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– PROJET – Commentaires : [email protected] LBO, DÉTRESSE FINANCIÈRE, ÉCONOMIE SCHUMPETÉRIENNE ET OBSOLESCENCE DES RÈGLES DU DROIT FRANÇAIS ET EUROPÉEN _____ PEUT-ON LAISSER LES CRÉANCIERS SE PROTÉGER EUX-MÊMES CONTRE LEXCÈS DENDETTEMENT ? _____ Sophie Vermeille 1 Chercheur, Laboratoire d'économie du droit, Université Panthéon-Assas (Paris 2) – PRES Sorbonne Universités Directrice de l’Institut Droit & Croissance / Rules for Growth 2 Synthèse : 1 Les vues exprimées dans le présent article sont exclusivement celles de son auteur. Celle-ci certifie qu’aucune des relations qu’elle entretient avec des organismes financiers n’est susceptible d’influencer d’une manière ou d’une autre le contenu des vues exprimées ici présent. Remerciements à Alexandre Debaudre et Juliette Roquette (membres de Droit & Croissance) pour leur précieuse contribution à la rédaction de cet article. Remerciements également à [-]. 2 Droit & Croissance est un think tank apolitique porteur d’un projet ambitieux, faire du Droit un vrai moteur de croissance au service du plus grand défi actuel : le financement de l'économie. Droit & Croissance veut permettre aux entreprises de s’adapter plus facilement aux cycles brutaux de croissance et de décroissance et favoriser le financement des entreprises grâce aux nouvelles offres de financements venant en complément des financements bancaires ou publics classiques. Droit & Croissance a également pour objectif d’attirer l’attention du public et des pouvoirs publics sur le lien qui existe entre le retard de la recherche française aux croisements du droit, de l’économie et de la finance et l’inflation législative et réglementaire, nuisible au financement de l’économie tournée de plus en plus vers l’innovation. Droit & Croissance a besoin de soutiens financiers et scientifiques afin de rester indépendant et d’aider à l’émergence d’une élite de chercheurs français, capable de rivaliser avec les meilleures équipes au niveau international. Site web : www.droitetcroissance.fr.

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– PROJET – Commentaires : [email protected]

LBO, DÉTRESSE FINANCIÈRE, ÉCONOMIE SCHUMPETÉRIENNE ET OBSOLESCENCE DES RÈGLES DU DROIT FRANÇAIS ET EUROPÉEN

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PEUT-ON LAISSER LES CRÉANCIERS SE PROTÉGER EUX-MÊMES CONTRE L’EXCÈS D’ENDETTEMENT ?

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Sophie Vermeille1

Chercheur, Laboratoire d'économie du droit,Université Panthéon-Assas (Paris 2) – PRES Sorbonne Universités

Directrice de l’Institut Droit & Croissance / Rules for Growth2

Synthèse :

En l’état de la recherche académique actuelle, tout semble indiquer qu'un changement de gouvernance d’entreprise, associé à une ingénierie financière, fiscale et managériale, accroît la valeur des sociétés faisant l’objet d’un leveraged buy-out « LBO ». L’accroissement de la divergence d’intérêts entre actionnaires et créanciers, provoqué par le recours à un effet de levier important dans certaines sociétés sous LBO, peut cependant entraîner une augmentation des coûts dits de « détresse financière ». Ces coûts résultent notamment des sous-investissements réalisés par une société sous LBO (y compris dans des projets pourtant profitables), des transferts de richesse indus des créanciers aux actionnaires, voire des destructions de richesse, lorsque l’excès d’endettement conduit à un défaut de la société sous LBO. Dès lors, il importe de s’interroger sur la pertinence de la réponse apportée par les pouvoirs publics, à travers notre système juridique.

Plusieurs degrés de protection ont été mis en place par le législateur français et européen :

- Degré faible : un mécanisme de protection est déclenché une fois le constat établi qu’un défaut dans la société sous LBO survient en raison principalement d’une soustraction d’actifs par ses 1 Les vues exprimées dans le présent article sont exclusivement celles de son auteur. Celle-ci certifie qu’aucune des relations qu’elle entretient avec des organismes financiers n’est susceptible d’influencer d’une manière ou d’une autre le contenu des vues exprimées ici présent. Remerciements à Alexandre Debaudre et Juliette Roquette (membres de Droit & Croissance) pour leur précieuse contribution à la rédaction de cet article. Remerciements également à [-].

2 Droit & Croissance est un think tank apolitique porteur d’un projet ambitieux, faire du Droit un vrai moteur de croissance au service du plus grand défi actuel : le financement de l'économie. Droit & Croissance veut permettre aux entreprises de s’adapter plus facilement aux cycles brutaux de croissance et de décroissance et favoriser le financement des entreprises grâce aux nouvelles offres de financements venant en complément des financements bancaires ou publics classiques. Droit & Croissance a également pour objectif d’attirer l’attention du public et des pouvoirs publics sur le lien qui existe entre le retard de la recherche française aux croisements du droit, de l’économie et de la finance et l’inflation législative et réglementaire, nuisible au financement de l’économie tournée de plus en plus vers l’innovation. Droit & Croissance a besoin de soutiens financiers et scientifiques afin de rester indépendant et d’aider à l’émergence d’une élite de chercheurs français, capable de rivaliser avec les meilleures équipes au niveau international. Site web : www.droitetcroissance.fr.

actionnaires/dirigeants, que ce soit sous la forme d’une distribution de dividendes ou du remboursement de prêts d’actionnaires. Ce mécanisme de protection a posteriori s’organise autour d’un régime de responsabilité pour faute, visant principalement le dirigeant (I) et/ou d’une réintégration des actifs soustraits dans le patrimoine du débiteur (action en nullité de la période suspecte et action paulienne) (II) ;

- Degré moyen : un mécanisme de protection s’enclenche avant même la survenance d’un défaut, dès qu’une soustraction d’actifs de la société sous LBO aux profits d’actionnaires/dirigeants est envisagée. Ce mécanisme de protection ex ante s’organise autour des règles relatives à la distribution de dividendes et au capital social (III) ;

- Degré fort : un mécanisme de protection s’enclenche avant même la survenance d’un défaut et en l’absence de soustraction directe d’actifs de la société sous LBO par les actionnaires/dirigeants. Ce mécanisme s’enclenche lorsqu’une société sous LBO envisage de souscrire un nouvel emprunt ou de grever ses actifs d’une nouvelle sûreté et ce, afin de faciliter son rachat par un fonds LBO. Ce mécanisme de protection ex ante s’organise autour des règles sur la prohibition de l’assistance financière (IV).

Eu égard à l’évolution de l’économie et de la finance, les mécanismes de protections I, III et IV, visant principalement à éviter les transferts de richesse indus au bénéfice des actionnaires, présentent des coûts significatifs et ont un bénéfice limité en raison de leur approche commune à l’égard de tous types de sociétés quels qu’ils soient. En outre, dans un contexte de mondialisation accru, une économie de plus en plus schumpétérienne nécessite que les conditions de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants de droit, comme de fait, soient significativement plus strictes. Cette évolution est indispensable afin de favoriser la prise de risque et donc l’innovation et, en ce qui concerne plus particulièrement l’industrie du LBO, sa mutation vers l’ingénierie opérationnelle. En contrepartie de cette évolution, le champ d’application d’actions en réintégration dans le patrimoine du débiteur, aux effets plus neutres sur le comportement des décisionnaires, devrait être élargi afin de limiter les transferts de richesse indus réalisés sans contrepartie (Partie I).

Les mécanismes de protection I, III et IV étant d’une efficacité mesurée pour éviter ou corriger les effets de l’excès d’endettement au niveau des sociétés cible, notre système juridique devrait par ailleurs, à travers un mécanisme de protection ex post, inciter les créanciers des sociétés sous LBO à se protéger davantage eux-mêmes ex ante, au moyen d'un renforcement des clauses de protection contractuelles (covenants). Ces clauses permettent en effet aux parties d’atténuer les effets des coûts de détresse financière, limiter les cas de défaut et les destructions de valeur. Contrairement à la réglementation ex ante, ces mécanismes peuvent être adaptés à chaque situation et font l’objet d’une renégociation, selon l’évolution de la situation de la société (en particulier en cas de situation financière dégradée).

L’efficacité de tels mécanismes de protection contractuels requiert cependant que les clauses de protection et, dans le prolongement, que la documentation de financement dans le cadre de l’opération de LBO, soient effectives ex post devant les tribunaux, en cas d’ouverture d’une procédure collective. Il ressort cependant que le droit français des entreprises en difficulté, resté focalisé sur la société entrepreneuriale, empêche, à rebours des grandes évolutions récentes de la finance, le transfert du contrôle de la société insolvable à ceux dont les intérêts sont les plus alignés avec la préservation de la valeur d’entreprise, en l’occurrence les créanciers résiduels. Partant, les mécanismes de protection contractuels prévus par les parties dans un LBO perdent en efficacité et les parties ont, dès lors, du mal

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à corriger les effets de l’excès d’endettement. Une réforme du droit des entreprises en difficulté semble donc être un préalable nécessaire et urgent.

D’autres mécanismes de protection ex ante non contractuels doivent par ailleurs être envisagés pour tenir compte de la dispersion de la dette sur les marchés et du risque de crédit. Le développement du marché privé de la dette et des dérivés n’exclut en effet pas toute intervention du législateur/régulateur. En présence notamment d’aléas moraux et d’asymétries d’information, de nouvelles interventions pourraient être envisagées afin de limiter les situations dans lesquelles, les créanciers renonceraient à se protéger eux-mêmes (contrats dits covenants-lite) (Partie II).

Ces constats sur l’industrie du LBO appellent en définitive une réflexion plus globale sur la capacité de la France à faire face au défi posé par une économie de plus en plus schumpétérienne, eu égard à ses fragilités sur le plan institutionnel et juridique. Dans un contexte de crise accru et une économie sommée de se renouveler pour s’adapter à la compétition mondiale, notre système juridique en France, ainsi qu’au niveau européen, doit rapidement amorcer une rupture.

Mots clés :

Leveraged buyout, LBO, private equity, capital-investissement, effet de levier, société de gestion, fonds LBO, alignement d’intérêts, free cash flow theory, theory of the firm, theory of empire building, réorganisation, gains de productivité, bulle financière, abondance de liquidité, taux d’intérêt, politique monétaire, mur de la dette, coût de détresse financière, défaut, marchés obligataires high yield, excès d’endettement, violation de l’ordre des priorités, cyclicité de la dette, phénomène de moneychasing deal, dette amortissable à terme, prohibition de l’assistance financières, principe d’intangibilité du capital social, abus de droit, fusion rapide, fiscalité, droit des sociétés, rachat d’actions, réduction de capital, distribution de dividendes, recapitalization, debt, push down, responsabilité pour faute des dirigeants, faute détachable des fonctions, intérêt social, action en nullité de la période suspecte, action paulienne, action en insuffisance d’actifs, abus de biens sociaux, abus du crédit de l’entreprise, analyse économique du droit, Ronald Coase, théorème de Coase, Arthur Pigou, theories of welfare economics, asymétrie d’information, coûts de transaction, coût d’agence, externalités, aléa moral, droit des entreprises en difficulté, procédure de sauvegarde, Chapter 11 du U.S. Bankruptcy Code, fraudulent conveyance, covenants bancaires, covenant-lite, titrisation, CLO, CDO, marché secondaire de la dette privée, hedge funds, obligation de transparence, carry interest, risque systémique, complexité juridique, insécurité juridique.

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Table des matièresLBO, DÉTRESSE FINANCIÈRE, ÉCONOMIE SCHUMPETÉRIENNE ET OBSOLESCENCE DES RÈGLES DU DROIT FRANÇAIS ET EUROPÉEN.........................................................................................................................1

PEUT-ON LAISSER LES CRÉANCIERS SE PROTÉGER EUX-MÊMES CONTRE L’EXCÈS D’ENDETTEMENT ?.............................................................................................................................................1

INTRODUCTION...............................................................................................................................................5

PROLEGOMENES : INTERETS ET RISQUES PRESENTES PAR LES LBOs.............................................7

1.1 LBO et création de valeur....................................................................................................................8

1.2 LBO & risques...................................................................................................................................10

1.3 LBO et approche de la réglementation : Arthur Pigou versus Ronald Coase....................................14

PARTIE I : INADAPTATION DU SYSTEME JURIDIQUE FRANÇAIS ET EUROPEEN A L’EVOLUTION DE L’ECONOMIE ET DE LA FINANCE............................................................................17

1.1 Obsolescence de la réglementation « anti-LBO ».......................................................................17

A. Obsolescence de la réglementation sur l’assistance financière.........................................18

B. Obsolescence des règles sur le capital social et la distribution de dividendes...................27

1.2 Intérêts et limites de la réponse judiciaire à l’excès d’endettement.............................................31

A. Limites des actions en responsabilité contre le dirigeant...................................................31

B. Limites des actions en réintégration...................................................................................38

PARTIE II : CONDITIONS ET LIMITES DE L’AUTO-REGULATION DE LA FINANCE FACE A L’EXCES D’ENDETTEMENT........................................................................................................................43

2.1 Conditions de l’auto-régulation de la finance face à l’excès d’endettement................................43

A. Efficacité des mécanismes de protection contractuels et efficience du droit des entreprises en difficulté.....................................................................................................................................43

B. Inefficience du droit français des entreprises en difficulté.................................................45

C. Efficience du droit des entreprises en difficulté américain................................................48

2.2 Limites de l’autorégulation de la finance : les contrats convenant-lite........................................50

A. Effets induits de l’évolution du marché du crédit : y-a-t-il encore un pilote à bord ?.......50

B. Quel rôle pour les pouvoirs publics ?.................................................................................53

CONCLUSION.................................................................................................................................................57

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INTRODUCTION

1.- L’industrie du private equity est née dans les années 80 de l’évolution des services financiers. Des investisseurs institutionnels investissent dans des véhicules gérés par une équipe chargée d’acquérir des sociétés, avec un effet de levier important, pendant une durée limitée. Une vague d’offres publiques d’acquisitions survint puis, avec l’éclatement de la bulle, le nombre d’acquisitions diminua significativement à la fin des années 80. Trois ans plus tard, les acquisitions reprirent. Une tendance de fond naissait. Durant le précédent cycle haussier, entre les années 2003 et 2007, le nombre d’opérations LBO explosa, cette fois-ci, dans le monde entier. 79% de toutes les acquisitions entre 1970 et 2009 eurent lieu après 1999. Alors qu’au cours de la bulle financière des années 80, 93% des acquisitions avec effet de levier eurent lieu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, ce nombre tomba à 53% au cours du cycle haussier suivant3. Le développement à l’échelle mondiale des opérations de LBO s’est depuis poursuivi. En 2006, le montant des acquisitions réalisées par les fonds LBOs au niveau mondial atteignit 400 milliards d’euros, soit 20% du total des opérations de fusion-acquisition, alors qu’elles représentaient seulement 3% en 20004.

2.- Selon des études académiques, il existe une relation positive entre le développement de l’industrie du private equity dans un pays et sa croissance, bien qu’aucun lien de causalité n’ait pu, jusqu’à présent, être clairement établi entre les deux5. Le private equity est en tout état de cause associé à un dynamisme de l’économie. Contrairement au segment du venture capital, les opérations de LBO visent moins à stimuler l’innovation qu’à créer de la valeur dans une entreprise en procédant à une réorganisation de ses actifs et à une réduction des problèmes liés aux divergences d’intérêts entre les différentes parties prenantes dans l’entreprise (actionnaires, créanciers, dirigeants). En augmentant ainsi la productivité des entreprises sous contrôle, les opérations LBO créeraient de la valeur économique 6 et auraient, par voie de conséquence, un impact positif sur la croissance7.

3 J. Tåg « The Real Effects of Private Equity Buyouts » (2010) the Oxford Handbook of Private Equity. Oxford: Oxford University Press (Douglas Cumming, ed.).

4 U. Axelson, T. Jenkinson, P. Strömberg et M. Weisbach,: « Borrow Cheap, Buy High? Determinants of Leverage and Pricing in Buyouts » Journal of Finance, à paraître.

5 V. par ex. T. Meyer « Private Equity: Spice for European Economies », (2006) Journal of Financial Transformation, n° 18, novembre, pp. 61-69. L’auteur examine la corrélation entre le taux de croissance du PIB et la part de ce dernier que l’économie consacre au private equity parmi vingt économies européennes entre 1994 et 2005. Une relation robuste et positive semble pourvoir être établie entre taux de croissance et intensité du private equity.

6 V. par ex. S. Kaplan and P. Strömberg « Leveraged Buyouts and Private Equity », (2009) Journal of. Economic Perspectives 22, 121-146. Le retour sur investissement des investisseurs du private equity serait ainsi nettement supérieur à celui des investisseurs sur les marchés financiers, même s’il existe toujours une controverse à ce sujet, v. notamment R. Harris, T. Jenkinson et S. Kaplan « Private Equity Performance: What Do We Know? » (2012), working paper, disponible sur le site www.ssrn.com.

7 Pour un résumé de la recherche académique principalement américaine et anglaise en langue française, v. rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J. Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar « Private equity et capitalisme français » (2008). Le rapport et ses compléments sont disponibles à la Documentation Française ainsi que sur le site internet du Conseil d’analyse économique (www.cae.gouv.fr). Les études empiriques réalisées sur la base de données françaises sont en faible nombre. Si on écarte les études commandées par des groupes d’intérêts privés comme l’AFIC (Association française des investisseurs en capital) avec l’aide de cabinets de consultants (Ernst & Young ou Price WaterHouse Coopers), il existe peu d’études académiques indépendantes, v. par ex. D. Sraer, Q. Boucly et D. Thesmar « Growth LBOs », Journal of

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3.- Le constat académique, plus ou moins homogène, établi à partir de données collectées principalement aux Etats-Unis, tranche avec le sentiment général actuel en Europe et en particulier en France. Compte tenu de l’aggravation de la crise financière et des perspectives de croissance dégradées en zone euro, une hausse significative à court terme du nombre de défauts en Europe de sociétés sous LBO est probable. Environ 550 milliards de dette européenne LBO arriveront à maturité entre 2012 et 20168. Le contexte macro-économique rendra très difficile le refinancement de la dette LBO dont les besoins sont estimés, au cours des quatre prochaines années, dans une fourchette comprise entre 69 milliards et 103 milliards. Le pic de refinancement, égal à 140 milliards de dettes, est prévu sur les années 2014 et 2015. Si certaines sociétés sous LBO avaient réussi à anticiper les conséquences de la propagation de la crise aux Etats souverains, en refinançant leur dette au cours des années 2009-2011, elles auront, comme les autres, des besoins en refinancement au cours des années suivantes. La précédente vague de refinancement ne permit en effet l’octroi de prêts qu’à durée de maturité réduite (entre trois et cinq ans).

4.- Le problème lié aux besoins en refinancement de la dette LBO sera d’autant plus délicat en Europe, qu’en raison de leur situation financière9 et de l’entrée en vigueur fortement anticipée de la nouvelle réglementation prudentielle10, les établissements bancaires auront beaucoup de difficultés à satisfaire aux besoins des sociétés sous LBO. Les marchés obligataires high yield en Europe, structurellement moins profonds qu’aux Etats-Unis11, seront moins en mesure de se substituer aux établissements bancaires, surtout si le contexte macro-économique reste difficile. Plus particulièrement en France, l’excès d’endettement des sociétés sous LBO, hérité de la bulle financière qui prit fin en 2007, augmentera les coûts de détresse financière et, par effet d’entraînement, le nombre de défauts, voire l’ouverture d’un nombre significatif de procédures collectives. Pourtant, ces sociétés sont censées appartenir à des industries matures, être leader sur leur marché et/ou bénéficier de la forte notoriété de leur marque, avoir une activité non cyclique et des flux de trésorerie opérationnels récurrents pour

Financial Economics, 2011, November, 102, 432-453 P. Desbrières et A. Schatt « The Impact of LBOs on Investment Policies and Operations of Acquired French Firms » (2002) Finance Contrôle Stratégie, vol.5, n°4, décembre 2002.

8 Source : Dealogic reprise dans une étude du cabinet Linklaters : « Off piste. Negotiating Europe’s LBO debt mountain » (2012) disponible sur Internet à http://www.linklaters.com/Publications/wall-of-debt/Pages/Index.aspx

9 Les difficultés financières des établissements de crédit ont une cause multiple. Après avoir bénéficié du plan de soutien des Etats souverains, ils subissent directement les effets de la crise de la dette souveraine, c'est-à-dire un resserrement des conditions de refinancement des banques sur les marchés dès lors que la détention de dettes souveraines a été perçue comme faisant planer une incertitude sur leur solvabilité. En ce qui concerne plus particulièrement la Grèce, les banques ont dû provisionner des pertes pour des montants significatifs. Par ailleurs, la dégradation des finances publiques a entraîné une perte de crédibilité de la garantie implicite accordée par la puissance publique aux banques. V. à cet égard le rapport de la Cour des comptes « L’État et le financement de l’économie » (2012) disponible sur le site de la Cour des comptes : http://www.ccomptes.fr.

10 Prévu pour entrer en vigueur à l’issue d’une période de consolidation, dès lors que l’excès d’endettement ayant provoqué la crise aurait pu être résorbé, le nouveau cadre prudentiel issue dit Bâle III tend à s’imposer comme un standard de fait sous la pression des investisseurs et du marché.

11 Les opérations de LBO sont davantage financées aux Etats-Unis par de la dette obligataire qu’en Europe. Pour une explication des raisons juridiques pouvant expliquer la moindre grande profondeur des marchés obligataires high yield européens et français en particulier : S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance  » (2012) RTDF n° 2 p 28.

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pouvoir supporter une dette importante. L’industrie du LBO va-t-elle se transformer en poison pour l’Europe et la France en particulier ?

5.- Les résultats des quelques études, qui se sont intéressées aux conséquences de l’excès d’endettement sur les sociétés sous LBO, indiquent que l’industrie du LBO aux Etats-Unis reste créatrice de valeur, en dépit des coûts associés à l’augmentation du nombre de défauts 12. Qu’en est-il de la France ? Lorsqu’il s’agit de mesurer l’impact des défaillances sur la performance globale de l’industrie du private equity, la portée des résultats des études américaines doit être limitée à la zone géographique étudiée13. L’environnement juridique, variable selon les juridictions concernées, a une influence significative sur l’étendue des dommages pouvant résulter d’un excès d’endettement. Un retour rapide sur l’intérêt et les risques présentés par les LBOs est nécessaire avant de répondre à cette question.

PROLEGOMENES : INTERETS ET RISQUES PRESENTES PAR LES LBOs

6.- Une opération de LBO est susceptible de modifier à la fois l’efficacité statique (la productivité), l’efficacité dynamique (l’innovation) et d’imposer des externalités positives comme négatives sur les tiers14. S’il existe sur un plan académique un large consensus autour du fait que les LBOs génèrent globalement de la valeur (1.1), les conséquences de l’excès d’endettement et le risque de transferts de richesse indus nécessitent un encadrement des opérations de LBO par les pouvoirs publics (1.2).

1.1 LBO et création de valeur

12 V. par ex. G. Andrade et S. Kaplan « How costly is financial (not economic distress)? Evidenced from Highly Leveraged Transactions that became distressed », (1998) Journal of Finance, 53, 1443-1494 ; de manière générale, peu d’études se sont intéressées aux conséquences d’un levier important utilisé dans les opérations de LBO, v. également P. Stromberg, E. Hotchkiss et D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress » Working Paper (2011), disponible sur le site www.ssrn.com. S. Kaplan et J. Stein « The Evolution of Buyout Pricing and Financial Structure in the 1980s. » Quarterly Journal of Economics, Volume 108, May, 1993, 313-358.

13 De manière générale, peu de travaux académiques empiriques se sont intéressés, jusqu’à présent, à l’impact de l’environnement juridique sur la performance de l’industrie du private equity dans des pays aux infrastructures institutionnelles plus fragiles que les Etats-Unis. On notera l’article de Da Rin M., G. Nicodano et A. Sembellini (2007) : « Public Policy and the Creation of Active Venture Capital Markets », Journal of Public Economics, vol. 80, n° 8-9, pp. 1699-1723, qui identifie les politiques économiques au sein de l’Europe favorables au développement du venture capital et l’étude de U. Hege, F. Palomino et A. Schwienbacher « Venture Capital Performance: The Disparity Between Europe and the United States » (2009). Finance, Vol. 30(1), 2009, p. 7-50 qui compare les performances du venture capital européen et américain à l’aide de données microéconomiques.

14 Pour une revue complète de la recherche académique à ce sujet, v. S. Kaplan and P. Strömberg « Leveraged Buyouts and Private Equity », ibid, J. Tåg « The real cost of private equity » ibid et D. Cumming, D. Siegel et M. Wright, « Private Equity, Leveraged Buyouts and Governance » (2007) Journal of Corporate Finance et A. Berg et O. Gottschalg « Understanding Value Generation in Buyouts » (2005) Journal of Restructuring Finance 2005, vol. 2, n° 1, pp. 9-37.

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7.- Les effets des opérations de LBO sont le résultat : 1°) de la réduction des coûts d’agence15, 2°) d’un changement de propriétaire ayant vocation à rester temporairement dans la société ainsi que 3°) d’un apport en capital et en expertise. La réduction des coûts d’agence passe par un alignement des intérêts des dirigeants de la société avec les nouveaux propriétaires de la société à travers de mécanismes de rémunération particuliers16. Cet alignement vise à freiner la tentation des dirigeants de vouloir se construire un empire17 avec la trésorerie disponible18. L’arrivée de nouveaux propriétaires facilite les changements organisationnels, le remplacement éventuel des dirigeants, voire même une remise en cause des accords initiaux au sein de l’entreprise. Les investisseurs n’ayant pas vocation à rester indéfiniment propriétaires des sociétés achetées, ils sont davantage enclins à réaliser des gains de productivité au sein de leurs sociétés afin d’en tirer le meilleur prix à la sortie.

8.- Comme le souligne, le Conseil d’analyse économique19, connaître le nombre d’emplois créés dans des entreprises détenues par des fonds de private equity ne fournit pas d’informations sur l’efficacité de ce mode de gestion par rapport aux sociétés cotées. Il est en effet impossible de séparer ce qui relève d’une croissance de l’industrie, de ce qui provient de la capacité effective du fonds à accroître l’emploi20.

9.- Dans les années 80, ce sont principalement des techniques d’ingénierie financière et les réductions de coût qui ont permis aux fonds de private equity aux Etats-Unis de réaliser de confortables retours sur investissement. Désormais, c’est davantage l’expertise apportée par les sociétés de gestion afin d’améliorer les pratiques managériales et de corriger les erreurs au plan stratégique et opérationnel

15 La divergence d'intérêt entre les différents acteurs de la vie de l'entreprise fait naître un certain nombre de coûts appelés coûts d'agence. Ces derniers recouvrent notamment les coûts de surveillance consentis par le mandant pour vérifier l'adéquation entre la gestion du mandataire et ses propres objectifs (mise en place de procédures de contrôle, de systèmes d'audit, rémunération du mandataire...) et les coûts de dédouanement engagés par le mandataire dans le but de rassurer le mandant sur la qualité de sa gestion (édition de rapports annuels...) (définition du Vernimmen)

16 S. Kaplan et P. Strömberg « Leveraged Buyouts and Private Equity » ibid. L’équipe de management perçoit une part significative de la plus-value réalisée, à travers la détention de titres donnant accès direct ou à terme du capital des sociétés cible (Jensen and Murphy, 1990). Les fonds LBO exigent également du management qu’il investit de manière significative dans la société, de sorte que non seulement ce dernier perçoit une quote-part significative de la plus-value, en cas de succès, mais également, en cas d’échec, il en supporter une partie des conséquences. V. également M. Jensen et K. Murphy (1990), « Performance pay and top-management incentives », Journal of political economy, avril 1990.

17 En anglais « theory of empire building » faisant référence à la tentation des dirigeants d’augmenter la taille de l’activité de leur entreprise, le nombre de salariés et la valeur des actifs sous leur contrôle, afin d’augmenter leur influence, plutôt que de se soucier de la profitabilité de leurs projets pour les actionnaires.

18 Cette pression réduit le problème de la trésorerie disponible « free cash flow problems », tel que décrit par Michael Jensen dans les industries matures M. Jensen « Agency Costs of Free Cash Flow, Corporate Finance, and Takeovers ». The American Economic Review Vol. 76, No. 2.

19 Rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J.Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid.

20 Aux Etats-Unis, une étude a mis en évidence que le nombre d’emplois grandit dans les sociétés initialement cotées ayant fait l’objet d’un rachat mais dans une proportion moindre que d’autres sociétés dans le même secteur d’industrie, v. S. Kaplan, « The Effects of Management Buyouts on Operating Performance and Value » (1989) Journal of Financial Economics, 24, 217-254. Le même résultat a été retrouvé dans une étude sur un échantillon de sociétés américaines entre 1980 et 2005 : S. Davis, J. Haltiwanger, R. Jarmin, J. Lerner et J. Miranda J : « Private equity, Jobs and Productivity » in The Global Economic Impact of Private Equity Report, World Economic Forum, January 2009. Au Royaume-Unis, sur une période allant de 1999 à 2004 une étude montre que la croissance de l’emploi est similaire mais que les salaires augmentent moins rapidement : v. K. Amess ; M. Wright « Leveraged Buyouts, Private Equity and Jobs », (2010) Small Business Economics, Vol.29(3), pp. 329-349.

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qui semblent à l’origine des gains de productivité réalisés21. Les fonds LBO chercheraient plutôt à investir dans des sociétés sous-développées pour accélérer leur croissance. Le risque que les actionnaires initient des stratégies de court terme affectant de manière négative le long terme n’est pas exclu. Les résultats de la recherche semblent toutefois indiquer que l’industrie du LBO permet néanmoins d’améliorer la productivité des sociétés concernées.

10.- Une étude relève qu’en France, la croissance des sociétés sous LBO est plus importante qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, lorsque ces sociétés sont initialement détenues par un actionnariat familial22. L’industrie du private equity offrirait une source alternative de financement pour les sociétés familiales dont l’accès aux capitaux externes serait fortement limité en raison notamment des déficiences du droit français de la protection des investisseurs 23. L’arrivée des fonds LBO permettrait de corriger les problèmes d’asymétrie d’information dont souffrent particulièrement les petites entreprises. Une fois l’entreprise cible rachetée, les investisseurs LBO peuvent effectuer un refinancement de la dette qui leur permet d’obtenir des fonds supplémentaires destinés à satisfaire les besoins opérationnels de l’entreprise rachetée. Le Conseil d’analyse économique relève que le dynamisme du private equity français apparaît comme la condition sine qua non de la revitalisation du tissu entrepreneurial de la France24.

11.- Les conséquences de l’excès d’endettement sur les sociétés sous LBO, qui n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’études empiriques en France, devraient cependant noircir les résultats de ce type d’études. Ce devrait être le cas en particulier des opérations LBO de taille significative ayant réussi, grâce à l’évolution des marchés financiers, à augmenter significativement l’effet de levier, et ce en dépit d’un environnement juridique peu favorable aux créanciers en France25. La France a été au

21 V. S. Kaplan et P. Strömberg « Leveraged Buyouts and Private Equity » ibid. La plupart des grands fonds de private equity américains embauchent désormais plus facilement en leur sein des professionnels ayant une longue expérience dans l’industrie. Ils s’entourent également de consultants, que ce soit en interne, ou en externe pour qu’ils les aident à identifier de nouvelles opportunités d’investissement, proposer des changements stratégiques, des changements et des repositionnements v. également V. O. Gottschalg,V Acharya, M. Hahn, C. Kehoe « Corporate Governance and Value Creation: Evidence from Private Equity » –Review of Financial Studies, à paraître.

22 D. Sraer, Q. Boucly et D. Thesmar « Growth LBOs » ibid. Les résultats de ces travaux sont similaires à ceux réalisés aux Etats-Unis sur un même échantillon similaire de sociétés (détenues également par des particuliers), J. Chung, J.,2009. « Leverage buyouts of private companies », working paper, Ohio State University, Columbus, OH. A contrario, on remarquera que le seuil élevé du retrait obligatoire en France (95% en comparaison d’un seuil de 90% au Royaume-Uni) empêche la réalisation de nombreuses opérations de LBO sur les sociétés cotées. De ce point de vue, les opérations de LBO ne permettent pas en France d’améliorer la concurrence accrue pour la prise de contrôle de sociétés au capital ouvert. Le faible risque de prise de contrôle des sociétés cotées en France peut de ce point de vue nuire aux investisseurs (faute pour la direction d’être mise sous pression.)

23 Sur la question des déficiences du droit français limitant l’accès des PME à des financements S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance » ibid.

24 V. par ex. Rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J.Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid. Le Conseil d’analyse économique souligne ainsi que, du fait de problèmes de financement des PME françaises en comparaison des PME allemandes, les premières sont, en moyenne, plus petites et plus fragiles que leurs homologues, présentent un taux de survie moins élevé, croissent moins vite, sont moins exportatrices et préservent plus difficilement leur indépendance.

25 En matière de protection des créanciers, Standards & Poor classe la France au même rang que l’Italie, l’Espagne, le Mexique, le Brésil, le Chili et la Turquie, juste avant la Russie, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Elle figure derrière un lot de 18 pays (le reste de l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, Singapore, Hong Kong, l’Australie, le Japon et l’Afrique du Sud). S&P « Criteria | Corporates | Recovery: Update: Jurisdiction-Specific Adjustments To Recovery And Issue Ratings  », 20 juin 2008. Nous revenons en deuxième partie sur les raisons de ce mauvais classement français.

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cours du dernier cycle haussier le marché le plus actif d’Europe continentale. A titre d’exemple, 110 opérations furent réalisées au premier trimestre de l’année 2007 pour une valeur totale de 15,8 milliards d'euros26.

1.2 LBO & risques

12.- Les opérations de LBO sont critiquées en raison des rémunérations jugées indécentes de certaines parties prenantes et des conséquences négatives attachées à l’excès d’endettement, particulièrement visibles en raison de la nature cyclique du marché du LBO. Depuis une trentaine d’années, on observe une brutalité des mouvements à la hausse et à la baisse du nombre d’opérations de l’industrie du LBO.

13.- Les fonds LBO se voient souvent reprocher de forcer les effets de levier à des niveaux susceptibles de mettre en danger la survie des entreprises cibles à plus long terme. Du fait de ces forts niveaux de levier, les sociétés sous LBOs sont moins en mesure d’absorber les chocs, qu’ils soient la conséquence de problèmes internes à la société (mauvaise stratégie du fonds LBO, management de la société cible incompétent), de problématiques sectorielles (renversement de la tendance du secteur industriel du groupe acheté), ou d’un changement des conditions macroéconomiques (récession généralisée, augmentation des taux d’intérêts). Il n’est donc pas surprenant qu’en dépit des qualités intrinsèques des sociétés sous LBO, choisies spécialement en raison de leurs performances, le taux de défaut des sociétés sous LBO aux Etats-Unis soit légèrement supérieur au taux de défaut des autres sociétés27.

14.- Sur les dix dernières années, en Europe comme aux États-Unis, les fonds propres apportés par le (ou les) fond(s) LBO ont couvert autour de 30 % du prix d’acquisition28, le complément étant apporté par différents types d’instruments de dette. Ainsi, en rapportant le niveau de la dette à l’EBITDA29, on observe qu’en 2006, en Europe comme aux États-Unis, la dette émise lors de l’acquisition 30 représentait plus de cinq années d’EBITDA contre quatre années en 2000. Il existe donc une relation systématique entre les ratios dette/EBITDA et prix d’acquisition/EBITDA des sociétés sous LBOs. Le recours au levier pousserait les prix vers le haut. En accroissant la proportion dette/fonds propres dans le financement de leurs acquisitions, les fonds LBO ont pu procéder à des acquisitions de sociétés d’une

26 Source : Center For management Buy-Out Research, Imperial College London. V. également le rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J.Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid.

27 S. Kaplan and P. Strömberg « Leveraged Buyouts and Private Equity » ibid. Les sociétés rachetées par des fonds de private equity présentent donc un risque de défaut plus élevé que les sociétés non rachetées par des fonds de private equity, mais que cette différence est liée au fait que les fonds de private equity détiennent des sociétés qui ont une notation de crédit plus basse que la moyenne des sociétés ayant accès aux marchés du financement similaires (tels que le leverage loan).

28 La structure « 70-30 % » dette/fonds propre d’une société sous LBO est ainsi exactement à l’inverse de celle d’une société cotée. V. U. Axelson U, T. Jenkinson T, P. Strömberg P et M. Weisbach « Borrow Cheap, Buy High? Determinants of Leverage and Pricing in Buyouts » ibid.

29 EBITDA ou earnings before interest, taxes, depreciation and amortization, soit le résultat avant dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations (mais après dotations aux provisions sur stocks et créances clients) et paiements des intérêts de la dette et des impôts.

30 U. Axelson U, T. Jenkinson T, P. Strömberg P et M. Weisbach : « Borrow Cheap, Buy High? Determinants of Leverage and Pricing in Buyouts » ibid.

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taille de plus en plus significative. Les fonds LBO poursuivaient un objectif double : accroître leur rémunération31 et se protéger contre le risque de retournement de l’économie32.

15.- En augmentant l’effet de levier, les fonds LBOs se sont tout de même exposés aux conditions macroéconomiques. Des études ont mis en évidence que la capacité d’endettement d’une société, qu’elle soit ou non sous contrôle d’un fonds LBO, peut, en phase d’expansion de l’économie, être jusqu’à 40% plus haute que sa capacité d’endettement durant une période de contraction 33. Une étude plus spécifique sur la structure de la dette des LBOs34 démontre qu’il n’existe aucune relation systématique entre le niveau de levier d’une société sous LBO et celui d’une société cotée exerçant une activité similaire dans une même zone géographique. A l’inverse des sociétés cotées, le niveau du levier des sociétés sous LBO est davantage lié aux conditions du marché du crédit qu’aux caractéristiques spécifiques de l’entreprise cible35. Les sociétés sous LBO sont donc plus dépendantes des conditions macroéconomiques.

16.- Profitant de l’abondance de liquidité au niveau mondial due à l’accumulation rapide de réserves de change par les banques centrales36, du bas niveau des taux d’intérêt, du développement du marché de la dette privée et des dérivés37, les fonds LBO ont pu ainsi jusqu’en 2007 augmenter l’effet de levier et accélérer le rythme de leurs acquisitions. Cette dépendance aux conditions macroéconomiques38 entraîne une forte cyclicité de l’activité du LBO.

17.- Le caractère cyclique de l’industrie du LBO est également accentué en raison du nombre limité d’opérations de private equity potentiellement profitables. Un phénomène dit de « moneychasing

31 En dépit de la relation négative existant entre taille du fonds et rendement mise en évidence par la recherche, les sociétés de gestion peuvent être incitées à gérer des fonds de taille important, dans la mesure où leurs honoraires (management fees) représentent un pourcentage des fonds levés. La société de gestion est dès lors obligée de se concentrer sur les acquisitions de taille significative. Elle ne peut en effet multiplier à l’infini le nombre de sociétés détenues en portefeuille. Par ailleurs, la rémunération des sociétés de gestion de fonds LBO est principalement déterminée en fonction du montant de la plus-value réalisée lors de la cession ou l’introduction en bourse des sociétés détenues en portefeuille (carry interest).

32 Les sociétés de taille importante, leader sur leur marché, sont en principe connues pour mieux résister que leurs concurrents plus petits, aux chocs économiques.

33 D. Hackbarth, J. Miao, et E. Morellec « Capital Structure, Credit Risk, and Macroeconomic Conditions » (2006) Journal of Financial Economics 82: 519-550

34 U. Axelson U, T. Jenkinson T, P. Strömberg P et M. Weisbach « Borrow Cheap, Buy High? Determinants of Leverage and Pricing in Buyouts » ibid.

35 Le prix d’acquisition des LBO de petite taille est toutefois moins dépendant des conditions macro-économiques. Une étude de la Banque de France sur les LBO de petite taille a mis en évidence que le prix d’acquisition est différencié selon la typologie de l’acheteur et que sa détermination résulterait de la combinaison de plusieurs facteurs : la position de force (ou de faiblesse) dans la négociation de l’acheteur face au vendeur, la durée de détention souhaitée, l’implication dans le management de la cible, etc. V. S. Souissi « Les caractéristiques des montages LBO en France : de fortes spécificités pour les cibles de petite ou moyenne taille » disponible sur le site de la Banque de France, www.banque-france.fr.

36 Ces réserves de change proviennent essentiellement des pays émergents d’Asie et des exportateurs de matières premières.

37 Grâce au développement du marché de la dette privée et des dérivés, des sociétés, dont le profil de risque ne leur permettait pas dans les années 1980, de faire l’objet d’opérations de LBO, réussirent par la suite. Ainsi, par exemple dans le secteur des compagnies d’aviation, malgré la volatilité de l’activité, purent y accéder. V. R. Gilson & C. Whitehead « Deconstructing Equity: Public Ownership, Agency Costs, and Complete Capital Markets » ibid.

38 L’activité du LBO dépend également de l’évolution des cours de bourse puisqu’il a un impact sur la valorisation des entreprises lors d’une sortie par introduction en bourse.

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deal »39 se développe alors, en raison de la sensibilité du nombre d’opérations LBO au rendement réalisé par les investisseurs de private equity : les performances nettes élevées réalisées par les fonds sur plusieurs années au cours d’un même cycle attirent mécaniquement, après un certain délai, de nouveaux entrants sur le marché. Les nouvelles sociétés de gestion sont à même de lever des fonds de taille importante durant cette période [et ce, d’autant plus que les sociétés de gestion les plus expérimentées et les plus performantes peuvent être tentées de limiter volontairement la taille de leurs fonds pour éviter une baisse de rendement]40. Le dollar marginal investi en période haute du cycle se dirige alors plutôt vers des nouveaux entrants, moins expérimentés. Ceux-ci parviendront difficilement ensuite à lancer de nouveaux fonds en raison de la baisse des rendements observée. La dégradation des performances moyennes des fonds est en effet inexorable, en raison de l’augmentation des prix par l’effet d’une concurrence accrue41. Cette dégradation dégonfle progressivement la bulle et entraîne un renversement de tendance du cycle42.

18.- On observe ainsi que les rendements (et les multiples) sont élevés dans la première moitié des années quatre-vingt. Les levées de fonds entraînent simultanément une baisse du rendement dans la deuxième moitié des années quatre-vingt. Les levées de fonds sont donc plus faibles dans le début des années quatre-vingt-dix, ce qui améliore les rendements. Les levées de fonds s’intensifient à la fin des années quatre-vingt-dix suivies d’un mouvement en sens inverse des rendements. Les levées de fonds sont faibles durant la période 2001-2003, ce qui pousse les rendements vers le haut, et provoque, grâce à l’évolution parallèle de la finance, des levées de fonds de très grosse taille en 2005-2007 avec des « mega-buyouts ». Depuis, l’industrie du LBO est en crise.

19.- Grâce au développement des dérivés, les sociétés sous LBO ont pu se protéger contre certains types de risque (comme le risque de hausse des taux d’intérêts43) qui nécessitaient auparavant la constitution d’un « matelas » de fonds propres suffisant. Les dérivés ont ainsi permis d’accroître encore davantage le levier des sociétés sous LBO. En période de forte liquidité du marché du crédit aux entreprises et de concurrence accrue entre les fonds, les sociétés tendent cependant à développer un niveau d’endettement qui n’est pas tenable à long terme. Leur dette est structurée de telle sorte que des portions non négligeables sont non amortissables, voire même la totalité aux Etats-Unis [ainsi qu’en Europe au pic du dernier cycle, au cours des années 2006-2007]. Le risque de ne pas pouvoir se refinancer à terme est donc avéré.

39 P. Gompers, et J. Lerner : « Money Chasing Deals? The Impact of Fund Inflows of Private Equity Valuation » (2000) Journal of Financial Economics 55, 281-325.

40 Ibid. S. Kaplan et A. Schoar : « Private Equity Performance: Returns, Persistence, and Capital Flows », (2005) Journal of Finance, vol. 60, n° 4, août, pp. 1791-1823. Les auteurs ont étudié le lien entre la taille du fonds, le montant des capitaux levés et le niveau du rendement servi aux investisseurs. Le rendement d’un fonds dépendrait positivement de l’expérience de son équipe de gestion et négativement de sa taille.

41 Le nombre restreint d’opportunité vient du fait que statutairement, les sociétés de gestion ne peuvent pas acheter qu’un certain type d’actifs dans une zone géographique prédéterminée à l’avance. Les sociétés de gestion sont d’autant plus incitées à investir qu’elles sont rémunérés sous forme de « carry interest », que les limited partners du fonds se sont déjà engagés à verser les sommes et que la durée de vie du fonds est limitée. [cross ref]

42 Voir rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J. Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid.

43 Selon la FSA, 50% de l’exposition des sociétés sous LBO aux taux d’intérêts a pu en principe être couvert, en général sur une période de trois ans. FSA, « Private equity: a discussion of risk and regulatory engagement » disponible sur le site de la FSA, http://www.fsa.gov.uk.

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20.- Une dette non amortissable est en effet une dette qui ne donne lieu à aucun remboursement du principal pendant une période prédéterminée (en général huit ans). Les dettes non amortissables permettent d’augmenter l’effet de levier sans trop entamer les flux de trésorerie à court terme de la société. Cela laisse à la société le temps en principe d’améliorer son résultat opérationnel et de diminuer ses besoins en fonds de roulement, sous l’effet des opérations de restructuration initiées postérieurement à la réalisation du LBO. Pour améliorer encore la capacité d’endettement de la société, les parties peuvent convenir que la dette portera un intérêt « pay in kind » ou PIK44. Les perspectives de croissance dans la zone Europe et les ratios dette/fonds propres atteints par les sociétés au cours du précédent cycle haussier rendent cependant illusoire le remboursement de la dette non amortissable par les sociétés elles-mêmes. Même si les sociétés sous LBO sont en mesure de pouvoir tenir leurs engagements financiers à court terme, leurs flux de trésorerie au moment de la date d’exigibilité du principal peuvent s’avérer négatifs. C’est d’autant plus le cas que contrairement à ce qui avait lieu dans les années 80, les fonds LBOs n’ont pas acheté des sociétés aux coûts mal maitrisés. L’augmentation de la concurrence par l’effet de la mondialisation de l’économie a, depuis, obligé celles-ci à se restructurer davantage en interne. Les fonds LBOs se sont ainsi mis à acquérir, faute de mieux, des sociétés qui avaient déjà significativement amélioré leurs performances au plan opérationnel. Les marges de progression sont forcément plus faibles dans ces circonstances. Un grand nombre de sociétés doivent donc être refinancées avant la date d’amortissement de leurs prêts.

21.- En phase de contraction de l’économie45, les établissements bancaires sont cependant peu enclins à refinancer la dette des sociétés sous LBOs. Leur politique de financement est avant tout guidée par des considérations d’ordre macro-économique. Il importe peu que les sociétés sous LBO aient des qualités intrinsèques supérieures en principe aux autres sociétés46. Le refinancement des sociétés sous LBO sera d’autant plus difficile que les marchés financiers ne seront pas forcément en mesure de se substituer aux établissements bancaires, que ce soit grâce à la titrisation ou l’émission de produits obligataires sur les marchés high yield. Certains fonds CLO, CDO et les hedge funds se sont retrouvés en difficulté. Dans ce contexte, les établissements bancaires doivent être en mesure de pouvoir imposer certaines mesures de restructuration financière au débiteur, afin d’éviter que la situation de détresse financière se transforme en détresse économique et que la société fasse in fine défaut.

44 Afin d’augmenter l’effet de levier, les sociétés souscrivent également des prêts dont les intérêts ne sont pas payés en espèces, à échéance régulière, mais sous la forme d’une créance, de nature similaire au principal, payable comme le reste à terme.

45 L’effondrement des marchés financiers alors que la société sous LBO bénéficie d’un prêt relais peut avoir des conséquences très dommageables. Les transactions ont pu être conclues en supposant que le prêt relais serait remplacé pour un financement moins cher sur les marchés financiers. Faute de pouvoir se refinancer sur les marchés financiers, la société devra faire face à une charge de la dette beaucoup plus importante que prévue.

46 D. Hackbarth, J. Miao, et E. Morellec « Capital Structure, Credit Risk, and Macroeconomic Conditions » ibid.

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1.3 LBO et approche de la réglementation : Arthur Pigou versus Ronald Coase

22.- Lorsqu’une action est susceptible de causer un dommage à un tiers ou à l’environnement (et donc à la société dans son ensemble), comme l’excès d’endettement des sociétés sous LBO, il existe principalement deux approches possibles de la réglementation en économie. La première approche est celle de l’école d’Arthur Pigou. Ce dernier a introduit la notion d’externalités en économie 47. Pour cette école, la réglementation doit être omniprésente dans nos vies, en raison des nombreuses défaillances du marché. Ces défaillances résultent de l’incapacité des agents économiques à maîtriser les conséquences de leurs actes sur le bien-être des tiers. Puisque les marchés échoueraient constamment pour de multiples raisons (asymétrie d’informations, absence de concurrence, coût démesuré d’accès au procès pour les victimes incitant les parties à ne pas tenir compte de leurs intérêts, etc.), il serait impératif d’en prendre acte et de prévenir les dommages futurs, à travers une nouvelle réglementation.

23.- Cette approche a ses limites. La conséquence d’un tel mécanisme de régulation se devine aisément : la réglementation du fait des externalités négatives a ses propres externalités négatives ! Ainsi, sanctionner automatiquement un dirigeant pour la moindre atteinte « à l’intérêt social » 48 conduit in fine à pénaliser ceux que le législateur français a pu vouloir spécifiquement protéger, au premier rang desquels les salariés. En effet, les salariés ont intérêt (tout comme la collectivité en général) à ce que l’entreprise prenne certains risques pour rester compétitive. Leur interdire le risque en prévention des potentielles externalités négatives conduit à l’effet inverse et donc à leur faire supporter de graves conséquences : la lente érosion de leur compétitivité et donc de leur existence. Les dirigeants doivent avoir un large pouvoir de discrétion. Par ailleurs, si les actionnaires veulent espérer réaliser un retour sur investissement, et donc continuer à investir dans la société (et corrélativement de solliciter des créanciers pour faire affaire avec eux), ils doivent accepter que la société prenne des risques. Si la responsabilité des dirigeants est engagée de manière trop fréquente, ces derniers deviendraient alors trop prudents et refuseraient d’investir dans des projets risqués. Faute de projets risqués, les actionnaires ne pourraient plus percevoir les bénéfices de leur investissement et finiraient par refuser d’investir dans le futur dans la société49.

24.- Il existe une autre approche de la réglementation permettant d’intégrer ces considérations essentielles dans une économie tournée de plus en plus vers l’innovation. Selon le célèbre théorème développé par les élèves de Ronald Coase50, dans un monde parfait, dans lequel il n’y a pas d’asymétries d’informations ni de coûts de transactions, dans lequel les agents économiques se font concurrence, ces derniers vont nécessairement agir de manière efficiente. Ainsi, ils vont se comporter de manière à maximiser l’usage des moyens de production ou de services, considération faite du bien-être commun. S’il leur arrive d’échouer, ils tiendront compte dans leurs comportements futurs des

47 Dans son célèbre essai « Wealth and Welfare », Macmillan, 1912, Pigou avait pris pour exemple des trains à vapeur qui, sur leur passage, créaient des feux et détruisaient les récoltes des fermiers dont les terres longeaient les rails du chemin de fer. Pour lui, il devait donc y avoir une loi réglementant le passage des trains afin d’éviter que les fermiers aient à supporter les conséquences du dommage résultant. Dans cette perspective, la moindre activité susceptible d’entraîner un dommage au tiers, devait être réglementée.

48 Cf. sur ce point § [-].

49 D. Baird, M. Todd Henderson « Other people’s money » Stanford Law Review, Vol. 60, Symposium issue, 2008.

50 V. notamment R. H. Coase, The Firm, the Market, and the Law », University of Chicago Press, 1990.

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dommages susceptibles d’être causés aux tiers, afin d’éviter d’en être tenus pour responsables. La réglementation serait ainsi inutile dans un monde parfait.

25.- Les conditions d’un monde parfait étant rarement remplies, les élèves de Ronald Coase ne sont pas contre toute forme de réglementation. Dans de nombreuses situations, les parties ne sont pas en mesure de s’autoréguler. Dès lors, le théorème de Coase nous invite à traiter la question de la réglementation d’une manière différente51, éloignée de celle que nous connaissons, eu égard à la nature de notre tradition juridique. Le débat récurrent sur la simplification du droit montre que nous avons en France une tendance à réglementer rapidement, sans études d’impacts, surtout lorsque l’action de tel ou tel agent créé un dommage aux tiers. La ligne adoptée par l’école de Coase recommande aux pouvoirs publics d’identifier préalablement à toute réglementation les raisons qui font obstacle à l’adoption d’un comportement efficient par les parties afin de mieux appréhender les comportements non efficients et, éventuellement, les traiter, au moyen d’une réglementation particulièrement adaptée à la défaillance relevée.

26.- Au cas présent, la préservation de l’intérêt général peut justifier, que dans certaines circonstances, ne soit pas laissé aux seules parties prenantes dans une opération de LBO le soin de maîtriser l’excès d’endettement et les risques de transfert de richesse indus entre les différentes catégories d’investisseurs. Les sociétés en situation de surendettement, comme parfois les sociétés sous LBO, sont susceptibles de se retrouver à terme dans une situation de détresse économique destructrice de richesse pour ses créanciers et la collectivité en général. Les transferts de richesse indus entre investisseurs au regard de l’ordre de priorité des paiements incitent par ailleurs les créanciers à augmenter le coût du crédit, voire même à refuser aux sociétés de les financer, ce qui nuit à l’économie en général. Manifestement, les parties n’arrivent pas toujours à s’auto-réguler pour maîtriser les conséquences de l’excès d’endettement. Mais de quelle manière doit intervenir le législateur ?

27.- Conforme à notre tradition juridique, notre législateur a plutôt choisi une approche dans le prolongement de celle d’Arthur Pigou, en mettant en place trois degrés différents de mécanismes de protection :

- Degré faible : un mécanisme de protection est déclenché une fois le constat établi qu’un défaut dans la société sous LBO survient en raison principalement d’une soustraction d’actifs par ses actionnaires/dirigeants, que ce soit sous la forme d’une distribution de dividendes ou du remboursement de prêts d’actionnaires. Ce mécanisme de protection a posteriori s’organise autour d’un régime de responsabilité pour faute, visant principalement le dirigeant (I) et/ou d’une réintégration des actifs soustraits dans le patrimoine du débiteur (action en nullité de la période suspecte et action paulienne) (II) ;

- Degré moyen : un mécanisme de protection s’enclenche avant même la survenance d’un défaut, dès qu’une soustraction d’actifs de la société cible aux profits d’actionnaires/dirigeants est envisagée. Ce mécanisme de protection ex ante s’organise autour des règles sur la distribution de dividendes et plus généralement autour des règles sur le capital social (III) ;

- Degré fort : un mécanisme de protection s’enclenche avant même la survenance d’un défaut et en l’absence de soustraction directe d’actifs de la société cible par les actionnaires/dirigeants. Ce mécanisme s’enclenche lorsqu’une société cible envisage de souscrire un nouvel emprunt ou de grever ses actifs d’une nouvelle sûreté et ce, afin de faciliter son rachat par un fonds LBO. Ce mécanisme de protection ex ante s’organise autour des règles sur la prohibition de l’assistance financière (IV). 51 V. à cet égard L. Zingales « The Costs and Benefits of Financial Market Regulation » (2004) working paper, disponible sur le site www.ssrn.com.

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28.- Eu égard à l’évolution de l’économie et de la finance, les mécanismes de protections I, III et IV, visant principalement à éviter les transferts de richesse indus au bénéfice des actionnaires, présentent des coûts significatifs et ont un bénéfice limité en raison de leur approche commune à tous types de sociétés quels qu’ils soient. En outre, dans un contexte de mondialisation accru, une économie de plus en plus schumpétérienne nécessite que les conditions de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants de droit, comme de fait, soient significativement plus strictes. Cette évolution est indispensable afin de favoriser la prise de risque et donc l’innovation et, en ce qui concerne plus particulièrement l’industrie du LBO, sa mutation vers l’ingénierie opérationnelle. En contrepartie de cette évolution, le champ d’application d’actions en réintégration dans le patrimoine du débiteur, aux effets plus neutres sur le comportement des décisionnaires, devrait être élargi afin de limiter les transferts de richesse indus (Partie I).

29.- De plus, afin de limiter ou corriger les conséquences de l’excès d’endettement, une approche différente de l’encadrement des pratiques de LBO, plus conforme aux enseignements l’école de Coase, nous semble préférable. Le législateur français ne s’est pas suffisamment interrogé sur les raisons pour lesquelles les parties n’arrivent pas toutes seules à s’auto-réguler. Les mécanismes de protection I, III et IV étant d’une efficacité mesurée pour éviter ou corriger les effets de l’excès d’endettement au niveau des sociétés cible, notre système juridique devrait à travers un mécanisme de protection ex post, inciter les créanciers des sociétés sous LBO à se protéger davantage eux-mêmes ex ante, au moyen d'un renforcement des clauses de protection contractuelle (covenants). L’efficacité de tels mécanismes de protection contractuels requiert pour cela que les clauses de protection et, dans le prolongement, les accords d’investissement conclus dans le cadre de l’opération de LBO, soient effectives ex post devant les tribunaux, en cas d’ouverture d’une procédure collective. De ce point de vue, le législateur français peut certainement mieux faire. Il ressort que le droit français des entreprises en difficulté ne permet pas aux parties de faire correctement appliquer leurs accords contractuels de départ devant les tribunaux pour les raisons évoquées ci-après. Une réforme du droit des entreprises en difficulté semble donc être un préalable nécessaire et urgent (Partie II / § A).

30.- Par ailleurs, conforme à une approche « coasienne » de la réglementation, le législateur français aurait dû davantage s’interroger sur les raisons pour lesquelles il arrive parfois que les créanciers renoncent d’eux-mêmes à mettre en place des mécanismes de protection contractuels. La dernière bulle financière a laissé émerger un phénomène dit de « covenants-lite », c'est-à-dire d’une documentation financière dépourvue de mécanismes de protection contractuels. La complexité des systèmes financiers, et en particulier la dispersion croissante de la dette et du risque de crédit sur les marchés, ont en effet fait naître notamment des situations d’aléa moral et d’asymétries d’information. Ce constat appelle de nouvelles interventions du législateur afin que d’autres mécanismes de protection ex ante puissent être mis en place, destinés à régler spécifiquement les obstacles au comportement efficient des parties (Partie II / § B).

31.- Les règles sur la fiscalité peuvent affecter la structure des LBOs et limiter notamment le recours à l’endettement qui bénéficie d’un traitement fiscal privilégié par rapport aux fonds propres, en principe pour compenser l’engagement contractuel vis-à-vis des prêteurs d’avoir à devoir rendre l’argent (et corrélativement de prendre le risque de se retrouver en défaut). La réalisation d’opérations uniquement pour des considérations fiscales n’est pas souhaitable dans la perspective d’une allocation des actifs à ceux qui ont en font le meilleur usage. De ce point, des mesures fiscales « anti-LBO » ne sont pas contestables à condition qu’elles ne provoquent pas d’effets induits dommageables. Cette question dépasse notre propos au cas présent, mais il est important de garder ces considérations à l’esprit.

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PARTIE I : INADAPTATION DU SYSTEME JURIDIQUE FRANÇAIS ET EUROPEEN A L’EVOLUTION DE L’ECONOMIE ET DE LA FINANCE

32.- En dépit de l’évolution de l’économie, le législateur français, étranger aux préceptes de l’école de Ronald Coase, perpétue la tradition de vouloir moraliser les comportements des agents économiques dès la constatation d’un dommage causé aux tiers. Dans le prolongement de cette approche, les opérations de LBO sont logiquement fortement encadrées en raison du risque présenté par le recours à un endettement important vis-à-vis des tiers, que ce soit à travers un certain nombre de règles ex ante « anti-LBO » (1.1.) ou de la jurisprudence sévère vis-à-vis des dirigeants en particulier (1.2).

1.1 Obsolescence de la réglementation « anti-LBO »

33.- L’approche suivie par le législateur français vis-à-vis des opérations de LBO a conduit à l’insertion d’un certain nombre de règles ex ante applicables en toutes circonstances alors qu’une réponse plus nuancée face à l’excès d’endettement – nécessairement d’ordre contractuel – est préférable. En l’occurrence, la réglementation visant à réduire l’excès d’endettement, ainsi que les transferts de richesse indus, vise à réduire les coûts de détresse financière. Ces coûts naissent de la divergence d’intérêts entre créanciers et actionnaires et peuvent entraîner à terme un défaut. A cet égard, l’intérêt des créanciers et des actionnaires dans une société n’est jamais complètement aligné. Même lorsque la société est in bonis, et financée majoritairement en fonds propres, les créanciers ont intérêt à ce que la société évite de prendre des risques au-delà de ce qui est nécessaire au remboursement de leurs créances.

34.- Les actionnaires peuvent être tentés, quant à eux, de pousser la société à se lancer dans des projets plus risqués que ceux que les créanciers avaient initialement envisagés52. Ils peuvent par ailleurs être incités à endetter encore davantage la société, ce qui aura mécaniquement pour effet de diminuer la valeur du droit des créanciers existants (et inversement augmenter la valeur des actions 53). Ils sont également susceptibles d’obliger la société à renoncer à certains projets d’investissement pourtant rentables54 si les bénéfices attendus ne leur garantissent pas un niveau de rémunération à la hauteur de leur coût du capital. Ils peuvent enfin être susceptibles d’essayer de se verser des distributions alors que la société ne pourra pas rembourser ses créances à terme. Inversement, les créanciers peuvent adopter des attitudes qui peuvent compromettre les intérêts des actionnaires. Ils sont parfois en situation d’exercer une influence sur la société, de sorte qu’ils peuvent l’empêcher de procéder à des distributions ou encore l’inciter à diluer les droits des actionnaires en procédant à une augmentation de capital. Ils peuvent également l’inciter à poursuivre des projets moins risqués que les actionnaires avaient initialement envisagé55.

52 V. L. Lin « Shift of Fiduciary Duty upon Corporate Insolvency : Proper Scope of Directors’ Duty to Creditors » 46 Vand L. Rev. 1485, 1489-91 (1993) et W. Bratton « Bond Covenants and Creditor Protection: Economics and Law, Theory and Practice, Substance and Process », 7 Eur. Bus. Org. L. Rev. 39 (2006).

53 V. M. Jensen et W. Meckling « Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure » 3. J. Fin. Econ. 305, 333-34 (1976).

54 V. S. Myers « Determinants of Corporate Borrowing » 5 J. Fin. Econ 147, 149-55 (1977).

55 V. L. Enriques, J. Macey « Creditors versus capital formation : the case against the european legal capital rules » 2001 86 Cornell L. Rev p 1185.

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35.- Lorsque la société est endettée à des niveaux raisonnables, ce qui est le cas, en pratique, dans la majorité des sociétés l’existence d’une divergence d’intérêts entre créanciers et actionnaires n’est pas perceptible au niveau de la conduite de l’activité. A l’inverse, le recours important à l’effet levier dans les sociétés sous LBO accroît sensiblement cette divergence d’intérêts. L’effet de levier entraîne une augmentation corrélative de la probabilité de défaut et de perte ainsi qu’un accroissement des coûts d’agence entre créanciers et actionnaires. La prohibition de l’assistance financière (A), tout comme les règles de distribution de dividendes et sur le capital social (B) ne répondent cependant pas de manière adéquate aux problèmes liés à l’augmentation des coûts d’agence dans ces situations.

A. Obsolescence de la réglementation sur l’assistance financière

36.- L’article L. 225-216 du Code de commerce, transposant l’article 23 de la directive du 13 décembre 197656, érige une interdiction de principe afin de protéger le capital social des sociétés, gage de ses créanciers : « Une société ne peut avancer des fonds, ni accorder des prêts, ni donner des sûretés en vue de l'acquisition de ses actions par un tiers ». L’interdiction s’applique en droit français à l’ensemble des sociétés par action57, cotées ou non et ce, même si depuis la directive 2006/68/CE, les Etats Membres ont la possibilité d’autoriser l’assistance financière aux conditions prévues par la directive, la France n’ayant pas opté pour cette faculté. Contrairement à d’autres juridictions, il n’existe en effet pas en France de safe harbour (ou procédure dite de « whitewashing ») susceptible de permettre aux sociétés cibles de proposer leurs actifs en gage afin de faciliter leur rachat 58. Le droit français s’illustre ainsi en érigeant un mécanisme de protection fort au bénéfice des créanciers initiaux de la société cible. Il interdit toute assistance financière antérieurement ou concomitamment à la réalisation d’une opération de rachat, indépendamment de toute constatation d'abus ou d’inadéquation entre la souscription d’un emprunt ou la mise à disposition en gage des actifs de la cible et les capacités financières celle-ci59.

37.- La prohibition de l’assistance financière est assortie de sanctions tant civiles (nullité, responsabilité) que pénales60. En droit français, la prohibition ne concerne cependant pas les distributions de dividendes61 ou toute autre forme d’extraction d’actifs (rachat d’actions, remboursement de prêts d’actionnaires ou de compte-courants postérieurement à la réalisation du LBO62). Si la prohibition de l’assistance financière a pu présenter un intérêt au moment de l’introduction de l’interdiction, l’évolution des pratiques dans la finance rend de moins en moins

56 Deuxième directive du Conseil, 13 décembre 1976, 77/91/CEE

57 A l’exception de la SARL, cf § [-].

58 Les dirigeants de la société cible doivent pour cela engager leur responsabilité si l’opération de LBO entraîne par la suite un défaut de la société cible.

59 Cf. la classification des mécanismes de protection, § [-].

60 L. 242-24 du Code de commerce.

61 A. Viandier, "L'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 et les rachats d'entreprise", 1990 JCP ed. E, n° 27-28, p. 463 et s.

62 Cass. com 15 novembre 1994, 1995 JCP ed E, n° 15, note Y. Guyon; Revue des sociétés, 1995, p. 66, note M. Jeantin. L’arrêt valide le remboursement d’un prêt contracté par le véhicule d’acquisition par le versement à la banque du produit d’une distribution de dividendes réalisés par la société sous contrôle. Si, de manière générale, la jurisprudence valide les opérations d’assistance financière réalisées postérieurement à l’acquisition, une garantie accordée postérieurement à l’acquisition est susceptible d’être remise en cause sur le fondement de la contrariété à l’intérêt social de la cible. Cf. sur ce point [cross ref].

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pertinent le maintien de la prohibition de la règle dans son principe (1), de sorte qu’elle présente aujourd’hui un coût significatif (2).

1°) Un intérêt contestable

38.- Depuis l’existence d’un principe d’arrêt des poursuites en cas d’ouverture d’une procédure collective, la prohibition de l’assistance financière n’a plus pour effet de protéger la société contre une destruction de richesse inutile causée par l’exercice des sûretés (a). L’évolution de la finance et des techniques contractuelles permet par ailleurs aux nouveaux créanciers dans un montage LBO de mieux se protéger, et par voie de conséquence, de mieux corriger les conséquences de l’excès d’endettement provoqués par le rachat de la société avec effet de levier (b). Le principal inconvénient de l’assistance financière est donc, non pas d’entraîner une destruction de richesse inutile, mais d’entraîner une dilution des droits des créanciers initiaux, c'est-à-dire un transfert de richesse au profit des nouveaux actionnaires. Les créanciers initiaux étant incités à se protéger à travers des mécanismes de protection contractuels adaptés à chaque situation, l’intérêt d’un mécanisme de protection ex ante, comme la prohibition de l’assistance financière, applicable à tous types de sociétés quels qu’ils soient, est remis en cause (c).

a) Une évolution de la finance limitant les risques d’asset stripping

39.- La collectivité doit éviter les destructions de richesse inutiles. Une telle destruction peut survenir dans l’hypothèse où les créanciers saisissent un actif dans le patrimoine de leur débiteur et que la perte économique causée par cette extraction est supérieure à la valeur de marché du bien que peuvent en retirer les créanciers afin de se faire rembourser. Ce phénomène d’asset stripping est un des phénomènes à l’origine de la loi sur l’assistance financière au Royaume-Uni63. Les choses ont cependant évolué depuis. Même si les créanciers de l’acquéreur d’une société sous LBO se voient conférer des sûretés réelles sur les actifs de la société cible, ils n’ont pas intérêt à provoquer une destruction de richesse inutile dans le patrimoine de leur débiteur. Trois raisons l’expliquent :

- compte tenu du développement de la syndication bancaire, en cas de difficultés, les sociétés sous LBO ne doivent pas faire face à un créancier isolé, mais à une multitude de créanciers ; il existe un intérêt collectif à éviter une course aux actifs, afin de ne pas détruire inutilement de la valeur ; les termes de la syndication bancaire prévoient ainsi que si un créancier reçoit davantage que les autres, il s’oblige à reverser le surplus aux autres créanciers,

- les clauses de cross default64 sont de plus en plus fréquentes dans les différents financements. Elles accentuent en conséquence le caractère collectif de l’action des créanciers. Un syndicat de banques qui s’aventurerait à déclarer exigible une créance se retrouverait en compétition avec d’autres créanciers au titre d’un financement pourtant différent et,

- les sociétés sous LBO sont en principe des sociétés profitables en dépit des problèmes de financement qu’elles peuvent avoir. Leur valeur d’entreprise est donc en général supérieure à la somme de la valeur de leurs actifs pris individuellement65.

63 John Lowry, « The Prohibition against financial assistance : constructing a rational response », in Corporate Finance Law in the UK and EU », D. Prentice and A. Reisberg (ed.), Oxford University Press, 2011, p. 4.

64 Une clause de cross default est une clause qui confère la possibilité à des créanciers de prononcer l’exigibilité anticipée de leur prêt du seul fait que leur emprunteur est en défaut.

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40.- Le caractère collectif de leur action et le caractère profitable de la société sous LBO incitent en conséquence les créanciers d’une société sous LBO à agir dans l’intérêt de la préservation de la valeur d’entreprise de la société. Le caractère collectif de leur action est par ailleurs renforcé par loi de 1985, qui a introduit le principe de l’arrêt des poursuites, en cas d’ouverture d’une procédure de redressement et, depuis 2005, de sauvegarde. Les créanciers savent donc que, s’ils essayent d’exercer leurs sûretés pour céder des actifs sur le marché, le débiteur pourra répondre en ouvrant une procédure de sauvegarde. L’octroi de sûretés dans cette perspective ne devrait conférer aux créanciers de l’acquéreur de la société sous LBO qu’un rang de priorité par rapport aux créanciers initiaux des sociétés sous LBO, et non le droit de saisir les actifs. L’octroi d’une sûreté ne s’apparente ainsi a priori pas comme une soustraction d’actifs mais comme une dilution des droits créanciers initiaux66.

41.- Inversement, une interdiction trop rigide de l’assistance financière peut limiter la compétition pour la prise de contrôle des sociétés, décourager les dirigeants de société à se renouveler et limiter la réalisation d’opérations avec effets de levier, pourtant créatrices de valeur.

b) Une évolution de la finance limitant les risques de détresse économique

42.- Compte tenu des coûts d’agence élevés entre les nouveaux créanciers prêteurs et les actionnaires dans un montage LBO, la documentation financière LBO contient de nombreuses clauses de protection (covenants) ayant pour objet de réduire ces coûts. Celles-ci comportent des obligations de faire et de ne pas faire à la charge de l’emprunteur, par exemple l’interdiction de réaliser certaines opérations de croissance externes ou encore de souscrire de nouveaux emprunts. L’aggravation des difficultés financières de la société cible ne faisant qu’accroître la divergence d’intérêts des actionnaires et des créanciers, les parties prévoient logiquement par anticipation dans les documentations de LBO dans quelles conditions les mécanismes de protection contractuels devront être revus. L’intérêt d’inclure des obligations de respecter un certain nombre de ratios financiers dans la documentation financière du LBO, comme le niveau d’EBITDA par rapport au service de la dette, ou encore la valeur des actifs par rapport au montant de la dette, est donc d’obliger les parties à renégocier les termes du prêt et les clauses de protection pour s’adapter au nouveau contexte dégradé le plus rapidement possible67. Les créanciers détiennent un moyen de pression vis-à-vis des dirigeants car, à la suite du non-respect d’un covenant financier, ils sont en mesure de pouvoir exiger le paiement anticipé de la dette68.

65 Une société cible peut cependant avoir été choisie parce qu’elle était justement mal gérée. Dans cette hypothèse, les acheteurs, comme ses propres créanciers, peuvent avoir intérêt à céder des actifs non indispensables à son activité. L’ asset stripping, comme les fonds vautours, ont de manière générale mauvaise presse, en raison des pertes d’emplois qui peuvent en résulter. Ils ne conduisent cependant pas nécessairement à des destructions de richesse si les actifs cédés sont mieux réemployés ailleurs ce qui, dans un contexte de chômage élevé et d’économie atone, est peu probable. 

66 Compte tenu du mauvais positionnement du droit des entreprises en difficulté français, le législateur a malheureusement érigé un certain nombre d’exceptions au principe de l’arrêt des poursuites. Cf § [-].

67 Les covenants peuvent cependant être coûteux et ne pas anticiper correctement les comportements des dirigeants. Il est en effet très difficile de prévoir à l’avance l’ensemble des difficultés que pourrait faire face à l’avenir l’emprunteur. Pour cette raison, les parties prévoient par avance qu’il faudra pouvoir mettre à jour de manière régulière à moindre coût les covenants. Elles insèrent donc des clauses de renégociation automatiques grâce aux covenants financiers, obligeant l’emprunteur à respecter un certain nombre de ratios financiers, tels qu’un montant d’EBITDA par rapport à la dette. Les ratios financiers permettent aux établissements de crédit de manager leur risque de crédit, de leur donner les moyens de réévaluer la situation de l’emprunteur lorsque la situation s’aggrave, augmente le risque de comportement opportunistes de la part des actionnaires. Le but est alors de renégocier la dette en anticipation ou suivant un défaut.

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43.- Lorsque la situation financière de l’emprunteur ne lui permet pas de payer ses dettes à terme, ou, de se refinancer à des conditions qui n’affectent pas la profitabilité de l’appareil productif, un désendettement de la société est impératif. A défaut, la détresse économique succède à la détresse financière, accélérant les destructions de valeur au niveau de l’entreprise. L’intérêt des créanciers étant alors davantage aligné sur l’intérêt de la société que celui des actionnaires (dont les titres conservent une valeur d’option), les premiers ont intérêt à provoquer une conversion de la dette en actions69. La rupture des covenants financiers provoquée par la dégradation de l’activité de l’emprunteur est censée leur donner ce confort.

44.- Les parties sont en mesure de pouvoir modifier rapidement la documentation financière, et donc provoquer une restructuration du bilan, si un certain nombre de conditions sont remplies  : un faible coût de transaction, une absence d’asymétries d’information, l’absence d’incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société et de problèmes de coordination entre les créanciers. Sous ces réserves, l’excès d’endettement d’une société sous LBO ne devrait jamais perdurer. Corrélativement, l’activité opérationnelle de la société sous LBO ne devrait jamais être ainsi affectée du seul fait qu’il y ait eu au départ une erreur de calibrage de la dette.

45.- En ce qui concerne les coûts de transaction, ils ont été fortement réduits ces dernières années. Cette réduction a été permise par le développement de l’informatique et de la syndication bancaire permettant aux créanciers de réaliser des économies d’échelle. Le coût du monitoring du risque de crédit par les créanciers a ainsi été réduit70. Il est également plus aisé pour les créanciers d’ajuster les mécanismes de protection contractuels afin d’anticiper le plus en amont possible les difficultés. En ce qui concerne les problèmes d’asymétrie d’information et d’incertitude sur l’état d’insolvabilité de la société, il est d’usage de prévoir en cas de bris de covenant que les créanciers pourront s’appuyer sur des conseils externes pour faciliter la collecte d’informations financière et pour élaborer des hypothèses sur les perspectives de trésorerie futures du débiteur.

46.- A supposer que le droit des procédures collectives soit globalement respectueux des accords contractuels et ne s’en affranchisse à la marge que pour mettre surtout fin aux problèmes de coordinations entre créanciers, lorsque la modification de la documentation requiert l’unanimité des créanciers71, les mécanismes de protection contractuels jouent un rôle essentiel pour régler le plus en amont possible les difficultés de l’emprunteur. Une étude réalisée sur la base de données américaines72, a mis en évidence que si les sociétés américaines sous LBO se restructurent davantage que les autres, du fait de leur niveau élevé d'endettement, les sociétés sous LBO feraient l’objet d’un meilleur monitoring de la part des différents acteurs, de nature à améliorer les chances de succès de la

68 Les créanciers ne peuvent utiliser la menace de prononcer l’exigibilité anticipée de la dette qu’avec mesure. Demander le paiement anticipé de la dette conduirait le dirigeant à ouvrir une procédure collective, destructrice de valeur pour l’entreprise. Les créanciers en seraient les premiers à supporter les coûts.

69 A l’inverse, les actionnaires peuvent avoir intérêt à ce que la situation perdure. Leurs actions conservent une valeur d’option, dont la valeur dépend de la probabilité d’exercice de la dette.

70 Dans un syndicat, c’est la banque arrangeuse qui pour le compte de toutes les autres, assure le monitoring du crédit. V. par ex. C. Whitehead « The Evolution of Debt: Covenants, the Credit Market, and Corporate Governance.  » The Journal of Corporation Law, Vol. 34, No. 3, p. 641, Spring 2009. Le niveau de covenant procède de ce point de vue d’une mise en balance du bénéfice d’avoir des covenants et du coût du monitoring et de la mise en œuvre des termes du contrat.

71 Cf. [-].

72 P. Stromberg, E. Hotchkiss et D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress »Working Paper (2011), disponible www.ssrn.com.

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restructuration de sociétés surendettées mais viables d’un point de vue économique. En comparant les défauts des sociétés détenues ou non par un fonds de private equity, on s’aperçoit même que les sociétés détenues par des fonds de private equity sont beaucoup plus rapides à résoudre leurs difficultés. La durée moyenne de résolution d’un défaut des sociétés sous LBO est inférieure de 4,9 mois à la durée de résolution d’un défaut pour les autres types de sociétés73.

47.- Cette étude74 montre également que la probabilité de défaut diminue de manière significative après que le fonds LBO a cédé sa participation. De manière générale, les sociétés cibles sont donc particulièrement performantes et en situation de pouvoir supporter un haut niveau de dette par rapport à d’autres sociétés. Les sociétés détenues par des fonds LBO ont plus de chances de rester indépendantes après un défaut que d’être vendues à une autre société ou de voir leurs actifs liquidés. La probabilité de survie des sociétés sous LBO est donc plus grande. Ces différences entre les sociétés sous LBO et les autres semblent principalement dues à une anticipation plus importante des difficultés de la société. La détresse financière peut donc être ainsi maîtrisée en théorie par les parties concernées par l’évolution de la situation de la société sous LBO (sous réserve que le droit des entreprises en difficulté soit efficient), ce qui prive l’interdiction de l’assistance financière de son intérêt initial. L’assistance financière présente donc essentiellement l’inconvénient d’entraîner un transfert de richesse au détriment des créanciers initiaux. La collectivité est relativement protégée contre les risques de destruction de valeur.

c) Une incitation des créanciers initiaux à se protéger eux-mêmes contre le risque de dilution de leurs créances

48.- L’octroi d’un prêt ou d’une sûreté par une société rachetée dans le cadre d’une opération de LBO a donc essentiellement pour inconvénient d’entraîner un transfert de richesse indu au détriment des créanciers initiaux de la société cible. La dilution des droits des créanciers n’est cependant pas nécessairement pénalisante du point de vue de l’intérêt général aussi longtemps que :

- l’excès d’endettement ne conduit pas à un sous-investissement de la société dans des projets rentables puis à un défaut, susceptible d’être destructeur de richesse,

- le transfert de richesse au profit des nouveaux actionnaires ne conduit pas à une augmentation du coût du crédit.

49.- Ce transfert de richesse indu, qu’il soit la conséquence d’un nouveau passif pari passu ou d’un passif situé à un rang plus senior que celui des créanciers existant, existe dès lors que ce nouveau passif augmente la probabilité de défaut de l’emprunteur (et de perte pour le créancier) au-delà d’un certain seuil. Ce seuil varie en fonction de l’appréciation de la situation financière de l’emprunteur, de l’évolution de son activité opérationnelle et des conditions macroéconomiques. Un transfert de richesse indu peut donc survenir bien avant un éventuel défaut de l’emprunteur. La perte pour les créanciers initiaux présente donc un caractère nécessairement subjectif. Cette perte peut parfois être extériorisée lorsque le titre de dette fait l’objet d’une cotation sur les marchés, l’annonce de la souscription d’un nouveau passif provoquant une baisse du titre. Pour cette raison, face au risque de dilution de leurs créances, les créanciers initiaux ont intérêt à se protéger au travers d’un mécanisme de protection d’ordre contractuel. A l’inverse d’une réglementation ex ante commune qui s’applique quelle que soit la situation de l’emprunteur, le contrat s’adapte à la situation de départ et peut être renégocié par les parties, en fonction de l’évolution de la situation financière de l’emprunteur.

73 Ibid.

74 Ibid.

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50.- Des études aux Etats-Unis réalisées au début des années 90 ont montré que les obligataires d’une société cotée étaient significativement appauvris dès l’annonce d’un LBO sur leur emprunteur 75. Les études américaines plus récentes ont toutefois mis en évidence que le développement de la pratique consistant à insérer des covenants dans les contrats d'émissions obligataires avait significativement diminué les transferts de richesse76. Un résultat similaire a été observé à l’appui de données collectées en Europe77. L’insertion de covenants restrictifs, comme les covenants contre le changement de contrôle ou encore contre une notation de mauvaise qualité (non-investment grade), est donc particulièrement important. Les études ont également démontré que l’annonce de l’opération de LBO conduisait à une augmentation du cours des obligations dont la maturité est inférieure à 10 ans et de celui des obligations subordonnées78. Compte tenu de l’impossibilité dans certains pays d’Europe de procéder à des fusions rapides du véhicule d’acquisition et de la société cible, notamment en France pour des raisons fiscales, il n’est pas exclu que les créanciers initiaux de la société cible soient mieux protégés en Europe qu’aux Etats-Unis79. En résumé, le transfert de richesse au détriment des créanciers financiers initiaux lors de la réalisation d’une opération de LBO n’est plus si évident depuis l’évolution des techniques contractuelles.

51.- L’intérêt de la prohibition de l’assistance financière pour les autres créanciers, moins en mesure de se protéger à travers des mécanismes de protection contractuels, n’est pas non plus avéré. Les salariés, comme les fournisseurs ont une créance sur la société sous LBO dont la maturité est nécessairement plus courte que celle des créanciers financiers. Ils sont donc de facto placés en situation d’être réglés prioritairement par rapport aux autres créanciers financiers, au moins lors de la conclusion du LBO. Ils ont donc latitude pour agir en conséquence. Ils ne sont pas forcément dépourvus d’un pouvoir de négociation vis-à-vis de la société sous LBO. Ils sont susceptibles d’obtenir des conditions de paiement/une rémunération qui reflètent le risque de non-paiement de leurs propres créanciers, encouru par l’effet de l’excès d’endettement. Certains fournisseurs en particulier, compte tenu de leur position de marché ou du caractère crucial de leur partenariat pour la société sous LBO, peuvent demander des garanties supplémentaires, des sûretés de la part du débiteur, des prix plus élevés pour les marchandises échangées. Ils peuvent également refuser de contracter avec la société.

52.- L’intérêt des règles de l’assistance financière est donc extrêmement contestable, surtout au regard des recherches académiques qui tendent à démontrer que les opérations de LBO sont au final créatrices de valeur. L’intérêt des règles de l’assistance financière est d’autant plus contestable que son champ d’application est incertain et que le contournement des règles de l’assistance financière est coûteux, que ce soit en France ou en Europe, lorsque l’interdiction est appliquée80.

75 A. Warga et I. Welch « Bondholder losses in leveraged buyouts », 1990, Review of Financial Studies 6, 959-982.

76 Matthew T. Billett, Z. Jiang et E. Lie « The Effect of Change-in-Control Covenants on Takeovers: Evidence from Leveraged Buyouts » Journal of Corporate Finance, 2010, 16(1), pp.1-15.

77 N. Vassaux « Analyse de l’impact d’un « LBO » sur la richesse d’un obligataire » mémoire de master en finance, Solvay Brussels School of Economics and Management. Les résultats ont été obtenus sur la base d’une analyse de la variation du prix des obligations cotées et de l’évolution du prix des CDS de l’emprunteur.

78 La raison invoquée est que la réalisation du LBO est perçue à court terme, comme positif par le marché. L’éventualité d’un défaut dans plusieurs années ne concerne donc pas les créanciers à moyen terme (et a fortiori les fournisseurs). De plus, pour les créanciers déjà subordonnés, l’opération de LBO est perçue comme un signe positif de la santé de l’emprunteur.

79 Inversement, les créanciers initiaux ne peuvent pas bénéficier indirectement de l’avantage fiscal lié à la possibilité de pouvoir déduire les intérêts de la dette. La réalisation d’une opération de debt push down a cependant pour effet de réduire les différences, en termes de structuration, entre les opérations réalisées aux Etats-Unis et les opérations réalisées en Europe.

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2°) Un coût significatif

a) Un contournement de la prohibition générateur de coûts

53.- Le contournement aisé de la prohibition de l’assistance financière général en Europe, tout en état couteux pour l’entreprise en terme de frais de conseil, ne permet pas d’éviter certains opérations avec effet de levier agressives, que ce soit des LBO, des opérations de leveraged recapitalisation [ou des spin off de la société réalisés au profit des actionnaires]. Plus généralement, la prohibition n’a jamais été un obstacle au développement en France du rachat d’entreprises viables dans le cadre d’opérations de LBO81, contrairement au Royaume-Uni initialement82. Au cours des dernières années du précédent cycle haussier, il a même été observé que les niveaux d’endettement des sociétés sous LBO rattrapaient ceux pratiqués aux Etats-Unis, pays dans lequel la prohibition de l’assistance financière a été supprimée il y a plus de trente ans83.

54.- Le contournement aisé de la prohibition de l’assistance financière, particulièrement en France, s’explique par l’interprétation étroite de la majorité de la doctrine et des juridictions des textes. En France, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, rappelé par la doctrine 84, a en effet obligé les juridictions chargées de faire appliquer l’interdiction d’adopter une interprétation stricte du texte. En conséquence, la prohibition de l’assistance financière ne vise pas un certain nombre d’opérations ayant pour effet d’entraîner une dilution des droits des créanciers et donc un transfert de richesse en leur défaveur. L’interdiction ne s’applique ainsi pas à des opérations réalisées concomitamment à l’opération de LBO, qui ne sont pas listées à l’article L.225-216 du Code de commerce, comme la distribution de dividendes, ainsi que non plus, a priori85, à tous types d’opérations qui pourraient être réalisées postérieurement à l’acquisition. Selon l’opinion dominante, la prohibition n’empêche pas la fusion immédiate de la société cible avec la société acquéreur86 mais celle-ci est susceptible d’être

80 L. Enriques, « EC Company Law Directives and Regulations: How Trivial Are They? » (2006) University of Pennsylvania Journal of International Economic Law.

81 L. Enriques, « EC Company Law Directives and Regulations: How Trivial Are They ? », ibid.

82 J. Gilligan et M. Wright « Private Equity Demystified », 2nd édition, Corporate Finance Faculty.

83 E. Ferran « Regulation of Private Equity – Backed Leveraged Buyout Activity in Europe » ibid et G. Tett, « Leverage Multiples Reach Record Levels », Financial Times 2 Mai, 2006, p 21.

84 V. par ex. Le Nabasque, « A propos de l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 », 1992 JCP ed n°3, p. 17.

85 La pratique doit cependant faire face à l’incertitude du champ d’application et prendre certaines dispositions pour éviter l’application du texte. V. F. Cohen, L. Tari « Les problématiques juridiques des opérations de « leveraged recapitalization » » RTD f. 2006 n°2 p 75.

86 Cette solution n’a cependant pas été consacrée par la jurisprudence, v. par ex. H. Le Nabasque, «  A propos de l’article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 », JCP E, 1992.17 ; Mémento Transmission d’entreprise 2011-2012, Editions Francis Lefebvre, § 63230. Certains ont néanmoins émis l’hypothèse que s’il pouvait être démontré que la fusion avait pour unique objectif le contournement des règles sur l’assistance financière, celle-ci aurait alors un caractère frauduleux.

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remise en cause au regard du droit fiscal87. La prohibition n’empêche ainsi pas les opérations qui pourraient rétrospectivement conduire à des violations de l’ordre de priorité.

55.- Le contournement de la prohibition de l’assistance financière est dès lors aisé88. Postérieurement à l’acquisition de la société cible par le fonds LBO à travers une holding de rachat, la pratique a ainsi pour habitude de réaliser des opérations de debt push down. Ces opérations permettent de faire supporter économiquement la dette d’acquisition aux sociétés opérationnelles, en vue notamment de réaliser les opérations de leveraged recapitalisation89. Ce sont pourtant précisément ce type d’opérations qu’ont souhaité empêcher ceux qui ont instauré la prohibition de l’assistance financière, et ce afin d’éviter que les sociétés cibles soient obligées de rembourser la dette sur leurs propres actifs. Une opération de debt push down consiste à faire directement souscrire les sociétés opérationnelles de la société cible des emprunts dont le produit sert en partie au paiement de la dette d’acquisition. Lorsqu’il existe un compte courant entre la société cible et l'actionnaire cédant, la société débitrice de la dette d’acquisition peut également souscrire un emprunt, dont une partie est destinée au remboursement du compte courant du cédant. Ce second prêt est garanti par une sûreté accordée par la société cible. Le véhicule d’acquisition apporte alors en en garantie du remboursement de la dette d’acquisition le prêt conclu avec les sociétés opérationnelles. La sûreté grevant les actifs des sociétés concernées est alors automatiquement transférée, à titre d’accessoire90. Au final, toutes ces opérations de contournement peuvent être extrêmement coûteuses pour les entreprises. A titre d’illustration, au Royaume-Uni, le coût des règles relatives à l’assistance financière, avant leur abrogation, a été évalué à 20 millions de livre sterling par an91. 

b) Une incertitude sur le champ d’application génératrice de coûts

87 L’administration fiscale est attentive à ce type de montages et se réserve la possibilité de remettre en cause une fusion rapide lorsque cette opération a « pour but exclusif d’imputer fiscalement les frais d’acquisition sur les bénéfices de la société acquise » ou lorsqu’elle constitue « pour la société acquise puis fusionnée une opération déséquilibrée sans contrepartie suffisante pour elle » (Inst. 4 I-2-00 n° 17). L’opération est alors le cas échéant remise en cause sur le fondement de l’abus de droit ou de l’acte anormal de gestion.

88 En Allemagne, la pratique a pris pour habitude de contourner l’interdiction en transformant les sociétés sous forme d’une AG (autorisées à faire appel public à l’épargne et donc soumises à la prohibition de l’assistance financière) en Gmbh (hors champ d’application de la prohibition de l’assistance financière). En France, une telle pratique reviendrait à convertir les SA ou les SAS en une SARL, ce qui est inenvisageable en pratique, compte tenu des règles rigides du code du commerce sur l’organisation des SARL. Le texte de la loi vise en effet les sociétés par action, c'est-à-dire les SA et, par renvoi, les SAS et SCA, à l’exclusion notamment des SARL.

89 Cf § [-].

90 D. Bourrinet, « Les risques juridiques des financements d'acquisition », Option finance, n° 554, 28 juin 1999, p. 28 et s.

Une fois les actifs de la cible valablement appréhendés par la holding – ils deviennent de ce fait des actifs de cette dernière –

et les sûretés constituées non pas par la cible mais par la holding, Les établissements bancaires peuvent par ailleurs prendre directement des garanties sur les actifs de ces sociétés, sans violation de l'article L. 225-216 du Code de commerce. Ce mécanisme est aujourd'hui assez largement utilisé par la pratique mais il convient à tout le moins de veiller à ce que l'emprunt contracté par la cible ou ses filiales n'excède pas la capacité de remboursement normal de celles-ci et que les sûretés constituées par ces sociétés ne garantissent que les prêts souscrits par elles et en aucun cas les prêts ayant servi à l'acquisition des titres de la cible. De façon plus générale, de telles pratiques peuvent être critiquées sur le fondement de la violation de l’intérêt social ; si les distributions s'avèrent excessives au regard de la capacité financière de la cible, elles seront également susceptibles d'être qualifiées de fautes de gestion en cas d'ouverture d'une procédure collective. Cf § [-].

91 V. le rapport « Regulatory Impact Assessment relating to the Companies Act 2006 » , janvier 2007.

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56.- L’incertitude sur le champ d’application de la prohibition peut créer par ailleurs une véritable situation d’insécurité juridique, particulièrement lorsque la société cible est cotée faisant l’objet d’offres publiques d’acquisitions92. Cette incertitude est accentuée dans l’hypothèse où la société cible détient elle-même des filiales dans plusieurs pays d’Europe. L’hétérogénéité des différents régimes d’exemption à la prohibition de l’assistance financière rend l’environnement juridique beaucoup trop complexe pour être compris des investisseurs. Ces derniers ne sont alors pas en mesure de pouvoir mesurer l’étendue du risque de crédit. En dépit de ces évolutions, et contrairement au Royaume-Uni et au mouvement général d’assouplissement en Europe93, la France n’a pas jamais révisé la loi de 1976 instaurant la prohibition de l’assistance financière. Dans ce contexte, il est nécessaire de se poser la question de l'opportunité de supprimer les règles relatives à l'assistance financière. Les évolutions de la finance et de l’économie depuis 1976 ne rendent plus forcément pertinentes l’interdiction pour une société d’accorder un prêt à son acquéreur, ni même d’octroyer des sûretés personnelles ou réelles, en garantie du paiement de la dette d’acquisition.

57.- En résumé, la pertinence de la prohibition de l’assistance financière est discutable en raison de l’évolution de l’économie et de la finance ces dernières années. L’octroi d’un prêt ou de sûretés personnelles ou réelles n’est pas de nature en soi à détruire de la valeur, sous réserve que les parties arrivent à s’entendre rapidement pour mettre fin à la situation de détresse financière. Le risque de transfert de richesse des créanciers aux actionnaires présenté par les opérations de LBO est surmontable par les parties elles-mêmes. Les objectifs de la prohibition de l'assistance financière semblent pouvoir être mieux atteints par les parties elles-mêmes, avec le développement des techniques contractuelles qui permettent une meilleure protection des créanciers.

58.- Enfin, en l’absence de mécanismes de protection d’ordre contractuel spécifiques, il n’est pas exclu que le législateur permette de remédier à certains transferts de richesse indus. Un mécanisme de protection ex post, sous la forme d’actions en réintégration dans le patrimoine94, lorsque le défaut se matérialise, est alors préférable pour éviter les travers d’une réglementation ex ante applicable à tous types de sociétés et qui, de toute façon, ne peut appréhender l’ensemble des transferts de richesse indus.

B. Obsolescence des règles sur le capital social et la distribution de dividendes

59.- Si les règles sur le capital social et la distribution de dividendes ont pu présenter un intérêt au moment de leur introduction, l’évolution de l’économie et des pratiques dans la finance rend de moins en moins pertinent le maintien de ces règles (1), de sorte qu’elles présentent aujourd’hui avant tout un coût significatif (2).

92 En Espagne, les actionnaires minoritaires d’Endesa ont réussi ainsi à stopper une OPA lancée par Gas Natural, en initiant un contentieux au motif que l’opération était contraire à la prohibition de l’assistance financière. Gas Natural a alors renoncé à l’opération et quelques années plus tard Endesa a été achetée par E.ON. V. R. McLean «   Gas Natural Bid for Endesa Faces New Hurdles », International Herald Tribune 22 mars 2006.

93 [La directive 2006/68/CE a autorisé l’assistance financière pour les sociétés même cotées, à condition notamment que le conseil d’administration engage sa responsabilité. Certains Etats sont allés cependant plus loin pour les sociétés non cotées. Ces dernières années, la Hollande, la Belgique et Royaume-Uni ont ainsi approuvé sans restriction l’assistance financière pour les sociétés non cotées (les principes d’intangibilité du capital continuent néanmoins à s’appliquer). L’Italie et l’Espagne ont conservé des régimes très strictes en apparence, mais autorisent la fusion rapide du véhicule d’acquisition et de la société cible, l’interdiction perdant tout effet. V. E. Ferran « Regulation of Private Equity – Backed Leveraged Buyout Activity in Europe » ECGI Law Working Paper, 2007, disponible sur le site : www.ssrn.com.]

94 Cf § [-].

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1°) Un intérêt contestable

60.- Les règles sur les distributions de dividendes et plus généralement sur le capital social sont perçues comme une contrepartie au principe de responsabilité limitée. Elles ont pour objectif d’éviter une soustraction d’actifs au profit des actionnaires et dirigeants, et ce même si celle-ci n’entraîne pas nécessairement un défaut, mais un risque de sous-investissement dans des projets pourtant rentables. Ce type de soustraction est dommageable pour les créanciers initiaux95 de la société sous LBO et, dans une moindre mesure, la collectivité en général : l’intérêt général est compromis si le projet non-financé n’est pas repris par un tiers. C’est un mécanisme de protection coûteux dans la mesure où il est susceptible d’empêcher les actionnaires de réemployer le produit de leur investissement dans d’autres projets plus rentables et peut donc conduire à un sous-investissement en fonds propres. Quand une société a un surplus de trésorerie et pas de « bons » projets dans lesquels investir, il peut être efficient que l’argent soit rendu aux actionnaires pour que ces derniers investissent ailleurs, au lieu de servir au financement d’un projet qui sous-performe. Si les règles sur le capital social ne sont en général pas pénalisantes pour l’industrie du LBO, l’industrie du venture capital offre une illustration du coût d’une réglementation inadaptée compte tenu de l’évolution de l’économie et de la finance.

61.- Les sociétés financées par des fonds de venture capital se caractérisent par un potentiel de croissance important en cas de réussite technique et commerciale des innovations développées. Les chances de succès sont cependant réduites. Les fonds arbitrent leurs risques en misant sur la surperformance d’un nombre réduit de leurs participations, étant donné le taux élevé d’échec. Les relations entre les investisseurs et les fondateurs au sein de la société – sa gouvernance – s’organisent dans cet esprit. Ainsi, aux Etats-Unis, un fonds souhaitera réaliser son investissement au moyen d’un rachat d’actions par la société cible, lorsque cette dernière, sans être insolvable, ne performe pas suffisamment au regard des exigences du secteur. Dans un second temps, il est en général procédé à la liquidation volontaire de la société, permettant de rembourser les autres créanciers96. Les règles limitant les distributions aux associés sont ainsi susceptibles de créer un désavantage concurrentiel perceptible pour les sociétés européennes par rapport à leurs homologues américaines, contrairement à ce qui a pu être affirmé par ailleurs97.

62.- Le capital social a été introduit dans notre droit bien avant l’introduction des sociétés à responsabilité limitée en France par la loi du 7 mars 192598. La deuxième directive du 13 décembre 1976 a été perçue comme le symbole du « triomphe99 » du capital social en Europe et de l’influence

95 Nous limiterons notre analyse aux règles destinées à protéger les créanciers et non les actionnaires minoritaires.

96 V. S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance » ibid.

97 V. par ex. G. Parleani « Le financement du capital. Réflexion sur l’utilité de la notion et de son devenir  » Rev. Soc 2005 p 13.

98 Le capital social a ainsi toujours été vécu comme une règle inhérente à la constitution des personnes morales. Les premières dispositions visant expressément la notion de capital social sont apparues non pas dans les textes légaux mais dans les statuts des grandes compagnies de commerce aux XVIIème et XVIIIème à une époque où le bilan n’offrait aucune garantie pour protéger les créanciers contre les distributions indues des actionnaires. C’est la loi du 17 juillet 1867 mettant fin au contrôle administratif sur la création des sociétés anonymes, qui institua le capital social obligatoire, comme mode de protection des créanciers . V. N. Mabika Itsiembou « L’utilité du capital social », 2010, thèse, Université Clermont 1 – Université d’Auvergne.

99 R. Siney «  La première directive européenne sur les sociétés et la mise en harmonie du droit français », 1971, Gaz. Pal. 1971, p.1.

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allemande sur le droit communautaire100. Les interdictions applicables aux distributions de dividende, au rachat d’actions et à la réduction de capital sont érigées par référence au montant du «  capital social », qui est librement fixé par les actionnaires depuis les dernières réformes. Est ainsi interdit toute distribution ayant pour effet de ramener la valeur de l’actif net à un montant inférieur au capital social, augmenté des réserves obligatoires. Si on peut trouver un intérêt sur le principe à ériger un mécanisme de protection légal qui s’appliquerait à tous, la référence au capital social n’est pas pertinente. Avec le temps, la valeur des actifs de la société est de plus en plus décorrélée du montant des contributions réalisées par les actionnaires. En outre, les sociétés sous LBO sont libres de fixer le montant du capital qu’elles désirent. Elles peuvent de ce fait aisément sous-capitaliser la société en gonflant la prime d’émission101, sous réserve de la caractérisation d'un abus, difficilement appréciable102. Ces règles strictes constituent une contrainte de plus en plus prégnante pour toutes les sociétés qui ont la capacité financière de réaliser des distributions par quelque moyen que ce soit, au-dessus des limites autorisées par la loi. Le coût d’une telle restriction varie selon les perspectives de développement de la société. Pour ces raisons, les covenants sont forcément des instruments mieux adaptés que la réglementation sur les distributions aux actionnaires. Si ces mécanismes ex ante de protection ont pu être justifiés à un moment donné, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été mis en vigueur, l’évolution de la finance, en particulier le regroupement des établissements bancaires en syndicat, a réduit considérablement l’intérêt d’un mécanisme de protection légal. Les coûts induits de cette règle dépassent ainsi aujourd'hui ses bénéfices. Le simple fait que les covenants puissent être modifiés en fonction de l’évolution de la situation financière de l’emprunteur est un avantage indéniable par rapport à une règle rigide fixée par la loi103.

63.- Comme évoqué précédemment, les créanciers qui ne sont pas en situation de pouvoir exiger des garanties pour se protéger contre le risque d’extraction d’actifs provoquée par les actionnaires ne bénéficient guère plus des contrôles ex ante des distributions. Tout d'abord, ces créanciers peuvent souvent avoir un vrai pouvoir de négociation sur leur débiteur104. Par ailleurs, la plupart d’entre eux sont focalisés sur un intérêt court terme, et resteront donc en alerte en fonction de l’évolution de la situation financière de leur débiteur. D’autres bénéficieront indirectement de la protection contractuelle établie entre les créanciers senior et le débiteur. Ainsi, par exemple, les établissements bancaires exercent une surveillance sur l’emprunteur qui bénéficie également aux porteurs obligataires high-yield, qui ne peuvent bénéficier de covenants aussi souples et exigeants que les établissements bancaires105. Enfin, les créanciers ont le plus souvent la possibilité d'agir, au moyen d’une action en réintégration, sous réserve que celle-ci puisse se déclencher dès la constatation de l’état d’insolvabilité de

100 V. par ex. G. Parleani « Le financement du capital. Réflexion sur l’utilité de la notion et de son devenir » ibid.

101 Pour une décision validant une prime d'émission 59 fois supérieurs à la valeur nominale des actions émises, voir Cass. com., 22 mai 2001 : Bull. Joly 2001, p. 1003, note H. Le Nabasque ; JCP E 2002, 39.

102 D. Cohen, « La prime d'émission entre liberté et contrôle », JCP E, 2002.35.

103 Les règles fixées par la loi ne protègent pas davantage les créanciers, qui contrairement aux établissements bancaires, ne sont pas en mesure de se protéger au moyen de covenants financiers. Cette catégorie de créanciers, appelés « non-adjusting »

104 Cf. sur ce point [cross. Réf.]

105 Dans le cadre d'émissions d'obligations high yield, en raison des difficultés à pouvoir renégocier les termes du contrat d’émission, par rapport à une dette de nature bancaire, le type de covenants est très différent. Ce type de contrat d'émission prévoit le plus souvent simplement des obligations de faire et de ne pas faire, à l'exclusion de ratios financiers. Comme il est impossible de modifier alors les différentes obligations mises à la charge de l’emprunteur, ces dernières sont forcément plus souples.

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l’emprunteur, ce qui n’est pas le cas en droit français106. Ainsi, et même s'il existe certaines exceptions, il est possible de s’accorder sur le fait que le bénéfice est relatif par rapport aux coûts suscités par ce type de réglementation107.

64.- En dépit des lois récentes atténuant la portée de l’exigence d’un capital social 108, aucune initiative de fond n’a été engagée en France pour supprimer le capital social, à tout le moins pour les sociétés non cotées, non visées par la directive, alors que les critiques adressées par une partie de la doctrine française109 et surtout par les universitaires ailleurs en Europe110 se font de plus en plus pressantes. Au niveau européen par exemple, il a été proposé de permettre à une société de pratiquer des distributions à partir du moment où elle satisfait un double test, l’un fondé sur l’actif net et l’autre basé sur la capacité de la société à payer ses dettes au fur et à mesure qu’elles deviennent exigibles, sur une période donnée111.

2°) Un coût significatif

65.- L’usage de plus en plus important de l’effet de levier a conduit à un décalage de plus en plus fréquent entre les perspectives de flux de résultat opérationnel de la société et la structure de son bilan. C’est typiquement le cas dans les opérations de LBOs avec une part importante de leur dette amortissable à terme. Logiquement, les contraintes fixées par la loi, en fonction des seuls flux de trésorerie (revenu distribuable) de l’année précédente, et du montant capital social112 sont devenues de moins en moins susceptibles de pouvoir empêcher certaines violations de l’ordre des priorités, comme dans les cas des opérations de recapitalisation.

66.- Comme aux Etats-Unis113, les fonds LBO en France ont couramment réalisé, au cours des dernières années, ce type d’opérations dans le cadre de leveraged recapitalisations. Le fonds LBO

106 Cf. sur ce point [cross. Réf.]

107 V. L. Enriques, « EC Company Law Directives and Regulations: How Trivial Are They? » ibid.

108 Par exemple, L. n°2001-420 du 15 mai 2011 relative aux nouvelles régulations économiques, permettant notamment l’émission d’actions représentatives de l’apport en industrie ; L. n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie qui a supprimé l'exigence d'un capital social minimum pour les SAS ; L. n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique qui a supprimé le seuil minimum du capital social des SARL.

109 V. A. Couret et H. Le Nabasque « Quel avenir pour le capital social ? » Dalloz 2004, coll. Thèmes et commentaires.

110 En septembre 2011, la Commission européenne a créé le Groupe à haut niveau d’experts en droit des sociétés pour formuler des recommandations en vue de la modernisation du cadre réglementaire constituant le droit européen des sociétés. Dans son rapport du 4 novembre 2002, un large accord se dégageait pour estimer que le concept de capital légal ne permettait pas d’atteindre de manière efficace les objectifs qui lui étaient assigné. V. également John Armour, « Legal Capital : An Outdated Concept ? » (2006), 7 European Business Organization Law Review, p. 10, L. Enriques et R. Marcey « Creditors versus capital formation : the case against the European legal Capital Rules » Cornwell Law Review, vol. 86, p. 1169.

111 Voir en ce sens les résultats de la consultation lancée par l'UE sur l'avenir européen du droit des sociétés, juillet 2012, p. 12 et le Rapport du groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés, p. 104.

112 Cf. [cross. Réf.]

113 V. l’étude de Moody « Private Equity: Tracking the Largest Sponsors » (2008) sur les pratiques des plus importants fonds de private equity entre 2002 et 2008. Moody’s relève que la pratique diffère selon le type d’investisseur. TH Lee et Apollo se seraient ainsi fait distribuer des dividendes dans plus d’un tiers de leurs opérations, dans l’année qui suivait la conclusion de l’opération. A l’inverse, Goldman Sachs et Warburg sont parmi les fonds les plus conservateurs. L’étude est disponible à l’adresse suivante : http://int1.fp.sandpiper.net/reuters/editorial/images/20080116/divrecaps.pdf.

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procèdent à un refinancement de la dette bancaire sur les marchés financiers obligataires « high yield », ou font contracter à la société opérationnelle de nouveaux financements. L’argent versé est utilisé afin de rembourser ou de restructurer la dette existante. La différence est utilisée soit pour rembourser un prêt directement contracté par le fonds LBO, soit pour effectuer une distribution de dividende à son profit. Ce type d’opérations survient, en principe, lorsqu’au moins une des trois conditions suivantes est remplie : 1°) une partie de la dette a déjà été remboursée, 2°) les flux de résultat opérationnel de la société sous contrôle s’améliorent ou 3°) les conditions de marchés se sont entretemps améliorées, de sorte que les établissements de crédit sont prêts à prêter plus d’argent, même si la situation au plan opérationnel de la société cible n’a pas changé. Le simple fait de pouvoir faire émettre le nouveau financement, non pas par le véhicule d’acquisition, mais par les sociétés opérationnelles, opération dite de debt push down, doit, en principe, améliorer les conditions du nouveau financement. Les créanciers de la dette d’acquisition ne se trouvent en effet plus subordonnés par rapport aux créanciers initiaux des sociétés opérationnelles114.

67.- Bien que cette pratique soit controversée, surtout parmi les porteurs d’obligations, celle-ci a permis aux fonds de LBO d’améliorer le taux interne de rendement de leur investissement. En effet, les investisseurs du fonds LBO récupèrent ainsi plus rapidement une partie de leur investissement, parfois dès l’année suivant l’acquisition de la société. Alors qu’il devient, dans ces conditions, presque secondaire pour le fonds LBO que la société cible améliore son résultat opérationnel, la situation financière de cette dernière devient plus fragile. Une étude a cependant démontré qu’aux Etats-Unis seules 5% des sociétés sous LBO ayant fait défaut avaient procédé à une recapitalisation dans les trois ans précédant le défaut, ce chiffre étant cependant égal à 1,2% pour les sociétés qui ne sont pas sous LBO115.

68.- En conclusion, les règles du capital social et sur la distribution de dividende sont devenues obsolètes compte tenu de l’évolution de l’économie et de la finance. Il semble que l'augmentation des capacités d'action des créanciers en recouvrement de leur créance, en particulier les actions en réintégration dans le patrimoine du débiteur, serait plus utile et moins coûteux pour les sociétés que des mécanismes d'interdiction ex ante.

1.2 Intérêts et limites de la réponse judiciaire à l’excès d’endettement

69.- Les opérations de LBO peuvent être sources de contentieux pour des motifs variés. Un certain nombre d’actions en responsabilité sont envisageables, ne serait-ce qu’au regard du droit commun de la responsabilité délictuelle prévu par l’article 1382 du Code civil. De manière générale, le législateur français ne se départ pas de la logique d’Arthur Pigou116 qui le conduit à retenir la responsabilité des dirigeants, actionnaires comme prêteurs, lorsque l’excès d’endettement conduit à une destruction de richesse aux conséquences négatives importantes pour les salariés et la collectivité en général. Conscient de certains effets induits pervers, le législateur a estimé parfois nécessaire d’encadrer les conditions de mise en jeu de leur responsabilité. On notera, à titre d’exemple, la confirmation par le

114 Nous verrons que conscients de la perfectibilité du montage au regard d’autres principes du droit (intérêt social), les praticiens, prennent un certain nombre de mesures, en jouant sur le calendrier des événements (en laissant une période de respiration post acquisition) et l’origine des sommes devant être distribuées (en s’assurant qu’au moins une partie des sommes distribuées proviennent des résultats générés depuis l’acquisition d’origine). V. F. Cohen, L. Tari «  Les problématiques juridiques des opérations de « leveraged recapitalization » » ibid. [cross ref].

115 P. Stromberg, E. Hotchkiss et D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress », p. 16.

116 Cf § [-].

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législateur, lors de la réforme de 2005, de la jurisprudence tendant à restreindre les conditions de la mise de la responsabilité des créanciers pour soutien abusif et ce afin, selon les termes du Conseil constitutionnel, de « lever un obstacle à l’octroi des apports financiers nécessaires à la pérennité des entreprises en difficulté [et] satisfaisant ainsi à un objectif d’intérêt général suffisant  »117. Cette mesure ne serait être interprétée comme s’inscrivant dans une tendance de fond de la part du législateur. Dernièrement, une loi de circonstance a élargi les conditions de la mise en jeu de la responsabilité du dirigeant suite à l’affaire Pétroplus118. La mise en jeu de la responsabilité du dirigeant est ainsi devenue le moyen aisé pour le politique d’affirmer son autorité sur les acteurs économiques. Cette approche, si elle présente un intérêt dans la perspective notamment de limiter l’excès d’endettement, présente des coûts importants qui ne sont pas appréhendés correctement par les pouvoirs publics (A).

70.- En se focalisant excessivement sur la manière de moraliser davantage la vie des affaires, le politique s’est désintéressé d’autres mécanismes de protection ex post plus neutres, aux résultats pourtant davantage probants. Le champ d’application des actions que nous qualifierons « d’actions en réintégration », en particulier des actions en nullité des périodes suspectes, est en effet inadapté à l’évolution de l’économie et de la finance (B). Au final, la réponse apportée par les tribunaux à l’excès d’endettement ne paraît pas satisfaisante.

A. Limites des actions en responsabilité contre le dirigeant

71.- Lorsque le dirigeant met en jeu sa responsabilité, l’idée première n’est pas de réparer le dommage causé aux créanciers à travers l’atteinte à « l’intérêt social » mais de sanctionner la faute. Le dirigeant peut même engager sa responsabilité pénale lorsqu’il a bénéficié à titre personnel d’un transfert de richesse indu. Une analyse concrète des modalités de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants sera dans un premier temps établie (1°). Suivra une critique générale des conditions de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants à la lumière des enseignements de la théorie économique (2°).

1°) Les conditions de la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants

72.- Au regard de la jurisprudence existante, la prise en compte de l'intérêt social devient facteur de responsabilité dès lors que la société cible sous LBO est mise en péril ou dans une situation obérant ses capacités de développement, peu importe que la société soit placée formellement ou non en procédure collective. Peu évoqué et pas défini par le législateur, il revient à la jurisprudence de définir le concept d’intérêt social et de fixer les limites à la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants. Les juges ont dernièrement fait de plus en plus référence au concept « d’intérêt social » dans leurs décisions119. Entre une conception extensive de l'intérêt social entendu comme l'intérêt de l'entreprise et de toutes ses parties prenantes120 et une conception plus restreinte de l'intérêt social comme intérêt des

117 Cons. Const. Déc. N°2005-552 DC, 22 juill. 2005, LPA 4 août 2005 p 14.

118 Loi du n°2012-346 du 12 mars 2012 relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l’objet, dite loi Petroplus, à la constitutionnalité douteuse. V. Notamment F. Pérochon, BJE mars 2012, p 73, n°72. G. Teboul, LPA, 2 mars 2012 p 5, Ph. Roussel Galle, RPC 2012-3, ét. 16, et JCP E. 2012 act. 192. Cf [-].

119 Les utilisations diverses de la notion d'intérêt social faites par les juges, même en l'absence de textes, démontrent que l'intérêt social est devenu une porte d'entrée du juge dans la gestion de la société. Voir sur ces développements jurisprudentiels S. Rousseau, I. Tchotourian “L'intérêt social en droit des sociétés”, Rev. Sociétés, 2010, p. 735, §4.

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actionnaires121, la jurisprudence semble décrire un mouvement de balancier qui empêche de dissiper le brouillard entourant la notion122. Par essence, l'intérêt social, ne peut donc être qu’une “notion éclatée123”.

73.- Récemment, la jurisprudence a tendu à encadrer le risque de remise en cause des opérations et de mise en jeu de la responsabilité du dirigeant, en recherchant l’existence d’une contrepartie à la décision en cause124 ou la disproportion entre la contrepartie attendue et les charges induites par la décision125. La doctrine semble s’accorder sur le fait que la simple altération du business plan et la modification de la politique sociétaire qui en résulte n'est pas suffisante pour retenir la responsabilité des dirigeants puisqu'en elles-mêmes les nouvelles orientations politiques arrêtées par la direction ne caractérisent pas une utilisation des biens sans contrepartie, ou encore une prise de risque ou des décisions conduisant à obérer les capacités de développement de la société126.

74.- Si l'opération de LBO apparaît déséquilibrée, notamment par le poids financier supporté par la cible, le LBO risque d'être jugé contraire à l'intérêt social de la cible et de nombreux actes qui le composent comme la distribution de dividendes, les conventions intra-groupes, les réductions de capital non motivées par des pertes et les fusions rapides pourront être remises en cause et entraîner la responsabilité de leurs auteurs127. L'effet conjugué de la multiplication des références de la part des juges à la notion d'intérêt social et l'absence de définition de cette notion crée des effets néfastes et une incertitude juridique dans le cas d'opérations qui mettent une société « sous tension » financière, comme c'est le cas dans un LBO.

75.- La gestion par le dirigeant pourra en outre être remise en cause lors de la procédure collective par le biais de l’action en insuffisance d’actif. La Cour de cassation a pu ainsi engager la responsabilité d’un dirigeant pour sa gestion imprudente, par le choix d’investissements inadaptés ou excessifs

120 Voir en ce sens l'arrêt emblématique Fruehauf, CA Paris, 22 mai 1965, JCP 1965, II, 14274 bis, concl. Avocat général Nepyeu; RTD Com. 1965, obs. Rodière.

121 En ce sens D. Martin, « L'intérêt des actionnaires se confond-t-il avec l'intérêt social ?, » Mélanges D. Schmidt, éd. Joly,

2005, p. 359 ; G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, sous la dir. de M. Germain, T. 1, Vol. 2, 18e éd., LGDJ, 2002, spéc. p. 369, n° 1587-1 ; N. Mathey, Recherches sur la personnalité morale en droit privé, thèse Paris II, 2001 ; T. Massart, Le régime juridique de la cession de contrôle, thèse Paris II, 1995, spéc. p. 532.

122 S. Rousseau, I. Tchotourian “L'intérêt social en droit des sociétés”, op. Cit., §13.

123 A. Couret, L'intérêt social, Cah. dr. Entr., 1996-4, p. 4, n° 14.

124 Com. 8 nov. 2011, n° 10-24.438, D. 2012. 415, obs. A. Lienhard , note E. Schlumberger ; Rev. sociétés 2012. 238, note A. Viandier.

125 Com. 13 nov. 2007, n° 06-15.826, Rev. sociétés 2008. 113, note M. Pariente ; RTD com. 2008. 167, obs. D. Legeais ; ibid. 354, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 366, obs. B. Dondero ; Dr. sociétés 2008, comm. 32, note H. Hovasse; JCP E 2008. 1280, n° 3, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Dr. et patr. juin 2008, p. 94, obs. D. Poracchia ; Com. 13 déc. 2005, n° 03-18.002, Rev. sociétés 2006. 382, note B. Bouloc.

126 V. D. Poracchia, D. Martin « Regard sur l'intérêt social » Revue des sociétés, 09/2012. V. également D. Poracchia, L. Merland, LBO, Rép. Sociétés Dalloz, janv. 2005. V. également D. Poracchia, L. Merland, LBO, Rép. Sociétés Dalloz, janv. 2005.

127 V. D. Poracchia, D. Martin « Regard sur l'intérêt social » ibid. La mise en jeu de la responsabilité des dirigeants a, dans certaines juridictions, été perçue comme un substitut aux règles sur l’assistance financière (procédure de whitewash) et à l’encadrement des pratiques en matière de distribution de dividendes. Par ce biais, on passait d’un mécanisme de protection moyen ou élevé, à un mécanisme de protection faible, puisque déclenché a posteriori.

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compte tenu des possibilités de financement128. Si le champ d’application de la faute de gestion dans une société in bonis est relativement restreint, l’action en insuffisance d’actifs semble beaucoup plus intrusive dans la gestion de la société et dans l’alignement de cette dernière avec l’intérêt social. Les juges seront d’autant plus enclins à vouloir sanctionner des décisions qu’ils croient contraires à l’intérêt social lorsque ces décisions semblent avoir contribué à l’insuffisance d’actifs129. Un biais cognitif ne doit donc pas être exclu130.

76.- Ainsi, des conventions jugées déséquilibrées en faveur de la holding, et donc contraire à l’intérêt social, peuvent avoir comme conséquence l’engagement de la responsabilité du dirigeant, voire même de la holding si elle est considérée comme dirigeant de fait, sur le fondement de l’action en insuffisance d’actif131. A cet égard, la distribution massive de dividendes à la holding de reprise a pu être remise en cause par un juge comme contraire à l'intérêt social, dans le cas où cette distribution aurait pour conséquence d'asphyxier financièrement la société cible. La Cour de cassation a confirmé un arrêt d'appel ayant décidé une mesure de faillite personnelle et une mise en cause de la responsabilité pour insuffisance d’actif d'un dirigeant et actionnaire d'une holding ayant décidé le versement de dividendes exceptionnels de la part de deux filiales alors que ces sociétés connaissaient des difficultés financières132.

77.- Dans le contexte de crise actuel, les politiques sont prompts à augmenter le niveau de la responsabilité du dirigeant. Une loi du 12 mars 2012, rédigée et approuvée en un temps recours133, a introduit un nouveau moyen d'action contre les dirigeants, suite à l’affaire Pétroplus. Ainsi, plus précisément, dans le cadre d'un redressement judiciaire, l'article L. 631-10-1 du Code de commerce, introduit par ladite loi, permet à l'administrateur et au mandataire judiciaire de demander au président du tribunal de prendre des mesures conservatoires à l'égard des biens du dirigeant de droit ou de fait à l'encontre duquel est engagée « une action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements du débiteur ». Cette action, qui ne se confond pas avec l'action en insuffisance d'actif, serait un nouveau type d'action pouvant être ouvert contre le dirigeant dans le cas d'un redressement judiciaire134.

78.- Le dirigeant d’une société sous LBO est susceptible par ailleurs d’engager sa responsabilité pénale pour « abus de biens sociaux » ou « abus du droit ou du crédit de la société ». Le dirigeant peut se voir reprocher d’avoir violé l’intérêt social de la société afin d’en tirer un profit personnel. Cette dernière condition pourra être établie à partir du moment où le dirigeant est un des actionnaires de la

128 Cass. com. 19 mars 1996, RJDA 7/1996, no 976.

129 V. en ce sens F. Kopf, « Dirigeants d’entreprises sous LBO en difficulté : vous êtes en première ligne », Option Finance, n°1167, 2012.

130 V. sur le biais de rétrospective, G. Charreaux, « Droit et gouvernance : l'apport du courant comportemental, in La gouvernance des sociétés cotées face à la crise » (dir. V. Magnier), LGDJ, 2010, p. 229, n° 15.

131 J.-P Bertrel « Les pactes entre la holding de reprise et la « cible » dans un LBO », Droit & Patrimoine, 2009.186.

132 Cass. Com, 25 oct. 2011, Sté Sorim, Bull. Joly Soc. 1er mars 2012 n°3, p 243. V. également CA Orléans, 28 mai 2008 : RJDA 03/09, n° 379, cf. sur cet arrêt [cross ref].

133 L. n° 2012-346, 12 mars 2012, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet. Pour un commentaire de cette loi, voir Philippe Roussel Galle, « La loi Petroplus : quelques réflexions... avec un peu de recul », Revue des procédures collectives, n°3, étude 16.

134 En ce sens, Philippe Roussel Galle, op. cit., §16.

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société, ce qui est toujours le cas dans les opérations de LBO. Ils seront ainsi considérés avoir tiré un profit personnel du refinancement de la société ayant permis de réaliser une distribution de dividendes135. Ainsi, un certain nombre d’opérations dont l’objectif est de faire remonter des liquidités à la holding sont susceptibles de constituer des abus de biens sociaux ou des abus de pouvoir136. La Cour de cassation a ainsi censuré certains montages sur le terrain de l’abus de pouvoir et de voix 137, ou sur le terrain de l’abus de biens sociaux138, lorsque la filiale ne percevait aucune contrepartie réelle au flux de trésorerie remontant vers la holding.

79.- Ainsi, le champ d’application de la faute pour acte contraire à l’intérêt social va au-delà de la simple fraude (entendu sous le sens de dissimulation, typiquement en cas de violation des règles comptables)139. Dans une économie tournée de plus en plus vers l’innovation pour rester compétitive, est-ce vraiment pertinent ?

2°) Limites de la mise en cause de la responsabilité du dirigeant en droit français

80.- L’approche poursuivie par le législateur français peut présenter certains avantages. Le risque de mise en jeu de la responsabilité peut, dans certaines conditions, limiter la tentation du dirigeant d’avoir recours de manière déraisonnable au levier ou à effectuer des transferts de richesse indus. Il peut également l’inciter à limiter les coûts de détresse financière, voire de détresse économique, subis par la société insolvable dont les intérêts ne sont plus alignés sur ceux des actionnaires, que le dirigeant est censé servir. [On notera toutefois que les niveaux de leviers des LBOs en Europe sont très proches de ceux des LBOs réalisés aux Etats-Unis, pays dans lequel la responsabilité personnelle des dirigeants est essentiellement limitée à la fraude, c'est-à-dire à la violation des obligations de comptabilité et plus généralement de transparence ]. Ce dispositif servant, au cas présent, à limiter l’excès de crédit, a

135 V. notamment Cass. Crim. 4 février 1985, Arrêt « Rozenblum », Cass. Crim. 5 mai 1997, n°96-81.482.

136 Lamy Droit du Financement 2012, §1413. Un arrêt de principe de la Cour de cassation a posé les contours de la matière en décidant qu’un concours financier entre les sociétés d’un même groupe est permis lorsqu’il est dicté par « un intérêt économique, social, ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe, et ne doit être ni démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge » : Cass. crim., 4 févr. 1985, no 84-91.581, Bull. crim., no 54. Si cette jurisprudence permet de mettre en place des flux de trésorerie entre les filiales et la société mère d’un groupe, elle représente un risque pour les montages dans lesquels les flux de trésorerie vont le plus souvent de la filiale à la holding et très rarement de la holding à la filiale. Voir not. en ce sens Eric CEVAER, Pierre-Emmanuel PERROT, «  Le financement de la reprise d’une entreprise par effet de levier (le LBO) - 2e partie : maîtriser les risques  », Revue Lamy Droit des Affaires 2011.62.

137 Cass. Crim. 10 juil. 1995 Bull. crim. 1995 N° 253 p. 703 pour le cas d’une fusion entre la holding et la cible dont le seul but était d'effacer, par confusion, les avances de la cible à la société holding, fusion jugée par la Cour « extrêmement déséquilibrée, lésionnaire et dépourvue de tout intérêt économique ».

138 Cass. crim., 24 juin 1991, RJDA 1991, no 926.

139 Cf § [-]. Dans le cadre d’une opération de refinancement susceptible de servir à une distribution de dividendes, il est en général considéré que la violation de l’intérêt social résultera de la prise d’engagements importants ou disproportionnés par rapport à la capacité financière de la société concernée ou bien la souscription d’emprunts à des conditions qui s’avèrent trop onéreuses pour cette dernière. La pratique a cherché à s’accommoder plus ou moins de ces principes flous. F. Cohen, L. Tari, “Les problématiques juridiques des opérations de “leveraged recapitalization””, ibid. Dans les opérations de recapitalisation, les conseils juridiques recommandent par exemple de s’assurer que la nouvelle dette est conclue à des conditions de marché et ne nuit pas à la capacité d’autofinancement des sociétés. Il est préférable que les conditions du nouveau prêt, dans leur globalité, soient plus favorables que celles de l’ancienne dette, au regard notamment des intérêts appliqués, des commissions et frais, de la maturité, des conditions de remboursement anticipé.

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toutefois une efficacité limitée (b) et présente surtout des inconvénients majeurs dans une économie schumpétérienne (a).

a) Des effets induits pervers dans une économie schumpétérienne

81.- Si la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants présente un intérêt limité, elle a en revanche des coûts non négligeables. En dehors des cas de fraude (lorsqu’il y a violation des règles de la comptabilité), de violation des règles de transparence140 ou d’une décision prise manifestement exclusivement dans un but personnel, plusieurs raisons peuvent être avancées à l’appui d’une limitation stricte des conditions de mise en jeu de la responsabilité des dirigeants de droit, comme de fait.

82.- Le régime de responsabilité du dirigeant a pour effet d’influencer le comportement de ce dernier bien en amont de l’éventuelle défaillance de la société. L’action en responsabilité est à cet égard ouverte sans que le placement de la société en procédure collective soit un préalable nécessaire. En pratique, surtout dans l’hypothèse d’un LBO, et en l’absence d’actionnaires minoritaires (autres que les dirigeants) agissant sur le fondement de l’abus de majorité141, mettre en jeu la responsabilité du dirigeant avant la défaillance de la société est difficilement envisageable, même si pas impossible. Lorsqu’il s’agit d’un recours déraisonnable au crédit ou à une extraction de richesse au profit des actionnaires jugée indue, il est cependant extrêmement difficile de sanctionner un tel usage en l’absence d’un défaut de la société. Les discussions autour de la loi Petroplus142, et le doute subsistant sur son caractère constitutionnel compte tenu du caractère préventif des mesures conservatoires à l’encontre de la « faute » du dirigeant conduisant à la défaillance de la société, montrent les limites de cette démarche.

83.- Dans une économie schumpétérienne, marquée par des cycles brutaux de croissance et de décroissance et dans laquelle la prise de risque est permanente pour rester compétitif, engager la responsabilité des dirigeants, des prêteurs, comme des actionnaires en cas de défaillance de l’entreprise a des effets induits pervers dont il convient de mesurer pleinement l’étendue. La mondialisation et le durcissement de la concurrence, l’accélération des cycles de destruction construction liée à des ruptures technologiques de plus en plus fréquentes, rendent beaucoup moins pérenne l’activité des sociétés qu’auparavant. La chute de Kodak et les grandes difficultés de Nokia et de Blackberry sont des exemples révélateurs. Le risque d’un biais rétrospectif du juge est donc accru, fragilisant la position

140 L’application stricte des règles de transparence est absolument fondamentale pour le développement des marchés financiers. Lorsque des titres financiers sont offerts aux investisseurs individuels placés dans une situation d’asymétrie d’information très forte, il est très difficile pour ces derniers de déterminer si la baisse de la valeur de leurs titres est due à un changement des conditions de marché ou à la déloyauté, à la négligence, et à l'existence de conflit d'intérêts au niveau de la direction de la société. Dans ce contexte, du fait de cette asymétrie d'information, il est important de garantir aux investisseurs un haut niveau de transparence en sanctionner, le cas échéant lourdement, les manquements aux obligations de transparence. Ceci a comme effet vertueux de rassurer les particuliers sur les investissements qu'ils font dans ces titres, et ainsi augmenter les investissements des particuliers sur les marchés.

141 Dans le cas particulier où la cible compte des associés que la holding de reprise et le mangement, une action des minoritaires pour abus de majorité n’est pas exclue. Ces derniers pourront être tentés de remettre en cause la délibération de l’assemblée ayant décidé la mise en place de la convention déséquilibrée, en faisant valoir un abus de majorité. Voir notamment Cass. com 24 janvier 1995, Rev. Soc. 1995, p. 46, note M. Jeantin et, sur renvoi, CA Paris, 19 septembre 2001, Dr. & Pat. 2001, p. 1000, obs. D. Poracchia, cassé par Cass. com, 30 nov. 2004, Bull. Joly 2005, P. 241, note P. Le Cannu. On notera qu’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 21 janvier 1997 a, on s’en souvient, admis que la seule violation de l’intérêt social est suffisante pour constituer un abus de majorité, v. Cass.com. 21 janvier 1997, D & P, avril 1997, p. 76, observations J.-P. Bertrel. ; Bull. Joly 1997, 312, bote P. Le cannu, ; JCP E 1997, 2, 965, note J.J. Daigre.

142 Cf § [-].

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d’un dirigeant amené à prendre des décisions de plus en plus difficiles. Ex ante, un régime de mise en jeu de la responsabilité du dirigeant trop étendu peut décourager ce dernier à prendre un niveau de risque suffisant pour permettre à la société, et globalement à l’économie d’un pays, de rester compétitive.

84.- En ce qui concerne spécifiquement les opérations de LBO, le défaut d'une société peut être lié à des conditions macro-économiques défavorables. En période de contraction économique, les établissements bancaires peuvent refuser de refinancer la dette de la société en portefeuille, à l’origine d’un défaut, pour des raisons qui ne sont pas liées aux fondamentaux de la société. De la même manière, comme évoqué précédemment, la structuration de la dette LBO au moment de l’acquisition dépend principalement des conditions macro-économiques et, dans une moindre mesure, des fondamentaux de la société.

Sanctionner le dirigeant revient à lui en faire seul porter la responsabilité. Or, comme évoqué précédemment, c’est davantage la nature de la concurrence entre les fonds et les modalités de rémunération des gestionnaires de fonds qui expliquent le niveau des leviers et les structurations des opérations. Des mesures d’encadrement plus appropriées sont à cet égard envisageables143.

85.- Par ailleurs, la sanction pénale ou la faillite personnelle imposée par les tribunaux à la suite de décisions prises par les dirigeants lorsqu’il existe un intérêt personnel est, à tout le moins, inadéquate. Le succès des opérations de LBO s'explique principalement par les mécanismes d’incitation dont bénéficient les dirigeants de la société cible qui renforcent leur motivation pour maximiser la valeur de la société opérationnelle. Il est dès lors important de distinguer les opérations dont les fruits bénéficient de manière indirecte aux dirigeants des opérations réalisées à des fins exclusivement personnelles et contraires à l’intérêt de tous les autres actionnaires.

86.- Enfin et surtout, l'extension des mises en cause de la responsabilité des dirigeants doit en outre être analysée au regard du fait que les actions contre les dirigeants d'une société s'étendent le plus souvent aux dirigeants de fait, c'est-à-dire aux actionnaires144. La holding peut être considérée comme dirigeant de fait lorsqu'elle s'immisce de manière positive dans la gestion de la filiale 145, tout comme peut l’être un fonds LBO qui s’immisce dans la gestion de la holding. Or, l'intervention et l'expertise des fonds d'investissement dans le management de la société cible sont importants pour le développement de ladite société, le succès de l'opération de reprise et in fine pour la création de valeur146. L'extension de la responsabilité des dirigeants, qui affecte la holding et les fonds par le biais de la notion de dirigeant de fait produit, et produira encore plus à l’avenir, des effets pervers majeurs. En dépit du contexte financier difficile, les fonds LBO ont encore un rôle important à jouer dans l’économie. Ils doivent pour cela repenser leur stratégie. Les méthodes du passé ne permettront pas d’obtenir des taux de rendement satisfaisants dans le futur. Alors que les niveaux de levier seront probablement plus bas que dans le passé, l’expertise opérationnelle, que sont susceptibles d’apporter les fonds de LBO, sera de plus en plus indispensable à la réussite des projets147. Il existera ainsi à l’avenir

143 Cf § [-].

144 V. Elisabeth Fortis, « Entreprises en difficulté (Responsabilités et sanctions) », Rép. Soc. Dalloz,

145 V. par ex. Com. 2 nov. 2005, Rev. Sociétés 2006.398, note D. Porrachia ; Bull. Joly 2006.469, note F.-X. Lucas.

146 V. Wright, M., Jackson, A. & Frobisher, S. (2010), « Private equity in the UK: Building the new future. », Journal of Applied Corporate Finance, 22(4), 86-95.

147 V. Wright, M., Jackson, A. & Frobisher, S. (2010), ibid.

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une plus grande hétérogénéité dans la nature des relations entre les fonds et les entrepreneurs148. En résumé, notre environnement juridique constitue un frein à la mutation indispensable de l’industrie du LBO vers l’ingénierie opérationnelle, ce qui est nuisible à la création de richesse.

b) Des effets incertains, renforçant le sentiment d’insécurité juridique

87.- Le risque de mise en jeu de la responsabilité des dirigeants, tout comme la remise en cause d’ opérations, pour violation de l’intérêt social a par ailleurs une efficacité limité compte tenu notamment de l’incertitude entourant les conditions de son application.

88.- Récemment, la responsabilité des dirigeants a été engagée à la suite d’une distribution exceptionnelle de dividendes. Ainsi, dans un arrêt du 25 octobre 2011 non publié au bulletin, la Cour de cassation a confirmé la décision d’une Cour d’appel sanctionnant un dirigeant pour avoir proposé à ses associés une distribution de dividendes ayant contribué à l’insuffisance d’actifs de ladite société149. Cette décision va dans le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient la responsabilité des dirigeants quand ils sont à l'origine d'une décision fautive même si elle est prise in fine par la collectivité des actionnaires150. Elle est critiquable à bien des égards. Tout d’abord, elle ne permet pas aux créanciers de véritablement se faire rembourser des sommes déboursées. De ce point de vue, son efficacité est très limitée. [Par ailleurs, le risque de mise en jeu de la responsabilité dirigeant sert à encadrer le comportement des dirigeants seulement lorsque la société s’approche de la cessation des paiements, ce qui est en tout état de cause beaucoup trop tardif pour ce qui concerne le traitement des conséquences de l’excès d’endettement.]

89.- S’il est important que certaines opérations soient effectivement remises en cause, le critère de la contrepartie imposé par la jurisprudence pour valider, ou, à l’inverse, invalider les opérations, apparait par ailleurs critiquable. Il peut s’avèrer assez inopérant dans le contexte d’un groupe de sociétés. La création d’une société au sein d’un groupe peut en effet répondre à des exigences toutes autres que celle d’isoler tel ou tel actif afin de servir de gage aux apporteurs de capitaux externes 151. Si la société a bien une véritable raison d’être, en tant qu’entité juridique, plutôt que d’imposer comme condition à la validité d’un acte l’existence d’une contrepartie difficilement appréciable par un tiers extérieur à l’entreprise, il est préférable de pouvoir remettre en cause ces opérations en démontrant que la société était insolvable au moment de la réalisation de l’opération152. La remise en cause d’opérations réalisées par la société in bonis deviendrait alors impossible, ce quiaurait pour mérite réduire l’incertitude juridique.

148 V. par ex. S. Manigart, M.Wright, « Reassessing the relationships between private equity investors and their portfolio companies », Vlerick Leuven Gent Working Paper Series 2012/03.

149 Cass. Com, 25 oct. 2011, Sté Sorim, Bull. Joly Soc. 1er mars 2012 n°3, p 243. V. également CA Orléans, 28 mai 2008 : RJDA 03/09, n° 379.

150 Voir pour l'exemple d'une fusion Cass. crim., 10 juill. 1995, n° 94-82665 : BJS déc. 1995, p. 1048, n° 376, note A. Couret et P. Le Cannu ; Rev. sociétés 1996, p. 312, note B. Bouloc ; Dr. sociétés 1996, comm. n° 249, obs. D. Vidal ; JCP G 1996, II, 22572, note J. Paillusseau ; JCP E 1997, I, 625, spéc. n° 6, obs. M.-P. Lucas de Leyssac ; J.-P. Bertrel, « Rappel à l’ordre de la Cour de cassation en matière de “vampirisme financier” » : Dr. et patr. n° 36, mars 1996, p. 18 ; H. Le Nabasque, « La fusion peut constituer un abus de pouvoir » : RJDA 05/96, p. 432.

151 De ce point de vue, il paraît urgent de revoir l’appréhension par le droit des entreprises en difficulté des groupes et des conditions dans lesquelles il est possible d’étendre une procédure collective à d’autres entités juridiques.

152 [cf. § [-]]

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90.- En résumé, dans l’environnement actuel, la mise en jeu de la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif ou abus de biens sociaux, ne semble pas être l’outil idoine pour la remise en cause a posteriori d’une distribution fautive de dividendes.

B. Limites des actions en réintégration

91.- Il existe d’autres mécanismes ex post de protection plus neutres, et donc moins coûteux, que la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants. Si les actions en responsabilité ne paraissent pas opportunes pour les raisons évoquées précédemment, les actions en réintégration visant à replacer les parties dans la situation dans laquelle elles auraient dû être si le contrat avait été respecté paraissent en effet plus pertinentes. On comprend cependant que le législateur ne peut pas remettre en cause a posteriori un trop grand nombre d’actes au risque de déstabiliser l’activité économique. Il est donc important de trouver un juste équilibre entre la protection des droits des créanciers qui ont été violés par l’effet d’une extraction d’actifs, et les impératifs d’une économie fondée sur l’échange, notamment la sécurité juridique qui interdit de remettre en cause rétroactivement un trop grand nombre d'actes. Nous verrons, que ce soit au titre de l’action en nullité de la période suspecte qu’au titre de l’action paulienne, que le législateur répond de manière inadéquate à ces enjeux.

1°) Action en nullité de la période suspecte et ses limites

92.- L’action en nullité de la période suspecte a pour objectif de réintégrer dans le patrimoine du débiteur des actifs sortis par l’effet de la réalisation d’opérations jugées léonines pour la société et ses créanciers en général, ou pour certains créanciers en particulier, en raison d’une violation de l’ordre des priorités convenu entre les parties. La date dite de « cessation des paiements » est le point de départ de la période suspecte qui se termine au jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. La loi liste de manière exhaustive un certain nombre d’actes automatiquement annulés par le juge153 qui s’appréhendent comme une soustraction d’actifs de la société ou à des transferts de richesse indus entre créanciers. En dehors de cette liste, des actes, n’étant pourtant pas objectivement susceptibles de donner lieu à des transferts de richesse, sont susceptibles d’être annulés sous réserve qu’il soit prouvé que le cocontractant avait connaissance de l’état de cessation des paiements.

153 L. 632-1 du Code de commerce prévoit que sont automatiquement annulés « 1° Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ; 2° Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ; 3° Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ; 4° Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ; 5° Tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l'article 2075-1 du code civil, à défaut d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée ; 6° Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l'hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ; 7° Toute mesure conservatoire, à moins que l'inscription ou l'acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement ; 8° Toute autorisation et levée d'options définies aux articles L. 225-177 et suivants du présent code ; 9° Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d'une dette concomitamment contractée ; 10° Tout avenant à un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dettes contractées antérieurement à cet avenant ; 11° Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l'affectation d'un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l'article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d'un autre patrimoine de cet entrepreneur ».

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93.- Si, en vertu de la loi, est en état de cessation des paiements le débiteur qui est « dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible154 », la cessation des paiements est ni une notion comptable, ni une notion financière, mais une notion juridique. Elle ne se définit ni à partir du seul critère de la crise de liquidité, ni de la valeur de l’actif net de la société, ou encore des perspectives de trésorerie futures de la société. Elle se rapproche de la crise de liquidité sans pour autant y être assimilée. Les conditions de sa mise en œuvre peinent à embrasser les situations inédites qui se sont développées au cours de ces dernières années, en raison de l’évolution du marché du crédit. La cessation des paiements correspond à un stade très avancé des difficultés que peut connaître une société alors que la soustraction d’actifs est susceptible de provoquer un transfert de richesse des créanciers aux actionnaires, même si la société n’est pas d’un point de vue juridique en cessation des paiements, ni même en situation d’insolvabilité155. L’action en nullité des périodes suspectes est donc d’une faible utilité pour les créanciers.

94.- Les réformes et les interprétations jurisprudentielles, qui assimilent de plus en plus d'éléments à l'actif disponible et excluant d'autres éléments du passif exigible, témoignent du trouble du législateur156 et de nos tribunaux à appliquer une notion en décalage avec la réalité économique et financière. Afin d’éviter le « chaos juridique », le législateur interdit d’office de sanctionner les opérations réalisées plus de dix-huit mois avant l’ouverture de la procédure judiciaire ou à une date antérieure à une décision d’homologation d’un accord amiable157 et interdit aux créanciers d’exercer eux-mêmes l’action en nullité des périodes suspectes158.

95.- Si le législateur ne peut protéger les créanciers contre tous types de transferts de richesse, au risque de paralyser l’activité économique, il paraît utile de faire remonter le début de la période suspecte à l'état d'insolvabilité. Un nombre plus importants d’opérations réalisées au détriment des créanciers qui ne sont pas en mesure de se protéger (fournisseurs et créanciers involontaires, par exemple à la suite d’une action délictuelle) pourraient ainsi être annulées.

96.- L’évolution de la notion de cessation des paiements vers la notion d’insolvabilité est cependant freinée par l’utilisation par le législateur de cette même notion comme point de départ de l’obligation à la charge du dirigeant d’ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. La jurisprudence cherche à arbitrer entre la volonté de réintégrer dans le patrimoine du débiteur un certain nombre d’actes afin de protéger ces mêmes créanciers et le souhait de ne pas sanctionner un dirigeant en raison d’un manquement à une obligation qui va à l’encontre de l’intérêt de la préservation de la valeur d’entreprise de la société (et donc l’intérêt des créanciers résiduels)159. Cette obligation a en effet

154 L'article L. 631-1 du Code de commerce, modifié par l'ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008.

155 Par exemple, dans l’hypothèse où une société A dont la valeur des actifs est égal à 100 et dont le montant des créances est égal à 85, possède un actif x, dont la valeur est 10. Si la société A vend 10 à B pour 10 et ensuite distribue à ses actionnaires un dividende de D. Même si l’actif net est égal à 5 et que la distribution ne conduit pas à mettre la société en situation d’insolvabilité, il y a un transfert de richesse des créanciers aux actionnaires.

156 Le précédent gouvernement a d’ailleurs récemment modifié par voie d’ordonnance la définition afin de préciser que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements » (Ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 - art. 75).

157 Article L. 631-8 du Code de commerce.

158 L'action en nullité de la période suspecte est en effet attitrée et ne peut pas être exercée par les créanciers, ce lui limite de manière considérable son intérêt. (C. Com. Art. L. 632-4.)

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pour objectif de protéger en principe les créanciers contre les comportements opportunistes du dirigeant lorsque la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise.

97.- Or, les créanciers financiers – ceux-là qui bénéficieraient de l’extension de l’action en nullité des périodes suspectes – n’ont pas intérêt à ce qu’une obligation d’ouvrir une procédure collective pèse sur le débiteur à un stade plus en amont des difficultés, tant que la société est profitable. Ils supportent en effet indirectement les coûts liés à l’impact de l’ouverture d’une procédure collective sur la valeur d’entreprise de la société. Ces créanciers sont de toute façon en mesure de provoquer l’exigibilité anticipée du prêt, en cas de bris de covenant, entraînant de facto la cessation des paiements. Ils n’ont intérêt à provoquer la procédure collective qu’en l’absence de toute autre alternative, lorsque les négociations amiables ont échoué. Une obligation d’imposer aux dirigeants l’ouverture d’une procédure collective plus en amont de la crise de liquidité est, de ce point de vue, contre-productive. L'utilisation de la notion de cessation des paiements pour fixer l'ouverture de la période suspecte est donc manifestement inadaptée.

98.- Il est intéressant de comparer l'action en nullité de la période suspecte avec un mécanisme américain relativement comparable. Le Uniform Fraudulent Transfer Act prévoit la possibilité pour le bankruptcy trustee d'annuler des actes de transfert de propriété réalisés par le débiteur sans contrepartie raisonnable alors que 1) celui-ci était insolvable au moment du transfert ou est devenu insolvable par l’effet du transfert, 2) avait un niveau de capitalisation insuffisant pour continuer son activité à la suite de ce transfert ou 3) savait qu’il ne pourrait plus payer ses dettes à terme 160. Les sommes restituées à la suite d'une telle annulation profitent à l'ensemble des créanciers.

99.- Le régime prévu par le Uniform Fraudulent Transfer Act permet une meilleure protection des créanciers par rapport aux nullités de la période suspecte sur deux aspects. Premièrement, le critère de solvabilité permet l'appréhension d'actes bien antérieurs à ce que le droit français appelle l'état de cessation des paiements. Cela permet aux créanciers de se protéger contre des actes qui ont un effet direct sur leur patrimoine. En outre, les sommes restituées profitent directement aux créanciers, à la différence du système français, ce qui assure aux créanciers une meilleure protection. Cette action permet ainsi de compenser l’absence de règles sur le capital social au niveau des emprunteurs de taille réduite pour lesquels il n’existe pas forcément de créanciers financiers susceptibles de mettre en jeu des mécanismes de protection d’ordre contractuel. Les créanciers chirographaires peuvent ainsi améliorer le taux de recouvrement en cas de défaut en se retournant contre les anciens actionnaires ainsi que contre les anciens créanciers titulaires de sûreté161.

100.- De nombreuses opérations de LBO, comme des opérations de dividend recapitalizations ont été remises en cause ces dernières années aux Etats-Unis au moyen d’actions au titre de l’Uniform Fraudulent Transfer Act. L’utilisation du critère de l’insolvabilité, comme événement déclencheur de

159 L’ouverture d’une procédure collective a un effet stigmatisant sur l’entreprise et provoque de facto une destruction de richesse. La loi obligeant un dirigeant d’entreprise à ouvrir une procédure collective a pour objectif d’éviter une situation d’aléa moral dans laquelle se trouverait un dirigeant cherchant à maintenir son actif alors qu’il sait qu’il ne pourra pas payer ses créances. Cette règle pouvait se justifier à une époque où les créanciers étaient tous des fournisseurs et n’avaient qu’un très faible accès à l’information financière de leur emprunteur. L’évolution de l’économie et des moyens d’information remet en cause sa pertinence. Cette règle est même contreproductive lorsqu’elle s’applique, comme en droit allemand, à des situations dans lesquelles les créanciers financiers ont parfaitement connaissance de la situation de leur débiteur et cherche à l’amiable une solution pour remédier à l’état d’insolvabilité.

160 Ce type de transfert est connu sous le nom de constructive fraudulent transfer; 11 USC § 548(2); UFTA § 4(a)(2).

161 En l’absence d’une telle réglementation, les créanciers chirographaires aux Etats-Unis devraient absorber les pertes après les actionnaires existant au moment du défaut.

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l’action en réintégration n’est pas sans poser des difficultés pour la sécurité juridique des opérations de LBO. L’appréciation de la solvabilité de la société en fonction des flux futurs de trésorerie qu’elle est susceptible de dégager suppose d’émettre une opinion sur le futur sur la base d’une information imparfaite et limitée à propos du passé et du présent. Afin d’éviter le biais rétrospectif des juges, il a été proposé d’utiliser l’évolution du prix des CDS de l’émetteur comme un indicateur de son état insolvabilité162.

2°) Action paulienne et ses limites

101.- L'action paulienne est, en sus des mécanismes propres aux procédures collectives, un outil de protection des créanciers d'origine civiliste. Action de droit commun, à l’inverse de l’action en nullité des périodes suspectes, l’action paulienne a pu être envisagée comme un palliatif aux défauts de l’action spéciale. Elle s’inscrit cependant dans un contexte de moralisation de la vie des affaires, qui limite cependant son efficacité, dès lors qu’il faut démontrer l’intention de nuire.

102.- L'article 1167, alinéa 1er du Code civil dispose que les créanciers peuvent, « en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits  ». L'action paulienne doit répondre à un nombre important de conditions ce qui peut la rendre parfois difficile à mettre en place. L'acte en question doit être déséquilibré, entraînant un appauvrissement du patrimoine du débiteur. L'acte doit rendre insolvable le débiteur ou aggraver son insolvabilité. Le créancier doit en outre établir que l'acte a été fait en fraude de ses droits. La jurisprudence, n'exigeant plus la preuve de l'intention de nuire du débiteur, assimile à la fraude « la seule connaissance qu'a le débiteur du préjudice qu'il cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité163». Enfin, si l'acte est à titre onéreux, le créancier qui agit sur le fondement de l'action paulienne doit démontrer que le tiers était complice de la fraude du débiteur. Le créancier devra démontrer que le tiers avait conscience de s'engager dans une transaction qui rend insolvable ou aggrave l'insolvabilité du débiteur, au détriment des autres créanciers164. A l'inverse, la bonne ou mauvaise foi du tiers dans le cas d'un acte à titre gratuit est indifférente au succès de l'action paulienne.

103.- Si l'action paulienne connaît une réelle extension de son champ d'application, il n'en reste pas moins qu'elle est insusceptible de protéger suffisamment les créanciers en cas de transferts indus de richesse. En effet, le critère de la fraude, même s'il a été assoupli par la jurisprudence, reste une preuve difficile à produire pour le créancier. En outre, la preuve de la complicité du tiers, nécessaire pour remettre en cause des actes à titre onéreux, est aussi une preuve extrêmement difficile à rapporter, ce qui diminue l'efficacité de ce type d'actions pour les créanciers. Ainsi, l'action paulienne ne saurait être une réponse efficace aux problèmes d'efficacité des contrôles ex ante, et de l'action en nullité de la période suspecte.

104.- Au regard des problèmes posés à la protection des créanciers par le critère de cessation des paiements et du droit des procédures collectives en général165, l'indépendance de l'action paulienne par

162 M. Simkovic, B. Kaminetzky « Leveraged Buyout bankruptcies, the problem of hindsight bias, and the credit default swap solution » Columbia business law review 2011, p 118.

163 Civ. 1ère, 14 févr. 1995, Bull. Civ., I, n°79, D. 1996.391, note Agostini.

164 Civ. 3ème, 15 nov. 1977, Bull. Civ., III, n° 384.

165 [cross ref] L'action paulienne permet en effet aux créanciers de remettre en cause des actes qui n'auraient pu faire l'objet d'une action en nullité de la période suspecte. Tout d'abord, le critère d'insolvabilité retenu dans le cadre de l'action paulienne, et même de l'apparence d'insolvabilité, permet au créancier de remettre en cause des actes antérieurs à la date de cessation des

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rapport aux actions propres aux procédures collectives rend néanmoins intéressante cette action pour les créanciers en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur166.

105.- De manière générale, le législateur gagnerait à développer des mécanismes de protection plus neutres faisant moins appel à la responsabilité des dirigeants, ce qui permettrait de mieux lutter contre les transferts de richesse indus. Afin de contenir les risques de mise en jeu de responsabilité, comme celle des prêteurs, il existe en effet un risque de tomber dans l’excès inverse et de déclarer un principe de quasi irresponsabilité167.

106.- En tout état de cause, les actions ex post, si elles permettent d’éviter certains transferts de richesse indus, ne permettent pas efficacement d’éviter, et encore moins de corriger, les conséquences de l’excès d’endettement. Il est donc important pour le législateur de renforcer les mécanismes de protection d’ordre contractuel.

PARTIE II : CONDITIONS ET LIMITES DE L’AUTO-REGULATION DE LA FINANCE FACE A L’EXCES D’ENDETTEMENT

107.- Comme nous l’avons précédemment étudié, tant les mécanismes de protection ex ante que les mécanismes de protection ex post présentent des limites lorsqu’ils sont imposés par la loi. Il paraît dès lors impératif de repenser l’encadrement des opérations de LBO. La capacité des parties à corriger les excès d’endettement requiert qu’un certain nombre de conditions soient remplies (2.1). Il existe cependant des limites à l’auto-régulation (2.2).]

2.1 Conditions de l’auto-régulation de la finance face à l’excès d’endettement

paiements, et donc du début de la période suspecte. Ensuite, les nullités de la période suspecte ne visent que des actes en particulier, listés aux articles L. 632-1 et L. 632-2 du Code de commerce. L'action paulienne, à l'inverse, trouve à s'appliquer à tous les actes conclus en fraude des droits des créanciers, pour autant qu'ils remplissent les conditions précitées

166 Voir en ce sens “La fraude paulienne à l'épreuve des procédures collectives”, Droit & Patrimoine, 2011, n° 201. La possibilité, reconnue par la Cour de cassation, pour un créancier d'agir sur le fondement de l'action paulienne alors qu'une action en nullité de la procédure suspecte a été introduite va dans ce sens (Cass. com., 8  oct. 1996 : LPA 20 déc. 1996, n° 153, p. 28 et D. 1997, jurispr. p. 87, obs. F. Derrida ; JCP G 1997, I, 4004, n° 10, obs. P. Pétel ; JCP E 1997, I, 623, n° 10, obs. Ph. Pétel ; JCP G 1997, I, 4002, n° 11 à 13, obs. Ch. Jamin ; Bull. civ. 1996, IV, n° 227 ; JCP E 1997, II, 914, obs. Y. Guyon).

167 Il manque au droit français, un arsenal juridique visant à faire davantage valoir le fond sur la forme, lorsque par exemple un créancier se comporte véritablement comme un actionnaire et cherche à obtenir des avantages indus par rapport aux autres créanciers, compte tenu de son rang de priorité. Ce type d’actions éviterait de tomber dans l’excès inverse, en érigeant par exemple un principe d’irresponsabilité vis-à-vis des créanciers, comme cela tend à être le cas en France depuis la réforme de 2005. Lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. La condamnation pour soutien abusif a été présentée comme une épée de Damoclès pour les établissements de crédit les exposant à être condamnés sur la base de fautes appréciées a posteriori, « à la lumière déformante de l’échec de l’effort de sauvetage de l’entreprise », et ce en dépit du faible nombre de condamnations devant les tribunaux. Cf. F. Pérochon « Entreprises en difficulté », 9ème édition L.G.D.J. n°154 et suivant.

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108.- Substituer des mécanismes de protection contractuels à une réglementation en vue de limiter les conséquences de l’excès d’endettement suppose que les tribunaux assurent le respect desdits accords, même en cas de difficulté du débiteur (A). De ce point de vue, le droit français des entreprises en difficulté n’est pas efficient (B).

A. Efficacité des mécanismes de protection contractuels et efficience du droit des entreprises en difficulté

109.- En dépit des mécanismes de protection contractuels insérés dans la documentation bancaire, les créanciers ne sont pas toujours en mesure d’imposer, ni même de vouloir, une renégociation rapide et adéquate de la structure du bilan des sociétés sous LBO. La persistance d’une situation de détresse financière peut conduire à une détresse économique, destructrice de valeur. Cette situation est nuisible pour les créanciers du débiteur et la collectivité en général. Plusieurs obstacles peuvent empêcher la conclusion d’un accord rapide entre les parties : une incertitude sur l’étendue des difficultés financières du débiteur étant donné, par exemple, une grande variabilité des flux de trésorerie envisageables 168 ou, plus simplement, une asymétrie d’informations entre les parties sur la situation financière de l’emprunteur169. Il peut également exister un problème de coordination entre les créanciers, voire, plus grave, un refus des actionnaires et d’autres créanciers junior d’absorber les pertes, conformément aux accords passés. Un tel refus de la part d’investisseurs avertis et a priori rationnels peut survenir lorsque ceux-ci anticipent que le non-respect des accords restera impuni en cas d’ouverture d’une procédure collective. La réponse apportée par le législateur et les tribunaux lors de l’aggravation des difficultés du débiteur est ainsi déterminante de la capacité des créanciers à pouvoir éviter en amont qu’une détresse financière subie par une société sous LBO se transforme en une détresse économique.

110.- Le droit des entreprises en difficulté doit avoir pour objectif principal de faciliter la coordination entre créanciers et d’assurer le respect des accords de départ. Concernant le premier point, la renégociation amiable peut se heurter à un problème de coordination entre les créanciers résiduels eux-mêmes. La documentation bancaire prévoit  en effet classiquement l’unanimité des créanciers pour pouvoir modifier la maturité et le taux d’intérêt du contrat de prêt. Un nombre important de créanciers au sein d’un même syndicat de banques, ainsi qu’une hétérogénéité quant au montant de dette détenu par chacun d’eux, peut empêcher d’aboutir à un accord à l’unanimité. Ainsi si un membre d’un syndicat bancaire détient 0,0001% de la dette, ce dernier a une incitation très forte à jouer les passagers clandestins170. Le phénomène dit de « passager-clandestin » ou « free rider » traduit une situation dans laquelle certains créanciers décident volontairement de ne pas participer aux négociations amiables

168 En présence d’une incertitude sur la valorisation de la société, les négociations entre les parties peuvent bloquer. La valorisation d’une société sur la base de prévisions de trésorerie disponible est un exercice par nature incertain. Faire des prévisions de flux de trésorerie implique d’avoir un avis subjectif sur le futur de l’activité à partir d’un nombre limité d’informations sur son passé et son futur. Cela implique également de s’accorder sur le taux d’actualisation à appliquer à ces flux futurs de trésorerie. En présence de cette incertitude, les associés sont incités à défendre une valeur résiduelle de leurs titres, dite d’option, associée à la possibilité d’un retournement des performances de la société. V. à cet égard B. Chopard, S. Vermeille, S. Portsmouth, L. Gregoire Sainte Marie « Partage des risques, partage de la valeur, étude des effets du droit des procédures collectives sur la négociation amiable de la dette » RTDF n°1 p. 1 (2011).

169 Ibid.

170 S. Lee et D. Mullineaux « Monitoring, Financial Distress, and the Structure of Commercial Lending Syndicates » Financial Management, 2004, vol. 33, issue 3 p 107.

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dans l’espoir que les coûts de la restructuration seront supportés par les autres créanciers. Les créanciers dont l’exposition est relativement faible par rapport à celle des autres sont davantage sujets à ce type de comportements. Ils ont en effet moins à souffrir des conséquences d’un mauvais accord que les créanciers les plus exposés. Il doit être possible, sous certaines conditions et sous le contrôle du juge, de s’affranchir de l’application stricte du contrat.

111.- Le dirigeant et les actionnaires peuvent, dans certains cas, refuser de subir les conséquences de l’aggravation des difficultés de la société. A partir du moment où la société est insolvable, les actionnaires sont dans une situation d’aléa moral. Il est dans l’intérêt de la collectivité en général que la propriété des actifs de l’emprunteur soit réallouée d’une manière organisée, dans le cadre d’une procédure collective. La loi devrait logiquement assurer un respect de l’ordre des priorités entre investisseurs, au risque si elle ne le fait pas d’encourager les transferts de richesse indus, ceux mêmes que le législateur a souhaité éviter notamment à travers la prohibition de l’assistance financière et les règles sur le capital social. Le respect de l’ordre des priorités signifie que l’absorption des pertes d’emprunteur doit se faire conformément à l’ordre qui a été initialement convenu. Cet ordre est déterminé en tenant compte du contrat implicite liant les actionnaires à la société et prévoyant ceux-ci doivent supporter les pertes en premiers. Il faut également tenir compte des accords conclus par les créanciers, pouvant prévoir :

- qu’un créancier s’engage, vis-à-vis d’un autre créancier, à être payé par la société après lui (convention de subordination),

- qu’un créancier s’engage vis-à-vis de la société à être payé après tous les autres. Tel est l’engagement pris par exemple par un porteur de titres super subordonnés (prévu spécifiquement par la loi),

- que la société s’engage vis-à-vis d’un créancier à le payer avant tous les autres, dans la limite de la valeur des actifs qu’elles donnent en garantie du paiement de sa créance (sûreté réelle),

- qu’un créancier assuré d’être payé en priorité par rapport à d’autres créanciers à hauteur de la valeur d’un actif, s’engage vis-à-vis d’un autre créancier à être payés après lui (convention de rang).

112.- La capacité des créanciers à pouvoir réduire les conséquences de l’excès d’endettement au travers des covenants bancaires dépend du respect, en cas d’ouverture d’une procédure collective, de l’ordre de priorité d’absorption des pertes, conduisant à un changement de contrôle de la société. L’incapacité du droit français des entreprises en difficulté à transférer le contrôle de la société au propriétaire résiduel va mécaniquement réduire le pouvoir de négociation des créanciers en amont de la procédure collective.

B. Inefficience du droit français des entreprises en difficulté

113.- En droit français, les créanciers peuvent librement prévoir les conditions dans lesquelles ils entendent pouvoir, en dehors d’une procédure collective, modifier un contrat de prêt syndiqué auquel ils sont parties. A l’inverse, les porteurs d’obligations n’ont pas cette latitude. Le droit des sociétés impose un certain nombre de règles obligatoires, prévoyant que certaines modifications du contrat d’émission obligataire peuvent être réalisées sans l’accord unanime des porteurs sous réserve de

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l’approbation à la majorité des deux tiers des porteurs réunis en assemblée spéciale171. La loi ne permet cependant pas que soit adopté à la majorité qualifiée un abandon de créances ou une conversion de la dette en actions. L’accord unanime des porteurs d’obligations est nécessaire en dehors de la procédure collective.

114.- Lors de l’ouverture d’une procédure collective, le droit des entreprises en difficulté améliore le problème de coordination soulevé par la multitude des créanciers. La loi prévoit, qu’au-dessus d’un seuil, un plan de redressement peut être mis en œuvre même si seulement 2/3 des créanciers répartis en comité l’ont approuvé172. Faute d’assurer le transfert du contrôle de la société aux nouveaux propriétaires résiduels, le droit français des entreprises en difficulté ne facilite cependant que très imparfaitement un accord amiable entre les parties. En cas d’insolvabilité d’une entreprise dont la profitabilité a été établie, assurer le redressement de l’activité (et donc la réduction des conséquences de l’excès d’endettement) nécessite qu’un processus sécurisé de transfert du contrôle de la société aux titulaires des créances donnant droit au profit résiduel. Selon la théorie économique, ces créanciers résiduels sont parmi les titulaires de droits financiers sur la société, ceux susceptibles de faire le meilleur usage des droits de contrôle de la société. Ce sont ceux qui perçoivent le profit marginal réalisé par la société après le paiement de tous ceux qui ont un droit limité à percevoir les fruits de l’activité de la société. Inversement, lorsque les résultats de la société se détériorent, les créanciers résiduels sont ceux qui supportent la perte marginale et constatent mécaniquement que la valeur de leurs droits diminue. L’objectif du droit français des entreprises en difficulté est, selon les textes, la préservation de l’activité, de l’emploi et l’apurement du passif. L’objectif n’est donc pas de transmettre le contrôle de l’entreprise aux créanciers résiduels.

115.- Ainsi, lorsque la société est en cessation des paiements, le juge est libre d’attribuer les actifs de manière relativement discrétionnaire, en dehors de toute considération pour la valeur des actifs. Il peut ainsi décider que :

- les actionnaires conserveront le contrôle de la société ; le juge pourra alors obliger les créanciers à étaler leurs créances sur dix ans sans contrepartie, ou

- que l’activité devra être cédée à un tiers désigné par le juge, pas forcément en fonction du prix proposé pour les actifs. Ce tiers pourra, selon la loi, être obligé de reprendre certains passifs.

116.- Lorsque la société ne connaît pas de crise de liquidité, le juge n’a pas le pouvoir de provoquer le transfert du contrôle de l’entreprise. Un transfert du contrôle est néanmoins permis :

- sous réserve de l’accord d’une majorité des deux tiers des actionnaires (et on ne s’intéresse pas à la question de savoir si la société est insolvable ou non), uniquement par voie de conversion de la dette en actions ; la cession de l’ensemble de l’activité à un tiers n’est pas possible,

- étant noté que le transfert du contrôle ne revient pas aux seuls créanciers résiduels ; le droit français traite indifféremment, sauf exception, les créanciers, qu’ils soient titulaires ou non de sûretés, et ne permet pas l’application rigoureuse des conventions de subordination173.

171 [détailler].

172 Au-delà de certains seuils, le plan de restructuration d'une société peut être approuvé à la majorité qualifiée seulement (et non plus à l’unanimité) par les créanciers répartis en trois groupes (les comités de créanciers bancaires, les comités d’obligataires et les créanciers fournisseurs). Ceux-ci, précisés à l’article L.626-29 du Code de commerce, sont de 150 salariés ou de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires.

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117.- Cette situation s’explique :

- par l’orientation du droit français en faveur de petites entreprises de notre droit ; construit sur le modèle de la société entrepreneuriale, dont la survie est liée à la préservation des droits de son dirigeant-actionnaire à travers le maintien de l’entité juridique, en dépit des aménagements permettant de redresser l’entité juridique, il peine à s’affranchir du modèle initial,

- la difficulté pour notre droit à admettre la logique économique, conduisant à n’autoriser le redressement d’une activité que si sa valeur est supérieure à la somme de la valeur de ses actifs individualisés, et à remettre le contrôle de l’entreprise entre les mains des créanciers résiduels.

118.- Le droit des procédures collectives174 peut avoir logiquement un effet repoussoir. Les créanciers financiers étant fortement incités à éviter la procédure collective175, cette réticence peut conduire à de mauvais compromis, prorogeant une structure du capital inadaptée, rendant l’accès au crédit post restructuration problématique et affectant la compétitivité à long terme de la société. Or, ce n’est pas parce qu’un accord est obtenu à l’amiable qu’il est bénéfique pour l’emprunteur. Faute d’avoir un moyen de pression sur les dirigeants et les actionnaires de leurs débiteurs, les créanciers peuvent accepter des paris non raisonnables sur le retournement de leurs débiteurs. Certes, la dette de la société est restructurée, mais cette restructuration est insuffisante compte tenu des perspectives de trésorerie futures de la société dans un contexte de compétition accrue. Cette situation est particulièrement visible lorsque le débiteur est contrôlé par un actionnaire majoritaire, comme dans les cas des LBOs 176, en mesure de pouvoir aisément contrôler le sens des négociations amiables avec les créanciers. C’est

173 Certes, depuis la loi du 22 octobre 2010, l’égalité de traitement des créanciers n’est désormais plus la règle. Cependant les conventions de subordination ne sont jamais complètement respectées, dans la mesure où les créanciers subordonnés peuvent siéger dans les comités de créancier aux côtés des créanciers plus senior. De ce fait, ils arrivent toujours à percevoir quelque chose au titre du plan, alors même que les créanciers senior ne sont pas complètement remboursés. Les créanciers senior lésés pourront très difficilement arguer de la violation de l’accord de subordination pour obtenir une invalidation du plan voté. Outre que cette situation conduit à des transferts de richesse indus de créanciers à créanciers, elle entraîne une vive incertitude quant à l’issue de la procédure collective. La loi confère en effet au juge le pouvoir discrétionnaire de décider si les droits des créanciers subordonnés ont été suffisamment bien protégés. Cf. également § 31.

174 La loi 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a introduit la procédure de sauvegarde financière accélérée. Cette procédure permet à la société d’obtenir un accord de ses créanciers financiers (portant notamment sur la conversion de la dette en actions) à la majorité qualifiée prévue par le droit des entreprises en difficulté, comme si la société était en procédure collective (alors qu’en principe un accord unanime est nécessaire pour réaliser une conversion de la dette en actions durant une négociation amiable). L’objectif est que la société puisse plus rapidement retrouver une structure du bilan adéquate, eu égard à ses perspectives de trésorerie futures. En évitant l’ouverture d’une procédure collective classique, stigmatisante pour la société vis-à-vis de ses fournisseurs et de ses clients, la procédure de sauvegarde financière accélérée présente indéniablement un intérêt du point de vue de la société, et donc de la grande majorité de ses créanciers. Si elle peut faciliter la conclusion d’accords amiables, elle conduit à des transferts de richesse indus difficilement justifiables. V. S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance » ibid,

175 La pratique du renouvellement automatique des standstill agreements est illustrative à cet égard. N’ayant aucun intérêt à provoquer l’ouverture d’une procédure collective, les créanciers financiers renouvellent les standstill agreements sans plus de formalités, face à la pression imposée par les dirigeants de la société emprunteuse. Le coût élevé de la procédure collective en France peut, de manière similaire, dissuader un dirigeant de restructurer une dette émise sur différents marchés financiers, avec des rangs de priorité différents (tenant compte de l’existence d’accord de subordination et de sûretés). Anticipant que la société ne serait pas en mesure de supporter le coût d’une procédure collective, le dirigeant est incité à faire le pari risqué que la société arrivera tout de même à honorer les échéances de remboursement et ce, en dépit des coûts de détresse financière supportés par la société (au besoin, il envisagera d’endetter un peu plus la société).

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également le cas dans les sociétés cotées, à l’image du « feuilleton Technicolor177 ». L’incapacité du droit des entreprises en difficulté à transférer le contrôle dans de bonnes conditions aux créanciers empêchent ces derniers d’adopter une logique d’actionnaires et donc de restructurer le bilan de la société dans de bonnes conditions.

119.- Même si aucune étude empirique s’est attachée à établir un lien entre les défauts du droit des entreprises en difficulté et le déroulement des négociations amiables concernant la dette d’une société en France, le sentiment général est que les négociations amiables sont extrêmement longues et coûteuses pour l’emprunteur. Le fonds LBO est en mesure de se maintenir dans la société dans la majorité des cas, sauf s’il y a une crise importante de liquidité à laquelle le fonds ne souhaite pas ou ne peux pas remédier. L’éclatement de la bulle du crédit en 2008 a donné lieu à un nombre important de négociations amiables sur la dette des sociétés sous LBO. Les parties ont opté dans la grande majorité des cas pour une simple renégociation de la date de maturité et la rémunération des contrats de prêt. On observe dorénavant que ces mêmes LBO font à nouveau l’objet de négociations amiables, souvent sous la supervision d’un mandataire ad hoc. Entretemps, la situation des sociétés sous LBO s’est aggravée aussi bien qu’une restructuration plus importante de leur bilan est nécessaire. La faveur du droit accordé aux fonds LBO dans ces conditions ne facilite pas les choses. [à développer le cas échéant]

120.- Dans ce contexte, il n’est donc pas surprenant que les créanciers aient cherché d’autres moyens de protection que les traditionnels covenants bancaires. On peut citer la technique de la double LuxCo178 et la fiducie, sous réserve de certains ajustements d’ordre fiscaux179.

C. Efficience du droit des entreprises en difficulté américain

121.- A titre de comparaison, le droit américain des procédures collectives est davantage respectueux des contrats initiaux conclus entre les investisseurs que le droit français. Sans rentrer dans

176 V. à cet égard B. Chopard, S. Vermeille, S. Portsmouth, L. Gregoire Sainte Marie « Partage des risques, partage de la valeur, étude des effets du droit des procédures collectives sur la négociation amiable de la dette » ibid.

177 La récente opération de réduction de la dette de la société Technicolor par affectation du produit de deux augmentations de capital (l'une réservée à un investisseur institutionnel, l'autre avec maintien du droit préférentiel de souscription des actionnaires), deux ans seulement après la clôture de la procédure de sauvegarde, traduit l’incapacité de la procédure de sauvegarde de permettre aux sociétés d’émerger avec un bilan assaini. V. S. Vermeille,  T. François «  Le « feuilleton Technicolor » : et si rien n’était vraiment réglé ? » JCP ed E, 4 Oct. 2012 p 18.

178 L’objectif de la LuxCo est d’empêcher les dirigeants de la société mère de droit français de placer le groupe sous la protection du droit français des entreprises en difficulté, en cas d’éventuelles difficultés. En imposant le recours au droit luxembourgeois par l’intermédiaire de la technique de la double Luxco, les créanciers senior ont cependant réussi dans certaines opérations à améliorer leur position dans l’ordre d’absorption des pertes, en dépit des incertitudes sur la validité d’un tel montage. En cas de difficultés au cours des négociations amiables portant sur la restructuration de la dette de l’emprunteur, la technique de la double Luxco permet aux créanciers senior d’être en mesure de réaliser leur gage de premier rang portant sur les titres d’une société de droit luxembourgeois constituée à cette seule fin, et qui est la société mère du groupe français. L’opération est possible dans la mesure où, contrairement au droit français, le droit luxembourgeois ne fait pas échec à la réalisation du gage lorsque le nantissement porte sur des instruments financiers. V. S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance » ibid.

179 M. Collet, M. Dubertret « Du recours à la fiducie-sûreté dans les opérations de LBO, pour une plus grande sécurité juri-dique et fiscale, RTDF 2012 n°2 p 73.

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les détails du Chapter 11, il convient de souligner qu’il a pour objectif de réduire les asymétries d’information entre les parties, de régler les conflits entre les parties quant à la valorisation des actifs et d’améliorer la coordination des efforts entre les créanciers. Il permet enfin et surtout de transférer le contrôle de l’entreprise aux créanciers résiduels, en respectant les différents contrats d’investissement. C’est dans ces conditions qu’il garantit l’efficacité des clauses de protection du crédit en amont. De plus, contrairement au droit allemand [ref], le Chapter 11 présente l’avantage de laisser la maîtrise de la procédure aux parties. Le juge est incité à faire en sorte que les parties se mettent d’accord entre elles.

122.- La résolution des difficultés dans les LBO a donné lieu à quelques études empiriques. Aux Etats-Unis, les fonds de private equity facilitent de manière générale le processus de restructuration, et ce même si une faible minorité d’entre eux conserve le contrôle de la société sous LBO à l’issue des négociations180. Il apparaît, par ailleurs, que plus le fonds a des moyens financiers importants et une réputation à défendre vis-à-vis de l’extérieur181, plus il aura tendance à faire en sorte que la société sous LBO soit rapidement restructurée, de préférence en dehors d’une procédure collective. Si besoin, les fonds LBO auront tendance à provoquer l’ouverture d’une procédure collective de préférence dans l’Etat du Delaware, jugé plus efficace. L’usage de pre-packaged or pre-arranged, c'est-à-dire d’accords pré négociés, voire même approuvés en amont par les créanciers, est très répandu dans les opérations de LBO182. Cette pratique illustre le fait que l’ouverture d’une procédure collective permet avant tout d’imposer le plan de restructuration aux créanciers junior, par exemple les porteurs d’obligations high yield183, qui sont moins sensibles que le fonds LBO au risque pour leur réputation. Cette pratique est perçue comme le moyen de pouvoir faire supporter les pertes, non seulement aux actionnaires (qui perdent alors tout droit) ainsi que les porteurs d’obligations high yield, dans le respect de l’ordre de priorité.

123.- Le taux de recouvrement des créanciers plus junior est même plus faible qu’ailleurs. Le succès des opérations de restructuration est attesté par le fait que les sociétés auront davantage à rester indépendantes financièrement après que les difficultés soient réglées. Les sociétés sous LBO aux Etats-Unis ont semble-t-il une plus grande probabilité de se restructurer avec succès comme société indépendante à partir du moment où les sociétés opérationnelles sous-jacentes sont économiquement en bonne santé.

124.- [Il peut exister des mécanismes visant à limiter les conséquences d’un bris de défauts. Ainsi, les dispositions dites « equity cure » permettent aux fonds LBO, à titre préventif, d’injecter de l’argent en cas de bris de covenant. Une telle mesure est une sorte de mécanisme de résolution des difficultés pré accepté afin d’éviter que la société sous LBO rentre en procédure collective. Cela peut expliquer pourquoi les sociétés sous LBO vont moins souvent que les autres en procédure collective] [à discuter les limites des dispositions de l’equity cure].

125.- Cette situation invite certains auteurs à penser que, au même titre qu’au cours des cycles précédents, le coût pour l’économie des défauts provoqués par l’excès d’endettement dans les

180 [P. Strömberg, E. Hotchkiss, D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress » AFA 2012 Chicago Meetings Paper ECGI - Finance Working Paper No. 331/2012.]

181 Aux Etats-Unis, les fonds de private equity jouent également un rôle important comme acheteur d’actifs dans le cadre de procédures collectives, alors que ce marché est plutôt atrophié en France. Les sociétés de private equity se présentent ainsi comme des acheteurs des sociétés en faillite. En tout 20% de tous types de faillite finissent avec un fonds de private equity comme actionnaire majoritaire.

182 [P. Strömberg, E. Hotchkiss, D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress » ibid]

183 [P. Strömberg, E. Hotchkiss, D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress » ibid]

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opérations de LBO pourrait ne pas être si grand184. Ainsi selon une étude réalisée dans les années 80185, le coût de la détresse financière a été évalué à un montant inférieur à 20% de la valeur de société. Ils ont même estimé qu’en dépit du défaut, les sociétés sous LBO, en situation de détresse financière, ne valaient pas moins après la résolution de la situation de détresse financière qu’avant que ces sociétés soient acquises dans le cadre d’une opération de LBO.

126.- Faut-il alors en déduire que si le droit des entreprises en difficulté arrive à se réformer afin de davantage assurer le respect du contrat, les parties pourront toujours réduire l’excès d’endettement  ? Malheureusement pas forcément.

2.2 Limites de l’autorégulation de la finance : les contrats convenant-lite

127.- Concevoir que les parties peuvent rapidement et de manière adéquate corriger l’excès d’endettement suppose que les créanciers financiers ne renoncent pas à se protéger. L’évolution du marché du crédit a cependant conduit à l’émergence d’un phénomène dit de covenant-lite aux effets nuisibles (A). Le législateur a donc un rôle à jouer dans l’encadrement des opérations de LBO qui doit être redessiné (B).

A. Effets induits de l’évolution du marché du crédit : y-a-t-il encore un pilote à bord ?

1°) Origine du phénomène de covenant-lite

128.- En dépit des coûts d’agence importants résultant de l’effet de levier dans les opérations de LBO, 1995 marqua l’apparition aux Etats-Unis des contrats de prêts « covenants lite ». Cette pratique perdura jusqu’à la période de récession des années 2001-2002. Les conditions de prêts se relâchèrent à nouveau à partir de 2006 jusqu’à la crise des subprimes. Selon Standard & Poor’s186, 17.9% du marché du crédit aux Etats-Unis en 2007 était covenant-lite, alors qu’il n’était que de 5,7% à la fin des années 2006 et 1% à la fin des années 2005. En Europe, seulement 7% des opérations était covenant-lite en 2007. Certes, les contrats covenant-lite offrent la possibilité à l’emprunteur de bénéficier d’une marge de manœuvre, ce qui permet par exemple d’éviter l’accroissement du coût de la dette dès l’apparition des premières difficultés. Les contrats covenant-lite présentent cependant des risques substantiels sur le long terme. Les débiteurs peuvent être sujets à des comportements opportunistes de la part des actionnaires. Ceux-ci peuvent être incités à choisir des trajectoires de retournement risquées pour l’activité de l’entreprise. L’absence de covenants peut par ailleurs inciter les dirigeants de l’emprunteur à attendre le dernier moment, c'est-à-dire la crise de liquidité, pour restructurer la dette. L’échec de la négociation entraîne de facto une destruction importante de valeur au niveau de la société qui se retrouve alors dans l’impossibilité de régler ses fournisseurs et ses salariés.

129.- Il existe plusieurs facteurs explicatifs au phénomène de covenant-lite. Certains sont communs à tous les marchés du financement. D’autres sont propres à l’industrie du LBO. Au cas présent, le relâchement des conditions d’octroi du crédit peut s’expliquer par la concurrence accrue entre les

184 [P. Strömberg, E. Hotchkiss, D. Smith « Private Equity and the Resolution of Financial Distress » ibid]

185 Andrade and Kaplan (1998)

186 Source : Standard & Poor's , cité dans Get Ready for the Private Equity Shaekout, Heino Meerkatt (BCG), Heinrich Liechtenstein (IESE), The Boston Consulting Group, 2008, p.4.

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établissements bancaires sur le marché des leveraged loans et le crédit particulier dont bénéficient certains fonds de LBO auprès des prêteurs grâce à leurs track records. Afin de gagner des mandats, les établissements bancaires doivent faire face à une concurrence croissante et se soumettre à des processus d’enchères très encadrés. Lors des LBO sur des sociétés cible de taille significative en particulier, les fonds LBO ont pu profiter des circonstances favorables pour retenir dans chaque offre les termes les plus avantageux. Ils ont ensuite forcé les établissements prêteurs à accepter l’offre combinant les avantages de chacune des offres (le coût du crédit et les conditions attachées). Gagner un mandat peut être très lucratif pour une banque arrangeuse, non seulement grâce aux honoraires perçus, mais aussi en raison des services annexes que la banque sera amenée à fournir. La tentation est donc forte pour les banques à participer au processus d’enchère et à relâcher progressivement les conditions d’octroi du crédit.

130.- La réputation dont bénéficient certains fonds de LBO peut également être un facteur explicatif du phénomène de covenant-lite187. Le marché du private equity est principalement animé par un nombre limité de participants qui interagissent ensemble de manière fréquente. La réputation de bon emprunteur peut avoir des conséquences économiques importantes. Quand ils sollicitent des capitaux, les fonds de private equity mettent en avant leur réputation basée sur leur track record. Comme les fonds LBO sollicitent fréquemment les services des mêmes établissements bancaires, ces derniers sont alors poussés à accepter des niveaux de levier très importants et un niveau de protection faible, et ce afin de ne pas endommager leurs relations avec les meilleurs fonds.

131.- D’autres facteurs explicatifs du phénomène de covenant-lite sont communs à tous les marchés du financement et sont liés notamment à la capacité croissante des prêteurs à se protéger contre le risque de crédit grâce aux dérivés, tout comme à la possibilité pour ces mêmes prêteurs de transférer plus facilement le risque de crédit sur les marchés. Dans ce dernier cas, les banques arrangeuses peuvent soit avoir recours à la titrisation, soit autoriser d’autres types d’investisseurs, comme les CLO, à souscrire une partie de la dette lors de la phase de syndication. Il existe alors un risque que les banques arrangeuses relâchent les conditions d’obtention du crédit, en renonçant à certaines clauses de protection contractuelles.

132.- Les techniques directement inspirées des dernières innovations financières ont en effet été utilisées par les intermédiaires financiers et le marché pour redistribuer le risque spécifique relatif à la dette LBO188. Des changements importants dans la structure de la dette des sociétés sous LBO sont apparus au cours des dernières années. On assiste alors à un processus de déconstruction de l’équity, le propriétaire résiduel supportant de moins en moins les risques justifiant qu’il exerce un contrôle sur la société189. Les prêteurs sont à présent mieux à même d’acheter et de vendre des prêts. De nouveaux entrants sont arrivés sur le marché, modifiant la relation classique qu’entretiennent les établissements bancaires et les emprunteurs, et ce même en dépit de la règle du monopole bancaire qui tend en France encore à limiter ce phénomène190. De ce point de vue, la forte liquidité du marché de la dette a pu se présenter comme une alternative au monitoring des prêts et au recours aux covenants. Au plus fort de la bulle, particulièrement aux Etats-Unis, les banques arrangeuses ont pu avoir le sentiment que les

187 V. C. Whitehead « The Evolution of Debt: Covenants, the Credit Market, and Corporate Governance » ibid.

188 C. Whitehead « The evolution of debt: covenants, the credit market, and corporate governance » Boston University School of Law Working Paper no. 08-26, disponible sur le site www.ssrn.com.

189 R. Gilson & C. Whitehead « Deconstructing Equity: Public Ownership, Agency Costs, and Complete Capital Markets » Columbia Law Review, Vol. 108, p. 231, 2008. Plus une société a la possibilité d’identifier et se couvrir contre les risques, moins elle a besoin de fonds propres. La société n’aurait ainsi plus besoin des marchés actions pour supporter les risques résiduels. Dès lors, les coûts d’agence liés à l’existence du couple dette/actions peuvent devenir optionnels.

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covenants et le monitoring du crédit n’étaient plus le meilleur moyen de maîtriser le risque de crédit. Elles ont été moins incitées à surveiller les emprunteurs et à agir dans l’intérêt de ceux à qui elles transféraient d’une manière ou d’une autre le risque de crédit à un moment donné. Par ailleurs, il s’est avéré que les investisseurs qui récupéraient in fine le risque étaient moins à même de de surveiller les emprunteurs aussi efficacement que ne l’aurait fait un prêteur initial. Cette situation a entraîné au plus fort de la bulle une augmentation importante des coûts d’agence et un déclin important de la qualité de la gouvernance des sociétés pourtant très endettées.

133.- Ainsi, jusqu’à récemment, un nombre de plus en plus importants d’établissements bancaires arrangeurs avaient pour objectif de ne plus conserver aucune participation dans le débiteur. Dans ces circonstances, les conditions du crédit pouvaient n’être qu’une question de seconde importance pour la banque arrangeuse. Cette dernière pouvait être en effet tentée de se focaliser sur les conditions permettant de s’assurer que la distribution du crédit générera suffisamment d’honoraires. La banque arrangeuse pouvait également se limiter à faire en sorte que la durée et le degré d’exposition soient limités. Les acheteurs de dette peuvent ne pas être au courant des risques inhérents aux opérations de leveraged loans.

2°) Vers un nouveau paradigme ?

134.- L’évolution du marché de la dette conduira-t-elle à une nouvelle forme de gouvernance d’entreprise ? A la différence des actions ordinaires, les contrats de dette sont en effet renégociables. Une modification des conditions de marché ou de la situation de l’emprunteur peut ainsi rapidement entraîner une modification des conditions de refinancement de la dette de l’emprunteur. L’emprunteur est ainsi à même d’évaluer l’impact de ses actions sur le cours de sa dette sur le marché secondaire. Il a ainsi pu être avancé qu’un marché du crédit de plus en plus liquide pourrait servir de nouvelle gouvernance, c'est-à-dire servir d’instrument de discipline pour les emprunteurs 191. Ces derniers seraient alors incités à se tourner de plus en plus vers le marché public de la dette et inversement à se détourner des marchés actions et à faire appel au private equity.

135.- Cette nouvelle forme de gouvernance n’est cependant envisageable qu’à la condition qu’il existe un très fort niveau de transparence de l’information financière et une bonne compréhension par les différents types d’investisseurs de l’étendue des risques encourus. Dans la réalité, on remarque que la modification de la structure de la dette a conduit à une augmentation des coûts d’agence résultant de l’information limitée qui circule sur l’emprunteur sur le marché secondaire de la dette bancaire et par l’effet même de la dispersion de la dette. Il existe des phénomènes moutonniers liés au développement notamment des fonds mutuels privilégiant la gestion indicielle et laissant à un faible nombre d’acteurs, les activités, le soin d’animer le marché. Le niveau optimal de dette doit donc tenir compte de ces paramètres192.

190 En France, les opérations de crédit sont, sauf exceptions limitatives, réservées aux établissements de crédit agréés par l’Autorité de Contrôle Prudentiel. Leur sont assimilés les établissements d’autres pays de l’Espace économique européen (EEE) agréés dans leur pays d’origine. Cette réglementation n’a pas été reprise au niveau européen, la directive européenne n’instaurant de monopole que pour l’activité de réception de dépôts ou d’autres fonds remboursables venant du public.

191 C. Whitehead « The evolution of debt: covenants, the credit market, and corporate governance » ibid. Ainsi le marché privé du crédit a la capacité directement le coût du capital de la société. Les marchés sont ainsi en situation de pouvoir fournir une alternative efficace aux covenants en pénalisant les actions qui conduisent à une augmentation du risque de crédit. De telles actions conduiraient en effet à une augmentation du coût du credit, par l’effet d’une augmentation du taux des intérêts des prêts existants ou à venir, puisque les sociétés retournent fréquemment sur les marchés financiers afin de se financer.

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136.- Certes ces techniques permettent aux créanciers de diminuer leurs risques. Elles ne permettent cependant pas de régler les problèmes liés à la situation d’aléa moral dans laquelle peut se trouver l’actionnaire lorsqu’il reste, à travers le dirigeant, aux commandes de la société. La crise du crédit a ainsi montré l’important des covenants pour les prêts, nonobstant l’augmentation de la capacité croissante pour eux de gérer, puis de transférer le risque de crédit. Les prêts convenant-lite, n’ont pas permis de trouver le juste équilibre entre liquidité et le recours classique aux covenants et au monitoring. Cette situation explique que, jusqu’à récemment, le taux de défaut des LBO ait été relativement bas. Il n’est donc pas étonnant qu’on soit revenu à des pratiques beaucoup plus raisonnables récemment.

137.- Faut-il alors réglementer pour éviter les phénomènes de covenant-lite ? Les banques auraient ainsi intérêt à minimiser les risques d’aléa moral résultant des phénomènes d’asymétrie d’information concernant l’emprunteur dans la mesure où il existe peu d’information publique le concernant. Les plus optimistes pensent que, sans réglementation, les établissements bancaires ont tout de même intérêt à conserver une portion du risque de crédit, à s’appuyer de plus en plus sur la réputation, et à renforcer les niveaux de covenants, pour contrebalancer les difficultés liées au monitoring moins précis des emprunteurs en raison du transfert du risque de crédit. Si les marchés financiers sont efficients, les actions qui affectent la qualité du crédit des sociétés sont reflétées dans le cours des instruments de crédit émis par l’emprunteur. Ces changements affectent le coût du capital des emprunteurs, soit au moment de souscrire de nouveaux emprunteurs, soit directement sur le taux d’intérêts si ces derniers évoluent en fonction du prix des CDS de l’emprunteur.

B. Quel rôle pour les pouvoirs publics ?

138.- En la matière, on ne peut pas laisser les marchés s’autoréguler. Le débat sur l’étendue du rôle du régulateur est un débat récurrent. Certains souhaiteraient que le législateur empêche les sociétés de souscrire certains types de structures d’endettement jugées trop dangereuse, tout comme les documentations bancaires covenants-lite193. Une telle mesure aurait sans aucun doute certains bénéfices mais engendrait également des coûts considérables pour les sociétés. Comment établir un niveau optimal d’endettement qui s’appliquerait à toutes les sociétés ? D’autres mécanismes moins coûteux semblent toutefois envisageables dans l’intérêt général194.

192 La transparence est un élément clé : au coût de l’insécurité juridique, s’ajoute par ailleurs le coût de la complexité juridique, lorsque l’environnement juridique ne permet pas, comme en France, d’assurer le respect des accords contractuels.

193 Rapport de la Commission consultative sur les changements industriels (consultative commission on industrial change « CCMI ») du Comité européen économique et social, « Data collection study on the impact of private equity, hedge and sovereign funds on industrial change in Europe » disponible sur le site du portail européen : www.europa.eu.

194 Les économistes utilisent l’expression « maximizing social welfare ».

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139.- Il existe par ailleurs un débat sur l’éventuel caractère systémique195 de la crise du LBO, de nature à justifier une réglementation plus stricte de l’industrie. Ceux qui défendent cette thèse soutiennent que les règles prudentielles ne permettent pas, en l’état, aux établissements bancaires d’avoir suffisamment de fonds propres pour absorber les chocs liés à la crise du LBO. Il existe par ailleurs un risque de syndication non négligeable, mis en évidence par la Banque centrale européenne196. De plus, il existerait un risque que les investisseurs institutionnels ayant investi dans les fonds LBO soient forcés de céder d’autres actifs liquides afin de satisfaire à leurs obligations de financer le fonds, ce qui contribuerait à déprécier les prix sur les marchés financiers 197. Enfin, l’abaissement de la notation de certaines tranches de dette en dessous du seuil d’investment grade serait susceptible de forcer certains investisseurs institutionnels, comme les CLO, de céder les actifs sur le marché dans des conditions défavorables.

140.- La recherche académique tend majoritairement à penser que la crise du LBO n’est pas de nature systémique. Cette position est partagée par le régulateur britannique, la financial services authority (« FSA »). Ainsi, le risque serait écarté au motif que les fonds LBO, n’ayant pas eux-mêmes recours à la dette ou à des dérivés, leurs pertes ne peuvent excéder leur investissement. De plus, ceux qui investissent dans des fonds LBO ne peuvent pas se retirer à tout moment, contrairement à ceux qui investissent dans des hedge funds. Dans son rapport, le Conseil d’analyse économique a également conclu qu’il n’est pas évident que le private equity soit une menace pour la stabilité financière. La crise de LBO se traduit par une baisse de levées de fonds. Les managers de fonds de private equity échouent en bout de course, plutôt que par l’effet d’une crise de liquidité, comme en cas de défaillance d’une activité ou d’une banque. Dans tous les cas, l’échec d’un fonds n’entraîne pas par ricochet la défaillance des autres participations. La structure de fonds de private equity permet de contenir le risque, pas de le disséminer.

141.- Même si l’industrie du LBO ne constitue pas un risque systémique, il est nécessaire que le régulateur intervienne pour corriger certaines défaillances du marché. L’objectif n’est pas de réaliser une revue exhaustive des solutions possibles mais de rappeler les solutions qui existent déjà et d’envisager d’autres qui seraient particulièrement adaptées au contexte présent.

1°) Mieux garantir un haut niveau de transparence financière

195 La crise systémique est une rupture dans le fonctionnement des services financiers (i) causée par la dégradation de tout ou partie du système financier et (ii) ayant un impact négatif généralisé sur l’économie. Le risque systémique est donc le risque de matérialisation de cette rupture dans le fonctionnement des services financiers susceptible d’affecter l’ensemble du secteur ainsi que l’économie réelle, cf. Rapport sur le risque systémique de J.-F. Lepetit Avril 2010 au ministère des finances et de l’économie, disponible sur son site www.minefi.gouv.fr. La crise des subprimes en est une illustration. Il s’agit d’une crise des prêts immobiliers accordés aux particuliers américains à des conditions très laxistes, en raison de la capacité pour les banques à transférer le risque de crédit sur les marchés. La crise dans ce secteur a alors jeté le doute sur la qualité du crédit de l’ensemble des instruments émis dans le cadre de programmes de titrisation, peu importe s’ils appartenaient ou non au secteur immobilier. 

196 Le risque de syndication est le risque supporté par un établissement arrangeur, entre le moment où il s’engage vis-à-vis de l’emprunteur et de ses actionnaires à financer une opération et le moment où il réussit à transférer à des tiers des portions du prêt, à la suite d’une opération de syndication. Banque centrale européenne : « Large Banks and Private Equity-Sponsored Leveraged Buyouts in the EU », (2007) disponible sur le site de la BCE, www.bce.int.

197 Rapport de l’European Economic and social committee (EESC), consultative commission on industrial change (CCMI), « Data collection study on the impact of private equity, hedge and sovereign funds on industrial change in Europe », disponible sur le site www.eesc.europa.eu.

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142.- Le marché ne peut corriger ses propres erreurs que si les parties contractantes ont un même niveau d’information. Ce n’est souvent pas le cas, en particulier dans la sphère financière. Les sociétés détiennent souvent plus d’informations sur leurs perspectives futures que les investisseurs. Même si une société a intérêt à volontairement révéler certaines informations afin de rassurer ses investisseurs, elle ne le fera en réalité seulement si trois conditions sont remplies198 : 1) les investisseurs savent que les sociétés ont cette information, 2) la société ne peut pas mentir et 3) divulguer cette information ne coûte rien. Bien souvent, une des conditions n’est pas remplie.

143.- L’industrie du private equity et, en particulier, l’industrie du LBO, a été fortement critiquée en raison de son manque de transparence. Des études ont démontré que la présentation des performances passées pouvait être trompeuse199. Ce débat concerne plus particulièrement les méthodes de valorisation utilisées par les fonds de private equity de leurs investissements non réalisés. Les gestionnaires de fonds procèdent à de telles évaluations dans l’optique de pouvoir lever un nouveau fonds, sans attendre que le précédent soit définitivement clôt et que tous les participations aient été cédées. Or, comme évoqué précédemment, ces résultats conditionnent les levées de fonds futures et donc la concurrence entre les fonds, à l’origine de l’augmentation des prix. Un manque de transparence en la matière a donc un effet direct sur la formation des bulles.

144.- La directive concernant les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, connue sous son acronyme anglais "AIFM" pour Alternative Investment Fund Managers, adoptée par le Parlement européen en novembre 2010 et entrée en vigueur le 21 juillet 2011, a permis de régler en partie cette difficulté. La directive a modifié profondément la réglementation applicable à l’industrie européenne de la gestion de fonds d’investissement alternatifs. Cette directive a pour but d’encadrer l’ensemble des fonds d’investissement alternatifs commercialisés en Europe par un corps de règles commun qui permet leur développement dans un cadre mieux sécurisé ainsi que le renforcement de la protection des investisseurs.

145.- Elle soumet les fonds de private equity et les hedge funds à des obligations de transparence, en ce qui concerne la rémunération des dirigeants de fonds et les perspectives futures de leurs sociétés en portefeuille en termes d’activité et d’emplois. [La directive n’a pas introduit de limites de niveau de levier mais a rappelé à nombreuses reprises que ce niveau doit être contrôlable200.]

146.- Par ailleurs, la complexité du système juridique empêche les investisseurs de comprendre la réalité du risque. Les primes de risque demandées par les investisseurs ont été fixées à des niveaux trop faibles. En ce sens, une amélioration de la qualité de la régulation devrait permettre à ces derniers de mieux comprendre la réalité du risque qu’ils encourent.

2°) Mieux lutter contre les risques d’aléa moral

198 S. Grossman « the Information Role of Warranties and Private Disclosure About Product Quality », 1981, Journal of Law and Economics,XXIV: 461-88.

199 Ainsi, plusieurs études académiques ont mis en évidence aux Etats-Unis que le rendement des investisseurs net des commissions versées aux sociétés de gestion, était inférieurs à celles du S&P500 et ce alors que compte tenu du caractère illiquide des investissements réalisés dans des fonds de LBO, les performances devraient être supérieures. Cf Rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J.Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid.

200 « Private Equity in the U.K.: Building a New Future” by Mike Wright, Center for Management Buy-out Research and EMLyon, and Andrew Jackson and Steve Frobisher, PAConsulting Group Limited and Center for Management Buy-out Research / Journal of applied corportate governance. VOLUME 22 | NUMBER 4 | FALL 2010 p 86.

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147.- Il existe deux risques d’aléas moraux  liés proprement dit à l’industrie du private equity : la structure de la rémunération des gestionnaires de fonds et la possibilité pour les banques de créer du crédit et de ne pas le conserver dans son bilan.

148.- Comme nous l’avons vu précédemment, le niveau de l’effet de levier dans les opérations de LBOs est davantage établi en fonction des conditions macro-économiques et de la concurrence entre les fonds. L’augmentation de la dette conduit à une augmentation des prix. La recherche a mis en évidence que les effets pervers liés au phénomène de « money chasing » sont davantage liés à la structure de la rémunération de la société de gestion des fonds et à la durée de vie limitée des fonds201. Les sociétés de gestion perçoivent en effet un « carry interest », c'est-à-dire en principe 20% de la plus-value réalisée par les investisseurs à la clôture du fonds, au-dessus d’un certain seuil. Le carry interest a la forme d’un instrument optionnel. Son bénéficiaire n’est intéressé qu’aux bénéficies, mais ne supportent pas inversement les pertes.

149.- Certes, les dirigeants de la société de gestion ont généralement investi dans le fonds. L’usage veut que les investisseurs les obligent entre 1% et 5% de la totalité des fonds levés, et ce afin de limiter le risque d’aléa moral202. Néanmoins, le développement des managements fees a entraîné d’importants problèmes d’aléas moraux, car les actionnaires de la société de gestion peuvent percevoir des rémunérations, et ce même si le fond ne fait pas de profits. Par rapport aux dirigeants de la société opérationnelles, qui investissement en proportion en général entre [-] et [-]%, ils sont donc moins exposés à subir financièrement les conséquences d’une moins-value lorsque celle-ci est réalisée. Cette rémunération sous forme d’options incite donc les sociétés de gestion à réaliser des opérations de recapitalisation agressives [surtout, lorsqu’ils ont pu externaliser des pertes sur d’autres participations]. [A ce jour, les modalités de rémunération des gestionnaires ne font pas l’objet d’encadrements particuliers si ce n’est une obligation de transparence importante et une évolution de la réglementation fiscale à cet égard.]

150.- La réglementation Bâle III a eu pour objectif de corriger notamment les problèmes d’aléa moral lié au modèle « originate to distribute »203. Comme le Dodd-Frank Act, l’objectif est de limiter la capacité des établissements bancaires à originer sans fin des prêts dans lesquels ils ne conservent aucune portion dans leur bilan.

3°) Mieux lutter contre les opérations exclusivement dictées par les considérations fiscales

151.- Des opérations de LBO réalisées uniquement à des fins fiscales sont contestables. La difficulté est de déterminer les opérations réalisées à des fins fiscales des autres. Le gouvernement actuel prévoit de limiter la déductibilité de la dette au-dessus du seuil de 3 millions d’euros d’intérêts [ref].

201 U. Axelson, T. Jenkinson, P. Strömberg et M. Weisbach,: « Borrow Cheap, Buy High? Determinants of Leverage and Pricing in Buyouts » ibid.

202 Le règlement du fonds peut permettre par ailleurs à la société de gestion de moduler sa participation en fonction des différents projets d’investissement. Ce « cherry picking » est susceptible de créer des conflits d’intérêts entre la société de gestion et les investisseurs du fonds. Les modalités de calcul des honoraires fixes de la société de gestion, établies en fonction d’un pourcentage des sommes investis dans le fonds, ont pu être jugées trop généreuses. La société de gestion perçoit des honoraires que le fonds connaisse ou non un succès. Cela va à l’encontre du principe selon lequel seul un alignement d’intérêt permet de créer de la valeur.

203 [-].

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152.- Dans son rapport le Conseil d’analyse économique avait suggéré de limiter le nombre de LBO par entreprise pouvant bénéficier de la déductibilité des intérêts de la dette d’acquisition (à deux ou trois par exemple) ou imposer une durée minimum à chaque LBO (30 mois de détention sans opération de recapitalisation, par exemple).

4°) Mieux exercer la politique monétaire

153.- Dans la majorité des pays développés, la décennie 2000 a été marquée par la forte progression de l’endettement cumulé des agents économiques publics et privés, mesuré en proportion du PIB. Cette évolution, qui traduit une augmentation tendancielle de la quantité de capital nécessaire pour produire une quantité de richesse donnée, est caractéristique d’une insuffisance de rentabilité du capital. Cette insuffisance peut s’expliquer par la résultante de plusieurs facteurs telle que les politiques monétaires accommodantes qui ont eu pour effet de stimuler la création monétaire, et en conséquence le financement d’investissements peu rentables.

5°) Forcer les banques à passer plus rapidement leurs provisions

154.- La difficulté des établissements bancaires à prendre leurs pertes en Europe a pu être vécue comme un frein au règlement de la crise. Contrairement aux Etats-Unis, [les différents régulateurs en Europe n’ont pas la capacité de forcer les banques à passer leurs provisions]. [A compléter].

CONCLUSION

155.- Les trois prochaines années seront marquées en France par une augmentation des coûts de détresse supportés par les sociétés sous LBO (et indirectement par la collectivité) liés à un excès d’endettement difficilement maîtrisable par les parties prenantes. Une proportion significative de ces coûts, certes difficilement quantifiable, sera imputable aux défauts du droit des entreprises en difficulté. Ces coûts seront probablement, en proportion, supérieurs à ceux supportés par les pays voisins, en particulier les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et ce en dépit d’une réglementation en France plus contraignante pour l’industrie du LBO.

156.- La procédure collective en France ayant un effet repoussoir, le nombre élevé de résolution des difficultés « à l’amiable » ne devra pas être utilisé comme un indicateur de bonne santé de l’industrie du LBO. Le maintien prolongé des sociétés en situation de détresse financière en raison de l’incapacité de notre droit à respecter les accords contractuels de départ entraînera des destructions importantes de valeur, lourdes d’handicaps pour les sociétés appartenant à des secteurs très concurrentiels, dans lesquels des investissements importants doivent être réalisés pour maintenir leur compétitivité.

157.- Les défauts de notre réglementation accroissent également le coût de certaines opérations de LBOs de taille relative dont l’intérêt a pu davantage être mis en évidence par la recherche 204. De plus, les défauts de notre système juridique ont empêché l’industrie du LBO d’opérer sa mutation vers le conseil plus opérationnel. Celle-ci reste essentiellement axée sur l’ingénierie financière dont le potentiel, en termes de création de valeur, semble plus limité dans un environnement de plus en plus

204 V. D. Sraer, Q. Boucly et D. Thesmar « Growth LBOs », ibid.

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difficile. Dans un contexte de mondialisation croissant, les sociétés n’attendent plus les fonds LBO pour se restructurer.

158.- Cette situation appelle une modification significative de la réglementation encadrant les opérations de LBO, en intégrant les enseignements de la théorie économique.

159.- De ce point de vue, une rupture est nécessaire en France afin de réconcilier droit et économie. En 2008, le Conseil d’analyse économique mettait en avant le risque d’excès d’endettement et les effets de cycle de l’industrie du LBO205. Nulle mention cependant des spécificités du système juridique français et européen en dépit des trois cent pages consacrées au sujet.  Ce constat est révélateur des limites – naturelles – de la démarche intellectuelle des économistes, comme celle des investisseurs d’ailleurs, lorsque le système juridique, comme celui de la France (et des autres pays européens), est devenu exagérément complexe par l’accumulation des réglementations et, de fait, incompréhensibles pour les non spécialistes.

160.- Certes, l’augmentation du nombre de réglementations est inhérente à la modernisation de notre société206. Il est cependant bien connu que les juristes ont un goût prononcé pour la complexité car elle peut leur donner le sentiment qu’ils réalisent un travail d’artiste. Néanmoins, la complexité accroît le coût de l’accès à l’information. Plus un système juridique est dense, plus les règles auront une tendance à se recouper et donc à se retrouver en conflit avec l’objectif poursuivi par le législateur. La complexité juridique a non seulement un coût pour ceux qui souhaitent contourner la règle mais aussi pour ceux qui souhaitent la comprendre avant de prendre une décision d’investissement. Les agents économiques assujettis à la loi doivent investir davantage pour comprendre ce qu’elle veut dire, quand et comment elle s’applique, afin de déterminer s’il faut l’appliquer ou engager des moyens pour la contourner. Parallèlement, les juges doivent allouer plus de ressources pour comprendre et faire appliquer les règles, voire même les violer lorsqu’elles perdent leur sens. Ce fut le cas lors de la restructuration d’Eurotunnel mais aussi de Technicolor207. Eviter la complexité juridique dans le monde des affaires nécessite de limiter les incertitudes juridiques mais surtout ériger des réglementations dont la raison d’être est justifiée au regard des enseignements de la théorie économique. A défaut, ces réglementations ont un coût très important pour la collectivité.

161.- Souvent, l’ignorance de certaines lois des politiques et des économistes les amène à conclure que le marché a échoué et qu’il faut donc prendre – dans l’urgence sous la pression médiatique – les mesures supplémentaires qui s’imposent208. Les dommages causés aux tiers peuvent cependant être parfois le résultat, non pas des effets du marché, mais de l’application des règlementations

205 Rapport du Conseil d’analyse économique sous la direction de J. Glachant, J.-H. Lorenzi et P. Trainar ibid.

206 Notre société s’est enrichie de manière spectaculaire au cours du siècle dernier. L’accroissement du poids de la réglementation dans nos vies, est un trait propre à tous les pays riches. Comme le souligne Andrei Shleifer, l’inflation normative transcende les normes en les cultures, les traditions juridiques, le degré de démocratisation d’un pays à l’autre et tous les autres facteurs qui expliquent les différences entre les pays riches. L’intérêt et les limites de la réglementation est sujet à controverse, particulièrement dans les milieux d’affaires et financiers. Le débat entre les « pro-régulation » et les « anti-régulation », trop souvent présenté de manière manichéenne par le politique et les médias, s’articule en des termes différents selon les pays concernés. Le degré d’acceptation de la norme est une manifestation éminente de la culture d’un pays. V. A. Shleifer « Efficient Regulation » January 2010, working paper, disponible sur www.ssrn.com

207 V. également, L. Kaplow « A Model of the Optimal Complexity of Legal Rules ». Journal of Law, Economics, & Organization, Vol. 11, No. 1. (Apr., 1995).

208 V. à cet égard L. Zingales « The Costs and Benefits of Financial Market Regulation » (2004) working paper, disponible sur www.ssrn.com.

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préexistantes, comme par exemple le droit des entreprises en difficultés. Dans ces conditions, réguler « dans le noir »209, sans préalablement mesurer l’impact de ces réglementations, est coûteux pour l’économie en général.

162.- On s’émeut aujourd’hui en France de la « production normative mal maîtrisée210 » qui porte préjudice à la qualité de la règle de droit. Nous produisons même désormais des lois sur la simplification du droit211. L’administration est invitée solennellement à faire davantage d’études d’impact afin d’anticiper la portée de l’action publique212. Les causes profondes de cette inflation législative fait peu débat en France, encore moins la recherche de véritables solutions. Lorsqu’une situation dommageable appelle une réponse du législateur, il est toujours très important de pouvoir distinguer, dans les faits, ce qui relève de l’ordre naturel des choses de ce qui résulte d’une réglementation existante qui n’est pas ou plus adaptée. Faute de réaliser cet exercice, on assiste à un empilement des réglementations, aux effets induits de plus en plus pervers. Les institutions européennes ont une part de responsabilité dans l’accumulation des normes. Elles ont été autorisées à harmoniser partiellement le droit des sociétés alors que cela n’était pas forcément nécessaire. Inversement, elles n’ont pas pu, jusqu’à présent, harmoniser le droit des entreprises en difficulté alors que ce chantier apparaît bien plus prioritaire213.

163.- Les universitaires, économistes, comme juristes, ont un rôle important à jouer dans notre société et en particulier dans le milieu des affaires. Ils doivent œuvrer pour rendre notre système juridique efficient, au service du financement de l’économie et pas des intérêts catégoriels particuliers. Dans une démocratie, les réformes ne peuvent être réalisées que si le politique arrive à convaincre la population qu’elles sont nécessaires. Ces réformes pourront mieux être acceptées par les électeurs si elles reposent sur un raisonnement économique et des faits précis concordants, fournis par les économistes, attestant leur bienfondé. Les juristes ont également un rôle important à double titre. Non seulement, ils doivent rappeler aux économistes l’état de la réglementation actuelle afin que ces derniers ne considèrent pas une situation insatisfaisante comme relevant de l’ordre naturel des choses. Par le choix d’un vocabulaire approprié, les juristes doivent aussi contribuer à rendre la règle suffisamment claire, adapté au contexte environnant, et précise afin de limiter l’insécurité juridique.

164.- Lorsque cette mécanique fait défaut dans un pays comme la France où le dialogue entre économistes et juristes est devenu quasiment nul, l’action publique perd en crédibilité. Une fois que le système juridique atteint un trop grand niveau de complexité, il devient plus coûteux et compliqué à administrer. Il est alors plus difficile pour le législateur à réformer une fois mis en place. Malheureusement, nous assistons dans le domaine du traitement des défaillances d’entreprises à une

209 V. à cet égard R. Romano « Regulating in the Dark » Yale Law School, NBER and ECGI 2012, disponible sur www.ssrn.com. Les règles qui constituent le socle de la réglementation financière sont généralement adoptées au milieu ou après une crise financière, à un moment où les parties prenantes n’ont pas encore une bonne compréhension des causes de la crise.

210 Lettre de mission du Premier Ministre, François Fillion, adressée en 2008 au député Warsmann, désigné rapporteur du rapport sur la simplification du droit, disponible sur le portail du gouvernement français à l’adresse suivante : www.gouvernement.fr.

211 V. par exemple, loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives.

212 Rapport Warsmann sur la simplification du droit, ibid.

213 S. Vermeille « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l’inadaptation du droit français à l’évolution de l’économie et de la finance ».

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telle impasse. Une nouvelle réforme nous est proposée tous les dix-huit mois, la dernière réforme introduisant la sauvegarde financière accélérée n’a jamais encore été utilisée. Le nouveau gouvernement annonce une nouvelle réforme. Espérons qu’à situation exceptionnelle, des mesures courageuses en profondeur puissent être enfin prises.

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