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Voyageur malgré lui

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DU MÊME AUTEUR

La Princesse et le Pêcheur, Actes Sud, 2007 ; Babel, 2009(Prix Gironde - Nouvelles Écritures 2008)

Le Lac né en une nuit et autres légendes du Vietnam, ActesSud « Babel », 2008

La Double Vie d'Anna Song, Actes Sud, 2009 ; J'ai Lu,2011 (Prix Drouot, Prix Pelléas, Prix de l’Asie, Prix deslecteurs du Salon Livres et Musiques de Deauville)

Comment la mer devint salée, conte illustré par VanessaHié, Actes Sud Junior, 2011

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Minh Tran Huy

Voyageur malgré luiroman

Flammarion

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L'auteur a bénéficié pour ce livred'une bourse du CNL.

© Flammarion, 2014.ISBN : 978-2-0813-3356-7

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Pour Paul et Alexandre

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Quelque part, je suis étranger parrapport à quelque chose de moi-même ;quelque part, je suis « différent », maisnon pas différent des autres, différentdes « miens » : je ne parle pas la langueque mes parents parlèrent, je ne par-tage aucun des souvenirs qu'ils purentavoir, quelque chose qui était à eux,qui faisait qu'ils étaient eux, leur his-toire, leur culture, leur espoir, ne m'apas été transmis.

Georges PEREC, Ellis Island

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ALLERS

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Tout a commencé à New York, au début du moisd'août 2012, alors même que je pensais que toutvenait de s'achever. Je me promenais dans un ancienlycée réaménagé en galerie d'art contemporain,quelque part dans le Queens. Des amis partis envoyage m'avaient prêté leur appartement près deUnion Square ; j'avais posé mes valises, dormiquelques heures pour me remettre du vol depuisParis, et je m'étais levée, prête à quadriller les lieux –

ce que je faisais depuis quatre jours à présent. L'étéavait transformé la ville en fournaise à ciel ouvert et jem'étais mise à courir les musées comme d'autres lesmagasins : MoMA, Frick Collection, Neue Galerie,Met, Guggenheim, Whitney… J'enchaînais les visitessans m'accorder aucune pause, ou presque, pouréchapper à la chaleur, mais aussi parce que je mesentais bien dans ces lieux clairs et feutrés ; à la foisailleurs et chez moi, à l'abri du monde en tout cas. Ilsavaient toujours constitué des refuges au milieu desconstants déplacements qui ponctuaient ma vie. Non

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que celle-ci fût particulièrement aventureuse : j'enre-gistrais des sons pour une agence de création sonore.On les retrouvait dans des publicités, des émissions deradio, des téléfilms, des courts et des longs-métrages.Je recevais des listes de thèmes classés par ordre alpha-bétique, avec des instructions (captation de près ou deloin, avec telle variation dans les effets, sur telle durée,pour tel usage) ou pas d'instructions du tout, ce quime laissait libre alors d'improviser. J'avais enregistréles cloches des églises et cathédrales dans à peu prèstout ce que la France compte de villes et de villages, lesouffle régulier des moulins brassant l'air dans descoins perdus de Hollande, le brouhaha des conversa-tions dans des cafés anglais, italiens, allemands, russes,japonais. La mer fouettant rageusement la grève ou sebrisant dans un soupir, le vent murmurant dans desforêts de bouleaux, de pins, de cyprès et de séquoias,la pluie tombant sur des toits d'ardoise, de zinc, dechaume, frappant le bitume des rues de Londres etde Paris, la carrosserie d'un car Greyhound en par-tance pour Boston, les trottoirs de Saigon inondés parla mousson, une cour de Toscane où avait été oubliéun drap mis à sécher. Je promenais mon matériel aumilieu des festivités d'un carnaval vénitien ou dans unchamp enneigé de la Nouvelle-Angleterre, attentiveau sourd crissement de mes pieds s'enfonçant dans lacompacte blancheur. Je pouvais passer plusieurs joursà dresser la cartographie sonore d'une région pour ladécouper et la désosser ensuite en fragments quel'agence archivait dans son catalogue.

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J'aimais mon métier, heureuse de ne pas avoir à memorfondre entre quatre murs, même s'il m'arrivait deme sentir désorientée – comme si mon esprit peinait àsuivre le rythme de mon corps. Les musées étaient peuà peu devenus des repères, des points d'ancrage ausein du mouvement perpétuel qui portait mes pas. Ilsme permettaient de me concentrer sur autre chose quesur les bruits du monde. J'y évoluais comme dans uncocon, sans pour autant avoir l'impression d'y êtreenfermée, chaque peinture, tableau, sculpture consti-tuant un univers en soi ; c'est ce que m'avait dit unjour mon père, qui m'en avait transmis le goûtcomme il m'avait transmis ses yeux noirs et son natu-rel timide, sa distraction. Il n'était pas un grandconnaisseur en matière d'art – la première partie deson existence avait été tout entière vouée au travail –,mais cela avait toujours été pour lui un objet de curio-sité. Quand le petit campagnard vietnamien qu'il étaits'était mué, au fil du temps et des études, des épreuvesaussi, en un ingénieur français capable de subveniraux besoins de sa famille, il avait commencé de pous-ser la porte de ces temples de la culture. Ils étaientautant de labyrinthes où il tâchait de trouver sonchemin traçant sa route avec cette tranquille obstina-tion qui lui avait permis de surmonter des fléaux qui,pour moi, n'étaient que des mots : la pauvreté, lamaladie, la guerre. Son quotidien du temps où il vivaitau Viêtnam, dont seul l'exil l'avait sauvé.

D'une exposition à l'autre, il s'était immergé dansles différents courants artistiques comme dans les

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affluents d'un fleuve, naviguant du gothique à laRenaissance, du classicisme au romantisme, del'impressionnisme au cubisme, à l'expressionnisme,au surréalisme, mettant tous ces mouvements enrelation les uns avec les autres afin d'observer le dia-logue des artistes par-delà les siècles et la variété infi-nie des réponses qu'ils avaient données aux mêmeséternelles questions. Arrivé à l'âge de la retraite, ilavait pris des cours et acheté du matériel – toiles,papiers, pinceaux, crayons, fusains, gouaches, aqua-relles. Il était devenu un copiste doué, dont lestableaux avaient peu à peu recouvert les murs dupavillon de banlieue où ma sœur et moi avionsgrandi, une grande maison en meulière au sud deParis. Face aux protestations de ma mère, fatiguée detrébucher sur des cadres mal rangés, il répliquait surun ton d'excuse : «Quand j'arrête de dessiner, mesmains tremblent. » Et c'était vrai. Ses mains fines auxlongs doigts de pianiste – des mains dont on n'auraitjamais cru qu'elles étaient originellement destinées àpousser la charrue, récolter le riz, construire des clô-tures – se contractaient malgré lui s'il les laissait troplongtemps loin du carton à dessin. Il prenait un plai-sir joyeux, sensuel, au choix des matériaux, aumélange des couleurs, aux mouvements qu'il impri-mait au crayon ou au pinceau sur le papier. Un plaisirtel qu'il n'imaginait plus vivre sans, qu'il ne pouvaitplus vivre sans. Et je prenais plaisir à son plaisir,j'adorais voir mon père à sa table ou devant sonchevalet, le geste souple et le visage concentré ;

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réconfortée par l'idée que cet homme, qui, touteson existence, s'était consacré aux siens – au prixde tant de fatigue et de soucis –, avait fini par trouverla paix.

J'ai visité beaucoup de musées avec mon père. Peudiserts l'un et l'autre, contrairement à ma mère et àma sœur, qui monopolisaient la parole lors des repasde famille, nous aimions parcourir sans dire un motles allées d'une exposition. Le dernier plasticien quenous avons découvert ensemble, Josiah McElheny,architecturait de délicates installations de verre, jouantdes paradoxes d'une matière à la fois fragile et dure,insaisissable et figée, éclatante et neutre. L'une d'entreelles, constituée d'une vingtaine de fioles cristallinesalignées sur deux étagères de bois, La Théorie deslarmes, était assortie d'étiquettes dactylographiées.Celle de gauche indiquait que, dans l'Antiquité, onavait coutume, lors des enterrements, de recueillir leslarmes des endeuillés dans ces flacons, qui étaientensuite déposés sur la poitrine des défunts pourles accompagner dans leur ultime voyage. Celle dedroite affirmait que lesdits flacons avaient autrefoiscontenu des onguents et des huiles cosmétiques etqu'ils étaient si indissociables de leurs propriétairesqu'ils suivaient ces derniers jusque dans leur cercueil.D'un côté une légende romantique, romanesquemême, à laquelle j'avais aussitôt adhéré, de l'autreune explication utilitaire, logique, qui correspon-dait davantage à la tournure d'esprit de mon père.McElheny les avait mises sur le même plan, sans

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qu'on sût s'il s'agissait des hypothèses sérieuses despécialistes, ou si elles étaient le fruit de sa seule imagi-nation. Les fioles pouvaient aussi bien être des copiesde pièces authentiques que de pures créations. Leurvide diaphane semblait un appel à les investir, à leurdonner une histoire, un poids. La « théorie deslarmes » leur conférait une émotion et une poésie sanslesquelles elles n'auraient été qu'une rangée de conte-nants dépourvus de contenu. Cette œuvre m'avait pluparce qu'elle exprimait ce que j'espérais des artistes –

qu'ils dotent les choses d'un sens, quitte à l'inventer.Mon père en avait une interprétation opposée : pourlui, elle soulignait la relativité du savoir et de l'emprisedes hommes sur le monde, dont le mystère resteraittoujours aussi lisse et impénétrable qu'une cloche deverre. S'il était surtout attaché aux qualités esthétiquesdes œuvres et à l'habileté technique des artistes, j'enattendais, pour ma part, une forme d'éveil, de révéla-tion, quelque chose comme une étincelle jaillissant dufrottement de deux silex. J'aimais les considérercomme des systèmes à décoder, des énigmes à déchif-frer, des boîtes à secrets dont il fallait découvrir la clef,alors que mon père était un amoureux de la beauté,qui lui apparaissait comme une consolation.

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Mon père n'était pas avec moi en ce début d'été.Mais le souvenir de sa présence m'accompagnait tan-dis que j'allais et venais dans l'ancien lycée duQueens. Je l'imaginais détaillant d'un air dubitatif lespièces exposées – une montagne de confettis multico-lores empilés derrière une vitre, un ventilateur sus-pendu à côté d'un fer à repasser, plusieurs dizaines debonbonnes de gaz placées en quinconce, un aqua-rium où flottaient des ballons de basket. Sans douten'aurions-nous eu qu'à échanger un sourire pournous inciter mutuellement à quitter la galerie : monpère était bienveillant, mais il n'aimait pas perdre sontemps. Je me suis malgré tout attardée, préférant mepromener d'une salle à l'autre plutôt que de retrouverles températures étouffantes du dehors. Il faisait bon,l'endroit était désert, mes jambes légères sous marobe d'été. Je n'avais rien de prévu, après tout. Pasde mission cette fois, personne à qui rendre visitedurant ces dix jours que je m'étais entièrementréservés, loin de ma famille et de mes amis, avec le

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désir de sillonner New York en tous sens – sans vrai-ment savoir ce que je cherchais à part l'ivresse demarcher au hasard et l'oubli des réalités que j'avaislaissées à Paris.

Au détour d'un couloir, l'installation d'une Améri-caine – un tapis de terre recouvrant presque entière-ment le sol d'une salle – a fini par attirer mon regard.C'est surtout son titre, Homage to Albert Dadas, etl'étrange destin de l'homme qui l'avait inspirée, résuméen une dizaine de lignes imprimées sur le mur, qui ontretenu mon attention.

Ouvrier gazier français, Albert Dadas (1860-1907) est né à Bordeaux, mais a passé la majeurepartie de sa vie loin de chez lui. (…) Souffrant dedromomanie ou « folie du fugueur », il entrait dansdes états de transe semi-somnambulique qui luifaisaient tout quitter pour voyager avec frénésie,généralement à pied. Il se retrouvait régulièrementdépouillé de tout et emprisonné dans des citéslointaines, sans jamais pouvoir expliquer commentil était arrivé là. Il a été le premier cas officiel de« tourisme pathologique », maladie qui a fleuri enépidémie dans toute la France à la fin du XIXe siècle,puis qui s'est propagée en Italie et en Allemagne,avant de s'éteindre après une vingtaine d'années.

On expliquait que dès qu'une ville ou un pays étaitmentionné dans la conversation, Dadas était saisi del'irrésistible besoin de s'y rendre et qu'il avait ainsigagné l'Algérie, la Pologne, la Russie et la Turquie.

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Qu'importaient ses devoirs et obligations, la vie qu'ils'était bâtie pendant un mois ou un an, les liens qu'ilavait tissés, il partait tout à trac, cédant aux séductionsde l'ailleurs sans même en avoir conscience.

Je suis demeurée longtemps immobile devant cetexte, absorbée par la pensée de cet homme qui, touteson existence, n'avait eu d'autre choix que de s'enaller, encore et encore. Cette condamnation à errersans jamais pouvoir s'arrêter, ni trouver le repos, avaitquelque chose d'infiniment triste. Je me demandais cequ'il était advenu de lui. Quelqu'un avait-il élucidé lemystère de sa « dromomanie » ? Avait-il suivi un traite-ment et réussi à guérir ? Ou bien avait-il disparu ensolitaire, au détour de l'une des centaines de routesqu'il avait empruntées vers une nouvelle destination,un nouveau mirage ? Tournant et retournant ces ques-tions dans ma tête, j'ai pris en photo le mince para-graphe dévolu à l'ouvrier fugueur, puis quitté lagalerie et ses briques décorées de tags avant de m'en-gouffrer dans le métro new-yorkais.

Je voulais savoir ; c'était comme une nécessité, quej'avais toutefois du mal à m'expliquer. Sitôt rentréedans l'appartement de mes amis, je me suis installéeau bureau, j'ai allumé mon ordinateur et lancé unerecherche sur Albert Dadas. Un lien n'a pas tardéà surgir, qui donnait accès à une copie numériquede la thèse d'un certain Philippe Tissié – le médecind'Albert, celui qui en avait fait la figure de proue du« tourisme pathologique », apportant à l'un comme àl'autre une notoriété certaine, bien qu'éphémère.

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Daté de 1887, le mémoire portait un titre inhabituel-lement poétique, Les Aliénés voyageurs, et commen-çait un peu comme une nouvelle de Maupassant oude Marcel Aymé : «Un matin du mois de juillet del'année dernière, étant entrés dans le service de cli-nique de notre maître M. le professeur Pitres, nousaperçûmes un jeune homme de vingt-six ans environ,pleurant et se désolant sur son lit d'hôpital. Il arrivaitd'un long voyage fait à pied, il était fatigué, mais lafatigue n'était pas la cause de ses larmes. Il ne pouvaits'empêcher de partir quand le besoin l'en prenait ;alors saisi, captivé par un désir impérieux, il quittaitfamille, travail, habitudes et allait tout à coup devantlui, marchant vite, faisant soixante-dix kilomètres àpied dans la journée, jusqu'à ce que enfin il fût arrêtécomme vagabond et mis en prison. » Puis le docteurdécrivait et analysait de manière détaillée les symp-tômes hors normes de son patient. S'appuyant sur denombreux entretiens avec le malade, ainsi que surdiverses archives obtenues auprès de médecins del'armée, où Albert s'était engagé à deux reprises, ilretraçait étape après étape l'itinéraire qui avait menécelui-ci jusqu'à son hospitalisation présente.

Je me suis plongée dans le texte comme dans unroman-feuilleton.

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La première fugue d'Albert se produit lorsqu'il estâgé de douze ans. Placé en apprentissage chez unfabricant d'appareils à gaz, à Bordeaux, il se retrouvetout à coup à La Teste, employé chez un marchandde parapluies ambulant, incapable d'expliquercomment il a atterri là. Informé par des voisins, sonfrère vient le chercher et le ramène à la maison. Unesemaine plus tard, quelqu'un mentionne, au dîner,un héritage que le père du garçon doit recevoir àValence. Albert ne semble pas y prêter d'attentionparticulière : il mange, dort et se lève comme d'habi-tude, poursuivant en toute tranquillité sa formationd'ouvrier gazier. Mais voilà qu'après un mois d'uneroutine sans histoire, l'adolescent se réveille soudaindans la Drôme. De retour à Bordeaux, il se voitconfier cent francs pour effectuer une course pourson patron. Le lendemain, il s'aperçoit qu'il est dansun train en partance pour la capitale… Revenu unefois de plus dans sa ville natale, il entre à la Compa-gnie du gaz comme son père et son frère avant lui. Il

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Cet ouvrage a été mis en page par IGS-CPà L’Isle-d’Espagnac (16)