Vers un régionalisme « fonctionnel »_Quermonne

download Vers un régionalisme « fonctionnel »_Quermonne

of 29

Transcript of Vers un régionalisme « fonctionnel »_Quermonne

Monsieur Jean-Louis Quermonne

Vers un rgionalisme fonctionnel ?In: Revue franaise de science politique, 13e anne, n4, 1963. pp. 849-876.

Citer ce document / Cite this document : Quermonne Jean-Louis. Vers un rgionalisme fonctionnel ?. In: Revue franaise de science politique, 13e anne, n4, 1963. pp. 849-876. doi : 10.3406/rfsp.1963.392745 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1963_num_13_4_392745

Vers

un

Rgionalisme JEAN-LOUIS

"Fonctionnel" ?

QUERMONNE

TL n'y A pas encore si longtemps que l'objectif de la dcentral isation tait de nature exclusivement politique 1. Trois sortes de revendications l'exprimaient. La premire tait d'ordre his torique : elle visait maintenir les traditions provinciales et favoriser l'panouissement du folklore. La seconde, de caractre juridique : elle tendait garantir, par un statut appropri, le dve loppement des liberts locales. La troisime, d'essence immdiate ment politique : elle proposait la reconnaissance du self-govern ment rgional et local comme contrepoids la centralisation de l'Etat dmocratique ; et, sur ce dernier point, Alexis de Tocqueville a tout dit. Cette conception politique et juridique n'tait pas l'apanage de la droite. Elle fut, certes, illustre par Barrs et par Mistral et rencontra, de ce ct-ci de l'ventail politique, de nombreuses complaisances. Elle fut surtout systmatise par Maurras, comme en tmoigne l'Enqute sur la monarchie. Mais la dcentralisation fut aussi un thme approuv par la gauche. Elle alimenta au cours du xixe sicle les proccupations de l'anarcho-syndicalisme. Et Proudhon lui donna en 1863 dans le Principe fdratif la base doctrinale qui lui avait manqu jusque-l. Ainsi ce commun objectif fut-il moins rvlateur d'une tendance que d'une gnration 2. Son contenu ambigu joint ses perspect ives souvent utopiques lui permit d'entretenir autant d'aspirations 1. Cet essai est largement tributaire des travaux entrepris, dans le cadre de l'Institut d'tudes politiques de Grenoble, par le Centre d'tudes et de recherches sur l'administration rgionale et locale, sous la direction de MM. Ch. RoiG et Pierre Bolle. Il prcde la publication d'une srie d'tudes dans la nouvelle collection des dossiers de l'I..P. de Grenoble. 2. Cette constatation rsulte des tudes runies sous la direction de Robert Pelloux sous le titre : Libralisme, traditionalisme, dcentralisation, Paris, A. Colin, 1952, xiv-196 p. (Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques n 31). .

Jean-Louis Quermonne de nature diffrente, ce qu'explique aisment la haine dans laquelle elles communiaient l'gard de l'Etat jacobin et de l'administra tion napolonienne. La dcentralisation fut donc, la fin du sicle dernier, une idologie diffuse. Celle-l mme qui s'panouit tra vers les lois de la Rpublique, de 1871 1884. Toutefois, au sein du mouvement dcentralisateur, le rgiona lisme proprement dit a toujours occup une place part. Peut-tre faut-il l'attribuer la nostalgie que n'a cess d'prouver la contrervolution l'gard de l'autonomie prtendue des provinces ? Touj ours est-il que le rgionalisme prit assez tt une coloration poli tique et devint, jusqu' la fin de la IIIe Rpublique, un thme favori de la droite. Les valeurs qu'il entendait promouvoir taient naturellement conservatrices. Il exaltait, en mme temps, la tra dition et le folklore, les dialectes et le terroir, ainsi que les divers aspects du particularisme provincial. Tourn de cette faon vers le pass, il ne pouvait avoir qu'une porte politique limite. Et il n'aurait jamais connu d'application pratique si les circonstances tragiques de 1940 ne lui avaient permis de figurer parmi les object ifs la rvolution nationale . Mais son destin, l encore, l'a de conduit servir plus souvent d'alibi qu' inspirer des rformes prcises. L'institution des prfets rgionaux en fournit un exemple probant. De cette ligne doctrinale, peu de chose subsiste aujourd'hui, si ce n'est un certain poujadisme qui se manifeste de manire sporadique dans les rgions dprimes. Par contre, demeure intacte l'aptitude que conserve la province contester Paris. Celle-ci s'exprime frquemment travers le dialogue des lus locaux avec les administrations centrales. Et la faveur de rformes administ ratives incertaines, il est capable d'alimenter une certaine oppos ition au pouvoir politique. C'est, cependant, en rupture avec ce courant traditionnel que s'affirme l'heure actuelle l'essentiel de la rvolution rgionale . Car l'expansion conomique a boulevers la problmatique habit uelle. Le rgionalisme institutionnel, qui regardait nagure vers le pass, fait place un rgionalisme fonctionnel orient vers l'avenir. Sans doute, ce qualificatif tait-il rserv autrefois des tablissements publics spcialiss, dpourvus d'assise terri toriale ? Il est significatif qu'il affecte aujourd'hui la Rgion, dont on attend qu'elle constitue, la fois, l'chelon auquel s'exerce une coordination efficace des administrations de mission et le relais d'une planification la fois nationale et rgionale. 850

Vers un Rgionalisme Fonctionnel Fond sur des considrations objectives, et non plus historiques ou sentimentales, le rgionalisme fonctionnel n'a plus pour pre mier objectif de promouvoir un nouveau type de collectivit terri toriale. Fruit de la gographie volontaire et des nouvelles sciences sociales, il tend dfinir au niveau rgional un certain nombre de tches principalement destines coordonner, voire synchroniser les interventions de l'Etat. D'o sa plus grande apti tude dfinir une politique de dconcentration progressive qu' s'associer une dcentralisation effective. Pour elle il prouve encore une certaine allergie car elle semble toujours inquiter ses parrains. D'o son triple caractre objectif, prospectif et oprat ionnel. C'est, d'ailleurs, dans la perspective trace par la planification que le norgionalisme revt son vritable sens. N du dialogue entrepris entre le Commissariat gnral du Plan et le corps pr fectoral, il s'est forg au rythme de la prise de conscience d'un ncessaire amnagement du territoire. Edifi peu peu dans une ambiance techno-bureaucratique, il a donc conserv un caractre relativement confidentiel et profit d'une certaine dpolitisation. Ce qui explique que le rgionalisme . Encore est-il que la prise de conscience ne fut pas immdiate, malgr l'ampleur du dsquilibre que rvlait la comparaison de nos structures territoriales avec celles de nos partenaires, chaque tape de l'unification cono mique de l'Europe. Mme peru dans ses consquences essentielles, le danger demeurait obscurci par la problmatique traditionnelle. Elle conti nuait se poser en termes de revendication politique et se rsumer dans l'ternelle attente de la dcentralisation. Comme s'il pouvait tre remdi, en priode d'expansion, un dsquilibre territorial par de simples mesures de transfert en province de quelques indust riesou d'un petit nombre de grandes coles ! Certes, il faut admettre que la plupart des dispositions admin istratives prises pour empcher l'installation dans la rgion pari sienne de nouvelles entreprises ou pour faire obstacle l'extansion dmesure des installations existantes ont produit, la longue, certains rsultats. Mais elles relvent d'un tat d'esprit qui n'a pas dpass une vision bilatrale des relations Paris-province. Et d'une certaine manire, cette politique a entretenu dans les mentalits le nfaste clivage qu'y avait introduit la concentration industrielle du sicle prcdent. Aussi, pour que la dcentralisation s'inscrive dans une plus vaste perspective, il fallait attendre que l'enjeu quitte les rives de la Seine pour recouvrir la carte du pays tout entier. Un fait a largement contribu cet panouissement. Nous voulons parler de l'effort d'investigation entrepris en vue d'une meilleure connais sance la rgion parisienne. Derrire le mythe d'un Paris pros de pre et tentaculair , il a permis de dceler les lzardes. Quart iers insalubres et communes-dortoir ont progressivement livr l'enquteur l'ampleur de leurs problmes. Et cette communaut dans la sous-administration et le sous-dveloppement a contribu crer entre Paris et la province un tat de comprhension que les polmiques antrieures avaient si souvent obscurci. Ainsi la rnovation parisienne est venue s'ajouter l'exigence de l'expansion 5. Gravier J.-F.), Paris et le dsert franais. Paris, Le Portulan, 1947, 421 p. 85 S

Jean-Louis Quermonne rgionale pour constituer avec elle un seul et mme objectif : l'amnagement du territoire^. Non pas que ce changement de terminologie ait dfinitivement effac le souci d'oprer, en France, une large dcentralisation. Une politique soucieuse de promouvoir un espace conomique rquilibr suppose toujours une rduction progressive des princi pales disparits. Mais partir du moment o l'amnagement du territoire n'est plus pens exclusivement en termes de transferts, la proccupation d'quilibrer Paris s'inspire davantage des pos sibilits offertes par l'expansion conomique et l'explosion dmo graphique. Celles-ci permettent la formation, grande chelle, de mtropoles provinciales plus rapidement et plus srement que ne pouvaient l'obtenir les vellits d'entreprendre cote que cote une politique de dmnagements au compte-gouttes. Cette mutation intervenue dans la stratgie de la gographie volontaire a pu enlever la dcentralisation ce qu'elle comport ait encore d'utopique. Elle marque le passage du rgionalisme traditionnel et polmique au rgionalisme objectif et fonctionnel. Elle tablit les relations Paris-province sur une base saine en subs tituant un faisceau de rapports bilatraux d'ingalit, la perspect ive d'une dizaine de grandes mtropoles en relation multilatrale avec la capitale 7. On conoit qu'eu gard au contexte franais beaucoup de temps et de persuasion aura t ncessaire pour faire prvaloir ce point de vue. Or il faut bien constater qu'il ne l'a pas encore dfinitiv ement emport. Le mrite revient donc spcialement au Commissariat gnral du Plan d'avoir su progressivement l'acclimater. Ainsi, la Rue de Martignac a d ajouter sa vocation premire une mis sion ducative qui s'est d'abord exerce auprs du personnel poli tique et des hauts fonctionnaires, avant de s'adresser l'opinion tout entire 8. Cette gense du rgionalisme fonctionnel travers l'oeuvre de planification retiendra donc maintenant notre attention. Car il serait impossible d'en retracer fidlement les tapes sans l'associer l'laboration des derniers plans dont elle procde directement, 6. Delmas (Claude), L'amnagement du territoire, Paris, Presses univers itaires de France, 1962. 128 p. (Que sais-je?). 7. Delmas (Claude), op. cit. 8. A ct de l'action exerce par le Commissariat gnral du Plan, il faut mentionner les efforts entrepris par le ministre de la Construction et de l'Urbanisme, notamment sous l'influence de MM. Claudius-Petit et Sudreau, et par le ministre de l'Agriculture sous l'impulsion de M. Pisani.

Vers un Rgionalisme Fonctionnel LA PLANIFICATION REGIONALE Pendant assez longtemps les plans franais taient demeurs trangers au problme rgional. Le premier ne fit que suggrer, en passant, quelques problmes d'quilibre rgional ; le deuxime approfondit trois actions bien dtermines . Mais ils en taient rests l. Paralllement, la cration par la loi du 21 mars 1948 des Inspecteurs gnraux de l'Administration en mission extraordi naire des ressorts territoriaux correspondant relevait de pret occupations trangres l'conomie. Et, encore actuellement. ^ cette institution vise seulement faire de chaque groupe de dpartements compris dans une igamie un cadre de coordination entre l'action du prfet et celle du commandant militaire rgional ; les igamies ne sont devenues aucun degr des rgions objet administratif plus ou moins gnral et ne seraient du reste pas gographiquement adaptes cette fin 10. Il fallut donc attendre les dcrets' du 30 juin 1955. Inspirs quelque dix ans aprs sa cration par le Commissariat gnral du Plan, ils compltent le Plan de modernisation et d'quipement par une coordination des ressources publiques et pri ves dans le cadre rgional. Ces textes prescrivent, entre autres mesures, l'tablissement de programmes d'action rgionale . Un peu plus tard, la loi-cadre du 7 aot 1957 sur la construction pr voit, de son ct, l'tablissement de plans d'amnagement rgion al.Aussi, un dcret du 31 dcembre 1958 dcide-t-il leur fusion avec les programmes d'action rgionale dans des plans rgio naux de dveloppement conomique et social. Cependant la mise en uvre de ces documents demanda sept ans. Les organismes rgionaux manquaient, crit Pierre Bauchet. La mfiance l'gard de l'organisation rgionale tait telle l'origine que l'laboration des plans rgionaux fut confie des rapporteurs dont les contacts avec les autorits locales taient trs restreints. Les rapports taient tablis au Commissariat gnral sous la surveillance d'un groupe dit de synthse, depuis lgre ment modifi, et appel Comit des plans rgionaux, comprenant 9. Bauchet (Pierre), La planification franaise: quinze ans d'exprience. Paris, Ed. du Seuil, 1962, p. 50. 10. Laubadre (Andr de), Trait lmentaire de droit administratif, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1963, 3e d., tome I, p. 125. 855

Jean-Louis Quermonne outre le commissaire gnral-adjoint du plan, les reprsentants des ministres, des prfets, des fonctionnaires locaux. Le Comit national d'orientation conomique mettait un avis avant approbation par dcret constatant l'accord des ministres11. Mme une fois tablis (l'ensemble des plans rgionaux fut achev en 1962), ces plans ne comportaient que des "orientat ions souhaitables ", des recommandations et des perspectives long terme qui en faisaient des inventaires de problmes plutt que des instruments de choix et d'action ^. En outre, ces docu ments n'taient pas vraiment synchroniss avec le plan quadriennal national. Malgr tout, leur laboration offre i'occasion de fixer les limites des 22 rgions de programme (dcret du 22 avril 1956), plus tard rduites 21 circonscriptions d'action rgionales (dcret du 2 juin 1960). Et ce dcoupage permet de procder une har monisation des circonscriptions administratives rgionales des principaux services publics (dcrets du 7 janvier 1959 et du 2 juin 1960). Mais, comme son nom l'indique, cette mesure a eu pour but et pour effet de faire seulement concider les limites et mme pas ncessairement le nombre des rgions propres aux divers services publics dots d'chelons rgionaux afin de rduire les multiples chevauchements territoriaux qui existaient jusquel.^ Enfin, au chef-lieu de chaque circonscription d'action rgio nale, est affect un sous-prfet, chef de cabinet charg des affaires conomiques 14. Cette mesure tmoigne de l'association de plus en plus directe du corps prfectoral la mise en oeuvre de la plani fication rgionale. Ainsi, travers la planification, s'esquisse dj une conception nouvelle et fonctionnelle de la Rgion. Elle donne naissance aux 21 circonscriptions d'action rgionale, ultrieurement destines constituer le cadre d la rgionalisation du Plan national. 11. Bauchet (Pierre), op. cit., p. 51. Il nous a t signal un cas o le charg de mission du Plan avait sjourn moins de vingt-quatre heures la prfecture du chef-lieu d la rgion de programme avec pour instruction de ne rencontrer d'autre interlocuteur que le prfet ! 12. Roig (Charles), Tranches opratoires et politique d'action rgionale et d'amnagement du territoire, rapport prsent au colloque de Grenoble sur La planification comme processusde dcision , ronogr. 13. Laubadre (Andr de), op. cit., p. 111. 14. Circulaire du 26 janvier 1961. 856

Vers un Rgionalisme Fonctionnel LA REGIONALISATION DU PLAN C'est, en effet, avec le IVe Plan que cette structure doit plus nettement s'affirmer. Les tranches opratoires qu'il inaugure vont constituer, dsormais, l'articulation qui faisait dfaut entre les deux niveaux de planification, car elles sont la fois tranches rgionales du Plan national et tranches quadriennales pour l'ex cution des plans rgionaux 15. Elles marquent la volont de passer aux ralisations trois points de vue : en leur confrant la mme valeur qu'au Plan national, en tablissant un chancier des oprations et un ordre de priorit, enfin, en fournissant des indications sur le mode de: financement de ces oprations ie. Surtout, les tranches opratoires s'insrent dans un processus qui s'appuie sur l'existence de relais rgionaux. La confrence interdpartementale cre par le dcret du 7 janvier 1959 runit, sous la prsidence du prfet-coordonnateur, l'inspecteur gnral de l'Economie nationale, les prfets de la circonscription d'action rgionale et, le cas chant, certains chefs de service comptence rgionale 1T. Elle a mission d'examiner les programmes d'action rgionale tant en ce qui concerne l'excution du IVe que la prpar ation du Ve Plan. A ct d'elle fonctionnent des quipes spcial ises, constitues, selon les cas, de fonctionnaires relevant des diffrents services. Enfin, chaque confrence interdpartementale est flanque d'un comit rgional d'expansion conomique (dcret du 20 janvier 1961), qui groupe les reprsentants de diverses catgories socio professionnelles, mais dont la composition est encore largement conteste 38. Ainsi, pour la premire fois, apparaissent des organes vocat ion rgionale. Et l'on peut dj se demander s'ils ne prsagent pas une institutionnalisation plus pousse ? Ce que l'exprience entreprise en Bourgogne et en Haute-Normandie au profit des pr15. Viot (Pierre), Aspects rgionaux de la planification franaise, Bull etin de l'Administration des finances 19, dc. 1962. Voir galement du mme auteur : Le IVe Plan et l'action rgionale '\ Revue de l'Action populaire, janvier 1963. 16. RoiG (Charles), loc. cit. 17. D'abord accorde au prfet du sige de la runion (cire, du 20 juin 1960), la prsidence de la confrence interdpartementale a t dfinitivement attribue au prfet-coordonnateur (arrt du 20 janvier 1961). 18. Notamment, lors du 33e congrs des prsidents des conseils gnraux tenu Lyon les 17 et 18 septembre 1963. Le Monde, 20 sept. 1963. 857

Jean-Louis Quermonne fets-coordonnateurs, et dont il sera question dans la deuxime partie, laisserait visiblement augurer... Il convient, nanmoins, d'tre prudent. En rgle gnrale, le prfet-coordonnateur n'est encore par rapport ses collgues qu'un primus inter pares et la confrence interdpartementale n'est en fait qu'un simple instrument de coordination. M. Rivero a pu judicieusement le comparer aux boards anglo-saxons 19. Ni l'un ni l'autre de ces organes et encore moins le Comit rgional d'ex pansion ne disposent d'une comptence d'ordre gnral ni d'un rel pouvoir de dcision. Tout au plus tmoignent-ils du besoin de rpondre, ce stade, des fonctions nouvelles. Aussi bien, rsulterait-elle des tout derniers dveloppements pris au cours de l'exprience entreprise dans les deux rgionspilotes, l'existence d'un tel pouvoir de dcision au niveau rgional revtirait encore une porte limite. Elle tmoignerait, sans aucun doute, d'un progrs dcisif ralis sur la voie de la dconcentration administrative au profit du prfet-coordonnateur. Elle n'entraner ait, cependant, aucun changement, dans les rapports du pouvoir central avec les collectivits territoriales dcentralises. La circons cription d'action rgionale resterait un simple cadre pour la gestion des intrts de l'Etat. Elle ne deviendrait pas. pour autant, une collectivit territoriale dcentralise. Et cette constatation, qui relve de l'vidence, apparatra plus clairement encore l'analyse des grandes fonctions rgionales conues pour rpondre au besoin de coordination des interventions de l'Etat.

II.

LES GRANDES FONCTIONS REGIONALES

Ainsi parvenons-nous au coeur mme du dbat. Car. s'il est donn d'approcher la spcificit du nouveau rgionalisme, ce ne sera qu' l'examen des grandes fonctions rgionales. Leur invent aire tout d'abord, mais surtout leur analyse devraient en livrer la nature. Et celle-ci, son tour, pourra seule justifier ou, au cont raire, infirmer le caractre fonctionnel qui nous a paru corres pondre la ralit des circonscriptions d'action rgionale. 19. Rivero (Jean), ss Action conomique de l'Etat et volution administrat ive , Revue conomique, nov. 1962, p. 890. 858

Vers un Rgionalisme Fonctionnel Or telles qu'elles se prsentent aprs huit ans d'exprience, ces grandes fonctions sont au nombre de trois. On relvera donc, suc cessivement, au compte de la Rgion, une fonction de planification, une fonction de coordination et une fonction de dconcentration. Viendra s'y ajouter l'esquisse d'une fonction de participation, mais dont la pratique n'est pas encore suffisamment assure pour qu'il soit possible, ds maintenant, de la considrer comme certaine. LA FONCTION DE PLANIFICATION On a pu mesurer, en retraant la gense du rgionalisme fonctionnel , quel point son dveloppement tait li l'exp rience franaise de planification. Il est donc naturel que la premire fonction reconnue au niveau de la circonscription d'action rgionale concerne, la fois, l'tablissement et l'excution du plan national et des plans rgionaux. L'on ne reviendra pas. ce sujet, sur les dveloppements dj consacrs cette question dans la premire partie. Il nous suffira de prciser la nature particulire de la fonction dvolue, en l'es pce, aux instances rgionales. Or au vu des principales circu laires comme au regard des premires expriences, elle parat s'ordonner dans quatre directions principales 20 : 1 En ce qui concerne l'laboration des plans rgionaux, qu'il s'agisse soit des rgions dans lesquelles un plan d'amnagement doit complter un programme d'action rgionale dj publi, soit de celles o le plan rgional, sous sa forme nouvelle, est en cours d'tude, la confrence interdpartementale constituera l'instance coordinatrice de la consultation rgionale prvue par le dcret n 58 1459 du 31 dcembre 1958. 2l\> 2 Pour l'excution des plans rgionaux, la confrence aura pour tche de donner un avis sur les mesures envisages pour chaque exercice ... et de suivre les ralisations intervenues. 22 Cette deuxime mission donne comptence la confrence pour connatre la fois des programmes d'investissements publics la bors dans le cadre dpartemental et les affecter, le cas chant, d'un ordre de priorit, et pour suivre la ralisation du plan rgional 20. On se reportera, en particulier, aux circulaires du 20 juin 1960, du 26 janvier et, surtout, du 18 dcembre 1961. 21. Extrait de la circulaire du 20 juin 1960 relative aux confrences inte rdpartementales. 22. Kxtrait de la circulaire cite en note 21. 859

Jean-Louis Qicermonne dans son ensemble en tendant cet examen aux investissements du secteur priv et pour en faire rapport. 3 Dans le cadre du plan national, et en l'espce du IVe Plan, la circulaire du 18 dcembre 1961 a charg la confrence inte rdpartementale de prparer les tranches opratoires et d'ap prcier la hirarchie des urgences en mme temps que la locali sation des investissements. Ainsi, le rle de l'instance interdpar tementale s'est-il considrablement accru et prcis. Et ce d'autant plus que la mme instruction a convi chaque confrence inte rdpartementale, pour la prparation du budget de 1963, trans mettre aux ministres intresss des propositions motives concer nantles oprations les plus urgentes. L'on peut reconnatre, travers cette mesure, les premiers symptmes de la rgionalisa tionbudget de l'Etat annonce pour l'exercice 1964. du 4 Enfin, en vue de la prparation du Ve Plan, la confrence interdpartementale est appele cooprer troitement son la boration. Les confrences interdpartementales, prcise la circu laire du 18 dcembre 1961, joueront cet effet un rle comparable celui des commissions de secteurs sigeant au Commissariat du PZan.23 Telles sont les fonctions essentielles de la Confrence inte rdpartementale, organe principal de coordination au sein de chaque circonscription d'action rgionale. En soi, elles peuvent apparatre comme encore insuffisantes ou ambigus. Si, par contre, on mesure l'volution entame depuis quelques annes, l'on est frapp par le chemin parcouru. Que la Confrence interdpartementale puisse tre compare aux commissions de modernisation et d'quipement sigeant Rue de Martignac suffit souligner l'importance du pro grs accompli. LA FONCTION DE COORDINATION Au cours des dveloppements qui prcdent, le mot coordinat ion apparu plusieurs reprises. C'est que la confrence inte est rdpartementale n'exerce pas un vritable pouvoir de dcision ; comme le prfet qui la prside, elle coordonne. Mais la fonction de coordination impartie aux instances rgionales ne se limite pas en matire de planification. Elle s'tend aussi au fonctionnement 23. C'est nous qui soulignons. 860

Vers un Rgionalisme Fonctionnel des grands services publics dont l'importance justifie une assise rgionale. L'on a tout dit sur les inconvnients rsultant du cloisonnement des administrations et, notamment, des services relevant des minis tres techniques. Dj, l'on a vu que l'harmonisation des circons criptions administratives rgionales a tendu simplifier leurs struc tures en vitant les chevauchements anarchiques. Mais jusqu' une date toute rcente, ce n'est qu'au niveau dpartemental que des dispositions ont t prises pour pallier l'insuffisante synchroni sation programmes d'investissement. des On sait en effet qu'aprs avoir multipli en vain les textes, fai sant des prfets les dlgus et les reprsentants du gouverne ment les dpartements -^, les pouvoirs publics se sont rsolus dans entreprendre une exprience limite25. Elle consiste transfrer au prfet, dans quatre dpartements-pilotes auxquels a t adjoint le dpartement de l'Isre, les comptences exerces par les chefs de service dpartementaux (sauf, bien entendu, en ce qui concerne la Justice, l'Arme et l'Enseignement suprieur), quitte au prfet dlguer son tour l'autorit qui lui aura t confre, mais avec la possibilit tout moment de la rcuprer. Cet essai de coordinat ion administrative, qui a pour pivot le corps prfectoral, est rempli d'intrt et ses premiers mois d'application sont dj fort instruct ifs Mais il a aussitt rvl la dimension insuffisante du cadr -. dpartemental pour donner l'exprience toute la porte qu'elle mrite. Aussi, sans attendre qu'elle soit acheve, les pouvoirs publics ont prescrit de la transposer au niveau rgional. D'o la mesure adopte par le dcret du 29 juillet 1963 au profit du prfet-coordonnateur dans deux circonscriptions-pilotes : la Bourgogne et la Haute-Normandie. L'on a prcdemment soulign que, jusqu' cette date, le prfetcoordonnateur n'avait t pour ses collgues qu'un simple primus inter pares. L'arrt du 20 janvier 1961 avait bien tranch en sa faveur la prsidence de la confrence interdpartementale, o qu'elle sige. Mais la circulaire d'application s'tait attache en minimiser l'importance. Aucune hirarchie, soulignait-elle, n'est, bien entendu, cre entre les diffrents chefs-lieux des dparte24. Dcrets des 26 septembre 1953, er octobre 1959 et janvier 1962. 25. "Dcret du 11 avril 1962. 26. Voir notamment les articles de Louis Priller (Le Monde, 17 et 18 mai 1963) et d'Andr Passeron (Le Monde, 4 et 5 septembre 1963). 861 55

Jean-Louis Quermonne ments dont les prfets participent une confrence interdparte mentale. 27 Or, cette fois-ci, l'exprience entreprise sur la base du dcret du 29 juillet 1963 parat aller plus loin. II s'agit, crit Andr Passeron, d'amliorer la coordination des actions de l'Etat dans les circonscriptions d'action rgionale pour une meilleure informat ion prfets-coordonnateurs et par un renforcement de leurs des pouvoirs sur les services d'Etat vocation rgionale. 28 Quels sont, prcisment, ces services ? En principe, tous les services de l'Etat l'exclusion des services militaires et judiciaires. A ces deux exceptions ont t ajoutes aprs de difficiles ngocia tions certaines activits relevant des ministres des Finances - et de l'Education nationale. Mais l'on verra plus loin qu'en ce dernier domaine l'exprience n'est pas sans entraner une certaine rserve de la part des recteurs. Ainsi, sans constituer, pour autant, la Rgion en collectivit dcentralise, l'essai entam par le dcret du 29 juillet 1963 marque une tape importante sur la voie de la dconcentration. Pour la premire fois, il semble bien confrer au prfet-coordonnateur un vritable pouvoir de dcision. Et cette autorit, s'exerant sur les services civils de l'Etat, tmoigne en mme temps du souci de pallier l'encombrement des administrations centrales, souci qui jus tifie l'octroi d'une troisime grande fonction rgionale. LA FONCTION DE DECONCENTRATION Encombrement, engorgement, asphyxie.... tous les termes ont t employs pour dcrire l'accumulation des dossiers qui svit depuis plusieurs annes sur les bureaux des administrations cen trales. Celle-ci varie quant son intensit selon les ministres. Mais partout elle est ressentie, tandis que dans certains secteurs elle paralyse littralement l'activit administrative. Parmi les ministres les plus encombrs, figure videmment l'Education nationale. C'est pourquoi ds 1956, mais surtout depuis 1 960, un certain nombre de mesures de dconcentration ont t prises 29. Intervenues au profit du recteur, elles ont bnfici 27. Circulaire du 26 janvier 1961 relative aux confrences interdparte mentales. 28. Le Monde. 21 septembre 1963. 29. Notamment : dcret du er juin 1960 et arrt du 9 octobre 1961 sur la nouvelle structure de l'administration centrale, suivis de diffrentes mesures de dconcentration au profit des recteurs.

Vers un Rgimialisme Fonctionnel l'chelon rgional que constitue l'acadmie. Mais bien qu'acc lre ces derniers temps, leur application s'est aussitt heurte des obstacles matriels : pauvret de l'quipement des rectorats, exigut des locaux, faible structuration des services. Et malgr de grands dvouements individuels, l'imprparation du personnel et le nombre rduit des cadres au niveau des services extrieurs n'ont pas donn l'exprience toute la porte qu'elle mrite. Aussi deux rformes tendent-elles remdier l'tat de chose. La premire a pour objet d'agrandir ou de reconstruire les rectorats et de restructurer leurs services sur le modle des divi sions des prfectures. La seconde a codifi et refondu le statut du personnel de l'administration universitaire et rnov le recrutement des services extrieurs. A cette fin, ont t crs auprs des Ins tituts d'tudes politiques des Instituts de prparation l'adminis tration scolaire et universitaire (I.P.A.S.) et, Paris, un Institut national d'administration scolaire et universitaire 30. Ainsi peut-on esprer que la sous-administration dont a souffert l'Education nationale en province pourra progressivement faire place un quipement satisfaisant 31. Mais il semble que ce soit surtout au profit du prfet-coordonnateur que les prochaines oprations de dconcentration soient appeles se dvelopper. L'exprience entreprise en Bourgogne et en Haute-Normandie, sur la base du dcret du 29 juillet 1963, est significative cet gard. Aux termes de la circulaire d'appli cation du mme jour, ce haut fonctionnaire devient au moins pro visoirement le dpositaire direct des pouvoirs antrieurement exer cspar les chefs de service rgionaux sous l'autorit hirarchique des ministres respectifs. On a dj vu que le prfet-coordonnateur avait recueilli., au dtriment de ses collgues des dpartements limitrophes, mais galement de l'inspecteur gnral de l'Economie nationale, la prsidence de la confrence interdpartementale. Une telle volution s'inscrit, tout naturellement, dans le cadre de la politique empirique qui tend associer de faon privilgie le corps prfectoral l'uvre de dconcentration. L'urgence d'une telle entreprise en justifie d'ailleurs largement les moyens. Nous ne reviendrons pas sur les mfaits produits par l'encombrement des administrations centrales. Tout a dj t dit sur les retards accumuls, notamment en matire de constructions 30. Dcrets des 20 aot, 3 et 14 octobre 1962 ; arrt du 14 septembre 1962. 31. Minot (Jacques), L'administration de l'Education nationale, Paris, 1962, Institut pdagogique national, 180 p. 863

Jean-Louis Quermonne scolaires. L'on a peut-tre moins aperu, en revanche, les respons abilits excessives que ce systme dissimule au profit d'un per sonnel subalterne parisien, dont l'intgrit ne saurait tre mise en cause, mais dont la comptence n'est pas toujours la hauteur des improvisations. Parfois, une vritable dpossession des administ rations locales en rsulte: rappelons l'exemple relev l'occasion du 33 congrs des prsidents des conseils gnraux et qui a suscit l'indignation de ses membres : savoir qu'un pont n'a pu tre construit Lyon tant que Paris n'en avait pas dcid32. Il est vident que le souci de dgager l'chelon central d'at tributions multiples et encombrantes se heurte la crainte des administrations parisiennes de voir ces tches mal exerces au niveau du dpartement. Or il ne devrait pas rencontrer la mme rgionale33.-' rserve si elles sont assumes l'chelon de la circonscription Et bien que les rformes entreprises sur ce point marquent encore une certaine timidit et n'aient pas dpass le stade exprimental on peut dj considrer la dconcentrat ion des administrations parisiennes comme l'une des fonctions majeures qui devront tre imparties la Rgion. Un point, cependant, mrite quelques claircissements. Si la comptence du prfet-coordonnateur semble naturellement s'impo ser quand il s'agit des services civils de l'Etat vocation rgionale, de srieuses rserves doivent tre prsentes dans certains cas particuliers. Les textes relatifs l'exprience entreprise actuell ement dans deux circonscriptions d'action rgionale les consacrent, d'ailleurs, en ce qui concerne l'Arme et la Justice, lis sont moins explicites quand il s'agit des Finances et de l'Education nationale. Nous sommes assez mal plac pour apprcier la nature des relations dterminer entre le prfet-coordonnateur et le trsorierpayeur gnral (qui a pris rcemment le titre de trsorier-payeur gnral-coordonnateur). Il semble, nanmoins, que la vocation natur elle des Finances soit au service de l'Administration gnrale. En revanche, l'a prudence se justifie quand il s'agit des recteurs. Certes, les dispositions exprimentes n'entament pas leur autorit dans le domaine de l'enseignement suprieur, dont les nominations et ls investissements restent soumis aux rgles traditionnelles. 32. Le Monde, 20 septembre 1963. 33. Pallez (G.) , Possibilits nouvelles des structures administratives rgio nales , in La rgion, rapports et compte rendu du colloque tenu Lyon les 6-7 avril 1962, Paris, 1963, Fondation nationale des sciences politiques (ronogr.), pp. 11-32. 864

Vers un Rgionalisme Fonctionnel Mais l'Education nationale forme un tout. Et il faut craindre la moindre intervention de l'administration active qui risquerait d'in troduire des considrations d'ordre politique dans un service o l'efficacit suppose l'indpendance. Elle constituerait une mauvaise habitude gnratrice d'excs ultrieurs 34. Enfin, une dernire remarque s'impose dans le cas o l'exp rience entreprise en Bourgogne et en Haute-Normandie serait tendue l'ensemble des 21 circonscriptions d'action rgionale. L'accroissement lgitime des pouvoirs du prfet-coordonnateur porte un risque, tant qu'il demeure en mme temps prfet de son dpartement. Ce risque, auquel ne saurait pallier mme la plus haute intgrit professionnelle, aboutira ncessairement favoriser, au sein de la Rgion, un dpartement et un chef-lieu privilgis. Et l'on peut craindre qu'il renouvelle terme, au bnfice de la mtropole rgionale, les excs que la concentration tatique pro voqua au sicle dernier au profit d Paris. Il ne faut pas ngliger, en effet, l'importance du mouvement d'urbanisation qui traversera la France dans les prochaines annes. Une solution simple, et peut-tre efficace, consisterait dgager le prfet-coordonnateur de ses attributions proprement dparte mentales, en rservant son autorit l'exercice des comptences rgionales. D'aucuns verront sans doute dans cette mesure un pas vers la restauration des gouverneurs de province ! Alors il importe qu'elle soit associe une plus grande participation des administ rsl'action rgionale. Et nous pensons que ce devrait tre l, prcisment, une autre grande tche de la Rgion. VERS UNE FONCTION DE PARTICIPATION La participation des administrs l'action rgionale soulve, ncessairement, de nombreuses difficults. Car, au del des mesures de dconcentration aisment admissibles, elle parat impliquer l'a cceptation l'chelle rgionale d'une dcentralisation rsolue. Aussi, cette participation est-elle encore peu tendue. Elle ne s'exprime, l'heure actuelle, qu' travers les comits rgionaux d'expansion conomique crs par le dcret du 20 janvier 1961. Composs l'imitation des comits dpartementaux prexistant, ils doivent comprendre en leur sein les reprsentants des orga nismes professionnels de l'agriculture, du commerce, de l'industrie 34. Le Monde, 21 septembre 1963. 865

Jean-Louis Quermonn et de l'artisanat, ainsi que des dlgus des syndicats ouvriers. Peuvent galement y siger diverses personnalits appartenant aux milieux universitaires, aux tablissements de crdit, aux grou pements de consommateurs, aux associations familiales 35f sans oublier les reprsentants des lus qui viennent encore de le reven diquer. Doit-on penser que ces comits, comptence consultative, prfigurent dj les conseils conomiques rgionaux suggrs par certaines personnalits, de M. Bloch-Lain M. Mends-France, ou par certains organismes comme le Centre national des Jeunes Patrons ? Il est malais de prvoir quelle sera, cet gard, l'orien tation du Pouvoir. Mais cette question laisse dj entrevoir la dimension politique du problme. Car, au-del d'une simple dconc entration, il faut admettre que l'volution ultrieure du rgio nalisme fonctionnel ne saurait plus longtemps l'luder. Cette tape constituera dans les annes venir le banc d'essai dcisif de la promotion rgionale. Aussi n'est-il pas inutile d'en prciser, ds maintenant, les donnes. :

III.

LES IMPLICATIONS POLITIQUES

Ainsi, le rgionalisme fonctionnel n'chappe pas la poli tique. Depuis 1945, sa constante progression avait pu s'effectuer l'abri d'une certaine dpolitisation . Elabor dans l'atmosphre confidentielle des commissions de planification, des revendications professionnelles ou des conseils interministriels, il n'avait fait l'objet d'aucun dbat srieux au Parlement. Et l'opinion tait reste assez indiffrente son objet. Affaire de techniciens, la Rgion paraissait un domaine rserv au dialogue des responsables du Plan et de la haute Administration. Plus rcemment, sa mise en uvre y associait le corps prfectoral. Il semble que ce climat d'intimit soit, dsormais, rvolu. La relative discrtion qui entourait la promotion rgionale a d'abord fait place une saine rflexion scientifique. Le nombre des col loques et des tables rondes ne se compte plus qui s'intressent l'conomie rgionale, la planification rgionale ou la transfor35. Circulaire du 20 janvier 1961. 866 .

Vers un Rgionalisme Fonctionnel mation des structures administratives correspondantes. Et les publi cations sont de plus en plus nombreuses sur ce point 36. Mais le besoin de participation qu'prouvent les nouvelles forces vives du pays et qu'elles peuvent rarement satisfaire l'chelle nationale les amne aussi considrer la Rgion sous un autre angle que celui des experts. La rcente cration, en Bre tagne, d'un comit d'action faisant appel toutes les forces dmoc ratiques , et faisant suite aux efforts du C.E.L.I.B. (Comit d'tude et de liaison des intrts bretons), en tmoigne ample ment 37, Enfin, il faut compter avec le renouveau d'intrt que suscitent les plus actuelles manifestations du rgionalisme fonctionnel dans les milieux politiques. Cette repolitisation du phnomne rgional affecte, comme il se doit, les associations d'lus locaux, mues la perspective de la rforme administrative. Mais elle con cerne galement l'ensemble du monde politique et, en particulier, l'opposition qui cherche depuis peu tirer parti du caractre techno bureaucratique du rgionalisme officiel, en vue d'une ventuelle campagne lectorale. Quoi qu'il en soit, la politisation du problme rgional est un fait. Et il importe d'en souligner les aspects. Parmi les principaux, l'on retiendra spcialement ceux qui s'insrent dans un triple dbat : celui qui oppose respectivement les experts aux poli tiques . les nationaux aux europens et les provinciaux aux parisiens . En guise de conclusion, nous essaierons d'exa miner si le rgionalisme fonctionnel . tout en demeurant fidle lui-mme, est susceptible d'acqurir une dimension politique ; et, dans l'affirmative, d'liminer les critiques essentielles diriges contre lui. LE PROCES DES POLITIQUES CONTRE LES EXPERTS II est vrai qu'au regard des promoteurs de la planification rgio nale, la Rgion avait pour principal objectif de constituer un cadre plutt que d'offrir un contenu. Les circonscriptions, ainsi dlimit es,fournissaient un espace l'usage de la planification natio nale, apte localiser les investissements et faciliter la coordina36. Rappelons en particulier la relation des travaux du colloque de Lyon tenu sous le haut patronage de la Fondation nationale des sciences politiques et de l'Universit de Lyon les 6-7 avril 1962, op. cit. 37. Le Monde, 15 octobre 1963. 867

Jean-Louis Quermonne tion des actions de l'Etat. Grce elles, planificateurs et hauts fonctionnaires pouvaient dsormais travailler sur maquette . Et leur programmation bnficiait d'une ambiance assez confidentielle pour que la localisation des vocations et des investissements ne ft pas trouble par les interventions intempestives de la politique, c'est--dire de la dmagogie, mais galement des intrts lgitimes des populations concernes. Une telle caricature traduit infidlement ce que la Rgion est devenue par la suite. La force des choses, allie des esprits clairs, a oblig la planification dpasser cette approche ext rieure . L'association du corps prfectoral sa mise en uvre a, notamment, rapproch le point de vue de l'expert du ralisme de l'administrateur. Et la consultation des reprsentants qualifis de l'activit conomique rgionale, intervenue dans un stade ultrieur, a exprim le sentiment des principaux intresss. Mais si la dconcentration ainsi entame a permis d'attnuer ce que l'action rgionale recelait d'orientation techno-bureaucrat ique, il n'en reste pas moins que cette volution ne revt encore qu'une porte limite. Il n'y a toujours pas, au niveau des circons criptions d'action rgionales, de vritable organisme de planification dot d'un quipement adquat, en techniciens et en matriel. Et part l'exprience de coordination entreprise en Bourgogne et en Haute-Normandie, il n'existe pas davantage d'autorit administrat ive rgionale dote d'un pouvoir rel de dcision. Le contrle exerc de Paris rduit fort peu de chose l'initiative de la conf rence interdpartementale de mme qu'il minimise la porte des avis qu'mettent les comits rgionaux d'expansion. Ainsi ne peut-on parler de dcentralisation. Les lus locaux en sont les premiers conscients qui n'ont que fort peu d'occasions de faire entendre leur voix au niveau rgional 38. Mais d'une faon plus large, il apparat clairement que le rgionalisme fonctionnel est directement administr par l'Etat ou par des organismes rel evant immdiatement de son autorit. Il carte toute reprsentation organique des populations, sinon des professions. Il tmoigne mme d'une certaine mfiance pour tout ce qui pourrait contribuer transfrer hors de Paris des responsabilits limites, mais effec tives. Il exprime donc des options qui sont formules au niveau du Pouvoir et prpares par des experts, dans des conditions d'la38. Leur participation aux comits rgionaux d'expansion conomique est parcimonieusement compte sinon refuse. 868

Vers un Rgionalisme Fonctionnel boration malaises dfinir 39. Cela amne parfois les lus, pour pouvoir s'exprimer, se muer en groupes de pression. L'exemple du percement du tunnel du Mont-Blanc et celui, plus rcent, de la liaison Rhne-Rhin l'attestent aisment 40. Malgr les efforts personnels des experts et l'ouverture sociale dont ils tmoignent, il est non moins vident que le systme de rgionalisation pratiqu actuellement n'est pas dmocratique. L'occasion nous ayant t offerte de prsenter, en tant qu'hypo thse travail, un schma des implications possibles du rgiona de lisme dmocratique, nous avons pu mesurer l'cart qui spare le statu quo d'une exigence de participation authentique 41. Sans doute, cette dernire peut varier dans ses modalits ; et il semble qu'aujourd'hui les procds habituels de la dcentralisation admin istrative et du fdralisme politique soient largement dpasss. Il n'en reste pas moins qu' part certaines relations officieuses, facilites par d'excellents rapports personnels, la consultation des populations demeure confine aux seuls milieux professionnels et circonscrite dans le cadre restreint des comits rgionaux d'expans ion conomique. Certains auteurs souhaitent voir largir la composition et les attributions de ces organes ; d'autres prconisent leur transformat ion en vritables conseils conomiques rgionaux 42, Dans tous les cas, il semble qu'une participation minima des reprsentants qualifis des populations au contrle de l'action rgionale s'impose au niveau de chacune des 21 rgions de programme. En de de cette exigence, il ne saurait y avoir place que pour l'intervention des experts, de l'administration ou du Pouvoir. Et il serait inluc table que les meilleures intentions des uns et des autres soient lgitimement suspectes par les lus et par l'opinion. Dans un domaine diffrent, l'exprience encore rcente de la dcolonisation 39. Sur les effets de la planification au niveau de l'appareil politique et administratif, on pourra consulter notre rapport prsent au colloque de Gre noble sur La planification comme processus de dcision organis les 2-4 mai 1963 par la Fondation nationale des sciences politiques et l'Institut d'tudes politiques de Grenoble. 40. Sur le percement du tunnel du Mont Blanc, on se reportera utilement la communication prsente par Pierre Bolle au colloque de Grenoble sur la planification. Voir note prcdente. 41. Quermonne (J.-L.), La rgion, aspects politiques et sociaux, rapport prsent au colloque de Lyon, in op. cit. 42. Notamment P. Mends-France dans La rpublique moderne, Paris, Gal limard, 1962, pp. 199 sqq. 869

Jean-Louis Quermonne dmontre qui veut bien l'entendre qu'on ne fait pas le bonheur d'une population sans l'associer pleinement sa ralisation. Aussi a-t-on vu poindre, en raction contre une conception par trop centralisatrice et par trop techno-bureaucratique de l'am nagement du territoire, une volont diffuse de promouvoir un rgio nalisme dmocratique. Celle-ci est apparente travers un grand nombre d'essais qui tendent dgager les nouvelles formes de la dmocratie 43. Et ce courant, l'oppos du rgionalisme tradi tionnel de la fin du XIXe, cherche se situer gauche 44. Plus discutable semble, en revanche, le souci de politiser l'action rgionale. Il affecte en ce moment l'ancienne classe poli tique et dpasse la simple intention de faire obstacle la technoc ratie. Il transparat notamment, travers un certain nombre de congrs tenus par les formations politiques traditionnelles, qui manifestent la proccupation de s'emparer de la rforme administ rativecomme cheval de bataille contre le gouvernement. Une telle politisation fait alors place la polmique pour dboucher sur le procs d'intention 45. Et l'on conoit que ceux-l mme qui se sont attachs dvelopper une conception raliste du rgiona lisme fonctionnel s'inquitent du risque de verbalisme et de. surenchre qu'un tel climat est susceptible d'engendrer. A la dcharge des ventuels excs commis par l'opposition et les partis traditionnels, il faut convenir que la majorit elle-mme n'chappe pas la tentation d'une repolitisation malsaine de l'action rgionale. Et l'on doit lgitimement s'inquiter de voir des considrations lectorales se mler parfois aux projets de rforme administrative, notamment pour modifier la physionomie politique des municipalits d'extrme-gauche d'une grande partie des com munes de la banlieue parisienne 46. 43. Voir notamment: Rovan (Joseph), Une ide neuve: la dmocratie, Paris, Ed. du Seuil, 1961, 207 p. ; Club Jean-Moulin, L'Etat et le citoyen, Paris, Ed. du Seuil, 1961, 415 p.; Duverger (Maurice), La VIe Rpublique et le rgime prsidentiel, Paris, A. Fayard, 1961, 143 p. ; Mends-France (Pierre), op. cit. 44. Ainsi qu'en tmoigne le rcent propos du professeur Vedel publi dans L'Express, numro du 3 octobre 1963. 45. A titre d'exemple, citons les paroles prononces Evian au congrs du Rassemblement Dmocratique par M. Edouard Bonnefous. Critiquant les projets de rforme administrative, l'ancien ministre n'hsita pas dclarer : Ne s'agit-il pas de dmanteler l'opposition dmocratique en paralysant ces divers corps intermdiaires librement lus et o s'expriment des opinions sou vent contraires la politique du gouvernement? 46. Cette opinion ressort clairement de certains passages du dernier ouvrage de Michel Debr, Au service de la nation, Paris, Stock, 1963, notamment pp. 242 sqq. 870

Vers un Rgionalisme Fonctionnel Ainsi, tout en demeurant inluctable, la repolitisation du problme rgional n'est pas sans comporter des dangers. Et l'on comprend le souci qui prvaut chez certains d'en limiter les excs. La conclusion du dbat qui oppose, cet gard, les politiques aux experts laisse apparatre l'extrme difficult d'aboutir un quil ibre. Et pourtant, c'est l'cart la fois de la technocratie et de la polmique que l'amnagement du territoire pourra rpondre sa vritable vocation. Mais avant d'y parvenir il lui faudra, ga lement, dpasser une deuxime querelle : celle qui oppose son sujet, comme beaucoup d'autres, les tenants de 1' Europe intgre aux partisans de ' Europe des patries . LA QUERELLE DES EUROPEENS ET DES NATIONAUX L'on a dit que l'avnement du rgionalisme fonctionnel devait beaucoup la comparaison des structures territoriales de la France celles de ses partenaires du March commun. Il est un fait que l'Allemagne et l'Italie, grce la possession d'une dizaine de grandes mtropoles vocation millionnaire, prsentent un terri toire en quilibre que la France peut envier. Or, la disparit de structure entre notre pays et ses principaux voisins risquerait, la longue, de faire obstacle au dveloppement de la Communaut. Ces rflexions ont suscit depuis quelques annes un effort d'approfondissement tant de la part des mouvements fdralistes, ce qui est naturel, que du ct des principaux responsables des communauts europennes, ce qui est encore plus significatif. Il est apparu que l'expansion conomique europenne ne pouvait tre poursuivie, abstraction faite des dsquilibres conomiques terr itoriaux propres aux divers pays-membres. Et des options relatives la planification nationale et rgionale de la France ont pris soudain une dimension europenne, comme le percement des tunnels transalpins ou la liaison Rhne-Rhin 47. Aussi, dans le cadre de la Communaut conomique europenne, s'est runi la fin de l'anne 1961 Bruxelles un Groupe de travail des experts nationaux de politique rgionale. Cette com mission a tabli un rapport extrmement suggestif, puisqu'il va jusqu' dessiner pour chaque pavs de la Communaut un certain nombre de Grandes Rgions : neuf pour la France, huit pour l'Allemagne fdrale, dix pour l'Italie, deux pour les Pays-Bas. 47. Sur la liaison Rhne-Rhin, on consultera avec intrt l'tude de Marcel Peilenc, in Revue de Paris, octobre 1962. 871

Jean-Louis Quernionne une pour la Belgique et une pour le Luxembourg, soit trente et une pour l'ensemble des six pays-membres 48. Cet tat de chose ne laisse pas d'voquer la situation qui en rsulterait au niveau d'une ventuelle Europe intgre, l'instar des cinquante Etats qui composent aujourd'hui les Etats-Unis d'Amrique. Sans doute, dans son rapport de synthse. M. Marjolin a-t-il fait preuve de prudence en rappelant que l'action de la commission devait s'exercer en troite collaboration avec les gouvernements, les autres institutions europennes et notamment la Banque euro penne d'investissements 49. Mais partir de ce moment, rien ne pouvait plus empcher que l'hypothse de la Grande Rgion, qui prvaut actuellement en France pour des considrations d'ordre fonctionnel , ait apparemment partie lie avec la promotion des Etats-Unis d'Europe ! L'objection avait dj t souleve l'occa siondu colloque de Lyon 50. Elle est apparue, plus vigoureuse encore, sous la plume attentive de M. Michel Debr. Dans son dernier ouvrage, l'ancien premier ministre n'hsite pas stigmatiser avec force la collusion qui risquerait de s'oprer entre la Grande Rgion et l'idologie supranationale. Crer de vastes rgions fort indpendantes du pouvoir central, crit-il, n'est-ce pas prparer une Europe "intgre", o l'ide de la France n'aurait plus qu'un caractre folklorique, car la nation serait "dsintgre"? Il est, Bruxelles, auprs de la Commission conomique europenne, un comit qui dessine malicieusement sur la carte des limites rgionales nouvelles, afin de transformer la France, et en mme temps d'enlever Paris ses chances de capitale du vieux continent. Dans une Europe de ce type, part deux ou trois rgions franaises, qui peuvent rivaliser avec certaines provinces allemandes, pour nous comparer notre principal partenaire, les autres n'existent pas, car elles ne peuvent prosprer sans une solidarit natio nale que ne remplacerait pas de si tt une solidarit dite euro penne. Au contraire, les disparits commenceraient par aug menter, car dans une vive lutte, chaque rgion combattrait pour elle avant de partager. 51 Ce passage mritait d'tre cit en entier, car il contient, lui seul, l'essentiel des arguments prsents l'encontre d'une dcen48. Rapport du Groupe de travail des experts nationaux de politique rgio nale, Bruxelles, dcembre 1961. 49. Marjolin (R.), Rapport de synthse final de la confrence sur les conomies rgionales, Bruxelles, dcembre 1961. 50. Notamment par M. Franois Goguel. 51. Debr (Michel), Au service de la nation, op. cit., p. 237. 872

Vers un Rgionalisme Fonctionnel tralisation rgionale de dimension politique. Il exprime, tout d'abord, de faon implicite, l'opposition manifeste par l'opinion nationale contre toute tentative qui pourrait revtir un carac trefdraliste. Et, en cela, il reprend son compte une double tradition issue des lgistes de l'Ancien Rgime (la France de Philippe le Bel, dont parle M. Vedel) et du jacobinisme52. Mais il traduit, surtout, de faon polmique, la crainte qu'prouvent les partisans de 1' Europe des patries de voir dsintgrer la France dans une Europe sans me. Et la manire dont la question est pose explique, fort opportunment, la place que la politique trangre parat assigner Paris et la priorit que, partant, le Pouvoir lui accorde au niveau de la politique d'action rgionale et d'amnagement du territoire. Dj, le livre blanc , publi par la Dlgation gnrale au district de la Rgion parisienne se ressentait de cette volont .' Au service de la clate Et peut-tre, travers certaines pages implicite. Mais elle nation. au grand jour inspirera-t-elle prochaine ment cration d'une autorit rgionale qui coordonnerait la l'administration de six ou sept dpartements composant la Rgion parisienne, comme le laissent supposer un certain nombre de dci sions officieuses qui auraient t prises le 8 octobre l'occasion d'un Conseil restreint runi l'Elyse 53. C'est dans ce contexte que se trouve donc renouvele la pro blmatique, que nous pensions dpasse, des relations Paris-pro vince et dont il et t prfrable de liquider au plus tt le tradi tionnel contentieux. L'EVACUATION DU CONTENTIEUX PARIS-PROVINCE La gense du rgionalisme fonctionnel nous avait, en effet, enseign quel point l'opposition Paris-province relve d'une ment alit troitement hrite de la premire rvolution industrielle. L'effort entrepris depuis 1955 par le Commissariat gnral du Plan avait port, prcisment, sur la ncessit d'vacuer ce clivage devenu anachronique dans un climat d'expansion. Et l'abandon du thme de la dcentralisation industrielle au profit d'une poli52. M. Michel Debr avait dj pris parti contre la Grande Rgion alors qu'il prconisait, l'poque, le Grand Dpartement (cf. La mort de l'Etat rpub licain) . Depuis qu'il a exerc les fonctions de premier ministre, il parat favorable au maintien du dpartement dans sa forme actuelle, sauf en corriger certains tracs {op. cit.). 53. Le Monde, 10 octobre 1963. 873 .

Jean-Louis Quermonne tique d' amnagement du territoire tait apparu comme l'expres sion d'une nouvelle problmatique, rendant complmentaires des intrts jusque-l opposs. L'on doit se demander, cependant, si cette manire de voir rend exactement compte de la politique officielle. De mme que la recherche scientifique est actuellement subordonne, dans sa pro grammation, aux impratifs de la dfense nationale, ainsi l'amna gement du territoire serait li de hautes considrations de poli tique trangre. La priorit ainsi accorde Paris, dans la loca lisation des investissements, pour ne plus illustrer une mentalit dpasse, n'en rsulterait pas moins d'une intention dlibre : celle de mieux placer la capitale dans la comptition des mtro poles europennes. Une telle vision est, d'ailleurs, dicte par une conscience parti culire de l'intrt national. Si Paris vit mal, la France vit mal , crit encore M. Michel Debr. Et nul ne songe nier la vrit du propos. Mais ne risque-t-il pas de rveiller entre une pro vince consciente des atouts que lui apporte la deuxime rvolu tion industrielle et un Paris alourdi par l'entretien des investiss ements lui a valu la premire et qu'il lui faut rnover! que une vieille querelle dont il et t sage d'effacer les squelles ? Il ne peut entrer dans notre propos d'analyser ici le contentieux Paris-province. Aussi bien, sa ncessaire liquidation rsultera davantage des possibilits offertes aux rgions, et en particulier leurs mtropoles, de profiter de la croissance conomique double de l'expansion dmographique. Par l pourront tre vits les inconvnients des dmnagements et les difficults des transferts. Qu'il nous suffise de noter qu'une exigence essentielle condi tionne le succs de cette liquidation, sans laquelle les excs de la dmagogie ne sauraient tre srieusement vits. Il importe, en effet, que l'application du rgionalisme fonctionnel , qui prside la politique d'action rgionale depuis 1955, ne soit pas ralentie. L'exprience entreprise en Bourgogne et en Haute-Normandie augure bien, cet gard, des intentions gouvernementales. Elle ne saurait, cependant, elle seule garantir le passage aux tapes ultrieures. Le test interviendra au moment o l'essentiel des mesures de dconcentration ayant t puis, le rgionalisme fonctionnel devra affronter l'aspiration des administrs participer la gestion des intrts de la Rgion. Or l'opinion professe par M. Michel Debr sur ce point ne

Vers un Rgionalisme Fonctionnel laisse pas d'inquiter les tenants d'un rgionalisme affirm. Ce que l'ancien premier ministre attend de la Rgion, c'est qu'elle soit une circonscription aux attributions administratives et conomi ques dtermines qui ne postule ni assemble lue ni services bien propres indpendants de ceux de l'Etat54. Cette zone de ren contre d'intrts qui ne vise pas supplanter le dpartement, ni mme, sans doute, 1' intgrer , ne devrait pas conduire au triomphe de la Grande Rgion. Bien loin d'tre diminu, le nombre devrait en tre plutt lgrement augment. Mais alors, comme l'envisage lui-mme M. Debr, l'issue ne risque-t-elle pas de mener quelque dception, tant il est vrai qu'on est jamais certain de pouvoir contrler une ide une fois que celle-ci est lance pour tre abandonne l'opinion 55. La question est alors de savoir si le rgionalisme fonctionnel >> est capable d'acqurir une dimens ionpolitique sans, pour autant, mener au fdralisme interne ou s'il ne peut consister au moins dans le cadre national actuel qu'en une simple rforme administrative, dont le but serait d'oprer une synchronisation des interventions rgionales de l'Etat et, en fin de compte, de raliser une centralisation renforce. Il ne saurait tre question, en conclusion, de vouloir apporter une rponse la question pose. Les rsultats des expriences en cours et leurs interfrences politiques pourront seuls indiquer la voie dans laquelle s'orientera le Pouvoir. Tout au plus pourra-t-on formuler quelques remarques sur l'aptitude du rgionalisme fonc tionnel se dcouvrir une vocation politique ou manifester pour elle, au contraire, une dfinitive allergie. Il convient tout d'abord d'admettre comme un fait d'exprience l'incompatibilit dont tmoigne la conception fonctionnelle du rgionalisme avec les formes traditionnelles de l dcentralisation. Au mme titre que le Plan national a toujours eu du mal s'adapter aux procdures parlementaires, la planification rgionale ne saurait, pensons-nous, s'accommoder des rites tablis par les notables depuis trois quarts de sicle au niveau du dpartement ou de la commune. D'autre part, une circonscription d'action rgionale qui prfigurerait, dans le cadre d'une France demeure souveraine, la 54. Debr (Michel), op. cit., p. 238. 55. L'exprience prouve que la question rgionale constitue l'un des domaines o peut le plus dangereusement s'exercer la surenchre des partis, surtout dans un pays o se pratique le multipartisme. Cf. Claude Palazzoli, Partis poli tiques et rgions autonomes , rapport prsent au symposium international sur les problmes de la rgion et du gouvernement local, Florence, 27-30 mai 1963. 875 :

Jean-Louis Quermonne condition d'un Etat fdr, risquerait d'apparatre inviable aux yeux mmes de l'opinion. Ainsi, les formes habituelles de la dcent ralisation politique et du fdralisme paraissent-elles mal prpa res assumer l'exercice des grandes fonctions rgionales. En revanche, il est clair que la rvolution rgionale ne saurait chapper la dimension politique. D'abord, de par le besoin vident qu'expriment, aujourd'hui, les forces vives d'une vritable participation dmocratique. Il est, en effet, impensable que des administrs exerant au sein mme des rgions des fonctions co nomiques, sociales ou culturelles essentielles acceptent plus long temps de voir celles-ci faire l'objet d'une administration en rgie . Et travers des structures nouvelles que l'volution empi rique est seule mme de scrter, il est vraisemblable que ces forces imposeront peu peu leur prsence au cours des processus de dcision. L'on a prcdemment constat avec une certaine curio sit quel point, au niveau rgional, la dconcentration empruntait certains aspects de la rgie ; n'est-il pas moins frappant que l'on songe substituer aux rgles habituelles de la dcentralisation cer taines pratiques particulires l'tablissement public ? Peut-tre, dans cette voie, qui conduit au district, la participation dmocrat ique pourra-t-elle cheminer ? Il rsulte, enfin, de l'analyse comparative des expriences tran gres, que les relations modernes entre l'Etat et la Rgion ne peuvent plus rsulter, aujourd'hui, d'un simple partage de compt ence. Sur ce point, les recettes apportes tant par le fdralisme que par la dcentralisation ne prsente plus d'utilit pratique. L'exprience italienne montre, au contraire, que le rgionalisme ne saurait tre qu'une impasse l o il n'engendre pas la coll aboration 56, Ainsi, entre l'Etat et la Rgion, l'imbrication est la rgle. Et leur intervention rciproque ne peut rsulter, pour tre viable, que d'une action concerte. C'est donc en instituant, au niveau rgional, un premier degr de participation dmocratique qui s'panouisse l'chelle nationale, que l'on pourra conserver la Rgion son caractre fonctionnel tout en lui reconnaissant une vocation politique. Le reste ne conduirait, selon nous, qu' provoquer, par dfaut, une structure technocratique ou mener, par excs, d'inutiles conflits. lg octobre 56. Palazzoli (Claude), La rgion italienne : contribution l'tude de la dcentralisation politique, thse Droit, Grenoble (multigr.) 1964. Du mme auteur: Sicile et Sardaigne, le milieu insulaire italien et ses problmes, Notes et tudes documentaires, n 2 977, 29 mars 1963. 876