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CARRIÈRES MORALES ET ÉPREUVES SCOLAIRES. SE CONSTRUIRE DANS UN MONDE SCOLAIRE INÉQUITABLE Marie Verhoeven De Boeck Supérieur | Education et sociétés 2011/1 - n° 27 pages 101 à 115 ISSN 1373-847X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2011-1-page-101.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Verhoeven Marie, « Carrières morales et épreuves scolaires. Se construire dans un monde scolaire inéquitable », Education et sociétés, 2011/1 n° 27, p. 101-115. DOI : 10.3917/es.027.0101 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.60.72 - 19/12/2014 17h00. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université catholique de Louvain - - 130.104.60.72 - 19/12/2014 17h00. © De Boeck Supérieur

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CARRIÈRES MORALES ET ÉPREUVES SCOLAIRES. SE CONSTRUIREDANS UN MONDE SCOLAIRE INÉQUITABLE Marie Verhoeven De Boeck Supérieur | Education et sociétés 2011/1 - n° 27pages 101 à 115

ISSN 1373-847X

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2011-1-page-101.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Verhoeven Marie, « Carrières morales et épreuves scolaires. Se construire dans un monde scolaire inéquitable »,

Education et sociétés, 2011/1 n° 27, p. 101-115. DOI : 10.3917/es.027.0101

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Dossier

Carrières morales et épreuves scolaires. Se construire dans un monde scolaire inéquitable

Marie VERHOEVENGroupe de recherche interdisciplinaire sur la socialisation, l’éducation et la formation (GIRSEF)Université Catholique de LouvainPlace Montesquieu 1/141348 Louvain-la-Neuve, [email protected]

et article se penche sur l’expérience scolaire en Belgique francophone dejeunes issus d’un groupe social stigmatisé : les jeunes issus de l’immigration

postcoloniale scolarisés dans des établissements marqués, à des degrés divers, parla relégation. Reconnaissance et justice sociale constituent le fil conducteur dela réflexion, la construction identitaire et morale des élèves étant rapportée auxenvironnements scolaires dans lesquels elle se forge. Si on suit Mead (1963) ouHonneth (2002), c’est à travers les relations de reconnaissance réciproque nouéesdans des conditions de socialisation particulières que le sujet apprend à se pensercomme membre d’une société et à se construire comme sujet moral. La notion de“carrière morale” (Goffman 1968, 178), qui aborde la “construction du moi sousl’angle de l’institution”, permet de saisir cette dynamique. C’est bien dans un“mouvement de va-et-vient du privé au public, du moi à son environnement”que l’individu élabore le “système de représentations par lesquelles il prend cons-cience de lui-même et appréhende les autres” (Goffman 1968, 178-179). Deuxinflexions sont toutefois apportées ici à cette approche interactionniste. D’unepart, celle-ci s’avère limitée dans la prise en compte de l’institution sociale desinégalités à l’école. Or les environnements scolaires fréquentés par les jeunes issusde l’immigration sont traversés par des inégalités multiples, dont il faut démêlerl’intrication. D’autre part, la notion de carrière peut apparaître comme trop lisseet linéaire, donnant insuffisamment à voir le nécessaire travail du sujet face auxaspérités de parcours souvent chaotiques. La notion d’épreuve scolaire (Martuccelli2006, 9) fournit alors un “opérateur analytique” pertinent pour penser ces cons-tructions individuelles, à l’articulation de l’expérience subjective et des enjeux col-lectifs, au sein d’environnements marqués par des inégalités multiples.

L’article débute par un exercice théorique portant sur la pluralité des sourcesde l’inégalité scolaire et la manière dont elles s’articulent et s’imbriquent. Comme

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le suggèrent Lynch & Baker (2005) ou Fraser (2004, 2005), penser la justice sco-laire requiert d’intégrer des questions relatives aux inégalités distributives (margi-nalisation économique et exclusion), à la reconnaissance (modèles symboliquesde domination et de mépris) et au pouvoir (capacité d’action dans le mondesocial). Ces inégalités distributives et symboliques s’avèrent d’autant plus “dura-bles” ou persistantes qu’elles s’incarnent dans des environnements institutionnelsconcrets à travers des processus de catégorisation sociale (Tilly 1999, 6).

L’article dresse ensuite une typologie des modes de construction identitairemis en œuvre par ces jeunes. Le matériau empirique, tiré d’entretiens compré-hensifs avec des adolescents scolarisés dans différentes écoles secondaires de laCommunauté française de Belgique, met au jour plusieurs types de dénoncia-tions. Celles-ci renvoient soit à des questions de nature distributive (accès équi-table aux ressources), soit à des enjeux de reconnaissance symbolique (étiquetageethnique, mésestime sociale…), soit à ces deux sources d’inégalité conjointes. Aufil d’épreuves scolaires contrastées, ces dénonciations révèlent des constructionsidentitaires distinctes et laissent entrevoir différents types de revendication departicipation paritaire à la vie sociale (Fraser 2004, 157).

L’imbrication des sources de l’inégalité scolaire

Vers une approche intégrée de l’inégalité en matière d’éducation

Selon Lynch et Baker, œuvrer à plus d’égalité en éducation requiert uneapproche “holistique et intégrée” (Lynch & Baker 2005, 131). La sociologie del’éducation s’est intéressée d’abord à l’accès inégal aux ressources éducatives (etaux ressources économiques, sociales et culturelles qui en garantissent l’appro-priation) et, secondairement, à la socialisation. Or d’autres sources de l’inégalitédoivent être prises en considération. L’injustice scolaire relève aussi de la sphèrede la reconnaissance et du respect (reconnaissance des différences liées au genre,à l’ethnicité…), de celle du pouvoir (développement d’une capacité d’action etde participation équitable à la vie publique) et de la sphère du développementémotionnel et affectif (Lynch & Baker 2005, 134). Pour les auteurs, seule uneappréhension intégrée de ces processus permet de dépasser les apories d’uneapproche en termes d’égalité des chances (souvent réduite, en particulier dansl’acception libérale de Rawls, à l’étude d’“inégalités justes”). C’est plutôt une“égalité de condition” qu’il faut poursuivre, visant à garantir à chacun des pers-pectives égales de mener une “vie bonne” (134). Un tel objectif suppose le ren-forcement du pouvoir d’intervention sur le monde (empowerment) et descapacités d’action (agency) des acteurs (Lynch & Baker 2005, 132). Cette criti-que rejoint celle de Sen à l’endroit de la théorie de la justice de Rawls : le projet

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de l’égalité libérale des chances est insatisfaisant, car il omet l’inégale capacitéd’individus différents à s’approprier ces ressources et à les convertir en libertéréelle, c’est-à-dire à réaliser les “options de vie qu’ils peuvent réellement meneret auxquelles ils ont des raisons d’accorder de la valeur” (Sen 1993, 216-218).Ce projet de renforcement des capacités d’action passe aussi par une interven-tion sur les environnements où le sujet évolue.

L’analyse critique de la scolarité des jeunes issus de l’immigration en termesde justice sociale doit articuler les enjeux de distribution des ressources, de recon-naissance et de pouvoir (agency) et saisir leur étroite imbrication au sein d’envi-ronnements scolaires concrets. La combinaison des apports de Fraser (2004, 2005)et de la théorie des inégalités durables de Tilly (1998) permet d’avancer dans cettedirection.

Nancy Fraser : reconnaissance, redistribution et parité de participation

Fraser avance que, dans les sociétés post-socialistes, les “luttes pour lareconnaissance” –mouvements porteurs de revendications de reconnaissance dela différence, thématisant l’injustice à partir d’un imaginaire de l’identité et de ladomination culturelle– ont explosé au point de devenir la “forme paradigmati-que du combat politique à la fin du XXe siècle” (Fraser 2004, 151). Dans unmonde où les inégalités économiques se sont creusées, la saillance de ce type delutte risque d’éclipser l’enjeu central des inégalités distributives. Fraser élaboreune théorie bidimensionnelle de la justice, qui tirerait parti des aspects émanci-pateurs de chacun des deux paradigmes. Une telle théorie doit penser conjointe-ment des revendications de différence et d’égalité, très souvent enchevêtrées(Fraser 2004, 152). Certaines catégories, comme la classe sociale, souffrent avanttout d’un accès inégal aux ressources économiques, d’exploitation ou de margi-nalisation. D’autres catégories (l’homosexualité par exemple), définies par leuridentité, sont confrontées à un ordre symbolique qui les construit comme infé-rieures. Mais la plupart du temps, explique Fraser, ces registres sont imbriqués etdoivent être abordés simultanément. Ceci vaut particulièrement pour les identi-tés sociales mixtes, telles le genre ou l’ethnie. Les jeunes issus de l’immigrationpost-coloniale, à la fois victimes de relégation socio-économique et de stigmati-sation, se rattachent à cette catégorie. Pour servir d’étalon à une telle justicebidimensionnelle, Fraser avance la notion de “parité de participation”, qui ren-voie à l’octroi (ou au déni) du statut de “partenaire à part entière de la viesociale, sur pied d’égalité avec les autres” et fonde la capacité du sujet à contri-buer positivement à la collectivité (Fraser 2004, 157). Cette participation pari-taire à la vie sociale peut être entravée : par le droit, lorsqu’on dénie à desindividus ou des collectivités le statut de sujet de droit ; par les “conditionsobjectives”, lorsqu’un acteur est plongé dans des circonstances de dénuement ou

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d’exclusion telles qu’il ne peut pas participer à la vie sociale ; et par des condi-tions “intersubjectives”, renvoyant à des “modèles institutionnalisés de valeursculturelles qui constituent certaines personnes en êtres ne méritant pas d’estimesociale”, en dépréciant leurs caractéristiques (supposées) et en les décrétant indi-gnes de participer à la vie commune. “Dans la mesure où ces modèles de méprissont institutionnalisés, ils entravent la participation tout aussi sûrement que lesinégalités de type distributif” (Fraser 2004, 158).

L’expérience scolaire des jeunes issus de l’immigration postcoloniale estmarquée par différentes sources de l’injustice sociale : l’accès inégalitaire aux res-sources et aux opportunités scolaires se conjugue à des formes de déni de recon-naissance. Si ces dynamiques doivent être distinguées par l’analyse, elles sontpragmatiquement enchevêtrées car incarnées dans des systèmes institutionnalisésde valeurs et des fonctionnements organisationnels. C’est à travers eux que l’accèsinégal aux ressources et les processus de dépréciation symbolique s’alimententmutuellement et entravent l’aspiration de ces jeunes à une parité de participation.

L’inscription institutionnelle “durable” des formes d’inégalité

La compréhension sociologique de cet enchevêtrement est éclairée par letravail de Tilly autour des “inégalités durables” (Tilly 1999). Il propose de penserl’articulation entre différentes formes d’inégalités (ethniques, socio-économi-ques, liées au genre…), de façon à dépasser les apories des modèles scientifiquessous-jacents aux approches quantitatives dominantes. Ces dernières, souventmarquées par une représentation atomisée de la vie sociale, tendent à appréhen-der les inégalités sociales dans un secteur –santé, éducation…– comme résultantde l’influence conjuguée, condensée sur les individus, de facteurs ethniques,socio-économiques, liés au genre, etc. Ces études débouchent sur des résultatsdifficiles à interpréter. De l’une à l’autre, selon la méthodologie utilisée, il s’avèreardu de distinguer les effets spécifiques de l’origine ethnique par rapport aux fac-teurs socio-économiques, les deux tantôt se renforçant, tantôt s’annulant ou seneutralisant. Ces éléments contradictoires interdisent de tirer des conclusionsriches en termes compréhensifs. Il faut alors, selon Tilly, en appeler à une théo-rie sociologique prenant en considération le rôle des institutions dans l’imbrica-tion de ces facteurs. Selon lui, il faut montrer comment ces inégalités sontsocialement instituées dans des dispositifs et des routines. Les institutions –État,entreprise ou École– viennent inscrire les inégalités au sein des organisations, àtravers un appariement (matching) entre les catégories qu’elles mobilisent àl’interne (catégories de travailleurs dans le champ de l’entreprise ou d’ayantsdroit dans le champ juridico-étatique, par exemple) et des catégories externes–genre, race, voire classe sociale–, souvent naturalisées. Si pour Tilly cet apparie-ment répond à une logique fonctionnelle, il assure aux dominants le monopole

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de l’accès aux ressources du champ. Enfin, Tilly insiste sur le rôle des croyancesdans leur perpétuation : l’expérience concrète de l’inégalité, inscrite dans desdispositifs, participe de la construction de leur évidence. Le racisme ou les certi-tudes discriminatoires se forgent dans l’expérience quotidienne d’une catégorisa-tion ethnique qui recoupe des classements opérés par les organisations.

Ces considérations sont utiles à la réflexion sur la construction des inégali-tés scolaires. Elles permettent un regard nouveau sur la question polémique del’existence d’un effet spécifique de l’origine ethnique (distinct des facteurs socio-économiques) sur les performances scolaires des élèves. Si les données quantita-tives disponibles (OCDE 2003) montrent que les élèves –de première ou dedeuxième génération– issus de ces catégories ont des performances plus faiblesque les natifs, les modèles explicatifs pour en rendre compte divergent. Jacobs,Rea & Hanquinet (2007) analysent ainsi la manière dont s’entrecroisent effetsde genre, langue parlée à la maison et origine socio-économique pour expliquerces différences. S’ils soulignent le poids prépondérant des facteurs socio-écono-miques ou encore le rôle de la langue parlée à la maison, ils montrent aussi quedes inégalités entre natifs et allochtones persistent, même après avoir neutraliséces deux variables. À partir des mêmes données, traitées différemment, d’autreschercheurs concluent au caractère négligeable des facteurs ethniques, culturelsou liés à la nationalité (Hirtt 2004). Le débat risque de verser dans une techni-cité stérile et débouche sur une impuissance interprétative. Il est plus intéressantd’appréhender ces facteurs d’inégalité de manière intégrée, à travers leur inscrip-tion sociale et institutionnelle. C’est ce qu’incitent à penser les données tiréesd’une étude récente sur les trajectoires scolaires de jeunes de nationalité et d’ori-gine étrangère en Communauté française (Verhoeven, Rea, Martiniello et al.2007). D’abord, la ségrégation résidentielle est à la fois socioéconomique etethnique : les élèves d’origine et de nationalité étrangère sont concentrés dans lesquartiers aux indices socio-économiques les plus faibles (Verhoeen, Rea et al.2007, 257). La ségrégation scolaire est affectée par des processus analogues, nonseulement parce qu’elle reflète partiellement la ségrégation résidentielle (Verhoe-ven, Rea et al. 2007, 92-93), mais surtout en raison des phénomènes regroupéssous le nom de discrimination institutionnelle (Bataille 1999). Il est utilisé lors-que –même indépendamment de la volonté des acteurs– des dispositifs sociaux ouenvironnementaux ou encore des règles ou des routines inhérentes au fonction-nement des organisations conduisent au traitement différencié systématique decertaines catégories d’élèves. La ségrégation ethnique constitue une forme dediscrimination institutionnelle multidimensionnelle complexe. Par exemple,dans une ville wallonne, près de 90% des élèves de nationalité ou d’origine étran-gère sont scolarisés dans une poignée d’établissements secondaires du centre-villepaupérisé, n’offrant pour la plupart que des filières techniques et professionnelles ;une telle ségrégation constitue une forme de discrimination institutionnelle à la

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fois environnementale ou géographique (limitation des opportunités sur unespace donné), sociale (des acteurs sociaux comme les institutions locales respon-sables de l’orientation scolaire, certaines associations ethniques ou certainsréseaux de pairs tendent à diriger les élèves issus de l’immigration vers ces écoles)et symbolique (les décisions des agents scolaires étant marquées par des représenta-tions relatives aux chances de réussite scolaire des enfants issus de l’immigration).Le choix de filières moins prestigieuses se fait plus souvent et plus précocementpour les jeunes des groupes issus de l’immigration, la notion de stigmate ethniquepouvant être mobilisée ici. On observe également que les processus de constitutiondes classes sont traversés par des biais tenant à la fois aux habitus, au genre et àl’appartenance ethnique des élèves. Ces résultats sont congruents avec une série detravaux menés notamment en France (Payet 1995, Lorcerie 2003, Felouzis 2003),en Grande-Bretagne (Gillborn 1987) ou même aux États-Unis (Ogbu 1992).

Cette institutionnalisation imbriquée des inégalités s’imprime aussi dans descroyances. L’enquête révèle que les acteurs du monde scolaire décrivent l’iniquitédu système en mêlant discursivement les dimensions ethniques, socio-économi-ques et scolaires. Très souvent, pour les élèves, les bonnes écoles sont évoquéescomme des écoles de “blancs” ou de “bourges”, alors que les mauvaises écoles sontcaractérisées indifféremment par le “bas niveau”, la forte proportion d’élèves d’ori-gine étrangère ou la composition sociale et les conditions matérielles de l’école etdu quartier. Ces catégorisations ordinaires, dont on trouve d’autres modalités chezles enseignants et chez les parents, sont constitutives des univers symboliques quiorganisent l’inégalité.

Les processus inégalitaires auxquels sont confrontés les jeunes issus del’immigration relèvent donc d’enjeux d’accès aux ressources scolaires (offre sco-laire ethniquement fléchée, éventail d’options rétréci…) et de hiérarchisationsymbolique. Ils s’inscrivent durablement dans des environnements locaux, à tra-vers la discrimination institutionnelle et la différenciation objective et symboli-que entre établissements.

Pouvoir et capacité d’action

Une autre source de l’inégalité peu évoquée est le pouvoir, entendu commecapacité d’action. La notion de “parité de participation” de Fraser est un apportpour penser cette question car elle renvoie à un impératif fondateur des sociétésdémocratiques modernes –la participation égalitaire de tous les citoyens à la viepublique–, tout en intégrant une réflexion sur les moyens nécessaires à la cons-truction des capacités du sujet à agir. Si le pouvoir se définit comme une capa-cité d’action transversale aux ressources matérielles et symboliques, commentcette capacité se construit-elle ? La réponse de Fraser reste ici assez abstraite. Onpeut lui adresser la même critique que celle de Zimmerman (2008) à Sen sur la

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capacité : la notion reste sociologiquement désincarnée, et souvent estimée àpartir de quelques variables standards typifiant la position de l’acteur : âge,groupe social, genre… Zimmerman suggère que cette approche prend insuffisam-ment en compte la question du pouvoir, car elle ne permet pas d’observer laconstruction des capacités d’action de manière pragmatique, dans des environ-nements concrets, façonnés par des institutions. Le projet sociologique est derendre compte de la construction (ou non), au fil des situations, des sujets capa-bles et reconnus comme dignes de participer à la vie publique. Une perspectivediachronique (biographique, par exemple) est donc souhaitable si l’on veut repé-rer les points nodaux de rencontre entre des sujets et des configurations institu-tionnelles successives.

Carrières scolaires et épreuves de reconnaissance

’est selon les environnements scolaires fréquentés que les élèves se cons-truisent comme sujet moral et développent leur capacité d’action. Saisir ce

processus requiert de combiner une approche en termes de carrière, attentiveaux configurations scolaires rencontrées et à la manière dont différentes formesd’inégalité s’y imbriquent, et une approche en termes de construction de soi. Lanotion d’épreuve (Martuccelli 2006, 10-12), renvoyant aux défis structurels ouinstitutionnels rencontrés par les sujets au cours d’itinéraires singuliers, permetd’aborder cette articulation.

Nous examinons maintenant la manière dont différentes formes d’entra-ves (distributives, symboliques ou intégrées) à la parité de participation jalon-nent les épreuves scolaires d’élèves issus de l’immigration. Constituent-elles lepoint de départ de revendications en justice sur lesquelles ils s’appuient pourdevenir sujet moral ? Correspondent-elles à des modalités de construction iden-titaire particulières ? Enfin, comment une réelle capacité d’action –ou, au con-traire, un sentiment d’impuissance– s’y forgent-ils ?

Stigmate tribal, épreuves scolaires et postures identitaires

Analysant les formes de déni de reconnaissance ou de mépris que rencon-trent des femmes musulmanes immigrées en Belgique, Brion (2001) mobilise lanotion de “groupe social tribalisé”, c’est-à-dire affublé d’attributs identitaires,culturels et/ou structurels faisant l’objet de sanctions sociales négatives. Brionmontre que, selon le moment de découverte de ce stigmate, plusieurs types decarrières morales se dessinent, qui débouchent sur la formulation d’attentes dereconnaissance différenciées. Dans une perspective analogue, il est possibled’examiner la manière dont les jeunes du groupe-cible sont amenés à découvrir

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le(s) stigmate(s) dont ils font l’objet et à l’(les) interpréter. Mais le matériaurecueilli révèle que les modalités et les effets de cette découverte diffèrent enfonction des configurations scolaires rencontrées, marquées chacune par l’imbri-cation instituée de différentes formes d’inégalités. Au gré d’itinéraires marquéspar la réussite ou la relégation, l’enclavement ou la mobilité, les élèves sont con-frontés à des “épreuves types” (Martuccelli 2006, 37) contrastées dont trois, au-delà de la singularité des configurations, peuvent être distinguées. Sur l’axe dis-tributif, l’épreuve se définit par la rareté de ressources et est perceptible à traversla conscience des inégalités inscrites dans l’environnement local, celle des obs-tacles sur le chemin des bonnes écoles ou la lucidité sur la faiblesse des acquisscolaires pour leur formation et leur insertion futures. Sur l’axe symbolique,l’épreuve se décline en déni de reconnaissance et entrave la construction del’estime de soi ; elle s’exprime par le sentiment que l’école méprise leur culture,leurs convictions religieuses ou leur assigne des caractéristiques dans lesquellesils ne se reconnaissent pas ; elle se manifeste aussi par le sentiment d’appartenirà des environnements scolaires déclassés, où la disqualification sociale, souventexprimée à partir d’un répertoire ethnique, envahit toutes les dimensions del’expérience scolaire (Payet 2005). Sur l’axe du pouvoir, l’épreuve touche à laconstruction d’une capacité d’action (vs d’un sentiment d’impuissance) et auprocessus de délimitation sociale d’un espace des possibles plus ou moins large ouborné, perçu comme à la fois accessible et désirable.

Confrontés à ces différentes épreuves, les jeunes revendiquent diverses for-mes de parité de participation, insistant davantage sur l’axe des ressources, surl’axe de la reconnaissance ou sur celui des capacités d’action, ou sur différentescombinaisons de ces dimensions. Nous pensons qu’il est possible de comprendreles différentes “postures identitaires” (Verhoeven 2005, 2006) adoptées par lesjeunes comme étroitement (mais pas exclusivement) liées à ces revendicationsmorales. Qu’il s’agisse de stratégies identitaires axées sur la reconnaissance del’identité culturelle, sur la mise à distance du stigmate ethnique, sur la décons-truction de la culture dominante ou encore sur la reconstruction réflexive de soià partir de registres pluriels, l’enjeu n’est-il pas, pour chaque jeune, de se posercomme digne de participer en tant que pair à la vie sociale, quelles que soientson identité, ses ressources scolaires ou sa conception de la “vie bonne” ?

Trois configurations types

La présentation ici de trois carrières typifiées, associées à des épreuves sco-laires spécifiques, s’appuie sur des entretiens socio-biographiques réalisés lors dedifférentes enquêtes auprès des jeunes issus de l’immigration de 16 à 18 ans(Verhoeven 2005, 2006, Verhoeven, Rea, Martiniello et al. 2007).

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Carrière scolaire ouverte et insistance sur les conditions objectives de la parité de participation

Certains jeunes, scolarisés dès le départ dans des établissements en positionfavorable, ont une carrière scolaire à la fois performante et non confinée par laségrégation. Confrontés précocement à la société plus large que leur grouped’appartenance, ils ont pris conscience de son caractère minoritaire et stigma-tisé, construit comme moins digne que d’autres de participer à la vie publique. Ilspeuvent être rattachés au premier type de groupe stigmatisé selon Goffman, ceuxqui, “porteurs d’un stigmate inné, ont toujours été socialisés dans la connais-sance de leur désavantage et ont appris et incorporé simultanément les standardspar rapport auxquels ils sont définis comme ‘déficients’” (Goffman 1975, 32).Ces élèves mettent à distance le stigmate à travers des postures identitaires assi-milationnistes et rejettent l’ethnicité comme catégorie organisatrice du mondesocial. Face aux épreuves scolaires et sensibilisés très tôt (notamment par desparents avertis) à l’inégalité entre établissements, ils se mobilisent pour répondreaux attentes des orientations les plus valorisées : il leur faut “travailler” et être“meilleurs que les autres” pour déjouer le déclassement scolaire dont ils pressententque les membres de leur groupe sont victimes. Refusant de se laisser confinerdans des espaces scolaires ghettoïsés, ces élèves insistent sur les conditions objec-tives de l’accès à la participation –ressources scolaires de qualité, accès ouvertaux opportunités scolaires et professionnelles futures non limité par leur quartierou leur groupe d’origine. Sur le plan identitaire, ils évitent le labelling ethniquepar la mise à distance des attributs culturels stigmatisés, par des tactiques de cloi-sonnement des facettes identitaires ou de reconstruction réflexive de soi à partirde différents référentiels, constituent des stratégies fréquentes dans ces situa-tions. En termes de pouvoir, ces élèves font souvent montre d’une compréhen-sion fine et globale du système social et scolaire et des hiérarchies semblentdotées des ressources objectives et subjectives pour y déployer leur capacitéd’action (par exemple, une mobilité spatiale et/ou scolaire ascendante sciem-ment réfléchie).

Le récit de Malaïka, Congolaise de 18 ans, ayant réalisé toute sa scolaritédans une école parmi les plus réputées de la région bruxelloise, illustre cettefigure. Arrivée à l’âge de deux ans, seule avec sa maman et son frère, alors queson père reste au Congo, Malaïka réside dans un quartier marqué par une cer-taine mixité sociale et culturelle. Elle parcourt chaque jour une distance nonnégligeable pour atteindre son école, qu’elle présente comme un lieu détermi-nant de la construction de soi, comme une seconde famille : “Je suis dans cetteécole depuis ma première primaire et donc j’ai acquis certaines habitudes et donc la plu-part des gens que je connais c’est via l’école, quoi. (…) c’est devenu ma famille, avec letemps…”. Elle n’y va pas seulement pour étudier, ses amies de l’école étant aussises amies “dans la vie”. Elle noue avec ses professeurs des relations de proximité

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affective : “je m’entends super bien avec mes profs, j’ai aucun truc négatif à leur dire, jeles aime vraiment beaucoup, ils sont super-sympas”. D’entrée de jeu, l’école est lepoint de départ qui façonne le cercle restreint de sa sociabilité. Pourtant, à tra-vers l’expérience précoce d’une école primaire plutôt élitiste qu’elle décritcomme “à prédominance blanche”, elle fait rapidement l’expérience de sa diffé-rence. Sa carrière scolaire débute par une sorte de “honte” de son origine congo-laise. Elle se construit d’abord dans la négation de cette différence : “Depuis mapremière primaire, j’étais dans cette école, j’étais vraiment, j’étais tout le temps seulementavec des Européens, avec des Blancs, comme on dit, et vraiment je faisais même pas ladifférence (…). Je me rappelle, ma tante, avant de partir à l’école, elle me parlait en swa-hili, mais dès qu’on arrivait trop près de l’école je disais ‘laisse-moi’, je partais, je fuyais, jeniais ; je n’aimais pas du tout l’idée qu’on m’assimile”. Elle refusait même de parler leswahili, langue qu’elle met franchement à distance de son identité : “j’aimais pasparler en swahili, j’avais l’impression d’essayer de faire ce que je ne suis pas”. L’entrée ensecondaire marque une rupture par rapport à cette attitude et une réappropria-tion du stigmate ethnique : “je me suis rendue compte que je n’étais pas…, bon, quej’étais noire, voilà”. Elle se rapproche alors de certains amis d’origine africaine desa classe et noue avec eux des liens durables. Pourtant, son récit est jalonné deprocédés discursifs à travers lesquels elle présente ces relations non comme laconséquence naturelle d’une identité ethnique ou raciale essentialiste maiscomme le produit du “hasard” (“c’est comme ça que ça s’est fait, c’est un hasard” ; “cen’était pas fait exprès”) ou des affinités électives (“Ce n’est pas parce qu’on est noiresqu’on s’entend bien mais parce qu’on a beaucoup de points communs”). Alors que toutl’entretien révèle combien sa sociabilité est marquée par des relations avec desmembres du même groupe stigmatisé, elle rechigne à les nommer en mobilisantdes frontières symboliques de type ethnique (Poutignat & Streiff-Fenart 2008,166-173). Pourtant, dans son travail identitaire interne, elle se lance dans unequête de ses “racines” et retrouve une fierté à parler le swahili, qu’elle perfec-tionne et pratique dès qu’elle peut. Sans mettre en danger sa position scolaire(bien trop importante à conserver, car c’est grâce à elle qu’elle entend atteindreses aspirations à la mobilité en devenant avocate), elle parvient à nouer des rela-tions de reconnaissance rapprochée avec un petit cercle d’amis du même groupeethnique. Ceci lui permet sans doute de déjouer les accusations de “traître à sarace”, fréquentes au sein des groupes ethniques stigmatisés, dont font l’objet lesjeunes “noirs” en mobilité scolaire et sociale tout en échappant aux étiquettespéjoratives de “bourge” ou d’“intello” qui désignent les très bons élèves de sonécole et auxquelles elle ne veut pas être “assimilée”.

Malaïka met tout en œuvre pour se préserver un accès aux conditionsobjectives de l’accès à la participation (ici l’obtention d’un bon diplôme dansune école élitiste, sésame vers des études prestigieuses). Intuitivement cons-ciente du poids des stigmatisations ethniques, elle les met à distance, d’abord à

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travers une forme radicale de refus, puis plus subtilement ensuite. Renouant avecune fierté de l’origine, elle se construit comme sujet dans un refus de toutes lesidentités figées.

Carrière scolaire confinée, conscience diffuse du stigmate et limitation de la capacité de choix

Certains jeunes ont effectué toute leur scolarité dans un monde marqué parla ségrégation scolaire et ethnique. S’il y a eu changement d’école, c’est dans unmouchoir de poche géographique (un quartier confiné et ethnicisé) ou scolaire(leur mobilité se limitant à quelques écoles supposées accessibles ethniquementet/ou socialement). Cette configuration se rapproche de la seconde catégoriedécrite par Goffman : ceux qui évoluent, au moins un temps, dans une “capsulede protection”, un espace où ils sont provisoirement à l’abri des effets du stig-mate. Certains développent une conscience diffuse d’appartenance à un groupestigmatisé, mais celle-ci n’est pas stimulée par la confrontation à des espaces demixité. Les écoles fréquentées sont vécues comme des lieux sans histoire où ilssemblent pouvoir vivre leur “différence” sans trop de heurs. Peu sortis de leurmicrocosme, ils situent mal leur école dans la hiérarchie symbolique des établis-sements. L’épreuve articule une dimension distributive d’exclusion et une dimen-sion de limitation de la capacité d’action : rares sont ceux qui restent maîtres deleurs choix. Sur le plan des ressources, il s’agit souvent de rester dans le jeu etd’ajuster ses aspirations à des choix scolaires modestes ou subis, ce qui conduit àun rapport instrumental ou ritualiste à la scolarité et à une construction identi-taire ancrée hors de l’école. Les enjeux de reconnaissance et d’estime sociale sontmarqués. L’ancrage affectif dans des communautés ethniques d’appartenancecoexiste avec divers processus de mise à distance ou de contestation du stigmateethnique.

Joris, garçon d’origine africaine âgé de 17 ans ayant réalisé toute sa scola-rité dans une école située à proximité de son domicile, illustre ce type de par-cours. Son rapport à l’école associe conformisme et détachement. Il relatelaconiquement son orientation, dès la 3e année secondaire, vers la filière “techni-ques d’animation” où il ne se projette pas, mais qui constitue un pis-aller honora-ble. Tout en affirmant qu’il s’agit d’un choix, il avoue qu’il n’aime pas l’option etrêvait de théâtre, d’écriture, de “quelque chose de plus artistique, mais hélas…”. Tousles soirs, il s’attelle à l’écriture d’un roman, son “but premier dans la vie”. Desrésultats scolaires satisfaisants lui permettent d’adopter une attitude de normali-sation, de répéter que “tout va bien à l’école”, alors que son corps et son discoursévoquent l’ennui et la routine. L’épreuve scolaire est de se construire subjective-ment alors que les orientations rêvées sont inaccessibles par l’école. Si Joriss’autoréalise en dehors de l’école, à travers ses projets artistiques et en fréquen-tant assidûment une église pentecôtiste africaine, à l’école, il joue la carte d’une

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conformité lisse : bon élève mais sans plus ; il s’habille “mode” et adopte les codescomportementaux d’un garçon bien élevé. Ses vêtements chics sont aussi unemanière de contrer les identités assignées, tant par son environnement scolaireque par son milieu ethnique.

Quant à Nappa, jeune fille turque scolarisée dans des établissements à fai-ble capital scolaire et symbolique d’une grande ville wallonne, l’ancrage dans sacommunauté a présidé à ses choix scolaires dans son quartier. Durant sa scolaritéprimaire dans une école multiculturelle, elle nourrit des relations d’amitié avecdes filles de la même communauté, va à l’école coranique, perfectionne sa con-naissance du turc dans une association. À l’entrée du secondaire, elle choisit de“suivre ses copines” et s’inscrit dans une école à forte fréquentation turque (margi-nalement, marocaine). Pourtant, elle a conscience de la disqualification dontson école fait l’objet, en tant qu’école “faible” et qu’école “de Turcs”. Elle a essuyédes refus en tentant de s’inscrire dans deux “bonnes écoles” où “il n’y avait plus deplace”. Pour parvenir à mener une scolarité “digne”, elle va “travailler beaucouppour se maintenir en général” –de manière assez scolaire et instrumentale–, parce ceque “cela donne plus de choix après” ; en même temps, elle se dote d’ambitions “rai-sonnables” (elle sera institutrice). Sur le plan identitaire, Nappa développe unetactique de séparation des sphères : à l’école, elle fait ce qu’il faut, elle aime lesprofesseurs qui ont de la discipline ; en dehors de l’école, elle maintient le lienfort avec la communauté turque, dont elle trouverait “dommage d’oublier la langueou les coutumes”, qu’elle compte bien transmettre à ses propres enfants. Mais elleregrette parfois d’être confrontée à des préjugés professoraux relatifs à l’islam.

Pour Nappa, la demande de parité de participation renvoie à la redistribu-tion (acquérir des ressources scolaires suffisantes pour avoir une place dans lasociété), mais aussi, et peut-être surtout, à la reconnaissance. Il s’agit de luttercontre la disqualification des écoles stigmatisées comme “faibles” et “pour immi-grés” en devenant institutrice, de contester les stigmates pesant sur son islamité,tout en maintenant une reconnaissance ancrée dans des réseaux ethniques etculturels denses. Elle parvient ainsi à lutter contre la triple disqualification dontelle fait l’objet : scolaire, religieuse et culturelle.

Carrières instables : entre “capsule protectrice” et confrontation à l’altérité

Un dernier cas de figure concerne les élèves qui alternent, dans un sens oudans l’autre, des périodes de scolarisation dans des environnements scolaires plusou moins protégés (environnements plus faibles, culturellement dominés, maisles mettant à l’abri de la stigmatisation) et des établissements caractérisés par lamixité sociale et culturelle, souvent plus exigeants en performance scolaire. Cesélèves mobiles sont d’excellents informateurs sur les inégalités culturelles, scolai-res et leur imbrication.

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Le parcours de Charlyne, 17 ans, montre une carrière scolaire ascendante.Métisse eurafricaine, Charlyne est aujourd’hui dans un établissement assezréputé du centre de Bruxelles, mais encore multiculturel et socialement mixte.Elle a décidé de quitter son école précédente, qualifiée de ghetto et située enplein quartier turc. Charlyne précise qu’elle était caractérisée par des conflitsassez durs (insultes, bagarres…) entre “cliques” d’élèves regroupées par nationa-lité. Si Charlyne déplore ce climat ethnicisé, c’est à la fois pour le manqued’ouverture qu’il dénote et son caractère peu propice à l’apprentissage –à com-mencer par l’acquisition du français. “En plus, les gens, ils communiquaient pas enfrançais, ils communiquaient dans leurs langues ! Toi, tu étais là mais tu comprenais rien”.Sa dénonciation de cette école articule étroitement des enjeux de type distributif(mauvais niveau, médiocrité des professeurs), des enjeux de reconnaissance (cli-vages ethniques dans lesquels elle ne se reconnaissait pas) et l’imbrication desdeux registres. Ainsi, c’est parce que certains professeurs étaient “arabes” et par-laient parfois en arabe qu’elle avait du mal à les comprendre. Le niveau étaitd’autant plus faible que certains professeurs n’osaient pas aborder toute lamatière, par peur d’être “intimidés” par les élèves (“les profs n’osaient pas aller à fonddans les débats, ils avaient peur des élèves”).

Sa nouvelle école, en position scolaire favorable et plus mixte socialement,offre un éventail d’options et une réelle ouverture à la multiculturalité. Il n’y ani “groupes”, ni tensions, mais un dialogue entre des individus qui ne se définis-sent pas a priori à partir de l’axe ethnique. (“Tu saurais jamais de quelle nationalitéest l’élève, pour savoir tu dois vraiment le demander à la personne !”). Cette non-saillance de l’ethnicité est pour elle indispensable. Elle concilie deux objectifs :en termes redistributifs, accéder à des ressources scolaires plus légitimes pourpoursuivre son projet d’études supérieures (le droit) ; en termes identitaires, seconstruire ailleurs que dans un clivage ethnique dans lequel elle ne se reconnaîtpas, valorisant l’échange avec des élèves de toutes origines. La demande dereconnaissance qu’elle formule ne concerne pas celle de l’origine, mais une cons-truction de soi effectuée réflexivement à partir de la pluralité. À travers sonchoix de mobilité scolaire, Charlyne a élargi ses capacités d’action, en consoli-dant ses ressources scolaires et en se construisant comme sujet réflexif.

D’autres élèves se caractérisent plutôt par des formes de mobilité descen-dante. Les épreuves scolaires comme le travail identitaire à opérer sont alors dif-férents. Ce parcours implique souvent un travail de deuil des aspirations. Naomi,par exemple, a échoué dans une “très bonne école” et a été réorientée vers uneécole technique. Si elle dit continuer à vouloir être avocate, elle sait bien que“ce sera très dur”. Certains retrouvent alors une capsule protectrice à travers desenvironnements scolaires interprétés comme moins performants mais plus rassu-rants. C’est le cas de Gertrude, fille de rescapés du génocide au Rwanda, arrivéeen Belgique à l’âge de six ans. D’abord scolarisée dans une bonne école catholi-

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que d’une petite ville, confrontée à des échecs scolaires, elle quitte l’école (dontelle dénonce alors l’élitisme) pour un nouvel établissement moins prestigieuxmais plus multiculturel, où elle salue la présence de nombreux élèves “africains”.Elle renoue des liens de solidarité forte avec ses pairs africains, arguant d’une“compréhension” plus facile et d’une solidarité plus naturelle.

Conclusion

Cet article propose un cadre d’analyse intégré permettant d’appréhenderensemble différents processus inégalitaires à l‘œuvre dans le champ scolaire. S’ilfaut pouvoir distinguer analytiquement les processus d’inégalité distributive, dedéni de reconnaissance et de construction limitée du pouvoir (au sens de capacitéd’action), ces processus sont étroitement intriqués. Cette imbrication passe par desprocessus d’institutionnalisation dans les espaces scolaires de relégation, de systè-mes d’évaluation ou de dépréciation qui conjuguent des formes de labelling (social,ethnique et scolaire) ; elle s’ancre également dans des dispositifs institutionnels etd’organisation.

Dans ces environnements, les carrières scolaires de jeunes issus de l’immi-gration post-coloniale se déploient. Au fil d’épreuves scolaires distinctes, ils seconstruisent comme sujet moral à partir de formes de dénonciation, qui peuventêtre comprises comme des revendications d’une parité de participation, oùs’interpénètrent des demandes de redistribution et de reconnaissance.

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