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SMIC Le pacte que Sarkozy a passé contre le Smic 26 Décembre 2010 Par Laurent Mauduit Décrivant, dans son Histoire de la révolution française, la misère qui sévit dans les campagnes à la veille de 1789, Jules Michelet défend l'idée que les mauvaises récoltes, et la famine qui en découle, ne constituent en aucune façon «un phénomène naturel». «Ce n'est ni la pluie, ni la grêle. C'est un fait d'ordre civil: on a faim de par le Roi», écrit-il. Et il ajoute: «La famine est alors une science, un art compliqué d'administration, de commerce. Elle a son père et sa mère, le fisc, l'accaparement. Elle engendre une race à part, race bâtarde de fournisseurs, banquiers, financiers, fermiers généraux, intendants, conseillers, ministres. Un mot profond sur l'alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple: Pacte de famine.» Dans un tout autre contexte historique, deux cent vingt ans plus tard, c'est un raisonnement voisin que l'on pourrait être enclin de tenir pour décrire la situation des salariés les plus modestes, et notamment ceux qui sont payés au Smic. Car loin de découler de lois «naturelles» de l'économie, ou des seuls effets d'une crise économique historique, les très faibles rémunérations qui gagnent du terrain en France résultent à l'évidence d'un «pacte », «d'une science, un art compliqué d'administration». Sinon un pacte de famine, en tout cas un pacte de misère. C'est un paradoxe révoltant qui résume sans doute jusqu'à la caricature le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Rarement les plus grandes fortunes françaises n'ont été autant avantagées –au point que le chef de l'Etat s'est vu attribué le quolibet mérité de «président des riches». Mais rarement aussi les plus modestes n'ont été à ce point maltraités. Et s'il en fallait une nouvelle preuve, le gouvernement vient de l'administrer sans la moindre vergogne, en annonçant qu'il ne donnerait aucun «coup de pouce» au Smic et que celui-ci ne profiterait donc le 1 er janvier 2011 que de l'indexation minimale prévue par la loi. Et ceci pour la cinquième année de suite. Ce qui, de mémoire d'experts, est sans précédent. Il s'agit donc d'une très grave injustice, mais aussi d'une erreur économique en ces temps de crise historique. Voici pourquoi: 1. De combien le Smic progressera-t-il le 1 er janvier 2011? La loi prévoit une revalorisation automatique équivalente au montant de l'inflation et à la moitié du pouvoir d'achat du salaire horaire brut ouvrier. En conséquence de cette obligation légale, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) sera relevé de 1,6%. Il passera donc de 8,86 euros à 9 euros de l'heure à compter du 1 er janvier 2011. Le smic mensuel brut pour 151,67 heures de travail passera de 1.343,77 euros à 1.365 euros. Ce qui correspond à un Smic mensuel net de près de 1.073 euros contre 1.055,42 euros tout au long de l'année 2010. Mais la loi autorise aussi le gouvernement à aller au-delà de la revalorisation légale. C'est ce que l'on appelle ordinairement un «coup de pouce». Cette faculté, Nicolas Sarkozy a décidé de ne pas en user. Au 1 er janvier 2011, la hausse du Smic n'ira donc pas au-delà de la revalorisation minimale prévue par la loi. C'est ce qu'indique le décret pris par le premier ministre, François Fillon, le 17 décembre dernier : on peut le consulter ici . En clair, en pleine période de marasme économique et de fortes menaces sur le pouvoir d'achat, le gouvernement a octroyé aux smicards une hausse de seulement 18 euros nets par mois. L'aumône ! Même pas de quoi acheter une baguette de pain par jour... Le tableau ci-dessous rappelle les hausses précédentes :

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SMIC

Le pacte que Sarkozy a passé contre le Smic26 Décembre 2010 Par Laurent Mauduit Décrivant, dans son Histoire de la révolution française, la misère qui sévit dans les campagnes à la veille de 1789, Jules Michelet défend l'idée que les mauvaises récoltes, et la famine qui en découle, ne constituent en aucune façon «un phénomène naturel». «Ce n'est ni la pluie, ni la grêle. C'est un fait d'ordre civil: on a faim de par le Roi», écrit-il. Et il ajoute: «La famine est alors une science, un art compliqué d'administration, de commerce. Elle a son père et sa mère, le fisc, l'accaparement. Elle engendre une race à part, race bâtarde de fournisseurs, banquiers, financiers, fermiers généraux, intendants, conseillers, ministres. Un mot profond sur l'alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple: Pacte de famine.»Dans un tout autre contexte historique, deux cent vingt ans plus tard, c'est un raisonnement voisin que l'on pourrait être enclin de tenir pour décrire la situation des salariés les plus modestes, et notamment ceux qui sont payés au Smic. Car loin de découler de lois «naturelles» de l'économie, ou des seuls effets d'une crise économique historique, les très faibles rémunérations qui gagnent du terrain en France résultent à l'évidence d'un «pacte », «d'une science, un art compliqué d'administration». Sinon un pacte de famine, en tout cas un pacte de misère.C'est un paradoxe révoltant qui résume sans doute jusqu'à la caricature le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Rarement les plus grandes fortunes françaises n'ont été autant avantagées –au point que le chef de l'Etat s'est vu attribué le quolibet mérité de «président des riches». Mais rarement aussi les plus modestes n'ont été à ce point maltraités. Et s'il en fallait une nouvelle preuve, le gouvernement vient de l'administrer sans la moindre vergogne, en annonçant qu'il ne donnerait aucun «coup de pouce» au Smic et que celui-ci ne profiterait donc le 1er janvier 2011 que de l'indexation minimale prévue par la loi.Et ceci pour la cinquième année de suite. Ce qui, de mémoire d'experts, est sans précédent. Il s'agit donc d'une très grave injustice, mais aussi d'une erreur économique en ces temps de crise historique. Voici pourquoi:1. De combien le Smic progressera-t-il le 1er janvier 2011? La loi prévoit une revalorisation automatique équivalente au montant de l'inflation et à la moitié du pouvoir d'achat du salaire horaire brut ouvrier. En conséquence de cette obligation légale, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) sera relevé de 1,6%. Il passera donc de 8,86 euros à 9 euros de l'heure à compter du 1er janvier 2011. Le smic mensuel brut pour 151,67 heures de travail passera de 1.343,77 euros à 1.365 euros. Ce qui correspond à un Smic mensuel net de près de 1.073 euros contre 1.055,42 euros tout au long de l'année 2010.Mais la loi autorise aussi le gouvernement à aller au-delà de la revalorisation légale. C'est ce que l'on appelle ordinairement un «coup de pouce». Cette faculté, Nicolas Sarkozy a décidé de ne pas en user.Au 1er janvier 2011, la hausse du Smic n'ira donc pas au-delà de la revalorisation minimale prévue par la loi. C'est ce qu'indique le décret pris par le premier ministre, François Fillon, le 17 décembre dernier : on peut le consulter ici.En clair, en pleine période de marasme économique et de fortes menaces sur le pouvoir d'achat, le gouvernement a octroyé aux smicards une hausse de seulement 18 euros nets par mois. L'aumône ! Même pas de quoi acheter une baguette de pain par jour...Le tableau ci-dessous rappelle les hausses précédentes :

2. Nicolas Sarkozy conduit-il une politique plus antisociale que ses prédécesseurs?La réponse ne souffre aucune contestation: oui, sans aucun doute. Car depuis des lustres, tous les gouvernements ont pris l'habitude de faire un geste, parfois seulement symbolique, parfois un peu plus généreux en faveur du Smic. Quand il était premier ministre, Michel Rocard avait ainsi coutume chaque année de relever le Smic du montant de l'obligation légale (l'inflation + 50% du pouvoir d'achat du salaire ouvrier), ce à quoi il ajoutait un «coup de pouce» égal à nouveau à 50% du pouvoir d'achat du salaire ouvirer, soit au total une hausse du Smic égale à l'inflation et 100% du pouvoir d'achat du salaire horaire ouvrier. Ce n'était pas très généreux car à l'époque la croissance était très forte sous les effets du contre-choc pétrolier, mais c'était assurément mieux que rien.Ensuite, au lendemain de l'élection présidentielle de 1995, Jacques Chirac qui avait mené campagne en promettant de réduire la «fracture sociale» annonce une hausse forte de 4% du Smic, intégrant un très substantiel «coup de pouce». Ce qui ne l'empêche pas, dès l'année suivante, de majorer de nouveau le Smic de 2,51%, dont 0,16% au titre du «coup de pouce».Lionel Jospin marche ensuite sur les mêmes brisées. Décidant une hausse de 4% du Smic au 1er juillet 1997, dont 2,26% au titre du «coup de pouce», il choisit un an plus tard une nouvelle hausse de 2% dont 0,46% au titre du «coup de pouce». Ensuite, sous la pression des politiques économiques libérales défendues par ses ministres des finances, Dominique Strauss-Kahn d'abord, Laurent Fabius ensuite, il renonce à tout «coup de pouce» en 1999 comme en 2000, acceptant tout juste un «coup de pouce» presque infime de 0,29% au 1er juillet 2001.S'ouvre ensuite une période complexe, liée à l'uniformisation des différents Smic, du fait de la réforme des 35 heures.

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Mais à partir du 1er juillet 2007, c'est-à-dire au lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy, la politique suivie est d'une parfaite lisibilité: c'est la première fois que tout «coup de pouce» est écarté pour longtemps. Aucun en 2007, en 2008, en 2009, et en 2010. CQFD! Avec le choix qui a été fait pour 2011 de ne toujours pas aller au-delà de l'obligation légale, c'est donc bien la cinquième année de suite que le gouvernement affiche son mépris pour les plus basses rémunérations.Si l'on veut vérifier l'exactitude des faits mentionnés, il suffit de se reporter à un rapport public. Avant de rendre ses arbitrages, le premier ministre fait mine en effet de consulter un groupe d'experts, chargé de lui faire des recommandations en la matière. Rendu public le 30 novembre dernier, le dernier rapport en question, que l'on peut consulter ci-dessous, présente en sa page 44 l'historique que nous venons de rappeler.

3. Pourquoi les experts recommandent-ils une faible revalorisation du Smic?Dans le rapport publié page précédente, tous les experts consultés recommandent une revalorisation a minima du Smic. Ces experts ne sont pas tous de droite, et pourtant, toutes ces belles âmes assurent qu'une hausse trop forte du Smic n'est pas nécessaire. Que l'on prenne pourtant le temps de les lire, et l'on aura tôt fait de mesurer ses failles. Des pages durant, ces experts s'attardent sur les filets sociaux de sécurité mis en place en France tout au long des années 2000,  notamment la Prime pour l'emploi (PPE) créée en 2001, et le Revenu de solidarité active (RSA), créé en juin 2009.Et le rapport s'attarde longuement sur le fait que cette politique de transferts financés sur fonds publics est le premier facteur qui explique la progression du pouvoir d'achat des salariés rémunérés au voisinage du Smic. «Ainsi, pour un couple avec deux enfants dont l'un des parents travaille au SMIC à temps complet, les transferts sous la forme de PPE puis de RSA ont représenté 72% de la croissance de leur revenu disponible (21 points sur 29).» Conclusion logique de ce rapport d'inspiration ultra-libérale: que l'Etat fasse office de voiture-balai; mais que les entreprises ne soient pas trop sollicitées au travers des hausses du Smic.Ne consacrant que quelques pages rapides en fin de rapport à la crise économique pourtant historique que le monde traverse, ces experts se gardent de s'interroger sur la pertinence de la politique économique suivie par Nicolas Sarkozy. Tout comme ils se gardent de relever l'indécence qu'il y a à recommander la rigueur pour les petits salaires, alors que les bonus pour les traders ou les stock-options pour les patrons du CAC 40 continuent de flamber, même à un degré d'intensité à peine diminué.Sinistres experts qui font mine d'administrer leur science, alors qu'ils ont pour seule mission de défendre des privilèges. Intendants d'un régime dont l'égoïsme social est le premier ressort, eux aussi jouent leur rôle dans ce pacte dont Michelet a si bien décrit les mécanismes.4. A quoi sert le Smic ?Dans ce rapport de commande, on trouve des statistiques qui plaident pourtant contre la politique d'austérité recommandée en conclusion. On mesure en particulier à quel point le Smic est la voiture balai d'une économie de plus en plus déréglementée où le travail est de plus en plus malmené et le capital de plus en plus intransigeant.En clair, le Smic est de plus contourné, mais que serait le marché du travail s'il n'existait pas, si les employeurs n'étaient pas soumis à cette obligation légale? Il suffit de se référer au tableau ci-dessous, issu de ce rapport, pour le mesurer: la flexibilité aurait fait des ravages encore plus forts que ceux que ces chiffres suggèrent.

Ce tableau, qui a été mis au point sur la base des revenus fiscaux et sociaux de 2007, fait en effet apparaître que sur plus de 23,5 millions de salariés, 2,7 millions d'entre eux (soit 11,5%) disposaient de très bas revenus, inférieur ou égal à 0,6 du Smic, compte tenu de période d'inactivité ou des emplois occupés à temps partiel. Et près de 2,5 millions de salariés (10,6%) disposaient pour les mêmes raisons d'un revenu salarial annuel compris entre 0,6 à 1 Smic. En clair, plus de 20% des salariés français gagnent moins que le Smic ou tout juste le Smic. Et plus de 56% des salariés Français ont un revenu égal ou inférieur à 1,6 fois le Smic.

Ce que décrit ce tableau, c'est donc une explosion du marché du travail, sous les effets d'une violente déréglementation qui s'est poursuivie tout au long des trois dernières décennies. Emplois précaires, emplois intérimaires, emplois à temps partiels... de plus en plus souvent, le travail ne protège plus de la pauvreté. Et le Smic n'a plus les effets qu'il avait autrefois, du temps où le contrat à durée indéterminée était la règle dominante du marché du travail. Sous les avancées du capitalisme anglo-saxons auquel la France s'est progressivement convertie, une nouvelle catégorie de travailleurs est apparue: les working poors (les travailleurs pauvres).C'est dire a contrario les effets protecteurs du salaire minimum. Car s'il protège de plus en plus mal des salariés soumis à une flexibilité et une précarité croissante, c'est assurément une raison de plus qui plaide pour de franches revalorisations.Mais les règles de ce nouveau capitalisme anglo-saxon sont tellement intransigeantes qu'elles ne supportent aucun dispositif qui contrevienne à la sacro-sainte flexibilité du travail. Dans un univers où de nombreux acquis sociaux ont volé en éclats sous les coups de boutoirs du marché, le Smic qui, lui, a partiellement survécu concentre toutes les hostilités de la droite et du monde patronal. Alors, à défaut de le supprimer - ce qui serait sans doute politiquement très risqué- une coalition s'est formée pour le geler, si l'on peut dire. Une coalition ou si l'on préfère un pacte.

5. Le Smic protége-t-il de la pauvreté?

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L'aspect le plus révoltant de la situation présente, c'est que le Smic, et avant lui son ancêtre le Smig, créé en 1950, avait pour objectif, dans l'esprit de leurs concepteurs, de protéger ceux qui en bénéficient de la pauvreté. Pendant les Trente Glorieuses, il était en quelque sorte, un bouclier social pour les travailleurs les moins bien payés.Or, depuis plus de deux décennies, le Smic ne fait plus qu'imparfaitement son office. D'abord, au lendemain des deux chocs pétroliers, le chômage a pris des proportions considérables, englobant de 2,6 à 4,3 millions de personnes, selon le mode de calcul retenu, comme on peut le constater ci-dessous, à la lecture des dernières statistiques, publiées le 24 décembre. Ainsi culminera-t-il toujours à près de 9,5% de la population active à la fin du premier semestre de 2011. Et puis, pour ceux qui ont un travail, le Smic est un bouclier social désormais très ébréché, puisque comme on l'a vu, de nombreux salariés, notamment ceux qui disposent d'un emploi en intérim ou à temps partiel, gagnent moins que cela.

Résultat: le revenu médian des Français est excessivement bas (voir notre enquête Radiographie d'un pays au bord de l'exaspération sociale). C'est une étude récente de l'Insee, que l'on peut  consulter ci-dessous, qui l'établit de manière méticuleuse:

Cette étude fait ainsi apparaître qu'en 2008 la moitié des Français vivait avec moins de 1.580 euros par mois. Ce chiffre fonctionne comme un réquisitoire: le gouvernement refuse de donner un «coup de pouce» au Smic alors que 20% des salariés gagnent moins que le salaire qu'il est censé garantir et alors que 50% des Français ont un revenu égal ou inférieur à 1,5 Smic.

Dans ces chiffres transparaissent donc de très nombreuses souffrances sociales que le gouvernement refuse d'entendre.L'autisme du gouvernement transparaît d'un autre chiffre officiel: depuis 2002, la pauvreté ne cesse en France à nouveau de gagner du terrain. Là encore, une étude de l'Insee, que l'on peut consulter ici sur le site Internet de l'Institut, l'établit de manière irréfutable (voir aussi notre article Depuis 2002, la pauvreté ne cesse de progresser). Observons en effet le tableau ci-dessous qui est extrait de cette étude :

L'institut relève ainsi que le taux de pauvreté (soit des revenus inférieurs à 60% du revenu médian) est en France de 13,4% en 2007, ce qui correspond à 8,034 millions de personnes. Si l'on prend les chiffres sur une plus longue période, on constate que le nombre des personnes pauvres a très fortement baissé de 1996 (7,6 millions de personnes) à 2002 (6,9 millions), avant de repartir très fortement à la hausse pour dépasser, donc, en 2007, la barre des 8 millions.

Et il est très probable, même si on ne dispose pas encore des chiffres, que la tendance s'est encore creusée avec l'irruption d'une crise économique majeure, qui a fait spectaculairement gonfler le chômage et donc l'exclusion et la pauvreté.Résumons: de 2,6 à 4,3 millions de chômeurs selon le mode de calcul; plus de 8 millions de pauvres; 50% des Français dont le revenu mensuel est inférieur à 1.580 euros par mois... et malgré tout, pendant cinq ans de suite, le gouvernement refuse de faire un geste en faveur du Smic, même symbolique. On en vient bel et bien à penser que la forte phrase de Jules Michelet prend de nouveau une forte résonance sous la présidence de Nicolas Sarkozy: «Un mot profond sur l'alliance des spéculateurs et des politiques sortit des entrailles du peuple: Pacte de famine».

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6. Pourquoi faut-il relever le Smic ?La faiblesse des rémunérations françaises constitue la première réponse. Mais, il y en une seconde: au-delà de la justification sociale, une relance du Smic serait opportune pour des raisons économiques.Tout au long de la crise, le gouvernement a en effet multiplié les plans d'aide en faveur des entreprises (banques, automobiles, taxe professionnelle, etc) mais n'a rien fait ou presque pour les ménages. En quelque sorte, face à la crise, le gouvernement a fait le choix d'un «ajustement social». Envolée du chômage, tassement des rémunérations: les salariés ont été les premiers à supporter le poids de la crise.Et du même coup, comme l'établit la dernière note de conjoncture de l'Insee (voir notre article L'austérité casse la reprise et appauvrit les ménages ici dans sa version française, là dans sa version en langue anglaise), la consommation des ménages est en train de s'effondrer du fait d'un pouvoir d'achat en berne sinon même en baisse. «En 2010, écrit ainsi l'Insee, le pouvoir d'achat par unité de consommation augmenterait au même rythme qu'en 2009 (+0,8%). Par habitant, la hausse serait de +0,4% tandis que le pouvoir d'achat par ménage baisserait de 0,4%.» (la note de conjoncture peut être téléchargée ici et le passage évoqué à l'instant se trouve à la page 82)En quelque sorte, la politique d'austérité du gouvernement, dont le Smic est une illustration, tend à anémier l'économie et à étouffer la timide reprise. 7. Faut-il réinventer un nouveau pacte social?Le délabrement dans lequel se trouve aujourd'hui le salaire minimum, qui ne protègent qu'imparfaitement ceux qui en profitent, n'est qu'une facette de l'éclatement du pacte social qui a fonctionné tout au long des Trente Glorieuses et qui a ensuite volé en éclats. Longtemps en effet, les écarts de rémunérations entre les très hauts salaires et les très bas étaient contenus. C'était le résultat d'un pacte social implicite: les très hauts salaires acceptaient en quelque sorte de ne pas s'envoler toujours plus; en contrepartie, les bas salaires n'étaient pas sans cesse aspirés... plus bas. Ainsi le voulait le capitalisme rhénan, qui tolérait un partage, selon les rapports de force, entre le capital et le travail.Les règles du capitalismes anglo-saxon sont venues tout bouleverser: ignorant ce partage, elles ont favorisé une envolée des rémunérations des cadres dirigeants et, du même coup, les grands groupes ont jugé intolérable les protections sociales dont bénéficiaient les travailleurs les plus modestes. On peut dire les choses de manière encore plus directe: les folles rémunérations des cadres dirigeants des entreprises ont généré, par un choc en retour, le développement des "travailleurs pauvres" dans le bas des hiérarchies de ces mêmes entreprises. Indéniablement, il faut donc défendre le Smic. Mais au-delà, c'est assurément, tout le pacte social qu'il faut reconstruire. Le débat est d'ailleurs dès à présent lancé, car de nombreuses voix à gauche ont commencé à faire valoir qu'il fallait aussi explorer l'idée d'un «salaire maximum», pour contenir les dérives invraisemblables auxquelles se sont laissés aller notamment les patrons du CAC 40. L'idée du «salaire maximum» n'est certes qu'une image. Car, il existe bien d'autres moyens pour rétablir une société plus équitable que d'interdire des rémunérations au-delà d'un certain seuil, jugé exorbitant. Il existe en particulier l'impôt sur le revenu, dont la progressivité a été cassée au fil des ans, par une réduction progressive de 15 à 5 des tranches d'imposition. La fonction redistributrice de l'impôt sur le revenu, impôt-citoyen par excellence, pourrait donc être réhabilitée. Avec d'autres, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) lâche ainsi qu'au-dessus de 350.000 euros annuels, il «prend tout».Le ton est volontairement gouailleur, comme l'est le personnage. Et les modalités évoquées discutables. Mais le débat est de première importance: au-delà du Smic, ce sont les règles de partage entre le capital et le travail qu'il faut redessiner. Pour sortir de ce pacte de misère, et un inventer un autre: un pacte plus généreux, un pacte solidaire.

La longue marche des minima de branche vers le smicSpécial Salaires | LE MONDE ECONOMIE | 31.10.11 | 17h19

La branche du commerce de gros de la chocolaterie et de la confiserie mériterait de figurer dans le Livre des records. Son premier niveau de salaire n'a pas été révisé depuis 1999, et s'établit encore en francs ! Il atteint 6 764 francs brut, soit 1 031 euros, le smic mensuel étant à 1 365 euros.Bien sûr, aucun salarié employé à temps plein ne peut être rémunéré en dessous du smic.Mais la présence d'un ou plusieurs coefficients en deçà du minimum légal provoque un tassement de la grille salariale. Si bien que l'employé positionné sur ces premiers niveaux risque d'attendre longtemps avant d'avoir une augmentation de salaire.Du négoce d'ameublement aux sociétés d'économie mixte d'autoroutes, en passant par la blanchisserie, la coiffure et la parfumerie : au 31 mai, parmi les branches couvrant plus de 5 000 salariés, 48 sur 175 (soit 2,41 millions de salariés concernés) avaient un premier coefficient inférieur au smic.Le problème est ancien, et la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail avait prévu un dispositif de pénalités : au 1er

janvier 2011, dans les branches où le premier niveau de la grille est inférieur au smic, les allégements de charges sociales dits Fillon devaient être basés non plus sur le smic mais sur ce minimum -conventionnel.Mais une disposition a permis de ne pas appliquer cette mesure. Elle prévoit son report au 1er janvier 2013 si le ratio entre le nombre de branches de plus de 5 000 salariés ayant un premier niveau sous le smic et le nombre total de branches de cette taille diminue de moitié.Ce qui a été le cas, selon le ministère du travail. La plupart des syndicats ont déploré ce report, "qui ne va pas inciter à négocier", estime Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale à FO. "Tant que des grilles dans les branches démarraient sous le smic, il fallait appliquer les pénalités", insiste Jacques Voisin, président de la CFTC.Le dernier pointage du ministère du travail, à fin octobre, fait toutefois état d'avancées : il ne resterait plus que 24 branches dont le premier niveau est sous le smic, couvrant 1,7 million de salariés. "Le nombre de branches concernées se réduit progressivement", se félicite Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail.

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Mais pour Mme Médeuf-Andrieu, ces données sont "biaisées" : "Parmi les 151 branches censées être conformes, il y a celles où le premier niveau est au smic et aussi celles où le patronat a promis d'ouvrir des négociations pour y parvenir. Cela ne règle pas le problème."La proposition de loi relative à la simplification du droit du député UMP Jean-Luc Warsmann fera-t-elle avancer ce dossier ? Elle prévoit que lorsque le premier niveau de la branche est inférieur au smic, les partenaires sociaux "se réunissent pour négocier sur les salaires".A défaut d'initiative de la partie patronale dans les trois mois, "la négociation s'engage dans les quinze jours suivant la demande d'une organisation syndicale". Adoptée par l'Assemblée le 18 octobre, la proposition de loi doit être transmise au Sénat.Francine Aizicovici

Augmenter le smic détruirait des emplois sans diminuer la pauvretéLE MONDE ECONOMIE | 13.06.2012 à 14h34 • Mis à jour le 13.06.2012 à 14h34Par Pierre Cahuc et Stéphane CarcilloDepuis le début des années 1980, le smic a augmenté une fois et demie plus vite que le salaire moyen. Le bilan est sans appel : de nombreux salariés faiblement qualifiés ont été peu à peu rattrapés par le minimum légal et ont vu ainsi disparaître leurs perspectives d'évolution salariale, voire leur emploi.Dans le même temps, la pauvreté n'a pas diminué d'un iota. La raison en est simple : la pauvreté en France est surtout le résultat d'un déficit d'emplois à temps plein, bien plus que de la faiblesse des salaires horaires. Le niveau atteint depuis plusieurs années par le smic pèse sur l'emploi des moins qualifiés.Dans ce contexte, remettre en cause les allégements du coût du travail sur les basses rémunérations, même à la marge, ne fera qu'augmenter le chômage.En effet, malgré les importantes sommes consacrées aux allégements de cotisations sociales ciblées sur les bas salaires, le coût du travail au niveau du salaire minimum reste élevé en France en comparaison avec nos principaux partenaires commerciaux.Notre coût minimum du travail est de 70 % plus important que celui observé aux Etats-Unis, et de 80 % plus élevé que la moyenne des pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).Sommes-nous si productifs que nous puissions nous permettre de tels écarts ? De toute évidence, la réponse est non.Les études économiques montrent qu'un accroissement supplémentaire du smic de 1 % au-delà des règles légales actuelles, en plus de coûter aux finances publiques près de 400 millions d'euros par an (hausse de la facture des allégements généraux, augmentation des salaires, etc.), détruit ou empêche la création de 30 000 à 40 000 emplois à l'horizon de quelques années.Dans ce contexte, les allégements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires sauvegardent de nombreux postes, et cela perdurera tant que le coût du travail restera élevé en comparaison des autres pays de l'OCDE.800 000 EMPLOIS DÉTRUITSSelon nos estimations, la suppression de l'ensemble du dispositif détruirait en quelques années environ 800 000 emplois. Enlever les allégements liés aux 35 heures ferait disparaître environ 400 000 postes, instituer un point de sortie à 1,5 au lieu de 1,6 smic supprimerait environ 50 000 emplois, limiter les allégements à l'industrie entraînerait une perte de l'ordre de 700 000 postes, et limiter les allégements aux entreprises de moins de 50 salariés détruirait environ 380 000 emplois !Ainsi, dans le contexte actuel, rogner sur les allégements généraux qui ont démontré leur efficacité pour financer des mesures aux effets plus qu'incertains constitue une erreur économique majeure que paieront de leurs emplois les plus fragiles. Quant aux coups de pouce au smic, ce n'est ni une politique de pouvoir d'achat ni une politique de justice sociale.C'est une politique du passé, qui n'est plus adaptée à la situation de la France. Les pays du nord de l'Europe, où la pauvreté est moins fréquente que chez nous, l'ont bien compris : ils n'ont tout simplement pas de salaire minimum légal.Pour autant, nul ne contestera qu'il est difficile pour les familles avec des enfants de vivre sur la base du seul smic. De ce point de vue, une revalorisation de 1 % ou 2 %, saupoudrée sans discernement sur l'ensemble des salariés concernés, ne changera rien au problème.L'avenir passe au contraire par le développement de véritables outils de redistribution, mieux à même de cibler les familles en fonction de leurs besoins tout en favorisant l'emploi.Tout d'abord, il y a le revenu de solidarité active (RSA) "activité" qui, faut-il le rappeler, a fait l'objet d'un large consensus au moment de son vote à l'Assemblée nationale : le montant de ce complément des revenus du travail peut être très conséquent pour un ménage avec enfants, et il ne pèse pas directement sur le coût du travail. Pourquoi ne pas le revaloriser ?Ensuite, une baisse ciblée des cotisations sociales payées par les salariés, à la manière des allégements généraux aujourd'hui consentis aux entreprises, permettrait de renforcer encore l'effet du RSA en augmentant les gains nets tirés de l'emploi, à nouveau sans accroître le coût pour les entreprises.Protéger les allégements généraux de cotisations sociales patronales sur les bas salaires et revaloriser le RSA "activité" sont des options qui ne sont ni de droite ni de gauche. Avec le retour de la croissance, elles constituent la seule voie soutenable pour réduire la pauvreté et les inégalités tout en favorisant l'emploi.Pierre Cahuc et Stéphane CarcilloPierre Cahuc et Stéphane CarcilloPierre Cahuc est professeur à l'Ecole polytechnique et directeur du laboratoire de macroéconomie du Centre de recherche en économie et statistique de l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (Crest-Ensae).Stéphane Carcillo est maître de conférences à l'université Paris-I et professeur affilié au département d'économie de Sciences Po.

"Augmenter le smic détruit des emplois"Le Monde.fr | 22.06.2012 à 17h13 • Mis à jour le 22.06.2012 à 17h13Par Jean-Baptiste Chastand

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Mis en place en 2009, le groupe d'experts sur le smic émet, chaque année, des recommandations sur l'évolution du salaire minimum. Regroupant des économistes, il a toujours recommandé de s'en tenir à la revalorisation automatique prévue par la loi. Paul Champsaur, président du groupe et ancien directeur de l'Insee, explique pourquoi il est opposé à un "coup de pouce" supplémentaire, au-delà de l'inflation, alors que Michel Sapin, ministre du travail, va en annoncer un, mardi 26 juin.Avant de décider d'un éventuel "coup de pouce" au smic, le gouvernement n'a pas souhaité vous consulter officiellement, même si Michel Sapin, ministre du travail, va vous rencontrer de manière informelle. Qu'en pensez-vous ?Le gouvernement n'avait pas à nous consulter, puisque notre consultation n'est prévue que pour les coups de pouce légaux du 1er

janvier. Le code du travail donne la possibilité au gouvernement de faire des coups de pouce en dehors du 1er janvier. Pour ceux-là, il n'est contraint par aucune règle. S'il nous avait consultés, nous aurions de toute façon donné un avis négatif. Il était donc inutile que l'on nous demande notre avis.A partir du moment où la hausse a été promise par le candidat victorieux, il semblait en effet difficile qu'elle ne se fasse pas. Et nous ne voulions pas, d'emblée, rompre tout dialogue entre notre groupe et le gouvernement. Par contre, nous sommes ouverts à une discussion informelle, éventuellement suivie, si le coup de pouce est raisonnable, d'une consultation sur les revalorisations futures.Recommanderez-vous d'augmenter le smic en janvier 2013 ?La loi implique une indexation automatique du smic sur l'inflation, à laquelle on ajoute la moitié de l'évolution de pouvoir d'achat du salaire de base horaire ouvrier. Nous ferons donc nos calculs et nous comparerons avec ce qui sera fait au 1 er juillet. S'il y a une différence positive, nous recommanderons une hausse à la hauteur de cette différence ; sinon, nous recommanderons de ne rien faire.Pourquoi êtes-vous opposés à ce coup de pouce ?Il faut rappeler que, au sein de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], la France fait partie des pays dans lesquels le smic est le plus élevé. Par ailleurs, le smic est actuellement égal aux deux tiers du salaire horaire médian ouvrier, contre la moitié, environ, dans les années 1970. Cela veut dire qu'il y a une compression des bas salaires.Une hausse du smic a, par ailleurs, pour effet de réduire le nombre d'emplois proposés par les entreprises. Les études économétriques sur le sujet évoquent 20 000 emplois peu qualifiés supprimés par point supplémentaire de smic. Comme cela fait trente-cinq ans que l'on donne régulièrement des coups de pouce trop élevés, la France a un chômage plus important que la moyenne du reste du monde occidental.Enfin, la France est l'un des seuls pays avec un smic mais où il n'y a pas de salaire minimum spécifique pour les jeunes. Résultat : les jeunes sans qualification mettent plusieurs années à entrer sur le marché du travail et ont des perspectives d'augmentation très faibles. Nous pensons que ce n'est pas bon.Mais la hausse du smic ne relance-t-elle pas la consommation ?Non. Si nous étions dans une économie fermée, sans commerce extérieur et sans problème de compétitivité, on pourrait se poser la question de relancer la demande en augmentant les salaires. Mais ce n'est pas le cas, notre économie est très fortement ouverte. Le niveau de salaire est l'élément de base pour la compétitivité de nos entreprises.De 2002 à 2007, les salaires ont augmenté en France de 2 points de plus qu'en Allemagne par an. Cela a permis, pendant ces années-là, une croissance plus forte en France, mais cela a débouché sur une perte de compétitivité et une situation économique intenable. Le pouvoir d'achat du smic a augmenté de 16 % depuis 2000, contre 10 % pour le reste des salaires. Quand le smic augmente, les salaires sont tirés vers le haut. Or, il faut qu'ils augmentent nettement moins vite.Par ailleurs, il y a des façons plus efficaces de donner de l'argent à ceux qui n'en ont pas. Il n'y a pas de smicard à plein temps parmi les 20 % des Français les plus pauvres, mais uniquement des gens qui travaillent peu ou pas. Il faut un recul lent du smic par rapport au salaire moyen, compensé par une hausse de la prime pour l'emploi ou du RSA [revenu de solidarité active], de façon à ce que les travailleurs les plus pauvres n'y perdent pas.Augmenter la prime pour l'emploi ou le RSA coûte à l'Etat...Mais augmenter le smic aussi. Le coût des allégements de charges sur les bas salaires augmente d'autant pour l'Etat. Ne vaut-il pas mieux, par ailleurs, donner cet argent aux gens qui n'ont pas, ou pas assez, de travail ? Les dirigeants politiques n'ont pas cherché à convaincre l'opinion publique de ce raisonnement.François Hollande a proposé d'indexer le smic sur la moitié de la croissance. Qu'en pensez-vous ?Il n'est pas dans notre mission de discuter de la méthode de revalorisation. Je rappelle que nous ne préconisons pas une baisse brutale du smic, mais des évolutions plus soutenables pour l'économie. Selon nos calculs, une méthode indexée sur la moitié de la croissance, comme celle actuelle, basée sur l'inflation, auraient conduit à des hausses presque similaires. Le problème est qu'il y a eu de nombreux coups de pouce. Si le gouvernement opte pour une revalorisation indexée sur la croissance, comme solde de tout compte et sans coup de pouce futur, nous trouvons donc ça très bien. Mais, pour l'instant, le gouvernement n'a pas été aussi explicite.Si le coup de pouce est trop élevé, vous démissionnez ?Il faudrait que je consulte les autres membres. Mais si la hausse est à 4 %, je pense en effet que nous n'avons plus rien à faire. Il est donc important que ce coup de pouce soit modeste et que la suite soit à peu près correcte.Jean-Baptiste Chastand

Pourquoi la hausse du smic coûte-t-elle à l'Etat ? Le Monde.fr | 26.06.2012 à 20h31 • Mis à jour le 26.06.2012 à 20h31Par Jean-Baptiste Chastand et Samuel LaurentLa hausse du salaire minimum sera limitée. Le gouvernement Ayrault devait trancher entre son aile gauche et les syndicats, qui réclamaient un "coup de pouce" consistant, et Bercy, qui craignait un coût financier important. Il a choisi la "raison", avec une hausse de 2 %, dont 1,4 % dus à l'inflation, soit 0,6 % de "coup de pouce" véritable.Mais pourquoi ces arbitrages ? Et pourquoi la hausse du smic aurait-elle un coût pour l'Etat ? Dans les commentaires, vous avez été très nombreux à vous poser ces questions et à réagir à une décision que vous êtes nombreux à juger injuste. Voici quelques éléments pour mieux comprendre.

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1/ Qu'est-ce que le smic et comment est-il calculé ?Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic) correspond au salaire horaire minimum en France. Il a succédé en 1970 au smig (salaire minimum interprofessionnel garanti) qui existait depuis 1950. On ne peut, sauf exception, pas rémunérer quelqu'un en dessous de ce salaire en France.Le smic est revalorisé chaque année (au 1er janvier depuis 2010) en fonction de la hausse de l'indice des prix à la consommation et de la moitié de la croissance du pouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier. Par ailleurs, dès que l'inflation (la hausse des prix) est supérieure à 2 % en cours d'année, le smic est automatiquement augmenté d'autant.Actuellement, le smic horaire est de 9,22 euros brut de l'heure, soit 1398,37 euros mensuels pour un salarié aux 35 heures. Ce qui correspond, en net, à 7,23 euros de l'heure et à 1 096,94 euros par mois (pour 35 heures par semaine), ou encore 13 163,28 euros par an. Avec la hausse de 2 %, le smic horaire va passer à 9,40 euros brut, soit 1 425,67 euros brut par mois pour 35 heures par semaine, ou 1 118 euros net.2/ Combien de salariés touchent le salaire minimum ? Selon l'Insee [Institut national de la statistique et des études économiques], en 2011, 10,6 % des salariés français étaient rémunérés au smic, soit environ 1,8 million de personnes. Le taux varie fortement suivant les secteurs d'activité : l'hôtellerie restauration emploie par exemple 35 % de personnes payées au salaire minimum. Ils sont également 16,4 % dans le secteur de la santé et de l'action sociale.On note aussi une nette surreprésentation des smicards parmi les salariés à temps partiel : 25,2 %. Car si on parle de 1 100 euros net par mois pour un smicard, ce n'est vrai que s'il est à temps plein. Or, nombre de secteurs proposent de plus en plus fréquemment des contrats à temps partiel (22 heures, par exemple), notamment dans les services et la grande distribution. Selon une étude de l'Insee, en 2007, 6 % des salariés français vivaient au-dessous du seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian, fixé à 954 euros par mois.Si on élargit un peu le spectre, on note que 10,6 % est un chiffre trompeur : il correspond aux personnes rémunérées du montant exact du smic. Mais, toujours selon l'Insee, la part de population vivant avec un revenu voisin du salaire minimum est bien plus importante : 40 % des individus ayant un revenu touchent moins de 15 540 euros par an.3/ Le smic français est-il vraiment élevé par rapport à ses équivalents européens ?Tous les pays d'Europe ne disposent pas d'un salaire minimum s'appliquant à tous les métiers. L'Allemagne, par exemple, n'en a pas, même si les syndicats le réclament de plus en plus fréquemment.Mais parmi les pays dotés de l'équivalent du smic, la France est effectivement dans le peloton de tête, loin devant le Royaume-Uni, par exemple (1 201,96 euros brut par mois), comme on peut le constater sur ce graphique. Une fois revalorisé, le smic français devrait être le salaire minimum le plus élevé d'Europe, après celui du Luxembourg.Une étude d'Eurostat montre par ailleurs que le smic français est aussi l'un des plus élevés en parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire comparativement au niveau de vie ; ou encore en pourcentage du salaire moyen. L'impact concret de ce niveau élevé est que le travail le moins qualifié est plus cher en France que dans les autres pays européens. Ce qui augmente le risque de délocalisation de ces emplois peu qualifiés.4/ Pourquoi une hausse du smic coûte-t-elle à l'Etat ?Deux raisons expliquent cela : d'une part, l'Etat est un employeur important. Et il rémunère une partie de ses agents au salaire minimum : 890 000 personnes sont dans ce cas. De fait, une hausse du salaire minimum signifie que l'Etat employeur doit débourser plus pour payer ces agents. Selon le député UMP Gilles Carrez, spécialiste du budget, 1 % de hausse équivaut à 300 millions d'euros supplémentaires. La hausse de 2 % signifie 600 millions d'euros de salaires en plus.Ensuite, la hausse du smic a un impact sur les baisses de charges. La France mène depuis des décennies une politique d'exonération de charges sur les bas salaires, destinée notamment à compenser le niveau élevé du smic français en Europe. L'Etat ne perçoit donc pas de cotisations sociales sur les salaires au niveau du smic et jusqu'à 1,6 fois ce dernier et cela représente un manque à gagner, puisque l'Etat doit reverser la différence à la sécurité sociale, en compensation. Hausse du smic signifie donc hausse de ce manque à gagner. Selon un rapport de l'inspection des finances, cité par Les Echos , un coup de pouce de 1 % équivaut à 800 millions d'euros supplémentaires.5/ La hausse du smic détruit-elle vraiment des emplois ?La question est polémique, mais fait l'objet d'un consensus chez les économistes. Augmenter le smic oblige les employeurs à augmenter les salaires à ce niveau, c'est certain. Ce qui représente une charge supplémentaire et peut les conduire à devoir licencier. Il est difficile, cependant d'établir un ratio mécanique "x % de hausse du smic = y destructions d'emplois".L'étude de référence sur le sujet est celle de Francis Kramarz. Il a effectué en 2001 une comparaison France/Etats-Unis qui montre qu'une hausse de 1 % du salaire minimum, détruit l'emploi de 1,5 % des smicards. Il se base notamment sur l'impact sur l'emploi des exonérations de charges qui sont progressivement étendues au cours des années 1990. "Ces baisses ont permis de mesurer exactement l'impact du coût du travail sur l'employabilité des salariés concernés", estime-t-il.Paul Champsaur, président du groupe d'experts sur le smic, défend lui aussi ces résultats, "même s'il faut nuancer : une hausse du smic peut créer des emplois si le salaire minimum est très bas, en créant plus d'incitation à travailler, comme le cas américain l'a montré. Mais la France a un des smic les plus elevés de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]."L'économiste Henri Sterdyniak, de l'office français des conjonctures économiques (OFCE) et membre du collectif des "atterrés", s'il est plus nuancé, ne donne pas tort à M. Kamarz. "Ses études sont fiables", consent ce partisan d'un coup de pouce "limité". "Mais il y a eu plus de 600 000 emplois détruits depuis 2007 sans aucun coup de pouce au smic", rappelle-t-il.Selon un conseiller ministériel, "les données de ces études ne sont pas contestables", même s'il juge que les chiffres "mériteraient d'être détaillés par secteur", car "une hausse du smic n'a pas le même impact pour les emplois des secteurs soumis à la concurrence internationale et ceux protégés." Jean-Baptiste Chastand et Samuel Laurent

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Salaire minimum mensuel en janvier 2012 en €

Salaire minimum mensuel en janvier 2012 en € PPA

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Salaire minimum mensuel en janvier 2010 en % du average gross monthly earnings

Le Smic est en danger de mort11 DÉCEMBRE 2012 | PAR LAURENT MAUDUIT

Après avoir été malmené sous Nicolas Sarkozy, le Smic, qui figure parmi les principaux acquis sociaux des salariés les plus modestes, pourrait bien connaître de nouvelles vicissitudes sous la gauche, sinon même être purement et simplement démantelé. C’est en tout cas ce que suggèrent les dernières recommandations du groupe d’experts chargés d’éclairer le gouvernement avant toute mesure de revalorisation. À l’approche du 1er janvier 2013, date légale de la prochaine revalorisation, ce groupe d’experts avance en effet des suggestions sulfureuses. Pour le court terme, il recommande de revoir fortement à la baisse les modalités d’indexation du Smic et, pour le long terme, de le démanteler purement et simplement en avançant vers un Smic-jeunes ou des Smic régionaux. Autant de pistes qui dans le passé ont conduit à des flambées de colère sociale dans le pays.Au terme de la loi, un groupe d’experts, qui est actuellement présidé par Paul Champsaur (président de l’Autorité de la statistique publique) et qui comprend Martine Durand (directrice des statistiques de l’OCDE), Gilbert Cette (économiste à la Banque de France), Francis Kramarz (professeur à l’École Polytechnique) et Étienne Wasmer (professeur à Sciences-Po), est effectivement chargé de faire des recommandations au gouvernement. En prévision de la prochaine revalorisation qui doit intervenir le 1 er janvier 2013, ce groupe vient donc de mettre la dernière main à son rapport, qui est daté du 26 novembre.Et c’est ce rapport qui contient ces recommandations explosives.Le voici :Smic: le rapport du groupe des expertsPour comprendre les préconisations de ces experts, il faut avoir à l’esprit que depuis de longues années, le salaire minimum bénéficie de deux types de revalorisation. D’abord, il y a l’indexation légale : le Smic est chaque année (au 1er juillet autrefois, au 1er

janvier depuis peu) revalorisé du montant de l’inflation majoré de la moitié des gains du pouvoir d’achat ouvrier. Mais la loi donne la faculté au gouvernement d’aller au-delà et de donner ce que l’on a coutume d’appeler un « coup de pouce » (voir ici la définition de l'Insee).Or le gouvernement veut modifier ces règles, comme l’explique le rapport de ces experts : « Le gouvernement a indiqué lors de la “Grande conférence sociale” de juillet 2012 son intention de faire évoluer les règles du SMIC, notamment s’agissant des critères de revalorisation automatique. L’hypothèse d’une indexation, le cas échéant partielle, sur le taux de croissance de l’économie a été évoquée. »C’est donc la raison pour laquelle les experts, cette fois, ne se bornent pas à faire leur traditionnelle recommandation de modération salariale, mais font des propositions beaucoup plus radicales.D’abord, ils écartent la piste un moment évoquée par François Hollande d’une indexation sur la croissance. Et l’argument qu’ils évoquent pour exclure cette solution retient l’attention. Ils ne font en effet pas valoir qu’une telle indexation serait très défavorable aux salariés, puisque cela équivaudrait à une stagnation du Smic en période de croissance zéro et donc à une baisse de son pouvoir d’achat au prorata de l’inflation. Non ! Si les experts écartent cette hypothèse, c’est seulement pour une raison technique : « Il n’est

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pas souhaitable de baser la revalorisation automatique du SMIC sur de nouveaux indicateurs qui seraient issus de la comptabilité nationale, notamment ceux faisant référence à la croissance du PIB. Les révisions à la hausse ou à la baisse de ces indicateurs soulèveraient en effet de grandes difficultés au moment de leur prise en compte dans la fixation du SMIC. Or ces révisions peuvent à la fois intervenir tardivement et être de grande ampleur. Les chiffres du PIB sont en effet susceptibles d’être révisés pendant trois années après la période de référence et ensuite périodiquement à l’occasion des changements de base des comptes nationaux. Des révisions de l’ordre de 1 point sur le taux de croissance annuelle du PIB ont été observées », font-ils valoir.Vers un Smic-jeunes ou un Smic régionaliséCar sur le fond, le groupe d’experts est bien d’accord avec cette même philosophie : il faut fortement revoir à la baisse les modalités d’indexation du Smic. Dans des formules jargonnantes particulièrement hermétiques, il évoque ainsi cette première piste : « Les risques d’une dynamique spontanée non contrôlée du SMIC en cas d’inflation particulièrement volatile pourraient inviter à prévoir une fongibilité au moins partielle des termes de la revalorisation que sont l’indice des prix à la consommation de l’Insee et le demi pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier mesuré par l’enquête du ministère du travail. Cela reviendrait, en cas de baisse des prix par exemple, à imputer une partie des gains de pouvoir d’achat du salaire horaire brut ouvrier liés à cette baisse des prix sur ceux qui résultent du principe de non indexation du SMIC sur les prix en baisse. » Traduction en version décodée : il serait judicieux que l’indexation automatique cesse d’être… automatique quand elle est avantageuse pour les salariés.Une deuxième piste est évoquée, visant à prendre dans le système d’indexation non plus le salaire ouvrier pour référence, mais un agrégat salarial qui évolue de manière moins dynamique.La troisième piste est du même acabit : le groupe recommande de prendre pour référence non plus l’indicateur d’inflation habituel mais un indicateur qui évolue là encore de manière moins dynamique. Et dans une formule alambiquée, les experts recommandent les « coups de pouce » les plus faibles possibles. Et sans rire, ils osent écrire que ce serait plus conforme « à l’intérêt conjoint des salariés et des entreprises qui les emploient ».Mais nos rapporteurs n’en restent pas là. Il suggèrent aussi, « à plus long terme », que des réformes plus radicales soient envisagées. Et c’est là que le groupe fait des préconisations qui risquent de déclencher un tollé.Les experts s’étonnent d’abord de « l’homogénéité géographique du Smic, alors que les niveaux de prix différent fortement entre régions ». Cette piste de la régionalisation du Smic est une bombe. Voilà en effet plus de trente ans que le patronat plaide en ce sens, mais aucun gouvernement, de droite ni de gauche, n’a jamais osé franchir le Rubicon, qui constituerait un véritable chiffon rouge pour tous les syndicats.Les mêmes s’étonnent ensuite de « l’homogénéité du Smic selon l’âge, alors que l’insertion sur le marché du travail des moins de 25 ans est difficile ». En clair, les experts recommandent donc une différenciation du Smic selon l’âge. Cette proposition est tout aussi sulfureuse que la précédente, car cela pourrait conduire à l’instauration d’un « Smic-jeunes ». C’est cette piste qui sous le gouvernement d’Édouard Balladur, en 1994, avait fait descendre dans la rue des centaines de milliers de lycéens et d’étudiants, contraignant le premier ministre de l’époque, après plusieurs semaines de tempête sociale, à reculer.Les experts invitent même le gouvernement à se demander s’il ne faut pas démanteler totalement le Smic ou le supprimer purement et simplement. C’est suggéré de manière pas même discrète. Les experts pressent en effet le gouvernement à réfléchir au « principe même d’une revalorisation automatique ou au moins d’une revalorisation automatique dépassant le simple maintien du pouvoir d’achat du salaire minimum » ; et à réfléchir aussi au « fait que le Smic n’est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les bas revenus ». Fort de ce parti pris qui n’est évidemment pas établi, les rapporteurs suggèrent donc qu’on ferait aussi bien de se passer une bonne fois pour toute du Smic et de ne garder qu’un seul instrument de lutte contre la pauvreté, le Revenu de solidarité active (RSA).Cette position réjoint les thématiques des courants les plus libéraux selon lesquels l'État doit légiférer le moins possible en matière de droit du travail et seulement faire office de voiture-balai en corrigeant les pires excès de la pauvreté.Lisant ces lignes, on pourrait certes penser que ces préconisations explosives n’engagent en rien le gouvernement. Or, si ! Tout est là : d’abord parce que c’est le gouvernement qui a pris la décision de lancer une réforme des modalités d’indexation. Et puis surtout, cette proposition de réforme est l’aboutissement d’une histoire longue, qui a vu travailler main dans la main des économistes proches des socialistes et des experts de droite ou proches des milieux patronaux. C’est même l’ultime rebondissement d’une histoire longue dans laquelle François Hollande a joué un rôle de premier plan.Denis Olivennes et Alain Minc en éclaireursC’est dans le courant des années 1990 qu’une ribambelle d’experts commencent à partir à l’assaut du Smic. Pour le compte de l’ex-Fondation Saint-Simon, Denis Olivennes, à l’époque haut fonctionnaire, devenu depuis le patron du pôle médias du groupe Lagardère, écrit ainsi en février 1994 une note qui fait grand bruit. Intitulée La préférence française pour le chômage, et publiée peu après par la revue Le Débat (1994, n°82), elle défend la thèse très libérale selon laquelle des salaires trop élevés en France ont contribué à pousser le chômage à la hausse. La démonstration est en vérité très contestable, car depuis le tournant de la « rigueur » des années 1982-1983, c'est à l'inverse la « désindexation compétitive » (en clair, la rigueur salariale) qui est l'alpha et l'oméga des politiques économiques conduites par la droite et par la gauche.

Il n'empêche. Au sein de la deuxième gauche, la note fait sensation. Mais tout autant à droite, notamment dans les rangs des partisans d'Édouard Balladur. À l'époque, ce dernier prépare sa rupture avec Jacques Chirac et veut commencer à dessiner ce que pourrait être son programme de candidat à l'élection présidentielle. Pour cela, il a donc l'idée d'utiliser un ami… Alain Minc : il le nomme à la présidence d'une commission qui, sous l'égide du Commissariat général du Plan, est chargée d'élaborer un rapport sur « La France de l'an 2000 ».Pour Alain Minc, qui devient à quelques mois de l'élection présidentielle de 1995 président du conseil de surveillance du Monde, l'offre ne peut mieux tomber. À la tête du plus prestigieux des quotidiens français qu'il va pouvoir instrumentaliser à sa guise ; en position, au travers d'AM Conseil, de conseiller une bonne partie des patrons du CAC 40 ; et maintenant à la tête de la commission chargée d'élaborer le programme de celui des hommes politiques qui est donné favori à l'élection présidentielle : c'est pour lui la consécration. À la tête de cette commission du Plan, il se jette dans la campagne présidentielle.Et de qui s'inspire-t-il pour conduire les travaux de sa commission ? On l'aura deviné : de Denis Olivennes ! Faisant sienne la thèse de la note de la Fondation, le rapport de Minc recommande une politique de rigueur accentuée : « La société française a fait, consciemment ou non, le choix du chômage […] La Commission pense que le coût salarial par tête […] doit augmenter moins vite que la productivité. » Et d'ajouter, au sujet du Smic : « La Commission a fait le choix d'une solution “raisonnable” : au minimum, remettre en cause le principe des coups de pouce […] ; et au maximum, revenir à la simple indexation sur les prix » (au lieu du dispositif légal qui prévoit chaque 1er juillet une indexation sur les prix, majorée de la moitié de la hausse du pouvoir d'achat du salaire ouvrier). C'est donc bel et bien l'austérité salariale que recommande Alain Minc.Dès cette époque, Alain Minc, très proche d'Édouard Balladur et de son bras droit Nicolas Sarkozy, travaille donc main dans la main avec Denis Olivennes. L’un et l’autre font partie des cibles de Jacques Chirac quand il part en guerre contre la « pensée unique » (lire Alain Minc et Denis Olivennes célèbrent la « pensée unique »).

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Puis, dans le courant des années 2000, c’est un économiste moins connu, Gilbert Cette, dont le port d’attache est la Banque de France et qui fait partie de l’actuel groupe d’experts à l’origine de ce sulfureux rapport, qui prend le relais, multipliant les rapports en faveur d’un démantèlement du Smic. Longtemps proche de Martine Aubry et aujourd’hui président de l’Association française de science économique, il s’illustre en applaudissant bruyamment la politique d’austérité salariale conduite lors du précédent quinquennat. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est violente.Gilbert Cette, l'économiste de droite et de gauchePour la première fois depuis la création du Smic en janvier 1970 (il est le prolongement du Smig, créé lui en 1950), Nicolas Sarkozy fait en effet le choix de ne procéder à aucun « coup de pouce » en faveur du salaire minimum. Multipliant les cadeaux fiscaux à ses richissimes amis du Fouquet’s, il se montre d’une rigueur extrême à l’encontre des salariés les plus modestes. Et durant toutes ces années, l’économiste Gilbert Cette appuie non seulement cette politique socialement inéquitable, mais de surcroît, il plaide déjà pour que le salaire minimum soit remis en cause. Avec deux autres économistes, à l'époque membres comme lui du Conseil d’analyse économique, il cosigne ainsi en mars 2008 un rapport, révélé peu après par Mediapart (lire Un rapport officiel veut casser le Smic), proposant de remettre en cause le salaire minimum.Et le plus stupéfiant de l’histoire, c’est que Gilbert Cette reste pour la direction socialiste un économiste parfaitement fréquentable. Dans un premier temps, on peut certes penser qu’il a perdu un peu de son autorité académique. Car, au printemps 2011, quand le projet socialiste est élaboré (on peut le consulter ici), c’est une orientation radicalement opposée qui prévaut. À la page 14 de ce document, l’engagement est en effet clairement consigné : « Le Smic constitue un levier à court terme pour améliorer les conditions de vie des plus modestes et stimuler la consommation. La revalorisation de son pouvoir d’achat sera engagée après des années d’abandon par la droite. »Mais, durant l’été 2011, alors que se préparent les primaires socialistes, François Hollande et ses proches débattent du sujet et ne manifestent guère d’enthousiasme pour cette revalorisation du Smic. Et cela transparaît publiquement quand François Hollande organise le 24 août 2011 à la Maison de l’Amérique latine, une première réunion avec des économistes qui lui sont proches (lire L’énigme François Hollande).L’un des économistes présents, en effet, n’est autre que… Gilbert Cette, que l’on voit apparaître dans la vidéo ci-dessous, résumant les travaux de cette journée aux côtés de Karine Berger ou encore de Jérôme Cahuzac.Ce 24 août 2011, Gilbert Cette repart donc à la charge contre le Smic. Et le plus étonnant, c’est que ce qu’il dit est retenu comme parole d’évangile. On en trouve trace dans le compte-rendu officiel (il est ici) de la troisième table ronde qui a lieu ce jour-là, dénommée – ce n’est guère enthousiasmant ni mobilisateur : « Concilier pouvoir d’achat, compétitivité, et consolidation des finances publiques ».Cela commence par l’énoncé suivant : « Cette troisième table ronde a permis de définir des pistes de conciliation entre, d’une part, la sauvegarde du pouvoir d’achat et, d’autre part, deux forces contraires : un regain de compétitivité qui plaide pour une modération salariale et un contexte de sobriété budgétaire susceptible de toucher les dépenses dont bénéficient les foyers modestes. »Autrement dit, la table ronde fait siens tous les poncifs réactionnaires de la politique libérale, qui a été le socle des politiques économiques suivies par la droite comme par la gauche depuis le virage de 1982/1983 : une politique salariale trop généreuse fait le lit du chômage et nuit à la compétitivité. Cela a été en particulier le credo de Pierre Bérégovoy comme celui d’Édouard Balladur. Il faut donc conduire une politique de l’offre plutôt qu’une politique de la demande. Tout est dit dans cette formule : il faut privilégier « un regain de compétitivité », et cela « plaide pour une modération salariale ».Et le compte-rendu officiel poursuit : « S’agissant des classes populaires, les participants font le constat d’un tassement de l’échelle des salaires lié à une progression du Smic plus rapide que celle du salaire médian. Les intervenants se sont accordés pour dire qu’un Smic élevé n’est pas le meilleur outil de soutien aux plus modestes, les dispositifs de solidarité de type RSA ou PPE étant mieux adaptés car sans incidence directe sur le coût du travail. Ces outils pourront être évalués et ajustés, mais les moyens qui leur sont alloués devront être ménagés afin que la phase de désendettement ne génère pas de nouvelles inégalités. » Plus brutalement dit, si « un Smic élevé n’est pas le meilleur outil », on peut en déduire qu’il ne faudrait donc pas donner de « coup de pouce » au Smic.Les ravages de la “pensée unique”En quelque sorte, les économistes proches de François Hollande donnent donc raison, sans le dire ouvertement, à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir donné de « coup de pouce » au Smic et prennent donc leur distance avec le projet du PS.Quand François Hollande publie son programme présidentiel en janvier 2012, il n’est donc pas fait mention d’un « coup de pouce » au Smic : le candidat socialiste viole ouvertement le projet de son propre parti et fait quasiment l’impasse sur la question du pouvoir d’achat. Tout juste préconise-t-il quelques mesures : « 1. Une nouvelle tarification progressive de l'eau, du gaz et de l'électricité ; 2. Baisse des frais bancaires et valorisation de l’épargne populaire ; 3. Lutte contre la spéculation sur les prix de l'essence ; 4. Fiscalité : protéger le pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires ; 5. Augmentation de 25 % de l'allocation de rentrée scolaire ; 6. Encadrement des loyers ; 7. Baisse du prix des médicaments. » Mais du Smic, il n’est pas question (lire Pouvoir d’achat : le débat escamoté).Dans les semaines qui suivent, François Hollande devine-t-il pourtant que l’élection présidentielle est très serrée et qu’il aurait tout de même intérêt à prendre en engagement, aussi modeste soit-il, sur le Smic, face notamment à Jean-Luc Mélenchon qui prône un « Smic à 1 700 euros brut par mois pour 35 heures, conformément aux revendications syndicales, et 1 700 euros net pendant la législature » ? C’est donc ce qu’il fait : du bout des lèvres, durant la campagne, il consent finalement à dire qu’il est favorable à un « coup de pouce », même si ce n’est pas consigné dans son programme.Quelques jours après sa victoire à l’élection présidentielle, à l’occasion de son premier entretien télévisé sur France 2, il n’a donc d’autres solutions que de dire qu’il tiendra parole et que le Smic sera revalorisé au 1 er juillet suivant. Mais déjà, on ressent percer dans le propos présidentiel une infinie précaution.Et dans les jours qui suivent, on comprend vite que François Hollande est totalement en arrière de la main : le gouvernement annonce en effet que le 1er juillet 2012, le salaire minimum ne sera revalorisé que de 2 %, soit, hors inflation, un « coup de pouce » de seulement 0,6 %. À la différence de tous les gouvernements qui se sont donc constitués au lendemain d’une alternance et qui se sont souvent montrés très généreux, y compris les gouvernements de droite (+4 % en 1995, lors de la constitution du gouvernement Juppé, par exemple), celui de Jean-Marc Ayrault caresse le « peuple de gauche » totalement à rebrousse-poil et ne consent qu’à une minuscule aumône. Le « coup de pouce » accordé par François Hollande correspond en effet à une revalorisation du Smic de 6,45 euros par mois ou si l’on préfère d’environ… 20 centimes par jour ! Une misère…Et dans la foulée, le gouvernement fait clairement comprendre que le temps de ces maigres générosités est définitivement révolu et que le groupe des experts en charge des recommandations sur le Smic – nous y voilà – va se mettre au travail d’ici la fin de l’année afin de proposer une réforme de l’indexation du Smic.Sans même attendre que le groupe d’experts dont il fait partie réponde à la sollicitation du gouvernement, le même Gilbert Cette décide donc de partir en éclaireur et de rédiger un premier rapport de son cru, avec l’aide d’un autre économiste, Étienne Wasmer, sous l’égide de Sciences Po. Cet économiste, Étienne Wasmer, est comme Gilbert Cette, membre du groupe des experts chargés de faire des recommandations sur le Smic.

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Publié dans le courant du mois de novembre, ce rapport est un véritable brûlot. Le voici :Smic: le rapport Cette-WasmerSi on lit ce rapport, on comprend vite que c’est lui qui est à l’origine de toutes les recommandations qui proposent de démanteler le Smic. Le rapport du groupe des experts a d’ailleurs la franchise de l’admettre : il n’a fait quasiment que recopier les propositions de régionalisation du Smic-jeunes ou de régionalisations du Smic proposées dans un premier temps par Gilbert Cette et Étienne Wasmer, dans leur rapport rédigé sous l’égide de Sciences-Po. Le gouvernement peut donc difficilement dire que ce rapport ne l’engage pas. Car c’est un économiste proche de François Hollande qui en est le principal inspirateur.Cette piste de réforme n’est certes pas la seule qui soit aujourd’hui à l’étude. Dans le même temps, une sous-commission de la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) planche aussi sur les modalités d'indexation. Et elle a visiblement une conception du débat démocratique et du pluralisme qui n’a rien à voir avec la « pensée unique » en vigueur au sein du groupe officiel d’experts. À preuve, des économistes opposés au démantèlement du Smic ont aussi pu y exposer leur point de vue, tel l’économiste de l’Institut de recherche économique et social (Ires), Michel Husson qui, s’exprimant au nom de la CGT, a vivement défendu le Smic et ses effets sociaux vertueux. On trouvera ci-dessous le point de vue qu’il a défendu lors de son audition.Smic: le rapport HussonL'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a, de son côté, publié récemment une étude allant dans le même sens, contestant que des hausses du salaire minimum ont des effets pernicieux (lire Smic: l'OFCE met en cause la doxa officielle).Il n’empêche ! Après le cadeau de 20 milliards d’euros offert sans contrepartie aux entreprises sous forme de crédit d’impôt ; après l’oubli par le chef de l’État de sa promesse faite aux sidérurgistes de Florange, c’est un séisme social majeur que le gouvernement pourrait enclencher en dégoupillant la bombe que Gilbert Cette a préparée sur le Smic. Car il s’agit ni plus ni moins que de mettre en œuvre une réforme dont rêve le patronat depuis plus de trois décennies et qu’aucun gouvernement de droite n’a osé initier. Ce qui risque de susciter l'indignation du mouvement syndical et des associations et syndicats de lycéens et d'étudiants. Mediapart

La laborieuse invention du salaire minimumLE MONDE ECONOMIE | 17.12.2012 à 11h26• Mis à jour le 17.12.2012 à 17h29Par Michel NoblecourtEt si on réformait le smic ? Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait souhaité que le salaire minimum soit "indexé sur les prix mais en plus sur une part de la croissance". Lundi 17 décembre, lors d'une réunion de la commission nationale de la négociation collective consacrée à la revalorisation du smic au 1er janvier, qui touche 2,6 millions de salariés, Michel Sapin, ministre du travail, devait aborder le sujet. Même si le groupe d'experts sur le smic a rejeté l'idée d'une indexation sur la croissance, surtout dans des périodes où celle-ci est faible ou négative.Le principe du salaire minimum est timidement mis en oeuvre sous le Front populaire. La loi du 26 juin 1936 sur les conventions collectives, dans les branches professionnelles, préconise de négocier un salaire plancher par région et par catégorie professionnelle. Elle résulte des accords de Matignon qui prévoient "le rajustement nécessaire des salaires normalement bas".A la Libération, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 - repris par celle de 1958 - proclame que "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". Votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, malgré les réserves des communistes qui s'emploient à faire rejeter les amendements du "très réactionnaire" Conseil de la République, la loi du 11 février 1950 sur la négociation collective instaure un "salaire minimum national interprofessionnel garanti" (smig).Ce smig est fixé à partir du budget type d'un ménage déterminé par une commission supérieure des conventions collectives qui rassemble, sous la houlette du ministère du travail, des représentants des employeurs et des salariés.CINQ ZONES DE SALAIRES ET DONC... CINQ SMIGIl y a cinq zones de salaires et donc... cinq smig. Pour la région parisienne, le taux est fixé en fonction du budget moyen du manoeuvre pour ses dépenses alimentaires. Au 1er septembre 1950, le conseil des ministres fixe le smig à 78 francs de l'heure à Paris - soit 15 600 francs par mois pour 200 heures de travail - mais dans la "zone moins 18" il descend à 64 francs !Les syndicats réagissent avec réserve. La CGT, qui revendiquait un smig à 19 000 francs par mois pour 40 heures par semaine, se met au diapason des autres centrales qui veulent 17 500 francs. Mais la confédération dirigée par Benoît Frachon s'insurge contre "une insulte à la classe ouvrière".Force ouvrière, qui vient de se créer à la suite d'une scission de la CGT, fait la fine bouche, en prenant acte d'une "première étape dans la réorganisation de l'économie". Mais sa fédération des employés et cadres dénonce une "politique de misère imposée à la classe ouvrière par un patronat réactionnaire devant lequel les pouvoirs publics sont incapables de faire prévaloir l'intérêt général" . La Confédération générale des cadres (CGC) s'inquiète pour la hiérarchie des salaires, "oubliée", et la CFTC juge que "les résultats sont moins mauvais qu'on aurait pu le craindre".Le 26 août 1950, René Pleven, le président du Conseil, avait soigneusement bordé l'utilisation du nouvel outil qui ne devait ni compromettre la "stabilité monétaire" ni provoquer "une hausse injustifiée des prix". Mais l'inflation galope. Le coût de la vie augmente de 11 % en 1950 et de 20 % en 1951.Pour éviter que les smigards soient payés en monnaie de singe, la loi du 18 juillet 1952 institue un mécanisme d'indexation minimale. La règle est simple : chaque fois que l'indice des prix de l'Insee augmente de plus de 5 %, le smig est relevé automatiquement d'autant. Le pouvoir d'achat devient garanti. En 1957, le seuil de déclenchement de cette échelle mobile est même ramené de 5 % à 2 %.GEORGES POMPIDOUPour lutter contre l'inflation, les gouvernements s'efforcent de maintenir artificiellement l'indice des prix au dessous du seuil de déclenchement. Résultat : entre 1956 et 1968, l'écart se creuse entre le salaire moyen et le salaire minimum, qui évolue beaucoup plus lentement.Lorsque le 25 mai 1968, au coeur de la tourmente, Georges Pompidou réunit les partenaires sociaux au ministère du travail, rue de Grenelle, le smig est au centre des négociations. Une partie de billard à quatre bandes s'engage - entre d'un côté le premier ministre et la CGT et de l'autre André Bergeron, le secrétaire général de FO, et le patronat - et le relevé de conclusions du 27 mai, qui ne sera jamais signé, prévoit une hausse du salaire minimum de 35 %.

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Mais la "révolution" de mai va surtout révolutionner le smig. Dans le cadre de la "nouvelle société" qu'il promet, Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de M. Pompidou, épaulé par son conseiller social Jacques Delors, veut relancer la politique contractuelle et réformer le salaire minimum.Il s'agit de transformer le smig en smic, en salaire minimum interprofessionnel de croissance. Son projet de loi dispose que "en aucun cas, l'accroissement annuel du pouvoir d'achat du smic ne peut être inférieur à la moitié de l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires horaires moyens enregistrés par l'enquête trimestrielle du ministère du travail". Dès que l'inflation atteint 2 %, le smic est augmenté et il fait l'objet d'une révision chaque année au 1er juillet.AU NOM DE LA "JUSTICE SOCIALE"Le 10 décembre 1969, à l'Assemblée nationale, Joseph Fontanet, le ministre du travail, défend la réforme avec fougue, au nom de la "justice sociale" : "Il s'agit de transformer complètement l'ancienne notion statique de protection d'un minimum de subsistance assuré aux moins favorisés, pour y substituer la conception dynamique d'une participation effectivement garantie et régulièrement croissante aux fruits de l'expansion."Le centriste Jacques Barrot évoque un mécanisme "moins imparfait" que ce que l'on pouvait imaginer. Des élus UDR s'inquiètent des effets du texte sur la survie des PME. La gauche n'y voit qu'un "changement de sigle" et vote contre. Le nouveau smic - mis en oeuvre par la loi du 2 janvier 1970 - est adopté par 385 voix contre 91.Ce smic est destiné à garantir la progression, et non plus le maintien, du pouvoir d'achat de smicards dont le nombre augmente... à chaque hausse. Mais il devient surtout une arme politique. De 1968 à 1973, la fin des "trente glorieuses", il évolue plus vite que le salaire moyen. En 1981, François Mitterrand marque son arrivée au pouvoir en le haussant de 10 %. Mais dès 1984, après le tournant de la rigueur, la politique des coups de pouce cesse.Le 1er juillet 2012, M. Hollande a accordé une très légère hausse de 0,6 %, son ministre du travail soulignant qu'"il faut remonter à 1997 (quinze ans !) pour trouver un coup de pouce supérieur". Pourtant, au 1er octobre, 91 branches professionnelles couvrant 6 millions de salariés offrent un salaire conventionnel en bas de la grille inférieur au smic. Elles sont obligées de compenser cet écart par le versement de primes. Mais l'obsolescence des grilles salariales repose bel et bien la question : faut-il réformer le salaire minimum ?Michel NoblecourtA lire sur ce sujetDans le cahier " Eco & entreprise " du Monde, dans l'édition Abonnés du Monde.fr ou dans Le Monde daté mardi 18 décembre:- Dans les archives du Monde : " Une mesure nouvelle dans la législation sociale ", verbatim de René Pleven, Le Monde du 26 août 1950.Dates10 août 1899 Les "décrets Millerand" imposent aux sociétés soumissionnant à des marchés publics de pratiquer un "salaire normal".10 juillet 1915 Loi sur le salaire minimum des ouvrières à domicile de l'industrie du vêtement.7-8 juin 1936 Accords de Matignon : semaine de 40 heures sans perte de salaire, congés payés, conventions collectives, etc.27 octobre 1946 La Constitution impose à l'Etat d'assurer "à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" ainsi que "la sécurité matérielle".11 février 1950 La loi instaure le salaire minimum national interprofessionnel garanti (smig), qui est indexé sur les prix.18 juillet 1952 Loi relative à la variation du smig en fonction du coût de la vie : le seuil d'alignement automatique sur les prix est fixé à 5 %, puis à 2 % en 1957.25-27 mai 1968 Conférence de Grenelle : hausse de 35 % du salaire minimum.2 janvier 1970 Le smig devient smic (salaire minimum de croissance), indexé sur l'inflation et l'évolution du pouvoir d'achat.1er décembre 1988 Loi sur le revenu minimum d'insertion. Expérimentation du RSA dès le 21 août 2007.1er juillet 2012 Le smic horaire brut passe de 9,22 euros à 9,40 euros, soit un smic mensuel brut qui passe de 1 398,37 euros à 1 425,67 euros pour 151,67 heures de travail.

Le Smic est-il vraiment la cause du chômage en Europe?L’Expansion,  Par Emilie Lévêque - publié le 18/04/2013 à 18:23Angela Merkel voit dans le salaire minimum généralisé, dont son pays est dépourvu, la raison expliquant que de nombreux pays en Europe ont un taux de chômage bien plus élevé qu'en Allemagne. Info ou intox?L'Allemagne n'a pas de salaire minimum généralisé pour tous les salariés. Seuls quelques secteurs ont des accords fixant un niveau de rémunération minimale. L'opposition à la chancelière conservatrice Angela Merkel, les sociaux-démocrates et les verts, militent pour l'introduction d'un salaire minimum de 8,50 euros brut de l'heure.L'introduction d'un salaire minimum généralisé divise l'Allemagne. Les partis de l'opposition - le SPD et les Verts - ont présenté début mars un projet de loi visant à créer un salaire minimum de 8,50 euros brut de l'heure. Cette mesure figure au programme du social-démocrate Peer Steinbrück, principal rival de la chancelière conservatrice Angela Merkel aux élections législatives du 22 septembre.Si le projet de loi a été adopté par la chambre haute du Parlement, le Bundesrat, contrôlée par l'opposition, il n'a aucune chance de passer au Bundestag, la chambre basse du parlement allemand où les partis de la coalition gouvernementale conservatrice et libérale (CDU-CSU et FPD) ont la majorité. Angela Merkel a d'ailleurs redit, ce jeudi 18 avril dans un entretien au quotidien Bild, son opposition à ferme à un salaire plancher généralisé imposé par les politiques en Allemagne, y voyant la cause du chômage dans certains pays d'Europe. La "raison" qui explique que "de nombreux pays en Europe ont un taux de chômage bien plus élevé que chez nous, du fait que les salaires et le rendement ne sont pas en rapport", explique la chancelière conservatrice. Un niveau de Smic élevé pénalise les salariés les moins qualifiésUn argument également mis en avant par les employeurs outre-Rhin, pour qui l'introduction d'un salaire minimum généralisé menacerait la compétitivité des entreprises allemandes. Ils citent pour preuve la France, qui dispose d'un salaire minimum parmi les

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plus élevés d'Europe - 9,43 euros de l'heure soit 1430,22 euros bruts mensuels, contre 683,76 euros en Grèce ou 752,85 euros en Espagne - et où le taux de chômage atteint 10,6%, près du double de l'Allemagne (6,5%). Le lien entre chômage et salaire minimum n'est pas infondé. Toute hausse du Smic en France entraine ainsi des destructions d'emplois, même si les experts ne s'entendent pas sur leur nombre - entre 2.000 et 25.000 postes pour un coup de pouce de 1%. De même, supprimer les exonérations de charges sociales sur les bas salaires, qui représentent un manque à gagner pour les finances publiques de 27 milliards d'euros par an, détruirait, selon les études, entre 200.000 et 1 million d'emplois. "Le salaire doit correspondre la productivité du salarié, explique Eric Heyer, directeur adjoint du département analyse de l'OFCE. Plus le salaire minimum est élevé, plus les non qualifiés sont exclus du marché du travail. La question est de savoir si on veut résoudre cette équation en formant les moins qualifiés pour que leur productivité soit égale au niveau du salaire minimum, ou si l'on baisse le niveau du salaire minimum. La France a fait un choix intermédiaire, en gardant un Smic élevé mais en exonérant de charges sociales les bas salaires. L'Allemagne, elle, a fait du dumping salarial."L'Allemagne n'a pas de salaire minimum généralisé, la fixation des rémunérations étant strictement du ressort des partenaires sociaux. Seuls quelques accords de branche fixent un minimum horaire, qui s'impose à toutes les entreprises du secteur concerné. C'est notamment le cas du BTP, du personnel d'entretien, des peintres en bâtiment ou encore des éboueurs. Le niveau de salaire minium varie en général autour de 8 euros brut de l'heure. Mais d'autres salariés allemands touchent des salaires de misère, de 1 ou 2 euros de l'heure. Le risque d'une spirale déflationnisteC'est le résultat des réformes du chancelier Gerhard Schröder visant à flexibiliser le marché du travail, en 2003. Elles ont conduit à l'explosion des emplois à bas salaires (1 salarié sur 4 aujourd'hui), à la fluidification du marché du travail et au renforcement de la modération salariale. En dix ans, le pays a certes retrouvé sa compétitivité à l'exportation, mais au prix d'une explosion de la précarité: le taux de chômage a baissé de 5,5 points sur cette période, le taux de pauvreté a augmenté de 3,5 points. Aujourd'hui en Allemagne, 6 millions de personnes travaillent pour moins de 8 euros de l'heure, 2,5 millions moins de 5 euros. Reste que baisser le niveau du salaire minimum dans les pays où il en existe un n'est pas la solution actuellement pour lutter contre le chômage, estime Eric Heyer. La preuve: l'Espagne, la Grèce et le Portugal l'ont fait, en vain. Dans ces pays en crise, le chômage est en hausse continue depuis quatre ans. "Nous sommes dans une période d'excès d'offre et de demande insuffisante, explique l'économiste de l'OFCE. Les entreprises n'embauchent pas parce que la demande qui leur est adressée est insuffisante, parce qu'elles sont en surcapacités. Baisser le salaire minimum dans de telles conditions ne peut avoir que des effets négatifs sur le pouvoir d'achat des consommateurs, donc aggraver la récession". Pire: cela pourrait entrainer une spirale déflationniste en Europe, "le pire des maux économiques", selon Eric Heyer.

Faut-il vraiment envier le modèle allemand? Par Emilie Lévêque - publié le 02/02/2012 à 16:15, mis à jour le 06/02/2012 à 08:30Angela Merkel est à Paris ce lundi pour le 14e conseil des ministres franco-allemand... et pour afficher son soutien à Nicolas Sarkozy. Le président de la République ne cesse de citer le "modèle allemand" en exemple. A tort ou à raison?Angela Merkel est à Paris ce lundi pour présider, avec Nicolas Sarkozy, le 14e conseil des ministres franco-allemand. Elle devrait à cette occasion afficher son soutien au chef de l'Etat qui, de son côté, ne cesse de faire l'apologie de l'Allemagne pour légitimer ses réformes économiques - bouclier fiscal hier, réforme de l'ISF, renforcement de l'apprentissage, TVA sociale, accords compétitivité-emploi aujourd'hui et règle d'or budgétaire demain. "L'Allemagne revient si souvent dans le discours politique que l'on peut se demander si la présidentielle ne sera pas un référendum sur le modèle économique allemand", écrit sur son blog le rédacteur en chef adjoint du Figaro Pierre Rousselin. Avant de voter, les Français doivent savoir ce qui se cache derrière l'éclatant succès de leurs voisins d'outre-Rhin.L'Allemagne a pour la deuxième année de suite été la locomotive de l'économie européenne en 2011, avec une croissance de 3% après +3,7% en 2010. En comparaison, la France a enregistré une croissance de 1,5% en 2010 et devrait péniblement atteindre 1,7% en 2011. Cette solide croissance a permis à Berlin de réduire son déficit public à 26,7 milliards d'euros, soit 1% du PIB. Le déficit tricolore est cinq fois plus élevé. L'autre grand succès de l'Allemagne, c'est la baisse spectaculaire du chômage. Le nombre de chômeurs en Allemagne l'an dernier a atteint 2,976 millions en moyenne, soit le plus bas niveau depuis la réunification du pays, et 263.000 chômeurs de moins qu'en 2010. Le taux de chômage brut dans le pays a lui reculé en 2011 de 0,6 point de pourcentage pour s'établir à 7,1% en moyenne. En France, c'est l'inverse: le nombre de demandeurs d'emplois a progressé de 152 000 l'an dernier et le taux du chômage frôle les 10%. A notre décharge, la population française ne cesse de croître tandis que celle de l'Allemagne décroît.Les clés de ce succès sont connues: une spécialisation sur des produits où la demande mondiale reste soutenue (automobile, chimie, bien d'équipements, industries mécaniques), un nombre important d'entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5000 employés) appelées "mittelstand" outre-Rhin, une tradition et un savoir-faire dans la conquête de nouveaux marchés, un système de formation favorable à l'insertion en entreprises, le recours massif au chômage partiel et un dialogue social de qualité sur les salaires et l'emploi. "Le secret du modèle allemand, c'est l'industrie, la taille des entreprises, la co-décision et la compétitivité", relève Jean-Claude Betbèze, chef économiste du Crédit Lyonnais, qui ne cache pas son admiration pour la politique économique du pays. Quitte à en accepter les douloureuses contreparties.Une compression exagérée des salaires allemandsCar cette médaille a plusieurs revers. Pour restaurer sa compétitivité, qui s'était fortement dégradée dans les années 1990 suite à la réunification, l'Allemagne a pratiqué, sous l'impulsion de l'ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, une politique de modération salariale au début des années 2000. Politique qui s'est fortement accentuée en 2003 et 2005, années où a été lancé un train de réformes sans précédent visant à flexibiliser le marché du travail. Connues sous le nom de "lois Hartz", ces réformes ont notamment créé les mini-jobs, emplois dont la rémunération ne peut dépasser 400 euros par mois, qui peuvent être exercés en parallèle de l'aide sociale ou en plus d'un emploi "traditionnel".

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Leur but théorique est d'inciter au maximum les personnes sans emploi à revenir dans le monde du travail. Avantage pour les employeurs: les "mini-jobs" sont quasiment totalement dispensés de charges sociales. Les employeurs ont donc eu tendance à substituer les mini-jobs aux contrats classiques à temps complet fiscalisés, ce qui a entraîné une forte hausse du temps partiel et une pression à la baisse supplémentaire sur les salaires. Résultat : l'Allemagne a certes augmenté développé ses exportations entre 2000 et 2010, mais les salaires ont baissé en terme nominal (ils ont augmenté moins vite que l'inflation). Le salaire mensuel net médian a perdu 7,4% en 10 ans outre-Rhin, alors que le salaire annuel moyen a crû de 10,8% en France. "Cette compression consentie des salaires, si elle était nécessaire en raison du faible niveau de productivité de l'ancienne Allemagne de l'Est, est allée beaucoup trop loin, déplore Ferdinand Fichtner, économiste à l'institut de recherche DIW (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung) de Berlin. Cela a pesé sur le pouvoir d'achat des ménages et la part de la consommation dans le PIB s'est contractée. Les exportations ont ainsi bondi bien plus vite que les importations et l'Allemagne est aujourd'hui trop dépendante du commerce extérieur", estime-t-il. On l'a vu en 2009, au plus fort de la crise économique mondiale: le PIB allemand a chuté de 5,1%, contre un repli de 2,7% en France. Et cette année, alors que la zone euro - qui représente 40% des exportations allemandes - est au bord de la récession, le PIB du pays devrait croître d'à peine 0,3% selon le FMIUne paupérisation croissante de la populationL'autre revers de la médaille, c'est une très forte paupérisation des salariés. Au cours de la dernière décennie, l'Allemagne a créé 2 millions d'emplois à temps partiels (et peu à temps plein), tandis que la France en a créé 2 millions à temps plein (et très peu à temps partiel). La proportion de temps partiels a augmenté d'un tiers outre-Rhin sur cette période, alors qu'elle restait stable en France. L'Allemagne compte ainsi un quart de salariés à temps partiel, dont 19% (7 millions) de mini-jobbers. Or près de 90% de ces petits boulots entraient dans la catégorie des bas, voire très bas salaires (moins de 9,76 euros bruts de l'heure à l'ouest et moins de 7,03 euros de l'heure à l'est). 20% des salariés allemands sont payés à un niveau inférieur au Smic horaire français et 40% ont un salaire mensuel net inférieur à 1000 euros.Les chômeurs - 2,9 millions de personnes - ne sont pas mieux lotis. La dernière loi adoptée par Schröder, "Hartz IV", a en effet fusionné l'allocation chômage de longue durée et l'aide sociale. Ainsi, depuis 2005, après une année de chômage, les personnes sans emploi ne perçoivent plus qu'une allocation de 850 euros, aide au logement comprise. 70% des chômeurs allemands vivent ainsi sous le seuil de pauvreté. Plus globalement, l'Allemagne compte 12 millions de pauvres (avec moins de 940 euros par mois, soit 15% de la population contre 13,5% en France. A l'autre bout de l'échelle, 825 000 Allemands détiennent 2,6 millions d'euros de patrimoine, soit 1% de la population qui se partage le quart de la richesse du pays. "La politique de déflation salariale menée en Allemagne a conduit à un accroissement des inégalités de revenus, à une vitesse jamais vue, même durant le choc de l'après réunification", a dénoncé l'Organisation internationale du travail dans un rapport publié le 24 janvier. L'OIT va même jusqu'à affirmer que l'Allemagne est responsable de la crise en zone euro. "L'amélioration de la compétitivité des exportateurs allemands est de plus en plus identifiée comme la cause structurelle des difficultés récentes dans la zone euro", estime l'institution onusienne basée à Genève. "Au niveau européen, cela a créé les conditions d'un marasme économique prolongé, car les autres pays membres voient de plus en plus une politique de déflation des salaires encore plus dure comme solution à leur manque de compétitivité", explique-t-elle. Un avis que partage en partie Ferdinand Fichtner. "L'Allemagne n'est bien sûr pas seule responsable de la crise d'endettement des pays de la zone euro, explique l'économiste allemand. Mais il est vrai que l'absence d'inflation en Allemagne, liée à la contraction des salaires, a conduit la banque centrale européenne a mener une politique monétaire trop expansionniste [des taux directeurs bas, ndlr] pour la Grèce, l'Espagne, le Portugal ou encore L'Irlande. Dans ces pays, l'accès à un crédit facile et pas cher a nourri une hausse artificielle des salaires ainsi que des bulles immobilières."Le modèle allemand a donc, au final, des vertus dont la France aurait raison de s'inspirer, notamment en ce qui concerne les spécialisations industrielles, la capacité des entreprises à s'exporter et à conquérir de nouveaux marchés ou encore la qualité du dialogue social. Mais tout copier reviendrait à mettre à bas notre modèle social, modèle autrefois vanté par Nicolas Sarkozy pour sa capacité à avoir amorti le choc de la crise économique mondiale.

10 ans des réformes Schröder: le bilan qui divise Par Schnee Thomas, correspondant à Berlin - publié le 14/03/2013 à 10:40En 2003, l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder lançait l'Agenda 2010, un train de réformes économiques radicales. Dix ans après, les Allemands se demandent toujours si c'est bien là l'origine de leur succès économique.L'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder (de 1998 à 2005), lançait le 14 mars 2003 son "Agenda 2010", un train de réformes économiques et sociales dont les Allemands se demandent, dix ans plus tard, si elles ont vraiment été un succès.Gerhard Schröder semble être redevenu la coqueluche d'un monde politique qui l'a longtemps ignoré après son départ du pouvoir en 2005. A l'occasion du 10ème anniversaire de l'Agenda 2010, un train de réformes radicales qu'il avait annoncé au Bundestag le 14 mars 2003, tout le monde veut le citer, l'interviewer, le recevoir. Tout particulièrement la direction de son propre parti, le SPD, qui orchestre le retour de l'enfant prodigue, pourtant initiateur de réformes jugées responsables de l'appauvrissement de millions d'Allemands et de la désaffection d'une bonne de l'électorat social-démocrate. Lundi, le président du SPD Sigmar Gabriel s'est en tout cas déclaré "fier" de "cette performance historique" à l'origine, selon lui, de la bonne santé de l'économie allemande et du fort recul du chômage. "Nous allons réduire les aides de l'Etat, exiger de chacun qu'il donne plus et se prenne plus en charge", clamait Gerhard Schröder en 2003 à la tribune du Bundestag. "Toutes les forces de la société devront participer: les entrepreneurs et les travailleurs, les indépendants et aussi les retraités. Nous allons devoir fournir un formidable effort collectif pour atteindre notre objectif", ajoutait-il avant de détailler un agenda qui allait secouer l'Allemagne. Les patrons et la droite lui disent merciCelui-ci a conduit à l'explosion des emplois à bas salaires (1 salarié sur 4 aujourd'hui), à la fluidification du marché du travail et au renforcement de la modération salariale. En quelques années, le pays retrouvait sa compétitivité au prix d'une explosion de la précarité.Cette potion peu égalitaire a profondément divisé le SPD. Mais elle a ravi la droite et les patrons. "Je voudrais remercier personnellement le chancelier Schröder d'avoir, grâce à son Agenda 2010, ouvert la porte avec courage et détermination", déclarait

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ainsi Angela Merkel lors sa première déclaration de politique générale, en 2005. En 2008, c'est le patronat allemand qui suppliait le gouvernement de ne surtout pas revenir sur "les réformes importantes et justes" de l'Agenda 2010. Aujourd'hui que le taux de chômage a enregistré un recul historique et durable, et à l'approche des élections législatives, le SPD a lui aussi choisi de se réapproprier le "grand oeuvre", aussi pour montrer que le parti a plus que sa part dans les succès de l'économie nationale. Il prône aujourd'hui la création d'un salaire minimumPour autant, dix ans plus tard, le pays est toujours divisé sur les effets réels des réformes de Schröder. L'économiste Gustav Horn, président de l'Institut de recherches macroéconomiques et conjoncturelles, proche des syndicats, estime que "la bonne progression de l'emploi est à mettre sur le compte d'une bonne conjoncture et la flexibilité du temps de travail" négociée par les partenaires sociaux dans des milliers d'accords collectifs. Il évoque surtout le recours massif au chômage partiel et aux accords sur la sécurité de l'emploi signés par les mêmes en 2009/2010. "L'Agenda 2010 ne suffit pas à lui seul à expliquer le miracle de l'emploi", conclut-il. Pour comprendre le succès allemand, il faut aussi se tourner vers des éléments plus structurels: la spécialisation ancienne des entreprises allemandes sur les secteurs des machines-outils, de la chimie ou l'automobile, le tout en version haut de gamme. Autant de produits dont raffolent actuellement les pays émergents comme la Chine et le Brésil, en plein essor industriel. Pour le champion Gerhard Schröder, qui aime à rappeler que ses réformes ne sont tout de même pas "les dix commandements" et qu'il n'est pas "Moise", tous ces détails ne comptent plus. Aujourd'hui, il revient sur le devant de la scène le temps d'une campagne électorale en soutenant l'idée défendue par plusieurs économistes: le lancement d'un Agenda 2020! Celui-ci mettrait par exemple l'accent sur les investissements dans la recherche et l'éducation mais aussi, pourquoi pas, sur le passage de l'âge de la retraite à 69 ans. Enfin, pour rattraper les "bêtises" du passé, il propose, tout comme le SPD, la création d'un modeste salaire minimum de 8,50 euros de l'heure. Les principales mesures de l'Agenda 2010Economie et fiscalité : allègement de la part patronale sur les cotisations maladie, assouplissement de la protection contre le licenciement pour les petites PME, baisse des taux d'imposition plancher (16% à 15%) et plafond (45% à 42%) Marché de l'emploi : création des mini-jobs (400 euros pour 15 heures/semaine), libéralisation de l'intérim, fusion de l'allocation chômage longue durée et de l'aide sociale (Hartz IV), réforme de l'Agence fédérale pour l'emploi, aide à la création de micro-entreprises.Education : Développement de l'école primaire toute la journée (4 milliards d'euros)Retraites et santé : introduction d'un facteur de " développement durable " pour freiner la progression des cotisations retraite, introduction et augmentation du ticket modérateur pour les visites médicales et séjour à l'hôpital.

Non, madame Merkel, le salaire minimum n'est pas l'ennemi de l'emploiLE MONDE | 03.05.2013 à 08h48 • Mis à jour le 04.05.2013 à 10h21 Par Claire Gatinois ANALYSE. Les uns y verront une raison de plus de détester l'Allemagne, les autres, un motif supplémentaire de l'admirer. Quand, à la lecture des derniers chiffres du chômage communiqués par Eurostat, la France n'a pu faire mieux que le constat navré d'une nouvelle hausse (11 % de sans-emploi enregistrés en mars), Berlin a observé avec satisfaction une stagnation. Une stabilisation de son taux à 5,4 % depuis août 2012, et même une baisse par rapport à mars 2012 (5,5 %).En dépit de la crise, le niveau du chômage est devenu si bas, outre-Rhin, que la situation sur le marché du travail ressemble, aux dires des experts, au plein-emploi ! Une expression qui n'évoque aux Français qu'un vague souvenir, celui des "trente glorieuses" et du bon temps du "chômage frictionnel".Mais ce n'est pas ce grand écart qui peut déclencher l'agacement. Non. C'est plutôt le diagnostic qu'en fait la chancelière allemande, Angela Merkel. Si son pays se distingue, dit-elle, c'est qu'il n'a pas fait l'erreur de mettre en place un salaire minimum généralisé. Le smic et ses équivalents européens seraient, a-t-elle assuré dans un entretien au tabloïd Bild fin avril, la "raison" pour laquelle "de nombreux pays en Europe ont un taux de chômage bien plus élevé que chez nous". La France peut se sentir visée, comme l'Espagne et ses 26,7 % de chômeurs à la fin mars, la Grèce (27,2 %) ou le Portugal (17,5 %).Le smic, tueur d'emplois ? Les économistes réfutent cette théorie. Avec véhémence ou prudence. "Il n'y a pas d'évidence absolue", dit Gilles Moëc, chez Deutsche Bank. "C'est aller trop loin", souligne Guntram Wolff, du centre de réflexion européen Bruegel. "Avant la crise, une telle phrase n'aurait pas pu être prononcée", insiste, enfin, Eric Heyer, de l'Observatoire français des conjonctures économiques."RÔLE DE VOITURE-BALAI"Ce raccourci aurait été particulièrement inapproprié en 2005, quand le taux de chômage outre-Rhin affichait 11,3 %, selon Eurostat, soit deux points de plus qu'en France. A l'époque, Berlin n'avait déjà pas de salaire minimum. La France, si. Il faut aussi rappeler le cas de l'Italie, où il n'existe pas de smic généralisé. Or le pays a un taux de chômage de 11,5 %.Cela ne signifie pas que Mme Merkel a tort. La littérature économique abonde de textes sur le salaire minimum, aux bénéfices politiques évidents, mais aux effets économiques et sociaux ambivalents.La critique récurrente faite à la mise en place d'une rémunération plancher est que celle-ci fait augmenter le coût du travail. Au point de décourager un employeur de recruter. Les premières victimes ? Les travailleurs peu qualifiés et les jeunes inexpérimentés.Mais ce diagnostic a ses limites. Selon une étude de l'économiste Inmaculada Cebrian, en 2010, rien ne prouve qu'une hausse du salaire minimum serait néfaste à l'emploi en Espagne. Un rapport du département du travail américain daté de 1996 affirme même le contraire, citant le professeur de Harvard Richard Freeman : "Au niveau auquel était le salaire minimum dans les années 1980, une hausse modérée n'a pas réduit l'emploi, et l'a même, parfois, amélioré." Enfin, la mise en place d'un salaire minimum au Royaume-Uni à la fin des années 1990 n'a pas eu d'effet sur le chômage, rappelle Francis Kramarz, professeur à Polytechnique et ancien membre du groupe d'experts sur le smic.En résumé, le salaire minimum n'est pas, en soi, destructeur d'emplois. Il convient seulement de prendre des précautions... Précautions qui seraient absentes en France. La première est de fixer un seuil qui ne soit ni trop élevé, pour ne pas décourager les

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recruteurs, ni trop faible, pour ne pas écoeurer les travailleurs, estime Gilles Moëc. "Le salaire minimal doit avoir le rôle de voiture-balai", explique-t-il.Un mauvais point pour l'Allemagne et ses mini-jobs payés une misère qui ont fabriqué des travailleurs pauvres, donc. Mais aussi pour la France, dont le smic, à 1403,22 euros brut, représentait en 2010 (dernière donnée disponible) 47,4 % de la rémunération moyenne, contre 35 % pour l'Espagne ou 38 % pour le Royaume-Uni, selon Eurostat.UN SMIC TROP GÉNÉREUXC'est sans doute difficile à admettre mais, de l'avis de nombreux économistes, notre smic serait trop généreux, et ainsi défavorable aux populations fragiles, notamment les plus jeunes. Les coups de pouce systématiques seraient néfastes à l'emploi. Même si l'effet pervers resterait limité : 1 % de hausse du smic en France entraînerait 2 300 pertes d'emploi, calcule Eric Heyer. Les experts notent aussi que, en France, l'Etat fixe le niveau de ce salaire de base de façon unitaire et arbitraire. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de confiance entre partenaires sociaux, comme c'est le cas dans l'industrie, en Allemagne.Finalement, le gouvernement français a implicitement reconnu ce travers. Et, s'il n'existe pas de "smic jeune", comme au Royaume-Uni, les entreprises ont bénéficié d'exonérations de charges pour l'embauche des moins qualifiés, des jeunes ou des bas salaires dans la deuxième moitié des années 1990. En mai 2000, le gouvernement Jospin s'émerveillait d'un rythme de création d'emplois digne des "trente glorieuses". Pure coïncidence [email protected] Gatinois

Pourquoi le salaire minimum s'imposeLE MONDE | 09.02.2014 à 18h51 • Mis à jour le 10.02.2014 à 17h59 | Par Anne Rodier Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis… Tour à tour, les dirigeants de ces différents pays ont annoncé, ces dernières semaines ou ces derniers mois, leur volonté d'instaurer un salaire minimum au plan national, ou, dans le cas où ce revenu minimal existe déjà, de l'augmenter assez fortement.Ces annonces ne sont pas passées inaperçues. D'autant moins que la situation de l'emploi, en Europe comme aux Etats-Unis, reste fragile, avec des taux de chômage qui, même en diminution dans certains pays, restent toujours relativement élevés.Dans un tel contexte, toute la question est de savoir – et le débat n'est pas nouveau ! – si de telles mesures salariales peuvent être profitables à l'économie du pays ou si, au contraire, la généralisation d'un salaire minimum ou le relèvement de son montant sont de nature à jouer contre l'emploi.L'ALLEMAGNE ENTEND INSTAURER UN MINIMUM, LES ETATS-UNIS ET LE ROYAUME-UNI VEULENT L'AUGMENTERC'est la chancelière allemande, Angela Merkel, qui a remis le sujet dans l'actualité. En novembre 2013, elle a annoncé vouloir instaurer un salaire minimum généralisé dans le pays.Mi-janvier, au Royaume-Uni, le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, s'est quant à lui déclaré favorable à une augmentation de près de 11 % du salaire horaire minimum – de 6,31 livres à 7 livres (7,6 à 8,4 euros) – pour le rétablir à son niveau d'avant la récession.Aux Etats-Unis, le 28 janvier, Barack Obama, dans son discours sur l'état de l'Union, a confirmé son intention de relever le salaire minimum fédéral de près de 40 % en deux ans. Une proposition de loi du Sénat envisage de l'indexer sur l'inflation et de l'augmenter progressivement pour qu'il atteigne 10,10 dollars en 2016. Soit une hausse de 39 % qui bénéficierait à près de 17 millions d'Américains, selon l'Economic Policy Institute.

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Les Suisses, enfin, se prononceront cette année sur la création d'un salaire minimum légal lors d'une votation prévue le 18 mai.LA VOLONTÉ AFFICHÉE EST DE DONNER DU POUVOIR D'ACHATPour justifier le coup de pouce qu'il envisage de donner au salaire minimum, M. Osborne a donné une explication : il entend corriger d'une certaine façon les inégalités. « Je pense que le Royaume-Uni peut se permettre une augmentation du salaire minimum au-dessus de l'inflation », qui permettrait de « s'assurer que nous avons une reprise pour tous et que le travail paie toujours », a-t-il déclaré, le 16 janvier, à la BBC.Cette préoccupation est voisine de celle de M. Obama. « Donnez une augmentation à l'Amérique ! », a lancé le président américain le 28 janvier, alors que, après impôts, les Etats-Unis sont le pays le plus inégalitaire en matière de revenus parmi une vingtaine de pays riches, comme l'indique le Centre d'étude des inégalités de la City University of New York.Redonner du pouvoir d'achat, c'est aussi ce que fait la Chine, qui a réévalué le salaire minimum de 18 % en 2013 dans l'objectif de renforcer la demande pour favoriser la consommation intérieure.Lire l'analyse La Chine a fait le « choix » d’augmenter les salaires au prix d’un peu de compétitivitéDÈS LEUR APPARITION, LES SALAIRES MINIMUMS ONT CHERCHÉ À CORRIGER DES INÉGALITÉSPour comprendre le pourquoi de l'instauration d'un salaire minimum, il faut remonter au XIXe siècle quand des pays pionniers (Nouvelle-Zélande, Australie, puis Etats-Unis) l'ont mis en place. Par secteur ou par profession. Voire par catégorie de travailleurs.La question d'instaurer ce minimum légal s'est posée, à l'origine, en termes de protection sociale et d'intérêt général. « Les enquêtes d'entreprise dans différents pays ont montré qu'un grand nombre de travailleurs (…) enduraient de graves privations car leurs salaires étaient extrêmement bas », rapporte le Bureau international du travail (BIT). L'objet de ces lois était alors d'éviter l'effondrement des revenus, en « entravant la concurrence déloyale entre employeurs sur la question des salaires ».Cela revenait à inciter les employeurs, pour améliorer leur compétitivité, à trouver d'autres variables d'ajustement que le salaire, comme l'organisation de la production par exemple.

« Une industrie qui, de façon permanente se trouve dans l'impossibilité de payer des salaires suffisants représente-t-elle vraiment un apport économique ou industriel pour le pays ? », interrogeait, en 1927, un rapport du BIT sur le salaire minimum (« Les méthodes de fixation des salaires minima »).« Les salaires minimums en Europe viennent corriger l'échec du marché à donner une valeur minimale au travail », analyse Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS et chroniqueur au Monde.Faire du salaire minimum l'instrument de réduction des inégalités, alors que les dettes publiques sont élevées en Europe comme aux Etats-Unis, est aussi, aujourd'hui, « une façon pour les gouvernements de transférer le coût de la redistribution de l'Etat aux entreprises », poursuit M. Askenazy.En France, le niveau du smic, un des plus hauts de l'Union européenne, peut être vu comme une sorte d'amortisseur de crise pour les plus de 3 millions de salariés concernés, en corrigeant notamment les faiblesses de la négociation collective, qui se réduit à peau de chagrin en période de crise.François Bourguignon, président du groupe d'experts sur le smic depuis mai 2013, nuance toutefois cette analyse : reconnaissant « un petit rôle d'amortisseur du smic par rapport à un ajustement de salaire attendu », il estime qu'« on le paye avec une diminution de l'emploi, faute d'avoir un salaire minimum jeune qui diminuerait l'éventuelle exclusion du marché du travail des jeunes peu expérimentés ».Pour les jeunes, justement, Alain Roumilhac, le président de ManpowerGroup France, considère le salaire minimum comme un frein à l'emploi : « Les non-qualifiés s'intègrent de plus en plus tard, car il est très difficile de les mettre en emploi au niveau du smic, témoigne-t-il. On essaie de leur bâtir des parcours avec des premières missions non qualifiées, mais les besoins se raréfient, notamment dans l'industrie. »

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L'IMPACT SUR L'EMPLOI CONTINUE DE FAIRE DÉBATDepuis les années 1970, les économistes s'opposent à propos de l'impact, positif ou négatif, sur l'emploi du salaire minimum. Les uns affirment qu'il réduit l'accès à l'emploi des moins qualifiés, les autres qu'il maintient la cohésion sociale.En 1995, le président des Etats-Unis, Bill Clinton, avait proposé d'augmenter de 20 % le salaire minimum. Le taux de chômage aux Etats-Unis était alors de 5,4 %, soit quasiment le plein-emploi.« Augmenter le salaire minimum, comme le veut le président , en mettra certains au chômage car leur productivité n'est pas assez grande pour justifier leur coût aux yeux des employeurs (…) Un salaire minimum plus élevé réduira encore les occasions d'emploi des travailleurs peu qualifiés », dénonçait à l'époque le Prix Nobel d'économie Gary Becker.

Trois ans plus tôt, une étude menée par les économistes David Card et Alan Krueger – aujourd'hui conseiller économique de Barack Obama – avait pourtant conclu à l'absence d'impact sur l'emploi du salaire minimum.Elle s'était appuyée sur l'exemple de l'Etat du New Jersey, qui avait augmenté ce minimum salarial. Ce que n'avait pas fait l'Etat voisin, la Pennsylvanie. Or, le nombre et la qualité des emplois avaient évolué de façon similaire dans les 400 fast-foods implantés dans ces deux Etats, avait constaté cette étude. M. Becker en avait contesté les résultats.« Ni la théorie économique ni les études économétriques ne permettent de dire de façon définitive quel est précisément l'effet sur l'emploi d'un salaire minimum dans une certaine fourchette par rapport au salaire moyen », a affirmé, quant à elle, l'OCDE dans son édition 1998 des « Perspectives pour l'emploi ».Sur les vingt et un pays de l'Union européenne qui disposent d'un salaire minimum, cette fourchette varie, en 2012, de 34,7 % du salaire moyen en Espagne à 47 % en France (un des plus hauts niveaux de l'Union) et de 44 % à 61 % du salaire médian, qui est une mesure plus précise dans les pays à forte inégalité salariale.LES EFFETS VARIENT SELON LES SPÉCIFICITÉS DES PAYSL'évolution du marché de l'emploi dans les pays où un salaire minimum national a été instauré montre que l'impact sur l'emploi dépend d'un certain nombre de facteurs, comme la situation économique du pays, le mode de revalorisation du salaire minimum – indexé ou non sur la croissance ou l'inflation – et les secteurs concernés.En France, l'introduction du salaire minimum légal le 11 février 1950, il y a 64 ans jour pour jour, durant les «  trente glorieuses », n'a pas créé de chômage. En revanche, aujourd'hui, les économistes sont quasi unanimes pour affirmer qu'une hausse de 1 % du smic provoquerait une perte nette de milliers d'emplois aux dépens des moins qualifiés. Ce qui explique qu'il n'y ait eu qu'un seul coup de pouce au smic depuis 2007, en juillet 2012, au lendemain de l'élection de François Hollande.Cet impact négatif sur l'emploi n'est attendu ni aux Etats-Unis, ni en Chine, où la préoccupation des entreprises est de retenir la main-d'oeuvre.Aux Etats-Unis, le salaire minimum fédéral, créé en 1938, n'a, il est vrai, pas bénéficié d'augmentations automatiques et est progressivement passé, après les crises pétrolières des années 1970, sous le seuil de pauvreté. En tenant compte de l'inflation, il est à 7,25 dollars par heure, en baisse de 22 % par rapport à son niveau le plus haut à la fin des années 1960, indique le Center on Budget and Policy Priorities.Au Royaume-Uni, il n'y avait pas eu d'impact notable sur l'emploi quand ce pays avait introduit, le 1er avril 1999, un salaire minimum au niveau national : 3,60 livres (5,4 euros) et 3 livres (4,5 euros) pour les moins de 21 ans.Cela avait conduit à une augmentation de salaire pour 2,3 millions de personnes. Et si les conservateurs britanniques avaient, à l'époque, annoncé la destruction de centaines de milliers d'emplois, un an après le taux de chômage était à 5,3 % ! « Le niveau le plus bas depuis 1984 », s'était alors félicitée la Commission britannique des bas salaires (« Low Pay Commission »).Même dans les secteurs à faible rémunération, le chômage n'avait globalement pas augmenté : le textile et le nettoyage avaient essuyé des pertes, mais elles avaient été compensées par une hausse du nombre d'emplois dans les métiers de la sécurité, de l'accueil ou de la vente au détail.

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L'explication ? Elle résiderait dans « le niveau initial du salaire minimum était relativement modeste. La plupart des employeurs l'ont considéré comme équitable », explique l'économiste Damian Kyloh dans un rapport réalisé pour l'Organisation internationale du travail (« Salaire minimum et emploi : l'expérience positive du Royaume-Uni »).Aujourd'hui, le gouvernement de David Cameron dit ne pas craindre d'aggraver le chômage en augmentant le salaire minimum. Même si la situation actuelle du Royaume-Uni n'est pas celle d'il y a quinze ans, avec un taux de chômage à près de 8 %, contre 6,3 % en 1998.

« Les baisses du coût du travail sont déterminantes pour l'embauche des jeunes »LE MONDE | 09.02.2014 à 18h16 • Mis à jour le 10.02.2014 à 14h19 | Propos recueillis par Anne Rodier Francis Kramarz, directeur du Centre de recherche en économie et en statistique (Crest), détaille les conséquences d'une hausse du salaire minimum selon les pays.Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de renforcer le salaire minimum. Est-ce un risque pour l'emploi ?Francis Kramarz.- Aux Etats-Unis, les hausses du salaire minimal ne semblent pas avoir d'effet sur l'emploi, comme l'a souligné l'étude de l'économiste du travail canadien David Card et du conseiller économique du président Obama, Alan Krueger (Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage, Princeton University Press, 1995). Au Royaume-Uni, la mise en place du salaire minimum en 1999 n'a pas eu d'impact négatif sur l'emploi. Donc, non, ils ne prennent pas de risque pour l'emploi en prenant cette décision. Ce qui ne serait pas le cas en France, où une hausse de 1 % du smic détruirait plus de 1 % des emplois payés au salaire minimum.Comment expliquer ces différences d'impact selon les pays ?L'explication est d'une part qu'aux Etats-Unis l'écart entre le salaire et le coût du travail n'est que de 10 %, alors qu'en France les cotisations salariales et patronales ont un effet massif sur le coût du travail. Et d'autre part que les Américains comme les Britanniques ont mis en place un système assez différent du nôtre puisqu'ils ont fait le choix d'instaurer un salaire minimum pour les adultes et un autre pour les jeunes. En France, il n'y a pas de salaire minimum différencié pour les 16-18 ans.Or les travaux que j'ai menés avec l'économiste Thomas Philippon, comme ceux, plus récents, de Pierre Cahuc démontrent clairement que les baisses du coût du travail sont efficaces sur les bas salaires et déterminantes pour l'embauche des jeunes.Quelles sont les conséquences attendues de la généralisation du salaire minimum en Allemagne ?En Allemagne, comme en France, dans l'industrie manufacturière, les salaires sont bien supérieurs au salaire minimum, mais pas dans les services, où il y a beaucoup de salariés au smic. Depuis les lois Hartz , ils sont même très nombreux dans ce secteur à être très peu payés. Un salaire minimum national en Allemagne risque de détruire de nombreux emplois dans les services.Existe-t-il une corrélation entre l'évolution du salaire minimum et celle du taux de chômage ?Oui, pour les emplois non qualifiés, mais pas pour l'ensemble de l'emploi salarié. L'évolution de l'emploi entre 1995 et 1997 l'illustre clairement : la baisse des cotisations mise en place par le gouvernement Juppé avait permis une hausse de la part des emplois non qualifiés. On constate par ailleurs que la plupart des pays ont fait en sorte de ne pas fixer des niveaux de salaire minimum trop élevés.

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« Une croissance avec des écarts de salaire grandissants est source de crise »LE MONDE | 09.02.2014 à 18h05 • Mis à jour le 10.02.2014 à 14h19 | Propos recueillis par Anne Rodier Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et  prévision de l'OFCE, plaide pour une augmentation du salaire minimum afin d'assurer une croissance égalitaire et durable. Quelles conséquences économiques y a-t-il à garantir un revenu minimum du travail ?Eric Heyer : Si l'on considère le salaire comme un coût, la hausse du salaire minimum augmente les coûts, et donc les difficultés des entreprises, particulièrement en France, où leur niveau de marge est aujourd'hui très dégradé.D'autre part, et toujours sous cet angle, le smic impose au salarié un niveau de productivité minimum pour entrer sur le marché du travail, qui exclut les travailleurs les moins qualifiés.Mais, d'un autre côté, augmenter le salaire minimum, c'est renforcer les moyens des ménages et les commandes des entreprises, même dans une économie ouverte. En 2014, en France, 67 % des entreprises affirment que si elles ne produisent pas davantage, c'est uniquement un problème de demande.Mais renforcer le salaire minimum peut-il contribuer à détruire de l'emploi ?Oui. En France, par exemple, une hausse de 1 % du smic détruirait 18 000 emplois et en créerait 13 700 sur cinq ans, soit un solde négatif de 4 300 emplois.Dans un contexte de chômage élevé et de croissance faible, quel intérêt y a-t-il, alors, à augmenter le salaire minimum, ou à le généraliser ?L'intérêt est de mieux redistribuer, car une croissance égalitaire est plus durable. Si on laisse faire les forces du marché, la redistribution est inégalitaire. Or une croissance avec des écarts de salaire grandissants est source de crise. La volonté des Etats-Unis et du Royaume-Uni de renforcer le salaire minimum est un choix politique qui consiste à intégrer des critères de justice sociale pour réduire les inégalités.De même en Allemagne, où le problème n'est plus le chômage, mais les travailleurs pauvres. Depuis les lois Hartz IV , les salariés ont été précarisés, particulièrement dans les services : 2,5 millions d'Allemands gagnent aujourd'hui moins de 4,5 euros de l'heure. La généralisation d'un salaire minimum améliorera la situation de 6,7 millions de travailleurs.Le salaire minimum doit-il être une garantie de revenu pour le travailleur ou un frein à la pauvreté ?Pour lutter contre la pauvreté, il vaut mieux recourir aux allocations, financées par l'ensemble des citoyens et non par les seules entreprises. Le salaire minimum doit donc être plutôt une garantie de revenu pour le travailleur. Le salarié apporte sa pierre à l'entreprise, et doit donc être rémunéré à la hauteur de ce qu'il produit. La justice sociale est source de croissance.

La Chine a fait le « choix » d’augmenter les salaires au prix d’un peu de compétitivitéLE MONDE | 09.02.2014 à 18h21 • Mis à jour le 10.02.2014 à 14h19 | Par Harold Thibault (Shanghaï, correspondance) En Chine, il ne se passe pas un jour sans que des ouvriers organisent un débrayage. Sur le seul mois de janvier, China Labour Bulletin (CLB) a relevé 53 arrêts de travail et autres manifestations. Et c'est sans compter les mouvements dont cette organisation de protection des droits des travailleurs n'a pas eu vent.Le 20 janvier, environ 200 chauffeurs de bus de la ville de Yangzhou (Est) étaient restés à l'arrêt pour revendiquer un meilleur salaire. Les 18 et 19, les gueules noires d'une mine de charbon du Sichuan (Centre-Ouest) avaient aussi exigé une augmentation, ainsi que l'ouverture d'une enquête pour corruption contre des officiels locaux.CLB a décompté 637 incidents de ce type sur l'année 2013. Le parti unique, pour s'assurer la paix sociale, y répond en activant un levier : le relèvement du salaire le plus faible imposé par la loi.« Jusqu'à présent, la régulation passe essentiellement par le salaire minimum », constate Guo Wanda, vice-président de l'Institut de développement de Chine, un think tank situé à Shenzhen (Sud) et chargé d'apporter des idées nouvelles aux autorités.L'administration centrale impose aux provinces de réévaluer le salaire de base au moins tous les deux ans, avec un objectif chiffré : dépasser 40 % du revenu urbain moyen local en 2015. Ces hausses de salaires sont davantage une nécessité qu'un choix. Elles se sont imposées à partir de 2010, alors que se multipliaient les grèves à la suite d'un premier arrêt de travail dans les usines chinoises d'Honda et d'une série de suicides chez le géant de la sous-traitance électronique Foxconn.« Le gouvernement doit aujourd'hui compenser des politiques qui, depuis trente ans, se sont focalisées sur les investisseurs. Il doit protéger les faibles, les ouvriers, la force de travail », juge M. Guo. Le dilemme est lourd pour le gouvernement, « car la hausse des salaires devient un désavantage compétitif et risque de peser sur la croissance. L'équilibre est difficile à trouver », juge ce même chercheur.La Chine ne se classe déjà plus parmi les pays à la main-d'oeuvre très bon marché. A Shanghaï, ville parmi les plus chères du pays, l'ouvrier doit être rémunéré au minimum 1 650 yuans par mois (200 euros), pour des semaines de quarante heures. C'est la paie de base offerte chez Pegatron, le sous-traitant d'Apple pour l'iPhone 5C et l'iPad mini, à laquelle il convient d'ajouter les heures supplémentaires.En comparaison, le salaire minimum a été réévalué, fin décembre 2013, à l'équivalent de 75 euros pour les ouvriers du textile cambodgiens, à l'issue de grèves. Ceux des ateliers du Bangladesh gagnent 50 euros, quatre fois moins que ceux des zones industrielles de la banlieue de Shanghaï.Pour les employeurs d'ouvriers chinois, ces hausses sont vertigineuses. Le salaire minimum a gagné 18 % en moyenne dans les 24 provinces qui l'ont modifié courant 2013, a calculé le gouvernement. Selon Bank of America, le salaire moyen a progressé de 10,7 %. De 2006 à 2010, le salaire minimum n'avait gagné que 12,5 % par an. L'accélération est nette ces dernières années : cela a commencé par des hausses de 22,8 % en 2010, puis 22 % en 2011.« PRESSION SUR LES ENTREPRISES »Il s'agit du rattrapage d'un dû, juge-t-on du côté ouvrier, car les quelque 260 millions de travailleurs migrants sont restés les laissés-pour-compte du « miracle » économique dont ils étaient les principaux artisans.

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Dans le discours, Pékin soutient ce choc sur les revenus les plus bas. En novembre 2013, devant le syndicat piloté par l'Etat-parti, le premier ministre, Li Keqiang, avait reconnu que ces réévaluations du salaire plancher « exercent une pression sur les entreprises, affectant la compétitivité de leurs exportations ». Toutefois, jugeait M. Li, « il nous faut effectuer un choix entre ces deux difficultés, car nous devons bâtir la prospérité commune pas à pas ».Dans son 12e plan quinquennal, qui régit la vie économique chinoise jusqu'à fin 2015, le gouvernement central impose que la hausse des salaires soit systématiquement supérieure à celle de la croissance. Mais les officiels au niveau local se retrouvent eux aussi sous pression. Des investisseurs cette fois-ci. Les patrons hongkongais d'usine n'hésitent pas à faire savoir à la province frontalière du Guangdong que trop de hausses accroissent le risque de les voir partir, notamment en Asie du Sud-Est.Il est pourtant vital pour la Chine d'augmenter les revenus les plus faibles si elle entend rééquilibrer son économie en donnant plus de poids à la consommation intérieure, comme ses dirigeants n'ont de cesse de le répéter. Après son arrivée au pouvoir, le secrétaire du Parti et président, Xi Jinping, avait réaffirmé haut et fort son objectif de réduction des inégalités.Le fond du problème est que les hausses de revenus ne pourront s'appuyer que sur des entreprises en bonne santé. L'année écoulée, qui a vu la croissance ralentir et les entreprises exportatrices souffrir, montre que Li Keqiang pourra difficilement choisir entre ces deux difficultés.« Une leçon de 2013 est que la hausse des revenus des ménages perdra de la vitesse si les profits des entreprises sont mauvais » , alertait, fin janvier, Zhu Haibin, chef économiste de JPMorgan en Chine.

Salaire minimal en Europe : quels pays le mettent en place et pourquoi ?Le Monde.fr | 21.01.2014 à 18h29 • Mis à jour le 22.01.2014 à 09h33 | Par Elvire Camus Le gouvernement britannique s'est engagé, vendredi 17 janvier, en faveur d'un relèvement du salaire minimal horaire de 11 % d'ici à 2015. Deux mois plus tôt, la chancelière allemande, Angela Merkel, annonçait l'instauration d'un salaire minimal généralisé. L'Allemagne quitte ainsi le groupe des pays membres de l'Union européenne dépourvus de salaire minimal national et relance le débat sur la question en Europe.

Quels pays l'ont instauré ?Aujourd’hui, 21 des 28 Etats membres de l'Union européenne ont fixé un salaire minimal généralisé : la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, l'Estonie, l'Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Slovaquie.Le niveau mensuel de ces salaires varie considérablement d'un pays à l'autre : de 157 euros en Roumanie à 1 874 euros au Luxembourg, soit presque 12 fois plus. Un écart qui se réduit de moitié lorsqu'on les compare en corrigeant les écarts de prix entre les pays.En France, le smic est établi à 1 430 euros, derrière le Luxembourg (1 874 euros), la Belgique (1 502 euros), les Pays-Bas (1 469 euros) et l'Irlande (1 462 euros).

Quels pays ne l'ont pas instauré ?

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Sept pays membres ne possèdent pas de salaire minimal. Chypre a bien un salaire minimal légal, mais pas généralisé. Il ne s'applique donc pas à l'ensemble des salariés et se limite à des groupes spécifiques qui sont définis par secteurs ou par professions. Il en est de même en Allemagne, où la culture syndicale est forte, mais le pays devrait adopter un salaire minimal généralisé à partir du 1er janvier 2015. Il devrait s'établir à 8,50 euros de l'heure.Dans la catégorie des pays n'ayant pas du tout de salaire minimal légal se trouvent le Danemark, l'Italie, l'Autriche, la Finlande et la Suède. Dans ces cas-là, les salaires sont fixés soit au niveau de l'entreprise, à l'issue de négociations entre les partenaires sociaux, soit au niveau de chaque contrat de travail. Généralement, des accords sectoriels sont conclus, constituant ainsi des salaires minimaux de fait.

Pourquoi le juge-t-on inefficace ?Bien qu'il existe dans la plupart des économies industrielles, dont les Etats-Unis, le salaire minimal ne fait pas l'unanimité parmi les économistes en raison de son coût.« Sans salaire minimum, un employeur paie ses salariés en fonction de leur niveau de productivité. Ainsi, les salariés peu qualifiés, qui ont une productivité faible, peuvent être payés plus grâce au salaire minimum. Ce qui rend l'embauche de ces salariés non rentable et les exclut du marché du travail », explique Eric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Pourquoi est-il considéré comme efficace ?Pour autant, l'instauration d'un salaire minimal national permet de lutter contre la pauvreté et de réduire les inégalités entre les travailleurs. Actuellement, en Allemagne, un grand nombre de salariés ne font pas partie des accords de branches entre syndicats et patronat. Ce sont des travailleurs pauvres, leur taux horaire étant très bas.Le salaire minimal peut aussi bénéficier aux entreprises : « Si le côté négatif est relatif aux coûts pour les entreprises, le côté positif concerne la demande. Car quand vous augmentez le salaire minimum, vous augmentez le pouvoir d'achat des salariés qui vont donc plus consommer, remplir les bons de commandes et faire augmenter le chiffre d'affaires des entreprises », ajoute Eric Heyer.Au Royaume-Uni, dont le salaire minimal mensuel s'élève à 1 264 euros, le relèvement du smic horaire annoncé par le ministre des finances doit « assurer une reprise pour tous » et permettre « que le travail paie toujours ».

La Commission européenne en faveur d'un salaire minimal européenLa question de la création d'un salaire minimal commun à toutes les entreprises européennes n'a encore jamais abouti, malgré la volonté de la Commission européenne.En avril 2012, dans un document recensant ses propositions pour relancer l'emploi en Europe, la Commission indiquait que « la fixation de salaires minimaux adaptés peut aider à prévenir une augmentation du nombre de travailleurs pauvres et est importante pour garantir la qualité d'emplois décents ». Mais son instauration se heurte à la diversité des traditions culturelles et des situations économiques au sein des Etats membres de l'Union européenne. En 2012, la Commission précisait d'ailleurs : « Nous n'avons pas le pouvoir d'imposer ou d'harmoniser un salaire minimum partout au sein de l'Union, mais nous plaidons pour la généralisation de salaires minimaux, l'expérience montrant que leur mise en œuvre a bien contribué à lutter contre la pauvreté et à soutenir la demande. »Aujourd'hui, les élections européennes et, surtout, la décision de l'Allemagne de l'instaurer relancent le débat.« Si l'Allemagne s'engage sur le sujet du salaire minimum, il sera beaucoup plus facile de faire avancer le sujet à Bruxelles, au moins pour les pays de la zone euro », avait déclaré Pervenche Beres, députée européenne du Parti socialiste, lors d'une conférence sur le thème « Perspectives pour l'emploi en Europe », au Parlement européen en octobre 2013.« Il ne s'agit que d'un embryon de démarche pour l'instant, mais il verra sans doute le jour. L'inflation et le pouvoir d'achat de chaque pays seront pris en compte, donc il ne sera pas partout le même, mais il va falloir l'harmoniser », estime Eric Heyer.

Pauvre smicEn proposant un " smic intermédiaire " pour les jeunes, le patron du Medef, Pierre Gattaz, a relancé l'éternelle controverse sur le " sous-smic ". Or le salaire minimum était censé garantir une valeur minimale au travail et, de fait, réduire la pauvretéParce que  la courbe du chômage refuse de s'inverser et que la croissance reste faible, le  débat sur la création d'un " sous-smic " revient comme une rengaine depuis quarante ans. En avril, le président du Medef, Pierre Gattaz, a ainsi lancé l'idée d'un " smic intermédiaire " pour les jeunes ou ceux " qui ne trouvent pas de travail ".  Il a été rejoint par  des économistes de renom - Francis Kramarz, du Centre de recherche en économie et statistique (Crest), Philippe Aghion, de l'université Harvard, Gilbert Cette, de l'université d'Aix-Marseille, et Elie Cohen, du CNRS -, mais aussi par l'ancien directeur de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) Pascal Lamy. " A ce niveau de chômage, il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au smic ", déclarait celui-ci le 2  avril.Sous le hashtag " microsmic ",les réseaux sociaux ont immédiatement dénoncé  une incitation à la précarisation des jeunes et à l'accroissement des inégalités. Laurence Parisot, l'ancienne présidente du patronat français, a estimé de son côté que cette proposition relevait d'une " erreur d'analyse ". " Proposer un salaire en dessous du smic s'apparente à une logique esclavagiste ", a-t-elle ajouté. Quant au  nouveau ministre du travail, François Rebsamen, il a dénoncé une " provocation ". " Nous tenons au smic, qui - a permis à la France - , à la différence d'autres pays, d'éviter l'explosion du nombre de travailleurs pauvres - c'est le cas de l'Allemagne, qui en compte quelque 2,5  millions - . C'est une garantie du pouvoir d'achat des salariés les moins qualifiés, les plus jeunes, les plus vulnérables. Le premier ministre l'a rappelé  : le salaire minimum est un mur porteur de notre modèle social. "Le salaire minimum a une longue histoire  : il apparaît pendant la seconde moitié du XIXe  siècle, dans la foulée des lois sociales qui régissent l'âge minimum pour travailler, les conditions sanitaires, la protection des travailleurs contre les accidents, et la durée du travail. " Pendant un grand nombre d'années, aucune loi n'a été promulguée en vue de fixer des taux minima de salaires, soulignait déjà, en  1927,le Bureau international du travail (BIT). Les enquêtes entreprises dans divers pays ont montré qu'un grand nombre de travailleurs occupés dans certaines professions enduraient de graves privations car leurs salaires étaient extrêmement bas (...). C'est ainsi qu'on en vint peu à peu, dans beaucoup de pays, à penser qu'il était

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nécessaire de prendre des mesures pour assurer aux travailleurs des salaires convenables. "La première raison d'être du salaire minimum est de garantir une valeur minimale au travail.  Dès le XVIIIe  siècle, l'économiste libéral  Adam Smith avait ainsi distingué le " salaire de marché ", qui résultait de l'équilibre entre l'offre et la demande, du " salaire naturel ", qui garantissait la survie de l'ouvrier et de son foyer. Pour ne pas dévaluer le travail, que l'auteur de La Richesse des nations (1776) considérait comme le " moyen originel de paiement de toute chose ",l'économiste estimait qu'il  ne fallait pas  descendre en dessous de ce " salaire naturel ".La baisse des salaires risque en effet de provoquer une perte de productivité. " Il est extrêmement important d'empêcher que la main-d'œuvre soit rémunérée à un taux considérablement inférieur à sa valeur réelle, estimait le BIT en  1927.  Cette insuffisance de salaire pourra avoir pour effet de tendre à ramener la capacité de production du travailleur au niveau de son salaire. " Une idée qui est toujours valable aujourd'hui. " Le vrai coût du travail, c'est le salaire moins la productivité, rappelle l'économiste Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).  Donc, si la productivité baisse, le coût du travail augmente. "C'est dans cet esprit que des lois sur le salaire minimum ont été adoptées en Europe, aux Etats-Unis et sur le continent australien.  La première vague, qui  s'étend de la fin du XIXe  siècle à la première guerre mondiale, est celle des pionniers  : la Nouvelle-Zélande en  1898, l'Etat de Victoria puis toute l'Australie à partir de 1990 adoptent  des lois applicables à un champ restreint d'industries, de professions ou de catégories de travailleurs - souvent " vulnérables ".  L'Europe et les Etats-Unis suivent ensuite le mouvement  : dès 1909, en Grande-Bretagne, Winston Churchill, tout juste élu, instaure des conseils des salaires (wages councils), chargés de protéger les ouvriers qui travaillent dans les " industries à main-d'œuvre exploitée ".A la fin des années 1930 s'ouvre une  deuxième période  : celle du salaire minimum pour tous les travailleurs d'un même  pays ou d'un même Etat.  Après l'adoption, en  1938, d'un  salaire minimum fédéral aux Etats-Unis, cette démarche s'étend progressivement à toute l'Europe  : les Français suivent le mouvement en  1950, les Turcs en  1951, les Britanniques en 1999, les Irlandais en  2000. Les Allemands sont les derniers à rejoindre la dynamique  : ils attendent 2014 pour créer un salaire minimum. Les Suisses, eux, se prononceront par votation le 18  mai.  Aujourd'hui, sur les 28 pays de l'Union européenne, 21 ont adopté une loi sur le salaire minimum.Si le salaire minimum a fini par s'imposer dans la plupart des pays industrialisés, son rôle, depuis la  fin du XIXe  siècle, a varié.  Il continue, bien sûr, à garantir une valeur minimale au travail, comme le préconisait Adam Smith, mais, dans les politiques publiques contemporaines, il est aussi utilisé pour réduire la pauvreté.  C'est le sens de la démarche adoptée par le président américain, Barack Obama, qui a décidé d'augmenter de 39  % ce salaire qui  bénéficie à 17  millions d'Américains. " Dans l'une des plus riches nations du monde, personne ne devrait travailler à plein temps et vivre dans la pauvreté ", a-t-il expliqué le 12  février.Cette approche modifie le rôle du salaire minimum américain tel qu'il avait été conçu en  1938. A l'époque, sa fonction  n'était pas de réduire la pauvreté - aux Etats-Unis, ce sont les crédits d'impôts qui le font -, mais de garantir un minimum vital. C'est la raison pour laquelle il n'est  indexé ni sur l'inflation ni sur la croissance. Mécaniquement, face à l'inflation, son niveau  n'a cessé de baisser depuis le premier choc pétrolier. Il est donc aujourd'hui bien inférieur au seuil de pauvreté (7,25  dollars par heure contre 10,63  dollars, selon une étude du BIT de 2012) et très loin du salaire susceptible d'assurer des conditions d'existence convenables - 13,02  dollars de l'heure.Les gouvernements utilisent aussi le  salaire minimum  pour réduire les inégalités salariales au sein d'un même secteur d'activité.  Au Royaume-Uni, lorsqu'il  a été instauré au niveau national, en  1999, beaucoup d'entreprises étaient ainsi en situation de monopsone - un marché sur lequel règne un seul demandeur. Ce client unique pouvait alors imposer des salaires bien inférieurs au reste du marché. En fixant un seuil minimum national, le gouvernement travailliste de Tony Blair a réduit ces inégalités.En France, comme dans plusieurs pays d'Europe du Sud, l'approche est différente. Le salaire minimum, " beaucoup plus qu'un minimum vital, a vocation à être un salaire de civilisation, qui intègre le salarié dans la société ", explique Jérôme Gautié, professeur d'économie à l'université Paris-I. C'est pour cette raison qu'à l'origine, en  1950, il était indexé sur l'inflation  : le bénéficiaire du salaire minimum ne risquait pas de devenir l'oublié des augmentations salariales de l'ensemble de la société. Le salaire minimum a cependant augmenté bien moins vite que le salaire moyen. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (smig) a donc été réformé pour devenir en  1970 le salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic).En raison de cette conception du salaire minimum, son niveau est plus haut que dans les pays anglo-saxons  : en France comme en Turquie, le niveau du salaire minimum est très élevé par rapport au salaire médian - respectivement 61  % et 66  % du salaire médian contre 38,8  % aux Etats-Unis. " En Turquie, le salaire minimum, qui a été introduit comme en France dans les années 1950, est aussi un instrument de croissance inclusive, avec une dimension plus large puisqu'il vise non plus seulement le salarié, mais son foyer ", poursuit  Jérôme Gautié.Les défenseurs du " sous-smic " estiment cependant que le niveau élevé du smic pose problème  : les salariés qui ont  peu ou pas de qualification sont parfois jugés trop chers par les entreprises au regard de leur productivité. Pour lutter contre le chômage, certains chefs d'entreprise proposent donc régulièrement, depuis les années 1970, de réduire le niveau du smic. Le salaire minimum, dans cette optique, n'est plus la garantie de la valeur du travail, mais un instrument de la politique de l'emploi. Certains gouvernements ont déjà tenté - en vain - de s'engager dans cette voie  : Edouard Balladur en  1994, avec le contrat d'insertion professionnelle (CIP), et  Dominique de Villepin en  2006, avec le contrat première embauche (CPE).Le niveau du salaire minimum peut effectivement avoir un impact sur l'emploi  : selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une hausse de 1  % du smic provoquerait une perte nette de 4 300 emplois sur cinq ans. Il ne faudrait cependant pas en conclure que le salaire minimum est un instrument de la lutte contre le chômage. " Ni la théorie économique ni les études économétriques ne permettent  de dire de façon définitive quel est précisément l'effet sur l'emploi d'un  salaire minimum dans une certaine fourchette par rapport au  salaire moyen ", résumait l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son édition 1998 des " Perspectives pour l'emploi ". Au Royaume-Uni, l'instauration du salaire minimum, en  1999, n'a d'ailleurs  pas créé de chômage. " Nous étions particulièrement préoccupés par le risque d'impact négatif du salaire minimum sur l'emploi, déclarait en  2001 la commission des bas salaires (Low Pay

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Commission). Nous n'avons constaté aucun effet négatif perceptible au niveau global. "Quoi qu'il en soit, le smic ne s'impose pas partout. Le Danemark, la Finlande, la Suède et la Norvège n'en ont pas  : en Europe du Nord, les syndicats considèrent que les salaires doivent être discutés dans le cadre d'une négociation collective, et non fixés par l'Etat. " Dans ces pays, instaurer un salaire minimum légal serait l'aveu d'un échec syndical " , explique M. Gautié. Le mécanisme est différent mais l'enjeu, là encore, est de  payer le travail à sa juste valeur.Anne Rodier, Le Monde du 17 mai 2014à lire" Changer de modèle. de nouvelles idées pour une nouvelle croissance "de Philippe Aghion, Gilbert Cetteet Elie Cohen(Odile Jacob, 272 p., 22,90  €)." Quand la France s'éveillera "de Pascal Lamy(Odile Jacob, 176 p., 17,90  €)." Bas salaireset qualitéde l'emploi. L'exception française "de Jérôme Gautiéet Eve Caroli(Editions Rue d'Ulm, 2009)." Salaire minimum et bas revenus. Comment concilier justice sociale et efficacité économique ? "de Pierre Cahuc, André Zylberberget Gilbert Cette(La Documentation française, 2008).© Le Monde