· Web viewAcrostiche. ou. Accroche-toi à la vie, e. lle est si belle ! Marie-Aude de Feraudy....

Acrosticheou

Accroche-toi à la vie,elle est si belle !

Marie-Aude de Feraudy

Acrostiche, ou Accroche-toi à la vie, elle est si belle !

Avertissement

J’interdis de lire cette ballade à ceux qui ne connaissent pas les sentiments suivants :

La bienveillanceLa tendresseLa gentillesseLa pudeurLe respect.

J’interdis de lire cette ballade à ceux qui ne connaissent que le premier degré, ainsi qu’aux poissons morts, aux bécasses, aux lions, aux blaireaux, au Crabe, et même aux crabes par précaution, aux crapauds, aux méchantes sorcières, aux pieuvres, aux vautours, et aux racines carrées aussi. Halte au cynisme et à la dérision.

Bienvenue aux oiseaux migrateurs, aux perruches, aux perroquets qui s’envolent, aux bigorneaux, aux têtes à Toto, aux fées et aux gentilles sorcières, aux puces, aux éléphants qui s’entraînent à monter sur un tabouret, aux papillons, papillons multicolores ou papillons de nuit, aux plantes vertes des bureaux, aux gouttes de rosée, aux lèvres du métro, aux chiens de toutes les couleurs, aux escargots et aux crocodiles verts. Vive l’humour et la bienveillance.

Filtre bienveillant

Toute ressemblance avec des personnes, des lieux ou des situations réelles ou ayant existé serait purement fortuite et totalement indépendante de ma volonté.

Les personnages de cette ballade sont tellement filtrés, qu’il ne reste d’eux que le meilleur. J’ai délibérément retiré les grains de sable et les pavés, les défauts et les travers, les tics et les tocs, les tics et les tacs, les imperfections et les déceptions, les petitesses et les maladresses.

Et comme il ne doit rester que le meilleur de chacun, cette ballade est donc une pure fiction.

Acrostiche

Je ne ferai pas d’acrostiche, mais j’aime bien ce mot. J’y vois des moustaches, comme celles de Monsieur Dali. Acrostiche, ça me fait penser à un arbre dans lequel chaque feuille serait un mot.

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Et en plus, Acrostiche, ça ressemble à :

Accroche-toi à la vie !

Avec deux L, la ballade est moyenâgeuse, on revient au temps des troubadours, et pourtant je n’ai rien d’un troubadour, je voyage rarement et lorsque je pars en vacances, je me déplace avec une énorme valise.

Je rêve…

Je rêve d'un monde dans lequel je n'aurais plus à comprendre et surtout à expliquer ce que peut bien faire une racine carrée dans une formule de financement. Et d’ailleurs, il n’y a pas de racine carrée dans les recettes de cuisine.

A bas les racines carrées !

Je rêve d’un monde dans lequel personne ne me dira plus à l’aéroport dans la file d’attente de l’enregistrement des bagages :

« Quoi, c’est quoi cette grosse valise ? Tu ne sais pas voyager léger, y a quoi là-dedans ? Moi, ma valise est beaucoup plus petite… »

Et alors, on fait quoi maintenant que tu as dit ça ?

Je rêve d’un monde dans lequel je n’entendrais plus sur la messagerie de mon téléphone :

« J’ai appris que tu as juste quatre séances de chimio, j’espère que tu as conscience que tu as de la chance.»

Surprenant, et zéro ce n’est pas mieux ?

Je rêve d’un monde dans lequel je n’entendrais plus :« Tu sais, on est tous des malades en puissance, et puis moi demain je

peux me faire écraser sur la route par une voiture. »

Moi aussi je peux me faire écraser sur la route par une voiture,

je revendique le droit d’être écrasable.

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Première partie

Guérir

« Tel un tisserand, j’ai dévidé ma vie :Le fil est tranché »

Cantique d’Ezékias, Isaïe 38

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Premier chapitre de la première partie de la ballade

Le métro a des lèvres qui n’embrassent pas

J’aime regarder la foule dans le métro.

Chaque matin je pars travailler dans ma société, StockOption, à l’est de Paris.

A l’aller, aux heures d’entrée de bureau, dans le couloir entre Saint-Augustin (Ligne 9, on dit la 9, c’est moche) et Saint Lazare (Ligne 14, on dit la 14, mais moi je l’appelle encore Météor, je préfère ce nom), la foule est compacte, dense, pressée, et forme un corps ininterrompu. Chacun connaît son chemin, et pourrait avancer les yeux fermés.

Chacun est aveugle à ce point que très peu de personnes voient que tout au fond du couloir d’énormes lèvres qui n’embrassent pas égayent le décor somme toute assez minimaliste.

Une mosaïque de verre*. Des lèvres, des lèvres de femmes, à peine entrouvertes, « laissant passer comme un souffle le fluide de la source du chant ». Des lèvres rouges cramoisies, des lèvres de femme à la peau blanche. Erotisme ou chimère ? Rien que du rêve…

Beaucoup de passagers passent devant, tête baissée. Et pourtant il a dû y avoir de nombreuses réunions préparatoires, des conférences téléphoniques dîtes conf call, des séminaires culturels pré et post décisions, etc. Une inauguration au goût de champagne et de petits fours a même dû être organisée en ce lieu. Tout ça pour que la foule relève le regard et s’émerveille, mais la foule persiste, tête baissée, à ne toujours pas voir ces lèvres.

Aérodynamisme

Ce couloir est divisé en deux files dans le sens de la longueur : à gauche, les voyageurs qui sortent du Météor et veulent prendre le métro, et à droite, ceux qui sortent du métro (dont moi) et veulent prendre le Météor.

Pas question de se tromper de file. Détail important, ceux de la file de gauche avancent à six de front, et ceux de la file de droite avancent à deux de front. La partie n’est pas égale.

Il va falloir couper cette foule, oser passer du côté droit au côté gauche pour ensuite arriver à s’engouffrer dans la descente des escaliers du

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Météor. Et la règle consiste à ne toucher personne, aucun contact possible. A peine voir la foule, surtout ne pas échanger de regard. Sinon, on a perdu, on est perdu. Il n’y a aucun droit à l’erreur, s’excuser ne peut suffire.

Trois attitudes aérodynamiques :

Ou bien j’attends, et ce peut-être au dernier moment, que la foule se raréfie (cela peut arriver), et je coupe à angle droit.

Ou bien dès qu’une personne devant moi se lance en diagonale sur un chemin invisible qui slalome harmonieusement entre les gens, je me lance et la suit à la trace, en aspiration, telle une voiture de course de Formule 1 qui ne demande qu’à doubler.

Ou bien, c’est moi qui prends l’initiative de me lancer en pole position sur un chemin invisible qui slalome harmonieusement entre les gens.

J’aime bien ça, c’est comme un jeu.

Ce matin, j’ai adopté la deuxième attitude et je n’ai touché personne.

Me voici dans la descente des escaliers du Météor.

Arrivée sur le quai du Météor, une autre énorme difficulté se présente à moi. Il va falloir que je coupe en perpendiculaire le flot de voyageurs qui arrivent en courant de la Gare Saint-Lazare pour se jeter directement dans le Météor. Ils courent, se ruent, et leur dernier pas en entrant dans la rame est souvent un bond. C’est irréel de voir bondir tous ces gens.

Pas question de rester trois minutes de plus sur ce quai, la règle est qu’on n’attend pas, on n’a pas le temps d’attendre.

En tout cas, c’est dangereux de couper la file à cet endroit, et pourtant je dois le faire car moi, je veux monter dans le wagon de queue, qui est tout au bout du quai, et c’est comme ça. Bon là, j’y vais ! Ça ressemble à une épreuve de ski sur bosses, il faut avancer d’un pas, en sautant parfois, et hop, tourner, contourner, et hop hop hop c’est gagné, je suis passée sans toucher personne.

Ouf, j’ai réussi une fois encore.

La foule est belle, mais n’est pas de bonne humeur ce matin.

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Chapitre suivant

Mon poste est supprimé

Je travaille à StockOption, une grande société privée qui fabrique et distribue des élastiques dans le monde entier. J’aime bien la société dans laquelle je travaille, elle me supporte depuis bientôt trente ans, et si j’y ai connu quelques déboires, j’y ai surtout connu des grands moments de bonheur et de sécurité.

Mais voilà que la sécurité se fissure, et le bonheur avec.

Un Plan d’adaptation des effectifs (PAE pour les connaisseurs) est en préparation. Il est en cours de négociation, rien ne doit filtrer, nul ne doit savoir qui est concerné. Chut.

C’est un des syndicats de StockOption qui m’a appris que mon poste est supprimé. La Direction n’a pas démenti. Un syndicat, donc, a publié sur l’intranet de StockOption un bel article : 700 suppressions de postes brutes au total, le tout en caractères bien gras (quand j’étais petite, je ne mangeais jamais le gras du jambon). Suivait un tableau récapitulant, direction concernée par direction concernée, les intitulés des postes supprimés.

Et là, je vois ma direction Distribution et extension des élastiques. 55 réductions de postes. Réduction de postes, pas de têtes.

1 éplucheur d’élastiques. Un seul. C’est moi. Autant mettre mon nom à côté. J’ai un joli nom, cela aurait fait joli.

Réduction. Ce mot me ramène vers mon amie Marie qui souffrait d’un important cancer, entre autre des bronches. J’avais accompagné Marie à un rendez-vous chez un radiologue. Et là, à ce rendez-vous, bonne, excellente, magnifique nouvelle, les tumeurs avaient régressé. Et j’étais là, présente lors de cette miraculeuse nouvelle. « Régression, comme ce mot est merveilleux » répétait-elle dans le métro sur le trajet du retour. Ses yeux étaient lumineux, elle irradiait de joie.

Je préfère ma réduction de poste à sa régression de tumeur. Mon poste n’est que supprimé, Marie est morte.

L’autre jour, à cause de l’information donnée plus tôt que prévue par un syndicat, il y a eu une réunion organisée par mon directeur, son adjointe, et

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la RRH (la Responsable des relations humaines) pour nous présenter le Projet d’adaptation des effectifs et ses effets dans notre service.

Amélioration des processus, adaptation de l’organisation, transfert, partenariat, coordination, optimisation : 4 postes/6 supprimés et 2 postes/6 transférés.

On nous rassure en nous expliquant que pour les quatre postes supprimés, ce ne sont que les postes qui sont supprimés, pas les emplois des collaborateurs qui sont sur ces postes…

Compliqué en pratique, mais faisable intellectuellement.

En aparté, nous déduisons que, comme notre service est composé des fonctions de ces six postes et des talents de leurs six collaborateurs associés, notre service est dissout.

Dissout, comme le sucre dans un bol de chocolat au lait Bononiao.

Je me souviens que lorsque j’étais petite fille, ma sœur Stéphanie disait en mettant un morceau de sucre dans son bol brûlant de chocolat au lait Bononiao : « Je n’aimerais pas être le sucre. » Et je me disais que moi non plus.

Comme le four à micro-ondes n’avait pas encore été inventé, on faisait chauffer le lait chaque matin dans la casserole. Toujours ça accrochait le fond de la casserole, toujours le lait débordait de la casserole, toujours il y avait de la peau à la surface du lait. Écœurant la peau du lait, comme le gras du jambon.

Nos postes sont au pire supprimés, et au mieux, transférés.

Mon poste est supprimé.

Pas tout de suite bien sûr. La date prévue est le 1er juin, au printemps, en même temps que les bourgeons donneront des fleurs. Peut-être vais-je me transformer en fleur.

J’interroge mon directeur : « Vous, vous qui me connaissez depuis si longtemps, quel conseil amical et désintéressé, en tant que mon plus haut responsable hiérarchique pourriez-vous me donner ? »

Etonnement, sursaut, c’est quoi cette question Géraldine ? Il sourit, enfin je vois bien qu’il essaye, et aussitôt regarde l’heure à sa montre.

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« Je n’ai aucun conseil à vous donner ! C’est à vous à savoir ce que vous avez envie de faire ! La société est grande, il y a des opportunités à saisir. Vous pouvez chercher dans toute la société, ses filiales, sa holding. »

Et là, il parle à son téléphone portable et sort, il doit avoir La Nouvelle Economie ou Les Dividendes Des Actionnaires en ligne. C’est sans doute très important de leur répondre tout de suite.

Et dire que je croyais que la fonction d’un directeur consistait à indiquer une direction à suivre directement et plus vite que ça s’il vous plaît !

Trop de choix tue le choix.

La fleur trop arrosée meurt dans son pot.

Mais c’est sûrement bien, c’est encourageant, cela veut dire qu’à 55 ans, je peux choisir ce que je veux faire. Enfin, je vais pouvoir choisir !

Choisir un boulot comme on choisit une paire de gants, si ce n’est que là, il n’y a pas de gants.

J’aime bien les gants. C’est chaud. J’ai horreur d’avoir froid aux mains.

Les bals

Mon directeur est un homme très intelligent. Je ne sais pas pourquoi, mais sous prétexte que j’ai une particule liée à mon nom de famille et que je travaille à temps partiel, il pense que lorsque je ne travaille pas, je vais à des bals avec des colliers de perles, et que je danse toute la journée. Alors que, le bal des débutantes, je n’ai plus trop l’âge, et pour le bal de la rose, je passe plutôt mes vacances en Bretagne. C’est magique un bal. J’aurais bien aimé qu’il ait raison.

Mon directeur ne me donne pas souvent d’augmentation de salaire, il pense que c’est de l’argent de poche. Alors que je n’ai jamais eu de poche sur mes jupettes.

Les mécènes

Tous les matins à StockOption, lorsque je mets mon ordinateur en marche, je vois que StockOption est mécène à l’Institut Gustave Roussy. Chaque matin chaque collaborateur peut lire en énormes caractères gras, et en plus qui clignotent, que StockOption soutient l’Institut Gustave Roussy pour faire avancer la recherche contre le cancer. Pour moi ça sent le

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roussi, j’ai eu un cancer, j’ai encore quelques traitements que je peux qualifier sans trop faire la mauviette de pas-trop-sympas, et je fais partie des personnes dont le poste est supprimé.

Faudrait savoir. StockOption investit dans la recherche contre le cancer, mais ne dorlote pas ses salariés endoloris du cancer. C’est vrai quoi, on est dans une société anonyme ! On est mécène, pas garde-malade, il ne faut pas confondre !

Alors là, je précise que je ne suis pas malade. Je suis guérie. J’ai juste des traitements pour ne pas récidiver. C’est une guérison bizarre, on l’est, mais attention, peut-être pas, ou alors, on ne sait pas jusqu’à quand. C’est subtil. Quand j’ai eu la scarlatine, petite fille, et que j’ai été guérie, je n’ai pas pris de traitement ensuite pour ne pas récidiver. Je crois que quand on en prend, c’est que c’est quand même grave ce qu’on a eu. On a eu de la chance, et il faut que cela dure.

En tout cas c’est bon signe, je dois forcément être guérie, sinon, les mécènes n’auraient pas supprimé mon poste.

Je ne sais pas si c’est si bien que ça d’être mécène. Je préfère les gens gentils.

Le Crocodile Vert

Je suis assise à mon bureau, au 7ème étage d’un bel immeuble, c’est là que je travaille. Je bénéficie d’une vue imprenable sur la Seine, le pont d’Austerlitz, la gare Saint-Lazare, le Panthéon, la Tour Montparnasse, et le Crocodile Vert. Les variations de lumière sont magnifiques. Avec le temps j’ai appris à aimer le Crocodile Vert.

Le Crocodile Vert, appelé par certains Les Docks, se prélasse sur les bords de la Seine entre la gare d’Austerlitz et la Bibliothèque François Mitterrand. Il abrite la Cité de la mode et du design, et occupe l’emplacement des anciens magasins généraux. Nous, on l’appelle le Crocodile Vert.

Présentation

Mon bureau est un des plus lumineux et des plus vastes. Nous y étions six. Depuis peu nous y sommes cinq :

Il y a d’abord nos deux managers, Isabelle et Raphaëlle. Leurs postes sont transférés.

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Isabelle a donné sa démission, elle partira le 20 décembre. Isabelle est prévoyante et impatiente. Le 20 décembre, Isabelle s’envolera. Il ne faudra pas qu’elle perde ses talons en chemin, quelqu’un pourrait les recevoir sur la tête.

D’ici là, avec Raphaëlle, à l’heure du déjeuner, il leur arrive de se faire faire des soins pour les ongles dans des bars à… ongles. Je découvre ainsi ce qu’est un bar à ongles, je ne connaissais que les bars à vin. Il existe aussi paraît-il des bars à eau, mais je ne crois pas qu’elles les fréquentent.

Isabelle est toujours très élégante, sauf un jour : le lendemain du jour où elle a donné sa démission. Isabelle en pull ! Un beau pull, fashion, violet, mais un pull quoi. Isabelle ne porte jamais de pull au bureau. Je l’ai appelé le pull de la démission. Aujourd’hui, C’est Raphaëlle qui arrive… en jean ! Serait-ce le jean de la démission ? Ou bien le jean désabusé. Raphaëlle ne porte jamais de jean au bureau…

Isabelle veut toujours faire la sorcière, mais avec moi, ça ne marche pas. Elle fait mal la sorcière.

Et d’ailleurs, une sorcière ne ferait pas de goûter de départ avec des macarons, car je suis bien certaine qu’il y aura des macarons à son goûter de départ. Une sorcière ferait un dîner de départ avec de la bave de crapaud.

Raphaëlle aussi va s’envoler. Elle ne le sait pas encore, mais ça va se faire. Il y a trop de choix à StockOption, elle va forcément trouver de nouveaux gants qu’elle trouvera ensuite plus seyants que ceux qu’elle porte aujourd’hui. Raphaëlle, quand elle nous quittera, ce sera en chantant et dans un frais tourbillon.

Raphaëlle est un phénomène, elle connaît toutes les chansons populaires françaises, participe à des concours sur des chaînes de télévision que personne ne regarde, sauf la mère de Gisèle, et encore, lorsque Gisèle la met sur le coup. Et elle gagne ! Elle gagne des voyages, et même de l’argent. Si je devais lui trouver un surnom ce serait Fée Clochette, d’abord parce qu’elle a l’air d’une fée, et ensuite parce qu’elle est partout dans un joyeux tourbillon ordonné. Elle est douée pour la vie.

Ce matin Raphaëlle est arrivée au bureau en chantonnant « Chantent les sardines, qu’est-ce qu’on est serrées » ! Isabelle a dit que ça, elle ne le regrettera pas quand elle sera dans son nouveau travail, incubée, à faire de la gestion d’actifs.

Et nous, on n’est pas des actifs ?

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Ensuite, il y a les quatre collaborateurs dont le poste est supprimé.

Justement, Jeanne revient de réunion, sa dernière réunion sur le Risque Op (Risque Opérationnel) dit-elle. Jeanne est un peu désabusée. Elle est discrète, classe, smart. Très élégante. Elle parle un français que l’on peut qualifier de châtié, et sûrement un anglais aussi. Elle observe et a souvent le mot juste, avec des termes bien choisis. Jeanne ne fait jamais de faute d’orthographe.

Jeanne va sans doute nous quitter, prendre le plan.

Prendre le plan, c’est demander à partir en pré-retraite dans le cadre du projet d’adaptation des effectifs. C’est prendre l’air, prendre la poudre d’escampette.

Prendre le plan de vivre.

Elle ne s’envolera pas. Un soir, vers 18 heures, elle prendra son train et ne reviendra pas. C’est toujours triste un départ sur un quai de gare.

Ensuite il y a Albert. Le poste d’Albert est supprimé, et lui aussi va essayer de prendre le plan. Après tout, ce peut être une opportunité à saisir. En tout cas, lui, quand il partira ce sera en montgolfière.

Quand il est là, tout tourne autour de lui, le bureau résonne de sa grosse voix. Quand il n’est pas là, on s’inquiète. Car Albert est comme une énorme bulle de chewing gum Molobor, une bulle qui a l’air d’une bulle bien dans ses pompes, mais la bulle est fragile. C’est normal, c’est une bulle. Sinon, il aurait été une boule de pétanque. Il est comme moi, de la génération Molobor, pas Hallywaad. C’est peut-être pour ça qu’il est si fragile.

Et puis, il porte toujours ses lunettes sur le sommet de sa tête. Sans doute qu’il voit le ciel. Et c’est certainement pour ça qu’il a des rêves plein la tête.

Quoiqu’il arrive, tous les matins, à 10 heures, Albert fait le point au Paris-Nice, la brasserie du coin de la rue, avec Dédé et son staff. Et tous les soirs en partant il nous dit tchao tchao.

Ensuite encore, il y a moi. Pour mon anniversaire, ils m’ont offert une bande-dessinée Les Blondes. Car je rêve d’être blonde, en tout cas je le fais croire et ça m’amuse. Ils m’ont offert aussi une éphéméride à histoires papier car je suis une adepte du papier, je suis une des rares à imprimer encore les mails qui me paraissent importants, c’est-à-dire quasiment tous, sur papier. Je dis que je n’aime pas les arbres, mais c’est faux, c’est pour

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ne pas oublier le contenu des mails, je ne veux pas qu’ils sachent que j’ai moins de mémoire qu’avant…

Je note mes rendez-vous sur un agenda papier, et ça les fait bien rire. Je préfère les agendas papier aux agendas aPhone, sauf tous les ans en décembre, car là ça se complique, il faut deux agendas, celui de l’année qui se termine, et celui de l’année qui va commencer. Encombrants et lourds à porter dans le sac. Problème de logistique.

Et pour finir, il y a Gisèle. Si je présente Gisèle en dernier, c’est qu’elle a déjà quitté le service.

Eh oui, le quatrième poste supprimé était le sien. Gisèle est prévoyante elle aussi.

On ne met jamais d’eau sale, ni de café, ni de détartreur (ça, c’est quand on détartre la machine à café une fois par an) dans la plante verte du bureau quand Gisèle est là. Gisèle affectionne les plantes et le Comité d’Entreprise (« CE », se prononce « C’est E »). La plante verte du bureau résiste bien. Même à des doses de calcaire.

Avec le « C’est E », (mais qui donc est « E » ?) Gisèle a parcouru le monde, a goûté à tous les cocktails du monde, et nagé dans toutes les mers du monde.

Avec le « C’est E », Gisèle prend des cours d’art floral et de scrap-booking, c’est une femme très occupée.

Si Gisèle prend le plan, finis pour nous les bons tuyaux du « C’est E ».

La cafetière ExpreSo

Dans le bureau se trouve la cafetière ExpreSo du Service. Grâce à elle, nous avons quelques visites. Nos visiteurs ont leurs postes bientôt tous transférés.

Léna, arrive dans le bureau. Elle vient d’acheter une tenue de Mère-Noël hyper sexy. Rikiki robe rouge très décolletée, avec chaussettes rouges et blanches. Tout ça, pour la corrida de Noël d’Issy les Moulineaux. Collants noirs, jarretières coquines. Bonnet rouge classique. « Col blanc de la catho coincée » crie Raphaëlle (Isabelle rit, elle aime bien se moquer des cathos. Petite fille à Brest, je crois qu’ils n’ont pas tous été très gentils avec elle.). « Très décalé le col blanc » rajoute Raphaëlle, et c’est bien vrai qu’il est décalé ce col, il est tellement décalé que même Claudine n’en voudrait pas. La corrida aura lieu dimanche 15 décembre, 10 km de marathon en tenue déjantée. Dans cette tenue, Léna sera comme un ange

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rouge. Son fils Noé est amoureux de Lola Lacastagne, une petite blonde aux cheveux jaunes. Léna repart en coup de vent, elle a un slide à lire avant sa réunion.

Farid nous montre un arc en ciel aux trois quarts caché par les nuages. Farid est venu nous voir et prendre un café. Il n’est pas très motivé aujourd’hui, et maintenant il voit la pollution par la fenêtre. Lui, son poste n’est pas supprimé, mais transféré, déplacé. Il va devoir s’envoler par les airs sur son fauteuil roulant pour rejoindre son poste, de l’autre côté de la Seine. Je comprends que ça l’inquiète, moi aussi j’ai le vertige, et puis, son fauteuil n’est pas volant.

Et en plus, lui qui aime tant voir le Crocodile Vert, il ne pourra plus le voir de sa fenêtre.

Une jeune stagiaire, pléonasme, entre prendre un café. C’est limite si elle ne frappe pas à la porte. Elle est timide et dit juste bonjour avec un léger accent. Elle repart et dit bonne soirée.

Dans les couloirs des immeubles et des bureaux, certains voisins ou collaborateurs ne disent ni bonjour ni bonne soirée. Le contact se perd.

C’est pour ça que la foule du métro n’est pas de bonne humeur.

La foule a bien tort.

Raphaëlle revient de réunion. Il reste de l’eau, un thé est encore possible. Dans sa tasse il reste un fond de café, allez hop, dans la plante verte du bureau avec un peu d’eau pour bien rincer ! Je n’aimerais pas être la plante verte du bureau...

Nos mugs ne sont plus jamais nets, le thé laisse des traces brunes sur les parois, pas très appétissant mais on s’en moque bien. Celui d’Isabelle est corporate, rose, elle l’avait choisi pour ça. Rose, c’est la couleur corporate de StockOption.

Aujourd’hui elle se moque bien de la couleur de son mug.

Aliénor vient de passer, très noble. Attitude totale classe. Elle agrafe un dossier et repart, très digne.

Et voici Gabriel. Il s’appelle Gabriel, comme l’Ange (et c’est vrai qu’il a l’air d’un ange), et comme son grand-père (je ne connais pas son grand-père). Chaque matin Gabriel nous embrasse en disant bonjour, et il sent toujours bon. Il a retiré sa cravate, en fait il ne porte pas souvent de

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cravate, et ouvert le premier bouton de sa chemise. « Ça roule ? », demande- t-il. Il vient de remplir la cafetière ExpreSo d’eau.

LePrésident arrive. LePrésident n’est pas encore Président de la République, il rêve seulement de le devenir. Il est grand et mince, milite activement dans un parti politique, et fait toujours une entrée différente dans le bureau pour nous faire plaisir. Je suis un public excellent. Il fait un salut, un saut, un pas de danse, un mime, une mimique, chaque jour son entrée en scène est différente. J’apprécie. Il fait aussi des imitations de certains d’entre nous, la voix, la posture, il est très fort en posture.

Ils ont l’air d’aller bien, non, pas si bien que ça. Les copains de Gabriel qui travaillent dans d’autres sociétés que la nôtre, ont de brillantes évolutions de carrière, et voilà quoi, pas lui… Il va prendre rendez-vous avec la DRH (Direction des relations humaines). Ils partent en pas chassés. C’est magnifique des jeunes qui font des pas chassés ! C’est rare.

La DRH va avoir du boulot. Nous recevoir tous. Un par un. Nous promettre des merveilles, nous dorloter. Qu’il est bon d’avoir une DRH, plus précisément, une RRH, Responsable des relations humaines.

Quand j’étais petite, je voulais être reine. J’aurais été une super reine, en robe bleu-marine très longue avec une traîne brodée d’or fin, une couronne et un sceptre. A StockOption, pour être reine, il faut aimer le rose, et ne pas se traîner avec sa vieille agrafeuse d’il y a trente ans, et d’ailleurs ça me fait penser qu’il ne me reste plus que très peu d’agrafes, et comme le modèle n’existe plus, ça sent la fin de règne.

Et voici qu’arrive Lintellect ! C’est lui qui s’appelle comme ça, et pourquoi pas, il a bien raison. Un matin, il est arrivé comme s’il sortait du cinéma, en pantalon beige avec pull zippé et tee-shirt blanc dessous. Oh là là mais qu’est-ce qui lui est arrivé ! Sa femme de ménage avait déposé tous ses costumes au pressing ! Tous ! Et nous, comme on n’est pas toujours très bienveillant, on s’est bien moqué de lui. C’est le génie du Au Coin Parfait. Au Coin Parfait, sur Internet, il a mis près de deux mille petites annonces de vente. Car il vend tout Lintellect, il vendrait même ma vieille agrafeuse.

Albéric, un étrange phénomène. C’est un prestataire de services, c'est-à-dire qu’il rend des services, enfin, c’est ça qu’il est censé faire. Quand il a su le titre de la ballade que j’écris, Acrostiche, il a aussitôt recopié sur un mail la célèbre acrostiche d’Alfred de Musset à George Sand, qui donne comme mots, ou plutôt comme phrase : Quand Voulez Vous Que Je Couche Avec Vous. Le tout en caractères bien gras, comme le gras du jambon.

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Quand je mets à vos pieds un éternel hommageVoulez-vous qu'un instant je change de visage ?Vous avez capturé les sentiments d'un cœurQue pour vous adorer forma le CréateurJe vous chéris, amour, et ma plume en délireCouche sur le papier ce que je n'ose direAvec soin, de mes vers lisez les premiers motsVous saurez quel remède apporter à mes maux.

Et Albéric, par inadvertance, l’a adressé à un autre collaborateur qui a le même nom de famille que moi, un cousin lointain ! Voilà, ça c’est Albéric, avec un A comme Ah la bonne blague !

J’en profite pour préciser qu’Albéric n’est pas un prestataire de services ordinaire, c’est un consultant. Il donne des consultations, mais lui, c’est sans blouse blanche et sans stéthoscope. Il écoute le cœur de StockOption, lui prend le pouls, et lui apporte des remèdes via les slides et les outils informatiques.

Justement, Léna a 30 minutes pour faire un slide pour sa-hiérarchie. Et la voilà qui extrait, développe, analyse et j’en passe. 10 minutes plus tard, sa-hiérarchie lui rappelle qu’il ne lui reste que 3 minutes. Où sont passées les 17 minutes du début ? Magie.

Et pour finir, et non des moindres, voici Lotfi, un consultant discret et efficace, qui travaille avec Léna et Albéric. Lotfi est bienveillant, c’est l’homme sage du service, il cache ses humeurs facétieuses et malicieuses sous un visage paisible et serein.

J’ai rendez-vous demain avec la DRH. C’est décidé, je vais demander à faire un bilan de compétences. Très bonne idée. J’aurais préféré une formation pour apprendre à coudre, me faire de belles robes, ou une formation pour faire des gâteaux comme Martine. Seulement voilà, il faut rester corporate. Mon directeur m’a dit que je suis corporate. Je suis flattée car cela avait l’air d’être un compliment. C’est bien d’être corporate. Bon état d’esprit. Apte. Et en plus le rose est si joli.

Moi, quand je partirai, je ne sais pas encore comment cela se fera. En toboggan, direct sur la Seine face au Crocodile Vert ? Je n’aime pas l’eau froide. En patin à roulettes alors qu’il n’y a plus que des rollers ? Je crains la chute. En patin à glace ? Il faut attendre que la Seine se transforme en banquise, et puis

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arrête de crâner Géraldine, tu ne saurais plus en faire.

Ce que j’aimerais, c’est qu’on me prenne par la main, gant contre gant. Et comme ça, je pourrais aller au bout du monde.

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Chapitre suivant

La récidive c’est maintenant !

Le Docteur Whengereguen est oncologue, c’est lui qui décide des traitements à effectuer avant et après l’opération, radiothérapie et/ou chimiothérapie. Oncologue, je n’aime pas ce mot. Ce n’est pas un mot qui donne envie de rêver. Les mots qui ne font pas rêver, cachent souvent de vilaines choses.

La dernière fois que je l’ai vu, il m’a provoquée. Peut-être n’était-il pas content que je lui rapporte, en m’amusant, qu’à la maison je dis souvent en prenant la pilule anti récidive du matin : « Whengereguen m’a tuer ». Moi, je trouvais ça drôle. Pas lui. Il m’a dit de dire plutôt, « Whengereguen m’emmerde ». C’est grossier, je n’aurais pas osé lui dire ça. En réalité, cela veut dire qu’il veut que j’aille bien, et ça, c’est plutôt sympathique, il veut que je continue à prendre ces pilules pour mon bien.

Il m’a dit :

« Géraldine, la récidive c’est maintenant !

Vous devez perdre votre ventre, car c’est dans la méchante graisse du ventre que vous fabriquez les méchants œstrogènes qui fabriquent des méchants cancers hormono-dépendants, et vous devez faire plus de sport, du bon sport. Je veux vous revoir dans un an sans ce ventre. »

Et voilà que je vois de mes yeux la récidive !

Alors là, c’est trop fort, c’est vrai qu’il m’emmerde !

Et voilà que je vois ce ventre enfler, gonfler, remplir tout l’espace de la pièce. Il faut agir vite avant que je ne puisse plus sortir de là.

En vérité, j’apprécie énormément, le Docteur Whengereguen. Là, c’est un grand classique, les patients aiment toujours leur sauveur, surtout les patientes. C’est un homme bon, rassurant et plein d’humour, qui voit tous les jours des femmes sans cheveux.

C’est très dur de perdre ses cheveux. On se regarde dans la glace, et on ne se reconnaît pas. Il faut s’apprivoiser, apprendre à s’aimer comme on est, savoir qu’on est beau de l’intérieur. A ces moments-là, Adrien

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m’appelait tendrement Chimimi. Car dans Chimimi, on entend Chi comme dans chimiothérapie, et on entend Mimi, comme d’hab.

L’ange blanc

Un homme qui est très beau de l’extérieur, c’est le Docteur Kerguemar (c’est comme Broglie, ça se prononce Kregue). Il est chirurgien spécialisé dans les cancers du sein. Il retire aux femmes des seins ou des bouts de sein toute la journée. C’est réconfortant un beau chirurgien, et ça c’est plutôt bien, ça console les femmes tristes qui vont perdre leur sein avec lui et leurs cheveux avec l’oncologue.

Il est beau aussi de l’intérieur. Quand il m’a annoncé que j’aurai de la chimiothérapie, dans le silence des larmes que je retenais alors en vain, il m’a juste pris la main, n’a rien dit, et ensuite comme un ange blanc, a quitté la pièce.

En arrivant au bloc opératoire, il a touché mon pied, et en riant m’a dit qu’il arrivait toujours sur la scène quand la salle était prête, chauffée à fond, comme Johnny. J’ai aimé l’idée de la scène de spectacle, j’y ai le second rôle, ce qui n’est déjà pas si mal pour une débutante, et n’ai aucun texte à apprendre par cœur, il faut juste bien rester endormie, faire la belle endormie.

Et en plus moi, ce n’est qu’un bout de sein qu’il va me retirer, un petit bout de la taille d’une balle de ping-pong. Pauvre Crabe, il aurait bien voulu le sein entier. Bien fait pour lui, il n’avait qu’à aller croquer des crevettes.

Je dirai à mon fils Antoine qui passe le concours de l’internat cette année, je lui dirai, que s’il veut être aimé des femmes, il faut qu’il leur touche le pied au bloc opératoire.

Quand j’ai appris que Marie avait un cancer des bronches, j’ai couru chez le naturaliste, ai acheté une tisane bio Respire, puis je suis partie à toute vitesse chez elle en voiture pour qu’elle en boive tout de suite.

Pour me remercier Marie m’avait envoyé le texto suivant :

Ta tisane respiration était top, bonne nuit. Marie

Quand j’ai appris que Marie allait mourir, j’ai pleuré.

Dans le métro, on entend souvent, surtout en période Vigipirate « Attentifs ensemble ». C’est bien de faire attention aux autres.

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Les cellules dormantes

Il paraît que maintenant je suis remplie de cellules dormantes. C’est certainement pour cela que parfois, j’ai envie de dormir. J’ai vu à la télévision une émission aussi aseptisée que sérieuse, dans laquelle des scientifiques suisses très savants, vêtus de blouses blanches immaculées, nous expliquaient qu’on ne guérissait pas d’un cancer du sein. Ils exagèrent. Je l’espère. Le Docteur Whengereguen auquel je faisais part de mon inquiétude m’a rassurée : « Les cellules dormantes ? Chut, laissez-les dormir ». Il a toujours raison, alors je les laisse dormir. J’espère que le stress de ma nouvelle paire de gants à choisir ne va pas les réveiller. En tout cas, le soir, je leur souhaite une bonne nuit, et pour ne pas leur donner l’idée de se venger de moi, secrètement je leur souhaite de ne jamais se réveiller, et même, de crever !

J’en ai assez de faire l’hôtel !Les filles, bande de feignasses, si vous vous

réveillez un jour, vous irez croquer ailleurs, je ne ferai pas restau !

Je vois bien que dans cette histoire, le Docteur Whengereguen a le mauvais rôle. Ce n’est pas juste. Mais c’est quand même lui qui fait perdre leurs cheveux aux femmes.

La prescription

Pour vous ce seront quatre séances de chimiothérapie, Taxotère et Endoxan en perfusion, et des rayons, plein de rayons. Et ensuite, comme votre cancer est hormono-dépendant, cinq années entières

de prescription de Tamoxifène.

Quatre séances de chimiothérapie, c’est mieux que six, mais c’est beaucoup moins bien que zéro.

Zéro, j’aurais gardé mes cheveux.

Allons-y pour quatre. P’tit bras diraient certains.

Vous êtes tellement border line !On verra dans dix ans si c’était le bon traitement.

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Border line, c’est être à la limite de la ligne. Je veux m’éloigner de cette ligne. Tchao tchao.

Et je compte bien être là dans dix ans pour vérifier que c’était le bon traitement.

Et que oui, on va les niquer

J’ai été opérée alors que Marie était dans un état de fatigue extrême.

Nous avions échangé des textos, voici ceux de Marie :

Le 17 novembre 2010

Je viens de lire ton SMS à l'instant, tu es trop super,

et que oui je vais les niquer ! Enormes baisers. Marie

Le 22 novembre 2010

Ok tu vas les niquer ! Marie

Le premier hiver où elle a su qu’elle était malade, je lui avais offert une écharpe noire ou gris foncé, pour qu’elle n’ait pas froid. Une grosse écharpe bien chaude, avec des grosses torsades. Je ne l’ai jamais vue la porter, je pense qu’elle était trop grande, on aurait pu mettre trois Marie dedans, et peut-être qu’elle lui grattait un peu le cou.

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Le cancer du sein

Femmes blessées et fragilisées qui trouvent leurs forces dans le reflet du miroir, affrontant leur regard désenchanté.

Vue sur des seins malmenés, parfois amputés, cicatrices en vrac, cils et sourcils qui rejoignent les mèches de cheveux rasées et tombées sur le sol froid.

Odeur de vernis à ongle, dégoût du bon goût.

Fatigue, brisure, broyage.

Certaines sont plus fortes encore, et d’autres sont déjà brisées.

Certaines se dépassent, et d’autres se laissent dépasser.

Certaines sont des combattantes, des amazones, tandis que d’autres sont comme des trembles argentés que caresse le soleil, et certaines qui paraissaient être des cèdres du Liban, sont abattues par la tempête. Il y en a même qui paraissent indifférentes, ne pas dire, ne pas montrer, garder.

Acceptation ou révolte, angoisse ou lassitude, féminité florissante ou abandon.

Les chances de survie dépendent des atouts présents ou non dans le grand jeu de cartes. Le Joker est une incertitude, une interrogation. Vais-je guérir ? Avoir la main sur le jeu, mais pas toujours…

Certaines voient la vie en trois dimensions, savourent sa beauté haute en couleur, et profitent du merveilleux temps qui reste à vivre. D’autres sont happées par l’obscurité, plus fragiles et si seules.

Certaines créeront, sculpture, peinture, écriture, photographie, d’autres oublieront.

Créer, vivre et transmettre. Oublier, faire « comme si que » ça n’avait jamais existé, telle une ultime défense ou une indifférence feinte.

Malheureusement, certaines mourront, épuisées de cette longue course, jeunes et vieilles, consolées ou inconsolables, inquiètes ou avides

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d’éternité. Toutes, attendues…

C’est bien d’être attendue quelque part, c’est réconfortant, mais rien ne presse, surtout pour cet ultime rendez-vous. Comme tout un chacun, je préfère me faire désirer, prolonger l’attente, garder l’espoir de vivre encore et encore, au plus profond de moi, en mon sein.

Hey Dieu, attends-moi encore, on s’rappelle plus tard, promis, il faut encore que je progresse !

Progresser

Progresser, avancer, être plus attentive à la brise légère qui souffle dans mon cœur et à la lumière qui réchauffe mon âme, retirer les voiles qui obscurcissent ma vue, trouver le chemin, la vérité, la vie, trouver la porte…

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StockOption, en vrac

Comme d’habitude, quand j’arrive au 7ème étage, je pousse la grosse porte anti-feu et dis « Hello ! » à la cantonade (cantonade, un mot qui me fait penser à une promenade à la campagne au milieu des vaches qui broutent dans les prés. J’ai une tendresse toute particulière pour les vaches et les fleurs des champs, particulièrement les boutons d’or), en passant devant le bureau de Léna et des prestataires dont Albéric, et devant le bureau des garçons.

Tous les matins, et plusieurs fois par jour, le Monsieur du courrier passe dans le bureau. Il passe juste une tête sympathique par la porte entrebâillée et ne pénètre pas dans le bureau. Il vérifie qu’il n’y a toujours pas de courrier dans la bannette Départ, et ne pose aucun courrier dans la bannette Arrivée. Il n’en a pas toujours été ainsi, il y a eu un temps où les bannettes étaient pleines et où on avait plein de courrier et plein de travail, un temps où on recevait plein de mails aussi.

Isabelle a la tête qui explose, elle revient d’un petit-déjeuner à l’école de ses enfants avec les instits et en a plein la tête de tous ces cris d’enfants qui ne sont pas les siens. Elle ne sera jamais institutrice !

Elle ne sera pas agent immobilier non plus. Elle cherche un locataire pour un petit appartement vide dans Paris, rive droite bien sûr, et hier elle a failli se faire castagner par un psychopathe accompagné d’une femme névrosée auquel l’appartement ne plaisait pas, et ce matin, son rendez-vous de 8h30 qui avait pourtant envoyé un dossier, n’est pas venu, du grand n’importe quoi.

C’est sûr, elle fera de la gestion d’actifs en nous quittant.

Albert a prévu de manger des huîtres dans un bon restaurant tout à l’heure. Il s’en réjouit. C’est bon d’avoir des amis avec lesquels manger des huîtres.

Moi, aujourd’hui, je suis missionnée par Jeanne qui est absente car souffrante, et par Raphaëlle qui est absente car on est mercredi et que le mercredi elle ne travaille pas car c’est le jour des enfants, je suis missionnée, dis-je, pour acheter au Comité d’Entreprise du bon foie gras.

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A cause de l’absence de Jeanne et de Raphaëlle, il n’y aura ni commentaire décalé et incisif sur La Nouvelle Economie, ni chanson. C’est un jour triste.

LePrésident et Gabriel étaient invités à un dîner politique hier soir. Le personnage principal était un jeune homme d’origine modeste, brillant par son intelligence, qui a milité pour qu’on puisse devenir Président de la République Française à 18 ans. Moi, à 18 ans, je voulais être actrice ou avocate. Et les ex colleurs d’affiches sont repartis en pas chassés.

Et voici Lintellect. Il porte un costume froissé, vrillé. Je lui ai déjà conseillé de le repasser, de mettre de la vapeur dessus ou de le porter au pressing (Albert ne dit pas pressing, il dit teinturier). Je crois que Lintellect est sur une autre planète, peut-être même sur une autre galaxie. Il a bien raison après tout.

Il est venu avec une tasse jaune et nous parle d’Albéric. Encore Albéric ! Il y a deux semaines, Albéric avait caché la tasse à café jaune de Lintellect, la bonne blague. Et ensuite il a oublié le fait même qu’il l’avait cachée. C’est parti de sa tête, qui est pourtant une grande tête. Et là d’un coup, ce matin, ça lui est revenu, que c’est lui qui l’avait cachée et où est la cachette. Albéric avait oublié sa bonne blague d’un matin. Trop fort cet Albéric, avec un A comme Ah la bonne blague !

De toute façon, qui aurait pu voler cette tasse à café jaune ?

Aliénor a pris deux fois du café ce matin. Elle boit beaucoup de café, et fume aussi, dehors, elle est corporate. Le poste d’Aliénor aussi est supprimé. Est-elle inquiète ? Elle ne se confie pas. Elle a de la retenue.

Le Crocodile Vert est dans la bouillasse aujourd’hui, tout est gris.

Je reviens du CE, qui est au deuxième étage, avec mes achats de foie gras. J’y ai retrouvé Gisèle la gourmande.

En passant devant Le bureau des garçons, j’ai vu LePrésident assis sur son siège, jambes croisées et pieds posés sur son bureau. C’est fou ce qu’il a de longues jambes, alors les pieds sur le bureau, ça a de la gueule même si ça ne se fait pas trop, voire pas du tout.

Je me demande bien ce qu’en pense la stagiaire qui occupe le bureau collé au sien, en face à face, et qui a donc ces grandes chaussures dans son champ de vision, à vingt centimètres d’elle.

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Farid est toujours de dos, ses deux écrans allumés en même temps remplis de tableaux et de chiffres.

Tous les quinze jours, le mercredi, un Monsieur silencieux vient arroser la plante verte du bureau avec un grand arrosoir vert en plastique. Et là, c’est aujourd’hui le mercredi du quinzième jour. La plante a grand besoin d’eau pure.

Pendant ce temps, La Nouvelle Economie se met en place : process, avancées RH importantes, ambition, attentes fortes, plan stratégique, ambitions, objectifs et leviers, Senior Managers, Direction des opérations. C’est rassurant, j’ai confiance.

Acte manqué, déni

C’est l’heure du thé vert. Je réalise que ce matin à 9h30 j’ai oublié le rendez-vous que j’avais avec la DRH pour discuter d’un éventuel bilan de compétences. Oublié ! En période de Plan d’adaptation des effectifs, ça ne s’oublie pas un rendez-vous avec la DRH ! Je n’oublie pas mes rendez-vous, et suis même assez ponctuelle.

Aujourd’hui, chacun a dit à Isabelle avec un clin d’œil et un petit air de sous-entendu : « Alors Isabelle, J-2 » ? Isabelle sourit et ne répond pas.

Le Crocodile Vert

Chaque soir, en mettant mon manteau pour partir, je regarde par la fenêtre. Le Crocodile Vert brille dans la nuit. C’est à ce moment qu’il est le plus beau. Il y a un ballet de lumières : les lampadaires allumés, les phares des voitures d’un côté rouges, de l’autre côté blancs, et le Crocodile Vert, vert. La soirée est sereine, et le métro sera bondé de monde. Bondé, drôle de mot. Je vois une grosse valise qu’on n’arrive pas à fermer tellement elle est remplie de vêtements.

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Les jurons de mon père

Quand j’étais petite, j’entendais mon père dire des gros mots. C’était un homme très distingué mais qui, comme il le disait lui-même, jurait comme un charretier. Son gros mot le plus long est celui-ci :

Nom de Dieu de bordel de merde de bite à bon Dieu de vérole de mes couilles.

Dieu avec une bite et mon père avec des couilles ! C’était terriblement grossier. Je n’osais imaginer…

Le Capitaine Hadock me paraissait être un enfant de chœur.

J’étais fière des gros mots de mon père. Ça avait de la gueule, même si ça faisait un peu peur.

N’empêche qu’un jour de grisaille, bien après qu’il soit mort, je me suis inquiétée des jurons de mon père et j’ai prié Dieu : « Hey Dieu, j’espère que Tu n’as pas trop écouté les gros mots de mon père. J’espère que Tu n’as écouté que son cœur, et pesé son âme. C’était un homme bon, nerveux soit, mais très bon. »

Ce jour-là, jour de grisaille, j’avais tort, j’avais oublié ce que j’avais ressenti si clairement à la mort de mon père, j’avais oublié que Dieu avait attendu mon père, de tout temps.

Je crois que s’il disait tant de gros mots, c’est que durant la dernière guerre, pour échapper au Service de Travail Obligatoire (STO), il s’est fait bûcheron dans la forêt d’Orléans. Alors là, le jeune homme dit de bonne famille a dû s’adapter, se faire accepter. Il s’est très bien adapté.

Mon père

Mon père aimait la compagnie des femmes, au sens gentil. Plus elles étaient âgées plus il les appelait « Ma petite », et plus elles étaient jeunes plus il les appelait « Ma grande ». Elles adoraient ça, et lui, il aimait leur conversation.

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En fait de conversation, il adorait parler, être écouté. Il pouvait parler des Mérovingiens pendant tout un repas, et même plus. C’est à cause de ça que j’ai appris à ne plus écouter, à être là sans être totalement là. Aujourd’hui je regrette, je ne sais rien sur les Mérovingiens.

Je me souviens d’un dîner pendant lequel ma sœur Béatrice avait juste demandé ce qu’était un feu de Bengale. La folle, il ne faut jamais poser de question à mon père ! La réponse a duré deux heures sans qu’il reprenne jamais sa respiration ! Je m’en souviens très bien. Je suis restée assise, ai bien fermé mes oreilles, un peu les yeux, et je suis partie dans une bulle pleine de feux d’artifice. Dommage, aujourd’hui je ne sais rien, ni sur les feux de Bengale, ni sur les Mérovingiens.

Nous étions quatre sœurs, et le sommes toujours... Mon père était le modèle. Il commençait toujours ses phrases par « Vous n’êtes pas sans savoir que… ». Et comme moi je ne savais pas, je pensais qu’il avait toujours raison. Ma mère ne parlait pas. Elle n’aurait pas pu de toute façon. Peut-être avait-elle essayé.

En tout cas pour les Mérovingiens, il était le seul à savoir.

Il vouait une profonde admiration au Général de Gaulle. Au début de la guerre, il avait voulu s’engager pour faire la Guerre du Japon dans la Royale Air Force (RAF), mais il était trop jeune. Le 18 juin a été un des jours les plus importants de sa vie.

Autre grand sujet, Vatican II. Mon père était de son temps, il était pour Vatican II, et s’opposait aux traditionnalistes qui étaient contre.

Comme si Dieu s’intéressait à la façon dont on le prie.

La généalogie de mon père

Mon père ne parlait pas que des Mérovingiens, bien évidemment.

Il nous racontait aussi les histoires qui ont tant divisé sa famille.

C’était une déchirure.

Il nous disait que l’éducation de son père était celle des grands bourgeois de l’époque, grands propriétaires terriens et descendants des fondateurs de l’ère industrielle.

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Il nous disait aussi que du côté de sa mère, l’éducation était aristocratique dans toute l’excellence du mot. Sa mère n’était-elle pas la descendante du fameux Chevalier T. du R. (Garde du corps à Versailles en 1789, qui fut laissé pour mort pour sauver la Reine Marie-Antoinette lors des journées des 5 et 6 octobre 1789) et du Baron C. (Secrétaire des Hauts Commandements de la Duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI) ?

Si j’en parle ici, et je ne détaillerai pas car cela serait trop long, un roman dans la ballade, c’est que du côté de son père comme du côté de sa mère, la fortune s’en est allée suivre d’autres chemins lorsque mon père était très jeune. Il en a gardé un fort sentiment d’injustice et d’amertume.

Ne t’inquiète pas Papa, tout ça c’est du passé, et l’avenir est bien plus serein.

La dépression de ma mère

Toute petite fille, ma mère a été violemment maltraitée, comprenne qui pourra ici et maintenant, par un inconnu. Ici et maintenant, car ailleurs et après, plus rien n’aura de sens. Cet inconnu doit être mort aujourd’hui.

Bien fait pour lui.

Il nous a bien gâché la vie, et surtout celle de ma mère.

A cause de lui, ma mère était souvent allongée sur son lit. Elle soupirait quand on rentrait de classe, et quand mon père revenait du bureau (elle disait parfois, « Déjà ? »). Elle n’aimait pas faire la cuisine, alors qu’elle cuisinait très bien. Elle ne travaillait pas, et broyait du noir, alors que le rose est si joli.

C’est ça la dépression. La dépression c’est quand même les gens qu’on aime très fort vous font soupirer. C’est terrible la dépression. C’est parfois pire qu’un cancer, qu’un cancer où on ne meurt pas à la fin bien sûr.

Dans ces jours-là, et ils ont été nombreux, c’est mon père qui faisait les courses, préparait les repas et rangeait la maison à son retour du bureau.

Un jour, ma mère s’est laissé tomber par terre exprès devant moi, devant le lit de sa chambre. Et moi, je suis partie en criant et en claquant la porte. Non à la dépression ! Oui à la vie !

Pardon Maman.

Le kilt

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Ma mère n’a pas toujours été fatiguée. Je me souviens d’une sortie inoubliable, nous étions allées ensemble dans un grand magasin, et ma mère m’avait acheté un kilt et une veste en velours bleu. Mon père avait trouvé que c’était un bel achat.

Le nid

Aujourd’hui, c’est une femme debout. Elle a quatre prothèses, à cause de l’arthrose, deux aux genoux, deux aux hanches, et elle marche longtemps chaque jour, même si ce n’est pas en vitesse rapide. Elle se plaît, seule chez elle dans son petit appartement. Elle est comme dans un nid. C’est bien qu’elle ait trouvé son nid.

La scarlatine

Ma mère me dit que je n’ai jamais eu la scarlatine. Pourtant, j’étais bien certaine de l’avoir eue. Ça me rassure. Mais alors, c’était quoi ce souvenir de quand j’étais petite ? Je me vois dans mon lit très malade, ma mère me lisait une histoire – Ah tu vois qu’elle te lisait des histoires ta Maman ? Et je vois un médecin me dire que si la fièvre ne tombe pas dans la nuit j’aurai une énorme piqûre, avec une aiguille grande comme les deux bras en croix, et remplie à ras bord de pénicilline. Le soir, ma mère m’avait pris la main et m’avait dit : « Je voudrais tant que ce soit moi qui aie mal et pas toi, si je pouvais prendre ton mal, je le ferais » - Ah tu vois qu’elle te prenait la main ta Maman et qu’elle te disait des choses gentilles ? Je me souviens très bien que la fièvre est tombée dans la nuit, et que ma mère n’a pas été malade. Pour moi, c’était la scarlatine.

La robe rouge

Un jour, bien plus tard, quand ma mère a été hospitalisée pour faire une cure de sommeil, mon père m’a emmenée dans les grands-magasins m’acheter une robe rouge. Quand elle est rentrée, ma mère n’a pas aimé cette robe rouge. Elle n’avait qu’à être là.

Dis, pourquoi t’étais pas là Maman ?

Je sais maintenant que ma mère aurait aimé être là. Ce n’était pas de sa faute, c’était la faute de la dépression.

Un couple

En tout cas, mes parents, c’était un vrai couple, avec ses ombres et ses lumières. Mon père a toujours accompagné ma mère dans sa dépression. Il l’a toujours soutenue, même si c’était parfois difficile. Le soir, quand on

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était couchées, ils se parlaient longuement tous les deux. Je crois que ma mère aimait bien ces moments-là.

Villard-de-Lans

Comme ma mère était fatiguée, à 8 ans, j’ai été envoyée en pleine année scolaire dans un Home d’enfants à Villard-de-Lans, dans le massif du Vercors. J’y suis restée quatre mois.

J’y suis allée avec ma mère, en train. Ma mère était très triste. Moi, je ne savais pas où on allait. Quand nous sommes arrivées devant la grande maison, la dame nous a dit bonjour, et nous a fait entrer. Elle m’a dit de retirer mes souliers dans la pièce d’à côté, et c’est pendant ce temps que ma mère est partie. Je ne me souviens pas avoir pleuré, et pourtant j’ai dû le faire.

La nuit je dormais dans un dortoir. En train, on ne peut pas emporter grand-chose dans une petite valise, alors je n’avais ni mon ours, ni ma poupée François, un baigneur en fait. Il a fallu que ma mère me les envoie par La Poste. Avec eux deux, c’était mieux. Comme quoi, il faut bien remplir ses valises.

A Villard-de-Lans j’ai appris à manger des salsifis, pas à les aimer. J’ai appris à ne pas cueillir les fleurs des champs, surtout les crocus. Il paraît que si on les touche on peut s’empoisonner. Bien évidemment, c’est faux, il n’y a pas de poison sur les crocus, c’était juste pour qu’on ne les cueille pas. Seulement moi, je crois ce qu’on me dit. J’ai aimé le bruit du ruisseau qui coule sur le bord de la route, j’ai aimé les boutons d’or, j’ai aimé les petites fleurs bleues véroniques, j’ai aimé la neige qui fond.

Je me souviens d’une nuit effrayante, il y avait de l’orage, les enfants pleuraient, pas moi, et ils réclamaient leurs parents, pas moi. Alors, pour faire comme eux, j’ai pleuré et appelé Maman. C’était bon de faire comme eux, les moniteurs nous ont consolés. J’ai bien aimé être consolée.

Le dimanche matin, ceux qui étaient croyants allaient à la messe du village. J’en étais. Je me souviens qu’on y chantait Mystère du calvaire - scandale de la croix, et que ça me donnait des frissons. On avait des carnets de chant avec des couvertures marron en tissu qui sentaient la vieille église.

J’ai aimé quand mes parents sont venus me voir au bout de deux mois. Ils m’avaient apporté un paquet de bonbons, c’était une bonne idée. Je leur ai montré l’énorme bosse du champ que j’avais réussi à descendre à skis. Quand ils sont partis, j’ai pleuré, j’aurais bien aimé repartir avec eux.

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Ce qui était dur, c’étaient les conjugaisons, les analyses grammaticales, les dictées, et les calculs, l’enfer. J’ai reçu une fessée devant toute la classe. Le professeur avait même soulevé ma jupette à carreaux rouges, et hop, penchée de force sur lui, une fessée. Heureusement j’avais ma culotte. Une immense culotte blanche. C’est sécurisant une immense culotte blanche quand on reçoit une fessée devant toute sa classe.

Ce qui m’a le plus frappée (le mot est juste) dans cette histoire de fessée, c’est que l’immense culotte blanche et la jupette à carreaux rouges n’étaient pas à moi, ce n’étaient pas mes vêtements ! Mais alors, j’avais apporté quoi dans ma valise ? Elle n’était pas assez grande ? Ou bien alors elle n’était pas assez remplie ? Il faut toujours avoir une grande valise, avec ses culottes et ses jupettes à soi. Et il faut bien la remplir.

Un soir il y a eu projection de diapositives, Tintin et le secret de la licorne. Et puis c’est là que j’ai rencontré mon premier amoureux. Il m’a dit que quand il serait grand, il ferait son service militaire et me demanderait en mariage. Ma première demande en mariage. Mais ce n’était pas lui que j’aimais, j’en aimais un autre dont je n’ai aujourd’hui plus aucun souvenir. C’est toujours comme ça : J’aime B qui aime C, qui aime D, et c’est D qui m’aime. Pas de chance pour personne.

Point positif :

Dans le train du retour, ma mère était très heureuse, et moi aussi. Elle m’a fait deviner ce qui pouvait bien s’être passé d’important en mon absence à la maison. Tout de suite j’ai pensé au hamster : « Minie est morte ? Non ma chérie, Minie n’est pas morte mais moi, j’attends un bébé. »

C’est comme ça que j’ai appris la venue de ma petite sœur Caroline. J’étais bien contente, la vie revenait à la maison. Et ça c’était une bonne nouvelle.

Point négatif :

Quand je suis rentrée chez moi, j’étais fière car je n’avais pas fait pipi au lit une seule fois en quatre mois à Villard-de-Lans. Et là, pas de chance, première nuit, le pipi au lit revient. Et en plus, j’ai redoublé ma classe, la 9ème.

J’ai eu la migraine toute la journée. La nuit est passée, et maintenant que j’ai écrit ces choses qui m’encombraient, je vais très bien. Et en plus, le salon dans lequel je me suis installée pour écrire est inondé de soleil.

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Dieu

Ce que je perçois très nettement, c’est que Dieu nous aime depuis toujours, depuis que nous sommes dans le ventre de nos mères, et peut-être même avant. Il nous aime avant même que nous l’aimions, et avant toute création.

Dieu nous aime comme nous sommes, avec nos souffrances et nos blessures, nos joies et nos bonheurs.

C’est dans mon ventre, et même bien avant, quand je les ai désirés, que j’ai aimé mes enfants. Et je les aime tels qu’ils sont.

Je crois que ça ressemble à l’amour de Dieu.

Mes enfants vont dire, Oh là là, ça y est, elle nous parle de Dieu, ça nous aurait étonnés ! Stop Maman.

J’ai parlé de Dieu, adieu le best-seller.

Ou alors maintenant, il faudrait que je meure à la fin du livre.

C’est décidé, ce ne sera pas un best-seller…

La dépression de ma mère

La dépression de ma mère s’est aggravée quand la mère de ma mère, ma grand-mère que j’appelais Mamie, est morte.

Quand on est enfant et qu’on a besoin de sa mère, on a du mal à comprendre qu’elle puisse avoir de telles limites. On ne peut pas penser qu’elle puisse être comme un enfant vis-à-vis de sa propre mère. C’est inimaginable.

Passer de l’enfant à la mère. Avoir été un enfant, devenir une mère, être une mère.

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Le goûter de départ

Aujourd’hui, comme c’est le jour du goûter de départ d’Isabelle, j’ai choisi de porter un chemisier en soie de chez Gérard Pacarel et un pendentif avec une perle noire.

Voici Gabriel qui a besoin d’une cravate. Il en a besoin car il doit se faire photographier pour trouver un nouveau boulot à StockOption. Avec la DRH il peaufine son curriculum vitae, on dit son CV (Se prononce « C’est V ». Mais qui donc est V ?). Donc c’est vrai, il y a des avancées RH (se prononce « Air H ») importantes. Il emprunte la cravate d’Albert et prend la pose contre le mur du bureau. C’est Caroline, une stagiaire aux yeux bleus d’azur, qui prend la photo. Bien évidemment toutes les photos sont bonnes, Gabriel n’a plus qu’à choisir.

Raphaëlle suit des cours d’aqua-zumba maintenant, elle s’y ennuie mais au moins il y a de la musique. Pas forcément celle qu’elle aime.

Gabriel aurait voulu être chef d’orchestre.

Et voici que je réalise qu’Aliénor porte un jean ! Un jean totale classe, mais un jean !!!

Le petit monde de StockOption s’écroule. StockOption y survivra-t-il ?

Il n’y aura pas de macarons au goûter de départ d’Isabelle, il y aura des bouteilles de champagne.

A la fin du goûter, Gabriel est parti en faisant le saumon et LePrésident en faisant le crabe. C’est rare des jeunes qui font le saumon et le crabe. Et Albéric a terminé la dernière bouteille de champagne. Il est trop fort cet Albéric.

Tchao tchao Isabelle ! Envole-toi bien.

Je le dis vite pour ne pas trop montrer mon émotion.

Dans les média, je n’ai vu personne se plaindre d’avoir reçu une chaussure à talon sur la tête.

Le trajet du retour en métro

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Et, comme chaque soir, après avoir regardé le Crocodile Vert par la fenêtre du bureau, je rentre chez moi par le métro. Aux heures de sortie de bureau, Gare de Lyon, la foule arrive sur le quai déjà bondé de monde, on ne peut plus avancer car une rame est à quai. Les voyageurs qui sortent de la rame forment un mouvement à chaque portière, comme des gerbes. Je pense à la semeuse qui sème ses graines, je pense aux gerbes de fleurs, aux gerbes d’eau. Je ne peux plus avancer, pour avancer, cette foule doit sortir et la rame repartir. Je ne pourrai monter que dans la suivante. Je ne veux pas être pressée.

La foule n’est pas de bonne humeur ce soir, et pourtant elle était belle.

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Chapitre suivant

L’Œdipe

Quand j’étais toute petite fille mon père m’asseyait dans le creux de ses jambes. Il mettait son pied gauche sur sa jambe droite et je trônais dans le creux ainsi formé. Ça sentait bon le tabac et le Papa.

Quand j’étais petite fille je rêvais d’avoir plein de poils aux jambes, comme mon père.

Si une fée, j’adorais les fées, m’avait demandé d’exaucer un vœu, il aurait été celui-ci :

Avoir des poils sur les jambes comme Papa.

La fée n’est jamais venue, et après, j’ai changé d’avis, j’ai même acheté un épilateur électrique.

Quand ma fille Inès a lu ce paragraphe, elle m’a dit : « C’est quoi cette histoire de poils aux jambes ? Tu voulais vraiment avoir du poil aux jambes ? C’est fou ça.

Pas si fou que ça, Inès, c’est comme toi, souviens-toi, à 4 ans tu voulais être chien. »

Quand j’étais adolescente, je trouvais que mon père ressemblait à Charlton Heston.

J’adorais le film Ben Hur. Ce film est ressorti quand j’étais jeune mariée, et j’y avais entraîné Adrien. Je l’avais obligé à arriver trente minutes en avance pour être sûre d’avoir une bonne place. Dans la salle, nous étions cinq ou six, dont nous... Et en plus, ils ont ri à la scène du baiser, Adrien aussi. Pathétique.

Mon père

Une force, une personnalité, un esprit curieux, une recherche permanente, une intelligence vive, une culture, une tendresse, une confidence, un conseil, un côté féminin développé, une sensibilité, une beauté, une fidélité, une nervosité, une grande nervosité, une tyrannie une fragilité.

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Les mocassins

Jeune, j’aimais bien porter des mocassins, je trouvais ça le summum de l’élégance. Une fois par an, et à condition que les anciens soient bien usés, ma mère m’en achetait une nouvelle paire.

Le soir, je posais la paire de mocassins sur ma table de nuit, tout près de moi, et je m’endormais en respirant la bonne odeur de cuir, l’odeur du neuf, mieux qu’un parfum, une promesse de fierté et de beauté. Enivrant. Et le matin, joie de les retrouver, une belle journée commence.

Une fois au catéchisme, quand j’étais petite fille

Quand j’étais petite fille, au catéchisme, une religieuse nous avait expliqué la communion au corps du Christ durant une heure. J’ai retenu des consignes étonnantes :

Qu’il ne fallait pas croquer l’hostie. C’est vrai, et je le sais bien maintenant, que ce n’est pas agréable d’être croquée, ça peut faire très mal.

Que des bouts d’hostie pouvaient rester dans les dents. Alors ça, c’est l’horreur. Des bouts de Dieu dans les dents !

Qu’il ne fallait pas communier si on avait l’estomac plein. Ecœurant, Dieu dans l’estomac avec le chocolat au lait Bononiao.

Et qu’il ne fallait pas boire non plus avant. Dieu noyé !

Après ça, c’est devenu compliqué de communier. Mais je me suis appliquée.

Une de mes amies dit que L’amour de Dieu comble le cœur de l’homme. Je suis d’accord avec elle. J’aime l’amour de Dieu. C’est ça qu’elle aurait dû nous expliquer la sœur.

Etre prêt

En fait, je n’étais pas prête.

Au même âge, Adrien non plus n’était pas prêt. La Première Communion qu’il devait recevoir a été reportée d’une année, car elle devait avoir lieu à l’heure du déjeuner du dimanche, et que ça, ce n’est pas possible, car le dimanche il y a des radis avec du pain frais, du beurre et du sel…

Etre prêt, c’est l’aboutissement de toute une vie, faire passer Dieu avant les radis-beurre.

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Une visite

Bruno, un ami de ma sœur Stéphanie était venu la voir et juste dire un petit bonjour à nos parents - nos parents étaient amis. Et là, mon père, qui était confortablement assis dans la bergère, un fauteuil qu’il affectionnait tout particulièrement, a lancé une conversation monologue sur la guerre, le Général de Gaulle, le Maréchal Pétain, la résistance, et il parlait sans respirer, en continu. Alors, une heure après, ma sœur Stéphanie et moi, on est sorties dehors en claquant la porte. Et quand on est revenues une autre heure après, mon père en était aux Mérovingiens. On n’en pouvait plus, plus du tout. Mon père lui, trouvait ça normal. Et ma mère assise à côté de lui, qui écoutait, écoutait. Ou alors elle était allongée sur son lit, je ne me souviens plus. Quant à Bruno, par chance il aimait bien mes parents, et a apprécié cette conférence. Aucun soutien !

Mon père

Mon père avait toujours raison. Il savait tout sur tout.

Quand on démarrait un échange, il répondait toujours par « Non ». Il aurait pu dire « Oui, mais », « Oui tu as raison ma grande, mais moi je pense que patati et patalère » (rien à voir avec pattes en l’air, que des trucs très sérieux). Même pas ça. Toujours « Non, je pense que patati et patalère... »

Il pouvait aussi commencer ses phrases par « Si je ne m’abuse, et patati et patalère). C’est rigolo ça, si je ne m’abuse.

Ne t’inquiète pas Papa, nous on ne veut pas t’abuser.

Mais toi tu abuses à parler comme ça.

Tu aurais moins parlé, on t’aurait plus écouté, dommage pour tous.

Tu avais tant de connaissances à partager, tant d’enthousiasme à t’intéresser à toutes sortes

de sujets.

Mon père était un passionné.

Stéphanie la rebelle

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Un soir, pendant le dîner, à propos d’un sujet brûlant que j’ai oublié, Stéphanie a furieusement retiré la nappe de la table de la salle à manger, avec les assiettes, les couverts, les verres et les plats, tous bien remplis, et nous, on était là, assis autour de la table avec mes parents.

Mon père et Stéphanie ne devaient pas être du même avis, et à défaut de réussir devant lui à avoir raison, elle avait réussi à avoir le dernier mot. Ça avait de la gueule ! Tout en vrac par terre ! Mais qu’est-ce que j’ai eu peur !

Stéphanie la rebelle.

Aujourd’hui, Stéphanie est toujours rebelle.

Petite fille

Petite fille je croyais que lorsqu’on regardait dans les yeux un garçon qu’on trouvait attirant, on pouvait tomber enceinte. Alors un jour dans la rue, j’ai baissé les yeux.

De toute façon il faut baisser les yeux pour bien voir et ne pas marcher sur les lignes du trottoir, pour ne pas se faire dévorer par les crocodiles.

La nuit, il ne faut pas laisser sa tête ou ses mains dépasser du lit, même si on a très chaud et si on a du mal à respirer, sinon une sorcière pourrait venir, et couper tout ce qui dépasse à l’aide d’une grande faux.

Et je ne parle pas des loups dans la penderie. Aujourd’hui, plus personne n’a de penderie, on a tous des placards Ikéo. C’est un mot en voie disparition. En tout cas, cette penderie était pétrifiante.

Quand j’appelais Maman la nuit, ça arrivait que je fasse de mauvais rêves, c’était toujours mon père qui venait me consoler.

Ma mère devait dormir profondément.

C’est à cause de tout ça que la nuit, quand j’étais petite fille, j’avais une veilleuse allumée dans ma chambre. Une veilleuse, c’est une petite lumière qui brille la nuit dans la chambre des enfants, elle fait fuir les loups et permet aux enfants et aux parents de bien dormir.

Quand ma jeune sœur Caroline était petite, je la faisais jouer à la dînette dans notre chambre. J’aimais bien ces moments-là, c’était moi la serveuse.

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Béatrice jouait du mélodica, trop de chance, et elle n’aimait pas trop l’école, pas de chance. Aujourd’hui c’est la meilleure de nous toutes en tout ce qui est art et dynamisme.

Le dimanche au petit déjeuner, mes parents remplissaient à ras-bord leurs bols de Souricoré et après ils les posaient sur un plateau qu’ils avaient du mal à transporter sans renverser les bols, jusqu’à leur lit. Ils adoraient ça, les petits déjeuners au lit. Ils aimaient bien être assis jambes tendues, le buste à angle droit, ne surtout pas bouger pour ne pas renverser les bols, et mettre des miettes plein le lit. Moi, je n’aime pas les miettes.

Pas de chance pour Béatrice

Béatrice était invincible, elle n’était jamais malade. Elle allait donc à l’école tous les jours possibles de l’année, décidément pas de chance pour elle.

Stéphanie et moi on avait au moins chaque année une raison de ne pas aller à l’école durant une semaine : une angine, une grippe, une scarlatine peut-être. Trop de chance, sauf pour la scarlatine.

Alors, j’essayais de rendre Béatrice malade. On remplissait la baignoire d’eau glacée, obligation d’y rester sans respirer durant cinq minutes. Raté.

Béatrice s’allongeait sur une grande serviette de toilette, il y avait tout un rituel, et je lui plaçais sur le front un dé à coudre d’eau glacée. Il ne fallait pas bouger : « Malade tu dois être, malade tu seras ». Malade elle n’était toujours pas.

Il ne restait plus que les grands moyens, s’emparer d’un taille crayon en forme de boîte munie d’un couvercle qui se visse, le remplir d’eau brûlante et, sous les draps, y tremper le thermomètre. Hélas le thermomètre a cassé, le subterfuge a été découvert, ça a bardé, et Béatrice est allée à l’école. Je l’avais bien dit, pas de chance pour Béatrice.

La fête des pères

Une année lorsque j’étais petite fille, j’avais confectionné à l’école un petit porte-aiguilles en tissus brodé au point de croix pour la fête des pères.

Sans doute parce que je n’avais jamais vu mon père faire de la couture, j’ai offert ce petit porte-aiguilles au Curé de notre paroisse que j’affectionnais particulièrement. Un prêtre, ça vit tout seul, ça doit donc forcément faire de la couture, et puis, puisqu’on l’appelle Père, c’est aussi un peu sa fête.

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La nervosité de mon père

Quand j’écris que mon père était très nerveux, ce n’est pas que pour faire style.

Chaque dimanche matin, et pas que le dimanche matin, il jurait comme un charretier « Nom de Dieu de bordel de merde », en cherchant la paire de ciseaux à ongles qui n’était pas rangée à sa place, et en débouchant la baignoire bouchée de nos cheveux longs.

Il avait du mal à supporter nos cris d’enfants et nos bousculades, puis plus tard, à supporter la contradiction. Alors oui, il pouvait s’énerver…

Et le soir, il nous demandait pardon, pardon pour ses colères. C’était la réconciliation.

Nous, on aurait préféré qu’il ne demande pas pardon, qu’il ne se mette pas en colère aurait suffi.

Le martinet du droguiste

Quand j’étais toute petite fille, ma mère avait acheté un martinet. Pour le trouver, elle a dû aller par un clair matin de printemps dans une droguerie.

Dans une droguerie, on trouve tout et son contraire, du petit électroménager à la tapette pour écraser les souris qui ont mangé le fromage interdit. Faudrait savoir. La vérité est que c’est un piège, il ne fallait pas manger le fromage. Les souris ne sont pas malignes. Moi, je me serais méfiée. Pas sûr, car je crois tout ce qu’on me dit.

Le martinet devait être pendu au plafond, plus du côté des pièges à souris que du côté des arrosoirs en plastique verts.

Dialogue imaginaire entre ma mère et la droguiste :

« Bonjour Madame la marchande, je voudrais vous acheter un martinet pour mes enfants qui ne sont pas sages.

Oh, vous devez avoir des garçons bien turbulents.

Pas du tout, ce sont des filles.

Ah bon ? Et sur quel modèle se porte votre choix ? Nous avons trois modèles, un modèle avec des clous à l’extrémité de chaque lanière, un modèle avec des lames de rasoir concassées à l’extrémité de chaque

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lanière, et un modèle simple, familial, avec juste des lanières, en cuir bien évidemment.

Très bien, le modèle familial devrait suffire. Et je vous dois combien ? »

Bon alors là, ça fait un peu peur, car à quoi peut donc bien servir un martinet ?

La tendresse de mon père

Combien de fois il s’est levé la nuit pour nous, mon père. D’abord pour changer les draps des pipis au lit, faire taire les loups dans la penderie. Ensuite, pour nous raccompagner de nos sorties nocturnes à la maison.

Il a participé à tous nos déménagements, porté des meubles très lourds dans les escaliers, accroché aux murs nos premiers tableaux, réparé, vissé, scié pour nous.

Il aimait les balades du dimanche (avec un seul L, la balade est familière, familiale), le Bois de Boulogne, puis le Parc de Versailles. « La promenade des moutons », le tour du Grand Canal. Toujours en parlant.

Il nous écoutait aussi.

Il nous écoutait quand on était malheureuses, problèmes de cœur ou d’amitié, et il nous encourageait en nous donnant toujours raison.

La tendresse de ma mère

Ma mère était maladroite. Petite fille, elle n’avait pas reçu de démonstration d’affection de ses parents. Et ça, ça peut rendre maladroit.

Elle ne savait pas dire je t’aime. Elle aimait sans pouvoir l’exprimer. C’est certainement très compliqué pour une mère.

Alors elle le disait en nous faisant des cadeaux. Pour un goûter d’anniversaire auquel j’étais invitée, elle avait cousu pour moi un costume de niçoise. Jupe à fines rayures jaunes et blanches, chemisier blanc à manches bouffantes, tablier et caraco soyeux noirs. J’étais si jolie dans mon costume de niçoise, que j’ai gagné le premier prix des déguisements, un puzzle d’un Boeing au décollage. Je l’ai fait tant et tant de fois ce puzzle, en souvenir de ce jour merveilleux.

Menthières

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Menthières c’est le nom de la maison que mes parents possédaient dans le Morvan.

Cette maison était au bout d’un hameau, en pleine campagne, au bout du monde, jusque-là où il n’y a plus rien que les champs à perte de vue. Il y avait une grange aussi, avec un toit en tôles ondulées. Tôles ondulées, ça fait moche, rafistolé. Mes parents ont bien souvent rêvé de réparer ce toit, de le terminer en beauté.

Les emballages de cylindres de laminoir

On a refait le plancher du grenier qui nous servait de dortoir. On a retiré toutes les tomettes anciennes qui étaient cassées et qui faisaient que le sol était en cuvette. On a fait ça, mon père, mes sœurs et moi. Et ensuite, pour faire un beau parquet, mon père a scié des emballages de caisses de cylindres de laminoir qu’il avait rapportées de son bureau. Les cylindres de laminoir sont emballés dans de belles caisses ! Ça avait de la gueule !

Menthières

Menthières, c’est la cueillette et les confitures de mûres, on fermait les pots avec de la paraffine, Menthières c’est le noyer qui ombrage le jardin, ce sont les pruniers dans lesquels je m’installe pour y manger des quetsches, ce sont les abeilles qui bourdonnent et se cognent contre la vitre, c’est mon père qui fauche l’herbe haute dans le jardin, c’est le nid de frelons qui nous oblige à faire intervenir les pompiers, c’est la couleuvre qui traverse le jardin, ce sont les mues de serpent qu’on trouve dans le grenier qui nous sert de dortoir, c’est ma mère qui se repose sur un transat, c’est Béatrice qui lit, Stéphanie qui coud, Caroline qui s’ennuie, c’est moi qui joue à la marchande sous l’appentis, ce sont les promenades le long de La Cure, les bains glacés dans La Cure, les messes à La Pierre qui Vire, les pâtisseries qu’on s’achète à Lormes, ce sont les souris qui galopent la nuit sur les poutres du grenier dans lequel nous dormons, ce sont les pique-niques avec du melon et du jambon dans les bois quand mon père n’est pas là, car mon père n’aime pas les pique-niques, il dit qu’il a trop mangé de sandwiches pendant la guerre, c’est Radioscopie de Jacques Chancel qu’on écoute sur France Inter, ce sont la planche à voile et les bains au lac Saint-Aignan, on sortait du lac le corps tout recouvert d’une fine couche poisseuse sombre, ce sont les excursions à La Roche aux fées, ce sont les discussions avec mon père le soir, autour du feu de la cheminée, on refaisait le monde, c’était très animé, toujours passionné, c’est l’eau qu’on fait chauffer dans des bouilloires posées sur les braises de la cheminée, car il n’y a pas d’eau chaude.

En notre absence, la tondeuse à gazon était rangée dans le salon pour la protéger de l’humidité. Et d’ailleurs il n’y a pas de salon, juste une pièce

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qui sert à tout faire. Il n’y a ni douche ni baignoire, juste un lavabo avec de l’eau froide. Il n’y a pas de chauffage, juste un poêle qu’on installe en hiver et une cheminée, qui fume et pique les yeux.

Menthières c’est le rire de mon amie Floflo, ce sont les papillons qui volent dans les champs, ce sont les vaches blanches avec des taches noires, c’est la pompe à eau dans le jardin, c’est la maie dans le salon surchargée de livres, c’est la fumée de la cheminée qui pique les yeux et fait tousser, ce sont les Kir que l’on boit sous le noyer avant le déjeuner, c’est la table basse du salon faite en emballage de cylindre de laminoir, c’est la laine de verre que mon père a posé tout seul sous le toit du dortoir pour qu’on ait plus chaud.

Ce sont nos vacances, c’est ma jeunesse, c’est là où j’ai tant rêvé et tant lu. C’est là aussi où je me suis ennuyée, où j’ai pris conscience de la notion de durée du temps qui passe. Nos enfants ne connaissent pas cette notion, ils n’ont pas le temps de s’ennuyer. Et c’est peut-être un peu dommage, juste un tout petit peu.

Ma madeleine de Proust

C’est, au milieu du plus grand silence, le bruit du bourdonnement d’une mouche ou d’une abeille qui se cogne contre la vitre d’une fenêtre.

Les livres

A Menthières, j’ai lu Ben Hur de Lewis Wallace, Les compagnons du coquelicot d’Henri Troyat, Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, Ma cousine Rachel de Daphné du Maurier, Au nom de tous les miens de Martin Gray, Le nœud de vipères de François Mauriac, Madame Bovary de Gustave Flaubert, Papillon d’Henri Charrière, Thérèse Desqueyroux de François Mauriac, Les semailles et les moissons d’Henri Troyat, tous les Pearl Buck, Les aristocrates, puis Les nouveaux aristocrates de Michel de Saint-Pierre, Crime et châtiment de Dostoïevski, Le pavillon des cancéreux d’Alexandre Soljenitsyne, Les rois maudits de Maurice Druon, et tous les Zola. Et tant d’autres encore. Béatrice pouvait y lire jusqu’à un livre par jour.

Jus de carotte ou de tilleul

Cette maison a été vendue.

Elle était trop dans son jus, un jus de carotte ou de tilleul. Il y avait trop de travaux à faire, et un jour, nous avons arrêté de rêver et nous avons baissé les bras. Baisser les bras, c’est vraiment ça, ne plus vouloir lever les bras pour peindre, revernir, recouvrir, décaper, poncer, scier, ramoner.

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Béatrice aurait bien voulu lever les bras, mais toute seule c’était infaisable. C’est dommage, le rêve est parti en même temps que la maison a été vendue.

Les souvenirs heureux

Ce sont les balades au Bois de Boulogne, la bûche de marrons faite par ma mère pour Noël, les châtaignes qu’on ramasse dans les bois, et qu’après on fait sauter dans la poêle, la Forêt de Marly, les cousins avec lesquels on joue à P’tit signe, les balades à la montagne, les noms des montagnes que mon père nous donne, moi j’étais Le Chardonnet et Stéphanie La Grande Motte, la couture avec mes soeurs, les virées dans les grandes surfaces avec ma mère, la première voiture de ma mère, si fière, Caroline qui tombe du coffre de la 4L dans une côte du Pont de Sèvres, la broderie avec ma mère (j’ai appris le point de surjet et le point de croix), les concours de châteaux de sable à Pornichet, le Club Mickey, le trampoline et le baby-foot du Club Mickey, le thé après la promenade du dimanche dans la théière de mon père, avec les chocolats fins fourrés à la menthe, les cadeaux de mon père quand il rentre de ses voyages professionnels en Suède, la crèche dont j’ai cassé tous les santons à force de jouer avec eux, la maison de poupée en carton que nous avons reçue à Noël il y a si longtemps, le matelas pneumatique à Pornichet, les fruits de Grand-Mère qu’on n’a pas le droit de cueillir et qu’on cueillait en cachette, la poupée que j’ai appelée Carolin à la naissance de ma sœur Caroline, les patins à roulettes, les patins à glace, les parties de crapette avec ma mère, les parties d’échec avec mon père, les parties de Monopoly avec mes sœurs qui se terminent toujours en dispute car il y avait toujours une mauvaise joueuse (une mauvaise joueuse, ce n’est pas quelqu’un qui joue mal, c’est quelqu’un qui lorsqu’il sent qu’il va perdre s’énerve et jette par terre de rage et de désespoir le plateau de jeu avec les pions, les maisons et les hôtels, les rues et les billets, et même la tartine de pain recouverte d’une épaisse couche de Nutello prévue pour le goûter), les plats qu’on gratte quand ma mère avait fait un gâteau au chocolat, Belphégor à la télévision qu’on n’avait pas trop le droit de regarder, Les petits rats de l’Opéra, Belle et Sébastien, Zorro, Thierry La Fronde (je ne l’aimais pas trop car on voyait ses poils sous ses bras, faudrait savoir, là je n’aimais plus les poils), Les Mystères de l’Ouest, les promenades avec ma mère après l’école aux Serres d’Auteuil, j’y jouais à l’élastique, la petite école que j’avais reçue à un Noël avec des petits bureaux et des petites poupées, les poupées mannequins, avec de grosses poitrines et de longs cheveux, ma poupée Poilette que j’ai oubliée à la montagne, mon petit cochon en plastique Nouf-Nouf que j’avais perdu et que mon père avait racheté et il m’avait fait croire qu’il était revenu par la mer, et je l’ai cru car je crois ce qu’on me dit, les parties de Cluedo avec l’inquiétant Colonel Moutarde et la coquette Mademoiselle Rose, Chapeau melon et bottes de cuir, mon père qui regarde le journal télévisé, la barre dodue de chocolat au lait Côte d’Argent

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qui nous était offerte avec un certain cérémonial après le dîner, les soirs de fête, les six barres chocolatées Lune offertes par ma mère pour me récompenser d’avoir décroché mon baccalauréat, le pot-au-feu et le gâteau du dimanche, la messe du dimanche, la fête de l’école, la fête de la paroisse (salami et barbe à papa), ma mère dans la salle d’attente avec moi pour le strabisme (on était assises sur des sièges recouverts de ficelle rouge en plastique que je m’occupais à dénouer).

Pleins de petits et de grands bonheurs, pleins d’heureux souvenirs.

Le strabisme chic

Très petite fille, à 3 ans, j’ai été opérée d’un strabisme, mais pas de n’importe quel strabisme, un strabisme chic. C’est pour ça qu’avec ma mère on était souvent dans les salles d’attente, d’abord pour l’opération, et ensuite pour la rééducation.

La rééducation, ça consiste à regarder dans un appareil en forme de lunettes noires, et arriver en se faisant très mal aux yeux à mettre le perroquet dans la cage. Ça fait mal, ça pique les yeux de partout.

Laissez donc ce perroquet s’envoler, et moi avec !

Un strabisme chic, c’est quand les muscles des yeux qui ne fonctionnent pas sont ceux qui permettent de lever les yeux. Je ne pouvais pas lever mes yeux, alors, pour regarder et prendre de la hauteur, je devais lever la tête. Ça donne un port de tête de reine.

L’opération s’est bien passée, le chirurgien était très content. J’aime bien les chirurgiens qui sont très contents, c’est plutôt rassurant.

Aujourd’hui c’est mieux, même s’il m’est toujours impossible de lever les yeux. Je dois toujours lever la tête, sinon, je vois double, et je dois aussi pencher la tête à gauche, c’est ainsi. Les gens pensent toujours que je les regarde de haut au sens figuré, et en fait ils se trompent, c’est seulement au sens propre que je les regarde de haut.

Et ça, la Directrice de l’école primaire dans laquelle j’étais en classe de 7ème ne le savait pas quand elle m’a giflée devant toute la classe parce qu’elle trouvait que je la regardais de haut ! Ma mère a dû lui expliquer, et la Directrice était bien ennuyée, mais elle ne s’est jamais excusée auprès de moi.

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Nos enfants Camille puis Antoine, ont été opérés à leur tour de strabisme, pas le chic, le classique, à l’horizontal, le divergeant.

L’opération du strabisme chic

Les enfants qui devaient être opérés des yeux étaient tous réunis dans un grand dortoir. Chaque matin une énorme infirmière faisait le décompte, tout haut et en les montrant du doigt, de tous les enfants qui avaient fait pipi dans leur lit. Pas de chance, j’en étais.

Il fallait se baigner le matin dans une baignoire sabot. Une drôle de baignoire avec deux niveaux d’eau. Je pouvais m’y asseoir comme sur un siège dans l’eau. Amusant, même si on ne pouvait pas y rester, il fallait se laver, et vite.

Après l’opération, je portais une sorte de plâtre sur les yeux entourant le tour de la tête. Et je m’amusais en levant la tête à faire ce qui était strictement interdit, c’est-à-dire à essayer de voir. C’était drôle, les images dansaient dans tous les sens et étaient floues à plaisir, insaisissables, tout était déformé.

Allongé sur un brancard, un petit garçon a reçu une piqûre dans les yeux devant nous. Il hurlait et se débattait. J’en frémis encore de peur.

Et un autre petit garçon qui était dans le lit à côté du mien a dû manger toute la nourriture qu’il avait crachée, peut-être le gras du jambon, sur ordre de l’énorme infirmière. Elle n’avait pas l’air d’un ange blanc celle-là. Moi du coup, j’ai mangé le gras du jambon sans faire d’histoire.

Ce qui est bien quand on est malade, c’est qu’on reçoit des cadeaux. J’avais sous mon lit un énorme couffin offert par ma Mamie. J’attendais mon retour à la maison pour y mettre mon ours.

Mon père était venu me faire une visite. Ça tombait mal, avec d’autres enfants aux yeux bandés, je faisais des supers glissades dans le couloir déserté des infirmières. C’était grandiose.

Adrien

Mon mari s’appelle Adrien, et je l’aime. Quand il a lu ça, il a dit que c’était très convenu d’écrire ça. Je l’aime car il est très joueur. Il a parié il y a un peu plus de vingt-cinq ans, qu’il pourrait être heureux avec moi. Sous ses airs sérieux de Professeur Nimbus se cache Woody Allen. Je suis fan de Woody Allen. On est toujours ensemble, et c’est bien.

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Nos trois enfants le comparent s’il était un animal, à un bigorneau sur un rocher. C’est impressionnant un bigorneau sur un rocher, c’est courageux. Quand la mer monte et que la tempête souffle, que tous les éléments se déchaînent, s’il avait été un lion, il serait mort noyé.

Il n’aime pas regarder les films violents. Un soir où je regardais toute seule La guerre du feu, même ça c’est violent pour lui, il est arrivé brutalement en slip blanc dans le salon, une salade emballée dans un sac plastique sur la tête, et un cintre blanc en guise d’arc ! J’ai cru mourir de peur ! Mourir directement, sans passer par le frémissement de la peur qui arrive.

Il n’aime pas :

Les taches sur les mursLes poignées de porte poisseusesLa maladieLes médicamentsTrop de spontanéitéLes gens coincésLes gens fiersLes gens arrogantsQuand j’ai la migraineLe bazar dans les chambres des fillesLe bazar n’importe où Etre dérangé.

Il aime :

MoiNos enfantsSkier l’hiverLa vidéoLa photoFaire de la veille (traquer sur internet sans les acheter bien sûr, les

nouveaux appareils-photos, les nouveaux objectifs, les nouvelles caméras…)

Les desserts en généralLes kiwis et les galettes bretonnesLe calmeFaire son jogging le dimanche matinSa sœur.

De formation ingénieur, il est déjà allé sur un chantier de construction de centrale nucléaire. Et là, avec son casque de protection sur la tête, tout

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de suite, il s’est fait apostropher par le chef de chantier : « Hep vous là, qu’est-ce que vous faites là ? Venez par ici ! »

C’est vrai, il n’a pas une tête à travailler sur un chantier.

Il ressemble à Woody Allen, mais en plus sérieux.

Adrien, mais encore

Adrien, c’est mon socle, mon pilier, mon appui. Avec lui, je peux aller au bout du monde.

Adrien, que j’appelle Doudou quand il n’est pas dans sa coquille, est rassurant, stable, fiable, discret, fidèle, serviable, attentionné, tenace, courageux, compréhensif. Il peut être drôle, a toujours un humour un peu décalé, ne prend pas grand-chose au sérieux, frôle parfois l’ironie et la dérision, ce qui n’est pas bien. C’est comme ça que je l’aime.

Il peut lui arriver de fermer la petite porte de sa coquille, on ne voit alors plus que la petite capsule noire, et de faire l’abonné absent. Alors là, quand ça arrive, j’ai envie de le sortir de là avec la petite pique dont on se sert pour les apéritifs pour ne pas se salir les doigts en mangeant des olives par exemple.

Il aime bien son rocher, ça le rassure. Plein sud, près du métro, nous sommes ravis de notre petit nid. Et en plus nous sommes suffisamment près de la Seine pour que ça lui rappelle la mer.

L’appartement peut être inondé de soleil.

La migraine

Il faut qu’Adrien comprenne une fois pour toutes que quand on a la migraine, on ne peut pas sortir de son lit, et que manger même un tout petit peu, ça ne change pas les idées, ça ne fait pas aller mieux, ça peut même faire vomir. Quand on a la migraine, on est cloué dans son lit par la tête.

La lampe-cravate

Chaque matin avant d’aller travailler, Adrien noue son nœud de cravate devant le miroir du salon ; il allume la lampe, et quitte toujours l’appartement prestement, sans jamais l’éteindre. J’appelle cette lampe, la lampe-cravate.

Le détail

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Quand le Docteur Kerguemar, qui se prononce toujours Kreg, a retiré le méchant bout de sein qui gênait, et quelques ganglions dont le ganglion sentinelle, je ressemblais à Frankenstein, j’étais toute bleue et rouge, bien couturée.

Au bout de quelques heures, un peu plus haut que les cicatrices, je vois apparaître une petite cloque. Je ne voyais plus que cette cloque. J’étais affolée. Infection. Implosion. Explosion.

Alors, mon amie Alice, dont les cellules dormantes se sont réveillées deux fois déjà, m’a emmenée dare-dare en voiture, à pleine vitesse, voir le Docteur Kerguemar, entre deux rendez-vous. Alice partait le lendemain en voyage, et n’avait pas encore fait ses bagages. C’est ça l’amitié.

Le Docteur Kerguemar m’a reçue, a bien regardé toute la bagarre de cicatrices. Il m’a redit qu’il avait bien travaillé, et m’a demandé où exactement était le problème. Et là, il a ri très fort, et j’ai appris que je faisais une allergie au sparadrap.

Il a ri, car c’est vraiment drôle de voir quelqu’un avec une telle bagarre de cicatrices, s’inquiéter pour une petite allergie au sparadrap.

En tout cas, j’étais bien rassurée, et Alice comme ça a pu apercevoir le beau Docteur Kerguemar.

La star de la chimiothérapie

Le jour de la dernière chimiothérapie, la séance a été plus courte car il y avait moins de patients. Je quitte donc les lieux plus tôt que lors des séances précédentes.

Avec mon amie Chantal, elle me fait trop rire Chantal, nous allons manger un croque-monsieur à la brasserie du coin, le Mokathé. Ça, c’est trop sympa.

Anne, une fidèle de Sainte-Marine nous y retrouve, et nous raconte qu’en arrivant à l’accueil du centre de soins, quand elle a demandé à me voir, une question lui a été posée : « Qui donc est cette dame, c’est une star ? »

Comme si seules les stars avaient des amis pour les entourer dans les moments difficiles.

On a ri. En réalité, c’est très triste. Moi, j’ai toujours été très accompagnée à ces séances, et c’est vrai que j’y ai passé d’excellents moments d’amitié. Mes amies se passaient le relais, l’une arrivait et faisait

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partir la précédente. De nombreuses personnes sont si seules, et c’est ça aussi qui fait que les gens sont tristes dans ces endroits-là. Il faut lutter contre la solitude. Avoir une famille et des amis, c’est très important.

Une certaine excitation

Ce qui était bien excitant, c’était le moment juste après la chimiothérapie, et juste avant l’apparition des effets secondaires qui n’ont de secondaires que le mot. Je dirais plutôt effets foudroyants. De cela je ne parlerai pas, ce n’est pas l’objet de cette ballade.

Il faut savoir que la veille de chaque perfusion de chimiothérapie, et jusqu’au lendemain matin suivant, je devais prendre du Cortancyl 20. Il est écrit sur le mode d’emploi que ce médicament peut donner des rougeurs au visage et une certaine excitation ou insomnie.

Pour moi l’excitation était à son comble. Après chaque séance de chimiothérapie, je parlais fort et sans m’arrêter, pas même pour reprendre ma respiration, et riais toute seule de la légèreté de mes propos. Les chimiothérapies ayant lieu le vendredi, j’épuisais de mon excitation Adrien et nos enfants tout le samedi et le dimanche matin. Ils attendaient avec presque de l’impatience le repos, pour eux, des effets secondaires foudroyants qui invariablement arrivaient le dimanche pile poil au dessert, juste avant de desservir la table.

Un samedi soir où nous devions accompagner notre fille Camille en voiture à l’autre bout de Paris, j’avais mis mon manteau, j’étais prête à partir, Adrien et Camille m’ont interdit de les suivre. Ils voulaient du calme, faire le trajet en voiture sans parler et sans rien écouter d’autre que la musique à la radio. J’étais un peu vexée de ne pas être préférée à Radio-tristesse-et-état-de-langueur.

L’oreiller à mémoire de forme

Le premier achat que j’ai effectué lorsque j’ai appris que je devrais être soignée par de la chimiothérapie, c’est un bel oreiller à mémoire de forme. Avec Alice, nous avions fait quelques boutiques, et avions choisi ce bel oreiller, un oreiller pour bien supporter les effets secondaires parfois explosifs de la chimiothérapie. Aujourd’hui, je ne regrette toujours pas cet achat. Adrien a voulu avoir le même, d’abord par souci de symétrie, puis pour garder ensemble la mémoire de cette histoire, et enfin, pour bien dormir aussi bien sûr.

Les rêves

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J’ai tellement rêvé, et maintenant, je rêve de dormir. Quand j’étais jeune, en vacances à la campagne, on s’ennuyait un peu, et le soir dans mon lit, au lieu de dormir je faisais, éveillée, des rêves fantastiques. J’étais Angélique Marquise des Anges, et sauvais des méchants le ténébreux Geoffroi de Peyrac. Ça avait de la gueule ! Je vivais des aventures palpitantes avec lui, et il était fou de moi. Quel bonheur. Maintenant, je rêve de dormir. Quel gâchis.

Le film Angélique ressort actuellement au cinéma. Je n’irai pas. Dans ce rôle, je suis irremplaçable. Et en plus maintenant que j’ai bien grandi, je trouve le sujet pathétique.

A propos de rôle, lorsque j’étais jeune je voulais être actrice. Actrice dans des westerns. Les gens timides se projettent dans l’action. Alors pour conduire une diligence, comme je n’aurais pas fait confiance dans les doublures, j’ai pris des cours d’attelage. J’ai eu très peur et me suis laissé dominer par des poneys. Alors je ferai la belle dans les bars, et j’ai pris des cours de claquettes. Bon, on arrête tout, la danse synchronisée bras jambes pieds, ce n’est pas mon truc. Je vais prendre des cours d’art dramatique. Me voici au conservatoire. Dans art dramatique, il y a « art », j’ai très bien réussi à jouer La femme juive de Brecht, une grande fierté, un exemple même ! Et il y a « dramatique », ce n’est pas vraiment le mot qui convient, mais l’idée est là.

La perfection

Il est plusieurs fois arrivé dans ma vie que j’atteigne la perfection :

La première fois, c’est en jouant La femme juive de Brecht,

La seconde fois, c’est en ayant 19/20 au partiel de Droit civil en licence à Assas.

Le sujet était La présomption de paternité :

I C’est une présomption…

II … une présomption simple.

Magnifique ! Du grand Géraldine. Sauf qu’aujourd’hui, tout a changé, je ne suis pas actrice, et la présomption de paternité est devenue irréfragable, progrès de la génétique.

Et pendant ce temps-là, à l'inverse exactement, la présomption de maternité, de naturellement irréfragable, est devenue simple et extrêmement compliquée... Pire qu'un problème de racine carrée,

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justement, un problème d'absence de racine. Là, c’est un autre débat, et l'homme doit bien savoir ce qu'il fait, sinon cela se saurait que le monde est fou.

Irréfragable, c’est un terme juridique qui veut dire imparable, implacable : C’est forcément toi mon père. Impossible d’échapper à la réalité.

Et d’ailleurs Papa, j’ai le bleu de tes yeux.

Simple, si la présomption est simple, on ne peut que supputer, subodorer : Je suppose que tu es mon père. Impossible d’échapper au doute.

Et d’ailleurs Papa, je ne suis pas passionnée par les Mérovingiens.

Quant à la troisième fois que j’ai atteint la perfection, je l’ai oubliée. Peut-être est-elle à venir.

Les fées

Jeune, j’ai eu de l’acné et ai vidé d’innombrables flacons d’Eau très précieuse.

Si une fée était venue et m’avait demandé de choisir entre :

1. Avoir des boutons sur le visage jusqu’à 18 ans

Ou

2. Avoir des boutons sur le visage à partir de 18 ans et pour toute la vie,

J’aurais choisi la deuxième proposition, car alors, j’étais secrètement amoureuse du chef de classe, et 18 ans, ça me paraissait si loin !

Heureusement les fées n’existent pas, Andersen est un gros menteur.

Ben alors, t’es une fille, et t’as plus d’cheveux ?

C’est dur de perdre ses cheveux.

C’est avec ma fille Camille que j’ai choisi une perruque blonde qui me rappelait ma tête d’avant. On a bien ri, surtout quand on a vu que la

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perruque lorsqu’elle n’est pas portée, lorsqu’elle est posée sur un meuble ou dans un sac, ressemble à un petit chien fou.

Certaines femmes font le choix de changer de tête en choisissant d’autres coupes et d’autres teintures. C’est peut-être une occasion de vivre des rêves, de rêver jusqu’au bout de la vie.

Moi, j’ai suffisamment rêvé quand j’étais petite fille, alors j’ai choisi de me reconnaître dans la glace.

J’ai bien aimé ce moment d’attention avec ma fille, j’ai été très touchée de sa présence. J’espère que cela ne l'a pas rendue trop triste. En tout cas on a passé un bon moment ensemble, et ça, c’était bien.

Après, quand on a cette chance d’arrêter la chimiothérapie, les cheveux repoussent très doucement. On aurait dit du duvet. Ils repoussent frisés, puis bouclés, et sont magnifiques.

C’est un plaisir infini que d’avoir des cheveux.

Les femmes

Le Docteur Whengereguen préfère soigner les femmes plutôt que les hommes. C’est pourquoi il a choisi de se spécialiser dans les cancers du sein, plutôt que dans les cancers de la prostate.

Parce que les femmes :

1. Suivent leur traitement à la virgule près2. Si elles ont des effets secondaires prévus dans la longue liste qui

leur a été remise, prennent immédiatement le médicament ad hoc3. Prennent soin d’elles, portent de jolies perruques et se mettent

minutieusement trois couches de vernis à ongle foncé pour protéger leurs ongles des effets carnivores de la chimiothérapie à base de Taxotère (Tout simplement, il s’agit d’isoler l’ongle de la lumière du jour afin d’éviter qu’il se fragilise et explose en plein vol).

Les hommes suivent leur traitement au paragraphe près, et s’ils ont des effets secondaires prévus dans la longue liste qui leur a été remise, ils ne font rien, ils préfèrent attendre le rendez-vous suivant.

La scarlatine

Mes sœurs sont formelles, j’ai bien eu la scarlatine.

Ma mère a oublié.

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Pas moi et mes sœurs.

L’Etoile et la Fourragère

J’ai été scolarisée deux années dans l’enseignement privé, dans une belle école entourée d’un parc. J’ai adoré ces années. C’est dans ces années-là que ma mère m’avait cousu mon vêtement de niçoise.

J’y ai aussi obtenu de bonnes notes. Il fallait avoir 12 de moyenne pour se voir récompenser d’une Etoile, et avoir 14 pour obtenir la Fourragère. L’Etoile, c’est simple à comprendre, c’est un astre brillant qui nous éclaire dans l’obscurité. La Fourragère mérite une explication, c’est une décoration récompensant une unité militaire. Mais je suis à l’école moi, pas à l’armée !

J’ai réussi à être récompensée progressivement par l’Etoile puis par la Fourragère. Quelle fierté, et surtout quelle joie. J’avais même accroché la Fourragère sur mon manteau pour pouvoir la porter à l’extérieur, et qu’elle se voit bien, que le monde entier la voit bien. Béatrice n’a eu ni Etoile ni Fourragère, pas de chance pour Béatrice. En revanche Stéphanie était récompensée de la Fourragère facilement, mais ne voulait pas la porter, elle est folle ma sœur. Sa Fourragère était jetée en vrac tout au fond de son cartable, un cartable en cuir noir avec des sangles pour le porter sur le dos. Elle est incorruptible ma sœur, inintéressée par les strass de ce monde. Moi, j’aime bien les strass. Ce devait être aussi pour marquer sa solidarité avec Béatrice de laquelle elle était très proche, il n’y avait que onze mois de différence entre elles. Mes parents étaient efficaces.

Ensuite nous sommes allées dans l’enseignement public, et nous y sommes restées, sauf Béatrice. Dommage, je serais bien restée dans cette école, j’y avais des amies et des bonnes notes.

La classe de 6ème

J’y ai appris :

Comment on fait les bébés, ça alors !

Qu’on peut regarder les garçons dans les yeux sans être enceinte, ouf !

Qu’un chef de classe, ça peut être séduisant

Le théâtre, j’étais inscrite à des cours le mercredi

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A regarder Angélique, Marquise des anges

A rêver de Geoffroi de Peyrac.

Sur un de mes carnets, un professeur avait écrit :

Géraldine essaie de comprendre, mais comprend de travers.

Je suis toujours un peu comme ça, j’essaye de comprendre. En tout cas, c’est bien d’essayer.

Les bêtises

Eh oui, j’ai fait des bêtises, mais jamais toute seule ! Je n’aurais pas osé.

La première, c’est quand avec ma cousine Antoinette, on jetait de l’eau par la fenêtre du dernier étage de l’immeuble sur les passants. Jusqu’à ce qu’un jour le passant soit notre voisin de palier...

La deuxième, c’est quand on a dégonflé le pneu du facteur. On a vite couru !

La troisième, c’est quand on a changé toutes les étiquettes des boîtes à lettres de toutes les cages d’escalier de l’immeuble, une réussite totale. Mais mon père m’a emmenée le soir même m’excuser auprès du gardien qui avait passé sa journée à réparer nos bêtises. Dégrisant.

La quatrième, c’est quand au cours de théâtre du lycée, juste avant la première représentation, j’ai changé les consignes : j’ai dit aux acteurs qui jouaient les rôles de médecin que lorsque Molière mourait sur la scène, le professeur souhaitait qu’ils se mettent autour de lui en dansant comme des diablotins. A cause de moi Jeanine a reçu une gifle.

Les soirées

Jeune fille, j’aimais danser dans les soirées. J’ai bien aimé la musique à fond dans mes oreilles, me choisir une robe, me maquiller, danser, tourbillonner et tourner encore.

J’ai bien aimé les garçons en costume, avec des cravates club et des chaussettes Burlingtrop. Certains avaient des costumes en velours, la classe. J’ai bien aimé la surprise de savoir qui allait m’inviter à la prochaine danse. J’ai bien aimé le baiser posé dans le creux de mon bras

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pendant que les Rubettes chantaient Sugar baby love, et surtout, j’ai adoré Les Rubettes.

Mes enfants y sont allés à leur tour.

Tout pareil, mais avec des robes extrêmement plus courtes, et avec de la musique où on ne s’invite pas à danser. Et puis aujourd’hui on n’embrasse plus le creux des bras, et c’est bien dommage.

Caroline la rebelle

Caroline n’a jamais voulu aller à ce genre de soirée. A l’âge auquel j’écoutais les Rubettes, elle était toute vêtue de noir et écoutait Bauhaus, Dead Can Dance, Japan… Elle se vernissait les ongles en noir, portait des chaussures montantes noires à lacets, tous ses vêtements étaient noirs, et ses yeux bleus étaient encadrés d’un lourd maquillage noir. Même comme ça, elle était jolie ma sœur, même si ce n’était pas très gai tout ce noir, pas très corporate. Le rose est si joli.

Un look un peu Punk, c’était Caroline la rebelle.

Aujourd’hui, elle porte des petites robes mignonnes et des chaussures à talons, la crise est passée depuis longtemps. Une crise noire et musicalement hurlante pour sa famille, on peut le dire, un peu vieux-jeu.

Assas

Comme je ne voulais être ni infirmière ni assistante sociale, ni pilote d’avion ni ingénieur, et que je désirais être avocate ou juge pour les enfants, je me suis inscrite en faculté de droit à Assas.

J’étais grisée de quitter mon lycée de banlieue pour me retrouver au cœur de Paris, près du Jardin du Luxembourg, dans un amphithéâtre de plus de mille étudiants. Ça avait de la gueule.

J’avais acheté le Guide Vert de Paris, à moi la capitale !

Au lycée, certains de mes professeurs s’affichaient trotskistes, marxistes, voire marxistes-léninistes. Pour le bac français, j’ai présenté plusieurs textes d’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, et même Sigmund Freud. Pour les classiques, le minimum syndical, l’Albatros de Charles Baudelaire, Antigone de jean Anouilh. La seule fois où j’ai eu la moyenne en philosophie, c’est le jour où j’ai développé par provocation sur ma copie que La religion est l’opium du peuple (Karl Marx), et encore, que La religion est le soupir de la créature opprimée (toujours Karl Marx), ça, ça avait bien plu…

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Assas, c’est plus à droite on va dire. La mode était aux loden verts et aux colliers de perles.

J’ai tant de bons souvenirs de cette période étudiante. Je me suis fait un groupe d’amis inséparables, Claude, Anne, Florent et Benjamin. Tout était facile, nous étions pleins d’enthousiasme et semblions immortels.

Hélas nous n’étions pas immortels. Benjamin est mort au sortir de nos études, juste après avoir brillamment passé sa thèse de doctorat. Il a fait partie des premiers morts du sida. Nous n’avons pas su qu’il était malade, il nous l’avait caché. Il avait sans doute honte de nous faire part de son homosexualité et de sa maladie qui faisait si peur alors. Tout ça était si nouveau dans notre petit monde.

Tu sais Benjamin, tu aurais dû te confier, nous aurions mûri plus vite, on aurait compris

et ton compagnon serait devenu notre ami.

Maligne la maligne

Cette petite maligne ne se voyait pas à la radio, elle s’était faite invisible. Maligne la maligne.

Le radiologue a détecté la tumeur à la palpation et m’a renvoyée faire des radios jusqu’à ce que la maligne maligne apparaisse sur la photo en noir et blanc. Elle ne souriait pas, furieuse d’avoir été ainsi mise à jour.

Le Docteur Kerguemar sur le compte-rendu opératoire a pourtant bel et bien écrit que la tumeur est impalpable. Seul le radiologue a pu la palper et la débusquer.

Deux fois le Docteur Kerguemar m’a affirmé stupéfait « Le radiologue vous a sauvé la vie. »

Croyez-vous aux miracles ?

Invisible à la radio et finalement photographiée.

Impalpable, et pourtant palpée.

Je dirai à mon fils Antoine qui passe le concours de l’internat cette année, je lui dirai qu’il faut bien palper les seins des femmes.

Et en plus, le radiologue a pris sa retraite trois mois après. C’est-à-dire que si j’avais effectué cette radio trois mois et un jour après, la petite

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maligne serait peut-être passée totalement inaperçue et serait devenue une grosse maligne ! Fatal.

Les grades et les stades

Cette tumeur bien maligne était invisible et pourtant faite pour faire des dégâts.

Elle avait un méchant grade. Eh oui, les tumeurs ont des grades, comme à l’armée. Le grade, c’est un peu la nature de la tumeur : Grade 1 la tumeur est paresseuse. Grade 2 elle est active. Grade 3 elle est agressive.

Le grade ne suffit pas, il y a encore plein de choses à connaître.

Par exemple, le stade, comme aux Jeux Olympiques, ou plutôt comme dans une agence de voyages. Le stade c’est un peu savoir si la tumeur aime voyager : Stade 1 elle se prépare au voyage, réunit le matériel, carte et boussole. Stade 2 elle trace son itinéraire. Stade 3 elle s’approche des ganglions sentinelles. Stade 4 elle n’obéit pas aux ordres des ganglions sentinelles et passe la frontière. Et enfin Stade 5 elle fait le tour du monde sans passeport ni visa.

Et après on panache les grades et les stades. Il vaut mieux tout avoir à 1, et ça c’est simple à comprendre.

Il y a bien sûr d’autres éléments compliqués à prendre en compte que je laisse à la connaissance des oncologues. Chacun son job.

Pour moi c’était grade 3, très affolant, stade 1, ouf. Un Général de guerre tué dans l’œuf, bien fait pour lui !

La veille du jour où j’avais pris ce rendez-vous, c’était le jour de mon anniversaire. Marie m’avait envoyé un texto :

Happy birthday à la plus belle des Géraldine de la planète ! Enormes bisous. Marie

Marie, la scarlatine et ma prière

Au début de la maladie de Marie, quand elle était si faible et encore si forte, j’ai fait comme ma mère avait fait pour moi quand j’avais la scarlatine. Mais au lieu de prendre la main de Marie, j’ai parlé à Dieu, je l’ai prié :

« Hey Dieu, je me sens très costaud. Si Tu veux, pour que Marie ait moins mal, je suis prête à prendre un tout petit peu de sa maladie. »

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J’ai fait cette demande plusieurs fois.

Comme aurait fait ma mère.

Et visiblement, Dieu m’a entendue…

Hey Dieu, vas-y mollo, fallait pas me prendre au pied de la lettre !

Et en plus j’avais bien dit, juste un tout petit peu !

Vas-y mollo, c’est une expression un peu familière, ça veut dire vas-y doucement, dans mollo il y a de la mollesse et de la douceur. C’est parce que Dieu et moi, quand on est ensemble, on est familier. Et Dieu et moi, on trouve que c’est très bien comme ça.

Dieu et moi, on n’a pas toujours été familier. C’est un peu de ma faute, car de son côté l’histoire est simple, Dieu m’a aimée alors que j’étais encore dans le ventre de ma mère, et peut-être même avant. De mon côté, je cherchais la preuve de son existence, la présomption irréfragable. Si j’avais pu remonter le temps, je me serais installée devant le tombeau du Christ, juste après sa crucifixion, et moi, durant trois jours, je n’aurais pas dormi et j’aurais vérifié de mes yeux sa résurrection.

Bon, de toutes les façons, je l’aurais eu ce cancer. Beaucoup de gentilles personnes de ma famille l’ont eu avant moi.

Dieu m’a donné la chance de l’avoir en même temps que Marie. Et ça, c’était plutôt une chance. Car Marie était comme illuminée par la grâce, et j’ai ainsi pu bénéficier des retombées de cette grâce.

Mise au point

Dieu ne donne pas de maladie, et surtout, Il ne prend pas à l’un pour donner à l’autre, chacun a son histoire. Dieu souffre de nous voir peiner, Il console et nous apporte l’espérance et la joie.

Ce qui est important dans cette histoire, c’est l’attention des uns pour les autres.

La scarlatine, suite et fin

Hier au dîner de Noël, ma mère m’a redit avec vigueur que je n’ai jamais eu la scarlatine ! C’est mon Oncle Hugues qui l’a eue.

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Et d’ailleurs je viens de vérifier, dans mon vieux carnet de santé il n’y a aucune trace de scarlatine.

Mais alors c’était quoi cette maladie pendant laquelle ma mère m’avait pris la main ?

L’essentiel dans cette histoire de scarlatine, c’est cette main de ma mère posée sur la mienne.

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Chapitre suivant

Noël

Le soir de Noël, ma mère et Béatrice sont venues dîner à la maison.

Chaque groupe est d’abord allé à la messe de Noël séparément, c’est dommage j’aurais bien aimé qu’on y aille tous ensemble :

Ma mère dans sa paroisse à 18 heures, pour suivre la messe des enfants, Béatrice dans la sienne, c’est bien, elle a retrouvé l’adresse, et nous cinq dans notre paroisse à 20 heures.

C’est ensuite qu’on s’est retrouvés, pour le dîner.

Et là, le chapon n’était toujours pas cuit !

Heureusement qu’il y avait une entrée, du saumon fumé, et heureusement que c’était un grand saumon !

Et ensuite on s’est régalé d’une bûche achetée par Inès dans un magasin du 16ème arrondissement de Paris. Le magasin s’appelle Le Délicieux, c’est tout dire !

Ma mère a demandé à Antoine s’il était allé à la Messe de minuit. Il a répondu que non, il était allé à la messe de 20 heures. Antoine a le souci de l’exactitude.

Ma mère était si heureuse d’être là, elle est si attendrissante. Quant à Béatrice, tout son être respire la générosité.

Adrien et les enfants étaient heureux. Adrien aime être entouré de ses enfants.

Quelle soirée agréable. J’aime ces moments, des moments paisibles qui font dire que les gens heureux n’ont pas d’histoire à raconter.

Le plus beau jour de nos vies

C’est quand Antoine a quitté l’Hôpital Raymond-Poincaré à Garches.

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Jeune, Antoine est tombé sur la tête sur du bitume en ratant un saut de haie au cours de gymnastique. Il a eu un traumatisme crânien grave, très grave, et a été hospitalisé à Garches, au Pavillon Brézin, Brézin 2 je crois.

On a eu si peur. Il y a même eu un moment où un médecin m’a conseillé de faire venir Adrien en urgence, comme si c’était la fin, la fin de l’histoire d’Antoine.

Comme l’hôpital gardait Antoine en observation, Adrien voulait au contraire le ramener au plus vite chez nous. Car le moral d’Antoine, entouré d’enfants si brisés, baissait petit à petit. C’est le jour où Adrien a été prêt à l’arracher du Pavillon Brézin, qu’Antoine a eu l’autorisation de sortir, et là, ça a été le plus beau jour de ma vie.

Je pense que ça a aussi été le plus beau jour de la vie d’Adrien.

Il faut dire que les enfants qui, eux, n’ont pas eu la chance de quitter ce Pavillon, étaient des enfants très malades, et sans doute y sont-ils encore et pour toujours. En quittant cet endroit, on ne peut qu’être soulagé, et qu’être triste de laisser derrière soi ces petites vies si fragiles.

Un après-midi, des clowns étaient venus dans la chambre en verre d’Antoine, et Antoine qui est si gai de nature, si souriant, n’a ni souri ni marqué aucune réaction. J’ai cru que j’allais pleurer devant les clowns.

Il n’y a rien de plus triste à voir qu’un enfant qui ne rit pas devant un clown, devant un clown qui fait tout son possible pour que l’enfant sourie.

C’est la faute aux étoiles

Quelques jours après Noël, nous décidons de tous nous retrouver chez ma sœur Stéphanie, près d’Annecy. Ma mère est très heureuse d’être là avec nous, mais elle a failli ne pas venir. Elle devait venir en train avec Béatrice qui avait acheté les billets depuis longtemps. Le matin du départ, alors que sa valise était faite, elle a décidé de ne plus venir. Et puis après, elle a décidé de venir, alors elle a pris un taxi, trop tard, le train était déjà parti, avec Béatrice dedans. Elle est rentrée chez-elle en décidant qu’elle y resterait. Ensuite, comme elle a décidé de venir, elle a pris un train bien plus tard, et elle est arrivée, comme une reine.

Nous étions tous en permanence et en direct par téléphone avec elle à l’écoute de chacun de ces atermoiements comme de chacun de ses battements de cœur. Atermoiements, on dirait des aboiements, il ne faut pas faire des atermoiements.

Ma mère change souvent d’avis, elle donne et reprend, ou bien elle

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offre, et ensuite elle dit que son cadeau n’est pas assez bien pour nous, ou bien alors elle se plaint que « c’est trop cuit, et d’ailleurs, vous n’aimez pas le poulet, et en plus je suis certaine que vous en avez mangé toute la semaine. » Elle n’a pas confiance en elle, ça c’est sûr. Elle dit que c’est parce qu’elle est du signe du Poisson, elle nage entre deux eaux, et hésite à choisir son courant.

C’est la faute aux étoiles.

Le signe du Scorpion

Moi, je suis Scorpion, ascendant Scorpion. Pas descendant, mes parents n’étaient pas de ce signe piquant et mortel. Double Scorpion, double punition ou double combat, combat contre les autres, et surtout contre moi.

C’est vraiment la faute aux étoiles.

Le secret de ma mère

La dépression semble avoir quitté ma mère depuis que mon père est mort. C’est dommage, il aurait adoré la voir ainsi. Cela aurait été plus facile pour tout le monde.

Le secret de ma mère, c’est qu’elle avait besoin d’être seule.

Les souvenirs de ma mère

Ma mère a tant d’années de silence à rattraper, alors elle parle, elle se raconte. Tous ses souvenirs tournent en boucle à l’infini et ont presque tous un rapport avec son enfance. C’est un peu comme un disque rayé. Nous avons tous un petit disque dans la tête, cela n’est pas propre à ma mère.

Ses souvenirs les plus souvent évoqués sont :

La déchirure de son enfance, maltraitance du corps et de l’âme. L’espace d’un instant qui dure toute une vie. Blessures d’enfant, d’adulte, de vieille dame.

Une fille de Colonel ne se confie pas et ne souffre pas !

Les nombreux déménagements effectués durant sa jeunesse, les quinze écoles qu’elle a fréquentées, les ruptures qui en ont découlé. Larmes de petite fille et d’adolescente.

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Une fille de Colonel, ne pleure pas !

Les bombardements lors du débarquement des Alliés en Normandie, pas de chance, elle y était à ce moment-là. Le canon annonce l’arrivée des américains, une arrivée tant espérée. Ma mère l’entendra longtemps tonner dans ses nuits blanches. Larmes de peur, larmes de joie.

Une fille de Colonel n’a jamais peur !

Les bombardements du 4 août 1944 en Normandie, à T., commandés par son père qui était alors Commandant, pour détruire la maison dans laquelle ils logeaient tous, et dont le Général allemand Von Kluge, adjoint du Général Rommel, avait réquisitionné le rez-de-chaussée pour y installer son état-major. Une histoire d’homme d’honneur, de sens du devoir, de sacrifice pour une cause jugée juste, et une histoire d’adolescente qui pleure dans le chaos des bombardements, en protégeant son petit frère dans ses bras serrés très fort autour de lui.

Une fille de Colonel, ne doit jamais avoir peur !

Pour avoir, entre autres actes de bravoure, fait bombarder sa maison malgré la présence de sa famille, mon grand-père a été cité à l’ordre du Corps d’armée au titre de la Résistance. Ma mère ne le lui a jamais pardonné. Incompréhension.

Le jour où son père qui était un excellent cavalier l’a obligée à monter à cheval, sur un pur-sang arabe, a cravaché le cheval et ma mère est tombée et s’est fait traîner par le cheval, le pied coincé dans l’étrier. Colère.

Une fille de Colonel, ne se plaint pas !

Sa rencontre avec mon père, qu’est-ce qu’il était beau ! Elle l’a tout de suite aimé, tout de suite et pour la vie. Un coup de foudre !

C’est celui-ci, et pour la vie.

Ma mère parle souvent de mon père. Elle a oublié ses colères, elle a bien raison, et ne se souvient plus que de sa grande gentillesse et de son amour pour nous et pour elle. C’est l’amour qui est le vainqueur, et c’est bien ainsi.

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Béatrice n’en peut plus de tous ces souvenirs de ma mère car elle passe souvent des vacances avec elle et les connaît par cœur. Ma mère n’écoute pas beaucoup les autres, c’est peut être sa revanche. Il faut dire qu’elle est un peu sourde, mais bien sûr, cela n’explique pas tout.

Le Colonel

Je crois que mon grand-père, que j’appelais Grand-Père, était un homme plein de contradictions et de contrastes. Héros de la Guerre de 14, il ne connaissait plus la peur et avait surmonté avec bravoure une mutilation importante du bras et de la main. Je crois qu’il était maladroit avec ma mère et que tous les deux ne savaient pas très bien communiquer ensemble.

Nos enfants

Mes enfants, nos enfants, je les ai désirés, espérés, attendus, embrassés, respirés, câlinés, entourés, soignés, adorés, aimés.

Je suis heureuse, fière, comblée, remplie d’eux.

En tout cas, quand ils étaient jeunes, ils préféraient le Nesquak au Bononiao. Incompréhensible, conflit de génération, rébellion peut-être.

Antoine, l’étudiant en médecine, passe le concours de l’internat dans quelques mois et travaille comme un passionné. Il aime la gentillesse, la magie, la médecine, la famille, les amis, le troisième degré.

Antoine est très respectueux, avec lui on ne doit pas dire qu’une personne est grosse. On doit dire qu’elle a de l’embonpoint, ou mieux, ne rien dire. Il a raison.

Un jour, quand il était petit garçon, l’institutrice avait menacé la classe entière d’une punition collective si le fauteur du trouble ne se dénonçait pas, pour une bêtise qui venait d’être commise. Et comme le coupable n’osait pas se dénoncer, Antoine s’était dénoncé à sa place. Un héros.

Camille l’impétueuse, vit des années merveilleuses dans son école de commerce à Tours, ah la place Plumereau ! Elle est entourée d’une meute, une myriade d’amis. Elle a un style incisif, très ironique, plein d’humour.

Toute petite fille, déjà insolente, elle m’avait dit :

De toutes les façons toi, Maman, même si t’étais un éléphant

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tu ne serais pas capable de monter sur un tabouret.

Faux bien sûr, si j’étais un éléphant je fais le pari que j’y arriverais ! Heureusement que les fées n’existent pas pour me transformer en éléphant.

Camille s’est transformée en une merveilleuse fleur, elle a un charme fou. Ses grands yeux bleus et sa chevelure bonde la rendent irrésistible.

Inès s’épanouit dans son école de commerce. Que de patience il a fallu pour attendre que la jolie chenille se transforme en joli papillon !

Inès, toute petite fille était déjà la reine des mots :

- Aujourd’hui j’ai eu la tête à Toto.

- La tête à Toto ? C’est quoi ça ?- J’ai eu deux zéros.

Eh oui, zéro + zéro = la tête à Toto.

Elle était lucide et avait mis en bas de sa copie Z’ai raté. Zut alors, c’était vrai.

Pour Noël, Antoine a demandé un tableau, une photo travaillée d’une station de métro. Je crois rêver ! En tout cas, c’est bien, c’est le signe qu’il se projette après le concours et pense à la décoration de son futur petit logement. Ce concours l’inquiète énormément.

Comme d’habitude, Camille n’a pas d’idée de cadeau pour elle, elle n’est pas très cadeau. Elle est économique.

Inès bien sûr a reçu un aPhone, le 4. Inès n’est pas économique.

Les testicules

Mon père a eu un cancer, aux testicules. Comme c’était à cet endroit-là, question de pudeur, il a mis du temps à aller voir un médecin.

Quand il s’est enfin décidé à le faire, il a très rapidement été opéré, ensuite, quelques séances de radiothérapie et hop, c’est reparti comme avant.

Le Crabe, exaspéré d’avoir été débusqué, a réussi à emporter dans sa

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fuite un testicule ainsi qu’un seau empli d’amertume. A l’abri des regards, il savoure sa revanche prochaine et se promet de revenir chercher le reste de son dû.

Dix ans plus tard, les méchantes cellules très malignes ont envahi le cerveau, le lobe frontal droit, la zone des inhibitions...

Le lobe frontal droit

Déjà que mon père n’était pas très inhibé, alors là c’était le pompon ! La tumeur avait la taille d’une grosse orange. Tout ça dans le cerveau ! La tumeur avait un nom glauque : « glioblastome ».

Bon alors là, je ne vais pas tout raconter.

Il faut juste savoir qu’un glioblastome frontal droit, ça ne sonne décidément pas bien. Glioblastome, j’y vois quelque chose de gluant qui s’infiltre partout, dont on n’arrive pas à se défaire. J’y vois aussi une blatte, une bestiole écœurante qui s’apparente au cafard. C’est certain, ce n’est pas un mot appétissant.

Ma réconciliation

Le neurologue, après m’avoir annoncé au téléphone que mon père n’avait pas plus de six mois à vivre, m’a dit que, maintenant que je connaissais son mal je pouvais certainement comprendre la cause de certaines de ses réactions.

En raccrochant le téléphone, j’ai pleuré et j’ai remercié Dieu : Hey Dieu, merci de m’avoir aidée à me réconcilier avec mon père. La maladie de mon père l’avait atteint dans sa personnalité, et ça, ce n’était pas de sa faute.

Le neurologue a eu raison, mon père est mort six mois plus tard, juste avant le XXIème siècle. De toute façon, mon père se moquait bien du XXIème siècle, ce qu’il voulait c’était retrouver sa vie d’avant, celle du XXème siècle, acheter des baguettes de pain à la bonne boulangerie, faire des salades de tomates en les épluchant, fumer une cigarette confortablement assis dans sa bergère, lire des ouvrages d’histoire, faire à pied le tour du Grand Canal de Versailles, écrire sur le passé de sa famille et sur sa jeunesse durant la dernière guerre mondiale, et surtout, prendre des nouvelles de ses filles.

Le glissement

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Sur le compte-rendu médical il est écrit que mon père a refusé soins et alimentation, qu’il avait une obnubilation de plus en plus marquée, qu‘il avait des troubles de la vigilance avec perte de contact, et qu’il a eu le syndrome de glissement majeur.

Il a eu bien raison de se laisser glisser mon père. L’hôpital qui l’avait accueilli pour ses derniers jours n’était pas accueillant du tout, voire inhospitalier. Mon père est mort les bras en croix attachés par des liens aux montants de son lit, et les deux jambes réunies par les pieds ficelés à un autre montant du lit. Il ressemblait au Christ souffrant.

Ils avaient obligé mon père à porter une protection, c’est-à-dire tout simplement, une couche. Problème de manque d’effectif et de gentillesse aussi.

Mon père est mort ligoté en croix, en couche-culotte. Sans vêtement autre que la couche, plus pratique pour les infirmières impatientes, certes débordées. Stéphanie en arrivant de ses montagnes a très bien vu les marques rouges aux poignets et aux chevilles.

Et ensuite et en même temps, Béatrice

Maintenant, il faut que je précise que trois jours après que mon père ait appris qu’il avait un cancer au cerveau, ma sœur Béatrice a appris qu’elle avait un cancer au sein. Là, c’est devenu encore plus compliqué !

Ce qui fait que durant les six derniers mois de la vie de mon père, Béatrice démarrait des traitements très lourds dont l’issue n’était pas certaine.

Deux avis

Deux médecins m’avaient préparée au pire.

L’un à l’Institut Gustave Roussy, situé dans la coquette et riante ville de Villejuif, m’avait informée de la gravité de la situation, qu’il y avait cancer et cancer et que celui-là il n’était vraiment pas sûr que ma sœur puisse arriver à y résister. Fatal.

Et l’autre, un généraliste, m’avait dit qu’il n’y avait plus qu’à prier et à mettre des cierges. Seul un miracle restait donc encore possible.

Béatrice avec sa joie de vivre, sa passion et son enthousiasme a déjoué ces sinistres présages.

La luminosité

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Elle a perdu son abondante chevelure, a choisi une perruque qui faisait qu’elle aussi se reconnaissait devant la glace. Elle a été opérée plusieurs fois, et a supporté des traitements très lourds. Elle ne s’est jamais plainte, Béatrice c’est un grand sourire, lumineuse, comme l’était Marie.

On peut se poser la question de savoir pourquoi certains grands malades ont cette luminosité.

Béatrice et mon père étaient comme deux grands oiseaux migrateurs, essoufflés de leur longue course, et dont les chemins se sont séparés en plein vol. Mon père allait vers la mort, et Béatrice revenait à la vie.

Vive la vie.

La dépression

Quand ma mère a appris que Béatrice était malade en même temps que mon père, elle s’est inquiétée : « Et moi, personne ne s’occupe plus de moi ? Alors que j’ai une dépression, je suis malade depuis bien plus longtemps qu’eux. »

C'est aussi ça la dépression,

c’est terrible la dépression.

Le jour de la mort de mon père

Le jour de la mort de mon père, juste avant son dernier souffle, nous avons toutes été prévenues qu’il fallait nous rendre à son chevet le plus vite possible. Alors j’ai quitté mon bureau, j’ai couru de toutes mes forces et suis arrivée à temps avec ma mère et mes sœurs. Il était tout calme, un de ses yeux s’est fugitivement allumé, comme s’il nous avait reconnues, puis son souffle s’est fait de plus en plus faible, tout doucement, et il est mort, entouré par les femmes de sa vie.

C’est là, dans le silence des larmes retenues que j’ai su que Dieu se moquait bien des jurons de mon père et qu’Il l’attendait. De tout temps Il attendait mon père.

Merci Dieu. A Dieu Papa.

Si nous n’avons pas pleuré, c’est parce que nous avions tant pleuré durant les six derniers mois que nous n’avions plus de larmes. Nous étions alors, sans le savoir peut-être, dans le mystère de l’espérance.

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La souffrance et la mort font partie de la vie. On peut arriver à les supporter si on est accompagné. De la chance et de l’art d’être aimé et d’aimer. C’est l’histoire de toute une vie.

Le Crabe a pris son dû, a emporté l’homme, mais, bon perdant, il a laissé son âme à Dieu, et tous les souvenirs heureux à sa famille.

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Chapitre suivant

Le 1er janvier 2014

C’est aussi le jour où j’en suis à la moitié pile poil du traitement hormonal anti-récidive. Pile poil, un drôle de mot très familier qui fait un peu sourire, cela veut dire qui arrive exactement. Je préfère pile poil.

Je prends un comprimé de Tamoxifène tous les matins depuis deux ans et six mois.

Encore deux ans et six mois, plus que deux ans et six mois.

Ça se fête aussi, bien qu’en toute discrétion.

Marie savait savourer ce genre d’événement, elle savait que c’était important, elle était si attentive. Le 10 mai 2011, elle m’avait envoyé le texto suivant :

Merci ma belle Rakel, mais pense à toi. Ça y est tu as fait la moitié des rayons !

Super tu tiens le bon bout. Enormes baisers.

Marie.

Rakel, c’est le nom qu’elle me donnait, car c’était le nom inscrit sur la boîte d’emballage de ma perruque, et en plus ça faisait penser à Raquel Welch, une belle actrice de western. Je crois me souvenir que le nom de la perruque de Marie était Princesse. Du rêve…

Avec Marie on avait fêté la moitié des rayons, avec elle on aurait fêté la moitié du Tamoxifène.

Je ne parlerai pas des effets secondaires de ce médicament, ni de ceux de sa méchante cousine, l’Aromasine, car le 1er janvier est un jour férié, un jour de fête. Je décide que c’est même un jour de trêve.

Les vœux de Stéphanie la rebelle

Je viens de recevoir par texto les vœux de ma sœur Stéphanie.

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« Vive 2014 !

Que nos projets se réalisent, ce serait chouette

Que les pauvres deviennent plus pauvres, c’est réalisable

Que les ultras riches continuent à virer les précédents, c’est fortement possible

Que les privilégiés du dessus du panier demandent à ceux des étages du dessous de se serrer la ceinture, c’est normal depuis longtemps !

Que 2014 vous apporte la résistance, la bonne humeur, de bons potes, des apéros ensoleillés ou pas, et la baraka !!!

Bizzzz

Stéphanie »

Vive la révolution !

Elle a quand même raison, surtout pour la résistance, la bonne humeur, les bons potes, les apéros et la baraka.

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Chapitre suivant

La maladie de Stéphanie.

Jeune, Stéphanie était fatiguée. Elle s’allongeait souvent sur son lit. Elle manquait de dynamisme.

Allez Stéphanie, il faut te lever !

En fait de fatigue, elle était en train de se consumer, elle commençait à mourir à petits feux, tout doucement.

C’est le dentiste qui s’est aperçu que quelque chose n’allait pas. Il a envoyé ma sœur chez un confrère disait-il, à l’Institut Gustave Roussy. Ma mère et moi, nous l’avons accompagnée. Et c’est ainsi que, toute seule dans le couloir en passant devant une porte qui n’aurait pas dû être ouverte, j’ai entendu des choses terribles : « Oh là là, il a fallu lui retirer trois dents, ce n’est pas beau ça, ce n’est pas bon signe, et en plus elle est si jeune ».

Ils lui ont sauvé la vie. Elle a été opérée trois fois. La dernière fois, elle a cru que ce serait la dernière, qu’elle allait mourir. Elle était si fatiguée et elle avait si peur. Elle avait téléphoné à Béatrice en lui disant, « Cette fois-ci c’est la fin, et j’ai tellement peur. »

C’est triste et angoissant la peur des autres.

Aujourd’hui, ma sœur est guérie.

La tumeur n’avait pas un joli nom, « Tumeur à myéloplaxes ». Il ne faut pas avoir de myéloplaxes dans le corps. Il y était question aussi de calcium, mais on n’y a rien compris.

On ne dit pas que ma sœur a eu un cancer, on dit qu’elle a eu une tumeur. Ce n’est pas pareil. Il paraît que c’est moins grave, même si elle a failli mourir.

Le Crabe, ou le bernard l’hermite qui se prenait pour un Crabe, est parti avec une moitié de palais et de mâchoire de Stéphanie, il est parti avec sa peur aussi, mais cet ignare lui a laissé son dynamisme, car aujourd’hui, elle aime les grands espaces, toujours à parcourir les chemins de randonnée en montagne.

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Chapitre suivant

Pour en finir avec les choses tristes

Quand mon père est mort, on lui a préparé une messe d’enterrement magnifique. Toute la famille et les amis étaient là. La messe a eu lieu dans la Cathédrale Notre-Dame de Versailles.

Papa, tu as dû aimer, ça avait une de ces gueules !

Dieu aussi était content.

Nous n’avions plus de larmes, nous avions tant pleuré auparavant, et la messe a transporté nos cœurs et nos âmes, même ma mère a témoigné lors de la messe. Et chacune de ses filles. Un dernier A Dieu.

Quand mon père est mort

Quand mon père est mort, ma mère ne pouvait plus avec sa retraite diminuée payer seule le loyer de son grand appartement.

Il fallait faire le deuil de mon père, encourager Béatrice vers la guérison, consoler ma mère et la faire déménager. Béatrice et moi, on n’avait plus de temps pour consoler Caroline qui était malade de tristesse, et Stéphanie était repartie dans ses montagnes.

Faire déménager ma mère, ça veut dire trouver un autre logement, forcément plus petit, et donc partager les meubles encombrants, trier, vendre, donner.

Avec ma mère et Béatrice, on a réussi. J’ai adoré cette période, dès que j’avais du temps libre je les retrouvais. A nous les tris dans la bonne odeur familiale. Le temps s’arrête, on est bien ensemble, on fait revivre le passé, chaque objet a son histoire, on boit du thé dans la théière de mon père.

C’est Béatrice, comme d’habitude, qui a trouvé le nouveau logement. Béatrice la dégourdie. On a vidé tous les comptes bancaires de mes parents, et hop, voilà ma mère propriétaire d’un studio près de Paris. Elle est chez elle. C’est son nid.

Quand mon père est mort

Quand mon père est mort, l’absence est venue s’installer, tout

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doucement.

L’absence de cette personnalité si forte a profondément déstabilisé ma mère qui a voulu mourir.

Béatrice était toujours malade du cancer, elle avait toujours des traitements lourds. Courageuse Béatrice. Et on ne savait toujours pas si elle allait guérir.

Maman il faut revivre, et vite !

Et ma mère qui voulait mourir. Elle a essayé plusieurs fois, a été emmenée plusieurs fois aux Urgences.

Connaître les Urgences psychiatriques de l’hôpital public de V., c’est rentrer dans un mauvais film en noir et blanc, sans odeur et sans vie. C’est un monde de folie, le monde de la folie. Il fallait la sortir de là.

Maman il faut revivre, et vite !

J’étais oppressée, j’étouffais. Durant quelques mois, sur les conseils d’une amie, je suis allée consulter un médecin, afin qu’il m’aide à me libérer de ce sentiment d’oppression. Lui parler ne m’a servi à rien du tout, il était très premier degré, n’avait aucun humour ni aucun recul sur les évènements. Il s’attachait à une pièce unicolore du puzzle qui lui semblait avoir plus d’aspérité que les autres, sans vérifier si cette pièce s’emboîtait bien avec les autres pièces, pour finir par former un ensemble plein de vie, avec tous les contrastes possibles. J’aurais dû écrire…

L’œuf de Pâques

Ça m’a rappelé mon père, quand il avait vu le neurologue, juste après son opération au cerveau. Mon père avait plaisanté en disant qu’il ressemblait à un œuf de Pâques, et le neurologue n’a pas souri alors qu’on était à Pâques et que c’était vrai qu’avec ses bandages sur la tête il ressemblait à un œuf de Pâques.

Je dirai à mon fils qui va être médecin, qu’il faut toujours garder le sens de l’humour, jusqu’au bout de la vie.

Je lui dirai aussi que ceux qui ont le plus d’humour à l’hôpital ont très peur, ils se cachent.

La dépression

Donc, au bureau, quand un numéro de téléphone extérieur s’affichait, je

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me disais :

Ça y est, cette fois-ci ma mère ne s’est peut-être pas ratée.

C’était épuisant, à en arriver presque à espérer que ça s’arrête, même mal.

C’est aussi ça la dépression, quand l’entourage n’en peut plus de la dépression de l’autre.

La dernière fois que

La dernière fois que ma mère a voulu mourir, c’était chez Stéphanie, tout près des hauts sommets, par un après-midi étincelant de soleil et de lumière. La raison de ma mère s’est obscurcie, son cœur s’est fermé à toute espérance, sa fragilité s’est épanouie, et dans un long cri silencieux, sans une larme, seule, elle a décidé que cette fois-ci les pilules et les gélules de toutes les couleurs ne suffiraient plus à éteindre sa non soif de vivre, et elle les a remplacées par la terre du jardin, le désherbant du jardin, l’anti-moustique, l’anti-cafard, et même l’anti-taupe, le liquide vaisselle au goût citronné, le détartreur décapant, et la pâte à modeler de toutes les couleurs qui rappelle l’enfance.

Ne plus déranger, ne plus importuner, ne plus exister, prendre si peu de place, ne plus voir les fleurs du jardin, le sourire de ses enfants, ne plus sentir la pluie sur son visage, la brise légère, la caresse du soleil, ne plus marcher, ne plus avancer, ne plus faire un seul pas sans souffrir.

Quel sens a la vie ? Dieu est –Il mort ? Qui donc a tué Dieu dans le cœur des hommes ? Compter pour quelqu’un. S’aimer. Ne pas s’aimer. S’aimer pour aimer les autres et pour aimer Dieu. S’aimer pour aimer la vie.

Dieu n’est jamais mort, il n’y a rien de plus absurde que de croire que parce que l’on a tellement péché, Dieu ne peut plus nous aimer. Son amour est sans limite. C’est en péchant et en se relevant que l’on mesure dans son immensité le poids de Son amour. La rédemption dans le pardon ne se savoure qu’après avoir tant péché.

«Isaïe 51, 12-13 : C’est moi, Je suis Celui qui vous console. Qui es-tu pour craindre

l’homme mortel, le fils d’homme voué au sort de l’herbe ? Tu oublies Yahvé, ton créateur. »

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La main de Stéphanie

Stéphanie qui avait été éloignée de nous tous pendant la maladie de mon père, a été témoin de cette dernière tentative d’évasion. Ma mère est revenue à la vie, la main de Stéphanie dans la sienne, elle a été hospitalisée durant plusieurs semaines, le temps de revoir le monde en couleur.

C’est ainsi que la vie est revenue dans ma mère, tout doucement.

La vie est revenue et mieux encore, la dépression s’est endormie, tout doucement.

Ma mère a fait le deuil de son mari, et elle a appris à savourer la solitude.

Elle parle souvent de mon père, de leur première rencontre, de leur vie à deux. Elle est heureuse de sa vie.

Et Béatrice a guéri, Béatrice a vaincu. C’est ainsi que le Crabe, dépité d’avoir été surpris dans son nid douillet, a pris la fuite en emportant prestement un sein lourd et soyeux, ainsi qu’un seau rempli de mèches blondes de cheveux.

Elle est très forte cette Béatrice.

Le plus mauvais souvenir de ma vie

C’est dans cet hôpital dans lequel mon père est mort. C’est précisément le jour où j’ai trouvé mon père assis dans un immense lit à barreaux, vêtu d’une couche-culotte. En me voyant arriver, il s’est agrippé aux barreaux avec toute la force de ses deux bras, m’a regardée droit dans les yeux, avec ses yeux bleus gris d’acier, comme ceux de Bob Morane, et m’a dit : « Géraldine, aide moi à sortir de là, je veux aller aux toilettes ».

Seule, je ne pouvais pas porter le poids de mon père, et il était agité.

L’infirmière à laquelle je demandais de l’aide, une forte femme désagréable, s’est interposée : « Non, il ne sortira pas de ce lit, qu’il fasse ses besoins dans sa couche ! ». Et voilà comment cette dame a fait glisser mon père.

Mon père ne portait pas de couche avant d’arriver dans cet hôpital, trois jours auparavant.

J’ai obéi à l’autorité de l’hôpital, je ne me suis pas rebellée, mon cœur s’est juste arrêté de battre, j’étouffais, je mourais. Mon père me fixait,

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absolument désespéré, nous étions anéantis tous les deux.

Quand mon père a compris qu’il devrait faire dorénavant ses besoins dans une couche, tous ses besoins y compris les plus solides, quand il a compris qu’il n’y avait plus d’issue, il a glissé.

Je ne veux plus obéir à aucune autorité. J’en ai assez de l’autorité.

Je hais l’autorité et les autoritaires ! J’aurais dû dire non !

Pardon Papa.

Certes, mon père ne nous avait pas appris à dire non à l’autorité... Dommage pour tout le monde.

La jacinthe

Je me souviens aussi que dans sa chambre d’hôpital mon père disait avoir peur d’une petite plante qui lui avait été offerte par Béatrice: « J’ai peur de ma jacinthe ».

Mon père avait peur, le glioblastome avait bien fait son travail.

Je souffrais de savoir que mon père avait peur. La peur peut parfois être plus effrayante que la maladie elle-même.

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Chapitre suivant

StockOption

Personne dans le métro ce matin. Les bureaux sont vides, en arrivant il n’y a qu’Albert. Nous nous souhaitons une belle et heureuse nouvelle année.

J’ai apporté des chocolats, des Ferrari Rocher, pour faire ambassadrice de bonnes nouvelles. J’ai choisi ces chocolats car ils ne sont pas gras, et après les fêtes, c’est mieux.

Lotfi apporte des croissants et des pains au chocolat.

Il faut savoir que le nouveau slogan de StockOption, c’est « Grandir autrement ». Alors nous, comme le disait Isabelle avec un petit sourire malicieux, on obéit, on grandit autrement,

on grossit.

Je parle d’Isabelle, cela me rappelle que nous ne sommes plus que quatre dans le bureau désormais.

Stupéfaction !

L’agrafeuse d’Isabelle

Isabelle avant de nous quitter, a laissé sur mon bureau son agrafeuse toute récente ainsi que deux boîtes d’agrafes.

Tu vois, tu n’es pas une sorcière, et avec un peu plus de concentration, tu pourrais même être une

fée.

Le mail de Patrice

Et puis Patrice, le mari d’Isabelle, m’a adressé le mail suivant :

Bonjour,

Je suis le mari d’Isabelle. En rangeant ses affaires de bureau (c’est souvent moi qui range), je suis tombé sur « Acrostiche ».

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Je voulais vous dire, qu’à sa lecture, j’ai passé un très bon moment. Merci.

Je vous souhaite d’excellentes fêtes !

A bientôt

Patrice

PS : pour le bilan de compétences, je pense que l’adresse d’un éditeur suffira (à moins que ce ne soit déjà fait).

Patrice est trader dans un grand établissement financier, dont j’ai oublié le nom mais qu’importe, sur l’autre rive de la Seine. Il a un boulot sérieux dans une société sérieuse, lui.

Il faut que je pense à dire à Isabelle que ce serait bien qu’elle range chez elle, qu’elle soit une fée du logis, une fée le ménage. Ça ne va pas lui plaire ça. En tout cas, ça devrait plaire à Patrice.

Raphaëlle ne chante plus

Et voici Raphaëlle qui arrive, bonne et heureuse nouvelle année ! Raphaëlle ne chante pas ce matin. Elle est fatiguée par les excès gastronomiques des fêtes. Albert et Léna ont fait des excès aussi. Et moi de même.

Le bureau d’Isabelle est bien rangé, il est même vide. C’est peut-être aussi pour ça qu’on n’a pas envie de chanter. C’est pour ça que Raphaëlle ne chante plus.

Albert est parti au Paris-Nice.

A tout à l’heure Albert, bonjour à Dédé.

Jeanne est en vacances à Cannes, la classe.

L’écureuil

Je trouve sur mon bureau, à côté de l’agrafeuse, le dernier numéro du magazine des collaborateurs de StockOption, ChronoStress, avec en gros titre « Nouvelle Economie », ainsi qu’un pin’s rose corporate, en forme de petit escargot. Sur le carton qui supporte l’escargot on peut lire « StockOption, mécène de l’Institut Gustave Roussy».

Justement, pendant mes vacances je m’étais exprimée dans Acrostiche

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au sujet cet Institut, j’y ai parlé de ma sœur Béatrice qui y a fait quelques séjours. Ce qui est bizarre et un peu dérangeant, c’est que le bureau me rappelle l’hôpital, décidément ça sent le roussi.

Mécène, StockOption fait bien savoir qu’il est mécène. Je l’ai déjà dit, je préfère les gens gentils.

Etre mécène, ce n’est pas être charitable, même si au final cela permet de faire avancer la science, de préserver de beaux sites, de rénover de beaux musées, etc.

Quand on est mécène, on donne de l’argent contre un remerciement, une gratitude, une admiration, et on le fait bien savoir autour de soi, c’est comme un placement en bourse. Quand on est charitable, on donne discrètement, anonymement, et on n’attend rien pour soi en retour, on donne pour celui qui reçoit.

C’est bien gentil tout ça, mais StockOption est une société anonyme, pas une association caritative. Et ça, je crois qu’on l’a bien compris, mais c’est aussi grâce à ça que j’y ai connu la sécurité durant de longues années.

Cela est certain, je ne suis ni très honnête ni très gentille avec StockOption, mais après tout, c’est bien de sa faute.

Le Crocodile Vert est inondé de soleil, et la Seine aussi.

La Nouvelle Economie

Revenons au magazine : transformation, adaptation, changement durable, profond, socle solide, se consacrer, pleinement, tourner la page, redresser, engagement, développement, création, satisfaction du client, forte valeur ajoutée, défis, synergies, franchir, profondeur, approfondissement, amélioration, gestion de nos talents, implication, asset light.

En voilà une bonne nouvelle, surtout le dernier mot « light », car après les fêtes on a tous besoin de s’alléger.

Bon, plus sérieusement, je suis rassurée, La Nouvelle Economie se met en place. Y aurai-je ma place?

La réponse n’est pas certaine, et me déstabilise.

Bonne année à La Nouvelle Economie, et tous mes vœux de croissance

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aux Dividendes Des Actionnaires !

Les préparatifs de départ

Albert fait des rangements. Il prépare son grand départ et jette tous les documents de son passé dans les corbeilles. Il a retrouvé des vieilles photos, de lui jeune, de Natacha, la mère de ses enfants. Elle avait passé trois jours dans la société, et en trois jours hop hop hop, elle lui a fait deux magnifiques enfants ! Albert peut être très efficace.

Léna découvre le placard à fournitures qui est dans notre bureau, elle repart en remplissant sa hotte.

Albert vient d’apprendre qu’un de ses bons potes vient de mourir en trois mois d’une leucémie à Nîmes. Il est triste, mais rigole pour la forme. Il devait prendre un pot avec son ami, un pot de départ en quelque sorte, ce pot n’aura pas lieu, mais le départ a bien eu lieu.

Albert regarde par la fenêtre, il surveille les policiers qui guettent les chauffards et leur donnent des PV. Ils se postent toujours au même endroit stratégique. Ça le révolte. Albert est motard, il est solidaire.

Le Crocodile Vert est toujours baigné de lumière.

Une stagiaire va bientôt venir. Elle ne s’installera pas à l’ancien bureau d’Isabelle, Raphaëlle n’y est pas prête, et nous non plus d’ailleurs. Elle ira s’installer derrière Jeanne.

Plusieurs fois le Monsieur du courrier est passé, sans laisser de courrier dans la bannette Arrivée, comme d’habitude, et sans en prendre dans la bannette Départ, toujours vide. Un jour, il va se lasser et ne plus venir du tout. Heureusement, il restera le Monsieur de la plante verte du bureau.

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Chapitre suivant

La sexualité

Mon père avait quatre filles.

Comme il voulait nous protéger et qu’il craignait qu’on aille faire des bêtises et pire encore, il utilisait un argument efficace qui frappe l’imaginaire. Il nous disait que les garçons ne rêvent que d’une seule chose, coucher avec les filles,

et qu’ils baiseraient même une mouche.

Un garçon avec une mouche au bout du sexe !

Glauque, ça faisait un peu peur.

Il nous disait qu’une fille qui couche avec un garçon, c’est qu’elle est amoureuse, et que le garçon, lui, n’est pas forcément amoureux. Alors, je comprenais qu’un garçon qui couche avec une fille, c’est juste que c’est mieux qu’avec une mouche.

J’ai tout appris en classe de 6ème. Avec des mots qui faisaient bien rire, qui faisaient un peu peur, qui faisaient rêver aussi. Et même, avec plein de gros mots, des très gros mots. Pires que ceux de mon père. Non, pas pires, cela n’est pas possible…

Quand elle a su ça des années plus tard, ma mère m’a dit que pourtant elle nous avait tout bien expliqué à moi et mes sœurs. C’est sûrement vrai, mais elle n’a pas dû employer des mots très explicites. Elle nous avait offert un livre dans lequel il était écrit « Et le Papa a mis la petite graine dans le ventre de la Maman ». Sans employer le mot bite, sexe, ou pénis c’est un peu compliqué à comprendre, et même à imaginer. Il aurait fallu un schéma.

Mes premiers baisers

Avec l’éducation que j’ai reçue, mes premiers baisers ont été tardifs.

Le premier, c’était un baiser reçu dans le creux de mon bras, je l’ai déjà dit.

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Le deuxième, c’était bouche fermée avec un étudiant en médecine qui avait mangé de l’ail au déjeuner. Et comme on était au début de l’après-midi, c’était foutu.

Le troisième, c’était toujours bouche fermée avec un étudiant en histoire de l’art, en bas des escalators des Galeries Lafayette.

Comme quoi je suis restée sage très longtemps.

Ensuite, la vie m’a rattrapée. Il était grand temps.

Trois fois la même question

Durant les dernières années de sa vie, Marie était comme inondée de grâces.

Un jour, alors que je l’accompagnais à une séance de chimiothérapie elle me dit « Hey Géraldine, tu sais, je t’ai attendue longtemps, je suis heureuse que tu sois là aujourd’hui.

Mais Marie, tu es si entourée, c’est pour ça que j’ai attendu pour venir, j’ai attendu de pouvoir prendre un jour de congé, et j’ai attendu mon tour.

Tu n’as rien à me dire me demande-t-elle malicieusement une première fois ? - Oh si, je suis très heureuse d’être là avec toi, car je t’aime beaucoup.

Tu n’as rien d’autre à me dire, insiste-t-elle en souriant une deuxième fois ? - Ben si, je suis heureuse d’être là parce que je t’aime très fort.

Tu n’as vraiment rien d’autre à me dire me redemande-t-elle avec un sourire lumineux, une troisième fois ? - Je suis heureuse d’être là, parce que… je t’aime.

Et bien tu vois Géraldine, tu y es arrivée, tu vois ce n’est pas si difficile que ça d’arriver à l’essentiel.»

Trois fois la même question, la grande question.

M’aimes-tu ?

La plante verte grimpante du salon

Toute petite fille, je me vois assise sur les genoux de ma mère, ma mère portait un chignon (C’est quoi un chignon ? Aujourd’hui, c’est rare un chignon. C’est quand on a les cheveux très longs et qu’on les ramène en

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boule sur la tête. Une boule harmonieuse bien sûr). Nous étions sous la plante verte grimpante du salon, c’était un bon moment.

Ma mère m’a dit qu’un jour je rencontrerai un gentil garçon, que je me marierai, que je la quitterai, et que je serai heureuse.

Alors là, j’ai eu très peur de la quitter, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ça ne me faisait pas rêver de quitter ma mère.

Le cordon ombilical

Toute petite fille, j’étais très attachée à ma mère. Je ne pouvais pas la quitter, et je ne voulais pas qu’elle me quitte. Dès qu’elle sortait le soir avec mon père, je hurlais de douleur et de colère derrière la porte refermée sur moi. C’était infernal. Mes sœurs Stéphanie et Béatrice n’en pouvaient plus de ces cris et de ces pleurs.

Une fois elles m’ont même arrosée d’eau froide dans la baignoire pour que, elles l’espéraient, je me calme. Je ne me souviens pas du résultat. Les voisins, eux, alertés par ce vacarme, doivent s’en souvenir.

Ce qui est certain, c’est qu’aller à Villard-de-Lans m’a obligé à rompre le cordon ombilical. Il faut rompre le cordon ombilical, même dans la douleur, même si j’aurais préféré que cela se passe autrement.

Mais pourquoi ce lien était-il si fort ? Quel lien ma mère avait-elle créé, et voulait-elle ensuite défaire ?

Le petit clin d’oeil Clémentine de Marie

(Clémentine, c’est le nom de mon opérateur de téléphonie mobile.)

Nos chemins ont divergé : pour Marie, c’était l’heure de lâcher prise, et pour moi, c’était l’heure de revenir dans la vie.

Marie s’est éteinte au moment où moi, je quittais ma perruque.

Le matin de l’enterrement de Marie, pour être présentable à la messe de funérailles de Marie, je me suis rendue dans un salon de coiffure afin de donner un air coiffé à ce début de chevelure.

Ensuite, je devais retrouver des amies pour le déjeuner, afin que toutes ensemble nous nous réconfortions avant la messe de Marie. Nathalie venait de loin, elle venait de Hong Kong, et Adrien devait nous rejoindre directement à la messe.

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Avec ma fille Inès, pour nous rendre à ce déjeuner nous avons pris l’ascenseur après avoir fermé la porte de l’appartement. Dans l’ascenseur, mon vieux portable a émis trois fois le son d’une alarme.

Ce téléphone portable était très ancien, aujourd’hui je l’ai remplacé par un aPhone. Sur ce portable, j’avais enregistré plus d’une centaine de messages, des textos auxquels je tenais. J’avais gardé de nombreux messages de mes enfants, de Marie, et d’autres proches.

Ce portable ne pouvait pas capter dans l’ascenseur. Et là, il a capté.

Nous en avions fait la remarque avec Inès, bizarre. Et comme nous étions pressées d’arriver à notre déjeuner, nous n’avons lu le message qu’une fois traversé le carrefour.

Silence, émotion, clin d’œil, petit miracle technologique, il s’agissait d’un message de Marie que j’avais enregistré il y a déjà un mois, et qui me revenait.

Sur la centaine de messages enregistrés dans mon portable, c’est exactement celui-ci qui m’est revenu :

Coucou ma belle Rakel, j'étais en communion avec vous ce matin,

la messe devait être bien belle. Je pense beaucoup à toi,

pour le coiffeur ne m'attends surtout pas, ma coupe chien fou me convient tout à fait.

Je t'embrasse de tout mon cœur. Marie

Le seul texto dans lequel :

Marie regrettait de ne pas avoir pu se rendre à une messe (il s’agissait de la messe de la Première communion des enfants de notre paroisse, en juin), alors que justement nous étions en chemin pour nous rendre à sa messe d’enterrement,

Marie me conseillait de ne pas l’attendre pour aller chez le coiffeur, elle était si fatiguée, et que de toute façon sa coupe de chien fou lui convenait (elle ressemblait à celle de Jean-Louis Borloo, la coupe, pas Marie bien sûr), alors que justement je sortais de chez le coiffeur pour la première fois depuis si longtemps.

La fin du texto

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Il n’y avait pas que ces deux phrases. Aujourd’hui je vois qu’il était aussi écrit :

Je pense beaucoup à toi,Je t’embrasse de tout mon cœur.

L’appartement est inondé de soleil.

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Chapitre suivant

Marie est un monument

Chaque personne qui a rencontré Marie a sa propre histoire à raconter.

Marie n’appartient à personne, elle est à tous.

J’ai rencontré Marie, je ne fais que raconter mon histoire, une histoire d’amitié.

Une dernière chose sur mon histoire avec Marie

Lorsque Marie était dans le coma, j’étais sur les Chemins de Compostelle, trois jours, avec Adrien et des amis. Un petit voyage pèlerinage prévu de longue date.

Durant les dernières années de la vie de Marie, j’ai souvent prié Dieu, je l’ai souvent supplié afin qu’un miracle s’accomplisse et que Marie guérisse. « Et guérissez Marie » chantais-je.

Et là, à chaque pas, j’ai prié Dieu pour que Marie lâche prise. Je L’ai supplié, « Hey Dieu, c’est le moment du miracle ultime ou bien alors du lâcher prise. »

J’avais même laissé une prière écrite en ce sens dans la Cathédrale Notre Dame de l’Annonciation du Puy en Velay, qu’un autre pèlerin a dû porter à ma place.

C’est pendant notre trajet de retour en voiture que Marie est morte, a lâché prise, c’était le 17 juillet 2011, elle avait 46 ans.

C’était le moment. Arthur et les enfants savaient que c’était le bon moment, ils étaient prêts.

Je viens vers toi Jésus

Merveilleuse messe, j’étais au milieu des anges.

Je n’ai pas vu la détresse des enfants ni celle d’Arthur, car je m’étais cachée de leurs regards, à cause de mes cheveux encore si courts. Leur détresse était palpable dans l’atmosphère. Et le début de l’espérance aussi, portée par la voix cristalline d’une de nos amies.

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C’est Marie qui avait préparé toute sa messe.

La messe de Marie commençait par un chant merveilleux, Je viens vers toi Jésus.

Et c’est vrai que Marie venait vers Dieu, c’était visible et ça éclatait de partout.

Le dernier week-end à Carantec

Nous étions six, Marie, Aloÿse, Joséphine, Sabine, Corinne et moi.

Le plein de courses

Marie, dans la joie de nous recevoir avait fait un plein immense de courses, un caddie rempli à ras bord de nourriture.

Je n’ai pas compris comment elle avait pu réussir un tel exploit. C’est sûrement sa joie de vivre, son désir de nous recevoir, de nous faire plaisir, qui l’ont emportés sur la douleur incommensurable. Incommensurable, sa douleur ne devait pas avoir de limite, Marie était tout au bout de la souffrance, tout au bout de sa vie.

Pour moi, la jolie vie revient

Elle nous a donné une chambre avec vue sur la mer, vue sur sa vie, vue sur son passé déjà.

Ce week-end, elle l’avait organisé il y a si longtemps, elle voulait que je me repose à la fin de mes traitements lourds. Les séances de chimiothérapie que je suivais étaient terminées depuis trois mois déjà, et la radiothérapie qui avait suivie chaque jour venait de se terminer la veille de ce week-end. La veille…

Ensuite, elle avait élargi le groupe des invités, elle voulait tant faire plaisir.

Je me souviens que je n’avais pas noté la date de ce week-end à l’avance sur mon agenda, car Marie était si fatiguée, que je ne croyais plus à la réalisation de ce projet. C’était sans tenir compte de la volonté, la ténacité, l’acharnement de Marie.

Avec Adrien, nous avions passé deux jours avec Marie, Arthur et deux de leurs enfants. Puis, ils étaient tous repartis, je suis restée seule avec Marie, et ensuite, les amies nous ont retrouvées.

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C’est pendant ce dernier week-end à Carantec de Marie, que moi, je suis revenue dans la vie. Je suis partie courir le long de la mer, j’ai refait fonctionner mes poumons et les muscles de mes jambes. C’était bon. Je me suis arrêtée pour pleurer sur un banc, seule, avec mon petit bonnet sur la tête. J’étais si triste de voir Marie si affaiblie. Et puis je suis rentrée en souriant.

Nous étions si heureuses d’être là, toutes ensemble autour de Marie, Antoinette qui habite Nantes nous avait même retrouvées pour le dîner. Harmonie, paix et joie, mais la souffrance était là, plus forte que jamais.

Marie arrive au bout de sa vie

Nous avons dû rentrer avant la fin du week-end pour faire hospitaliser Marie en extrême urgence à Paris. Nous sommes restées auprès d’elle le plus longtemps possible et Corinne lui a laissé son étole noire en cachemire pour qu’elle ne prenne pas froid dans son petit lit d’hôpital.

Que de larmes avons-nous versées chacune chez soi à notre retour.

La dernière promenade avec Marie

C’était sur un ponton en bois le long de la Seine, en face de chez Marie.

Et là, nous étions plusieurs, Corinne, Aloÿse, Joséphine et moi. Marie était émerveillée par la simple vue de la Seine sous un simple rayon de soleil. Elle irradiait de joie, et elle contemplait. Elle ne voyait pas la même chose que nous, elle voyait plus loin, plus en profondeur, plus haut, en relief, en trois dimensions, quatre peut-être.

Là, elle nous a dit qu’elle s’était si souvent sentie accompagnée par la présence du Christ, qu’elle ne s’était jamais sentie seule. Elle s’est alors tournée vers moi et m’a demandé si moi aussi, puisque j’avais été malade, Il était venu me voir. « Non Marie, peut-être est-Il venu, mais je ne L’ai pas vu ou pas reconnu, à priori Il n’est pas venu me voir. Mais toi qui L’as vu, comment est-Il ? »

Elle ne voulait pas répondre en ce lieu, et je m’étais dit que je lui reposerai la question une prochaine fois, en tête à tête. Il n’y a pas eu de prochaine fois.

Les sœurs de sang

C’est sur ce ponton que Marie nous a remis à chacune un petit bracelet bleu ciel qu’elle avait choisi avec sa fille aînée. Elle a précisé que c’était un bracelet pour ses sœurs de sang.

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L’une d’entre nous a bien essayé de lui faire dire que c’était plutôt un bracelet pour ses sœurs de cœur. Non, Marie a insisté, « Ce sont des bracelets pour mes sœurs de sang ».

Que voulais-tu nous dire ce jour-là Marie ?

Autre réponse

Aujourd’hui, si je devais à nouveau répondre à la question de Marie, savoir si le Christ est venu me voir durant ma maladie, je répondrais différemment. Je répondrais qu’Il a toujours été près de moi, en moi, et que je ne le savais pas. Il était si près, et je Le cherchais si loin. Il fallait que se lèvent les voiles qui obscurcissent ma vue.

Le Crabe

Lorsque le Crabe a pris son dû, cet ignare, dans sa course folle, a laissé derrière lui sur le sable doux de Carantec et sur le ponton de bois au bord de la Seine, le sourire, la voix, les chants, les caresses et l’âme de Marie.

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Les briquets

Il y a quelques semaines j’ai trouvé un briquet sur notre balcon, un briquet rose de petite taille.

Aussitôt j’ai regardé dans la rue qui pouvait bien l’avoir lancé aussi haut. Personne en vue.

J’ai demandé aux enfants s’ils savaient à qui pouvait bien appartenir ce briquet. Ils ne le savaient pas, et je les ai crus.

Jusqu’à ce que je trouve un deuxième briquet, cette fois-ci rouge, sur le balcon…

Le tabac

Aujourd’hui Inès ne retrouve pas les clés de l’appartement. Les a-t-elles laissées à l’extérieur sur la porte de l’entrée quand elle est rentrée de La Noubida samedi à 4 heures du matin ? Vive inquiétude.

En les cherchant je tombe sur quatre paquets de cigarettes dans son sac. « Quatre, et pourquoi quatre ? Ne peux-tu pas les réunir dans un seul paquet ? C’est quoi ce binz ? Et puis d’abord, il ne faut pas fumer ! Chaque fois que tu fumes, il se produit une destruction dans ton corps. Il se passe toujours quelque chose quand on fume. Tu veux fumer comme ton grand-père ? »

Mon père était un grand fumeur, il consommait un paquet de cigarettes sans filtre par jour. Et ça, depuis des années. Le glioblastome, lui, il était bien content, il s’en est bien nourri.

Sur le paquet de ses cigarettes on voyait et on voit toujours une danseuse qui tourne et tourne encore avec sa longue robe bleue de gitane. Elle fait sa crâneuse. Il ne manque plus que le son, une musique de gitans, et l’odeur aussi, elle doit avoir mauvaise haleine.

Tous les matins, mon père toussait comme un malade. Il était vraiment malade, comme on dit, il crachait ses poumons. Ça faisait un bruit terrible.

Inès se justifie, ce n’est pas parce qu’elle a quatre paquets de cigarettes dans son sac qu’elle fume comme un sapeur. « Et puis d’abord toi Maman,

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tu as bien des bouteilles d’alcool dans la cuisine, et ce n’est pas pour ça que tu les bois ! »

Sans commentaire, je suis à bout d’argument.

Les ovaires et les trompes

Ça me fait penser que mercredi prochain, jour des enfants, je me fais retirer les ovaires et les trompes à l’Institut Curie. Inélégant bien que tout à fait exact.

Cette opération est préventive. Sécurité, minimiser les risques, génétique, récidive éventuelle, prophylaxie, risque, prévention, un choix possible et si vous le faites, faites-le rapidement, avant Noël.

Dire qu’on se fait retirer les ovaires ce n’est pas classe du tout. Et avec les trompes, encore moins. Avoir des trompes dans le corps… Trompes d’Eustache, non merci, ce n’est pas mon prénom. Trompe de chasse, ne dit-on pas plutôt cor de chasse ? Trompe d’éléphant, c’est trop énorme. Trompette de la mort, ça fait un peu peur. Allez, dans le doute on est prévoyant, on retire !

Se faire opérer quand on n’est pas malade, c’est le comble de la prévention. Mais il vaut mieux prévenir qu’essayer de guérir, n’est-ce pas ?

Bon les amis, ne me ratez pas, ce serait trop bête.

Dommage que StockOption ne soit pas mécène à l’Institut Curie, ça aurait eu de la gueule, j’y aurais été reçue comme une reine.

Certaines femmes dépriment à l’idée de ne plus avoir d’ovaires en elles. Moi, à mon âge, si je devais déprimer ce serait à l’idée de perdre mes cheveux une fois encore.

L’Institut Curie

J’y étais encore cet après-midi pour la visite pré opératoire. Souvent, dans la salle d’attente il y a quelqu’un à consoler. Pas aujourd’hui, et ça tombe bien, car aujourd’hui justement je ne suis pas d’humeur consolatrice.

Il y a toujours des femmes avec des cheveux très courts ou alors avec des perruques de toutes les couleurs.

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J’ai demandé à ma voisine la plus proche si elle se faisait opérer à la même date que moi, histoire de m’organiser pour le choix du lit dans la chambre, moi je préfère près de la fenêtre, et vous ? Et là, elle m’a déballé tout son pédigrée opératoire avec une fierté et une assurance incroyable. C’était la-chef-des-maladies-graves, elle avait plus mal que les autres, et depuis plus longtemps encore que les autres, et c’est pour ça qu’elle aurait une chambre pour elle toute seule, et aussi parce qu’elle n’aime pas les autres et leurs foutues visites. Et toc, et retoc.

Il y a des gens qui ont le goût de la compétition pour tout, les études, le sport, le salaire, le train de vie, la grandeur d’âme, et même la maladie.

Ça tombe bien qu’elle se fasse opérer avant.

Je ne suis ni une ancienne combattante, ni une combattante, je suis juste de passage, et tiens à le rester !

Les filles, bande de feignasses, c’est pas le moment de vous réveiller, je mets mon manteau et on rentre !

A bonnes entendeuses, salut !

La clé

Comme Inès a perdu sa clé, les filles ont eu peur qu’Adrien la cherche dans leurs chambres et s’énerve en voyant le bazar ahurissant qui y règne.

Alors elles ont rangé. Il y a quatre gros sacs poubelle remplis de vêtements, de chaussures et de trucs à donner ou à jeter dans le couloir de l’entrée.

Adrien est rentré, il était ravi de voir les sacs, enfin du rangement, pas trop tôt, on va enfin pouvoir circuler dans les chambres. Alerte, il n’était pas ravi pour la clé. Déjà, petite fille, Inès avait jeté la clé de l’appartement dans un sac en plastique contenant les restes de son pique-nique, dans la poubelle d’un square à l’autre bout de Paris.

Ambiance électrique.

La clé est finalement retrouvée dans un placard de l’entrée, quelqu’un, sans aucun doute Adrien, l’y avait mise par mégarde ou par souci du rangement, rien ne doit dépasser.

L’essentiel de cette histoire de clé sans intérêt, c’est que les chambres sont rangées.

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Demain, j’ai mon rendez-vous avec la RRH pour préparer mon bel avenir au sein de La Nouvelle Economie de StockOption.

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Préparation de mon rendez-vous avec la RRH

Chaque matin en me rendant à mon bureau par le Météor, juste avant d’arriver Gare de Lyon, le Météor me prévient gentiment : « Gare de Lyon, Gare de Lyon » susurre d’abord une voix féminine, « A cette station, descente à gauche » reprend une voix d’homme plus directive. Impeccable duo.

Il n’y a plus que les escaliers à monter ou l’escalator à prendre.

Pour les escaliers, il faut oublier. Ils sont huit de front à les descendre, aucune file de libre pour ceux qui montent. Et là, on ne plaisante pas.

On ne plaisante pas non plus devant l’escalator. La consigne aux heures d’entrée et de sortie de bureau est claire et il y en a assez de la répéter :

Je veux deux files :

A gauche de la première marche de l’escalator, ceux qui sont pressés et qui montent les escaliers de l’escalator en même temps que l’escalator monte tout seul

A droite de la première marche de l’escalator, ceux qui sont moins pressés et se laissent porter par l’escalator qui monte tout seul.

Ceux qui ont une valise doivent la poser sur la marche devant eux ou sur la marche derrière eux, pas à côté !

Et que ceux de droite qui bavardassent ou flânent, restent sur leur file ! Flâner, un mot qu’on n’emploie plus, on n’en a plus le temps.

Et enfin après les portillons, au bout du couloir, à droite les escaliers et à gauche l’escalator de la sortie au grand air. Je choisis de prendre les escaliers, et monte les marches en vitesse rapide. Trop fort. Ouf, ça y est je suis dehors. Je mesure alors mon ChronoSouffle intérieur : suis-je plus ou moins essoufflée qu’hier ? Si c’est moins, une belle journée commence et mon rendez-vous se passera bien.

Tant mieux, je suis moins essoufflée.

La foule n’était toujours pas de bonne humeur.

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Les vœux de la Direction

Arrivée dans mon bureau, je trouve les vœux de la Direction Générale, envoyés par mail à chaque collaborateur.

A vous, à vos proches, très belle, heureuse année, plan personnel, professionnel, santé, bonheur, projets majeurs, simplification, cession, mise en œuvre opérationnelle, modèle, efficacité opérationnelle, réalisation, projet, essentielle, plan stratégique, bases solides, nouvelles frontières, plan de développement, satisfaction, développer, contribuer à la réussite, aller plus loin ensemble, franchir de nouvelles frontières, mobilisés, action collective, relever les nouveaux défis, ambitions, nouveau plan stratégique ambitieux, et enfin, vous remercie pour votre travail et votre implication dans le développement de StockOption.

Ils comptent sur notre engagement pour relever les défis de 2014.

En tout cas, ils peuvent compter sur moi.

Merci la Direction générale, sympa d’envoyer des vœux !

J’arrive à mon rendez-vous avec la RRH.

Cette fois-ci je ne l’ai pas oublié, j’avais même mis une alarme à mon téléphone portable.

J’ai préparé une liste de questions sur la mobilité, être pro actif, quand, comment, sur la formation, laquelle, quand, comment, sur les missions possibles, qu’est-ce qu’une mission, où, jusqu’à quand, sur le reclassement externe, quand, comment, et sur l’éventualité d’un plan social.

J’arrive au 16ème étage, à l’heure.

La RRH m’avait oubliée, elle avait un rendez-vous téléphonique avec quelqu’un d’autre, elle est déjà au téléphone avec ce quelqu’un d’autre.

La RRH est blonde, une vraie je crois, pas comme moi. Elle a l’air gentil. Elle est désolée, s’excuse.

Rendez-vous est pris pour jeudi, dans deux jours.

On va finir par y arriver.

Je reviens à mon bureau et mange trois chocolats Ferrari Rocher.

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Grandir autrement,

grossir.

Albert est aux Maldives

Albert vient de se marier avec Paola la ravissante. Ils se sont rencontrés à StockOption, pour le meilleur.

Paola est brésilienne, et ses yeux sont bleus comme l’azur. Albert est dans une bulle de bonheur.

Les voici partis en voyage de noces aux Maldives, les pieds dans l’eau, et même plus.

Cocktails, apéritifs, bains, balades pour eux. Nous pendant ce temps-là, on bosse, on n’entend plus la grosse voix d’Albert, et c’est bien triste.

Profitez-en bien les amoureux !

Albert rêve qu’un jour avec Paola, ils iront au Brésil s’installer et reprendre la gestion d’une pousada. La pousada, c'est le bed and breakfast du Brésil, certaines sont dans des endroits paradisiaques. Comme dit Albert, « C’est cool, rien à faire après le petit déjeuner, toute la journée pour buller, et le soir aussi. »

Bon voyage les amis !

Léna et compagnie

Hier, Léna est allée tester un spa très particulier, un spa dans lequel ce sont des petits poissons qui font les gommages. Finis les problèmes de CDI, CDD, les poissons n’ont même pas besoin de formation ! Il suffit de mettre ses pieds nus dans un bassin, et d’attendre qu’ils se nourrissent des peaux mortes. Léna a mis une photo de ses pieds sur Facebarbe, on peut tout mettre sur FaceBarbe.

Gabriel porte une cravate aujourd’hui, ça sent le rendez-vous. Avec qui Gabriel a-t-il rendez-vous ?

Lintellect vient prendre un café avec sa tasse jaune qui attire tant de convoitise, pense-t-il. Il est en jean et porte sa veste de costume. Il n’est pas très motivé, et dit qu’il ne reçoit plus que deux mails par jour.

Emmanuel aussi est venu prendre un café. Emmanuel est un Senior

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Banker, et un habitué de notre cafetière ExpreSo. Ça le détend de venir dans notre bureau. Comme un élastique.

Tiens donc, que fait donc un Senior Banker dans nos bureaux ? StockOption vend des élastiques, pas des portefeuilles ! Senior Banker, ça a de la gueule, ça fait coffre-fort allemand, bunker. Moi, je suis juste senior.

Se détendre. Cela me rappelle une réponse d’une parente à laquelle un dimanche après-midi je proposais une tasse de thé : « Non merci, je ne suis pas malade ». Mais le thé ce n’est pas que pour les malades, c’est détendant. « A condition d’être tendue ». Plus jamais je ne lui ai proposé de thé, même vert.

Cet après-midi, une Galette des rois est prévue au 9ème étage. Il s’agit d’un pot de départ, encore un, pour une collègue Lucie dont la bonne humeur et la voix de stentor vont nous manquer. Le stentor, il y a bien longtemps, c’était le crieur de l’armée des grecs lors de la Guerre de Troie. C’est tout dire. Lucie aussi a un rire de stentor, si ce n’est qu’en vrai, les stentors ne devaient pas rire du tout.

Raphaëlle s’est acheté un bonnet de bain très spécial pour ses cours d’aqua zumba, un petit bonnet noir qui ne ressemble pas du tout à mon bonnet de piscine. Celui-ci a un petit côté désuet, il a une sorte d’excroissance pour bien y serrer ses cheveux. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour l’aqua zumba.

Carole

Une nouvelle stagiaire vient s’installer dans notre bureau, pour dix-huit mois.

Ça va être instructif pour elle de voir comment un service se dissout.

Il suffit de le tremper dans l’eau bouillante, avec un sachet de thé vert, sans sucre s’il vous plait.

C’est la stagiaire qui va nous survivre, nous allons tous la quitter un par un, en bien moins de dix-huit mois.

La galette

« La galette » était bien sympathique, cidre rosé et champagne. C’est Gisèle qui a commandé les galettes au gérant du restaurant d’entreprise, et qui coupe les parts. Marc a pu compléter sa collection de capsules de bouteilles de champagne, il y a eu une reine et un roi, la reine n’a pas

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voulu porter sa couronne, Lucie était heureuse.

Au revoir Lucie !

Lucie nous quitte en pétaradant.

Je réalise que le bureau d’Isabelle est toujours bien rangé et que Raphaëlle ne chante plus du tout. Raphaëlle ne chante plus. Rechantera-t-elle ?

Je pars, le Crocodile Vert est lumineux.

J’éteins les lumières du bureau.

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Mon rendez-vous avec la RRH

Notre RRH s’appelle Marguerite, elle est blond-vénitien, c’est-à-dire blonde avec des reflets roux qui rappellent la couleur des hôtels si particuliers de Venise. Elle sourit, en fait, seule sa bouche sourit. Ses yeux ne sourient pas. C’est triste une femme qui ne sourit pas pour de vrai.

Il faut dire qu’être RRH en période de Plan d’adaptation des effectifs, ça ne doit pas faire rire tous les jours. Durant toute la période du Plan, elle aura plutôt les fonctions d’une RRI, Responsable des relations inhumaines. Ça ne doit pas être facile pour elle. Pauvre RRH.

Et nous voilà assises toutes les deux autour d’une petite table ronde dans son bureau. La table ronde est un des premiers signes de pouvoir, tout le monde n’a pas une table ronde dans son bureau.

Et nous voici à parler annonces RH, liste de diffusion, liste restreinte, priorité, ateliers, refaire son cv, enquête métier, préparation aux entretiens, bilan professionnel, bilan de compétences, compétences acquises, structurer son parcours, heures financées.

Et si en juin, je n’ai pas trouvé de mobilité, je pourrais être en mission. Etre en mission, ce n’est pas être détective, espion ou aventurier, c’est rester dans son bureau au bout du couloir ou aller dans un autre bureau, exécuter une tâche précise. Ouf, j’ai eu peur, je ne suis pas Bond, James Bond.

Je dépendrais alors toujours de mon actuel directeur qui ne resterait mon directeur que de façon formelle, pour de rire. En réalité, pour de vrai, il y aurait une délégation, et je dépendrais de celui qui me superviserait dans ma mission. C’est rassurant de se sentir supervisée.

Et bien sûr, c’est la DRH qui me proposera des missions. Je pourrais bien évidemment refuser de partir en mission. « Non merci, passez votre chemin, j’ai mieux à faire, je dois regarder le Crocodile Vert par ma fenêtre ».

Ça ressemble à un placard à balai, avec un vieux seau d’eau croupie et trois pinces à linge. Ma belle-mère dit épingles à linge.

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Et le Monsieur de la plante verte du bureau, je ne le verrai plus ? Et les bannettes des courriers Départ et des courriers Arrivée, on va les retirer de mon bureau ? Aurais-je encore un bureau dans lequel je pourrais ranger mon agrafeuse, ou est-ce que je vais devoir me déplacer de mission en mission avec elle et ma boîte d’agrafes?

Je reviens à mon bureau sans fanfaronner, formalise ma demande d’accès prioritaire aux petites annonces RH ainsi que ma demande de bilan professionnel, et mange deux carrés de chocolat aux oranges amères.

L’année commence bizarrement, je ne sais pas trop quoi en penser.

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L’opération à l’Institut Curie

Me voici à l’Institut Curie, on vient de me retirer les ovaires et les trompes.

Je suis seule dans une chambre, et j’ai du temps pour penser.

Ensemble, prenons le cancer de vitesse. C’est la devise de l’Institut Curie.

Et là, c’est exactement ce que je fais, le prendre de vitesse. Je retire les ovaires avant que le cancer puisse s’y installer. Et toc, il ne sait plus où aller, bien fait pour lui.

Je vous l’avais bien dit les filles, allez croquer ailleurs,

je ne ferai pas restaurant !En attendant, les filles, bande de feignasses,

continuez à dormir, je fais ma valise et on rentre à la maison !

Mon père savait-il qu’il allait mourir ?

Six mois avant sa mort, le neurologue m’avait tout dit.

La veille du jour où le neurologue m’a parlé, mon père était allé le voir en consultation, accompagné de ma mère. Et là, ni l’un ni l’autre n’ont posé la question, la grande question : vais-je guérir et continuer à vivre, ou ne vais-je pas guérir et combien de temps me reste-t-il de cette jolie vie ?

Je pensais qu’il ne voulait pas savoir. Aujourd’hui je crois qu’il savait.

Il savait parce que c’est un de nos amis radiologue, Jérôme, qui a vu le premier le scanner du cerveau de mon père. Quand il a vu la taille du glioblastome, il a posé sa main sur l’épaule de mon père et lui a juste souri, comme un ange blanc.

Je dirai à mon fils Antoine qui passe le concours de l’internat cette année, je lui dirai que c’est bien de toucher l’épaule d’une personne qui n’a

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plus tant de temps que ça à vivre.

Il savait parce qu’il a été opéré juste avant Pâques, et que le Jeudi-Saint une infirmière lui a lavé les pieds. Il a dit qu’il avait pensé très fort au Christ avant Sa crucifixion, quand Il demandait à Dieu son père d’éloigner de Lui cette coupe, juste avant de l’accepter.

Il avait compris, il savait. Il n’a jamais abordé le sujet de la mort avec nous. Il savait mais ne voulait pas y croire.

Savoir ou ne pas savoir

Je n’ai laissé le choix à personne, j’ai tout dit de cette fin prochaine à ma mère et à mes sœurs.

Ma mère n’avait pas pris la mesure des choses à ce point. Mon père était invincible. Pour elle, savoir c’était mourir un peu.

Stéphanie était si loin, elle ne pouvait ni ne voulait croire en la fin prochaine de cet homme si vivant et si passionné. Pour elle, savoir c’était cautionner.

Caroline, fragile encore, ne pouvait pas envisager de perdre cet appui, ce compagnon de tous ses jours heureux et malheureux. Pour elle, savoir c’était souffrir.

Pour Béatrice, savoir c’était combattre.

Et pour moi, savoir c’était accepter.

Le temps qui reste

C’est là que j’ai pris conscience de la notion de temps qui reste, ce temps merveilleux dont Marie a profité avec une telle intensité. Ce temps qui reste à chacun doit être un temps de paix intérieure, de paix avec les autres, et avec Dieu aussi.

Profiter de la vie, ce n’est pas en jouir, c’est vivre intensément des moments simples du présent, le sourire de ses enfants, le soleil sur sa peau, le vent doux sur son visage, les feuilles d’automne qui tombent des arbres.

Profiter de la vie, c’est oser dire je t’aime à ceux qu’on aime, se réconcilier, pardonner, se faire pardonner, se pardonner à soi-même, prier pour ceux qu’on aime, prier pour ceux qu’on n’aime pas, arriver à donner un peu plus de place à Dieu.

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La voix de Marie

Le message d’absence du téléphone fixe d’Arthur, Marie et les enfants était dit par Marie.

Quand on entendait ce message on ne faisait pas qu’entendre la voix chantante de Marie, on voyait aussi ses yeux qui pétillent et son sourire lumineux.

Arthur a mis près de deux ans à retirer ce message de son téléphone, il voulait l’entendre toujours. Ses enfants aussi sans doute.

A la demande d’Arthur, un jour, Adrien a enregistré la voix de Marie et la lui a remise sur une petite clé USB. Arthur l’écoute-t-il toujours ?

Elle était si jolie la voix de Marie. Et son rire aussi.

La révolte et la consolation de Marie

Une fois, une seule fois, j’ai entendu Marie se révolter. C’était lors du dernier Vendredi-Saint qu’elle a vécu. Elle était en Bretagne. Elle m’a crié sa révolte au téléphone, elle ne voulait pas participer au Chemin de croix, elle ne voulait pas entendre parler des souffrances du Christ, elle avait ses propres souffrances et n’en pouvait plus de souffrir. Et moi je l’écoutais.

Ensuite, j’ai appris qu’elle s’y était rendue, j’ai compris qu’après sa révolte, juste après sa révolte, Marie avait reçu la consolation et retrouvé l’espérance.

Marie, qui est Celui qui t’a consolée ? Qui est Celui qui t’a rendu l’espérance ?

Est-ce Celui dont tu nous as parlé sur le ponton de la Seine ?

Je suis si heureuse

Le 3 juillet 2011, le jour où un ami a pris la dernière photo de Marie et de nous tous à la sortie de la messe, le jour où le cousin d’Arthur, Evêque, était venu en visite concélébrer la messe du dimanche dans notre paroisse, ce jour là où Marie était à la veille de s’éteindre, où elle n’était plus qu’un souffle et plus qu’un sourire, alors que je m’inquiétais auprès d’elle de sa santé, elle me répondit avec un sourire lumineux et un visage comme transfiguré

« Si tu savais, je suis si heureuse. »

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Chapitre suivant

La secte

Voici la secte, en trois mouvements :

1 - La mise en scène

J’étais en classe de première ou de terminale et ne savais pas quelle orientation choisir, médecin (j’ignorais à ce point que je n’avais ni la formation ni le niveau pour ce type d’études), kinésithérapeute (jusqu’à ce que je réalise que c’est un métier de fort contact physique et d’endurance), assistante sociale (Bac F8 oblige), avocate (pour faire de belles plaidoiries), actrice (je ne sais jouer que La femme juive de Brecht et ce n’est pas avec ça qu’on gagne sa vie), etc.

Ma mère a cru bien faire en prenant un rendez-vous pour moi avec une conseillère qui pourrait m’aider à faire le tri dans mes aspirations.

Le problème, c’est qu’à ce moment de sa vie ma mère était encore en dépression. Il faut savoir qu’une personne dépressive, en difficulté d’être, n’attire pas les personnes qui sont bien dans leur vie et qui préfèrent rester entre elles, bien au chaud. C’est humain. C’est donc une dame pas très bien dans sa vie qui a donné l’adresse de cette conseillère à ma mère, une conseillère qui disait-elle, avait très bien aidé sa propre fille, Violaine. Quelle aubaine !

Violaine était dans la classe de ma sœur Béatrice, et je l’avais déjà vue. Très maigre, anorexique on dirait peut être aujourd’hui, avec des dents toutes décalcifiées, toutes noires et qui se chevauchaient. Une aubaine ?

Et nous voici, ma mère et moi devant la porte d’une maison à l’ouest de Paris.

Hasard, en entrant, nous retrouvons Violaine, assise dans la salle d’attente. Et surprise, elle était bien en forme, paraissait avoir repris les kilos manquants, et, avait un sourire éclatant, toutes ses dents étaient bien alignées maintenant, et elles étaient toutes blanches ! Une métamorphose.

On se dit bonjour, comment tu vas, moi ça va et puis voilà.

Arrive un jeune homme blond comme un ange avec un énorme bouquet de fleurs. Magique. Il nous dit bonjour avec un sourire éclatant, et là, dans

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un rayon de lumière il monte les marches de l’escalier en face de nous, en tourbillonnant, pour offrir ce bouquet à la conseillère. Magnifique vision.

On entend le jeune homme remercier la conseillère pour tout ce qu’elle a fait de bien pour lui, et ensuite il repart. J’ai le temps de les imaginer dans une pièce inondée de soleil, lui, charmant, et elle, d’une bonté toute maternelle. Tout est calme, serein et presque joyeux. L’entrevue s’annonce plutôt bien.

2 - L’étau se resserre

Arrive l’heure de mon rendez-vous. Je comprends que je dois monter seule, alors je monte les marches.

J’arrive dans une pièce assez sombre, je crois que les rideaux sont tirés. La conseillère est assise devant une grande table, et moi je dois m’asseoir en face d’elle. Il y a de la distance entre nous.

Et là, elle ne me dit rien, même pas bonjour. Elle ne dit rien, je n’entends que son silence, et ne vois que ses yeux dans mes yeux. J’entends, je finis par entendre et par très bien entendre le bruit que fait le balancier d’une grosse horloge posée sur une cheminée juste derrière elle. Et je vois le balancier qui se balance, à droite, à gauche, à droite, à gauche encore et encore. Tic-tac, tic-tac à l’infini.

Comme un pendule…

Elle ne sourit pas, elle a l’air d’un poisson mort, un poisson mort avec des yeux de pieuvre, c’est à dire, avec plein d’yeux partout.

Je suis mal à l’aise, et ce, de plus en plus.

Elle ne parle toujours pas et me fixe du regard, les bras croisés devant elle sur sa grosse poitrine. Je n’entends plus et ne vois plus que le balancier de la pendule et les yeux de la conseillère. Tic-tac, tic-tac. Même le balancier a des yeux.

Je suis comme hypnotisée, happée, prisonnière, et là, au bout d’un temps que je n’estime pas, je m’écroule, je pleure.

Je pleure et je parle. La dépression de ma mère, l’autorité de mon père, les garçons avec une mouche au bout du sexe, je dis tout. Je ne dis pas tout, je le sais bien aujourd’hui, je ne parle pas de l’amour de mes parents.

Et elle s’empare de cette face, de ces pièces sombres et isolées du puzzle, elle me veut pour proie et pense qu’elle a gagné. Tout ça, sans

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qu’elle parle, sauf bien sûr pour fixer la prochaine date. Rendez-vous est pris pour la semaine suivante.

Sur le trajet du retour en voiture avec ma mère, on rit joyeusement. Qu’est-ce-que j’ai pu dire sur mon père, c’est la première fois et ça fait du bien.

« Tu as pleuré me demande ma mère ? Et ton orientation, tu sais mieux quoi faire ?

Oui j’ai pleuré et c’est bizarre de pleurer devant une conseillère, et non, nous n’avons pas parlé d’orientation. Sans doute est-ce pour le prochain rendez-vous ? »

3 - Le discernement

Et le soir ma mère a parlé avec mon père. Et la nuit est passée. Et le lendemain ma mère me disait que non, je n’irai plus voir cette conseillère, que tout ça est trop bizarre, pas net, pas sain.

Ouf, sauvée ! Sauvée par l’amour et le discernement de mes parents !

Maman, heureusement que tu t’es réveillée à temps, tu m’avais emmenée sans le savoir jusque dans la gueule du loup. Tu m’en as retirée à temps.

Cette conseillère, n’est bien sûr pas du tout une conseillère, c’est Madame P., grande fondatrice et prêtresse, gourou, d’une secte destructrice, déstructurante et déshumanisante. Un genre secte Moon, version française, en format plus familial et tout aussi lucratif.

Bien sûr ce n’était pas par hasard que Violaine a été rencontrée dans la salle d’attente. Elle avait été relookée, les vautours avaient investi sur elle, coiffeur, maquillage, nouveaux vêtements seyants, et surtout un dentier d’une blancheur immaculée. Retour sur investissement : zéro. J’espère qu’ils lui ont quand même laissé son dentier, il lui allait vraiment bien. Nous avons su après qu’elle est entrée à fond, pour la vie et pour la mort, dans cette secte. Ses parents n’ont jamais pu la revoir. Adieu jeunesse, famille, innocence, espérance. Place à l’esclavage, la séparation, la domination, le rejet. Adieu la vie et la lumière, vive l’obscurantisme et l’obscurité.

Le jeune homme aussi était prévu. Sans doute devait-il tourbillonner ainsi avec ses fleurs à chaque nouveau rendez-vous. Le même bouquet à chaque fois ? Avec les mêmes mots ?

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Et si la proie est un garçon ou un homme, c’est une jeune fille qui vient tourbillonner avec ses fleurs ?

Hey Dieu, Tu ne devais pas être bien loin de moi ce jour-là. Merci d’avoir inspiré le discernement à mes parents.

Si je n’étais pas bienveillante, je dirais que cette dame est une grosse salope, une immonde saloperie. Je crois maintenant qu’il ne faut pas être bienveillant avec tout le monde, alors je dis que c’est une grosse salope, une immonde saloperie.

En écrivant ces derniers mots, je réalise que l’appartement est inondé de soleil.

Mes premières recherches d’emploi

Avoir en ma possession un DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies) de Paris II (Assas-Panthéon), en ayant choisi comme matières approfondies le droit de la famille et le droit des sociétés, ne m’a pas permis de trouver si facilement que ça un job.

J’ai eu plusieurs expériences originales, voire déstabilisantes. J’en ai sélectionné trois.

La première, c’est quand un avocat, dans un cabinet de Conseil juridique, a posé sa main sur mes fesses lors d’un l’entretien, après m’avoir caressé la nuque. Le plus drôle, c’est que je portais un pantalon à carreaux et à taille élastique. Et donc, quand j’ai reculé, et comme il devait bien tenir mon pantalon, celui-ci s’est retrouvé béant, c’était très gênant. J’aurais dû porter plainte. Ah les petites annonces !

La deuxième, c’est quand ça y est, je trouve un job dans une association immobilière (j’ai aussi fait du droit immobilier). Alors là, je suis contente, mais on m’explique qu’il n’y a pas de place pour moi avec les autres collaborateurs. On me montre alors mon bureau, et pour ce faire, il faut d’abord sortir, prendre l’escalier de service, puis monter les marches jusqu’au dernier étage, et quand on arrive dans une chambre de bonne dans laquelle il y a juste un lit et un bureau avec un téléphone, on m’explique que c’est là. Ils auraient au moins pu retirer le lit !

La troisième ressemble à la seconde mais en mieux. Je trouve un job dans un cabinet de commissaires aux comptes, dans un beau quartier de Paris. Durant trois jours je suis une formation avec les comptables du cabinet sur le nouveau plan comptable, formation à laquelle je ne comprends absolument rien, même après avoir essayé. Et ensuite, on m’explique que pareil, il n’y a plus assez de place pour moi dans ce

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cabinet. Je pars en voiture avec un collaborateur, à l’air un peu pas net on va dire. Nous voici dans le quartier du Sentier, devant un bel immeuble haussmannien, entièrement déserté. Troisième étage, nous arrivons dans ce qui a dû être une société, mais tout ici est laissé à l’abandon, comme si les gens avaient fui, même la moquette est lacérée. Il y a des livres par terre. Il en ramasse quelques-uns, et me dit que maintenant c’est à mon tour de mettre de l’ordre là-dedans, de créer toute seule dans cet immeuble, le service juridique. A ce moment-là, juste avant de me quitter et de me laisser seule dans cet appartement glacial, il me demande goguenard si je veux profiter de ce moment pour oser poser toutes les questions sur tout ce que j’ai toujours voulu savoir sur le commissariat aux comptes sans jamais oser demander…

Du très mauvais Woody Allen.

J’en frémis encore de peur.

Ouf, il part. Je suis plutôt contente d’être seule, même si je ne suis pas très rassurée. Je ramasse les livres tombés sur le sol, et les range dans une grande bibliothèque vide. Au hasard, j’ouvre un tiroir de bureau et y trouve des serviettes hygiéniques. Je ne me sens vraiment pas très à l’aise.

Je décide de faire le tour des pièces de ce bureau. Tout au fond d’un couloir haussmannien, j’y verrais bien des loups moi dans ce couloir, se trouve une chambre avec un grand lit fait ou défait je ne sais plus, et sur ce lit une robe de chambre masculine est posée. Quelqu’un a dormi ici.

Juste à côté, se trouve une petite salle-de-bain, avec brosse à dents, dentifrice et blaireau. Quelqu’un habite ici.

Mais qui est le blaireau dans cette histoire ?

Comme je suis scrupuleuse, j’ai rendu les clés le lendemain matin. J’aurais dû les balancer dans la Seine pour que le Crocodile Vert les avale. Le Crocodile Vert n’existait pas encore, dommage.

D’où ma joie immense lorsque j’ai obtenu un vrai job dans une vraie société, avec un vrai bureau, un vrai numéro de téléphone et une vraie agrafeuse bien à moi, avec des agrafes par centaines, par milliers, par myriades.

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Chapitre suivant

Auguste Renoir ou Léonard de Vinci

On m’a raconté que lorsque Marie était dans le coma, juste avant de mourir, allongée comme une reine sur son lit au centre de la grande pièce du service de réanimation de l’Hôpital P., ses enfants avaient appliqué du vernis foncé sur les ongles de ses mains et de ses pieds pour qu’elle souffre moins.

J’ai ressenti toute la beauté de cette scène, tant d’amour, de tendresse et d’attention. J’ai vu des sourires mêlés de larmes retenues, entendu des propos échangés à voix basse pour ne pas déranger, des non-dits, des silences délicats, imaginé les miettes du goûter des enfants, les plis de la chemise de nuit que l’on étale bien, le drap que l’on remonte, l’oreiller que l’on redresse, j’ai senti l’odeur du vernis à ongle, de l’éther et des biscuits du goûter et j’ai entendu un rire aussi, car Arthur a toujours su propager de la joie, la joie d’être ensemble, une dernière fois peut-être.

Si j’étais Auguste Renoir ou Léonard de Vinci, c’est cette scène là que je peindrais. Cette scène-là, exactement.

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Chapitre suivant

Dieu

Dieu a de l’humour.

Ah, tu voulais rester à me guetter trois jours durant devant mon tombeau

afin de vérifier ma résurrection ?

Alors Il m’a attendue, au milieu de la foule des pèlerins et des touristes, dans l’ombre et la lumière, à Jérusalem, au sein du Saint-Sépulcre lui-même. Il est patient, Il a attendu qu’un jour je prenne l’avion avec ma grosse valise, Il ne s’est pas moqué de la taille de ma valise, et Il m’a surprise, comme une brise ou un éclair, comme un zéphir ou une tornade.

Hey Géraldine, tu sais, Je t’ai attendue longtemps,

Je suis si heureux que tu sois là aujourd’hui.

M’aimes-tu ?

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Deuxième partie

Voir

Charles Péguy :« Ça se voit trop que j’existe, dit Dieu, j’éclate dans ma création. »

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Premier chapitre de la deuxième partie de la ballade

Le 31 décembre 2013, réveillon avec des amis

Un dîner délicieux avec des amis de cœur.

On s’est bien amusé, on a bien ri des cailles farcies au foie gras qui avaient l’air un peu dévergondées dans nos assiettes, leurs petites cuisses bien écartées.

Tout était préparé si agréablement.Et voilà une année qui se termine bien, et une autre qui s’annonce !

On s’embrasse, et on se souhaite mille vœux de bonheur, de réussite et de santé.

Bonne année !

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Chapitre suivant

L’arrêt maladie

« Etre arrêtée », c’est bénéficier d’un arrêt de travail, ce n’est ni arrêter de respirer, ni arrêter de vivre, ni être interpellée par les forces de l’ordre bien sûr.

C’est à la suite de mon hospitalisation à l’Institut Curie (qui c’est celui-là ?), que j’ai été arrêtée durant quatre semaines.

Dans quel état vais-je retrouver la plante verte du bureau après le détartrage de la machine à café ? La résistance de cette plante doit bien avoir des limites.

En tout cas j’ai hâte de revoir l’eau frémir avec Jeanne.

Le Crocodile Vert est-il toujours là ? Qu’attend-il ?

Le retour

Le premier matin de ma reprise de travail à StockOption, dans le métro, sur le quai du Météor, en slalomant dans la foule j’ai heurté une femme qui me croisait. C’est bien la première fois que je heurte une personne. J’ai mal joué, j’ai perdu, je dois me ressaisir et faire mieux demain.

Avant de monter en vitesse rapide le dernier escalier qui mène à l’air libre de Paris, j’ai failli prendre l’escalator. A la dernière seconde l’amour propre m’a fait changer de cap, le ChronoSouffle aussi sera à améliorer demain.

La foule n’est toujours pas de bonne humeur.

En arrivant dans mon bureau, après quatre semaines d’absence, quelle ne fut pas ma surprise d’être accueillie par Jeanne et des viennoiseries, Raphaëlle et un jus d’orange, et Farid et des croissants délicieux.

Jeanne m’a dit qu’en prévision de mon retour elle a détartré la machine à café, et qu’elle a fait attention à ne rien jeter dans la plante verte du bureau, même en l’absence de Gisèle.

Arrivent LePrésident et Gabriel. Ils reviennent d’une semaine à la montagne, sont ravis mais pas très bronzés. Le temps n’a pas dû être très ensoleillé, dommage pour leur moral. Je ne sais pas où ils en sont dans

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leurs recherches de mobilité. Pistes, rendez-vous fructueux, infructueux, contre rendez-vous, espoirs, espérances. Patience.

Et sur une musique de « J’aime la galette quand elle est bien faite », arrivent Albéric, Lintellect et Lotfi. En repartant ils nous assurent avoir un répertoire plus large. Raphaëlle est rassurée et demande à avoir un droit de contrôle sur leurs choix musicaux.

Un déjeuner est prévu pour dans quinze jours à la Crêperie Les Embruns, avec Jeanne, Raphaëlle, Albert, Gisèle, Léna et Christelle !

J’ai hâte d’avoir des nouvelles de l’incubation de Christelle, comment gère-t-elle ses actifs ?

Nous traversons la Seine pour nous rendre à l’auditorium dans lequel le patron de notre pôle va nous parler de La Nouvelle Economie.

Mon directeur est cité à plusieurs reprises, visiblement c’est l’homme de la situation, l’homme de confiance, le rouage indispensable. C’est lui qui accompagnera et mettra en place les nouvelles mesures. Notre patron nous explique que mon directeur est posé et mesuré, sage dans ses analyses, qu’il l’apprécie tout particulièrement, et, à bon entendeur salut, qu’il n’est en concurrence avec personne.

De plus, il connaît la maison, il connaît tout le monde, même moi.

Avec lui, la nouvelle organisation ira plus loin et plus vite !

J’ai de la chance d’avoir pour directeur un homme aussi sage.

J’ai vu les petites annonces RH, rien pour moi pour l’instant. Ils cherchent un responsable pour le pôle courrier…

Une journée non particulière

Ce matin je n’ai percuté personne, j’ai juste failli me faire écraser les pieds par deux péronnelles retardataires qui voulaient se jeter en un dernier bond dans le Météor sans aucun égard pour quiconque et encore moins pour moi.

La foule n’est donc jamais de bonne humeur ?

Confortablement assise dans le Météor, les préoccupations de chacun de mes voisins me viennent à l’esprit : « Qu’est-ce que je vais faire ce soir pour le dîner, j’espère que j’ai bien fermé la porte à clé derrière moi, je suis en retard à mon rendez-vous, j’ai mal au dos, j’ai mal dormi, pourquoi

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est-ce que je vais perdre encore du temps à cette réunion, il faut que j’appelle mon père, mon propriétaire a augmenté mon loyer, mon boss m’exaspère, je n’ai pas le temps d’aller au cinéma, il faut que je change de lunettes, où aller en vacances cet été, toujours pas d’augmentation de salaire en vue, pour qui voter aux municipales, je vais mettre le feu, il faut que je vois mon médecin, c’est quoi un glioblastome, qu’est-ce qu’il a à me regarder comme ça celui-là… »

Du 7ème étage, la Seine a une couleur d’aquarium sale, et les reflets verdâtres du Crocodile Vert accentuent cette vision d’eau croupie. Il y a une multitude de poissons morts autour de nous, des gens qui ne sourient jamais, qui n’ont pas de petite lueur dans le regard. Aujourd’hui, c’est certain, la Seine doit regorger de tous ces poissons morts. J’espère qu’ils y sont heureux et que sous l’eau ils retrouvent, ou trouvent, le sourire.

Albéric et Lotfi prennent un café, Albéric chante « Tous les légumes ont envie de s’amuser zé. » Heureusement que Raphaëlle n’est pas là, elle n’apprécierait pas ce choix.

Gabriel porte une cravate, il a sûrement un rendez-vous, encore un. LePrésident mime au ralenti un coup droit terrible en tennis, il imite très bien la balle avec sa bouche, il est trop fort. Ils repartent tous en dansant.

Notre stagiaire Carole m’inquiète. Après avoir été une excellente écuyère, avoir donné des cours d’équitation, fait du dressage de chevaux de courses, une très mauvaise chute lui a fait mettre fin à sa carrière en lui laissant des séquelles quasi irréversibles, des douleurs insoutenables aux vertèbres cervicales. La voici étudiante, prête à se reconvertir dans le monde de la finance. Elle est courageuse.

Raphaëlle rechante. Ce matin je l’ai entendue chanter « Capri, c’est fini » et ensuite « Il est mort le soleil, il est mort le soleil quand tu m’as quittée ». Jeanne trouve que ce sont des chansons tristes. Qu’est-ce qui rend Raphaëlle triste ? En tout cas, ce qui est bien c’est qu’elle rechante. C’est un début.

Emmanuel découvre notre stock de pastilles Vicha et nous dit que cela lui évoque sa grand-mère qui lorsqu’il était petit faisait chaque été une cure à Vichy. Un moment de nostalgie lui redonne le goût de certaines sources, Chomel, Grande Grille, Célestins, Hôpital. Sa grand-mère lui offrait des cadeaux, il aimait bien aller lui rendre visite. Lui, n’aime pas les pastilles Vicha, il préfère les sucres d’orge. La couleur blanche des pastilles Vicha lui rappelle celle des médicaments.

Hier, j’ai donné une de mes recettes de gâteau, la recette du financier glacé au citron. Aujourd’hui, ils sont déçus que je n’en aie pas apporté un,

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un modèle, un test, une occasion de se délecter. C’est l’heure du thé, et un bon gâteau aurait été le bienvenu.

Raphaëlle baille, son déjeuner avec des collègues bien choisis, invités par notre patron, l’a un peu endormie. C’est à cause du vin, de son vin, qu’il leur a fait déguster. Notre patron a des vignes, et la dernière fois qu’il est allé les inspecter, comme il s’est absenté deux jours, certains collaborateurs ont cru que c’était le signe de son départ, qu’on l’avait prié de bien vouloir quitter StockOption. Je crois que ça ne lui a pas plu, il a dit qu’il fallait arrêter radio-moquette et que c’était le signe que certains collaborateurs n’étaient pas assez occupés.

Mon directeur vient de passer juste au moment où Gabriel, LePrésident et Farid sont venus boire un café, confortablement assis, cools. Heureusement qu’ils ne faisaient pas le saumon, le crabe ou la balle de tennis, et heureusement, LePrésident n’avait pas ses pieds posés sur le bureau. Mon directeur a bien marqué son étonnement de les voir là. Ils se sont donc éclipsés en voulant être discrets, mais pour la discrétion, c’était un peu raté.

C’est mon dernier jour avant les vacances, je pars une semaine à Val Thorens. Jeanne s’intéresse aux spécialités que je vais y déguster, tartiflette, fondue au fromage, raclette, tarte aux myrtilles…

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Chapitre suivant

Tamoxifène ou Aromasine

J’ai rendez-vous début mai avec le Docteur Whengereguen. Je le vois une fois par an, juste après avoir passé les radios, échographies et IRM des seins.

Va-t-il remarquer mon excroissance ventrale toujours présente ?

Ce qui m'inquiète, c'est qu'il va me prescrire à nouveau de l'Aromasine, la méchante cousine du Tamoxifène.

Comme nous ne sommes pas un jour de trêve, je peux préciser que j'ai déjà supporté durant six longs mois cette méchante Aromasine, et que je n'en pouvais plus de ses effets secondaires. L'Aromasine transformait mes mains en battoirs, à m'en réveiller la nuit, à en pleurer. L'Aromasine me causait des inflammations du canal carpien de plusieurs doigts de chaque main. Encore une semaine de ce traitement et tous mes doigts auraient été comme paralysés. Douloureux et un peu handicapant... Impossible de boutonner un chemisier et de tenir un stylo. Encore une semaine et je me serais retrouvée dans l'impossibilité de travailler. Un rhumatologue avait dû me faire des infiltrations dans les doigts, pas cool.

Quand j'avais téléphoné au Docteur Whengereguen pour lui demander conseil, il m'avait conseillé d'arrêter ce traitement et de reprendre le Tamoxifène.

C'est certain, je sais maintenant que je préfère le Tamoxifène qui me brûle la plante des pieds, me donne des bouffées de chaleur insupportables ainsi que des crampes, me fatigue et me gonfle le ventre.

Le Docteur Whengereguen m'avait prévenue que je devrai reprendre cette méchante Aromasine en mai, et ce, un an durant ! Dans deux mois aujourd'hui…

Moi qui dois me trouver un nouveau job à StockOption, cela tombe mal ! Je ne pourrai pas essayer de nouveaux gants avec des attelles aux mains, des orthèses! Des orthèses noires en plus, vraiment pas corporate.

Le Docteur Whengereguen ne plaisante pas avec le protocole. Il m'a expliqué que les femmes qui récidivent le moins, sont les femmes qui ont pris du Tamoxifène et de l'Aromasine. Et particulièrement les femmes qui ont pris de l'Aromasine bien plus de six mois. Vive les statistiques !

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Je veux être du bon côté des statistiques !

Pourvu qu'il oublie de me prescrire cette méchante Aromasine, ou que le protocole ait changé grâce à une découverte récente d'un génial scientifique.

Je le sais, il vaut mieux supporter ces méchants traitements qui ont pour objectif d'éviter la récidive, que de récidiver. Certes, il vaut mieux ne pas être malade du tout, mais la vie a de ces facéties, tout n'est pas sous contrôle, et après tout, c’est sans doute mieux ainsi.

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Val Thorens

Val Thorens ce sont des heures et des heures de patience en voiture pour s'y rendre, ce sont des rêves blancs plein la tête, c'est l'arrivée triomphante à destination, enfin arrivés, c'est le sourire d’Adrien, heureux, c'est son regard qui pétille, c'est la joie de Camille qui passe deux jours avec nous avant de démarrer un nouveau stage, c'est moi qui respire.

Val Thorens, c'est oublier StockOption et son Plan d'adaptation des effectifs durant une semaine, c'est ne m'inquiéter de rien d'autre que de savoir quel soir on va aller dîner au Vieux chalet.

Les cellules dormantes doivent dormir profondément, par ce froid elles hibernent certainement, et sous mes énormes gants de ski bien chauds j'ai rajouté une paire de sous-gants en soie noire.

Val Thorens ce sont Les Trois Vallées, ce sont les sommets immaculés, c'est la certitude d'être là où le monde est le plus beau, là où l'air est le plus pur.

Val Thorens ce sont les pentes qu'on dévale à vive allure à ski, c'est le bruit du vent qui siffle dans mes oreilles, c'est cette sensation de liberté extrême, ce sont les pistes damées qui ressemblent à des pistes d'envol, ce sont les déjeuners et les vins chauds qui réchauffent, pris sur les terrasses des restaurants au milieu des pistes.

Camille était radieuse, gorgée de neige et de soleil. Pas un nuage en sa présence. Ski intense ! Avec elle nous dînons au Vieux Chalet, au menu, spécialités savoyardes.

Le retour, un long retour noir de monde sur le fond blanc de la neige.

Il nous reste des souvenirs, des photos, un teint un peu hâlé et une envie d'évasion.

Val Thorens, encore

Val Thorens, c'est le lieu où Adrien lit ma ballade en entier pour la première fois.

Au début il me signale qu'il ne connait pas Ezékias, et que 38 ce n'est pas Isaïe, mais l'Isère. Il est moqueur.

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Il me signale ensuite qu'il trouve lourd le passage sur la réduction des tumeurs de Marie. Je lui réponds qu'il n'est pas au bout de ses peines, qu'il y aura d'autres passages lourds, très lourds. Il est dubitatif.

Quant au gros mot le plus long de mon père, Adrien pense que je ne peux pas le laisser dans la ballade, sans-doute pense-t-il que vraiment, c’est très grossier. Mais c’est bien la réalité, mon père ne disait jamais zut alors ou pas de chance. Il pensait qu’il valait mieux être grossier plutôt qu’être vulgaire, et qu’il était suffisamment distingué pour pouvoir se permettre d’être très grossier. C’était son avis, cela n’engageait que lui, et nous aussi par conséquence. Adrien est à nouveau dubitatif.

Ensuite il ne dit plus rien et lit. Il est concentré.

J'en profite pour lui demander de bien vouloir corriger les fautes de frappe, d'orthographe et de ponctuation.

Fautes de frappe, ça, c’était du temps où il fallait frapper sur les touches du clavier afin que les lancettes munies de lettres et de chiffres, telles des catapultes, frappent à leur tour en pleine face la balle de golf aux mille facettes. Aujourd’hui, on effleure à peine les touches, et il n’y a plus la petite musique annonçant le retour du clavier. Les lignes se déroulent toutes seules, en silence, et c’est avec le petit doigt qu’on espace les paragraphes.

Il approuve mais ne me fait pas partager ses émotions ou ses sentiments. Il est pudique et très discret.

C’est une question d’éducation, ne jamais se plaindre, juste faire part d’un étonnement, ne jamais parler de santé, juste informer, ne jamais parler d’argent, juste en gagner, ne jamais se livrer, juste se laisser deviner. J’ai appris à connaître les codes et à les accepter, cela fait partie du package.

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Le métro

Arrivée Gare de Lyon, c'est en flânant sur l'escalator que mon regard s'est enfin posé sur la vitrine exotique. Quelques pauvres palmiers tout recouverts de poussière, quelques arbustes et quelques fleurs tropicales rouges survivent dans cet univers sans âme protégé par une vitre sale. Quelle tête a donc le jardinier ? A-t-il un grand arrosoir en plastique vert lui aussi ? Dommage que le Crocodile Vert ne prenne pas les escalators, ça lui aurait rappelé le pays, mais il aurait bouffé le jardinier.

Les longues jambes de notre RRH

Cet après-midi, notre RRH est venue dans notre bureau nous faire part des dernières avancées du plan. Création d'un site internet dédié, tableau de simulation opérationnel, Espace Mobilité, Cabinet de recrutement et de mobilité interne, pas de cabinet d’outplacement, push mails, Priorité 2, date effective de démarrage du plan prévue le 5 mai.

Elle portait une jupette fluide. Elle a des jambes toutes fines, elle est mignonne notre RRH. Ses yeux sont d’un bleu limpide.

Elle veut me voir bientôt, s'occuper de mon cas, je ne suis pas pressée.

Jeanne me fait remarquer qu’elle trouve drôle l’expression push mail. C’est quoi au juste un push mail ? En tout cas il ne faut pas poser la question, il faut deviner et faire semblant de connaître. Push mail, un drôle de nom pour un caniche. Pas pour une vache.

Chocolat

Léna a vidé sa hotte et nous a apporté plein de chocolat ! Il y a même du chocolat Côte d’Argent. Difficile de résister. Décidément, nous grandissons autrement.

Albert fait remarquer à LePrésident qu’il ne l’a jamais vu apporter quelque chose au bureau et que par contre, il a bon appétit. A bon entendeur salut ! LePrésident est surpris, pas convaincu.

Temps mort au bureau

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Le Monsieur qui s’occupe d’arroser la plante verte du bureau vient de passer avec son grand arrosoir en plastique vert. Nous sommes mercredi. Il m’explique qu’il doit arroser dans la journée quatre-vingts bacs comme le nôtre, ainsi que les grands ficus du hall d’accueil. C’est lui qui devrait s’occuper du parc exotique de la Gare de Lyon, ce serait mieux entretenu.

C’est l’heure du thé. Je bois toujours du thé vert. Quand on me propose du thé autre que vert, je réponds toujours poliment « Non merci ». Non pas que je n’aime que le thé vert, mais c’est que sous ses aspects distingués de tasse de thé le petit doigt en l’air, le thé vert est un tueur, mon tueur à gage, il asphyxie les méchantes cellules dormantes. Bien fait pour elles.

Avant, au petit-déjeuner je buvais du Souricoré mélangé à du lait. J’adorais ça. Maintenant c’est thé vert. Dommage, j’aimais bien le Souricoré.

Les publicitaires devraient y réfléchir.

Jeanne dit que l’eau frémit. C’est surprenant une eau qui frémit. Jeanne emploie parfois des mots un peu anciens. Frémir, frémir de plaisir, frémir d’impatience, frémir de peur. En voyant l’eau frémir on comprend mieux la signification de ce mot, on voit les premières palpitations du cœur avant l’explosion du bouillonnement des sentiments.

Avec Jeanne, je viens de faire un repérage de notre futur bureau au 12ème étage. Ne t’inquiète pas me dit Albert, la plante verte du bureau nous suivra. Ouf.

Cinq étages de plus, et moins de lumière. Heureusement notre bureau est pile poil dans une trouée entre deux tours. Au loin, notre vue se porte sur la grande place située devant la Gare de Lyon, et sur quelques immeubles haussmanniens habillés de persiennes rouges. Encore plus loin, une colline décorée d’immeubles, et sur la droite, deux tours sombres, sans doute celles de la Porte de Bagnolet. Changement de décor. Le Crocodile Vert va me manquer.

La cafetière ExpreSo nous suivra-t-elle ?

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L’angoisse

Je ne sais pas bien pourquoi, je me sens très angoissée, je suis très angoissée. Mon ventre me fait mal, je voudrais être sur une île déserte.

Dans dix jours, radiographie, échographie et IRM des seins. C’est la première fois que cela m’inquiète autant. J’ai toujours été confiante, persuadée d’être protégée, mais cette fois-ci je réalise que tout peut basculer. Je sais que tout peut basculer. Un mot, un regard, une main sur l’épaule, et tout bascule. Je ne supporterai pas que tout bascule à nouveau.

Et le Plan d’adaptation des effectifs n’arrange rien, je ne sais s’il me faut rester ou partir. J’ai peur en quittant mon travail de quitter une certaine forme de sécurité et que cela me soit reproché, que nous ayons moins de moyens financiers et que cela freine nos rêves.

Aujourd’hui, si je pouvais me transformer, ce serait en une larme. Ephémère.

J’ai envie d’être jolie encore, j’ai peur d’être malade à nouveau, je ne veux plus jamais perdre mes cheveux.

Je me souviens très bien que lorsque Pierre Héliès, le radiologue, m’a renvoyée après la palpation de mes seins faire autant de radios qu’il le fallait jusqu’à ce que cette petite maligne maligne apparaisse enfin sur la photo, il n’y a eu que très peu de mots d’échangés. Tout s’est effectué dans le silence, et lorsqu’il a posé ses deux grandes mains sur mes épaules, j’ai compris que ma vie basculait.

Préférence

Ce qui est certain, c’est que, quand on a un cancer, on préfèrerait avoir un poisson, et ça, ça se comprend bien. Un poisson, bien évidemment, pas un crabe.

La joie

Je ne suis jamais angoissée très longtemps. J’ai souvent résisté à tout, j’ai toujours eu de la chance.

Dans neuf jours, les résultats seront bons.

Chut, dormez bien les filles, bande de feignasses.

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Le baume du week-end

J’ai passé un week-end bien agréable, entourée de ceux que j’aime. Le soleil réchauffait l’appartement et mon âme. J’ai besoin de soleil. Classique.

Un dîner est prévu à la maison vendredi soir avec des amis. L’appartement est si lumineux lorsqu’on reçoit des invités, une table bien dressée, des bougies allumées, des rires, des éclats de voix, des bons plats et des bons vins.

Visite de ma sœur Béatrice, tisane dans nos chopes de couleur. Sans sucre. Trop tard pour un thé vert, c’est la pleine lune et je crains de ne pas dormir.

Adrien et les enfants qui ne sont plus des enfants m’amusent. Je n’ai plus peur de rien.

Adrien me rappelle que cela fait bientôt trente ans que je travaille à StockOption, que je n’en connais toujours pas tous les métiers et que je n’ai toujours pas envie de les connaître, non merci, et que ce serait peut-être le moment de faire autre chose, mais quoi. Quelque chose qui me plaise. Il dit aussi que j’ai perdu l’habitude de travailler dans le stress, et que si ça revient, il n’est pas certain que j’y résiste. Ah bon ?

Camille est pleine de vie, d’ardeur, d’enthousiasme, elle est rayonnante, lumineuse. Elle attire le positif. Pourvu que jamais rien ne vienne changer sa belle humeur. Son stage se passe à ravir, ses soirées sont hallucinantes, elle est au cœur du monde, sur les toits de Paris, je découvre ce que sont les bars et restaurants en roof top. Ah si j’avais 20 ans !

Antoine est plutôt content de l’avancée de ses révisions. Pour cet été, il prépare un voyage de trois semaines destination la Thaïlande, le Laos et le Cambodge. De vraies vacances, enfin. Vivement que le concours ait lieu, fin mai. Il se pose de nombreuses questions, il aura ses réponses bientôt.

Inès est en week-end, elle vient de rater son train et va donc rouler de nuit. Nuit blanche en perspective.

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Nettoyage du filtre

La cafetière ExpreSo est détartrée une fois par an. Je songe qu’il va aussi falloir que je nettoie le filtre que j’impose à ce monde, que je m’impose, pour cette écriture.

Un peu d’eau fraîche, une larme, un grand éclat de rire, et hop hop hop, c’est nettoyé.

Il ne faut pas regarder l’intérieur du filtre, il est tout rempli de vilains défauts, des vilains défauts des autres, et des miens aussi bien sûr. Il y a même un crapaud qui s’échappe, et part en sautillant chercher sa sorcière dans les couloirs. Et hop, je jette les détritus dans la Seine, le Crocodile Vert ne m’en voudra pas.

Les yeux et les mains

Je regarde souvent les yeux et les mains de celui qui me parle.

Dans les yeux je vois si le sourire est habité ou s’il n’est que celui d’un poisson mort. Il m’est arrivé d’imaginer que Dieu me regarde avec bonté, presque de la tendresse, de l’amusement bienveillant. Le regard de Marie était lumineux. Celui d’Adrien peut-être pétillant. Celui de mes enfants est limpide. Celui de la RRH est corporate.

Dans les mains je vois quelles mains sont faites pour faire le bien, envelopper et caresser, et quelles mains sont faites pour faire le mal, exiger et casser. La plupart des mains ne servent à rien qu’à ouvrir des portes et des fenêtres, boutonner des chemises, taper sur des claviers et effleurer des écrans d’aPhones. Elles sont bêtes comme les pieds. Adrien a de belles mains.

Merveille

Ce matin et pour la première fois, LePrésident a rempli la cafetière ExpreSo d’eau fraîche ! Remarquable. Dommage qu’Albert ait pris une journée de congé aujourd’hui, il aurait apprécié le geste. Il faut que je pense à le lui dire demain.

Cinq petits wagons verts et blancs

De mon bureau j’ai aussi une vue extraordinaire sur le métro aérien qui traverse la Seine et s’enfonce dans la Gare d’Austerlitz. Fascinant.

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Ce que je préfère c’est le moment pile poil où les rames se croisent. Facile.

Cinq petits wagons verts et blancs se promènent sur la Seine. Non, cela n’existe pas. Si.

Et maintenant, à la seconde même, il y a un ciel d’apparition, et les rayons du soleil, qui reste caché derrière les nuages ou bien est-ce la pollution, embrassent la Seine. C’est à cet endroit exactement que les bateaux-mouches font demi-tour :

Stop, on tourne, après c’est Bercy, c’est moche,

retour sur les beaux quartiers de l’Alma.

Là, tout de suite, une péniche est passée sous les cinq petits wagons verts et blancs. A suivre à l’infini.

Je ne fais pas que boire du thé

C’est l’heure de faire frémir l’eau. Dans 30 minutes j’ai rendez-vous avec mon directeur, son adjointe et Raphaëlle, pour parler d’une présentation que je viens de lui remettre. Comme quoi je ne fais pas que regarder par la fenêtre !

La réunion se passe fort bien. Nous nous asseyons et en posant mes bras croisés sur la table ronde, celle-ci bascule aussitôt, les dossiers valsent. Puis je fais tomber par terre mon stylo, mon directeur très galant le ramasse pour moi. Ensuite, c’est mon foulard en soie noire à pois blancs qui rejoint le sol. Quelle activité !

Sinon, quelques précisions sont à apporter à ma présentation, et des plans d’action sont à mener. Mon directeur apprécie particulièrement un slide moitié rose-fuchsia et moitié marron-chocolat, simple et classe.

A un moment de distraction de ma part, je réalise avec émerveillement et amusement que l’adjointe de mon directeur est assise devant la baie vitrée et qu’au niveau de son cou, à la suite de son collier, sur sa droite, je vois au loin cinq petits wagons verts et blancs passer avec insouciance. Où vont donc tous ces gens ? Ce n’est vraiment pas le moment de se poser ce genre de question.

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Les trois chiens

Ce matin, en prenant le métro pour me rendre à StockOption, juste devant les escaliers qui vont me mener dans les sous-sols parisiens, je réalise que je suis observée par trois chiens, des bouledogues. Ils ont la taille de vrais chiens. Push mail n’est pas un nom qui leur conviendrait, c’est un nom de caniche. Ils ont l’air un peu statique, plantés devant la vitrine d’un show-room, un magasin à l’enseigne résonnant allemande vendant des cuisines et des accessoires de cuisine. Le premier est blanc, le second est argent, et le troisième est rose. Chacun est à vendre, 290 € le chien. C’est bizarre un chien dans une cuisine, drôle d’accessoire. Et en plus ils ne peuvent même pas servir de minuteur ou d’écrase purée. Je n’aimerais pas être la purée…

Si j’avais de la place dans ma cuisine, je choisirais le rose car je me souviens qu’Inès, petite fille, voulait être chien, et aussi, qu’elle rêvait d’avoir un chat rose. Double rêve.

Bon ben tchao tchao les chiens, à ce soir ! Ne cassez rien dans la vitrine et ne faites pas peur

aux clients !

I love Limousin

Surprise, la rame de métro qui se présente à moi a les parois extérieures entièrement customisées. Are you Limousin ? I love LIM. Trop bucolique, des vaches, des champs, un nageur, une rivière, du vert tendre. Je choisis de monter dans le wagon décoré d’une vache, voir une vache c’est détendant, à condition d’être tendue bien sûr. Et me voici embarquée, un brin d’herbe et un épi de blé à la boutonnière. J’aurais préféré un coquelicot, mais il n’y en avait pas. C’est trop fragile un coquelicot et c’est pour ça qu’on n’en trouve jamais dans le métro.

Même dans le wagon-à-la-vache,la foule n’est pas de bonne humeur ce matin.

Mascara

Ce matin, comme presque tous les matins, j’applique délicatement avec un bâtonnet du mascara sur mes cils, du mascara de marque bien sûr.

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Bon ben là c’est raté, encore raté, ça fait des gros paquets sur les cils. Tant pis. « Pathétique » dit Inès.

Inès m’explique qu’il faut bien cligner des yeux en appliquant le mascara. Et Camille me dit que si ça fait des paquets, il faut les retirer en passant le bâtonner délicatement à l’envers des cils.

C’est un peu comme le cirage, si ce n’est qu’au lieu de m’en mettre plein les doigts, je m’en mets plein les cils.

StockOption

Farid hésite à goûter le chocolat Zint, il est méfiant. Je lui conseille d’essayer, le rassure, il est délicieux ce chocolat. Il essaye et son visage devient rayonnant, c’est bon ça. Ça lui rappelle ses tartines du petit-déjeuner au beurre et à la confiture d’oranges amères Gentille-Maman.

Jeanne est arrivée avec une petite valise bleue, ce soir à 16 heures elle partira en train destination Cannes, quinze jours de détente. Elle aurait préféré faire un voyage plus exotique. Aller aux Maldives peut-être…

Raphaëlle s’occupe de ses enfants, nous sommes mercredi.

Notre stagiaire, Carole, vient de terminer un très bel organigramme sur PowerPoint, elle est douée. Surtout qu’elle ne nous y fasse pas figurer car nous sommes des collaborateurs sortants, ce qui est normal à quelques jours des élections municipales.

Albéric et Lotfi arrivent exactement en même temps dans notre bureau, chacun par une porte. Parfait duo, synchronisation réussie.

La famille de Lotfi remonte à l’an 732. Il faut que je pense à lui demander de qui il descend d’aussi loin. Peut-être sommes-nous cousins, car certains de ses ancêtres sont allés jusqu’à Poitiers, et comme la famille d’Adrien est originaire du Comté de Nice, une rencontre a pu se faire. Peut-être une histoire d’amour impossible…

Lu ce matin

Métro ligne 9 - Station Porte de Saint-Cloud, Psaume 91 :« Le juste grandira comme un palmier,il poussera comme un cèdre du Liban ;planté dans les parvis du Seigneur,il grandira dans la maison de notre Dieu. »

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Moi, ce que j’aimerais être, ce n’est ni un palmier ni un cèdre, mais plutôt un tremble argenté. Un beau tremble argenté, pas un de ces petits qui envahissent comme de la mauvaise herbe le terrain qu’Adrien a hérité de son père. Un tremble, avec des feuilles argentées que caresse le vent et qui brillent au soleil. Un palmier, c’est trop exotique, je ne suis pas exotique. Un cèdre du Liban, c’est trop solide, trop plein de santé et de vigueur. J’aurais bien aimé en être un, seulement la vie a de ces facéties, je suis bien trop fragile.

En tout cas, ce serait un tremble argenté avec des racines qui s’enfoncent profondément dans le sol, pas des racines carrées, surtout pas des racines carrées.

Mystère

Je voudrais bien savoir ce que font tous ces gens dans les rames de métro vertes et blanches qui, après avoir traversé la Seine, s’enfoncent dans la gare d’Austerlitz. Ils prennent tous le train ?

Ils voyagent sur La 5, et sont maintenant entre la station Quai de la Rapée, comme la carotte, et la station Gare d’Austerlitz, comme la gare. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont observés.

Je suis bien certaine qu’à l’intérieur, comme d’habitude,

la foule n’est pas de bonne humeur.

A l’instant même, une rame s’immobilise en plein milieu du pont, pile poil, prête pour une photo bien centrée, la Seine, le pont, la rame. Seulement voilà, je ne vois pas de photographe. Dommage, de toute façon les photos trop bien centrées m’ennuient.

Au loin je vois que le Panthéon est recouvert de pansements blancs, il a l’air bien malade. Je crois qu’il est en réfection, sans doute à cause de son grand âge. Ou peut-être a-t-il tout simplement le mal de mer, à cause de son immense pendule qui fait tourner la terre ?

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Lu ce matin

Métro ligne 9 - Station Alma-Marceau, Psaume 71 (II) :« Que la terre jusqu’au sommet des montagnessoit un champ de blé :et ses épis onduleront comme la forêt du Liban !Que la ville devienne florissantecomme l’herbe sur la terre ! »

C’est exactement ça, j’aimerais être un épi de blé doré par le soleil.

Le logo de la RATP

Sur chaque wagon du métro est dessiné un logo, celui de la RATP.

La foule, qui n’est toujours pas de bonne humeur ce matin,

alors que c’est le premier jour du printemps, devrait le regarder de plus près.

On y voit le profil droit du visage d’une femme, ses yeux sont fermés, elle lève la tête pour se laisser inonder des rayons du soleil, à moins qu’elle n’ait elle aussi un strabisme chic. Le soleil est très simplement représenté, sans rayons, juste un cercle vert comme l’herbe tendre, bien régulier. Je me suis reconnue dans ce visage, et comme les cheveux ne sont pas représentés, on peut tout imaginer.

Si on regarde bien, il y a deux visages ; je reconnais bien le mien, le plus petit, un rien argenté, mais derrière, juste derrière, et juste devant le soleil, qui est-ce ? Son visage est plus épais, marqué d’un lourd trait de crayon bleu, c’est peut-être mon ange gardien. Et pourquoi pas ?

Certains me diront que le rond représente l’Ile de France ou le périphérique, qu’il n’y a pas de petit visage et que le visage bleu symbolise la Seine. Faux, si cela était vrai, le Crocodile Vert serait représenté sur la Seine, et là, je vois bien qu’il n’y est pas.

Ma voisine

C’est à ce moment de mes réflexions que je remarque que ma jeune voisine de métro, compagne de voyage, porte des cheveux extrêmement

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courts et du vernis foncé sur les ongles de ses mains, compagne peut-être aussi d’un autre voyage.

J’ai envie de lui poser la main sur l’épaule, de la rassurer. Je ne fais rien, je lui souris et suis oppressée, je me souviens que mon rendez-vous de radiologie est pour dans quatre jours.

Quatre jours

Cela peut être long quatre jours, et en même temps, je ne suis pas pressée qu’ils passent.

Je serai la plus jolie durant ces quatre jours, robe bleue aujourd’hui, paquet de mascara sur les cils, c’est beau des cils, cheveux bien coiffés et chaussures à talons. Je porte même le manteau en peau que m’avait offert Adrien, une folie, alors que j’étais encore coiffée d’une perruque. J’ai oublié de me parfumer ce matin, alors je prends un échantillon dans mon tiroir, J’aime de Doir, et hop, dans un tourbillon de bonne odeur la joie revient.

Farid que j’ai rencontré en arrivant dans le hall d’accueil de StockOption m’a trouvé l’air bien lointain et bien triste. Il ne faut plus être triste. Farid, lui, dans son fauteuil noir aux multiples télécommandes n’est jamais triste, en apparence.

Le Crocodile Vert

Deux petits bonshommes réparent une des écailles du Crocodile Vert aujourd’hui. Ils sont protégés de la chute par des harnais et sont bien courageux. Ce Crocodile Vert est végétarien, sans aucun doute.

Café

Juste après le déjeuner et avant de remonter dans mon bureau, je bois un café sur le parvis de StockOption, en pleine lumière. Les garçons du 7ème

étage sont eux aussi dans la lumière, et sont bien élégants dans leurs costumes sombres.

Des espaces de verdure décorant le parvis, pointent des pâquerettes et des fleurs de pissenlit.

La Seine est parsemée de taches de soleil.

Le Crocodile Vert, réparé, fait une sieste.

Je ferais bien un peu la sieste moi aussi.

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L’As des piques

Régulièrement, j’ai rendez-vous avec un acupuncteur pour atténuer les effets secondaires de la méchante Aromasine et de son petit cousin le Tamoxifène. Ce matin je suis dans sa salle d’attente.

Le visage de l’acupuncteur figure sur une affiche froissée et scotchée sur la porte des toilettes. Pour la photo, il a revêtu un nœud papillon rose-coquet, et prend la pose. Il tient au bout des doigts de sa main gauche des petites aiguilles. Il a croisé ses bras devant lui et il sourit en nous regardant.

Suit un article qui détaille les débuts de sa vocation à aider les patients afin qu'ils puissent résister le mieux possible aux doses maximales des traitements contre le cancer, dans le but d’accroître leurs chances de guérison. Cet acupuncteur au nœud papillon rose, mais aussi vert ou bleu, arrive effectivement à atténuer la violence de certains effets secondaires. C'est un as, et s'il devait figurer dans un jeu de cartes, il serait surement l'as de pique. Joue-t-il au bridge ou à la belote ? Il a une tête à jouer au bridge.

Il m’assure qu'il se sent confiant pour atténuer sur moi les méchants effets secondaires de la méchante Aromasine. Je le crois, car je crois tout ce qu'on me dit. Je lui fais confiance et décide d'être rassurée sur ce point.

Il faut que je pense à lui demander la prochaine fois de changer la deuxième affiche qui est scotchée sur la porte des toilettes. On y voit le visage d’une femme qui porte un foulard de couleurs vives. Elle sourit, elle nous sourit, et on devine bien que sous le foulard il n’y a plus de cheveux. Ils devaient être longs et très bruns. Elle n’a plus de sourcils non plus, juste un trait de crayon sombre. Je ne sais pas si elle a ou non encore des cils, je n’ai pas trop envie de savoir. Elle me regarde et me rend triste. Il est écrit, Mieux vivre pendant le cancer. Moi, c’est bien vivre après le cancer, juste après, avant de l’oublier je l’espère à tout jamais.

Ce serait plus gai de mettre une affiche qui ferait que je puisse m’évader, que nous puissions nous évader, de cette salle d’attente. Un paysage de montagne par exemple avec une vache au premier plan, une vache avec une cloche autour du cou, que je puisse imaginer le son de la cloche, la saison, savoir si la vache est seule ou non, si un chien la surveille, et de quelle couleur est le chien, blanc, argent ou rose, et comment il s’appelle, Push mail ou autre.

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Le logo de la RATP serait tellement plus gai. Et je rajouterais en bas « Attentifs ensemble ».

Je reprends le chemin vers le métro et retrouve dans mon chemisier une aiguille que l’acupuncteur a oublié de retirer sur une de mes épaules. Le soleil brille sur Paris, sur le trottoir les grilles du métro soufflent un air parisien qui soulève les feuilles tombées par lassitude et les jupes des filles qui n’en portent plus, et le métro garde son odeur unique.

L’odeur du métro

On peut sentir dans le métro parisien une odeur de colle, celle des grands panneaux d’affichage, une odeur de chaud, de plastique chaud, sans doute à cause du freinage des rames, une odeur de vieille urine, de crottes de souris, de tabac froid, d’eau de Java, exceptionnellement d’œufs pourris, de transpiration, de sueur plutôt, de mauvais sommeil, de salle d’attente bondée, de parfum, d’après rasage, de déodorant, d’ail, de saucisson à l’ail, une odeur d’eau croupie ou de vin rouge peut-être, et même de sulfure d’hydrogène paraît-il à la station Madeleine.

Il faudrait de grandes fenêtres que l’on puisse ouvrir, des fenêtres qui donneraient sur la mer, avec une bonne odeur d’iode, et je poserais mon oreille contre un grand coquillage abandonné sur la plage à marée basse pour entendre le bruit des vagues, le bruit de la marée.

En arrivant Gare de Lyon, je suis accueillie par une bonne odeur de croissants chauds et de café noir, Bonne journée, en noir et blanc sur fond rouge pimpant.

L’augmentation

Je réalise que je n’ai pas remercié mon directeur pour l’augmentation de salaire que je viens de recevoir.

C’est bon signe, signe que je fais partie de La Nouvelle Economie.

J’aurais dû le remercier quand il a ramassé mon stylo, juste avant que la rame de métro passe derrière le cou de son adjointe. Il faut que je pense à le faire la semaine prochaine.

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La mammographie et l’échographie

La mammographie, quel drôle de mot, et l’échographie de mes seins n’ont rien décelé d’inquiétant, tout est sous contrôle, la bande de feignasses dort encore. Pas de maligne maligne sur la photo.

Le nouveau radiologue, le Docteur Karl Zeitoun a palpé mes seins, et n’a pas posé ses grandes mains sur mes épaules. J’ai eu si peur qu’il le fasse. Il a juste souri, il est content pour moi.

Rien n’a basculé. Je vais garder mes cheveux et j’irai à Sainte-Marine cet été. J’ai hâte d’être en vacances.

Merci les filles, et si vous continuez à bien vous tenir comme ça,

je veux bien vous héberger quelque temps encore. Si vous n’êtes pas trop nombreuses,

on pourrait même envisager un contrat de location.

J’étais un peu anxieuse en arrivant dans le cabinet de radiologie, je m’étais d’abord trompée de ligne de métro, et ensuite j’avais laissé passer la bonne station.

Bonnes nouvelles

La récidive n’est pas pour maintenant. Peut-être pour jamais, sûrement. C’est promis, l’année prochaine pour le prochain rendez-vous de radiologie, je ne m’inquièterai pas.

L’acupuncteur va m’aider à bien supporter les effets secondaires de la méchante Aromasine.

Je vais rester à StockOption. Peut-être. Si je le décide. Ce serait plus sérieux.

Ma famille et mes amis sont une chance.

J’aimerais tant savoir le don de Dieu.

Savoir.

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Les élixirs

Cela a commencé juste après les séances de chimiothérapie. Ma peau était toute ridée, comme si l’acide qui était injecté dans mes veines s’était écoulé sur mon visage.

Alors je suis allée dans une boutique qui vend des onguents, des eaux précieuses, des parfums, des élixirs, des filtres et des sels, des masques et des fonds de teint, des mascaras, des rouges à lèvres, des violets à lèvres, des roses aussi, des fards à paupières, des fards à joues, des blush, des gloss, du vernis pour les mains et pour les pieds, des crayons et des khôls, des eyeliners, des baumes, des poudres.

Des enlumineurs et des illuminateurs, des prestidigitateurs et des illusionnistes, des vendeurs de rêves et de jeunesse.

Et là, en une seule visite, j’ai mérité la carte gold.

Exceptionnellement j’avais choisi le top du top, acide oblige, une marque qui rappelle la campagne, les vaches et les pâquerettes. Ruineux, mais efficace. Qu’Adrien se rassure, je n’ai pas réitéré, et me suis ensuite intéressée à des élixirs plus abordables.

Depuis, les tiroirs de la salle-de-bains sont encombrés de gommages pour le visage, pour les pieds, de filtres hydratants, de crèmes pour le visage, pour les pieds, pour les mains, pour le corps.

IML

De la fenêtre de mon bureau, en scrutant bien, je vois l’Institut médico-légal. C’est un bâtiment rouge situé le long de la Seine, ceinturé par les rails du métro qui sort de terre, ou y rentre selon le sens de la rame. C’est une morgue particulière, n’y sont reçus que les personnes décédées sur la voie publique, les victimes de crime ou de décès suspect, et les corps non identifiés, afin que justement, ils soient identifiés ou autopsiés. Pour ceux qui se noient dans la Seine, l’accès est sans doute direct, c’est bien pratique.

Cela me rappelle les romans policiers et les séries télévisées de ma jeunesse, plus particulièrement les romans de Georges Simenon et Les enquêtes du Commissaire Maigret, chroniques sociales, ambiance brouillard sur les quais de la Seine, 36 quai des Orfèvres, révolver dans la boîte à gants blancs, petite musique inquiétante, images en noir et blanc.

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Mais qui a tué qui ?

Aujourd’hui, le soleil inonde de ses rayons l’IML.

Attitudes et postiches

Albert me fait trop rire, il nous raconte qu’il y a plusieurs années il s’était déguisé en Nicolas Hulot en pleine exploration sous-marine. Il avait harnaché l’extincteur du couloir sur son dos, comme si c’étaient des bouteilles d’oxygène, et il avançait avec, accroupi, en mimant les lunettes de plongée avec ses mains, en commentant en direct la faune et la flore professionnelles. C’est à ce moment-là que son directeur l’avait surpris. Etonnement.

Vision

Albert sait profiter du temps présent, marcher dans les rues de Paris, se rassasier les yeux de la splendeur de ce magnifique environnement. Et comme il habite au Chesnay, qu’il est voisin du roi et de la reine, c’est dans le parc de Versailles, tout au bout du Grand Canal que souvent il descend de son vélo, tout seul, et qu’il se repaît de la vue sur le château.

Gabriel opine de la tête sous son grand chapeau haut de forme noir, et se souvient que lui, à un moment de sa vie, en allant travailler très tôt à 5 heures du matin, sur le pont de l’Alma, il aimait s’arrêter et voir le soleil se lever sur la Seine et sur la ville, il aimait voir les gens qui sortaient de boîte, fatigués mais heureux de rentrer chez eux. Aujourd’hui, il dit qu’il préfère sortir de boîte à 5 heures du matin, et regarder les gens qui se rendent à leur travail sous le soleil levant.

La pendule

Le métro est le refuge des pauvres gens, le bruit incessant des rames doit les rassurer, c’est un peu le tic-tac de la pendule.

Si le matin les gens sont bien habillés et que la foule est pressée, pas de bonne humeur, on est un jour de semaine. Si personne n’est immobile sur le côté gauche de l’escalator, c’est aussi qu’on est dans les heures d’entrée ou de sortie de bureau. Si les gens font du bruit dans la rame, s’ils rient, c’est qu’on est vendredi soir. S’il y a des enfants dans des poussettes, c’est qu’on est en période de vacances scolaires ou en week-end. S’il y a des étrangers en tong armés d’appareils de photo, c’est qu’on est en été. Si la foule est jeune et bruyante, qu’elle rit fort, c’est qu’on est

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samedi soir. S’il y a plein d’adolescents, c’est qu’il y a une école pas loin. S’il n’y a personne, ce n’est pas rassurant.

Si de nombreux passagers lisent le journal, c’est qu’on est le matin d’un jour de semaine. S’ils dorment, c’est qu’on est un soir de la fin de la semaine. S’ils ont des parapluies mouillés, c’est qu’il pleut dehors. S’ils portent des sacs en papier de couleurs vives, c’est qu’on est au mois de décembre. Si ce sont des sacs en plastique, c’est que c’est la période des soldes. Si les hommes sont en costume trois pièces, c’est que leur voiture est tombée en panne et qu’il n’y a plus de taxi disponible. Si les femmes sont parfumées de Guerrelasse, c’est que nous sommes dans les beaux quartiers. Si ça sent le sulfure d’hydrogène, c’est que nous sommes à la station Madeleine. Si les passagers jouent à Candie la cruche sur leur smartphone, c’est qu’ils deviennent cruches.

Et bien évidemment, si la foule n’a pas l’air de bonne humeur, c’est que tout est normal. Si dans un couloir on voit un éléphant rose, debout sur une patte sur un tabouret noir, jouer avec un perroquet qui ne veut pas rentrer dans sa cage, c’est qu’on s’est trompé de direction. Et si on voit des gens s’embrasser, se serrer la main, s’attendre, se congratuler, se sourire avec bienveillance, c’est qu’on n’est pas dans le métro, on n’a pas entendu son réveil sonner, peut-être qu’on rêvait, et il faut vite se réveiller pour ne pas être en retard.

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Matin ensommeillé

Ce matin, assoupie au creux de ma baignoire, dans les effluves d’un bain moussant Fleur de coton, parfaitement, j’ai bien dû laisser passer cinq rames de métro. Pas malin ça.

Les trois chiens ont l’air de faire la moue, normal, ce sont des bouledogues. Un bouledogue rose, c’est ridicule. Un bouledogue argenté, ça n’existe pas. Un bouledogue ça fait toujours la moue. Il ne faudrait surtout pas que leurs maîtres fassent du mimétisme, ce serait trop triste. Peut-être que dans la foule du métro il y a plein de propriétaires de bouledogues.

Il faut que je pense à recharger ma carte Navigo, sinon demain je ne pourrai pas naviguer sur les lignes de la RATP. Je voudrais tant naviguer sur la Seine.

Emmanuel nous dit avoir goûté et apprécié le vin de notre patron, du Bourgogne très fruité, pas mal. J’ai toujours été certaine que notre patron possédait des vignes, je ne l’imaginais pas propriétaire de champs de betteraves, même en rêve. Moi, j’aime bien les betteraves.

Mon directeur m’a félicitée pour ma présentation,

Merci Géraldine pour ce bon travail !

Lintellect n’a décidément pas de chance avec ses costumes, son entre-jambes s’est entièrement décousu, un costume tout neuf à 600 € précise-t-il. Invendable maintenant sur le Au coin parfait. Il veut se faire rembourser. En attendant, je lui conseille de rentrer chez lui en nouant sa veste autour de sa taille.

Nous avons fêté les 60 ans de Jeanne en lui offrant une plante, un gardénia. Demain matin, elle apportera des croissants et des pains au chocolat !

Les élastiques qui entourent les bottes d’oignons frais sont toujours de couleur verte.

Il faut que je pense à me renseigner sur la couleur qu’ont les élastiques des bottes de radis. Rouge ?

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Ambiance

Léna et Albéric ont eu quelques échanges difficiles. Rien de grave, mais la tension est palpable. D’autres tensions bruissent dans les souterrains de StockOption, il est parfois difficile de voir la vie à travers un filtre.

Raphaëlle va partir à La Com (Communication), tout à fait bien pour elle. Du sur mesure.

Gabriel et LePrésident ont trouvé une mutation pour bientôt.

Un pot de dépendaison est organisé pour notre changement de bureau du 7ème au 12ème étage. Tous les habitués de la cafetière ExpreSo sont invités. J’apporterai un financier glacé au citron.

A priori, nous partirons avec la plante verte du bureau et la cafetière ExpreSo.

Albert nous rassure, au 12ème étage, les toilettes pour femmes seront accessibles aux dames. Il est allé vérifier, la porte des toilettes est située juste avant la porte blindée et verrouillée du M&A. Nous étions inquiètes, nous pensions qu’elle était située juste après.

J’explique : Notre futur bureau se trouve dans un bout de couloir situé entre les ascenseurs et le M&A. Le M&A, soit Musique & Arts est un service top secret regroupant des collaborateurs qui travaillent de concert sur les coloris des élastiques, aussi son accès est-il très protégé. En conséquence, ne passeront devant notre bureau que les personnes se rendant dans ce service, ou bien alors, les femmes se rendant dans les toilettes pour dames. Avec un peu de chance, nous pourrons entendre un peu de musique et cela pourrait être bien agréable.

Combat

Nous apprenons que nous, les français, avons désormais un Gouvernement de combat.

Quel sera l’uniforme des combattants, treillis kaki ? Les voitures de fonction élizéennes et ministérielles vont-elles être remplacées par des chars de guerre qui écrasent les chenilles sur leur passage ? Mais alors, il n’y aura plus de papillons ? Ça fait un peu peur tout ça. Ça fait un peu crispé.

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Détendez-vous les garçons, et allez à l’essentiel. On vous y attend.

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Drôle de matin

Il n’y a plus que deux chiens dans la vitrine, le chien blanc a été vendu. Il a sûrement été confondu avec un batteur à œufs, pratique pour monter les œufs en neige. C’est appétissant un œuf en neige.

Je m’inquiète pour le chien rose, je suis certaine qu’il va terminer bradé.

Les chiens, si vous ne voulez pas être bradés, souriez un peu, faites un effort !

La tulipe noire

Dans le Météor, je suis restée debout, la foule était compacte et je n’ai pas voulu attendre la rame suivante.

Pour garder l’équilibre dans les virages, les accélérations et les freinages, j’ai dû tenir la barre centrale d’une main. La barre centrale est toujours un peu chaude de la main précédente qui l’a tenue, et souvent même un peu poisseuse. Dans le Météor, la barre a cette particularité qu’en son milieu elle se sépare en trois branches, telle un chandelier sans lumières, ce qui permet sans doute à plus de personnes de s’y accrocher.

Ce matin nous étions six, accrochés à cette barre centrale. Deux, textotaient sur leur smartphone, un autre écoutait de la musique et battait des pieds sur un rythme que je n’arrivais pas à imaginer, un autre regardait avec application un point fixe à l’autre bout de la rame et tournait la tête, un autre encore lisait un livre, un vrai avec des pages en papier, et un autre enfin se disait que chacun ressemblait à un pétale de tulipe, une tulipe si ouverte que chaque pétale paraît indépendant des autres pétales. Une tulipe noire bien sûre, aucun pétale n’était de couleur vive. Nous étions trop nombreux pour ressembler à un trèfle à quatre feuilles, et pas assez nombreux pour ressembler à une marguerite.

En réalité les tulipes n’ont pas six pétales. Elles ont trois pétales et trois sépales, soit, six tépales. Comprenne qui pourra.

« Pétale ? Sépale ? Tépale ? Est-ce que j’ai une gueule de tulipe, même noire ? », se diraient les cinq autres.

Hélas non, et la foule n’est toujours pas de bonne humeur.

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Hélas non

Eh oui, j’aurais bien aimé que nous ressemblions à une tulipe, même noire.

Les fleurs

Gare de Lyon, dans le petit paradis tropical il y a aussi des fleurs jaunes, des fleurs blanches, et même des bleues, tout au fond. Il faut bien regarder.

Le gardénia de Jeanne ne fleurit toujours pas. Les boutons restent fermés. Peut-être qu’il n’aime pas la vie de bureau.

Le pot

Le pot de dépendaison a bien eu lieu hier, alors même que nous venions d’apprendre que notre changement de bureau est reporté à dans deux semaines.

Rien à signaler, si ce n’est qu’un pot d’arrivée serait apprécié. Farid est absent car souffrant, j’espère que ce n’est pas grave. Le Crocodile Vert somnole toujours. Albéric et Albert avaient soif, toutes les bouteilles ont été vidées. La femme de ménage a dû trouver dans les poubelles des bouteilles vides, des croûtes de fromage, des peaux de saucisson, des fraises et des peaux de banane.

Etats d’âme entendus

L’envie me vient de noter les mots, les phrases qui s’échappent et qui illustrent si bien le changement d’atmosphère, d’ambiance, à StockOption.

Je suis à fond. C’est long. C’est fou. Tu fais au mieux. C’est le métier qui rentre. Pour qu’on nous propose cette solution, c’est qu’il y a un loup. Les gens sont bornés quelquefois. Quand on a affaire à des cons, on a affaire à des cons. C’est qui c’bouffon ? Veux-tu du café ? A quel étage est le CE ? 1er ou 2ème ? Impossible de m’en souvenir. En trente-cinq ans de carrière, j’en ai vu des cons. C’est insupportable. Il nous casse les c… Il va prendre cher, je n’en ai rien à branler. On est dans une cours de récré ici. Tu crois qu’on est avec des adultes. Aucun ne prend ses responsabilités. Il ne va pas changer maintenant. Ils sont magiques. Elle ne doit s’occuper que de ses fesses. Je vais me détendre. Il faut avoir une solution de repli. Wait and see. Et Farid, il rentre quand ? Jeanne, c’est bientôt l’heure de faire frémir l’eau. Un café ?

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Je revendique les trois dernières phrases. Pour le reste, le ton monte, les mots deviennent des gros mots, la pression augmente.

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Le chien argenté

Le chien argenté aussi aura du mal à être adopté, il est là, prêt à sortir en boîte de nuit, tout vêtu de strass et de paillettes. Tout ça pour terminer en ouvre-boîte.

Maintenant il porte un collier en tulle blanc autour du cou avec l’étiquette du prix, toujours 290 €.

Lequel restera, le chien argenté ou le chien rose ? Je parie toujours sur le rose.

On fait le chat et le chien

Durant les cours de stretching-pilâtes, les femmes, visiblement les hommes n’aiment pas s’étirer, prennent des positions extraordinaires.

On fait le chat, dos rond, on fait le chien d’arrêt, bras droit et jambe gauche tendus, on fait le pont, abdos serrés à fond. C’est drôle à voir. Efficace et drôle.

Eve est notre professeur, elle est aussi fine que souple. On dirait une danseuse.

Nous sommes toutes devant un immense miroir qui nous renvoie notre image, et c’est ainsi que j’ai pu voir mon corps s’arrondir de séance en séance.

On se sert parfois d’élastiques, des gros élastiques de StockOption certainement. Noirs. Et on s’étire à l’infini. On essaye.

Coloriage

Qui a dit que je colorie en rose ?

Personne ? Eh bien ça tombe bien. Et si cela avait été moi, j’aurais été une grosse menteuse.

Car c’est faux, je déborde toujours des contours, impossible de rester dans la case sans dépasser. Et tout ce qui déborde est pire que le mascara sur mes cils ou le cirage sur mes mains, tout ce qui déborde est noir, sale et part dans tous les sens.

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Je n’ai jamais su rendre une copie propre. Toujours il y a une, puis dix annotations dans la marge, des rayures, des ratures, des griffonnages, des flèches, des croix, trois croix c’est que c’est important, un triangle c’est que c’est urgent, il peut même y avoir une tache de mascara ou de cirage, et puis si, c’était ça, alors je souligne ce qui est barré, ça veut dire qu’après tout, tout bien considéré, il faut le garder. Et si je surligne en fluo, alors là, c’est que c’est vraiment très important, il faut que cela se voit bien, et de loin.

C’est comme les textos, le premier pour dire, le deuxième pour rectifier, et le troisième pour regretter,

oh la la c’est parti bien trop vite.

Je déborde de partout ! J’en ai assez de déborder, j’aurais voulu être lisse, sans aspérités, toute ronde mais pas trop, ou en forme de cube avec des arêtes bien nettes, surtout pas un triangle, toute blonde en vrai, tout à fait parfaite, tout à fait comme il faut quand il faut, mesurer cinq centimètres de plus et peser cinq kilos de moins.

StockOption

Tout est calme. Aucun courrier dans les bannettes.

Les déménageurs ont étiqueté notre matériel informatique et téléphonique en prévision de notre changement de bureau. Il va falloir que je fasse mes cartons.

Je pose une étiquette sur la cafetière ExpreSo, une autre sur la plante verte du bureau et une autre encore sur les bannettes toujours vides de courrier. Ne pas oublier le tableau blanc magnétique sur lequel on n’écrit plus jamais rien, ni les deux photos encadrées qui sont assez moches.

Jeanne a fait du ménage dans les fournitures de bureau, de quoi remplir la hotte d’une garnison. Que de gâchis !

J’entends crier au bout du couloir, ce sont les garçons qui se détendent. Ils sont déchaînés dit Carole. Aliénor, leur N+1 est en vacances durant deux semaines, ceci explique cela.

Farid met une heure à manger un carré de chocolat Zint à la pointe de sel. Il suce le carré car il ne veut pas manger les grains de sel. Par la fenêtre il observe une dépanneuse qui s’apprête à enlever une voiture de course ancienne décapotée, une voiture cheveux au vent précise-t-il rêveur.

Autres états d’âme

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Il navigue à vue avec comme seuls outils la pâte à crêpes et la boule de cristal. Le bateau coule. Désorganisation. J’ai des dossiers sur tout le monde. Ça ne peut pas nuire. Soirée événementielle : pas question d’être assis à côté d’un boucher. Inshallah, à demain. Il est courtois. Encore un café ?

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12ème étage J’arrive dans le sas de décompression du M&A et trouve le bureau un

peu sombre. La plante verte du bureau a été oubliée au 7ème étage, il faut la récupérer, mais la cafetière ExpreSo est bien là.

La logistique, les déménageurs, sont aux petits soins pour nous, on se

croirait dans un hôtel cinq étoiles. Le clavier de mon ordinateur a reçu un choc, impossible d’appuyer sur la barre d’espace, aussitôt dit, aussitôt changé. Le fil de la souris n’est pas assez long, aussitôt dit un technicien s’allonge sur le sol sous mon bureau et ferraille, démêle et rallonge le fil, magique. L’halogène est déplacé, Jeanne ne supporte pas sa lumière. La plante verte du bureau est récupérée. Les imprimantes dédiées ne sont pas les bonnes, en un coup de téléphone le problème est réglé. Il manque une imprimante, Albert en commande une aussitôt. Ne manque plus que le champagne.

La décoration s’organise, des petits poissons en papier par-ci,

parfaitement, des photos par-là, on retrouve les aimants dans une pochette, le tableau représentant des fleurs ne tient pas au mur, on s’en moque un peu car il est plutôt banal. Une boîte à papier rose fluo se retrouve posée sur mon bureau, et le tour est joué, c’est bien plus gai qu’en arrivant.

La cafetière ExpreSo est en ordre de marche, j’ai rempli le récipient

d’eau fraîche. Les garçons sont montés du 7ème étage pour vérifier notre bonne installation et boire un café.

Raphaëlle propose un petit déjeuner d’accueil demain matin, elle

apportera des croissants. 12ème étage, suite Le 12ème étage, c’est l’étage de mon directeur. C’était un étage autrefois

convoité. Aujourd’hui, avec le Plan d’adaptation des effectifs, on se moque bien d’y être, les petits wagons verts et blancs me manquent, la Seine s’est vidée, le Crocodile Vert s’est barré, et j’attends le courrier de la DRH fin avril qui m’informera officiellement que mon poste est supprimé.

Comme nous sommes voisins, mon directeur vient nous voir et nous

serre la main. Bonjour.

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12ème étage, encore Surprenant, nos voisins du M&A passent une tête dans le bureau, et

nous souhaitent la bienvenue, voilà qui est de bon augure. Ce sont de gros bosseurs, ils travaillent très tard, vraiment très tard, et se nourrissent de sushis qu’ils commandent quand ils n’ont pas le temps de déjeuner ou de dîner. Je n’aime pas trop les sushis, je préfère les sashimis plutôt moriawases, et surtout, les crêpes banane-chocolat.

Combien de temps allons-nous rester dans ce bureau ? Il faut que je pense à organiser mes vacances. Stretching Nous avons fait l’étoile de mer plusieurs fois. C’est mieux que de faire

l’oursin, ou le crabe… Croissants La première et la dernière fois que Lintellect a apporté des croissants au

bureau, les garçons du bureau des garçons les ont photographiés. Mémorable.

Les hôtes d’accueil A StockOption les hôtesses d’accueil ont été remplacées par des hôtes

d’accueil, ça alors, et je ne m’en suis même pas aperçu en arrivant ce matin, ni hier d’ailleurs, ni avant-hier.

Il faut regarder, être plus attentive !!!Voir, ça commence par regarder autour de soi.

Avoir un projet

Devenir Senior Banker, me familiariser avec les racines carrées, faire de bons financiers glacés au citron, avoir un vrai projet personnel et professionnel, escalader la hiérarchie. Trouver l’idée géniale, je vais la trouver.

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Dans un jour, dans un an Prochain rendez-vous avec le Docteur Whengereguen dans un jour, le

suivant, dans un an ! C’est comme le métro, Prochain train, dans une minute, le suivant dans quatre minute, même si l’espace-temps n’est pas le même.

La salle d’attente du Docteur Whengereguen La salle d’attente est bondée car deux oncologues reçoivent en même

temps. Le Docteur Whengereguen ne reçoit pratiquement que des patientes atteintes d'un cancer du sein.

En arrivant, je manque de peu de percuter une femme d’une maigreur

extrême qui marche avec effort, on dirait une herbe, un souffle, une ombre. Sa perruque est posée de travers. Elle trébuche, et demande un taxi à l’accueil.

Une femme pleure doucement, puis s’essuie rapidement les yeux avec

le dos de ses mains. Juste à ce moment, sa fille arrive, Me voici, j’ai enfin réussi à me garer, ça va Maman ? Oui ma petite chérie, je vais très bien, ne t’inquiète pas.

Une dame très âgée explique à sa fille qu’elle ne comprend pas

comment on peut acheter de la vaisselle bleue, car aucun aliment n’est bleu. Préfère-t-elle de la vaisselle couleur boudin noir aux trois sels, ou côte de veau marengo à la basquaise dans son jus de carotte aux trois betteraves ?

Deux femmes qui viennent de faire connaissance dans cette salle

d’attente discutent. L’une est blonde, l’autre est brune. La femme blonde, qui visiblement a un cancer du sein rassure l’autre, la femme brune, et elle se penche maternellement vers elle, toute en courbes, la rassure, courage, volonté, ne vous en faites pas ça va bien se passer. La femme brune se redresse tel un paratonnerre, ou un parapluie, et répond que elle, ce qu’elle a est bien plus grave que ce qu’a la femme blonde, car elle, c’est un cancer des poumons qu’elle a, et en plus, depuis quatre ans. Gloire, puissance, la classe, encore une Chef des maladies graves. Dommage que personne dans cette salle d’attente n’ait ce jour-là et à cette heure précise, un cancer du pancréas ou des ovaires, il lui aurait calmé son esprit de compétition.

D’autres se cachent derrière des revues ou pianotent sur leur

smartphone. Certaines encore prient silencieusement, ou imaginent ce

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qu’elles pourraient créer, peindre, dessiner, sculpter ou écrire.

Moi, je rêve et prends quelques notes.

Sortie de la consultation

Chaque fois qu'un patient quitte le cabinet de consultation et repasse par la salle d'attente, tous les regards sont braqués sur lui, comme si chacun cherchait sur son visage les signes du couperet : guérison, rémission, récidive, condamnation, combien de temps encore. C'est un peu le principe de la roulette russe, en plus universel.

J'ai remarqué et partagé cette silencieuse interrogation à chaque fois, lors de chaque rendez-vous avec l'oncologue.

Dans un cabinet dentaire ou médical classique, on ne se regarde pas comme ça, l'enjeu de la consultation n'est pas le même. On ne cherche pas à se rassurer en évaluant l'autre.

Le Docteur Whengereguen Il m’accueille dans son bureau avec un Salut ma belle ! qui me ravit.

Il travaille chaque jour, sauf éventuellement le dimanche, de 8 heures le matin jusqu’à 20 heures, sans s’arrêter jamais, même pour déjeuner. Il y a trop de femmes malades ! Et comme chaque femme a deux seins, il faut doubler le compte ! Il veut tout faire pour qu’elles aillent bien, et ses traitements ainsi que sa jovialité y contribuent.

Il me confirme qu’il approuve l’opération de l’ablation des ovaires et

des trompes, car dans mon cas, cela diminue les chances, euh, les risques, de récidiver au niveau des seins, et bien sûr, au niveau des ovaires aussi.

Je vous l’avais dit les filles, je ne ferai pas restau ! Me trouvant fatiguée, il m’épargne la compagnie de la méchante

Aromasine. Vous êtes sûr ? J’espère que vous ne me la prescrivez pas pour me faire plaisir, car moi, ce qui me ferait plaisir c’est de ne pas récidiver. Et puis, je ne suis pas si fatiguée que ça !

« Je vous assure que ce n’est pas pour vous faire plaisir, on verra dans

un an, à suivre. Vous gardez le Tamoxifène encore un an et au prochain rendez-vous, on avisera. Pour les effets secondaire, désolé, il n’y a rien à faire.»

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Je lui demande ce qu’il pense de ne plus boire du lait, si c’est vraiment déconseillé. Il sourit, il rit même, il a des dents blanches, immaculées comme sa blouse. Il me dit que maintenant tout n’est que superstition, n’importe quoi. La dernière mode me raconte-t-il, est de jeûner pendant les chimiothérapies pour mieux anéantir les cellules cancéreuses. Seulement voilà, en jeûnant, ce ne sont pas que les cellules cancéreuses qui s'affaiblissent, ce sont aussi les malades qui ont alors plus de mal à supporter les chimiothérapies... C’est ballot.

Il m’explique en riant que ce qu’il faudrait, c’est que les gens s’éclatent,

vivent comme ils veulent. Je ne peux écrire ce qu'il m'a dit que, dans un grand éclat de rire, nous devrions tous faire...

Il regarde les radios que je lui ai apportées et mes lolos, comme il les

appelle en souriant, que je porte toujours sur moi, tout va bien. Il est gai, joyeux. Les femmes en vie aiment toujours leur oncologue, c’est leur sauveur, surtout si l’oncologue est un homme. Et ça, je crois que je l’ai déjà dit.

Il faut que je pense à dire à Antoine qui passe le concours de l’internat

dans vingt et un jours, que s’il veut être aimé des femmes en vie, il serait bien qu’il soit oncologue.

On s’embrasse,

A dans un an, vivement dans un an qu’on se retrouve !

Les secrétaires, euh, les assistantes, sont surprises. Pour elles, ce n’est

sans doute pas un sauveur.

Pour moi, c’est une compétence, un éclat de rire, une fiabilité, une survie, et même une étoile de David qui brille sur sa peau, signe de la Première Alliance. Avec lui, chaque consultation est revigorante.

Je repars, soulagée d’avoir échappé à la méchante cousine. Ouf. Je dois

décompresser, respirer, cool.

Et puis, dans un an, c'est encore loin.

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StockOption

Je n’ai plus trop envie de parler de StockOption, mes recherches de mobilité s’épuisent, pas de budget, pas besoin de mes compétences…

La démesure

Notre fille Camille nous explique qu’aujourd’hui, tout est démesuré, accessible, plus rien n’est extraordinaire.

Adrien en profite pour s’esclaffer et dire qu’heureusement je n’ai pas vingt ans aujourd’hui, car dans la démesure j’aurais été la reine ! Sans commentaire…

A StockOption en tout cas, je ne suis pas démesurée, tout juste pesée une fois par an par le médecin du travail.

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Les chiens

Le chien argenté a été remplacé dans la vitrine par un chien bleu. Qui a acheté ce chien argenté ? Bientôt la fête des mères, pourvu que ce ne soit pas un de mes enfants…

J’ai déjà un peu gagné, c’est le chien rose qui sera le dernier.

Concours national classant

Ça y est, aujourd’hui mercredi 28 mai 2014, à 12 heures précises, Antoine vient de terminer les épreuves du concours national classant.

Texto reçu d’Antoine : « C’est la liesse, on vit les vacances !!! Musique à fond, champagne, vous n’imaginez pas ^^ ^^ »

Textos reçus de Camille : « MIDI !!! Antoine a terminé ses concours !!! YOUHOUUUUUU !!!»

Puis « Je pleure de soulagement ! Je suis tellement heureuse que tout ça soit enfin derrière lui !!! »

Et enfin « Finis les bibliothèques, les we enfermé dans les bouquins ! Rolala, je suis super émue, je ne pensais pas que ce serait à ce point ! »

Textos reçus d’Inès : « A quelle heure est le concours d’Antoine ? »,puis, « Toujours pas de réponse d’Antoine ? »,puis, « Bah voilà, j’avais raison ! Antoine le fêtard ! Il a bien raison. »

Adrien m’appelle, joie que tout cela soit fini !

La bouche d’aération

Ce matin, en partant travailler, juste après avoir traversé le jardin de mon immeuble, je contourne une bouche d’aération du métro avant de descendre les escaliers souterrains. Le métro a mauvaise haleine. La foule ne va être contente aujourd’hui encore.

Etats d’âme entendus

Ce qui est fait n’est plus à faire. Je vais la faire sobre. Il fera jour demain, ne pas se prendre la tête. C’est tendu du string comme on dit.

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Avec mon air con et ma vue basse. Je me serais laissé dire que… Je pinaille. Un café ?

Le cérémonial de l’ascenseur

Chaque matin, en arrivant à StockOption, je prends l’ascenseur qui me mène désormais au 12ème étage. Et là, à chaque fois, c’est le même cérémonial. Chaque personne qui arrive à son étage, en sortant de l’ascenseur doit dire à ceux qui restent « bonne journée », et ceux qui restent doivent répondre « bonne journée. »

Ce matin, cela s’est produit cinq fois avant que j’arrive au 12ème étage, et comme il restait encore une personne, il a fallu que je redise « bonne journée » pour la sixième fois en quittant l’ascenseur.

A l’heure du déjeuner, que ce soit en descendant au restaurant d’entreprise, ou en remontant dans les bureaux, le cérémonial continue, bonjour, bon après-midi, vous aussi merci, vous de même.

Et enfin, le soir, en redescendant vers la sortie, chaque personne qui entre dans l’ascenseur doit dire « bonne soirée », et le vendredi soir « bon week-end », aux personnes qui sont déjà dans l’ascenseur, sauf que le vendredi, cela est dit avec un grand sourire.

Cela ne vaut que pour les ascenseurs, car si on se croise dans les couloirs ou ailleurs, à la cantine ou à la cafétéria, alors là, on ne se dit plus rien, au mieux un petit signe de la tête ou une esquisse de sourire, le plus souvent rien du tout, on baisse la tête, on s’ignore, on ne se connaît pas, non mais.

L’ascenseur est comme un concentré de courtoisie, un sas de politesse, l’unique lieu dans lequel on adresse un mot poli à un collaborateur qui n’est pas de sa direction, et encore moins de son étage.

Il peut arriver que des collaborateurs ne respectent pas ce cérémonial, et restent hypnotisés par leurs smartphones. Des mufles.

Planning des départs

Raphaëlle rejoint La Com en juillet.

Jeanne et Albert nous quittent définitivement en août.

Restera donc moi, près du seau bleu avec des pinces à linge en plastique de couleur. Ce qui est ennuyeux avec les pinces à linge en plastique de couleur, c’est qu’elles se dessèchent au soleil et qu’elles finissent par

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casser une par une. Il vaut mieux acheter des pinces à linge en bois. Heureusement, comme le bureau n’est jamais très ensoleillé, coincé entre deux immeubles, les pinces à linge en plastique de couleur devraient durer plus longtemps.

Raphaëlle me dit qu’une piste de mobilité se précise pour moi, patience, réponse urgente. Si cette piste aboutit, je devrais traverser la Seine et rejoindre Farid et Lintellect. Raphaëlle ne sera pas très loin.

Raphaëlle et mon directeur font tout ce qu’ils peuvent pour pousser à cette mobilité, pour me vendre.

Ben alors, il n’est pas frais mon poisson ?

Gisèle vient de récupérer la bouilloire qui est sienne. Désormais, nous ne ferons plus frémir l’eau avec Jeanne, et nous ne partagerons plus de sachet de thé avec Raphaëlle.

Raphaëlle ne chante plus du tout, la clé de sol est partie définitivement.

Le temps de la vieille agrafeuse est révolu car ça y est, je n’ai plus d’agrafes. Heureusement que j’ai récupéré l’agrafeuse d’Isabelle et que nos magnifiques imprimantes multifonctions peuvent agrafer cent feuilles en un seul clic.

Pendant ce temps-là, le Crocodile Vert continue à se la couler douce au-dessus de la Seine, comme si de rien n’était, comme si ce n’était pas important que je n’ai plus d’agrafes pour ma vieille agrafeuse.

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Quelques gouttes de rosée

En traversant le jardin de mon immeuble pour me rendre à mon travail, je suis émerveillée par quelques gouttes de rosée posées si délicatement sur les pétales des plantes.

Cette merveille exposée à nos yeux aveugles est d’un pur raffinement, elle s’offre en parure, est d’une fragilité déconcertante.

Dieu s’éclate dans sa création, chaque jour, chaque seconde. A l’infini.

Ensuite, c’est le métro, et là, il est difficile de retrouver le même émerveillement, et pourtant, même si la foule n’est toujours pas de bonne humeur, je suis certaine qu’individuellement chaque personne croisée a en elle une petite goutte de rosée.

Tout compte fait, je crois que ce n’étaient pas des gouttes de rosée, mais plutôt des gouttes de pluie de la nuit qui étaient encore ce matin sur les pétales des plantes. Qu’importe.

Autre journée

Hier soir, j’ai été éblouie par les fleurs blanches et jaunes qui bordent l’église, comme si elles m’attendaient, comme si elles savaient que je les verrai. J’étais seule, je les ai vues et admirées.

Ce matin, la trace argentée d’un escargot brille sur le sol de mon jardin. Où donc est l’escargot ? Il ne reste plus que la trace de son passage. Et moi, laisserai-je une trace argentée un jour ?

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En vrac

Savez-vous ce que c’est que de s’ennuyer dans un bureau ? Ne rien avoir à y faire alors qu’il fait si beau dehors et que tant d’autres collaborateurs ici sont débordés.

Ce matin j’ai apporté une bouteille de vin rosé et des chips aux légumes pour fêter mes trente années passées à StockOption.

Bien sûr, Albert a un tire-bouchon dans son tiroir. Trop fort cet Albert.

Nous discutons. Albert nous parle de sa jeunesse, après avoir claqué la porte de la maison de ses parents il est allé élever des cailles dans le Larzac qu’il vendait à des restaurants et a vécu en communauté, cheveux longs, ambiance fête et pétards hallucinogènes… Jeanne est arrivée de Brest à Paris pour son premier job, sans n’y connaître personne et a dû se loger dans un foyer de jeunes filles avant de partager une colocation et enfin trouver sa liberté. Albert, une fois entré dans la banque, a bien aimé les week-ends de ski avec les collègues, retours périlleux le dimanche soir, souvenirs enivrants le lundi et coquineries dans les archives les jours suivants. Pas Albert bien sûr, Albert est très sage. Ah, enfin, on m’avait bien dit qu’il se passait des choses bizarres dans les archives…

Je rappelle qu’à nos débuts, les banquiers portaient des costumes trois pièces à rayures grises très fines, et fumaient après le déjeuner des cigares gros comme des bâtons de chaises en prenant des airs inspirés comme la fumée, l’imperméable Burberra posé négligemment, doublure écossaise reconnaissable entre mille, mise bien en évidence comme par hasard sur le siège du bureau. La mode était aussi au stylo à plume en or Montrose, reconnaissable à son étoile blanche, euh, rose. C’était l’époque des parapheurs noirs et des buvards roses.

Jeanne se souvient que « les gens des services » n’étaient pas considérés par « ceux de la direction ». Nous, on disait, « les gars des services ». A la cantine, il y avait deux salles de restaurant, et spontanément « les gens des services » déjeunaient à 12 heures dans la salle du bas, et « ceux de la direction » déjeunaient à 13 heures dans la salle du haut. 12 heures, c’est le signe qu’on habite loin de Paris, qu’il faut se lever tôt pour arriver à l’heure, et donc on a faim plus tôt, et si on habite si loin il y a peu de chance que l’on soit cadre. 13 heures, c’est la preuve que l’on habite Paris ou juste à côté, qu’on peut se lever à l’heure que l’on veut, que l’on est cadre quoi, et que l’on est très occupé, voire important, parfaitement.

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Raphaëlle ne dit trop rien, elle semble fatiguée, il est temps pour elle de partir à La Com vers plus d’action et de dynamisme.

Stretching

Plus que deux séances de stretching ! Comme l’année est passée vite. Lundi dernier nous avons fait l’arbre, le tremble argenté.

C’est avec Viviane, une fidèle de Sainte-Marine, que nous nous retrouvons chaque semaine au cours de stretching depuis quatre ans déjà. Viviane donne des cours particuliers à des jeunes lycéens. Elle est d’une patience infinie et d’une douceur toute maternelle qui, liées à un goût prononcé pour la pédagogie doivent faire d’elle la meilleure des professeurs.

Piscine

Bonnet bleu collant, lunettes protectrices et pince nez rose, maillot une pièce noir, sous l’eau, je rêve que je vole. Et si je porte des palmes, alors oui, je suis un poisson.

Brasse coulée et nage papillon sur le dos, c’est sous l’eau que je me rafraîchis et me revivifie.

Ce que j’aime c’est être complètement sous l’eau. Mon rêve serait de faire de la plongée sous-marine. En attendant, le nec plus ultra, c’est nager dans la mer ou dans une piscine découverte. Nager et voir le ciel, sentir les rayons du soleil, respirer l’odeur de la mer, n’entendre que mon souffle régulier.

A la piscine, la municipale bien sûr, lorsque je regarde les nageurs des lignes voisines, je suis émerveillée par l’impression que j’ai de les voir en apesanteur, ils sont comme flottants, mus par une force invisible. Ils perdent de leur superbe et de leur arrogance, nus, fragiles et profondément humains. On les dirait dans le ventre de leur mère, dans une immense mer amniotique.

Attention, cette immense mer amniotique est trompeuse, elle ne nous rend pas frères pour autant, gare à la sélection naturelle. Souvent, des hommes musclés et velus s’arrogent le droit d’être les plus forts, les plus rapides, et sont prêts à tout, aveugles d’adrénaline, pour doubler, dépasser, aller plus vite, se surpasser, dans l’oubli total que d’autres partagent la même ligne. C’est une forme de violence silencieuse, une violence musclée silencieuse qui me fait peur. « Mon plaisir avant tout », semblent-ils crier par leur attitude.

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Rien

Toujours rien à faire aujourd’hui, notre service n’existe plus, nous seuls savons que nous existons. Heureusement que j’écris…

Mieux que rien

Excel, PowerPoint, la magie des tableaux croisés dynamiques, des recherches v, des formules de calcul sans racine carrée. La magie des camemberts, des graphiques, des couleurs, des reliefs, le goût de l’esthétique et du synthétique, et de l’inutile aussi.

En vrac

Ce matin, j’ai traversé le jardin sans rien voir d’autre que le sol à un pas devant moi. Je n’étais ni un épi de blé doré, ni un tremble argenté.

Aujourd’hui, comme c’est le premier jour des soldes, je suis inquiète pour les chiens bleu et rose qui sont toujours dans la vitrine. Ils seront bradés s’ils ne sont pas achetés dans les jours prochains.

En sortant du métro j’ai mis une pièce dans le gobelet de la jeune fille Rom qui mendie au pied des Vélib. Assise dans la saleté, recroquevillée sur elle-même, elle psalmodiait. Je l’ai appelée tout doucement « Mademoiselle, Mademoiselle », et c’est là qu’elle s’est redressée et a esquissé un pauvre sourire, un si pauvre sourire, « bonne journée Mademoiselle. »

Pendant ce temps, je rêve à mes vacances prochaines, partir, voir la mer, j’ai besoin de voir de l’herbe, plein d’herbe, et si seulement je pouvais voir une vache, une vache blanche avec des taches noires bien sûr, brouter dans cette herbe, ce serait le bonheur.

Pendant ce temps, la jeune fille Rom rêve,

mais à quoi peut-elle rêver ?

Le classement d’Antoine est pour dans quinze jours.

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Chapitre suivant

Chimimi

J’ai envie d’être un oiseau qui vole sous l’eau, j’ai envie de rire et de pleurer, j’ai envie de pouvoir demander à mon voisin s’il aime sa vie, en quoi il croit, plutôt que ce qu’il pense de la Coupe du monde de football ou de la dernière réforme bancaire. J’ai envie de rêver et de prier en chantant, j’ai envie d’aimer Dieu de plus en plus, même s’il m’est parfois difficile de commencer à L’aimer, car on commence toujours, n’est ce pas, j’ai envie de créer des photographies d’humour-tendre, de les faire vivre sur FaceBarbe, plutôt que de m’y représenter en tenue de princesse au dernier mariage de l’été superbement entourée de mon mari et de mes magnifiques enfants sur un fond de pelouse verte et de propriété ancestrale, j’ai envie de plaire et de déplaire, c’est faux, je n’aime pas déplaire.

Le papillon

Je pensais ne plus rien avoir d’intéressant à raconter, à me raconter, et voici que ce matin je vois à la station Saint-Lazare sur le quai du Météor, je vois dis-je, un papillon de nuit voleter au-dessus des silhouettes pressées.

Mais que faisait donc ce papillon dans les sous-sols du métro ? Et en plus, personne ne prêtait attention à lui.

Il voletait, prisonnier du métro, sans avoir aucun espoir de voir la lumière du jour, sans aucun espoir de voir la ténèbre de la nuit. Il ne se posera jamais sur une feuille ou sur une herbe, ne sentira jamais le souffle du vent, ne se rassasiera jamais à une goutte de rosée.

Et la foule qui courait, qui s’essoufflait dans ses trajets et ses pensées, sentira-t-elle un jour le souffle du vent, se rassasiera-t-elle un jour d’une goutte de rosée ? A l’image du papillon, prisonnier le jour et la nuit, prisonnière éternellement ?

Et pourtant la sortie est là, elle est indiquée en toutes lettres partout, Sortie par les escaliers ou par les escalators, il y a même une sortie par un ascenseur. On peut donc prendre la sortie à sa convenance, chacun à sa vitesse, selon son choix ou ses possibilités. Il faut juste la voir. Voir la sortie, voir le chemin, voir la porte.

L’escargot

Il était temps que j’en parle car il est très important.

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Souvent le matin, lorsqu’il a plu dans la nuit, je croise un escargot qui essaye de traverser dans la largeur l’allée du jardin de l’immeuble. Il doit y arriver car lorsque je repasse, le soir, je ne le retrouve pas.

Chaque matin, est-ce le même escargot ou un autre de ses congénères ?, je le retrouve au même endroit. Cela veut-il dire que la nuit il retraverse l’allée pour finalement la retraverser chaque matin ?

Une histoire de fou ! Et en plus, une histoire dangereuse ! Certains matins, j’ai retrouvé une coquille écrasée par un voisin inattentif ou rêveur. L’horreur.

Mais pourquoi traverser cette allée ? Qu’y a-t-il donc de mieux, toujours de l’autre côté de l’allée ? Mystère. Je regarde, j’essaye de comprendre, je ne vois rien de mieux ni d’un côté ni de l’autre.

Est-ce la curiosité qui le pousse à agir ainsi, ou l’insatisfaction permanente ? Peut-être qu’il se dit que c’est de l’autre côté qu’il sera heureux, plus loin, ailleurs.

Si encore il allait plus vite, ce serait moins dangereux. Mais non, il se traîne doucement, tout doucement, il prend son temps, il flâne, il savoure. Peut-être qu’il hésite, j’y vais ou j’y vais pas. En tout cas il paraît très concentré.

Ma mère

Ma mère vieillit tranquillement, tout doucement dans son petit nid.

La dernière fois que je l’ai appelée au téléphone elle était inquiète car jusqu’à ce qu’elle décroche, le téléphone sonnait, et ensuite, plus rien, plus de sonnerie. Après dix secondes de choc, je lui explique qu’il est normal que le téléphone ne sonne plus lorsqu’on l’a décroché. Et là, elle sourit, elle éclate de rire, tout lui revient et ça, c’est plutôt rassurant.

Une histoire de fenêtre, et même plus

Ma mère savoure des petits bonheurs de tous les jours, les fleurs sur son rebord de fenêtre, l’arbre devant son immeuble qu’elle voit de sa fenêtre, les petits oiseaux qui viennent manger les miettes de pain qu’elle lance de sa fenêtre, la voisine de l’immeuble d’en face qui passe sa tête par la fenêtre, elles ne se connaissent pas et elle le regrette bien, le rayon de lumière qui pénètre par sa fenêtre et illumine sa pièce, les émissions de télévision qui la distraient, et ses enfants et petits-enfants qu’elle chérit dans son cœur de mère.

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Ma mère, suite

Elle est si gentille ma mère, jamais elle n’a eu de préférence pour l’une de ses filles ou pour l’un de ses petits-enfants, jamais elle n’a comparé ses filles entre elles ou ses petits-enfants entre eux. Rare, précieux.

Elle ne veut pas déranger, ne pas encombrer, ne pas être en trop, elle est discrète.

Elle accepte toutes les difficultés de la vie et fait toute mon admiration.

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Chapitre suivant

La pensionnaire de Gisèle

Gisèle revient après un mois d’absence, vacances et mal de dos, et la voici qui débarque dans le bureau en demandant des nouvelles de sa petite pensionnaire qu’elle nous avait confiée.

Une petite pensionnaire ?

Nous nous regardons discrètement, nous ne voyons pas de qui elle parle…

Et voici que Gisèle blêmit en voyant le pot de fleur rose vide sur le rebord de notre fenêtre.

Avant de s’absenter, Gisèle nous avait confié une mission de confiance et de gardiennage : il s’agissait de veiller sur une orchidée qui se prélassait dans son pot de fleur rose corporate… Nous supposons maintenant que Gisèle a dû vouloir l’arroser avant de nous la laisser, et l’a oubliée dans le lavabo de nos toilettes… Car maintenant que nous y pensons, nous nous souvenons bien d’une plante restée longtemps dans la cuvette du lavabo… Et nous n’avons pas réagi… Tiens, une plante, comme c’est bizarre. Bonjour Madame la plante, poussez-vous de là que je me rafraîchisse.

La femme de ménage, au bout de plusieurs jours, a dû jeter la plante qui avait dû dépérir dans le lavabo blanc sans plus jamais voir la lumière du jour. La jeter ou la remporter chez elle pour sauvetage. Et elle a placé le pot rose de la fleur, vide, sur le rebord de la fenêtre de notre bureau.

Il nous a fallu bien du temps pour reconstituer cette scène et nous avouer notre oubli.

Quelques jours plus tard, à son retour de vacances, Jeanne s’est souvenue de l’orchidée laissée dans les toilettes…

Gisèle ne nous confiera plus de plante.

Gisèle, il ne faut pas confier tes plantes à n’importe qui, et surtout, il ne faut pas les oublier dans les toilettes, cela peut être fatal !

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Chapitre suivant

C’est la faute à la pluie

Il pleut, le ciel est gris, ce matin il y avait une myriade d’escargots et de limaces dans l’allée du jardin. Les chiens bleu et rose faisaient la gueule dans la vitrine.

La foule était d’une humeur massacrante.

Les résultats du Concours national classant de médecine sont pour cet après-midi.

Rébellion

Depuis plusieurs jours je me régale de Souricoré, retour arrière, j’en ai assez de boire du thé, même vert et sans sucre.

C’est si bon.

Raphaëlle est partie

Ce matin, son bureau est rangé, c'est-à-dire qu’il est complètement vide, plus rien ne dépasse, ni ordinateur, ni téléphone, ni panier de roses, ni pochette Mariage Sœurs, ni tasses sales. Voilà qui est bien déconcertant.

Je retrouve le panier de roses en acrylique sauvage sur mon bureau, cadeau de Raphaëlle. Jeanne, elle, retrouve les dernières capsules de café ExpreSo de Raphaëlle.

Déjeuner de départ

Un déjeuner de départ a bien eu lieu, dans un restaurant réservé par Gisèle sur le site La cuillère. Elle nous répète fièrement et à l'infini que grâce à elle nous bénéficierons d'une réduction de 40%. Albert dit que ce doit être fatiguant de partir avec elle en vacances...

Nous étions six : Raphaëlle, Gisèle, Jeanne et Albert, notre stagiaire Carole et moi. Des cadeaux-surprises sont remis à chacun des partants, ainsi qu'une carte personnalisée. Raphaëlle et moi avions tout préparé.

Et pour finir, j'ai offert à chacun les extraits d'Acrostiche qui le concernent.

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Tchao tchao les amis !

Le Concours national classant

Antoine a fini par prendre connaissance de ses résultats au Concours national classant de médecine. Il espère pouvoir choisir comme spécialité la pédiatrie, et souhaite rester à Paris.

A l’hôpital, en pédiatrie, on peut tout faire, du néo-natal, de la neuro-pédiatrie, de la cardio-pédiatrie, de l‘hémato-pédiatrie, etc. Et en plus, les patients sont des jeunes d’une seconde à quinze ans, toujours confiants et souriants. Ne pas les décevoir… Les guérir, tous…

Il faut que je pense à lui dire de ne pas forcer les petits enfants de l’hôpital à manger le gras du jambon. Même si aujourd’hui, il y a rarement du gras autour du jambon.

Entendu

C’est confusing. C’est confusant. Je me suis pris un scud. Je veux rester Minella, je ne veux pas devenir Loubouton. J’ai été up slidée. Lorsqu’il n’est pas d’accord avec ce que je dis, il me dit que j’ai tort, et quand il est d’accord, il me dit que j’aurais dû le dire avant. Tu dois être un muscher (conducteur de chiens de traineau, qui aboie et fouette…). Tu es là pour avoir tort, te faire fouetter, pas pour bosser. Tu es là pour recevoir les claques à leur place, et pour sauter s’il y a le feu. C’est quand même moi le chef. Pas de double langage, il envoie balader tout le monde. Ils n’aiment pas les gens. Outil de mass mailing. Faire des prés (se prononce praiz). Tu bottes en touche. Retour de Bibiche. Faut que je trouve un job. Dans une équipe, on réfléchit ensemble. C’est dur de lui arracher un truc sympa. Tu me signes quand tu descends. Un café ? Je vais me saouler au café. Qui veut pique-niquer demain près du port de l’Arsenal ?

Les vacances d’été

Les vacances d’été sont pour demain, trois semaines à Sainte-Marine (Sainte-Marine est hélas exactement à l’opposé géographiquement de Sainte-Maxime), nous avons hâte d’y retrouver nos amis, ainsi que de découvrir la température de la mer (savoir si elle dépasse ou non les 16 degrés…).

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Chapitre suivant

Ecrire

Ecrire ce livre est étrange. J’ai eu l’impression durant ces quelques mois d’écrire mon testament, comme si j’allais mourir, alors que c’est une renaissance. Pourquoi écrire ?

J’aurais tant voulu ne rien avoir à reprocher à mes parents, j’aurais tant voulu vouloir ressembler à ma mère, j’aurais tant voulu ne pas avoir peur de la nuit, j’aurais tant voulu être fière de moi.

Je voudrais dire qu’aujourd’hui j’aime Dieu de toute mon âme, je voudrais dire que je L’ai longtemps cherché et qu’Il s’est laissé trouver, Il était si près que je ne Le voyais pas. Je voudrais dire que j’ai pardonné tous mes chagrins de jeunesse, je voudrais dire que je suis heureuse, que je commence à réaliser que je suis là où je dois être, je voudrais dire que j’ai de la chance d’être très entourée, je voudrais dire que j’ai toujours eu de la chance, je voudrais dire que je commence à être fière de moi. Et enfin, je voudrais dire que mon désir le plus cher est que la chaîne du cancer soit rompue et qu’aucun de mes enfants ne soit touché par cette maladie, je voudrais dire que je souhaite être la dernière de ma famille à l’avoir eue.

Le fil est tranché, et bien tranché.

Comme la rosée qui naît de l’aurore,Je t’ai engendré.Psaume 109

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Dernier chapitre de la deuxième partie de la ballade

Que sont aujourd’hui devenus mes compagnons de StockOption ?

Albert : Il rêve toujours de sa pousada au Brésil, et profite à fond des apéritifs organisés autour de la piscine découverte de sa résidence.

Gisèle : Durant toute la période de sa pré-retraite, c'est-à-dire, jusqu’à ce qu’elle soit vraiment à la retraite, elle peut continuer à bénéficier du Comité d’Entreprise de StockOption, joie.

Jeanne : Elle est trop raisonnable pour jouer ses économies au casino de Cannes, et elle sait très bien quoi faire de son temps libre maintenant.

Raphaëlle : Elle organise sa vie de « de l’autre côté du pont », et cela n’est pas si simple. Elle ne manage plus personne, un vrai gâchis…

Isabelle : Elle incube toujours ses actifs.

Lintellect : Il a traversé la Seine, comme une balle de ping-pong, d’un seul coup, sans savourer, comme un sportif.

Farid : Lui, c’est en volant qu’il a traversé la Seine, il était comme un oiseau, il sifflotait, et son fauteuil était léger, si léger.

LePrésident : Si ça continue, c’est lui qui va se présenter aux Primaires d’un certain parti ex gaulliste, je crois qu’il est tenté…

Gabriel : C’est le seul à être resté au septième étage, c’est sa nouvelle équipe qui nous a remplacés géographiquement, il a toujours la vue sur la Seine, le métro aérien et le Crocodile Vert. Sait-il qu’il a de la chance ?

Albéric : Albéric, avec un A comme « Ah comme tu vas nous manquer ! » a quitté StockOption discrètement, sans faire de pot de départ. Pour répondre à son mail d’au revoir, je lui ai adressé la réponse à son acrostiche d’il y a bien six mois déjà, la réponse de George Sand à Alfred de Musset, avec des lettres grasses comme le gras du jambon :

Cette insigne faveur que votre cœur réclame Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.

Léna : Elle donne des formations à New York, Singapour et Hong Kong. Son fils Noé est –il toujours amoureux de Lola Castagne ? C’est important, il faut que je pense à le lui demander. En attendant, elle est débordée et a besoin d’aide. Elle vient de me proposer une mission de

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quelques mois. Je suis très contente qu’elle ait pensé à moi et suis ravie de lui rendre ce service. Mais, n’est-ce-pas plutôt elle qui me rend service ?

Lotfi : Il continue à travailler avec Léna. C’est lui qui va me former dans le cadre de ma nouvelle mission. Bon courage Lotfi !

Anne : Elle fume toujours et boit plus de cafés pour se détendre.

Carole : Elle est une pro en dissolution de service, juste un peu d’eau bouillante, sans sucre s’il vous plaît.

Mon directeur : Juste avant que je parte en vacances, il est venu dans le bureau dire au-revoir à Jeanne et Albert. Il m’a rassurée, m’a dit de ne pas m’inquiéter, que la DRH veille sur moi.

Mon patron : Durant l’été, il est parti dorloter ses vignes. Il n’aime décidément pas les betteraves (Adrien non plus n’aime pas les betteraves, même mélangées à de la salade. Il dit que lorsqu’il était petit, cela lui faisait penser à du jus de sang, et que du jus de sang dans la salade, ce n’est pas très appétissant). La dernière fois que je l’ai croisé, je l’ai encouragé à bien diriger, c’est dur de bien diriger, je n’aimerais pas être à sa place.

Géraldine : Grâce à Léna et Lotfi je n’aurai plus froid aux mains, à

défaut de gants je porterai des mitaines durant quelques mois. Le seau d’eau croupie et les pinces à linge vont rester à m’attendre dans le placard, au bout du couloir. J’espère ne pas leur manquer, même si je n’ai pas hâte de les retrouver. L’agrafeuse et ses myriades d’agrafes me suivront. Les cellules dormantes dorment, le ChronoSouffle s’améliore, j’ai plaisir à prendre des photos et à les faire vivre sur FaceBarbe, je crée en m’amusant.

Le Monsieur de la plante verte du bureau : Cela fait deux fois qu’il vient le mardi et non pas le mercredi. Tout se perd…

Le Crocodile Vert : La dernière fois qu’il a été vu, c’est au même endroit, il n’en finit pas de ne pas bouger, pas très curieux le croco.

Les deux tours de la Porte de Bagnolet : Dans cette histoire, elles n’ont toujours aucun intérêt.

La cafetière Expresso va être rendue à la société qui nous la louait.

Mais encore :

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La foule du métro : Bien que toujours aussi belle, elle n’est toujours pas de bonne humeur.

Le Crabe : Je le nique, fuck le Crabe, qu’il aille donc bouffer des crevettes.

Le chien bleu et le chien rose : Les deux chiens bleu ciel et rose ont disparu ! Ils ont été remplacés par deux autres chiens aux couleurs bleu criard et jaune très vif ! Ont-ils été vendus ? Je regrette de ne pas avoir pu leur dire au revoir, et leur souhaite bon vent.

Dieu : Il est toujours aussi patient avec moi, avec tous, chaque jour, chaque seconde, à l’infini.

Livre d’Isaïe 55, 6-9 : « Cherchez le Seigneur tant qu’Il se laisse trouver. Invoquez-Le tant qu’Il est proche. (…) »

Et s’Il n’était plus proche ? Le chercher maintenant. Et s’Il ne se laissait plus trouver un jour ? Le trouver maintenant.

Ma mère : Et voici que ma mère devient plus légère, ses vêtements sont soudainement devenus trop grands, elle flotte dedans. Et voici que ma mère devient plus légère, sa raison commence à flotter dans de nouvelles tempêtes trop lourdes à supporter.

C’est à mon tour, à notre tour, de lui prendre la main pour la faire

avancer sur son chemin. « Comment cela va-t-il se faire ? » demande Marie à

l’Ange Gabriel.

« Tout doucement, très doucement, avec sa main dans ta main », murmure la brise légère.

Je suis bien triste car cela me sera bien difficile, je ne sais pas si je vais y arriver.

« Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible », souffle à nouveau la brise légère.

« Tu sais Maman, je t’aime. »

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Dernière question posée par ma mère après le dernier chapitre de la deuxième partie de la ballade

« Mais, qui sont tous ces gens ? Gustave Roussy qui sent le roussi, Curie (Pierre ou Marie, ou peut-être les deux ?), et maintenant cet Alzheimer si difficile à prononcer et à écrire (Alzheimer, ou sa petite cousine d’ailleurs).

Que nous veulent-ils ?

Ne t’inquiète pas ma petite Maman, ils sont juste venus nous faire une petite visite, boire une tasse de thé vert, sans sucre bien sûr. Tu sais, c’est aussi grâce à eux que nous sommes plus forts. Ensemble.»

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* Il s’agit d’une œuvre « La voie lactée », de Geneviève Cadieux, artiste canadienne.

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Ça, c’est nous deux, Adrien Doudou et Chimimi. C’était la première fois que je retirais ma perruque, Adrien s’en était saisi.

Chimimi, parce que dans Chimimi on entend Chi comme chimiothérapie, et Mimi, comme d’hab.

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· Web viewAcrostiche. ou. Accroche-toi à la vie, e. lle est si belle ! Marie-Aude de Feraudy....

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