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Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1959 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 27 juil. 2020 15:18 Vie des arts Un cas de jeunesse ardente Louis Jaque Numéro 14, printemps 1959 URI : https://id.erudit.org/iderudit/26431ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (imprimé) 1923-3183 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Jaque, L. (1959). Un cas de jeunesse ardente. Vie des arts, (14), 13–17.

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Document généré le 27 juil. 2020 15:18

Vie des arts

Un cas de jeunesse ardenteLouis Jaque

Numéro 14, printemps 1959

URI : https://id.erudit.org/iderudit/26431ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)La Société La Vie des Arts

ISSN0042-5435 (imprimé)1923-3183 (numérique)

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Citer cet articleJaque, L. (1959). Un cas de jeunesse ardente. Vie des arts, (14), 13–17.

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Un cas de jeunesse ardente par

Louis JAQUE

EST au marché de Sparte que tout a commencé, à cinq milles du monastère de la Pantanassa aux fresques réputées et qui domine le village de Mistra parmi cent maisons de pierre, juste à flanc de colline. Le soleil de Grèce enflammait de couleurs les pompons de fleurs, les corbeilles de fruits et les chariots peints. Les marchands d'ex-voto bons-à-guérir-tous-malaises brandissaient des faisceaux de

rayons aveuglants, les filles et les enfants chantaient et puis, le moine à longue barbe tranchait sur les paniers de laines multicolores offertes aux brodeuses.

Sensible à ce spectacle, Micheline Beauchemin s'y abandonna et, sans doute remuée par cette ambiance forte de soleil, de belles matières et de couleurs librement étalées dans ce cadre unique de la simple joie de vivre, esquissa un petit goût volontaire vers cette expression que nous connaîtrons d'elle plus tard. En elle s'ajuste alors ces dons d'émerveillement et de fraîcheur familiers à ses oeuvres. ,

Puis la vue de broderies allemandes et espagnoles lui cause une forte impression tout autant que de vieux tapis crochetés normands du XVIe siècle.

Chartres aussi avec ses vitraux. Et Micheline se met à dessiner avec du temps, beaucoup de temps, de

petits dessins sur coin de feuille; mais elle se provoque, se cherche, se trouve et qui mieux s'exprime avec âme. Une âme d'enfant qui aime les locomotives, les mots en couleurs, Erik Satie et les Poètes: l'auteur d'Ubu Roi et Fidel Castro. Elle n'a pas la même notion du temps que le gérant de la Société Clous-Vis Inc., mais elle ne court non plus après rien. Penchée sur un immense bâti, elle a des idées crochetées et fait de la peinture avec des paillettes de cire.

Après cinq ans de Beaux-Arts, un voyage reforme la jeunesse de Micheline Beauchemin et tous comptes faits ne lui apprend rien d'autre que d'être elle-même; merveilleuse leçon ! Zadkine, Goerg lui enseignent sans laisser d'empreintes car elle est têtue et ne veut pas de recettes mais possède une excellente formule : l'inspiration par le travail.

Elle croît et montre au Palais de Chaillot, dans le cadre d'une exposition d'Art libre «Jour de fête» un très grand vitrail et une première tapisserie titrée «Adieu mon coeur»; quelques mois après à la Maison Canadienne «Mille-pattes» maintenant propriété de la Ville de Londres un tapis crocheté avec lequel Mlle Beauchemin démontre par l'ordonnance homogène

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AME-FLEUR Dialogue entre le graphisme accentué par les creux et les reliefs et un parti-pris de blancs dont la tonalité varie en raison des tissus. Ensemble animé d'une pureté d'inten­tion d'un raffinement certain. Emotion contenue qui nous repose des hurlements de cou­leurs des peintres à grimaces

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Personnages fabuleux dans un arc-en-ciel de fête. Gamme chromatique de jaunes, orangés, vermillons, carmins et bleus violacés; un graphisme le long duquel se cristal­lisent des valeurs vibrant différemment selon les tissus employés. Le tout dans une orchestration savante mais simple et particulièrement éloquente.

LE FANTÔME A VOILES Huile sur tissu 10" x 12" Une patience amusée faite de complai­sances, quelques petits secrets, une cer­taine inquiétude doivent bien se bala­der ici dans le bleu de nuit et les blancs luminescents. Formes presque sensi­tives dans l'ordre métaphysique; une volonté de lumière contre les ombres intrinsèques. Le dessin emprunte au métier et trahit l'amour des choses.

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ROUGE COQUILLARD

Maquette préparatoire. Le dessin dont a été imbue la matière de cette maquette est particulièrement éloquent et savoureusement exact du tempérament de l'artiste. Les lignes transmuées en formes de la plaquette à l'oeuvre achevée mais dans un graphisme similaire qui implique une pensée imma­nente sont ici les résultantes d'oeuvres antérieures rele­vées jusqu'au séjour en Grèce. Il est étonnant de franc-parler. Tapisserie 2'6" x 6'

Une densité de forêt canadienne dans les hautes laines de rouges multiples. L'artiste introduit ici la possibilité d'emploi d'un tapis crocheté vu des deux côtés identiques de surface. L'opulence de la matière évoque une pré­sence continue.

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de l'oeuvre une sérieuse compréhension du rôle que doit jouer la tapisserie murale tant au point de vue de la création qu'à celui du métier, les deux étant solidaires.

Micheline Beauchemin. créatrice et exécutante, orchestre bien compo­sitions, couleurs et matières avec une men eilleuse discipline élevant ainsi la tapisserie crochetée bien au-dessus du rôle simpliste de reproduction de tableau ou d'image. Précisons que Micheline a choisi ce médium moins comme valeur artisanale que comme moyen d'expression lui permettant de s'affirmer libre­ment; les contingences particulières au vitrail lui ayant fait abandonner celte aventure au profit d'une matière plus souple, plus versatile el plus adaptable à toutes fins.

Une certaine conception acquise du tapis crocheté dégénéré en bricole insignifiante s'évanouit devant les travaux hautement expressifs de cette jeune femme. Les feutres, cotons et satins côtoient les laines multicolores quelle teint du reste avec le plus grand soin; les reliefs et les creux accrochent la lumière si effectivement qu'une oeuvre en blancs : «Ame fleur» témoigne d'une réussite qui touche à la maîtrise.

Et quelle autodidacte. En présence de son exposition tenue récemment chez Denyse Delrue

nous sommes conquis sans appel petr le vrai, l'authentique de l'ensemble: beaucoup de fraîcheur, de lumière et soudain de gravité: du sérieux de jeunesse à profusion, un graphisme d'équilibres, une joie tranquille sans recherches savantes enrobées de péroraisons laborieuses: une oeuvre intime au langage direct, couleurs et tonalités chromatiques servant les reliefs, accentuant les creux sans vides: langage presqu indiscret sans avoir l'air d'y toucher, sans avoir rien d'un maître à une élève : une porte simplement ouverte vers une ballade avec le «Fantôme à Voile».

Chez elle la couleur ne vient pas au secours d'un graphisme faible ou d'une déficience de composition : bien au contraire. La sûreté avec laquelle Micheline Beauchemin aborde ces problèmes nous frappe tout particulièrement en comparant à «Inobu, pétalique et Mervillon>> haute en couleurs, «Ame fleur» organisée en blancs.

Même qualité de graphisme, Même sûreté de composition. Intelligence des matériaux, Homogénéité solide et compacte. Et pourtant, une impression de recueillement devant les blancs, un

sentiment de délicatesse nous arrête et livre son message intérieur. L'oeil suit les creux et les reliefs, s'accroche aux nuances, filtre une émotion devant cette sensation de pureté.

Puis les trois personnages fabuleux vous amènent à une fête: dans leut-incandescence ils invitent à la joie, ils vibrent dans leur chromatisme et vous engagent à une cure de rajeunissement. Rarement langage fut-il plus direct.

Dualité de graphismes reliefs et couleurs: uniformité dans la diversité. /Micheline Beauchemin se livre sans artifices, aussi librement devant une surface modulée géométriquement que devant l'élément stylisé selon les besoins de l'oeuvre.

Parler à Micheline Beauchemin c'est regretter de ne plus être enfant selon l'esprit et de se surprendre à croire que tout n'est pas beau. Elle est si sérieusement une enfant mûre. Avec elle il n'y a pas de guerre car le général fait dodo. Sur son mur rose !

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