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  • Point de vue de parents de milieux dfavoriss surleur implication dans le vcu scolaire de leur enfant

    Fasal KanoutUniversit de Montral

    Rsum

    La dfavorisation socioconomique est gnralement vue comme un espacemultidimensionnel (insuffisance de revenus, manque de pouvoir, problmesde sant, chec scolaire, etc.). Dans un tel contexte, lquit en ducationcommande de rflchir tous les niveaux de facteurs influenant la russitescolaire. Un des ces niveaux concerne les conditions de limplication desparents de milieux dfavoriss dans le vcu scolaire de leurs enfants.Larticle relate le point de vue de certains de ces parents concernant lacommunication avec lcole, le suivi scolaire la maison, le dplacement lcole et les perspectives en termes daide au parent. Les parents parlent dela difficult gnrale des contacts avec lcole qui les renvoient leurimpuissance aider leur enfant selon les attentes de lcole. Ils soulignentgalement le manque de convivialit de lcole comme territoire profes-sionnel leur endroit.

    Introduction

    Dans notre socit, le rle de parent se conjugue trs tt avec celui de parentdlves, ds lentre de lenfant au prscolaire, quatre ou cinq ans. AuQubec, la scolarit obligatoire est en vigueur jusqu lge de 16 ans. Ainsi,par rapport un lve, la dure de vie de la relation cole-famille est dunedizaine dannes. Pour les familles comprenant plusieurs enfants, les parentsvivent longtemps avec la ncessit de transiger avec les diffrents interve-nants des coles primaire et secondaire de leurs enfants.

    La relation cole-famille, une relation de coducation , se dcline dediffrentes manires dans sa forme, sa qualit et ses enjeux (Vatz-Laaroussi,Lvesque, Kanout, Rachdi, Montpetit et Duchesne, 2005). Une recension

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    dcrits sur la relation cole-famille fait dcouvrir des croisements de mots-clsqui en disent long sur les enjeux sous-jacents cette relation : russite et checscolaires, galit des chances et iniquit, communaut ducative, lves risque, adaptation de lcole sa clientle, familles en difficult, minorits, etc.La dclinaison multiforme de cette relation est influence par diffrents l-ments, dont le profil scolaire de lenfant, la structure et le capital socioculturelde la famille, la confrontation entre les logiques professionnelles portes parles intervenants scolaires, notamment lenseignant, et les logiques familiales.Le Conseil de la famille et de lenfance du Qubec appelle une plus grandecomplicit entre les familles et lcole (CFE, 2005). Le sous-titre du livre deMigeot-Alvarado (2000), traitant de la relation cole-famille, rsume les conclu-sions de plusieurs chercheurs sur cette problmatique : Peut mieux faire. Cetterelation complexe est juge plus difficile dans un contexte de dfavorisationsocioconomique, et la grande explication entre familles et cole, dans cecontexte, reste faire (Meirieu, 2000).

    La dfavorisation est gnralement vue comme un espace multidimensionnelqui combine insuffisance de revenus, isolement, manque et perte de pouvoir,sentiment dimpuissance et de stress, problmes de sant mentale et physique,chec scolaire, etc. Ainsi, lquit en ducation commande de rflchir tousles niveaux de facteurs influenant la russite scolaire. Un des ces niveauxconcerne les conditions de limplication des parents de milieux dfavorissdans le vcu scolaire de leurs enfants.

    Cet article prsente les rsultats dune recherche1 que nous avons meneauprs de parents de milieux dfavoriss concernant leur pratique dimplica-tion dans le vcu scolaire de leurs enfants. Dans une dmarche globale, nousnous sommes intresss au systme de reprsentation des acteurs que sontles parents. Nous avons voulu saisir un espace discursif o les parents-ac-teurs dcrivent leur implication, jugent leur relation avec lcole et se position-nent par rapport aux attentes de lcole.

    Dans un premier temps, larticle aborde deux aspects du cadre thorique de larecherche : la problmatique de lcole en milieu dfavoris et celle de limplica-tion parentale dans le vcu scolaire de lenfant. La mthodologie de la recher-che est ensuite prsente, ainsi que le point de vue des parents participants la recherche par rapport la communication avec lcole, au suivi scolaire lamaison, laccessibilit de lcole comme territoire professionnel et aux pers-pectives daide aux familles.

    1 Cette recherche est le rsultat dune commandite faite en 2001 par le Conseil scolaire delle de Montral, devenu le Comit de gestion de la taxe scolaire de lle de Montral.

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    Lcole en milieu dfavoris

    Lutilisation du concept de dfavorisation , la place de celui de pau-vret , ne tmoigne pas toujours dune pratique dinterchangeabilit concep-tuelle, mais dune relle transition paradigmatique. En effet, llargissement dela pauvret la notion dexclusion sociale, dfinie comme lincapacit de parti-ciper des activits de la vie ordinaire, a provoqu un dplacementparadigmatique majeur (Glennerster, 2002; Strobel, 1996). Apparier pauvret et exclusion sociale , autorise parler de populations dfavorises ou d-savantages. Les approches en termes dexclusion sociale ne rfrent pasuniquement aux diverses formes de privation matrielle dont souffrent despopulations donnes, mais elles abordent et analysent leur situation en termesdingalits sociales, de distribution dsquilibre des ressources collectiveset dasymtrie de pouvoir. Ces approches cherchent comprendre ladfavorisation comme un processus dynamique qui touche aux dimensionsidentitaires, aux rseaux sociaux ainsi quaux pratiques institutionnelles(Kazemipur et Halli, 2000; Ninacs, 1997; Vatz-Laaroussi, 1996).

    Avant daborder les enjeux de lcole en milieu dfavoris, il est utile de clarifierce que nous entendons par milieu . Gnralement, du point de vue dunecole donne, le milieu concide souvent avec le territoire, le quartier2 danslequel elle est situe et o habitent les lves et les familles. cette dimensiongographique, il faudrait ajouter une autre, objectiviste , qui rfre un espace caractrisable au moyen de critres et de paramtres qui en fondent lasingularit, la cohrence, bref la spcificit (Mnard, 1997 : 48). Ces param-tres, rapports des problmatiques socioconomiques, permettraient, parexemple, de parler de milieu socioconomiquement dfavoris. Nous trouvonsgalement importante la dimension politique de la dfinition du milieu : es-pace construit et dfini par le geste politique, et sur lequel une politique vientprcisment sinscrire (Mnard, 1997 : 49). Dans ce sens, comme espacedintervention, le milieu dfavoris peut tre considr comme une cra-tion du systme scolaire, du rseau de la sant et des services sociaux (Hohl,1985).

    Les lves vivant dans des situations de grande dfavorisation ont des diffi-cults scolaires ou sont en chec scolaire plus souvent que les autres. Montral, par exemple, le taux dchec scolaire serait environ cinq fois plus

    2 Cette juxtaposition du milieu et du quartier o se trouve lcole est trs oprationnelle Montral depuis 1998. cette date, les commissions scolaires sont passes de confes-sionnelles linguistiques (francophones, anglophones) et, dornavant, la grande majo-rit des enfants qui vont lcole publique frquentent une cole de quartier.

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    important dans les zones dfavorises (CSIM, 1991). Pour rendre compte dutaux dchec scolaire lev dans les milieux dfavoriss, plusieurs hypothsesexplicatives ont t avances.

    Selon la thorie du handicap socioculturel, les enfants de famille faible re-venu vivent en gnral dans un univers linguistiquement et culturellementpauvre et ce manque de stimulation intellectuelle fait quils ne russissent pasbien lcole : le langage, les valeurs et les schmes cognitifs qui leur ont ttransmis ne sont pas ceux qui permettent la russite scolaire et sociale. Lidede non compatibilit marque entre lcole et le milieu dfavoris est ainsipose, avec ce qui pourrait tre peru comme un sous- entendu : cest auxfamilles de ce milieu de travailler pour la compatibilit ! Une autre explication delchec scolaire en milieu dfavoris souligne la corrlation positive entre laperception de contrle de son environnement de la part de lenfant et la rus-site scolaire (Delannoy, 1997; Moreau, 1995). Un enfant dont les parents nontpas les ressources suffisantes pour subvenir tous ses besoins peut avoirlimpression de subir son environnement. Lhostilit environnementale res-sentie par lenfant est susceptible dentraner chez lui une attitude dfaitisteavec lide quil nest pas en son pouvoir de changer les choses. Dans cesconditions, lcole nest pas perue comme un tremplin pour une mobilitsociale afin de sortir de la pauvret et lenfant ne fera pas defforts pour russir.Par ailleurs, le milieu scolaire, comme espace-temps organis et calqu sur leprofil socioculturel familial de la classe moyenne, peut galement renforcerchez lenfant de milieu dfavoris cette perception de non contrle de sonenvironnement. Lenfant vit ainsi avec une faible esprance de russite et unecapacit de projection dans lavenir amoindrie par la dmotivation. Ceci amnedes chercheurs dcoder avec finesse, chez certains lves, les comporte-ments de dfiance et de dcrochage scolaire : Si lon doit chouer, mieux vautavoir paru ne pas attacher trop dimportance la russite, la chute en seramoins dure (Delannoy, 1997 :130). Dubet (1998) va dans le mme sens ensoulignant que lchec scolaire se dessine souvent sur la toile de fond dunemise en scne du retrait : on dcide de ne plus jouer le jeu scolaire et sesrgles, persuad que la partie est perdue davance.

    En conformit avec la complexit du concept de dfavorisation, des recherchesont adopt un questionnement multiple qui sintresse la fois aux dynami-ques des milieux dfavoriss, aux pratiques de lcole et la nature des rela-tions entre les deux. La sensibilit cette complexit demeure, mme dans lecas de recherche o un seul lment de cette trilogie est ltude (par exemplele point de vue des familles ou de celui des enseignants). Selon ces recherches,pour mieux aider lenfant, il est imprieux de combler le foss qui existe entrelcole et les parents en situation de dfavorisation socioconomique, dame-

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    ner les parents et les professionnels entrer en contact et dialoguer autour dece que peut tre une comprhension partage de lenvironnement socio-du-catif du milieu (Hohl, 1993, 1996; Vatz-Laaroussi, 1996).

    Si lon veut sassurer que lcole reste cette institution centrale dinsertion lavie sociale, professionnelle et conomique, et cet espace daccs la pleinecitoyennet, il importe de dvelopper une attitude clairvoyante permettantdidentifier les consquences multiples de la grande dfavorisation, en mmetemps que de mettre en uvre un financement adquat des projets et de nou-velles pratiques sociales et pdagogiques (Drolet, 1990; St-Jacques, 1995, 2000).Il ne suffit plus dinstituer une multiplicit de dispositifs de prise en chargedlves confronts aux difficults scolaires, mais galement de travailler surles reprsentations que lon se fait des enfants et de leurs parents, et sur lesattentes en matire dimplication parentale dans le vcu scolaire. Il savregalement pertinent que lcole cherche connatre et reconnatre dans sonenvironnement les espaces de reconstruction du lien social que sont les orga-nismes communautaires, qui font souvent de la mdiation entre cole et famille(Vatz-Laaroussi, Rachdi, Kanout et Duchesne, 2005; Falconnet et Vergnory,2001).

    Limplication des parents de milieux dfavoriss dans le vcuscolaire de leurs enfants

    La notion dimplication parentale dans le vcu scolaire des enfants, la maisonet lcole, aux ordres denseignement primaire et secondaire, est un champdtude explor par plusieurs chercheurs avec le postulat dune corrlationpositive entre implication parentale et russite scolaire. Cette implication estgalement pense, de plus en plus, sous langle de retombes directes pour lesparents eux-mmes : alphabtisation, mise niveau, familiarisation avec lessavoirs enseigns, diverses formations (Thomas, 1995, Verma, 1995).

    Limplication parentale est dcortique de diffrentes faons, selon le point devue de diffrents acteurs, mais toujours cheval entre la maison et lcole.Selon Potvin, Deslandes, Beaulieu et al. (1999), il y aurait deux grandescomposantes cette implication : le style parental et la participation parentaleau suivi scolaire. Le style parental (dmocratique, autoritaire ou permissif)rfre lducation lintrieur de la famille (McAndrew, 1988), aux pratiquessociales familiales (Meirieu, 1997), la socialisation gnrale en famille (valeursinculques, limites tablies, proximit des parents lendroit de lenfant, sou-tien lautonomie, etc.). Quant la participation parentale au suivi scolaire, elleconcerne essentiellement les diffrentes formes de contact avec lcole (commu-

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    nication, dplacement, participation) et le suivi scolaire la maison (une cer-taine supervision du travail scolaire, les interactions parent-enfant axes sur lequotidien scolaire). La participation scolaire du parent peut aller au-del dusuivi de la scolarit de son enfant : aide la conduite dactivits denseigne-ment en classe, organisation dactivits lchelle de lcole, gestion de servi-ces tels que la bibliothque, diffrents types de bnvolat, participation desstructures dcisionnelles comme le conseil dtablissement, etc. (Epstein, 1987;McAndrew, 1988; Young, 1999).

    Selon Vatz-Laaroussi (1996), au Qubec, limplication parentale dans le suiviscolaire a t dessine grands traits et presque unilatralement par lcole.La reprsentation que linstitution scolaire a de cette implication peut treillustre partir dun document du Conseil suprieur de lducation du Qubec(CSE, 1994). On y souligne les grandes lignes des comptences acqurirpar le parent dlve : aider lenfant dcoder la culture scolaire; favoriser uncontact positif entre son enfant et le personnel scolaire; contribuer entretenirle plaisir dapprendre; encadrer adquatement la ralisation des travauxscolaires de son enfant la maison; apprendre ragir adquatement auxvaluations des apprentissages de son enfant; chercher comprendre lesattentes de lcole et faire connatre les siennes; acqurir une vision densemblede lcole (sa mission et les contraintes avec lesquelles elle doit composer).Comment dcoder aisment la culture scolaire si, comme parent, on a quitt ttlcole ou on a fait sa scolarit dans un autre pays? Comment entretenir leplaisir dapprendre si sa propre exprience scolaire a t douloureuse? Com-ment grer la prise de parole face lcole si on na pas les outils symboliquespour le faire? Il est vident que tous les parents, si on se rfre leur profilsocioculturel et conomique, ne se situent pas de manire gale par rapport ces attentes. Limplication des parents est souvent considre dans le milieuscolaire par rapport au potentiel dimplication dune famille dont le profil nerecoupe pas, gnralement, celui des familles de milieux dfavoriss (Asher,1988; Bouchard, St-Amant, Rinfret, Baudoux et Bouchard, 2003; Chavkin etWilliams, 1993; Cyr, Legros et Lalonde, 2001; Hohl, 1996; Kanout, 2002; Kanoutet Saintfort, 2003; Levin, 1995; Lescarret, 1999; Saint-Laurent, Royer, Hbert etTardif ,1994; Young, 1999).

    De nombreux facteurs sont invoqus pour expliquer la non implication desparents, surtout de milieux dfavoriss : cumul de difficults socioconomiquesqui compromet lexercice en gnral de la parentalit; manque de temps;horaire de travail incompatible avec les heures douverture de lcole; incom-prhension des attentes de lcole; indiffrence lgard de linstitutionscolaire; ngligence lendroit des enfants, ou au moins de leur apprentis-

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    sage; bas niveau de scolarit des parents; etc. Ces facteurs dtiennent unpotentiel explicatif de la non implication des parents, mais de faon nonexhaustive. La difficult constate, par lcole, en ce qui concerne le contactavec les parents de milieux dfavoriss, ou le peu de suivi de la scolaritdes enfants par ces parents, ne peut tre explique uniquement en termes dedmission, dsintrt, ngligence, incomptence des parents, etc. SelonCharlot (2001), le rapport des parents lcole se prsente de manire diversi-fie sous forme dinvestissement, de fiert, dimpuissance, de souffrance; ilprend des formes variables et la dmission, rare, nest que lune de sesformes. galement, ce rapport peut se dcliner de manire dfensive, eu gard un contentieux douloureux avec lcole (difficults et chec scolaires). Sellenet(2000 : 266) abonde dans le mme sens en montrant que la thorie de ladmission parentale est battue en brche par sa recherche auprs de parentsde milieux dfavoriss. La majorit de ces parents ont une vision focalise sur la russite scolaire, seul espoir dchapper la marginalisation socialedont de nombreux parents sont victimes.

    Selon certains chercheurs (Arnold, 1995; Joutard, 1992; Levin, 1995; Sansoucy,1996; Vatz-Laaroussi, 1996), la distance qutablissent certains parents aveclcole est une stratgie utilise pour ne pas se laisser engloutir par lcoleet conserver un droit de regard sur lducation de leur enfant. Cette distanceest note dans les milieux o les parents interprtent les initiatives de lcolecomme ayant un objectif de faire deux de bons parents , de les professionnaliser en dvalorisant les savoirs familiaux. En effet, il est diffi-cile de concevoir que des parents dont le rle est dvaloris et parfois associ de lincomptence par lcole aient envie de collaborer avec cette mmecole. Cette disqualification mne parfois, chez des parents vulnrables, une internalisation de lincomptence qui leur est attribue. Ils en arriventeux-mmes considrer tous leurs savoirs comme problmatiques (Vatz-Laaroussi, 1996). galement, dans un contexte politique qui a une fixation surles cots de lcole, il y a une nouvelle tendance qui cherche dplacerune partie de ces cots sur les familles. Bouchard, St-Amant, Gauvin Quintal,Carrier et Gagnon (2000 : 150) questionnent limpact, en milieux dfavoriss, decette forme de supplance de lcole assume par les parents :

    La diminution des ressources tatiques dvolues ldu-cation reporte sur les parents une plus grande part desfonctions ducatives et socialisatrices. Ces responsabilitsscolaires accrues () comportent des fardeaux finan-ciers additionnels. Quels effets cette pression aura-t-elledans les milieux sociaux o les revenus sont faibles?

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    Aprs cette revue des enjeux de limplication parentale dans le suivi scolaire,revue inspire du cadre thorique de la recherche mentionne en introduction,nous rsumons la mthodologie de cette recherche.

    La mthodologie de la recherche

    En cohrence avec la perspective globale de la recherche (Lesemann, 1990),nous avons opt pour une approche qualitative de cueillette des donnes et deleur analyse. Une telle perspective vise moins la reprsentativit statistiquedes points de vue que leur diversit. Voici les questions de recherche aux-quelles nous avons voulu trouver des rponses par le biais dune grille dentrevuesemi-dirige : Comment les parents de milieux dfavoriss dcrivent-ils leurimplication? Estiment-ils avoir les moyens (matriels et symboliques) de le fairede manire satisfaisante? Les parents font-ils le lien entre leur implication et larussite scolaire de leur enfant? Quest-ce qui les aiderait mieux simpliquer?Avec la collaboration de trois organismes communautaires, des parents dlvesde trois coles primaires et dune cole secondaire ont t cibls. Ces colessont situes dans trois quartiers de Montral considrs comme dfavoriss,et rparties dans les trois commissions scolaires francophones de Montral.Nous avons rencontr les trois organismes communautaires choisis pour nousinformer sur les ralits de chaque milieu, prsenter le projet, vulgariser laformulation de la grille dentrevue, discuter des dimensions thiques de larecherche (consentement, confidentialit, rle de lintervieweur, etc.). Le choixdintervieweurs venant des organismes communautaires nous a sembl pertinentparce quils connaissent mieux les familles et ne sont pas identifis desinstitutions (cole, police, justice, rseau des services sociaux et de la sant)envers qui ces familles peuvent nourrir une certaine mfiance. Cependant,certains biais, comme dans toute recherche, pourraient tre pris en consid-ration dans lanalyse des donnes : ces intervieweurs ont une reprsentation(procole ou non) des relations cole-famille; en outre, des familles peuventtre tentes de se monter mritantes lgard de ces donneurs de services (Glasman, 1991). Nous avions demand aux organismes communautaires dedocumenter des cas de refus de participation aux entrevues. Cette documenta-tion a mis en lumire toute la difficult du terrain de la recherche : les parents neveulent pas passer pour des parents incomptents ou dmissionnaires .La difficult du terrain est galement en rapport certain avec le profil de cesparents qui pensent gnralement quils nont rien dire.

    Par le biais dentrevues semi-diriges individuelles, 30 familles (27 mres et 3pres; 7 parents immigrants) ont particip la recherche. La moyenne dgedes rpondants est denviron 35 ans. Dans le contexte qubcois, les familles

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    ayant particip la recherche peuvent tre considres comme grandes : 19familles ont 3 enfants et plus (parmi elles, 2 familles de 7 enfants, 1 famille de 5enfants et 7 familles de 4 enfants). La trs grande majorit des parents (25)mentionnent que leurs enfants ont des difficults dapprentissage, de compor-tement ou de sant. Sur les 30 familles, 21 sont monoparentales, une seuleayant un pre comme chef de famille. Seuls 6 parents ont un niveau scolairesuprieur ou gal au secondaire 5. La plupart des parents interrogs sont auchmage : 20 parents sur 30 vivent de prestations de lassurance-emploi et dediffrentes allocations. Parmi les 10 autres qui travaillent, 8 occupent desemplois non qualifis (travail sur appel, emploi dans les organismes commu-nautaires).

    la fin de la recherche, les organismes communautaires ont accueilli desrencontres dchanges sur la synthse que nous avions faite du point de vuedes parents. Ces rencontres ont rassembl, en plus des membres de lquipe derecherche, 24 personnes au total : 12 intervenants dorganismes commu-nautaires; 4 directeurs et directrice dcoles primaires; 2 enseignantes dunecole primaire qui soccupent des relations avec les familles; une personneressource dune cole primaire, charge des relations avec le milieu; 3 repr-sentants de CLSC3 , dont un chef de programme et 2 travailleurs sociaux enmilieu scolaire; un psychologue pour le rseau dune commission scolaire; unedirectrice des services ducatifs dune commission scolaire.

    Point de vue de parents

    Suite lanalyse de contenu des entrevues, les points de vue des parents sontregroups en quatre grandes parties relatives la communication avec lcole,au suivi scolaire la maison, au dplacement lcole et aux perspectives entermes daide.

    La communication avec lcole juge utile mais souvent difficile

    Lorsquils sont contacts par lcole (enseignants, directeur ou son adjoint,psychoducateur, travailleur social, etc.), les parents affirment que cestessentiellement pour des problmes de comportement ou dapprentissage deleur enfant. Presque tous les parents considrent quil est important de resteren contact avec lcole pour croiser les regards et mieux connatre lenfant : en

    3 CLSC : Centre local de services communautaires.

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    discutant avec le personnel scolaire, le parent sinforme sur le comportementde lenfant en dehors du contexte familial et les enseignants en apprennentdavantage sur la vie de lenfant en dehors des murs de lcole.

    Si les parents reconnaissent lutilit de la communication avec lcole, ils met-tent cependant des critiques lencontre de lcole par rapport au contenu et la frquence des communications. La plupart des rpondants partagent lideselon laquelle lcole (primaire et secondaire) a tendance tlphoner auxparents seulement lorsque lenfant a des difficults dapprentissage ou desproblmes de comportement, do le lien entre contact et problme souvent tabli par les parents. Ces derniers aimeraient tre appels aussi quandle cheminement scolaire de lenfant pose moins problme, quand tout vabien pour lui lcole. Linitiative dune direction dcole, denvoyer uncertificat de flicitations au parent lorsque lenfant se comporte bien lcole,est une tentative destomper lquation contact avec lcole gale problme .Les propos de cette mre illustrent avec loquence la peur quinspire le contactavec lcole : Tu te rends l [ lcole], tes dprime, tu ressors de l, tesencore plus dprime parce quil ny a rien de positif qui sest pass.

    Des parents se plaignent du fait que lcole utilise un vocabulaire qui ne leurest pas toujours accessible, contrairement aux organismes communautairesqui font leffort dutiliser des mots simples. Outre la non comprhension dumessage de lcole, sinstalle un sentiment dinfriorit chez le parent : Tu esassis l, puis elle [enseignante] vient te parler de ton enfant et tu ne comprendsabsolument pas ce quelle ta dit. Ils [personnel scolaire] ne prennent pas letemps de texpliquer, ils te sortent des grands mots que tu ne comprends pas lamoiti du temps. Ce qui est pos, cest la difficult de communication lie auhiatus entre, dune part, lcole comme lieu de savoirs et dexpertise profes-sionnelle et, dautre part, ce parent qui se sent neutralis parce quil necomprend pas le jargon de lcole. Dans ce sens, Falconnet et Vergnory(2001 : 16) soulignent que des parents qui nont pas un capital scolaire suffi-sant peuvent se sentir infrioriss par les dtenteurs du savoir, disqualifispour aborder le contenu des programmes ou discuter des modalits pdagogi-ques . En passant, nous soulignons le travail remarquable des intervenantsdes organismes communautaires qui ont travaill troitement avec lquipe derecherche pour vulgariser les questions de la grille dentrevue.

    Dautres difficults concernant la communication avec lcole sont soulignes,comme celle de rejoindre les bonnes personnes et dobtenir rgulirement delinformation. Les parents qui ont des enfants au secondaire estiment quilnest pas toujours facile de rencontrer les enseignants. Limportance de latti-tude du personnel scolaire envers les parents dans ltablissement dune bonne

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    communication est galement mise de lavant. Il est essentiel que le parent nese sente pas dvaloris pour que se crent de bons rapports. Ainsi, une mreexplique quil lui est facile de parler aux enseignants parce quelle est traitecomme une gale, quelle ne se sent pas infrieure eux; tandis quuneautre dit quelle est trs mal laise face au personnel enseignant, quelle est stresse jusquaux pieds . Cette dernire rapporte quelle ne participe auxrencontres lcole que lorsque cela est ncessaire. On a galement soulevles conditions de vie teintes de marginalit de certains parents et qui fontquils vitent toute communication avec lcole, quils se mettent en retrait.

    La communication est la porte dentre de la relation cole-famille. Elle aoccup une bonne part du discours des parents. Il y a, la fois, une confiancedans lcole, une rponse positive aux sollicitations, mais aussi de la mfianceet un malaise. Pour certains parents, le cumul de difficults socioconomiquesrend complexe le dfi de lexercice de la parentalit et le fait que la communica-tion avec lcole devienne un certain reflet de ces difficults les fait fuir. Cettefuite est en partie due ce que Falconnet et Vergnory (2001) appellent lhyper-responsabilisation parentale dans lchec scolaire, la toxicomanie et la droguechez les jeunes, en ignorant les limites objectives des parents.

    Le suivi scolaire la maison : une capacit daider limite

    La plupart des rpondants reconnaissent lutilit du suivi scolaire la maisonet disent faire leur possible pour que leur enfant nabandonne pas lcole etrussisse dans la vie. Quelques-uns disent avoir pris conscience de limpor-tance de linstruction comme facteur de mobilit sociale et regrettent dtresortis de lcole sans qualification. Comme le dit un parent : Ici, si on ne saitrien on nest rien aussisi tu nas pas de diplme, tu ne peux pas travailler.

    Les parents se reprsentent dabord le suivi scolaire la maison en termesdencadrement des devoirs. Il est ensuite mentionn le fait dencourager, defliciter lenfant, de discuter avec lui de sa journe, de vrifier son agenda, etc.La plupart des parents reconnaissent que leurs capacits sont limites pour cequi est daider leurs enfants dans leurs tudes. Ils soulignent quils ont du mal comprendre les noncs des devoirs et les expliquer leur enfant, surtouten mathmatiques. Si le problme se pose la fois pour les enfants scolarissau primaire et au secondaire, il est plus criant lorsque les enfants se trouvent ausecondaire. Parfois, les parents nont mme jamais appris les notions qui sontenseignes leurs enfants. Le sentiment dincomptence dans laide auxdevoirs () saffirme quand les enfants progressent dans la scolarit, et quela conjonction de ladolescence et de la plus grande complexit disciplinairemet hors circuit la mre trop peu scolarise (Glasman, 1991 :12). Dautres

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    rpondants disent ne pas tre familiers avec les mthodes dapprentissage deleurs enfants : les programmes ont chang depuis leur poque et ils se sententdpasss. Il arrive que les parents tentent dexpliquer certaines notions leurenfant et quils lembrouillent plutt que de lclairer, parce que leur approcheest diffrente de celle de lenseignant. Un parent tmoigne de cette situation : Le plus difficile pour moi, cest quand je suis seule avec eux [les enfants] etque la plus vieille me demande de laide et que je ne peux pas laider, surtout enmathmatiques.

    Certains parents vivent douloureusement leur impuissance face au suivi sco-laire, surtout lorsque lenfant lui-mme traite ses parents d incapables .Cest le cas dune mre qui raconte que, pour elle, cest un dfi de russir faireles devoirs de sa fille, pour lui prouver quelle est capable mme si sonniveau scolaire est plus bas que le sien. Un parent explique quil se sent mal laise quand cest son enfant qui lui explique les devoirs. Une autre rpondanteconfie quelle se sent niaiseuse aux yeux de son enfant car elle ne peut paslaider dans ses devoirs. Elle se contente de lencourager et de le motiver. Il estintressant de noter que, dans lensemble, les parents ne sont pas dmission-naires : ils offrent le soutien quils peuvent, en fonction de leurs moyens.Ainsi, on constate que les parents les plus scolariss de lchantillon vontfournir une aide surtout pdagogique (explication des devoirs), tandis queles moins scolariss vont apporter davantage un soutien moral (encoura-gement) ou sous la forme dencadrement qui ne ncessite pas dhabiletsacadmiques de leur part (comme faire rciter les leons). La deuxime catgo-rie de parents laisse transparatre le sentiment de ne pas faire ce qui comptevraiment, ce qui est valoris par lcole en matire daccompagnementscolaire : Il y a beaucoup de parents qui aimeraient aider leurs enfants, maiscomment? On aurait tout le bon vouloir, on na pas les outils pour les aiderl-dedans Eux-autres [personnel enseignant] ils veulent avoir le maximumdes parents, sauf que je ne peux pas donner plus que ce que jai appris.

    Dautres hypothses explicatives du non suivi scolaire la maison sont avan-ces : le manque dintrt de certains parents envers les tudes de leur enfant;le fait que certains parents nont pas eux-mmes connu de modle de soutienparental durant leur scolarit; le stress associ la supervision dun enfant quia des difficults dapprentissage ou de comportement; le manque de temps. Latrop grande place que lcole accorde aux devoirs est mise en cause par lesparents. Pour une mre, ce quils [les enfants] apprennent dans le fond,cest lcole . Meirieu (1992) appuie ce questionnement en affirmant quelessentiel du curriculum devrait tre trait en classe. Des parents se plaignentaussi que les devoirs ne soient pas suffisamment expliqus aux enfants pour

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    leur permettre de les faire de manire autonome la maison. De tels constatsamnent certains chercheurs conclure que si limplication des parents,surtout la participation au suivi scolaire, est une condition souhaitable pour larussite scolaire, il faut accepter, en milieu dfavoris, que dautres conditionsncessaires cette russite se trouvent davantage lcole et ailleurs dans lacommunaut (Glasman, 1991).

    Le parent lcole : une visite importante qui demande davantage deconvivialit

    La recherche a considr la question du dplacement du parent lcole spa-rment des autres formes de contact avec lcole. Un parent souligne que serendre lcole, cest courir le risque de vivre une situation humiliante o uneremarque de lenseignant renvoie notre incomptence faire correctement dusuivi scolaire. Par exemple, lorsque des parents font la dmarche daller larencontre des enseignants pour leur expliquer quils ne sont pas capablesdaider leur enfant faire ses devoirs et quon leur rponde que les devoirssont pourtant faciles, les parents ont le sentiment dtre mpriss sans avoirreu le soutien attendu. Un parent illustre bien ce risque : Des fois, ce nestpas que le monde [les enseignants] sont mchants. Ils vont dire que cest bienfacile. Cest une rponse qui vient spontanment. Ce nest pas quils te jugent,cest dit spontanment, mais a crase lautre. Les parents soulignent dautresobstacles leur dplacement lcole et formulent des critiques sur le format etlorganisation des rencontres : incompatibilit entre lhoraire des rencontres etcelui du travail des parents; problmes de gardiennage pour les parents avecdes enfants en bas ge; ordre du jour des runions mal expliqu; malaise avecles rencontres collectives regroupant plusieurs parents. Les parents ontlabor sur ce qui les dcourage concernant les rencontres collectives : le dsirde garder la confidentialit des informations relatives au dossier de leur enfant,la difficult de la prise de parole dans un collectif (timidit, difficultdexpression).

    Des parents ont tenu souligner une autre sorte de dplacement leur initia-tive : ils font le dplacement lcole pour y dposer leur enfant chaque matinet le rcuprer la fin des cours : ils semblent dire quils se rendent quandmme jusqu la clture , jusquau mur de lcole. Il nest pas rare deconstater, dans les milieux dfavoriss, ces petits groupes de parents quirestent un moment devant lcole aprs y avoir conduit leur enfant. Ainsi estpose la fonction symbolique de cette clture perue comme la frontire pres-que infranchissable de ce territoire quest lcole. Et cette frontire est un lieustratgique investir pour inviter le parent lcole. Lors dune rencontre debilan de projet sur limplication des parents lcole, une personne ressource

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    rendant compte dinitiatives fructueuses a beaucoup insist sur la ncessitde travailler sur le trottoir partir duquel les parents observent lcole et expri-ment souvent leur frustration. Nous pensons que les initiatives de librationdun local destin aux parents, lorsque le local est stratgiquement situ lentre de lcole, rejoignent lide dinviter le parent. Pour changer avec sonenfant sur son vcu scolaire, pour faire de la mdiation entre son enfant et lepersonnel scolaire (CSE, 1994), il est important daller lcole, cela permet devoir le milieu o ton enfant passe la journe, de connatre le professeur quipasse la journe avec lui [parent]. Toutes les illustrations apportes sur lareprsentation que les parents se font de laccessibilit de lcole laissent voirsans surprise quils simpliquent trs peu dans des instances de dlibrationconsultative ou dcisionnelle. Ainsi, un parent qui a fait partie du conseildtablissement raconte que cette exprience lui a fait comprendre que ce quedisent les parents nest pas pris en considration par lcole.

    Les perspectives en termes daide

    Selon quelques parents, les structures daide actuelles sont efficaces mais il enfaudrait plus pour que davantage denfants puissent bnficier des servicesquelles offrent. Plusieurs parents ont parl de la ncessit de faire un sondagepour savoir de quel soutien les parents ont besoin et comment ils lenvisagent.Ainsi, les parents auraient le sentiment que leur avis est pris en considration.Des parents ont mis des ides sur laide quils souhaiteraient obtenir pouramliorer la communication avec lcole, faciliter le fait de sy rendre et soutenirde faon gnrale le suivi scolaire : avoir une personne lcole dont la tcheconsisterait uniquement soccuper des contacts avec les parents; donnersuite aux appels des parents dans les plus brefs dlais lorsquils laissentdes messages lcole; faire attention pour ne pas donner limpression depratiques et dattitudes de favoritisme dans les relations avec les parents;augmenter laide aux devoirs qui est actuellement offerte, surtout pour lesenfants qui ont des difficults scolaires; rfrer les parents allophones desressources dapprentissage ou de perfectionnement du franais afin de lesaider mieux superviser les devoirs la maison; aider lorganisation derencontres entre parents dlves pour quils puissent comparer leurs exp-riences et schanger des conseils en ce qui a trait au suivi scolaire de leursenfants.

    Tout en exigeant de lcole plus douverture et de convivialit, des parentssont conscients de la tche des enseignants et des enjeux lis au respect desprrogatives de lcole. Ainsi, les parents ne veulent pas empiter sur le terri-toire du personnel scolaire ou dranger leur travail : Il ne faudrait pas dcider

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    pour les parents, mais les parents non plus nont pas le droit de venir lcoleet prendre les places des intervenants. Ils ont leur part, on a notre part aussi faire. Des rpondants ont soulign quil serait ncessaire daccorder uneplace plus importante aux ressources communautaires pour complter lesefforts dploys par lcole. Lun deux explique que lintervention des orga-nismes communautaires est ncessaire pour prendre le relais de lcole endehors des heures de classe car quand lcole est finie, lcole nest plus l .Une plus grande collaboration de lcole avec ces organismes aurait pour effetdaugmenter le nombre dactivits disponibles pour les enfants et den dimi-nuer les cots jugs trop levs, et permettrait de partager la connaissance dela ralit des familles pour une action concerte qui rpond efficacement auxbesoins des enfants et des familles. Cependant, les parents insistent sur lancessit dharmoniser les mthodes dintervention pour faire en sorte que lenfant ne soit pas perdu .

    Conclusion

    La recherche a permis de rencontrer des parents qui ont conscience de leursresponsabilits comme parents, donc galement comme parents dlve, maisqui soulignent les difficults objectives de toutes sortes qui compliquentlexercice de cette responsabilit. Il y a le parent qui peroit lcole comme unterritoire professionnel mal connu o il est invit (ou convoqu) alors quil sesent mal inform de ce qui sy passe et peu au fait de lensemble du dispositifscolaire. Il y a le parent qui peroit le stigmate parce quil a limpression quonpense quil ne sintresse pas la scolarit de son enfant. Il y a le parent duque ses gestes ne soient pas reconnus parce quils sont valus seulement laune des attentes du milieu scolaire.

    Ces parents reconnaissent limportance de lcole et du travail quotidien deses professionnels. Ils trouvent que ce territoire professionnel quest lcoledevrait tre davantage convivial (surtout au plan de la communication) sanssaborder sa professionnalit, et devrait moduler ses attentes lgard desparents. En insistant sur les problmes de communication et daccs symboli-que au territoire professionnel quest lcole, les parents posent la ncessitquon les comprenne dabord, pour les accueillir et les couter. Cette soif deprise de parole des parents de milieux dfavoriss pourrait se rsumer par cettecitation de Verret par Sellenet (2000 : 260) : Parle qui sait dire ce quil veut dire,quand il a le sentiment quil peut le dire, ou mieux encore quil le doit. Si de touttemps on lui a dit quil doit se taire, sil doute quil y ait dire, de savoir le direou dtre entendu, que fait-il dabord? Il se tait

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    Le suivi du travail scolaire par les parents de milieux dfavoriss prsentebeaucoup plus de difficults que lcole ne le reconnat. Lappropriation delessentiel du curriculum doit se faire lcole. Dans le cas contraire, on laissecette appropriation, sous forme de devoirs, tributaire des conditions ingalesdencadrement familial. Les devoirs doivent tre repenss dans loptiquede crer un espace o le parent se branche sur le vcu scolaire de son enfant etle valorise sans vivre le stress dtre confront ses propres limites scolaires.Pour ce qui est de limplication gnrale des parents, lavis du Conseil de lafamille et de lenfance conclut bien ce que nous en pensons :

    Malgr les progrs accomplis pour laisser plus de placeaux parents, il semble que les difficults dinitiation auxmcanismes de participation demeurent. Le langageutilis, les multiples composantes existantes (les diverscomits) et les procdures suivre lors des runions peu-vent apparatre comme des symptmes de rigidit et delourdeur pour le non initi. Des outils dappropriationdoivent tre accessibles (CFE, 2005 :47).

    Les parents ont conscience que les actions dans leur milieu, pour le bien-tredes enfants, devraient tre plus intgres par un effort concert des diversacteurs (scolaires, communautaires, familiaux), en veillant viter que le choctoujours possible de logiques professionnelles diffrentes ne reste non dit etnon rsolu et neutralise tous les efforts.

    galement, la problmatique de la relation cole-famille devrait avoir plus deplace en formation initiale ou continue des intervenants en milieu scolaire.Lenseignement subit des transformations majeures depuis les annes 90, sousla pression de multiples enjeux socioconomiques, culturels, individuels etcollectifs: la centration sur la russite ducative et la qualit de lenseignement,la dcentralisation des dcisions et des pouvoirs, la dconcentration desorganisations et lintroduction dune participation des parents et des commu-nauts locales aux affaires scolaires, y compris les affaires pdagogiques(Charlot, 2005; Lessard, 2000; Tardif, 2005). Ainsi, une vise partenariale avecles parents et les communauts est pose, dans les noncs de politiquecomme dans le rfrentiel des comptences en formation des matres (Gouver-nement du Qubec, 20001). Les relations cole-famille ne peuvent tre consid-res comme mineures ou places en extriorit par rapport linterventionauprs de llve. Elles constituent un dfi dautant plus important en milieudfavoris o le dcalage apparat souvent plus grand entre les attentes delcole et les ralits des familles.

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