HomÇlies 1998 - franáais

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1 er janvier 1998 Dans la matinée du jeudi 1er janvier 1998, solennité de la Très Sainte Mère de Dieu et XXXIe Journée mondiale de la Paix, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, il a prononcé l'homélie suivante : 1. « Quand vint la plénitude du temps ... » (cf. Gal 4, 4). Ces paroles de la lettre de saint Paul aux Galates correspondent parfaitement au caractère de la célébration d'aujourd'hui. Nous sommes au début de l'Année nouvelle. Selon le calendrier civil, c'est aujourd'hui le premier jour de l'Année 1998 ; selon le calendrier liturgique, nous célébrons la solennité de la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu. A partir de la tradition chrétienne, s'est diffusé dans le monde l'usage de compter les années depuis la naissance du Christ. En ce jour, la dimension laïque et ecclésiale se rencontrent donc en une fête. Tandis que 1

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1er janvier 1998

Dans la matinée du jeudi 1er janvier 1998, solennité de la Très Sainte Mère de Dieu et XXXIe Journée mondiale de la Paix, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, il a prononcé l'homélie suivante :

1. « Quand vint la plénitude du temps... » (cf. Gal 4, 4). Ces paroles de la lettre de saint Paul aux Galates correspondent parfaitement au caractère de la célébration d'aujourd'hui. Nous sommes au début de l'Année nouvelle. Selon le calendrier civil, c'est aujourd'hui le premier jour de l'Année 1998 ; selon le calendrier liturgique, nous célébrons la solennité de la Très Sainte Vierge, Mère de Dieu.

A partir de la tradition chrétienne, s'est diffusé dans le monde l'usage de compter les années depuis la naissance du Christ. En ce jour, la dimension laïque et ecclésiale se rencontrent donc en une fête. Tandis que l'Église célèbre l'Octave du Noël du Seigneur, le monde civil fête le premier jour d'une nouvelle année solaire. Précisément ainsi, d'année en année, se manifeste progressivement cette « plénitude du temps » dont parle l'Apôtre : il s'agit d'une période qui avance au cours des siècles et des millénaires de façon progressive et qui aura son accomplissement définitif à la fin du monde.

2. Nous célébrons l'Octave du Noël du Seigneur. Pendant huit jours nous avons revécu dans la liturgie le grand événement de la

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naissance de Jésus, en suivant le récit qui nous est offert par les Évangiles. Aujourd'hui, saint Luc nous repropose la scène de Noël à Bethléem dans ses traits essentiels. En effet, le récit d'aujourd'hui est plus synthétique que celui qui a été proclamé lors de la nuit de Noël’ Il confirme et, d'une certaine façon, complète le texte de l'Épître aux Galates. L'Apôtre écrit : « ...quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme..., afin de nous conférer l'adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! Aussi n'es-tu plus esclave mais fils ; fils, et donc héritier de par Dieu » (Gal 4, 4-7).

Ce texte merveilleux de saint Paul exprime parfaitement ce que l'on peut définir comme « la théologie du Noël du Seigneur ». C'est une théologie semblable à celle proposée par l'évangéliste Jean qui, dans le Prologue du quatrième Évangile, écrit : « Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous... à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 14.12). Saint Paul exprime la même vérité mais, nous pouvons dire que d'une certaine façon il la complète. Telle est la grande annonce qui retentit dans la liturgie d'aujourd'hui : l'homme devient fils adoptif de Dieu grâce à la naissance de ce même Fils de Dieu. L'homme reçoit cette filiation par l’œuvre de l'Esprit Saint. l'Esprit du Fils., que Dieu a envoyé dans nos cœurs. C'est grâce au don de l'Esprit Saint. que. nous pouvons dire : Abba, Père ! Saint Paul cherche ainsi à expliquer en quoi consiste et comment s'exprime notre filiation adoptive par rapport à Dieu.

3. Aidés par saint Paul et par l'Apôtre Jean dans notre réflexion théologique sur le Noël du Seigneur, nous comprenons mieux pourquoi nous avons l'habitude de compter les années à partir de la naissance du Christ. L'histoire s'articule en siècles et en millénaires « avant » et « après » le Christ, car l'événement de Bethléem représente la mesure fondamentale du temps humain. La naissance de Jésus est le centre du temps. La Nuit Sainte est devenue le point

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de référence essentiel pour les années, les siècles et les millénaires aux cours desquels s'accomplit l'action salvifique de Dieu.

La venue du Christ dans le monde est importante du point de vue de l'histoire de l'homme, mais elle est encore plus importante du point de vue du salut de l'homme. Jésus de Nazareth a accepté de se soumettre à la limitation du temps et il l'a ouvert une fois pour toutes à la perspective de l'éternité. A travers sa vie, et particulièrement à travers sa mort et sa résurrection,.le Christ a révélé sans équivoque que l'homme n'est pas une existence « orientée vers la mort » et destinée à prendre fin en elle. L'homme existe non pas « pour la mort », mais « pour l'immortalité ». Grâce à la liturgie d'aujourd'hui, cette vérité fondamentale sur le destin éternel de l'homme est reproposée au début de chaque Année nouvelle. Ainsi, la valeur et la juste dimension de chaque époque sont mises en lumière, ainsi que celles du temps qui s'écoule de façon inexorable.

4. Dans cette perspective de la valeur et du sens du temps humain, sur laquelle se projette la lumière de la foi, l'Église place le début de la nouvelle Année sous le signe de la prière pour la paix. Alors que je souhaite que toute l'humanité puisse marcher de façon plus décidée et unanime sur les voies de la justice et de la réconciliation, je suis heureux de saluer MM. les Ambassadeurs près le Saint-Siège présents à cette célébration solennelle. J'adresse une pensée cordiale au cher Card. Roger Etchegaray, Président du Conseil pontifical « Justice et Paix », ainsi qu'à tous les collaborateurs de ce dicastère, à qui est confiée la tâche spécifique de témoigner de la préoccupation du Pape et du Siège apostolique face aux différentes situations de conflit et de guerre, ainsi que de la sollicitude constante que l'Église nourrit pour la construction d'un monde plus juste et fraternel’

Dans le Message pour la Journée mondiale de la Paix de cette année, j'ai voulu m'arrêter sur un thème qui m'est particulièrement cher : le lien étroit qui unit. la. promotion de la justice et la construction de la paix. En effet,. comme l'exprime le thème choisi

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pour cette journée. « De la justice de chacun naît la paix pour tous ». En m'adressant aux chefs d'État et à toutes les personnes de bonne volonté, j'ai souligné la façon dont la recherche de la paix ne peut faire abstraction de l'engagement pour l'accomplissement de la justice. Il s'agit d'une responsabilité à laquelle personne ne peut se soustraire. « Justice et paix ne sont pas des concepts abstraits ou des idéaux lointains ; ce sont des valeurs inscrites, comme un patrimoine commun, dans le cœur de chaque personne. Individus, familles, communautés, nations, tous sont appelés à vivre dans la justice et à œuvrer pour la paix. Personne ne peut se dispenser de cette responsabilité » (n. 1). Que la Très Sainte Vierge, que nous invoquons en ce premier jour de l'année sous le titre de « Mère de Dieu », pose son regard plein d'amour sur le monde entier. Grâce à son intercession maternelle que les hommes de tous les continents puissent se sentir davantage frères et ouvrir leur cœur à l'accueil de son Fils Jésus. Le Christ est la paix authentique qui réconcilie l'homme avec l'homme et toute l'humanité avec Dieu.

5. « Que Dieu nous bénisse par la lumière de son visage » (Psaume responsorial). L'histoire du salut est rythmée par la bénédiction de Dieu sur la création, sur. l'humanité,. sur. le. peuple. des croyants. Cette bénédiction est sans cesse reprise et confirmée dans l'accomplissement des événements salvifiques. Dès le Livre de la Genèse nous voyons comment Dieu, à mesure que se succèdent les jours de la création, bénit tout ce qu'il a créé. Il bénit de façon particulière l'homme fait à sa propre image et ressemblance (cf. Gn 1, 1-2, 4).

Aujourd'hui, premier jour de l'année, la liturgie renouvelle d'une certaine façon la bénédiction du Créateur qui marque dès le début l'histoire de l'homme, en reprenant les paroles de Moïse : « Que Yahvé te bénisse et te garde ! Que Yahvé fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce ! Que Yahvé te découvre sa face et t'apporte la paix » (Nb 6, 24-26).

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C'est une bénédiction pour l'année qui commence ainsi que pour nous, qui nous apprêtons à vivre une autre période de temps, don précieux de Dieu. L'Église, en s'identifiant presque avec la main providentielle de Dieu le Père, inaugure cette nouvelle Année par une bénédiction spéciale, adressée à chaque personne. Elle nous dit : Que le Seigneur te bénisse et te garde !

Oui, que Dieu comble nos jours de fruits de bien. Qu'il accorde au monde entier de vivre dans la justice et dans la paix !

Amen !

6 janvier 1998

Dans la matinée du mardi 6 janvier 1998, solennité de l'Épiphanie du Seigneur, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique solennelle dans la basilique vaticane, au cours de laquelle il a conféré l'ordination épiscopale à neuf prêtres. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père prononçait l'homélie suivante :

1. » Surge, illuminare Ierusalem, quia venit lumen tuum » (Is 60, 1).

Jérusalem, accueilles la Lumière ! Accueilles Celui qui est la Lumière : « Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière... Engendré, non pas créé, de même nature que le Père, par lui tout a été fait. Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel’ Par l'Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s'est fait homme » (Credo). Jérusalem, accueilles cette Lumière !

Cette « lumière luit dans les ténèbres » (Jn 1, 5) et les hommes la voient déjà de loin. Voilà, ils sont partis pour un voyage. En suivant l'étoile, ils vont vers cette Lumière, qui s'est manifestée dans le Christ. Ils marchent, ils cherchent la route, ils la demandent. Ils arrivent à la cour d'Hérode. Ils demandent où est né le roi des Juifs : « Nous avons vu son astre et sommes venus lui rendre hommage » (Mt 2, 2).

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2. Jérusalem, protège ta Lumière ! Celui qui est né à Bethléem est en danger. Hérode, ayant entendu qu'un roi était né, pense immédiatement à la façon d'éliminer celui qu'il considère comme un concurrent au trône. Mais Jésus est sauvé de cette menace et s'enfuit avec sa famille en Égypte, loin de la main meurtrière du roi. Il reviendra ensuite à Nazareth et, à trente ans, il commencera à enseigner. Alors, tous sauront que la Lumière est venue dans le monde et l'on verra également que « les siens ne l'ont pas accueilli » (Jn 1, 11).

Jérusalem, tu n'a pas défendu la Lumière du monde. Tu as préparé au Christ une mort ignominieuse. Il a été crucifié, puis décroché de la croix et déposé dans la tombe. Après le coucher du soleil, le patibulum crucis est resté sur le Golgotha. Jérusalem, tu n'as pas défendu ta Lumière. « La lumière luit dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l'ont pas saisie » (Jn 1, 5). Mais voilà cependant que le troisième jour, le Christ est ressuscité ! Les ténèbres de la mort ne l'ont pas retenu.

Surge, illuminare Ierusalem. Jérusalem, tu nais avec Celui qui est revenu du sépulcre. Accueilles le Roi ressuscité, qui est venu annoncer le Royaume de Dieu et qui l'a fondé sur la terre de façon admirable !

3. Jérusalem, partage ta Lumière ! Partage avec tous les hommes cette Lumière qui luit dans les ténèbres. Adresse cette invitation à tous ; sois pour toute l'humanité l'étoile qui lui indique la route vers un nouveau millénaire chrétien, comme elle guida autrefois les trois Rois Mages d'Orient vers la cabane de Bethléem. Invite toutes les personnes, afin que « les nations [marchent] à ta lumière et les rois à ta clarté naissante » (Is 60, 3). Partage la lumière ! Cette lumière qui brilla en toi, partage-la avec tous les hommes, avec toutes les nations de la terre.

Très chers frères qui recevez aujourd'hui l'ordination épiscopale, c'est dans cette perspective que je m'adresse à vous :

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soyez des ministres fidèles de la nouvelle évangélisation, qui diffuse la lumière du Christ dans le monde.

Toi, Mgr Mario Francesco Pompedda, qui es au service du Saint-Siège depuis tant d'années, continue à accomplir avec cette compétence qui te caractérise la tâche de Doyen du Tribunal de la Rote romaine, en te consacrant avec un esprit pastoral à l'application de la justice canonique.

Toi, Mgr Marco Dino Brogi, assume avec confiance tes nouveaux devoirs de Nonce apostolique et de Délégué apostolique, respectivement au Soudan et en Somalie et sois le témoin de la sollicitude du Pape envers ces Églises qui, non sans difficultés et angoisses, annoncent le Christ et son Évangile.

C'est à toi, Mgr. Peter. Kwaku Atuahene qu'est confiée la mission d'apporter la lumière du Christ dans le diocèse ghanais de Goaso, dont tu es le premier Évêque.

Toi, Mgr Filippo Strofaldi, tu l'apporteras pour ta part dans le diocèse italien d'Ischia.

Et toi, Mgr Wiktor Skworc, tu la diffuseras dans celui de Tarnów, en Pologne.

L'Église t'appelle, Mgr Franco Dalla Valle, à diffuser la lumière de l'Évangile en tant que premier Évêque de Juína, au Brésil’

Quant à toi, Mgr Angelito R. Lampon, elle t'invite à accomplir ta vocation missionnaire à Jolo, aux Philippines, comme successeur de ton confrère, le regretté Mgr Benjamin de Jésus, sauvagement assassiné, il y a onze mois, près de la cathédrale.

Toi, Mgr Tomislav Koljatic Maroevic, tu collaboreras à la mission pastorale de l'Archevêque de Concepción, au Chili, comme son Auxiliaire.

Et toi, Mgr Francesco Saverio Salerno, en tant que Secrétaire de la Préfecture des Affaires économiques du Saint-Siège, tu

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poursuivras ton travail au service du Siège apostolique dans le domaine administratif.

Très chers amis, j'embrasse chacun de vous affectueusement, en vous assurant de mon souvenir dans la prière et en vous donnant une bénédiction spéciale ; puisse-t-elle toujours vous accompagner dans votre service ecclésial’

4. Jérusalem, voici venu le jour de ton épiphanie ! Les Rois Mages d'Orient, qui les premiers ont reconnu ta Lumière, t'offrent, à toi, le Rédempteur du monde, leurs dons. Ils les présentent à Toi qui es Dieu, né de Dieu, Lumière, né de la Lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré et non pas créé, de même nature que le Père ; à Toi par qui tout a été fait ; à Toi qui par l'Esprit Saint as pris chair de la Vierge Marie et t'es fait homme.

C'est précisément Toi que les yeux des Rois Mages ont vu. C'est Toi encore que nos yeux voient aujourd'hui, alors qu'ils fixent le « misterium » de la sainte Épiphanie.

« Surge, illuminare Ierusalem, quia venit lumen tuum » (Is 60 1).

Amen !

11 janvier 1998

Dans la matinée du dimanche 11 janvier 1998, le Pape Jean-Paul II a administré, dans la Chapelle Sixtine, le Sacrement du Baptême à dix-neuf nouveau-nés de quatre pays différents. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père prononçait l'homélie suivante :

1. « Tu es mon fils ; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » (Lc 3, 22).

A travers ces paroles, qui ont retenti dans la liturgie d'aujourd'hui, le Père montre son Fils aux hommes et en révèle la mission de consacré de Dieu, de Messie.

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A Noël, nous avons contemplé avec émerveillement et une joie profonde l'apparition de la « grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes » (Tt 2, 11), une grâce qui a pris les traits de l'Enfant Jésus, Fils de Dieu, né homme de la Vierge Marie par l’œuvre de l'Esprit Saint. Et nous avons ensuite découvert les premières manifestations du Christ, « lumière véritable qui éclaire tout homme » (Jn 1, 9), qui a tout d'abord brillé pour les pasteurs au cours de la nuit sainte, puis pour les Rois. Mages,. prémisses. des. peuples appelés à la foi, qui ont suivi la lumière de l'étoile qu'ils avaient aperçue dans. le. ciel’ et. qui. sont.. venus.. à Bethléem pour adorer l'Enfant nouveau-né (cf. Mt 2, 2).

Au Jourdain, en même temps que la manifestation de Jésus, est également offerte la première manifestation de la nature trinitaire de Dieu : Jésus, révélé par le Père comme son Fils bien-aimé, et l'Esprit Saint qui descend et demeure sur lui.

2. Très chers frères et sœurs ! Aujourd'hui j'ai à nouveau la joie d'accueillir plusieurs nouveau-nés, afin de leur administrer le sacrement du Baptême. Cette année, il s'agit de dix petits garçons et de neuf petites filles, originaires d'Italie, du Brésil, du Mexique et de Pologne.

Très chers parents, parrains et marraines, je vous adresse un salut cordial et mes vives félicitations. Vous savez que ce Sacrement, institué par le Christ ressuscité (cf. Mt 28, 18-19) est le premier de l'initiation chrétienne et qu'il constitue comme la porte d'entrée dans la vie de l'Esprit. A travers lui, le baptisé est consacré par le Père dans l'Esprit Saint, à l'image du Christ, Homme nouveau, et il devient membre de l'Église, son Corps mystique.

Le Baptême est appelé « bain de la régénération et de la rénovation en l'Esprit Saint » (Tt 3, 5), naissance de l'eau et de l'Esprit, sans laquelle personne « ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3, 5). Il est également appelé illumination, car ceux qui le reçoivent « sont illuminés dans l'esprit » (Saint Justin, Apologia, I 61, 12 : PG 6, 344).

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« Le Baptême. selon saint Grégoire de Nazianze. est le plus beau et le plus merveilleux des dons de Dieu... Nous l'appelons... don, car il est donné à ceux qui n'apportent rien ; grâce, car il est également accordé aux coupables ; baptême, car le péché est effacé par l'eau ; onction, car il est sacré et royal (et tels sont ceux qui sont oints) ; illumination, car il s'agit d'une lumière fulgurante ; vêtement, car il couvre notre honte ; bain, car il nous lave ; sceau, car il nous préserve et représente le signe de la Seigneurie de Dieu » (Discours, 40, 3-4 : PG 36, 361C).

3. Je pose avec satisfaction mon regard sur ces enfants, auxquels est conféré aujourd'hui le sacrement du Baptême, ici dans la Chapelle Sixtine. Leur appartenance à la communauté chrétienne de différents pays met en lumière l'universalité de l'appel à la foi.

Ils sont, comme le dit encore saint Augustin, « les nouveaux enfants de l'Église ; grâce du Père, fécondité de la Mère, un bourgeon pieux, un nouvel essaim, la fleur de notre cœur... ma joie et ma couronne » (Discours, VIII, 1, 4 : PL 46, 838).

La célébration d'aujourd'hui nous invite tous à repenser aux engagements pris lors du Baptême, à renouveler notre décision de garder toujours vive la flamme de la foi, pour devenir toujours davantage les fils bien-aimés du Père.

C'est en particulier à vous, chers parents, que je m'adresse : avec le soutien de la communauté chrétienne et avec l'aide des parrains et des marraines, vous éduquerez vos enfants à la foi et vous les guiderez sur le chemin vers la plénitude de la maturité chrétienne. Que la Sainte Famille de Nazareth vous assiste toujours dans cette Très-Haute mission.

4. Nous adressons notre invocation à l'Esprit Saint, à qui est consacrée cette deuxième année de préparation au Jubilé de l'An 2000. De même qu'il descendit sur Jésus au fleuve Jourdain, il se pose aujourd'hui sur chacun de ces enfants et il les conduit, grâce à sa lumière et à sa force, à revivre les étapes de la vie du Christ.

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Nous confions ces nouveau-nés et leurs proches à Marie, Sanctuaire de l'Esprit Saint. Qu'ils soient capables d'écouter et de suivre la Parole du Seigneur ; nourris du Pain eucharistique, qu'ils sachent aimer Dieu et leur prochain comme le divin Maître nous l'a enseigné et qu'ils deviennent ainsi les héritiers du Royaume des cieux.

22 janvier 1998

La famille, cellule de base de la société et garantie de sa stabilité

Dans la matinée du jeudi 22 janvier 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une Célébration eucharistique sur le terrain de sport de l'Institut supérieur de Culture physique « Manoel Fajardo » de Santa Clara. Plus de 120,000 fidèles ont participé à la célébration, qui avait pour thème : « Les valeurs chrétiennes de la familles dans la société cubaine ». Après le salut de S.Exc. Mgr Fernando Prego Casal, Évêque de Santa Clara, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. » Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton cœur ! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route » (Dt 6, 6-7). Nous sommes réunis sur le terrain de sport de l'Institut supérieur de Culture physique « Manoel Fajardo », transformé aujourd'hui en un immense temple à ciel ouvert. Au cours de cette rencontre, nous désirons rendre grâce à Dieu pour le grand don de la famille.

Dès la première page de la Bible, l'auteur sacré nous présente cette institution : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27). Dans ce sens, les personnes humaines, dans leur diversité sexuelle sont, comme Dieu lui-même et par sa volonté, source de vie : « Soyez féconds, multipliez » (Gn 1, 28). La famille est donc appelée à coopérer au plan de Dieu et à son œuvre de création à travers l'alliance d'amour sponsal entre l'homme et la femme ; comme nous le dira saint Paul,

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cette alliance est également le signe de l'union du Christ avec son Église (cf. Ep 5, 32).

2. Chers frères et sœurs : je suis heureux de saluer avec une grande affection Mgr Fernando Prego Casal, Évêque de Santa Clara, Messieurs les Cardinaux et les autres évêques, les prêtres et les diacres, les membres des communautés religieuses ainsi que vous tous, fidèles laïcs. Je désire également adresser un salut respectueux aux représentants des Autorités civiles. Mes paroles s'adressent en particulier aux familles ici présentes, qui désirent proclamer leur ferme intention de réaliser dans leur vie le projet salvifique du Seigneur.

3. L'institution familiale à Cuba est dépositaire du riche patrimoine de vertus qui distingue les familles créoles des temps passés, dont les membres s'engagèrent avec tant de force dans les divers domaines de la vie sociale et forgèrent le pays sans reculer devant les sacrifices et l'adversité. Ces familles, solidement fondées sur les principes chrétiens, ainsi que sur leur sens de solidarité familiale et sur le respect pour la vie, furent d'authentiques communautés d'affection réciproque, de joie et de fête, de confiance et de sécurité, et de réconciliation sereine. Elles se distinguèrent également. comme de nombreux foyers aujourd'hui. par leur unité, le profond respect pour les anciens, le sens profond des responsabilités, le respect sincère de l'autorité paternelle et maternelle, la joie et l'optimisme, dans la pauvreté comme dans la richesse, le désir de lutter pour un monde meilleur et surtout la grande foi et la confiance en Dieu.

Aujourd'hui, les familles de Cuba doivent affronter elles aussi les défis que tant d'autres familles dans le monde supportent actuellement. Nombreux sont les membres de ces familles qui ont lutté et consacré leur vie à la conquête d'une existence meilleure, dans laquelle les droits humains fondamentaux sont garantis : travail, nourriture, santé, éducation, sécurité sociale, participation sociale, liberté d'association et liberté de choisir sa vocation. La famille,

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cellule de base de la société et garantie de sa stabilité, ressent toutefois les crises qui peuvent frapper la société elle-même. C'est ce qui arrive lorsque les époux vivent dans des systèmes économiques ou culturels qui, sous l'apparence trompeuse de la liberté et du progrès, promeuvent ou défendent même une mentalité anti-nataliste, poussant de cette façon les conjoints à recourir à des méthodes de contrôle de la natalité qui ne sont pas conformes à la dignité humaine. On en arrive même à l'avortement, qui est toujours, outre un crime abominable (cf. Gaudium et spes, n. 51), un appauvrissement absurde de la personne et de la société elle-même. Face à cela, l'Église enseigne que Dieu a confié aux hommes la mission de transmettre la vie d'une façon digne de l'homme, fruit de la responsabilité et de l'amour entre les conjoints.

La maternité est parfois présentée comme un pas en arrière ou comme une limitation de la liberté de la femme, déformant ainsi sa véritable nature et sa dignité. Les enfants sont présentés non pas comme ce qu'ils sont. un grand don de Dieu., mais comme quelque chose contre lequel il faut se défendre. La situation sociale présente dans ce pays bien-aimé a également entraîné de nombreuses difficultés quant à la stabilité familiale : les carences matérielles,. lorsque les salaires ne sont pas suffisants ou lorsque le pouvoir d'achat est très limité, les insatisfactions d'ordre idéologique, l'attraction exercée par la société de consommation. Ces difficultés, ajoutées à d'autres mesures relatives à l'emploi ou à d'autres domaines, ont engendré un problème qui dure depuis des années à Cuba : la séparation forcée des familles au sein du pays et l'émigration, qui a déchiré des familles entières, semant la douleur dans une grande partie de la population. Les familles font l'expérience pas toujours acceptée et parfois traumatisante de la séparation des enfants et de la substitution du rôle des parents, en raison des études poursuivies loin de la famille lors de l'adolescence, dans des situations qui ont pour triste conséquence la prolifération de la promiscuité, l'appauvrissement éthique, la vulgarité, les rapports pré-matrimoniaux à un jeune âge, et le recours facile à l'avortement.

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Tout cela laisse des marques profondes et négatives sur la jeunesse, qui est appelée à incarner les valeurs morales authentiques pour la consolidation d'une société meilleure.

4. Le chemin permettant de vaincre ces maux n'est autre que Jésus-Christ, sa doctrine et son exemple d'amour total qui nous sauve. Aucune idéologie ne peut remplacer sa sagesse infinie et son pouvoir. C'est pourquoi il est nécessaire de retrouver les valeurs religieuses dans le domaine familial et social, en promouvant la pratique des vertus qui caractérisent les origines de la Nation cubaine, dans le processus d'édification de son avenir « avec tous et pour le bien de tous », comme le demandait José Martí. La famille, l'école et l'Église doivent former une communauté éducative où les fils de Cuba puissent « croître en humanité ». N'ayez pas peur, ouvrez les familles et les écoles aux valeurs de l'Évangile de Jésus-Christ, qui ne représentent un danger pour aucun projet social.

5. » L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :.Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère. » (Mt 2, 13). La Parole révélée nous montre que Jésus a voulu protéger la famille et la préserver de tout danger. C'est pourquoi l'Église, animée et illuminée par l'Esprit Saint, cherche à défendre et à proposer à ses fils et à tous les hommes de bonne volonté la vérité sur les valeurs fondamentales du mariage chrétien et de la famille. De la même façon, elle proclame comme devoir incontournable la sainteté de ce sacrement et ses exigences morales pour sauvegarder la dignité de chaque personne humaine.

Le mariage, avec son caractère d'union exclusive et permanente, est sacré car il trouve son origine en Dieu. En recevant le sacrement du mariage, les chrétiens participent au dessein créateur de Dieu et reçoivent les grâces dont ils ont besoin pour accomplir leur mission, pour éduquer et former les enfants et répondre à l'appel de la sainteté. Il s'agit d'une union qui diffère de tout autre type d'union humaine, car elle est fondée sur le dévouement et sur l'acceptation réciproque des conjoints en vue de devenir « une seule

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chair » (Gn 2, 24), vivant dans une communauté de vie et d'amour dont la vocation est celle d'être un « sanctuaire de la vie » (cf. Évangelium vitae, n. 59). A travers leur union fidèle et persévérante, les conjoints contribuent au bien de l'institution familiale et démontrent que l'homme et la femme ont la capacité de se donner pour toujours l'un à l'autre, sans que ce don volontaire et éternel ne les prive de leur liberté, car dans le mariage, chaque personnalité doit restée inchangée et développer la grande loi de l'amour : se donner l'un à l'autre pour se consacrer ensemble au devoir que Dieu leur confie. Si la personne humaine est le centre de toute institution sociale, alors la famille, premier lieu de socialisation, doit être une communauté de personnes libres et responsables en qui le mariage se réalise comme un projet d'amour qui tend sans cesse vers la perfection, qui apporte vitalité et dynamisme à la société civile.

6. Dans la vie matrimoniale, le service à la vie ne se limite pas à la conception, mais se prolonge dans l'éducation des nouvelles générations. Les parents, ayant donné la vie à leurs enfants, ont le devoir important de les éduquer, et par conséquent, doivent être reconnus comme les premiers et principaux éducateurs de leurs enfants. Ce devoir éducatif est si important que lorsqu'il vient à manquer, il peut difficilement être remplacé (cf. Gravissimum educationis, n. 3). Il s'agit d'un devoir et d'un droit irremplaçable et inaliénable. Il est vrai que dans le domaine éducatif, l'autorité publique a des droits et des devoirs, car elle doit servir le bien commun ; toutefois, cela ne lui confère pas le droit de se substituer aux parents. C'est pourquoi les parents, sans attendre que d'autres les substituent dans ce qui est leur responsabilité, doivent pouvoir choisir pour leurs enfants la méthode pédagogique, les contenus éthiques et civils et l'inspiration religieuse auxquels ils désirent les former de façon intégrale. N'attendez pas que l'on vous donne tout. Assumez votre mission éducative, en cherchant et en créant les espaces et les moyens adaptés dans la société civile.

Il faut en outre offrir aux familles une maison digne et un foyer uni, de façon à ce qu'elles puissent recevoir et transmettre une

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éducation morale et créer un environnement propice pour cultiver les idéaux élevés et pour vivre la foi.

7. Chers frères et surs, chers époux et parents, chers enfants : j'ai voulu rappeler certains aspects essentiels du projet de Dieu sur le mariage et sur la famille pour vous aider à vivre avec générosité et dévouement ce chemin de sainteté auxquels un grand nombre d'entre vous sont appelés. Accueillez avec amour la Parole du Seigneur proclamée au cours de cette Eucharistie. Dans le Psaume responsorial, nous avons écouté : « Heureux tous ceux qui craignent Yahvé et marchent dans ses voies ! [...] Tes fils : des plants d'olivier à l'entour de la table [...] Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint Yahvé » (Ps 127, 1.3.4.).

La vocation à la vie matrimoniale et familiale, inspirée par la Parole de Dieu, selon le modèle de la Sainte Famille de Nazareth, est grande. Bien-aimés Cubains : soyez fidèles à la Parole divine et à ce modèle ! Chers maris et épouses, pères et mères, familles du noble pays de Cuba : conservez dans votre vie ce modèle sublime, aidés par la grâce qui vous a été accordée dans le sacrement du mariage ! Que Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, demeure dans vos foyers domestiques ! Ainsi, les familles catholiques de Cuba contribueront de façon décisive à la grande cause divine du salut de l'homme sur cette terre bénie qu'est votre Patrie et votre Nation. Cuba, prends soin de tes familles afin que ton cœur demeure sain !

Que la Virgen de la Caridad del Cobre, Mère de tous les Cubains, Mère de la Famille de Nazareth, intercède pour toutes les familles de Cuba afin que, renouvelées, vivifiées et aidées dans leurs difficultés, elles vivent dans la sérénité et la paix, elles surmontent les problèmes et les difficultés, et que tous leurs membres obtiennent le salut qui vient de Jésus-Christ, Seigneur de l'histoire et de l'humanité ! A lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen.

Je désire répéter les paroles de votre poète José Martí : dans le processus de construction de son avenir « avec tous et pour le bien de

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tous », la famille, l'école et l'Église doivent former une communauté éducative où les enfants de Cuba puissent « croître en humanité ».

Au terme de la Célébration eucharistique, le Pape s'est adressé aux pèlerins présents à travers les paroles suivantes :

J'ai eu la joie de célébrer la première Sainte Messe à Cuba, ici, à Santa Clara, au cours de laquelle nous étions placés sous le regard de l'image de la « Virgen de la Caridad ». Nous nous sommes réunis comme une grande famille, l'Église, formée par tant de familles qui sont de petites Églises. Dieu est grand et vous savez qu'il est également vôtre. L'image de cette Assemblée est très belle, et sa beauté s'accroît lorsque l'on voit que le lien qui nous unit est la foi. Apportez mon salut à tous et sachez que dans vos foyers domestiques, outre le souvenir de cette belle célébration, il y a l'affection et l'amour du Pape. Saint Joseph, patron des familles et sainte Claire, qui donne son nom à cette ville, seront contents de vous et intercèderont auprès du Seigneur.

Que Dieu vous bénisse tous.

23 janvier 1998

Dans la matinée du vendredi 23 janvier 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé sur la Place « Ignacio Agramonte », à Camag üey, une célébration eucharistique ayant pour thème : « Les jeunes, promoteurs des valeurs humaines à la lumière du message évangélique ». Au début de la Sainte Messe, à laquelle participaient des milliers de jeunes Cubains, l'Évêque de Camagüey, S.Exc. Mgr Adolfo Rodríguez Herrara, a adressé un salut au Saint-Père. Au terme de la célébration, Jean-Paul II a béni les Croix que les jeunes Cubains avaient apportées. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père au cours de la cérémonie :

« Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21). Les jeunes Cubains se réunissent aujourd'hui autour du Pape pour célébrer leur foi et écouter la Parole de Dieu, qui est le chemin pour se soustraire aux forces du mal et aux ténèbres et

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se revêtir ainsi des armes de la lumière pour faire le bien. C'est pourquoi je suis heureux de vous rencontrer tous sur cette grande place, où se renouvellera sur l'autel le sacrifice de Jésus-Christ. Ce lieu, qui porte le nom d'Ignacio Agramonte, « El Bayardo », nous rappelle un héros aimé de tous qui, mu par la foi chrétienne, incarna les valeurs qui caractérisent les hommes et les femmes de bonne volonté : la rectitude, l'authenticité, la fidélité, l'amour pour la justice. Il fut un bon mari et un bon père de famille, un bon ami, un défenseur de la dignité humaine face à l'esclavage.

2. Je désire avant tout saluer avec affection Mgr Adolfo Rodriguez Herrera, pasteur de cette Église diocésaine, son Évêque auxiliaire, Mgr Juan García Rodríguez, ainsi que les autres évêques et prêtres présents, qui à travers leur œuvre pastorale animent et conduisent les. jeunes. Cubains. au. Christ,. le Rédempteur, l'ami qui est toujours présent. La rencontre avec Lui conduit à la conversion et à la joie personnelle qui fait s'exclamer, comme les disciples après la résurrection : « Nous avons vu le Seigneur ! » (Jn 20, 24). Je salue également les représentants des Autorités civiles qui ont voulu assister à cette Sainte Messe et je les remercie pour leur collaboration à cette cérémonie, dont les principaux invités sont les jeunes.

Je m'adresse de tout cœur à vous, chers jeunes Cubains, espérance de l'Église et de la patrie, en vous présentant le Christ afin que vous le reconnaissiez et que vous le suiviez en pleine conscience. Il vous donne la vie, vous indique la voie, vous ouvre à la vérité en vous encourageant à marcher ensemble. et. solidairement,. dans. le bonheur et dans la paix, comme membres vivants de son Corps mystique qui est l'Église.

3. « Comment, jeune, garder pur son chemin ? A observer ta parole » (Ps 119, 9). Le Psaume nous apporte la réponse à la question que tout jeune doit se poser pour vivre une vie digne et convenable, propre à sa condition. C'est pourquoi l'unique voie est Jésus. Les dons que vous avez reçus du Seigneur et qui conduisent au dévouement, à l'amour authentique et à la générosité fructifient

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lorsque l'on vit non seulement de ce qui est matériel et temporel, mais « de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). C'est pourquoi, chers jeunes, je vous exhorte à être sensibles à l'amour du Christ, dans la conscience de ce qu'Il a fait pour vous et pour toute l'humanité, pour les hommes et les femmes de tout temps. En vous sentant aimés par Lui, vous pourrez aimer véritablement. En faisant l'expérience d'une communion intime de vie avec Lui, qui est accompagnée de la réception de son Corps, de l'écoute de sa Parole, de la joie de son pardon et de sa miséricorde, vous pourrez l'imiter, menant ainsi, comme l'enseigne le Psalmiste, « une vie pure ».

Que signifie mener une vie pure ? Cela veut dire vivre sa vie selon les normes morales de l'Évangile proposées par l'Église. Aujourd'hui, malheureusement, pour beaucoup, il est facile de tomber dans un relativisme moral et dans un manque d'identité, dont souffrent tant de jeunes, victimes de modèles culturels dépourvus de sens ou d'idéologies qui n'offrent aucune norme morale élevée et précise. Ce relativisme moral engendre l'égoïsme, la division, la marginalisation, la discrimination, la peur et la méfiance envers les autres. De plus, lorsqu'un jeune vit « à sa façon », il idéalise ce qui est étranger, il se laisse séduire par le matérialisme effréné, il perd ses racines et aspire à la fuite. C'est ainsi que le vide produit par ces comportements explique de nombreux maux qui menacent les jeunes : l'alcoolisme, la sexualité mal vécue, la prostitution qui se cache derrière diverses raisons,. et dont les causes ne sont pas toujours uniquement personnelles, les motivations fondées sur le plaisir ou sur des comportements égoïstes, sur l'opportunisme, sur le manque de projet sérieux de vie qui ne laisse aucune place à un mariage stable, ainsi que le refus de toute autorité légitime, le désir de fuir ou d'émigrer, se soustrayant à l'engagement et à la responsabilité pour se réfugier dans un monde faux qui a pour fondements l'aliénation et le déracinement.

Face à cette situation, le jeune chrétien qui aspire à mener « une vie pure », à la foi solide, sait qu'il est appelé et choisi par le Christ pour vivre dans la liberté authentique des fils de Dieu, qui

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comporte de nombreux défis. C'est pourquoi, en accueillant la grâce qu'il reçoit des sacrements, il sait qu'il doit témoigner du Christ à travers son effort constant pour mener une vie droite et fidèle à Lui.

La foi et le comportement moral sont unis. En effet, le don reçu nous conduit à une conversion permanente pour imiter le Christ et recevoir les promesses divines. Les chrétiens, pour respecter les valeurs fondamentales qui caractérisent une vie pure, doivent parfois subir, même de façon héroïque, la marginalisation ou la persécution, car cette option morale est contraire aux comportements du monde. Ce témoignage de la Croix du Christ dans la vie quotidienne constitue également une semence sure et féconde de nouveaux chrétien. Une vie pleinement humaine et engagée aux côtés du Christ a ce prix de générosité et de don.

Chers jeunes, le témoignage chrétien, la « vie digne » aux yeux de Dieu a ce prix. Qui n'est pas prêt à le payer ressentira un vide existentiel et le manque d'un projet digne et assumé de façon responsable avec toutes les conséquences qu'il comporte. L'Église a le devoir d'apporter une formation morale, civile et religieuse qui aide les jeunes Cubains à croître dans les valeurs humaines et chrétiennes, sans peur et en persévérant dans une œuvre d'éducation qui exige le temps, les moyens et les institutions qui sont propres à cette semence de vertu et de spiritualité pour le bien de l'Église et de la nation.

4. « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Mc 10, 17). Dans l'Évangile que nous venons d'écouter, un jeune homme demande à Jésus ce qu'il doit « faire », et le Maître, plein d'amour, lui répond en lui disant ce qu'il doit « être ». Ce jeune prétend avoir respecté les normes et Jésus lui répond qu'il doit tout abandonné et le suivre. Cela radicalise et rend les valeurs authentiques et permet au jeune de se réaliser comme personne et comme chrétien. La clé de cette réalisation est la fidélité, présentée par saint Paul, dans la première lecture, comme une caractéristique de notre identité chrétienne.

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Tel est le chemin de la fidélité tracé par saint Paul : « Celui qui préside, avec diligence [...] Que l'amour fraternel vous lie d'affection entre vous [...] avec la joie de l'espérance [...] avides de donner l'hospitalité [...] Bénissez [...] Pleins d'une égale complaisance pour tous, sans vous complaire dans l'orgueil, attirés plutôt par ce qui est humble, ne vous complaisez pas dans votre propre sagesse. Sans rendre à personne le mal pour le mal [...] ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien ». (Rm. 12, 8-21).. Chers jeunes, croyants ou non-croyants, accueillez l'appel à être vertueux. Cela veut dire que vous devez avoir une force intérieure, avoir une grandeur d'âme, être riches des sentiments les meilleurs, courageux dans la vérité, audacieux dans la liberté, invincibles dans l'espérance. Le bonheur s'obtient à partir du sacrifice. Ne cherchez pas au dehors ce que vous pouvez trouver en vous. N'attendez pas des autres ce dont vous êtes capables et que vous êtes appelés à être et à faire. Ne reportez pas à demain l'édification d'une société nouvelle, dans laquelle les signes les plus nobles ne soient pas frustrés et dans laquelle vous puissiez être les protagonistes de votre histoire.

Rappelez-vous que la personne humaine et le respect pour elle sont la voie vers un monde nouveau. Le monde et l'homme étouffent s'ils ne s'ouvrent pas à Jésus-Christ. Ouvrez-lui votre cœur et commencez ainsi une vie nouvelle qui soit conforme à Dieu et réponde à vos aspirations légitimes de vérité, de bonté et de beauté. Que Cuba éduque ses jeunes dans la vertu et dans la liberté, afin que le pays puisse connaître un avenir de véritable développement humain intégral dans un climat de paix durable !

Chers jeunes catholiques : tout ceci est un programme de vie personnelle et sociale fondé sur la charité, sur l'humilité et sur le sacrifice, qui a comme raison ultime de « servir le Seigneur » ; je vous souhaite de connaître la joie de pouvoir le réaliser. Les efforts qui s'accomplissent déjà dans le secteur de la pastorale des jeunes doivent viser à réaliser ce programme de vie. Pour vous aider, je vous laisse également un Message écrit, dans l'espoir qu'il parvienne

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à tous les jeunes Cubains, qui représentent l'avenir de l'Église et de la patrie. Un avenir qui commence déjà dans le présent et qui sera heureux s'il est fondé sur le développement intégral de chacun, qui ne peut être atteint sans le Christ, en marge du Christ, ou pire encore, contre le Christ. C'est pourquoi, comme je l'ai dit au début de mon Pontificat et comme j'ai voulu le répéter à mon arrivée à Cuba : « N'ayez pas peur d'ouvrir votre cœur au Christ ». Je vous laisse avec une grande affection cette formule et cette exhortation, en vous demandant de les transmettre, avec courage et ardeur apostolique, aux autres jeunes Cubains. Que Dieu tout-puissant et la Très Sainte « Virgen de la Caridad del Cobre » vous aide à répondre généreusement à cet appel !

Au terme de l'homélie, le Pape a ajouté les paroles suivantes :

Nous allons célébrer maintenant le sacrifice du Christ. Le Christ sera présent, le même Christ qui fixa un jour son regard sur un jeune homme et l'aima. C'est ce que chacun et chacune de vous doit vivre aujourd'hui ; le Christ présent qui vous voit et vous aime. Le Christ voit, le Christ sait ce qu'il y a en chacun de nous. Il sait qu'il nous aime. Loué soit Jésus-Christ.

Avant de donner sa Bénédiction, le Pape s'est adressé aux fidèles présents :

Merci beaucoup pour avoir ouvert les portes de vos maisons. Je vous porte tous dans mon cœur et je prie chaque jour pour vous. Merci beaucoup pour être venus ici si nombreux, malgré le soleil brûlant. On le voit, on le sent, le soleil est là ! C'est le soleil de la vie, et ainsi il nous rappelle Jésus-Christ, qui donne la véritable vie et qui la donne en abondance. La célébration d'aujourd'hui a été festive et joyeuse. Les jeunes ont apporté leur joie, leur dynamisme en s'approchant de l'autel du Seigneur, à Dieu qui réjouit la jeunesse. En quittant ce lieu pour rencontrer d'autres frères, reconnaissant pour l'invitation de rester à Camagüey, je désire vous répéter que le Christ voit chacun de vous, qu'il vous voit et qu'il vous aime. C'est

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pourquoi, n'ayez pas peur de lui ouvrir les portes de votre cœur. Que cela soit le programme de la jeunesse cubaine !

24 janvier 1998

Dans la matinée du samedi 24 janvier 1998, le Pape Jean-Paul II a célébré sur la Place « Antonio Maceo » de Santiago de Cuba, une Célébration eucharistique au cours de laquelle la « Virgen de la Caridad del Cobre », Patronne de Cuba, a été couronnée. La Sainte Messe, qui avait pour thème : « La présence de la bienheureuse Vierge Marie dans l'histoire de la nation cubaine », et à laquelle participaient plus de cinq cent mille fidèles, a été introduite par S.Exc. Mgr Pedro Claro Meurice Estíu, Archévêque de Santiago de Cuba. Nous publions cidessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1. « Heureux le peuple dont Yahvé est le Dieu » (Ps 33 [32], 12). Avec le Psalmiste, nous avons chanté que la joie accompagne le peuple dont le Seigneur est Dieu. Il y a plus de cinq cents ans, lorsque la Croix du Christ arriva sur cette île, apportant avec elle le message salvifique, commença un processus qui, nourri par la foi chrétienne, a forgé les traits caractéristiques de cette nation. Parmi ses hommes illustres figurent le soldat qui fut le premier catéchiste et missionnaire de Macaca ; le premier Maître cubain que fut le P. Miguel de Velázquez ; le prêtre Esteban Salas, père de la musique cubaine ; l'éminent habitant de Bayamo Carlos Manuel de Céspedes, Père de la Patrie, qui, prostré aux pieds de la « Virgen de la Caridad », commença sa lutte pour la liberté et l'indépendance de Cuba ; Antonio de la Caridad Maceo y Grajales, dont la statue domine la place qui abrite aujourd'hui notre célébration, et dont sa mère lui demanda devant le crucifix de se consacrer jusqu'au bout à la liberté de Cuba. A côté d'eux, beaucoup d'autres hommes et femmes illustres, mus par leur foi inébranlable en Dieu, choisirent la voie de la liberté et de la justice comme fondement de la dignité de leur peuple.

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2. Je suis heureux de me trouver aujourd'hui dans cet archidiocèse si éminent, qui a compté parmi ses pasteurs saint Antoine María Claret. J'adresse avant tout un salut cordial à Mgr Pedro Meurice Estíu, Archévêque de Santiago de Cuba et Primat de cette nation, ainsi qu'aux autres cardinaux, évêques, prêtres et diacres engagés dans la diffusion du Royaume de Dieu sur cette terre. Je salue en outre les personnes consacrées et tous les fidèles ici présents. Je désire adresser également un salut respectueux au Vice-président du Conseil d'État et au Ministre, M. Raúl Castro, ainsi qu'aux représentants des autres Autorités civiles qui ont voulu participer à cette Sainte Messe, et je les remercie.pour.la coop ération qu'ils ont apportée à son organisation.

3. Au cours de cette célébration, nous couronnerons l'image de la « Virgen de la Caridad del Cobre ». De son sanctuaire, non loin d'ici, la Reine et Mère de tous les Cubains. sans distinction de race, d'opinion politique ou d'idéologie. guide et soutient, comme par le passé, les pas de ses fils sur le chemin vers la Patrie céleste et les encourage à vivre de façon à ce que dans la société règnent toujours les valeurs morales authentiques, qui constituent le riche patrimoine spirituel hérité de leurs ancêtres. Comme le fit sa cousine Élisabeth, nous nous adressons à Elle pour lui dire : « Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45). Ces paroles renferment le secret du véritable bonheur des personnes et des peuples : croire et proclamer que le Seigneur a fait des merveilles pour nous et que sa miséricorde touche tous ceux qui lui sont fidèles, de génération en génération. Cette conviction est la force qui anime les hommes et les femmes qui, même au prix de sacrifices, se dévouent de façon désintéressée au service des autres.

L'exemple de la disponibilité de Marie nous indique la voie à parcourir. Avec elle, l'Église accomplit sa vocation et sa mission, annonçant Jésus-Christ, exhortant à faire ce qu'Il nous dit et construisant également la fraternité universelle dans laquelle chaque homme peut invoquer Dieu comme son Père.

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4. Comme la Vierge Marie, l'Église est la Mère et la Maîtresse à la suite du Christ, lumière pour ses peuples et dispensatrice de la miséricorde divine. En tant que communauté de baptisés, elle est également un lieu de pardon, de paix et de réconciliation ; elle ouvre ses bras à tous les hommes pour leur annoncer le véritable Dieu. En servant la foi des hommes et des femmes de ce pays bien-aimé, l'Église les aide à progresser sur le chemin du bien. Les œuvres d'évangélisation qui ont lieu dans les divers milieux, comme par exemple les missions dans les quartiers et villages sans église, doivent être organisées et promues pour pouvoir se développer. et. servir non seulement les catholiques, mais tout le peuple cubain, afin qu'il connaisse Jésus et qu'il l'aime. L'histoire enseigne que sans foi, la vertu disparaît, les valeurs morales s'obscurcissent, la vérité ne resplendit pas, la vie perd sa signification transcendantale et même le service à la nation cesse d'être animé par les motivations les plus profondes. A ce propos, Antonio Maceo, le grand patriote de la région orientale, disait : « Celui qui n'aime pas Dieu n'aime pas sa patrie ».

L'Église appelle chacun à incarner la foi dans sa vie, en tant que meilleur chemin pour le développement intégral de l'être humain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et pour obtenir la véritable liberté, qui inclut la reconnaissance des droits humains et la justice sociale. A cet égard, les laïcs catholiques, en sauvegardant leur identité pour pouvoir être le « sel et le levain » dans la société dont ils font partie, ont le devoir et le droit de participer au débat public en ayant d'égales chances et dans une attitude de dialogue et de réconciliation. De même, le bien d'une nation doit être promu et recherché par les citoyens eux-mêmes, à travers des moyens pacifiques et progressifs. De cette façon, chaque personne, jouissant de la liberté d'expression, du pouvoir d'initiative et de proposition au sein de la société civile, et de la juste liberté d'association, pourra collaborer de façon efficace à la recherche du bien commun.

L'Église, plongée dans la société, ne recherche aucune forme de pouvoir politique pour accomplir sa mission, mais veut être un

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germe fécond de bien commun à travers sa présence dans les structures sociales. Elle vise en premier lieu à la personne humaine et à la communauté dans laquelle elle vit, sachant que sa première voie est l'homme concret avec ses besoins et ses aspirations. Tout ce que l'Église réclame pour elle, elle le met au service de l'homme et de la société. En effet, le Christ lui a confié le devoir d'apporter son message à tous les peuples, et pour accomplir sa mission, elle a besoin d'un espace de liberté et de moyens suffisants. En défendant sa liberté, l'Église défend celle de chaque personne, des familles, des diverses organisations sociales, réalités vivantes qui ont droit à un domaine propre d'autonomie et de souveraineté (cf. Centesimus annus, n. 45). Dans ce sens, « les chrétiens et les communautés chrétiennes sont profondément intégrés à la vie de leurs peuples, et ils sont des signes évangéliques par la fidélité à leur patrie, à leur peuple, à la culture nationale, tout en gardant la liberté que le Christ leur a acquise [...] L'Église est appelée à rendre son témoignage au Christ en prenant des positions courageuses et prophétiques face à la corruption du pouvoir politique ou économique ; en ne recherchant ni la gloire ni les biens matériels ; en utilisant ce qu'elle possède pour servir les plus pauvres, et en imitant la simplicité de la vie du Christ » (Redemptoris missio, n. 43). Il s'agit d'un enseignement constant et permanent du Magistère social, de ce que l'on appelle la Doctrine sociale de l'Église.

5. En rappelant ces aspects de la mission de l'Église, nous rendons grâce à Dieu, qui nous a appelés à en faire partie. La Vierge Marie occupe une place particulière dans l'Église. Le couronnement de la vénérable image de la « Virgen de la Caridad del Cobre » en est l'expression. L'histoire cubaine est constellée de signes merveilleux d'amour envers sa Patronne, aux pieds de laquelle les figures des humbles natifs, deux indios et un mulâtre, symbolisent la riche pluralité de ce peuple. El Cobre, où se trouve son sanctuaire, fut le premier lieu de Cuba où les esclaves conquirent leur liberté.

Bien-aimés fidèles, n'oubliez jamais les grands événements liés à votre Reine et Mère. Avec le baldaquin de l'autel majeur, Céspedes

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confectionna le drapeau cubain et alla se prosterner aux pieds de la Vierge avant de commencer sa lutte pour la liberté. Les courageux soldats cubains, les mabises, portaient sur la poitrine la médaille et la « mesure » de son image bénie. Le premier acte de Cuba libre eut lieu en 1898 lorsque les troupes du général Calixto García se prosternèrent aux pieds de la « Virgen de la Caridad » lors d'une Messe solennelle pour la « Déclaration mambisa d'indépendance du peuple cubain ». Les divers pèlerinages que l'image a accomplis dans les villages de l'île, témoin des aspirations et des espérances, des joies et des souffrances de tous ses fils, ont toujours été des manifestations de foi et d'amour.

De ce lieu, je désire envoyer mon salut également aux fils de Cuba dans le monde et qui vénèrent la « Virgen de la Caridad » ; avec tous leurs frères qui vivent sur cette belle terre, je les place sous sa protection maternelle, en lui demandant, à Elle, Mère bienveillante de tous, de réunir ses fils au moyen de la réconciliation et de la fraternité.

6. Aujourd'hui, en poursuivant cette glorieuse tradition d'amour envers la Mère commune, avant de procéder à son couronnement, je désire m'adresser à Elle et l'invoquer avec vous tous :

Virgen de la Caridad del Cobre Patronne de Cuba !

Que Dieu te garde, Marie, pleine de grâce !

Tu es la Fille bien-aimée du Père,

La Mère du Christ, notre Dieu,

le Temple vivant de l'Esprit Saint.

Tu portes dans ton nom, Virgen de la Caridad,

la mémoire du Dieu qui est Amour,

le souvenir du nouveau commandement de Jésus,

l'évocation de l'Esprit Saint :

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amour versé dans nos cœurs,

feu de charité envoyé lors de la Pentecôte sur l'Église,

don de la pleine liberté des fils de Dieu.

Tu es bénie entre toutes les femmes

et Jésus, le fruit de tes entrailles, est béni !

Tu es venue visiter notre peuple

et tu as voulu rester parmi nous

comme Mère et Notre-Dame de Cuba,

au cours de son pèlerinage

le long des chemins de l'histoire.

Ton nom et ton image sont gravés

dans l'esprit et dans le cœur de tous les Cubains,

à l'intérieur et à l'extérieur de la patrie,

comme signe d'espérance et centre de communion fraternelle.

Sainte Marie, Mère de Dieu et notre Mère !

Prie pour nous auprès de ton fils Jésus-Christ,

intercède pour nous de ton cœur maternel,

inondé de la charité de l'Esprit.

Approfondis notre foi, ravive l'espérance,

augmente et renforce l'amour en nous.

Soutiens nos familles,

protège les jeunes et les enfants,

réconforte ceux qui souffrent.

Sois la Mère des fidèles et des Pasteurs de l'Église,

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modèle et étoile de la nouvelle évangélisation.

Mère de la Réconciliation !

Réunis ton peuple dispersé dans le monde.

Fais de la nation cubaine une famille de frères et de sœurs

afin que ce peuple ouvre grand

son esprit, son cœur et sa vie au Christ,

unique Sauveur et Rédempteur

qui vit et règne avec le Père et l'Esprit Saint,

pour les siècles des siècles.

Amen.

Au terme de la Sainte Messe, le Saint-Père a annoncé l'érection du nouveau diocèse de Guantánamo-Baracoa :

J'ai eu la joie de célébrer avec vous tous la Sainte Messe sur cette Place dédiée à Antonio Maceo. A travers votre présence ici, vous avez également apporté un témoignage visible de la persévérance et de la croissance de l'Église sur cette belle terre, qui expriment sa riche vitalité. A ce propos, je suis heureux de vous communiquer que pour faciliter l'action de l'Église à Cuba, j'ai décidé d'ériger le diocèse de Guantánamo-Baracoa, en nommant comme premier Évêque Mgr Carlos Jesús Patricio Baladrón Valdés, jusqu'à présent Évêques auxiliaire de La Havane.

Je désire encourager les prêtres et les fidèles de la nouvelle circonscription ecclésiastique à s'engager à édifier, comme pierres vivantes autour de leur Pasteur, cette Église particulière qui naît aujourd'hui. Cher Monseigneur Baladrón, apprécie à sa juste valeur la grande importance de la mission qui t'est confiée aujourd'hui et annonce de toutes tes forces la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à ses diocésains, les invitant à l'Eucharistie et aux autres Sacrements, pour

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croître ainsi dans la sainteté et dans la justice en présence du Seigneur.

Avant de donner sa Bénédiction apostolique, le Saint-Père a adressé les paroles suivantes aux fidèles présents :

Je désire rendre grâce pour cette chaleur, la chaleur du temps, mais également la chaleur humaine, la chaleur des cœurs. A ce peuple, à cette Église si chaleureuse, je désire offrir la Bénédiction finale de la Messe.

25 janvier 1998

Dans la matinée du dimanche 25 janvier 1998, des centaines de milliers de fidèles provenant de toute l'île ont afflué sur la Place de la Révolution « José Mart í » de La Havane pour participer à la Concélébration eucharistique solennelle présidée par Jean-Paul II sur le thème : « La nouvelle évangélisation et la mission des laïcs dans l'Église au seuil du troisième millénaire chrétien ». Au début de la Sainte Messe, S.Em. le Cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, Archévêque de San Cristóbal de La Havane, a adressé un hommage au Saint-Père. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père à cette occasion :

1. « Ce jour est saint pour Yahvé votre Dieu ! Ne soyez pas tristes, ne pleurez pas ! » (Ne 8, 9). C'est avec une grande joie que je préside la Sainte Messe sur cette Place « José Martí », en ce dimanche, jour du Seigneur, qui doit être consacré au repos, à la prière et à la vie en famille. La Parole de Dieu nous exhorte à croître dans la foi et à célébrer la présence du Ressuscité parmi nous, car « nous tous avons été baptisés en un seul corps [...] et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit » (1 Co 12, 13), le corps mystique du Christ qu'est l'Église. Jésus-Christ unit tous les baptisés. C'est de Lui que naît l'amour fraternel entre les catholiques cubains, et entre ceux qui vivent dans tout autre lieu, car ils sont « le Corps du Christ et membres chacun pour sa part » (1 Co 12, 27). L'Église qui

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est à Cuba n'est donc pas seule, ni isolée, mais au contraire fait partie de l'Église universelle présente dans le monde entier.

2. Je salue avec affection le Cardinal Jaime Ortega, Pasteur de cet archidiocèse, et je le remercie pour les aimables paroles avec lesquelles il m'a présenté, au début de cette célébration, les réalités et les aspirations qui caractérisent la vie de cette communauté ecclésiale. Je salue également Messieurs les Cardinaux ici présents, provenant de divers lieux, ainsi que tous mes frères évêques de Cuba et d'autres pays qui ont voulu participer à cette célébration solennelle. Je salue cordialement les prêtres, les religieux et les religieuses, ainsi que les fidèles réunis en si grand nombre. J'assure chacun de vous de mon affection et de ma proximité dans le Seigneur. Je salue avec respect le Président, M. Fidel Castro Ruz, qui a voulu participer à cette Sainte Messe.

Je remercie également de leur présence les Autorités civiles qui ont voulu être ici aujourd'hui et je leur suis reconnaissant pour la collaboration qu'elles ont apportée.

3. « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour annoncer la bonne nouvelle » (Lc 4, 18). Chaque ministre de Dieu doit faire siennes dans sa vie ces paroles prononcées par Jésus de Nazareth. C'est pourquoi, me trouvant ici parmi vous, je veux vous apporter la Bonne Nouvelle de l'espérance en Dieu. En tant que serviteur de l'Évangile, je vous apporte ce message d'amour et de solidarité que Jésus-Christ, à travers sa venue, offre aux hommes de tout temps. Il ne s'agit ni d'une idéologie, ni d'un système économique ou politique nouveau, mais d'un chemin de paix, de justice et de véritable liberté.

4. Les systèmes idéologiques et économiques qui se sont succédé au cours des derniers siècles ont souvent encouragé l'affrontement comme méthode, car leurs programmes contenaient les germes de l'opposition et de la désunion. Cela a profondément conditionné la conception de l'homme et les rapports avec les autres. Certains de ces systèmes ont prétendu également réduire la religion à

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la sphère purement individuelle, la dépouillant de toute influence ou caractère social’ Dans ce sens, il est bon de rappeler qu'un État moderne ne peut faire de l'athéisme ou de la religion l'un de ses systèmes politiques. L'État, loin de tout fanatisme ou sécularisme extrême, doit promouvoir un climat social serein et une législation adaptée, qui permette à chaque personne et à chaque confession religieuse de vivre sa foi librement, de l'exprimer dans les domaines de la vie publique et de pouvoir compter sur les moyens et les espaces suffisants pour offrir à la vie de la nation ses richesses spirituelles, morales et civiles.

D'autre part, dans différents lieux se développe une forme de néolibéralisme capitaliste qui conditionne la personne humaine et soumet le développement des peuples aux forces aveugles du march é, dans laquelle les centres de pouvoir exercent un poids insupportable sur les peuples les plus défavorisés. C'est ainsi que souvent, des programmes économiques insoutenables sont imposés aux nations comme conditions pour recevoir de nouvelles aides. On assiste de cette façon, dans la communauté des nations, à l'enrichissement excessif d'un petit nombre au prix de l'appauvrissement croissant d'un grand nombre, de telle sorte que les plus riches deviennent toujours plus riches et que les plus pauvres deviennent toujours plus pauvres.

5. Très chers frères : l'Église est maîtresse en humanité. C'est pourquoi, face à ces systèmes, elle propose la culture de l'amour et de la vie, en restituant à l'humanité l'espérance et le pouvoir transformateur de l'amour, vécu dans l'unité voulue par le Christ. C'est pourquoi il est nécessaire de parcourir un chemin de réconciliation, de dialogue et d'accueil fraternel du prochain, quel qu'il soit. L'on peut dire que c'est cela l'Évangile social de l'Église.

En portant à terme sa mission, l'Église propose au monde une justice nouvelle, la justice du Royaume de Dieu (cf. Mt 6, 33). En diverses occasions, j'ai fait référence aux thèmes sociaux. Il est nécessaire de continuer à en parler aussi longtemps qu'il y aura, aussi

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petites soient-elles, des injustices, dans le monde car dans le cas contraire, l'Église ne serait pas fidèle à la mission qui lui a été confiée par Jésus-Christ. L'enjeu en est l'homme, la personne en chair et en os. Même si les temps et les circonstances changent, il y a toujours des personnes qui ont besoin de la voix de l'Église pour que l'on reconnaisse leurs angoisses, leurs douleurs et leurs peines. Ceux qui se trouvent dans des situations semblables peuvent être sûrs qu'ils ne seront pas déçus, car l'Église est avec eux et le Pape embrasse avec le cœur et avec ses paroles d'encouragement tous ceux qui subissent des injustices.

De longs applaudissements ont interrompu le Saint-Père qui a ajouté :

Je ne suis pas contre les applaudissements, car lorsque vous applaudissez, le Pape peut se reposer un peu.

... puis il poursuivait...

Les enseignements de Jésus conservent toute leur vigueur au seuil de l'An 2000. Ils sont valables pour vous tous, mes chers frères. Dans la recherche de la justice du Royaume, nous ne pouvons pas nous arrêter face aux difficultés et aux incompréhensions. Si l'invitation du maître à la justice, au service et à l'amour est accueilli comme Bonne Nouvelle, alors le cœur s'élargit, les critères se transforment et la culture de l'amour et de la vie naît. Tel est le grand changement que la société attend et dont elle a besoin ; il ne pourra être atteint que si a lieu auparavant la conversion du cœur de chacun, comme condition aux changements nécessaires des structures de la société.

6. « L'Esprit du Seigneur [...] m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance [...] renvoyer en liberté les opprimés » (Lc 4, 18). La Bonne Nouvelle de Jésus doit être accompagnée par une annonce de liberté, fondée sur les bases solides de la vérité : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8, 31-32). La vérité à laquelle

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se réfère Jésus n'est pas seulement la compréhension intellectuelle de la réalité, mais plutôt la vérité sur l'homme et sa condition transcendante, sur ses droits et ses devoirs, sur sa grandeur et ses limites. C'est la même vérité que celle que Jésus proclama à travers sa vie, qu'il réaffirma devant Pilate et, à travers son silence, face à Hérode ; c'est la même vérité qui le conduisit à la croix salvifique et à la glorieuse résurrection.

La liberté qui n'est pas fondée sur la vérité conditionne l'homme au point de le rendre parfois objet plutôt que sujet du contexte social, culturel, économique et politique, le privant presque totalement d'initiatives quant à son développement personnel’ D'autres fois, cette liberté est de type individualiste et, ne tenant pas compte de la liberté des autres, renferme l'homme sur son propre égoïsme. La conquête de la liberté dans la responsabilité représente un devoir incontournable pour chaque personne. Pour les chrétiens, la liberté des fils de Dieu n'est pas seulement un don et un devoir ; son obtention implique également un témoignage inestimable et une contribution authentique dans le processus de libération de tout le genre humain. Cette libération ne se limite pas aux aspects sociaux et politiques, mais atteint sa plénitude dans l'exercice de la liberté de conscience, base et fondement des autres droits humains.

De la foule s'est élevée alors une invocation :. « Le. Pape. vit. et veut que nous soyons tous libres ! », En réponse Jean-Paul II a ajouté :

Oui, il vit avec cette liberté grâce à laquelle le Christ vous a libérés.

...le Saint-Père poursuivait...

Pour de nombreux systèmes politiques et économiques en vigueur aujourd'hui, le défi le plus grand continue à être celui de conjuguer liberté et justice sociale, liberté et solidarité, sans qu'aucune d'elles ne soit reléguée à un niveau inférieur. Ainsi, la Doctrine sociale de l'Église constitue un effort de réflexion et une

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proposition qui tente d'éclairer et de concilier les rapports entre les droits inaliénables de chaque homme et les exigences sociales, de façon à ce que la personne réalise ses aspirations les plus profondes et accède à une pleine réalisation selon sa condition de fils de Dieu et de citoyen. Par conséquent, les laïcs catholiques doivent contribuer à cette réalisation à travers l'application des enseignements sociaux de l'Église dans les divers milieux, ouverts à tous les hommes de bonne volonté.

7. Dans l'Évangile proclamé aujourd'hui, la justice apparaît intimement liée à la vérité. C'est ce que l'on observe également dans la pensée lucide des pères de la patrie. Le Serviteur de Dieu, le Père Félix Varela, animé par la foi chrétienne et par la fidélité au ministère sacerdotal, plaça dans le cœur du peuple cubain les semences de la justice et de la liberté qu'il rêvait de voir fleurir sur la terre cubaine libre et indépendante.

La doctrine de José Martí sur l'amour entre tous les hommes a des racines profondément évangéliques, dépassant ainsi le faux conflit entre la foi en Dieu et l'amour et le service à la patrie. Martí écrivait : « Pure, désintéressée, persécutée, martyrisée, poétique et simple, la religion du Nazaréen a séduit tous les hommes honnêtes [...] Tout peuple a besoin d'être religieux. Il doit l'être non seulement dans son essence, mais également dans son utilité [...] Un peuple qui n'est pas religieux est destiné à mourir car rien n'alimente la vertu en lui. Les injustices humaines la méprisent ; il est nécessaire que la justice céleste la garantisse ».

Comme vous le savez, Cuba possède une âme chrétienne, et cela l'a conduit à avoir une vocation universelle. Appelé à vaincre l'isolement, Cuba doit s'ouvrir au monde et le monde doit se rapprocher de Cuba, de son peuple et de ses fils, qui en constituent sans aucun doute la richesse la plus grande. L'heure est arrivée d'entreprendre de nouveaux chemins que la période de renouveau que nous vivons exige, à la veille du troisième millénaire de l'ère chrétienne !

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8. Très chers frères : Dieu a comblé ce peuple d'authentiques formateurs de la conscience nationale, représentants clairs et fermes de la foi chrétienne, qui représente le soutien le plus adapté de la vertu et de l'amour. Aujourd'hui, les évêques, avec les prêtres, les personnes consacrées et les fidèles laïcs, s'efforcent de bâtir des ponts pour rapprocher les esprits et les cœurs, encourageant et consolidant la paix, préparant la civilisation de l'amour et de la justice. Je suis ici parmi vous en tant que messager de la vérité et de l'espérance. C'est pourquoi je désire répéter mon appel à vous laisser illuminer par Jésus-Christ, à accepter sans réserve la splendeur de sa vérité, afin que tous puissent suivre le chemin de l'unité à travers l'amour et la solidarité, en évitant l'exclusion, l'isolement et l'opposition, qui sont contraires à la volonté du Dieu-Amour.

Que l'Esprit Saint illumine à travers ses dons ceux qui exercent diverses responsabilités à l'égard de ce peuple que je porte dans mon cœur. Que la « Virgen de la Caridad del Cobre », Reine de Cuba, obtienne pour ses fils les dons de la paix, du progrès et du bonheur.

Ce vent aujourd'hui est très significatif, car il symbolise l'Esprit Saint. « Spiritus spirat ubi vult, Spiritus vult spirare in Cuba ». Les dernières paroles sont en langue latine car Cuba appartient également à la tradition latine. Amérique latine, Cuba latin, langue latine ! « Spiritus spirat ubi vult et vult Cubam ». Au revoir.

02 février 1998

Dans la soirée du lundi 2 février 1998, Fête de la Présentation du Seigneur au Temple et IIe Journée mondiale de la Vie consacrée, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Lumen ad revelationem gentium ! « Lumière pour éclairer les nations » (Lc 2, 32).

Ces paroles retentissent dans le temple de Jérusalem, tandis que Marie et Joseph, quarante jours après la naissance de Jésus,

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s'apprêtent à le « présenter au Seigneur » (Lc 2, 22). L'évangéliste Luc, soulignant le contraste entre l'initiative modeste et humble des deux parents et la gloire de l'événement, perçu par Syméon et Anne, semble vouloir suggérer que le temple lui-même attend la venue de l'Enfant. En effet, dans l'attitude prophétique des deux vieillards, c'est toute l'Ancienne Alliance qui exprime la joie de la rencontre avec le Rédempteur.

Tous deux dans l'attente du Messie, tous deux inspirés par l'Esprit Saint, Syméon et Anne se rendent au temple alors que Marie et Joseph, en obéissance à la prescription de la Loi, y conduisent Jésus. A la vue de l'Enfant, ils ont l'intuition que c'est précisément Lui l'Attendu, et Syméon, presque en extase, proclame : « Maintenant, Souverain Maître tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » (Lc 2, 29-32).

2. Lumen ad revelationem gentium !

Syméon, l'homme de l'Ancienne Alliance, l'homme du temple de Jérusalem, exprime à travers ses paroles inspirées la conviction que cette Lumière est non seulement destinée à Israël, mais également aux païens et à tous les peuples de la terre. Avec lui, la « vieillesse » du monde accueille entre ses bras la splendeur de la « jeunesse » éternelle de Dieu. Cependant, en arrière-plan se profile déjà l'ombre de la Croix, car les ténèbres refuseront cette Lumière. En effet, s'adressant à Marie qui introduit dans le temple l'Agneau du sacrifice, Syméon prophétise : « Vois ! Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction,.. et toi-même, une épée te transpercera l'âme. afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs » (Lc 2, 34-35).

3. Lumen ad revelationem gentium !

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Les paroles du cantique de Syméon retentissent dans de nombreux temples de la Nouvelle Alliance, où les disciples du Christ terminent chaque soir la prière liturgique des Heures par la récitation de Complies. C'est ainsi que l'Église, peuple de la Nouvelle Alliance, accueille presque la dernière parole de l'Ancienne Alliance et proclame l'accomplissement de la promesse divine, en annonçant que la « lumière pour éclairer les nations » s'est diffusée sur toute la terre et est partout présente dans l'œuvre rédemptrice du Christ.

En même temps que le cantique de Syméon, la liturgie des Heures nous invite à répéter les dernières paroles prononcées par le Christ sur la croix : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. « Père, en tes mains je remets mon esprit » (cf. Lc 23, 46). Il nous invite également à contempler avec émerveillement et reconnaissance l'action salvifique du Christ, « lumière qui éclaire les nations », à l'égard de l'humanité : Redemisti nos, Domine, Deus veritatis. « Tu nous as rachetés, Seigneur, Dieu de vérité ».

L'Église annonce ainsi que s'est accomplie la rédemption du monde, attendue par les prophètes et annoncée par Syméon dans le temple de Jérusalem.

4. Lumen ad revelationem gentium !

Aujourd'hui, nous aussi, avec les cierges allumés, nous allons à la rencontre de Celui qui est « la Lumière du monde » et nous l'accueillons dans son Église avec tout l'élan de notre foi baptismale. La « rencontre » ultime et définitive avec le Seigneur dans son Royaume est promise à ceux qui professent sincèrement cette foi. Dans la tradition polonaise, ainsi que dans celle d'autres nations, ces cierges bénis ont une signification particulière car, une fois emportés à la maison, ils sont allumés dans les moments des dangers, au cours des orages et des cataclysmes, pour manifester que l'on se remet, ainsi que sa famille et ce que l'on possède, à la protection divine. Voilà pourquoi, en polonais, ces cierges s'appellent « gromnice », c'est-à-dire cierges qui éloignent la foudre et qui protègent contre le

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mal, et cette fête prend le nom de Chandeleur (littéralement : Sainte Marie des Cierges [« gromnice »]).

La coutume de placer un cierge, béni ce jour-là, entre les mains d'un chrétien sur son lit de mort, afin que soient illuminés les derniers pas de son chemin vers l'éternité, est encore plus éloquente. Par ce geste, l'on entend affirmer que le mourant, en suivant la lumière de la foi, attend d'entrer dans les demeures éternelles, où l'on n'a plus « besoin de lampe ou de soleil pour s'éclairer, car le Seigneur répandra sur lui sa lumière » (cf. Ap 22, 5).

Le Psaume responsorial qui suit fait allusion à cette entrée ans le Royaume de la lumière : « Portes, levez vos frontons, / élevez-vous,.portails antiques, / qu'il entre, le roi de gloire » (Ps 24/23, 7).

Ce sont des paroles qui font directement référence à Jésus-Christ, qui entre dans le temple de l'Ancienne Alliance, porté dans les bras de ses parents ; mais par analogie, nous pouvons les appliquer à chaque croyant qui franchit le seuil de l'éternité, porté dans les bras de l'Église. Les croyants accompagnent son ultime passage en priant : « Que resplendisse sur lui la lumière éternelle ! », afin que les anges et les saints l'accueillent et que le Christ, Rédempteur de l'homme, l'enveloppe de sa lumière éternelle.

5. Très chers frères et sœurs ! Nous célébrons aujourd'hui la deuxième Journée de la Vie consacrée, qui entend susciter dans l'Église une attention renouvelée pour le don de la vie consacrée. Chers religieux et religieuses, chers membres des Instituts séculiers et des Sociétés de Vie apostolique, le Seigneur vous a appelés à sa suite de façon plus intime et particulière ! A notre époque, dominée par le sécularisme et par le matérialisme, vous représentez à travers votre don total et définitif au Christ, le signe d'une vie différente de la logique du monde, car elle est radicalement inspirée par l'Évangile et projetée vers les réalités futures. Demeurez toujours fidèles à votre vocation particulière !

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Je voudrais aujourd'hui vous renouveler l'expression de mon affection et de mon estime. Je salue tout d'abord le Cardinal Edoardo Martínez Somalo, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, qui préside cette célébration eucharistique. Je salue également les membres de ce dicastère et ceux qui œuvrent au service de la vie consacrée. Je pense en particulier à vous, jeunes aspirants à la vie consacrée, à vous, hommes et femmes déjà profès dans les diverses Congrégations religieuses et dans les Instituts séculiers, à vous qui, en raison de l'âge avancé ou de la maladie, êtes appelés à offrir la précieuse contribution de votre souffrance à la cause de l'évangélisation. Je répète à tous : « Vous savez en qui vous avez mis votre foi (cf. 2 Tm 1, 12) : donnez-lui tout !... Vivez la fidélité à votre engagement envers Dieu, en vous édifiant et en vous soutenant mutuellement... N'oubliez jamais que vous, tout particulièrement, vous pouvez et vous devez dire non seulement que vous êtes du Christ, mais que vous êtes devenus le Christ. » (Exhort. apos. Vita consecrata, n. 109).

Les cierges allumés, portés par chacun de vous au cours de la première partie de cette célébration solennelle, manifestent l'attente vigilante du Seigneur, qui doit caractériser la vie de chaque croyant et en particulier de ceux que le Seigneur appelle à une mission particulière dans l'Église. Ils sont un appel puissant à témoigner du Christ au monde, la lumière sans crépuscule : « Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16).

Très chers frères et sœurs, que votre fidélité totale au Christ pauvre, chaste et obéissant soit pour ceux que vous rencontrez une source de lumière et d'espérance.

Que Marie, Celle qui a accompli la volonté du Père, prête à l'obéissance, courageuse dans la pauvreté, accueillante dans la virginité féconde, obtienne de Jésus que « ceux qui ont reçu le don de le suivre dans la vie consacrée sachent lui rendre témoignage par une

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existence. transfigurée,.. en. avançant joyeusement, avec tous leurs autres frères et sœurs, vers la patrie céleste et la lumière sans crépuscule » (ibid., n. 112).

Amen !

08 février 1998

Dans la matinée du dimanche 8 février 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine de l'Enfant-Jésus, à Saccopastore. Au cours de la Sainte Messe pour. les. fidèles. du. quartier,. le. Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5, 10).

Aujourd'hui, le passage de l'Évangile nous raconte la vocation de Simon-Pierre et des premiers Apôtres. Après avoir parlé à la foule, de la barque de Simon, Jésus leur demande de prendre à. nouveau. le. large pour la pêche. Pierre réplique, en exposant les difficultés rencontrées durant la nuit précédente, au cours de laquelle, bien qu'ayant beaucoup peiné, il n'a rien rapporté. Toutefois, il croit à la parole du Seigneur et il accomplit son premier acte de confiance en Lui : « Sur ta parole, je vais lâcher les filets » (Lc 5, 5).

Le prodige qui s'ensuit de la pêche miraculeuse est un signe éloquent de la puissance divine de Jésus et, dans le même temps, il préannonce la mission qui sera confiée au Pêcheur de Galilée, qui est celle de guider la barque de l'Église à travers les flots de l'histoire et de rassembler, grâce à la force de l'Évangile, une multitude infinie d'hommes et de femmes provenant de toutes les parties du globe.

L'appel de Pierre et des premiers Apôtres est l'œuvre de l'initiative gratuite de Dieu, à laquelle répond la libre adhésion de l'homme. Ce dialogue d'amour avec le Seigneur aide l'être humain à prendre conscience de ses limites et, dans le même temps, de la puissance de la grâce de Dieu, qui purifie et qui renouvelle l'esprit et

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le cœur : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Le succès final de la mission est garanti par l'assistance divine. C'est Dieu qui conduit toute chose à son plein accomplissement. A nous, il nous est demandé d'avoir confiance en Lui et d'adhérer docilement à sa volonté.

2. Sois sans crainte ! Que de fois le Seigneur nous répète-t-il cette invitation. Aujourd'hui, en particulier, à une époque marquée par de profondes incertitudes et peurs, cette parole retentit comme une exhortation à se fier à Dieu, à tourner le regard vers Lui. Lui, qui guide le destin de l'histoire par la force de son Esprit, ne nous abandonne pas dans l'épreuve et rend fermes nos pas dans la foi.

Très chers frères et sœurs, laissez cette conviction intime imprégner votre existence. Dieu appelle chaque croyant à Le suivre ; il lui demande de devenir le coopérateur de son projet salvifique. Comme Simon-Pierre, nous aussi, nous pouvons proclamer : « Sur ta parole, je vais lâcher les filets ». Sur ta parole ! Sa parole est l'Évangile, message éternel de salut qui, écouté et vécu, transforme l'existence. Le jour de notre Baptême nous a été communiquée cette « heureuse annonce », que nous devons approfondir personnellement et dont nous devons témoigner avec courage.

La Mission dans la ville, qui est désormais au cœur de sa célébration, exige de tous les chrétiens de proclamer l'Évangile à travers la parole, mais surtout à travers une vie cohérente. Dans cette entreprise apostolique extraordinaire, sentez-vous sans cesse soutenus par Celui qui est le premier missionnaire, envoyé par le Père dans le monde : Jésus-Christ notre Seigneur.

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse de l'Enfant-Jésus, à Saccopastore ! Je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui et de visiter votre belle église. J'adresse mon salut affectueux à tous : au Cardinal-Vicaire, à l'Évêque auxiliaire du Secteur, à votre jeune curé, Dom Antonino De Siati, et aux prêtres qui sont ses collaborateurs, aux Sœurs de la Charité de « Santa Giovanna Antida », qui vivent en contact étroit avec les activités

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paroissiales et qui prêtent un généreux service aux nombreuses personnes âgées et aux malades de la communauté. En outre, je salue ceux qui participent plus directement à la vie de la paroisse et aux nombreux groupes de formation, de service et d'apostolat, en adressant une pensée particulière aux personnes et aux familles d'origine philippine, qui se réunissent ici chaque semaine depuis quelques temps pour célébrer la liturgie du dimanche.

Je sais que votre communauté compte de nombreuses personnes âgées. C'est à elles en particulier, ainsi qu'à toutes les personnes âgées de Rome, que j'adresse ma pensée affectueuse et une invitation cordiale à la prière constante et confiante pour leurs besoins et pour la bonne issue de la Mission dans la ville. Très chers frères et sœurs, que votre témoignage de foi soit pour tous, mais plus particulièrement pour les jeunes, un exemple de la façon d'accueillir le Christ dans sa vie.

Je me réjouis avec les collaborateurs, les religieux et les laïcs, des initiatives de charité et à caractère social promues par la paroisse. La solidarité concrète que vous manifestez à l'égard de ceux qui se trouvent dans le besoin, que ce soit dans votre quartier ou loin d'ici, vous fait honneur. Je fais référence aux diverses initiatives de charité que vous avez réalisées, telles que le soutien à une. léproserie. en. Afrique. centrale, l'aide aux populations victimes du tremblement de terre dans les régions du centre de l'Italie et le jumelage avec l'Institut « Lido dei Pini ». Poursuivez cet effort, dans l'Esprit du Verbe de Dieu qui, en s'incarnant, est venu à la rencontre de tous et a apporté le salut à chacun.

4. Votre Communauté, qui s'élève près d'une sinuosité de l'Aniene, située dans la zone appelée Saccopastore, comprend un grand nombre de personnes. A cet endroit, jusque dans les années trente, les pasteurs venaient des Abruzze pour passer les mois d'hiver avec leurs troupeaux. Plus tard, à la suite de l'installation progressive de nombreuses familles, commença l'activité liturgique. dans. une. petite.. chapelle. consacrée à l'Enfant-Jésus, qui constitua le premier

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lieu de culte et de rassemblement de la zone. Le titre de cette chapelle, choisi par la population d'alors, en référence à l'inauguration qui avait eu lieu la veille de Noël 1952, fut transféré ensuite à la paroisse, érigée juridiquement en 1957. Ici, plusieurs prêtres ont œuvré avec un grand zèle, et parmi eux, je voudrais rappeler le premier curé, Mgr Giuseppe Simonazzi, dont la mémoire est encore vive.

Le nom de votre paroisse fait référence au mystère du Verbe incarné, à Dieu, qui est venu habiter parmi nous pour sauver et racheter tout l'homme et tous les hommes : ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui et les générations futures. C'est le mystère de l'assomption du temps humain dans la dimension divine, qui est transcendante et éternelle. C'est également le contenu du Jubilé de l'An 2000. Jésus, Dieu fait homme, est l'unique Sauveur. C'est vers Lui que nous tournons notre regard, alors que nous approchons de la date historique du début du troisième millénaire. Je vous exhorte à vous y préparer avec cette disposition intérieure propre à l'événement jubilaire.

5. « Me voici, envoie-moi » ! (Is 6, 8). Le récit de la vocation d'Isaïe, que nous avons écouté dans la première Lecture, souligne la prompte réponse du Prophète à l'appel du Seigneur. Après avoir contemplé la sainteté de Dieu et avoir pris conscience de l'infidélité du peuple, Isaïe se prépare à la grave mission de rappeler le peuple d'Israël aux grands engagements de l'alliance en vue de la venue du Messie.

Comme pour le Prophète Isaïe, proclamer le salut comporte pour chaque croyant de redécouvrir tout d'abord la sainteté de Dieu. Celui qui rencontre un chrétien, doit pouvoir apercevoir en lui, malgré les inévitables faiblesses humaines, le visage du Très-Haut.

Que la Vierge, demeure de l'Esprit Saint, obtienne pour nous le don d'une adhésion constante à l'appel divin. Qu'elle nous obtienne en particulier d'avoir. confiance. en. Lui. en.. toute circonstance, afin que nous puissions collaborer en tout à son œuvre de salut.

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Amen !

15 février 1998

Dans la matinée du dimanche 15 février 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine des Saints Cyrille et Méthode. Au cours de la Messe pour les fidèles du quartier, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création » (Mc 16, 15). Avant de retourner au Père, Jésus confie aux Apôtres le mandat de poursuivre sa mission sur la terre, en annonçant le salut au monde entier. Cette tâche, qui caractérise l'Église, Peuple de Dieu en marche vers la patrie céleste, s'exprime dans la pluralité des ministères et des charismes dont le Christ l'enrichit. Pasteurs et confesseurs de la foi, vierges et martyrs, prêtres et laïcs, saints et saintes de chaque époque contribuent avec efficacité à diffuser l'Évangile dans tous les lieux de la terre.

Les saints Cyrille et Méthode ont mené cette œuvre à bien. Originaires de Thessalonique et témoins intrépides de l'Évangile, ils ont été les premiers chefs, pourrions-nous dire, du groupe nombreux d'apôtres qui ont œuvré activement au service du Christ au sein des. peuples. slaves.. Votre paroisse s'honore d'avoir comme protecteurs particuliers ces deux grands saints, co-patrons de l'Europe. Leur exemple est plus que jamais significatif pour nous également. En effet, comme je l'ai souligné dans l'Encyclique Slavorum apostoli, « on peut même dire que leur souvenir est devenu particulièrement vivant et actuel à notre époque » (n. 1).

Bien qu'ayant la possibilité d'entreprendre de brillantes carrières politiques, ces deux frères se consacrèrent totalement au Seigneur. A la demande du prince Rastislav de la Grande Moravie à l'empereur Michel III, ils furent envoyés pour annoncer la foi chrétienne aux peuples d'Europe centrale dans leur. propre. langue.. Ils. consacrèrent ainsi leur vie à cette tâche, affrontant de nombreuses difficultés et souffrances, des persécutions et la prison, et devenant

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tous deux des exemples lumineux de dévouement à la cause du Christ et d'amour fraternel envers leurs frères assoiffés de vérité évangélique.

2. Les paroles de l'Apôtre Paul que nous venons d'écouter s'appliquent bien à eux : « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! » (1 Co 9, 16). En ouvrant. son. âme. aux. chrétiens. de Corinthe, l'Apôtre exprime la conscience de la nécessité et de l'urgence de l'annonce évangélique. Il la ressent comme un grand don, mais également comme un engagement incontournable : un véritable « devoir » (cf. Ibid.), dont il est responsable en communion avec les autres Apôtres. Se faisant « tout à tous, afin d'en sauver à tous prix quelques-uns » (ibid., n. 22), il nous montre com ment chaque évangélisateur doit apprendre à s'adapter au langage de ses auditeurs, pour entrer en harmonie profonde avec eux.

C'est. ce qu'ont accompli de façon admirable les deux saints que nous fêtons aujourd'hui : toute leur mission a visé à « incarner » la Parole de Dieu dans la langue et dans la culture slave. C'est. à. eux. que. l'on. doit la transcription des textes sacrés et liturgiques en langue paléoslave, grâce à un nouvel alphabet. Pour conserver une solide communion ecclésiale, ils vinrent à Rome et obtinrent l'approbation du Pape Adrien II. Ce fut précisément à Rome que, le 14 février 869, Cyrille mourut, alors que Méthode, consacré Évêque pour le territoire de l'ancien diocèse de Pannonie et nommé Légat pontifical pour les peuples slaves, poursuivit la tâche missionnaire qu'il avait entreprise avec son frère.

Nous rendons grâce à Dieu pour ces deux saints, Cyrille et Méthode, qui ont été des hérauts pleins de sagesse de l'Évangile en Europe. Ils continuent aujourd'hui encore à enseigner aux évangélisateurs de notre époque le courage de l'annonce et l'attitude nécessaire pour inculturer la foi.

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse des saints Cyrille et Méthode ! Je suis heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous pour célébrer la fête patronale de votre communauté. Je salue

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cordialement le Cardinal Vicaire, l'Évêque auxiliaire, Mgr Clemente Riva, votre curé, Dom Giuseppe Trappolini, ainsi que ses proches collaborateurs dans l'animation pastorale de la paroisse. Mon salut affectueux s'étend également à vous tous, qui participez à cette Eucharistie, en adressant une pensée particulière à ceux qui. malades, personnes âgées et tous ceux qui n'ont pas la possibilité de sortir de chez eux pour venir à l'église. s'unissent à notre célébration festive à travers la radio et la télévision.

Votre communauté, qui est jeune, a reçu dans un délai relativement bref le don de cette nouvelle église. Il y a environ trois ans, sur la place Saint-Pierre, j'ai eu moi-même la joie de bénir la première pierre de votre église qui, appartenant au projet « cinquante églises pour la Rome de l'An 2000 », a été rapidement construite et consacrée le 8 novembre dernier par le Cardinal-Vicaire. Cet ensemble paroissial constitue à présent pour la zone d'Acilia, appelée Dragoncello, l'unique centre de rassemblement religieux et social ouvert aux nombreuses jeunes familles qui habitent le quartier.

Alors que je rends grâce au Seigneur avec vous pour ce que vous avez réalisé jusqu'à présent, je voudrais profiter de ma. visite. d'aujourd'hui. pour. vous exhorter à croître toujours davantage dans un généreux service apostolique, en vous souciant en particulier de la formation chrétienne de vos enfants et de vos jeunes. Au cours des cinq premières années de vie de la communauté, environ quatre cents enfants ont reçu le Baptême. Cela signifie que dans un proche avenir, cette paroisse verra la présence de nombreux enfants et jeunes. Chers frères et sœurs, c'est à vous qu'il revient de préparer un terrain propice à une croissance saine et sereine de ces enfants.. Vous pourrez mener cette mission à bien en vous laissant guider par la Parole de Dieu et en ayant toujours le souci d'offrir un témoignage de foi et de charité cohérent.

4. La Mission dans la ville, qui est célébrée dans cette paroisse comme dans les autres paroisses de Rome, vous offre la possibilité d'un renouveau spirituel et apostolique. Très chers amis, ne vous

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contentez pas de vous sentir satisfaits entre les murs de l'église et des locaux paroissiaux, même s'ils sont neufs et beaux, mais sortez pour aller à la rencontre des gens qui n'y viennent pas. Tous attendent une annonce renouvelée de Jésus-Christ, Celui qui seul peut sauver l'homme. Beaucoup de personnes sont venues dans ce quartier d'autres parties de la ville. Il s'agit souvent de jeunes couples, venus habiter ici après leur mariage. Faites en sorte que le changement de milieu ne les désoriente pas, provoquant chez eux un éloignement néfaste de la vie ecclésiale et sacramentelle. En revanche, soyez pour eux une communauté capable de les accueillir et d'en favoriser l'intégration harmonieuse.

Dans ce but, soyez disponibles pour rencontrer les familles, en leur offrant votre amitié, en partageant avec eux la joie de la foi. La Mission dans la ville, à travers les réunions dans les divers centres d'écoute, sera très utile pour cela. Cet engagement de solidarité et d'accueil au service de l'Évangile doit devenir un style de vie quotidienne, pour que ne cessent jamais la prière commune, la réflexion sur l'Évangile et le soutien réciproque.

Mais toute cette œuvre apostolique passionnante. et urgente ne peut être efficace que si elle est soutenue par des temps de prière, en particulier d'arrêt prolongé devant l'Eucharistie. Je sais que dans cette paroisse, grâce à la présence des Sœurs missionnaires de la Charité, l'adoration eucharistique quotidienne est assurée. Comme il serait beau que dans chaque paroisse, l'Adoration eucharistique s'intensifie en préparation au grand Jubilé de l'An 2000, qui sera une année intensément eucharistique, puisque dans l'Urbs se déroulera le Congrès eucharistique international sur le thème : « Jésus-Christ unique Sauveur du monde, pain pour la vie nouvelle ».

5. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu » (Is 52, 10). Comme nous l'avons écouté dans la première lecture, le prophète Isaïe préannonce l'universalité du salut, offert à tous les peuples sans distinction de race, de langue et de culture. Chaque croyant est appelé, selon ses propres possibilités et responsabilités, à

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participer à la grande mission évangélisatrice. Tel est l'engagement qui, ici aussi, dans votre paroisse, doit être suivi avec persévérance et fidélité, afin que l'Évangile entre dans chaque maison, dans les familles et dans les divers milieux où se déroule la vie quotidienne.

Que l'Esprit du Seigneur vous illumine et vous soutienne dans cette œuvre apostolique qui demande votre engagement.

Très chers frères et sœurs, prions ensemble, afin que les valeurs de l'Évangile, en particulier celles qui concernent les domaines de la vie et de la famille fondée sur le mariage, soient défendues et partagées. Prions pour les jeunes, pour qu'ils trouvent dans l'amour du Seigneur la force de résister aux tentations et aux dangers qui les menacent. Prions pour que tous les hommes de bonne volonté s'engagent à édifier une société qui soit davantage en harmonie avec le message évangélique.

Je confie votre communauté à la protection céleste de Marie et des saints frères de Thessalonique, ainsi que le chemin des peuples slaves et l'avenir de l'Europe entière. Saints Cyrille et Méthode, Apôtres des peuples slaves et co-patrons de l'Europe, priez pour nous !

Amen !

22 février 1998

Le dimanche 22 février 1998, en la solennité de la Chaire de Pierre, le Pape Jean-Paul II a présidé sur le parvis de la Basilique Saint-Pierre une célébration eucharistique à l'occasion de la remise de l'anneau aux nouveaux Cardinaux. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18). Les paroles du Christ à l'Apôtre Pierre à Césarée de Philippe illustrent bien les éléments fondamentaux de la célébration d'aujourd'hui. Tout d'abord, la fête de la Chaire de Saint Pierre représente un anniversaire ô combien significatif pour cette

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Basilique, cœur du monde catholique et but quotidien de nombreux pèlerins. De plus, la remise de l'Anneau aux nouveaux Cardinaux créés au cours du Consistoire Ordinaire public, que j'ai eu la joie de tenir hier, enrichit cette liturgie d'un sens ecclésial supplémentaire.

Le passage évangélique présente Pierre qui, poussé par une inspiration divine, manifeste sa pleine adhésion à Jésus, Messie promis et Fils de Dieu. En réponse à la profession de foi claire que Pierre fait également au nom des autres Apôtres, le Christ révèle la mission qu'il entend lui confier, celle d'être la « pierre » sur laquelle est bâti l'édifice spirituel de l'Église tout entier.

« Tu es Pierre ! ». Le ministère, confié à Pierre et à ses successeurs, d'être la pierre solide sur laquelle repose la Communauté ecclésiale, représente la garantie de l'unité de l'Église, il est la préservation de l'intégrité du dépôt de la foi et le fondement de la communion de toutes les composantes du Peuple de Dieu. La fête liturgique d'aujourd'hui représente donc une invitation à réfléchir sur le « service pétrinien » de l'Évêque de Rome à l'égard de l'Église universelle. Les Cardinaux, qui constituent le « Sénat » de l'Église et qui sont les premiers collaborateurs du Pape dans le service pastoral universel, sont unis de façon particulière à la Chaire de Pierre.

C'est pourquoi il est tout à fait providentiel que nous célébrions aujourd'hui la fête de la Chaire de Pierre et l'élargissement du Collège cardinalice avec la nomination de vingt nouveaux membres, des prélats qui ont démontré leur

sagesse et leur profond esprit de communion avec le Siège apostolique, dans leur service généreux et fidèle à la Communauté ecclésiale. Nous les confions tous au Seigneur dans la prière, afin que leur témoignage évangélique continue d'être un exemple lumineux pour tout le Peuple de Dieu.

2. Chacun d'entre eux a certainement entendu, comme si elles lui étaient adressées personnellement, les paroles de l'Apôtre Pierre : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme

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eux, témoin des souffrances du Christ et qui dois participer à la gloire qui va être révélée : Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié » (1 P, 5, 1-2).

Les « anciens », les prêtres de l'Église, ne peuvent manquer d'être des pasteurs zélés et attentifs du « troupeau de Dieu ». Voilà l'état d'esprit dans lequel, au cours de cette circonstance solennelle, le Successeur de Pierre s'apprête à remettre aux nouveaux Cardinaux l'Anneau cardinalice, signe du lien sponsal particulier qui les unit désormais à l'Église de Rome, qui préside dans la charité. C'est à vous, chers et vénérés Frères, qu'est confiée la mission, dans une étroite communion d'esprit et d'intentions avec le Pape, d'être les témoins des souffrances qu'aujourd'hui encore, le Christ affronte dans son Corps mystique ; en même temps, vous êtes appel és à proclamer à travers votre parole et votre vie l'espérance qui ne déçoit pas.

Provenant de treize nations différentes de divers continents, vous êtes aujourd'hui incardinés dans l'Église de Rome. De cette façon a lieu un échange sublime de dons entre l'Église qui est dans cette Ville et les Églises en pèlerinage dans les diverses parties du monde. Vous offrez à l'Église de Rome la variété des charismes et la richesse spirituelle de vos Communautés chrétiennes, vénérables par leur tradition antique ou admirables par la fraîcheur et la vitalité de leurs énergies. L'Église de Pierre et de Paul, quant à elle, exprime de façon lumineuse le visage de sa catholicité, étendant sa sollicitude pastorale aux Communautés chrétiennes du monde entier à travers le service ecclésial qualifié des pasteurs appelés à la dignité et à la responsabilité cardinalice. De cette façon, comme l'a dit le Pape Paul VI à l'occasion du Consistoire au cours duquel je fus moi-même élevé à. la. pourpre,. le. Collège. cardinalice constitue comme le « Presbyterium de l'Orbe » (Homélie pour la remise de l'Anneau cardinalice, 29 juin 1967 : Insegnamenti, V [1967], 352).

3. « Paissez le troupeau de Dieu [...] en devenant les modèles du troupeau » (1 P 5, 2-3). En faisant partie de cet éminent Sénat

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ecclésial, vous tous, vénérés Frères, assumez la responsabilité de Pasteurs de l'Église à un titre nouveau et plus élevé. Ce n'est pas seulement la fonction d'élire le Pape qui vous est confiée, mais également celle de partager avec lui la sollicitude pour le peuple chrétien tout entier. Vous êtes déjà dignes d'éloges en vertu de l'œuvre généreuse et diligente que vous accomplissez à travers votre ministère épiscopal dans d'illustres diocèses de tant de parties du monde, ou à travers votre dévouement au service du Siège apostolique dans des fonctions diverses et délicates.

La nouvelle dignité à laquelle vous êtes maintenant appelés à travers la nomination cardinalice, veut être un signe de reconnaissance pour votre travail incessant dans le champ de Dieu et rendre honneur aux Communautés et aux Nations dont vous provenez et dont vous êtes les dignes représentants dans l'Église. Dans le même temps, elle vous investit de responsabilités nouvelles et plus importantes, exigeant de vous une disponibilité supplémentaire pour le Christ et pour tout son Corps mystique.

Ce nouvel enracinement dans le Christ et dans l'Église vous engage à un service plus courageux de l'Évangile et à un dévouement sans réserve à vos frères. Il exige également de vous une totale disponibilité, jusqu'à l'effusion de sang, comme le symbolise bien la couleur pourpre de votre vêtement cardinalice. « Usque ad sanguinis effusionem... ». Cette disponibilité radicale à donner sa vie pour le Christ est nourrie constamment par une foi solide et humble. Soyez conscients de la mission que le Seigneur vous confie aujourd'hui ! Reposez-vous sur Lui ! Dieu est fidèle à ses promesses. œuvrez toujours pour Lui, certains que, comme le dit l'Apôtre Pierre, « quand paraîtra le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas » (1 P 5, 4).

4. « C'est moi qui ferai paître mes brebis [...] je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée » (Ez 34, 15-16). Ne vous laissez pas abattre par les difficultés inévitables de la vie ! Le prophète Ézéchiel, comme nous l'avons entendu lors de la

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première Lecture, nous assure que le Seigneur lui-même prend soin de son peuple. Vous êtes appelés à devenir les signes visibles de cette sollicitude de Dieu pour son héritage, en imitant le Christ Bon Pasteur, qui réunit autour de lui en un unique troupeau l'humanité dispersée par le péché.

Et comment ne pas souligner que le devoir de paître le troupeau du Christ vous est confié à un moment particulier de l'histoire de l'Église et de l'humanit é ? Nous vivons actuellement un passage historique du second au troisième millénaire, dont nous voyons désormais l'aube s'approcher à grands pas : nous nous acheminons vers le grand Jubilé de l'An 2000. Dans chaque partie du monde se multiplient les initiatives apostoliques et missionnaires pour faire de ce rendez-vous une occasion de renouveau intérieur pour tous les croyants. Puisse cette étape historique marquer un printemps extraordinaire d'espérance pour les croyants et pour toute l'humanité !

5. Confions ces vœux à la Vierge Marie, toujours présente dans la Communauté chrétienne depuis ses origines tandis que, recueillie en prière ou occupée à proclamer l'Évangile à tous, elle attend et prépare la venue du Christ, Seigneur de l'Histoire. A Elle, confions votre nouveau service ecclésial, vénérés Frères, dans la perspective du grand événement jubilaire ; plaçons entre ses mains maternelles, les attentes et les espérances de chaque croyant et de l'humanité tout entière.

Amen !

25 février 1998

Dans l'après-midi du mercredi 25 février 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé la célébration pénitentielle du Mercredi des Cendres dans la Basilique romaine de « Santa Sabina all'Aventino », inaugurant ainsi le début du Carême. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père à cette occasion :

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1. « ...Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil [...] Revenez à Yahvé votre Dieu » (Jl 2, 12-13).

Avec les paroles de l'antique prophète, la Liturgie des Cendres d'aujourd'hui, précédée de la procession pénitentielle, nous introduit dans le Carême, temps de grâce et de régénération spirituelle. « Revenez... convertissez-vous ». Au début des quarante jours, ces rappels pressants visent à établir un dialogue particulier entre Dieu et l'homme. Face au Seigneur qui invite à la conversion, l'homme fait sienne la prière de David, en confessant humblement ses péchés :

« Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté ;

en ta grande tendresse efface mon péché,

lave-moi tout entier de mon mal

et de ma faute purifie-moi.

Car mon péché, moi, je le connais,

ma faute est devant moi sans relâche ;

contre toi, toi seul, j'ai péché,

ce qui est coupable à tes yeux, je l'ai fait [...].

Détourne ta face de mes fautes,

et tout mon mal, efface-le » (Ps 51 [50], 3-6.11).

2. Le Psalmiste ne se limite pas à confesser ses fautes et à en demander la rémission ; il attend surtout de la bonté du Seigneur le renouveau intérieur : « Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme » (Ps 50 [51], 12). Illuminé par l'Esprit sur la puissance dévastatrice du péché, il demande à devenir une créature nouvelle, à être, en un certain sens, nouvellement créé.

Voilà, c'est ici que réside la grâce de la rédemption ! Face au péché qui souille le cœur de l'homme, le Seigneur s'incline sur sa créature pour rétablir le dialogue salvifique et lui ouvrir de nouvelles

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perspectives de vie et d'espérance. C'est en particulier lors du temps de Carême que l'Église approfondit ce mystère de salut.

Au pécheur qui s'interroge sur sa situation et sur la possibilité d'obtenir encore la miséricorde de Dieu, la Liturgie répond aujourd'hui avec les paroles de l'Apôtre, tirées de la seconde Épître aux Corinthiens : « Celui qui n'avait pas connu le péché, il l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui, nous devenions justice de Dieu » (5, 21). Dans le Christ est proclamé et offert aux croyants l'amour sans limite du Père céleste pour chaque homme.

3. L'écho de ce qu'Isaïe annonçait de loin à propos du Serviteur du Seigneur retentit ici : « Tous, comme des moutons, nous étions errants, chacun suivant son propre chemin, et Yahvé a fait retomber sur lui nos fautes à tous » (Is 53, 6).

Dieu exauce les invocations des pécheurs qui, avec David, supplient : « Dieu, crée pour moi un cœur pur ». Jésus, le serviteur qui souffre, prend sur ses épaules la Croix, qui représente le poids de tous les péchés de l'humanité, et s'achemine vers le Calvaire pour accomplir. par. sa. mort. l'œuvre. de rédemption. Jésus crucifié est l'icône de la miséricorde infinie de Dieu pour chaque homme.

Pour nous rappeler que « dans ses blessures, nous trouvons la guérison » (Is 53, 5), et pour susciter en nous l'horreur du péché, l'Église nous invite a faire souvent, lors du Carême, la pratique pieuse de la Via Crucis. Pour nous, ici à Rome, celle du Vendredi Saint au Colisée revêt une grande importance, car c'est l'occasion de toucher du doigt la vérité puissante de la rédemption à travers la Croix, en reparcourant en esprit les pas des premiers martyrs de l'Urbs.

4. « Détourne ta face de mes fautes, et tout mon mal, efface-le [...] d'un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n'as point de mépris » (Ps 51 [50], 11.19). Comme cette invocation quadragésimale est émouvante !

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L'homme créé par Dieu à son image et ressemblance proclame : « Contre toi, toi seul, j'ai péché, ce qui est coupable à tes yeux, je l'ai fait » (Ps 51 [50], 6). Illuminé par la grâce de ce temps de pénitence, il ressent le poids du mal commis et comprend que seul Dieu peut le libérer. Il prononce alors du plus profond de sa misère l'exclamation de David : « Lave-moi tout entier de mon mal et de ma faute purifie-moi. Car mon péché, moi, je le connais, ma faute est devant moi sans relâche ». Opprimé par le péché, il conjure la miséricorde de Dieu, fait appel à sa fidélité à l'alliance et lui demande de réaliser sa promesse : « Tout mon mal, efface-le » (Ps 50 [51], 11).

Au début du Carême, prions afin d'accueillir au cours du temps « favorable » de ces quarante jours, l'invitation de l'Église à la conversion. Prions afin que, lors de cet itinéraire vers la Pâque, se renouvelle dans l'Église et dans l'humanité le souvenir du dialogue salvifique entre Dieu et l'homme que la Liturgie du Mercredi des Cendres nous présente.

Prions afin que les cœurs s'ouvrent au dialogue avec Dieu. Il a pour chacun une parole particulière de pardon et de salut. Que chaque cœur s'ouvre à l'écoute de Dieu, pour redécouvrir dans sa parole les raisons de l'espérance qui ne déçoit pas.

Amen !

02 mars 1998

Dans la matinée du dimanche 2 mars 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « Sant'Agapito ». Au cours de la Messe pour les fidèles du quartier, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Jésus [...] mené par l'Esprit à travers le désert durant quarante jours [fut] tenté par le diable » (Lc 4, 1-2).

Avant de commencer son activité publique, Jésus, sous l'impulsion de l'Esprit Saint, se retire dans le désert pendant quarante jours. Là, comme nous le lisons aujourd'hui dans l'Évangile, il est

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mis à l'épreuve par le diable, qui le soumet à trois tentations fréquentes dans la vie de chaque homme : la volupté des biens matériels, la séduction du pouvoir humain et la présomption de soumettre Dieu à ses propres intérêts.

La lutte victorieuse de Jésus contre le tentateur ne se termine pas après les jours passés dans le désert, mais elle se poursuit au cours des années de sa vie publique et atteint son sommet lors des événements dramatiques de Pâques. C'est précisément à travers la mort sur la Croix que le Rédempteur triomphe définitivement sur le mal, libérant l'humanité du péché et la réconciliant avec Dieu. Dès le début, l'évangéliste Luc semble déjà vouloir préannoncer l'accomplissement du salut sur le Golgotha. En effet, il conclut le récit des tentations en citant la ville de Jérusalem, où sera précisément scellée la victoire pascale de Jésus.

La scène des tentations du Christ dans le désert se renouvelle chaque année, au début du Carême. La liturgie invite les croyants à entrer avec Jésus dans le désert et à le suivre au cours de l'itinéraire pénitentiel caractéristique de ce temps quadragésimal, qui a commencé mercredi dernier par le rite austère des Cendres.

2. « En effet, si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur, et si ton cœur croit que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (Rm 10, 9). Les paroles de l'Apôtre Paul, que nous venons d'écouter, illustrent bien le style et les modalités de notre pèlerinage quadragésimal’ Qu'est-ce que la pénitence, sinon un retour humble et sincère aux sources de la foi, en repoussant promptement. la. tentation. et. le péché et en intensifiant l'intimité de prière avec le Seigneur ?

En effet, seul le Christ peut libérer l'homme de ce qui le rend esclave du mal et de l'égoïsme : de la recherche convulsive des biens matériels, de la soif de pouvoir et de domination sur les autres et sur les choses, de l'illusion du succès facile, de la frénésie de la consommation et de l'hédonisme qui, en définitive, avilissent l'être humain.

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Très chers frères et sœurs, voilà ce que le Seigneur nous demande clairement pour entrer dans le climat authentique du Carême. Il désire que, dans le désert de ces quarante jours, nous apprenions à affronter l'ennemi de nos âmes à la lumière de la Parole de salut. L'Esprit Saint, à qui est consacrée de manière particulière cette deuxième année de préparation au grand Jubilé de l'An 2000, rend notre prière vivante, car nous sommes prêts à affronter avec courage la lutte incessante pour vaincre le mal par le bien.

3. Très chers fidèles de la paroisse de « Sant'Agapito » ! Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui, alors que la grande Mission dans la ville en préparation à l'événement jubilaire bat désormais son plein. Il s'agit, comme j'ai également eu l'occasion de le dire jeudi dernier lors de la rencontre avec les prêtres de Rome, d'une initiative pastorale providentielle qui prépare notre diocèse à franchir le seuil du nouveau millénaire entièrement renouvelé. Rome possède une mission particulière à remplir, car elle est appelée à accueillir les pèlerins qui viendront du monde entier pour le grand Jubilé de l'An 2000. C'est pourquoi il est nécessaire que le témoignage de sa foi dans le Ressuscité, Rédempteur de l'homme et Seigneur de l'histoire, soit toujours plus joyeux et exemplaire. Il est important que les Romains reçoivent des croyants l'annonce et le témoignage de l'Évangile de l'espérance et de la solidarité. Très chers frères et sœurs de cette paroisse, vous devez vous sentir les évangélisateurs courageux des personnes qui vivent dans ce quartier.

4. J'adresse à tous mon salut cordial, à commencer par le Cardinal-Vicaire et par le Vice-gérant. Je salue ensuite Dom Isidoro Del Lungo, votre pasteur zélé depuis 1977, mais qui est présent dans la paroisse depuis désormais trente ans, le Vicaire paroissial et les autres collaborateurs. J'adresse une pensée particulière aux associations qui œuvrent dans ce quartier, ainsi qu'aux Frères de la Charité de Mère Teresa de Calcutta et aux volontaires qui s'occupent de la « Casa Serena », un centre d'accueil digne d'éloges pour les personnes en difficulté.

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Beaucoup d'entre vous se souviennent des origines de la paroisse, instituée il y a quarante ans dans une zone proche du « borghetto Prenestino », un village de masures créé en 1934, qui s'étendit de façon abusive après la guerre et qui fut démoli en 1980. Après avoir débuté dans des locaux modestes, la vie paroissiale s'est ensuite déplacée et ce jusqu'à nos jours, dans un hangar destiné aux célébrations liturgiques. Entre temps, un second hangar a été construit qui, le dimanche aux heures de plus grande affluence, fait office de lieu de culte supplémentaire.

Des difficultés compréhensibles ne manquèrent pas au début, mais par la suite, la carence même de véritables structures pastorales a fini, pourrions-nous dire de façon providentielle, par favoriser. un. climat. de. plus. grande cohésion dans la communauté, notamment parce que le nombre d'habitants n'a pas augmenté au fil du temps. Je voudrais adresser un salut affectueux à chaque personne qui vit dans votre quartier : à ceux qui fréquentent régulièrement la paroisse et à ceux qui, en revanche, se sont éloignés de la foi ; aux personnes seules et âgées, qui constituent une large part de votre communauté, aux malades et à ceux qui traversent des difficultés particulières, aux enfants, aux jeunes et aux familles.

Je sais qu'une expérience ecclésiale, celle du Renouveau dans l'Esprit Saint, a marqué de façon positive la vie de la paroisse. Je rends grâce au Seigneur pour tous ceux qui, soutenus par ce chemin spirituel particulier, se sont rapprochés de la foi et de l'Église. J'étends ma pensée aux Groupes de prière de Padre Pio et aux autres mouvements et groupes paroissiaux. Que chacun trouve toujours une place dans votre Communauté chrétienne, et que, dans le partage des charismes propres à chaque expérience spirituelle, vous ayez toujours à cœur de cultiver cet accueil réciproque harmonieux, indispensable à une action évangélisatrice fraternelle.

5. « Nous avons fait appel à Yahvé [...] Yahvé entendit notre voix » (Dt 26, 7). La profession de foi du peuple d'Israël, racontée dans la première Lecture, présente l'élément fondamental sur lequel

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toute la tradition de l'Ancien Testament est centrée : la libération de l'esclavage d'Égypte et la naissance du peuple élu.

La. Pâque. de. l'Ancienne. Alliance constitue la préparation et l'annonce de la Pâque définitive, dans laquelle sera immolé l'Agneau qui enlève le péché du monde.

Très chers frères et sœurs, au début de l'itinéraire quadragésimal, nous retournons aux racines de notre foi, pour nous préparer à travers la prière, la pénitence, le jeûne et la charité réciproque, à participer avec un cœur intérieurement renouvelé à la Pâque du Christ.

Que la Très Sainte Vierge nous aide, en ce Carême, à partager avec de dignes fruits de conversion le chemin du Christ, allant du désert des tentations à Jérusalem, pour célébrer avec lui la Pâque de notre rédemption.

08 mars 1998

Dans la matinée du dimanche 8 mars 1998, fête de la Transfiguration, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite dans la paroisse romaine de « Sant'Achille ». Au cours de la Messe célébrée pour les fidèles du quartier, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Celui-ci est mon Fils, l'Élu, écoutez-le » (Lc 9, 35). En ce deuxième dimanche de Carême, la liturgie nous invite à méditer sur le récit suggestif de la Transfiguration de Jésus. Dans la solitude du Mont Thabor, en présence de Pierre, Jacques et Jean, uniques témoins privilégiés de cet événement important, Jésus est revêtu, également extérieurement, de la gloire de Fils de Dieu qui lui appartient. Son visage devient lumineux, ses vêtements éblouissants. Moïse et Élie apparaissent, qui parlent avec lui au sujet de l'accomplissement de sa mission terrestre, destinée à se conclure à Jérusalem par la mort sur la Croix et la résurrection.

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Au cours de la Transfiguration est rendue visible pendant un instant la lumière divine qui sera pleinement révélée lors du Mystère pascal’ L'Évangéliste Luc souligne que ce fait extraordinaire a lieu précisément dans un contexte de prière. « Tandis qu'il priait », le visage de Jésus changea d'aspect (cf. Lc 9, 29). A l'exemple du Christ, la communauté chrétienne tout entière est invitée à vivre dans un esprit de prière et de pénitence l'itinéraire quadragésimal, pour se préparer dès à présent à accueillir la lumière divine qui resplendira à Pâques.

2. Dans la seconde Lecture, tirée de la Lettre de Paul aux Philippiens, un pressant appel à la conversion nous est adressé : « Fixez vos regards sur ceux qui se conduisent comme vous en avez en nous un exemple » (3, 17). A travers ces paroles, l'Apôtre propose son expérience personnelle, pour aider les fidèles de Philippes à surmonter le climat de relâchement et de désengagement qui se diffusait dans cette communauté qui lui était si chère.

Ici, le ton devient particulièrement profond et touchant. Saint Paul s'adresse à ses chrétiens de Philippes « avec les larmes aux yeux » pour les mettre en garde contre ceux qui « se conduisent en ennemis de la croix du Christ », car ils « n'apprécient que les choses de la terre » (Ibid., 3, 18-19). Aux difficultés de cette communauté fondée par lui, il oppose l'image de sa vie, consacrée sans réserve à la cause du Christ et à l'annonce de l'Évangile.

Comment ne pas noter, à ce propos, l'actualité de l'exhortation de l'Apôtre, qui retentit en ce dimanche de Carême, tandis que nous sommes entrés désormais dans la phase centrale de la Mission dans la ville ? Cette importante initiative pastorale en préparation au Jubilé, engage toutes les composantes de l'Église qui est à Rome et, dans le même temps, représente une occasion ô combien favorable pour aider les habitants de la ville à redécouvrir les valeurs de l'esprit, à approfondir l'amour pour le Christ et à accueillir la « Bonne Nouvelle » qui est le salut de l'homme dans sa plénitude.

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3. Très chers frères et sœurs de la paroisse « Sant'Achille » ! Je suis heureux d'être ici avec vous aujourd'hui et de célébrer l'Eucharistie dans votre Église. Ma visite dans votre paroisse a lieu précisément au moment où tout le diocèse de Rome est engagé dans la Mission dans la ville au niveau territorial, à travers la visite aux familles et les centres d'écoute de l'Évangile dans les agglomérations.

Je suis avec une attention particulière cette grande entreprise apostolique, qui a pour but de prédisposer le cœur des Romains à accueillir la grâce du Jubilé. Je désire encourager les missionnaires, hommes et femmes, qui, ces jours-ci, rendent visite aux familles et c'est précisément à eux que je rappelle en particulier ce que j'ai écrit en termes plus généraux dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente : « L'Esprit est aussi pour notre époque l'agent principal de la nouvelle évangélisation » (n. 45). Que face aux difficultés éventuelles que rencontre ce travail missionnaire,. croisse. en. chacun. la conscience de l'action de l'Esprit Saint, qui nous accompagne et « construit le Royaume de Dieu au cours de l'histoire et prépare sa pleine manifestation en Jésus-Christ, en animant les hommes de l'intérieur et en faisant croître dans la vie des hommes les germes du salut définitif qui adviendra à la nuit des temps » (Ibid.).

4. Très chers amis, j'adresse à tous un salut affectueux, en commençant par le Cardinal-Vicaire et par l'Évêque Auxiliaire du secteur. Je salue également cordialement votre curé actif, le Père Giuseppe Ferdinandi et les chers religieux du Troisième Ordre régulier de Saint François qui sont ses collaborateurs, les diacres permanents, les ministres extraordinaires de l'Eucharistie, qui se prodiguent tant pour la visite aux malades, leur apportant chaque dimanche la Sainte communion, ainsi que les membres des nombreux groupes et regroupements ecclésiaux présents dans la paroisse.

Votre communauté est également caractérisée par un engagement généreux et actif des laïcs, en particulier dans les secteurs du service aux plus faibles et dans diverses initiatives

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spirituelles et culturelles. Je me réjouis de cette vitalité apostolique et missionnaire et je souhaite que cette tension évangélique croisse toujours plus.

En. ce. moment. privilégié. de. grâce constitué par la Mission dans la Ville, je vous invite tous, très chers fidèles de la Paroisse « Sant'Achille », à intensifier votre effort en vue de diffuser la Parole salvifique parmi les habitants de Rome, à travers le dialogue avec les personnes et les familles, en valorisant les centres d'écoute de l'Évangile dans les maisons, et la célébration quotidienne de la Parole de Dieu. En outre, unissez à l'annonce de l'Évangile un témoignage concret de la charité, qui devient solidarité et partage, en particulier avec les plus indigents.

Je sais que vous œuvrez déjà dans ce sens, en cherchant à renforcer des formes de volontariat spontané pour les transformer en initiatives de solidarité plus stables et mieux organisées. Je vous encourage volontiers à poursuivre sur cette voie, en étudiant et en réalisant des formes courageuses et qualifiées de service à vos frères, en identifiant dans ce but les types de pauvreté, anciens et nouveaux, présents également dans cette zone. Il s'agit d'accompagner des mères célibataires et tant de personnes seules et âgées du quartier ; il est nécessaire de prendre soin des malades et des personnes qui souffrent ; il faut faire preuve de compréhension et d'accueil à l'égard des immigrés et des nomades, pour communiquer à tous le réconfort de la présence du Seigneur et la proximité solidaire de la communauté chrétienne.

5. Un soin attentif doit être porté aux familles, en particulier à celles qui, pour diverses raisons, ne réussissent plus à vivre pleinement l'amour conjugal’ C'est une mission difficile, je le sais, mais ô combien importante et urgente ! Il est tout aussi urgent et important de savoir approcher les jeunes pour leur transmettre l'Évangile du Christ et la confiance dans la vie. Soyez conscients que tout effort accompli dans ces deux domaines fondamentaux de la

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pastorale, étroitement liés entre eux, apporte une contribution précieuse à la nouvelle évangélisation.

Votre Communauté est confiée à la protection céleste de saint Achille, en mémoire du saint Patron de mon vénéré Prédécesseur Pie XI, qui se fit le promoteur à Rome de la construction de cinquante nouvelles paroisses et apporta un élan puissant, dans toute l'Italie à l'Action catholique. Que le souvenir de ce Pontife de notre temps, qui a tant œuvré pour la promotion du laïcat chrétien, encourage un apostolat fort et généreux, apte à renouveler avec le levain évangélique notre société au seuil du troisième millénaire.

6. Que sur cet itinéraire apostolique nous soutienne la conscience que Dieu est fidèle. Dans la première Lecture, nous avons écouté le récit de l'alliance stipulée par Dieu avec Abraham. A la promesse divine d'une descendance, Abraham répond « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18) ; pour cela, il devient. père. dans. la. foi. de. tous. les croyants. « Abram crut en Yahvé, qui le lui compta comme justice » (Gn 15, 6). L'alliance avec les souches du peuple élu est ensuite renouvelée dans la grande Alliance du Sinaï. Celle-ci trouve ensuite son accomplissement définitif dans la Nouvelle Alliance, conclue par Dieu avec l'humanité tout entière, non pas à travers le sang des animaux, mais dans celui de son Fils même fait Homme,. qui. offre. sa vie pour la rédemption du monde.

Que Marie, qui comme Abraham, croyait. contre toute espérance, nous aide à reconnaître en Jésus le Fils de Dieu et le Seigneur de notre vie. Confions-lui le Carême et la Mission dans la ville, afin qu'ils représentent des moments privilégiés de grâce et qu'ils apportent des fruits abondants de bien non seulement pour la communauté chrétienne, mais pour tous les habitants de Rome.

15 mars 1998

Dans la matinée du dimanche 15 mars 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre une cérémonie de béatification au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels

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trois Serviteurs de Dieu : le Bulgare Vincenzo Eugenio Bossilkov c.p., Évêque et martyr (1900-1952) ; l'Italienne Brigida di Gesù Morello, religieuse fondatrice des Sœurs Ursulines de Marie Immaculée (1610-1679) ; l'Espagnole María del Carmen Sallés y Barangueras, vierge fondatrice des Religieuses Conceptionnistes Missionnaires de l'Enseignement (1848-1911). Au cours de la cérémonie de béatification, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Dieu l'appela du milieu du buisson. Moïse, Moïse. dit-il, et il répondit :.Me voici. » (Ex 3, 4).

Dans la première Lecture, nous avons écouté le récit de la vocation de Moïse. Dieu révèle à Moïse son nom : « Je suis celui qui est » (Es 3, 14), afin qu'il le communique au peuple d'Israël’ C'est ainsi que s'instaure un rapport particulier de confiance et de familiarité entre Dieu et son envoyé. Celui-ci est investi de l'autorité de médiateur entre le peuple et son Seigneur. En vertu de cette responsabilité, il deviendra l'instrument de Dieu pour libérer Israël de l'esclavage d'Égypte. A travers son œuvre, c'est Yahvé lui-même qui conduira le peuple pendant quarante ans dans le désert jusqu'à la terre promise, et qui conclura la grande Alliance du Sinaï avec lui.

L'histoire de la vocation de Moïse démontre clairement que l'appel à la communion avec Dieu, et donc à la sainteté, est une condition nécessaire pour toute mission particulière en faveur de la communauté et au service des frères.

L'initiative divine, qui appelle une personne à la sainteté et lui confie une mission particulière au service de son prochain, resplendit de façon lumineuse dans l'expérience spirituelle des trois nouveaux Serviteurs de Dieu, que j'ai aujourd'hui la joie d'élever aux honneurs des autels : Vincenzo Eugenio Bossilkov, évêque et martyr, Brigida di Gesù Morello, religieuse et fondatrice des Sœurs Ursulines de Marie Immaculée, María del Carmen Sallés y Barangueras, vierge et fondatrice des Religieuses Conceptionnistes Missionnaires de l'Enseignement.

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2. « Ils buvaient à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ » (1 Co 10, 4). L'Évêque martyr Vincenzo Eugenio Bossilkov s'est abreuvé au rocher spirituel qu'est le Christ. En suivant fidèlement le charisme du fondateur de sa Congrégation, saint Paul de la Croix, il a cultivé intensément la spiritualité de la Passion. De plus, il s'est consacré sans réserve au service pastoral de la communauté chrétienne qui lui était confiée, en affrontant sans hésitation l'épreuve suprême du martyre.

[en bulgare]

Mgr Bossilkov est devenu ainsi une gloire éclatante de l'Église dans sa Patrie. Témoin intrépide de la Croix du Christ, il fait partie des innombrables victimes que le communisme athée a sacrifiées, en Bulgarie et ailleurs, au cours de son programme d'anéantissement de l'Église. Au cours de cette période de dure persécution, de nombreuses personnes se sont tournées vers lui et ont puisé dans l'exemple de son courage la force de rester fidèles à l'Évangile jusqu'au bout. En ce jour de fête pour la nation bulgare, je suis heureux de rendre hommage à tous ceux qui, comme Mgr Bossilkov, ont payé de leur vie l'adhésion sans réserve à la foi reçue dans le baptême.

[en italien]

Mgr Bossilkov a su unir de façon admirable sa mission de prêtre et d'évêque à une intense vie spirituelle et une attention constante aux exigences de ses frères. Aujourd'hui, il se propose à nous comme figure éminente de l'Église catholique qui est en Bulgarie, non seulement en raison de sa vaste culture, mais également en raison de son constant souci œcuménique et de sa fidélité héroïque au Siège de Pierre.

Lorsque l'hostilité au régime communiste contre l'Église se fit plus décisive et menaçante, le Bienheureux Bossilkov voulut demeurer près de son peuple, tout en sachant que cela mettait sa vie en péril’ Il ne craignit pas d'affronter la tempête de la persécution.

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Lorsqu'il sentit que le moment de l'épreuve suprême s'approchait, il écrivit au Supérieur de sa Province religieuse : « J'ai le courage de vivre, j'espère en avoir autant pour subir le pire, en demeurant fidèle au Christ, au Pape et à l'Église ! » (Lettre XIV).

Et ainsi, cet évêque et martyr, qui toute sa vie s'efforça d'être l'image fidèle du Bon Pasteur, le devint de façon toute particulière au moment de sa mort, lorsqu'il unit son sang à celui de l'Agneau immolé pour le salut du monde. Quel exemple lumineux pour nous tous, appelés à témoigner de notre fidélité au Christ et à son Évangile ! Quel grand encouragement pour tous ceux qui subissent aujourd’hui encore des injustices et des vexations à cause de leur foi ! Puisse l'exemple de ce martyr, que nous contemplons aujourd'hui dans la gloire des Bienheureux, diffuser confiance et ardeur parmi tous les chrétiens, en particulier ceux de la chère nation bulgare, qui peut désormais l'invoquer comme son protecteur céleste.

3. « Bon et miséricordieux est le Seigneur, lent dans la colère et grand dans l'amour ». Ces paroles, que la Liturgie d'aujourd'hui présente dans le Psaume responsorial, ont soutenu et orienté la fidélité héroïque à l'Évangile de la Bienheureuse Brigida di Gesú Morello, religieuse et fondatrice des Sœurs Ursulines de Marie Immaculée. Les épisodes de sa vie variée. tout d'abord comme jeune fille riche de vertus humaines et spirituelles, puis comme épouse fidèle et sage, comme veuve chrétienne, et enfin, comme personne consacrée et guide de ses consœurs. reflètent avec une clarté particulière l'abandon confiant de la nouvelle Bienheureuse à la miséricorde de Dieu qui est « lent dans la colère et grand dans l'amour ».

C'est à une école semblable que la Bienheureuse Brigida di Gesù apprit la leçon fondamentale de l'amour qui se dépense dans le dévouement quotidien au service de son prochain. A une époque où l'on accordait guère de considération aux idéaux de la féminité, la Bienheureuse Morello mis en lumière, sans bruit la valeur de la femme dans la famille et dans la société. Amoureuse de Dieu, elle fut

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toujours disponible à ouvrir son cœur et ses bras à ses frères et sœurs dans le besoin. Enrichie de dons mystiques mais dans le même temps, éprouvée par de longues et graves souffrances, elle ne cessa d'être pour ses contemporains une authentique maîtresse de vie spirituelle et un exemple significatif d'admirable synthèse entre vie consacrée et engagement social et éducatif.

Dans ses écrits transparaît une invitation constante à la confiance en Dieu. Elle aimait répéter : « Confiance, confiance, hauts les cœurs ! Dieu est notre Père et ne nous abandonnera jamais ! ».

Le message que la nouvelle Bienheureuse propose n'est-il pas particulièrement actuel ? Notre soeur dans la foi, élevée aujourd'hui aux honneurs des autels, nous rappelle avec force qu'aimer Dieu est le secret de tout engagement social authentique et efficace en faveur de nos frères.

[en espagnol]

4. La première Lecture du Livre de l'Exode présente la vocation et la mission de Moïse en suivant un schéma typique des récits bibliques des vocations : l'appel divin, les objections de l'élu, et le signe de la protection et de la sollicitude de la part de Dieu. Ces éléments apparaissent également dans la vie de Carmen Sallés y Barangueras, fondatrice des Missionnaires Conceptionnistes de l'Enseignement. Dès sa jeunesse, la nouvelle Bienheureuse consacra tous ses efforts à éclaircir le dessein que Dieu avait pour elle. Diverses expériences de vie religieuse la conduisirent à découvrir que sa mission dans l'Église consistait à diffuser le bien parmi les enfants et les jeunes, afin de les préserver des maux qui les guettaient, et fournir aux jeunes filles une culture et une formation professionnelle qui leur permettraient de s'insérer dignement dans la société.

Consacrée ainsi à l'éducation féminine, elle surmonta de nombreuses difficultés, se sachant un « instrument inutile entre les mains de Marie Immaculée » ; elle forma des projets audacieux,

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mûris dans la prière et le conseil de personnes disposant d'une solide formation, répétant avec une ferme confiance : « En avant, toujours en avant. Dieu pourvoit à tout ! ».

Femme pleine de valeur, la Mère Carmen fonda sa vie et son œuvre sur une spiritualité christocentrique, et mariale nourrie par une piété solide et discrète. Son charisme conceptionniste, signe de l'amour du Seigneur pour son peuple, demeure aujourd'hui vivant dans le témoignage de ses filles, qui travaillent avec acharnement en tant que missionnaires dans les écoles et les collèges, pour évangéliser à travers l'enseignement.

[en italien]

5. « Repentez-vous, dit le Seigneur, le Royaume de Dieu est proche » (Chant lors de l'Évangile ; cf. Mt 4, 17). Le passage évangélique de ce troisième dimanche de Carême souligne le thème fondamental de ce « temps fort » de l'année liturgique : l'invitation à se convertir et à accomplir des œuvres dignes de pénitence.

Les trois nouveaux Bienheureux, qui sont aujourd'hui présentés à notre vénération, ont su répondre à cette proposition exigeante. Cela n'a pas été un chemin facile pour eux. En effet, ils ont dû affronter des épreuves et des difficultés ; mais ils l'ont toujours fait avec un esprit disposé à accomplir jusqu'au bout la volonté divine. Ils ont lutté contre le mal en faisant le bien. Ils sont ainsi devenus par la parole et par l'exemple des témoins crédibles pour leurs contemporains. Grâce à leur aide, beaucoup d'autres ont accueilli le Christ et son Évangile de salut.

A notre époque, tandis que nous nous approchons désormais à grands pas du troisième millénaire, la vie de ces trois illustres frères dans la foi nous incite à suivre fidèlement le Seigneur sur ce chemin difficile, mais en même temps, lumineux, de la fidélité au Christ.

Amen.

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19 mars 1998

Dans la matinée du jeudi 19 mars 1998, en la solennité de saint Joseph, le Pape Jean-Paul II a conféré dans la Basilique Saint-Pierre l'ordination épiscopale à trois prêtres : Mgr James Michael Harvey, du clergé de l'archidiocèse de Milwaukee (U.S.A.), Évêque titulaire de Memfi, Préfet de la Maison pontificale ; Mgr Stanislaw Dziwisz, du clergé de l'archidiocèse de Cracovie (Pologne), Évêque titulaire de San Leone, Préfet-adjoint de la Maison pontificale ; Mgr Piero Marini, du clergé du diocèse de Piacenza-Bobbio (Italie), Évêque titulaire de Martirano, Maître des Célébrations liturgiques pontificales. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. O felicem virum, beatum Joseph, cui datum est Deum... non solum videre et audire, sed portare, deosculari, vestire et custodire !

Cette prière, que les prêtres avaient jadis l'habitude de réciter pour se préparer à célébrer la Sainte Messe, nous aide à approfondir le contenu de la liturgie de la solennité d'aujourd'hui. Nous contemplons aujourd'hui saint Joseph, époux de la Vierge, protecteur du Verbe incarné, homme du labeur quotidien, dépositaire du grand mystère du salut.

C'est précisément ce dernier aspect qui est souligné de façon particulière par les lectures bibliques qui viennent d'être proclamées et qui nous font comprendre la façon dont saint Joseph a été introduit par Dieu dans le dessein salvifique de l'Incarnation. « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Tel est le don incommensurable du salut, telle est l'œuvre de la rédemption.

Comme Marie, Joseph a lui aussi cru à la parole du Seigneur et y a participé. Comme Marie, il a cru que ce projet divin se serait réalisé grâce à leur disponibilité. Et c'est ainsi qu'il en a été : l'éternel Fils de Dieu s'est fait homme dans le sein de la Mère Vierge.

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A propos de Jésus. nouveau-né, puis enfant, adolescent, jeune, homme mûr., le Père éternel prononce les paroles de l'annonce prophétique que nous avons entendues au cours de la première Lecture : « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils » (cf. 2 S 7, 14). Aux yeux des habitants de Bethléem, de Nazareth et de Jérusalem, le père de Jésus est Joseph. Et le charpentier de Nazareth sait que, d'une certaine façon, il en est vraiment ainsi. Il le sait, car il croit dans la paternité de Dieu et il est conscient d'avoir été appelé dans une certaine mesure à la partager (cf. Ep 3, 14-15). Et aujourd'hui, l'Église, en vénérant saint Joseph, fait éloge de sa foi et de sa complète docilité à la volonté divine.

2. J'ai choisi cette année la solennité de saint Joseph pour l'Ordination épiscopale de trois prêtres auxquels je suis spécialement lié en raison du service particulier qu'ils prêtent au Saint-Siège et à ma Personne. Il s'agit de Mgr James Harvey, de Mgr Stanis3aw Dziwisz et de Mgr Piero Marini. A présent, dans le climat recueilli et solennel de cette Basilique, ils attendent l'imposition des mains, après le chant du Veni Creator, à travers lequel tous ensemble, nous avons invoqué sur eux l'abondance des dons du Paraclet. Ils attendent en puisant à la solennité de saint Joseph que nous fêtons aujourd'hui, des sentiments et des thèmes de réflexions, qui les aident à approfondir ce que l'Église va leur transmettre à travers les signes sacramentaux.

Ces paroles retentissent dans mon esprit : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Très chers frères, qui êtes sur le point d'être élevés à la grâce de l'épiscopat, ce myst ère d'amour se présente aujourd'hui à vos yeux avec une éloquence extraordinaire. Vous êtes appelés à y participer sous une forme encore plus exigeante. Dieu vous appelle à être ses plus proches collaborateurs dans le dessein universel du salut. Il vous confie son Fils, qui vit dans l'Église comme il vécut ja dis dans la maison de Nazareth ; il vous confie le Sauveur du monde et son œuvre salvifique.

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Lorsque vous étiez jeunes, le Seigneur vous a conféré, à travers la grâce du sacerdoce, un ministère spécifique au sein de l'Église. Aujourd'hui, dans votre maturité humaine, grâce à l'Esprit Saint, vous participez à la plénitude du sacrement de l'Ordre, en vertu duquel vous vous engagez à un titre nouveau et avec une plus haute responsabilité au service du Rédempteur de l'homme, Médiateur et Pasteur suprême et unique des âmes. L'Église prie avec vous et pour vous, afin que cette mission devienne une source d'innombrables bienfaits pour tous ceux auxquels vous serez envoyés.

C'est ce que nous demandons à travers l'intercession de saint Joseph ; nous lui confions votre ministère, nous souvenant que dans la plénitude des temps, le Père céleste plaça sous sa protection son Fils et la Vierge Mère. Que saint Joseph obtienne pour vous une abondante effusion de l'Esprit Saint.

3. C'est l'Esprit du Seigneur qui vous consacre à travers l'énergie de son amour.

[en anglais]

Il te consacre, cher Monseigneur James Harvey, de l'archidiocèse de Milwaukee aux Etats-Unis, qui as été pendant de nombreuses années mon fidèle collaborateur à la Secrétairerie d'Etat. Maintenant, en tant que Préfet de la Maison pontificale, tu seras responsable du déroulement quotidien des Audiences et des rencontres. C'est un service ô combien important et précieux, en particulier au cours de ces années qui nous conduisent au grand Jubilé de l'An 2000.

[en polonais]

L'Esprit du Seigneur te consacre, cher Monseigneur Stanislaw Dziwisz, de mon archidiocèse de Cracovie. Il y a trente-cinq ans, je t'ordonnais prêtre dans la cathédrale de Wawel, et trois ans plus tard, je te nommais mon chapelain. Depuis le début de mon ministère pétrinien, tu es à mes côtés comme fidèle Secrétaire, partageant avec moi les efforts et les joies, les espérances et les attentes. En tant que

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Préfet-adjoint au service de la Maison pontificale, tu offres ta grande expérience au bénéfice de ceux qui, de par leur ministère ou comme pèlerins, rencontrent le Successeur de Pierre.

[en italien]

L'Esprit te consacre, cher Monseigneur Piero Marini, du diocèse de Piacenza-Bobbio, qui es depuis des années mon Maître des Célébrations liturgiques. A travers ce service, tu es à mes côtés lors des moments les plus sacrés et tu as toujours accompli avec un dévouement apprécié la tâche liturgique que je t'ai confiée, m'accompagnant fidèlement partout où le ministère pétrinien m'a conduit. Le caractère épiscopal ne pourra que renforcer ta sensibilité et ton zèle, pour la gloire de Dieu et l'édification spirituelle des fidèles.

4. Très chers frères James, Stanislaw et Piero, qu'en ce jour de votre consécration, descende sur vous une abondance de grâces divines. Aujourd'hui, grâce à l'intercession de saint Joseph, vous êtes accueillis spirituellement, pour ainsi dire, sous le toit de la maison de Nazareth, pour participer à la vie de la Sainte Famille. Puissiez-vous comme Joseph servir fidèlement ceux que le Seigneur confiera à chacun de vous dans l'Église, et de fa çon particulière dans le cadre du Siège apostolique.

« O felicem virum, beatum Joseph, cui datum est, Deum, quem multi reges voluerunt videre et non viderunt, audire et non audierunt, non solum videre et audire, sed portare, deosculari, vestire et custodire », à toi, saint Joseph, silencieux et fidèle Serviteur du Seigneur, nous recommandons ces frères et leur ministère épiscopal qui commence. Assiste-les, protège-les, réconforte-les avec Marie, ton Épouse et Mère Vierge du Rédempteur. Amen !

22 mars 1998

Dans la matinée du dimanche 22 mars 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé à Onitsha une concélébration eucharistique solennelle, au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels le

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moine trappiste Cyprian Michael Iwene Tansi (1903-1964), premier Nigérian dans l'histoire de l'Église à être béatifié. Au début de la Sainte Messe, l'Archévêque d'Onitsha, S.Exc. Mgr Albert Kanene Obiefuna, a prononcé une adresse de salut à l'intention du Saint-Père. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par Jean-Paul II :

« Car c'est Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde » (2 Co 5, 19).

Chers frères et sœurs,

1. Dieu m'a accordé pour la seconde fois la joie de venir ici à Onitsha pour célébrer avec vous le Saint Sacrifice de la Messe. Il y a seize ans, vous m'avez accueilli sur cette belle terre et j'ai ressenti la chaleur et la ferveur d'un peuple plein de foi, d'hommes et de femmes réconciliés avec Dieu et désireux de diffuser la Bonne Nouvelle du salut parmi les personnes, proches et lointaines.

Saint Paul parle de la « nouvelle création dans le Christ » (cf. 2 Co 5, 17) et continue en nous disant : « Car c'est Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la parole de la réconciliation [...] Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 19-20). L'Apôtre affronte ici l'histoire de tout homme et de toute femme : Dieu, à travers son Fils unique Jésus-Christ, nous a réconciliés avec lui.

Cette même vérité est présentée de façon encore plus vive dans l'Évangile d'aujourd'hui. Saint Paul nous rapporte l'histoire d'un jeune homme qui quitta la maison de son père, subit les conséquences douloureuses de ce geste, et retrouva la voie de la réconciliation. Le jeune retourne à son père et dit : « Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils, traite-moi comme l'un de tes mercenaires » (Lc 15, 18-19). Le Père accueille son fils de retour à bras ouverts, il se réjouit car son fils est revenu. Le père de la parabole représente notre Père céleste, qui veut réconcilier chaque

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personne avec lui dans le Christ. C'est la réconciliation que l'Église proclame.

Lorsque les évêques de toute l'Afrique se sont réunis pour une session spéciale du Synode en vue de discuter des problèmes de ce continent, ils ont dit que l'Église qui est en Afrique devait devenir, à travers le témoignage de ses fils et filles, un lieu de véritable réconciliation. (cf.. Ecclesia. in. Africa, n. 79). En se réconciliant d'abord entre eux, les membres de l'Église apporteront à la société le pardon et la réconciliation du Christ notre paix (cf. Ep 2, 14). « Faute de quoi. disent les évêques. le monde ressemblera toujours davantage à un champ de bataille, où ne comptent que les intérêts égoïstes et où règne la loi de la force » (Ecclesia in Africa, n. 79).

Aujourd'hui, je désire proclamer l'importance de la réconciliation : la réconciliation avec Dieu et la réconciliation des personnes entre elles. C'est la tâche qui attend l'Église dans ce pays du Nigeria, sur ce continent d'Afrique, et au milieu de tous les peuples et de toutes les nations partout dans le monde. « Nous sommes donc en ambassade pour le Christ [...] nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20). C'est pourquoi les catholiques du Nigeria doivent être des témoins authentiques et efficaces de la foi dans tous les aspects de la vie, dans les affaires publiques et privées.

2. Aujourd'hui, l'un des fils du Nigeria, le Père Cyprian Michael Iwene Tansi a été proclamé « bienheureux » dans le pays même où il a prêché la Bonne Nouvelle du salut et où il s'est efforcé de réconcilier ses concitoyens avec Dieu et entre eux. En effet, la cathédrale dans laquelle le Père Tansi a été ordonné et les paroisses où il a exercé son ministère sacerdotal ne sont pas loin de ce lieu même d'Oba où nous sommes réunis. Quelques-unes des personnes auxquelles il a proclamé l'Évangile et administré les sacrements sont aujourd'hui ici avec nous, parmi lesquelles le Cardinal Francis Arinze, qui fut baptisé par le Père Tansi et poursuivit ses études primaires dans l'une de ses écoles.

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Dans la grande joie de cet événement, je salue tous ceux qui prennent part à cette liturgie, en particulier l'Archévêque Albert Obiefuna, Pasteur de cette Église locale d'Onitsha, ainsi que tous les évêques du Nigeria et des pays voisins. Je salue avec une affection particulière les prêtres, les religieux et les religieuses, les catéchistes et tous les fidèles laïcs. Je remercie les membres des autres communautés ecclésiales chrétiennes, de la communauté musulmane et des autres traditions religieuses qui se sont joints à nous aujourd'hui, ainsi que les représentants des diverses Autorités gouvernementales et locales présents à cette célébration. De façon particulière, je demande à Dieu de récompenser tous ceux qui ont tant travaillé, consacrant avec générosité leur temps, leurs talents et leurs ressources, afin que cette béatification puisse avoir lieu sur le sol nigérian. Je fais miennes les paroles du Psalmiste en invitant chacun. de. vous :. « Magnifiez. avec.. moi Yahvé, exaltons ensemble son nom » (Ps 34, 4) !

3. La vie et le témoignage du Père Tansi sont une source d'inspiration pour tous au Nigeria, le pays qu'il aimait tant. Il était avant tout un homme de Dieu : les longues heures passées devant le Saint Sacrement remplissaient son cœur d'un amour généreux et courageux. Ceux qui le connaissaient témoignent de son grand amour pour Dieu. Quiconque le rencontrait était frappé par sa bonté personnelle. Il était également un homme du peuple : il plaçait toujours les autres avant lui-même et était particulièrement attentif aux nécessités pastorales des familles. Il apportait un soin attentif à la préparation des couples au Saint Mariage et prêchait l'importance de la chasteté. Il s'efforçait de toutes les manières possibles de promouvoir la dignité des femmes. L'éducation des jeunes était particulièrement importante pour lui. Même lorsqu'il fut envoyé par l'Évêque Heerey à l'Abbaye cistercienne du Mont Saint-Bernard en Angleterre, pour poursuivre sa vocation monastique, dans l'espoir de réintroduire la vie contemplative en Afrique, il n'oublia pas son peuple. Il ne manqua pas d'élever des prières et d'offrir des sacrifices pour la sanctification permanente du peuple.

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Le Père Tansi savait qu'il y a une part de fils prodigue en chaque être humain. Il savait que tous les hommes et toutes les femmes sont tentés de se séparer de Dieu afin de mener leur propre existence indépendante et empreinte d'égoïsme. Il savait qu'ils étaient ensuite déçus par le vide et l'illusion qui les avaient fascinés et qu'ils finissaient par trouver au plus profond de leur cœur le chemin qui les ramenait à la maison du Père (cf. Reconciliatio et paenitentia, n. 5). Il encourageait les personnes à confesser leurs péchés et à recevoir le pardon de Dieu dans le Sacrement de la Réconciliation. Il les implorait de se pardonner réciproquement comme Dieu nous pardonne, et de transmettre le don de la réconciliation, l'appliquant de façon concrète à tous les niveaux de la vie nigériane. Le Père Tansi s'efforçait d'imiter le père de la parabole : il était toujours disponible pour ceux qui cherchaient la réconciliation. Il diffusait la joie de la communion restaurée avec Dieu. Il inspirait les personnes à accueillir la paix du Christ, et les encourageait à nourrir la vie de grâce par la Parole de Dieu et la Sainte Communion.

4. « Car c'est Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde » (2 Co 5, 19). Lorsque nous parlons du monde réconcilié avec Dieu, nous ne parlons pas seulement des individus, mais de chaque communauté : familles, clans, tribus, nations, États. Dans sa Providence, Dieu a contracté alliance après alliance avec l'humanité : il y a eu l'alliance avec nos premiers parents dans le jardin de l'Eden ; l'alliance avec Noé après le Déluge ; l'alliance avec Abraham. La lecture d'aujourd'hui tirée du Livre de Josué nous rappelle l'alliance faite avec Israël, lorsque Moïse libéra les Israéliens de l'esclavage d'Égypte. Et Dieu a établi maintenant l'alliance finale et définitive avec toute l'humanité en Jésus-Christ, qui a réconcilié chaque homme et chaque femme ainsi que les nations tout entières avec Dieu par sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. Le Christ fait donc partie de l'histoire des nations. Il fait partie de l'histoire de votre nation sur ce continent d'Afrique. Il y a plus de cent ans, des missionnaires arrivèrent dans votre pays pour proclamer l'Évangile de la réconciliation, la Bonne Nouvelle du salut. Vos ancêtres

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commencèrent à connaître le mystère de la rédemption du monde, et partagèrent cette Nouvelle Alliance dans le Christ. De cette façon, la foi chrétienne fut solidement enracinée dans ce sol, et continue de croître et de produire des fruits abondants.

Le. bienheureux. Cyprian. Michael Tansi est un exemple admirable des fruits de sainteté qui ont poussé et mûri dans l'Église qui est au Nigeria depuis que l'Évangile a été prêché sur cette terre. Il reçut le don de la foi grâce aux efforts des missionnaires et, en adoptant le style de vie chrétien, il le rendit véritablement africain et nigérian. C'est pourquoi les Nigérians d'aujourd'hui. jeunes et âgés. sont eux aussi appelés à faire mûrir les fruits spirituels qui ont été plantés parmi eux et qui sont maintenant prêts à être cueillis. A cet égard, je désire remercier et encourager l'Église qui est au Nigeria pour son œuvre missionnaire au Nigeria, en Afrique et au-delà. Le témoignage apport é par le Père Tansi à l'Évangile et à la charité du Christ est un don spirituel que cette Église locale offre maintenant à l'Église universelle.

5. En effet, Dieu a comblé ce pays de richesses humaines et naturelles, et chacun a le devoir d'assurer que ces ressources soient utilisées pour le bien du peuple tout entier. Tous les Nigérians doivent œuvrer pour libérer la société de tout ce qui offense la dignité de la personne humaine ou qui viole les droits humains. Cela signifie réconcilier les différences, surmonter les rivalités ethniques et insuffler honnêteté, efficacité et compétence dans l'art de gouverner. Tandis que votre nation est en train de vivre une transition pacifique vers un gouvernement civil démocratique, il y a besoin d'hommes politiques. hommes et femmes. qui aiment profondément leur peuple et qui désirent servir plutôt que d'être servis (cf. Ecclesia in Africa, n. 111). Il ne peut y avoir de place pour l'intimidation et l'oppression des pauvres et des faibles, pour l'exclusion arbitraire de personnes et de groupes de la vie politique, pour la mauvaise utilisation de l'autorité ou pour l'abus de pouvoir. En effet, la clé pour résoudre les conflits économiques, politiques, culturels et idéologiques est la justice ; et la justice n'est pas complète

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sans l'amour du prochain, sans une attitude de service humble et généreux. Lorsque nous considérons les autres en tant que frères et sœurs, alors, le processus d'apaisement des divisions au sein de la société et entre les groupes ethniques peut commencer. Cette réconciliation constitue le chemin qui mène à la véritable paix et au progrès authentique pour le Nigeria et pour l'Afrique. Cette réconciliation ne signifie pas faiblesse ou lâcheté. Au contraire, elle exige courage et parfois même héroïsme : c'est la victoire sur soi-même plutôt que la victoire sur les autres. Elle ne devrait jamais être considérée comme un déshonneur. Car il s'agit en réalité de l'art patient et sage de la paix.

6. Le passage du Livre de Josué que nous avons entendu au cours de la première Lecture de la liturgie d'aujourd'hui parle de la Pâque que les fils d'Israël célébrèrent après leur arrivée sur la Terre promise. Ils la célébrèrent avec joie car ils virent de leurs propres yeux que les promesses que le Seigneur leur avait faites avaient été maintenues. Après avoir erré pendant quarante ans dans le désert, leurs pieds foulaient désormais la terre que Dieu leur donnait. La Pâque de l'Ancien Testament, le souvenir de l'exode d'Égypte, est la figure de la Pâque du Nouveau Testament, le souvenir du passage de la mort du Christ à la vie, que nous rappelons et célébrons à chaque Messe.

Alors que nous nous tenons face à l'Autel du Sacrifice et que nous nous apprêtons à être nourris et renforcés par le Corps et le Sang du Christ, nous devons être convaincus que nous sommes appelés, chacun selon son état de vie particulier, à suivre les traces du Père Tansi. Ayant été réconciliés avec Dieu, nous devons être des instruments de réconciliation, en traitant tous les hommes et toutes les femmes en frères et sœurs, appelés à être membres de l'unique famille de Dieu.

La réconciliation comporte nécessairement la solidarité. L'effet de la solidarité est la paix. Et les fruits de la paix sont la joie et l'unité dans les familles, la coopération et le développement dans la société,

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la vérité et la justice dans la vie de la nation. Que tout cela soit l'avenir lumineux du Nigeria !

« Que le Dieu de la paix soit avec vous tous ! Amen » (Rm 15, 33).

23 mars 1998

Dans la matinée du lundi 23 mars 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique solennelle sur l'esplanade de Kubwa, dans la banlieue d'Abuja. Au cours de la Sainte Messe, et après l'adresse de salut de l'Archévêque d'Abuja, S.Exc. Mgr John Olorunfemi Onaiyekan, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

« Vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu » (Ep 2, 19).

Très chers frères et sœurs dans le Christ,

1. Ces paroles de la Lettre de saint Paul aux Éphésiens prennent une signification particulière, ici, dans la nouvelle capitale fédérale, la Ville d'Abuja. De façon très réelle, cette ville souhaite représenter l'aube d'une nouvelle ère pour le Nigeria et les Nigérians, une ère pleine d'espérance au cours de laquelle chaque citoyen nigérian, chaque homme et chaque femme, est appelé à jouer un rôle dans la construction d'une nouvelle réalité sur cette terre. Le Nigeria, comme toute l'Afrique, recherche les moyens de satisfaire les aspirations de son peuple, pour laisser derrière lui les conséquences de la pauvreté, des conflits, des guerres, du désespoir, pour pouvoir utiliser de façon adaptée les immenses ressources du continent et parvenir à la stabilité politique et sociale. L'Afrique a besoin d'espérance, de paix, de joie, d'harmonie, d'amour et d'unité : c'est ce qu'ont affirmé les Pères de l'Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques (cf. Ecclesia in Africa n. 40). C'est ce que nous demandons aujourd'hui à Dieu dans notre prière.

De la ville d'Abuja, je désire exprimer mon estime et mon affection à tous les Nigérians : à vous qui êtes présents à cette liturgie

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eucharistique et à ceux qui la suivent à la télévision ou à la radio. J'adresse un salut particulier à Mgr John Onaiyekan, aux autres évêques, aux prêtres, aux religieux et aux fidèles laïcs de toutes les Églises locales du Nigeria et d'autres parties d'Afrique. Je salue les fonctionnaires du gouvernement, les chefs des religions traditionnelles et les autres représentants des Autorités présentes ce matin. Je souhaite une cordiale bienvenue aux membres des autres Églises et communautés ecclésiales chrétiennes, représentées par la Christian Association of Nigeria, et aux fidèles des autres Traditions religieuses qui se sont joints à nous, en particulier aux membres de la Communauté musulmane.

2. Chers frères et sœurs dans le Christ, seize ans se sont désormais écoulés depuis ma dernière visite au Nigeria. La chaleur avec laquelle vous m'avez accueilli me donne encore une fois l'impression d'être chez moi. Et ne sommes-nous pas tous invités à nous sentir chez nous en tant que membres de l'unique grande famille de Dieu ? C'est précisément ce que nous dit saint Paul : nous sommes de « la maison de Dieu », c'est-à-dire des membres de la famille de Dieu !

Dans l'ordre naturel, la famille représente le fondement et la base de toutes les communautés et sociétés humaines. Du noyau constitué par la famille dérivent les clans, les tribus, les peuples et les États ; la grande famille des nations africaines naît elle aussi en définitive de la famille humaine composée d'un mari et d'une femme, d'une mère, d'un père et d'enfants.

La culture et la tradition africaine tiennent la famille en Très-Haute considération. C'est pourquoi les peuples de l'Afrique se réjouissent du don d'une vie nouvelle, une vie conçue et née ; ils rejettent spontanément l'idée que la vie puisse être détruite dans le sein maternel, même lorsque les soi-disant « civilisations avancées » cherchent à les conduire dans cette direction ; ils manifestent du respect pour la vie humaine jusqu'à son terme naturel et réservent une place à leurs parents et aux parents âgés au sein de la famille (cf.

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Ecclesia in Africa, n. 43). Les cultures africaines ont un sens aigu de la solidarité et de la vie communautaire, en particulier en ce qui concerne la famille étendue et le village (cf. ibid.). Ce sont des signes que vous comprenez et qui satisfont aux exigences de cette justice et de cette intégrité dont parle le prophète Isaïe dans la première Lecture (cf. Is 56, 1). C'est précisément dans les relations au sein de la famille et entre les familles, que la justice et l'intégrité deviennent une réalité tangible et un engagement pratique.

3. Lorsque cet ordre naturel est élevé à l'ordre surnaturel, nous devenons des membres de la famille de Dieu et nous sommes édifiés dans une maison spirituelle où demeure l'Esprit de Dieu. Toutefois, comment ce qui est naturel peut-il accéder à ce qui est surnaturel ? Comment se fait-il que nous devenions des membres de la famille de Dieu et que nous soyons transformés en temples saints pour l'Esprit de Dieu ?

La réalité de la famille, telle qu'elle existe au niveau culturel et social, est élevée par la grâce et conduite à un niveau supérieur. Parmi les baptisés, les relations au sein de la famille acquièrent un caractère nouveau : elles deviennent une communion de vie et d'amour comblée de grâce, au service de la communauté plus vaste. En outre, elles édifient l'Église, la famille de Dieu (cf. Lumen gentium, n. 6). L'Église, à travers sa mission évangélisatrice et sa présence active dans chaque partie du monde, confère une nouvelle signification au concept même de famille et, en conséquence, au concept de nation comme « famille de familles » et à celui du monde comme « familles des nations ».

Hier, à Onitsha, une merveilleuse manifestation du caractère universel de la famille de Dieu, qui inclut réellement tous les peuples, a été la béatification ; c'est la première cérémonie de ce genre qui se soit jamais déroulée sur le sol nigérian, en l'honneur de l'un des fils du Nigeria. Il s'est agi d'une fête en famille pour le peuple et la nation nigérians. En même temps, cela a été une célébration pour toute la famille de Dieu : toute l'Église de Dieu,

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dans le monde entier, s'est réjouie avec l'Église qui est au Nigeria et qui a reçu à présent du Nigeria l'exemple édifiant de la vie et du témoignage du bienheureux Cyprian Michael Iwene Tansi.

En termes humains, le Père Tansi était un fils de ce pays, né dans l'État d'Anambra. Toutefois, dans l'ordre surnaturel de la grâce, il est devenu quelque chose de plus : sans perdre son origine naturelle, il a transcendé ses origines terrestres et est devenu, selon les paroles de saint Paul, un membre « de la maison de Dieu », « car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même » (Ep 2, 19-20).

A travers la grâce, il a été comblé « de joie dans la [...] maison de prière » (Is 56, 7). Il a compris que la maison de Dieu est « une maison de prière pour tous les peuples » (ibid.). C'est une maison de prière pour les Housa, les Yoruba, les Igbo. C'est une maison de prière pour les Efik, les Tiv, les Edo, les Gwari et pour de nombreux autres peuples, trop nombreux pour être cités, qui habitent cette terre du Nigeria. Cependant, elle ne l'est pas seulement pour tous ces peuples, mais pour tous les peuples de l'Afrique, de l'Europe, de l'Asie, de l'Océanie et des Amériques : « Ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples » !

4. Dans l'Évangile d'aujourd'hui, Jésus lui-même nous enseigne comment comprendre la famille de Dieu et pourquoi elle concerne tous les peuples : il nous dit : « Car quiconque fait la volonté de mon père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère » (Mt 12, 50).

A travers cette phrase, Jésus révèle un des secrets de son Royaume.

Il nous parle de la relation avec Marie, sa mère. Peu importe combien Jésus l'aimait car elle était sa Mère, il l'aimait encore davantage car elle accomplissait la volonté du Père céleste. Lors de l'Annonciation elle a répondu « oui » à la volonté de Dieu,

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manifestée par l'ange Gabriel (cf. Lc 1, 26-38). Elle a partagé chacune des phases de la vie et de la mission de son Fils, jusqu'au pied de la Croix (cf. Jn 19, 25). Comme Marie, nous apprenons nous aussi à accepter que chaque relation humaine est renouvelée, élevée, purifiée et reçoit une nouvelle signification à travers la grâce du Christ : « Grâce à Lui nous trouvons tous, en un seul Esprit, le chemin vers le Père [...] édifiés pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit » (cf. Ep 2, 18, 22).

C'est la maison spirituelle que les missionnaires ont commencé à édifier, il y a plus de cent ans. Le Nigeria a contracté à leur égard une grande dette de gratitude pour leurs efforts d'évangélisation, accomplis en particulier dans les écoles, les hôpitaux et les autres domaines du service social’ A l'exemple de ces courageux messagers de l'Évangile, l'Église catholique qui est au Nigeria est profondément engagée dans la lutte pour le développement humain intégral. Dieu a béni l'Église qui est au Nigeria, au point que les missionnaires nigérians travaillent en dehors de leurs diocèses, dans d'autres pays africains et sur d'autres continents. Guidés par vos évêques et vos prêtres, toute la communauté catholique doit continuer à suivre ce chemin, en collaborant avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, à travers un intense dialogue œcuménique et inter-religieux.

Dans le but d'édifier la maison spirituelle de Dieu, l'Église invite tous ses membres à répondre avec une inépuisable compassion à ceux qui sont dans le besoin : aux pauvres, aux malades et aux personnes âgées, aux réfugiés qui ont dû fuir la violence et les conflits dans leur pays natal, aux hommes, aux femmes et aux enfants frappés par le SIDA, qui continue à faire de nombreuses victimes sur ce continent et dans le monde entier, à toutes les personnes victimes de persécutions, de la douleur et de la pauvreté. L'Église enseigne le respect à l'égard de chaque personne humaine, pour chaque vie humaine. Elle prêche la justice et l'amour et insiste sur les devoirs autant que sur les droits : les droits et les devoirs des

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citoyens, des patrons et des travailleurs, du gouvernement et du peuple.

En effet, il existe des droits humains fondamentaux dont aucun individu ne pourra jamais légitimement être privé, car ils sont enracinés dans la nature même de la personne humaine et reflètent les exigences objectives et inviolables d'une loi morale universelle. Ces droits servent de fondement et de paramètre à toute société et organisation humaine. Le respect pour chaque personne humaine, pour sa dignité et ses droits, doit toujours inspirer et être le principe à la base de vos efforts pour développer la démocratie et renforcer le tissu social de votre pays. La dignité de chaque être humain, ses droits fondamentaux inaliénables, l'inviolabilité de la vie, de la liberté et de la justice, le sens de la solidarité et le refus de la discrimination : telles sont les pierres avec lesquelles il faut construire un Nigeria nouveau et meilleur.

5. Toute l'Église se prépare à célébrer le second millénaire de la naissance du Christ, le Verbe de Dieu qui s'est fait homme. Je vous dis donc : aujourd'hui, vous êtes l'espérance de notre Église qui va avoir deux mille ans. Étant jeunes dans la foi, vous devez être comme les premiers chrétiens et faire rayonner l'enthousiasme et le courage. Empruntez le chemin de la sainteté. Vous serez ainsi un signe de Dieu dans le monde et vous revivrez dans votre pays. l'aventure. missionnaire de l'Église primitive (cf. Ecclesia in Africa, n. 136).

Le grand Jubilé souhaite donner vie à l'esprit de renouveau proclamé par le prophète Isaïe et confirmé par Jésus : annoncer l'heureux message aux pauvres, proclamer la libération aux prisonniers, rendre la vue aux aveugles, remettre en liberté les opprimés (cf. Lc 4, 18). Faites de cet esprit le climat authentique de votre vie nationale. Que cette période de transition soit une période de liberté, de pardon, d'union et de solidarité !

Le. bienheureux Cyprian. Michael Tansi comprit clairement qu'il est impossible d'obtenir quelque chose de durable au service de Dieu et du pays sans une véritable sainteté et une véritable charité.

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Prenez-le comme exemple. Adressez-lui vos prières pour les besoins de vos familles et de toute la nation.

Avec gratitude pour tout ce que la Divine Providence continue à accomplir pour le peuple du Nigeria, nous répétons avec les paroles du Psalmiste :

« Chantez à Yahvé, bénissez son nom ! [...]

Racontez au païens sa gloire,

à tous les peuples ses merveilles ! » (Ps 95, 2-3).

Amen.

A la fin de la Sainte Messe, le Pape a ajouté les paroles suivantes :

Merci pour cette belle liturgie. Je suis certain que le Cardinal Arinze est très fier de vous, ainsi que le Cardinal Gantin et le Cardinal Tomko, mais surtout votre Archévêque d'Abuja.

05 avril 1998

Dans la matinée du dimanche 5 avril 1998, Dimanche des Rameaux et XIIIe Journée mondiale de la Jeunesse, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique sur la place Saint-Pierre, au cours de laquelle un groupe de jeunes français a remis la Croix de la Journée mondiale de la Jeunesse à une délégation de jeunes italiens et romains. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » (Lc 19, 38).

Le Dimanche des Rameaux nous fait revivre l'entrée de Jésus à Jérusalem, à l'approche de Pâques. Le passage évangélique nous l'a présenté alors qu'il entre dans la ville, entouré d'une foule en fête. On peut dire que ce jour-là, les attentes d'Israël à l'égard du Messie atteignirent leur sommet. Il s'agissait d'attentes alimentées par les paroles des prophètes antiques et confirmées par Jésus de Nazareth à

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travers son enseignement et, en particulier, à travers les signes accomplis.

Jésus répondit ainsi aux pharisiens qui lui demandaient de faire taire la foule : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40). Il se référait, en particulier, aux murs du temple de Jérusalem, construit en vue de la venue du Messie et reconstruit avec un grand soin après avoir été détruit au moment de la déportation babylonienne. La mémoire de la destruction et de la reconstruction du temple était demeurée vivante dans la conscience d'Israël et Jésus faisait référence à cette conscience lorsqu'il affirmait : « Détruisez ce Sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19). De la même façon que l'antique temple de Jérusalem fut détruit et reconstruit, le nouveau temple parfait du corps de Jésus devait mourir sur la Croix et ressusciter le troisième jour (cf. ibid., 2, 21-22).

2. En entrant à Jérusalem, Jésus sait cependant que la joie manifestée par la foule l'introduit au cœur du « mysterium » du salut. Il est conscient qu'il va à la rencontre de la mort et qu'il ne recevra pas une couronne royale, mais une couronne d'épine.

Les lectures de la célébration d'aujourd'hui portent l'empreinte de la souffrance du Messie et atteignent leur sommet dans la description que l'évangéliste Luc fait de celle-ci dans le récit de la passion. Cet indicible mystère de douleur et d'amour est présenté par le prophète Isaïe, qui est considéré comme l'évangéliste de l'Ancien Testament, ainsi que par le Psaume responsorial et le refrain que nous venons de chanter : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ».Saint Paul le reprend dans sa Lettre aux Philippiens, dont s'inspire l'antienne qui nous accompagnera au cours du « Triduum Sacrum » : « Obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! » (cf. 2, 8). Lors de la veillée pascale, nous ajouterons : « Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom, qui est au dessus de tout nom » (Ph 2, 9).

Lors de la célébration eucharistique, l'Église fait chaque jour mémoire de la passion,.de la mort et de la résurrection du Seigneur :

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« Nous annonçons ta mort, Seigneur, reprennent les fidèles après la consécration. nous proclamons ta résurrection, en attendant ta venue ».

3. Depuis plus de dix ans, le Dimanche des Rameaux est devenu un rendez-vous attendu pour la célébration de la Journée mondiale de la Jeunesse. Le fait que l'Église, précisément en ce jour, prête son attention aux jeunes est, en lui-même, très éloquent. Et non seulement parce qu'il y a deux mille ans, ce furent les jeunes en fête qui accompagnèrent le Christ, lors de son entrée triomphale à Jérusalem. pueri Hebraeorum, mais surtout parce qu'après vingt siècles d'histoire chrétienne, les jeunes,.guidés par leur sensibilité et une juste intuition,.découvrent dans la liturgie du Dimanche des Rameaux un message qui leur est adressé en particulier.

Chers jeunes, le message de la Croix vous est aujourd'hui reproposé. C'est à vous, qui serez les adultes du troisième millénaire, qu'est confiée cette Croix qui sera remise d'ici peu par un groupe de jeunes français à une délégation de la jeunesse de Rome et d'Italie. De Rome à Buenos Aires ; de Buenos Aires à Saint-Jacques-de-Compostelle ; de Saint-Jacques-de-Compostelle à Czestochowa ; de Jasna Góra à Denver ; de Denver à Manille ; de Manille à Paris ; cette Croix a pérégriné avec les jeunes, d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre. Votre choix, jeunes chrétiens, est clair : découvrir dans la Croix du Christ le sens de votre existence et la source de votre enthousiasme missionnaire.

Dès d'aujourd'hui, elle partira en pèlerinage dans les diocèses d'Italie, jusqu' à la Journée mondiale de la Jeunesse de l'An 2000, qui sera célébrée ici à Rome, à l'occasion du grand Jubilé. Ensuite, à l'arrivée du nouveau millénaire, elle reprendra sa marche à travers le monde entier, montrant ainsi que la Croix marche avec les jeunes et que les jeunes marchent avec la Croix.

4. Comment ne pas rendre grâce au Christ pour cette alliance singulière, qui rassemble les jeunes croyants ? A présent, je voudrais remercier tous ceux qui, en guidant les jeunes dans cette initiative

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providentielle, ont contribué au grand pèlerinage de la Croix sur les routes du monde. Je pense en particulier avec affection et reconnaissance au très cher Cardinal Eduardo Pironio, récemment disparu. Il fut présent et présida de nombreuses célébrations de la Journée mondiale de la Jeunesse. Que le Seigneur le comble des récompenses célestes promises aux serviteurs bons et fidèles !

Tandis que dans un instant, la Croix passera de façon symbolique de Paris à Rome, permettez que l'Évêque de cette ville proclame avec la liturgie : Ave Crux, spes unica ! Nous te saluons, ô Sainte Croix !.En toi, vient à nous Celui qui, il y a vingt siècles, fut acclamé par d'autres jeunes et par la foule à Jérusalem : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ».

Nous nous unissons tous à ce chant en répétant : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

Oui ! Béni sois-tu, ô Christ, qui aujourd'hui aussi viens à nous avec ton message d'amour et de vie. Et bénie ta Sainte Croix, de laquelle jaillit le salut du monde hier, aujourd'hui et à jamais.

Ave Crux ! Loué soit Jésus-Christ !

09 avril 1998 – Messe chrismale

Dans la matinée du 9 avril 1998, le Pape Jean-Paul II a célébré la Messe chrismale du Jeudi saint dans la basilique Saint-Pierre, célébrant ainsi l'« Onction » particulière du Christ qui, à travers Lui, est devenue celle des prêtres. Au cours de la cérémonie le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction » (Lc 4, 18).

Ces paroles du Livre du prophète Isaïe, rapportées par l'évangéliste Luc, reviennent plusieurs fois dans la liturgie chrismale d'aujourd'hui, et en constituent presque le fil conducteur. Elles rappellent un geste rituel qui possède une longue tradition dans l'Ancienne Alliance, car il se répète dans l'histoire du Peuple élu lors

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de la consécration de prêtres, de prophètes et de rois. A travers le signe de l'onction, Dieu lui-même. confie. la. mission. sacerdotale, royale et prophétique aux hommes qu'Il appelle, et il rend sa bénédiction visible pour l'accomplissement de la tâche qui leur est confiée.

Ceux qui ont été oints dans l'Ancienne Alliance, l'ont été en vue d'une seule personne, de celui qui devait venir : le Christ, l'unique et définitif « Consacré », l'« Oint » par excellence. Ce sera l'Incarnation du Verbe qui révélera le mystère de Dieu Créateur et Père qui, à travers l'onction de l'Esprit Saint, envoie son Fils unique dans le monde.

A présent, il se tient dans la synagogue de Nazareth. Nazareth est son village : c'est là qu'Il a vécu et travaillé pendant des années à un humble établi de charpentier. Aujourd'hui, cependant, Il est présent dans la synagogue revêtu d'une qualité nouvelle : sur les rives du Jourdain, après le baptême de Jean, il a reçu l'investiture solennelle de l'Esprit, qui l'a poussé à commencer la mission messianique pour accomplir la volonté salvifique du Père. Et maintenant, il se présente à ses concitoyens en prononçant les paroles d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 18-19). C'est là qu'il conclut sa lecture et, après une pause, il prononce quelques paroles qui coupent le souffle à ses auditeurs : « Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture » (Lc 4, 21). La déclaration ne laisse place à aucun doute : Il est l'« Oint », Il est le « Consacré » ; c'est à Lui que le prophète Isaïe fait allusion. C'est en Lui que s'accomplit la promesse du Père.

2. Aujourd'hui, Jeudi saint, nous sommes rassemblés dans la Basilique Saint-Pierre pour méditer sur cet événement : comme les consacrés de l'Ancienne Alliance, nous aussi, nous tournons notre

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regard vers Celui que le Livre de l'Apocalypse appelle « le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts, le Prince des rois de la terre » (1, 5). Nous regardons vers Celui qu'ils ont transpercé (cf. Jn 19, 37). En donnant sa vie pour nous libérer du péché (cf. Jn 15, 13), Il nous a révélé son « grand amour » ; il s'est présenté comme le véritable et définitif Consacré par l'onction qui, dans la puissance de l'Esprit Saint, nous rachète au moyen de la Croix. C'est sur le Calvaire que s'accomplissent en plénitude les paroles suivantes : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction » (Lc 4, 18).

Cette consécration et le sacrifice de la Croix constituent respectivement l'inauguration et l'accomplissement de la mission du Verbe incarné. De l'acte suprême d'amour consommé sur le Golgotha, le Jeudi saint commémore la manifestation sacramentelle instituée par Jésus au Cénacle, alors que le Vendredi saint en souligne l'aspect historique dramatique et cruel. Dans sa double dimension, ce sacrifice marque le début de la « nouvelle » onction de l'Esprit Saint et représente le gage de la descente du Paraclet sur les Apôtres et sur l'Église qui, dans un certain sens, célèbre donc aujourd'hui sa naissance.

3. Chers frères prêtres, nous sommes réunis ce matin autour de la table eucharistique le jour saint où nous faisons mémoire de la naissance de notre sacerdoce ! Aujourd'hui, nous célébrons l'« onction » particulière qui, dans le Christ, est aussi devenue la nôtre. Lorsque, durant le rite de notre Ordination, nos mains ont été ointes par l'évêque avec le saint chrême, nous sommes devenus des ministres saints et des signes efficaces de la rédemption et participants de l'onction sacerdotale du Christ. A partir de ce moment, la puissance de l'Esprit Saint, qui s'est répandue sur nous, a transformé notre existence pour toujours. Cette puissance divine. est. toujours. présente. en. nous et elle nous accompagnera jusqu'à la fin.

Alors que nous nous apprêtons à entrer dans les jours saints où nous commémorerons la mort et la résurrection du Seigneur, nous

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voulons renouveler notre action de grâce à l'Esprit Saint pour le don inestimable qui nous a été fait dans le sacerdoce. Comment ne pas nous sentir les débiteurs de Celui qui a voulu nous associer à cette admirable dignité ? Que ce sentiment nous pousse à rendre grâce au Seigneur pour les merveilles qu'il a accomplies au cours de. notre. existence ;. qu'il nous aide à considérer avec une ferme espérance notre ministère, en demandant humblement pardon pour nos infidélités éventuelles.

Que Marie nous soutienne car, comme Elle, nous nous laissons conduire par l'Esprit pour suivre Jésus jusqu'au terme de notre mission terrestre. J'ai écrit dans la Lettre de cette année aux prêtres : « Accompagné par Marie, le prêtre saura renouveler chaque jour sa consécration, jusqu'à ce que, sous la conduite de l'Esprit lui-même, invoqué avec confiance sur la route humaine et sacerdotale, il pénètre dans l'océan de lumière de la Trinité » (n. 7).

Dans cette perspective et avec cette espérance, nous poursuivons avec confiance la route que le Seigneur ouvre devant nous jour après jour. Son Esprit divin nous soutient et nous aide.

Veni, Sancte Spiritus ! Amen.

09 avril 1998 – Messe « in Cena Domini

Dans la soirée du jeudi 9 avril 1998, Jeudi saint, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la basilique Saint-Jean-de-Latran la Messe « in Cena Domini », au cours de laquelle est commémoré l'événement fondateur de l'Église, l'institution de l'Eucharistie. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père à cette occasion :

1. « Verbum caro, panem verum/ Verbo carnem efficit... ».

« La Parole du Seigneur/transforma le pain et le vin :/ le pain en chair, le vin en sang,/il les consacra en mémoire./Ce ne sont pas les sens, mais la foi, qui prouva cette vérité ».

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Ces expressions poétiques de saint Thomas d'Aquin résument bien la liturgie des Vêpres « in Cena Domini » d'aujourd'hui, et nous aident à entrer dans le cœur du mystère que nous célébrons. Nous lisons dans l'Évangile : « Jésus, sachant que son heure était venue de passer. de. ce. monde. vers. le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin » (Jn 13, 1). Aujourd'hui est le jour au cours duquel nous rappelons l'institution de l'Eucharistie, don de l'amour et source intarissable d'amour. C'est en elle qu'est écrit et enraciné le nouveau commandement : « Mandatum novum do vobis... » : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 34).

2. L'amour atteint son sommet dans le don que la personne fait d'elle-même, sans réserve, à Dieu et à ses frères. En lavant les pieds des Apôtres, le Maître leur présente une attitude de service : « Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jn 13, 13-14). A travers ce geste, Jésus révèle un trait caractéristique de sa mission : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). Le véritable disciple du Christ est donc uniquement celui qui « prend part » à son expérience, devenant comme Lui prêt à servir les autres également à travers le sacrifice personnel. En effet, le service, c'est-à-dire prendre soin des besoins de son prochain, constitue l'essence de tout pouvoir bien ordonné : régner signifie servir. Le ministère sacerdotal, dont nous célébrons et vénérons l'institution, suppose une attitude de disponibilité humble, avant tout envers les plus indigents. Ce n'est qu'à cette lumière que nous pouvons saisir pleinement l'événement de la dernière Cène, que nous commémorons.

3. Le Jeudi saint est qualifié par la liturgie d'« aujourd'hui eucharistique », jour au cours duquel « Jésus-Christ notre Seigneur confia à ses disciples le mystère de son Corps et de son Sang, afin qu'ils le célébrassent en sa mémoire » (Canon romain pour le Jeudi saint). Avant d'être immolé sur la Croix le Vendredi saint, Il institua

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le Sacrement qui perpétue son offrande en tout temps. Au cours de toute Sainte Messe, l'Église fait mémoire de cet événement historique décisif. Avec une vive émotion, le prêtre, sur l'autel, se penche sur les dons eucharistiques pour prononcer les mêmes paroles que prononça le Christ « la nuit où il fut livré ». Il répète sur le pain : « Ceci est mon corps, qui est [donné] pour vous » (1 Co 11, 24), puis sur la coupe de vin : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang » (1 Co 11, 25). Depuis ce Jeudi saint, il y a presque deux mille ans, jusqu'à ce soir, Jeudi saint de l'année 1998, l'Église vit à travers l'Eucharistie, se laisse former par l'Eucharistie, et continue de la célébrer dans l'attente du retour de son Seigneur.

Faisons nôtre, ce soir, l'invitation de saint Augustin : O Église bien-aimée, « manduca vitam, bibe vitam : habebis vitam, et integra est vita ! » : « mange la vie, bois la vie : tu auras la vie et elle restera intacte ! » (Sermo CXXXI, I, 1).

4. « Pange, lingua, gloriosi/Corporis mysterium/Sanguinisque pretiosi... ». Nous adorons ce « mysterium fidei », dont se nourrit sans cesse l'Église. Le sens vif et émouvant du don suprême qu'est pour nous l'Eucharistie se ravive dans notre cœur.

Tout comme se ravive la gratitude liée à la reconnaissance du fait qu'il n'y a rien en nous qui n'ait été donné par le Père de toute miséricorde (cf. 2 Co 1, 3). L'Eucharistie, le grand « mystère de la foi », reste avant tout et surtout un don, quelque chose que nous avons « reçu ». C'est ce que répète saint Paul, en commençant son récit de la dernière Cène par ces paroles : « Pour moi, en effet, j'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon tour je vous ai transmis » (1 Co 11, 23). L'Église l'a reçu du Christ et, en célébrant ce sacrement, elle rend grâce au Père céleste pour ce qu'Il a fait pour nous dans Jésus, son Fils.

Nous accueillons lors de chaque célébration eucharistique ce don toujours nouveau : laissons son pouvoir divin imprégner nos cœurs et les rendre capables d'annoncer la mort du Seigneur dans l'attente de sa venue. « Mysterium fidei » chante le prêtre après la

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consécration, et les fidèles répondent : « Mortem tuam annuntiamus, Domine... » : « Nous annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue ». La somme de la foi pascale de l'Église est contenue dans l'Eucharistie.

Ce soir également, nous rendons grâce au Seigneur, qui a institué ce grand sacrement. Nous le célébrons et nous le recevons pour trouver en lui la force d'avancer sur les chemins de l'existence en attendant le jour du Seigneur. Nous serons alors introduits dans la demeure où le Christ, le Prêtre suprême, est entré à travers le sacrifice de son Corps et de son Sang.

5. « Ave, verum corpus, natum de Maria Vergine » : « Nous te saluons, véritable corps, né de la Vierge Marie », prie aujourd'hui l'Église. Que Marie nous accompagne dans cette « attente de sa venue », elle dont Jésus a pris corps, le même corps que nous partageons ce soir fraternellement dans le banquet eucharistique.

« Esto nobis praegustatum mortis in examine » : « Qu'il nous soit déjà donné de goûter ta personne au moment décisif de la mort ». Oui, prends-nous par la main, ô Jésus Eucharistie, en cette heure suprême qui nous introduira dans la lumière de ton éternité : « O Iesu dulcis ! O Iesu pie ! O Iesu, fili Mariae ! ».

10 avril 1998

Dans la soirée du 10 avril 1998, Vendredi saint, le Pape Jean-Paul II a conduit, selon la tradition, le Chemin de Croix au Colisée. Au terme de la procession, le Pape a adressé aux fidèles les paroles suivantes :

1. Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique » (cf. Jn 3, 16). Le Fils éternel de Dieu, qui a pris notre nature humaine par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, s'est fait « obéissant au Père jusqu'à mourir et à mourir sur une croix » (cf. Ph 2, 8) pour le salut du monde. L'Église médite chaque jour le mystère suprême de

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l'incarnation salvifique et de la mort rédemptrice du Fils de Dieu, qui s'est immolé pour nous sur la Croix.

Aujourd'hui, Vendredi saint, nous nous arrêtons pour le contempler plus intensément. Dans l'obscurité d'une soirée déjà avancée, nous sommes venus ici, au Colisée, pour parcourir de nouveau, par l'exercice du Chemin de Croix, les étapes de la marche douloureuse du Christ jusqu'à l'épilogue dramatique de sa mort. La montée spirituelle sur le Golgotha, où Jésus a été crucifié et a rendu l'esprit, prend une valeur particulièrement significative dans ces ruines de la Rome impériale, surtout en ce lieu lié au sacrifice de tant de martyrs chrétiens.

2. Notre esprit, en ce moment, se reporte par la mémoire à ce qui est raconté dans l'antique Histoire sainte, pour y trouver des préfigurations et des annonces de la mort du Seigneur. Comment ne pas évoquer,.par exemple, l'itinéraire d'Abraham vers le mont Moriah ? Il est juste de rappeler ce grand patriarche, que saint Paul appelle « père de tous les croyants » (cf. Rm 4, 11-12). Il est le dépositaire des promesses divines de l'ancienne Alliance, et son histoire humaine préfigure aussi des moments de la Passion de Jésus. Sur le mont Moriah (cf. Gn 22, 2), symbole de la montagne sur laquelle le Fils de l'Homme allait mourir en Croix, Abraham monta avec son fils Isaac, le fils de la promesse, pour l'offrir en holocauste. Dieu lui avait demandé le sacrifice de ce fils unique, qu'il avait longuement attendu dans une espérance constante. Abraham, au moment de l'immoler, se fait lui-même, en un sens, « obéissant jusqu'à mourir » : mort du fils et mort spirituelle du père.

Ce geste, qui n'a été finalement qu'une preuve d'obéissance et de fidélité, puisque l'ange du Seigneur arrêta la main du patriarche et ne permit pas qu'Isaac fût tué (cf. Gn 22, 12-13), constitue une annonce éloquente du sacrifice décisif de Jésus.

3. Comme le dit l'évangéliste Jean, le Père éternel a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (cf. Jn 3, 16). L'apôtre Paul lui fait écho et dit : le Fils s'est fait « obéissant pour nous jusqu'à

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mourir et à mourir sur une croix » (cf. Ph 2, 8). La main des bourreaux ne fut pas arrêtée par l'ange au moment du sacrifice du Fils de Dieu.

Pourtant, à Gethsémani, le Fils avait prié pour que, si cela était possible, le calice de la Passion s'éloignât de lui, mais il exprimait immédiatement sa disponibilité totale à accomplir la volonté du Père (cf. Mt 26, 39). Obéissant par amour pour nous, le Fils s'est offert en sacrifice, et il accomplit ainsi l'œuvre de la Rédemption. De ce mystère bouleversant, nous sommes tous témoins aujourd'hui.

4. Restons en silence sur le Golgotha. Au pied de la Croix se trouve Marie, Mater dolorosa : cette femme au cœur déchiré par la douleur, mais prête à accepter la mort de son Fils. La Mère des douleurs reconnaît et accueille dans l'holocauste de Jésus la volonté du Père pour la rédemption du monde. Le Concile Vatican II rappelle à son sujet : « Elle avança dans son pèlerinage de foi et elle a gardé fidèlement son union avec son Fils jusqu'à la Croix au pied de laquelle, non sans un dessein divin, elle se tint debout (cf. Jn 19, 25) compatissant vivement avec son Fils unique, s'associant d'un cœur maternel à son sacrifice et donnant le consentement de son amour à l'immolation de la victime née d'elle ; et finalement elle a été donnée par le même Christ Jésus, mourant sur la Croix, comme mère au disciple, par ces paroles :.Femme, voici ton fils. (cf. Jn 19, 26-27) » (Lumen gentium, n. 58).

Marie nous fut donnée à tous comme Mère, et nous sommes appelés à suivre fidèlement les pas du Fils, qui s'est fait pour nous obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur la Croix : « Christus factus est pro nobis oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis » (Antienne de la Semaine sainte ; cf. Ph 2, 8).

5. Il fait maintenant nuit noire. Contemplant le Christ mort sur la Croix, nous pensons aux injustices et aux souffrances si nombreuses qui prolongent sa Passion en tout lieu de la terre. Je pense aux endroits où l'homme est offensé et humilié, frappé et exploité. En toute personne touchée par la haine et par la violence, ou

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marginalisée par l'égoïsme et par l'indifférence, le Christ souffre encore et meurt. Sur le visage des « blessés de la vie » se dessinent les traits du visage du Christ mourant sur la Croix. Ave, Crux, spes unica ! De la Croix jaillit aujourd'hui encore l'espérance pour tous. Hommes et femmes de notre temps, tournez le regard vers Celui qui a été transpercé ! Il a donné sa vie par amour pour nous. Fidèle et docile à la volonté du Père, il est pour nous un exemple et un encouragement. C'est précisément pour cette obéissance filiale que le Père « l'a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms » (Ph 2, 9).

Puisse toute langue proclamer « que Jésus-Christ est le Seigneur, pour la gloire de Dieu le Père ».(cf. ibid..2,. 11).

11 avril 1998

Dans la nuit du 11 avril 1998, Samedi saint, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la basilique Saint-Pierre la célébration de la Veillée pascale. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a conféré le Sacrement du Baptême à neuf catéchumènes, dont quatre Chinois. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée au cours de la Messe :

1. « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1, 26). « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1, 27).

En cette Veillée pascale, la liturgie proclame le premier chapitre du Livre de la Genèse, qui évoque le mystère de la création et, en particulier, de la création de l'homme. Une fois encore notre attention se concentre sur le mystère de l'homme, qui se manifeste pleinement dans le Christ et par le Christ. « Fiat lux », « faciamus hominem » [Que la lumière soit. Faisons l'homme] : ces paroles de la Genèse trouvent toute leur vérité, quand elles sont passées au creuset de la Pâque du Verbe (cf. Ps 11 [12], 7). Pendant le calme du Samedi saint, dans le silence de la Parole, elles arrivent à la plénitude de leur signification : cette « lumière » est une lumière nouvelle, qui ne

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connaît pas de déclin ; cet « homme » est « l'homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l'image de Dieu » (Ep 4, 24).

La nouvelle création se réalise dans la Pâque. Dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ tout est sauvé, et tout redevient parfaitement bon, selon le dessein originel de Dieu. Avant tout, l'homme, fils prodigue qui a dilapidé dans le péché le bien précieux de sa liberté, recouvre sa dignité perdue. « Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram » [Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance]. Comme ces paroles résonnent vraies et profondes dans la nuit de Pâques ! Et quelle ineffable actualité elles revêtent pour l'homme de notre temps, si conscient de sa capacit é à dominer l'univers, mais souvent si désorienté par rapport au sens authentique de son existence, dans laquelle il ne sait plus reconnaître les traces du Créateur !

2. A ce propos, me viennent à l'esprit quelques passages de la Constitution Gaudium et spes du Concile Vatican II, qui s'harmonisent bien avec l'admirable symphonie des lectures de la Veillée pascale. En effet, à le considérer attentivement, ce document conciliaire révèle un caractère profondément pascal, aussi bien dans son contenu que dans son inspiration originelle. Nous y lisons : « En réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. En effet, Adam, le premier homme, était la figure de l'homme à venir (cf. Rm 5, 14), c'est-à-dire, du Christ Seigneur. Le Christ... est « l'Image du Dieu invisible » (Col 1, 15). Il est l'homme parfait qui a restauré pour les fils d'Adam la ressemblance divine, déformée depuis le premier péché... Par son incarnation, le Fils de Dieu lui-même s'est en quelque sorte uni à tout homme... En souffrant pour nous, il ne nous a pas simplement donné l'exemple, afin que nous suivions ses traces, mais il a ouvert une voie nouvelle : si nous la suivons, la vie et la mort sont sanctifiées et acquièrent un sens nouveau. Devenu conforme à l'image du Fils qui est le Premier-né d'une multitude de frères, le chrétien reçoit les « prémices de l'Esprit » (Rm 8, 23)... Par cet esprit, qui est le « gage de l'héritage » (Ep 1, 14), tout l'homme est intérieurement renouvelé

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jusqu'à la « rédemption du corps » (Rm 8, 23) : « Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par l'Esprit qui habite en vous » (Rm 8, 11). Le chrétien... associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l'espérance, va au-devant de la résurrection » (n. 22).

3. Ces paroles du récent Concile nous proposent de nouveau le mystère de la vocation de tout baptisé. Elles vous le proposent de façon particulière à vous, chers catéchumènes, qui, selon l'antique tradition de l'Église, allez recevoir le Baptême au cours de cette Veillée sainte. Nous vous saluons avec affection et nous vous remercions de votre témoignage.

Vous venez de différentes nations du monde : Canada, Chine, Colombie, Inde, Italie, Pologne, Afrique du Sud.

Chers amis, le Baptême constitue, en un sens tout à fait spécial, votre Pâque, le sacrement de votre rédemption, de votre nouvelle naissance dans le Christ par la foi et par l'œuvre de l'Esprit Saint, grâce à laquelle vous pourrez appeler Dieu du nom de « Père », et vous serez fils dans le Fils.

Nous souhaitons que la vie nouvelle, qui va vous être donnée au cours de cette nuit très sainte, se développe en vous jusqu'à sa plénitude, produisant des fruits abondants d'amour, de joie et de paix, des fruits de vie éternelle.

4. « O vere beata nox ! » [O nuit de vrai bonheur !], chante l'Église dans la Louange pascale, se souvenant des grandes œuvres de Dieu accomplies dans l'Ancienne Alliance, durant l'exode des Israélites sortis d'Égypte. C'est l'annonce prophétique de l'exode du genre humain de l'esclavage de la mort à la vie nouvelle par la Pâque du Christ.

O vere beata nox ! [O nuit de vrai bonheur !], voulons-nous répéter avec l'hymne pascale, en contemplant le mystère universel de

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l'homme à la lumière de la résurrection du Christ. Au commencement Dieu l'a créé à son image et à sa ressemblance. Par l'œuvre du Christ crucifié et ressuscité, cette ressemblance avec Dieu, ternie par le péché, a été restaurée et portée à son sommet. Et nous pouvons dire à la suite d'un auteur ancien : Homme, regarde-toi ! Reconnais ta dignité et ta vocation ! Le Christ, vainqueur de la mort en cette nuit très sainte, ouvre devant toi les portes de la vie et de l'immortalité.

Faisant écho à la proclamation du diacre dans le chant de l'annonce pascale, je redis avec joie : Annuntio vobis gaudium magnum : surrexit Dominus vere ! Surrexit hodie ! [Je vous annonce une grande joie : le Seigneur est vraiment ressuscité ! Aujourd'hui il est ressuscité !]

Amen !

19 avril 1998

Dans la matinée du dimanche 19 avril 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique solennelle dans la basilique Saint-Pierre, à l'occasion de l'ouverture de l'Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Évêques. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l'envoyer aux sept Églises » (Ap 1, 11). Les paroles du Livre de l'Apocalypse retentissent de façon très actuelle aujourd'hui. En effet, les Églises auxquelles elles se réfèrent étaient toutes situées en Asie. Et nous sommes réunis ici, ce matin, pour inaugurer, à travers une liturgie eucharistique solennelle, l'Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l'Asie.

Des évêques du continent asiatique, ainsi que des représentants d'autres communautés ecclésiales sont venus à Rome pour cet important rendez-vous. Le fruit des travaux du Synode sera ensuite recueilli dans un volume, qui constituera le document post-synodal destiné à toutes les Églises de l'Asie. On y « écrira » ce que l'Esprit suggèrera, comme le fit Jean, au terme du premier siècle après Jésus-

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Christ, en adressant l'Apocalypse aux communautés chrétiennes alors présentes en Asie.

Ravi en extase, alors qu'il se trouvait sur l'île de Patmos, il entendit une voix (cf. Ap 1, 10) qui lui ordonnait d'écrire les choses qu'il avait vues pour ensuite les envoyer aux Églises d'Asie. Jean rapporte qu'il s'agissait de la voix du Fils de l'Homme, qui s'était présenté à Lui dans la gloire. Il le vit et tomba à ses pieds comme mort. Le Christ posa sa main sur lui et dit : « Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant ; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant les clefs de la Mort et de l'Hadès. Écris donc ce que tu as vu : le présent et ce qui doit arriver plus tard » (Ap 1, 17-19). Vénérés frères des Églises qui sont en Asie, ces mêmes paroles nous sont en un certain sens également adressées. Au cours des travaux du Synode, nous devrons écrire ce dont nous serons les témoins. En tant que successeurs des Apôtres, nous sommes appelés à annoncer le Christ crucifié et ressuscité. En effet, la vérité qui nous accompagne dans notre marche vers le troisième millénaire est la suivante : Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et à jamais » (He 13, 8).

[en français]

2. Nous ouvrons cette Assemblée synodale le deuxième dimanche de Pâques. La liturgie rappelle aujourd'hui ce qui se passa au Cénacle de Jérusalem, le dimanche après la Résurrection, lorsque le Christ apparut de nouveau aux Apôtres, cette fois en présence de Thomas. En effet, une apparition avait déjà eu lieu huit jours avant, mais Thomas était absent et, quand les autres lui dirent : « Nous avons vu le Seigneur ! », il refusa de croire et déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » (Jn 20, 25).

Thomas l'incrédule ! C'est justement à cause de lui que le Christ apparut huit jours plus tard au Cénacle, entrant alors que les portes étaient closes. Il dit à ceux qui étaient là : « La paix soit avec

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vous ! », puis s'adressa à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d'être incrédule, sois croyant ! » (Jn 20, 27). Thomas prononça alors les paroles qui expriment toute la foi de l'Église apostolique : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28). Et le Christ déclara : « Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20, 29).

3. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Les Apôtres furent des témoins oculaires de la vie, de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. Après eux, d'autres, qui n'ont pu voir tout cela de leurs yeux, devront accepter la vérité transmise par les premiers témoins pour devenir eux-mêmes à leur tour des témoins. La foi de l'Église se transmet et demeure vivante grâce à cette chaîne de témoins qui s'allonge de génération en génération. Ainsi, du Cénacle de Jérusalem, l'Église s'est répandue dans tous les pays et sur tous les continents.

Selon une tradition très ancienne, l'Évangile fut apporté en Inde par saint Thomas, l'Apôtre auquel le Seigneur a dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois ». Thomas, non plus incrédule mais désormais convaincu de la résurrection de son Seigneur, transmit à beaucoup d'autres personnes la certitude exprimée dans sa confession de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Sa foi est toujours vivante en Inde et en Asie.

Chers frères dans l'épiscopat venus ici, l'Église que vous représentez, édifiée sur les fondations des Apôtres, se réunit à Rome aujourd'hui, au seuil du troisième millénaire, pour les travaux synodaux, dans le but de transmettre aux générations à venir le même témoignage rendu au Christ par les Apôtres, le témoignage que Thomas rendait il y a près de vingt siècles.

[en anglais]

4. « Jésus-Christ, le Sauveur, et sa mission d'amour et de service en Asie :...pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en

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abondance. (Jn 10, 10). Tel est le thème de l'Assemblée spéciale du Synode des Évêques que nous inaugurons aujourd'hui par cette célébration liturgique solennelle. Il nous invite à tourner notre regard vers le Christ, dont jaillit du Cœur percé la source intarissable de vie éternelle qui vivifie notre existence humaine.

Cette Assemblée synodale représente un temps providentiel de grâce pour tout le peuple chrétien,.et en particulier pour les croyants qui vivent en Asie, et qui sont appelés à un nouvel élan missionnaire. Pour que ce « temps » favorable soit profitable, il est nécessaire que la figure de Jésus et sa mission salvifiques soient à nouveau placées en pleine lumière. Il faut que sur les lèvres de tous retentisse à nouveau avec une conscience renouvelée la profession de foi de l'Apôtre Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». En effet, ce n'est qu'en gardant le regard fixé sur Jésus que l'Église peut répondre de façon appropriée aux attentes et aux défis du continent asiatique, ainsi qu'à ceux du reste du monde. L'élan de la nouvelle évangélisation en vue du troisième millénaire exige une connaissance toujours plus profonde de Jésus et une fidélité indéfectible à son Évangile.

5. Dans le même temps, la nouvelle évangélisation exige une écoute respectueuse et un sain discernement des « réalités asiatiques »..Ce vaste continent, riche d'histoire et de sagesse millénaire, s'approche de l'aube de l'An 2000 avec la variété multiforme de ses peuples, de ses cultures, de ses traditions et de ses religions.

A côté du patrimoine d'antiques civilisations ne manquent pas les signes d'un progrès technique et économique très développé. Il existe une différence marquée entre les peuples, les cultures et les façons de vivre. Pourtant, dans le même temps, il existe une longue tradition de coexistence pacifique et de tolérance réciproque. Il existe presque partout des signes d'une lutte pour le progrès humain, et bien que ne manquent pas les difficultés et les motifs de préoccupations, des signes importants d'espérance sont également présents. Les

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antiques cultures du continent, avec leur sagesse reconnue, offrent des bases solides pour construire l'Asie de l'avenir.

Comment ne pas tenir compte du fait que plus des trois-cinquièmes des habitants du monde sont asiatiques et qu'une partie importante de ceux-ci est formée de jeunes ? Il faut apporter avec enthousiasme et vigueur à cette vaste portion de l'humanité de notre temps, qui habite l'immense continent asiatique, l'annonce pascale qui a retenti dans la liturgie d'aujourd'hui : « Nous avons contemplé, ô Dieu, les merveilles de ton amour » (Psaume responsorial) ; « Nous avons vu le Seigneur » (Évangile).

6. Très chers frères et sœurs, la première Lecture, tirée des Actes des Apôtres, rapporte la ferveur qui unissait la communauté primitive et l'activité missionnaire qu'elle accomplissait, suscitant l'admiration du peuple (cf. Ac 5, 12-13). Puisse tout cela être un modèle pour nous, convoqués par l'Esprit du Seigneur à cette Assemblée synodale spéciale.

Nous nous demandons : que devons-nous faire pour annoncer et témoigner du Christ aux hommes et aux femmes qui vivent en Asie ? Quel doit être l'engagement de l'Église au seuil de l'An 2000 dans ce vaste continent ancien et pourtant riche de nouveaux développements ? En substance, nous trouvons la réponse dans la liturgie d'aujourd'hui : nous devons témoigner du Christ crucifié et ressuscité, Rédempteur du monde. Dans le même temps, nous devons compléter, en ce qui nous concerne, l'histoire commencée par les Apôtres : c'est à nous que revient la tâche d'écrire de nouveaux chapitres de témoignage chrétien dans toutes les parties du monde et, en particulier, en Asie : de l'Inde à l'Indonésie, du Japon au Liban, de la Corée au Kazakhstan, du Vietnâm aux Philippines, de la Sibérie à la Chine. Et c'est précisément aux catholiques de la Chine continentale et à leurs pasteurs que s'adresse notre pensée en ce moment. Afin que cet épiscopat soit également représenté dans cette Assemblée synodale, j'ai appelé à en faire partie, outre les évêques qui travaillent dans le diocèse de Hong-Kong, deux autres évêques :

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Mgr Matthias Duan Yinming, Évêque de Wanxian et son Coadjuteur, Mgr Joseph Xu Zhixuan. J'espère qu'ils pourront bientôt être présents parmi nous pour témoigner de la vitalité de ces communautés.

A cette heure, toutes les Églises doivent se sentir mobilisées, car toutes tirent leur origine de cette communauté dynamique de Jérusalem, qui avait un sens si profond de son devoir d'annoncer l'Évangile. Toutes tirent leur origine des mêmes Apôtres, témoins de la Croix et de la résurrection du Christ ; ces mêmes Apôtres qui, le jour de la Pentecôte, par l'œuvre de l'Esprit Saint, reçurent la lumière et la force nécessaires pour partir sur les routes du monde et susciter partout de nouvelles communautés de croyants. Nous sommes les successeurs de ces Apôtres et nous devons être prêts à en assumer l'héritage missionnaire.

[en italien]

7. « Ce que tu vois, écris-le dans un livre pour l'envoyer aux sept Églises ». Nous sentons que ces paroles s'adressent à nous de manière particulière. Au cours, du Synode nous voulons témoigner ce que l'Esprit du Christ dit aux Églises du grand continent asiatique. Nous nous demanderons comment elles écoutent sa voix, comment elles vivent dans la communion de la Parole de Dieu et de l'Eucharistie ; comment elles peuvent encourager l'action évangélisatrice entre les peuples de l'Asie.

Nous voulons nous mettre à l'écoute de ce que l'Esprit dit aux Églises, pour qu'elles sachent annoncer le Christ dans le contexte de l'hindouisme, du bouddhisme, du shintoïsme et de tous les courants de pensée et de vie qui étaient déjà enracinés en Asie avant que la prédication de l'Évangile n'y parvienne. Nous voulons également réfléchir sur la façon dont le message du Christ est accueilli par les hommes d'aujourd'hui, comment, aujourd'hui, se poursuit parmi eux l'histoire du salut et quel retentissement les paroles de la Bonne Nouvelle suscite dans les âmes. Nous nous demanderons dans la prière et dans l'écoute réciproque comment le Christ, « la pierre

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qu'ont rejetée les bâtisseurs » (Ps 117 [118], 22), peut encore être la pierre d'angle pour la construction de l'Église qui est en Asie.

Tout cela à la lumière de la Pâque, qui inonde notre cœur de la joie et de la paix du Seigneur ressuscité.

« Haec est dies quam fecit Dominus. Exultemus et laetemur in ea ! » (Ps 117 [118], 24).

Amen.

26 avril 1998

Dans la matinée du dimanche 26 avril 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « Santo Stefano Protomartire ». Au cours de la Messe pour les fidèles du quartier, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « C'est le Seigneur ! » (Jn 21, 7). Cette exclamation de l'Apôtre Jean souligne l'intense émotion qu'éprouvent les disciples en reconnaissant Jésus ressuscité, qui leur apparaît pour la troisième fois sur les rives du lac de Tibériade. Jean se fait en quelque sorte le porte-parole des sentiments de Pierre et des autres Apôtres en présence du Seigneur ressuscité. Après une longue nuit de solitude et de fatigue, l'aube se lève et son apparition produit un changement radical : les ténèbres sont vaincues par la lumière, le travail infructueux est transformé en pêche facile et abondante, la sensation de fatigue et de solitude se transforme en joie et en paix.

Depuis lors, ce sont les mêmes sentiments qui animent l'Église. Si un regard superficiel, peut laisser croire que les ténèbres du mal et les difficultés de la vie quotidienne l'emportent parfois, l'Église sait avec certitude que resplendit désormais la lumière éternelle de la Pâque sur tous ceux qui suivent le Christ. La grande annonce de la Résurrection. insuffle. dans. les. cœurs. des croyants une joie profonde et une espérance renouvelée.

2. Le Livre des Actes des Apôtres, que la Liturgie nous fait relire au cours de cette période pascale, décrit la vitalité

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missionnaire, riche de joie, dont était animée la communauté chrétienne des origines, malgré les obstacles et les difficultés de tout genre. Cette même vitalité s'est prolongée au cours des siècles grâce à l'action de l'Esprit Saint et à la coopération docile et généreuse des croyants.

Nous lisons aujourd'hui dans la première lecture : « Nous sommes témoins de ces choses, nous et l'Esprit Saint » (Ac 5, 32). L'Esprit Saint vivifie l'engagement apostolique des disciples du Christ, les soutenant dans les épreuves, les éclairant dans leurs choix, assurant l'efficacité de leur annonce du mystère pascal.

3. Le Christ est vraiment ressuscité ! Alléluia ! Aujourd'hui également, l'Église continue à proposer la même annonce joyeuse. « Le Christ est vraiment ressuscité ! », ces paroles constituent un cri de joie et une invitation à l'espérance. Si le Christ est ressuscité, observe saint Paul, notre foi n'est pas vaine. Si nous sommes morts avec le Christ, nous sommes ressuscités avec lui : nous devons donc maintenant vivre en tant que ressuscités.

Très chers frères et sœurs de la paroisse « Santo Stefano Protomartire » ! Je vous salue tous avec affection. Ma présence parmi vous est liée en esprit à la visite que mon vénéré prédécesseur, le serviteur de Dieu Paul VI, accomplit dans votre Communauté, à l'occasion de Pâques 1966.

Je salue cordialement le Cardinal-Vicaire, le Vice-gérant, votre curé zélé, Mgr Vincenzo Vigorito, ainsi que tous ceux qui collaborent avec lui dans la direction de la communauté paroissiale. J'adresse une pensée particulière à tous ceux qui, en particulier ces derniers temps, sont engagés dans la Mission dans la Ville. Je voudrais les encourager à poursuivre cet effort missionnaire, en annonçant et en témoignant par tous les moyens et dans tous les milieux, l'Évangile qui renouvelle l'existence de l'homme.

Tous ont besoin de cette Parole qui sauve : le Seigneur ressuscité l'apporte personnellement à chacun d'eux. Très chers

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paroissiens, communiquez ce message d'espérance à ceux que vous rencontrez dans les foyers, dans les écoles, dans les bureaux, sur les lieux de travail. Approchez surtout ceux qui sont seuls, qui traversent des moments de souffrance et qui vivent dans des conditions précaires, les malades et les blessés de la vie. Proclamez à tous et à chacun : Le Christ est vraiment ressuscité !

4. De cette façon, votre communauté qui, comme de nombreuses autres paroisses romaines, est de fondation récente et possède déjà une histoire riche de problèmes sociaux et humains, deviendra toujours plus un lieu de solidarité et de rencontre, de joie et de soutien spirituel. C'est ce qu'a voulu être votre paroisse depuis sa création en 1953, par les Pères passionnistes. Au cours des deux dernières décennies, la communauté s'est considérablement agrandie, grâce à l'afflux de nombreux immigrés provenant surtout des régions du centre et du sud de l'Italie.

Au cours de cette période, de nombreuses, personnes se sont transférées à Rome dans l'espoir d'y trouver une vie meilleure, contraintes d'abandonner les traditions et les valeurs de leur pays. Certains d'entre vous se souviennent des difficultés des débuts, avec les problèmes humains et sociaux qui en découlaient, lorsque les arches de l'aqueduc étaient devenus des abris de fortune pour tant de familles d'immigrés. La paroisse s'est efforcée d'apporter des solutions concrètes à ces situations difficiles, dans la mesure de ses possibilités, en faisant toujours preuve d'un grand. courage. et. de. générosité. pastorale.

Paul VI lui-même, impressionné par la situation de pauvreté qu'il rencontra ici, soutint personnellement diverses initiatives, parmi lesquelles la création d'un centre socio-sanitaire. Les Sœurs Filles du Christ Roi sont venues ensuite aider de façon providentielle les habitants de Tor Fiscale, en fondant une école et une crèche.

Je ne peux manquer d'évoquer également la chère Mère Teresa de Calcutta, qui ouvrit ici sa première école d'Europe, devenue

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maintenant une communauté de formation pour les Missionnaires de la Charité.

5. Grâce à Dieu, au cours des dernières années, la situation s'est considérablement améliorée, à la suite de la construction de nouveaux logements à Tor Bella Monaca et à Nuova Ostia. Il subsiste cependant des zones de pauvret é et de solitude ; le manque de logement, le chômage, surtout des jeunes, l'abandon de la scolarité, le fléau de la drogue, de la micro-criminalité et de la prostitution, sont préoccupants.

Face à tout cela, vous ne restez pas indifférents. Je sais bien que vous vous dévouez généreusement à travers des gestes de solidarité courageuse pour apporter l'annonce du Christ. Le Pape veut, à travers sa présence aujourd'hui parmi vous, vous soutenir dans cette mission apostolique et missionnaire difficile, mais exaltante. Regardez le Christ : Il est la Vie qui ne meurt pas. Il donne cette vie à quiconque s'adresse à Lui avec une foi sincère. Soyez les témoins et les promoteurs de cette vie, faisant des valeurs de l'Évangile les fondements d'une société plus juste et solidaire.

Le Pape est ici aujourd'hui également pour vous féliciter et pour vous encourager. Pour encourager les prêtres et les religieuses qui se prodiguent ici, de même que les laïcs engagés qui, ici, comme dans tant d'autres banlieues romaines, trop souvent abandonnées à elles-mêmes, ont apporté et continuent d'apporter un témoignage précieux d'amour et de sollicitude pour la vie humaine à toutes ses étapes. Je veux encourager en particulier tous ceux qui se. consacrent. avec. persévérance. à transmettre les valeurs de la foi à leurs frères, en particulier aux derniers et aux exclus.

6. « Digne est l'Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse,. la. force,. l'honneur,. la. gloire. et la louange » (Ap, 5, 12).

En ce troisième Dimanche de Pâques, faisons nôtres les paroles de la liturgie céleste rapportées par l'Apocalypse. Tandis que nous

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contemplons la gloire du Ressuscité, demandons au Seigneur que soit accordée à votre Communauté de pouvoir compter sur un avenir plus serein et riche d'espérance.

Que le Seigneur rende chacun plus conscient de sa mission au service de l'Évangile.

Très chers frères et sœurs, que le Christ Ressuscité vous donne le courage de l'amour ; qu'il fasse de vous ses témoins ! Qu'il vous emplisse de son Esprit afin que, avec toute l'Église, soutenus par l'intercession de Marie, vous puissiez proclamer le cantique de gloire des rachetés : « A Celui qui siège sur le trône, ainsi qu'à l'Agneau, la louange, l'honneur, la gloire et la puissance pour les siècles des siècles » (Ap 5, 13).

Amen !

03 mai 1998

Dans la matinée du dimanche 3 mai 1998, quatrième dimanche de Pâques et Journée mondiale de Prière pour les Vocations, le Pape Jean-Paul II a présidé une Messe dans la basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle il a conféré l'ordination sacerdotale à trente diacres du diocèse de Rome. Durant la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Le Bon Pasteur ! Cette figure biblique tire son origine de l'observation et de l'expérience. Pendant longtemps, Israël a été un peuple de pasteurs et la tradition de l'époque des patriarches et des générations successives est illustrée par les textes de l'Ancien Testament. Le pasteur, celui qui garde avec attention le troupeau et le conduit dans les pâturages fertiles, est devenu l'image de l'homme qui guide une nation et qui est à sa tête, toujours attentif à ce qui la concerne. C'est ainsi que le pasteur d'Israël est représenté dans l'Ancien Testament.

Dans sa prédication, Jésus reprend cette image, mais il introduit un élément entièrement nouveau : le pasteur est celui qui

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donne sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10, 11-18). Il attribue cette caractéristique au bon pasteur, le distinguant en revanche du mercenaire, qui ne se soucie donc pas de son troupeau. Le Christ présente même sa propre personne comme le prototype du bon pasteur, capable de donner la vie pour son troupeau. Le Père l'a envoyé au monde pour qu'il soit non seulement le pasteur d'Israël, mais de l'humanité tout entière.

C'est en particulier dans l'Eucharistie que se rend présente de façon sacramentelle l'œuvre du Bon Pasteur, qui, après avoir prêché la « bonne nouvelle » du Royaume, a offert sa propre vie en sacrifice pour les brebis. En effet, l'Eucharistie est le sacrement de la mort et de la résurrection du Seigneur, de l'acte suprême de rédemption. C'est le sacrement dans lequel le Bon Pasteur rend constamment présent son amour oblatif pour tous les hommes.

2. Très chers diacres du diocèse de Rome ! En ce quatrième dimanche de Pâques, communément appelé « Dimanche du Bon Pasteur », au cours duquel est célébrée la Journée mondiale de Prière pour les Vocations, vous allez recevoir le sacrement du sacerdoce, qui vous rendra conformes au Christ Bon Pasteur. Vous deviendrez ministres « de celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie, sa fonction sacerdotale » (Presbyterorum ordinis, n. 5).

A travers le sacrement du Baptême, vous introduirez les hommes dans le Peuple de Dieu ; grâce à celui de la Pénitence, vous réconcilierez les pêcheurs avec Dieu et avec l'Église ; grâce à l'Onction des malades, vous allègerez leurs souffrances. Vous serez surtout des ministres de l'Eucharistie : vous recevrez ce sacrement comme un héritage inestimable, dans lequel se renouvelle chaque jour le mystère du sacrifice du Christ et se poursuit au cours des siècles l'événement décisif de sa mort et de sa résurrection, pour le salut du monde. Vous célébrerez le sacrifice du Corps et du Sang du Christ sous les espèces du pain et du vin, comme Lui-même l'offrit la première fois au Cénacle, à la veille de sa Passion. Vous serez ainsi

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associés personnellement de façon sacramentelle au mystère du Bon Pasteur, qui offre sa vie pour ses brebis.

Soyez conscients de la mission sublime qui vous est confiée aujourd'hui ! Elle consiste à partager la même mission que le Christ. Vous serez ses prêtres pour toujours : « Tu es sacerdos in aeternum ».

Très chers frères, chaque jour, en vous approchant de l'autel avec dévotion, prononcez à nouveau le « me voici » généreux adressé au Seigneur, afin que votre vie, à l'image de celle du Bon Pasteur, soit entièrement consacrée au bien des âmes.

3. Très chers diacres, l'Église qui est à Rome se réjouit de votre ordination. Je suis le premier à me réjouir car, étant votre Évêque, je peux vous imposer les mains, en invoquant sur vous la puissance de l'Esprit Saint.

Le Cardinal-Vicaire, les Évêques auxiliaires et les prêtres du diocèse, dans lequel vous allez entrer comme des frères plus jeunes et prometteurs, se réjouissent avec moi. Vos parents, vos proches et vos amis, ainsi que ceux qui vous ont suivi dans votre formation et qui partagent aujourd'hui votre joie, en sont heureux. Toute la communauté diocésaine, rassemblée ici spirituellement, rend grâce à l'Esprit Saint pour le don de cette fécondité spirituelle.

Avec. une. profonde. reconnaissance, elle chante l'hymne Veni Creator, en implorant pour vous l'abondance des sept dons :

« Accende lumen sensibus, infunde amorem cordibus

Infirma nostri corporis, virtute firmans perpeti ».

Conservant la mémoire de l'exemple du Bon Pasteur, qui grâce au sacrifice de sa propre vie, a protégé le troupeau de l'ennemi, l'Église de Rome prie également :

« Hostem repellas longius, pacemque dones protinus

Ductore sic te praevio vitemus omne noxium ».

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Elle invoque l'Esprit de vérité, afin qu'il vous conduise à la pleine connaissance de Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

« Per te sciamus da Patrem, noscamus atque Filium,

Te utriusque Spiritum credamus omni tempore ».

L'âme remplie de gratitude pour le mystère ineffable qui s'accomplit aujourd'hui en vous, nous proclamons tous ensemble la gloire de Dieu un et trine :

« Deo Patri sit gloria, et Filio, qui a mortuis

Surrexit, ac Paraclito, in saeculorum saecula ».

Amen !

10 mai 1998

Dans la matinée du dimanche 10 mai 1998, le Pape Jean-Paul II a élevé aux honneurs des autels douze nouveaux bienheureux sur la place Saint-Pierre. Il s'agit de Rita Dolores Pujalte Sánchez et Francisca del Sagrado Corazón de Jesús Aldea Araujo, vierges et martyres de la Congrégation des Sœurs de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus ; de María Gabriela Hinojosa et six compagnes, vierges et martyres de l'Ordre de la Visitation de Sainte-Marie ; de María Sagrario de San Luis Gonzaga Elvira Moragas Cantarero, vierge et martyre de l'Ordre des Carmélites déchaussées ; de Nimatullah Al-Hardini Youssef Kassab, moine de l'Ordre libanais maronite et de María Maravillas de Jesús Pidal y Chico de Guzmán, vierge de l'Ordre des Carmélites déchaussées. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu » (Ap 21, 1-2).

La vision splendide de la Jérusalem céleste, que la Liturgie de la Parole nous repropose aujourd'hui, conclut le livre de l'Apocalypse et toute la série des livres sacrés qui composent la Bible. A travers cette description grandiose de la Cité de Dieu, l'auteur de

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l'Apocalypse indique la défaite définitive du mal et l'accomplissement de la communion parfaite entre Dieu et les hommes. C'est précisément vers cet objectif final que tend, dès le début, l'histoire du salut.

Face à la communauté des croyants, appelés à annoncer l'Évangile et à témoigner de leur fidélité au Christ malgré diverses épreuves, voici que brille le but suprême : la Jérusalem céleste ! Nous sommes tous attirés par cet objectif, où nous ont déjà précédés les saints et les martyrs tout au long des siècles. Au cours de notre pèlerinage terrestre, ces frères et sœurs, qui sont sortis victorieux de la « grande tribulation », sont un exemple, une incitation et un encouragement pour chacun de nous. L'Église, qui « poursuit son pèlerinage parmi les persécutions du monde et les consolations de Dieu » (Saint Augustin, De civitate Dei, XVIII, 51, 2), se sent soutenue et encouragée par l'exemple et la communion de l'Église céleste.

2. Dans le groupe glorieux de saints et de bienheureux, qui jouissent de la vision de Dieu, nous contemplons de façon particulière les illustres frères et sœurs dans la foi que j'ai aujourd'hui la joie d'élever aux honneurs des autels. Il s'agit de : Rita Dolores Pujalte Sánchez et Francisca del Sagrado Corazón de Jesús Aldea Araujo ; María Gabriela Hinojosa et six compagnes ; María Sagrario de San Luis Gonzaga Elvira Moragas Cantarero ; Nimatullah Al-Hardini Youssef Kassab ; María Maravillas de Jesús Pidal y Chico de Guzmán.

A travers des expériences très diverses et dans des contextes extrêmement variés, ils ont vécu de façon héroïque une unique et parfaite adhésion au Christ et une même charité ardente envers le prochain.

[en français]

3. En béatifiant le Père Nimatullah Kassab Al-Hardini, moine libanais maronite, je voudrais tout d'abord rendre grâce pour mon

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voyage au pays des cèdres, il y a exactement un an. Aujourd'hui, c'est une nouvelle fête pour les Libanais du monde entier, car un de leurs frères leur est proposé comme modèle de sainteté. Tout au long de sa vie monastique, le nouveau bienheureux incarne volontiers la parole des disciples du Christ que nous avons entendue dans la lecture du livre des Actes des Apôtres : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le Royaume de Dieu ».

Cette même lecture nous montre aussi les différents aspects de la mission : la prière, le jeûne et l'annonce de l'Évangile. Par son ascèse rigoureuse, par ses longues oraisons devant le Saint-Sacrement, par son souci de la recherche théologique et par son attention miséricordieuse envers ses frères, le bienheureux Al-Hardini est un exemple de vie chrétienne et de vie monastique, pour la communauté maronite et pour tous les disciples du Christ en notre temps. Comme je le rappelais dans l'Exhortation apostolique post-synodale Une espérance pour le Liban, en évoquant saint Basile, « c'est une vie morale et une vie ascétique conformes à l'engagement pris qui provoquent à la réconciliation entre les personnes » (n. 53). Désormais, le nouveau bienheureux est un signe d'espérance pour tous les Libanais, en particulier pour les familles et pour les jeunes. Homme de prière, il appelle ses frères à avoir confiance en Dieu et à s'engager de toutes leurs forces à la suite du Christ, pour construire un avenir meilleur. Puisse la terre libanaise, continuer à être une terre de témoins et de saints, et devenir davantage une terre de paix et de fraternité !

[en espagnol]

4. Dans l'Évangile proclamé au cours de cette célébration, nous avons entendu : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34). La Mère Rita Dolores Pujalte et la Mère Francisca Aldea, que j'élève aujourd'hui à la gloire des autels, suivirent fidèlement Jésus, aimant comme Lui jusqu'à la fin et subissant la mort pour leur foi, en juillet 1936.

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Elles appartenaient à la communauté du Collège de Sainte Susanne, de Madrid, des Sœurs de la Charité du Sacré-Cœur, qui avaient décidé de rester dans leur maison malgré la persécution religieuse qui avait lieu à cette époque, pour ne pas abandonner les orphelins dont elles prenaient soin. Cet acte d'amour héroïque et de don désintéressé pour leurs frères, coûta la vie à la Mère Rita et à la Mère Francisca qui, bien qu'elles fussent malades et âgées, furent incarcérées et fusillées.

Le commandement suprême du Seigneur s'était profondément enraciné en elles au cours des années de leur consécration religieuse, vécues dans la fidélité au charisme de la Congrégation. Poussées par un amour croissant pour les indigents, un amour qui ne recule pas devant les dangers et qui n'hésite pas. à. verser. son. sang. si. nécessaire, elles allèrent jusqu'à subir le martyre. Leur exemple est un appel à tous les chrétiens. à. aimer. comme. le. Christ aime, même face aux plus grandes difficultés.

5. « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres ». Comme ces paroles de l'Évangile d'aujourd'hui s'appliquent bien à la sœur Gabriela Hinojosa et à ses six compagnes, Visitandines de Madrid, qui furent également martyrisés en 1936 ! L'obéissance et la vie fraternelle en communauté sont des éléments fondamentaux de la vie consacrée. C'est ainsi qu'elles l'entendirent, elles qui par obéissance restèrent à Madrid malgré la persécution, pour suivre, bien que de l'extérieur mais dans un lieu proche, le sort du monastère.

Ainsi, soutenues par le silence, la prière et le sacrifice, elles se préparèrent à l'holocauste, dans un esprit de don généreux à Dieu. Alors que nous les honorons comme martyres du Christ,. leur. exemple. nous. illumine, elles intercèdent pour nous et nous attendent dans la gloire. Que leur vie et leur mort serve d'exemple aux Visitandines, dont les monastères sont présents dans le monde entier, et puissent susciter de nombreuses vocations qui suivent

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l'esprit affable et doux de saint François de Sales et de sainte Jeanne Françoise de Chantal.

6. Le Livre de l'Apocalypse nous a présenté la vision de Jérusalem, « belle comme une jeune mariée parée pour son époux » (21, 2). Même si ces paroles se référent à l'Église, nous pouvons également les appliquer aux deux Carmélites déchaussées qui ont été proclamées bienheureuses au cours de cette célébration, ayant poursuivi le même idéal par des chemins divers : Mère Sagrario de San Luis Gonzaga et Mère Maravillas de Jesús. Toutes deux, dotées des vertus chrétiennes et de leurs qualités humaines, ayant donné leur vie au Seigneur dans le Carmel thérésien, apparaissent aujourd'hui aux yeux du peuple chrétien, comme les épouses du Christ.

La Mère María Sagrario, pharmacienne dans sa jeunesse et modèle chrétien pour ceux qui exercent cette noble profession, quitta tout pour vivre uniquement pour Dieu en Jésus-Christ (cf. Rm 6, 11), dans le monastère des Carmélites déchaussées « Santa Ana y San José », de Madrid. C'est en ce lieu que mûrit son don au Seigneur et qu'Il lui apprit à servir et à se sacrifier pour ses frères. C'est pourquoi, lors des événements mouvementés de juillet 1936, elle eut le courage de ne pas dénoncer les prêtres et ses amis de la communauté, affrontant la mort avec courage, en raison de sa condition de carmélite et pour sauver d'autres personnes.

7. La Mère Maravillas de Jesús, également Carmélite déchaussée, est un autre exemple lumineux de sainteté que l'Église propose aujourd'hui à la vénération des fidèles en la proclamant bienheureuse. Cette honorable madrilène rechercha Dieu durant toute sa vie et se consacra entièrement à Lui dans la vie retirée du Carmel. Elle fonda un monastère dans le « Cerro de los Angeles », centre géographique de l'Espagne, tout près du Monument au Sacré-Cœur, auquel la nation avait été consacrée. Ayant dû quitter le couvent en raison de la guerre civile, elle s'engagea entièrement pour que l'Ordre puisse survivre, ce qui la conduisit à créer de nombreuses fondations

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qui, selon son vœu, étaient caractérisées par l'esprit de pénitence, de prière et de recueillement, caractéristique de la réforme thérésienne.

Jouissant d'une grande célébrité à son époque, elle sut en tirer parti pour conduire de nombreuses âmes à Dieu. Elle employa toute les aides qu'elle reçut pour secourir des monastères, des prêtres, des séminaires et des œuvres religieuses qui en avaient besoin. C'est pourquoi tant de personnes lui sont reconnaissantes. Elle fut prieure au cours de presque toute sa vie religieuse, étant comme une véritable Mère pour ses sœurs. Elle vécut animée par une foi héroïque, formée dans la réponse à une vocation austère, plaçant Dieu au centre de son existence. Après avoir souffert de multiples épreuves, elle mourut en répétant : « Quel bonheur de mourir carmélite ». Sa vie et sa mort sont un message éloquent d'espérance pour le monde, qui a tant besoin de valeurs et qui est si souvent tenté par l'hédonisme, la facilité et une vie sans Dieu.

[en italien]

8. « Que toutes tes œuvres te rendent grâce, Yahvé, que tes amis te bénissent » (Ps 144, 10). Avec Marie, Reine des saints, et avec toute l'Église, nous rendons grâce à Dieu pour les grandes œuvres qu'Il a accomplies chez ces frères et sœurs, qui resplendissent comme des. phares. d'espérance. pour. tous. Il constituent pour toute l'humanité, désormais au seuil du troisième millénaire chrétien, un appel puissant aux valeurs éternelles de l'Esprit.

Faisant nôtres les paroles de la Liturgie, nous louons le Seigneur pour le don précieux de ces bienheureux, qui enrichissent d'une splendeur renouvelée le visage de l'Église. « Élevez au Seigneur un chant nouveau, car il a accompli des prodiges » (Antienne d'ouverture). Oui, élevons un chant à Dieu, qui a révélé son salut à tous les peuples. Et chacun de nous répond dans son cœur : « Je bénirai pour toujours ton nom, Seigneur ». « Ton Royaume est le royaume de tous les siècles, ton règne s'étend à toutes les générations » (cf. Psaume responsorial).

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Amen !

14 mai 1998

Dans la matinée du jeudi 14 mai 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre la célébration eucharistique pour la clôture de l'Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Évêques. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1. « Iubilate Deo, omnis terra, psalmum dicite gloriae nominis eius » (Ps 65 [66], 1-2).

L'Assemblée synodale qui va se conclure, comme les autres que j'ai déjà convoquées en préparation au grand Jubilé de l'An 2000, a pour but de répondre à l'exhortation que la Liturgie d'aujourd'hui nous adresse : « Acclamez Dieu, toute la terre, chantez à la gloire de son nom, rendez-lui sa louange de gloire ».. Le. Psalmiste. invite. la terre à louer Dieu ; et nous, en cette transition historique que nous sommes en train de vivre, nous ressentons de façon particulière le besoin de lui rendre gloire. Telle est la raison première pour laquelle les Évêques de l'Église se sont réunis en assemblées synodales régionales et continentales.

Après le Synode pour l'Afrique, qui s'est déroulé il y a trois ans, en 1995, a eu lieu l'Assemblée spéciale pour le Liban. En automne de l'an dernier se sont tenus les travaux du Synode pour l'Amérique, qui a vu des représentants de l'épiscopat du Nord, du Centre et du Sud de l'Amérique et des Caraïbes réfléchir et échanger leurs idées sur la situation de l'Église dans leurs pays respectifs.

Aujourd'hui, en revanche, nous concluons la rencontre synodale des Pasteurs des Communautés ecclésiales du continent asiatique. Ce Synode a constitué en soi un chant de louange à Dieu. En effet, n'était-ce pas là le but premier de nos travaux ? Nous avons voulu exprimer, à travers chaque approfondissement, la gloire que les Églises de ce très vaste continent rendent à Dieu, Créateur et Père.

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En effet, dans chaque partie du monde, le service de l'Église s'adresse à l'homme vivant, qui est l'authentique gloire de Dieu.

Les terres d'Asie et les océans qui l'entourent, la chaîne de l'Himalaya, avec son sommet le plus haut du monde, et les fleuves immenses, louent Dieu. Les villes riches de traditions millénaires, les cultures séculaires du Continent, avec ses civilisations bien plus antiques que celles européennes, chantent les louanges à Dieu.

Cet hommage multiforme et silencieux au Créateur trouve son accomplissement définitif dans l'homme, qui rend gloire à Dieu d'une façon qui lui est propre, exclusive et unique. Il ressort clairement de l'expérience synodale que lorsque tous ceux qui habitent dans chaque partie de l'Asie. de l'Inde à la Chine, du Japon à l'Indochine, de l'Indonésie à toutes les autres nations, des sommets du Tibet aux désert d'Asie centrale,. interprètent le mystère ineffable des traditions religieuses plurimillénaires et variées d'Asie, ils essaient de l'exprimer dans la prière et dans la contemplation.

[en français]

2. Je vous ai « établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Au Cénacle, la veille de sa Passion, Jésus confie aux Apôtres la tâche de poursuivre sa mission parmi les hommes. Grâce à la fidèle participation de nombreux témoins de l’Évangile, sa Parole de salut s’est répandue dans presque toutes les parties du monde, au cours des deux millénaires écoulés. Dans le texte que nous venons d’entendre, le Seigneur souligne que c’est lui-même qui a choisi et qui a établi ses disciples, pour qu’ils aillent dans le monde entier et qu’ils portent des fruits durables de salut.

L’un de ceux-là fut saint Matthias, dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Après la trahison de Judas, il fut associé aux onze Apôtres, pour être « témoin de la Résurrection » du Christ. Sur lui ne nous sont parvenues que de rares informations ; nous savons

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seulement qu’il a annoncé l’Évangile avec courage et qu’il mourut martyr.

Selon la tradition, ce fut l’apôtre Thomas qui a porté l’Évangile en Inde et jusqu’au cœur de l’Asie. Depuis lors jusqu’à nos jours, de nombreux missionnaires ont parcouru l’immense continent asiatique et en ont entrepris l’évangélisation, annonçant le Christ Jésus, le Verbe fait chair, mort sur la Croix et ressuscité le troisième jour pour sauver le monde.

Témoins de la Résurrection du Seigneur, ils ont montré des chemins nouveaux à des peuples qui, en raison de leurs traditions philosophiques et religieuses, étaient habitués à chercher l’Absolu dans les profondeurs de l’être. Les évangélisateurs suivirent l’exemple de l’Apôtre Paul, se faisant l’écho de son exhortation : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut » (Col 3, 1).

3. S’il est vrai que Dieu est dans le monde et qu’il a une certaine immanence, il est avant tout vrai qu’il est Transcendant, « au-dessus » du monde, et qu’il n’est donc pas possible de l’identifier au monde. On ne peut le chercher dans le monde comme s’il était seulement le mystère le plus profond de toutes les choses visibles. Au contraire, il faut d’abord le chercher « en haut » : il est le Seigneur du ciel et de la terre. En vertu de cette transcendance absolue, le Fils de Dieu est descendu sur la terre ; il s’est fait homme en naissant d’une Vierge ; il a vécu et il a subi la mort pour la Vérité qu’il annonçait. Plus encore, en réalité, il n’a pas subi la mort, mais il s’est mesuré avec elle. Il n’a pas voulu qu’elle l’emporte, mais il en a brisé les liens ; il est retourné vers le Père d’où il était sorti. De cette manière, le Christ montra aux hommes vivant sur la terre que leur destinée est l’union avec Dieu : créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’être. humain. ne. peut. se. réaliser en dehors de l’union avec Lui, le Rédempteur et le Sauveur.

Oui, en Jésus Christ, le Père a créé le monde ; en Lui, il l’a racheté. Par sa mort et sa Résurrection, le Christ a annoncé et réalisé

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la vérité sur la création et sur la rédemption, vérité qui est le contenu de la mission permanente confiée à l’Église.

[en anglais]

4. Telle est la vérité salvifique que Jésus a transmise aux disciples avec « son » commandement : « Vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12).

Chers frères et sœurs, vous tous qui avez formé l'Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Évêques ! Aujourd'hui, le Seigneur Crucifié et Ressuscité vous répète ces mêmes paroles, vous exhortant une fois de plus à évangéliser votre continent. C'est à vous en particulier, vénérés frères dans l'épiscopat, qu'il dit : « C'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Et à tous, il dit : « Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres » (Jn 15, 17).

En tant que Successeur de l'Apôtre Pierre, j'ai l'honneur et la joie de répéter ces paroles, après avoir partagé avec vous ces jours derniers l'expérience extraordinaire du Synode. Ensemble, nous avons ressenti à nouveau l'amour du. Christ,. et. ensemble,. nous. avons constaté les fruits de la puissance du Saint Esprit à l'œuvre en Asie. La mission d'évangélisation de l'Église est un service d'amour au continent asiatique. Et bien que la communauté chrétienne ne constitue qu'un « petit troupeau » par rapport à la population totale, elle est l'instrument à travers lequel Dieu poursuit son plan salvifique, qu'il portera à terme s'il voit que chacun est prêt à travailler avec lui d'un cœur généreux. Chers amis, voilà précisément la raison pour laquelle je désire vous dire une fois de plus : demeurez dans l'amour du Seigneur, comme les sarments de la vigne (cf. Jn 15, 5), et alors, vous porterez des fruits abondants de vie nouvelle parmi les peuples d'Asie.

5. Parmi les peuples de ce Continent, je ne puis manquer de mentionner en particulier la nation chinoise, qui est la plus

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nombreuse. A vous, très chers frères et sœurs de l'Église catholique qui est en Chine continentale, je désire exprimer une fois de plus mon affection et vous dire combien je regrette que l'Évêque de Wanxian et son Coadjuteur n'aient pas pu venir à Rome pour prendre part personnellement au Synode. Les paroles à travers lesquelles l'Évêque Matthias Duan Yinming a exprimé sa loyauté au Successeur de Pierre et sa communion avec l'Église universelle ont touché nos cœurs. Les Pères synodaux, provenant de tous les pays de l'Asie, ont toujours considéré leurs frères chinois comme étant présents parmi eux en esprit, et ils espèrent que les difficultés présentes seront bientôt surmontées et qu'à l'avenir, ces évêques pourront rencontrer les autres Pasteurs de l'Église.

Nous espérons tous que, tandis que la République populaire de Chine s'ouvre toujours plus au reste du monde, l'Église qui est en Chine puisse également avoir davantage de contacts avec l'Église universelle. Nous implorons l'Esprit Saint de diffuser ses dons sur les fidèles chinois et de les conduire à la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13), afin que la proclamation de l'Évangile en Chine porte des fruits abondants, même parmi les nombreuses souffrances.

6. Dans la Liturgie du temps pascal, nous accompagne la lecture des Actes des Apôtres, qui nous aident à comprendre qu'à notre époque également, l'Église ne cesse d'ajouter de nouveaux chapitres à l'histoire du salut. De même que saint Luc rédigea les « Actes » afin que les générations futures des chrétiens n'oublient pas leurs origines apostoliques, nous aussi, à travers cette Assemblée synodale, nous avons écrit une page nouvelle de la vie ecclésiale du continent asiatique au cours de notre siècle. Cette page s'ajoute en un certain sens à l'histoire des Actes des Apôtres.

En passant en revue l'Asie tout entière, les travaux du Synode nous ont permis de voir de quelle façon l'Évangile s'est enraciné dans ce grand continent au cours des deux derniers millénaires. Il est vrai que les chrétiens demeurent une minorité numérique sur ce continent ; et cette situation représente une sorte de défi permanent

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pour eux. Cela encourage l'Église à offrir son témoignage avec un courage particulier. Comment pourrions-nous oublier que Jésus est né à ce carrefour particulier du monde où l'Asie rencontre l'Afrique et l'Europe ? Il est venu dans le monde pour tous les continents, mais de façon particulière pour Asie ; et l'Asie pourrait donc revendiquer un certain droit de priorité. C'est dans une région d'Asie que le Christ a vécu ; c'est là qu'il a accompli l'œuvre de rédemption du monde ; c'est là qu'il a institué l'Eucharistie et les autres sacrements ; c'est là qu'il est ressuscité d'entre les morts.

[en italien]

7. « Tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu'au jour où il nous fut enlevé » (Ac 1, 21-22), Jésus, né en Asie, a jeté sur ce continent la semence du salut pour tous les peuples.

Au terme du second millénaire, le chemin des successeurs des Apôtres se poursuit dans tous les lieux du continent asiatique où ils annoncent la même vérité et le font avec la même ardeur apostolique et missionnaire, répétant et témoignant : « Jésus-Christ est le Sauveur ».

Très chers frères et sœurs, poursuivez cette mission d'amour et de service en Asie. Que vous soutienne la protection maternelle de Marie, Mère de l'Église et du peuple asiatique ; qu'intercèdent pour vous les martyrs, les saints et les bienheureux d'Asie. Demeurez fidèles à l'amour du Christ, qui vous a appelés et vous a constitués ses disciples « pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16).

Amen !

17 mai 1998

Dans la matinée du dimanche 17 mai 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « S. Maria

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Assunta al Tufello ». Au cours de la Messe pour les fidèles du quartier, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :1

1. « Le Consolateur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, Lui vous enseignera toute chose et vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 16).

Au cours de la dernière Cène, avant d’affronter les évènements dramatiques de la passion et de la mort sur la Croix, Jésus promet aux Apôtres le don de l’Esprit. L’Esprit Saint aura la tâche d’« enseigner » et de « rappeler » ses paroles à la communauté des disciples. Au moment où il va retourner vers le Père, le Verbe incarné annonce la venue de l’Esprit qui aidera les disciples à comprendre à fond l’Évangile, à l’intérioriser dans leur vie et à le rendre vivant et agissant au travers de leur témoignage personnel.

Depuis lors, les croyants continuent d’être guidés par l’Esprit Saint. Grâce à son action, ils comprennent toujours mieux les vérités révélées. C’est ce que souligne le Concile Vatican II à propos de la tradition vivante de l’Église, qui « sous l’assistance de l’Esprit Saint… tend constamment à la plénitude de la vérité divine, jusqu’à l’accomplissement de la Parole de Dieu. (Dei Verbum, 8).

2. « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé ». (Ac 15, 28)

Dès les débuts, la communauté apostolique de Jérusalem se sent la responsabilité de conserver fidèlement le patrimoine de vérité que Jésus lui a laissé. Elle est aussi consciente de pouvoir compter sur l’assistance de l’Esprit Saint, qui guide ses pas ; c’est pour cela qu’elle a recours à Lui en toute occasion. Nous le voyons aussi dans ce que nous rapporte la première Lecture, tirée du Livre des Actes des Apôtres. Après avoir réfléchi sur les obligations à imposer aux païens qui se convertissaient au christianisme, les Apôtres écrivaient aux communautés grecques : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… » (Ac 15, 28).

1 Texte italien dans l’Osservatore Romano du 18-19 mai 1998 – traduction de Bernard Chalmel.

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Pierre, Jacques, Paul et les autres Apôtres sont bien conscients de la tâche que le Seigneur leur a confiée. Ils doivent poursuivre la mission de Salut avec une généreuse disponibilité à l’Esprit Saint, afin que l’Évangile se répande partout, comme semence d’humanité nouvelle. C’est là une condition indispensable pour que le Règne de Dieu avance sur les routes de l’histoire.

3. Chers frères et sœurs de la Paroisse « Santa Maria Assunta al Tufello » ! je me réjouis d’être aujourd’hui ici avec vous et de faire la connaissance de votre Communauté et de votre quartier. Merci pour votre accueil chaleureux. Votre Paroisse, située dans une zone périphérique de la ville, a beaucoup de caractéristiques communes avec celle de Santo Stefano Protomartire à Tor Fiscale, que j’ai pu visiter le 26 avril dernier. Ici aussi, hélas, ne manquent pas les préoccupations et les problèmes sociaux importants.

Je pense, par exemple, au manque de lieux d’association, au fort taux de chômage, aux nombreuses personnes âgées qui ont besoin de soin et d’aide, à la triste réalité de la drogue, en l’absence d’initiatives locales de prévention et de soutien aux toxico-dépendants. Une telle situation donne encore plus de valeur à vos efforts pour répondre à ce défit par des interventions concrètes et un généreux dévouement.

Aujourd’hui, je suis venu vers vous pour vous exprimer mon soutien pour ce que vous faites déjà en communion avec toute la communauté diocésaine, et je vous encourage à persévérer dans votre engagement social et pastoral. Je salue avec respect le maire et les autorités présentes.

Je salue cordialement le Cardinal Vicaire, l’Évêque auxiliaire du secteur et votre jeune curé, Don Rosario Matera, qui fêtera dans quelques jours le dixième anniversaire de son ordination sacerdotale : on voit et on sent qu’il est jeune. Nous lui souhaitons un ministère généreux et fécond. J’étends cette pensée affectueuse aux prêtres qui collaborent aux activités de la Paroisse, et au précédent curé, Mgr

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Luigi Carletti, qui a guidé pendant vingt et un ans votre famille paroissiale.

Je salue les religieuses de la « Santa Famiglia del Sacro Cuore », qui font un précieux service auprès des anciens de la maison de retraite qu’elles dirigent, et aux « Suore degli Angeli, Adoratrici della Santissima Trinità », qui, outre leur participation zélée aux activités paroissiales, gèrent une école maternelle et élémentaire. Je salue aussi tous les groupes paroissiaux, que je sais fortement engagés pour que la paroisse exprime toujours mieux son identité propre de « famille des familles », centre de cohésion sociale pour tout le quartier, lieu où l’on progresse dans l’attention aux besoins des gens et où l’on annonce l’Évangile avec courage, favorisant la rencontre avec le Christ Seigneur.

4. Chers frères et sœurs, pour atteindre ces objectifs apostoliques, votre communauté a posé, avec raison, comme centre et pivot de son action missionnaire, l’annonce du Christ pour susciter et nourrir la foi, la liturgie pour la célébrer dans la joie, et la charité pour en témoigner concrètement.

Je sais que, grâce à la « ‘Mission dans la ville », dans le cadre de votre paroisse, ce sont bien cent vingt missionnaire qui sont passés de maison et maison, et l’on a organisé trente centre d’accueil, pour préparer la visite pastorale à toutes les familles, que le curé compte faire dans l’année qui vient. Je me réjouis de cette ferveur d’initiatives spirituelles, suscitées par la Mission ! Continuez à être présents sur le terrain avec un authentique esprit missionnaire. Soyez une communauté totalement missionnaire, comme le ferment qui fera lever l’espérance dans ce quartier.

Que le temps de grâce de la Mission urbaine conduise votre action évangélisatrice là où les gens vivent, étudient et travaillent, dans les lieux de la joie comme de la souffrance, de la fête comme du quotidien.

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Et ne vous découragez pas, si parfois, les forces semblent insuffisantes ou inadaptées à l’ampleur de la tâche. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus nous donne l’assurance que le Consolateur, l’Esprit Saint envoyé par le Père en son Nom, est toujours avec nous. C’est lui l’acteur principale de l’œuvre de la nouvelle évangélisation. Il enseigne toutes choses aux disciples, et donc aussi à nous, et nous fais souvenir de tout ce que Jésus a dit.

5. « Le Seigneur Dieu, le Tout-puissant, est son sanctuaire, ainsi que l’Agneau. » (Ap 21, 22)

La vision de la Cité du ciel, décrite dans le livre de l’Apocalypse, tourne notre regard vers le but auquel tend le chemin de toute l’humanité : la parfaite communion avec Dieu.

Chers frères et sœurs, soutenus par cette espérance et attirés par la splendeur de la lumière divine, intensifions le pas de notre itinéraire spirituel vers le Seigneur. Alors que s’approche le Grand Jubilée de l’an deux mille, en cette année consacrée spécialement à l’Esprit Saint, demandons-lui avec foi, sa présence et son soutien.

Que l’Esprit Saint nous illumine tous, et en particulier votre communauté paroissiale ; qu’Il la rende prêtre à accueillir ses sept dons, courageuse et intrépide à annoncer à tous Jésus mort et ressuscité, salut de tous ceux qui ont recours à Lui avec confiance.

Que Marie vous protège de son secours maternel, elle qui en ce mois de mai va en pèlerinage dans les maisons de votre paroisse par le passage de son image vénérée. Qu’elle fasse de vous des disciples toujours plus semblables à son divin Fils et qu’elle fasse de votre paroisse une communauté de frères prêts à être témoins de l’Évangile dans leur vie.

Amen.

22 mai 1998

Dans l'après-midi du samedi 22 mai 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique sur la Place de la

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Cathédrale, à Vercelli, au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels dom Secondo Pollo, aumônier militaire mort au Montenegro durant la Deuxième Guerre mondiale. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

« C'est encore à eux qu'avec de nombreuses preuves il s'était présenté vivant après sa passion ; pendant quarante jours il leur était apparu » (Ac 1, 3).

1. Quarante jours ! La solennité de l'Ascension du Christ au ciel clôt la période de quarante jours à partir du dimanche de la Résurrection. Il existe un parallélisme liturgique significatif entre le temps quadragésimal et le temps pascal, une convergence spirituelle particulière, qui ouvre de nouveaux horizons à la vie chrétienne : le Carême conduit à la Résurrection ; les quarante jours après Pâques sont la préparation à l'Ascension.

En revenant en esprit aux quarante années de marche d'Israël vers la Terre promise, le Carême souligne dans le Nouveau. Testament. l'itinéraire. des croyants vers le Mystère pascal, sommet et clef de voûte de l'histoire de l'humanité et de l'économie du salut. Les quarante jours qui précèdent l'Ascension symbolisent le chemin de l'Église sur terre vers la Jérusalem céleste, dans laquelle elle entrera à la fin avec son Seigneur.

Dans les événements pascals, Jésus révèle la plénitude de la vie immortelle. Sur la croix, il fait mourir la mort et grâce à son sacrifice il jette une lumière nouvelle sur toute l'existence humaine. Voilà ce qui est souligné dans les textes liturgiques de la solennité de l'Ascension, et en particulier dans le passage de la Lettre aux Hébreux que nous venons d'écouter : « Les hommes ne meurent qu'une fois, après quoi il y a un jugement » (He 9, 27).

Le Christ ressuscité et transfiguré dans la gloire, comme Prêtre éternel de la Nouvelle Alliance, n'entre pas « dans un sanctuaire fait de main d'homme, [...] mais dans le ciel lui-même, afin de paraître maintenant devant la face de Dieu en notre faveur » (He 9, 24).

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Cette conscience s'accroît dans la contemplation des mystères sacrés et confère un sens nouveau à la vie quotidienne, en la projetant constamment vers les réalités ultimes et éternelles. Le Ciel est notre demeure définitive, et nous sommes déjà appelés à la construire sur la terre, comme le suggère l'Apôtre Paul : « Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en haut, non à celles de la terre » (Co 3, 1-3).

2. C'est ce qu'a fait dom Secondo Pollo, que j'ai ce soir la joie d'élever aux honneurs des autels. Il constitue l'un des nombreux témoignages de la présence et de l'action de Jésus ressuscité dans l'histoire du monde.

Dom Secondo est un exemple de prêtre courageux qui, au cours d'une brève existence, a su atteindre le sommet de la sainteté. A la veille de son Ordination sacerdotale, le nouveau bienheureux manifestait déjà avec une claire détermination l'intention d'accueillir sans réserve dans sa propre vie le programme exigeant de l'Évangile. « Devenir saint », tel fut son idéal, son engagement quotidien. Guidé par ces intentions, il vécut intensément son ministère sacerdotal, en recherchant et en suivant avec assiduité la volonté de Dieu.

La Providence l'appela à des tâches multiples et exigeantes dans le cadre de l'Église de Vercelli. Ce fut un éducateur à l'intuition pédagogique subtile, dans les séminaires diocésains où il exerça sa fonction de professeur et de père spirituel. Il se fit lui-même le premier disciple et serviteur diligent de la Parole de Dieu, à travers l'étude assidue des saintes disciplines et une intense activité de prédicateur. Il fut le généreux dispensateur de la miséricorde divine dans l'administration du sacrement du pardon. Il oeuvra avec enthousiasme parmi les jeunes, en tant qu'assistant de l'Action catholique, allant jusqu'à les suivre dans la tourmente de la guerre, comme aumônier des chasseurs alpins. C'est précisément dans l'exercice héroïque de la charité que le jeune prêtre de Vercelli rendit son âme à Dieu, laissant aux aumôniers militaires du monde entier un

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exemple de la façon d'aimer et de servir ses propres frères sous les armes, et aux chasseurs alpins un modèle et un protecteur au Ciel.

Les secrets de l'ascension de dom Secondo au sommet de la sainteté furent au nombre de deux : l'enracinement constant en Dieu à travers la prière et une dévotion très tendre à l'égard de la Mère céleste, Marie. Sa charité pastorale particulière tirait sa vigueur du dialogue assidu avec Dieu et de l'amour filial pour la Madone, apparaissant comme la synthèse la plus élevée et qualifiante de son ministère sacerdotal. Il vécut intensément pour ses frères, concluant son aventure terrestre le jour de la saint Etienne, imitant presque l'ardent témoin « rempli d'Esprit Saint », dont parle le Livre des Actes des Apôtres (cf. 7, 55).

Rendons grâce au Seigneur pour le don de ce bienheureux et pour tous les saints et les bienheureux qui, dans le Christ unique médiateur du salut, jettent un pont entre Dieu et le monde, reflétant et irradiant la luminosité du Ciel sur l'humanité en pèlerinage sur les routes de la terre.

3. Très chers frères et sœurs ! Je suis heureux de me trouver parmi vous, en ce jour de fête pour le diocèse de Saint Eusèbe et de célébrer pour vous cette solennelle Eucharistie.

Je salue chacune des personnes présentes et, en particulier, le pasteur de votre archidiocèse, le cher Mgr Enrico Masseroni. Je salue également son prédécesseur, le cher Monseigneur Tarcisio Bertone. Je salue les cardinaux, les archevêques et les évêques, ainsi que les autres prélats ici présents. Je salue les prêtres, les religieux et les religieuses, les représentants des associations et des Mouvements ecclésiaux. J'adresse une pensée respectueuse au Représentant du gouvernement et aux Autorités civiles et militaires, en remerciant de façon particulière ceux qui ont généreusement offert leur collaboration pour la réalisation de cette Visite pastorale.

J'ai également plaisir à rappeler, en cet instant, Mgr Albino Mensa, pasteur zélé et estimé de votre Église pendant de longues

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années, appelé à la récompense éternelle au début de cette année. Je sais à quel point la mémoire de son service apostolique parmi vous, imprégné d'amour pour l'Eucharistie, est vivante. « Je peux affirmer avec vérité. a-t-il écrit dans son testament spirituel.. que l'Eucharistie, comme sacrifice et comme sacrement, a illuminé et progressivement transformé ma vie de prêtre et d'évêque ! ». Que le Seigneur l'accueille dans son Royaume de paix et lui accorde la juste récompense qu'il réserve pour ses serviteurs fidèles.

4. Très chers frères dans le sacerdoce, je désire m'adresser à vous de façon particulière en ce jour que nous pouvons considérer, en un certain sens, votre jour, en raison de la béatification de votre confrère, dom Pollo. Dom Secondo est un ami et un modèle pour chacun de vous : un exemple concret de cette sainteté accessible à travers le labeur quotidien du ministère, un modèle de docilité à l'Esprit Saint, qui fait accomplir de façon extraordinaire également les actions les plus ordinaires de votre mission pastorale.

En outre, dom Secondo Pollo est un modèle à présenter à tous les chrétiens et, en particulier, aux fidèles de votre diocèse. Il rappelle à tous que la sainteté est communion avec Dieu, fidélité à l'Évangile, et amour pour les frères. La sainteté est une vocation pour tout le Peuple de Dieu. Notre bienheureux témoigne que suivre Jésus est une entreprise exigeante, mais qu'elle est également une source de joie exaltante, car à travers la Croix, l'on parvient à partager la joie de la Résurrection. La vie de dom Secondo, immolé dans la violence de la guerre, se traduit aujourd'hui en un appel pressant à la paix, qui doit être un engagement partagé par tous les peuples et par toutes les nations.

5. Et comment oublier que ce prêtre courageux, formé à l'École de l'Évangile, fut un fils dévot de Marie ? Il nourrit cet amour pour la Sainte Vierge à la source de la dévotion mariale séculaire, qui constitue le fil conducteur de la tradition chrétienne de Vercelli. Les grands Sanctuaires d'Oropa et de Crea en font foi, veillant d'en haut, au-delà de la frontière, sur votre communauté, comme pour

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représenter matériellement le regard attentif de la Mère sur ses fils dévots. En outre, les nombreux sanctuaires marials et les multiples églises consacrées à la Vierge, qui constellent tout le territoire de Vercelli, en rendent témoignage.

Le nouveau bienheureux invite votre communauté ecclésiale à renouveler son acte de confiance en Marie, Reine de tous les saints et Mère de l'Église. Qu'Elle soit celle qui prépare le cœur de chacun à l'écoute docile de l'Esprit Saint, en particulier en cette année qui lui est consacrée. Plus encore, qu'Elle conduise chacun à considérer le grand Jubilé, qui s'approche désormais, avec le désir d'un authentique renouvellement de la vie chrétienne personnelle et communautaire.

6. Revenons à l'Ascension. « Comme il les bénissait, il (Jésus) se sépara d'eux et fut emporté au ciel » (Lc 24, 51).

La rencontre du Ressuscité avec ses disciples se conclut par deux gestes, que Luc rapporte dans les dernières lignes de son Évangile, lorsqu'il raconte l'événement de l'Ascension : le salut du Seigneur ressuscité qui donne sa bénédiction et l'attitude des Apôtres.

La bénédiction du Christ glorieux suscite chez les disciples l'adoration et la joie. Le mystère de l'Ascension prend ainsi le ton solennel d'une liturgie grave. Les disciples reconnaissent en Jésus le Seigneur victorieux de la mort et, dans le même temps, ils comprennent la signification profonde de sa mission.

Leur cœur est envahi par l'émerveillement et la louange : il ne s'agit donc pas de la mélancolie d'un adieu, mais de la joie pour la certitude d'une présence renouvelée. Jésus disparaît physiquement à la vue, pour devenir présent aux yeux du cœur de ses disciples ; il se libère des limites de l'espace et du temps, pour devenir présent à l'homme de tout temps et de tout lieu, et offrir à tous le don du salut.

Comme les Apôtres, comme saint Eusèbe, comme le groupe des saints et des bienheureux de cette illustre Église, à laquelle s'ajoute aujourd'hui dom Secondo Pollo, nous avons nous aussi la certitude de sa présence.

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Oui, le Christ est avec nous ; il est avec nous chaque jour, jusqu'à la fin du monde.

Amen !

24 mai 1998 -Messe

Dans le cadre de sa Visite pastorale dans le Piémont, en Italie du Nord les 23 et 24 mai 1998, le Pape Jean-Paul II s'est rendu à Turin, où il a célébré une Messe le dimanche 24 au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels trois nouveaux bienheureux italiens : Teresa Bracco, Giovanni Maria Boccardo, Teresa Grillo Michel. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

« ...Mais. vous. allez recevoir une force,.celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins » (Ac 1, 8).

1. Jésus prononce ces paroles avant son ascension au Ciel. A travers elles, il définit le programme futur de son Église, la mission, et il appelle ceux qui ont été ses témoins à l'accomplir.

Cela concerne tout d'abord les Apôtres, qui avaient « vu » les événements de la. passion :. ils. avaient. été. pris. de frayeur lorsqu'Il avait été crucifié et s'étaient ensuite réjouis de sa résurrection. Dans le mystère pascal, le Christ manifeste ainsi toute la vérité de sa filiation divine et de sa mission messianique. Sur la route d'Emmaüs, il explique aux deux disciples que le Messie devait supporter tout cela pour pouvoir ainsi entrer dans la gloire du Père (cf. Lc 24, 26). A présent, au moment de quitter la terre pour revenir au Ciel, il demande aux « siens » de devenir les témoins de ces faits à Jérusalem, en Judée, en Samarie et dans le monde entier.

L'enseignement qu'ils devront diffuser n'est pas un système abstrait d'idées, mais la Parole concernant une réalité vivante. Et c'est précisément en vertu d'une telle Parole, que l'Église se diffusera dans le monde entier.

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Cette Parole, portée au-delà des frontières de la Palestine par les premiers témoins, a engendré une suite innombrable d'autres témoins, dans tous les lieux de la terre. Nous ne connaissons pas les noms de la plupart d'entre eux ; cependant, la mémoire de certains est bien vivante dans l'Église. C'est le cas, par exemple, de ceux qui sont aujourd'hui proclamés bienheureux ici à Turin : Teresa Bracco, Giovanni Maria Boccardo, Teresa Grillo Michel.

2. Dom Giovanni Maria Boccardo fut un homme de profonde spiritualité et, dans le même temps, un apôtre dynamique, promoteur de la vie religieuse et du laïcat, toujours attentif à discerner les signes des temps. Dans l'écoute priante de la Parole de Dieu, il développa une foi très vive et profonde. Il écrivait : « Oui, mon Dieu, ce que Toi tu veux, je le veux moi aussi ».

Et que dire de son infatigable zèle pour les plus pauvres ? Il sut se pencher sur chaque forme de pauvreté humaine avec l'esprit de saint Gaëtan de Thiène, un esprit qu'il communiqua à la Congrégation féminine qu'il fonda pour soigner les personnes âgées, les malades et pour l'éducation de la jeunesse. Il fit sienne la devise évangélique : « Cherchez d'abord son Royaume et sa justice » (Mt 6, 33).

Comme le saint Curé d'Ars, dont il était un fidèle dévot, il indiqua à ses paroissiens, à travers la parole et surtout l'exemple, la voie du Ciel. Le jour de son arrivée comme curé à Pancalieri, il s'adressa ainsi aux fidèles : « Je viens à vous, chers amis, pour vivre comme l'un de vous, votre père, frère et ami, et pour partager avec vous les joies et les peines de la vie [...] Je viens à vous comme serviteur de tous, chacun pourra disposer de ma personne, et je m'estimerai toujours chanceux et heureux de pouvoir servir, en ne cherchant rien d'autre que le bien de tous ».

Il se proclamait toujours le fils dévot de la Madone et il se tournait vers elle avec une confiance constante. A ceux qui lui demandaient : « Est-il si difficile de gagner le paradis ? », il répondait : « Fais preuve de dévotion à l'égard de Marie, qui en est la

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Porte, et tu y entreras ». Son exemple est encore vivant dans la mémoire des gens qui, à partir d'aujourd'hui, peuvent l'invoquer comme intercesseur au Ciel.

3. Un autre témoin de charité évangélique lumineuse est Teresa Grillo Michel, appelée par le Seigneur pour diffuser l'amour, en particulier chez les plus pauvres, grâce à la Congrégation des Petites Sœurs de la Divine Providence qu'elle fonda.

Issue d'une famille aristocratique et riche, elle embrassa tout d'abord la vocation conjugale, en épousant le capitaine des « bersaglieri » Giovanni Battista Michel, mais, restée veuve à l'âge de trente six ans et n'ayant pas d'enfants, elle se sentit poussée à se consacrer totalement au service des plus démunis. Elle devint ainsi la mère de tant de personnes abandonnés : orphelins, personnes âgées, malades. « Le nombre des pauvres augmentent toujours davantage et l'on voudrait pouvoir ouvrir les bras pour en accueillir le plus grand nombre sous la protection de la Divine Providence » : ainsi s'exprimait-elle au début de son œuvre à Alexandrie, sa ville natale.

Au centre de sa vie spirituelle et de celle de ses consœurs se trouve l'Eucharistie, dont elle voulut placer l'image de façon bien visible sur l'habit religieux. De la prière prolongée devant le Très Saint Sacrement, Teresa tirait l'inspiration et le soutien pour son dévouement quotidien, ainsi que pour les courageuses initiatives missionnaires, qui la conduisirent plusieurs fois jusqu'au Brésil.

Cette généreuse fille du Piémont se place dans le sillage des saints et des bienheureux qui, au cours des siècles, ont apporté le message de l'amour divin au monde, à travers le service effectif aux frères dans le besoin. Rendons grâce à Dieu pour le témoignage vivant de sainteté de cette femme, qui enrichit votre région et l'Église entière.

4. Si c'est surtout la vertu de la charité qui resplendit chez Giovanni Maria Boccardo et Teresa Grillo, chez Teresa Bracco brille la chasteté, défendue. et. témoignée. jusqu'au martyre. Elle avait

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vingt ans lorsqu'au cours de la deuxième Guerre mondiale, elle choisit de mourir plutôt que de céder à la violence d'un militaire qui attentait à sa virginité. Cette attitude courageuse était la conséquence logique d'une ferme volonté de rester fidèle au Christ, selon ses intentions manifestées à plusieurs reprises. Lorsqu'elle apprit ce qui était arrivé à d'autres jeunes filles en cette période de désordres et de violences, elle s'exclama sans hésiter : « Plutôt que d'être profanée, je préfère mourir ».

Ce fut ce qui arriva au cours d'une rafle. Le martyre fut le couronnement d'un chemin de maturation chrétienne, développé jour après jour, grâce à la force puisée à la Communion eucharistique quotidienne et à une profonde dévotion pour la Vierge Marie, Mère de Dieu.

Quel témoignage évangélique significatif pour les jeunes générations qui entrent dans le troisième millénaire ! Quel message d'espérance pour tous ceux qui s'efforcent d'aller à contre-courant de l'esprit qui règne en ce monde ! Je présente en particulier aux jeunes cette jeune fille que l'Église proclame aujourd'hui bienheureuse, pour qu'ils apprennent d'elle la foi limpide témoignée dans l'engagement quotidien, la cohérence morale sans compromis, le courage de sacrifier, si nécessaire, sa propre vie, pour ne pas trahir les valeurs qui donnent un sens à la vie.

En pensant au milieu rural dans lequel Teresa a grandi, je suis heureux d'adresser une parole d'affection aux cultivateurs directs des Langhe et du Piémont tout entier, venus en grand nombre aujourd'hui pour lui rendre hommage et pour se confier à son intercession. Je voudrais également transmettre mon salut aux moniales de la Chartreuse de la Trinité, qui s'élève près de l'endroit où eut lieu le martyre de Teresa. Fidèles à la Règle qui les engage à la prière et à la contemplation dans la solitude et dans le silence, ces sœurs, bien qu'absentes physiquement, sont présentes par l'esprit à cette célébration solennelle.

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5. Les figures des nouveaux bienheureux nous conduisent par la pensée vers ce Ciel dans lequel le Seigneur est entré lors du mystère de son Ascension. Il nous en a parlé en termes très suggestifs dans l'Épître aux Hébreux, en nous présentant le Christ qui est entré en tant que Prêtre Suprême non « pas dans un sanctuaire fait de main d'homme [...] mais dans le ciel lui-même [...] pour abolir le péché par son sacrifice » (He 9, 24.26). Il s'agit d'une perspective qui nous permet de mieux comprendre le message du Saint-Suaire, icône émouvante de la Passion du Christ. Je remercie le Seigneur qui m'a donné l'opportunité de revenir à Turin pour contempler encore une fois, cet après-midi, ce témoignage extraordinaire de la souffrance du Christ.

Je suis heureux de saluer encore une fois toutes les personnes présentes, en commençant par l'Archevêque de Turin, le cher Cardinal Giovanni Saldarini, ainsi que les évêques du Piémont et les représentants des autorités civiles présentes, parmi lesquelles j'adresse un salut particulier au représentant du Gouvernement italien. Je salue le clergé, les religieux et les religieuses, les laïcs engagés et toutes les personnes présentes, en particulier les pèlerins venus avec dévotion pour rendre hommage au Saint-Suaire.

Le Saint-Suaire ! Quel message éloquent de souffrance et d'amour, de mort et de vie immortelle ! Il nous permet de comprendre les conditions que Jésus a voulu traverser avant de monter au Ciel. Ce Lin très précieux, dans son éloquence dramatique, nous offre le message le plus significatif pour notre vie : la source de toute existence chrétienne est la rédemption obtenue pour nous par le Sauveur, qui a pris notre condition humaine, qui a souffert, qui est mort et ressuscité pour nous. Le Saint-Suaire nous parle de tout cela. C'est un témoin unique.

6. Les bienheureux que nous vénérons aujourd'hui pour la première fois ont accueilli et fait leur ce message salvifique. En les contemplant, l'Église exulte. Elle exulte dans l'Esprit, car elle entrevoit déjà en eux la patrie céleste, cette maison glorieuse de Dieu

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où nous sommes tous attendus. « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures [...] je vais vous préparer une place » (Jn 14, 2), avait dit Jésus à ses disciples à la veille de sa Passion. Les nouveaux bienheureux ont rejoint la place préparée pour eux par le Christ monté au Ciel.

A présent, cet engagement devient le nôtre, à nous qui sommes des pèlerins encore en marche sur la terre. Après l'ascension de Jésus, deux Anges demandèrent aux Apôtres : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière » (Ac 1, 11). La question s'adresse également à nous : nous vivons à présent le temps de l'attente, active et vigilante, du retour glorieux du Christ.

Notre esprit, animé par une vive espérance, se réjouit et invoque : « Viens, Seigneur Jésus ». Et la réponse, contenue dans le Livre de l'Apocalypse, comble notre cœur de joie, ainsi que celui de chaque croyant : « .Oui, mon retour est proche. Amen ! » (cf. Ap 22, 20).

24 mai 1998 – Célébration de la Parole

Le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale à Turin et à Vercelli, dans le Piémont (Italie), les 23 et 24 mai 1998. Dans l'après-midi du dimanche 24 mai 1998, le Saint-Père s'est recueilli en prière devant le Saint-Suaire et a présidé la Célébration de la Parole dans la cathédrale de Turin. Après l'adresse de salut de l'Archevêque de Turin, S.Em. le Card. Giovanni Saldarini, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

Très chers frères et sœurs !

1. Le regard tourné vers le Saint-Suaire, je désire vous saluer tous cordialement, vous les fidèles de l'Église de Turin. Je salue les pèlerins qui, durant la période de l'ostension du Saint-Suaire, viennent de toutes les parties du monde pour contempler l'un des signes les plus bouleversants de l'amour dans la souffrance du Rédempteur.

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En entrant dans la cathédrale, qui porte encore les blessures provoquées par le terrible incendie d'il y a un an, je me suis arrêté en adoration devant l'Eucharistie, le Sacrement qui se trouve au centre des attentions de l'Église, et qui, sous des apparences humbles, protège la présence véritable, réelle et substantielle du Christ. A la lumière de la présence du Christ parmi nous, je me suis arrêté ensuite devant le Saint-Suaire, le Lin précieux qui peut nous aider à mieux comprendre le mystère de l'amour du Fils de Dieu pour nous.

Devant le Saint-Suaire, image intense et poignante d'un supplice inénarrable, je désire rendre grâce au Seigneur pour ce don particulier, qui exige du croyant une attention bienveillante et une disponibilité totale à la suite du Seigneur.

Une provocation à l'intelligence

2. Le Saint-Suaire est une provocation à l'intelligence. Il exige avant tout l'engagement de chaque homme, en particulier du chercheur, pour saisir avec humilité le message profond adressé à sa raison et à sa vie. La fascination mystérieuse qu'exerce le Saint-Suaire pousse à formuler des questions sur le rapport existant entre le Lin sacré et la vie historique de Jésus. Ne s'agissant pas d'un thème de foi, l'Église n'a pas la compétence spécifique pour se prononcer sur ces questions. Elle confie aux scientifiques le devoir de poursuivre les recherches afin de réussir à trouver des réponses adéquates aux interrogations liées à ce Suaire qui, selon la tradition, aurait enveloppé le corps de notre Rédempteur lorsqu'il fut déposé de la croix. L'Église exhorte à aborder l'étude du Saint-Suaire sans préjugés, qui considèreraient comme une évidence des résultats qui ne le sont pas ; elle les invite à agir avec une liberté intérieure et un respect attentif à la méthodologie scientifique et à la sensibilité des croyants.

Miroir de l'Évangile

3. Ce qui compte surtout pour le croyant est que le Saint-Suaire est le miroir de l'Évangile. En effet, si l'image du Christ se reflète sur

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le Lin sacré, on ne peut faire abstraction de la considération que celle-ci a un rapport si profond avec ce que les Évangiles racontent de la Passion et de la mort de Jésus que tout homme sensible se sent intérieurement touché et ému en le contemplant. Celui qui s'en approche est également conscient que le Saint-Suaire n'arrête pas sur lui le cœur des personnes, mais renvoie à Celui au service duquel la Providence bienveillante du Père l'a placé. C'est pourquoi il est juste d'alimenter la conscience de la richesse de cette image, que tous voient et que personne, jusqu'à présent, n' a pu expliquer. Pour chaque personne soucieuse, il est un motif de réflexions profondes, qui peuvent arriver à toucher la vie.

Le Saint-Suaire constitue ainsi un signe tout à fait particulier qui renvoie à Jésus, la véritable Parole du Père, et qui invite à modeler son existence sur celle de Celui qui s'est donné pour nous.

Image de la souffrance humaine

4. Dans le Saint-Suaire se reflète l'image de la souffrance humaine. Il rappelle à l'homme moderne, souvent distrait par le bien-être et par les conquêtes technologiques, le drame de tant de frères et l'invite à s'interroger sur le mystère de la douleur pour en approfondir les causes. L'empreinte du corps martyrisé du Crucifié, en témoignant de la terrible capacité de l'homme à procurer la douleur et la mort à ses semblables, se présente comme l'icône de la souffrance de l'innocent de tous les temps : des innombrables tragédies qui ont marqué l'histoire du passé, et des drames qui continuent de se consumer dans le monde.

Face au Saint-Suaire, comment ne pas penser aux millions d'hommes qui meurent de faim, aux horreurs perpétrées dans les si nombreuses guerres qui ensanglantent les Nations, à l'exploitation brutale de femmes et d'enfants, aux millions d'êtres humains qui vivent de privations et d'humiliations dans les périphéries des métropoles, en particulier dans les pays en voie de développement ? Comment ne pas rappeler avec douleur et pitié tous ceux qui ne

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peuvent pas jouir des droits civils élémentaires, les victimes de la torture et du terrorisme, les esclaves d'organisations criminelles ?

En évoquant de telles situations dramatiques, le Saint-Suaire nous pousse non seulement à sortir de notre égoïsme, mais également à découvrir le mystère de la douleur qui, sanctifiée par le sacrifice du Christ, engendre le salut pour l'humanité tout entière.

Image du péché de l'homme et de l'amour de Dieu

5. Le Saint-Suaire est également l'image de l'amour de Dieu, outre celle du péché de l'homme. Il invite à redécouvrir la cause ultime de la mort rédemptrice de Jésus. Dans l'incommensurable souffrance dont ce dernier porte les signes, l'amour de Celui qui « a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16) devient presque palpable et manifeste ses dimensions surprenantes. Face à lui, les croyants ne peuvent que s'exclamer en toute vérité : « Seigneur, tu ne pouvais pas m'aimer davantage ! », et se rendre immédiatement compte que le responsable de cette souffrance est le péché : ce sont les péchés de chaque être humain.

En nous parlant d'amour et de péché, le Saint-Suaire nous invite tous à imprimer dans notre esprit le visage de l'amour de Dieu, pour en exclure la terrible réalité du péché. La contemplation de ce Corps martyrisé aide l'homme contemporain à se libérer de la superficialité et de l'égoïsme avec lesquels il traite très souvent l'amour et le péché. Faisant écho à la Parole de Dieu et à des siècles de conscience chrétienne, le Saint-Suaire murmure : Crois en l'amour de Dieu, le plus grand trésor donné à l'homme, et fuis le péché, le plus grand malheur de l'histoire.

Image d'impuissance

6. Le Saint-Suaire est également une image d'impuissance : impuissance de la mort, dans laquelle se révèle la conséquence extrême du mystère de l'Incarnation. La toile du Saint-Suaire nous invite à nous mesurer à l'aspect le plus troublant du mystère de l'Incarnation, qui est également celui à travers lequel se révèle avec

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quelle vérité Dieu s'est véritablement fait homme, assumant notre condition en tout, hormis le péché. Chacun est troublé à l'idée que le Fils de Dieu lui-même n'a pas résisté à la force de la mort, mais nous sommes tous émus à la pensée qu'il a tellement participé à notre condition humaine qu'il a voulu se soumettre à l'impuissance totale du moment où la vie s'éteint. C'est l'expérience du Samedi saint, un passage important du chemin de Jésus vers la Gloire, dont émane un rayon de lumière qui atteint la douleur et la mort de chaque homme.

La foi, en nous rappelant la victoire du Christ, nous communique la certitude que le sépulcre n'est pas le but ultime de l'existence. Dieu nous appelle à la résurrection et à la vie immortelle.

Image du silence

7. Le Saint-Suaire est une image du silence. Il y a le silence tragique de l'incommunicabilité, qui trouve dans la mort sa plus haute expression, et il y a le silence de la fécondité, qui est propre à celui qui renonce à se faire entendre à l'extérieur, pour atteindre en profondeur les racines de la vérité et de la vie. Le Saint-Suaire exprime non seulement le silence de la mort, mais également le silence courageux et fécond du dépassement de l'éphémère, grâce à l'immersion totale dans l'éternel présent de Dieu. Il nous offre ainsi la confirmation émouvante du fait que la toute puissance miséricordieuse de notre Dieu n'est arrêtée par aucune force du mal, mais qu'elle sait au contraire faire participer au bien la force même du mal. Notre époque a besoin de redécouvrir la fécondité du silence, pour surmonter la dissipation due aux sons, aux images, aux bavardages qui empêchent trop souvent d'entendre la voix de Dieu.

8. Très chers frères et sœurs ! Votre Archevêque, le cher Cardinal Giovanni Saldarini, Custode pontifical du Saint-Suaire, a proposé comme devise de cette Ostension solennelle les paroles suivantes : « Tous les hommes verront ton salut ». Oui, le pèlerinage que des foules nombreuses accomplissent vers cette ville est précisément un « venir voir » ce signe tragique et illuminant de la Passion, qui annonce l'amour du Rédempteur. Cette icône du Christ

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abandonné dans la condition dramatique et solennelle de la mort, qui depuis des siècles est l'objet de représentations significatives et qui depuis cent ans, grâce à la photographie, est diffusée à travers de très nombreuses reproductions, nous exhorte à aller au cœur du mystère de la vie et de la mort pour découvrir le message élevé et réconfortant qui nous est remis avec elle. Le Saint-Suaire nous présente Jésus au moment de son impuissance la plus grande, et il nous rappelle que dans l'annulation de cette mort se trouve le salut du monde entier. Le Saint-Suaire devient ainsi une invitation à vivre chaque expérience, y compris celle de la souffrance et de son impuissance suprême, avec l'attitude de celui qui croit que l'amour miséricordieux de Dieu vainc toute pauvreté, tout conditionnement, toute tentation de désespoir.

L'Esprit de Dieu, qui habite dans nos cœurs, suscite en chacun le désir et la générosité nécessaires pour accueillir le message du Saint-Suaire et pour en faire le critère inspirateur de l'existence.

Anima Christi, sanctifica me ! Corpus Christi, salva me ! Passio Christi, conforta me ! Intra tua vulnera, absconde me !

31 mai 1998

Dans la matinée du dimanche 31 mai 1998, fête de la Pentecôte, le Pape Jean-Paul II a présidé une messe solennelle sur la place Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Credo in Spiritum Sanctum, Dominum et vivificantem : Je crois en l'Esprit Saint qui est le Seigneur et qui donne la vie.

Avec les paroles du Symbole de Nicée-Constantinople, l'Église proclame sa foi dans le Paraclet ; une foi qui naît de l'expérience apostolique de la Pentecôte. Le passage des Actes des Apôtres, que la liturgie d'aujourd'hui a proposé à notre méditation, rappelle en effet les merveilles réalisées le jour de la Pentecôte, lorsque les Apôtres constatèrent avec une grande stupeur l'accomplissement des paroles de Jésus. En effet, comme le rapporte l'épisode de l'Évangile

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de saint Jean qui vient d'être proclamé, Jésus avait assuré à la veille de sa passion : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais » (Jn 14, 16). Ce « Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

Et l'Esprit Saint, en descendant sur eux avec une force extraordinaire, les rendit capables d'annoncer au monde entier l'enseignement du Christ Jésus. Leur courage était si grand, et leur décision si sûre, qu'ils étaient prêts à tout, même à donner leur vie. Le don de l'Esprit avait libéré leurs énergies les plus profondes, les canalisant au service de la mission que leur avait confiée le Rédempteur. Et ce sera le Consolateur, le Parakletos, qui les guidera pour annoncer l'Évangile à chaque homme. L'Esprit leur enseignera la vérité tout entière, en la puisant à la richesse de la parole du Christ, afin qu'à leur tour, ils la communiquent aux hommes à Jérusalem et dans le reste du monde.

2. Comment ne pas rendre grâce à Dieu pour les prodiges que l'Esprit n'a pas cessé d'accomplir au cours de ces deux millénaires de vie chrétienne ? L'événement de grâce de la Pentecôte a, en effet, continué à produire ses fruits merveilleux, en suscitant partout l'ardeur apostolique, le désir de contemplation, l'engagement à aimer et à servir avec un profond dévouement Dieu et ses frères. Aujourd'hui encore, l'Esprit soutient dans l'Église les gestes petits et grands de pardon et de prophétie, il donne la vie à des charismes et à des dons toujours nouveaux, qui attestent de son action permanente dans le cœur des hommes.

La preuve éloquente en est cette liturgie solennelle, au cours de laquelle sont présents de très nombreux membres des Mouvements et des Communautés nouvelles, qui ces jours derniers ont célébré à Rome leur Congrès mondial. Hier, sur cette même place Saint-Pierre, nous avons vécu une inoubliable rencontre de fête, avec des chants, des prières et des témoignages. Nous avons vécu le climat de la

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Pentecôte, qui a rendu quasiment visible la fécondité intarissable de l'Esprit dans l'Église. Les Mouvements et les Communautés nouvelles, expressions providentielles du nouveau printemps suscité par l'Esprit avec le Concile Vatican II, constituent une annonce de la puissance de l'amour de Dieu qui, surmontant les. divisions. et. les. barrières. de. tout genre, renouvelle la face de la terre pour y construire la civilisation de l'amour.

3. Saint Paul écrit dans l'Épître aux Romains, qui vient d'être proclamée : « En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rm 8, 14).

Ces paroles offrent de nouveaux éléments pour comprendre l'action de l'Esprit. dans. notre. vie. de. croyants. Elles nous ouvrent la voie pour atteindre le cœur de l'homme : l'Esprit Saint, que l'Église invoque pour qu'il apporte la « lumière aux sens », atteint l'homme dans son intimité et touche directement la profondeur de son être.

L'Apôtre poursuit : « Vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'Esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous [...] En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (cf. Rm 8, 9.14). Ensuite, contemplant l'action mystérieuse du Paraclet, il ajoute avec ferveur : « Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves [...] vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba Père ! L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 15-16). Nous voici au centre du mystère ! C'est dans la rencontre entre l'Esprit Saint et l'esprit de l'homme que se trouve le cœur même de l'expérience vécue par les Apôtres lors de la Pentecôte. Cette expérience extraordinaire est présente dans l'Église née de cet événement et l'accompagne au cours des siècles.

Sous l'action de l'Esprit Saint, l'homme découvre en profondeur que sa nature spirituelle n'est pas cachée par son caractère corporel mais, au contraire, c'est l'Esprit qui donne un sens véritable au corps lui-même. En effet, en vivant selon l'Esprit, il manifeste pleinement le don de son adoption comme fils de Dieu.

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Dans ce contexte, s'insère parfaitement la question fondamentale de la relation entre la vie et la mort, que Paul aborde en observant textuellement : « Car si vous vivez selon la chair vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » (Rm 8, 13). Il en est précisément ainsi : la docilité à l'Esprit offre à l'homme des occasions permanentes de vie.

4. Très chers frères et sœurs, c'est pour moi un motif de grande joie de vous saluer tous, vous qui avez voulu vous joindre à moi pour rendre grâce au Seigneur pour le don de l'Esprit. Cette fête entièrement missionnaire élargit notre regard sur le monde entier, avec une pensée particulière pour les nombreux missionnaires prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui consacrent leur vie, souvent dans des conditions très difficiles, à la diffusion de la vérité évangélique.

Je salue les personnes ici présentes : les cardinaux, les frères dans l'épiscopat et le sacerdoce, les nombreux membres des divers Instituts de Vie consacrée et de Vie apostolique, les jeunes, les malades, et en particulier ceux qui sont venus de très loin pour cette fête solennelle.

Un souvenir particulier va aux Mouvements et aux Communautés nouvelles, qui ont tenu hier leur rencontre et que je vois aujourd'hui présents en grand nombre. J'adresse une pensée spéciale aux enfants et aux jeunes gens qui vont bientôt recevoir les Sacrements de la Confirmation et de l'Eucharistie.

Très chers amis, quelles perspectives exaltantes les paroles de l'Apôtre offrent-elles à chacun de vous ! A travers les gestes et les paroles du Sacrement de la Confirmation, l'Esprit Saint vous sera donné, perfectionnant votre configuration au Christ, qui a déjà commencé dans le Baptême, pour vous rendre adultes dans la foi et des témoins authentiques et courageux du Ressuscité. Grâce à la Confirmation, le Paraclet vous ouvre un chemin de redécouverte incessante de la grâce de l'adoption comme fils de Dieu, qui vous permettra de mener une quête joyeuse de la Vérité.

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L'Eucharistie, nourriture de vie immortelle, que vous goûterez d'ici peu pour la première fois, vous rendra prêts à aimer et à servir vos frères, capables de dispenser des occasions de vie et d'espérance, libres de la domination de la « chair » et de la peur. En vous laissant guider par Jésus, vous pourrez concrètement faire l'expérience dans votre vie de l'action merveilleuse de son Esprit, dont parle l'apôtre Paul dans le huitième chapitre de l'Épître aux Romains. Ce texte, dont le contenu apparaît particulièrement actuel en cette année consacrée à l'Esprit Saint, devrait être lu aujourd'hui avec une plus grande attention, pour rendre honneur à l'action que l'Esprit du Christ accomplit en chacun de nous.

5. Veni, Sancte Spiritus !

La magnifique séquence, qui contient une riche théologie de l'Esprit Saint, mériterait également d'être méditée, strophe après strophe. Nous nous arrêterons uniquement sur la première parole : veni, viens ! Elle rappelle l'attente des Apôtres, après l'Ascension du Christ au ciel.

Dans les Actes des Apôtres, Luc nous présente ces derniers réunis au Cénacle en prière avec la Mère de Jésus (cf. Ac 1, 14). Quelle autre parole, mieux que celle-ci, pouvait-elle exprimer leur prière : « Veni, Sancte Spiritus » ? C'est-à-dire, l'invocation de celui qui tournoyait sur les eaux au début du monde (cf. Gn 1, 2), et que Jésus leur avait promis comme Paraclet.

Le cœur de Marie et des Apôtres, en ces instants, est tendu vers sa venue, dans une alternance de foi ardente et de confession de l'incapacité humaine. La piété de l'Église a interprété et transmis ce sentiment dans le chant du « Veni, Sancte Spiritus ». Les Apôtres savent que la tâche que le Christ leur a confiée est ardue, mais décisive pour l'histoire du salut de l'humanité. Seront-ils en mesure de la mener à bien ? Le Seigneur rassure leurs cœurs. A chaque pas de la mission qui les conduira à annoncer et à témoigner de l'Évangile, jusqu'aux lieux les plus reculés de la terre, ils pourront compter sur l'Esprit promis par le Christ. Les Apôtres, se rappelant

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de la promesse du Christ, au cours des journées qui s'écoulent de l'Ascension à la Pentecôte, concentreront chaque pensée et chaque sentiment sur ce veni - viens !

6. Veni, Sancte Spiritus ! Commençant de cette façon son invocation à l'Esprit Saint, l'Église fait sien le contenu de la prière des Apôtres rassemblés avec Marie au Cénacle ; et, de plus, elle la poursuit au cours de l'histoire et la rend toujours actuelle.

Veni, Sancte Spiritus ! Ainsi continue-t-elle à répéter en chaque lieu de la terre avec une même ardeur, fermement consciente de devoir rester en esprit au Cénacle, dans une attente éternelle de l'Esprit. En même temps, elle sait qu'elle doit sortir du Cénacle pour aller sur les routes du monde, ayant la tâche toujours nouvelle de rendre témoignage au mystère de l'Esprit.

Veni,. Sancte. Spiritus !. Nous. prions ainsi avec Marie, sanctuaire de l'Esprit Saint, demeure très précieuse du Christ parmi nous, afin qu'elle nous aide à être des temples vivants de l'Esprit et des témoins inlassables de l'Évangile. Veni, Sancte Spiritus ! Amen !

11 juin 1998

Dans l'après-midi du jeudi 11 juin, solennité du Corpus Domini, le Saint-Père a présidé une Messe sur l'esplanade de la. basilique. Saint-Jean-de-Latran.. A l'issue de la concélébration eucharistique, le Pape Jean-Paul II a guidé la procession eucharistique du Latran à la basilique Sainte-Marie-Majeure. Nous publions ci-dessous l'homélie du Saint-Père :

1. « Tu marches à travers les siècles » (Extrait d'un chant eucharistique polonais). Aujourd'hui, la solennité du « Corpus Domini » invite à méditer sur le chemin de salut particulier que constitue l'itinerarium salvificum du Christ à travers l'histoire, une histoire écrite dès les origines, de façon simultanée, par Dieu et par l'homme. A travers les événements humains, la main divine trace l'histoire du salut.

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Il s'agit d'un chemin qui commence dans l'Eden, lorsque Dieu intervient à la suite du péché du premier homme, Adam, pour orienter l'histoire vers la venue du « deuxième » Adam. Dans le Livre de la Genèse l'annonce primitive du Messie est déjà présente et dès lors, au cours des générations qui se succèdent, comme nous le rapportent les pages de l'Ancien Testament, se déroule le chemin des hommes vers le Christ.

Quand, par la suite, dans la plénitude des temps, le Fils de Dieu incarné verse son sang sur la croix pour notre salut et ressuscite d'entre les morts, l'histoire entre, pour ainsi dire, dans une dimension nouvelle et définitive : la nouvelle et éternelle alliance s'accomplit alors, le Christ crucifié et ressuscité étant son principe et son accomplissement. Sur le Calvaire, le chemin de l'humanité, selon les desseins divins, connaît un tournant décisif : le Christ se met à la tête du nouveau Peuple pour le guider vers le but définitif. L'Eucharistie, sacrement de la mort et de la résurrection du Seigneur, constitue le cœur de cet itinerarium spirituel eschatologique.

2. « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 51).

Ces paroles viennent d'être proclamées au cours de cette solennelle liturgie. Jésus les prononça après la multiplication miraculeuse des pains au bord du lac de Tibériade. Selon l'évangéliste Jean, elles pré-annoncent le don salvifique de l'Eucharistie. Dans l'Ancienne Alliance les préfigurations significatives de l'Eucharistie ne manquent pas, parmi celles-ci ressort de façon éloquente celle qui se réfère au prêtre Melchisedek, dont la liturgie d'aujourd'hui évoque la figure mystérieuse et le sacerdoce singulier. Le discours du Christ dans la synagogue de Capharnaüm, que nous lisons dans l'Évangile d'aujourd'hui, représente le sommet des prophéties de l'Ancien Testament et, dans le même temps, en préannonce l'accomplissement, qui aura lieu lors de la Dernière Cène. Nous savons comment, en cette circonstance,

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les paroles du Seigneur constituèrent pour ceux qui les entendirent, et pour les Apôtres eux-mêmes,. une. épreuve. de. foi. difficile.

Mais comment oublier la profession de foi claire et ardente de Simon-Pierre qui proclama : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 68-69) !

Ce sont les mêmes sentiments qui nous animent tous aujourd'hui alors que, rassemblés autour de l'Eucharistie, nous revenons en esprit au Cénacle où, le Jeudi Saint, l'Église se recueille spirituellement pour commémorer l'institution de l'Eucharistie.

3. « In supremae nocte cenae, recumbens cum fratribus... » « Dans la nuit de la Cène il se trouva avec ses frères. Il accomplit chaque acte du rite pascal sacré et aux Apôtres émerveillés en nourriture il se donna ».

Saint Thomas d'Aquin résume par ces paroles l'événement extraordinaire de la Dernière Cène, devant lequel l'Église reste en contemplation silencieuse, en se plongeant d'une certaine façon dans le silence du Jardin des Oliviers et du Golgotha.

Le Docteur Angélique exhorte : « Pange, lingua, gloriosi Corporis mysterium... ».

« De toutes les nations, proclamez le mystère du Seigneur,

de son Corps et de son Sang que la Vierge donna

et qui fut répandu en sacrifice pour sauver l'humanité »

Le silence profond du Jeudi Saint enveloppe le sacrement du Corps et du Sang du Christ. Le chant des fidèles semble ne pas pouvoir se manifester dans toute son intensité ni, a fortiori, les autres manifestations publiques de la piété eucharistique populaire.

4. C'est pourquoi l'Église a ressenti le besoin d'une fête particulière, dans laquelle il soit possible d'exprimer avec plus d'intensité la joie pour l'institution de l'Eucharistie : ainsi naquit, il y

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a sept siècles, la solennité du « Corpus Domini », marquée par de grandes processions eucharistiques, qui mettent en évidence. l'« itinerarium » du Rédempteur du monde dans le temps : « Tu marches à travers les siècles ». Aujourd'hui aussi, la procession que nous accomplirons au terme de la Messe évoque avec éloquence le chemin du Christ solidaire de l'histoire des hommes. Rome est appelée « Ville éternelle » de façon significative, car en elle se reflètent admirablement diverses époques de l'histoire. En particulier, elle conserve les vestiges de deux mille ans de christianisme.

Au cours de la procession qui nous conduira de cette place à la basilique Sainte-Marie-Majeure, toute la communauté chrétienne de Rome sera présente en esprit, rassemblée autour de son Pasteur, avec les évêques collaborateurs, les prêtres, les religieux, les religieuses et les différentes délégations des paroisses, des mouvements, des associations et des confréries. J'adresse un salut cordial à tous.

Je voudrais adresser une pensée particulière aux évêques Cubains qui, présents à Rome depuis quelques jours, ont voulu aujourd'hui se joindre à nous pour rendre grâce au Seigneur, encore une fois, pour le don de ma récente visite et pour implorer la lumière et le soutien de l'Esprit sur le chemin de la nouvelle évangélisation. Nous les accompagnons avec notre affection et notre communion fraternelle.

5. En célébrant aujourd'hui la fête du Corps et du Sang du Seigneur, l'esprit se tourne vers le 18 juin de l'An 2000, lorsque ici, dans cette basilique, s'ouvrira le 47e Congrès eucharistique international. Le jeudi suivant, le 22 juin, solennité du Corps et Sang du Christ, la grande procession eucharistique partira de cette place. Ensuite, réunis en assemblée liturgique pour la « Statio Orbis », le dimanche 25, nous célébrerons l'Eucharistie solennelle avec les nombreux pèlerins qui, accompagnés par leurs pasteurs, viendront à Rome de tous les continents pour le Congrès et pour vénérer les tombes des Apôtres.

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Au cours des deux années qui nous séparent du grand Jubilé, préparons-nous, individuellement et de façon communautaire, à approfondir le grand don du Pain rompu pour nous lors de la célébration eucharistique. Nous vivons en esprit et en vérité le mystère profond de la permanence du Christ dans nos tabernacles : le Seigneur reste parmi nous pour réconforter les malades, pour être le viatique des mourants, pour faire goûter sa douceur à chaque âme qui le cherche dans l'adoration, dans la louange et dans la prière. Que le Christ, qui nous nourrit de son Corps et de son Sang, nous accorde d'entrer dans le troisième millénaire avec un enthousiasme spirituel et missionnaire renouvelé.

6. Jésus est avec nous, il marche avec nous et soutient notre espérance. « Tu marches à travers les siècles », lui disons-nous, en rappelant à l'esprit et en embrassant dans la prière ceux qui le suivent avec fidélité et confiance. Désormais parvenus au terme de ce siècle, en attendant l'aube du nouveau millénaire, nous voulons nous aussi nous unir à cet immense cortège de croyants.

Avec élan et foi intérieure nous proclamons :

« Tantum ergo Sacramentum veneremur cernui... ».

« Nous adorons le Sacrement que Dieu le Père nous donna.

Un nouveau pacte, un nouveau rite dans la foi s'accomplit.

La Parole de Jésus est le fondement du mystère ».

« Genitori Genitoque Laus et iubilatio... ».

« Gloire au Père tout-puissant, gloire au Fils Rédempteur,

grande louange, honneur suprême à la Ville éternelle.

Gloire immense, éternel amour à la Sainte Trinité » !

Amen.

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12 juin 1998

Dans la matinée du vendredi 12 juin 1998, le Pape Jean-Paul a célébré, à l'Autel de la chaire de la basilique Saint-Pierre, les obsèques du Cardinal Agostino Casaroli, Secrétaire d'État émérite. Au cours de la cérémonie, le Pape a prononcé l'homélie suivante :

1. « Ego resuscitabo eum in novissimo die » (Jn 6, 54) - » Je le ressusciterai au dernier jour ».

Ces paroles du Seigneur Jésus retentissent aujourd'hui avec une éloquence singulière, dans la basilique Saint-Pierre, où nous sommes rassemblés, dans la douleur et l'espérance, pour les obsèques de notre Vénéré Frère le Cardinal Agostino Casaroli, appelé par le Père au cœur de la nuit de mardi dernier.

La Divine Providence a voulu que les obsèques aient lieu au lendemain de la solennité du Corpus Domini, au cours de laquelle l'Église adore le grand mystère de l'Eucharistie, sacrement du Christ mort et ressuscité, pain de vie immortel. Lumineuse comme un phare en cette heure de deuil, la page johannique du « pain de vie » s'est ouverte pour nous. « Je suis le pain de vie... Et même, le pain que je donnerai pour la vie, c'est ma chair pour la vie du monde... Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 48.51.54).

Ces paroles nous apportent aujourd'hui un grand réconfort intérieur, alors que nous posons le regard sur le cercueil du cher Secrétaire d'État émérite : quel réconfort intérieur de pouvoir penser qu'il a été, et reste pour toujours, prêtre du Christ, ministre du pain de la vie ! Il s'est quotidiennement nourri du Sacrement, auquel le Seigneur a lié le gage de la résurrection. Et quotidiennement, pendant plus de soixante ans, il l'a distribué au peuple de Dieu. La chair du Christ est donnée pour la vie du monde, nous rappelle l'évangéliste Jean (cf. 6, 51), et cela renvoie à la mission du prêtre qui est « dans l'Église pour le monde », comme le dit le titre du volume qui rassemble les homélies et les discours prononcés par le regretté

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Cardinal Casaroli, au cours de sa longue activité digne d'éloges, de pasteur zélé et d'illustre diplomate.

2. « Rogate, quae ad pacem sunt Ierusalem » - » Appelez la paix sur Jérusalem/... Pour l'amour de mes frères, de mes amis / laisse-moi dire : paix sur toi ! ». « Pax in te » ! (Ps 121 [122], 6.8).

L'œuvre de la paix ! J'ai à cœur de rappeler, en cet instant, notre frère disparu comme un sage serviteur de cette paix qui est l'expression historique du don eschatologique laissé par le Christ à son Église. Comment ne pas reconnaître et ne pas indiquer en lui un authentique « artisan de paix », un exemple lumineux de ces artisans de l'« opus iustitiae » que Jésus appelle « heureux... car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9) ?

A l'occasion de son soixante-dixième anniversaire, il voulut ouvrir son âme et confier les lignes directrices du service ecclésial qu'il accomplit au cœur du Saint-Siège. Parmi celles-ci, il indique le « profond amour pour la cause de la paix et de la coopération entre les nations et en leur sein, soutenu par la conviction qu'il s'agit d'impératifs moraux et d'une nécessité, en particulier aujourd'hui, pour la survie même de l'humanité » (Agostino Casaroli, Dans l'Église. pour. le. monde,. Milan. 1987, p. 494).

Cette paix. comme le dit le Psaume. il l'a toujours demandée, tout d'abord « pour Jérusalem », c'est-à-dire pour l'Église. Les colloques et les rencontres que le Cardinal Casaroli a eus avec les représentants d'États et d'organismes nationaux et internationaux, en qualité de Sous-Secrétaire, puis de Secr étaire de la Congrégation pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires, devenue successivement Section pour les Relations avec les États, et enfin en qualité de Secrétaire d'État, sont innombrables. Sa préoccupation constante fut la défense de la liberté de l'Église dans l'accomplissement de la mission qui lui a été confiée par le Rédempteur. C'est dans cette optique que doivent être interprétés les contacts qu'il entretint à une époque difficile avec les régimes du monde communiste, dans l'intention d'assurer la permanence dans

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ces pays de structures ecclésiales légitimes. Le but suprême dont il inspira toujours son action fut le bien des âmes, en particulier du grand nombre de catholiques restés fidèles à l'Église, mais en grave danger de déchristianisation croissante.

Dans ces tâches délicates, il eut l'occasion de se révéler comme un réalisateur effectif et créatif de ce principe du dialogue si cher au serviteur de Dieu, le Pape Paul VI, dont il fut le proche collaborateur, après avoir travaillé fidèlement avec les vénérés Pontifes, les serviteurs de Dieu Pie XII et Jean XXIII. « Le dialogue. affirme-t-il encore une fois. cette voie maîtresse et méthode souveraine, non seulement pour servir la paix, mais également pour favoriser l'efficacité et les résultats de l'action diplomatique » ; un dialogue authentique, c'est-à-dire « ferme dans l'affirmation de la vérité et dans la défense du droit, respectueux des personnes » (ibid.).

A travers ce service, toujours animé d'un pur esprit ecclésial, il a apporté une contribution importante, reconnue par tous, à la cause de la vérité et de la liberté à une époque difficile pour l'Église et pour l'humanité. J'ai eu la joie de voir couronnés ses efforts sages et patients, lors de l'avènement de la nouvelle phase historique, marquée par les événements de 1989.

3. Quelques mois après le début de mon pontificat, j'appelai Mgr Agostino Casaroli à mes côtés comme Secrétaire d'État et, peu après, je le créai Cardinal. Pendant de longues années, jusqu'au terme de son mandat en décembre 1990, j'ai eu l'occasion de constater avec admiration, en en étant le premier bénéficiaire, sa fidélité et ses multiples qualités humaines, pastorales et diplomatiques.

A l'occasion de ma visite dans le diocèse de Piacenza, il y a dix ans, je voulu me rendre à Castel San Giovanni, sa ville natale, et entrer dans l'église paroissiale où il fut baptisé, confirmé et ordonné prêtre. En cet instant, mes sincères condoléances s'adressent spontanément à sa famille et à ses nombreux amis et connaissances de sa terre d'origine. Mais surtout, comme je le fis en cette heureuse circonstance (cf. Insegnamenti XI, 2 [1988], 1809), je voudrais

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élever une action de grâce à l'Esprit Saint pour l'avoir donné à l'Église, au service direct du Siège apostolique. En outre, je suis heureux de mentionner un autre aspect, moins connu mais très édifiant, de sa personnalité. Bien qu'étant occupé par des questions de grande importance pour l'Église et pour les relations internationales, depuis 1943, il ne cessa d'exercer son ministère pastoral dans le Centre de rééducation pour les mineurs de Casal del Marmo, à Rome. Il avait établi avec ces jeunes et leurs familles un lien de confiance réciproque : ils l'appelaient familièrement « dom Agostino ». Il unissait ainsi au travail exigeant du pasteur et du diplomate, le contact concret avec les personnes, en particulier avec « ses » jeunes, qui ont eu l'occasion de le rencontrer pour la dernière fois il y a environ dix jours.

« Advienne la paix à ceux qui t'aiment » (P 121, 6) : il est réconfortant. comme le souhaite le Psaume responsorial, de penser que la prière de nombreuses personnes, qui ont puisé le réconfort et l'espérance à son sacerdoce, s'unit aujourd'hui à la nôtre et s'élève agréable vers le Père céleste, en prière d'intention pour son âme.

4. Nous sommes certains que Dieu, infiniment bon et miséricordieux, voudra bien accueillir dans sa paix notre vénéré Frère, qui nous laisse le témoignage de ses vertus humaines, chrétiennes, sacerdotales, grâce auxquelles il demeure pour nous, inoubliable.

Celui qui, selon les paroles de l'Apôtre Pierre que nous venons d'écouter, « nous a engendrés de nouveau par la Résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, pour une vivante espérance, pour un héritage exempt de corruption, de souillure, de flétrissure » (1 P 1, 3-4), ne manquera pas de l'introduire dans ce Royaume pour lequel il a voué toute sa vie.

Un signe certain de cette espérance nous est donné dans la Très Sainte Vierge,. associée. au. mystère. du Rédempteur et élevée dans la gloire. A Elle, Marie et Reine des Apôtres, nous confions l'âme du

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Cardinal Casaroli, afin qu'il parvienne en plénitude de joie et de paix à l'objectif de sa foi. (cf. 1 P 1, 9).

J'invite chacun de nous, qui saluons pour la dernière fois notre frère inoubliable, à tourner le regard vers le haut, à renouveler la foi dans la résurrection. Les paroles de Dieu contenues dans le Livre du Prophète Ezéchiel retentissent dans notre esprit : « Ecce ego aperiam tumulos vestros et educam vos de sepulcris vestris... Et dabo spiritum meum in vobis, et vivetis, et collocabo vos super humum vestram, et scietis quia ego Dominus. Locutus sum et facio, ait Dominus Deus » (Ez 37, 12.14).

Amen !

19 juin 1998

Dans l'après-midi du vendredi 19 juin 1998, fête du Sacré-Cœur de Jésus, le Souverain Pontife a présidé une célébration eucharistique dans la cathédrale de Salzbourg. Le thème choisi pour cette rencontre avec le Saint-Père était : « La mission ». Après l'adresse d'hommage de l'Archevêque de Salzbourg, S.Exc. Mgr Georg Eder, le Pape Jean-Paul II a prononcé l'homélie suivante :

« Yahvé est mon berger, rien ne me manque » (Ps 23, 1).

1. Nous pouvons aujourd'hui adresser au Verbe de Dieu incarné, notre Pasteur, les paroles avec lesquelles le Psalmiste se réfère au Dieu de l'Ancienne Alliance : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ». Nous contemplons avec gratitude les fruits multiples de la foi qui s'est développée dans cette région comme un arbre vigoureux et qui a écrit l'histoire : « Réjouis-toi, Juvavum, car sur la rive de tes eaux le Seigneur a planté des arbres qui ne cesseront jamais de porter des fruits » (Première antienne de l'Office des Lectures pour la fête des saints Rupert et Virgile).

La lumière de la foi commença à briller ici pour la première fois vers la fin du Ve siècle, lorsque le célèbre missionnaire Séverin parvint dans cette région, alors que les antiques provinces romaines

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disparaissaient déjà. Plus de deux siècles devaient s'écouler avant qu'un autre bon pasteur, provenant de la ville de Worms sur le Rhin, ne trouve la route qui conduisait à la petite ville sur le fleuve Salzach, en grande partie détruite : cet évêque itinérant s'appelait Rupert. Il construisit des églises et des centres stratégiques de spiritualité. Le premier temple fut consacré à l'apôtre Pierre.

En 739 saint Boniface, en tant que Légat du Pape pour l'Allemagne, érigea quatre diocèses : Ratisbonne, Passau, Freising et Salzbourg. Aujourd'hui, des pasteurs de ces très anciennes Églises sont présents parmi nous. C'est pourquoi j'adresse un salut particulier à Mgr Georg Eder qui nous reçoit, au Cardinal Friedrich Wetter de Munich et Freising, à l'Évêque de Ratisbonne, Mgr Manfred Müller, et à l'Évêque de Passau, Mgr Franz Xaver Eder.

Cette Église de Salzbourg est antique et illustre ! Comme vous le savez, après que le saint Évêque Virgile, venant d'Irlande, eût consacré la première cathédrale, elle fut élevée au rang de Siège métropolitain par le Pape Léon III, il y a à peu près 1200 ans.

Les moments importants du passé, nous conduisent aujourd'hui, solennité du Sacré-Cœur de Jésus, à entonner à juste titre le Te Deum en louant le Seigneur bon Pasteur, qui a porté Salzbourg sur ses épaules à travers les siècles : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

2. La journée d'aujourd'hui, au cours de laquelle il est donné au Successeur de Pierre de visiter pour la seconde fois « la Rome germanique », n'est pas seulement consacrée à réévoquer la mémoire d'un passé glorieux. Elle entend susciter en chacun l'engagement à un sincère renouveau dans la foi et à une coordination généreuse de ses propres. énergies. avec. celles. des. autres croyants, en vue de la nouvelle évangélisation.

En vous disant cela, mon regard s'étend à tout le territoire de la région de Salzbourg. Je salue le Président de la République d'Autriche, M. Thomas Klestil. J'adresse également une cordiale

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bienvenue aux nombreux frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce venus ici de toute l'Autriche et des pays limitrophes, ainsi qu'à l'Archevêque de Vienne, le Cardinal Christoph Schönborn, et au Président de la Conférence épiscopale autrichienne, l'Évêque de Graz-Seckau, Mgr Johann Weber.

A la lumière de l'activité missionnaire de ceux qui nous ont précédés, nous prenons une conscience renouvelée du fait que la foi ne peut pas se limiter à l'Église. Nous devons l'apporter dans notre monde, petit et grand. L'engagement missionnaire possède une longue tradition dans ce Siège métropolitain. Comme de bons Pasteurs, les évêques de Salzbourg prirent la route de l'Est, apportant le message évangélique en Bohême, en Moravie et en Hongrie et ils envoyèrent leurs collaborateurs comme missionnaires jusqu'à Maribor sur la Drave, à Bressanone, à Lech et sur le Danube.

Aujourd'hui, le diocèse d'origine a été extrêmement réduit du point de vue géographique. Mais dans les pierres de cette vénérable cathédrale et dans l'antique forteresse demeure gravé ce que fut Salzbourg au cours de l'histoire, et ce qu'elle devra aussi continuer à être à l'avenir : un centre missionnaire, qui fait rayonner son influence au-delà des frontières du diocèse et du pays.

Toi Salzbourg, ville construite sur le mont, tu portes le sel dans ton nom : puissent. tes.. habitants. continuer. à conserver dans la foi le sel de l'Évangile, en le confirmant à travers leur témoignage. Rappelle-toi de la consigne qui t'a été remise par l'histoire : répandre le sel du message salvifique dans toute la région alentour.

Toi, Siège du « Primas Germaniae », tu as reçu de l'histoire une sorte de primauté missionnaire : que tes fidèles soient toujours conscients de la responsabilité que comporte un tel privilège.

Tu as une mission a accomplir à l'égard des hommes et des femmes qui cherchent la voie en mesure de les conduire « à des eaux tranquilles ». Puissent-ils rencontrer, à travers les témoignages de tes fidèles, celui qui sait les guider sur le juste chemin pour « reposer sur

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des prés d'herbe fraîche », et trouver le repos (cf. Ps 23, 2-3) : « Yahvé, est mon berger, rien ne me manque ».

3. « Passerai-je un ravin de ténèbre, je ne crains aucun mal » (Ps 23, 4). Nous sommes conscients des dangers présents dans les ravins profonds et ténébreux. L'image géographique reflète de façon matérielle certaines situations de l'esprit. L'âme est également exposée au risque des abîmes pleins de menaces. Nous connaissons les ténèbres obscures des déceptions, des désastres, des doutes dans la foi. Ceux qui remettent leur confiance en Dieu trouvent la sauvegarde et la sécurité dans la protection du Bon Pasteur : « Ton bâton et ta houlette me donnent la sécurité ».

Comment ne pas entrevoir dans ces paroles. de. l'Écriture. l'allusion. à. la fonction magistérielle confiée par le Christ aux pasteurs de son Église ? Le Magistère n'est pas une invention humaine pour exercer une domination sur les âmes. Le Christ lui-même nous a confié cette tâche, afin que sa parole divine puisse être reproposée par des lèvres humaines et devenir pour l'homme « bâton et houlette », orientation et soutien.

Chers frères et sœurs ! Inspiré par la conscience des tâches découlant de la charge de Successeur de Pierre, je suis venu chez vous en Autriche pour vous apporter ma parole d'encouragement et d'exhortation. Je vous remercie de votre présence, dans laquelle je vois le témoignage de votre adhésion au Christ. A l'image du Pasteur de la parabole évangélique, qui porte les brebis sur ses épaules, ces derniers mois je vous ai portés avec une affection particulière dans mon cœur.

Le cœur de l'Évêque de Rome bat pour vous tous !

N'abandonnez pas le troupeau du Christ, bon Pasteur !

Ne quittez pas l'Église ! Entrez plutôt en elle, pour apporter l'heureuse annonce, également capable d'illuminer les ténèbres de notre vie : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

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4. Je saisis volontiers cette occasion pour exprimer mon estime à tous ceux qui s'engagent inlassablement à raviver les communautés paroissiales. En effet, elles constituent « l'Église qui vit dans les foyers de ses fils et de ses filles » (Lett. apost. Christifideles laici, n. 26). Il est vraiment louable qu'après le Concile Vatican II de nombreux services soient nés, auxquels de nombreux laïcs se consacrent généreusement, en dépensant beaucoup de leur temps pour assumer la coresponsabilité qui leur revient, en vertu du Baptême et de la Confirmation.

La diversité des rôles rend quelques fois difficile de trouver la juste voie du dialogue et de la coopération. Une dignité égale dans le troupeau du Pasteur ne signifie pas une égalité de charge et d'activité. Les tâches particulières du ministère épiscopal et sacerdotal ne peuvent absolument pas passer aux laïcs. Vice-versa, les pasteurs sont tenus de respecter le rôle spécifique des laïcs. Il ne doit donc pas arriver que des laïcs délèguent leur tâche à des prêtres, aux diacres ou bien aux personnes appelées à collaborer. Ce n'est que si chacun assume le rôle spécifique qui lui revient, que sur le chemin commun, le pasteur avec son troupeau pourront avancer vers le but.

Chers frères et sœurs laïcs, il me tient à cœur de vous exprimer ma profonde estime. Votre engagement n'a pas de prix. Sans vous les communautés paroissiales seraient non seulement plus pauvres, mais il leur manquerait l'essentiel. Je vous prie donc de continuer à exercer généreusement votre apostolat comme lecteurs ou comme dispensateurs de l'Eucharistie, comme membres du ch.ur et des groupes de prière, ou bien comme catéchistes qui préparent les enfants et les adolescents à la première Communion et à la Confirmation. Je désire encourager explicitement les laïcs à une coopération étroite avec leurs prêtres.

Je voudrais également souligner l'importance des Conseils paroissiaux, dans lesquels on étudie et on résout « en tenant compte de l'avis de tous » les problèmes pastoraux (cf. Apostolicam actuositatem, n. 10). Ayez l'audace du dialogue dans vos

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organismes ! Je ne peux que mentionner les nombreuses personnes, et en particulier les femmes, qui se sacrifient sans grands discours, mais avec un profond esprit de dévouement dans le domaine caritatif. Elles s'occupent des personnes âgées, malades et seules. De cette manière, précisément, les personnes les plus malheureuses dans la vie peuvent comprendre ce que signifie : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

5. « Devant moi tu apprêtes une table face à mes adversaires » (Ps 23, 5) Même lorsque les persécutions violentes n'existent pas, la tâche de témoignage des chrétiens n'est jamais facile. Ils rencontrent souvent l'indifférence de la masse, tout aussi grave que l'hostilité. Il arrive ainsi que le prêtre et ses collaborateurs préparent avec zèle la table de la Parole et de l'Eucharistie, mais qu'ils. aient. ensuite. la. déception. de constater que le nombre des invités est toujours plus restreint. La table du bien-être et de la consommation semble être plus attrayante. C'est pourquoi de nombreuses personnes vivent aujourd'hui comme si Dieu n'existait pas. Il reste de multiples formes de religiosité populaire, auxquelles il manque toutefois le fondement d'une conviction réfléchie. Elles sont donc menacées par un appauvrissement dû à leur confrontation avec la sécularisation croissante. L'indifférence à l'égard de l'héritage chrétien est aussi dangereux que la haine déclarée.

Seule une nouvelle évangélisation pourra assurer l'approfondissement d'une. foi. authentique,. capable.. de transformer en forces libératrices les traditions transmises

Disposons-nous encore de ressources suffisantes pour pouvoir en vivre ? Où se trouvent les sources auxquelles nous pouvons puiser ? Vous, chrétiens d'Autriche, savez-vous où se trouvent ces sources ?

La vieille Europe, qui souhaite devenir une famille des nations, semble s'être appauvrie. Le continent commence à oublier le message qui lui est parvenu dès les premiers siècles de la nouvelle ère. Dans beaucoup de pays de l'Europe centrale et orientale, l'annonce de

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l'Évangile n'a pas été permise pendant plus de cinquante ans. Sous les régimes athées et dictatoriaux la lumière des tabernacles s'est éteinte. Les églises sont devenues des monuments des temps révolus.

Aujourd'hui, nous pouvons toutefois constater que ces régimes ont décliné, alors que continuent à sourdre les antiques sources, qui conservent toute leur fraîcheur : l'Écriture Sainte avec son intarissable veine de vérité ; les sacrements de l'Église, à travers lesquels le Christ nous donne le dynamisme de sa présence ; la prière, à travers laquelle l'âme peut respirer le souffle régénérant de la grâce de Dieu.

6. Ces sources sont à la disposition de tous. Elles sont en particulier à votre disposition à vous, les jeunes, qui pouvez y puiser. Sachez que le Pape compte sur vous. Même si parfois vous avez la sensation d'être un petit troupeau, ne perdez pas courage : vous êtes le capital du Bon Pasteur.

Au début, douze hommes affrontèrent le monde. Le Pape compte sur vous, les jeunes, pour donner à nouveau un visage chrétien à la vieille Europe. Engagez-vous à travers votre témoignage personnel. Vous êtes « une lettre du Christ » (2 Co 3, 3), sa carte de visite ! Celui qui vous rencontre doit être certain d'avoir trouvé la bonne adresse.

En accomplissant mon ministère pastoral dans les diverses régions de la terre, j'ai toujours davantage constaté la vérité de ce que j'ai écrit dans l'Encyclique Redemptoris missio : « L'homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres, l'expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories » (n. 42). En vous fréquentant, les jeunes de votre âge doivent pouvoir avoir l'intuition qu'il existe quelque chose qu'ils ne peuvent expliquer, quelque chose que vous connaissez bien, quelque chose que le Psaume exprime très bien : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

7. Les saints ont puisé aux sources intarissables de la grâce. C'est pourquoi ils sont de véritables missionnaires (cf. Redemptoris

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missio, n. 2). L'histoire de votre patrie est donc également l'histoire de vos saints : c'est une histoire qui se poursuit aujourd'hui encore. Il y a quelques mois, à Rome, ont été béatifiés les prêtres Otto Neururer et Jakob Gapp. Dimanche prochain, à Vienne, j'élèverai aux honneurs des autels sœur Restituta Kafka, ainsi que deux autres serviteurs de Dieu. Dans leur figure se manifeste ce qui constitue le sommet de toute existence pastorale : « Le bon Pasteur offre sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11) En évoquant à nouveau les périodes sombres de l'histoire, l'Église ne veut pas rouvrir les vieilles blessures, mais seulement purifier la mémoire. Les auteurs de la violence ont quitté la scène ; les héros de la charité sont arrivés. Ils ont témoigné que précisément au cours des années sombres de notre siècle, même lorsque votre terre était déchirée par le tourbillon du mal, la parabole du Bon Pasteur s'est réalisée. Dans leur vie et dans leur mort l'espérance resplendit : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

8. Chers frères et sœurs ! Votre pasteur diocésain, Mgr Eder, m'a prié de couronner la statue de Notre-Dame de Fatima et de confier le diocèse de Salzbourg, désormais douze fois centenaire, à la protection de la Mère de Dieu. J'ai volontiers accepté cette requête. Votre antique et illustre Église a toujours rendu un culte sincère et profond à la Madone. Je suis certain que la Très Sainte Vierge ne refuse pas votre désir de devenir votre patronne et votre guide sur votre chemin.

Je lui confie votre archidiocèse et chacun de vous. Que Marie vous accueille sous son manteau maternel : « Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu n'ignore pas les supplications de ceux qui sont dans l'épreuve... ».

Sous la protection de ton manteau, ô Marie, nos inquiétudes et nos préoccupations se calment et nous retrouvons la confiance et le courage. En nous tournant vers Toi, nous apprenons à nous confier à Dieu avec un abandon confiant et total : « Yahvé est mon berger, rien ne me manque ».

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20 juin 1998

Dans l'après-midi du 20 juin 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique dans le « Landhauspark » de Sankt Pölten. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

« L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction » (Lc 4, 18).

1. Toute la vie de Jésus se trouve sous l'influence de l'Esprit Saint. Au début, c'est Lui qui prend la Vierge sous son ombre dans le mystère de l'Incarnation. Au Jourdain, c'est encore l'Esprit qui descend sur Jésus, alors que le Père rend témoignage au Fils bien-aimé. Ensuite, c'est l'Esprit qui conduit Jésus dans le désert. Dans la synagogue de Nazareth, Jésus affirme à propos de lui-même : « L'Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4, 18).

Le Christ promet cet Esprit aux Apôtres, comme garant éternel de sa présence parmi eux. Sur la croix, le Fils restitue l'Esprit au Père (cf. Jn 19, 30). Il imprime ainsi le sceau de la Nouvelle Alliance qui naît de sa Pâque. Enfin, le jour de la Pentecôte, le Christ diffuse l'Esprit Saint sur la première communauté pour la confirmer dans la foi et pour envoyer les Apôtres comme témoins vivants et courageux sur les routes du monde.

2. Depuis cet instant jusqu'à aujourd'hui, le Corps mystique du Christ est soutenu par ce même souffle de l'Esprit sur son chemin à travers les temps. L'Église illumine l'histoire avec le feu ardent de la Parole de Dieu et purifie les cœurs humains avec l'eau qui en jaillit (cf. Ez 36, 25). Ainsi, elle devient « le peuple uni en vertu de la communion du Père, du Fils et de l'Esprit Saint » (Cyprien, De Dom. Orat., 23).

Dans cette communion avec le Dieu Un et Trine, chaque baptisé a la possibilité de vivre sous « la Loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » (Rm 8, 2). Guidé par l'Esprit, le chrétien entre dans l'« espace spirituel » dans lequel se déroule le dialogue

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avec Dieu. Les questions que l'homme se pose sont en vérité les interrogations que Dieu lui-même suscite dans son âme : d'où est-ce que je viens ? Qui suis-je ? Ou dois-je aller ?

Chers frères et sœurs, Vous êtes les interlocuteurs de Dieu ! Depuis que vous avez adhéré au Christ dans le Baptême, Dieu vous a adoptés dans le Christ comme ses fils et ses filles. Soyez conscients de votre haute dignité ! Ne gâchez pas ce grand privilège !

Dieu forme un projet spécifique pour chacun de vous. Son regard se pose affectueusement sur chacun. Il écoute toujours tout le monde. Comme un Père attentif et sensible, Il est proche de vous. Il vous donne ce dont vous avez besoin pour votre nouvelle vie : son Esprit Saint.

3. Lors de votre incorporation à l'Église, vous n'avez pas seulement pris le nom de « chrétiens », c'est-à-dire d'« oints », mais vous avez également reçu l'onction de l'Esprit Saint. C'est pourquoi vous ne devez pas seulement vous appeler chrétiens, mais vous devez vraiment l'être. L'Esprit de Dieu est sur vous ; parce qu'il vous a consacrés par l'onction (cf. Lc 4, 18).

Dans la nouvelle vie qui naît du Baptême et qui se développe à travers la Parole et les Sacrements, les charismes, les ministères et les diverses formes de vie consacrée trouvent leur source. L'Apôtre Paul, écrivant à la communauté de Corinthe, affirme : « Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c'est le même Esprit » (1 Co 12, 4).

Aujourd'hui également, l'Esprit Saint lance de nouveaux appels. Il faut créer un milieu favorable à leur écoute. C'est pourquoi les communautés paroissiales revêtent une grande importance. Si l'on y vit dans une attitude de véritable fidélité au Seigneur, dans une atmosphère de religiosité intense et de sincère disposition au témoignage, il est plus facile que celui qui est appelé réponde de façon positive. La vitalité de la communauté paroissiale ne se mesure pas seulement à la multiplicité de ses initiatives, mais à la profondeur de sa vie de prière. L'écoute de la Parole de Dieu, d'une part et la

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célébration et l'adoration de l'Eucharistie, de l'autre, sont les deux colonnes portantes qui soutiennent et consolident la communauté paroissiale.

Il ne sert à rien de se plaindre du manque de vocations sacerdotales et religieuses. Les vocations ne peuvent pas se « construire » humainement. Les vocations peuvent être obtenues de Dieu grâce à la prière. Je vous invite à demander avec ferveur et constance au Maître de la moisson de nouvelles vocations au sacerdoce et à la vie consacrée.

4. Lorsque Jésus sur la croix rendit son Esprit au Père, il fit de tous ses disciples « un royaume de prêtres, une nation sainte » (Ex 19, 6). Il les constitua en « édifice spirituel », pour un sacerdoce saint, en vue « d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu » (1 P 2, 5). Tel est le sacerdoce commun, au service duquel il appela les Douze, pour « être ses compagnons » (Mc 3, 14), et pour être ensuite envoyés en son nom et à sa place.

A travers le sacerdoce ministériel, le Christ a poursuivi de façon ininterrompue jusqu'à aujourd'hui sa mission salvifique. C'est pourquoi il a institué les évêques. et. les. prêtres. qui « représentent sacramentellement Jésus-Christ Tête et Pasteur, qui proclament authentiquement la Parole et qui répètent ses gestes de pardon et d'offre du salut » (Lettre apostolique Pastores dabo vobis, n. 15). Ils sont envoyés pour annoncer aux pauvres un heureux message, pour proclamer aux prisonniers la libération et redonner la vue aux aveugles ; pour remettre en liberté les opprimés (cf. Lc 4, 18). Dans l'Église, le ministère n'est donc pas une conquête humaine, mais bien une institution divine.

Avec tout le respect et l'estime dus aux précieux services des laïcs dans les communautés paroissiales, il ne faut pas oublier que, dans le domaine sacramentel, le laïc ne peut jamais remplacer ce qui est propre au prêtre. Seul un prêtre peut remplacer un autre prêtre.

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5. Je voudrais à présent saluer Mgr Kurt Krenn qui, avec son Auxiliaire, Mgr Heinrich Fasching, a non seulement préparé avec soin la fête de foi d'aujourd'hui, mais qui n'épargne aucun effort pour pouvoir envoyer, également à l'avenir, des prêtres aux fidèles des nombreuses paroisses du diocèse de Sankt Pölten qui lui est confié. Je ne voudrais pas oublier l'Évêque précédent, Mgr Franz Zak, qui a établi de bonnes bases pour son successeur. Je salue tous mes frères dans l'épiscopat, en particulier l'Archevêque métropolitain, le Card. Christoph Schönborn et le Président de la Conférence épiscopale autrichienne, Mgr Johann Weber.

J'ai également le plaisir de saluer le Président fédéral, M. Thomas Klestil, qui prend part à cette célébration. Je salue aussi les représentants de la vie politique et publique, qui nous honorent de leur présence.

En m'adressant aux prêtres et aux diacres, je voudrais leur exprimer ma satisfaction et ma gratitude. Ce sont des sentiments que j'étends à tous les saints ministres qui œuvrent dans les divers diocèses de ce pays. Comme à Sankt Pölten, dans d'autres parties de l'Autriche également, de nombreuses personnes se prodiguent pour le soin des âmes avec un dévouement inlassable et elles ne renoncent jamais, même face à la maladie et à la vieillesse. Je pense aussi avec admiration à ces prêtres qui, en plus de la paroisse qui leur est confiée, acceptent également de prendre soin des communautés limitrophes, afin que les fidèles ne manquent pas des moyens du salut. De nombreux religieux. sont. également. engagés. de façon digne d'éloges dans la pastorale. Je ne voudrais pas non plus oublier les prêtres provenant d'autres pays. dont certains de ma patrie. qui apportent leur contribution valable à l'activité pastorale.

Très chers prêtres, les jeunes vous regardent. Qu'ils puissent constater comment, bien que surchargés de travail, vous êtes de joyeux serviteurs de l'Évangile et comment, dans l'adhésion à votre forme de vie, vous trouvez des satisfactions épanouissantes. Puissent les jeunes constater dans votre témoignage que le sacerdoce n'est pas

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un modèle de vie dépassé, mais une vocation prometteuse pour l'avenir ! Le sacerdoce est une vocation qui a un avenir !

6. Comment ne pas rappeler avec gratitude envers l'Esprit Saint les nombreuses communautés de vie consacrée qui, précisément dans l'histoire de ce diocèse, jouent un rôle si important pour le soin des âmes ? Frères et sœurs, je vous salue de tout cœur ! En vivant selon les conseils évangéliques, vous vous efforcez d'indiquer par votre comportement. la. route. qui. conduit. au Royaume des cieux. La vie consacrée représente dans le cœur de l’Église un élément essentiel pour l'accomplissement de sa mission. Elle exprime la nature de la vocation chrétienne et l'objectif de l'Église entière qui, en tant qu'épouse, aspire à pouvoir s'unir avec son unique Époux.

7. Je me dois de mentionner les époux chrétiens. Votre forme de vie est également une vocation ! Je vous félicite et je vous encourage pour tous les efforts que vous accomplissez afin de vivre la grâce du sacrement du mariage. Que vos familles soient des « églises domestiques », où les enfants apprennent à vivre et à célébrer la foi.

Vous, pères et mères de famille, vous êtes la première école pour vos enfants. Cherchez à cultiver dans vos foyers la concorde, l'esprit de foi, d'espérance et de charité, la participation assidue à la vie ecclésiale, la sérénité et la force face aux difficultés quotidiennes. Demandez au Seigneur que vos enfants sachent un jour choisir leur voie selon le projet de Dieu pour eux ! Laissez-les libres, s'ils entendent l'appel du Seigneur qui les invite à suivre le Christ Jésus de façon radicale. Les enfants ne vous appartiennent pas. Ils vous sont confiés par Dieu pour une certaine période de temps. Votre mission est de les faire croître dans cette liberté qui est nécessaire pour. pouvoir. assumer. de. façon. responsable ses propres engagements.

8. Dans les familles se décide également l'avenir de l'Église et de la société. Outre les nombreuses initiatives et aides pastorales au service de la famille, je voudrais en particulier mentionner l'Institut international d'études sur le Mariage et la Famille, qui a été semé

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comme une graine à Gaming et qui est également soutenu par les évêques autrichiens. Dieu veuille le faire croître jusqu'à ce qu'il devienne un arbre robuste, capable de porter de nombreux fruits au bénéfice du mariage et de la famille.

9. Chers frères et sœurs !

« Aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu » ! (1 Jn 4, 7). Beaucoup de nos contemporains ont perdu Dieu le Père. C'est pourquoi ils ignorent la langue maternelle de la foi. Cherchons à leur enseigner l'alphabet de la foi. Le dévouement, le service et la charité appartiennent au vocabulaire fondamental que tous comprennent. Sur tout cela on peut construire une « grammaire de la vie », qui aide l'homme à déchiffrer dans l'Esprit Saint le plan de Dieu pour lui.

Vivez de façon concrète ce que vous enseignez à travers les mots. Démontrez que le fruit de l'Esprit est également la joie. Au seuil du troisième millénaire, il est nécessaire de raviver cette conscience : Dieu, de même qu'il possède un projet pour chacun, confie également une mission à tous. Vous n'êtes pas seulement des administrateurs de l'héritage du passé ; vous êtes également les précurseurs d'un avenir vers lequel l'Esprit Saint conduit l'Église !

Que votre patron, saint Leopold, soit votre modèle et votre avocat. Il ne fut pas qu'un père de famille, mais aussi un père de la patrie. La plaque en son honneur, que j'ai bénie lors de ma précédente visite pastorale en Autriche, se trouve aujourd'hui dans ce nouveau quartier administratif. Qu'elle soit une source d'inspiration et d'encouragement pour vous tous.

Tournons-nous vers la Très Sainte Vierge, dont la vie a été une marche dans l'Esprit Saint.

Maria, Magna Mater Austriae, nous Te confions le soin des vocations sacerdotales et religieuses.

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Marie, Mère de Dieu, intercède auprès de ton fils pour l'Église qui est en Autriche. Obtiens pour elle que de nombreux jeunes soient disposés à choisir de suivre le Christ et à s'offrir pour le Royaume de Dieu.

Marie, Mère de l'Église, prie pour nous ! Amen.

21 juin 1998

Dans la matinée du dimanche 21 juin 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé sur la « Heldenplatz » de Vienne la concélébration eucharistique pour la béatification de trois serviteurs de Dieu : Jacob Kern, Anton Maria Schwartz et Restituta Kafka. Au début de la cérémonie de béatification,. S.Em. le. Cardinal Christoph Schönborn, Archevêque de Vienne, a adressé un hommage au Saint-Père. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1. « Qui suis-je au dire des foules ? » (Lc 9, 18).

Jésus posa une jour cette question à ses disciples, en chemin avec lui. Jésus pose également la même question aux chrétiens qui sont en chemin sur les routes de notre temps : « Qui suis-je au dire des foules ? ».

Comme ce fut le cas il y a deux mille ans dans un lieu éloigné du monde tel qu'il était connu alors, aujourd'hui aussi, face à la question de Jésus, les opinions des hommes sont partagées. Les uns lui attribuent le titre de proph ète. Les autres le considèrent comme une personnalité extraordinaire, une idole qui attire les foules. D'autres encore le croient même capable d'inaugurer une nouvelle ère.

« Mais pour vous [...] qui suis-je ? » (Lc 9, 20). Cette question n'admet pas une réponse « neutre ». Elle exige un choix fondamental et touche chacun personnellement. Aujourd'hui aussi, le Christ vous demande : pour vous, catholiques d'Autriche, pour vous, chrétiens de ce pays, pour vous, citoyens, hommes et femmes, qui suis-je ?

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Cette question jaillit du cœur même de Jésus. Celui qui ouvre son cœur veut que la personne qui est en face de lui ne réponde pas seulement avec son esprit. La question qui provient du cœur de Jésus doit toucher nos cœurs ! Qui suis-je pour vous ? Qu'est-ce que je représente pour vous ? Me connaissez-vous vraiment ? Êtes-vous mes témoins ? M'aimez-vous ?

2. Pierre, porte-parole des disciples, répondit alors : nous croyons que tu es le « Christ de Dieu » (Lc 9, 20). L'évangéliste Matthieu rapporte la profession de Pierre de façon plus détaillée : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Aujourd'hui, le Pape, en tant que Successeur de Pierre, selon la volonté divine, professe en votre nom et avec vous : Tu es le Messie de Dieu, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.

3. Au cours des siècles, la juste profession de foi a souvent été l'objet de recherches passionnées. Loué soit Pierre, dont les paroles sont devenues une norme !

C'est à partir d'elles que l'on doit mesurer les efforts de l'Église, qui cherche à exprimer ce que représente le Christ pour elle. En effet, il ne suffit pas de professer oralement sa foi. La connaissance de l'Écriture et de la Tradition est importante, l'étude du catéchisme est précieux : mais à quoi tout cela sert-il si à la foi cognitive manquent les faits ?

La profession de foi dans le Christ est un appel à suivre le Christ. La juste profession de foi doit être accompagnée d'une. juste. conduite. de. vie.. L'orthodoxie exige la crédibilité. Dès le début, Jésus n'a jamais caché à ses disciples cette vérité exigeante. En effet, Pierre vient à peine de prononcer une extraordinaire profession de foi que lui et les autres disciples s'entendent aussitôt dire par Jésus ce que le Maître attend d'eux : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive » (Lc 9, 23).

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Il en est aujourd'hui comme il en était au début : Jésus ne cherche pas seulement des personnes qui l'acclament. Il cherche des personnes qui le suivent.

4. Chers frères et sœurs ! En réfléchissant sur l'histoire de l'Église avec les yeux de l'amour, on s'aperçoit avec gratitude que, malgré tous les défauts et toutes les zones d'ombre, il y a eu et il y a encore partout des hommes et des femmes dont l'existence met en lumière la crédibilité de l'Évangile.

J'ai aujourd'hui la joie de pouvoir inscrire dans le livre des Bienheureux trois chrétiens de votre Terre. Chacun d'entre eux a confirmé la profession de foi dans le Messie à travers le témoignage personnel rendu dans son milieu. Les trois Bienheureux nous démontrent que le titre de « Messie » n'est pas seulement un attribut reconnu au Christ, mais nous engage également à coopérer à l'œuvre messianique : les grands deviennent petits, les faibles deviennent protagonistes.

Ce ne sont pas les héros du monde qui ont la parole ici aujourd'hui, sur la « Heldenplatz », mais les héros de l'Église, les trois nouveaux Bienheureux. Du balcon, qui donne sur cette place, il y a soixante ans, un homme a proclamé que le salut était en lui. Les nouveaux Bienheureux apportent une autre annonce : le salut ne se trouve pas dans l'homme, mais dans le Christ, Roi et Sauveur !

5. Jakob Kern était issu d'une modeste famille ouvrière de Vienne. La première guerre mondiale l'arracha brusquement à ses études au petit séminaire de Hollabrunn. Une grave blessure de guerre fit de son existence terrestre au grand séminaire et au Monast ère de Geras. selon ses propres paroles. un Calvaire. Par amour du Christ, il ne s'accrocha pas à la vie, mais l'offrit en toute conscience aux autres. Dans un premier temps, il voulait devenir prêtre diocésain. Mais un événement lui fit changer de voie. Lorsqu'un religieux de l'ordre des Prémontrés abandonna le couvent pour suivre l'Église nationale tchèque, après sa récente scission d'avec Rome, Jakob Kern découvrit sa vocation dans ce triste événement. Il voulut

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réparer l'action de ce religieux. Jakob Kern entra à sa place dans le monastère de Geras et le Seigneur accepta l'offre du « substitut ». Le bienheureux Jakob Kern se présente à nous comme le témoin de la fidélité au sacerdoce. Au début, il s'agissait d'un désir d'enfance, qui s'exprimait à travers l'imitation du prêtre à l'autel. Par la suite, le désir mûrit. A travers la purification de la douleur, apparut la signification profonde de sa vocation sacerdotale : unir sa vie au sacrifice du Christ sur la Croix et l'offrir en substitution pour le salut des autres.

Puisse le Bienheureux Jakob Kern, qui était un étudiant vif et engagé, encourager de nombreux jeunes à accueillir avec générosité l'appel au sacerdoce pour suivre le Christ. Ses paroles d'alors s'adressent à nous : « Aujourd'hui, plus que jamais, il y a besoin de prêtres authentiques et saints. Toutes les prières, tous les sacrifices, tous les efforts et toutes les souffrances unies aux bonnes intentions deviennent une semence divine qui tôt ou tard portera son fruit »

6. Il y a cent ans, à Vienne, le Père Anton Maria Schwartz s'occupa de la condition des ouvriers en se consacrant en premier lieu aux jeunes apprentis en cours de formation professionnelle. En ayant toujours à l'esprit ses propres origines modestes, il se sentit uni de façon particulière aux ouvriers pauvres. Pour les assister, il fonda, en adoptant la règle de saint Joseph de Calasanze, la Congrégation des Pieux Ouvriers, aujourd'hui toujours florissante. Son grand désir était de convertir la société au Christ et de la renouveler en Lui. Il fut sensible aux besoins des apprentis et des ouvriers, qui manquaient souvent de soutien et d'orientation. Le Père Schwartz se consacrait à eux avec amour. et. créativité,. et. trouva. les moyens de construire la première « Église pour les ouvriers de Vienne ». Ce temple humble et caché parmi les habitations modestes ressemble à l'œuvre de son fondateur, qui l'a vivifié pendant quarante ans.

Les opinions étaient partagées à propos de l'« apostolat ouvrier » de Vienne. De nombreuses personnes trouvaient son engagement exagéré. D'autres le trouvaient digne de la plus haute

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considération. Le Père Schwartz demeurait fidèle à lui-même et entreprit également des pas courageux. A travers ses pétitions en faveur de postes de formation professionnelle pour les jeunes et du repos dominical, il arriva jusqu'au « Reichstag », au Parlement.

Il nous laisse un message : Faites tout votre possible pour préserver le Dimanche ! Prouvez que l'on ne peut travailler ce jour, car il est célébré comme le jour du Seigneur ! Soutenez partout les jeunes privés d'emploi ! Ceux qui procurent aux jeunes d'aujourd'hui la possibilité de gagner leur pain contribuent à faire en sorte que les adultes de demain puissent transmettre le sens de la vie à leurs enfants. Je sais bien qu'il n'existe pas de solutions faciles. C'est pourquoi je répète l'exhortation sous laquelle le bienheureux Père Schwartz a placé tous ses multiples efforts : « Nous devons prier davantage ! ».

7. Sœur Restituta Kafka n'était pas encore majeure, lorsqu'elle exprima son intention d'entrer au couvent. Ses parents s'y opposèrent, mais la jeune fille demeura fidèle à son objectif de devenir sœur « par amour de Dieu et des hommes ». Elle voulait servir le Seigneur en particulier à travers les pauvres et les malades. Elle trouva un accueil auprès des Sœurs franciscaines de la Charité pour réaliser sa vocation dans l'engagement quotidien dans le monde hospitalier, souvent dur et monotone.. Authentique. infirmière,. elle devint rapidement une « institution » à Mödling. Sa compétence d'infirmière, sa résolution et sa cordialité étaient telles que de nombreuses personnes l'appellaient sœur Resoluta et non Sœur Restituta.

Son courage et sa fermeté ne lui permirent pas de se taire face au régime national-socialiste. Défiant les interdictions de l'autorité politique, Sœur Restituta fit accrocher des crucifix dans toutes les chambres de l'hôpital. Le mercredi des Cendres de 1942, elle fut arrêtée par la Gestapo. C'est alors que commença pour elle en prison un « Calvaire » qui dura plus d'un an, et qui prit fin sur l'échafaud.

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Les dernières paroles qu'elle nous transmit furent : « J'ai vécu pour le Christ, je veux mourir pour le Christ ! ».

En contemplant la Bienheureuse sœur Restituta, nous pouvons entrevoir les sommets de maturité intérieure à laquelle une personne peut être conduite par la main divine. Elle risqua la vie pour son témoignage pour le Crucifix. Et elle conserva le Crucifix dans son cœur en en témoignant peu de temps avant d'être conduite à l'échafaud, lorsqu'elle demanda à l'aumônier de la prison de lui faire « le signe de la croix sur le front ».

Tant de choses peuvent nous être enlevées, à nous chrétiens. Mais nous ne permettrons à personne de nous enlever la Croix comme signe de salut. Nous ne permettrons pas qu'elle soit exclue de la vie publique ! Nous écouterons la voix de la conscience qui dit : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ! » (Ac 5, 29).

8. Chers frères et sœurs ! La célébration d'aujourd'hui revêt une connotation européenne particulière. A côté de l'illustre Président de la République autrichienne, M. Thomas Klestil, les Présidents de la Lituanie et de la Roumanie, les responsables de la vie politique, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, nous honorent également de leur présence. Je les salue cordialement, et à travers leur personne, je salue également les peuples qu'ils représentent.

Dans la joie pour le don des trois Bienheureux qui nous est fait aujourd'hui, je m'adresse à tous les frères et sœurs du Peuple de Dieu qui sont réunis ici ou qui se sont joints à nous à travers la radio ou la télévision. Je salue en particulier le Pasteur de l'Archidiocèse. de. Vienne, le Cardinal Christoph Schönborn, ainsi que le Président de la Conférence épiscopale autrichienne, Mgr Johann Weber, et les frères dans l'épiscopat qui sont venus de lieux proches ou lointains sur cette « Heldenplatz ». Je ne peux oublier les nombreux prêtres et diacres, les religieux, les religieuses et les collaborateurs pastoraux dans les paroisses et les communautés.

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Chers jeunes ! Je vous adresse aujourd'hui un salut particulier. Votre présence aussi nombreuse est pour moi un motif de grande joie. Beaucoup d'entre vous sont venus de loin, et pas seulement au niveau géographique... Mais maintenant, vous êtes ici : le don de la jeunesse qui a la vie devant elle ! Que les trois héros de l'Église qui viennent d'être inscrits dans l'album des Bienheureux puissent vous soutenir dans votre chemin : le jeune Jakob Kern, qui précisément à travers sa maladie conquit la confiance des jeunes ; le Père Anton Maria Schwartz qui sut toucher le cœur des apprentis ; sœur Restituta Kafka, prête à payer plutôt que de trahir ses convictions.

Ils ne furent pas des « chrétiens photocopiés », mais chacun d'eux fut authentique, sans égal et unique. Ils ont commencé comme vous : jeunes, pleins d'idéaux, s'efforçant de donner un sens à leur vie.

Une autre chose rend ces trois Bienheureux attrayants : leur biographie nous révèle que leur personnalité connut une maturation progressive. Ainsi votre vie également doit encore devenir un fruit mûr. C'est pourquoi il est important que vous cultiviez la vie de façon à ce qu'elle puisse fleurir et mûrir. Nourrissez-la à la lymphe de l'Évangile ! Offrez-la au Christ, à Lui qui est le soleil du salut ! Plantez dans vos vies la Croix du Christ ! La Croix est le véritable arbre de la vie.

9. Chers frères et sœurs ! « Mais pour vous, qui suis-je ? ».

D'ici peu, nous professerons notre foi. A cette profession qui nous unit à la communauté des Apôtres et à la tradition de l'Église, ainsi qu'à la foule des saints et des bienheureux, nous voulons. ajouter. également. notre. réponse personnelle. L'acuité sociale du message dépend également de la crédibilité de ses messagers. En effet, la nouvelle évangélisation commence par nous, par notre style de vie.

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L'Église d'aujourd'hui n'a pas besoin de catholiques à mi-temps, mais de chrétiens à plein temps. C'est ce que sont les trois nouveaux bienheureux ! Nous pouvons prendre exemple sur eux.

Merci, Bienheureux Jakob Kern pour ta fidélité sacerdotale !

Merci, Bienheureux Anton Maria Schwartz pour ton engagement en faveur des ouvriers !

Merci, sœur Restituta Kafka, pour ta résistance au courant du moment !

Vous tous, Saints et Bienheureux, priez pour nous.

Amen.

29 juin 1998

Dans la matinée du 29 juin 1998, solennité des saints Pierre et Paul, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique solennelle dans la basilique Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. La fête solennelle des apôtres Pierre et Paul nous invite, une fois de plus, à nous rendre en pèlerinage spirituel au Cénacle de Jérusalem, le jour de la résurrection du Christ. Les portes « étaient closes... par peur des juifs » (cf. Jn 20, 19) ; les Apôtres présents, déjà intimement éprouvés par la passion et par la mort du Maître, étaient troublés par les nouvelles de la tombe vide, qui leur étaient parvenues toute la journée. Et à l'improviste, bien que la porte soit close, voilà que Jésus apparaît : « .Paix à vous !. dit-il. Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie.....Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leurs seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » (Jn 20, 21-23).

Il affirme tout cela avec une puissance qui ne laisse pas place au doute. Et les Apôtres le croient parce qu'ils le reconnaissent : Il est le même qu'ils avaient connu ; il est le même qu'ils avaient écouté ; il est le même qui, trois jours auparavant, avait été crucifié sur le

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Golgotha et enseveli non loin. Il est le même : il est vivant. Pour leur assurer que c'est bien lui, il leur montre les blessures de ses mains, de ses pieds et de son côté. Ce sont ses blessures qui constituent la preuve principale de ce qu'il vient de dire et de la mission qui leur est confiée.

Les disciples ressentent ainsi en plénitude l'identité de leur Maître et, dans le même temps, ils comprennent véritablement d'où leur vient le pouvoir de remettre les péchés ; un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. Une fois, Jésus avait dit à un paralytique : « Tes péchés te sont remis », et devant les Pharisiens indignés, il l'avait guéri, en signe de son pouvoir (cf. Lc 5, 17-26). A présent, il revient parmi les Apôtres, après avoir réalisé le plus grand miracle : sa résurrection, dans laquelle est inscrit de façon particulière et éloquente le pouvoir de remettre les péchés. Oui, cela est vrai ! Seul Dieu peut remettre les péchés, mais Dieu a voulu accomplir cette œuvre à travers son Fils crucifié et ressuscité, afin que chaque homme, au moment où il reçoit le pardon de ses fautes, sache avec clarté que de cette façon, il passe de la mort à la vie.

2. Si nous nous arrêtons pour réfléchir sur l'épisode évangélique qui vient d'être proclamé, il nous faut revenir encore plus en arrière dans la vie du Christ, pour méditer sur un événement profondément significatif, qui s'est déroulé aux alentours de Césarée de Philippe, lorsqu'Il interroge ses disciples : « Au dire des gens, qu'est le Fils de l'homme ?... Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 13-15). Simon-Pierre répond au nom de tous : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Cette profession de foi est suivie par les célèbres paroles de Jésus, destinées à marquer pour toujours l'avenir de Pierre et de l'Église : « Tu es heureux Simon, fils de Jonas, car cette révélation t'est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans

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les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié » (Mt 16, 17-19).

Le pouvoir des clefs. L'Apôtre devient le dépositaire des clefs d'un trésor inestimable : le trésor de la rédemption. Un trésor qui transcende de beaucoup la dimension temporelle. Il s'agit du trésor de la vie divine, de la vie éternelle. Après la résurrection, il a été confié définitivement à Pierre et aux Apôtres : « Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20, 22-23). Celui qui possède les clefs a la faculté et la responsabilité de fermer et d'ouvrir. Jésus habilite Pierre et les Apôtres à dispenser la grâce de la rémission des péchés et à ouvrir définitivement les portes du Royaume des cieux. Après sa mort et sa résurrection, ils comprennent bien la tâche qui leur est confiée et, forts de cette conscience, ils s'adressent au monde, poussés par l'amour de leur Maître. Ils se rendent partout, en tant que ses ambassadeurs (cf.. 2.Co.5,.14.20),.car le temps du Royaume est désormais devenu leur héritage.

3. Aujourd'hui, l'Église, en particulier celle qui est à Rome, célèbre la mémoire des saints Pierre et Paul. Rome, cœur de la Communauté catholique présente dans le monde ; Rome, lieu que la Providence a choisi comme siège du témoignage définitif offert au Christ par ces deux Apôtres.

O Roma felix ! Au cours de ta très longue histoire, le jour de leur martyre est certainement de beaucoup le plus important. En ce jour, grâce au témoignage de Pierre et Paul morts par amour du Christ, les desseins de Dieu se sont inscrits dans ton riche patrimoine d'événements. L'Église, en s'approchant du troisième millénaire. tertio millennio adveniente. ne cesse d'annoncer ces desseins à l'humanité toute entière.

4. En ce jour si solennel, les Archevêques métroplitains nommés au cours de l'année écoulée se rendent à Rome, selon une tradition significative. Ils sont venus de diverses parties du monde,

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pour recevoir du Successeur de Pierre le Pallium Sacré, signe de communion avec lui et avec l'Église universelle.

Vénérés frères dans l'épiscopat, je vous accueille avec une grande joie et je vous embrasse dans le Seigneur ! J'exprime à chacun de vous ma vive reconnaissance pour votre présence, qui manifeste de façon particulière trois des caractères essentiels de l'Église : c'est-à-dire, qu'elle est une, catholique et apostolique ; quant à sa sainteté, elle apparaît en pleine lumière dans le témoignage des « colonnes » Pierre et Paul.

En célébrant l'Eucharistie avec vous, je prie de façon particulière pour les communautés ecclésiales confiées à vos soins pastoraux : j'invoque sur elles d'abondantes effusions de l'Esprit Saint, afin qu'il les guide pour franchir, comblées de foi, d'espérance et d'amour, le seuil du troisième millénaire chrétien.

5. En outre, la présence des vénérés frères de l'Église orthodoxe, délégués du Patriarcat œcuménique de Constantinople, à la célébration d'aujourd'hui est un motif de joie et de réconfort particulier. Je les remercie de tout cœur pour ce signe renouvelé d'hommage à la mémoire des saints apôtres Pierre et Paul, et je rappelle avec émotion qu'il y a trois ans, en cette fête solennelle, Sa Sainteté Bartholomaios Ier voulut me rencontrer à Rome : nous eûmes alors ensemble la joie de professer la foi auprès de la tombe de Pierre et de bénir les fidèles.

Ces signes de proximité spirituelle réciproque sont providentiels, en particulier en cette période de préparation immédiate au grand Jubilé de l'An 2000 : tous les chrétiens, et en particulier les pasteurs, sont invités à accomplir des gestes de charité qui, dans le respect de la vérité, manifestent l'engagement évangélique pour la pleine unité et, dans le même temps, la promeuvent selon la volonté de l'unique Seigneur Jésus. La foi nous dit que l'itinéraire œcuménique est solidement conservé dans les mains de Dieu, mais il demande la coopération active des hommes.

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Nous en confions aujourd'hui le destin à l'intercession des saints Pierre et Paul, qui ont versé leur sang pour l'Église.

6. Jérusalem et Rome, les deux pôles de la vie de Pierre et Paul. Les deux pôles de l'Église, que la liturgie d'aujourd'hui nous a donné d'évoquer : du Cénacle de Jérusalem au « cénacle » de cette Basilique vaticane. Le témoignage de Pierre et Paul a commencé à Jérusalem. et. s'est. accompli. à. Rome.. C'est ainsi que l'a voulu la Divine Providence, qui les a libérés de dangers de mort précédents, mais qui les a laissés terminer leur route à Rome (cf. 2 Tm 4, 7) et recevoir ici la couronne du martyre.

Jérusalem et Rome sont également les deux pôles du grand Jubilé de l'An 2000, vers lequel la présente célébration nous permet d'avancer dans un élan intime de foi. Puisse le témoignage des saints Apôtres rappeler à tout le Peuple de Dieu le sens véritable de cet objectif, qui est certes historique, mais qui transcende l'histoire et la transforme avec le dynamisme spirituel propre au Royaume de Dieu.

Dans cette perspective, l'Église fait sienne les paroles de l'Apôtre des nations : « Le Seigneur me délivrera de toute entreprise perverse et me sauvera en me prenant dans son Royaume céleste. A lui la gloire au cours des siècles ! Amen ! » (2Tm 4, 18).

15 août 1998

Dans la matinée du samedi 15 août 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique en la solennité de l'Assomption, dans la cour du Palais pontifical de Castel Gandolfo. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (Lc 1, 45).

C'est avec ces paroles qu'Élisabeth accueille Marie venue lui rendre visite. Cette même béatitude retentit au Ciel et sur la terre, de génération en génération (cf. Lc 1, 48) et de façon particulière dans

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la célébration solennelle d'aujourd'hui. Marie est bienheureuse car elle a répondu sans délai à la volonté du Très-Haut qui lui a été manifestée par l'Ange lors de l'Annonciation.

Nous pourrions voir dans le voyage de Marie de Nazareth à Ain-Karin, dont nous parle aujourd'hui l'Évangile, comme une préfiguration de son voyage spirituel particulier, qui, commencé avec le « oui » le jour de l'Annonciation, culmine précisément dans son Assomption au ciel corps et âme. Un itinéraire vers Dieu, toujours illuminé et soutenu par la foi.

Le Concile Vatican II affirme que Marie « avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la croix » (Lumen gentium, n. 58). C'est pourquoi, dans son incomparable beauté, Elle a tant plu au Roi de l'univers, et qu'à présent, pleinement associée à Lui corps et âme, elle resplendit comme Reine à sa droite (Psaume responsorial).

Je suis heureux de célébrer cette solennité qui compte parmi les plus anciennes en honneur de la Madone, avec la communauté de Castel Gandolfo. Je vous salue, vous tous qui êtes ici présent, avec affection, ainsi que l'Évêque d'Albano, Mgr Dante Bernini, et son Auxiliaire, Mgr Paolo Gillet. J'adresse une pensée aux Salésiens, auxquels est confiée cette paroisse. J'adresse un salut cordial aux habitants de Castel Gandolfo, au Maire et aux vacanciers.

2. Dans la solennité d'aujourd’hui, la liturgie nous invite tous à contempler Marie comme « une Femme ! Le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap 12, 1). En elle resplendit la victoire du Christ sur satan, représenté dans le langage apocalyptique comme « l'énorme Dragon rouge » (Ap 12, 3). Cette vision glorieuse et en même temps dramatique rappelle à l'Église de tous les temps son destin de lumière. dans le Royaume des cieux et la réconforte dans les épreuves qu'elle doit soutenir au cours de son pèlerinage terrestre. Aussi longtemps que durera ce monde, l'histoire sera toujours le théâtre du conflit entre Dieu et satan, entre le bien et le mal, entre la grâce et le péché, entre la vie et la mort.

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Même les épisodes de ce siècle qui touche désormais à sa fin témoignent avec une éloquence extraordinaire de la profondeur de ce combat, qui marque l'histoire des peuples, mais également le cœur de toute homme et de toute femme. Pourtant, l'annonce pascale, qui vient de retentir dans les paroles de l'Apôtre Paul (cf. 1 Co 15, 20), est un fondement d'espérance certaine pour tous. La Très Sainte Vierge Marie élevée au Ciel est l'icône lumineuse de ce mystère et de cette espérance.

3. En cette année de préparation immédiate au grand Jubilé de l'An 2000, j'ai voulu inviter les chrétiens à être plus attentifs à la présence et à l'action de l'Esprit Saint et à « redécouvrir la vertu théologale de l'espérance » (Tertio millennio adveniente, n. 46). Marie, glorifiée dans son corps, apparaît aujourd'hui comme une étoile d'espérance pour l'Église et pour l'humanité, en chemin vers le troisième millénaire chrétien. Son élévation sublime ne l'éloigne pas de son peuple et des problèmes du monde ; au contraire, elle lui permet de veiller de façon efficace sur les épisodes humains avec la sollicitude attentive qui lui obtint de Jésus le premier miracle lors des noces de Cana.

L'Apocalypse affirme que la femme vêtue de soleil. « est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement ».(12,.2). Cela fait penser à une page de l'Apôtre Paul d'une importance fondamentale pour la théologie chrétienne de l'espérance. « Nous le savons en effet. lisons-nous dans la Lettre aux Romains. toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps. Car notre salut est objet d'espérance » (Rm 8, 22-24).

Tandis que nous célébrons son Assomption au Ciel corps et âme, nous prions Marie afin qu'elle aide les hommes et les femmes de notre temps à vivre avec foi et espérance dans ce monde, en cherchant dans toute chose le Royaume de Dieu ; qu'elle aide les croyants à s'ouvrir à la présence et à l'action de l'Esprit Saint, Esprit

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Créateur et Rénovateur, capable de transformer les cœurs ; qu'elle illumine les esprits sur le destin qui nous attend, sur la dignité de chaque personne, sur la noblesse du corps humain.

Marie, élevée au Ciel, montre-toi à tous comme Mère d'espérance ! Montre-toi à tous comme Reine de la Civilisation de l'amour !

19 septembre 1998

Dans la matinée du samedi 19 septembre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique pour les fidèles du diocèse de Chiavari, sur le « Lungomare Corso Colombo ». Au cours de la Messe, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et l'observent ! » (Lc 11, 28).

Ces paroles du Christ que nous venons d'écouter, tirées de l'Évangile de Luc, placent au centre de notre célébration la figure de la Très Sainte Vierge Marie, icône du disciple parfait et de la sainte Église. Répondant à l'exclamation d'une femme du peuple, Jésus prononce une affirmation qui, à première vue, peut surprendre, mais qui, considérée en profondeur, révèle la grandeur véritable de la Madone : Marie est vraiment bienheureuse, et pas seulement parce qu'elle a engendré et élevé Jésus, mais parce qu'elle a accueilli avec foi la volonté du Seigneur et qu'elle l'a mise en pratique. Telle est la grandeur authentique de Marie et également sa béatitude : la béatitude de la foi, qui ouvre la vie de l'homme à l'action de l'Esprit Saint et la rend féconde de fruits bénis pour la gloire de Dieu.

Très chers frères et sœurs, dans cette icône se reflète aujourd'hui votre communauté diocésaine, l'Église qui est à Chiavari. Elle se reflète en Marie comme dans son modèle sublime, et elle se tourne vers elle dans l'espérance de voir appliquées à sa communauté les paroles prononcées par Jésus ce jour-là : « Heureuse es-tu, Église de Chiavari, qui écoutes la Parole du Seigneur et l'observes ! ».

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2. Très chers habitants de Chiavari ! Ma joie est grande de me trouver aujourd'hui parmi vous. Je salue avec affection votre Évêque, Mgr Alberto Maria Careggio. Je vous l'ai envoyé comme pasteur, lui qui m'a accompagné sur les sentiers de montagne, pour qu'il puisse vous accompagner sur les sentiers qui conduisent vers le Ciel ! Aidez-le à être un bon guide pour vous tous ! J'embrasse également l'Évêque émérite, Mgr Daniele Ferrari, qui a tant fait pour ce diocèse. Je salue cordialement le Cardinal-Archevêque de Gênes, ainsi que tout l'épiscopat ligure. Je salue également les évêques qui sont vos hôtes et je les remercie de leur présence. J'adresse un salut particulier et chaleureux aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, en les félicitant de la générosité avec laquelle ils accomplissent leur service ecclésial, sans s'arrêter face aux difficultés et aux problèmes. Mon salut s'étend également aux laïcs engagés, dont la précieuse collaboration est indispensable pour l'activité pastorale dans les diverses communautés.

J'adresse ensuite un salut respectueux aux autorités civiles, que je remercie de leur présence à cette célébration. Ma pensée va également à ceux qui sont unis à nous, grâce à la radio et la télévision. Je pense de façon particulière aux personnes âgées et aux malades, qui nous suivent de chez eux. Je les assure tous de ma prière spéciale.

3. Dans la communauté de Chiavari, la Bienheureuse Vierge Marie est particulièrement aimée et vénérée. Sous le titre de « Nostra Signora dell'Orto », Marie est la Patronne du diocèse. Mais qui ne connaît pas le beau Sanctuaire de Montallegro, au-dessus de Rapallo ? Là aussi, une icône célèbre évoque la présence spirituelle de la Mère de Dieu. Le Sanctuaire de Velva, consacré à la Madone de la Garde, est également très célèbre.

Selon la leçon du Concile œcuménique Vatican II, ce riche patrimoine de piété mariale populaire demande à être conservé et valorisé afin que, à travers la Très Sainte Vierge, les nouvelles

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générations également rencontrent le Christ, unique Médiateur entre Dieu et l'homme, et trouvent en Lui le salut.

4. Que peut concrètement signifier, pour vous, communauté ecclésiale de Chiavari, l'engagement à écouter et à observer la Parole de Dieu ? Cela signifie certainement la lire et la méditer dans la Bible, mais cela signifie également l'écouter et la réaliser grâce aux orientations du Synode diocésain, conclu en 1992, à cent ans de la fondation de cette Église particulière.

En tant que Successeur de Pierre, je vous invite à croître dans l'unité et l'esprit missionnaire, en suivant les directives du Synode. Soyez toujours plus unis entre vous et, dans le même temps, ouvrez-vous aux vastes horizons de l'évangélisation : vous devez avoir à cœur tous ceux qui n'ont pas encore rencontré le Christ et l'Église, que ce soit sur votre territoire ou dans les pays de mission.

Ayez toujours à l'esprit la Parole du Christ : « A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Dans la communauté, cela signifie porter les poids les uns des autres, partager, collaborer, se sentir coresponsables. Tous sont appelés à créer ce style de communion : les évêques, les prêtres, les religieux et les laïcs ; les associations, les mouvements et les groupes. Le premier milieu dans lequel établir la communauté est la paroisse : les paroisses, comme les tesselles d'une mosaïque, forment la communauté diocésaine ; celle-ci appartient ensuite à l'organisme vivant de l'Église universelle.

Dans votre région, deux catégories de personnes méritent une attention particulière : les touristes et les personnes âgées. Il est important que les vacanciers, qui viennent en grand nombre passer des périodes souvent longues sur la riviera, rencontrent des communautés vivantes, accueillantes, au sein desquelles ils puissent se trouver à l'aise, dans un climat familial. D'autre part, il ne faudra pas négliger les nombreuses personnes âgées du lieu, qui constituent une inestimable richesse humaine et spirituelle.

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5. La Bienheureuse Vierge Marie est la terre bonne et féconde où la semence de la Parole de Dieu a été accueillie avec foi et a porté le fruit messianique, bénédiction salvifique pour tout le genre humain. L'Église se reflète dans ce modèle : chaque communauté diocésaine est comparable au jardin dont parle le prophète Isaïe, dans lequel germent de multiples charismes, qui manifestent l'action de la grâce et enrichissent le Peuple de Dieu.

Je pense aux nombreux saints et bienheureux de cette terre : l'Évêque saint Antonio Maria Gianelli et sainte Caterina Fieschi Adorno ; les bienheureux Alberto et Baldassarre de Chiavari, le bienheureux prêtre Agostino Roscelli et la nouvelle bienheureuse Brigida Morello, Fondatrice des Ursulines de Marie Immaculée. A cette liste s'ajoutent plusieurs vénérables et serviteurs de Dieu.

Je pense aux divers Instituts de Vie consacrée féminins et masculins, et j'invite les jeunes à les connaître, car dans l'un d'entre eux, ils pourraient trouver le charisme qui correspond à leur recherche de signification et de donation à Dieu et aux frères.

Je pense également aux associations, aux mouvements, aux communautés et aux groupes de laïcs, qui offrent une contribution indispensable à la mission de l'Église, tant pour la formation que pour l'animation spirituelle, caritative, sociale et culturelle. J'invoque pour chacune de ces réalités ecclésiales la force de l'Esprit Saint et je les invite à agir toujours en harmonie avec la pastorale diocésaine, selon les indications de l'Évêque.

J'encourage la poursuite de l'action déjà intense de la pastorale des jeunes, en formant ceux qui sont « proches » et, dans le même temps, en allant vers ceux qui sont « loin ». Je souhaite un développement fructueux des nombreuses initiatives anciennes et nouvelles, parmi lesquelles je rappelle les itinéraires de formation de l'Action catholique, la catéchèse inter-paroissiale pour le sacrement de la Confirmation et. telle une « plante » très florissante dans le jardin du diocèse. l'œuvre du Village de l'Enfant.

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J'invite à promouvoir de façon toujours plus organique et développée la pastorale de la famille, qui trouve un point de référence dans le centre de spiritualité « Madonnina del Grappa ». La famille est l'élément de base de la vie sociale. et. ce. n'est. qu'en. travaillant beaucoup et bien avec les familles que l'on peut renouveler le tissu de la communauté ecclésiale et la société civile elle-même.

6. Très chers frères et sœurs de Chiavari ! En cette solennelle Eucharistie, je vous confie tous à la Mère de Dieu et à l'Église. Qu'elle demeure toujours au centre de votre communauté, comme ce fut le cas parmi les premiers disciples, à Jérusalem. A travers son intercession, en cette seconde année de préparation immédiate au Jubilé de l'An 2000, invoquons ensemble une nouvelle effusion de l'Esprit Saint sur ce jeune diocèse, afin qu'il écoute toujours la Parole de Dieu, la mette en pratique et qu'il devienne toujours plus riche, outre de beautés naturelles, de foi,.d'espérance et d'amour. « Comme la fiancée qui se pare de bijoux » (Is 61, 10).

Bienheureuse es-tu Église de Chiavari, si tu sais écouter la Parole de Dieu et si tu t'efforces de l'observer ! (cf. Lc 11, 28).

Puisses-tu être le jardin dont parle le prophète Isaïe : que le Seigneur Dieu fasse germer en toi la justice et que cela « fasse germer la louange devant toutes les nations » (cf. Is 61, 11).

Amen !

Au terme de la concélébration eucharistique le Saint-Père a ajouté les paroles suivantes :

Nous avons célébré cette Très Sainte Eucharistie dans ce splendide paysage de la côte ligure, un paysage qui a accompagné tant de siècles et tant de générations d'habitants de Chiavari. A présent, je souhaite qu'il vous accompagne vous aussi, chers jeunes, pour être courageux et fidèles comme le furent tant de vos ancêtres. Je souhaite que se poursuive cette très belle tradition propre à votre terre et à votre patrie. Loué soit Jésus-Christ !

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20 septembre 1998

Le dimanche 20 septembre 1998, dans le cadre de sa visite pastorale à Brescia, le Pape Jean-Paul II a présidé la cérémonie de clôture du centenaire de la naissance du Pape Paul VI et de béatification de Giuseppe Tovini. Au cours de la célébration, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Pierre,.m'aimes-tu ? ».(cf. Jn 21, 15

En cette solennelle célébration eucharistique, par laquelle se conclut le centenaire de la naissance du Serviteur de Dieu Paul VI, a été proclamé l'Évangile dans lequel le Christ demande à Pierre s'il l'aime. Avant de lui confier la fonction de Chef du Collège apostolique et la mission d'être le fondement de l'unité de l'Église, le Christ soumet Pierre à l'examen de l'amour : « M'aimes-tu ? ». Et il le fait car le service auquel il entend l'appeler est un service d'amour à Dieu, à l'Église, à l'humanité.

Dans la première lecture, nous avons ensuite écouté les paroles du Livre du prophète Isaïe : « Yahvé [...] m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Is 61, 1). Celles-ci rappellent à l'esprit le témoignage évangélique de Giuseppe Tovini, que j'ai eu aujourd'hui la joie d'élever aux honneurs des autels. Il mourut la même année où naquit Giovanni Battista Montini. Le futur Pape témoignera à plusieurs reprises avoir recueilli des lèvres de son père et des amis de famille de nombreux épisodes concernant l'engagement catholique de Tovini et les initiatives qu'il avait promues avec d'autres Brescians hardis. Je suis heureux que la béatification de cette figure si importante ait eu lieu alors que se clôt le centenaire de la naissance de Paul VI.

Très chers frères et sœurs, je vous salue tous avec affection, vous qui prenez part à cette solennelle assemblée eucharistique. Je salue l'Évêque de Brescia, le cher Mgr Bruno Foresti, le Cardinal Martini et tous les évêques de Lombardie. J'adresse une pensée particulière à Mgr Giovanni Battista Re, né sur cette terre et formé au

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Séminaire de Brescia. Avec lui, je salue également Mgr Pasquale Macchi, qui a été pendant tant d'années le secrétaire particulier du Pape Paul VI. J'adresse une pensée respectueuse au représentant du gouvernement et à toutes les autorités présentes.

C'est avec une profonde affection que je te salue, ville de Brescia, si riche d'œuvres d'inspiration chrétienne ; je salue tes prêtres, les religieux, les religieuses, ainsi que les très nombreux laïcs qui, dans les diverses fonctions ecclésiales et civiles, se sont distingués en vertu de leur engagement religieux, social et culturel.

2. « Pierre, m'aimes-tu ? ». Nous pouvons dire que la vie de Paul VI a entièrement été une réponse à cette question du Christ : une grande preuve d'amour envers Dieu, l'Église et les hommes. Il aima Dieu comme Père indulgent et plein d'attention, et au cours des périodes importantes de son existence, en particulier celles chargées de difficultés et de souffrance, il montra toujours un sens très profond de la paternité divine.

Lorsque, Archevêque de Milan, il décida d'établir une Mission populaire pour conférer un nouvel élan à la tradition chrétienne de la ville, il choisit comme thème fondamental : Dieu est le Père. Au moment, ensuite, de conclure son pèlerinage terrestre à Castel Gandolfo, le 6 août d'il y a 20 ans, il voulut réciter comme dernière prière le Notre Père.

Et que dire de son amour passionné pour le Christ ? Sa spiritualité fut

essentiellement christocentrique. Dans l'homélie au début de son pontificat, il expliqua avoir choisi le nom de Paul parce qu'il est l'Apôtre « qui aima de façon suprême le Christ, qui désira et qui s'efforça au plus haut point d'apporter l'Évangile du Christ à toutes les personnes, et qui offrit sa vie pour le Christ » (30 juin 1963, in Insegnamenti [1963], pp. 24-25). Et il ajouta en une autre occasion qu'il est impossible de se passer du Christ, « si nous voulons savoir quelque chose de certain, d'entier, de révélé sur Dieu ; ou, mieux, si

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nous voulons avoir une relation vivante, directe et authentique avec Dieu » (Audience générale, 18 décembre 1968, in Insegnamenti VI [1968], p. 660).

3. A l'amour pour Dieu le Père et pour le Christ Maître, Paul VI unit un amour intense pour l'Église, au service de laquelle il plaça toutes ses ressources physiques, intellectuelles et spirituelles, comme en témoigne la confession émouvante faite dans Pensée sur la mort : « L'Église, [...] je pourrais dire que je l'ai toujours aimée [...] et c'est pour elle, et pour rien d'autre, qu'il me semble avoir vécu ».(Publication de l'Institut Paul VI, Brescia 1988, pp. 28-29).

C'est de cet amour pour le Christ et pour l'Église que jaillissait presque spontanément sa passion pastorale pour l'homme, avec une intuition aiguë des douleurs et des attentes de l'époque contemporaine. Peu de personnes surent comme lui interpréter les angoisses, les audaces, les difficultés et les aspirations des hommes de notre siècle. Il voulut marcher à leurs côtés ; il se fit pour cela pèlerin sur leurs routes, les rencontrant là où ils vivaient et luttaient pour édifier un monde plus attentif et respectueux de la dignité de chaque être humain.

Il voulut être le serviteur d'une Église évangélisatrice des pauvres, appelée avec toutes les personnes de bonne volonté à édifier cette « civilisation de l'amour », dans laquelle les derniers n'auront pas seulement les miettes du progrès économique et civil, mais où doivent. régner. la. justice. et. la. solidarité.

4. Cette sensibilité particulière du Pape Montini pour les grandes questions sociales de notre siècle puise ses racines dans ses origines brescianes. Au sein de sa famille, puis lors des années de jeunesse passées à Brescia, il respira ce climat et cette ferveur d'initiatives qui fit du catholicisme brescian l'un des points de référence significatif des catholiques dans la vie sociale et politique du pays. Au début de son pontificat, s'adressant à ses concitoyens, Paul VI exprimait cette dette de reconnaissance : « Brescia ! La ville qui ne m'a pas seulement donné mes origines, mais une si grande

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partie de la tradition civile, spirituelle, humaine, m'enseignant, en outre, ce que signifie vivre dans ce monde et m'offrant toujours un cadre qui, je crois, a soutenu les expériences successives placées tout au long des années par la Providence Divine » (Discours à un pèlerinage de Milan et de Brescia, 29 juin 1963, in Insegnamenti I 1963], p. 647).

5. Le bienheureux Giuseppe Tovini est certainement un grand témoin de l'Évangile incarné dans les épisodes sociaux et économiques de l'Italie du siècle dernier. Il brille par sa forte personnalité, par sa profonde spiritualité familiale et laïque et par l'engagement avec lequel il se prodigua pour améliorer la société. Entre Tovini et Giovanni Battista Montini, il existe. à bien y regarder. un lien spirituel et idéal intime et profond.

En effet, le Souverain Pontife lui-même écrivit au sujet de Tovini : « Le souvenir qu'il laissa parmi les premières personnes que je connus et estimai était si vif et présent que très souvent, j'entendis. des. commentaires. et. des louanges au sujet de sa personnalité particulière et de son activité multiple ; j'entendis, stupéfait, des expressions admiratives sur sa vertu et des regrets douloureux pour sa disparition précoce » (Préface de Giovanni Battista Montini à la biographie de Giuseppe Tovini rédigée par le Père Antonio Cistellini en 1953, p. I).

6. Fervent, loyal, actif dans la vie sociale et politique, Giuseppe Tovini proclama à travers sa vie le message chrétien, toujours fidèle aux orientations du Magistère de l'Église. Sa préoccupation constante fut la défense de la foi, convaincu que. comme il l'affirma dans un Congrès. « nos enfants ne seront jamais riches sans la foi, et ne seront jamais pauvres avec la foi ». Il vécut à un moment délicat de l'histoire italienne et de l'Église elle-même et il lui était clair qu'il n'était pas possible de répondre pleinement à l'appel de Dieu sans un dévouement généreux et désintéressé pour les problèmes sociaux. Il eut un regard prophétique, répondant avec une audace apostolique aux exigences de l'époque qui, à la lumière des nouvelles formes de

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discrimination, exigeaient des croyants une œuvre plus incisive d'animation des réalités temporelles.

Facilité par ses compétences juridiques et par la rigueur professionnelle qui le distinguaient, il soutint et guida les multiples organismes sociaux, assumant également des fonctions politiques à Cividate Camuno et à Brescia, désireux de rendre présentes la doctrine et la morale chrétiennes au sein du peuple. Il considérait l'engagement pour l'éducation comme prioritaire et, parmi toutes ses initiatives, se distingue celle en défense de l'école et de la liberté d'enseignement.

Avec d'humbles moyens et un grand courage, il se prodigua de façon inlassable pour sauvegarder dans la société bresciane et italienne ce qu'elle a de plus précieux, c'est-à-dire son patrimoine religieux et moral.

L'honnêteté et la cohérence de Tovini puisaient leurs racines dans le rapport profond et vital avec Dieu, qu'il alimentait constamment par l'Eucharistie, la méditation et la dévotion à la Vierge. De l'écoute de Dieu dans la prière quotidienne, il tirait la lumière et la vigueur pour les grandes batailles sociales et politiques qu'il dut soutenir pour préserver les valeurs chrétiennes. L'église de San Luca, avec sa belle effigie de l'Immaculée,.où se trouve désormais sa dépouille mortelle,.témoigne de sa piété.

A la veille désormais du troisième millénaire, Giuseppe Tovini, que nous contemplons aujourd'hui dans la gloire du paradis, constitue pour nous un encouragement. C'est vous, en particulier, chers fidèles laïcs de Brescia et d'Italie, que j'invite à regarder ce grand apôtre social, qui sut apporter l'espérance à tous ceux qui ne pouvaient pas faire entendre leur voix dans la société de son époque, afin que son exemple soit pour tous une incitation et un encouragement à œuvrer aujourd'hui encore et toujours avec générosité pour défendre et diffuser la vérité et les exigences de l'Évangile. Que du Ciel, il vous protège et vous soutienne par son intercession.

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Chers Brescians, vous avez reçu un grand héritage religieux et civil : conservez-le comme un patrimoine incomparable et témoignez-en activement avec le génie et la cohérence, avec la fidélité et la persévérance qui ont distingué Paul VI et Giuseppe Tovini.

7. « J'ai combattu le bon combat [..] le Seigneur m'a assisté » (2 Tm 4, 7.17). Ces paroles de la deuxième lecture de la Messe résument l'expérience spirituelle des deux Personnalités que nous rappelons aujourd'hui avec une admiration dévouée. Je remercie Dieu pour leur témoignage : celui-ci est un don précieux non seulement pour Brescia, mais pour l'Italie et pour toute l'humanité. Le temps qui s'écoule ne doit pas atténuer. leur. souvenir.. Dans divers domaines et avec des responsabilités différentes, ils ont semé tant de bien, ont combattu le bon combat : le combat de la Vérité et de la civilisation de l'Amour.

Que Marie, Mère de l'Église, nous aide à en recueillir l'héritage et à en suivre les traces, afin qu'il nous soit accord é à nous aussi, comme à l'apôtre Pierre, de répondre au Christ : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime » (Jn 21, 17).

Amen !

03 octobre 1998

Dans la matinée du samedi 3 octobre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique solennelle, sur l'esplanade du Sanctuaire de Marija Bistrica, au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels le Cardinal Alojzije Stepinac, en présence de plus de 500.000 fidèles. Au cours de la cérémonie, après l'adresse de salut de l'Archevêque de Zagreb, S.Exc. Mgr Josip Bozania, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Les paroles du Christ, que nous venons d'entendre, nous portent au cœur même du mystère que nous célébrons. D'une certaine façon, elles

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contiennent tout l'Événement pascal : elles nous conduisent vers la mort du Rédempteur sur la Croix, le Vendredi Saint et, dans le même temps, elles nous guident vers le matin de Pâques.

Nous faisons chaque jour référence à ce Mystère, au cours de la Messe, lorsque après la consécration du pain et du vin, nous disons : « Nous annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, dans l'attente de ta venue ». Le « grain de blé tombé en terre » est tout d'abord le Christ, qui mourut sur le Calvaire et fut enseveli en terre pour donner la vie à tous. Mais ce mystère de mort et de vie s'accomplit également dans la vie terrestre des disciples du Christ : pour eux aussi, être mis en terre pour y mourir demeure la condition de toute spiritualité féconde authentique.

Cela n'était-il pas également le secret de votre inoubliable et inoublié Archevêque, le Card. Alojzije Stepinac, que nous contemplons aujourd'hui dans la gloire des bienheureux ? Il participa de façon singulière au Mystère pascal :.comme un grain de blé, « il tomba en terre », dans cette terre de Croatie, et en mourant, il porta du fruit, beaucoup de fruit. « Qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle » (cf. Jn 12, 25).

Les paroles de la deuxième Épître aux Corinthiens, qui viennent d'être proclamées, se relient parfaitement à l'Événement que nous sommes en train de célébrer. Saint Paul écrit : « De même en effet que les souffrances du Christ abondent pour nous, ainsi, par le Christ, abonde aussi notre consolation » (2 Co 1, 5). Cette affirmation ne constitue-t-elle pas un commentaire significatif aux paroles du Christ sur le blé qui meurt ? Ceux qui abondent dans la participation aux souffrances du Christ, éprouvent. également. grâce. à. Lui l'intense consolation qui naît de la floraison. de. bien,. qui. a. la. Croix pour origine.

2. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Nous sommes aujourd'hui comblés de joie de rendre ensemble grâce à Dieu pour le nouveau fruit de sainteté que la terre croate offre à

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l'Église. en. la. personne. du. martyr Alojzije Stepinac, Archevêque de Zagreb et Cardinal de la Sainte Église Romaine.

Au cours des siècles, de nombreux martyrs sont nés dans ces régions, à commencer par l'époque de l'Empire romain avec des figures comme Venance, Domnius, Anastasia, Quirinus, Eusèbe, Pollion, Maur et tant d'autres. Plus tard, ils furent rejoints par Nicola Tavelia et Marco de Krievci, ainsi que par de nombreux confesseurs de la foi au cours de la domination ottomane, jusqu'à ceux de notre époque, parmi lesquels se distingue la personnalité lumineuse du Cardinal Stepinac.

Grâce à leur sacrifice, uni aux souffrances du Christ, ils ont offert un témoignage extraordinaire, qui, au fil du temps, ne perd rien de son éloquence, mais continue à irradier et à diffuser l'espérance. A leurs côtés, de nombreux autres pasteurs et de simples fidèles, hommes et femmes, ont également confirmé par le sang leur adhésion au Christ. Ils font partie de la multitude de ceux qui, vêtus de robes blanches, des palmes à la main, se trouvent à présent devant le trône de l'Agneau (cf. Ap 7, 9).

Le bienheureux Alojzije Stepinac n'a pas versé son sang au sens strict de la parole. Sa mort a été causée par les longues souffrances endurées : les quinze dernières années de sa vie furent une succession permanente d'humiliations, face auxquelles il exposa avec courage sa propre vie pour témoigner de l'Évangile et de l'unité de l'Église. En reprenant les paroles du Psaume, on peut dire qu'il plaça sa vie entre les mains de Dieu (cf. Ps 16 [15], 5).

3. Peu de temps s'est écoulé depuis la vie et la mort du Cardinal Stepinac : à peine 38 ans. Nous connaissons tous le contexte de cette mort. Nombreux sont ceux qui, parmi les personnes présentes, peuvent témoigner à travers leur expérience directe que, durant ces années, les souffrances du Christ abondèrent parmi les populations de la Croatie et de tant d'autres nations du continent.. Aujourd'hui, en pensant à la parole. de. l'Apôtre,. nous. voulons souhaiter de tout cœur aux habitants de ces terres que, après les vicissitudes, la

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consolation du Christ crucifié et ressuscité abonde chez chacun d'eux.

La béatification d'aujourd'hui est certainement un motif de réconfort pour nous tous. Cet acte solennel se déroule dans le sanctuaire national croate de Marija Bistrica, le premier samedi du mois d'octobre. Sous le regard de la Très Sainte Vierge, un fils illustre de cette terre bénie est élevé à la gloire des autels, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance. Il s'agit d'un moment historique dans la vie de l'Église et de votre nation. Le Cardinal-Archevêque de Zagreb, l'une des figures éminentes de l'Église catholique, après avoir subi dans son corps et dans son esprit les atrocités du système communiste, est à présent propos é à la mémoire de ses compatriotes avec les insignes lumineux du martyre.

L'épiscopat de votre pays a demandé que la béatification de Stepinac puisse avoir lieu précisément ici, dans le sanctuaire de Marija Bistrica. Je sais par expérience personnelle ce que signifia pour les Polonais, durant la période du pouvoir communiste, le sanctuaire de Jasna Gora, avec lequel le ministère pastoral du serviteur de Dieu, le Cardinal Stefan Wyszynski entretint une relation très particulière. Je ne suis pas étonné que le sanctuaire dans lequel nous nous trouvons à présent ait eu une valeur semblable pour vous, de même que celui de Salone, où je me rendrai demain. Je désirais depuis longtemps visiter le sanctuaire de Marija Bistrica. C'est pourquoi j'ai accueilli volontiers la proposition de l'épiscopat croate et j'accomplis aujourd'hui dans ce lieu significatif l'acte solennel de la béatification.

Je salue cordialement les évêques croates réunis ici, avec une pensée particulière pour le cher Cardinal Franjo Kuharia et pour l'Archevêque de Zagreb et Président de la Conférence épiscopale, Mgr Josip Bozania. Mon salut s'adresse également aux Cardinaux, aux Archevêques et aux Évêques venus pour la circonstance de divers pays. Je salue aussi avec affection les prêtres, les personnes consacrées, hommes et femmes, tous les fidèles laïcs, ainsi que les

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représentants des autres confessions religieuses qui sont présents à cette célébration. J'adresse enfin une pensée pleine de respect au Président de la République, au chef du gouvernement et aux autorités civiles et militaires du pays, qui ont voulu nous honorer de leur présence.

4. « Si quelqu'un me sert, qu'il me suive » (Jn 12, 24.26). Le Bon Pasteur fut l'unique Maître du bienheureux Stepinac : jusqu'à la fin, il inspira sa conduite de son exemple, offrant sa vie pour le troupeau qui lui avait été confié à une période particulièrement difficile de l'histoire.

La personne du nouveau bienheureux contient, pour ainsi dire, toute la tragédie qui a frappé les populations croates et l'Europe au cours de ce siècle, marqué par les trois grands maux du fascisme, du nazisme et du communisme. Il se trouve à présent dans la joie des cieux, entour é par tous ceux qui, comme lui, ont combattu le bon combat, en renforçant leur foi au creuset de la souffrance. Nous nous tournons aujourd'hui vers lui avec confiance, en invoquant son intercession.

A cet égard, le nouveau bienheureux prononça des paroles significatives en 1943, au cours du second conflit mondial, lorsque l'Europe se trouvait prise dans l'étreinte d'une violence inouïe : « Quel système l'Église soutient-elle aujourd'hui, alors que le monde entier combat pour un nouvel ordre mondial ? En condamnant toutes les injustices, tous les assassinats des innocents, tous les incendies des villages tranquilles, toute destruction du travail des pauvres,... nous répondons ainsi : l'Église soutient le système qui remonte aussi loin que les Dix Commandements de Dieu. Nous appuyons le système qui n'a pas été écrit sur des tables corruptibles, mais qui a été inscrit par le doigt du Dieu vivant dans les consciences des hommes » (Homélies, Discours, Messages, Zagreb 1996, 179-180).

5. « Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12, 24-28). A travers son itinéraire humain et spirituel, le bienheureux Alojzije Stepinac a offert à son peuple une sorte de boussole avec laquelle s'orienter. En

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voici les points cardinaux : la foi en Dieu, le respect de l'homme, l'amour envers tous jusqu'au pardon, l'unité avec l'Église guidée par le Successeur de Pierre. Il savait bien que l'on ne peut pas transiger avec la vérité, car la vérité n'est pas une monnaie d'échange. C'est pourquoi, il affronta la souffrance plutôt que de trahir sa propre conscience et manquer à la parole donnée au Christ et à l'Église.

Il ne fut pas seul dans ce témoignage courageux. Il eut à ses côtés d'autres personnes courageuses qui, pour conserver l'unité de l'Église et pour en défendre la liberté, acceptèrent de payer avec lui un lourd tribut d'emprisonnement, de mauvais traitements et même de sang. C'est à ce groupe d'âmes généreuses. évêques, prêtres, personnes consacrées, fidèles laïcs. que s'adressent aujourd'hui notre admiration et notre reconnaissance. Écoutons sa puissante invitation au pardon et à la réconciliation. Pardonner et se réconcilier signifie purifier la mémoire de la haine, des rancœurs, de la soif de vengeance ; cela signifie reconnaître également comme un frère celui qui nous fait du mal ; cela signifie ne pas se laisser vaincre par le mal, mais vaincre le mal par le bien (cf. Rm 12, 21).

6. Sois béni, « Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (2 Co 1, 3), pour ce nouveau don de ta grâce. Sois béni,.Fils unique de Dieu et Sauveur du monde,.pour ta Croix glorieuse, qui en l'Archevêque de Zagreb, le Cardinal Alojzije Stepinac, a remporté une splendide victoire.

Sois béni, Esprit du Père et du Fils, Esprit Paraclet, qui continues, à manifester ta sainteté aux hommes et qui ne cesses de faire progresser l'œuvre du salut.

Dieu Un et Trine, aujourd'hui, je veux Te rendre grâce pour la foi solide de ce peuple, malgré les nombreuses adversités qu'il a rencontrées au cours des siècles. Je veux te rendre grâce pour les innombrables martyrs et confesseurs, hommes et femmes de tous les âges, qui ont fleuri sur cette terre bénie !

« Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12, 28).

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Loués soient Jésus et Marie !

Le Saint-Père s'est ensuite adressé aux fidèles polonais :

S'il y a ici des Polonais, et je pense qu'il y en a, que Dieu les bénisse. Loué soit Jésus-Christ !

11 octobre 1998

Dans la matinée du dimanche 11 octobre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une solennelle concélébration eucharistique, sur la place Saint-Pierre, au cours de laquelle il a procédé à la canonisation de Thérèse Bénédicte de la Croix, dans le siècle Edith Stein, religieuse carmélite d'origine juive, morte en déportation à Auschwitz. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix, de notre Seigneur Jésus-Christ » (cf. Ga 6, 14).

Les paroles de saint Paul aux Galates, que nous venons d'entendre, correspondent bien à l'expérience humaine et spirituelle de Thérèse Bénédicte de la Croix, qui est aujourd'hui solennellement inscrite dans l'album des saints. Elle aussi peut répéter avec l'Apôtre : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ ».

La Croix du Christ ! Dans sa constante floraison, l'arbre de la Croix porte toujours des fruits renouvelés de salut. C'est pourquoi, les croyants se tournent vers la Croix avec confiance, tirant de son mystère d'amour le courage et la force pour marcher sur les traces du Christ crucifié et ressuscité. Le message de la Croix est ainsi entré dans le cœur de tant d'hommes et de tant de femmes, transformant leur existence.

Un exemple éloquent de cet extraordinaire renouveau intérieur est le parcours spirituel d'Edith Stein. Une jeune femme en quête de la vérité, grâce au travail silencieux de la grâce divine, est devenue une sainte et une martyre : il s'agit de Thérèse Bénédicte de la Croix,

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qui répète aujourd'hui à tous, du haut des cieux, les paroles qui ont marqué son existence : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ ».

2. Le.1er.mai.1987,.au cours de ma visite pastorale en Allemagne, j'ai eu la joie de proclamer bienheureuse, dans la ville de Cologne, ce témoin généreux de la foi. Aujourd'hui, onze ans plus tard, ici à Rome, sur la place Saint-Pierre, il m'est donné de présenter solennellement au monde entier comme sainte, cette éminente fille d'Israël et fille fidèle de l'Église.

Comme alors, aujourd'hui aussi, nous nous inclinons devant la mémoire d'Edith Stein, en proclamant le témoignage invincible qu'elle a apport é au cours de sa vie et, surtout, à travers sa mort. Aux côtés de Thérèse d'Avila et de Thérèse de Lisieux, cette autre Thérèse prend sa place dans le groupe de saints qui font honneur à l'Ordre des Carmélites.

Très chers frères et sœurs, qui êtes venus ici pour cette solennelle célébration, rendons gloire à Dieu pour l'œuvre qu'il a accomplie en Edith Stein.

[en allemand]

3. Je salue les nombreux pèlerins venus à Rome, avec une pensée particulière pour les membres de la famille Stein, qui ont voulu se joindre à nous pour cette heureuse circonstance. J'adresse également un salut cordial à la délégation de la communauté carmélite, qui est devenue la « seconde famille » de Thérèse Bénédicte de la Croix.

Je souhaite également la bienvenue à la délégation officielle de la République fédérale d'Allemagne, guidée par l'ancien Chancelier fédéral, M. Helmut Kohl, que je salue avec une respectueuse cordialité. En outre, je salue les représentants des Länder Rhénanie du Nord-Westphalie et de Rhénanie Palatinat, ainsi que le maire de la ville de Cologne.

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Une délégation officielle est également venue de ma patrie, guidée par le Ministre, M. Jerzy Buzek. Je lui adresse un salut cordial.

Je désire ensuite mentionner les pèlerins des diocèses de Breslau (Wroc3aw), de Cologne, Münster, Spire, Cracovie et Bielsko-Zywiec, présents avec leurs évêques et leurs prêtres. Ils s'unissent au groupe nombreux de fidèles venus d'Allemagne, des États-Unis d'Amérique et de ma patrie, la Pologne.

4. Chers frères et sœurs ! Parce qu'elle était juive, Edith Stein fut déportée avec sa sœur Rosa et de nombreux autres juifs des Pays-Bas dans le camp de concentration d'Auschwitz, où elle trouva la mort avec eux dans les chambres à gaz. Nous évoquons aujourd'hui la mémoire de chacun d'eux, avec un profond respect. Quelques jours avant sa déportation, à la possibilité qui lui était offerte de sauver sa vie, elle avait répondu : « Ne le faites pas ! Pourquoi devrais-je être exclue ? La justice ne réside-t-elle pas dans le fait que je ne bénéficie pas d'avantages du fait de mon baptême ? Si je ne peux pas partager le sort de mes frères et sœurs, ma vie est détruite dans un certain sens ».

En célébrant à partir d'aujourd'hui la mémoire de la nouvelle sainte, nous ne pourrons manquer de rappeler également, chaque année, la Shoah, ce programme barbare visant à éliminer un peuple, et qui coûta la vie à des millions de frères et de sœurs juifs. Que Yahvé fasse pour eux rayonner son visage et leur apporte la paix (cf. Nb 6, 25 sq.).

Pour l'amour de Dieu et des hommes, j'élève une fois encore une imploration chargée d'inquiétude : que plus jamais ne se répète une telle action criminelle contre aucun groupe ethnique, aucun peuple, aucune race, en aucun lieu de la terre ! C'est un cri que j'adresse à tous les hommes et les femmes de bonne volonté ; à tous ceux qui croient en Dieu éternel et juste ; à tous ceux qui se sentent unis au Christ, Verbe de Dieu incarné. Nous devons tous être solidaires : c'est la dignité humaine qui est en jeu. Il n'existe qu'une

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seule famille humaine. C'est ce qu'a affirmé la nouvelle sainte avec une grande insistance : « Notre amour envers le prochain. écrivait-elle. est la mesure de notre amour pour Dieu. Pour les chrétiens. et pas seulement pour eux. personne n'est étranger.. L'amour du Christ ne connaît pas de frontières ».

5. Chers frères et sœurs ! L'amour du Christ fut le feu qui incendia la vie de Thérèse Bénédicte de la Croix. Avant même de s'en rendre compte, elle en fut totalement consumée. Au début, son idéal fut la liberté. Pendant longtemps, Edith Stein vécut l'expérience de la recherche. Son esprit ne se lassa pas de chercher et son cœur d'espérer. Elle parcourut le chemin difficile de la philosophie avec une ardeur passionnée et, à la fin, elle fut récompensée : elle conquit la vérité, ou plutôt, elle en fut conquise. En effet, elle découvrit que la vérité portait un nom : Jésus-Christ, et à partir de ce moment, le Verbe incarné fut tout pour elle. Considérant cette période de sa vie d'un point de vue de Carmélite, elle écrivit à une Bénédictine : « Qui cherche la vérité, consciemment ou inconsciemment, cherche Dieu ».

Bien qu'elle ait été élevée dans la religion juive de sa mère, à quatorze ans, Edith Stein « avait consciemment et intentionnellement perdu l'habitude de prier ». Elle ne voulait compter que sur elle-même, soucieuse d'affirmer sa propre liberté dans les choix de la vie. A la fin d'un long chemin, il lui fut donné de parvenir à une constatation surprenante : seul celui qui se lie à l'amour du Christ devient vraiment libre.

L'expérience de cette femme, qui a affronté les défis d'un siècle tourmenté comme le nôtre, représente un exemple pour nous : le monde moderne invite à franchir la porte attrayante de la permissivité, ignorant la porte étroite du discernement et du renoncement. Je m'adresse spécialement à vous, jeunes chrétiens, en particulier aux nombreux candidats au sacerdoce présents ces jours-ci à Rome : gardez-vous de concevoir votre vie comme une porte ouverte à tous les choix ! Écoutez la voix de votre cœur ! Ne soyez pas superficiels, mais allez au fond des choses ! Et lorsque le

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moment sera venu, ayez le courage de vous décider ! Le Seigneur attend que vous placiez votre liberté entre ses mains miséricordieuses !

[en italien]

6. Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix parvint à comprendre que l'amour du Christ et la liberté de l'homme s'entremêlent, car l'amour et la vérité possèdent une relation intrinsèque. La recherche de la vérité et son expression dans l'amour ne lui semblèrent pas s'opposer ; elle comprit même qu'elles se faisaient réciproquement écho.

A notre époque, la vérité est souvent confondue avec l'opinion de la majorité. En outre, il existe la conviction fréquente que l'on doit se servir de la vérité également contre l'amour, ou vice-versa. Mais la vérité et l'amour ont besoin l'un de l'autre. Sœur Thérèse Bénédicte en est le témoin. La « martyre par amour », qui donna sa vie pour ses amis, ne fut dépassée par personne dans l'amour. Dans le même temps, elle rechercha de tout son être la vérité, au sujet de laquelle elle écrivait : « Aucune œuvre spirituelle ne vient au monde sans grands efforts. Elle défie toujours l'homme tout entier ».

Sœur Thérèse Bénédicte de la Croix nous dit à tous : N'acceptez rien comme vérité qui soit privé d'amour. Et n'acceptez rien comme amour qui soit privé de vérité ! L'un sans l'autre devient un mensonge destructeur.

7. La nouvelle sainte nous enseigne, enfin, que l'amour pour le Christ passe à travers la douleur. Celui qui aime vraiment ne s'arrête pas face à la perspective de la souffrance : il accepte la communion dans la douleur avec la personne aimée.

Consciente de ce que comportait son origine juive, Edith Stein eut à ce propos des paroles éloquentes : « Sous la croix, j'ai compris le sort du peuple de Dieu [...] En effet, aujourd'hui, je sais beaucoup mieux ce que signifie être l'épouse de l'Agneau sous le signe de la

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Croix. On ne pourra jamais comprendre cela à fond car c'est une injustice ».

Le mystère de la Croix entoura peu à peu toute sa vie, jusqu'à la pousser vers l'offrande suprême. En tant qu'épouse sur la Croix, Sœur Thérèse Bénédicte n'écrivit pas seulement des pages profondes sur la « science de la croix », mais parcourut jusqu'au bout le chemin à l'école de la Croix. Un grand nombre de nos contemporains voudraient faire taire la Croix. Mais rien n'est plus éloquent que la Croix que l'on oblige à taire ! Le véritable message de la douleur est une leçon d'amour. L'amour rend la douleur féconde et la douleur approfondit l'amour.

A travers l'expérience de la Croix, Edith Stein put se frayer un chemin vers une nouvelle rencontre avec le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Foi et croix se révélèrent inséparables à ses yeux. En grandissant à l'école de la Croix, elle découvrit les racines auxquelles était relié l'arbre de sa vie. Elle comprit qu'il était très important pour elle « d'être la fille du peuple élu et d'appartenir au Christ non seulement spirituellement, mais également à travers un lien de sang ».

8. « Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c'est en esprit et en vérité qu'ils doivent adorer » (Jn 4, 24).

Très chers frères et sœurs, c'est à travers ces paroles que le Maître divin s'entretint avec la Samaritaine auprès du puits de Jacob. Ce qu'il donna à son interlocutrice occasionnelle, mais attentive,.nous le trouvons présent également dans la vie d'Edith Stein, dans son « ascension du Mont Carmel ». La profondeur du mystère divin lui apparut perceptible dans le silence de la contemplation. Au fur et à mesure que, au cours de son existence, elle mûrissait dans la connaissance de Dieu, l'adorant en esprit et en vérité, elle ressentait toujours plus clairement sa vocation spécifique de monter sur la Croix avec le Christ, de l'embrasser avec sérénité et confiance, de l'aimer en suivant les pas de son Époux bien-aimé : sainte Thérèse

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Bénédicte de la Croix nous est présentée aujourd'hui comme le modèle auquel s'inspirer et comme la protectrice à laquelle recourir.

Nous rendons grâce à Dieu pour ce don. Que la nouvelle sainte soit pour nous un exemple dans notre engagement au service de la liberté, dans notre recherche de la vérité. Que son témoignage rende plus solide le pont de la compréhension réciproque entre juifs et chrétiens.

Toi, sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, prie pour nous ! Amen.

18 octobre 1998

Dans la matinée du dimanche 18 octobre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique sur la place Saint-Pierre, à l'occasion du XXe anniversaire de son élection sur la Chaire de Pierre. Au cours de la cérémonie, à laquelle assistaient des milliers de fidèles, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8).

Cette question, que le Christ posa un jour à ses disciples, a interpellé de nombreuses fois les hommes que la Divine Providence a appelés à assumer le ministère pétrinien, au cours des deux mille années de l'ère chrétienne. Je pense en ce moment à tous mes prédécesseurs, lointains et proches. Je pense, de manière particulière, à moi et à ce qui eut lieu le 16 octobre 1978. Avec la célébration d'aujourd'hui, je rends grâce au Seigneur, avec vous tous, pour ces vingt ans de pontificat.

La journée du 26 août 1978 me revient en mémoire, lorsque dans la Chapelle Sixtine retentirent les paroles du Cardinal, le premier dans l'Ordre de préséance, adressées à mon prédécesseur direct : « Acceptes-tu ton élection canonique comme Souverain Pontife ? ». « J'accepte », répondit le Cardinal Albino Luciani.

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« Comment veux-tu être appel é ? », poursuivit le Cardinal Villot. « Jean-Paul » fut sa réponse.

Qui pouvait alors penser que, quelques semaines plus tard seulement, les mêmes questions m'auraient été adressées, en tant que son successeur ? A la première question : « Acceptes-tu ? », je répondis : « Dans l'obéissance de la foi devant le Christ mon Seigneur, m'abandonnant à la Mère du Christ et de l'Église, conscient des grandes difficultés, j'accepte ». Et à la question suivante : « Comment veux-tu être appelé ? », je répondis moi aussi : « Jean-Paul ».

Après la résurrection, le Christ demanda trois fois à Pierre : « M'aimestu ? » (cf. Jn 21, 15-17). L'Apôtre, conscient de sa propre faiblesse, répondit : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime », et il reçut le mandat de Jésus : « Pais mes brebis » (Jn 21, 17). Le Seigneur a confié cette mission à Pierre et, à travers lui, à tous ses successeurs. Il a adressé les mêmes paroles également à celui qui vous parle aujourd'hui, au moment où lui était confiée la tâche de confirmer la foi de ses frères.

Combien de fois ai-je repensé aux paroles de Jésus, que Luc a consignées dans son Évangile. Peu avant d'affronter la passion, Jésus dit à Pierre : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment ; mais moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22, 31-32). « Affermir ses frères dans la foi » est donc l'un des aspects essentiels du service pastoral confié à Pierre et à ses Successeurs. Dans la liturgie d'aujourd'hui, Jésus pose la question : « Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » C'est une question qui nous interpelle tous, mais plus particulièrement les successeurs de Pierre.

« Quand il viendra, trouvera-t-il... ? » Chaque année qui s'écoule, rend plus proche sa venue. En célébrant le Saint Sacrifice de la Messe, après la consécration, nous répétons toujours : « Nous

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annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, dans l'attente de ta venue ».

En venant, trouvera-t-il la foi sur la terre ?

2. Les Lectures liturgiques de ce dimanche peuvent suggérer une double réponse à cette question.

La première apparaît dans l'exhortation que saint Paul adresse à son fidèle collaborateur Timothée. L'Apôtre écrit : « Je t'adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts, au nom de son Apparition et de son Règne : proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire » (2 Tm 4, 1-2).

Un programme d'action précis est ici résumé. En effet, le ministère apostolique, et en particulier le ministère de Pierre, consiste tout d'abord à enseigner. Pour enseigner la vérité divine, il faut quelqu'un qui soit « sûr. comme l'écrit encore l'Apôtre à Timothée. dans ce qu'il a appris et dont il a la certitude » (cf. 2 Tm 3, 14).

L'évêque, et a fortiori le Pape, doit sans cesse revenir aux sources de la sagesse qui conduisent au salut. Il doit aimer la Parole de Dieu. Après vingt ans de service sur le Siège de Pierre, je ne peux pas aujourd'hui manquer de me poser certaines questions : As-tu fait tout cela ? As-tu été un maître zélé et attentif de la foi dans l'Église ? As-tu cherché à rapprocher les hommes d'aujourd'hui de la grande œuvre du Concile Vatican II ? As-tu cherché à répondre aux attentes des croyants dans l'Église, ainsi qu'à la soif de vérité qui règne dans le monde, en dehors de l'Église ? Et l'invitation de saint Paul retentit dans mon esprit : « Je t'adjure devant Dieu et devant le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts. et qui te jugera toi aussi. proclame la parole » (2 Tm 4, 1-2) ! Proclamer la Parole ! Telle est ma tâche, en faisant tout le possible afin que le Fils de l'homme, lorsqu'il viendra, puisse trouver la foi sur la terre.

3. Il existe ensuite une autre réponse, que nous pouvons trouver dans la première lecture biblique, tirée du Livre de l'Exode. Elle

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présente l'image emblématique de Moïse en prière, tenant les mains levées vers le ciel, alors que du haut d'une colline, il suit la bataille de son peuple contre les Amalécites. Lorsque Moïse levait les mains, Israël était le plus fort, mais comme Moïse sentait ses bras qui s'alourdissaient, on lui offrit une pierre pour s'asseoir, tandis que Aaron et Hur, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, lui soutenaient le mains. Il resta ainsi en prière jusqu'au coucher du soleil, jusqu'à la défaite d'Amaleq vaincu par Josué (cf. Ex 17, 11-13).

Il s'agit d'une icône d'une force expressive extraordinaire : l'icône du pasteur en prière. Il est difficile d'imaginer une référence plus éloquente pour toutes les situations dans lesquelles le nouvel Israël, l'Église, se trouve à combattre contre les divers « Amalécites ». Dans un certain sens, tout dépend des mains de Moïse tendues vers le haut.

La prière du pasteur soutient le troupeau. C'est un fait certain. Il est cependant également vrai que la prière du peuple soutient celui qui a pour tâche de le guider. Cela a été le cas dès le début. Lorsque Pierre fut incarcéré à Jérusalem pour être, comme Jacques, condamné à mort après les fêtes, toute l'Église priait pour lui (cf. Ac 12, 1-5). Les Actes des Apôtres racontent qu'il fut miraculeusement libéré de la prison (cf. Ac 12, 6-11).

C'est ce qui s'est produit d'innombrables fois au cours des siècles. J'en suis moi-même le témoin, l'ayant vécu en personne. La prière de l'Église constitue une grande puissance !

4. Je voudrais remercier ici tous ceux qui, au cours de ces journées, m'ont exprimé leur solidarité. Merci pour les nombreux messages de vœux qui m'ont été envoyés ; merci surtout pour votre souvenir constant dans la prière. Je pense de façon particulière aux malades et aux personnes qui souffrent, qui sont proches de moi grâce à l'offrande de leurs souffrances. Je pense aux monastères de clôture et aux nombreux religieux et religieuses, aux jeunes et aux familles qui ne cessent d'élever au Seigneur une invocation chorale

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pour ma personne et pour mon ministère universel. J'ai senti, ces jours-ci, le cœur de l'Église battre à mes côtés !

Merci à vous tous, qui êtes présents sur la place Saint-Pierre, et qui vous unissez. aujourd'hui. à. ma. prière. de louange à Dieu pour les vingt ans de service à l'Église et au monde en tant qu'Évêque de Rome. J'adresse une parole particulière de reconnaissance au Président de la République italienne et à ceux qui l'ont accompagné ce matin pour me rendre hommage à travers leur présence.

Je remercie ensuite avec une affection fraternelle le Cardinal Camillo Ruini, qui au début de la célébration, s'est fait l'interprète de votre fidélité à tous, au Christ et au Successeur de Pierre. Je suis ému de la présence si nombreuse de cardinaux, d'archevêques et d'évêques, et en particulier des prêtres du diocèse de Rome et de la Curie, qui prennent part à cette solennelle concélébration eucharistique. Très chers amis, je voudrais en ce moment vous dire à tous combien votre soutien a été précieux pour moi au cours de ces années de service à l'Église sur la Chaire de Pierre. Je voudrais témoigner ma gratitude pour la chaleur avec laquelle la ville de Rome et l'Italie m'ont accueilli dès les premiers jours de mon ministère pétrinien. Je demande au Seigneur de vous récompenser généreusement pour ce que vous avez fait et ce que vous faites, afin de m'aider dans la tâche qui m'est confiée.

Très chers frères et sœurs de Rome, d'Italie et du monde ! Telle est la signification de notre assemblée de prière sur la place Saint-Pierre : rendre grâce à Dieu pour la sollicitude providentielle avec laquelle il guide et soutient sans cesse le Peuple en marche dans l'histoire ; renouveler, quant à moi, le « oui » prononcé il y a vingt ans, confiant dans la grâce divine ; offrir, pour votre part, l'engagement de prier toujours pour ce Pape, afin qu'il puisse accomplir jusqu'au bout sa mission.

Je renouvelle de tout cœur le don de ma vie et de mon ministère à la Vierge Marie, Mère du Rédempteur et Mère de l'Église. Je lui répète dans un abandon filial : Totus tuus !

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Amen.

25 octobre 1998

Le dimanche 25 octobre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une solennelle concélébration eucharistique sur la place Saint-Pierre, au cours de laquelle il a élevé quatre nouveaux bienheureux aux honneurs des autels : Zefirino Agostini, Antonio de Sant'Ana Galvão, Faustino Míguez et Théodore Guérin. Au cours de la cérémonie le Saint-Père a prononc é l'homélie suivante :

1. Qu'ils écoutent les humbles, qu'ils jubilent » (Ps 33, 3).

A travers ces paroles, la liturgie d'aujourd'hui nous invite à la joie, alors que nous rendons grâce au Seigneur pour le don des nouveaux bienheureux. La joie de l'Église s'exprime dans le chant de louange que l'assemblée élève vers le ciel. Oui, qu'ils écoutent, les humbles et qu'ils jubilent en constatant les œuvres que Dieu accomplit dans la vie de ses serviteurs fidèles. L'Église, qui est le « Peuple des humbles », écoute et se réjouit car chez ces membres, qui appartiennent au groupe des bienheureux, elle voit le reflet de l'amour miséricordieux du Père céleste. A travers la liturgie, nous faisons nôtres les paroles inspirées de Jésus : « Béni sois-tu, Père, Seigneur du ciel et de la terre, car tu as révélé aux petits les mystères du royaume des cieux » (Chant au cours de la lecture de l'Évangile).

Les « petits » : comme la logique des hommes est différente de celle de Dieu ! Les « petits », selon l'Évangile, sont des personnes qui, sachant qu'elles sont des créatures de Dieu, fuient toute présomption : elles placent toutes leurs attentes dans le Seigneur et c'est pourquoi elles ne sont jamais déçues. Telle est l'attitude fondamentale du croyant : foi et humilité sont indissociables. La preuve en est le témoignage rendu par les nouveaux bienheureux : Zefirino Agostini, Antonio de Sant'Ana Galvão, Faustino Míguez et Théodore Guérin. Plus une personne est grande dans la foi, plus elle se sent « petite », à l'image du Christ Jésus, qui « de condition divine

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[...] s'anéantit lui-même » (Ph 2, 6-7) et vint parmi les hommes pour être leur serviteur.

2. Les nouveaux bienheureux sont pour nous des exemples à imiter et des témoins à suivre. Ils ont eu confiance en Dieu. Leur existence révèle que la force des petits est la prière, comme le révèle la Parole de Dieu de ce dimanche. Les saints, les bienheureux sont surtout des hommes et des femmes de prière : ils bénissent le Seigneur en tout temps ; la louange est toujours sur leurs lèvres ;.ils élèvent leur voix et le Seigneur les écoute, il les sauve de toutes leurs angoisses, comme nous l'a rappelé le Psaume responsorial (cf. Ps 33, 2.18). Leur prière pénètre les nuées, elle est incessante, elle ne se lasse pas et ne fait jamais défaut tant que le Très-Haut n'est pas intervenu (cf. Si 35, 16-18).

La force de la prière des hommes et des femmes de spiritualité s'accompagne toujours en eux du vif sentiment de leurs limites et de leur indignité. C'est la foi, et non la présomption, qui alimente chez les disciples du Seigneur le courage et la fidélité. Comme l'Apôtre Paul, ils savent que le Seigneur réserve la couronne de justice à ceux qui attendent sa manifestation avec amour (cf. 2 Tm 4, 8).

3. « Le Seigneur, lui, m'a assisté et m'a rempli de force » (2 Tm 4, 17) ; Ces paroles de l'Apôtre à Timothée s'appliquent bien à Dom Zefirino Agostini, qui, malgré les innombrables difficultés, ne perdit jamais courage. Il nous est présenté aujourd'hui comme un témoin humble et solide de l'Évangile, au cours d'une période féconde pour l'Église de Vérone, durant la deuxième moiti é du XIXe siècle. Sa foi fut solide, son œuvre caritative efficace et l'esprit sacerdotal qui le distingua ardent.

L'amour du Seigneur le soutint dans son apostolat consacré aux plus pauvres, et en particulier à l'éducation chrétienne des jeunes filles, notamment les plus indigentes. Il avait parfaite ment compris l'importance de la femme en tant que protagoniste de l'assainissement de la société, dans son rôle d'éducatrice aux valeurs de la liberté, de l'honnêteté et de la charité.

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Aux Ursulines, ses filles spirituelles il recommandait : « Les jeunes filles pauvres : qu'elles soient l'objet le plus cher de vos soins, de vos attentions. Sensibilisez leurs esprits, éduquez leurs cœurs à la vertu, sauvez leurs âmes du contact pestiféré du monde pervers » (Écrits aux Ursulines, n. 289). Puisse son exemple constituer un encouragement valable pour ceux qui l'honorent aujourd'hui en tant que bienheureux et qui l'invoquent comme protecteur.

[en portugais]

4. « Le Seigneur, lui, m'a assisté et m'a rempli de force afin que, par moi, le message fut proclamé » (2 Tm 4, 17).

Ce message de saint Paul à Timothée reflète bien la vie de Frère Antônio de Sant'Ana Galvão, qui a voulu répondre à sa vocation religieuse en se consacrant avec amour et dévotion aux pauvres, aux malades et aux esclaves de son époque au Brésil.

Rendons grâce à Dieu pour les bienfaits permanents offerts par la puissante force évangélisatrice que l'Esprit Saint a suscitée jusqu'à aujourd'hui chez tant d'âmes à travers le Frère Galvão. Sa foi authentiquement franciscaine, vécue de façon évangélique et de façon apostolique au service du prochain, constitue pour nous un encouragement à l'imiter comme « homme de paix et de charité ». Sa mission de fon der les lieux de retraite consacrés à la Sainte Vierge et à la Providence continue à produire des fruits surprenants : il fut un ardent adorateur de l'Eucharistie, maître et défenseur de la charité chrétienne, prudent conseiller de la vie spirituelle de tant d'âmes et défenseur des pauvres. Que Marie Immaculée, dont Frère Galvão se considérait le « fils et l'esclave perpétuel », illumine le cœur des fidèles et réveille en eux la faim de Dieu jusqu'au don total de soi au service du Royaume, à travers un témoignage de vie authentiquement chrétien.

[en espagnol]

5. « Celui qui s'abaisse sera élevé » (Lc 18, 14). En élevant à la gloire des autels le prêtre scolope, Faustino Míguez, les paroles de

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Jésus que nous venons d'écouter dans l'Évangile s'accomplissent. Le nouveau bienheureux, renonçant à ses propres ambitions, suivit Jésus-Maître et consacra sa vie à l'éducation des enfants et des jeunes, selon le style de saint José de Calasanz. En tant qu'éducateur,.son objectif fut la formation intégrale de la personne. En tant que prêtre, il rechercha inlassablement la sainteté des âmes. En tant que scientifique, il voulut apporter un soulagement à la maladie, en libérant l'humanité qui souffre dans son corps. A l'école et dans la rue, au confessionnal et dans son laboratoire, le Père Faustino Míguez fut toujours la clarté du Christ, qui accueille, pardonne et anime.

« Homme du peuple et pour le peuple », rien ni personne ne lui fut étranger. C'est pourquoi il prit en considération la situation d'ignorance et de marginalisation dans laquelle vivait la femme, qu'il considérait comme l'« âme de la famille et la partie la plus intéressante de la société »..Dans le but de la guider, dès son enfance, sur le chemin de la promotion humaine et chrétienne, il fonda l'« Instituto Calasancio de Hijas de la Divina Pastora », pour l'éducation des petites filles dans la piété et les lettres.

Son exemple lumineux, mêlé de prière, d'étude et d'apostolat, se poursuit aujourd'hui à travers le témoignage de ses filles et de tant d'éducateurs qui travaillent avec courage et espérance, afin de graver l'image de Jésus dans l'esprit et dans le cœur des jeunes.

[en anglais]

6. « Le Seigneur, lui, m'a assisté et m'a rempli de force afin que, par moi, le message fut proclamé » (2 Tm 4, 17). A travers ces paroles de Timothée, saint Paul évoque les années de son ministère apostolique et confirme l'espérance qu'il place dans le Seigneur face à l'adversité.

Ces paroles de l'Apôtre étaient gravées dans le cœur de Mère Théodore Guérin lorsqu'elle quitta sa France natale en 1840 avec cinq compagnes pour affronter les incertitudes et les dangers du

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territoire frontalier de l'Indiana. Sa vie et son œuvre furent toujours guidées par la main certaine de la Providence, dans laquelle elle plaçait une confiance totale. Elle comprit qu'elle devait se consacrer au service de Dieu, recherchant toujours Sa volonté. En dépit des difficultés et des incompréhensions initiales, et des souffrances et des peines qui suivirent, elle ressentait profondément que Dieu avait béni sa Congrégation des Sœurs de la Providence, la faisant croître, et créant un esprit d'union parmi ses membres. Dans les écoles et les orphelinats, le témoignage de Mère Théodore conduisit de nombreux jeunes garçons et jeunes filles à ressentir la sollicitude bienveillante de Dieu dans leur vie.

Aujourd'hui, elle continue à enseigner les chrétiens à s'abandonner à la Providence de notre Père céleste et à s'engager totalement à faire ce qui Lui plaît. La vie de la bienheureuse Théodore Guérin témoigne que tout est possible avec Dieu et pour Dieu. Puissent ses filles spirituelles et tous ceux qui ont fait l'expérience de son charisme vivre ce même esprit aujourd'hui !

[en italien]

7. Très chers frères et sœurs venus de différentes parties du monde pour cette joyeuse célébration, je vous salue cordialement et je vous remercie pour votre présence !

Que le témoignage offert par les nouveaux bienheureux soit pour nous un encouragement à poursuivre notre chemin avec générosité sur la route de l'Évangile. En nous tournant vers ceux qui ont trouvé grâce auprès de Dieu pour leur humble soumission à sa volonté, puisse notre esprit se sentir encouragé à suivre l'Évangile avec une générosité patiente et constante.

« Celui qui sert Dieu de tout son cœur est agréé et son appel parvient jusqu'aux nuées » (Si 35, 16). Telle est la grande leçon que ces frères nous offrent : honorer, aimer et servir Dieu à travers toute sa propre vie, conscients que « tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé » (Lc 18, 14).

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Que Dieu accorde à tous avec générosité les trésors de sa miséricorde : Lui, qui « écoute l'appel de l'opprimé » (Si 35, 13) ; qui « est proche des cœurs brisés » (Ps 33, 19), qui sauve les pauvres « de toutes leurs angoisses » (Ps 33, 18), qui donne satisfaction aux justes et rétablit l'équité (cf. Si 35, 18).

Que la Vierge Marie, Reine de tous les saints, obtienne pour nous et pour chaque croyant le don de l'humilité et de la fidélité, afin que notre prière soit toujours authentique et agréable au Seigneur.

Amen.

10 novembre 1998

Dans la matinée du mardi 10 novembre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre une Messe en mémoire des cardinaux et évêques défunts au cours de l'année écoulée : depuis le mois d'octobre 1997, 10 cardinaux et 117 évêques et archevêques sont disparus. Vingt-quatre Cardinaux concélébraient avec le Saint-Père, parmi lesquels le Card. Bernardin Gantin, Doyen du Collège cardinalice ; le Card. Joseph Ratzinger, Vice-doyen du Collège cardinalice et Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et le Card. Angelo Sodano, Secrétaire d'État. Ont participé à la Sainte Messe : LL.EE. MM. les Cardinaux Giuseppe Caprio, Giuseppe Casoria, Egano Righi-Lambertini et Dino Monduzzi ; vingt-deux archévêques et évêques, parmi lesquels S.Exc. Mgr Giovanni Battista Re, Substitut de la Secrétairerie d'Etat et S.Exc. Mgr Jean-Louis Tauran, Secrétaire de la Section pour les Relations avec les États. Étaient également présents Mgr Pedro López Quintana, Assesseur pour les Affaires générales ; Mgr Celestino Migliore, Sous-Secrétaire pour les Relations avec les États ; Mgr Tommaso Caputo, chef du Protocole ; ainsi que des membres du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux » (Ph 3, 20).

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Les paroles de l'Apôtre Paul nous invitent à élever nos esprits et nos cœurs vers le Ciel, la véritable patrie des fils de Dieu. C'est vers elle que nous ont orienté, au cours de ces derniers jours, les célébrations liturgiques de la solennité de la Toussaint et de la commémoration de tous les fidèles défunts. C'est dans ce climat spirituel que nous nous retrouvons dans la Basilique Saint-Pierre, pour offrir le sacrifice eucharistique en mémoire des cardinaux et évêques défunts, qui ont quitté ce monde pour atteindre la patrie céleste au cours de l'année écoulée.

J'ai à cœur de rappeler en particulier, en ce moment, les vénérés Cardinaux qui nous ont quitté : Laurean Rugambwa, Eduardo Francisco Pironio, Antonio Quarracino, Jean Balland, Antonio Ribeiro, Alberto Bovone, John Joseph Carberry, Agostino Casaroli, Anastasio Ballestrero et Alois Grillmeier.

Les paroles du Psalmiste : « J'espère, Yahvé, elle espère, mon âme en ta parole » (Ps 130 [129], 5) leur conviennent, comme aux défunts archevêques et évêques. Nos frères ont été comme les « veilleurs » de l'Église, veillant jour et nuit sur le troupeau du Christ. Leur action apostolique était fondée sur la foi, et leur vigilance attentive fixait le regard bien au-delà des frontières terrestres, car leur âme a attendu le Seigneur plus que les veilleurs l'aurore (cf. Ps 130 [129], 5).

2. Tandis que touche à sa fin l'année que, en préparation au grand Jubilé, j'ai voulu consacrer de façon particulière à l'Esprit Saint, nous avons écouté le célèbre oracle du prophète Ézéchiel dans lequel, avec une extraordinaire force d'expression, l'Esprit de Dieu apparaît comme le protagoniste de la résurrection du peuple d'Israël, rendu inerte et presque sans vie à cause de la méfiance. Le prophète est invité par Dieu à adresser sa parole non seulement aux ossements desséchés. métaphore de la « maison d'Israël » (Ez 37, 11). mais bien à l'Esprit lui-même, à travers une épiclèse singulière et audacieuse : « Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils vivent » (Ez 37, 9).

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Combien de fois nos Frères, que nous commémorons aujourd'hui, ont invoqué le divin Paraclet dans leur vie et dans l'exercice de leur ministère : Veni Sancte Spiritus, Veni creator Spiritus ! Combien de fois ont-ils « prophétisé l'Esprit », afin qu'il diffuse la grâce vivifiante dans le Peuple de Dieu ! Du reste, n'est-ce pas la mission du ministre ordonné et, dans une pleine mesure, celle de l'Évêque, presque une grande épiclèse, qui atteint son sommet dans la célébration des Sacrements, en particulier de l'Eucharistie, de la Confirmation et de l'Ordre ?

A l'image du Christ, chaque Pasteur dans l'Église est appelé à devenir un instrument actif de l'action de l'Esprit Saint, qui procède du Père pour illuminer, réconforter, guérir, ressusciter.

Confions à l'Esprit Créateur ces fidèles ministres, afin qu'il diffuse en eux la plénitude de la vie dans la rencontre avec le Christ au Paradis.

3. Nous avons écouté à nouveau dans l'Évangile le récit de la mort du Christ, selon la rédaction de l'évangéliste Jean. Cette impressionnante page évangélique nous permet de nous immerger à travers la méditation dans la profondeur de Dieu, que seul le Verbe incarné empli de grâce et de vérité, a pu dévoiler. Lorsque nous contemplons l'icône johannique de la crucifixion et que nous nous arrêtons sur cette dernière parole : « Il remit l'esprit » (Jn 19, 30), nous comprenons, à la lumière de la foi, que c'est précisément là, dans le don suprême du Fils de Dieu, que le Père a diffusé en plénitude l'Esprit Saint sur le monde.

Le Bon Pasteur, venu pour que les hommes « aient la vie et l'aient en abondance » (Jn 10, 10), porte à terme sa mission au moment où, cloué sur la croix, désormais impuissant à accomplir un geste quelconque, sinon le don suprême de lui-même, « il remit l'esprit », et, à travers cet acte suprême, il diffusa l'Esprit Saint, pour le salut du monde.

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Telle est la voie pour chaque chrétien, et même pour chaque homme : se réaliser à travers le don de soi. Mais cela représente de façon particulière la voie pour ceux qu'un don spécial de grâce dans l'Église a configurés au Christ, Bon Pasteur, qui « donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). Et, de même que le Christ, après avoir connu l'extrême faiblesse, a été ressuscité dans son corps par la puissance de l'Esprit Saint, ainsi, le même Esprit ressuscitera à la vie nouvelle et éternelle tous ceux qui ont consacré avec générosité leur existence pour l'Évangile.

4. « Voici ta mère » (Jn 19, 27a).

A travers ces dernières paroles, prononcées par Jésus sur la croix, adressées à l'Apôtre Jean, nous voulons conclure notre méditation. Les vénérés frères cardinaux et évêques, que nous confions aujourd'hui à la bonté divine, « ont accueilli Marie chez eux » (cf. Jn 19, 27b). Prions afin qu'Elle, Mater misericordiae, les accueille, avec tous les saints, dans la maison du Père.

Amen.

22 novembre 1998

Dans la matinée du dimanche 22 novembre 1998, solennité du Christ-Roi de l'Univers, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre la célébration eucharistique d'ouverture de l'Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l'Océanie. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

[en italien]

1. « Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs ». Telle était l'inscription qu'ils avaient placée sur la croix. Peu avant la mort de Jésus, l'un des deux condamnés crucifiés avec Jésus, lui dit : « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume » (Lc 23-42). Quel royaume ? L'objet de sa requête n'était certainement pas un royaume terrestre, mais un autre royaume.

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Le bon larron parlait comme s'il avait entendu l'entretien qui avait eu lieu précédemment entre Pilate et le Christ. C'était, en effet, devant Pilate que Jésus avait été accusé de vouloir se faire roi. Pilate l'avait interrogé à ce propos : « Tu es le roi des Juifs ? » (Jn 18, 33). Le Christ n'avait pas nié, mais avait expliqué : « Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici » (Jn 18, 36). A la question de Pilate, qui lui avait demandé une nouvelle fois s'il était roi, Jésus avait répondu directement : « Tu le dis : je suis roi. Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de ma vérité écoute ma voix » (Jn 18, 37).

[en anglais]

2. Aujourd'hui, la liturgie parle du royaume terrestre d'Israël en rappelant l'onction de David comme roi. Oui, Dieu avait choisi Israël ; il y avait envoyé non seulement des prophètes, mais aussi des rois, lorsque le Peuple élu insistait pour avoir des souverains terrestres. De tous les rois qui prirent place sur le trône d'Israël, David était le plus grand. Lorsque la première lecture de cette célébration parle de ce royaume, elle le fait pour rappeler que Jésus de Nazareth descendait de la lignée du Roi David, mais également et surtout, pour souligner que la royauté propre au Christ est d'un autre type. Les paroles que Marie entendit lors de l'Annonciation sont significatives : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin » (Lc 1, 32-33). C'est le royaume du Christ, qui ne connaîtra jamais de fin, le Royaume éternel, le Royaume de vérité, d'amour et de vie éternelle.

Le bon larron crucifié avec Jésus pénétra en quelque sorte au cœur de cette vérité. En effet, il devint en un certain sens un prophète de ce Royaume éternel lorsque, suspendu à la croix, il dit : « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume » (Lc 23,

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42). Jésus dit en réponse : « ...Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43).

3. C'est ce Royaume, qui n'est pas de ce monde, que Jésus nous invite à contempler, lorsqu'il nous enseigne à prier : « Que ton règne vienne ». Obéissant à son commandement, les Apôtres, les disciples et les missionnaires de toutes les époques ont fait de leur mieux pour étendre, à travers l'évangélisation, les frontières de ce Royaume. Car c'est à la fois le don du Père (cf. Lc 12, 32) et le résultat de la réponse personnelle de l'homme. Dans la « nouvelle création », nous ne pourrons entrer dans le Royaume du Père que si nous avons suivi le Seigneur lors de notre pèlerinage terrestre (cf. Mt 19, 28). Tel est donc le programme de tout chrétien : suivre le Seigneur, le Chemin, la Vérité et la Vie, afin de posséder le Royaume qu'il nous a promis et donné. Aujourd'hui, au cours de cette concélébration eucharistique solennelle, nous inaugurons l'Assemblée spéciale pour l'Océanie du Synode des Évêques, qui a pour thème : « Jésus-Christ et les peuples d'Océanie : Suivre son Chemin, proclamer sa Vérité, vivre sa Vie ».

Je vous souhaite la bienvenue, vénérables et chers Frères dans l'épiscopat, qui êtes responsables du soin pastoral des Églises particulières du continent de l'Océanie. Avec vous, je salue tous ceux qui prendront part aux travaux du Synode et tous ceux qui ont participé à sa préparation. J'aimerais également saluer cordialement les communautés chrétiennes et les peuples d'Océanie qui sont unis spirituellement avec nous en ce moment.

« Jésus,. le. Verbe. Incarné,. a. été envoyé par le Père dans le monde pour le sauver,. pour. proclamer. et établir. le Royaume de Dieu [...] En le ressuscitant, le Père a fait de lui, pleinement et pour toujours, le Chemin, la Vérité et la Vie, pour tous ceux qui croient » (Instrumentum laboris, 5). Cette large portion de l'Église, qui s'étend sur les immenses espaces de l'Océanie, connaît le Chemin et sait que là-bas, elle trouvera la Vérité et la Vie : le chemin de l'Évangile, le chemin indiqu é par les saints et les martyrs qui ont donné leur vie pour l'Évangile (cf. Instrumentum laboris, n. 4).

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[en français]

4. Tandis que l’Église universelle se prépare à franchir le seuil du troisième millénaire de l’ère chrétienne, les pasteurs de l’Océanie sont rassemblés dans la communion, unis au Successeur de Pierre, pour chercher à donner un nouvel élan à la sollicitude pastorale qui les pousse à annoncer la royauté du Christ dans la diversité des cultures et des traditions humaines, sociales et religieuses, et dans l’admirable multiplicité de leurs peuples.

Dans la deuxième lecture, l’apôtre Paul explique en quoi consiste le royaume dont parle Jésus. Il écrit aux Colossiens : il faut rendre grâce à Dieu qui « nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé, par qui nous sommes rachetés et par qui nos péchés sont pardonnés » (1, 13-14). C’est précisément cette rémission des péchés qui est devenue l’héritage du bon larron au Calvaire. Il fut le premier à faire l’expérience du fait que le Christ est roi, parce qu’il est Rédempteur.

Ensuite, l’Apôtre explique ce qu’est la royauté du Christ : « Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, car c’est en Lui que tout fut créé, dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles. Tout est créé par Lui et pour Lui. Il est avant tous les êtres et tout subsiste en Lui » (Col 1, 15-17). Le Christ est donc Roi avant tout comme premier-né de toute créature.

Le texte paulinien poursuit : « Il est aussi la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, puisqu’il devait avoir en tout la primauté. Car Dieu a voulu que, dans le Christ, toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par Lui et pour Lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Ibid. 1, 18-20). Par ces paroles, l’Apôtre confirme à nouveau et justifie ce qu’il avait révélé sur l’essence de la royauté du Christ : le Christ est Roi comme premier-né d’entre les morts. En d’autres termes, comme Rédempteur du monde, le Christ crucifié et ressuscité est le Roi de l’humanité nouvelle.

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[en italien]

5. « Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume » (Lc 23, 42).

Sur le Calvaire, Jésus eut un compagnon de passion plutôt singulier, un voleur. Pour ce malheureux, le chemin de la croix devint, infailliblement, le chemin du paradis (cf. Lc 23, 43), le chemin de la vérité et de la vie, le chemin du royaume. Aujourd'hui, nous le rappelons comme le « bon larron ». En cette circonstance solennelle, au cours de laquelle nous nous réunissons autour de l'autel du Christ pour inaugurer un synode, qui a devant soi tout un continent avec ses problèmes et avec ses espérances, nous pouvons faire nôtre la prière du « bon larron » :

« Jésus, souviens-toi de nous, souviens-toi des peuples, auxquels les pasteurs réunis ici donnèrent chaque jour le pain vivant et véritable de ton Évangile à travers les espaces infinis, sur mer et sur terre. Tandis que nous prions pour que ton règne vienne, nous nous rendons compte que ta promesse deviendra réalité : après t'avoir suivi, nous venons à Toi, dans ton royaume, attirés par Toi, élevé sur la croix (cf. Jn 12, 32) ; à Toi, élevé dans l'histoire et au centre de celle-ci, alpha et oméga, principe et fin (cf. Ap 22, 13), Seigneur du temps et des siècles !

Nous nous tournons vers Toi avec les paroles d'un ancien hymne :

C'est par ta mort douloureuse,.Roi de gloire éternelle,

que tu as obtenu pour les peuples la vie éternelle,

c'est pourquoi le monde entier t'appelle Roi des hommes.

Règne sur nous, Seigneur Jésus-Christ ! ».

Amen.

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29 novembre 1998

Dans la matinée du dimanche 29 novembre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique dans la Basilique Saint-Pierre, à l'occasion du premier Dimanche de l'Avent, et du début de la troisième année de préparation immédiate au grand Jubilé, consacrée au Père. Sur le seuil de la basilique vaticane devant la Porte Sainte a été lue la Bulle d'indiction du grand Jubilé de l'An 2000. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé. l'homélie suivante :

1. « Allons avec joie à la rencontre du Seigneur » (refrain Psaume resp.).

Ce. sont. les. paroles. du. Psaume responsorial qui accompagne la liturgie d'aujourd'hui, premier Dimanche de l'avent, temps liturgique qui renouvelle d'année en année l'attente de la venue du Christ. L'Avent a acquis, au cours des années que nous sommes en train de vivre dans la perspective du troisième millénaire, une dimension nouvelle et particulière. Tertio millennio adveniente : 1998, qui touche à son terme, et la prochaine année 1999, nous placent au seuil d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire.

C'est « sur le seuil » également qu'a débuté notre célébration d'aujourd'hui : sur le seuil de la basilique vaticane, devant la Porte Sainte, avec la remise et la lecture de la Bulle d'indiction du grand Jubilé de l'An 2000.

« Allons avec joie à la rencontre du Seigneur » est un refrain qui s'adapte parfaitement. au. Jubilé.. C'est,.. pour ainsi dire, un « refrain jubilaire », selon l'étymologie de la parole latine iubilare, qui contient une référence à la joie. Allons donc, avec joie ! Marchons, heureux et vigilants, dans l'attente du temps qui rappelle la venue de Dieu incarné. dans. la. chair. humaine,. un temps. qui. atteignit. sa. plénitude lorsque le Christ naquit dans l'étable de Bethléem. Le temps de l'attente s'accomplit alors.

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En vivant l'Avent, nous attendons un événement qui se situe dans l'histoire et qui, en même temps, la transcende. Comme chaque année, il aura lieu au cours de la nuit du Noël du Seigneur. Dans l'étable de Bethléem, les pasteurs accourront ; plus tard viendront les Rois Mages d'Orient. Les uns et les autres symbolisent, dans un certain sens, toute la famille humaine. L'exhortation qui retentit dans la Liturgie d'aujourd'hui : « Allons avec joie à la rencontre du Seigneur » se diffuse dans tous les pays, sur tous les continents, au sein de chaque peuple et nation. La voix de la liturgie, c'est-à-dire la voix de l'Église, retentit partout et nous invite tous au grand Jubilé.

2. Ces trois dernières années qui précèdent l'An 2000 constituent un temps d'attente très intense, orienté vers la méditation sur la signification de l'événement spirituel imminent et sur sa préparation nécessaire. Le contenu de cette préparation est modelé sur la formule trinitaire, qui se répète au terme de chaque prière liturgique. Nous allons donc avec joie vers le Père, sur la voie qui est Notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec Lui dans l'unité du Saint-Esprit.

C'est pourquoi, la première année a été consacrée au Fils, la seconde à l'Esprit Saint et celle qui commence aujourd'hui. la dernière année avant le grand Jubilé. sera l'année du Père. Invités par le Père, nous allons vers Lui à travers le Fils, dans l'Esprit Saint. Ces trois ans de préparation immédiate au nouveau millénaire, en raison de leur caractère trinitaire, nous parlent non seulement de Dieu en lui-même, comme mystère ineffable de vie et de sainteté, mais également de Dieu qui vient à notre rencontre.

3. C'est pourquoi le refrain « Allons avec joie à la rencontre du Seigneur » résonne de façon si approprié. Nous pouvons rencontrer Dieu, car Il est venu à notre rencontre. Il l'a fait, comme le Père de la parabole du fils prodigue (cf. Lc 15, 11-32), car il est riche de miséricorde ; dives in misericordia, et il désire nous rencontrer, quel que soit l'endroit d'où nous venons et celui où nous conduit notre chemin. Dieu vient à notre rencontre, que nous l'ayons cherché, que

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nous l'ayons ignoré, ou bien même que nous l'ayons évité. Il vient à notre rencontre le premier, avec les bras ouverts comme un père amoureux et miséricordieux.

Si Dieu se déplace pour venir à notre rencontre, pouvons-nous lui tourner le dos ? Mais nous ne pouvons pas aller seuls à la rencontre du Père. Ceux qui font partie de la « famille de Dieu » doivent nous accompagner. Pour nous préparer de façon appropriée au Jubilé, nous devons nous disposer à accueillir chaque personne. Tous sont nos frères et sœurs, car ils sont les fils du même Père céleste.

C'est dans cette perspective que nous pouvons lire l'histoire bimillénaire de l'Église. Il est réconfortant de constater que l'Église connaît actuellement, en ce passage du second au troisième millénaire, une impulsion missionnaire renouvelée. C'est ce qui ressort des Synodes continentaux célébrés ces dernières années, y compris de celui pour l'Australie et l'Océanie, actuellement en cours. C'est également ce qui apparaît des informations qui parviennent au Comité du grand Jubilé, à propos des initiatives mises en place par les Églises locales en préparation à cet événement historique.

Je voudrais saluer en particulier le Cardinal-Président du Comité, le Secrétaire général et leurs collaborateurs. Mon salut s'étend également aux cardinaux, aux évêques et aux prêtres ici présents, ainsi qu'à vous tous, chers frères et sœurs, qui prenez part à cette liturgie solennelle. J'adresse une pensée particulière au clergé, aux religieux, aux religieuses et aux laïcs engagés de Rome, qui, avec le Cardinal-Vicaire et les Évêques auxiliaires, sont ici ce matin pour inaugurer la dernière phase de la Mission dans la ville, celle qui s'adresse à tous les milieux de la société.

Il s'agit d'une phase importante, au cours de laquelle tout le diocèse sera engagé dans une vaste œuvre d'évangélisation dans chaque milieu de vie et de travail. Au terme de la Messe, je remettrai aux missionnaires la Croix de la Mission. Il est nécessaire que le Christ soit annoncé et témoigné en chaque lieu et dans chaque

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situation. J'invite chacun à soutenir cette grande entreprise à travers la prière. En particulier, je compte sur la collaboration des religieuses de clôture, des malades, des personnes âgées qui, bien que ne pouvant pas participer directement à cette initiative apostolique, peuvent apporter une grande contribution, à travers la prière et l'offrande de leurs souffrances, pour disposer les cœurs à l'accueil de l'annonce évangélique.

Que Marie, que le temps de l'Avent nous exhorte à contempler dans une attente active du Rédempteur, vous aide tous à être de généreux apôtres de son Fils Jésus.

4. Dans l'Évangile d'aujourd'hui, nous avons entendu l'invitation du Seigneur à la vigilance : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître ». Et immédiatement après : « Tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que. vous. ne. pensez. pas. que. le. Fils de l'homme va venir » (Mt 24, 42-44). L'exhortation à veiller retentit de nombreuses fois dans la liturgie, en particulier au cours de l'Avent, temps de préparation non seulement à Noël, mais également à la venue définitive et glorieuse du Christ à la fin des temps. Il possède donc une signification nettement eschatologique et invite le croyant à passer chaque jour, chaque moment en présence de Celui « qui est, qui était et qui vient » (cf. Ap 1, 4), à qui appartient l'avenir du monde et de l'homme. Telle est l'espérance chrétienne ! Sans cette perspective, notre existence se limiterait à vivre dans l'attente de la mort.

Le Christ est notre Rédempteur : Redemptor mundi et Redemptor hominis, Rédempteur du monde et de l'homme. Il est venu parmi nous pour nous aider à franchir le seuil qui conduit à la porte de la vie, la « porte sainte » qu'Il est Lui-même.

5. Que cette vérité réconfortante soit toujours présente à notre esprit, alors que nous marchons en pèlerinage vers le grand Jubilé. Elle constitue la vérité ultime de la joie à laquelle nous invite la liturgie d'aujourd'hui : « Allons avec joie à la rencontre du

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Seigneur ». En croyant dans le Christ crucifié et ressuscité, nous croyons dans la résurrection de la chair et dans la vie éternelle.

Tertio. millennio. adveniente.. Dans cette perspective, les années, les siècles et les millénaires acquièrent le sens définitif de l'existence que le Jubilé de l'An 2000 veut nous révéler.

En nous tournant vers le Christ, nous faisons nôtres les paroles d'un vieux chant populaire polonais :

« Le salut est venu à travers la croix,

c'est un grand mystère.

Chaque souffrance possède un sens :

elle conduit à la plénitude de vie ».

Le cœur empli de cette foi, qui est la foi de l'Église, j'inaugure aujourd'hui, en tant qu'Évêque de Rome, la troisième année de préparation au grand Jubilé. Je l'inaugure au nom du Père céleste, qui a « tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui [...] ait la vie éternelle » (Jn 3, 16).

Loué soit Jésus-Christ !

08 décembre 1998

Dans la matinée du 8 décembre 1998, solennité de l'Immaculée Conception, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la basilique Saint-Pierre une célébration eucharistique à laquelle participaient les membres de la Xe Assemblée nationale de l'Action catholique italienne. Au cours de la cérémonie, célébrée en l'honneur de l'Immaculée Conception, le Saint-Père. a. prononcé. l'homélie. suivante :

1. « Béni soit le Dieu et Père de notre. Seigneur. Jésus-Christ. [...]. C'est ainsi qu'Il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence » (Ep 1, 3-4).

Le sens de la solennité d'aujourd'hui

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La liturgie d'aujourd'hui, nous introduit dans la dimension de ce qui était « avant la création du monde ». D'autres textes du Nouveau Testament font référence à cet « avant », parmi lesquels l'admirable Prologue de l'Évangile de Jean. Avant la création, le Père éternel élit l'homme « en » Christ, son Fils éternel. C'est une élection qui est le fruit de l'amour et qui exprime l'amour.

Par l'œuvre du Fils éternel fait Homme, l'ordre de la création a été relié pour toujours à celui de la rédemption, c'est-à-dire de la grâce. Tel est le sens de la solennité d'aujourd'hui, qui, de façon significative, est célébrée au cours de l'Avent, le temps liturgique durant lequel l'Église se prépare à commémorer la venue du Messie à Noël.

La solennité de l'Immaculée Conception sur le chemin vers le grand Jubilé de l'An 2000

2. « La. création. tout. entière. se. réjouit, et Celui qui tient le Ciel dans sa main n'est pas non plus étranger à la fête. Les événements d'aujourd'hui sont une véritable solennité. Tous se réunissent en un unique sentiment de joie, tous sont envahis par un unique sentiment de beauté : le Créateur, toutes les créatures, la Mère elle-même du Créateur, qui l'a fait participer à notre nature, à nos assemblées, à nos fêtes » (Nicolas Cabasilas, Homélie II sur l'Annonciation, in La Madre di Dio, Abbaye de Praglia, 1997, p. 99).

Ce texte d'un antique auteur oriental s'adapte bien à la fête d'aujourd'hui. Sur le chemin vers le grand Jubilé de l'An 2000, temps de réconciliation et de joie, la solennité de l'Immaculée Conception marque une étape riche d'orientations importantes pour notre vie.

Le salut de l'Ange place Marie au cœur du mystère du Christ

Comme nous l'avons entendu dans l'Évangile de saint Luc, le messager divin dit à la Vierge : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28). Le salut de l'Ange place Marie au cœur du mystère du Christ : en elle, « comblée de grâce »,

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s'accomplit en effet l'incarnation du Fils éternel, don de Dieu pour toute l'humanité (cf. Lettre enc. Redemptoris Mater, n. 8).

Dans la venue du Fils de Dieu, tous les hommes sont bénis ; le malin tentateur est vaincu pour toujours et sa tête est écrasée, afin que personne ne puisse être tristement associé à cette malédiction, que les paroles du Livre de la Genèse viennent de nous rappeler (Gn 3, 14). Dans le Christ, écrit l'Apôtre Paul aux Éphésiens, le Père céleste nous remplit de chaque bénédiction spirituelle, il nous choisit pour une sainteté vraie, il fait de nous ses fils adoptifs (cf. Ep 1, 3-5). En Lui, nous devenons signes de la sainteté, de l'amour et de la gloire de Dieu sur la terre.

L'Action catholique italienne a choisi Marie Immaculée comme reine et patronne

3. C'est pourquoi, l'Action catholique italienne a choisi Marie Immaculée comme reine et patronne spéciale dans ses itinéraires de formation pour l'engagement missionnaire. C'est pourquoi, très chers frères et sœurs, vous êtes ici aujourd'hui, auprès du Siège de Pierre, pour participer à votre dixième Assemblée nationale. Cent trente ans se sont écoulés depuis votre fondation, et vous commémorez cette année les trente ans du nouveau Statut, qui traduit, en termes concrets, la doctrine du Concile Vatican II sur le laïcat et sur la mission dans l'Église.

Je salue cordialement l'Assistant général, Mgr Agostino Superbo, et le Président national, M. Giuspeppe Gervasio, et je les remercie pour les paroles qu'ils m'ont adressées. Je salue mes vénérés frères cardinaux et évêques, ainsi que les nombreux assistants diocésains présents à cette célébration. Je vous salue tous, vous qui représentez un grand nombre des membres de l'Action catholique présents dans chaque diocèse d'Italie.

Renouveler l'engagement d'une spiritualité chrétienne authentique

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4. Très chers frères et sœurs ! Votre mission, au seuil du troisième millénaire, devient encore plus urgente dans la perspective de la nouvelle évangélisation. Vous êtes appelés à favoriser, grâce à votre action quotidienne, une rencontre entre l'Évangile et la culture toujours plus féconde, comme le demande le projet culturel orienté dans une optique chrétienne.

Pour les Églises qui sont en Italie, comme je l'ai déjà rappelé au Congrès ecclésial de Palerme, il s'agit de renouveler l'engagement d'une spiritualité chrétienne authentique, afin que chaque baptisé puisse devenir un collaborateur de l'Esprit Saint, « agent principal de la nouvelle évangélisation » (n. 2).

De claires orientations

Dans ce contexte, votre œuvre de membres de l'Action catholique doit se réaliser en suivant plusieurs directions claires, que je voudrais rappeler ici : la formation d'un laïcat adulte dans la foi ; le développement et la diffusion d'une conscience chrétienne mûre, qui oriente les choix de vie des personnes ; l'animation de la société civile et des cultures, en collaboration avec ceux qui se placent au service de la personne humaine.

Pour procéder selon ces orientations, l'Action catholique doit confirmer sa caractéristique d'association ecclésiale, c'est-à-dire au service de la croissance de la communauté chrétienne, en lien étroit avec les ministères ordonnés. Ce service demande une Action catholique vivante, attentive, disponible, pour contribuer de façon efficace à ouvrir la pastorale ordinaire à l'engagement missionnaire, à l'annonce, à la rencontre et au dialogue avec ceux, même baptisés, qui ne vivent que partiellement leur appartenance à l'Église ou manifestent des attitudes d'indifférence, d'éloignement, et parfois même, d'aversion.

La rencontre entre l'Évangile et la culture possède, en effet, une dimension missionnaire intrinsèque et celle-ci exige. dans le contexte culturel actuel et dans la vie quotidienne. le témoignage et le service

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fidèle des laïcs, non seulement en tant qu'individus, mais également en tant qu'associés, au service de l'évangélisation. Individus et associations, précisément en vertu du caractère séculier qui les caractérise, sont appelés à parcourir la voie du partage et du dialogue, à travers laquelle passent quotidiennement l'annonce de la Parole et la croissance dans la foi.

Le service spécifique de l'Action catholique pour le renouvellement de la société italienne

5. La rencontre renouvelée entre l'Évangile et les cultures est également le terrain sur lequel l'Action catholique, en tant qu'association ecclésiale de laïcs, peut développer un service spécifique et significatif pour le renouveau de la société italienne, de ses coutumes et de ses institutions : elle représente l'animation chrétienne du tissu social, de la vie civile et de la dynamique économique et politique.

Les questions fondamentales pour l'avenir du pays

Votre riche histoire révèle que l'animation chrétienne est particulièrement nécessaire dans des circonstances comme celles actuelles, dans lesquelles l'Italie est appelée à affronter des questions fondamentales pour l'avenir du pays et de sa civilisation millénaire. Il est urgent de rechercher des stratégies efficaces et de mettre en œuvre des solutions concrètes, en ayant toujours à l'esprit le bien commun et la dignité inaliénable de la personne. Parmi les problèmes importants qui requièrent votre engagement, il faut rappeler l'accueil et le respect sacré de la vie, la protection de la famille, la défense des garanties de liberté et d'équité dans la formation et dans l'éducation des nouvelles générations, la reconnaissance effective du droit au travail.

Votre mission au seuil du troisième millénaire

6. Chers frères et sœurs, voici quelle est votre mission, au seuil du troisième millénaire : agir afin que ne manque jamais en Italie la lumière splendide de l'Évangile, que vous devez annoncer avec

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franchise et vivre avec cohérence. Ce n'est qu'ainsi que vous serez des témoins crédibles de l'espérance chrétienne et que vous pourrez la diffuser pour tous.

Que Marie, la « comblée de grâce » vous protège, Celle que nous contemplons aujourd'hui resplendissante dans sa gloire et dans la sainteté de Dieu.

12 décembre 1998

Dans la matinée du samedi 12 décembre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre une célébration eucharistique solennelle en conclusion de l'Assemblée spéciale pour l'Océanie du Synode des Évêques. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « L’amour du Christ nous presse » : Caritas Christi urget nos (2 Co 5, 14). Ces paroles de l’Apôtre Paul guident notre méditation au cours de cette célébration eucharistique, qui conclut les travaux de l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Australie et l’Océanie.

Au début de l’évangélisation, l’amour du Christ anima les apôtres dans chaque partie du monde. Il anima d’une manière particulière saint Paul, appelé l’Apôtre des Nations, car après sa conversion, il apporta l'Évangile du Christ dans de nombreux pays alors connus. Son itinéraire fut l’itinéraire méditerranéen de l’évangélisation : de Jérusalem à Rome, en passant par la Grèce, et jusqu’à l'Espagne.

Par la suite, d’autres voies se sont ouvertes, étendant les dimensions de la prédication chrétienne au fur et à mesure que ceux qui annonçaient l’Évangile entraient en contact avec des terres nouvelles. L’évangélisation a progressivement atteint l’Afrique du Nord et l’Europe au nord des Alpes, les populations de l’empire romain, les populations germaniques, puis les populations slaves. Le baptême de la Rus' a marqué le début de l’évangélisation non seulement de l’Europe orientale, mais aussi, avec le temps, des

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grands territoires situés au-delà du Caucase. Les missionnaires de la première génération avaient déjà atteint l’Asie méridionale, et parmi eux saint Thomas, apôtre des Indes, selon une tradition très chère aux communautés chrétiennes de ce grand pays.

2. L’évangélisation de l’Australie et de l’Océanie s’est accomplie plus tard, quand les grands navigateurs ont atteint cette partie du monde la plus éloignée de l’Europe. Avec eux, les missionnaires sont arrivés dans ces pays, en apportant l’Évangile et en confirmant bien souvent sa vérité divine par leur martyre. Nous mentionnerons seulement,.parmi tant d’autres,.saint Pierre Chanel.

Nous avons eu l’occasion de revivre ces événements durant ces semaines de l’Assemblée spéciale pour l’Océanie du Synode des Évêques. Nous avons essayé de le faire ensemble, évêques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs. en gardant à l’esprit les paroles de saint Paul : caritas Christi urget nos. Le thème général qui nous a guidés était : « Jésus-Christ : Suivre son Chemin, Proclamer sa Vérité, Vivre sa Vie : un appel pour les Peuples d’Océanie ».

L’an 2000 se rapproche rapidement, et le grand événement de l’Année Sainte est devant nous. Bientôt, nous célébrerons le Jubilé marquant le deuxième millénaire de la naissance du Christ, qui rappelle aussi les débuts de l’Évangile et de l’Église. Avec la naissance de Jésus, le mystère trinitaire de Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, est entré dans l’histoire de l’homme afin de faire de l’humanité une nouvelle création en Jésus-Christ. C’est en Christ qu’est apparue au monde la grande loi d’amour proclamée dans la Liturgie d’aujourd’hui : la nouvelle loi des Béatitudes que nous venons d’entendre dans l’Évangile.

A l’approche de l’An 2000. tertio millennio adveniente. l’Église est devenue pèlerine, cheminant sur les routes du monde entier. Elle ressent un profond besoin de réflexion et d’une certaine manière le besoin de se redécouvrir le long de ces chemins où l’Évangile a marché et même « couru », en révélant l’Amour par le

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pouvoir de l’Esprit du Christ. Le long des chemins du passé, l’histoire du salut continue d’avancer.

3. Le Synode qui s’achève aujourd’hui, comme les précédentes Assemblées spéciales consacrées aux divers continents, répond précisément à ce but. « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (He 13, 8). En réaffirmant cela, nous voulons transmettre aux siècles à venir et aux générations suivantes le riche patrimoine de l’évangélisation de l’Océanie. Il est en effet nécessaire que ces populations participent pleinement à l’amour du Christ qui a poussé autrefois les hérauts de la Bonne Nouvelle sur toutes les routes du monde, où ils ont rencontré de nouvelles populations et de nouvelles nations, appelées elles aussi à être héritières du Royaume de Dieu.

Chers Pères Synodaux qui constituez cette Assemblée pour l’Australie et l’Océanie, je vous salue avec affection et je vous remercie pour le travail accompli et surtout pour le témoignage de communion que vous avez donné à moi-même comme à toute l’Église. Je remercie le Cardinal Schotte et ses collaborateurs du Secrétariat général du Synode des Évêques pour leur service des Églises particulières.

Vous êtes venus d’Australie, de Nouvelle Zélande, des Iles du Pacifique, de Papouasie-Nouvelle-Guinée et des Iles Salomon, apportant les richesses spirituelles de vos peuples et aussi les problèmes qu’ils rencontrent. En effet, comment ne pas mettre en évidence que même dans vos sociétés la religion subit des menaces et des tentatives d’isolement ? Comment ne pas souligner que parfois on voudrait la réduire à une expérience individuelle qui ne peut avoir aucune influence sur la vie sociale ? Vous avez parlé des conséquences de la colonisation et de l’immigration, des conditions dans lesquelles vivent les minorités ethniques, des problèmes de la foi des jeunes. Les défis de la modernité et de la sécularisation ont également été mis en lumière ; ils demandent sollicitude et charité pastorale en différents domaines : vocations, justice et paix, famille,

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communion ecclésiale, éducation catholique, vie sacramentelle, œcuménisme et dialogue interreligieux.

4. Tous, vous avez dialogué et vous avez fait l’unité autour du thème de fond : pour les peuples d’Océanie aussi, Jésus-Christ est le chemin à suivre, la vérité à proclamer, la vie à vivre. Dans le monde entier, la nouvelle évangélisation se donne ce programme qu’elle accomplit en collaboration généreuse avec l’Esprit Saint qui renouvelle la face de la terre (cf. Ps 103, 30).

Chères frères, en embrassant chacun de vous en signe de paix, je confie au Seigneur, Chemin, Vérité et Vie, les Églises qui sont en Océanie, et je m’adresse à elles avec les paroles du prophète Isaïe :

« Chantez à Yahvé un chant nouveau

que chantent sa louange, des extrémités de la terre,

ceux qui vont sur la mer, et tous ceux qui la peuplent,

les îles et ceux qui les habitent » (Is 42, 10).

Que Marie, Mère de l’Église, vous accompagne. Que l’amour du Christ vous anime et demeure toujours avec vous.

Amen.

15 décembre 1998

Dans l'après-midi du mardi 15 décembre 1998, le Pape Jean-Paul II a célébré dans la Basilique vaticane une Messe pour les recteurs, professeurs et étudiants des Universités romaines, en préparation à Noël. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père à cette occasion :

1. « Le Seigneur est proche de celui qui le cherche ».

Les paroles du Psaume responsorial rappellent le sens de l'Avent et soulignent le comportement que nous devons assumer pour vivre pleinement ce temps liturgique. Cette annonce est particulièrement importante pour ceux qui sont amenés par la foi et

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par l'engagement professionnel à faire de la recherche une dimension importante de leur vie.

Aujourd'hui, cette annonce est adressée de façon particulière à vous, illustres et chers représentants des Universités de Rome et d'Italie : Recteurs, professeurs et étudiants, qui êtes toujours plus nombreux à participer à ce traditionnel rendez-vous d'Avent en préparation au saint Noël. J'adresse à tous une cordiale bienvenue. Je salue le Ministre italien de l'Université et de la Recherche scientifique, ainsi que les autres autorités académiques ; je salue la délégation des directeurs administratifs intervenus pour la première fois à cette rencontre. Je remercie le Recteur magnifique et l'étudiante qui se sont faits les porte-paroles, dans un certain sens, de toute la communauté académique romaine et italienne.

2. Notre rencontre se situe dans le temps liturgique de l'Avent, qui offre des messages suggestifs et profonds. Face au Seigneur désormais proche. « Dominus prope ! » (Ph 4, 5). et au Roi auquel nous devons adoration. « regem venturum, Dominum, venite adoremus » (du Bréviaire romain). nous ne pouvons manquer de nous laisser interpeller par les grandes questions de la vie. Il s'agit de questions toujours actuelles, qui concernent l'origine et la fin de l'homme. Ce sont les questions que se posait le Concile Vatican II lui-même, dans la Constitution apostolique Gaudium et spes. Ces interrogations nous accompagnent constamment et on pourrait même dire qu'elles existent avec nous. Qui suis-je ? D'où viens-je et où vais-je ? Quel est le sens de mon existence et de mon identité de créature humaine ? Pourquoi cette éternelle « inquiétude », comme aimait à l'appeler saint Augustin, est-elle en moi ? Pour quelles raisons dois-je répondre constamment aux exigences de la morale, distinguer le bien du mal, accomplir le bien et éviter et vaincre le mal ? Ce sont des questions auxquelles personne ne peut échapper. La Sainte Écriture y offre des réponses exhaustives, à commencer par le Livre de la Genèse. Et ces réponses constituent, en quelque sorte, le contenu de l'Avent de l'Église, qui actualise le passé et nous projette dans l'avenir.

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« Le Seigneur est proche de celui qui le cherche », nous dit la liturgie d'aujourd'hui, nous ouvrant des perspectives fascinantes. « Proche » et « loin » sont en effet des catégories liées à la distance mesurable dans l'espace, à la distance mesurable en heures, années, siècles, millénaires. Le contexte de l'Avent nous invite toutefois à considérer avant tout la dimension spirituelle et profonde de cette distance, c'est-à-dire de sa référence à Dieu. Que signifie et comment est-il possible de percevoir la proximité ou l'éloignement de Dieu ? N'est-ce pas dans le « cœur agité » de l'homme que la dimension spirituelle de la distance et de la proximité trouve son révélateur le plus sensible et le plus adapté ?

3. Voilà, l'homme est tout cela : visibilité et mystère, proximité et éloignement de Dieu, possession fragile et recherche continue. Ce n'est qu'en saisissant ces intimes coordonnées de l'être humain que nous pouvons comprendre l'Avent comme un temps d'attente du Messie.

Qui est le Messie, Rédempteur du monde ? Pourquoi et en quoi consiste sa venue ? Une fois de plus, pour nous placer sur ce chemin, nous devons faire référence au Livre de la Genèse. Il nous révèle que c'est le péché et son entrée dans l'histoire qui sont la cause de la distance entre l'homme et Dieu, dont la fuite de nos ancêtres du Paradis terrestre est un symbole éloquent.

Dieu lui-même, par la suite, manifeste que l'éloignement de l'homme à cause du péché n'est pas irrévocable. Il exhorte même l'humanité à attendre le Messie, Celui qui viendra dans la puissance de l'Esprit Saint pour affronter le mal, et même le prince du mensonge. Le Livre de la Genèse annonce expressément que celui-ci est le Fils de la femme, et invite à l'attendre et se préparer à le recevoir dignement. En précisant et en étendant cette annonce, les livres successifs de l'Ancienne Alliance parlent du Messie qui naîtra au sein d'Israël, le peuple élu de Dieu parmi tous les peuples.

Au fur et à mesure que s'approche la « plénitude des temps » (Ga 4, 4), l'attente se réalise et l'on comprend toujours plus son sens

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et sa valeur. Avec Jean-Baptiste, cette annonce devient une question concrète, celle que les disciples du Précurseur adressent au Christ : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (cf Lc 7, 19). Cette même question lui sera posée plusieurs. fois ;. nous. savons. que la réponse du Christ a été la cause de sa mort et de sa crucifixion, mais nous pouvons dire indirectement que cette réponse a été la cause de sa résurrection, de la pleine manifestation de son identité messianique. Voilà ce que l'on appelle. l'histoire. du. salut.. De. cette façon admirable, la promesse faite à l'humanité après le péché originel sera accomplie.

4. Très chers frères et sœurs ! Le temps de l'Avent nous est donné pour que nous puissions, une fois de plus, faire nôtre le contenu de cette question : es-tu le messie ? Es-tu le Fils de Dieu ? Il ne s'agit pas simplement d'imiter les disciples de Jean-Baptiste ou de reproposer le passé ; il faut au contraire vivre intensément les interrogations et les espérances de nos jours.

L'expérience quotidienne et les événements de chaque époque démontrent que l'humanité, de même que chaque personne, sont en attente constante de cette réponse du Christ. Le Christ avance dans l'histoire, il vient vers nous comme l'accomplissement attendu de la vie des hommes. Lorsque sera comblé l'horizon caduque du temps et des réalités terrestres, parfois merveilleuses et attrayantes, ce n'est qu'en lui que nous trouverons la réponse définitive à la question sur l'avent du Messie qui fait vibrer l'esprit humain.

Pour vous aussi, chers jeunes étudiants, l'attente du Christ doit se traduire en une recherche quotidienne de la vérité, qui illumine les sentiers de la vie dans chacune de ses expressions. La vérité pousse également à la charité, témoignage authentique qui transforme l'existence de la personne et les structures mêmes de la société.

La révélation biblique souligne clairement le lien profond et intrinsèque qui existe entre la vérité et la charité, lorsqu'elle exhorte à « faire la vérité dans la charité... » (Ep 4, 15), et surtout lorsque

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Jésus, le révélateur du Père, affirme : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14, 16).

Le sommet de la connaissance de Dieu est atteint dans l'amour, cet amour qui illumine et transforme à travers la vérité du Christ le cœur de l'homme. L'homme a besoin d'amour, il a besoin de vérité, pour ne pas perdre le trésor fragile de la liberté.

5. Dans l'Université est présent un signe vivant de l'Évangile : il s'agit de la chapelle. Je remarque avec satisfaction que celles-ci se multiplient dans les divers centres universitaires de la Ville. A toutes et à chacune d'elle, je voudrais remettre ce soir la croix de la mission dans la Ville. Très chers amis, aimez les chapelles universitaires, apportez volontiers votre collaboration aux œuvres pastorales, nombreuses et importantes, qui sont promues peu à peu.

Je désire exprimer ici ma reconnaissance pour tous les professeurs qui consacrent leur temps et leurs énergies à la préparation du Jubilé des Professeurs universitaires et à ceux qui préparent activement la Journée mondiale de la Jeunesse de l'An 2000, après celle de Paris. Je suis heureux également, du développement des groupes culturels dans les diverses facultés, et je souhaite qu'ils se mettent au service de la Parole qui, semée dans les terrains de la recherche la plus ardue, les rend fertiles pour le bien de l'homme.

Je prie également pour que l'initiative des catéchèses à l'Université sur le Notre Père, que vous intensifiez en cette année de mission dans les différents milieux, aide chaque croyant à approfondir la conscience de l'appel à être un ferment de l'Évangile au sein du monde universitaire.

6. « Regem venturum, Dominum, venite adoremus » !

Le temps d'Avent, et en particulier la Neuvaine de Noël que nous commencerons demain, nous incite à tourner le regard vers le Seigneur qui vient. C'est précisément dans la certitude de son retour glorieux que notre attente et notre travail quotidien trouvent tout leur

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sens. En le regardant avec l'attitude intérieure de Marie, Vierge de l'écoute, notre engagement parfois complexe et difficile retrouve de la vigueur et notre recherche active devient féconde.

Le Seigneur est proche de celui qui le cherche ! nous répète la Liturgie en ces jours. Tournons notre regard vers lui et invoquons-le :

Viens,. Seigneur. Jésus !. Viens,. Rédempteur de l'homme ! Viens nous sauver !

Dominus prope : le Seigneur est proche de celui qui le cherche !

Venez et adorons-le !

Amen !

24 décembre 1998

Le 24 décembre 1998, le Pape Jean-Paul II a présidé la Messe de la nuit de Noël, en la basilique Saint-Pierre. Au cours de la célébration le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie : aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2, 10-11).

En cette Nuit sainte, la liturgie nous invite à célébrer dans la joie le grand événement de la naissance de Jésus à Bethléem. Comme nous l’avons entendu dans l’Évangile de Luc, il vient au jour. dans. une. famille.. pauvre.. en moyens matériels, mais riche en joie. Il naît dans une étable, car il n’y a pas de place pour lui à l’auberge (cf. Lc 2, 7). Il est déposé dans la mangeoire, car il n’y a pas de berceau pour lui. Il vient au monde dans l’abandon total, à l’insu de tous, et en même temps il est accueilli et reconnu d’abord par les bergers, qui reçoivent de l’ange l’annonce de sa naissance.

L’événement cache un mystère. C’est ce que révèlent les chœurs des messagers célestes, qui chantent la naissance de Jésus et proclament « gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre

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aux hommes, qu’il aime » (Lc 2, 14). Au cours des siècles, la louange se fait prière, montant du cœur des multitudes qui, dans la Nuit sainte, continuent à accueillir le Fils de Dieu.

2. Mysterium : événement et mystère. Un homme est né ; il est le Fils éternel du Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre. Le mystère de Dieu se révèle dans cet événement extraordinaire. Dans le Verbe qui se fait homme se manifeste la merveille du Dieu incarné. Le mystère éclaire l’événement de la naissance : un enfant est adoré par les bergers dans la grotte, à Bethléem. C’est « le Sauveur du monde », c’est « le Christ Seigneur » (cf. Lc 2, 11). Leurs yeux voient un nouveau-né enveloppé dans des langes et déposé dans une mangeoire et, dans ce « signe », grâce à la lumière intérieure de la foi, ils reconnaissent le Messie qu’avaient annoncé les prophètes.

3. Voici l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous, qui vient remplir de grâce la terre. Il vient au monde pour transformer la création. Il se fait homme parmi les hommes, afin que, en lui et par lui, tout être humain puisse se rénover profondément. Par sa naissance, il nous introduit tous dans la sphère de la divinité, offrant à quiconque s’ouvre dans la foi à l’accueil du don de sa personne la possibilité de participer à sa vie divine elle-même.

Voilà le sens du salut dont les bergers.. entendent.. parler.. la.. nuit.. de Bethléem : « Il vous est né un Sauveur » (Lc 2, 11). La venue du Christ parmi nous est le centre de l’histoire, qui prend dès lors une nouvelle dimension. En un certain sens, c’est Dieu lui-même qui écrit l’histoire en s’insérant en son milieu. L’événement de l’Incarnation se déploie au point d’embrasser toute l’étendue de l’histoire humaine, de la création à la parousie. Voilà pourquoi, dans la liturgie, toute la création chante en exprimant sa joie : les fleuves applaudissent, les arbres de la. forêt. exultent,. toutes. les. îles. se réjouissent (cf. Ps 98, 8 ; 96, 12 ; 97, 1).

Tout être créé sur la face de la terre accueille cette annonce. Dans le silence et la stupeur du monde entier retentit l’écho universel

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de ce que la liturgie met sur les lèvres de l’Église : Christus natus est nobis. Venite, adoremus !

4. Le Christ est né pour nous, venez l’adorer ! Je pense déjà au Noël de l’an prochain, où, s’il plaît à Dieu, j’inaugurerai le grand Jubilé par l’ouverture de la Porte sainte. Ce sera une grande Année sainte, en vérité, car elle célébrera d’une manière tout à fait particulière le bimillénaire de l’événement-mystère de l’Incarnation, grâce auquel l’humanité a atteint le sommet de sa vocation. Dieu s’est fait Homme pour rendre l’homme participant de sa divinité.

Voilà l’annonce du salut ; voilà le message du saint Noël ! L.Église le proclame aussi par ma bouche, en cette nuit, afin que les peuples et les nations de toute la terre l’entendent : Christus natus est nobis. Le Christ est né pour nous. Venite, adoremus ! Venez, adorons-le !

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