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Dans ce numéro... • Louise Dionne. .......................................................................... 1 25 ans de Vivre ensemble - Bilan et perspectives Fernand Gauthier.................................................................. 6 Le vivre ensemble : évolution, constances et convictions • Mouloud Idir ........................................................................... 10 Le débat sur la citoyenneté à Vivre ensemble : rappel succinct des enjeux Louise Dionne ....................................................................... 15 Un enjeu de justice sociale • Mauricio Palacio................................................................... 18 Le Vivre ensemble et la spiritualité ignatienne • Marco Veilleux...................................................................... 21 « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… » BULLETIN DE LIAISON EN PASTORALE INTERCULTURELLE CENTRE JUSTICE ET FOI V Iv R e ensem B L e AUTOMNE 2010 VOLUME 18, N° 60 25 ans de Vivre ensemble Bilan et perspectives Louise Dionne 1 sur la justice. Le rôle du secteur consistait à favoriser une prise de conscience de ces changements tant par les acteurs des milieux politiques, sociaux et religieux. Au fil des années, les activités du secteur, que ce soit les séminai- res, les soirées publiques, les prises de position ou encore les textes du bulletin, ont répondu à l’impératif de s’inscrire dans une perspective de justice sociale où chaque per- sonne doit jouir de droits égaux. L’inclusion des différences dans la construction d’un projet de société fondé sur une « culture publique commune » et d’une citoyenneté participative y était une préoccu- pation constante. On constate aussi un intérêt marqué pour les dimensions socia- les et religieuses qui sont traitées dans une perspective visant à favoriser les échanges et l’accueil. Au départ, le nom de « secteur des communautés culturelles » identifiait clairement l’enjeu qu’il portait. Au tournant du millénaire, l’appellation devient « secteur Vivre ensemble », afin de mieux Ce numéro propose de revisiter certains débats de l’histoire du sec- teur. Des articles passent en revue certains des 60 numéros publiés au fil des années pour aborder les thèmes de la culture publique com- mune et de la citoyenneté. D’autres abordent les principes au cœur de son action et offrent un aperçu de la façon de faire au Vivre ensemble. Ce survol des 25 ans du secteur est une invitation à en découvrir les pratiques, l’évolution et le regard sur l’avenir. Le secteur Vivre ensemble est né en 1985, à peine deux ans après la création du Centre justice et foi (CJF). Dès le départ, les orienta- tions du secteur, à l’instigation des fondateurs du CJF, faisaient le constat que la société québé- coise se trouvait dans un moment charnière de son histoire et qu’il fallait tenir compte du pluralisme émergent. Ils voulaient que les enjeux de l’intégration des per- sonnes migrantes soient au cœur des transformations d’une société québécoise en devenir. Le Québec de cette époque as- pirait à la mise en place d’un projet de société et le CJF le voulait fondé

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  • Dans ce numéro... • Louise Dionne. ..........................................................................1 25 ans de Vivre ensemble - Bilan et perspectives• Fernand Gauthier .................................................................. 6Le vivre ensemble : évolution, constances et convictions• Mouloud Idir ...........................................................................10 Le débat sur la citoyenneté à Vivre ensemble : rappel succinct des enjeux • Louise Dionne .......................................................................15Un enjeu de justice sociale• Mauricio Palacio ................................................................... 18Le Vivre ensemble et la spiritualité ignatienne• Marco Veilleux ...................................................................... 21 « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… »

    BULLETIN DE LIAISON EN PASTORALE INTERCULTURELLE • CENTRE JUSTICE ET FOI

    VIvRe ensemBLeAUTOMNE 2010

    VOLUME 18, N° 60

    25 ans de Vivre ensembleBilan et perspectives

    Louise Dionne 1 sur la justice. Le rôle du secteur consistait à favoriser une prise de conscience de ces changements tant par les acteurs des milieux politiques, sociaux et religieux.

    Au fil des années, les activités du secteur, que ce soit les séminai-res, les soirées publiques, les prises de position ou encore les textes du bulletin, ont répondu à l’impératif de s’inscrire dans une perspective de justice sociale où chaque per-sonne doit jouir de droits égaux. L’inclusion des différences dans la construction d’un projet de société

    fondé sur une « culture publique commune » et d’une citoyenneté participative y était une préoccu-pation constante.

    On constate aussi un intérêt marqué pour les dimensions socia-les et religieuses qui sont traitées dans une perspective visant à favoriser les échanges et l’accueil. Au départ, le nom de « secteur des communautés culturelles » identifiait clairement l’enjeu qu’il portait. Au tournant du millénaire, l ’appellation devient « secteur Vivre ensemble », afin de mieux

    Ce numéro propose de revisiter certains débats de l’histoire du sec-teur. Des articles passent en revue certains des 60 numéros publiés au fil des années pour aborder les thèmes de la culture publique com-mune et de la citoyenneté. D’autres abordent les principes au cœur de son action et offrent un aperçu de la façon de faire au Vivre ensemble. Ce survol des 25 ans du secteur est une invitation à en découvrir les pratiques, l’évolution et le regard sur l’avenir.

    Le secteur Vivre ensemble est né en 1985, à peine deux ans après la création du Centre justice et foi (CJF). Dès le départ, les orienta-tions du secteur, à l’instigation des fondateurs du CJF, faisaient le constat que la société québé-coise se trouvait dans un moment charnière de son histoire et qu’il fallait tenir compte du pluralisme émergent. Ils voulaient que les enjeux de l’intégration des per-sonnes migrantes soient au cœur des transformations d’une société québécoise en devenir.

    Le Québec de cette époque as-pirait à la mise en place d’un projet de société et le CJF le voulait fondé

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    BULLETIN DE LIAISON EN PASTORALE INTERCULTURELLEVIvRe ensemBLe

    Équipe du secteur : Mouloud Idir, Élisabeth Garant.Mise en page : Christiane Le Guen

    Bureau : 25, rue Jarry ouest, Montréal (Québec) H2P 1S6

    Téléphone : (514) 387-2541 Télécopieur : (514) 387-0206

    Abonnement : 15,00$

    Site web : www.cjf.qc.ca/ve

    Le Centre justice et foi est un lieu d’analyse sociale et de concertation inspiré par la foi chrétienne en vue de la transformation de la réalité sociale. La préparation de ce numéro spécial a bénéficié de l’appui de la Fondation Perras.

    Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec, 1er trimestre 1993

    Reproduction autorisée avec mention complète de la source

    correspondre aux visées de son action.

    Évolution d’une vision

    Dans leurs grandes lignes, ces orientations portaient - et portent encore - sur une volonté d’ins-crire le respect de l’identité, de la culture et des valeurs propres à toutes les personnes qui vivent sur le territoire québécois. C’était une invitation à réfléchir ensemble à la transformation d’une société homogène dans une perspective d’ouverture sur le monde. Tout comme l’exprimait le père Jean-Louis d’Aragon, alors directeur du CJF :

    Nous ne saurions édifier une nouvelle société en obli-geant les différentes minorités à renoncer à ce qu’elles sont et à s’assimiler à la majo-rité. Par contre, cette société à construire ne sera jamais viable si elle est simplement l’addition de nombreux îlots hermétiques, sans commu-

    nication entre eux ni avec la majorité. »2

    Au cours des années 1990, le secteur a identifié trois champs au sein desquels il a situé son action : Société québécoise et pluralisme, Migrations internationales et pro-tection des réfugiés et pastorale interculturelle. Ces trois volets couvrent assez largement l’en-semble des enjeux soulevés par l’immigration. L’évolution de ces champs suit les débats soulevés par les transformations sociétales issues parfois des migrations, mais soulevées bien souvent à partir de décisions économiques et politi-ques, terrain propice de bien des injustices.

    Société québécoise et pluralisme

    En parallèle aux débats autour de la question nationale au Qué-bec, ce sont les thèmes liés à l’in-tégration des immigrants, aux rapports interculturels, à l’altérité et aux composantes de la société québécoise qui sont au cœur des premières activités du secteur. Au cours des années 1980 et 1990, les

    gouvernements mettent en place plusieurs programmes d’accueil et d’intégration. Ils tentent aussi de définir un modèle québécois d’in-tégration. Vers la fin des années 1980, la notion de culture publique commune portée par Julien Harvey s.j. et Gary Caldwell domine les débats. Ce concept s’appuie sur les grands principes libéraux : égalité de tous, liberté politique, État de droit, etc., et sur les éléments spécifiques au Québec : la langue française, l’histoire et la tradition culturelle judéo-chrétienne. De là, naît une approche civique du « vivre ensemble ». Cet intercultu-ralisme à saveur québécoise définit le peuple québécois comme une nation dont la culture est le mo-teur. Il s’oppose à la fragmentation proposée par le multiculturalisme. Cette proposition vise à sensibiliser la population aux apports des com-munautés culturelles et à favoriser l’intégration de ces dernières à un socle commun de valeurs.

    L’Énoncé politique du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (MCCI) de 1990 propose l’idée d’un contrat moral identifiant les valeurs incontour-nables de la société québécoise : la démocratie, les droits et libertés de la Charte, la laïcité de l’état, la langue française, la résolution pa-cifique de conflit, le pluralisme, le patrimoine culturel et l’égalité des hommes et des femmes. Le secteur, à l’instar de plusieurs intervenants, participe activement à l’élabora-tion de cet énoncé de politique. La réflexion mise de l’avant sur la culture publique commune con-tribue à préciser ce contrat moral et inspire les pratiques et écrits de plusieurs autres ministère, dont

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    particulièrement le Ministère de l’Éducation.

    Après le référendum de 1995, les orientations et l’appellation même du Ministère des Relations avec les Citoyens et l’Immigration (MRCI) favoriseront davantage le concept de citoyenneté pluraliste. En 2000, le secteur dénonce par contre le processus du Forum sur la citoyenneté et l’intégration du Ministre Robert Perreault qui em-prisonne la réflexion sur la citoyen-neté dans le débat constitutionnel et sans véritable reconnaissance de la diversité culturelle. Le docu-ment de réflexion est finalement tabletté.

    En 2005, avec le gouverne-ment libéral, le MRCI redevient Ministère de l’Immigration et des communautés culturelles (MICC). Les programmes définis pour sou-tenir la participation citoyenne sont progressivement réorientés vers les communautés culturelles. Ce changement sera fortement questionné par le secteur qui y voit une politique favorisant un communautarisme et un risque au repli identitaire.

    Un autre thème constant en lien avec le pluralisme est celui de la laïcité au Québec. Le secteur a contribué aux prises de position du Centre justice et foi sur les enjeux touchant la laïcité scolaire, prônant une laïcité ouverte comme l’indi-que un mémoire du CJF déposé en 1999, et manifestant un souci pour que la formation dans les écoles offre aux jeunes les outils de com-préhension du fait religieux3. Son implication s’est poursuivi jusqu’à maintenant avec l’introduction du cours d’éthique et de culture

    religieuse. Parallèlement, le secteur a suivi de près et a contribué aux prises de position du CJF dans le débat sur la place des religions dans l’espace public4.

    Au cœur des réf lexions du secteur, se trouvent aussi la lutte au racisme, à l’intolérance, aux préjugés dans une optique de jus-tice sociale en lien avec les droits humains. Tout au long de son his-toire, le secteur a tenu à exprimer ses préoccupations sur le taux de chômage élevé des jeunes Noirs ou de la communauté musulmane ou arabophone. Plus récemment, il a dénoncé le profilage racial à la suite des événements survenus à Montréal-Nord.

    Le secteur a dénoncé le ra-cisme sous toutes ses formes, lors-qu’il est présent dans les lois sur l’immigration et les différents programmes dont les principes et/ou les règles contribuent à créer une ségrégation entre les migrants selon leurs origines. Il a participé à de nombreuses coalitions et cam-pagnes dans le but de dénoncer le caractère discriminatoire des certaines politiques d’immigration concernant les personnes sans-statuts, le délai de carence pour les nouveaux arrivants, l’absence de section d’appel à la commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié, les certificats de sécurité, etc.

    Toujours en lien avec le plu-ralisme, les thématiques abordées étaient variées : les jeunes, les con-ditions des femmes immigrantes et racisées, les travailleurs migrants, les « sans-papier » ou encore des enjeux plus spécifiques, tels que l’accès aux soins de santé, l’im-

    migration en région, l’accès au travail. Aucun de ces débats n’est clos. La question de l’intégration et de la façon de vivre le pluralisme demeure encore aujourd’hui au cœur des interrogations que porte le secteur.

    Pastorale interculturelle

    Dès le début, l’action du sec-teur Vivre ensemble portait sur les dimensions sociales et religieuses de l’immigration. Toutefois, ce n’est qu’autour du Synode de Mon-tréal, en 1996, avec la présentation d’un mémoire intitulé : Le défi que pose l’immigration à l’Église de Montréal et par la création de la Table de pastorale interculturelle de Montréal que ce volet a pris une importance particulière au sein du secteur.

    À l’occasion du Synode, le secteur fait la recommandation que l’Église de Montréal indique sa volonté de favoriser, à terme, une intégration des catholiques montréalais dans des communau-tés paroissiales pluriethniques et pluriculturelles.

    Lors de la présentation du mémoire, le secteur propose à l’as-semblée synodale quelques princi-pes d’orientation de ses réflexions dont trois continuent de marquer le travail du secteur en ce qui a trait à la pastorale interculturelle : l’engagement ecclésial concret dans la société plutôt que sur les seules questions sacramentelles, discipli-

    Au cœur des réflexions du secteur, se trouvent aussi la lutte au racisme, à l’into-lérance, aux préjugés dans une optique de justice sociale.

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    naires ou liturgiques, une approche œcuménique et une ouverture au dialogue interreligieux.

    C’est autour de ces trois prin-cipes que, au cours de la dernière décennie, le secteur a collaboré avec la Maison de l’Amitié, une organisation mennonite, à la mise en place de rencontres œcuméni-ques regroupant différents groupes chrétiens. Il a organisé une dizaine d’activités, offrant un lieu de res-sourcement pour les agents de pas-torale en milieu interculturel. Un bilan de cette expérience a permis de mieux situer l’importance de ces principes et de mieux orienter son action. Le document final reprend les différentes expériences réali-sées afin qu’elle puisse nourrir des pratiques similaires dans d’autres groupes et milieux.5

    Migrations internationales, immi-gration et protection des réfugiés

    Dans un premier temps, les préoccupations du secteur sur les migrations et la protection des réfugiés ont été orientées dans la perspective des enjeux de société. En témoigne le premier bilan du secteur publié dans le numéro spécial du bulletin de l’hiver/prin-temps 1997. Ce numéro portait sur les 15 dernières années de l’immi-gration au Québec.

    Ainsi, dans l’article intitulé Quelques réflexions pour une période de changement, l’équipe du secteur propose quelques pistes à partir du mémoire Pour une convivance dans un Québec pluriel, présenté en

    août 1996 au Conseil des Relations Interculturelles. Les principaux points concernaient l’importance de prendre en compte le contexte mondial pour mieux comprendre les f lux migratoires internatio-naux, mais aussi la dynamique de l’importation d’une main d’œuvre étrangère de plus en plus en situa-tion de grande précarité. Des arti-cles évoquaient les transformations au sein des États-nations et les nou-veaux resserrements aux frontières, ainsi que l’importance de tenir compte des disparités entre les pays du Nord et ceux du Sud.

    On y traitait également de la langue dans le contexte du cli-vage entre l’univers anglophone et l’univers francophone. On pro-posait aussi de rechercher un nou-veau modèle d’intégration tenant compte des deux dimensions indi-viduelle et collective. Un modèle apte à tenir compte de la mutation dans le monde du travail, de la régionalisation de l’immigration, de la politique d’occupation du territoire québécois.

    En résumé, le secteur s’est constamment préoccupé de la nécessité d’une citoyenneté qui assure la participation de tous à la vie publique, ainsi que de l’impor-tance d’une Église respectueuse de la diversité. Ces principes ont dicté l’esprit des prises de position et les activités du secteur en lien avec les migrations internationales.

    Dans toutes les interventions du secteur, le grand thème au cœur des actions du secteur est celui des migrants en situation précaire. Cela inclut plus particulièrement les réfugiés et les demandeurs d’asile ainsi que les personnes sans

    statut, les migrants en situation irrégulière et les travailleurs mi-grants temporaires.

    La question des travailleurs migrants est, en effet, préoccu-pante. Le secteur a suivi ce dossier tout au long de son parcours que ce soit en lien avec les aides familiales résidentes ou les travailleurs agri-coles. Il a participé à l’organisation d’activités de sensibilisation lors de la journée internationale des migrants et rappellé l’importance de la Convention sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Une Convention que le Canada n’a pas encore signée. Ce dossier devient d’autant plus important que la tendance est de plus en plus pour des programmes de migration de main-d’œuvre temporaire.

    Le système canadien d’asile et d’immigration a suivi les grandes tendances législatives concernant les réfugiés. Les États ont resserré les contrôles sur les étrangers et ont mis en place des mesures pour restreindre le régime de protection des réfugiés et contribué, par ces procédés, à la détérioration des conditions d’accueil des revendi-cateurs. Au cours de la dernière décennie, le secteur a déposé deux mémoires en réaction aux réformes visant à restreindre l’accès au droit d’asile.

    À chaque fois, il a rappelé que ces restrictions mettent de nombreuses personnes migrantes en situation de grande précarité. L’action du secteur a cherché à contrer cette tendance en appe-lant au respect des droits de ces personnes et en interpellant les autorités pour qu’ils remplissent

    Des articles évoquaient les transformations au sein des États-nations et les nouveaux

    resserrements aux frontières.

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    leurs obligations internationales imposées par les Conventions dont ils sont signataires.

    Le secteur a aussi été forte-ment impliqué dans le dossier des personnes sans statut. Il a participé à la création et à la coordination de la coalition Des vies en suspens pour demander la régularisation des demandeurs d’asile déboutés dont le pays est considéré à risque par le gouvernement canadien et pour lequel il y a un moratoire de déportation6.

    Récemment, la situation des migrants « clandestins » a été préoccupante. Les personnes mi-grantes en situation irrégulière sont la cible, pour ne pas dire les boucs émissaires par excellence, de nom-breuses attaques politiques lorsque les politiciens veulent faire adopter des mesures plus répressives, qui ont pour incidence de favoriser la migration clandestine.

    Depuis la fin des années 80, les États de destination, y compris le Canada, déploient des mesures pré-ventives et dissuasives pour lutter contre cette migration clandestine. Cette approche répressive engen-dre des atteintes aux droits fonda-mentaux. Les migrants irréguliers sont criminalisés et deviennent plus vulnérables aux abus. C’est par un appel au respect des droits fondamentaux et à la mise en place de mesures plus humanitaires que le secteur est intervenu auprès des autorités. Il a même publié un nu-méro spécial du bulletin Vivre en-semble sur cette question de même qu’un document de réflexion.7

    D’autres thématiques ont aussi été abordées en lien avec les migra-tions. En lien avec le paradigme sécuritaire de l’après 11 septembre 2001, plusieurs d’entre elles se trouvaient liées aux frontières et à la lutte au terrorisme, aux cer-tificats de sécurité, à l’Entente du tiers pays sûr ou encore à la lutte aux trafiquants, etc. Ces mesures contribuent à alimenter un climat de crainte envers les nouveaux arrivants, mais aussi envers les citoyens d’origines diverses. Toutes ces politiques ou règlements consti-tuent un grand défi pour le secteur dont l’action vise une plus grande inclusion de tous.

    Conclusion

    Au cours des dernières années, se sont déroulés de nombreux débats sur les enjeux touchant l’in-tégration des personnes migrantes, mais aussi sur la « menace étran-gère » sous le couvert du terrorisme ou de la criminalité (trafiquants). En même temps que sur la scène internationale se multiplient les débats, les enjeux liés à la langue, au profilage racial, à la ségrégation en emploi, à la laïcité et à la diver-sité religieuse mobilisent l’opinion publique d’ici. Les réflexions du secteur tentent de suivre avec ri-gueur les réalités internationales, nationales et locales.

    Le secteur Vivre ensemble n’a donc pas à s’inquiéter de la perti-nence de son action. Les quelques aspects de ses réflexions et de ses activités brièvement décrites ici ne sont qu’un pâle reflet de leur ca-ractère essentiel. En effet, peu d’or-ganisations offrent une réflexion aussi riche sur ces enjeux.

    Faut-il souligner que l’apport du secteur est d’autant plus utile qu’il favorise le rassemblement de points de vue diversifiés autour d’un objectif commun c’est-à-dire une volonté d’agir pour une plus grande justice sociale à l’égard des personnes issues de l’immigration. De toute évidence, cette option de justice associée à une appro-che collective confère au travail du secteur toute son importance et son caractère essentiel dans le contexte actuel.

    1 L’auteure était responsable du

    secteur Vivre ensemble de 2007 à 2010.

    2 Paru dans le premier numéro du

    bulletin Vivre ensemble (hiver 1992)

    3 Mémoires présentés à la Com-

    mission de l’éducation, Consultation sur

    la place de la religion à l’école, 8 sep-

    tembre 1999 « Pour une laïcité ouverte au

    phénomène religieux » et aux évêques du

    Québec, le 20 septembre 1999, « La trans-

    mission de la foi aux jeunes générations

    dans la société québécoise actuelle ». 4 Consultez le mémoire déposé à

    la Commission Bouchard-Taylor : Au cœur

    du pluralisme religieux québécois : redéfinir les

    liens qui nous unissent, disponible en ligne

    www.cjf.qc.ca/cjf/memoires/memoires/

    Memoire_CJF_Bouchard-Taylor_Dec2007.

    pdf. Les nombreuses prises de position du

    CJF sur la place des religions dans l’espace

    public sont disponibles sur le site du CJF.

    5 Le Recueil des activités œcuméniques

    des pastorale interculturelle est disponible sur

    le site du Vivre ensemble à : http://cjf.qc.ca/

    ve/babillard/Recueil-des-activites-oeucume-

    niques-de-pastorale-interculturelle.pdf

    6 « Frontières et migrations: Des

    enjeux de dignité humaine », Vivre ensemble,

    vol. 14, no 50, Printemps/Été 2007 et Idil

    Atak, Document de réflexion sur la migration

    irrégulière, août 2010, disponbile en ligne :

    www.cjf.qc.ca/ve/babillard/Document-de-

    reflexion-sur-la-migration-irreguliere_CJF.

    pdf

    http://www.cjf.qc.ca/cjf/memoires/memoires/Memoire_CJF_Bouchard-Taylor_Dec2007.pdfhttp://www.cjf.qc.ca/cjf/memoires/memoires/Memoire_CJF_Bouchard-Taylor_Dec2007.pdfhttp://www.cjf.qc.ca/cjf/memoires/memoires/Memoire_CJF_Bouchard-Taylor_Dec2007.pdfhttp://cjf.qc.ca/ve/babillard/Recueil-des-activites-oeucumeniques-de-pastorale-interculturelle.pdfhttp://cjf.qc.ca/ve/babillard/Recueil-des-activites-oeucumeniques-de-pastorale-interculturelle.pdfhttp://cjf.qc.ca/ve/babillard/Recueil-des-activites-oeucumeniques-de-pastorale-interculturelle.pdfhttp://cjf.qc.ca/ve/babillard/Recueil-des-activites-oeucumeniques-de-pastorale-interculturelle.pdfhttp://www.cjf.qc.ca/ve/babillard/Document-de-reflexion-sur-la-migration-irreguliere_CJF.pdfhttp://www.cjf.qc.ca/ve/babillard/Document-de-reflexion-sur-la-migration-irreguliere_CJF.pdfhttp://www.cjf.qc.ca/ve/babillard/Document-de-reflexion-sur-la-migration-irreguliere_CJF.pdf

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    Évolution, constances et convictions

    Fernand Gauthier1

    Le Vivre ensemble est plus qu’un bulletin saisonnier. C’est le reflet de l’engagement des personnes qui appuient, critiquent et alimentent les approches du vivre-ensemble au Québec. À travers le survol des pages du bulletin depuis sa création, c’est l’histoire de cet engagement au cœur de ces débats qui est relatée.

    Dans le premier numéro du bulletin (printemps 1991), Thérèse Benguerel y invitait les lecteurs à saisir toutes les occasions pour dépasser les différences en cher-chant à mieux les comprendre. Elle proposait de prendre des risques pour s’ouvrir à d’autres manières de penser et de vivre, sans crain-dre de se couper de ses racines. En clair, c’était une convocation à la convivance dans une société pluraliste.

    Dans ce même numéro, Julien Harvey invitait notre société plu-rielle à se construire une culture commune autour du noyau de valeurs que nous partageons, utili-sant notre Charte pour résoudre les discordes. Il était convaincu que la survie de notre société ne pourrait se faire avec l’usage simultané de codes de valeurs divergents.

    Comprendre et oser

    Notre société n’est pas homo-gène, c’est le même constat tant au sein des différentes communautés qui la composent qu’entre ces com-munautés. Notre société actuelle peut être vue comme le résultat d’une interaction prolongée entre quatre composantes principales

    qui ont marqué son évolution : les Premières nations, les Québécois français, les Québécois anglais et les Néo-Québécois. La composante des migrants attire l’attention parce qu’elle regroupe ceux qui, récemment, ont quitté, par choix ou de force, leur pays natal, avec les séparations et les ruptures qui en résultent. Ces migrants sont à la recherche de partage et d’accueil chaleureux, d’une aide concrète pour leur intégration : soutien à l’apprentissage de la langue et à l’accès à l’emploi.

    En 1991, Julien Harvey esti-mait que ces migrants vivaient parfois en marge des communautés dominantes. Ils ont des fêtes et des rituels distincts, mais aussi des coutumes, des règles alimentaires ou vestimentaires différentes. Tous ces éléments semblaient rendre les interactions difficiles pour quelques personnes qui craignaient ainsi de perdre leurs valeurs d’antan au contact de coutumes venues d’ailleurs.

    Il y a des cultures diverses dans chacune des composantes et des traditions de nos communautés. Ces traditions peuvent être parti-cularistes et centrées sur l’individu ou elles peuvent être plus com-

    munautaires. Dès 1991, certains croyaient – entre autres Julien Harvey inspiré par des réflexions communes avec Gary Caldwell – que la transmission d’une culture publique commune, qui serait per-çue comme une garantie de notre ouverture, devait avoir priorité sur les exigences de toute autre culture en les subordonnant à un noyau de valeurs judéo-chrétiennes, un centre de gravité hérité du passé collectif de cette nation. Avec le temps, cette culture publique du Québec proviendrait aussi de la part de culture de chaque citoyen des composantes de notre société.

    Au cours des années, nos jugements moraux ainsi que nos préférences collectives pour des normes de comportement vis-à-vis ceux considérés « autres » ont évolué. Les idéaux de première importance dans les pages du bul-letin furent clarifiés à l’occasion de réflexions sur des appels à l’enga-gement vis-à-vis les sans-papiers, les personnes dont on fait la traite, celles à qui on refuse d’accorder des certificats de sécurité ou celles qui subissent les effets d’un moratoire avant une expulsion.

    Ainsi, dans les pages du bulle-tin de l’été 2007, Mauricio Palacio constatait que la frontière de notre État moderne impose des limites à certains de nos concitoyens du simple fait de leur lieu de nais-sance. Ces inégalités imposées à certains d’entre nous proviennent du paradigme sécuritaire; il s’agit

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    d’une marginalisation imposée à quelques-uns, à partir d’un souci d’harmonisation avec d’autres états néolibéraux dominants, même aux dépens des droits humains.

    À l’occasion d’une prise de position du CJF sur la pertinence du cours de culture religieuse, Jean-Marc Biron (automne 2007) soulignait que notre responsabilité d’être solidaires avec tous nos con-citoyens entraîne aussi une respon-sabilité de construire une société fondée sur des principes de justice et de liberté. Pour atteindre un vi-vre ensemble juste et harmonieux, les principes d’égalité, de justice et de pluralisme constituent des fondements importants de notre culture publique commune.

    En définitive, comme l’ex-primait François Crépeau dans le numéro de l’hiver 2009, tous nos concitoyens, incluant les mi-grants, sont des sujets de droit; nous voulons une vie en société où il y a préséance du respect des personnes, face aux dictatures des « catégories à risque ».

    Dif férences, identité et égalité

    Dans notre société, les défis

    des rapports entre les nouveaux arrivants et les Québécois d’ori-gine sont des défis de convivance analogues à ceux que nous avons toujours éprouvés dans le passé. Par l’analyse de ces situations, Do-minique Boisvert, dans le numéro du printemps 1994, faisait le cons-tat qu’il y a là un ensemble de défis lié à la convivance dans une société en mutation. Il s’agit d’apprendre à

    vivre avec un « autre » qui déroute et bouleverse des convictions.

    Notre société en mutation accélérée apprend à vivre avec ce qui apparaît d’abord comme une altérité menaçante. Si nous nous avions été repliés frileusement sur nous-mêmes, comme communauté d’accueil ou comme Québécois d’origine, mais de souches diverses, nous aurions risqué d’être court-circuités, d’être hors-jeu et inaptes à accueillir ces nouveaux arrivés qui ont contribué à la réfection de notre tissu social rabougri et à nos institutions affaiblies.

    Pour vivre dans un Qué-bec pluriel, Julien Harvey pro-posait, en 1996, d’affronter les problèmes d’accommodement avec certains groupes culturels, dans un souci d’assurer à tous le même accès aux services publics. Il s’agit alors de voir comment on peut s’accommoder raisonnablement et avec bon sens en tentant de ré-pondre à des demandes de services différents. Cette répartition des services publics provenant de l’État a contribué au développement d’un sentiment d’appartenance collectif territorial plutôt qu’ethnique ou gé-néalogique. Au fil des changements périodiques, ces services se sont culturellement adaptés contribuant ainsi à améliorer notre convivance et à la bonne vie de tous.

    L’évolution de l’identité de notre société est partie d’une conscience nationale ethnique fondée sur l’origine commune de la majorité, pour aller lentement vers une conscience nationale territoriale ouverte aux citoyens de toutes origines. Le facteur de cohésion de cette nouvelle société

    gagne graduellement en assurance ce qu’il perd en passion. Cette cohésion repose sur le respect des droits fondamentaux inclus dans notre Charte, sur l’usage d’une langue commune et sur l’appro-priation graduelle d’un patrimoine commun puisé dans chacune de nos histoires.

    Notre évolution sociale nous amène à des choix vis-à-vis nos traditions. À l’été 1997, Domi-nique Boisvert et Michel Pagé se sont demandé comment conserver et respecter nos identités : faudra-t-il toujours respecter les richesses apportées par nos quatre compo-santes principales (francophone, anglophone, allophone et autoch-tone) ou plutôt assurer la cohésion entre nos composantes essentielles dans un projet de vie en commun? Nous avons tous besoin d’une so-ciété qui fonctionne, et ce besoin passe peut-être avant l’affirmation d’une identité particulière qui nous différencie.

    Pourtant, cette cohésion de-vrait-elle aller jusqu’à exiger d’at-ténuer, dans nos comportements, ce qui nous distingue, s’interroge Mouloud Idir dans le numéro de l’hiver 2009. Dans une réflexion qui fait suite à un colloque sur les migrations internationales, les pa-ges du numéro de l’automne 2009, nous invitent à penser les espaces sociaux, où prédomine l’exclusion, avec une attitude engagée en faveur des franges les plus vulnérables de notre société; cette prédisposition,

    Pour atteindre un vivre ensemble juste et harmonieux, les principes d’égalité, de justice et de pluralisme constituent des fondements importants de notre culture publique commune.

  • 8 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    si elle est durable, a pour vertu de contribuer au dynamisme de notre société.

    Cohésion et accommode-ments

    Notre respect du pluralisme,

    dans la société québécoise, s’inscrit dans un cadre qui n’est pas celui d’un multiculturalisme conçu à l’image d’une mosaïque colorée liée par le mortier rassurant des institutions historiques ancestrales. Les appartenances francophone et anglophone, celles des autres communautés culturelles et des nations autochtones pourraient se rallier autour d’éléments com-muns comme ceux d’une langue officielle, d’une tradition démo-cratique, d’un système d’éducation laïque, d’une Charte de droits col-lectifs reconnus. Pourtant, au cours des années, nos appels à des per-sonnes provenant des composantes de notre société pour y construire un projet culturel commun se sont souvent confrontés aux limites des revendications identitaires.

    Dans certaines activités pla-nifiées par le secteur, nous avons aussi fait l’expérience d’entrer dans une impasse, alors que nous cherchions à tracer l’ébauche d’un projet collectif avec de jeunes adultes provenant des quatre mê-mes composantes; ceux-ci s’iden-tifiaient résolument, avant tout, à une constellation d’engagements sans souci d’élaborer quelques pro-jets communs.

    À la suite d’une évaluation de nos pratiques de rassemblement, Jean-Marc Biron constatait, à l’été 2003, que la citoyenneté pourrait être un modèle à développer pour traiter l’enjeu du pluralisme de notre société et pour discuter de notre vivre ensemble. Ne serait-il pas raisonnable de penser que cette convivance solidaire et équitable à laquelle tous aspirent est, finale-ment, un cumul de relations civi-ques où l’action citoyenne favorise l’inclusion de toutes les apparte-nances et de toutes les identités?

    Les nouveaux immigrants arrivent et s’implantent avec leurs propres attachements à leur com-munauté, à leurs réseaux, parfois même à une langue distincte; mais, comme le soulignait Gregory Baum dans le numéro de l’été 2002, ils s’intègrent même quand ils se dis-tinguent de leur société d’accueil, parce qu’ils utilisent immanqua-blement, comme citoyens, des processus de délibération propres à cette société. En même temps, ces nouveaux immigrants influencent l’apparition de nouvelles formes d’appartenance et de solidarité avec les sociétés des pays d’origine, sans aucune perte pour l’intégra-tion d’ici.

    Il nous faut créer avec ces per-sonnes des expériences créatrices de confiance, comme l’affirme Glynis Williams dans le bulletin de l’été 2008, en misant sur l’espoir et la force qui leur ont permis de survivre. Michael Oliver avait ex-primé cette possibilité à l’été 2003, en constatant que les personnes arrivées récemment ne peuvent ressentir une appartenance iden-tique à celles de nos ancêtres qui ont toujours occupé ce territoire

    et dont les liens rejoignent les grou-pes majoritaires de la population. Cependant, la reconnaissance et la solidarité évoluent même dans l’inconfort des rapports parfois hostiles.

    C’est dans une citoyenneté active que, peu à peu, se bâtit no-tre cité solidaire, et non l’inverse. Ainsi, les immigrants qui arrivent et qui sont contraints d’utiliser des codes communs créent, par cette action, une réalité nouvelle. Ils modifient ces codes à leur façon, ils se modifient eux-mêmes et ils modifient ceux qui les accueillent. Le concept de la culture publique commune initié en 1988 identifiait parfois a priori les éléments qui devaient devenir communs à nos composantes sociales. Mais, notre réalité sociale est d’abord hétéro-gène et la solidarité reste toujours à bâtir dans les divergences.

    Dans la société québécoise d’aujourd’hui, notre langue offi-cielle, notre forme de démocratie et de laïcité ouverte rencontrent encore des résistances et des re-mises en cause chez ceux dont nous espérons la solidarité. Notre particularité québécoise, nos rè-gles du jeu, sont une façon parmi d’autres d’être humains et de vivre ensemble. Ce n’est ni la seule, ni la meilleure; c’est une façon par-ticulière qui n’est pas universelle. Notre citoyenneté particulière est nécessairement menacée par les idéologies les plus mobilisatrices du continent nord-américain.

    Dans un article publié en 2003, Guy Bourgeault indiquait ainsi une voie féconde que le secteur continue d’explorer : si l’on veut accéder à la fois à une dynami-

    La reconnaissance et la solidarité évo-luent même dans l’inconfort des rap-

    ports parfois hostiles.

  • 9VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    que de citoyenneté ouverte et de solidarité vécue, il faut accepter de pénétrer dans une dynamique génératrice d’incertitudes parce que c’est la seule qui soit porteuse de vie réelle.

    Un bilan

    L’intention initiale de ce par-cours était de faire le point sur ce que nous avons appris jusqu’à maintenant dans nos démarches avec le secteur Vivre ensemble. Il s’agissait en gros de retracer un certain historique des paramètres d’où nous sommes partis pour en faire une mémoire utile. Dans nos pratiques, nous avons souvent ex-ploré des voies qui ne se sont pas révélées productives pour notre vie en société; mais en même temps nous en avons perçu d’autres qui le sont.

    Nous avons régulièrement créé des occasions de dialogue entre des parties de cette société qui ne s’étaient jamais adressé la parole. Ces occasions furent toujours bénéfiques tant pour l’orientation des personnes présentes que pour le progrès de notre réflexion sur les conditions qui permettent de créer cette société.

    Les écrits du bulletin et des groupes de réflexion ont permis à une pensée libre de s’exprimer et de se développer sur des sujets où des contraintes fortes, provenant des groupes habituels d’appartenance, sont plutôt la norme.

    Nous avons évolué et nous évoluons encore. Ainsi, même si certains lieux d’Église sont presque disparus du bulletin comme lieux

    propices aux observations sur le devenir de notre société, d’autres lieux d’une foi intense et vivante nous sont apparus pour affirmer que nous vivons tous d’une même vie et que nous devons nous ac-cueillir mutuellement comme des proches.

    L’espace de signification où se sont joués nos débats et nos réflexions, depuis la première pa-rution du bulletin, au printemps 1991, ne peut se résumer par des évolutions linéaires, comme le se-rait un déplacement de la source de nos idéaux d’une culture publique commune ancestrale vers un plura-lisme solidaire. Il est plus juste de situer nos convictions d’une façon dynamique dans l’espace que nous nous sommes donné en poursui-vant nos recherches sur notre vivre ensemble par trois questions principales.

    Où trouver la source prin-cipale de nos valeurs commu-nes : dans un noyau patrimo-nial historique provenant de la majorité ou dans les priorités valorisées par chaque élément de notre société?

    Quelles attitudes domi-nantes faut-il favoriser vis-à-vis l’autre : une tolérance des différences ou une acceptation de convictions mêmes diver-gentes?

    Et, dernière question traitée plus assidûment dans nos délibé-rations :

    Quel cadre civique faut-il créer pour gérer nos pratiques : un cadre qui résulte d’une mo-saïque d’accommodements cul-turels successifs ou un cadre

    rassembleur d’une citoyenneté active dans des lieux de déli-bération?

    Plusieurs des pensées maîtres-ses qui nourrissent les réflexions et l’ébauche de nos cadres de pen-sée oscillent entre des pôles qui agissent comme des aimants pour comprendre et définir notre société comme un lieu culturel. Nous nous sommes compris d’abord comme un tronc commun historique qui agit a priori comme point de repère pour différencier, sur ce territoire nord-américain, les apports com-plémentaires des individus et des groupes. Nous sommes ensuite devenus un projet rassembleur dont le processus et le contenu provien-nent a posteriori d’une contribution qu’aucun ingénieur social ne pour-rait dessiner.

    Nous sommes maintenant dans une trajectoire qui nous fait même dépasser ce pôle. Nous choi-sissons d’aller vers une sorte de plu-ralisme où nous prenons vraiment au sérieux – et avec un respect total – les convictions de tous nos concitoyens. Ce mouvement nous amène à accepter notre société comme un lieu où l’inconfort des convictions contraires sera tou-jours présent avec toute sa force créatrice, sans rien enlever de notre attention à l’autre.

    Nous avons régulièrement créé des occasions de dialogue entre des parties de cette société qui ne s’étaient jamais adressé la parole.

  • 10 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    Le débat sur la citoyenneté à Vivre ensemble : rappel succinct des enjeux

    Mouloud Idir

    Cela fait plus de 15 ans, au Québec, que la réflexion et les débats cheminent quant aux contours qu’il faut donner à la notion de citoyenneté. La discussion publique sur cette notion a aussi émergé à l’occasion de certaines politiques gouvernementales en matière d’immigration et d’intégration. Il faut rappeler que ces débats se sont inscrits dans la foulée de ceux qui ont notamment prévalu autour du concept de la culture publique commune1.

    Il y a au moins deux défis majeurs que le débat sur la citoyenneté tente de souligner et de porter plus loin. Il vise d’une part à dépasser la dimension uniquement culturelle qui est inhérente au projet de la culture publique commune. Il veut aussi mieux prendre en compte les différentes formes de discriminations qui affectent certaines catégories de la société en fonction de leur origine. Le secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi est impliqué depuis plusieurs années dans ces débats. Ce texte est en quelque sorte un rapide rappel du cheminement des réflexions et des contributions critiques portées par le secteur sur cet enjeu important.

    La citoyenneté et son chemi-nement à Vivre ensemble

    Dans le cadre d’une soirée de débat organisée2 par le secteur Vivre ensemble et que reprend le bulletin du secteur de l’automne 1999, il ressort explicitement que le besoin de parler de la citoyen-neté surgit dans un contexte de

    diversité, comme celle du Qué-bec, qui rend nécessaire de fonder autrement la forme collective de l’appartenance. Si le débat sur la citoyenneté fait flores, c’est parce qu’il n’y a plus rien qui va de soi. À cet égard, Dominique Boisvert rappelle bien «que nous sommes davantage confrontés à la mobilité des personnes et donc à la pluralité des cultures mais aussi, de façon beaucoup plus large, à la diversité des façons de voir et de penser. Il y a peu de valeurs communes qui vont de soi et qui sont transmises. Chacun et chacune est de plus en plus exposé à faire sa propre synthèse au plan religieux et cul-turel3».

    Un autre élément fondamental

    qui ressort de ce débat est l’inter-pellation soulignant la nécessité de bien penser la question de la diversité dans une réflexion plus large visant notamment à cerner les enjeux plus structurels en cause dans la menace de nos acquis col-lectifs. Cela est particulièrement important dans un contexte où se déploie une transformation plus profonde de notre société et la

    présence d’un pluralisme beaucoup plus large qui représentent autant de défis à la construction québé-coise de la citoyenneté. Il faut en effet rappeler que le contexte du néolibéralisme et de la mondiali-sation menace largement le citoyen dans ses rapports à la collectivité. C’est dans ce contexte que nous avons assisté à l’émergence dans le débat public de la notion de citoyenneté.

    L’angle d’analyse que le secteur

    Vivre ensemble a essayé de donner à ce débat s’inscrit notamment dans une perspective nous invi-tant à un effort réflexif pour nous rappeler l’impératif de reprendre en main les instruments qui nous permettent de mieux penser les en-jeux de la diversité et du pluralisme et le contexte socio-économique dans lequel ils s’élaborent. À cet égard, les prises de position du secteur témoignent largement de l’attention portée à la conjonc-ture qui présidait à la définition des projets gouvernementaux de citoyenneté. Nous référons ici plus particulièrement au contexte de mondialisation économique, à la réduction de la sphère publique et à ce qui s’apparente à une apologie des notions de compétition et de performance individuelle. Cela transparait largement dans la vi-sion mise de l’avant, en juin 2000, par le Ministère des Relations avec les Citoyens et de l’Immigration (MRCI) dans le cadre du Forum

  • 11VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    sur la citoyenneté et l’intégration. L’agenda de ce forum visait, entre autres, à établir les termes d’une adhésion consensuelle aux exi-gences du développement que l’on insufflait au Québec.

    Aussi, le secteur Vivre ensem-ble aura souligné la dimension souvent ambigüe accolée à la no-tion de citoyenneté au moment où celle-ci est appelée à être un thème important pour la vitalité démocratique de notre société. Une des raisons est sans doute à situer dans le fait que le débat sur la citoyenneté vise à répondre à différents objectifs qui sans doute réfèrent à des problématiques di-verses. Comme cela a été souligné, si la citoyenneté fait référence à des qualités, des attitudes, des compor-tements qu’ont ou devraient avoir les individus, il s’agit aussi d’un espace civique qui transcende ou devrait transcender les particula-rismes et être la base sur laquelle reposeraient désormais le fonc-tionnement démocratique. Cela amène Élisabeth Garant et Louise Boivin4 à dire que la citoyenneté renvoie donc aux droits et aux devoirs mais aussi aux conditions socio-économiques et sociales qui favorisent une pleine participation des individus à leur collectivité. Il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que la vision gouverne-mentale de la citoyenneté reprise à l’époque par le MRCI - pour ne prendre que cet exemple - fait sienne une vision largement tech-nocratique qui gomme les enjeux de solidarité sociale au profit d’une conception de la «responsabilité des citoyens» qui se réduit à faire le jeu de la compétitivité du marché.

    Ce contexte de globalisation contribue aussi à relativiser, au Québec comme ailleurs, le rap-port à l’appartenance. C’est ce que notent Élisabeth Garant et Louise Boivin quand elles signalent que les plus jeunes générations expri-ment bien cette absence d’identité homogène reçue et le défi de cons-truction, qui leur revient, à partir d’identités, de réseaux et d’expé-riences diverses5. Même le ratta-chement à un territoire n’arrive plus à bien couvrir la formulation de cette identité. Ce mouvement d’une vision homogène de la so-ciété, accordant une large place à l’héritage, à une réalité compo-sée d’altérités, laissant une part importante au projet, suscite des réactions diverses : pour plusieurs, l’enthousiasme et le sentiment de s’enrichir comme société; pour d’autres, une inquiétude et une préoccupation de voir se fragiliser davantage notre société. C’est dans ce contexte de recherche d’un vivre-ensemble au cœur de la pluralité et d’efforts réalisés pour maintenir une unité autour d’un projet collectif, que se pose aussi la question de la citoyenneté. C’est toute l’idée d’un passage d’une ci-toyenneté plus locale à une échelle plus universelle que posent ainsi les plus jeunes générations dans ce débat sur la citoyenneté.

    Citoyenneté et aménage-ment de la diversité

    Au-delà des enjeux et des sou-bassements de la notion de citoyen-neté, Rachida Azdouz rappelle que ce débat se voulait une sorte d’invitation en vue de construire un vaste mouvement de participa-tion civique. Elle admet que cela

    comporte le risque de participer à construire quelque chose dont l’issue n’est pas trop claire. Pour certains, il ne faut pas tenter de circonscrire définitivement le sens de la citoyenneté, parce que celle-ci est tributaire des situations indéter-minées dans lesquelles nous som-mes sans cesse appelés à vivre.

    Il est toutefois assez évident que le rapport à l’héritage et à la mémoire est fondamental dans le contexte québécois. Tout débat sur la citoyenneté, comme sur la cul-ture au Québec, implique une sorte de mouvement entre ce que l’on souhaite retenir du chemin par-couru et ce qui semble devoir être créé pour répondre aux nouveaux défis qui sont les nôtres pour forger un réel vouloir vivre ensemble6. S’il y a une chose qui ressort des débats suscités par Vivre ensemble sur cette question, c’est justement le fait qu’il faut oser affronter ce débat dans toute sa complexité en pariant notamment sur le potentiel de dynamisation de la vie collec-tive induit par la part de solidarité sociale dont peut être porteuse la délibération collective sur la citoyenneté. Au cœur de ce débat sur la citoyenneté se trouve donc toute la question du pluralisme, de l’identité et de l’espace civique commun. Ainsi, différentes con-ceptions de la citoyenneté entrent en discussion. Il en ressort claire-ment que la question identitaire oc-cupe une dimension importante : si pour certains, la différence est une valeur fondamentale qu’il faut pré-

    Il ne faut pas tenter de circonscrire définiti-vement le sens de la citoyenneté, parce que celle-ci est tributaire des situations indéter-minées dans lesquelles nous sommes sans cesse appelés à vivre.

  • 12 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    server, d’autres estiment qu’il faut surtout la considérer pour ce qu’elle apporte au débat démocratique et au projet de société. C’est donc à une articulation d’une vision de la démocratie qui soit en mesure de prendre en compte la diversité des appartenances qu’il faut tra-vailler. S’il est évident, comme l’a souvent rappelé Rachida Azdouz, que l’enjeu identitaire ne peut être évacué du débat sur la citoyenneté, il arrive toutefois trop souvent que celui-ci masque d’autres enjeux de société importants. Cette vision part de l’idée que les principes du pluralisme prennent tout leur sens quand les revendications identitai-res spécifiques aident à nourrir le débat public et à articuler une éthi-que sociale qui permet une avancée démocratique pour l’ensemble de la société et non seulement pour les seuls groupes dont émanent différents types de revendications. L’axe de réflexion qui est au cœur de ce débat tient notamment au rôle que notre régime de droits est sensé faire advenir par le biais de la participation civique et politique.

    Aussi, si l’on a noté le souci d’aborder, à travers le débat sur la citoyenneté, les défis du vivre-en-semble en tenant compte des dif-férentes composantes de la société, il n’en demeure pas moins qu’il est inquiétant que les conséquences sur la citoyenneté d’une véritable reconnaissance de la diversité culturelle ne soient pas assumés par les projets gouvernementaux de citoyenneté. Sur ce plan, le secteur Vivre ensemble a toujours tenté de prendre la mesure réelle de

    la réflexion qui consiste à penser l’appartenance québécoise à partir de cette réalité. C’est tout le refus d’explorer le potentiel d’une place réelle accordée à l’altérité et à la complexité qui aura ainsi été au cœur des débats du secteur. C’est toute la question du modèle qué-bécois de citoyenneté qui pourrait ainsi être affronté de façon inédite. Une telle perspective pourrait sans doute mieux faire place à des ini-tiatives visant à prendre en compte la résolution des droits politiques du Québec dans des options poli-tiques diverses.

    La délibération et le conflit social au crible de la citoyen-neté

    Par ailleurs, on ne répétera jamais assez, comme l’écrit Michel Pagé, que l’essentiel de la citoyen-neté c’est «d’abord l’instauration de rapports entre égaux, entre partenaires qui doivent ensem-ble construire un espace social, économique et politique»7. Et ces rapports sont sensés nous guider dans nos délibérations dans dif-férents secteurs de la vie sociale : école; comité de quartiers; services de santé. Et dans un contexte de diversité, les débats et les échanges demeurent fortement marqués et imprégnés par l’affirmation des appartenances. Si cette affirma-tion suscite de vives réactions aux yeux de certaines personnes, qui y voient une fragilisation de la société, d’autres soulignent que la diversité n’est ni un phénomène nouveau ni une réalité propre aux sociétés de l’immigration. Elle est davantage un invariant historique de notre société que l’on réduit un peu trop souvent à la seule dimen-

    sion culturelle; ce qui contribue notamment à gommer d’autres formes d’inégalités sociales.

    Un débat important qui anime le secteur est justement de com-prendre le rôle de la délibération pour la recherche d’un véritable vivre ensemble. Sur le plan des principes, beaucoup admettent que dans les rapports civils, là où se construit l’intérêt commun dans lequel il faut vivre, là où se réalise l’adaptation des institutions aux nouvelles réalités; ce n’est pas la confrontation des identités qui est salutaire; mais davantage la possibilité de dégager les termes de l’intérêt collectif pour construire un réel projet de société. C’est donc la possibilité de créer les termes d’un débat permettant de faire la jonction nécessaire entre les intérêts particuliers et l’intérêt général qu’il faut rechercher, pour reprendre les mots de Michel Pagé. Certes, ce débat est complexe dans le contexte québécois : Rachida Azdouz dira que la question de la citoyenneté au Québec se retrouve souvent dans l’impasse, car trop empêtrée dans des considérations partisanes, piégée par la question constitutionnelle et engagée dans une spirale de revendications iden-titaires.

    Au-delà de ces enjeux im-portants, il faut retenir ici que la portée politique d’une conception de la citoyenneté, qui se fonde sur le débat public, tient surtout au fait qu’elle permet de sortir de la logique consensuelle. Cela se réalise en rendant possible l’établis-sement d’un espace qui permet de nommer les identités conflictuelles et les positions divergentes qui existent à l’échelle de la société.

    C’est le refus d’explorer le potentiel d’une place réelle accordée à l’altérité et à la complexité qui a été au cœur des débats.

  • 13VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    Une telle position se fonde, comme le disent Élisabeth Garant et Ra-chida Azdouz, sur l’idée que la délibération critique constitue en elle-même un acte de citoyenneté participative8. Cette perspective vise à ce que les discussions sur le pluralisme posées sous l’angle de la citoyenneté doivent également évi-ter de faire l’économie de question-nements qui se posent en termes de justice et de solidarité sociale9. Les contours de cette solidarité sont à eux seuls complexes et l’objet de grands débats. L’objet du débat qui en découle consistera notamment à savoir comment s’instituent les décisions, les choix, les normes et les projets de lois qui président au projet de société que l’on se donne collectivement.

    Le secteur s’est aussi penché

    sur les conditions permettant de faire advenir une réelle forme de délibération. La participation citoyenne pose la question des processus de décision en politi-que et invite à se pencher sur la connaissance des institutions qui président à la décision politique. Il importe, comme l’a souligné Mi-chel Pagé, de comprendre la dyna-mique de ce processus de décision. Il juge tout aussi fondamental de saisir comment se construisent les compromis dans la solution des problèmes de société impliquant des intérêts différents, des idéo-logies différentes, des identités différentes et de comprendre que la participation des citoyens peut avoir du poids dans l’orientation de ces décisions10. Cela renvoie entre autres aux rapports de force qui existent dans la société mais aussi aux règles de fonctionnement et aux contingences qui s’imposent à des acteurs souvent inégaux dans

    la sphère publique. Cela en dit long sur la nature de notre régime démocratique. Ici, se pose en défi-nitive toute la question de la légiti-mité dans l’élaboration des normes qui règlent le fonctionnement de la vie collective11. Nous référons ici aux normes juridiques et/ou socio-économiques visant l’égalité d’accès, ainsi qu’aux mesures et mécanismes d’équité destinées notamment à remédier aux aspects systémiques de la discrimination qui peuvent affecter des groupes particuliers au sein de la société.

    C’est notamment l’élargisse-ment de notre espace public aux groupes les plus marginalisés mais aussi notre capacité à accueillir des formes inédites de mobilisations so-ciales qui peuvent contribuer à dy-namiser le sens de la participation à l’activité politique et citoyenne. Cette idée rejoint en quelque sorte André Jacob qui estime que la ci-toyenneté prend donc tout son sens quand le citoyen devient vraiment un acteur participant au dévelop-pement de toutes les sphères de la société. C’est pour cela que les dé-bats du secteur se sont longuement attelés à décrypter les limites12 qui empêchent justement de faire du citoyen un réel acteur participant : le rôle des idéologies dominantes; le rôle du pouvoir financier; la réduction de l’individu à son seul rôle de consommateur… Ce regard nous fait voir en quelque sorte que la citoyenneté n’est pas une réalité acquise ni figée qu’il faut réduire au seul régime de droits. Elle s’avère aussi un processus perpétuel de conquête de la capacité d’agir comme acteur responsable partici-pant au développement social, poli-tique, culturel et économique13.

    Des pistes à poursuivre Plus récemment le secteur

    Vivre ensemble a poursuivi cette réflexion sur une conception plus élargie et substantielle de la ci-toyenneté en s’attardant aux débats sur la justice sociale14. Cela s’est fait en se penchant sur les enjeux de lutte pour la reconnaissance et la redistribution au sein de nos sociétés. Cette réflexion, inspirée par les travaux de la philosophe étasunienne Nancy Fraser, vise à être attentif aux différentes formes de discrimination qui peuvent affecter certains groupes (femmes, minorités sexuelles, groupes immi-grants..) en fonction de leur statut au sein de la société.

    Cela signifie, dans un pre-mier temps, de s’attarder sur les injustices de type économiques et sociales qui ont des bases structu-relles et historiques, et, dans un deuxième temps, de combattre l’injustice symbolique et culturelle qui résulte d’un modèle social de représentation. Dans cette pers-pective, ce n’est plus l’identité spécifique du groupe qui exige reconnaissance, mais le statut des individus membres du groupe en tant que partenaires à part entière de l’interaction sociale. La non-re-connaissance, dès lors, ne signifie pas nécessairement la dépréciation de l’identité du groupe, mais plutôt une subordination sociale au sens d’un empêchement à participer en tant que pair à la vie sociale, empê-chement résultant d’un ensemble institutionnalisé de codes et de valeurs culturelles qui constituent

    Le secteur Vivre ensemble a poursuivi cette réflexion sur une conception plus élargie et substantielle de la citoyenneté.

  • 14 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    l’individu comme, relativement, indigne de respect ou d’estime.

    Enfin, c’est aussi à travers une réf lexion sur les contours que prend la précarité chez les person-nes migrantes et réfugiées que le questionnement sur la citoyenneté prend toute son acuité au sein du secteur Vivre ensemble. Cette attention portée à la précarité qui aff ligent une grande partie des migrants - comme celle à l’égard des franges les plus vulnérables et exclues de notre société - a pour vertu de contribuer au dynamisme social et politique de la société d’«accueil». Un tel engagement permet d’insuffler une conception plus substantielle et élargie de la citoyenneté en faisant de cette dernière une pratique collective plutôt qu’un seul statut d’ordre juridico-politique. De nombreuses personnes ayant à cœur de rompre le cycle d’inhumanité dans lequel sont confinés les migrants vont jusqu’à affirmer que la lutte de ces derniers représente des moments privilégiés de développement de la citoyenneté active (ou si l’on veut de la participation directe aux affaires publiques) sans laquelle précisément il n’y a pas de cité, mais seulement une forme étatique coupée de la société et empêtrée dans son abstraction15. Le politique prend en effet son sens lorsque les personnes auxquelles n’est assignée aucune place dans l’ordre social commencent à rendre audibles leur doléances et à s’organiser16. Cela ne veut pas dire prendre inconditionnellement partie pour les exclus (comme les migrants), mais plutôt opter en vue de l’égale participation de tous aux affaires de la cité.

    Les pistes de réf lexion qui s’annoncent au secteur Vivre en-semble vise notamment à penser certains enjeux actuels du débat sur la laïcité dans une perspective de lutte aux discriminations et d’accès à l’égalité tout en faisant le pari de l’ouverture. Les défis citoyens inhérents à ce débat sont complexes et nécessiteront des réponses inédites. Les choix qui s’imposeront devront résulter d’un débat réellement inclusif et attentif aux enjeux de lutte aux inégalités. Il parait important de ne pas perdre de vue ces éléments au moment où certains groupes culturels, à l’ins-tar de la communauté musulmane, sont pris à partie dans le débat social actuel. À défaut, c’est toute la légitimité de nos choix politiques qui devra en pâtir.

    (L’auteur est le nouveau coordon-nateur du secteur Vivre ensemble du CJF depuis septembre 2010).

    1 Je renvoie ici aux différents

    textes publiés dans les éditions précé-

    dentes du bulletin Vivre ensemble pour une

    analyse et un rappel plus exhaustifs de la

    notion de culture publique commune. Voir

    notamment : «Définir l’appartenance col-

    lective au Québec», Vivre ensemble, Vol.6,

    No 22, automne 1997, pp.4-6.

    2 Cette discussion fut organisée

    suite au dépôt du Rapport du Conseil

    supérieur de l’éducation de 1998 portant

    sur la citoyenneté. La première partie du

    document faisait état de l’évolution de

    l’idée de «citoyenneté», des enjeux qui lui

    sont posés et du défi de vivre ensemble dans

    un contexte de pluralisme culturel.

    3 Vivre ensemble, vol. 8, no 27,

    Automne 1999.

    4 Vivre ensemble, Vol.8, No 28,

    Hiver 2000.

    5 Ibid.

    6 Ibid.

    7 Michel Pagé revient sur le défi qui

    incombe à une société comme le Québec

    réduite à ce qu’il nomme des ensembles

    distants. Il en identifie quatre : la majorité

    francophone; la minorité anglophone; les

    communautés amérindiennes et les com-

    munautés culturelles. Voir l’analyse serrée

    qu’il en fait : Michel Pagé, «Citoyenneté et

    intérêts communs» Vivre ensemble, Vol. 6,

    No 22, automne 1997.

    8 Élisabeth Garant et Rachida

    Azdouz, «Identités multiples et projet de

    société», Vivre ensemble, vol. 10, No 35,

    Hiver 2002.

    9 R ach ida A zdouz , «Viv re-

    ensemble en contexte pluraliste : un enjeu

    identitaire ou une question de justice

    sociale?, Vivre ensemble, vol. 10, no 36,

    Printemps 2002.

    10 Michel Pagé, «La délibération,

    une dimension incontournable du vivre-

    ensemble», Vivre ensemble, Vol. 11, no. 39,

    Printemps-été 2003.

    11 Sur ce plan, on ne rappellera

    jamais assez que dans le contexte globa-

    lisation capitaliste des échanges écono-

    miques, toute forme de normes, de finalités

    ou de projets autres que ceux poursuivis

    par l’organisation transnationale désirant

    maintenir sa compétitivité sont consi-

    dérés nuisibles, quel que soit par ailleurs

    leur caractère fondamental pour le vivre

    ensemble.

    12 André Jacob, «La citoyenneté

    est-elle une utopie?», Vivre ensemble, Vol.

    11, No. 39, Printemps-été 2003.

    13 Ibid.

    14 Cela s’est notamment fait sous la

    forme d’un séminaire de réflexion organisé

    en juin 2007 par le secteur Vivre ensemble

    avec la politologue Diane Lamoureux.

    15 Étienne Balibar, Nous, citoyens

    d’Europe? Les frontières, l’État, le peuple,

    Paris, La Découverte, 2001.

    16 Jacques Rancière, La Mésentente,

    Paris, Galilée, 1995.

  • 15VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    Un enjeu de justice sociale

    Louise Dionne

    Les barrières à l’égalité sont souvent des barrières invisibles tant qu’on ne regarde pas ce qui fonde les comportements de chacun. L’action du secteur Vivre ensemble vise l’éradication de l’exploitation en s’appuyant sur les valeurs de justice sociale et d’équité1, cette quête de justice est au cœur de sa réflexion.

    Les questions politiques, éco-nomiques, culturelles, sociales ainsi que religieuses sont analysées à partir d’un regard particulier, celui de la dignité humaine. Cette ana-lyse identifie les causes d’inégalités, propose un projet de société fondé sur la prise en compte des réalités des personnes exclues par la dy-namique sociale actuelle et vise à mettre en place les conditions nécessaires à la participation de toutes les personnes au sein de la vie collective.

    Ainsi, toutes les réf lexions qui portent sur les enjeux sociaux contemporains en lien avec la diversité culturelle et le pluralisme au sein d’une société, comme c’est le cas de la société québécoise, doivent permettre une démarche qui vise le respect et la dignité des personnes. Les conclusions de cette démarche se doivent aussi d’assurer une chance égale à tous et toutes de s’épanouir au sein de cette so-ciété. Il ne s’agit pas d’un parti pris idéaliste ou utopiste, mais plutôt de la justice sociale qui se doit d’être au cœur de tout projet de société ouvert à l’autre.

    Les débats sur le vivre ensemble trouvent leur pertinence dans la mesure où ils visent une plus grande justice autant entre les

    peuples qu’entre les individus. C’est dans cette perspective que l’option pour la justice sociale se doit d’être au cœur des questions portant sur l’immigration et le pluralisme. Cette façon de faire prend la forme d’une option clairement affirmée pour les plus vulnérables et pour une dénonciation des injustices. Cette option s’accompagne d’un travail d’analyse fondée sur la jus-tice sociale et pour la défense de droits humains.

    La justice sociale repose sur le postulat indissociable des en-gagements personnels et collectifs de ceux et celles qui s’attachent à mettre en œuvre une société qui respecte la dignité des personnes et qui favorise des valeurs telles que l’entraide, la solidarité et la diversité.

    Porter un regard sur les transformations sociales et la dy-namique de rapports sociaux à partir d’une perspective de justice sociale ne signifie pas pour autant que les réponses sont plus simples. Car la notion de justice sociale impose de réfléchir sur les causes de non-justice et sur les solutions apportées en lien avec les besoins et les attentes des personnes et des groupes concernés.

    Il est difficile de définir la justice sociale et de trouver une théorie satisfaisante pour le faire. Par contre, on peut identifier l’in-justice et y travailler dans l’horizon de ce qui correspond à une justice sociale consensuelle. Cela implique une transformation radicale de la société (qui touche les « racines » des inégalités sociales) pour per-mettre à toutes les personnes de disposer des moyens nécessaires à leur pleine participation citoyenne. Le régime de droits constitue à cet égard un levier principal pour la mise en œuvre de l’égalité au sein des sociétés occidentales.

    Les droits ne sont pas des ins-truments simplistes qui imposent un égalitarisme sur lequel s’appuyer pour assurer une redistribution mécanique de la richesse à toutes les personnes sans tenir compte de la diversité des besoins. Les princi-pes sous-jacents à la justice sociale se doivent d’impliquer la mise en place de modalités différentes pour certaines personnes qui sont discri-minées par l’application d’une règle uniforme trop rigide. Cette prise en compte des différences vise à assurer à ces personnes un accès véritable aux ressources et aux services appropriés pour participer et contribuer à la vie collective.

    Plus qu’une justice économi-que

    Les actions menées au nom de la justice sociale doivent viser à

  • 16 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    permettre à toutes les personnes de disposer des moyens nécessaires à leur pleine participation à la so-ciété. La seule prise en compte des enjeux d’inégalités économiques ne peut répondre adéquatement aux problèmes liés à l’absence de reconnaissance des causes spéci-fiques d’injustices. S’inscrire dans une démarche de justice doit s’ar-ticuler autour de deux pôles, soit celui d’une redistribution équitable de la richesse et celui de la recon-naissance des différents modèles culturels.

    Il faut tirer profit de ces deux aspects de la justice sociale que sont la reconnaissance et la redis-tribution. Cela signifie les utiliser comme outils conceptuels d’ana-lyse de cas d’injustice sociale pour clarifier ce qui constitue l’injustice tant sous l’angle de la reconnais-sance que celui de la redistribution. La reconnaissance a trait à l’accep-tation des particularités identitaires de personnes ou groupes alors que la redistribution a trait à l’accès équitable des personnes aux biens et services.

    La place des personnes mi-grantes et leur participation à la société québécoise ont souvent été conçues sous l’angle de la redistri-bution. Ainsi, l’accès aux services sociaux, à l’éducation, à l’emploi, etc., a longtemps été la voie pri-vilégiée comme mesure de justice sociale. Cela explique que cette redistribution a pu sembler plus inclusive dans la mesure où il s’agit d’une visée d’égalité économique et sociale. De plus, elle s’inscrit dans

    un ensemble normatif reposant sur un consensus historique visant, du moins pour le Québec, à briser les vieux schèmes des privilèges liés au statut social ou économique.

    Toutefois, l’approche distribu-tive est apparue insuffisante pour tenir compte des injustices issues de spécificités culturelles, sociales, voire sexuelles ou ethniques. Les demandes exprimées par ces grou-pes sociaux sont souvent mal per-çues. Pourtant, ces derniers ne de-mandent qu’à être partie prenante de la société qui les exclut. En effet, la redistribution de la richesse et l’accès universel aux ressources communes posent problème, car elles ne permettent pas toujours de résoudre l’exclusion de certains groupes de la société. Bien souvent, les mesures de redistribution repo-sent sur les valeurs de la majorité et font abstraction des spécificités culturelles et religieuses de certains groupes minoritaires.

    La reconnaissance de la di-versité des valeurs offre une voie appropriée pour réparer ces in-justices évacuées par une redis-tribution trop mécanique. Par reconnaissance, il faut comprendre les mesures mises de l’avant pour contrer les exclusions systémiques et la discrimination dont certains groupes sont victimes. Ainsi, les ajustements volontaires pris par certaines institutions pour répon-dre aux demandes de certains groupes confessionnels ou les per-sonnes handicapées sont des exem-ples de mesures d’action positive concertées en vue de réparer une situation d’injustice.

    Les Chartes québécoise et canadienne des droits de la per-

    sonne sont des instruments qui permettent de réfléchir collective-ment aux moyens de répondre aux injustices vécues par les personnes et les groupes sociaux se sentant discriminés par des politiques, des décisions ou des actions. Ces dernières ne semblent pas toujours préjudiciables pour la majorité parce qu’inscrites dans la culture, l’histoire et les valeurs du plus grand nombre. Toutefois, il faut trouver les moyens d’en corriger les effets discriminants lorsque ceux-ci ont des incidences perverses à l’encontre de l’esprit qui a mené à leur adoption.

    Une justice plurielle Cependant, il arrive que des

    mesures visant à corriger ces injus-tices créent de l’incompréhension. C’est ce qui arrive lorsque les gens ont l’impression que la reconnais-sance de ces spécificités se fait à leur détriment ou qu’elles semblent s’opposer aux efforts collectifs ex-primés dans les politiques adoptées pour assurer une redistribution plus équitable au sein de la société.

    L’application d’une norme d’équité universelle est une con-quête de haute lutte contre les pri-vilèges accordés en fonction de la richesse, de liens sociaux privilégiés avec quelqu’un, de la notoriété, de la religion, etc. La norme d’équité vise à faire abstraction de ce qui distingue les gens : sexe, âge, ri-chesse, ethnie, langue d’usage, etc. Ce principe demeure fondamental. Cependant, il ne faut pas fermer les yeux sur le besoin particulier qui s’exprime par la demande de reconnaissance. Il faut prendre en compte certaines particularités

    Il faut tirer profit de ces deux aspects de la justice sociale que sont la reconnaissance

    et la redistribution.

  • 17VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    qui pourraient modifier la norme universelle et en examiner les conséquences.

    Dans le contexte de société pluraliste, il faut mettre en évi-dence l’importance de définir la justice sociale en fonction de l’accès équitable à une vie décente. Les conditions pour une participa-tion pleine et entière relèvent alors de deux ordres : celles touchant la structure économique (disposer de ressources matérielles suffisantes) et celles touchant les modèles insti-tutionnalisés de valeurs (bénéficier d’un statut de partenaire tout en étant différent). Les deux types de conditions deviennent indispen-sables et toutes démarches s’ins-crivant dans une perspective de justice sociale doivent contribuer à cette réalisation de deux ordres.

    Les notions de reconnaissance et de redistribution réfèrent géné-ralement à la question des choix de société sur lesquels repose aussi la solution de justice sociale et appelle à des notions comme la solidarité. Existe-t-il d’autres paradigmes possibles ? Dans tous les cas, la réalisation de la justice sociale implique l’existence d’espaces si-gnificatifs de participation, ce qui renvoie aux rôles et à l’importance des institutions.

    La préoccupation pour la jus-tice sociale est importante pour l’Église catholique. Comme pour cette dernière, la plupart des re-ligions ont ancré l’idée de jus-tice dans leurs enseignements et leurs pratiques. C’est ainsi que les croyants interpellés par le potentiel d’humanisme et d’éthique que l’on retrouve à la fois dans le christia-nisme, l’islam et le judaïsme, pour ne nommer que celles-là, sont à même de donner une portée réelle à l’horizon universel de justice sociale, lequel transcende les ap-partenances distinctes.2

    Cette réflexion doit viser aussi le politique, les questions de droits, d’inclusion démocratique et de la transformation des structures institutionnelles de pouvoir. Le problème de l’exclusion politique ne se limite pas qu’aux problèmes de redistribution ou de reconnais-sance. Sur le terrain du politique, la perspective de justice doit viser un idéal d’inclusion démocratique. La participation citoyenne est un enjeu important de la justice sociale et elle est au cœur de la citoyenneté. Il s’agit du droit à la participation, mais aussi de la responsabilité qu’impose cette participation.

    La réalisation de la justice so-ciale implique l’existence d’espaces politiques crédibles et signifiants au plan local/régional/national, incluant des structures étatiques fortes. Ces dernières ne doivent pas délester leurs responsabilités d’as-surer le bien commun aux sphères économique, juridique ou même religieuse. Par ailleurs, dans un contexte où la réponse à plusieurs enjeux dépasse les interventions locales et nationales, la justice so-ciale repose aussi sur des initiatives internationales aptes à mettre en œuvre de solutions adéquates.

    L’expression « penser global et agir localement » prend tout son sens à la lumière des migrations actuelles. Penser le vivre ensemble dans ce contexte, demande d’ins-crire cette vision de la justice dans le courant altermondialiste et des nouvelles solidarités à l’œuvre. C’est sans aucun doute le défi qui attend ceux et celles qui s’enga-geront à promouvoir la justice en cherchant un équilibre entre l’ici et l’ailleurs incertain pour tous.

    1 Résumé des propos exprimés

    dans le compte-rendu d’une rencontre

    du Comité d’orientation du secteur Vivre

    ensemble le 12 avril 2005

    2 Extrait des propos de Gregory

    Baum, Séminaire sur les traditions religieuses

    face à la justice sociale, 30 octobre 2007.

  • 18 VIvRe ensemBLe • VOLUME 18, N° 60 (AUTOMNE 2010)

    Le Vivre ensemble et la spiritualité ignatienne

    Mauricio Palacio 1

    Le secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi a développé au cours des ans une «façon de faire », « une manière de procéder » dans son travail de réflexion. Cet article tentera de démontrer la relation qui existe entre notre façon de faire et l’essence de la spiritualité du fondateur de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola.

    La mission du secteur Vivre ensemble (VE) nous ramène à l’esprit des expériences vécues par Ignace de Loyola, au XVIe siècle. C’était un temps de grands changements culturels, religieux, philosophiques et scientifiques. Interpellé par les signes du temps, ainsi que par son propre contexte, Ignace prit conscience de la présence du transcendent dans le quotidien. Avant même de fonder la Compagnie de Jésus en 1539, il trouva une méthodologie universelle pour lire la mission de tout être humain qui tient compte de son histoire et de son existence concrète.

    À la fo i s cheva l i er e t h u m a n i s t e , I g n a c e e s t un homme de son époque. Par contre, son e xpér i ence sp i r i tu e l l e s’enracine profondément dans l’humain et le divin, de manière qu’une fois dépouillée du vernis du temps, sa spiritualité soit une spiritualité universelle, qui peut rejoindre tout l’humain2.

    Travailler au cœur du monde : une mystique en action

    Faisant une relecture de son expérience, dans un véritable processus de « conscientisation », vécu d’une façon personnelle et profonde, Ignace se rend compte de l’utilité de son expérience pour les autres. Il la partage donc en écrivant tout ce qui l’interpelle de même que tous les éléments sur lesquels il discerne. C’est ainsi que naissent les Exercices spirituels. Dans cette œuvre, Ignace nous aide à découvrir le divin présent dans l’ordinaire. Ainsi, il met en évidence l’action du divin au cœur du monde.

    Mais, être et agir au cœur du monde veut également dire sentir avec l’autre et avec l’entourage, être intentionnellement engagé à répondre aux besoins de l’autre. L’universalité de la vision d’Ignace ne s’arrête pas aux enjeux d’ordre humain, elle se répand au-delà de l’homme, au-delà du temps et en incluant même l’environnement. Les conditions de réalisation du projet humain se trouvent dans l’histoire lue au présent en pensant à l’avenir.

    Au Vivre ensemble, on est « contemplatif dans l ’action » pour reprendre une expression de Jérôme Nadal3. Le travail du secteur Vivre ensemble rejoint la mystique de service présente dans la spiritualité ignatienne. Pour Ignace, la mystique contemplative et méditative demeure dans l’agir. C’est ainsi que la méditation/contemplation mystique dans le travail fait n’est pas un acte cérébral, mais intégral; elle engage tout l’être. Ainsi, autant l’équipe permanente de Vivre ensemble que les membres du comité d’orientation et ceux qui sont invités à participer aux activités que l’on développe au Vivre ensemble, tous ont un engagement profond avec le désir de vouloir construire un monde plus harmonieux. Lors des activités, les personnes invitées sont en connivence avec cette vision de la société. La parole est donnée à ceux qui reconnaissent le phénomène migratoire non comme une menace, mais comme une chance. Ensemble, il est exploré les points de convergence et de connivence avec ces personnes.

    Au Vivre ensemble, il y a une conviction de l’importance d’une analyse rigoureuse et d’une vision claire. Les personnes engagées dans la démarche visent une compréhension juste des enjeux dans une quête pour un monde plus juste dans une perspective axée sur le respect et la promotion de la dignité humaine. Ensuite, on entre dans un processus de

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    décision vers la reconnaissance d’une responsabilité envers les autres.

    Cette méthode vise à trouver ce qu’Ignace appelait le « magis »4. Ignace était convaincu que l’être humain a toute la capacité et la sensibilité pour entreprendre un projet de transformation de l’univers. Ce projet on peut le comprendre comme une harmonisation de l’univers. Pour Ignace, les hommes et les femmes sont les seuls qui peuvent répondre à un appel à la responsabilité avec leur entourage, avec l’univers. Pour lui, c’est précisément dans l’être et dans son entourage que l’on trouve le divin. C’est à nous au Vivre ensemble de donner des éléments qui aident les personnes dans leur processus vers la responsabilité avec son entourage.

    Discerner: entre urgence et choix

    Ignace avait aussi une vision claire de la liberté de choix chez l ’être humain. Il comprenait l’importance d’avoir un processus de di scernement avant une décision, car la responsabilité du projet d’harmonisation de l’univers dépend d’abord de l’être humain même. Au Vivre ensemble, le même processus de discernement est utilisé pour choisir les thèmes à traiter. La priorité et l’urgence sont aussi marquées par le « magis ». Par exemple, le thème des accommodements raisonnables occupe une place particulière à cause de son importance dans le contexte historique et politique tant actuel que futur de la société québécoise.

    Le processus de discernement, appelé par Ignace «discernement des esprits », tente de lire les signes des temps, c’est-à-dire les événements qui définissent l’histoire d’une société particulière. Avec les accommodements raisonnables, il s’agit de la société québécoise dans son rapport à l ’ immigration. Il faut évaluer les éléments politiques, sociaux, économiques, religieux, etc. en jeux. Ensuite, le discernement impose de recevoir l’information sur des expériences vécues par ceux qui font face aux événements dans leur quotidien (intervenants communautaires, chercheurs, politiciens qui travaillent avec les personnes migrantes). Puis, il y a une analyse, toujours en hiérarchisant selon le « magis ». L’analyse se fait en opposant les éléments déjà identifiés dans une perspective tournée vers l’avenir, un futur de justice et d’équité. Les éléments privilégiés seront ceux qui contribuent à construire cette harmonie pour la société québécoise tout en prenant en compte les enjeux planétaires.

    Pour accomplir ce but, le secteur compte sur ses activités publiques et le bulletin Vivre ensemble. L’information est ainsi diffusée et contribue à alimenter le processus de discernement. Cela se fait autant en mettant en évidence des éléments qui constituent une dénonciation d’une situation d’injustice qu’en présentant des conditions qui favorisent le plus grand bien-être global autant de la société québécoise que du monde.

    La répétition : une pratique ignatienne

    Ignace recommande toujours de travailler un même exercice plusieurs fois. La répétition est un outil souvent utilisé dans l’analyse sociale, car elle aide à trouver de nouveaux éléments permettant un meilleur examen des thèmes privilégiés. La répétition, se pratique au secteur Vivre ensemble lors des suivis de dossiers récurrents – réfugiés, travailleurs migrants, sans-papiers… Cela prend la forme de conférences par des personnes ressources ou encore par des articles dans le bulletin. Ces suivis permettent de faire le point régulièrement sur des enjeux. La répétition favorise l’actualisation des informations de même que l’évolution sociale des enjeux en lien avec l’immigration.

    Une vision d’engagement

    L’option du Vivre ensemble est fidèle à la mission de la Compagnie de Jésus qui s’inspire de la pensée d’Ignace. À partir d’une lecture de la vie et de l’incarnation du divin en Jésus, Ignace découvre que l’on poursuit le plus grand bien-être pour l’univers lorsque « l’on trouve Dieu dans toutes les choses et toutes les choses en Dieu ». Au Vivre ensemble cela s’incarne dans les ressources intellectuelles et matérielles mises à profit pour proposer des solutions favorables au développement de la société québécoise tout en prenant en compte le contexte international.

    Ignace nous aide à découvrir le divin présent dans l’ordinaire. Ainsi, il met en évidence l’action du divin au cœur du monde.

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    L e s t h è m e s a b o r d é s par le bulletin Vivre ensemble ( p lu r a l i sme , i m m ig r at ion , pastorale interculturelle…) sont souvent absents des grands débats médiatiques. Ignace de Loyola était convaincu du besoin d’aller là où personne n’irait, d’aller là où on trouve le plus grand besoin à propos de la quête du plus grand bien-être.

    Aussi, circonscrite par les orientations de la Compagnie de Jésus, l’option pour l’engagement avec le s p lu s dému n i s e s t importante pour Vivre ensemble. Les plus démunis sont souvent les personnes migrantes sans ressource, isolées, ignorantes de leurs droits et de la langue.

    L a m i s s i o n du s e c t eu r comprend aussi une dimension de respect et de dialogue. Au Vivre ensemble, il est important de respecter la culture de ceux qui arrivent de même que de les soutenir dans leur intégration à la société québécoise. Il y a une ouverture et une étroite collaboration aux autres religions. Cependant, au Vivre ensemble, il s’agit d’un dialogue avec des personnes qui ont soif de justice, qui ont une conviction commune dan