Voyage Toundra Arctique

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Voyage en Toundra Arctique (Nord Canada) Le 23 Août 2016. Après 1h30 de vol vers le nord-ouest, l'hydravion en provenance de Schefferville (Québec) nous dépose à notre point de départ Twin River Camp, début de la rivière George. Mes deux compagnons d'aventure et moi déchargeons notre matériel (126 Kg) sur la rive. Aussitôt, le DHC-3 Otter redécolle nous laissant là pour vingt jours d'aventure. C'est alors que je repense à la genèse de ce projet qui me tenait à cœur depuis plusieurs années. Les films et romans d‘aventures façonnèrent mon imaginaire d’adolescent avec tout un tas de personnages, d'animaux et de mystères : entre autre Davy Crokett, Pasquinel de la série télévisée Colorado joué par Robert Conrad (que j'ai eu la chance de rencontrer en 2000), John W. Powell, « Naskapi » de Speck, « Les premières Nations » de Dickason, « Le dernier des Mohicans » de Cooper. Restait à passer du rêve à la réalité : où ? Quelle saison ? Quelle distance ? A pieds ou en canot ? Plutôt kayak ou canoë ? Gonflables ou pas ? Pour quel poids de matériel ? Nous optâmes pour deux canoës gonflables et la descente de la rivière George sur 148 Km en été. S’écoulant sur plus de 560 km vers la baie d'Ungava, la rivière George a été utilisé, il y a plus de 5000 ans, par les Premières nations afin d’atteindre les terres de chasse au caribou. Depuis ce temps, elle fut l'hôte de nombreuses pages d’histoire; anciennes tribus autochtones, célèbres expéditions, études anthropologiques, paysages à couper le souffle, aventures de chasse et pêche. Après le cinquième jour, l’exaltation du départ laisse place au doute. Depuis trois jours, le vent du Nord/Nord-Ouest avec des rafales à plus de 60km/h agissent comme des coups de butoir sur nos frêles canots et nous rabattent sur la rive opposée. A plusieurs reprises, nous n’avançons que de cinq cents mètres en une heure et nous devons nous arrêter pour nous mettre à l’abri. Je m’interroge sur la suite de l’aventure ….

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Voyage en Toundra Arctique (Nord Canada)

Le 23 Août 2016.

Après 1h30 de vol vers le nord-ouest, l'hydravion en provenance de Schefferville (Québec)

nous dépose à notre point de départ Twin River Camp, début de la rivière George. Mes deux

compagnons d'aventure et moi déchargeons notre matériel (126 Kg) sur la rive. Aussitôt, le

DHC-3 Otter redécolle nous laissant là pour vingt jours d'aventure.

C'est alors que je repense à la genèse de ce projet qui me tenait à cœur depuis plusieurs

années. Les films et romans d‘aventures façonnèrent mon imaginaire d’adolescent avec tout

un tas de personnages, d'animaux et de mystères : entre autre Davy Crokett, Pasquinel de

la série télévisée Colorado joué par Robert Conrad (que j'ai eu la chance de rencontrer en

2000), John W. Powell, « Naskapi » de Speck, « Les premières Nations » de Dickason, « Le

dernier des Mohicans » de Cooper.

Restait à passer du rêve à la réalité : où ? Quelle saison ? Quelle distance ? A pieds ou en

canot ? Plutôt kayak ou canoë ? Gonflables ou pas ? Pour quel poids de matériel ?

Nous optâmes pour deux canoës gonflables et la descente de la rivière George sur 148 Km

en été. S’écoulant sur plus de 560 km vers la baie d'Ungava, la rivière George a été utilisé, il

y a plus de 5000 ans, par les Premières nations afin d’atteindre les terres de chasse au

caribou. Depuis ce temps, elle fut l'hôte de nombreuses pages d’histoire; anciennes tribus

autochtones, célèbres expéditions, études anthropologiques, paysages à couper le souffle,

aventures de chasse et pêche.

Après le cinquième jour, l’exaltation du départ

laisse place au doute. Depuis trois jours, le vent

du Nord/Nord-Ouest avec des rafales à plus de

60km/h agissent comme des coups de butoir sur

nos frêles canots et nous rabattent sur la rive

opposée. A plusieurs reprises, nous n’avançons

que de cinq cents mètres en une heure et nous

devons nous arrêter pour nous mettre à l’abri. Je

m’interroge sur la suite de l’aventure ….

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Epuisé, le soir sous ma tente je réalise que je ne suis pas dans

un combat où je peux tout contrôler. Combat contre les mouches

noires, les maringouins (moustiques), le vent, le froid, la fatigue.

Je réalise que je dois plutôt essayer d’être en harmonie avec ce

nouvel environnement, vivre le moment présent, composer avec

une nature que je découvre. Prendre le temps d’observer et

profiter de ce qu’elle nous offre.

Progressivement, le monde moderne avec ses préoccupations disparaissent dans ma tête,

je m’allège mentalement pour me concentrer sur l’essentiel. Les petites choses deviennent

importantes. Je sens qu’une transmutation s’opère. Je me sens plus serein.

Depuis la rivière qui par endroit fait jusqu’à 4km de large, je vois un ours qui mange des

bleuets en remontant une dune, une vingtaine de caribous qui traversent la rivière à quelques

deux cents mètres devant nous, une douzaine d’oies sauvages qui passent au-dessus de

nous, des lagopèdes qui se cachent au milieu des rochers et des

aulnes, un écureuil qui nous salue en sifflant. Lors de chaque

bivouac, je savoure les mûres, les bleuets tant prisés des ours, le

thé de la Toundra que nous préparons chaque matin, les cèpes

que nous mangeons sous forme de soupe le soir.

Au fil des coups de pagaies nous passons de la Toundra Forestière à la Toundra Arctique.

Les sapins sont plus rabougris et plus dispersés. Mon visage s’est couvert d’une courte

barbe, les traits sont tirés.

Au dixième jour, nous nous accordons une journée de repos, nous en profitons pour monter

au sommet de la colline High Cliff. Après trois heures de marche alternant tourbières et

rochers, nous atteignons le point culminant d’où la vue plane au-dessus de la rivière et des

collines recouvertes d’un tapis végétal. Hors du temps, j’immortalise ce

tableau en prenant une photo. En redescendant nous longeons une forêt

traversant la steppe, des mélèzes et épinettes blanchies et fossilisées par

le temps sont comme des fantômes qui gardent les âmes de la Toundra.

Je me surprends à leur parler. Un faucon nous survole.

Rêveur, la nuit quand le ciel est dégagé j’observe les aurores boréales.

Si aujourd'hui la science sait expliquer ce phénomène, le spectacle reste

néanmoins majestueux. Le voile vert ondulant se forme et se déforme,

gagnant rapidement en intensité ou s’affaiblissant lentement. Allant vers

le rose. Je pense alors aux légendes et à ce que les autochtones pensaient en observant ces

couleurs dans le ciel. Nous échangeons tous les trois sur ce spectacle silencieux de lumière :

est-ce un bon ou mauvais présage?

Après plusieurs jours durant lesquels nous avançons en moyenne de 14 Km par jour,

alternant soleil et pluie, nous arrivons à Fish Camp. Ce lieu est mondialement réputé pour

ses remontées de saumons. Hommes d’affaires américains et canadiens s’y retrouvent pour

pêcher à la mouche le saumon (en moyenne de 12 à 14 livres). L’arrivée au campement

après le passage de quelques rapides sur 2 Km fut un moment intense. Moment

d’aboutissement et aussi moment de nostalgie signifiant la fin de l’aventure. Nous nous

réchauffons près d’un poêle en buvant un café. En fin d’après-midi, dans la cuisine du chalet

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principal nous préparons un saumon péché le

matin même sous la forme de trois plats : une soupe de

poisson, quelques tranches fines de saumon marinées

au citron et à l’huile d’olive, des filets cuits à l’unilatérale.

A table, tout le monde se régale et nous discutons avec

les pécheurs qui avaient entendu parler de notre

arrivée. Le lendemain, l’hydravion viendra nous

chercher pour nous amener à Schefferville.

D’après un calcul approximatif, nous avons ramé 118450 fois… mais là n’est pas le plus

important. C’est encore trop tôt pour décrire en quoi précisément ce voyage agit et ce qu’il

représente pour l’instant. Ce voyage m’a grandi. C’est bien pour cela que j’y retournerai.

Jean-Christophe Huc (« Jay C »).

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais

d’avoir d’autres yeux, de voir avec les yeux d’un autre», Marcel Proust (A la recherche du

temps perdu).

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