meilleur des cas –

ce qui n’arrive quasiment jamais – je peux « profiter » de deux heures de maths, deux

heures de français et une heure d’anglais. Les professeurs se montrent très gentils et

attentionnés. Ils tiennent compte de ma fatigue pour adapter le travail que je dois

réaliser. Petit à petit, même si c’est parfois compliqué pour moi, je reprends

confiance et la perspective de retrouver les copains en classe de cinquième est une

excellente motivation.

Parmi les effets secondaires du traitement, les mucites buccales peuvent

certainement être rangées dans la catégorie « désagréable et douloureux ». La mucite,

c’est une inflammation de la muqueuse qui tapisse l’intérieur des joues ainsi que les

gencives, provoquée par la chimiothérapie. Elle se traduit par des lésions plus ou

moins importantes qui font atrocement souffrir quand on avale ou même quand on

déglutit. Pour atténuer les douleurs, je dois effectuer de nombreux bains de bouche et

veiller à me brosser les dents soigneusement, chose peu évidente quand les gencives

saignent.

Les phases d’aplasie soumettent toute la famille à rude épreuve. On surveille ma

température toutes les deux ou trois heures, redoutant que la fièvre ne m’oblige à un

séjour en chambre stérile. Je reste enfermé dans ma chambre, allongé au-dessus des

Page 85:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

85

draps pour ne pas avoir trop chaud. Parfois, ça marche ; parfois, la fièvre arrive

quand même.

Enfin, il y a tous ces moments où l’incompréhension est forte; j’ai en effet parfois

du mal à comprendre mes parents. Quand ils sont trop prévenants, collés à moi, j’ai

l’impression que quelque chose les inquiète et qu’ils ne veulent pas m’en parler.

Mais quand ils sont trop détendus, je pense qu’ils cherchent à me cacher quelque

chose. Difficile d’être serein quand on est enfermé dans une cage !

Page 86:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

86

La deuxième consolidation

Cette deuxième consolidation m’impose de nouveaux séjours à l’hôpital. Même si

ce sont des hospitalisations de quelques jours seulement, je suis toujours un peu triste

de quitter ma maison. Les injections ne sont pas forcément agréables et vivre branché

en permanence me prive d’une part de cette liberté à laquelle je suis devenu très

attaché. Bien sûr, je pourrais, comme d’autres le font, sortir de ma chambre pour me

rendre dans la salle de jeux ou me dégourdir les jambes dans le couloir. Mais je n’ai

aucune envie d’emporter avec moi ce pied à perfusions si encombrant pour

déambuler dans le service.

Les dates fixées pour cette deuxième phase sont assez rapprochées : du 19 au 24

janvier, puis du 28 au 31. Un rapide coup d’œil sur le calendrier me permet de

constater, avec un soulagement certain, que ces séjours comprennent un mercredi,

deux samedis et deux dimanches. Autrement dit, cinq jours où je n’aurai pas cours

puisque le prof ne sévit pas à l’hôpital. Je ne rechigne pas particulièrement pour

travailler et l’instituteur de l’hôpital est très bienveillant. Mais je n’arrive pas à me

motiver. Focalisé sur ma maladie, sur mon immobilisation, je passe l’essentiel de

mes journées à attendre que le temps passe, et je soupire souvent en constatant que

les aiguilles de la pendule avancent au ralenti.

Avant de débuter cette deuxième phase, je réalise une IRM médullaire le 15

Janvier qui montre une amélioration par rapport à la précédente.

En revanche, toutes proportions gardées, un phénomène quasi surnaturel s’abat

sur moi. Mes cheveux qui, jusque là avaient parfaitement résisté au traitement

donnent des signes de fatigue. Sur le sommet de mon crâne, ils semblent invincibles,

Page 87:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

87

mais dans la nuque, ils rendent l’âme par poignées. Du coup, sans y trouver rien de

séduisant, je ressemble à un petit oisillon tout juste tombé du nid.

Si je supporte assez bien les chimios, peu de nausées et de vomissements, tout

juste ces constipations à répétition, d’autres effets secondaires se manifestent

toutefois. C’est ainsi que le brossage des quenottes devient de plus en plus

douloureux au fil des jours. La chimiothérapie, m’expliquent alors les médecins, tue

les cellules cancéreuses certes, mais peut également avoir un effet négatif sur les

cellules normales du corps. La bouche n’est pas épargnée ; j’ai déjà donné avec les

mucites lors de ma première leucémie, mais des douleurs au niveau des gencives, des

caries, des saignements peuvent aussi se produire. Je me vois donc contraint

d’effectuer un bilan dentaire afin de déterminer si des soins adaptés doivent être

envisagés. Fort heureusement, le verdict plaide en ma faveur – pour une fois ! Les

douze dents abîmées par la chimio sont des dents de lait. Ouf ! Pas de caries

détectées. Je ne vais pas avoir à affronter la roulette effrayante d’un dentiste sadique.

Je débute cette deuxième phase par un myélogramme que je redoute un peu mais

qui se déroule sans douleurs. Je tolère bien la chimio qui m’est administrée même si

je constate que la surveillance de la diurèse est toujours aussi pénible. Je suis hydraté

en permanence, ce qui m’amène à uriner plusieurs fois par heure. Je sais que c’est le

but et que mes urines sont mesurées et contrôlées ; ça ne m’empêche pas de trouver

la situation pesante.

Le deuxième jour, un court répit m’est accordé. Je peux rentrer à la maison à

condition de revenir à l’hôpital…le lendemain ! Une nouvelle chimio m’attend,

accompagnée d’une ponction lombaire avec mon compagnon fidèle appelé

Page 88:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

88

Hypnovel. Le soir même, je regagne mon domicile puisque les trois injections

suivantes doivent être faites à Cherbourg.

Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu et la numération qui

suit la deuxième injection révèle une aplasie. Les choses prennent bien vite une sale

tournure. A la maison, je monte à 38,8° de fièvre. Un coup de fil rapide, les valises

sont jetées dans le coffre et nous prenons la direction du CHU. Je suis fatigué et

douloureux quand j’arrive à l’hôpital où on me dirige vers une chambre d’isolement

sans attendre.

Je vais finalement rester onze jours dans cette chambre stérile. Onze jours durant

lesquels je mange très peu, ce qui me conduit à perdre quatre kilos. Je reste en

aplasie fébrile durant les six premiers jours, avec des températures oscillant entre 38

et 39°. Les risques d’infection sont assez rapidement écartés puisque les

hémocultures réalisées se révèlent toutes négatives.

A ma sortie, et même si le traitement a été réalisé comme prévu dans le protocole,

les choses ne s’arrangent pas. J’éprouve certaines difficultés à marcher et je ressens

une fatigue de plus en plus marquée…A la maison, je tombe deux fois, par

maladresse il est vrai, mais aussi parce que mes muscles me trahissent. Mathilde, ma

kiné, finit même par préconiser des béquilles pour m’aider et me soulager dans mes

déplacements.

Page 89:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

89

L’aplasie

J’ai évoqué à plusieurs reprises mes angoisses vis-à-vis de l’aplasie, cette

diminution des globules blancs, et ma peur de séjourner en chambre stérile. Quelques

précisions peuvent aider à comprendre que les périodes de répit à la maison ne sont

pas toujours de tout repos.

Maman croise les doigts, papa touche du bois ; et moi, je serre les fesses. Avec

des attitudes pareilles, il est évident que ce n’est pas la franche rigolade à la maison.

Je suis en aplasie. Ça veut dire que j’ai moins de mille globules blancs. Je suis

fragile parce que je n’ai plus assez de défenses immunitaires pour me protéger.

L’aplasie est provoquée par le traitement. Comme il n’est pas possible de ne traiter

que les « mauvais » globules blancs, les médecins établissent un protocole de soins

destiné à reprogrammer la moelle osseuse. Ainsi, chaque cure de chimiothérapie

risque d’entraîner une aplasie.

Dans ce cas, de nombreuses précautions doivent être prises, tout particulièrement

en ce qui concerne mon alimentation. Je ne peux manger que des fruits qui

s’épluchent, après les avoir lavés à l’eau vinaigrée. Adieu fraises et framboises que

j’adore. De plus, je ne peux utiliser que des couverts qui sortent du lave vaisselle ou

tout juste lavés à l’eau bouillante.

Malgré toutes ces précautions, il arrive quand même que je fasse de la fièvre. Et

là, ça devient moins drôle parce que je suis aussitôt admis en chambre stérile. Si j’ai

38,5 ou davantage, je grimpe illico dans la voiture pendant que mes parents

préviennent les médecins de notre arrivée imminente. Par contre, si j’ai entre 38 et

Page 90:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

90

38,5, je préviens l’hôpital et je vérifie ma température une heure après. Et c’est

seulement lorsque j’ai toujours 38 ou plus que je dois me résoudre à aller en chambre

stérile.

Lorsque je suis en aplasie, je ne reçois pas de visites. Il ne faut pas que je coure le

risque d’attraper un microbe. Dans ces moments-là, à la maison, personne n’est

vraiment détendu.

L’aplasie, c’est un moment compliqué pour tout le monde, et particulièrement

pour mes parents. Maman se plaint que la maison est salle. Il y a des lingettes dans

chaque pièce, l’aspirateur commence à chauffer dès le matin et chaque recoin est

l’objet d’une inspection minutieuse. Mamie n’est pas en reste et s’occupe du linge,

enfin, surtout de mon linge. Lavé, repassé et stérilisé dans la foulée. Si je dois passer

quelques jours en chambre stérile, je dois emporter du linge propre dans des sacs de

congélation.

Quand je n’entends plus le bruit de l’aspirateur résonner dans la maison, et s’ils

n’ont pas un chiffon entre les mains, mes parents m’inquiétent. L’air de rien, comme

si je n’avais pas compris leur petit manège, ils s’approchent de moi et ne peuvent

s’empêcher de poser la main sur mon front. S’ils savaient à quel point ça m’énerve,

ils éviteraient ce rituel tellement ridicule et insupportable à mes yeux.

A chaque fois que je reconnais le pas de papa, je le soupçonne de dissimuler dans

son dos le fameux thermomètre dont il a tant de mal à se séparer. Et, la plupart du

temps, je me retrouve avec ce satané instrument coincé sous l’aisselle pendant cinq

minutes, chronomètre en main. Certes, je suis soulagé de ne pas l’avoir dans le c..,

sans mauvais jeu de mots ; mais il n’empêche que j’en ai ma claque.

Page 91:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

91

Parfois même, quand je suis un peu fatigué, mes parents poussent la plaisanterie

jusqu’à relever ma tension.

Un jour, c’est sûr, ils vont me faire le coup de venir me réveiller dans ma propre

chambre en portant chacun un masque et une charlotte !

Page 92:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

92

D’une chambre à l’autre

Après le séjour en chambre stérile durant la deuxième phase de consolidation, je

peux profiter de quelques jours de repos chez moi. Pendant mon absence, certaines

dispositions ont été prises et je dois me rendre à l’évidence : ma maison prend des

allures d’hôpital.

Quand je vais au CHU, je prends l’ascenseur pour accéder au premier étage, en

onco-hématologie pédiatrique. A la maison, pour gagner ma chambre, j’ai mon

Stannah : je grimpe sur le dos de papa ! L’escalier demi-tournant représente un vrai

parcours du combattant. Et dire que, quelques semaines plus tôt, j’avalais les

quatorze marches sans le moindre effort !

Les revues qui traînent sur la table basse du salon n’ont plus grand-chose à voir

avec les anciennes lectures. Il n’y a plus la moindre trace de magazines sportifs, plus

le moindre roman. Ils ont été remplacés par des revues scientifiques qui me semblent

inquiétantes si j’en crois l’air désabusé de mes parents pendant qu’ils lisent. Il faut

dire qu’ils n’ont pas opté pour la décontraction. Les articles qui les plongent dans la

plus grande perplexité concernent par exemple « La liste noire des produits

toxiques » qui nous met en garde contre les substances indésirables présentant des

risques pour la santé humaine tout autant que pour l’environnement. Quant au

dossier « Pesticides et santé », il remet carrément en cause le choix fait il y a dix ans

de venir habiter à la campagne. Le bonheur de savourer la quiétude de l’endroit est

aujourd’hui mis à mal par la quantité de pesticides et autres fongicides employés

pour améliorer les récoltes de blé ou de maïs dans les champs qui entourent notre

maison. Parfois, au beau milieu de la nuit, il arrive qu’on aperçoive les phares d’un

tracteur derrière notre maison, en train de déverser ses traitements chimiques.

Page 93:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

93

A la maison, Mathilde, vient toujours me voir trois fois par semaine. Mais ce ne

sont pas des visites de courtoisie, n’en déplaise à Philippe ! Son seul objectif est de

me rééduquer à la marche. Tout seul, j’ai du mal à me motiver pour utiliser les

appareils qu’elle m’a laissés pour que je puisse travailler seul de façon régulière.

Mathilde est vraiment sympa avec moi. Et puis on discute toujours beaucoup avec

Mathilde, de plein de choses différentes et qui m’intéressent.

Je reçois également d’autres visites. L’infirmière vient en moyenne deux fois par

semaine pour une numération. Ça me permet de savoir si je suis en aplasie ou encore

si j’ai besoin d’une transfusion de sang ou de plaquettes.

Je bénéficie aussi de cours à domicile. Les professeurs de français, mathématiques

et anglais viennent ainsi cinq heures par semaine pour me permettre de suivre du

mieux possible le programme de sixième.

Mais la comparaison avec l’hôpital ne s’arrête pas là. Pour me déplacer dans la

maison, j’utilise des béquilles. En revanche, je ne m’en sers jamais pour sortir. La

raison en est simple : je ne mets plus le nez dehors.

J’ai également à ma disposition un urinal et une chaise-pot. Çe n’est pas

franchement héroïque mais ça me facilite la vie et m’évite de nombreux efforts. Je

dispose même d’un fauteuil roulant que j’essaie d’utiliser le moins possible ; je sais

que je dois solliciter mes jambes lorsque j’en ai la possibilité. Cependant, j’y ai

quelquefois recours pour me rendre du parking à l’hôpital ou bien à la fin d’une cure,

lorsque mes jambes ne me portent plus.

Page 94:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

94

Et puis, bien sûr, il y a mes parents. Pas besoin de sonnette ; il me suffit de les

appeler quand j’ai faim ou soif, quand j’ai besoin de ma tablette ou d’attraper un

livre. Papa a pris l’habitude de me demander :

« Autre chose pour votre service, Majesté ? ».

Je lui demande de m’appeler Monseigneur. Je trouve que ça sonne mieux !

Mais j’ai prévenu tout le monde. Je n’autoriserai jamais personne à entrer un pied

à perfusions dans ma chambre. Il y a des limites, tout de même.

Page 95:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

95

La guimbarde

Les effets du traitement commencent à se faire sentir. La chimiothérapie laisse des

traces et, si le mal est enrayé, j’y laisse des plumes semaine après semaine. Mes

forces m’abandonnent petit à petit et mon moral est loin d’être toujours au beau fixe.

Je ne suis pas seul dans cette épreuve. La vieille Nissan de mes parents donne elle

aussi d’inquiétants signes de fatigue. Les nombreux allers-retours entre notre

domicile et l’hôpital entraînent quelques menus dégâts qui rendent les voyages moins

confortables.

Très rapidement, dès le mois de janvier, la climatisation nous a laissés en plan,

bientôt imitée par la ventilation. Ça n’empêche pas de rouler mais le trajet ressemble

à tout sauf à une partie de plaisir. Il nous faut trois bons quarts d’heure pour

commencer à nous réchauffer. La radio en sourdine n’intéresse vraiment personne.

Assis sur le siège passager, bras croisés sous la couverture, emmitouflé dans mon

gros manteau d’hiver, le visage dissimulé sous une écharpe et recouvert d’un bonnet,

je somnole à demi en regardant d’un œil distrait le paysage qui défile. Perdu dans

mes pensées rassemblées autour des soins qui m’attendent, je n’ai guère envie de

parler.

Quelques semaines plus tard, alors que je séjourne en chambre stérile, papa rentre

à la maison un soir, à la tombée de la nuit. Il fait la route sous une pluie fine qui

s’abat sans discontinuer. A mi-chemin, interloqué, il voit le mécanisme des essuie-

glaces céder devant ses yeux ébahis. Les balais adoptent alors deux rythmes

différents et le résultat n’est pas convaincant. Ils se tamponnent gaiement au milieu

du pare-brise dans un petit bruit sourd qui n’a rien de rassurant. Très vite, l’une des

Page 96:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

96

branches, n’en faisant qu’à sa tête, commence à passer par-dessus l’autre pour finir

par l’envoyer valdinguer à l’extérieur du pare-brise. Papa s’arrête pour constater

qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Alors, il est bien obligé de ralentir l’allure, se

faisant doubler par les nombreux véhicules qui, en se rabattant devant lui, font gicler

de grandes gerbes d’eau sur le pare-brise de la Nissan. Après un deuxième arrêt sous

une pluie incessante, papa décide d’arracher l’une des branches avant de reprendre

la route au ralenti.

Soulagé d’être arrivé à bon port, il m’appelle pour me raconter ses mésaventures

qui, je dois l’avouer, m’amusent au point d’en oublier un instant la solitude de ma

chambre d’hôpital.

Quelques semaines après cet incident, vers la fin du mois de février, alors que les

températures ne sont pas à la hausse, nous partons au petit matin vers l’hôpital où je

suis attendu à la première heure. Dissimulé sous une épaisse couverture polaire qui

me protège du froid régnant dans l’habitacle, j’essaie tant bien que mal de regarder la

route devant moi. Mais avec un seul essuie-glace qui ne balaie que la moitié du pare-

brise côté chauffeur, je renonce rapidement et je décide de me concentrer sur la

musique qui s’échappe des enceintes de la voiture.

Papa conduit d’une main. Pas vraiment comme le font les caïds au volant de leurs

bolides qu’ils pilotent un coude posé à la vitre, laissant apparaître leur bras musclé et

bronzé tout en affichant une farouche décontraction pour éviter les obstacles qui se

dressent sur le parcours. Notre « bolide » à nous ne peut masquer les limites liées à

son âge. Il peine à atteindre la vitesse requise et il n’est pas question de baisser la

moindre vitre ; il fait suffisamment froid comme ça !

Page 97:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

97

Papa tient le volant de sa main gauche. Il est avachi sur le volant, penché en avant

comme le ferait un myope dans une librairie. Dans sa main droite, il tient un chiffon

et tente d’ôter la buée qui envahit l’intérieur du pare-brise et l’empêche de discerner

correctement les courbes de la route. Il adopte une conduite excessivement prudente,

sur la file de droite, tout près du bas-côté en herbe. A l’arrière de la voiture, maman

ferme les yeux. Je ne sais pas si elle s’est assoupie ou si elle est en train de prier…

Au terme d’un trajet quelque peu éprouvant, nous trouvons enfin une place sur le

parking du CHU. Papa coupe le moteur et laisse échapper un grand soupir en

envoyant valser le chiffon sur la plage arrière. Au moins, nous ne sommes pas en

retard. Mais, en apercevant le panneau « Urgences » de l’hôpital, je me dis que cette

bonne vieille voiture aurait elle aussi bien besoin d’une révision. De toute urgence !

Page 98:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

98

La troisième consolidation

Le 15 Février, je retourne au CHU pour le bilan d’évaluation de la deuxième

consolidation. Je vais bien, les douleurs ont disparu et mon transit me fiche la paix !

Ces bonnes nouvelles en entraînent une troisième : la phase suivante peut débuter dès

le lendemain pour s’achever le 21.

A cet instant de mon parcours, il me reste cinq phases qui, toutes, vont se dérouler

sous forme de cures de six jours à l’hôpital. Ces phases se dérouleront à trois

semaines d’intervalle, périodes durant lesquelles il faudra profiter de chaque bon

moment, en guettant l’aplasie qui ne manquera pas de rôder dans les parages. En fait,

ces cures correspondent à deux phases distinctes (A et B) que je vais suivre en

alternance même si pour moi, elles se ressemblent beaucoup : fatigue, constipation,

risques de nausées, moral en berne et perte d’appétit, dans n’importe quel ordre. Il ne

s’agit donc pas vraiment d’une sinécure pour moi.

Le mardi 16 Février, je suis convoqué à 9 heures. Il n’est pas question de

contrarier Odile qui nous a demandé si on pouvait arriver un peu en avance. L’idée,

c’est que je sois « branché » avant le staff du matin pour que les soins démarrent au

plus vite. En effet, les médecins veulent s’assurer que la chimio est bien tolérée et

différentes analyses doivent être réalisées par le laboratoire, à H 36 et H 48. Je

commence à avoir une petite idée de ce que signifie l’effet papillon.

Nous quittons donc la maison à 6h45. Jamais nous ne nous sommes levés aussi tôt

pour nous rendre à l’hôpital. Forcément, un silence de cathédrale règne dans la

voiture. Je rumine dans mon coin entre deux petits roupillons pendant que maman

termine sa nuit. Seule la musique en sourdine tient compagnie à papa perdu dans ses

Page 99:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

99

pensées à moins qu’il ne soit vraiment concentré sur sa conduite. A 8h10, avec une

avance colossale sur nos temps de passage habituels, il ne nous reste plus que dix

kilomètres à parcourir. Nous ne sommes pas peu fiers de nous et déjà nous imaginons

notre arrivée royale dans le service, sous le regard admiratif de l’équipe soignante.

Et puis soudain, tout bascule. Les voitures commencent à ralentir, les feux de

détresse clignotent tout autour de nous et bientôt, nous nous retrouvons purement et

simplement à l’arrêt. Comme toujours dans ces situations particulières, il y a ceux

qui tentent de forcer le passage, ceux qui doublent en fonçant sur le bas-côté…et

ceux qui râlent. Nous parcourons dix, parfois trente mètres avant de nous

immobiliser de nouveau. Notre incompréhension grandit à mesure que l’heure file. Il

est bientôt 8h30 et nous n’avons même pas parcouru cinq cents mètres. Finalement,

un agent de police nous apprend qu’une voiture est en feu quelques kilomètres plus

loin et qu’il faudra du temps pour que la circulation soit rétablie. Nous décidons

d’emprunter une route parallèle, sans savoir où elle va nous conduire, mais au moins,

on roule ! Maman finit par joindre le service pour informer de notre retard. C’est la

honte pour nous, même si nous limitons la « casse » en nous présentant à 9h15 dans

le service.

Le séjour se déroule sans anicroche particulière. Je tolère bien la chimio et je

commence à faire l’économie de mes observations en faisant mine de me concentrer

sur la télévision. En revanche, les effets pervers des corticoïdes se manifestent pour

de bon. J’affiche un ventre énorme qui me donne une allure de pingouin et mes joues

de hamster ne s’accordent absolument pas avec ma tête de petit oiseau tout juste sorti

de son œuf.

Page 100:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

Pour le reste, si mes parents encaissent sans broncher ma mauvaise humeur,

Vincent le prof de sport et Philippe le prof de tout le reste, ne me laissent pas

tranquille. J’ai beau freiner des quatre fers, cacher ma joie ou simuler l’épuisement

total, Vincent finit toujours par m’embarquer dans des activités physiques qui

m’obligent à me bouger les fesses.

« Allez Hugo, encore un tour. Tiens, je te regarde pour voir si tu fais des

progrès. » Même Odile a choisi son camp ; impossible de rester tranquille au fond de

mon lit.

Avec Philippe, c’est un peu la même histoire. Il ne me brusque pas, me laissant

parfois même le choix de la matière que j’ai envie de travailler.

« J’ai préparé une fiche d’histoire ; mais si tu préfères, on peut faire des maths

histoire de finir ce que tu as commencé la dernière fois ».

Alors, puisque la sieste, le repos, la tranquillité, la détente ou les vacances ne

semblent pas figurer au programme, je finis par me mettre au travail.

Page 101:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

La chambre stérile

La chambre stérile, du point de vue des médecins, c’est un isolement protecteur.

Selon moi, c’est une mise en quarantaine pure et simple, durant laquelle la protection

a des faux airs de séquestration. Cependant, je dois reconnaître que la chambre stérile

est au flux ce que le collège est au pensionnat. On n’y va pas par plaisir mais on peut

profiter d’une certaine liberté. C’est d’ailleurs le souhait des médecins qui m’incitent

à me déplacer, à profiter de l’espace qui m’est réservé. Je ne réponds rien, mais avec

39 ou parfois même 39,6° de fièvre, je n’ai pas très envie de gambader ou de sauter à

la corde dans la chambre. J’ai déjà bien du mal à écouter de la musique ou rester

concentré sur un dessin animé !

L’aplasie fébrile se caractérise par une diminution des globules blancs et

l’apparition de la fièvre. Durant une aplasie fébrile, la baisse des défenses

immunitaires peut entraîner des infections relativement graves, de même qu’une

insuffisance respiratoire. Des hémocultures sont pratiquées pour déceler un éventuel

microbe et un traitement par antibiotiques est immédiatement mis en place.

Lors de mes périodes d’aplasie fébrile, je suis parfois sujet à de fortes fièvres mais

je n’ai pas de frissons. En revanche, ce qui semble logique, je suis victime de

courbatures un peu diffuses et d’une perte totale de moral. Mes parents, tout comme

l’équipe médicale, doivent s’habiller en cosmonautes pour accéder à ma chambre. Et

chaque objet introduit, qu’il s’agisse d’un livre (que je vais poser dans un coin) ou

d’un DVD doit être soigneusement désinfecté dans le sas d’entrée.

Au début de mon traitement lourd, je dois effectuer deux séjours en isolement

protecteur en raison d’aplasies fébriles. J’arrive alors à l’hôpital fièvreux, fatigué et

Page 102:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

dégoûté. Savoir ce qui m’attend ne me tranquillise pas, d’autant plus que la fièvre

peut me retenir un certain temps prisonnier en isolement.

Le premier épisode intervient très vite puisqu’il se situe en plein milieu de la

deuxième phase de consolidation. A la maison, j’ai présenté une fièvre à 38,8°. Je

vais rester en chambre stérile durant onze jours, du 24 Janvier au 4 Février. Je suis

fatigué et douloureux, sans toutefois localiser les douleurs de façon précise.

Suspendu chaque matin ou presque au résultat de la numération avec le secret espoir

que les globules blancs soient remontés, il est douloureux de s’entendre dire que

l’aplasie ne s’est pas rendue. Dans le même temps, je n’accorde plus la moindre

confiance au thermomètre qui semble s’acharner sur moi. Je reste d’ailleurs fébrile

durant neuf jours, avec des pics de fièvre compris entre 38 et 39°. Histoire de ne rien

arranger, je dois faire face à quelques diahrrées qui ne font que rajouter à mon

désarroi.

Finalement, les hémocultures reviennent négatives. Les risques d’infection

écartés, un climat plus serein peut s’installer dans la chambre même si je n’y goûte

pas trop. Durant ce séjour, je mange fort peu et, à ma sortie j’ai perdu environ quatre

kilos. Je pèse 44,6 kilos alors que j’en faisais 49 avant ma rechute. Je suis

pratiquement revenu à un poids identique à celui de ma sortie de la bulle.

A l’issue de la troisième phase de consolidation, je dois me résigner à une autre

mise en quarantaine. Je suis admis en isolement le 29 février ce qui m’amène à porter

un regard plus sévère sur les années bissextiles. J’en sors le 4 Mars, tout heureux que

cet isolement soit plus court que le précédent. En fait, je suis tombé en aplasie le 25

Février. Mes globules blancs se sont fait la malle et moi, je me suis réfugié dans mon

lit ; on ne change pas une équipe qui gagne, même quand elle vient de perdre. A la

Page 103:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

maison, c’est le branle-bas de combat. Les rares visites s’arrêtent brutalement, le

mercure du thermomètre n’a pas le temps de redescendre, le lave-vaisselle tourne

presque à vide et les gestes du quotidien sont accomplis avec les plus grandes

précautions. Dans ces conditions, je tiens bon quatre jours supplémentaires avant que

la fièvre ne fasse son apparition. Les 27 et 28 Février, les deux pics à 38° détectés ne

sont pas confirmés dans l’heure qui suit.

Le miracle a cependant ses limites et il n’est pas possible de rester ainsi sur la

corde raide plus longtemps. Le 29 Février donc, le thermomètre affiche plus de 38° à

deux reprises dans un intervalle d’une heure. Quand je débarque à l’hôpital, le regard

pétillant et la mine réjouie, j’ai de l’herpès sur la lèvre. Depuis trois jours, maman

me tartine de Zovirax pour combattre cet ennemi qui s’en prend lâchement à mon

physique en essayant de me défigurer.

Assez curieusement, durant ce second séjour en isolement, un mois après le

précédent, j’ai plutôt bon appétit. Je reçois un traitement antiviral systémique. Les

prélévements microbiologiques reviennent négatifs pour mon plus grand

soulagement. Dès le début de mon hospitalisation, les globules blancs remontent

progressivement. Je ne reçois aucune transfusion durant ce séjour finalement plus

court que ce que je redoutais. Et le jour de ma libération, je dois dire que je me sens

au taquet.

Page 104:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

.Odile a dit

Odile, c’est mon médecin. Je ne prétends pas qu’elle ne s’occupe que de moi ; je

ne sais que trop bien qu’elle accompagne des tas d’autres enfants malades. Mais, si

j’écris que c’est mon médecin, c’est parce que j’ai l’impression de la connaître

depuis toujours. J’ai même l’impression qu’elle a toujours été à mes côtés.

Odile, en effet, je la connais depuis que je suis tout petit. Je suppose qu’elle aussi

se souvient de notre première rencontre. J’avais trois ans et demi quand l’ambulance

m’avait emmené pour la première fois au CHU. Trois ans et demi et toute

l’insouciance qui s’y rattache, mais qui n’allait pas tarder à disparaître. Je n’avais

aucune conscience de ce qui m’arrivait, pas plus que de la gravité de ma maladie. A

mon arrivée à l’hôpital, j’étais sujet à de fortes fièvres qui ne m’ôtaient cependant

pas l’envie de jouer. Ainsi, lorsqu’Odile est entrée dans ma chambre, elle n’a pas eu

d’autre choix que d’esquiver les flèches de mon pistolet en plastique.

Odile m’a permis de comprendre, du haut de mes quarante mois, que j’étais atteint

d’une maladie grave. Très vite, je le crois en tout cas, je suis devenu un petit garçon

très raisonnable. Bien sûr, il m’arrive de contester parfois l’autorité ; elle est faite

pour être bafouée. Mais jamais je ne vais à l’encontre de ce qu’Odile me dit, me

suggère, me conseille ou m’impose (comme pour la diététique par exemple…).

Je dois ici préciser quelque chose qui me semble très important. Il y a quelques

années, avant ma rechute, je traversais de grands moments de doutes et j’avais besoin

d’être rassuré en permanence. C’est ainsi qu’un jour, inquiet et cherchant des

réponses à mes questions existentielles, j’avais demandé si une puissance supérieure,

Page 105:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

une force divine pourrait me soutenir dans ma guérison. J’avais besoin qu’on me dise

ce qui pourrait m’apporter une forme de sérénité.

« Dis papa, tu crois en Dieu ? j’avais demandé de façon presque anodine.

— Moi, je crois en Odile », avait répondu mon père, lisant dans mon jeu.

Dans sa bouche, la phrase avait claqué, ferme et définitive. Pourtant, sa réponse ne

m’avait pas déconcerté ; au contraire, elle avait conforté les sentiments que je

ressentais.

Odile est mon idole, ma deuxième mère, ma protectrice. Elle veille sur moi avec

beaucoup d’attention. Petit, et durant plusieurs années, elle m’appelait « Le petit

prince » ! J’avoue que j’ai toujours été fier de ce surnom. Etre comparé à cet enfant

aux cheveux d’or qui ramone des volcans et arrache des baobabs me semble flatteur.

Avec un peu de recul, j’espère qu’Odile faisait bien allusion au conte de Saint-

Exupéry et non pas aux biscuits du même nom, objets de ma convoitise…

Entre mes deux maladies, je suis régulièrement venu en consultation à l’hôpital.

C’est le mercredi qu’Odile reçoit les enfants lorsque le traitement lourd est terminé.

A chaque rendez-vous, elle m’ausculte et me questionne. Papa et maman

m’accompagnent toujours mais ils restent les plus silencieux possible. C’est moi

qu’Odile veut entendre ; elle veut que je lui dise comment je vais, comment je vis et

comment je me sens. Souvent, elle me fait des remontrances sur mon poids. Je dois

être un peu trop gourmand ?

A chaque consultation, j’apporte une boîte de gâteaux à Odile. Et jamais je ne

l’oublierai ; c’est le moins que je puisse faire. Parfois, il me vient à l’idée que je

pourrais lui offrir autre chose, de mieux ou de plus original. Et puis finalement, je me

dis que les gâteaux, c’est bien ; les malades sont heureux d’en recevoir durant leur

Page 106:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

hospitalisation, alors pourquoi pas les médecins ? En fait, je ne crois pas qu’Odile

voudrait autre chose.

Il n’y a pas très longtemps, à la fin d’une auscultation où elle avait une nouvelle

fois souligné les bourrelets recouvrant mes hanches, alors que je lui offrais la

traditionnelle boîte de biscuits, Odile m’avait adressé en souriant une remarque :

« Merci, Hugo. Mais ces gâteaux ne sont pas vraiment recommandés pour mes

fesses…

— Ben, j’avais répondu, il vaut peut-être mieux que ce soit pour les tiennes

plutôt que les miennes, apparemment. »

Même si je n’ai pas osé le faire très souvent, plaisanter avec Odile me procure une

sacrée satisfaction !

J’aime trop Odile. J’enregistre tout ce qu’elle me dit et j’en tiens compte au

quotidien. Je suis toujours vigilant dans ce que je fais. C’est ainsi que je recompte

systématiquement mes comprimés de méthotrexate avant de les avaler. Bien à jeun,

comme l’a souligné Odile. Parfois, il m’arrive de ressentir des maux de tête. Dans

ces moments-là, je refuse presque systématiquement le doliprane que me proposent

mes parents pour me soulager. Odile m’a encouragé à ne pas abuser des antalgiques,

alors j’attends ; je sais que la douleur va passer.

Quand je suis à la maison, je pose souvent les mêmes questions :

« Crois-tu qu’Odile m’autorise à manger ce que je veux ? Est-ce qu’Odile me

donne le droit de sortir ? »

J’accorde toute ma confiance à Odile. Tout au long de ma maladie, elle a été à

mes côtés et m’a toujours expliqué les choses sans chercher à me ménager. Odile ne

Page 107:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

m’a jamais rien caché et m’a annoncé les mauvaises comme les bonnes nouvelles

avec la même sincérité. Et lorsque j’ai des questions encombrantes dans la tête,

lorsque l’inquiétude est trop forte, je suis soulagé de la voir. Quand elle rentre dans

ma chambre, je sais déjà qu’elle va m’apporter des réponses et calmer mes

tourments. Elle prend soin de me parler simplement, choisissant ses mots pour que je

comprenne bien ce qu’elle me dit. Et même, il arrive que certains mots savants ne me

soient plus inconnus. Je maîtrise à présent le rôle des neutrophiles qui m’ont coûté

quelques jours d’hospitalisation supplémentaires.

Odile peut ainsi m’annoncer qu’elle et ses collègues ont de bonnes chances de me

guérir… mais que ça va être long et douloureux. C’est aussi elle qui est venue

m’annoncer ma rechute en salle de réanimation. Odile est toujours là, toujours à mes

côtés, et je suis sûr qu’on est nombreux à ressentir la même chose. Odile nous

protège.

Même lorsqu’une mauvaise nouvelle vient de tomber – et il y en a eu quelques-

unes malgré tout – je ne pleure jamais devant Odile. Je veux me montrer fort quand

elle est là. Je pleure plus tard, tout seul ou avec maman quand elle est dans ma

chambre.

Odile n’a pas d’enfants. Non, Odile a tous les enfants malades et c’est elle qui

veille sur eux. Odile adore les chats. Moi, j’en ai un que j’ai appelé Peter. Ça nous

fait un point commun autre que la maladie.

Comme je l’ai écrit, Odile est mon idole. Mais comment pourrait-il en être

autrement ? Je me souviens d’un matin où, alors que je suis tout petit et déjà malade,

j’ai très mal à la tête. Une douleur atroce, insupportable, qui ne fait que s’accentuer.

J’ai aussi beaucoup de fièvre. Pascale, l’aide-soignante, me tient dans ses bras et me

Page 108:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

câline. La douleur devient diffuse et une certaine effervescence ne tarde pas à envahir

la chambre. Papa et maman arrivent enfin mais je les vois à peine. Dans son bureau,

Odile semble rouspéter au téléphone. Finalement, on m’emmène passer une IRM en

urgence. Quand je reviens, Odile m’attend. Elle a déjà connaissance du résultat et,

attrapant précipitamment la seringue que lui tend l’infirmière, elle m’injecte un

produit.

Ce jour-là, j’en suis sûr, Odile m’a sauvé la vie.

Ce jour-là, une trombophlébite due à la chimio m’avait terrassé et mettait ma vie

en danger.

Bien sûr, je n’avais pas encore fêté mes quatre ans et je ne suis pas totalement sûr

que tout se soit réellement passé comme je me l’imagine. Mais il me reste un

sentiment de reconnaissance infinie lié à ces images qui sont bien réelles.

Avant ma dernière cure, à la maison, j’ai réalisé un dessin pour les médecins :

Odile, Mariana et Damien. Je les ai représentés en mangas parce qu’eux-aussi ont des

super pouvoirs. Eux-aussi sont des héros. En tout cas, ce sont mes héros.

Plus tard, quand je serai grand, je serai peut-être médecin, comme Odile. Mais j’ai

peur d’être trop sensible, de ne pas adopter la bonne attitude, de ne pas supporter le

poids des responsabilités… Et puis il faut faire de longues études et mine de rien, ça

représente du temps et du travail. Je ne suis pas sûr d’être assez patient pour y

arriver… Pourtant, patient, ça me connait !

Alors, je serai peut-être infirmier, pour être au contact des enfants et bavarder

avec eux pendant les soins, comme Anthony . Mais pour ça aussi, il faut être fort…

Page 109:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

10

Pas grave, je pourrai devenir aide-soignant pour être proche des enfants malades

et les réconforter. Les aide-soignants nous consacrent beaucoup de temps quand on

est hospitalisé…

Enfin, je ne sais pas trop encore, on verra. Je serai peut-être pâtissier et je me

réserverai le temps d’aller moi-même porter mes gâteaux à Odile et à toute l’équipe

médicale.

Page 110:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

La quatrième consolidation

Le 9 Mars, cinq jours après avoir quitté la chambre stérile, je reviens au CHU

pour réaliser l’IRM d’évaluation et le myélogramme. C’est un peu comme une

routine, un exercice auquel je suis habitué, sauf que de nombreux imprévus peuvent à

tout moment remettre en question le déroulement programmé. Et certains signaux

m’ont alerté lors des jours précédents.

C’est ainsi que, durant ma courte période à la maison, je ressens des douleurs

fluctuantes dans les genoux. Ces douleurs sont certes supportables mais, le genou

étant l’une des articulations les plus sollicitées du corps humain, elles me

handicapent. J’ai d’abord mal au genou droit, puis vient le tour du gauche. Mathilde

ma kiné me prescrit une genouillère. En plus de ses similitudes avec l’hôpital, la

maison présente également toutes les caractéristiques d’une pharmacie ; c’est même

carrément la maison du malade ! Fauteuil roulant, béquilles, corset, genouillère…le

stock commence à être bien achalandé, c’est le moins qu’on puisse dire.

Dès le lendemain du bilan d’évaluation de la consolidation n° 3, je suis de

nouveau accueilli dans le service pour la réalisation de la quatrième consolidation.

Cette cure qui se déroule du 10 au 15 Mars est différente de la précèdente : il n’y a

pas de sortie prévue avant son terme. Je dois donc prendre mon mal en patience

d’autant que, s’il y a bien un week-end au milieu de mon séjour, je sais que Philippe

et Vincent ne vont pas manquer de se rappeler à mon bon souvenir. J’ai

volontairement oublié mes stylos à la maison et il y a bien longtemps que mes pieds

n’ont pas aperçu l’ombre d’une paire de chaussures de sport. Je me doute toutefois

que ces précautions de base seront insuffisantes face à la force de frappe de ces deux

gaillards qui ne renoncent pas si facilement.

Page 111:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

Le traitement administré pendant cette phase est un peu différent. Je tolère bien la

chimio avec une hyperhydratation alcaline – j’apprends ainsi que l’eau alcaline

hydrate mieux - associée à de l’acide folinique. Je passe le plus clair de mon temps le

« pistolet » à la main, ce qui permet à l’équipe médicale de mesurer de façon

régulière l’acidité de mes urines.

Je ne reçois pas de transfusion durant cette cure. En revanche, je suis plus fatigué

et mon poids continue à faire le yoyo. Par contre, ma température, ma tension

artérielle et mon pouls se portent comme des charmes.

Le dimanche 13 Mars, je me plains de ma vue qui me joue des tours. Après un

rapide examen au cours duquel on me demande de fermer un œil puis l’autre, il

apparait que ma vision est floue dans les deux yeux. Cela ne m’empêche cependant

pas de lire ; de toute façon, je ne lis pratiquement jamais quand je suis à l’hôpital.

Le lendemain, la numération réalisée plaide en ma faveur. Globules blancs,

globules rouges et plaquettes : tout est dans les clous.

Je quitte le service le 15 et le contrôle de la numération est fixé au 18. Les

médecins m’apprennent également qu’il n’y aura pas de bilan d’évaluation avant la

prochaine cure. La prochaine IRM d’évaluation ne sera en effet réalisée que juste

avant le début du traitement d’entretien.

L’aplasie est moins longue que les précédentes et aucun épisode fièvreux ne vient

perturber mon séjour à la maison.

Page 112:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

Un aller-retour à l’hôpital

Vous l’avez compris, les séjours à la maison ne sont pas forcément de tout repos.

L’épée de Damoclès qui rôde au-dessus de ma tête s’appelle chambre stérile. Ainsi,

quand les globules blancs ont fondu comme neige au soleil suite aux chimios reçues,

les périodes d’aplasie n’autorisent pas vraiment les moments de parfaite sérénité. La

fatigue se fait bien sûr ressentir et je passe le plus clair de mon temps au fond de mon

lit. Mais, malgré la plus extrême prudence, il arrive que la fièvre s’invite dans la

partie. Et là, c’est une autre chanson. L’aplasie fébrile me conduit sans perte de

temps à l’hôpital où je suis conduit jusqu’à une chambre d’isolement. Et là, le temps

s’étire indéfiniment, soumettant mon courage à rude épreuve.

J’ai évoqué un peu plus tôt mes différents séjours en chambre stérile. Malgré les

efforts de l’équipe soignante qui déploie des tonnes de bienveillance, ces séjours se

distinguent des réservations de vacances, notamment parce qu’en plus des différentes

contraintes, leur durée est indéterminée. Toutefois, avec un peu de recul, je garde en

mémoire une autre admission en catastrophe qui m’a presque laissé un bon souvenir.

Je suis à la maison, tranquille-peinard entre deux cures. Il faut dire que la maladie

et les nombreux séjours à l’hôpital ont développé en moi une forme de seconde

nature : si parfois même, je dois me faire violence pour ne pas abdiquer, je suis

raisonnable avant tout. J’ai cultivé cet état d’esprit à force de côtoyer des adultes,

souvent en blouse blanche, qui m’ont indiqué la voie à suivre. Ecouter leurs conseils

m’a été profitable et aujourd’hui encore, j’ai du mal à me lancer si je ne sais pas

précisément où je vais retomber. Donc, entre deux cures, je n’ai pas pour habitude de

faire des folies et encore moins de prendre des risques.

Page 113:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

Au bout de quelques jours cependant, une fatigue de plus en plus forte se fait

ressentir. Dans ces moments-là, je ne quitte pour ainsi dire plus mon lit. Je n’ai pas

trop la pêche mais j’ai la naïveté de croire que je peux éviter l’isolement si je me

montre encore plus prudent. Mes parents sont aux petits soins pour moi. Ils prennent

toutes les précautions d’usage dans cette phase où mes défenses immunitaires m’ont

abandonné. Les regards se veulent complices mais l’inquiétude est aussi visible que

le nez au milieu de la figure. J’apprécie leurs attentions même si je sais qu’ils sont

aussi nerveux que moi. Incapables de s’approcher sans résister à la tentation de me

toucher le front, ils prennent ma température de plus en plus souvent, poussant un

soupir de soulagement à chaque fois que le résultat affiché m’est favorable. Les

couverts sont lavés à l’eau bouillante, les fruits sont proscrits.

Mais il est difficile de lutter contre la fièvre, surtout quand on est sur un fil, sans

filet de surcroit. Et ce jeudi soir, à 19h30, le thermomètre rend son verdict et la

sanction tombe, implacable et presque attendue finalement : 38,2° de fièvre. Pas de

grands discours au programme, on sait quelle attitude adopter dans ces cas-là. Et

donc, ma mère contacte le CHU pour prévenir l’équipe médicale. L’heure de répit

qui m’est accordée avant de me recoller le thermomètre sous l’aisselle n’est pas

vraiment joyeuse. Le silence règne dans la maison ; depuis ma chambre, j’entends

mes parents qui s’activent pour préparer les sacs, anticipant un départ auquel ils

semblent s’être résignés.

Dans mon coin, blotti sous la couette, je croise les doigts même si je ne me fais

guère d’illusions. Et une heure plus tard, le thermomètre se montre implacable : la

fièvre est toujours présente. Je n’ai pas d’autre choix que de filer prendre une douche

puisque je sais que je vais être admis en secteur stérile. Les sacs sont entassés dans le

coffre en quatrième vitesse et je m’installe sur mon siège, enveloppé dans une

Page 114:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

couverture reçue à Noël. Il est vingt et une heure trente et la route est dégagée.

Fidèle à mon habitude, je ne décroche pas un mot, ce qui n’empêche pas les

questions de se bousculer dans ma tête.

Nous arrivons à l’hôpital à vingt-trois heures et un silence inhabituel règne dans

les couloirs. L’équipe de nuit a pris son service et les enfants hospitalisés sont pour la

plupart endormis. Je suis immédiatement admis en isolement, une nouvelle fois dans

la chambre 406 où une prise de sang est aussitôt pratiquée. Mes parents enfilent la

fameuse tenue jaune et me rejoignent pour attendre l’arrivée du médecin de garde.

Quelques minutes plus tard, Damien vient m’ausculter. Il a pris le temps de consulter

le protocole de soins et m’annonce dans un sourire que cette aplasie ne devrait pas

durer très longtemps car la dernière chimio remonte déjà à plusieurs jours. Bien sûr,

je savoure cette information mais je reste quand même prudent. Les mauvaises

nouvelles ont pour habitude d’arriver sans prévenir.

Mes parents restent à mes côtés. Malgré mon mutisme, ils ne souhaitent pas

m’abandonner et font tout leur possible pour me rendre le sourire. Nous discutons un

long moment ; les propos de Damien me sont répétés une bonne demi-douzaine de

fois et je pense être le seul à encore ressentir des doutes.

A minuit et demi, la porte de la chambre s’ouvre à nouveau et Damien apparait.

« Hugo ! C’est sympa d’être passé nous faire un petit coucou. Mais t’étais pas

obligé. »

Je ne comprends rien à ce qu’il dit et même je me demande si c’est à moi qu’il

s’adresse. Devant ma stupéfaction, Damien se voit obligé d’apporter quelques

précisions.

Page 115:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

« Je viens d’avoir les résultats de ta numération. Les globules blancs sont

remontés et donc, tu n’es plus en aplasie. C’est pour ça que je te dis que tu n’étais

pas obligé de venir nous voir. »

Soucieux de ne pas me faire une fausse joie, je réclame des précisions que Damien

me donne en riant.

« Tu vas passer la nuit ici mais dès demain matin, tu pourras rentrer chez toi. »

Cette fois, le message est passé. Je regarde mes parents avec une petite étincelle

dans les yeux. Ils ne tardent pas à me quitter et je suis rapidement emporté par le

sommeil.

Et le lendemain, en milieu de matinée, sur le trajet du retour, on n’entend que moi

dans la voiture.

Page 116:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

La cinquième consolidation

Les deux semaines passées à la maison me font le plus grand bien. Je réussis

même à rassembler assez d’énergie pour mettre le nez dehors à deux ou trois

reprises. Et puis, à mesure qu’approche la date fatidique de la cure qui se profile, je

me retranche de nouveau dans ma chambre. Je dois me rendre au CHU du 30 Mars

au 4 Avril.

Les cures se succèdent et je n’en vois pas le bout. Cocher les phases réalisées sur

le calendrier ne suffit pas à me remonter le moral. L’issue me semble encore si loin,

et même si les étapes sont franchies les unes après les autres, je doute de mes

capacités de résistance. Les mêmes interrogations me traversent l’esprit et je n’ose

pas les répéter aux médecins qui m’ont déjà rassuré à plusieurs reprises. Je ne sais

pas si je veux préserver mes parents ou si leurs réponses ne me satisfont pas. Je sais

qu’ils veulent me protéger, me rassurer ; du coup, je doute même de ce qu’ils me

disent, je ne sais pas s’ils seraient en mesure de m’annoncer une mauvaise nouvelle.

L’attitude développée à la maison et expérimentée par instants lors des cures

précédentes, porte ses fruits et je n’ai aucun mal à me murer dans le silence dès mon

arrivée dans le service. J’ai bien conscience qu’autour de moi, tout le monde fait son

possible pour que je me sente bien, mais il n’y a rien à faire. J’aimerais être de

meilleure composition mais je n’y parviens pas. En même temps, c’est moi le malade

et je doute que quelqu’un puisse se mettre à ma place et comprendre ce que je

ressens. Je veux seulement dormir et que le temps qui me sépare de la sortie passe

plus vite. L’après-midi, dès que je le peux, j’enfonce ma tête dans l’oreiller, je me

recroqueville sur le lit et je cherche le sommeil. Durant la soirée, je regarde d’un œil

distrait des programmes dont l’intérêt m’échappe mais qui m’évitent de cogiter. Les

Page 117:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

rediffusions d’émissions telles que « Un dîner presque parfait », « Pawn stars » et

quelques dessins animés m’aident à tuer le temps car je n’ai pas d’autre intention.

Mon voisin de lit reçoit beaucoup de visites. Il est fatigué lui aussi et la chimio le

rend malade au point de vomir. Pourtant, il trouve la force de bavarder avec sa

famille. Il se soucie de ce qui se passe à la maison, il prend des nouvelles. Je l’admire

un peu parce que, moi, je suis bien incapable de me passionner pour quoi que ce soit.

Et ce qui se passe en mon absence n’a aucun intérêt à mes yeux.

Le troisième jour, j’ai un bon de sortie, une sorte de récompense parce que j’ai

bien éliminé la chimio. Deux jours complets à la maison : c’est le pied, même si je ne

déborde pas d’énergie. Je n’ai pas d’envie particulière, je profite juste de mon lit et,

de temps en temps, de ma console de jeux. Dès qu’un bruit de pas se fait entendre,

j’imagine mes parents rappliquer avec le thermomètre. Je n’ose pas leur dire, mais ils

me stressent. Et pourtant, je ne suis pas en aplasie et ils se contentent de venir aux

nouvelles.

« Alors, comment tu te sens ?

— Bien.

— Qu’est-ce que tu fais de beau ?

— Rien de spécial ?

— As-tu besoin de quelque chose ?

— Non.

— Veux-tu qu’on t’emmène quelque part ?

— Non . »

Je ne suis pas très bavard et, pire, je n’ai aucune envie de faire des efforts. Mes

parents ont un peu de mal à comprendre mais ils respectent mon mutisme et mon

Page 118:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

besoin de solitude. J’ai juste besoin qu’on me laisse tranquille. Je savoure ma liberté

retrouvée, bien que je ne sois pas particulièrement euphorique. Débarrassé de mes

perfusions, libre de mes mouvements, je vais de la chambre à la salle de jeux, ce qui

suffit à mon bonheur du moment.

Je ne reviens à l’hôpital que pour un jour et demi. Une seule nuit au CHU, je suis

en mesure de le supporter. La proximité du départ m’apporte un peu de réconfort et

je consens à lâcher quelques mots, par ci, par là.

A la sortie de cette cure, aussitôt cochée sur le calendrier, l’aplasie est très courte,

comme après la phase précédente. Je n’ai pas de fièvre et donc je ne ressens aucune

inquiétude quant à un éventuel séjour en chambre stérile qui pourrait me tomber

dessus à n’importe quel moment. Il suffit parfois de peu de choses pour rendre un

garçon heureux.

Page 119:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

11

La chance s’emmêle

Même si j’ai parfois du mal à y croire, il semblerait bien que la vie au-dehors ne

se soit pas arrêtée pendant la durée de mon traitement. J’ai pris l’habitude de vivre

enfermé, que ce soit à l’hôpital ou à la maison, et je passe le plus clair de mon temps

allongé dans un lit. Alors, forcément, je suis un peu coupé du monde et je n’ai plus

trop conscience de cette agitation qui règne un peu partout. Les enfants vont à

l’école, les adultes se rendent au travail et tout ce petit monde discute, rigole,

échange, pleure, se console, rédige des documents, échaffaude des plans, prépare les

vacances ou tire des plans sur la comète. Et moi, sans en avoir pleinement

conscience, je suis absent des débats.

Malgré tout, s’il est un moment où je suis incapable de masquer mon impatience,

c’est le jour de la sortie d’hôpital.

Je n’ai qu’une idée en tête : regagner ma maison et goûter à ma liberté retrouvée.

Il n’y a rien de franchement ambitieux là-dedans mais quitter le lit de l’hôpital pour

retrouver ma chambre n’a rien d’anodin pour moi. Je ne parle pas que de la

nourriture d’ailleurs. A la maison, je ne suis plus branché ; je peux donc me déplacer

à ma guise même si je ne m’éloigne jamais trop loin de mon lit. Et puis je ne suis

plus en hydratation constante et je ne réclame pas le pistolet toutes les demi-heures.

Plus de corticoïdes qui favorisent les insomnies et augmentent l’appétit ; et plus de

chimios non plus, ça change quand même un peu la vie.

Je sais qu’il va me falloir une ou deux journées pour reprendre des forces mais au

moins, je peux me reposer tranquillement dans mon lit.

Page 120:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

Seulement voilà, c’est toujours la même histoire, c’est toujours quand on est

pressé qu’un obstacle inattendu se dresse sur notre route. Cette situation s’est

produite à deux reprises, à chaque fois alors que je regagnais ma maison pour un

repos que j’estimais bien mérité.

La première fois, c’est une manifestation des agriculteurs qui nous fait perdre un

temps précieux. Je n’en suis qu’au tout début de mes cures et, ayant éliminé le

méthotrexate j’ai droit à une journée de permission. La cure est ainsi coupée en deux,

ce qui je l’avoue, me convient. Sur le périphérique, toutes les bretelles d’accès à la

nationale sont barrées. Les agriculteurs mécontents bloquent les routes et déversent

des bennes de fumier à divers endroits. On se retrouve perdus en pleine nature.

Naturellement, notre vieille guimbarde n’est pas équipée de GPS. Nous n’avons pas

d’autre choix que de faire confiance au chauffeur. Et là, je dois dire que le sens de

l’orientation de mon père est assez proche d’un alzheimer abandonné au milieu d’un

labyrinthe végétal… On passe ainsi une partie de l’après-midi à chercher notre

chemin en écoutant les nouvelles à la radio. Les événements sont commentés en

direct et c’est ainsi que j’apprends les raisons de cette manifestation : les agriculteurs

sont mécontents de leurs faibles revenus de l’année précédente et réclament l’aide du

gouvernement. On évoque le chiffre de 25 000 exploitations en difficulté. Je

comprends que le mouvement risque de se prolonger et qu’il nous faudra en tenir

compte pour nos nombreux déplacements. Finalement, alors qu’une certaine tension

s’est installée dans la voiture, nous finissons enfin, après de nombreux détours, à

retrouver notre chemin. L’après-midi est bien entamée et le séjour à la maison est

déjà sérieusement amputé.

La seconde fois, alors que j’en ai terminé avec la deuxième cure, c’est un incident

mécanique qui va carrément nous faire perdre une après-midi. Papa a constaté un

Page 121:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

bruit suspect, en se rendant à l’hôpital le matin. Par prudence, il décide de rouler

tranquillement, conservant une distance de sécurité quelque peu exagérée avec les

voitures qui nous précèdent. Je commence à me demander si, à cette vitesse ridicule,

on va être rentrés avant la tombée de la nuit, quand un bruit apporte une réponse à

ma question et confirme mes doutes. Sous nos yeux ébahis, nous voyons une pièce

métallique traverser la route pour finir sa course sous la barrière de sécurité. Et nous

voilà immobilisés sur le bas-côté. J’ai froid, je suis fatigué ; je me sens maudit.

Assis sur le siège passager, je ressasse des idées noires. Je maudis la voiture, je

maudis la chimiothérapie, je maudis la leucémie. Je me demande ce que je fais là et

j’en veux à la terre entière. Pourquoi des incidents comme ça tombent-ils toujours au

mauvais moment ? C’est à croire que tout se ligue contre moi… Maman est aux

petits soins mais je ne parviens pas à faire le moindre effort. Je n’ai pas envie d’être

là, immobilisé, alors que les voitures nous passent sous le nez sans le moindre

problème. Finalement, la dépanneuse se pointe et notre satanée bagnole est hissée sur

la remorque. Je comprends que je vais encore rentrer fort tard quand, alors que je ne

m’y attendais pas le moins du monde, j’aperçois devant moi la grande tour du CHU

quittée deux heures plus tôt. Aucun doute, la dépanneuse a bien fait demi-tour pour

repartir en direction de Caen. Une demi-heure plus tard, la vieille Nissan est déposée

dans la cour d’un garagiste qui va s’occuper de la remettre en état. Quant à nous,

nous patientons encore un peu. L’assistance a fait les démarches pour nous et un taxi

se présente enfin. C’est dans une belle voiture, puissante et confortable, que nous

rentrons enfin chez nous. Je suis soulagé de retrouver ma maison mais ces

contretemps m’ont épuisé et gâchent en partie la joie que je suis censé ressentir. Je

regagne ma chambre sans traîner et je m’affale sur mon lit. Le cauchemar a pris fin.

Page 122:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

Trois jours plus tard, mes parents retournent à Caen récupérer la voiture. Je crois

comprendre qu’il s’agissait d’un problème de roulement, ou un truc du genre. C’est

chouette de la savoir encore en vie mais je ne suis qu’à moitié rassuré. Quelles

surprises va-t-elle encore nous réserver ?

Page 123:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

La fièvre fait des siennes

La nouvelle tant redoutée tombe brutalement le 11 Avril : je suis en aplasie. Avec

seulement 820 globules blancs, il n’est pas question de prendre de risques. D’autant

plus que, pour confirmer ce diagnostic imparable, j’apprends aussi que les globules

rouges sont si bas qu’une transfusion sera peut-être nécessaire. Et pour couronner le

tout, les plaquettes ont, elles-aussi, sérieusement dégringolé. C’est un éternel

recommencement certes, mais je ne parviens pas à m’y faire.

Dans ces moments, auxquels je suis hélas habitué, je garde le lit. La seule

perspective de me retrouver en chambre stérile est dissuasive. Bien sûr, j’aimerais

voir du monde, passer du temps avec les copains et m’amuser. Mais je suis assez

conscient des risques pour ne pas avoir envie de jouer avec le feu. Rester seul, avec

mes faibles défenses, ne m’autorise pas à des folies. Et chaque visite comporte des

risques. Comme je ne souhaite pas attraper un microbe qui me conduirait illico à

l’hôpital, je me résigne à rester seul. Mes parents surveillent ma température de façon

si régulière que ça en devient pénible.

Fort heureusement, l’aplasie est de courte durée. La numération réalisée trois jours

plus tard m’apporte une réponse encourageante. Sorti d’aplasie, je peux reprendre

une vie normale, du moins à la maison. On évite cependant les visites trop

nombreuses mais on n’a plus besoin de laver les couverts à l’eau bouillante avant de

manger ou de prendre une multitude de précautions avec la nourriture.

Mais quelques jours plus tard, c’est une tout autre chanson qui se fait entendre. La

fièvre fait son retour. Je n’ai eu que quelques heures de tranquillité. C’est comme une

douche froide, un rappel à l’ordre qui me dit :

Page 124:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

« Mon petit bonhomme, fais pas trop le malin. C’est pas toi qui as la main. »

Durant la matinée, je « monte » à 39 de fièvre ; maman a rendez-vous chez le

médecin pour renouveler son ordonnance – dans la famille, on a une relation

privilégiée avec le corps médical ! Elle fait donc part de cet « épisode » à Edith qui

réagit aussitôt.

Edith trouve que la température est trop élevée et ne veut pas attendre davantage,

d’autant que je n’ai pas trop de neutrophiles. Elle contacte donc le CHU qui demande

à ce que je vienne au plus vite. Cette annonce ne me surpend pas mais ne me réjouit

pas non plus. Je sais déjà qu’une chambre va m’être réservée à mon arrivée et que je

vais avoir droit, pour le moins, à une auscultation et à un prélévement sanguin.

Quand j’arrive à Caen, on m’installe dans l’hôpital de jour, ce qui peut être

considéré comme un bon début. Je ne suis pas admis dans le service et tous les

espoirs (de sortie rapide) sont donc autorisés. C’est Odile qui m’accueille et, comme

je m’y attendais, elle m’ausculte. Une infirmière vient faire un prélévement pour une

hémoculture puis on attend le résultat de la numération. Mais une information de la

plus haute importance vient changer la donne : ma température est retombée, je n’ai

plus de fièvre.

L’attente ne dure guère. Odile revient me voir. Fausse alerte ; tous les signaux

sont au vert et je peux regagner ma maison ! Je tente de masquer ma joie comme je le

peux mais je ne traîne pas pour me rhabiller. Je n’ai pas la moindre envie de

m’attarder plus longtemps. Et puis, bien sûr, je me passerais bien de ces frayeurs et

de tout ce temps passé à l’hôpital, suspendu aux résultats de ces prélèvements qui

décident de mon sort.

Page 125:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

La sixième consolidation

J’ai beau savoir qu’il s’agit de mon avant-dernière cure, ça ne m’empêche pas

d’avoir le moral dans les chaussettes. Ça fait presque six mois que le traitement a

débuté et je n’en vois pas l’issue. Les médecins, tout comme mes parents, ont beau

m’inciter à regarder le chemin parcouru, ça ne suffit pas à me redonner le moral.

Je sais que, pour cette cure, je vais être coincé à l’hôpital pendant six jours et

qu’aucun bon de sortie ne me sera accordé. Six jours à l’hôpital, c’est très long

surtout quand le traitement a débuté depuis plus de six mois. L’équipe médicale est

aux petits soins avec les malades et j’ai confiance en eux. Pourtant, je ne parviens pas

à me faire une raison. Je sais que la chimio va provoquer des nausées ou occasionner

une nouvelle constipation. Et je sais aussi que je ne vais pratiquement rien manger.

A mon arrivée, un samedi, Damien m’ausculte et me fait faire quelques petits

tests. Si mes quadriceps sont revenus pratiquement à la normale, notamment du côté

gauche, il constate que les releveurs du pied (gauche essentiellement) ne répondent

pas normalement. Je suis incapable de marcher sur les talons. Pire, en station debout,

appuyé contre le mur, je ne parviens pas à décoller l’avant pied du sol.

Ce problème entraîne une anomalie de la marche. La pointe du pied est

exagérément abaissée et je suis obligé de relever très haut le genou pour éviter de

toucher le sol avec le bout de mon pied.

Damien m’explique que ce n’est pas dû à la maladie, ni à l’opération. C’est lié au

traitement. L’une des chimios se répercute sur les membres périphériques et, dans

mon cas, affaiblit mes muscles releveurs. Il décide donc de supprimer l’Oncovin

Page 126:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

pour cette cure et m’invite à en parler avec Mathilde la kiné dès mon retour, pour

qu’elle adapte ses exercices de rééducation.

Je passe le week-end à me morfondre au fond de mon lit pendant que se succèdent

les différentes chimios. De temps à autre, dans un accès de vitalité aussi bref

qu’inattendu, je me redresse pour jeter un œil à l’écran de télévision ou surfer sur le

Net. Mais ces subterfuges ne durent guère et je finis toujours par me rallonger sous le

drap.

Le lundi, je ressens à nouveau des troubles de la vue. Je vois flou. Je repousse

mon ordinateur et me concentre un moment sur la télévision. Mais bien vite, j’en ai

marre et je décide de me reposer. Je reste prostré sur mon lit, les bras croisés sur la

poitrine et les yeux clos, en attendant que le temps passe.

Quand j’évoque ce trouble de la vision aux médecins, ils me disent qu’il s’agit

vraisemblablement d’un effet secondaire d’une chimio, l’Ifosfamide, qui m’est

administrée tous les jours. Décidément, avec l’Oncovin, les deux font la paire et ne

me ménagent guère.

Par précaution, l’équipe médicale me prend un rendez-vous avec le service

ophtalmologique du CHU.

Un rendez-vous est rapidement fixé  et, dès le mercredi, je me rends dans l’ancien

hôpital avec mon pied à perfusions qui s’avère fort encombrant. Je n’en reviens pas

de voir la foule qui se presse dans le hall, entre les visiteurs et les malades qui, tous,

ont un air préoccupé. Et malgré la présence de plusieurs ascenseurs, l’attente est très

longue pour enfin pouvoir se glisser à l’intérieur et accèder à l’étage prévu.

Page 127:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

Je suis reçu par un interne qui pratique un examen méticuleux et très long, qui

dépasse de loin la capacité de résistance de ma vessie soumise à rude épreuve par

l’eau alcaline. A l’issue de cet examen, il décide de me mettre des collyres dans les

yeux afin de procéder à un nouveau fond d’œil.

Il constate une certaine fatigue de mes yeux et, même si l’examen est bon (10

dans chaque œil s’il vous plaît) il propose une correction, pensant que je « force » un

peu ma vue. Je devrai porter des lunettes qui m’éviteront de trop forcer.

Nous patientons dans la salle d’attente en attendant que l’interne rédige sa

prescription. Mais quand il revient, il n’a à la main qu’un petit bout de papier où

figure un numéro de téléphone. Il nous explique qu’il est allé consulter la chef de

service. La correction proposée est minime et donc, il est raisonnable d’attendre un

peu. J’échappe aux lunettes, d’autant que la chimio ne semble pas étrangère à mon

trouble, et je devrai revenir en consultation dans les trois mois à venir. Avant de

quitter le service et nous faufiler dans la cohue, nous nous arrêtons donc au

secrétariat et prenons rendez-vous pour la fin de l’été.

Le jeudi matin, je me réveille tôt et je suis rapidement sur le pied de guerre. La

cure est enfin terminée et, malgré ces légers contretemps, je vais pouvoir regagner

mon domicile.

Les quinze jours qui suivent se déroulent sans encombres. Je ne fais pas d’aplasie

du tout !

Mathide vient deux à trois fois par semaine. Tout en s’acharnant sur mes

releveurs, elle m’apprend à faire des bulles avec des malabars. Les séances sont plus

drôles ainsi même si je sais qu’il me va falloir du temps…pour la marche en tout cas.

Page 128:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

La presse pupil

A mon retour de l’hôpital, après mon avant-dernière cure, une agréable surprise

m’attend. La boîte à lettres est remplie de courrier et je comprends, au nombre de

missives, que mes parents entretiennent des rapports réguliers et sans doute riches

avec le trésor public, la caf, edf… J’entends déjà leurs soupirs et leurs lamentations

quand ils découvriront des lettres de rappel, des majorations voire des mises en

demeure. Ces drôles de courriers ne contiennent le plus souvent que deux

informations importantes (une date et un montant à payer en règle générale)

facilement repérées en quelques secondes. Pourtant, ils provoquent

immanquablement une longue méditation de la part de mes parents, quand ce n’est

pas tout bonnement un profond dépit. Mais au beau milieu de ces enveloppes

administatives (aucune carte postale, encore moins d’invitation), une pochette

plastique contient des documents qui me sont destinés.

Il s’agit du numéro de mars 2016 du « P’’tit Castillonais », le journal de mon

collège. En effet, mon collège s’appelle Le Castillon et se trouve à Les Pieux, une

commune du département de la Manche. De la racine latine podium signifiant le plus

haut, Les Pieux est la plus haute commune du Cotentin. Voilà une information qui ne

manque pas d’intérêt. Il est parfois bon de prendre un peu de hauteur, n’est-ce pas ?

Cet exemplaire consacre une large part au cross du collège dont j’ai déjà eu

l’occasion de parler un peu plus tôt. Naturellement, mon nom ne figure pas au

palmarès, tout comme je suis absent des photos qui rassemblent les cinq premiers des

différentes catégories. Je ne suis pas non plus concerné par les différentes activités

sportives auxquelles je n’ai d’ailleurs même pas participé, telles que le tournoi de

Page 129:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

12

foot-hand ou le stage de surf. Je ne me suis pas non plus illustré dans les chroniques

culturelles ni même les recettes de cuisine.

Pourtant, la moitié de la page 5 m’est consacrée. Un triomphe, surtout pour moi

qui suis en passe de battre le record d’absentéisme (je frôle en effet les 200 demi-

journées !).

Comprendre la leucémie

Dans notre classe, en 6C, nous avons un camarade atteint d’une grave maladie : la leucémie. C’est le cancer du sang et cela nécessite beaucoup de soins et de traitements.Hugo a donc dû interrompre sa scolarité au collège. Il doit parfois rester dans une chambre stérile et peut parfois rentrer chez lui. Cela dépend du nombre de globules blancs car ils augmentent avec la maladie.Au départ, nous nous posions des questions car nous n’avions pas revu Hugo depuis plus de 3 mois sans savoir pourquoi. Tout le monde s’inquiétait de ne plus le voir au collège et c’est un peu après que M. Moricet, notre professeur principal, nous a expliqué les raisons de son absence.Le lundi 11 janvier 2016, la classe de 6C a participé à une intervention avec Hugo en présence de nombreuses personnes. Mme Kersale, l’infirmière du collège, MM. Paris et

Moricet, le père de Hugo, son docteur, trois infirmières du C.H.U de Caen étaient présents avec Hugo pour nous expliquer ce qu’est la leucémie. Anthony, un élève de 4è qui a déjà eu la leucémie était aussi avec nous. Nous avons regardé un film « La leucémie de Mika », l’histoire d’une jeune fille d’un peu plus de 6 ans pour laquelle on suit l’évolution de la maladie jour après jour.Hugo a gentiment accepté de répondre à nos questions. Nous avons très bien compris que c’était dur à vivre et douloureux.Cette intervention nous a plu car elle nous a permis de comprendre cette maladie. Elle était aussi très touchante et pleine d’émotions et quelques élèves n’ont pu retenir leurs larmes.Nous espérons que Hugo va vite revenir dans notre classe. La 6C est avec toi Hugo. Bon courage Hugo !!! Bon rétablissement !

Amélie et Tess

Le journal est accompagné d’une feuille sur laquelle plusieurs copains et copines

de classe ont rédigé un petit mot à mon intention. En voici quelques-uns qui montrent

bien la diversité des profils. Chacun remplit son rôle ; attentionné, amical ou drôle.

Page 130:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Mais tous sont sincères et ça me rappelle les bons souvenirs du début d’année

scolaire quand ma petite forme me permettait encore d’aller au collège.

Coucou Hugo !Je t’envoie ce petit mot pour te réconforter de toutes ces épreuves difficiles à vivre tous les jours pour toi.

AlixHeureusement que tu n’es pas là. Tu as raté l’éval d’anglais.

DamienSalut HugoJ’espère que tu t’es un peu rétabli (un peu beaucoup).J’espère que tu vas vite revenir.

Grokiss JulesJ’aimerais que tu reviennes parmi nous. (Je suis en train de souffrir car j’ai très mal au doigt et j’écris quand même pour toi). Gros bisous Hugo.

MarineBonjour mon pote. Ça va bien !!!

Graham

Page 131:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

La lecture de ces messages de soutien et d’amitié me remplit de joie. Ils ne m’ont

pas oublié ! Et puis je me marre pour de bon, ce que j’ai un peu oublié ces derniers

temps. Ainsi donc, j’ai raté l’évaluation d’anglais. Finalement, je m’en tire plutôt

bien. On n’a pas toujours idée de ce qu’est la vie de collégien…

Je ne m’étais encore pas vraiment posé la question, mais ces témoignages de

sympathie me donnent une furieuse envie de retourner au collège.

Page 132:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Faux départ

La date du lundi 9 Mai est surlignée depuis quelques jours sur mon agenda. Je n’ai

pas fait d’aplasie depuis mon retour de cure et les médecins m’ont donné le feu vert

pour que je retourne au collège. Je sais que ce n’est que pour quelques jours, mais la

joie que je ressens est intense. Je vais retrouver mes copains, prendre part aux

différents cours auxquels je vais assister, me remettre dans le bain en quelque sorte.

La veille du grand jour tant attendu, je me sens empli d’une énergie positive. Je

suis motivé comme je ne me souviens pas l’avoir été au cours de ces derniers mois.

La phase de préparation ne doit pas être négligée. Il est important pour moi de me

mettre en condition pour me donner les moyens de réussir mon retour.

A la sortie de l’hôpital, j’étais très optimiste et enthousiaste. Très tôt, j’ai confié à

mes parents ma conviction que je n’aurais pas à aller en chambre stérile. J’étais

tellement confiant que je n’ai même pas râlé lorsqu’il fallait prendre ma température.

Du coup, le moral est revenu assez rapidement. J’ai ressenti le besoin de voir du

monde, de rendre visite à mes amis ou d’aller traîner dans les magasins. J’en avais

assez de skype et du portable. Alors, je suis sorti tous les jours ; et ça m’a fait le plus

grand bien.

Le dimanche après-midi donc, je m’installe sur le canapé et j’organise « ma

rentrée ». Je commence par consulter mon emploi du temps. Après tout ce temps loin

du collège, j’ai tout oublié ou presque. Je vais ensuite dans le bureau prendre les

livres et les cahiers qui vont m’être utiles.

Une fois cette tâche accomplie, je me décide à dresser la liste de tout ce dont je

vais avoir besoin puis je procède à la vérification du matériel. Je m’assure que mes

Page 133:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

fournitures sont en bon état, que les stylos fonctionnent, qu’il ne manque rien dans

ma trousse. Je recharge mon portable et je glisse mon porte-monnaie dans la petite

poche de mon sac. Je retrouve mon agenda et mon carnet de liaison (qui va avoir la

lourde tâche de succéder à mon carnet de lésion ! ). Une dernière inspection pour me

rassurer et, à dix-sept heures, le sac est déposé dans la voiture. Il m’est déjà arrivé

d’oublier mon cartable à l’école ; je ne tiens pas à ce que l’inverse m’arrive pour ce

come back.

Après les préparatifs scolaires, je dois songer aux préparatifs vestimentaires. Je

fais le tri dans mes vêtements, mettant de côté tous ceux qui emportent mes faveurs.

Faire un tel choix n’a rien d’évident et ça me prend un temps fou. Finalement, j’opte

pour une chemise en jean et un tee shirt foncé avec le traditionnel Levi Strauss.

Le soir, sitôt le repas avalé, je pose sur la table la boîte de Chocapic, un bol, une

cuiller et une orange avec le presse-agrumes. Je ne suis pas peu fier ; je n’ai rien

laissé au hasard et, surtout, je n’ai confié à personne d’autre le soin de s’acquitter de

cette tâche.

Je peux donc prendre une bonne douche bien méritée, puis régler mon réveil qui

reflète ses énormes chiffres clignotants sur le mur avant de me mettre au lit et dormir

sur mes deux oreilles. Et c’est là que le scénario se met à bafouiller. J’ai beau fermer

les yeux, chercher une position confortable, rien n’y fait. Je suis incapable de trouver

le sommeil. Je ne peux m’empêcher de penser aux copains que je n’ai pas prévenus.

Ils vont faire une de ces têtes en me voyant débarquer, c’est sûr ! Je suis nerveux,

impatient, un peu surexité en fait. Et je finis par m’endormir à une heure beaucoup

plus tardive que celle prévue pour un collégien.

Page 134:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Le lendemain matin, je suis déjà debout quand la sonnerie du réveil se fait

entendre. Je dois être au collège à 10h15 ; j’ai une bonne heure devant moi. Je

déjeune tranquillement avant de me détendre un peu devant la télévision. Une fois

l’heure venue, j’attrape ma béquille et mon chapeau noir qui fait trop stylé. Je me

sens si heureux quand je prends place dans la voiture !

Papa m’accompagne jusqu’au bureau des surveillants pour signaler mon arrivée.

On nous oriente alors vers le bureau de la principale qui termine sa réunion du matin

avec son adjointe et le CPE. Je suis chaleureusement accueilli et je ne boude pas mon

plaisir. Invité à m’asseoir, je prends soin de conserver mon chapeau. Je me sens à

l’aise, détendu et je réponds aux questions sans la moindre hésitation. A côté de moi,

papa ne me quitte pas des yeux. Je ne le laisse pas en placer une.

Après avoir évoqué mon traitement et envisagé l’avenir, la principale me demande

à quels cours je souhaite assister. Je lui réponds que je vais pouvoir venir toute la

semaine et que, pour cette reprise, je pense participer au cours d’anglais le matin et

revenir pour la SVT l’après-midi. La principale-adjointe me demande si je suis au

courant des modifications d’horaires liées aux absences de certains professeurs qui

encadrent les séjours à l’étranger. Comme je réponds par la négative, elle consulte

son planning. Un léger blanc précède son commentaire.

« Oh ! Mais ta classe est en sortie scolaire. Elle est à Caen pour la journée ! »

Je jette un coup d’œil à papa. Nous échangeons un rapide sourire. Je pense que

décidément, la chance n’est pas de mon côté. A Caen en plus ! Ma classe est partie à

Caen, tout près de l’endroit où j’ai passé tant de journées enfermé dans une chambre

d’hôpital. Un comble !

Page 135:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Il ne nous reste plus qu’à rentrer à la maison. J’entends avec un plaisir non

dissimulé les compliments qui me sont adressés pour ma tenue avant de quitter les

lieux.

Loin de me laisser abattre par ce coup du sort, je déborde d’énergie en retrouvant

ma maison. Puisque mon retour au collège est reporté d’une journée, je décide de

m’activer dans la salle de jeux. La console qui séjournait depuis des mois dans la

chambre retrouve sa place d’origine. Je change la disposition de quelques meubles et

je revois la décoration en affichant sur les murs les posters de mangas que m’a

donnés Mathilde la kiné.

En fin d’après-midi, cerise sur le gâteau, mes parents m’emmènent acheter le mini

frigo que j’espérais depuis longtemps. Ainsi, ma salle de jeux commence vraiment à

avoir de la gueule.

Page 136:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Back to the collège

Le coup d’épée dans l’eau de la veille n’a pas ébranlé ma motivation. Le mardi

matin, j’attends l’infirmière pour la numération habituelle. A onze heures, la

professeure d’anglais se présente pour mon cours « particulier ». Je fais des efforts

pour rester concentré sur ce qu’elle me demande ; mais, au fond de moi, je suis

vraiment impatient de retrouver les copains. Après le repas, je vérifie mon sac. Paré

pour deux heures de maths.

L’emplacement réservé aux handicapés, à droite de la grille d’entrée, est

disponible.

Ça me rappelle une anecdote, du temps de ma première leucémie. J’avais à peine

plus de quatre ans quand on m’avait accordé une carte de stationnement. La première

fois où papa avait utilisé cet emplacement réservé, j’avais été intrigué par le

marquage au sol.

« Dis, papa, qu’est-ce qu’elle a comme handicap, notre voiture ? »

Aujourd’hui, vu l’état de notre véhicule, cette place réservée convient aussi bien à

l’un qu’à l’autre mais je ne fais plus aucune remarque à ce sujet.

Page 137:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Pendant que papa range la voiture, mon regard est attiré par le panneau qui se

dresse devant nous. Une main inspirée y a gravé deux mots qui me dégoûtent.

DE CONNARD

Il me vient comme des idées de bagarre, de règlement de compte ou d’explication

à grands coups de baffes. Et puis, très vite, je laisse tomber en me disant que les

imbéciles agissent toujours dans l’ombre.

Cet épisode ne doit pas entamer mon enthousiasme. Clopin-clopant, appuyé sur

ma béquille, je me dirige donc vers la salle de cours. Je ressens une joie

indescriptible en me retrouvant au beau milieu de cette « jungle » bruyante qui

envahit le hall en attendant la sonnerie.

Les deux heures de cours passent bien vite. Une heure de travail en sous groupe

d’abord pendant laquelle nous mettons un point d’honneur à réaliser impeccablement

les exercices proposés, suivie d’une heure de cours classique. J’apprécie de me

retrouver au sein de ma classe, de prendre des notes et découvrir des notions

nouvelles, comme au bon vieux temps.

A la fin du cours, je savoure la récréation qui me permet de bavarder avec d’autres

élèves. Et, je le reconnais aisément, je suis déterminé à profiter au maximum de cette

semaine. Il faut dire qu’en cette période d’échanges scolaires avec les

correspondants, l’emploi du temps est un peu chamboulé…et pas mal allégé.

Page 138:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

Le mercredi, j’ai seulement une heure de maths. Le jeudi, en revanche, la matinée

est chargée : histoire-géo puis deux heures de français. Je trouve cependant la force –

ne suis-je pas formidable ?- de revenir l’après-midi pour…une évaluation de maths !

Durant ces quelques jours, je remarque avec plaisir que les choses n’ont pas

tellement bougé en mon absence. Ma classe est composée de personnalités

différentes qui cohabitent tant bien que mal selon les cas. Il y a le plaisantin, l’élève

modèle, le timide, l’étourdi. Il y a également celui qui sait tout, le bavard, le

turbulent, le studieux… Une classe comme il en existe partout, en somme. Mais cette

classe est la mienne et je suis ravi d’y avoir ma place.

Le vendredi, pour ce qui est déjà ma dernière journée au collège, un épisode

fortuit me fait bien rire…au détriment de papa !

Je participe tout d’abord au cours de technologie avant d’aller en français. Mais le

cours n’est pas commencé depuis cinq minutes qu’on me convoque à l’infirmerie

pour un dépistage : vue et ouïe. Normalement, cet examen doit durer environ dix

minutes. Mais, comme je ne suis pas un élève comme les autres, un long dialogue

s’engage avec l’infirmière et j’y reste cinquante minutes. Lorsque la sonnerie retentit,

Page 139:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

13

je n’ai même pas fait le dépistage pour l’audition. L’infirmière a encore des

questions à me poser et il s’écoule encore quelques minutes.

Quand je sors de l’infirmerie, je me retrouve nez à nez avec papa, venu à ma

rencontre. Il fait une drôle de tête.

«  Salut p’pa. Ça va ?

— Oui, oui. Ça va. Mais tu m’as fait peur. Je me demandais où tu étais

passé… »

Et papa me raconte la mésaventure qui vient de lui arriver. Il m’attend

tranquillement dans le hall, guettant l’ouverture des portes de l’ascenseur qui doit me

ramener au rez de chaussée. Il voit passer plusieurs élèves de ma classe sans

s’inquiéter tout d’abord. Mais le temps file, l’ascenseur ne s’ouvre pas et le hall

commence à se vider. C’est alors qu’une des surveillantes du collège se plante devant

lui et lui tend mon sac de cours.

«  Voilààà. Je vous donne déjà son cartable, pour commencer. Hugo ne devrait

pas tarder ; il est à l’infirmerie.

— Pardon ? De quoi ? L’infirmerie ; comment ça, l’infirmerie ? demande papa,

soudain inquiet.

— Non, non ; ce n’est rien. C’est la coutume. Les élèves de sixième font les

tests de dépistage.

— Aaaah. Désolé, réagit papa. Mais me parler d’infirmerie comme ça, de but

en blanc, je ne suis pas prêt. »

Cette histoire me fait bien rire. J’imagine la réaction de papa. En même temps,

c’est vrai que ça fait un peu beaucoup à la longue. Maman est hospitalisée depuis

Page 140:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

hier à Cherbourg. Elle va devoir rester plusieurs jours en observation en raison de

troubles neurologiques et musculaires.

L’après-midi se déroule sans encombres : histoire-géo et français. Je n’en reviens

d’ailleurs pas. Je n’ai pas vu le temps passer. Cette semaine de collégien m’a fait un

bien fou. Je me rends compte que j’ai retrouvé de l’énergie et je fais à nouveau des

projets. J’ai envie d’inviter les copains, leur montrer ma « nouvelle salle de jeux »,

envie de bouger, de faire du vélo, d’aller voir la mer, retourner à la piscine… J’ai

même retrouvé le sens de l’humour et je compte bien conserver mon goût pour la

plaisanterie. Ça permet de voir les choses d’une autre façon.

Retourner au collège m’a aussi permis de ne pas trop penser à la cure de chimio

qui m’attend. De toute façon, c’est la dernière. Ça devrait bien se passer ; je

commence à percevoir la lumière au bout du tunnel.

Page 141:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

La dernière cure

(Septième consolidation)

Un vendredi 13, ce n’est pas un jour comme les autres, parait-il. On entend tout

autour de nous parler d’un jour porte-bonheur, d’un jour qui serait symbole de

chance. Ainsi, il suffirait de mettre le nez dehors pour contempler les bonnes

nouvelles voleter au-dessus de nos maisons en nous adressant un signe de la main ?

Et par les portes laissées ouvertes, les messages de paix et d’espoir rentreraient dans

nos foyers…

Le vendredi 13 Mai, j’apprends deux nouvelles qui, l’une comme l’autre, me

semblent dépourvues de toute notion de chance ou de bonheur. Tout d’abord, je

reçois un coup de fil de papa qui m’annonce que maman doit rester en observation à

l’hôpital Pasteur quelques jours. Le neurologue ne souhaite pas la laisser rentrer à la

maison sans avoir pu pratiquer les examens nécessaires. Et dans la foulée, c’est Odile

qui m’appelle. Ma cure, prévue le lendemain, est retardée de quelques jours. Je n’ai

pas assez de globules blancs et une nouvelle numération est programmée le lundi

suivant.

Finalement, je suis convoqué au CHU le mardi 17 Mai. Maman a eu un bon de

sortie la veille mais elle a dû regagner sa chambre en neurologie le soir même. Et

pour couronner le tout, la loi travail imposée par le gouvernement provoque une

colère quasi-générale. Des manifestations sont programmées et des barrages sont

prévus autour de certaines villes le 17 au matin. Caen fait partie des villes

concernées. Ce qui nous amène, papa et moi, à prendre la route le lundi soir.

Page 142:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

J’ai beau me dire qu’il s’agit de ma dernière cure, que la chimiothérapie se

termine et que ces six mois de traitement lourd touchent à leur fin, je suis toujours un

peu angoissé.

Néanmoins, je parviens à fournir les efforts nécessaires pour me montrer

« présentable » à mon entrée dans le service. L’équipe soignante me questionne sur

ce que j’ai fait durant mon séjour à la maison et, pour une fois, j’ai pas mal de choses

à raconter, à commencer par mon retour au collège. Evoquer ces bons moments me

regonfle le moral.

La cure débute de la meilleure des manières. La bandelette dans le pipi donne

rapidement le feu vert pour le début de la chimio. C’est parti pour trente-six heures

de Méthotrexate ! Mais il faut également songer à la ponction lombaire. Le duo

d’internes qui exerçait depuis mon admission six mois plus tôt a été remplacé. Ce

sont deux nouvelles jeunes filles qui oeuvrent à présent. Et je me rends compte que

tout a été fait pour m’embrouiller. L’interne qui intervient, sous le regard d’Anne-

Sophie, infirmière stagiaire, et sous le contrôle de Damien, se prénomme Caroline.

Elle est assistée par une aide–soignante qui, elle aussi, s’appelle Caroline et

l’infirmière qui se tient à ses côtés n’est autre que…Caroline ! Ajoutée aux effets de

l’entonox qui ne tardent pas à se manifester, la situation me fait vite perdre les

pédales. Le masque maintenu d’une main ferme sur mon visage par Caroline ( !) ne

m’empêche pas d’avertir l’assistance :

« Je vous préviens ; aujourd’hui, je ne vais pas prononcer un seul mot. Ça

m’évitera de raconter des conneries. »

La ponction se déroule au mieux. Je ne ressens pas la moindre douleur. Ce que

j’aime moins en revanche, ce sont les deux heures qui suivent durant lesquelles je

Page 143:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

dois rester allongé. Sitôt l’examen terminé, je m’endors. Mais bien vite, à cause de

l’hydratation, je me réveille pour faire pipi. Re-belote vingt minutes plus tard et ainsi

de suite. Naturellement, je ne parviens plus à m’endormir et, comme je dois rester

immobile, je trouve le temps long.

L’après-midi, je ne ressens aucune douleur et je n’ai pas de nausées. Je peux donc

m’occuper un peu et je navigue sur Internet pour tuer le temps. Les infirmières et les

internes qui viennent pour les soins se montrent toujours aussi attentionnés. Je lutte

pour m’empêcher de consulter la pendule toutes les cinq minutes. Dans ma tête je

calcule sans arrêt l’heure de fin de la chimio, en tenant compte de la rinçure. J’ai

besoin d’être rassuré, de savoir que tout se termine.

Le soir, maman vient nous rejoindre. Après avoir passé son IRM, et sans en

connaître le résultat, elle s’est pour ainsi dire échappée de l’hôpital pour sauter dans

le train. David est avec elle ; c’est lui qui porte les sacs !

Le mercredi, je demande à une infirmière si je peux avoir le programme complet

de la cure. C’est Marianna qui vient me le porter. J’en profite pour lui demander si je

vais pouvoir sortir ne serait-ce qu’une journée. J’ai déjà demandé à papa ainsi qu’à

plusieurs infirmières et tous m’ont répondu que je pourrais regagner ma maison au

moins pour vingt-quatre heures. Cependant, j’ai besoin d’avoir la réponse d’un

médecin. Et Marianna confirme ce que tout le monde m’a dit et répété. Elle constate,

et ce n’est pas la première fois, que les corticoïdes me rendent un peu déprimé.

Je trouve cette réponse encourageante et je me risque à poser d’autres questions

concernant la suite des opérations. Je veux savoir s’il y aura beaucoup de ponctions

lombaires pendant le traitement d’entretien qui doit durer presque deux ans, et quelle

quantité de corticoïdes je devrai avaler. Marianna me fait savoir que je n’aurai pas à

Page 144:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

prendre de corticoïdes pendant ces deux années et que je n’aurai plus de ponction

lombaire puisque douze séances de radiothérapie sont programmées.

Ces nouvelles me soulagent un peu. Les corticoîdes, je n’en peux plus et les

ponctions n’ont rien d’agréable. Une autre raison d’espérer me vient alors à l’esprit.

«  Du coup, après cette cure, je ne vais plus perdre mes cheveux ?

— En fait, m’annonce Marianna en me regardant tendrement, il y a encore un

risque de chute des cheveux avec les rayons. Etant donné que ta leucémie a touché

tes méninges, tu vas avoir des rayons de la tête jusqu’au bas du dos. Et tu peux donc

perdre à nouveau tes cheveux qui mettront un peu plus de temps à repousser qu’après

une chimio…

— Ah. D’accord. »

Malgré cette légère déception, ma deuxième journée d’hospitalisation se déroule

sans encombres. Je fais le décompte des heures qu’il me reste à patienter et je

continue à harceler les infirmières de questions. J’ai besoin de tout savoir, de tout

contrôler. En fin d’après-midi, je récolte les fruits de mon enquête ; je sais à quelles

heures sont programmées les différentes prises de sang qui vont déterminer mon

éventuelle sortie. Enfin, si j’ai bien éliminé la chimio !

Inutile de préciser que, le soir venu, j’ai du mal à trouver le sommeil. Mais quand,

le lendemain midi, Marie l’infirmière vient m’annoncer la bonne nouvelle, j’oublie

ma fatigue.

«  Hugo. C’est tout bon. On vient d’avoir les résultats du labo ; tu peux rentrer

chez toi. Tu es à 0,18 et la sortie est autorisée à partir de 0,25. »

Page 145:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

0,18 et 0,25, franchement, je ne sais pas trop à quoi ça correspond. Mais je

comprends que j’ai assez éliminé pour pouvoir quitter ma chambre quarante-huit

heures. Avant de sortir, j’ai droit à la pesée. Damien m’a mis en garde à mon arrivée

deux jours plus tôt. Mon poids fait le yoyo et je dois y porter attention car les

problèmes de surpoids peuvent entraîner d’autres complications, notamment

cardiaques. Cette fois, le résultat plaide pour moi puisque j’ai perdu 1,5 kg en deux

jours. Et comme la diététicienne est passée me voir, je pense être armé pour affronter

cet enbompoint passager.

Deux jours à la maison, ça passe rudement vite. D’autant plus quand il n’y a ni

mercredi ni samedi pour inviter les copains. Malgré tout, ça me met du beaume au

cœur, ça me rassure un peu. Certes, je ne suis guère vaillant. La chimio m’a quand

même bien fatigué et je n’ai guère d’appétit. Alors je me repose en matant la téloche.

Mais ne rien faire à la maison, ça n’a rien à voir avec l’attente de l’hôpital.

Le samedi tant redouté arrive bien vite et il me faut retourner en finir avec cette

dernière cure. J’ai vraiment hâte d’en terminer, une fois pour toutes. Marianna m’a

convoqué à dix heures trente. Je sais que j’ai deux chimios prévues à douze heures

d’intervalle. Sitôt installé dans une chambre, je m’enquiers du sort qu’on m’a

réservé. Je sors stylo et papier pour noter toutes les informations que je récolte :

horaires des chimios, durée des rinçures, fréquence des contrôles… Et lorsque je

dispose de tous les renseignements nécessaires, je peux envisager approximativement

l’heure de ma sortie le lendemain.

L’autre lit de la chambre est inoccupé. Je me sens un peu soulagé. Je peux

regarder la télévision sans gêner mon voisin et, si j’ai un coup de cafard, je ne suis

pas obligé de retenir mes larmes.

Page 146:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

La journée du samedi passe relativement vite. Mes parents sont à mes côtés,

comme d’habitude. Je n’ai pas beaucoup de soins, en dehors des constantes. Je joue

un peu sur mon ordinateur et j’essaie de lire mes mangas. Le soir venu, quand mes

parents s’apprêtent à me quitter, je leur demande avec insistance de venir tôt le

lendemain pour m’éviter d’attendre lorsque ma permission de sortie sera accordée.

Le dimanche matin, effectivement, les infirmières m’annoncent que je vais

pouvoir rentrer chez moi. Il faut cependant que j’attende la visite du médecin de

service pour être débranché. Quand Marianna arrive, en milieu de matinée, elle me

confirme que ça y est, cette fois c’est la bonne et que la chimiothérapie est terminée.

Puis elle demande à mes parents de surveiller ma température parce que je risque

d’être assez rapidement en aplasie.

Nous quittons l’hôpital en fin de matinée. L’aplasie attendra ; pour l’heure, j’ai

envie d’un bon steak et les portes du restaurant sont ouvertes !

Page 147:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

Fidèle aux rendez-vous

Je n’ai guère le loisir de goûter au plaisir simple de la vie à la maison. Le mardi 24

Mai, soit moins de quarante-huit heures après avoir quitté l’hôpital, je suis convoqué

par le radiothérapeute.

Nous reprenons donc la route de Caen et, peu avant midi, nous passons devant le

CHU sans nous y arrêter cette fois. La consultation doit avoir lieu dans un autre

établissement, le Centre François Baclesse, situé à peine à quelques centaines de

mètres de là.

La secrétaire à qui maman remet les documents habituels (carte vitale,

convocation…) nous dirige vers le rez de jardin. A la sortie de l’ascenseur, je suis

véritablement impressionné par le décor. Nous nous retrouvons dans un dédale de

couloirs et de petits salons d’attente où je pense que de nombreux patients ont dû se

perdre avant même d’avoir eu le temps de se présenter. Dans cet endroit, tout est

clair du sol au plafond ; le beige clair et le gris pâle des lieux contraste étrangement

avec le rouge vif du CHU auquel je m’étais habitué.

Des blouses blanches s’affairent dans tous les sens, ne manquant pas de nous

adresser un bonjour amical en nous apercevant recroquevillés sur notre siège,

attendant de voir quel sort nous est réservé. Et quand enfin le médecin se présente

devant nous, j’ai l’impression de me retrouver propulsé dans un épisode de Grey’s

Anatomy ! Grande taille, physique robuste, allure sportive, cheveux noirs épais,

poignée de main ferme : le docteur Shepherd m’invite à entrer dans son bureau.

La consultation dure une bonne heure. Le médecin veut tout savoir et, question

santé, j’en ai à raconter. La première leucémie à trois ans et demi, les prémices avec

Page 148:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

une paralysie faciale sans doute un peu négligée à l’époque, la rechute avec cette

tumeur sur la moëlle épinière, la date du début de mon traitement…

Dans un deuxième temps, après avoir obtenu notre accord pour le traitement à

venir, le radiothérapeute nous explique qu’il se doit d’évoquer les risques encourus.

Le gentil docteur Mamour se transforme alors en inquiétant docteur No. Les

séquelles possibles à l’issue des rayons me donnent quelques sueurs. A mes côtés, la

mine déconfite de mes parents prouve qu’ils n’en mènent pas large non plus en

écoutant le médecin réciter sa liste longue comme le bras. La leucémie dont je suis

victime est une leucémie aiguë lymphoblastique avec envahissement méningé. Etant

donné que les méninges sont les trois membranes successives qui recouvrent le

système nerveux central, à savoir le cerveau et la moëlle épinière, la radiothérapie

devra être pratiquée depuis le sommet de mon crâne jusqu’au bas de mon dos. La

surveillance concernera donc notamment la vue et l’ouie puisque le traitement

s’appliquera à toutes les zones où circule le liquide cephalorachidien. Mais ce n’est

pas tout puisque sont aussi évoqués une croissance limitée et des troubles cognitifs.

Un instant, je m’imagine dans la peau d’un nain attardé. Une sinistre pensée que je

m’efforce de chasser de mon esprit en quittant l’hôpital.

Une semaine plus tard, je suis de nouveau convoqué au Centre Baclesse pour un

scanner et la confection de la coque et du masque que je devrai utiliser pendant les

séances de radiothérapie. Pour ce deuxième rendez-vous, je suis en aplasie fébrile et

hospitalisé en chambre stérile au CHU depuis trois jours. C’est donc en ambulance

que je me rends à cette convocation.

Les manipulatrices m’accueillent avec un franc sourire que je suis incapable de

leur rendre, tellement je suis anxieux. Une fois précisés les détails de l’examen, on

Page 149:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

14

m’installe sur une table située devant l’anneau dans lequel elle se déplacera durant le

scanner. Je suis allongé en position de traitement pour que l’équipe soignante puisse

confectionner les matériels de contention que sont la coque et le masque qui moule

ma tête ainsi que mes épaules.

Pendant cette opération, les manipulatrices mettent en place des marques sur le

masque mais aussi sur mon corps et les données sont enregistrées. Je devrai

conserver les deux petites pastilles-repères collées sur ma poitrine et mon ventre

jusqu’au terme des rayons. Toutes ces mesures permettent de diminuer au maximum

les incertitudes de mon positionnement entre les séances mais aussi durant une même

séance. Pendant que l’on m’apporte ces précisions, je me rappelle les propos du

radiothérapeute qui, une semaine plus tôt, avait confié disposer d’une marge d’erreur

de deux à trois millimètres seulement… Je ne bouge alors plus d’un poil et j’hésite à

respirer tellement je suis tendu.

L’opération dure environ une demi-heure. Ensuite, je fais un scanner de contrôle

qui va permettre de définir les zones à irradier par le médecin.

Quand je reviens au CHU, toujours en ambulance, le service est bondé. Il y a eu

de nombreuses admissions et les lits sont tous occupés, y compris en isolement. Du

coup, je me retrouve en réanimation pédiatrique, deux étages plus haut. Le personnel

soignant est attentif et très à l’écoute. On s’occupe bien de moi. Mais je ne vois

« mes » médecins qu’une fois par jour, en fin de matinée. Finalement, je vais rester

quatre jours dans ce service, jusqu’à ce que la fièvre s’estompe.

Page 150:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

Mon troisième et dernier rendez-vous est programmé le jeudi 9 juin, soit quatre

jours avant le début de la radiothérapie. Je me rends donc au CHU pour des examens

de contrôle à l’issue des sept mois de chimiothérapie. Avant de pratiquer les

examens, j’ai droit à mon habituelle numération et formule sanguine (NFS). Avec

4 430 globules blancs et 445 000 plaquettes par mm3 et une hémoglobine à 13,7, je

peux voir venir.

L’IRM se déroule dans les meilleures conditions. Rien à voir avec le supplice qui

m’était infligé au début de la maladie, à une époque où aucune position ne m’était

confortable. Et puis, cerise sur le gâteau, elle confirme l’absence d’anomalie

médulaire observée à l’issue de chacune des premières phases du traitement.

Le myélogramme s’avère moins agréable. Malgré le nubain et l’entonox, je

ressens la douleur. Je regrette de ne pas avoir accepté l’hypnovel qui m’aurait aidé à

mieux supporter ce sale quart d’heure. Pendant que le médecin s’active avec

précaution, j’ai l’impression qu’il s’attaque à grands coups de piolet à mon os

iliaque. Je suis soulagé quand l’examen se termine enfin, même s’il me faut un

certain temps pour récupérer. Et je suis bien plus soulagé encore lorsque, quelques

jours plus tard, j’apprends qu’il n’y a pas de cellules blastiques et que la rémission

persiste.

Ces émotions méritent un petit réconfort que je m’accorde, comme souvent, au

restaurant. Sur le chemin du retour, je me remonte le moral en pensant que demain,

je vais pouvoir aller dire au revoir à mes copains de collège que, finalement, je

n’aurai pratiquement pas vus de l’année.

Page 151:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

Les rayons

Ma première séance de radiothérapie est programmée le lundi 13 Juin à 14 heures.

A l’accueil, je valide mon bon de consultation sur l’appareil enregistreur, puis je me

rends au petit salon d’attente de tomothérapie 2, muni de ma convocation et de ma

grille d’évaluation de la douleur, comme les manipulatrices me l’ont demandé lors de

ma précédente visite. Entre temps, j’ai pu me documenter et apprendre que la

tomothérapie est une façon de réaliser une radiothérapie avec modulation

d’intensité guidée par l’image.

J’ai ainsi appris que, durant la séance, le patient s’allonge sur la table de

traitement et une première étape consiste à réaliser une imagerie en coupe (le

scanner) qui va permettre de vérifier avec précision la position du patient. La séance

de radiothérapie peut ensuite débuter. En ce qui me concerne, la zone à irradier étant

importante, j’ai droit à deux scanners pour le prix d’un.

Pendant cette phase de rayons, le traitement d’entretien commencé la semaine

précédente est ralenti. Les rayons vont faire baisser mes globules blancs et le risque

d’aplasie existe. Je continue le Méthotrexate une fois par semaine mais j’arrête le

Purinéthol.

En attendant mon tour, je passe en revue les informations qui m’ont été

communiquées. Je dois faire cette radiothérapie parce qu’il est possible que la chimio

n’ait pas vaincu toutes les cellules cancéreuses et que celles-ci ne soient pas visibles

à l’IRM. Je sais que douze séances sont programmées, tous les jours du lundi au

vendredi. La durée des premières séances varie entre quarante et cinquante minutes

mais l’irradiation, elle, dure seulement quatorze minutes. Et je sais aussi que je serai

Page 152:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

fatigué pendant le traitement. Le radiothérapeute me recevra en consultation une fois

par semaine et un contrôle sanguin sera réalisé de façon régulière.

Quand les manipulatrices viennent me chercher, je passe dans la cabine pour ôter

mes vêtements et c’est en caleçon que je suis placé sur la table d'irradiation, de la

même façon que j’étais placé lors de la simulation, c'est-à-dire couché sur le dos. La

contention est assurée par le masque thermoformé et les repères d'alignement

d'isocentre sont marqués sur le masque et sur la peau. Au cours de la séance, je dois

respirer doucement et ne pas bouger.

Les deux premières séances sont longues et douloureuses. Le masque me

comprime le visage et me dessine une peau de lézard qui m’accompagne une bonne

demi-heure après l’examen. De plus, j’ai drôlement mal à la nuque à force de rester

dans cette position bien peu confortable.

Le mardi, lors de la consultation qui suit ma deuxième séance de rayons, j’évoque

au médecin les douleurs ressenties. Il me prescrit du Zophren pour éviter les nausées

et me fait savoir qu’une compresse sera posée sous ma nuque pour les séances à

venir.

Les séances suivantes sont effectivement moins douloureuses mais je ne tarde pas

à être de nouveau constipé, ce qui n’a rien d’agréable quand bien même on y est

Page 153:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

habitué comme moi. Il me faut à nouveau avaler avec dégoût ce satané Movicol qui

me donne envie de vomir avant de m’envoyer à la selle. La deuxième prise de sang

montre que les globules blancs dégringolent rapidement et, au bout d’une semaine,les

médecins décident de stopper le méthotrexate. Je reprendrai le traitement d’entretien

lorsque tout sera rentré dans l’ordre.

Au début de la deuxième semaine, tandis que je patiente dans le salon d’attente,

j’assiste à une discussion pour le moins cocasse. Le monsieur qui arrive et s’assoit en

face de nous tient une bouteille d’un litre d’eau minérale dans chaque main. Très

vite, il engage la conversation avec mes parents et explique qu’il est soigné pour des

problèmes de prostate à l’âge de soixante-dix ans. Puis, indiquant d’un geste de la

main les deux litrons posés à côté de lui, il précise que pour une irradiation du bassin

(prostate ou vessie), il est conseillé de boire deux à trois litres d’eau.

« Et ça n’a rien de marrant, ajoute-t-il sans rire. Mais le soir, je m’accorde un petit

apéro ; faut pas déconner ! »

Il poursuit son cours de médecine en nous expliquant que, dans son cas, la

radiothérapie est pratiquée vessie pleine de façon à mieux la repérer, ainsi que

l’intestin, durant les séances et donc limiter la dose reçue par ces organes. La

conclusion de son exposé est mythique.

« Je peux vous garantir qu’après la séance, il ne faut pas traîner. D’ailleurs, c’est

pour ça que les toilettes à côté de la salle d’attente sont si dégueulasses. On est

tellement content d’y arriver sans avoir souillé son pantalon qu’on se dépêche de

dégainer. Mais pour ce qui est de viser la lunette, c’est une autre histoire. »

Lors de ma deuxième consultation, j’apprends que je vais avoir treize séances, et

non pas douze comme annoncé au départ. La nouvelle ne me réjouit pas et je

Page 154:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

demande des précisions. C’est ainsi que j’apprends que l’intensité des séances est

mesurée en gray. Et, si j’ai bien compris, selon ma masse corporelle, je dois

« recevoir » au total 24 gray. Les dix premières séances sont réalisées avec une

intensité de 1,8 ; les trois autres le seront à 2. Voilà qui a le mérite d’être clair.

A la fin de la deuxième semaine, j’ai mal à la gorge au point que je n’arrive

pratiquement plus à avaler. Les médecins m’expliquent que c’est lié aux brûlures

provoquées par les rayons.

Le lundi 27 juin, je suis heureux d’apprendre que les trois dernières séances vont

uniquement être ciblées sur mon dos. On irradie seulement la zone de la tumeur

initiale dans mon dos. Un seul scanner est nécessaire, les séances sont nettement

moins longues, environ vingt minutes, et je n’ai plus besoin de porter le masque.

Lors de ma dernière consultation – avant le suivi annuel – le radiothérapeute

m’annonce que la surveillance va durer quatre semaines. Un mois pendant lequel les

effets provoqués par les rayons peuvent se faire ressentir.

Les prises de sang hebdomadaires vont montrer que, si j’ai besoin d’une semaine

pour retrouver assez de défenses immunitaires, il en faudra trois pour que je puisse

reprendre le traitement d’entretien car les globules blancs remontent très lentement.

Et, pour couronner le tout, deux semaines après la fin de la radiothérapie, j’ai le

crâne aussi lisse qu’une coquille d’œuf. C’est bien la peine d’avoir résisté à la chimio

pendant sept mois !

Page 155:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

Le traitement d’entretien

Les propos du radiothérapeute sont imprimés dans un coin de ma tête. Je sais que

les effets des rayons vont mettre un certain temps à se dissiper. Pour autant, je

compte bien profiter de mon été. J’ai du mal à parler de vacances vu que je n’ai

pratiquement pas mis les pieds au collège ; mais je n’ai pas oublié le concept !

Avant toute chose, il me faut poursuivre ma rééducation. Si je veux progresser et

avoir une chance de reprendre le sport avant la fin de l’année, je ne dois pas ménager

mes efforts. Mathilde me propose trois séances de rééducation par semaine. Et puis

surtout, la grande différence, c’est que je peux maintenant me rendre à son cabinet de

kinésithérapeute ! Elle dispose de tout un tas de matériel et des engins de torture qui

me permettent de travailler davantage et dans de meilleures conditions (pour autant

de douleurs) qu’à la maison. Mathilde est contente quand je lui dis que je suis perclus

de courbatures. Elle sourit en me disant que c’est bon signe. Si elle le dit…

Les séances sont variées et il y a souvent une partie ludique où je peux m’éclater.

Mathilde me fait travailler les releveurs, les quadriceps et aussi les abdominaux !

Moi, ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand les séances se terminent par un quart

d’heure de vélo. Mathilde me concocte un programme dans lequel les difficultés sont

suivies d’une phase de récupération. Je mets toujours un point d’honneur à aller

jusqu’au bout, sans faire de pause. Quand j’en ai terminé, je sens vraiment les

muscles de mes cuisses et mes mollets sont durs. Et puis, comme je transpire

beaucoup, je prévois toujours une serviette et une bouteille d’eau ; comme pour un

entraînement de tennis.

Page 156:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

Les jours où je n’ai pas de séance de kiné, je vais à la piscine. J’adore nager. Et

cette année, coup de chance, on a un bel été. Du coup, la piscine est découverte. Je

fais des longueurs, encore et toujours. De temps en temps, pour récupérer, je

m’amuse dans l’eau. Je vais rechercher un mannequin au fond de la piscine et je le

ramène à la surface ou je joue avec un ballon. Quand je rentre à la maison, j’ai un

peu mal aux jambes et je demande à mes parents de me masser. De toute façon, je

revois Mathilde le lendemain et elle sait me soulager.

Au bout de quelques jours, je peux reprendre le traitement d’entretien qui avait été

suspendu pendant la radiothérapie. Ainsi, tous les mercredis matins, une infirmière

vient à la maison pour une numération. Le soir, on appelle les médecins du CHU qui

nous indiquent le dosage des médicaments pour la semaine en tenant compte du

nombre de globules blancs. Le jeudi matin, j’avale onze comprimés de Méthotrexate

et, tous les soirs, je prends du Purinéthol. Ce régime va durer deux ans. Deux ans

durant lesquels le traitement va limiter mes globules blancs dans une fourchette

comprise entre 2 000 et 3 000. Toutefois, s’il arrive que ce ne soit pas le cas, le

dosage des médicaments sera adapté par les médecins.

Les 8 et 9 Juillet, je me rends à Paris avec mes parents et mon copain Malo. Nous

allons à la Japan Expo ! C’est Mathilde qui m’en a parlé et j’attends ce moment avec

impatience. Nous voyageons en train. Les changements sont un peu compliqués

parce que je suis encore fatigué et que je me déplace en fauteuil roulant. Quand on

arrive au salon du manga, il y a une foule incroyable. Je n’ai jamais vu autant de

monde de toute ma vie ! Plein de gens sont déguisés. Des jeunes et des moins jeunes

qui endossent les costumes de leurs personnages préférés. Certains prennent la pose

et se font photographier. Partout dans les allées, nous croisons des gens qui

Page 157:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

revendiquent le même message : « FREE HUGS ». D’ailleurs, à peine sommes-nous

entrés dans le salon qu’un jeune homme ouvre les bras en se dirigeant vers nous.

« Je peux vous faire un câlin ? » nous demande-t-il dans un franc sourire.

Naturellement, nous acceptons. Il se penche vers moi et me prend dans ses bras. Puis

il s’approche de mon copain qui, lui, n’aime pas trop les contacts physiques. Et

lorsque le jeune homme tente de prendre Malo dans ses bras, celui-ci ne comprend

pas ce qui se passe et se met à gesticuler dans tous les sens. La scène est pour le

moins curieuse. Assis dans mon fauteuil, je vois d’abord Malo s’élever dans les airs,

agitant les bras et les jambes, avant de se retrouver étalé de tout son long sur le sol.

Le jeune inconnu tourne les talons, toujours souriant. Je me marre en regardant Malo

se relever sans un mot.

Les deux jours à la Japan Expo sont assez incroyables. Je suis épaté par

l’ambiance qui y régne. Il y a un monde fou mais pas de bousculades. Les gens

semblent heureux, tout le monde se déplace tranquillement, avec le sourire. Nous

nous baladons de stand en stand, fouillons parmi les mangas exposés, découvrons de

nouvelles séries. Il y a des animations, des jeux, des débats, des artistes qui réalisent

votre portrait en moins de dix minutes, des tee-shirts, des produits dérivés... Nous

assistons même à une démonstration de samouraïs.

Vraiment, ces deux jours sont sympas. Et le trajet du retour en train passe bien

vite ; nous avons de la lecture pour plusieurs jours !

Quand arrive le mois d’Août, avec toutes les séances de rééducation et les heures

passées à la piscine, je retrouve peu à peu la forme. Je n’oublie pas non plus les bons

moments à la plage, tartiné de crème solaire avant de pouvoir mettre un pied dans

l’eau.Les prises de sang sont bonnes et, du coup, les médecins me donnent leur

Page 158:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

accord pour que je puisse partir en vacances. Avec mes parents, nous passons

d’abord une semaine à la montagne, à Val Cenis. C’est la première fois que je vais à

la montagne l’été. C’est à la fois dépaysant et reposant. Puis nous nous rendons dans

le Var, chez Pierre et Geneviève, des amis de papa que j’ai déjà vus quand j’étais

petit. Il fait beau et chaud tous les jours. Le ciel est toujours bleu et il n’y a presque

jamais de nuages. Tous les jours, je vais jouer dans la piscine. Je suis content de voir

que je reprends des forces en m’amusant. Leur fille, Julie, c’est ma marraine. Elle

nous rejoint le dernier jour avec Fabrice, son copain, et ses enfants Martin et Léo.

Léo a le même âge que moi. On ne se connait pas bien mais, quand vient l’heure du

départ, je regrette de ne pas avoir pu jouer davantage avec lui.

Nous rentrons à la maison deux semaines avant la reprise des cours. Mes globules

blancs descendent et les médecins diminuent la dose de Purinéthol. Je me sens bien,

plutôt en forme. Je n’ai plus besoin d’aide pour monter ou descendre l’escalier. Et je

suis capable de marcher assez longtemps sans trop me fatiguer. Je suis prêt pour la

rentrée !

Mais les choses ne vont pas être si simples. Huit jours avant la reprise des cours,

la numération est catastrophique. Je me retrouve en aplasie. Le traitement est

purement et simplement suspendu. Mes parents surveillent ma température plus

souvent que je ne le voudrais. A chaque fois qu’ils s’approchent, thermomètre en

main, je vois s’ouvrir devant moi la porte de la chambre stérile…

La veille de la rentrée, les globules blancs sont un peu remontés. Je suis toujours

en aplasie mais Damien me donne l’autorisation d’aller au collège…le lendemain

matin seulement.

Page 159:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

15

Ainsi, je fais mon retour au Castillon le jeudi 1er Septembre, pour quelques heures

seulement. Mais j’ai quand même le temps de faire connaissance avec ma prof

d’espagnol. A peine je suis installé au fond de la classe qu’elle me rappelle à l’ordre :

« Jeune homme, on se découvre devant une dame ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je retire mon chapeau, fidèle compagnon qui

m’accompagne partout depuis plusieurs mois. Et là, stupéfaite devant mon crâne

d’œuf, la prof ouvre des yeux grands comme des soucoupes. Elle reprend tant bien

que mal le fil de son cours mais elle se met à parler avec une extrême lenteur.

L’histoire se termine plutôt bien cependant puisque la prof vient me voir à la fin

du cours et me demande si je préfère garder mon couvre-chef sur la tête par la suite.

Je reste ensuite quelques jours à la maison. Et ce n’est que le mardi 6 Septembre

que, enfin sorti d’aplasie, je peux réellement commencer mon année de cinquième.

Le même jour, dans un élan d’euphorie, je vais jusqu’à m’inscrire au tennis tout en

sachant qu’il me faudra patienter quelques mois avant de reprendre les

entraînements. Et puis, dans la même semaine, je demande une carte d’abonnement à

la piscine.

La vie semble reprendre enfin son cours normal ! Je ne rêve pas d’exploits,

d’aventures hors du commun, je n’éprouve pas le besoin de me distinguer. Le

costume du petit héros, j’ai donné. Et j’ai compris que rien ne vaut la vie.

Je souhaite juste être un adolescent comme les autres, me fondre dans la masse,

sans oublier de savourer chaque jour de mon existence, la vraie, avec un appétit tout

neuf.

Page 160:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

16

Je ne sais pas encore que je vais ressentir des douleurs musculaires et articulaires

durant les deux années de mon traitement d’entretien. Tout comme j’ignore que je

vais être tellement fatigable pendant tout ce temps.

Je ne sais pas que l’ascenseur du collège va être en panne les trois quarts du

temps, m’obligeant à emprunter les escaliers, dans la cohue et les bousculades, à la

fin de chaque cours. Je ne sais plus qu’un cartable de collégien pèse aussi lourd et me

ruine le dos quand il me faut le porter.

Je ne connais pas encore la solitude de l’élève, adossé au mur pendant la

récréation, qui regarde ses copains de classe courir et bondir en tous sens à l’autre

bout de la cour.

Scarlatine et zona ne sont encore que des mots.

Je ne me doute pas que certaines fractures sont appelées « en motte de beurre ».

Elles frappent les enfants et correspondent à un écrasement de l’os.

Je n’ai pas encore expérimenté la marche avec la chaussure de barouk, idéale pour

ne pas passer inaperçu surtout lorsqu’on en porte une seule qui provoque un sacré

déséquilibre…et de nouvelles douleurs !

Et jamais je n’aurais pu imaginer que notre vieille guimbarde franchirait avec

succès – et quelques frais – l’épreuve du contrôle technique…

Page 161:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

16

Table

Avant-propos p. 3

Août 2016 : les vraies vacances p. 5

Septembre 2015 : la rentrée p. 7

Le poids des maux p. 10

Le cross du collège p. 13

Drôles de vacances p. 16

CHU, me (re)voilà p. 21

La première opération de ma vie p. 24

La salle de réanimation p. 27

Le petit salon p. 30

Je prends mes quartiers dans la chambre 406 p. 34

Retour au bloc p.39

Le Buffalo p.44

La bulle p.49

Le prof (1) p.54

La psy p.58

Le prof (2) p.61

Joyeux Noël ! p.64

Mathilde Makiné p.68

La première consolidation du traitement p.71

Le prof de sport p.75

L’entonox p.79

La vie à la maison p.82

La deuxième consolidation p.86

Page 162:  · Web viewMais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en premier

16

L’aplasie p.89

D’une chambre à l’autre p.92

La guimbarde p.95

La troisième consolidation P.98

La chambre stérile p.101

Odile a dit p.104

La quatrième consolidation p.110

Un aller-retour à l’hôpital p.112

La cinquième consolidation p.116

La chance s’emmêle p.119

La fièvre fait des siennes p.123

La sixième consolidation p.125

La presse pupil p.128

Faux départ p.132

Back to the collège p.136

La dernière cure (septième consolidation) p.141

Fidèle aux rendez-vous p.147

Les rayons p.151

Le traitement d’entretien p.155