Vous avez dit solfège?

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A l'occasion de la révision de ces petits livrets de répertoire, voici quelques considérations plus globales sur les réflexions qui ont initié ma démarche. Le solfège et l'enseignement de la musique aux petits. Le problème de l'enseignement du solfège est multiple et complexe, il est au centre de nombreuses querelles, même entre spécialistes. Il semble difficile actuellement de pouvoir satisfaire à la fois les élèves, les parents, et les acteurs de l'enseignement spécialisé. La nouvelle nomenclature du solfège (Formation Musicale) n'a pas vraiment éclairci les choses, à l'instar des cantines, qui ne comblent guère plus leurs usagers depuis qu'elles se nomment « restaurant scolaire ». La question de la dénomination n'est pas anodine, elle est révélatrice d'un des malaises de cette discipline. En effet, le terme de solfège, si il est aujourd'hui très fortement connoté, avait pour avantage de faire référence à la mission dévolue à cet enseignement , en quelque sorte un équivalent à l'alphabétisation dans le domaine scolaire. Si nous suivons ce parallèle, l'alphabétisation apparaît également comme la première mission des enseignants de l'école primaire, mais les programmes scolaires ne s'arrêtent pas là. Il en est de même pour notre matière, et c'est sans doute en grande partie ce qu'ont voulu signifier les artisans de la réforme de la formation musicale. Cependant, les contours de ce terme sont très vagues, et posent la difficile question de la mission de la discipline, de ses limites. Chacun des acteurs de l'enseignement spécialisé a sa vision de ce que doit être le solfège. Le même mot (qu'il s'agisse de solfège ou de formation musicale) désigne un contenu différent. Les conflits sont inévitables, les solutions des uns ne pouvant combler les problèmes des autres. 1 Un des grands idéaux de la réforme de la formation musicale est de placer la musique vraie et vivante au cœur de l'enseignement, en substitution à la littérature d'exercices didactiques. Intellectuellement, ce principe paraît très satisfaisant: Chaque musicien a déjà expérimenté comment le premier geste reste en mémoire : par exemple, l'erreur du premier déchiffrage, ou encore la mauvaise position, le mauvais geste, auront tendance à resurgir à moins d'un effort conscient pour le contrecarrer. La première trace inscrite demeure . Par conséquent, paraît-il contradictoire de désirer former des musiciens sensibles et guidés par la préoccupation du beau au moyen de la répétition d'exercices mécaniques dénués de sens et de sensibilité, coupés de la réalité musicale ? Néanmoins l'apprentissage musical nécessite la répétition et la systématisation, afin de créer des réflexes. C'est là un des dilemmes auquel nous ne saurions donner de réponse univoque : l'enseignant s'efforce à construire au quotidien un équilibre entre ces besoins apparemment contradictoires. Un parallèle peut être fait avec l'enseignement des langues vivantes. Faut-il enseigner les langues en se basant sur des cours de grammaire analytique à la progression rationnelle, afin d'aboutir à une expression sans faute, ou plutôt privilégier une expression orale forgée plus empiriquement, efficace quoiqu'imparfaite ? L'enseignement musical auprès des débutants a souvent la volonté louable d'éliminer tout « mauvais » geste dès le début de l'apprentissage. Ne serait-il pas souhaitable, à l'instar de certaine pédagogies d'enseignement des langues, de laisser place à la « pédagogie de l'erreur », en laissant l'élève « construire lui même son savoir », comme l'évoquent les théoriciens de la pédagogie et des sciences de l'éducation? Cette voie est-elle adaptée aux spécificités de l'enseignement musical ? L'un des points du débat entre enseignants est la construction de la progression pédagogique. Il est très satisfaisant de pouvoir concevoir une progression logique et rationnelle, qui aurait fait ses preuves au fil des générations et qu'il serait possible de reproduire, de transmettre. A propos du solfège, ce débat se retrouve dans l'opposition entre enseignement globalisé ou différencié . Faut-il proposer des exercices adaptés traitant séparément de chaque difficulté à surmonter ? Ou 1 Ce questionnement à propos du solfège est à rapprocher au débat maintenant séculaire qui anime l'éducation nationale entre d'une part partisans d'un enseignement délivrant un savoir pratique et directement utilisable (instruction), et d'autre part pédagogues soucieux de construire une éducation au sens humaniste du terme, selon l'héritage de Rousseau. Meirieu rappelle l'historique de cette querelle, la fait remonter à la controverse entre Condorcet (instruction) et Rabaut St Etienne (éducation). Philippe Meirieu « la pédagogie entre le dire et le faire »

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Un texte de réflexion sur la mission du solfège

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A l'occasion de la révision de ces petits livrets de répertoire, voici quelques considérations plus globales sur les réflexions qui ont initié ma démarche.

Le solfège et l'enseignement de la musique aux petits.

Le problème de l'enseignement du solfège est multiple et complexe, il est au centre de nombreuses querelles, même entre spécialistes. Il semble difficile actuellement de pouvoir satisfaire à la fois les élèves, les parents, et les acteurs de l'enseignement spécialisé. La nouvelle nomenclature du solfège (Formation Musicale) n'a pas vraiment éclairci les choses, à l'instar des cantines, qui ne comblent guère plus leurs usagers depuis qu'elles se nomment « restaurant scolaire ».

La question de la dénomination n'est pas anodine, elle est révélatrice d'un des malaises de cette discipline. En effet, le terme de solfège, si il est aujourd'hui très fortement connoté, avait pour avantage de faire référence à la mission dévolue à cet enseignement, en quelque sorte un équivalent à l'alphabétisation dans le domaine scolaire. Si nous suivons ce parallèle, l'alphabétisation apparaît également comme la première mission des enseignants de l'école primaire, mais les programmes scolaires ne s'arrêtent pas là. Il en est de même pour notre matière, et c'est sans doute en grande partie ce qu'ont voulu signifier les artisans de la réforme de la formation musicale. Cependant, les contours de ce terme sont très vagues, et posent la difficile question de la mission de la discipline, de ses limites.

Chacun des acteurs de l'enseignement spécialisé a sa vision de ce que doit être le solfège. Le même mot (qu'il s'agisse de solfège ou de formation musicale) désigne un contenu différent. Les conflits sont inévitables, les solutions des uns ne pouvant combler les problèmes des autres.1

Un des grands idéaux de la réforme de la formation musicale est de placer la musique vraie et vivante au cœur de l'enseignement, en substitution à la littérature d'exercices didactiques. Intellectuellement, ce principe paraît très satisfaisant: Chaque musicien a déjà expérimenté comment le premier geste reste en mémoire : par exemple, l'erreur du premier déchiffrage, ou encore la mauvaise position, le mauvais geste, auront tendance à resurgir à moins d'un effort conscient pour le contrecarrer. La première trace inscrite demeure. Par conséquent, paraît-il contradictoire de désirer former des musiciens sensibles et guidés par la préoccupation du beau au moyen de la répétition d'exercices mécaniques dénués de sens et de sensibilité, coupés de la réalité musicale ?

Néanmoins l'apprentissage musical nécessite la répétition et la systématisation, afin de créer des réflexes. C'est là un des dilemmes auquel nous ne saurions donner de réponse univoque : l'enseignant s'efforce à construire au quotidien un équilibre entre ces besoins apparemment contradictoires.

Un parallèle peut être fait avec l'enseignement des langues vivantes. Faut-il enseigner les langues en se basant sur des cours de grammaire analytique à la progression rationnelle, afin d'aboutir à une expression sans faute, ou plutôt privilégier une expression orale forgée plus empiriquement, efficace quoiqu'imparfaite ? L'enseignement musical auprès des débutants a souvent la volonté louable d'éliminer tout « mauvais » geste dès le début de l'apprentissage. Ne serait-il pas souhaitable, à l'instar de certaine pédagogies d'enseignement des langues, de laisser place à la « pédagogie de l'erreur », en laissant l'élève « construire lui même son savoir », comme l'évoquent les théoriciens de la pédagogie et des sciences de l'éducation? Cette voie est-elle adaptée aux spécificités de l'enseignement musical ?

L'un des points du débat entre enseignants est la construction de la progression pédagogique. Il est très satisfaisant de pouvoir concevoir une progression logique et rationnelle, qui aurait fait ses preuves au fil des générations et qu'il serait possible de reproduire, de transmettre.

A propos du solfège, ce débat se retrouve dans l'opposition entre enseignement globalisé ou différencié. Faut-il proposer des exercices adaptés traitant séparément de chaque difficulté à surmonter ? Ou

1 Ce questionnement à propos du solfège est à rapprocher au débat maintenant séculaire qui anime l'éducation nationale entre d'une part partisans d'un enseignement délivrant un savoir pratique et directement utilisable (instruction), et d'autre part pédagogues soucieux de construire une éducation au sens humaniste du terme, selon l'héritage de Rousseau. Meirieu rappelle l'historique de cette querelle, la fait remonter à la controverse entre Condorcet (instruction) et Rabaut St Etienne (éducation). Philippe Meirieu « la pédagogie entre le dire et le faire »

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laisser l'élève se confronter à la diversité, la complexité du langage musical qu'il devra de toute façon intégrer, comme l'ont proposé des démarches pédagogiques innovantes récentes ? Les deux points de vue ne sont pas aussi inconciliables qu'il paraît.

L'exercice didactique et fonctionnel permet à l'élève et à l'enseignant de consacrer toute leur attention consciente à une difficulté circonscrite.

Un matériel pédagogique intéressant, complet, et judicieusement choisi offre la même attention consciente à une difficulté circonscrite, mais présentée dans un contexte riche. Ce contexte, si il n'est pas la préoccupation du moment, aborde cependant un grand nombre d'informations qui sont traitées de manière passive, inconsciente, permettant notamment à l'apprenant de s'imprégner dans un « bain » culturel, de forger son goût esthétique, d'accéder à des fonctionnement stylistiques idiomatiques qui échappent au rationnel. Ainsi, ces notions de goûts, qui sont plus souvent rattachées à l'idée de don, de talent, pourraient également faire l'objet d'une transmission efficace. Ce mécanisme met le doigt sur l'importance du choix du répertoire, de la qualité de la littérature musicale dont nous nourrissons les élèves et de l'exemple qui en est donné, de la qualité de la « trace » que nous allons laisser en eux.

Cette considération met l'accent sur la valeur pédagogique de la phase d'imitation. Depuis leur plus jeune âge, c'est par l'imitation que les enfants ont réalisé un (le plus) grand nombre d'acquisitions. Ce fonctionnement leur est très naturel, à la base de nombreux jeux. Par l'imitation du geste du professeur, du son, de son attitude générale dans la situation musicale, etc... l'élève reçoit un grand nombre d'informations qu'il est capable de traiter sans recours à la conscientisation et à la verbalisation. Ce type de transmission très « instinctive » correspond bien aux jeunes et très jeunes enfants. Cette phase ne contredit pas la volonté de rationalisation, de théorisation, elle la prépare. Là encore, la qualité de l'exemple donné conditionne la qualité de la « trace ». On peut noter logiquement que l'imitation peut être encore plus efficace lorsque les yeux aussi sont disponibles: c'est à dire, donner une place équilibrée à la transmission orale.

Une construction prématurément rationalisée et analytique de l'enseignement nuit à la naissance d'une musique vivante, vécue, et recréée, au profit d'une musique apprise. Si elle se base toujours sur de louables intentions, elle correspond la plupart du temps à une démarche "adulto-centriste": nous sommes difficilement capables d'imaginer comment se construisent les schémas mentaux des enfants, et nous nous référons plutôt aux nôtres. Pourtant, à y prêter attention, les adultes eux-mêmes ne construisent pas toujours leur savoir de manière logique et progressive.2

Au regard de ces remarques, depuis plus d'un siècle, les pédagogies actives ont proposé des alternatives crédibles, prônant la transmission du savoir-faire avant le savoir . Pourquoi leur influence se limite-elle aujourd'hui à des cercles restreints de « fidèles » ? La constitution de la plupart d'entre elles en « écoles » très exclusives peut en être la cause. Cependant, pour avoir les premières posé les questions essentielles de la transmission de la musique dans une optique résolument humaniste, elles restent à la base de nombreuses réflexions pédagogiques. 3

Certaines évolutions et décisions ne nous appartiennent pas. En effet, les bouleversements de notre société initiés par la modernité ont profondément transformé en quelques décennies le bagage culturel et musical de nos élèves, et avant eux de leurs parents, grands-parents, enseignants...

2 « La culture propre à l'enfance est de nature orale, car si la plupart des enfants à travers le monde entier apprend à lire et à écrire (...) pendant une bonne partie de la période de l'enfance, leur mode de communication favori a toujours été la communication orale, souvent accompagnée par l'observation et l'imitation de comportements et de techniques. C'est ainsi que l'on peut remarquer que les traditions des enfants sont basés sur la répétition et l'utilisation de formules ritualisées » Carole H. Carpentier « les universaux de la culture enfantine » Dans le même ouvrage l'auteur recense selon une démarche scientifique (au moyen de l'étude comparée) les caractéristiques universellement reconnues dans les cultures enfantines à travers le monde. en voici quelques uns qui nous concernent plus particulièrement. Besoin d'enchantement/Grande activité, dépense physique/Espièglerie/échanges interpersonnels de forte valeur affective/gaieté, humour/Curiosité/inventivité/Imagination/Conservatisme : besoin de stabilité, de sécurité face aux incertitudes de la vie. 3 « En effet, m'étant décidé en conséquence à faire précéder les leçons de notation harmonique, d'expériences particulières d'ordre physiologique tendant à développer les fonctions auditives, je m'aperçus bien vite que chez les plus âgés de mes étudiants, les sensations acoustiques étaient retardées par des raisonnements anticipés et inutiles, tandis que chez les enfants elles se révélaient d'une façon toute spontanée, et engendraient tout naturellement l'analyse. Je me mis dès lors à éduquer l'oreille de mes élèves dès l'âge le plus tendre et constatais ainsi que non seulement les facultés d'audition se développent très vite à une époque où toute sensation neuve captive l'enfant et l'anime d'une curiosité joyeuse,_mais encore qu'une fois l'oreille entraînée aux enchaînements naturels de sons et d'accords, son esprit n'a plus aucune peine à s'habituer aux divers procédés de lecture et d'écriture » Emile Jacques Dalcroze, « le rythme, la musique et l'éducation »

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Dans une société traditionnelle, les individus partagent une « langue maternelle musicale » 4. En ce qui concerne les enfants, un répertoire de chansons, de jeux chantés, de comptines, de jeux impliquant des acquisitions de psychomotricité essentiels pour l'éducation, générale comme musicale. Ces pratiques comblent également des besoins psycho-affectifs essentiels, procurent un grand sentiment de sécurité affective. Plusieurs corpus musicaux cohabitent, spécifiquement « enfantin » ou « adulte », mais souvent, le répertoire est commun, et permet différent niveaux de compréhension.5

Qu'en est-il aujourd'hui ? Il est difficile de généraliser, car dans le monde moderne occidentale, la société est très hétérogène, l'héritage culturel de chaque individu est très différencié, les contextes familiaux sont extrêmement disparates 6. Les élèves sont très rarement imprégnés d'un fond culturel commun permettant le partage. Si l'on se réfère à la définition énoncée par l'UNESCO, la culture serait « l'ensemble de connaissances et de valeurs qui ne fait l'objet d'aucun enseignement et que pourtant tout membre d'une communauté sait »7. Selon cette définition, que reste-t-il dans notre société en terme de culture musicale ?

Zoltan Kodaly a construit une pédagogie musicale cohérente sur la base des chansons traditionnelles hongroises. Bien loin de cette œuvre magnifique, nécessitant une formation globale de l'enseignant, nous proposons en toute simplicité néanmoins de baser notre enseignement pour les premières années sur le répertoire des chants traditionnels, populaires et enfantins. Le petit recueil présente un répertoire destiné à l'éducation musicale des jeunes enfants.

– Proposer un répertoire musical adapté aux besoins affectifs des enfants, véhicule d'un contenu culturel et identitaire (cet aspect de transmission d'un socle culturel à partager fait parfois défaut dans les manuels de solfège)

– Fonder l'apprentissage sur un répertoire musical de qualité, plutôt que sur une littérature d'exercices didactiques, conformément aux idéaux de la réforme de la formation musicale.

– En l'absence partielle (ou complète) de vécu musical enfantin antérieur, construire avec eux un premier répertoire commun à partager, fondateur de bases et d'acquisitions techniques fortement ancrées, sur une pratique vivante.

– Apporter un matériel pédagogique à la mesure de leur pensée musicale naissante.

L'utilisation, le type de pédagogie qui peuvent en être faite, reste ouvert. L'exploitation instrumentale paraît assez directe, au moyen de quelques adaptations aux spécificités de chaque instrument.

Un certain de nombre de chansons d'origines variées sont rassemblées. Si certaines d'entre elles appartiennent à un fond culturel traditionnel collecté, étudié, ce recueil n'a pas de vocation ethnomusicologique. La transcription de chansons issues de l'oralité est un exercice difficile et peut prêter à discussion. Les modestes arrangements sont avant tout destinés à répondre à des besoins pédagogiques (imprégnation aux fonctions harmoniques, à la polyphonie).

D'autres chansons, de facture beaucoup plus récentes, et parfois de valeur esthétique plus discutable, sont légitimées par le succès qu'elles rencontrent depuis quelques générations dans le public enfantin, et auprès des adultes qui les véhiculent. (souris verte, facteur etc...).

Les choix ont souvent été guidés par la possibilité du jeu chanté, des rondes chantées. Ce type de répertoire est très documenté chez les hongrois, sous l'influence de l'école d'ethnomusicologie et de pédagogie musicale fondée par Kodaly. Sans doute le répertoire a-t-il été aussi abondant en France8, mais la prise de conscience de la valeur pédagogique de ces pratiques est plus récente. Nous nous sommes permis quelques adaptations françaises de jeux chantés hongrois, l'expérience prouve déjà leur efficacité auprès des enfants.

4 Selon le concept développé par Kodaly.5 (à l'exemple du conte de fée, dont la symbolique revêt plusieurs réalités, cf la psychanalyse des contes de fée, Bruno Bettelheim).6C'est là, selon les sociologues une des principale mise en danger de la cohésion de notre société. Cf Hugues Lagrange « le Déni des cultures »7 Cité par Alain Finkielkraut dans « la défaite de la pensée »8 Chants à danser de la période de la Renaissance et postérieur. Cf « chansons pour mener la danse », Sophie Rousseau

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Ces jeux et rondes chantées peuvent servir de support de travail avec les enfants dès l'âge de 4 ans, et ensuite bien au-delà (les adultes aussi peuvent parfois se prendre au jeu). Véritable premier objet de joie, et de plaisir musical partagé, ces répertoires peuvent rendre évidente la finalité du travail entrepris, alors que les objectifs qui sont offerts au jeune débutant peuvent paraître obscures ou lointains. L'implication du ressenti corporel, notamment dans la construction du sentiment rythmique, n'est plus à démontrer. Pulsation, mesure, phrase et carrure sont matérialisés, souvent conjointement, la musique est mouvement.

L'aspect ludique de l'enseignement Les bénéfices et les travers d'une pédagogie « ludique » sont maintenant suffisamment identifiés pour que l'on puisse trouver un équilibre, et proposer une intégration du jeu au travail, canalisée par l'enseignant, en évitant l'écueil de la démagogie. 9 Il n'est pas anodin de noter que dans la plupart des langues, on « joue » de la musique. Les jeux musicaux, les jeux chantés sont universels et ancestraux, témoignant ainsi de l'efficacité avec laquelle ils répondent aux besoins du jeune être en devenir. Ils sont néanmoins patrimoine menacé dans notre société moderne. Ils peuvent être une base précieuse pour notre enseignement musical. On peut même imaginer réintroduire les jeux chantés dans la vie des enfants, pour le plus grand bénéfice de chacun. [ à l'écart de toute intervention des adultes, certains jeux que nous proposions en cours de musique se sont parfois intégrés à la « tradition orale enfantine » des cours de récréation, y compris des jeux issus de transcriptions hongroises ]

Cette démarche répond également à la nécessité de réagir à la disparition progressive du chant « domestique » . En dehors du contexte artistique, le chant a accompagné les étapes de la vie des êtres humains à toutes les époques et dans toutes les cultures, leur apportant un grand nombre de bénéfices, plaisir esthétique, lien social, rôle culturel, extériorisation des émotions, vertus « musicothérapiques » induites, structuration et éducation... Or, dans notre société moderne, le chant se retire de plus en plus de la vie quotidienne, cette évolution est déjà en marche depuis plusieurs générations dans notre pays. Le chant a perdu sa fonction dans la vie des individus, il perdure encore un peu chez les enfants, mais est presque entièrement absent de la vie des adultes. La globalisation culturelle nous éloigne d'un socle culturel stable. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater le déclin du degré d'éducation musicale moyen, et les difficultés croissantes que rencontrent les enseignants en musique. Le répertoire proposé ici vise à recréer auprès des enfants la nécessité de chanter.

9 Montaigne « le jeu devrait être considéré comme l'activité la plus sérieuse des enfants. » A ce propos, un texte de Bruno Bettelheim tiré de l'ouvrage « Pour être des parents acceptables, une psychanalyse du jeu » :

Il est évident que les enfants jouent avant tout pour s'amuser ; mais il faut noter ici que le plaisir de bien fonctionner est l'un des plus purs et des plus importants que puisse éprouver un individu. Chacun aime sentir que son corps est en bon état de marche. Pavlov parle à ce sujet de la « joie musculaire » et, avant lui, Harvey évoquait la « musique silencieuse du corps »[…]Cet extrait à mon sens, exprime bien ce que l'on entend par « jouer » de la musique.

Beaucoup d'enfants qui ont peu d'occasions de jouer, seuls ou avec des partenaires, souffrent de graves arrêts ou régressions intellectuels. Sans exercices, leur pensée risque de rester superficielle et sous développée. […]

Le jeu est également très important parce que, sans que l'enfant en ai conscience, il développe chez lui des qualités indispensables au progrès intellectuel, telles que la persévérance, condition première de la réussite scolaire.