Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

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E DAL Un ut ' nomme , es us Une lecture de l'Évangile à la lumière de la Torah . . , Albin Michel -

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MARIE VIDAL

Un ut '

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Une lecture de l'Évangile à la lumière de la Torah

. . ,

Albin Michel

-

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

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Marie Vidal

UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

, .

Une lecture de l'Evangile à la lumière de la Torah

Préfaces du père Jean Dujardin et d 'Armand Abécassis

Albin Michel

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Albin Michel • Spiritualités.

Collections dirigées par Jean Mouttapa et Marc de Smedt

© Editions Albin Michel, S.A., 1 996 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN : 2-226-08788-5 ISSN : 1151-9061

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A ma mère et à mon père à celle qui s 'enracine dans Le Vivant à celui qui s y attache

ils portent, ils mettent au monde et enfantent.

Lv 19.

A Miryam, Aaron et Moïse qui enfantent et poussent à enfanter

à celle qui, en chaque commencement, veille et s 'émerveille à celui qui chante pour avancer toujours.

Gn 1, Ex 15.

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So mmaire

Préface du père Jean Dujardin .......... . . . . . . . . .. ... . . . . . . . . .... . . . . 1 1

Préface d 'Armand Abécassis . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 7

Ouvrez-Moi une ouverture comme la pointe aiguë d'une aiguille .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1

Première partie. La Torah et les heures du jour . . . . . . . . . . . . 39

Deuxième partie. L'identité juive .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Troisième partie. Le Juif Jésus depuis Nazareth . . . . . . . . . . . . 1 2 1

Quatrième partie. L'éthique juive .. . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 8 1

Cinquième partie. La Torah et les étapes de la vie . . . . . . . . 223

Seigneur, ouvre mes lèvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265

Notes ................................................................................. 275 Glossaire . . . . .. . .. . . . . . . . . . . . . . . ... .. .... . . . . . . . . . . . . ... ................... . . . . ... . . 29 1 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1 1 Index des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1 3 Index des références. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1 5

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Préface

C'est par amitié, je le suppose, que l'auteur de ce livre m'a demandé cette préface.

Mais c'est par conviction avant tout que j'ai accepté de la rédiger.

Lorsque les «Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique», publiées à Rome le 23 juin 1 985 par la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme, nous disent, au chapitre 3, paragraphe 1 2 : «Jésus était juif et l'est toujours resté( ... ) Ceci ne fait que souligner soit la réalité de l'Incarnation, soit le sens même de l'histoire du salut, comme il nous était révélé dans la Bible », nous sommes invités à un travail d'enracinement, de reconnais­sance, à une compréhension renouvelée du mystère de l'In­carnation. Certes, lorsque l'Église proclame ce mystère comme un élément fondamental de sa foi, elle affirme que Jésus a épousé la condition humaine dans toutes ses dimen­sions. Chaque homme, tout homme, à quelque culture ou langue qu'il appartienne, peut découvrir en Jésus reconnu comme Christ que Dieu l'a rejoint. Mais dans la logique biblique, ou mieux, dans 1' économie du salut qu'elle nous dévoile, cette révélation se découvre dans un temps, dans une histoire, dans un peuple, sur une terre, dans une foi qui nous

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PÈRE JEAN DUJARDIN

montrent que l'Incarnation n'est pas une proposition abstraite mais une réalité concrète, qu'elle est le fruit d'un long dia­logue entre Dieu et l'humanité à travers l'histoire d'Israël. Aussi pour accueillir en vérité ce mystère, ne faudrait-il pas dire «Dieu s'est fait homme», oui, mais «homme juif»? Car c'est par sa qualité d'homme juif que nous pouvons rejoindre son humanité. C'est cette humanité concrète, qui n'est pas le fruit du hasard, qui nous assure qu'il rejoint cha­cune de nos humanités dans ce qu'elles ont de particulier. A quoi nous serverait-il de savoir par une proposition générale que nous sommes aimés de Dieu si nous ne reconnaissions dans cette histoire toujours vivante que Dieu nous aime tels que nous sommes parce que Jésus a épousé la condition d'un homme juif?

Avons-nous le droit de penser que l'Église et les chrétiens ont eu tendance à oublier cette réalité ? Oui pour une part sans doute, puisque nous en redécouvrons la nécessité aujourd'hui. Mais ce n'est pas le lieu ni le moment d'en expliquer les raisons. La question que je pose est plutôt celle­ci : l'effort à faire pour retrouver cette réalité peut-il se satis­faire de l'usage de la tradition juive comme d'une simple technique de lecture ? Pouvons-nous user de cette tradition comme d'un matériau historique parmi d'autres? Avons­nous le droit de la détacher d'un peuple qui, en dépit des vicissitudes de l'histoire et de ses mutations, continue d'en vivre en la recevant comme une Parole de Dieu toujours vivante ? Les problèmes herméneutiques et théologiques sou­levés par la tradition orale juive sont complexes et nous n'en­tendons pas les résoudre ici. Mais du moins faut-il les avoir présents à 1' esprit pour comprendre et accueillir 1 'entreprise à laquelle ce livre s'est consacré.

Certes, bien des présupposés qui l'inspirent peuvent faire l'objet de discussions et peut-être de désaccords. Acceptons cependant l'idée de départ: le peuple juif aujourd'hui témoi­gne d'une manière d'entendre la parole de Dieu qui nous est indispensable si nous voulons comprendre la manière dont

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PRÉFACE

Jésus et ses disciples ont eux-mêmes lu l'écriture et reçu la Parole de Dieu. En d'autres termes, l'ignorance de la Torah orale qui est la nôtre nous prive de cette approche vivante. «La démarche du présent livre se fonde, écrit l'auteur, dans la recherche de l'insertion de Jésus dans le peuple d'Israël, et de son amour pour la Torah. La Torah n'est pas une série de choses à faire ou à ne pas faire. Elle est d'abord une attitude et un comportement, avec un sourire et un accent particuliers. Le plus important dans la Torah écrite, c'est ce qu'elle ne dit pas. Et même la Torah orale est elliptique. L'on se comprend à demi-mot. L'on se regarde et l'on devine les désirs de l'autre. »

L'auteur nous propose ainsi une compréhension renouve­lée de l'affirmation : «Jésus est juif.» «Intellectuellement, l'affirmation est communément acceptée. C'est un fait incon­testable, historique. Mais les réticences explosent de façon instantanée lorsqu'on ne demande pas seulement à l'intellect d'enregistrer que Jésus était juif, mais aussi à l'intelligence, au cœur, au corps, à tout l'être. Il existe une grande diffé­rence entre deux personnes, l'une pensant avec son intellect que Jésus était juif, l'autre croyant avec son intelligence et son discernement (entendu au sens hébreu du mot) que Jésus est juif( ... ) Le propos de ce livre sur l'incarnation juive de Jésus se veut à la fois vaste et précis. Il s'agit bien d'ouvrir une porte ( ... ) une ouverture de conversion. Conversion du regard et conversion du cœur. »

Alors si 1' on accepte ce déplacement, les découvertes sont savoureuses. Je n'en cite ici que quelques-unes parmi beau­coup d'autres. Le coq de la tentation de Pierre n'est plus 1' animal banal de nos horlogeries paysannes ; le sens des béa­titudes prend une distance considérable avec le bonheur sta­tique auquel le mot français nous renvoie ; la pierre roulée du tombeau est tout autre chose qu'un tour de force physique; le sens du mot prier s'éclaire et le Notre-Père, prière chrétienne par excellence, s'enrichit de tout le terreau dans lequel il est né. Je pourrais continuer la découverte des « perles». Il faut

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PÈRE JEAN DUJARDIN

en laisser au lecteur la joie et le plaisir. Parfois elle l 'entraî­nera dans des réflexions qui lui paraîtront subtiles, comme le commentaire, déjà bien difficile et souvent éludé à cause de cela, d'Éph 5, 25-33.

Il faut cependant prévenir le lecteur. Le livre de Marie Vidal ne se présente surtout pas comme un commentaire suivi de textes. Il épouse lui-même une logique plus proche de la tradition rabbinique que de l'exégèse historico-critique, que l'auteur n'ignore pas cependant. On pourra même lui reprocher à cause de cela des analyses un peu rapides comme l' interprétation qui nous est donnée de la rupture entre judaïsme et christianisme, ou de l'affirmation que Jésus était pharisien sans nuance, que Luc était juif. Mais laissons ces questions et suivons la méthode. Elle s'attache aux mots, à l' infinie variété de leur sens, aux images, aux histoires. La recherche de sens se nourrit de tout ce qui fait la vie, parce que le but recherché n'est pas tant de comprendre que d'ap­peler à la vie, à une conduite de vie. A cause de cela le lecteur occidental, cartésien ou trop cartésien, risque parfois d'être décontenancé. Il aimerait savoir davantage dans quel genre littéraire il se trouve : prose, poésie, étude linguistique, etc. Qu'il se laisse porter, qu'il n'attende pas l'ouvrage défi­nitif sur la question, ce que ce livre dans sa modestie ne veut surtout pas être. Mais peut-être, s'il accepte le dépaysement, le lecteur trouvera-t-il du goût à cette approche et l'envie d'aller plus loin, comme l'auteur nous le proposera, nous l'espérons, ultérieurement. Pour l'heure, ouvrons la porte et laissons-nous saisir par l'émerveillement.

Une question se pose, toutefois, que je me suis posée dès les premières pages, que j 'ai gardée présente tout au long de ma lecture : cette nouvelle approche du texte, si difficile pour un chrétien mais si porteuse de richesses, est-elle acceptable pour le peuple juif ? Certes, restituer Jésus à son peuple est un devoir de justice, mais cela ne risque-t-il pas aussi d'appa­raître comme une nouvelle forme d'appropriation et finale­ment de substitution ?

Ma lecture a donc été vigilante. En fm de compte, il me

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PRÉFACE

semble que l 'approche de Marie Vidal est infiniment respec­tueuse, qu'elle ne prête à aucune ambiguïté. Elle ne s 'aven­ture pas dans des débats théologiques difficiles. Le chrétien n'est certainement pas détourné de sa foi chrétienne, ni le juif de sa tradition juive. Le chrétien découvre seulement des richesses de vie qu'il ne soupçonnait pas.

D'ailleurs, redisons-le en terminant, ce livre n'a nullement la prétention d'être un ouvrage théorique sur la question. Ce n'est pas une thèse. Il veut seulement nous faire sentir, perce­voir une richesse dont nous nous étions éloignés. De ce point de vue, il y réussit plutôt bien.

Jean DuJARDIN secrétaire du Comité épiscopal

pour les relations avec le judaïsme

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Préface

C'est dans la mesure où les chrétiens retrouvent leur mémoire originelle, c'est-à-dire la vie quotidienne et la pen­sée du Jésus historique, qu'un dialogue profond et sérieux pourrait enfm s'établir entre la Synagogue et l'Église. Et comment la reconquérir ? Par 1' étude du judaïsme et de la Torah telle que les Pharisiens l'analysaient et l'interprétaient par des méthodes et des principes spécifiques. Connaître ainsi le judaïsme de Jésus et ne pas se contenter de savoir seulement qu'il était juif d'origine - en l'oubliant aussitôt d'ailleurs - contribue à situer la problématique chrétienne au sien des bouleversments qui agitaient les Juifs en ces temps-là. Il faut savoir que plusieurs modèles de messianité se sont développés pendant les deux siècles précédant Jésus, et qu'ils étaient proposés par plusieurs groupes à quiconque voulait les entendre et les appliquer. Les historiens appellent ces groupes des « sectes », mais il faut entendre ce terme dans un sens différent de celui qu'on lui donne aujourd'hui. Peut-on dire que les Sephardim et les Ashkenazim sont des sectes juives ? Peut-on dire que les multiples formes de hassi­disme qui se développent aujourd'hui en France, aux États­Unis ou en Israël sont des sectes ? Or, pendant les deux siècles qui précèdent Jésus, de nombreuses interprétations du

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ARMAND ABÉCASSIS

projet biblique, au sein même de la communauté juive en Terre sainte qu'on n'appelait pas encore Palestine, voyaient le jour et s'entrechoquaient parfois violemment. Chacune de ces interprétations de la même Torah prétendait à l'hégémo­nie sur les autres sans penser à créer une « nouvelle religion » qui se substituerait à l'ancienne, ni un « nouveau testament » à la place de l'« ancien testament ». Jésus lui-même, au cours de sa vie et jusqu'à sa mort, n'a jamais voulu s'inquiéter d'autres brebis que de celles qui étaient égarées, c'est-à-dire de son peuple, et de son peuple d'abord. Il se trouvait en effet que de nombreux Juifs de son temps étaient assimilés, trahissaient la Torah en prétendant même y rester fidèles, ou l 'ignorant tout simplement. Ces Juifs qui ne croyaient plus, ou qui ne pratiquaient plus la Loi, ou qui pratiquaient la Loi dans un esprit différent de la Torah de Mocheh et des Pro­phètes, on les appelait « brebis égarées » parce qu'ils avaient quitté le troupeau. C 'est à eux que Jésus s 'adressait essentiel­lement, et même exclusivement à une exception près - Jésus n'était pas chrétien ! Il n'a jamais mis les pieds dans une église et, aujourd'hui, il entrerait plus aisément dans une synagogue dans laquelle il se reconnaîtrait plus facilement que dans une cathédrale. Il faisait les fêtes juives, se rendait le Chabbat à la synagogue pour prier, et il y prenait la parole pour expliquer la Torah à ses frères. Il était circoncis de corps également, et pas seulement de cœur, d'oreille ou des lèvres. Le Temple de Jérusalem lui était familier et, si comme les Esséniens et les Pharisiens, il avait beaucoup de choses à dire contre ce monument et contre ceux qui le géraient et le fréquentaient - comment ne pas lui donner raison ? -, il ne s'y rendait pas moins car il voulait changer l'état d'esprit de ses contemporains de l 'intérieur, et en participant à leurs formes de fidélité.

Il n'est pas question ici de signifier que le christianisme doit céder le pas au judaïsme et revenir à son bercail - le chrétien comme Marie Vidal qui retrouve le judaïsme de Jésus n'a en aucune façon à se faire juif : ce serait absurde et aberrant. Il s 'agit pour lui, plutôt, de connaître le judaïsme

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PRÉFACE

afin de ne pas le confondre avec le christianisme. Il s'agit pour lui de ne pas non plus croire se substituer au juif, dans un « nouvel Israël ». Il s'agit pour lui de se pénétrer de l'ori­ginalité du message de son Église afin d'y être plus fidèle et plus authentique. Mais il ne peut s 'y astreindre qu'en appre­nant exactement en quoi consiste cette originalité qui ne peut lui apparaître que relativement au judaïsme. Il s'agit pour lui, en un mot, de comprendre que ce que Dieu lui demande, à lui chrétien, n'est pas ce qu'il a demandé à son frère juif et qu'il ne peut en aucune façon confisquer la mission dont Dieu a chargé Israël, de même que le peuple juif ne peut en aucune manière se charger de la mission que Dieu a confiée à la communauté chrétienne. On ne peut être juif et chrétien, et Dieu a besoin, pour accomplir sa parole, des deux alliances exclusives et irréductibles l'une à l'autre.

C'est ce que j 'ai compris dans ce livre de Marie Vidal et dans l'esprit avec lequel elle l 'a composé, comme une parti­tion musicale. On peut en discuter telle ou telle de ses inter­prétations ; mais on ne peut discuter son projet, ni sa visée, ni son entreprise, ni son amour pour le peuple juif, ni sa propre foi chrétienne.

Armand .ABÉCASSIS

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Ouvrez-Moi une ouverture comme la pointe aiguë d'une aiguille

B lanc et noir, lumière et obscurité, jour et nuit, les rythmes donnent vie à l'humain. Ils s'épanouissent en lui pour le pour­voir à la fois en désir de changement et en besoin de stabilité. Ils se manifestent pour le croyant dans la nécessité simultanée de la lecture et de 1' écriture. Les premiers mots du Livre, appelé Bible par les uns et Torah par les autres, présentent une structure binaire et commencent par un B *.

Beaucoup de croyants qui se réclament de ce Livre pren­nent conscience, à l'une ou l'autre étape de leur évolution, des livres écrits noir sur blanc. Ils lisent une écriture fixe, et fixée en noir. Mais ils deviennent capables de la lire uniquement grâce aux espaces blancs qui éclairent le noir. Leur lecture découvre alors des paroles lumineuses et insoup­çonnées. Ils jouent de la souplesse d'entre les lignes et d'entre les mots pour entendre les appels, de façon renou­velée. Les Juifs vivent cela depuis longtemps : ils ont gardé

* L'abondance des mots qui commencent par un B, en début ou en fin de paragraphe, se veut l'écho d'un étonnement. Les lecteurs de la Torah ont trouvé, pendant les siècles, soixante-dix explications au fait que la Torah ne commence pas par un A, mais par un B. Quant à son dernier mot, il se termine par un L, ainsi que le dernier mot du Tanakh. Voilà pourquoi Je dernier mot de cette introduction est un L, ainsi que Je dernier mot de la conclusion de ce livre.

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l'Ecriture sous forme de rouleaux à dérouler, ils se délectent et accomplissent la Torah orale, la Parole qui est sur la Bouche.

Bâtir l'humain, c'est le désir porté au grand jour dès les premiers mots de la Genèse. Les pédagogues tiennent compte de la vie de chacun dès les premiers instants de la conception et de la naissance. Ils reconnaissent que chaque enfant arrive dans une ambiance particulière, familiale, sociale, politique et climatique. L'enfant perçoit la complexité du monde où il vient d'entrer. Il reçoit et entend des mots, des noms, des événements, des nouvelles, de la météo. Très tôt, il différen­cie entre les paroles qui lui sont adressées et celles qui sont

" _ igées vers d'autres devant lui. Il ne comprend pas tout et pourtant, d'une certaine façon, il enregistre et il est struc­turé par toutes ces informations. Leurs intonations, fortes ou douces, graves ou aiguës, lui sont autant d'éléments indispensables qui lui apprennent la vie. Ainsi, celui qui lit les Livres saints et écoute la Parole. Il voit et il entend, il ne comprend pas tout. Mais cela pénètre en lui, aide et prépare la synthèse dont il a vocation unique, à faire à sa manière.

Les Chrétiens qui lisent la Bible et la trouvent compliquée se rappelleront continuellement leur condition proche de celle de l'enfant. Le but n'est pas seulement d'ordre intellec­tuel ni pour une meilleure compréhension. Il est plutôt d'ordre vital : la naissance à une vie de relations et de décou­vertes toujours renouvelées; l'entrée en dialogue avec le peuple de Dieu. Ils apprendront la confiance dans leurs capa­cités innées à intégrer les dires et les événements. Ils n'atten­dront pas de tout comprendre avant d'agir. Ils s'entraîneront à chercher activement, et à trouver, les enseignements donnés par les épisodes de l'Histoire sainte. De ce fait, ils en contes­teront moins le qualificatif « sainte », et ils hésiteront peut­être à l'appeler Ancien Testament.

Nombreux pourtant sont ceux qui préfèrent, de loin, lire et méditer des paroles et des épisodes de 1 'Evangile plutôt que les moments violents ou compliqués de l'Ancien Testament.

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Ils les ressentent comme beaucoup plus faciles surtout parce qu'ils sont sécurisés en pensant les connaître à demi-mot. Pour ceux-là, voici deux propositions étonnantes !

L 'Evangile est difficile à lire et à écouter. Les Evangiles sont plus difficiles à comprendre que de nombreux autres textes de la Bible.

Appels.

Oui, les Evangiles sont difficiles à lire et à écouter. Mais dire cela, bien au contraire du pessimisme, est un appel. Il faut donc laisser cheminer calmement ces deux déclarations afin de répondre à leurs enjeux. Souvent, en effet, l'auditeur présume de son expérience antérieure d'écoute de l'Evangile. Il estime connaître certains épisodes et repousse plus ou moins consciemment la nouveauté de leur impact. Il évite ainsi d'être dérangé par des interpellations dont il a peur et qu'il choisit de ne pas entendre afin que ses habitudes, fus­sent-elles spirituelles, ne soient pas ébranlées. De plus, la difficulté inhérente à l 'écoute des Evangiles vient de l'enraci­nement dans une terre, un terreau, inconnus de la plupart des Chrétiens. Curieusement, ceux-ci aiment bien les paraboles de la semence et de la terre, mais ils oublient souvent les exigences de la bonne terre et la valeur des semences. Selon Abraham, par la bouche de Jésus dans la parabole dite du mauvais riche et du pauvre Lazare (Le 1 6, 1 9-3 1 ), la bonne terre pourrait être l'oreille qui écoute. Les oreilles, dont la forme humaine ressemble à un point d'interrogation, sont une invitation pressante, pour chacun, à façonner des oreilles intriguées. Mais les semences, les belles graines de semence, la semence de 1 'Evangile, qui peuvent donner des champs à moissonner, comment ne pense-t-on pas qu'elles ont, elles aussi, une origine ? Pourquoi beaucoup de Chrétiens négli­gent-ils le bon sens du semeur averti, et pourquoi oublient-

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ils qu'il a choisi longuement et attentivement et sa terre et ses semences ?

Il faudrait avoir l'audace de la parabole de « la mère et la grand-mère » ! La mère met au monde 1 'enfant. . . et voilà que l 'enfant ressemble à la grand-mère, et veut l'entendre racon­ter ses histoires « d'avant ». Il a besoin, pour avancer, de ce contact avec 1 'autre génération, attirante et attachante. Et même s'il y a des disputes, des incompréhensions, des jalou­sies, ou des ruptures, 1' enfant portera toujours en lui la marque de ses origines, les gènes et les chromosomes. Cela est essentiel à enregistrer, surtout afin de ne pas se penser comme commencement absolu, mais afin de recevoir avec gratitude la vie donnée. Car si la grand-mère avait disparu, on pourrait s'en tenir seulement à la mère. Mais la grand­mère est toujours là, jeune et moderne : on ne peut pas, sous prétexte de tranquillité d'esprit, l'enfermer dans un asile de vteux.

La mère et la grand-mère . . . Combien plus lorsqu' il s'agit des affaires graves d'une société-Eglise que beaucoup de générations ont appris à appeler Mère. Sans doute aurait-elle plus de poids si elle-même satisfaisait au cinquième commandement (Ex 20, 1 2) : « Honore ton père et ta mère, donne du poids à ton père et à ta mère ! » Que la mère donne du poids à la grand-mère ! Et si la grand-mère a de bonnes oreilles, la mère, de la même semence, devrait bénéficier aussi d'une fine audition. Si la grand-mère sait écouter, comment la mère oublierait-elle cet héritage génétique et familial de 1' écoute et de la mémoire ? Mais alors, pourquoi la mère souffre-t-elle souvent de mutisme envers la grand­mère ? Si le mutisme est lié à la surdité, comment remédier à cette surdité et comment réveiller et éveiller ses deux oreilles ?

Aujourd'hui, quelques-uns commencent, petitement, à reconnaître la terre, le terreau, et les semences. Quelques Chrétiens commencent à écouter la grand-mère et le concret et le quotidien de l'incarnation. C'est une grande chance après les siècles d'enseignement du mépris, selon l'expres-

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sion de Jules Isaac1• Grande chance pour ceux qui en profi­tent directement. Mais aussi grande chance pour ce que 1' on pourrait désigner comme l' irrigation souterraine de la théolo­gie de l' incarnation. Il faut bien admettre les obscurcisse­ments, les oblitérations, les omissions, les gommages, les lacunes, et les trous perpétrés par 1 'Eglise, au cours des siècles, au nom d'une meilleure illumination de ses fidèles.

Mutisme ? Surdité ? Ces interrogations évoluent en inquié­tude devant des comportements dont on mesure 1' opiniâtreté séculaire sans arriver à en déterminer les causes : désir psy­chologique primaire d'être le plus fort et le meilleur, ou pro­fond rejet antisémite ? Beaucoup de Juifs penchent sans illusion vers la seconde hypothèse. Et cela les laisse souvent placides selon le dire calme du chauffeur israélien d'un auto­bus de pèlerins chrétiens : « Nous le savons depuis long­temps, et nous ne nous faisons pas d'illusion, il y en a encore pour longtemps ! », et de continuer sa conduite !

Cependant, si beaucoup de Juifs ne se leurrent pas quant à un changement d'attitude à leur égard, des Chrétiens, au sein des diverses Eglises, et en particulier dans 1 'Eglise catholique, se sentent interpellés à oser dire, parce qu' ils le croient, que Jésus est juif. Intellectuellement, l'affirmation est communément acceptée. C'est un fait incontestable, his­torique. Mais les réticences explosent de façon instantanée lorsqu'on ne demande pas seulement à l ' intellect d'enregis­trer que Jésus était juif, mais aussi à l'intelligence, au cœur, au corps, et à tout 1' être. Il existe une grande différence entre deux personnes, l 'une pensant, avec son intellect, que Jésus était juif, l 'autre croyant avec son intelligence et son discer­nement (entendu au sens hébreu du mot) que Jésus est juif. Il existe un contraste surprenant, chez une même personne, entre l'avant et l'après de sa découverte de l 'incarnation de Jésus dans le peuple juif. Il s'agit d'un ébranlement ou d'ébranlements saccadés qui se répercutent et font sourdre une Parole autre. Ensuite, 1' être ressemble à un nouveau-né, enfanté à une vie nouvelle, qui donne place à la Torah et se reçoit de la Torah. L'être ne peut plus entendre de la même

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façon qu'auparavant. Il ne peut plus s'arranger avec des textes de la Bible pour les « utiliser » à sa guise. Il accueille la Parole en cadeau de vitalité, comme un enfantement à l'hu­milité et à 1 'honnêteté.

A cet instant de naissance et de déliement, il faut entendre la parole dite par Hillel et rapportée dans la première partie du Talmud, sur les Semences, au Traité des Bénédictions : « On nous enseigne qu 'Hill el a dit : Lorsque les gens se rapprochent de la Torah, diffuse-la. Lorsque les gens s 'en éloignent, retire-la. Ce qui veut dire : Si tu vois que la Torah est précieuse à tes contemporains, diffuse-la, donne-la libé­ralement, car (Pr 1 1 , 24) "il y a celui qui donne libéralement, et il lui est encore ajouté ". Si tes contemporains la dédai­gnent, retire-la, car (Ps 1 1 9, 126) "c 'est le temps d ' accom­plir pour le Seigneur : ils annulent Ta Torah 1" (Ber 63a). »

Effectivement, certains 1' ont dédaignée. Ils ont décidé une fois pour toutes que l'Ancien était ancien, et ils l'ont appelée Ancien Testament. Ils l'ont désignée comme Histoire sainte, bonne et intéressante pour la culture générale du croyant. Mais ils lui ont donné le goût et l' inefficacité du médicament périmé. Ils l'ont appelée Ancien Testament. Ils n'ont pas tenu compte de la vitalité de leurs voisins : les Juifs. Ceux-ci vivent au jour le jour une telle vie qu'ils ne peuvent pas la nommer ancienne, ni la traduire dans une quelconque langue. Ils disent le nom de cette vie en hébreu, et 1 'on entend Torah.

Torah, avec un T au début, la dernière lettre de l 'alphabet hébreu, et un H muet à la fin, comme le H répété deux fois dans le Nom du Seigneur. Et au cœur, le mot « or », dont un sens hébreu est lumière, et dont un sens araméen est : dit et parole. Essayez donc de dire deux fois d'affilée ce mot « or », vous trouverez ce dont les lève-tôt bénéficient au matin, et les couleurs, et les senteurs, et les douces fraîcheurs, et les saveurs juteuses et parfumées, et le pépiement et les mille bruits dans le silence de 1' éveil.

Torah est intraduisible et trop grande pour être restreinte dans une défmition ! On a essayé cependant, au cours des

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siècles. On a lancé et balancé des mots étriqués, erronés, et même, parfois, pervers. On a cherché à la définir, à la compartimenter, à la regarder avec différentes méthodes. On a tenté, à la façon cartésienne, de lui donner un cadre chrono­logique. Mais, c'est peut-être le plus déroutant pour des Occidentaux : la Torah dépasse la chronologie. La Tradition affirme : « Il n'y a pas d 'avant ni d 'après dans la Torah 2• » Ecrite et orale, la Torah transcende le temps. Selon le dire d'Elie Wiesel, « tout se tient dans l'histoire juive - et les légendes en font partie tout autant que les faits. Composé durant les siècles qui suivirent la destruction du Temple de Jérusalem, le Midrash reflète à la fois la réalité vécue et ima­ginaire d'Israël ; et souvent elle influe sur la nôtre. Dans l'histoire juive, tous les événements sont liés. Ce n'est qu'au­jourd'hui, après le tourbillon de feu et de sang de l'Holo­causte, que l 'on apprend le meurtre d'un homme par son frère, les questions d'un père et ses déroutants silences. C'est en les racontant à présent, à la lumière de certaines expé­riences de la vie et de la mort, qu'on les comprend. Aussi le conteur, fidèle à son engagement, ne fait-il que raconter, c'est-à-dire qu'il transmet ce qu'il a reçu, il rend ce qu'on lui a confié. Son histoire ne commence pas avec la sienne ; elle s' insère dans la mémoire qu'est la tradition vivante de son peuple 3• »

La Torah étonne l'Occidental par son actualité et son uni­versalité. « Il faut ici encore renoncer aux "sécurités "de nos habitudes de 1' écrit et découvrir la confiance dans 1' oralité des traditions transmises dans la relation maître-disciple. L'on apprendra ainsi à valoriser les traditions orales qui sont restées telles parce que ceux qui les transmettaient les consi­déraient comme Torah orale. Il faut même, méthodologique­ment, les considérer comme plus sûres, et certainement plus représentatives de la Torah4• »

La Torah fructifie à chaque instant, dans chaque circons­tance, comme le proclame le Traité Erouvin (Er 54b): « L 'on peut toujours trouver des fruits à la Torah comme l 'on peut toujours trouver des figues sur un figuier 1 » La Torah est

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présente et disponible à chaque attitude de chaque humain, mais elle ne force pas, elle est en attente comme la femme enceinte qui va enfanter, et qui attend son terme.

Conversions.

A propos de la Bien-Aimée du Cantique des Cantiques qui ne se décide pas, puis se décide, qui ne veut pas, puis veut, ouvrir à son Bien-Aimé, le Midrash Rabba dit (CtR 5, 3) : « Le Saint, Béni soit-Il, dit à Israël : Ouvrez-Moi une seule ouverture de conversion, comme la pointe aiguë d 'une aiguille, et Moi, Je vous ouvrirai des ouvertures où entreront des chars à roues et des voitures 1 » Voilà la préoccupation incessante des responsables du peuple de Dieu. Elle est expo­sée de diverses façons selon les circonstances : le peu donné par l 'humain est indispensable afin de permettre le don illi­mité de la vie de Dieu. Exprimée d'une autre façon, elle donne à entendre : « Viens vers Moi, mais pour cela ouvre­Moi chez toi une place, ne serait-ce qu 'une porte dans ton cœur pas plus grande que la pointe d 'une aiguille, l 'aiguisée d 'une aiguille. Et Moi, Je vous ouvrirai une porte aussi grande que le portique du Temple, le oulam 5 ! » Le oulam, vestibule ou large pièce, contraste avec le tout petit trou percé par la pointe d'une aiguille. Cet appel à la disponibilité, mais aussi à l'exigence de l'engagement et du premier pas, appar­tient au vocabulaire, à la musique, et au rythme de Jésus, comme au vocabulaire, à la musique, et au rythme de son peuple. Jésus connaît et répète cet appel, comme le connaît et le répète son peuple, Israël, né de l'audace du premier pas dans la mer Rouge (Ex 14, 22). Répéter et redire cette audace, encore et encore . . .

Et encore une autre formulation, en une nouvelle apo­strophe à la puissance de décision et au discernement de 1 'hu­main (Ber 33b) : « Tout est dans la main des Cieux sauf la crainte des Cieux 1 »

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Mais pourquoi faire tant vibrer cette corde de l'indispen­sable premier pas dès l' introduction de ce livre, alors que le lecteur aura tout son temps pour réfléchir, chercher et trouver sa conduite ? Parce que le propos de ce livre sur l 'incarnation juive de Jésus se veut à la fois vaste et très précis. Il s'agit bien d'ouvrir une porte. L'intégralité de l'appel établit, sans l'ombre d'un doute, à quelle ouverture l'humain est appelé : une ouverture de conversion. Conversion du regard6 et conversion du cœur.

Conversion du regard des Chrétiens envers les Juifs et envers le peuple d'Israël où Jésus s'est incarné, afin d'ap­prendre la reconnaissance. Or, il s'avère que le mot hébraïque traduit par « reconnaissance » est Y éhoudah, Judah, Jude, Juif. Et même si le Chrétien helléno-occidental dit « Eucha­ristie » pour action de grâces et reconnaissance, il doit s'obli­ger à pactiser avec ce nom de « Juif » qu'il a exécré pendant des siècles. Il doit, honnêtement, constater et respecter la vocation du Juif. Peut-être l'idéal serait-il de l'accueillir avec le sourire afm de faciliter la rencontre de chaque Juif et afm de se donner les meilleurs moyens pour écouter le Juif Jésus.

Conversion du cœur des Chrétiens envers ce qu'ils n'ont pas aimé pendant des siècles : la Torah. Ils ont tenté constam­ment d'en faire un objet, alors qu'elle est Parole-Acte-Evéne­ment, donnée par Dieu pour que les humains puissent communiquer, vivre en société, et faire l'Histoire. Mais le cœur, c'est le discernement, et la conversion du cœur, c 'est la conversion du discernement. Il faut apprendre à réouvrir une porte que l'on aurait voulu verrouiller à jamais !

Il faut donc revenir au commencement, à 1' établissement du fondement, et à la mise en jeu de la vocation de chacun. Telle l'appréciation douloureuse de Niqodème devant l' invite de Jésus à entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère (Jn 3 , 3), il faut savoir mesurer les enjeux exigeants de ce retour au giron de la Torah 7• Les conséquences se manifeste­ront cependant, à plus ou moins courte échéance, sous forme d'une meilleure santé des Chrétiens. Santé spirituelle, puisque le rapport à la Parole sera vécu en adulte qui prend et

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respire ses responsabilités. Santé des relations avec les Juifs, puisque le respect de leur Torah permettra une limpidité et une clarté des gestes et des actions.

Dans ce siècle, des gens de tous horizons redécouvrent le dynamisme de la Parole de la Bible pour les événements quotidiens. Il serait dommage que les Chrétiens soient les derniers à revenir, à convertir leur regard vers la Torah, source de vie !

Mais voici que j 'entends 1' étonnement scandalisé de cer­tains de mes amis chrétiens. « Pourquoi, demandent-ils, les Juifs n'ont-ils pas changé leur regard et leur cœur ? Pourquoi est-ce toujours à nous de faire des efforts ? Pourquoi le dia­logue est-il toujours asymétrique ? » D'autres, encore plus sérieux, vont plus loin dans leur questionnement. Prêts à trouver encore des griefs contre les Juifs, ils interrogent : « Mais, ne doivent-ils pas, eux, les Juifs, se convertir au christianisme ? Notre Seigneur n'est-Il pas venu faire une nouvelle religion en accomplissant l'ancienne ? Les Juifs doi­vent reconnaître que Jésus est le Christ ! Ils doivent lire et comprendre enfin l'Evangile ! »

Réponses en rudiments : je suis chrétienne. En tant que ce que je suis, je peux intervenir dans la vie sociale et politique de ma cité, de mon pays, et aussi dans les relations internatio­nales. En tant que personne humaine, je peux toujours aller dire à un Musulman qu'il ne doit pas jeter des cailloux sur un Juif, et à un Juif qu'il ne doit pas jeter des cailloux sur un Musulman. Cependant, je considère ma responsabilité beau­coup plus lourde si un Chrétien jette un caillou sur un Juif. A cet instant, il s 'agit d'un membre de ma famille spécifique avec lequel j 'ai des relations particulières - bien que les autres fassent partie, comme moi, de la famille humaine - et une responsabilité plus grande. A cet instant, je dois écouter ce que dit la Torah avant d'énoncer le « tu aimeras ton pro­chain comme toi-même ». Elle dit (Lv 1 9, 1 7) : « Tu repren­dras par un reproche celui qui appartient à ton peuple, et tu ne chargeras pas sur lui un péché8 » ! Ainsi, je considère que je

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ne peux rien quant à l 'attitude spirituelle et religieuse d'un Juif ; je ne me vois aucun crédit ni aucune autorité sur lui. En revanche, je peux, même si mes démarches paraissent infructueuses, aller « faire reproche » à un Chrétien. Et je dois9 requérir de lui une attitude d'honnêteté envers la Torah du peuple de Jésus, et une tenue digne et respectueuse envers les gens de son peuple, le peuple d'Israël.

Il se trouve que deux familles religieuses vivent de la même Parole interprétée différemment. Certains Chrétiens ont cru de leur devoir de franchir le pas de la cassure entre le judaïsme et le christianisme, et de le faire franchir à leur troupeau. Mais ce pas a provoqué la haine, la persécution et l 'antisémitisme. Son expression va de l' indifférence simple ou hautaine à la jalousie et à la répulsion acharnées. Comment revenir à plus d'humanité ? Comment les Chrétiens peuvent­ils changer leur regard envers les Juifs, sinon en lisant l'Evan­gile autrement. . . Voilà pourquoi l 'on peut dire :

L'Evangile est difficile à lire et à écouter. Les Evangiles sont plus difficiles à comprendre que de nombreux autres textes de la Bible.

Naissance et circonstances.

Quelle est donc la raison de ce livre sur l 'incarnation juive et la judaïté de Jésus ? Son origine vient de la soif insa­tiable de nombreux Catholiques étonnés de découvrir la Torah orale à fleur d'Evangile. Plusieurs d'entre eux ont encouragé à publier afin de ne pas garder, dans quelques petits groupes de lecture et d'écoute, ce dont un plus grand nombre pourrait profiter. La fameuse sentence dite par Hillel l'Ancien a joué alors son rôle et son rôle d'aiguillon : « Si tu vois que la Torah est précieuse pour tes contemporains, diffuse-/a, donne-la libéralement ! » Et il fallait bien l 'écouter !

Mais préciser le principe de ce livre exige de dessiner aus-

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sitôt ses limites et ses risques. Ce livre n'est pas une apologie pour démontrer aux Chrétiens qu'ils doivent être juifs pour comprendre l'Evangile. C 'est simplement un émerveillement à communiquer à ceux qui le désirent. Ils apprendront à leur tour à deviner les ressources et la sève de la parole évangé­lique plongée dans la Torah d'un peuple vivant. Ils devien­dront encore plus disciples de Celui qui a chanté les Béatitudes dans toutes ses harmoniques. Simultanément, ils mesureront la distance imparable entre eux, Chrétiens, et Lui, Jésus, Juif : ils auront possibilité d'apprendre à respecter cette distance.

Ce livre n'est pas non plus une argumentation en bonne et due forme visant à convaincre les Juifs de leur « aveuglement tenace et obstiné », et exigeant d'eux, une nouvelle fois, la conversion au Christ. D'ailleurs, ce livre ne s'adresse pas d'abord aux Juifs, mais à des Chrétiens ; il n'est aucunement question de convertir les Juifs. Le seul objectif est d'éveiller, ou de réveiller, quelques Chrétiens au dynamisme de leurs racines. Dans ce sens, les Juifs pourront y trouver des sugges­tions pour ébranler l'aplomb implacable de leurs amis chré­tiens qui prient pour leur « illumination ». Ce livre veut susciter l 'intégrité et le respect dans les diverses confessions religieuses. Il désire augmenter la droiture dans le monde dont on pense qu'une bonne partie vit de l'héritage de la civilisation dite judéo-chrétienne. Car, on 1 'oublie trop sou­vent, l 'éthique est le projet primordial de la Torah. Celle-ci est ordinairement enseignée sous ses deux aspects : la Hagga­dah et la Halakhah. La Halakhah, ou marche, conduite à tenir, se traduit, suivant les langues, par éthique et morale.

Constamment, les sages d'Israël et les responsables du peuple d'Israël ont cherché à donner à leur peuple, et au monde, la fine fleur des décisions à prendre quotidiennement dans les rapports avec autrui. Les Juifs d'aujourd'hui conti­nuent à transmettre la vitalité de la Halakhah. Pour l'avoir accueillie et en avoir bénéficié, des Chrétiens refusent de s'emparer des droits d'auteur : ils désirent reconnaître offi­ciellement leurs sources.

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Ce livre risque de laisser envisager, par des Juifs ou par des Chrétiens sensibilisés au respect rigoureux envers les sources, une volonté d'accaparer la Torah aux seules destina­tions de 1 'Evangile. Parallèlement, ce livre court le danger d'induire certains lecteurs chrétiens à croire en un seul accomplissement valable de la Torah, l'accomplissement par la vie, la mort, et la résurrection de Jésus Christ. Comment écarter ces deux menaces ? Délicat problème aux solutions malaisées, car les risques sont réels.

Peut-être, d'abord, en devenant conscient de leur réalité, et en les portant tout au long de la recherche qui commence, recherche des rapports entre les Evangiles et la Torah. La Torah est imprenable comme sont imprenables une vie et une liberté. Impossible de l 'assujettir à une théorie religieuse, fût­elle évangélique. On peut toujours essayer de capturer un enfant à sa naissance pour lui inculquer certains automa­tismes et pouvoir le manipuler, mais il est impossible d'agir entièrement sur lui et sur sa vie intra-utérine, même si cer­taines méthodes scientifiques alarment les tenants de la bio­éthique. De même, on a pu et 1' on peut désirer subtiliser la Torah, soit en l'appelant Ancien Testament, soit en la mettant au service direct de 1 'Evangile, toutefois, elle est encore autre, nouvelle et inconnue.

Beaucoup de gens ont entendu la naissance, joliment racontée par le Midrash, de tout fils d'humain. A quelle cause relier 1' encoche palpable entre le nez et la lèvre supérieure ? Et de répondre : « Lorsque 1 'enfant était dans le ventre de sa mère, il connaissait la Torah entièrement, il en vivait pleine­ment et communiait à sa vie. A sa sortie du ventre maternel, un ange a posé son doigt sur la bouche de l 'enfant pour le faire taire, d 'où le cri de douleur de 1 'enfant qui, simultané­ment, oubliait tout. Il ne lui restait que les minutes et les jours de sa vie pour retrouver la mémoire de ce qu 'il avait soudain perdu » (Nid 30b, cf. Niqodème ) .

Alors, en réponse à 1' appréhension grandement justifiée de voir certains Chrétiens accaparer la Torah, peut-être faut-il allier 1 'humilité à 1' émerveillement. En effet, même si les

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différentes confessions religieuses prônent 1 'humilité person­nelle à chacune de leurs ouailles, il est très difficile à une communauté confessante de vivre 1 'humilité, en tant que groupe. Elle se prévaut souvent de la vérité, et le statisme du dogme empêche la modestie. Or, le sain émerveillement a un caractère insatiable. Il rend désireux de toujours avancer plus loin, il permet aussi une conscience authentique d'efface­ment. Joindre ainsi humilité et émerveillement rendrait pos­sible le respect de la Torah. Elle ne serait plus considérée comme un objet. Elle serait accueillie comme un cadeau offert par le peuple de Dieu, Israël, cadeau vital pour lire et écouter mieux 1 'Evangile. Ainsi, serait répercuté par les Evangiles l'appel incessant de la Torah à accomplir, chaque jour de façon nouvelle, le nom et la vocation de chacun.

Cheminement.

Ayant donc pointé du doigt des ouvertures de conversion qui donneraient au Saint, Béni soit-Il, d'ouvrir de larges espaces aux petits entendements, les Chrétiens occidentaux du xxe siècle peuvent explorer les vingt-cinq chapitres de ce livre. Ils sont rangés en cinq parties, du même chiffre que les Livres de la Torah écrite. Chacune de ces parties se présente elle-même selon le rythme de cinq, en « inclusion sémiti­que ». Il s'agit d'un procédé coutumier à la Bible qui commence et se termine de la même façon. Le but de ce que 1 'on veut communiquer est au centre : on s'approche progressivement du cœur, puis on s'en éloigne également progressivement1 0• Dans ce livre, le jeu de l' inclusion joue aussi pour les cinq mouvements, et 1' on atteindra le centre seulement par une double approche.

Aux deux extrémités, le premier et le cinquième mouve­ments permettent d'apprécier l'intensité de la vie des Juifs dans l'entité qu'est le temps. Pour eux, le temps ne passe pas, mais l'humain passe dans le temps. Le lecteur goûtera

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alors la saveur des relations entre un Juif et la Torah, au jour le jour, d'heure en heure. Son interrogation sur les rythmes juifs de Jésus en sera excitée.

Plus avant, le deuxième et le quatrième mouvement ouvri­ront à des découvertes étonnantes quant à 1' enracinement des Evangiles dans la Torah. Tel est l'enracinement de l'Evangile de Luc dont beaucoup de classes d'exégèse ont enseigné qu'il était le moins juif, beaucoup moins que Matthieu. Assuré­ment, une connaissance de la liturgie juive actuelle - qui est pratiquement semblable à celle du temps évangélique -, un intérêt pour la vie du peuple d'Israël dans la Torah et une écoute attentive de 1 'Evangile de Luc donnent un émerveille­ment et font dire merci à ce Grec, juif avant tout, qui a désiré rattacher sa communauté au peuple de Jésus, le peuple d'Is­raël. Mais si Luc vivait en diaspora, ou justement parce qu'il vivait en diaspora, son judaïsme était solide et éclairé 1 1 • N'est-ce pas lui qui, parmi les quatre évangélistes, a appris aux Chrétiens, par son Evangile et par les Actes des Apôtres, à faire des colliers avec les perles de la Torah, des prophètes et des Psaumes12 ? N'a-t-il pas offert mille choses sur la vie pleinement juive de Jésus ? Et surtout, ne parle-t-il pas de façon typiquement sémite avec ses inclusions sémitiques à tous échelons ?

Le lecteur se laissera donc étonner par ces phrases ou ces Paroles vécues intensément par les deux Traditions juive et chrétienne. Il observera que celle-ci avait oublié la qualité de la vie liturgique, spirituelle et éthique de celle-là. Alors, d'enfantement en enfantement, il s'approchera du centre de ce livre. Le mouvement central désire conduire à la réalité de l' incarnation particulière de Jésus dans le peuple d'Israël. Si cela est une évidence pour les Juifs, dire que Jésus aimait et aime la Torah est beaucoup moins manifeste pour les non­Juifs. Pourtant, ceux et celles qui aiment la Torah trouveront un jour en elle le nom de Nazareth. Voilà pourquoi ce nom a été choisi comme cœur de ce livre. Voilà pourquoi 1' origine « Depuis Nazareth, de Nazareth » a été ainsi écrite dans le titre. Qu'est donc Nazareth pour un Juif ?

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. . . A chacun de cheminer pour le découvrir ! Ici, Nazareth vient en treizième lieu, au sommet - ou au creux profond - de deux fois douze Paroles. Enveloppant Nazareth, deux mouvements de cinq chapitres, soit dix chapitres, précèdent deux annonces fondamentales, soit douze chapitres de part et d'autre. Jésus appartient au peuple d'Israël. Il se reçoit du peuple juif et de sa pédagogie pharisienne. Il vit en lui et avec lui sa relation avec le Seigneur.

Apprentissage.

L'exploration va maintenant commencer. Avant d'écouter et de laisser résonner ses découvertes, quelques petits conseils pour guider ceux qui commenceront ce livre en lisant l'intro­duction, chacun étant libre de feuilleter où il veut.

La Torah et l'Evangile étant « Parole », il semble essentiel de les lire à voix haute. Aussi, afm de mieux comprendre ce livre, et de mieux accueillir les surprises offertes par les Evangiles, il serait bon que le lecteur ait une Bible avec lui, et qu'il puisse écouter certains passages lus par lui-même. D'autre part, dans la Tradition du peuple de Dieu, on insiste pour que les disciples travaillent et écoutent deux par deux. Si le lecteur arrive à mettre en œuvre cette opportunité, il entendra mieux certains noms et certains appels !

Selon la pédagogie du lamèd, seule lettre de l 'alphabet hébraïque qui dépasse au-dessus de la ligne d'écriture, tout n'est pas dit au début. Lamèd signifie « apprendre ». Il faut donc recommencer à lire quand on pense avoir fmi. La sur­prise ne venant parfois qu'en cours de chapitre, le lecteur bénéficierait d'une relecture du chapitre lui-même et des textes de l'Evangile.

Avant de commencer à feuilleter ce livre, il est bon et profitable de consulter le Glossaire des mots étrangers ou techniques qui sont employés ici.

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Dans chacune des cinq pages annonçant les grands titres de ce livre, il y a l'esquisse du chant que l'on veut chanter. Le lecteur pourra regarder la partition de ce chant afin de mieux écouter, comme dirait Jésus (Mc 4, 24). Il pourra y revenir souvent et comparer les cinq parties afin de voir le schéma de l'inclusion sémitique ; assurément, il entendra mieux la profondeur de la mélodie.

Les sages d'Israël disent qu' il y a soixante-dix explications à chacune des Paroles de la Torah. De même que l'on ne peut définir et limiter la Torah, de même l'on ne peut pas prononcer le Nom du Seigneur, trop grand pour les petits humains. Parmi les nombreuses appellations dont les croyants Le nomment, selon les situations où ils se trouvent, deux sont fréquemment citées : « Elohim, Dieu » et « Ado­nay, le Seigneur ». Le peuple de Dieu, Israël, a l'habitude de considérer que Dieu désigne 1' attitude la plus rigoureuse, dans les moments où Il exerce Sa Justice. Lorsque le Sei­gneur intervient, Il manifeste Sa Tendresse, Son Amour et Son Pardon. Par exemple, ce n'est pas Dieu, mais le Seigneur qui descend voir les gens de la tour de Babel (Gn 1 1) : indice pour entendre que Sa Manifestation n'est pas une sanction, mais une correction et une visite pour faire grandir les humains !

De même, les deux verbes parler et dire. Le verbe parler est employé lorsqu'il s'agit de la Justice, et le verbe dire pour désigner la Tendresse.

Ces distinctions, qui paraissent lointaines pour les gens du Nouveau Testament, sont néanmoins essentielles pour comprendre certaines Paroles des Evangiles.

Les sages de la Torah n'ont pas une perception du temps semblable à celle d'une civilisation occidentale. Ils vivent en contemporains des personnages de tous les siècles. Leurs réactions et leurs Paroles réclameront donc des efforts inhabi­tuels de la part des lecteurs ou des auditeurs.

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Les évangélistes parlent et écrivent en grec, à la mode juive, dans un langage sobre et avec un vocabulaire précis. L'auditeur de l'Evangile doit donc continuellement se tenir en éveil afin de percevoir les signes et les appels discrets des auteurs. Les noms propres, de personnes ou de lieux, jouent spécialement le rôle de signe et de signal, pour les disciples à l'écoute. Mais aussi les mots en hapax, qui n'apparaissent qu'une seule fois dans tel ou tel livre, veulent attirer l 'at­tention.

Que chacun ouvre donc sa petite ouverture, comme le trou percé par la pointe aiguë d'une aiguille, « afin que tout soit possible à Dieu » ! (Mc 1 0, 27). Mais que ce soit une ouver­ture de retour et de conversion du regard et du cœur ! Que ce soit une ouverture du regard et du cœur des Chrétiens vers IsraëL !

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PREMIÈRE PARTIE

La Torah et les heures du jour

Bénédiction du matin

Béatitudes

Jésus et les jours de Noé

Voici l 'homme 1

Des larmes de sang

Voir p. 223 cinquième partie.

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Bénédiction du matin

Pierre était assis au milieu d'eux. En le voyant assis à la lumière, une servante le regarda fixement et dit : Celui-ci aussi était avec lui ! Mais il nia : Femme, je ne le connais pas ! Peu après, un autre le vit et dit : Toi aussi, tu es des leurs ! Mais Pierre dit : Homme, je n'en suis pas ! Il s'était écoulé presque une heure et quelqu'un d'autre soutenait avec force en disant : C'est vrai, celui-ci aussi était avec lui, car il est aussi galiléen ! Mais Pierre dit : Homme, je ne sais pas ce que tu dis ! Aussitôt, alors qu'il parlait encore, un coq donna de la voix. Le Seigneur se retourna et regarda au­dedans de Pierre. Et Pierre fit retour dans sa mémoire de la chose que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq ne donne de la voix aujourd'hui, tu m'auras renié trois fois. » Il sor­tit dehors et pleura amèrement.

Le 22, 55-62.

Voici ! C'est le matin ! Le réveil a sonné . . . le coq, radio­réveil des villages et de la campagne, d'aujourd'hui et d'an­tan. L'enfant ou l'adulte avait quitté le monde par le som­meil. Il vient maintenant à la conscience et il s 'éveille au concret de la vie quotidienne. Dans son cœur et sur ses lèvres monte la toute première bénédiction d'une litanie, la plus

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

simple. Elle sort en résonance à la voix du coq dont le chant a frappé les oreilles. Elle est simple, mais elle est grave. Depuis des générations, le peuple de la Torah a appris à la prononcer dès la petite enfance. La bénédiction le relie au Seigneur et aux autres. Elle le fait venir à la conscience de la journée à ne pas vivre passivement. Elle propose au tout petit enfant, ou à l'adulte et au vieillard, un chemin d'humi­lité et de force. Et le voici ! Il dit : « Béni sois-Tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l'Univers, qui donne au coq le discerne­ment pour distinguer entre le jour et la nuit ! »

Dès le premier instant de l'éveil, l'être humain présente au Seigneur l'ouverture de sa bouche pour bénir Son Nom. Mais aussitôt, il se tourne vers le monde et vers 1 'univers. Il raconte et témoigne à ses frères le don à recevoir de Lui, et à mettre en œuvre. Il ne peut vivre sans ce double lien, sans cette respiration dans le Seigneur et vers ses frères : c 'est sa vie spirituelle. Alors, dans une même parole, il s'adresse à eux simultanément. Il dit au Seigneur : « Béni sois-Tu ! », et il annonce aux autres, et à lui-même, que le Seigneur donne 1' intelligence.

Lui, l'humain, créé à l' image de Dieu, au sommet de la Création, il a appris à regarder et à écouter 1' exemple du coq. Tout seul, il n'aurait peut-être pas choisi cette vulgaire créature pour représenter la gent ailée ; il aurait préféré la colombe, l'hirondelle, ou le moineau. Lui, l'humain, auquel Dieu donna 1' ordre et la responsabilité de dominer sur le poisson de la mer et sur l'oiseau des cieux, il s'oblige, chaque matin, à reconnaître l' intelligence du coq. Il remarque sa capacité à distinguer entre la fin de la nuit et la certitude du jour qui vient. Il se met à son école, car il expérimente sou­vent la difficulté à discerner, à être intelligent de la lumière du Seigneur. Alors, il écoute à nouveau la séparation « entre la lumière et entre l'obscurité » lors du Jour Un de la Créa­tion. Il accueille les noms jour et nuit que Dieu avait criés (Gn 1 ). Il se souvient aussi de la longue tirade par laquelle le Seigneur avait répondu aux angoisses de Job. Et il se répète la courte phrase cachée au milieu de nombreuses inter-

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BÉNÉDICTION DU MA TIN

rogations : « Qui a posé dans les ibis la sagesse ? Ou qui a donné au coq l'intelligence ? » (Jb 38, 36).

Cette Parole a été choisie comme première bénédiction du matin. Israël 1' a enseignée à chacun de ses membres. Israël a aussi transmis le réflexe appelé « du léger au lourd » : éta­blir des rapports entre les situations et les ordonner en impor­tance. Le croyant mesure sa vocation et le travail d'intelligence qu'il doit accomplir. Si le coq est intelligent, alors combien lui-même doit-il être intelligent ! Si le coq est capable de distinguer entre le jour et la nuit, combien plus lui-même doit-il cultiver ce don de discernement que le Sei­gneur a posé en lui ! Si le coq a faculté et compétence pour réveiller les gens, combien plus lui-même doit-il développer ses capacités pour éprouver, identifier, choisir et décider, combien doit-il conquérir de la force pour appeler ses frères à s'ajuster à l'Œuvre de Dieu !

Quand chante le coq, chaque matin, 1' enfant et le vieillard, et donc aussi 1' adulte, chacun laisse spontanément monter en lui la bénédiction. Cette spontanéité, due à la pédagogie de son peuple, est sa façon de prendre sur lui le joug du Royaume des cieux. Il prononce le Nom du Seigneur. Il énonce les atouts de 1 'intelligence du coq. Il comprend alors que sa parole peut faire œuvre efficace. Et il accueille les mots dits par lui-même comme autant d'encouragements et de forces pour progres­ser, pour marcher vers l 'avant. Oui, le coq, régulièrement, chaque jour, discerne entre le jour et la nuit. Mais, quant à lui, l'humain, il lui suffit d'avoir ce rappel, bien rythmé, pour gagner sur le désespoir ou l'accablement. Et sa propre parole agira en activant ses aptitudes à se lever ou à se relever. Il acquiesce à la bénédiction qu'il prononce, c'est-à-dire qu'il accepte de se mettre au travail. Il décide de recommencer, au jour le jour, à apprendre à discerner entre la lumière et l 'obscurité, afin qu'il y ait davantage de lumière.

Il accepte du coq le rappel de sa condition de pécheur qui refuse la lumière et qui tombe souvent malgré ses détermina­tions. Il entend aussi, dans le chant du coq, un appel à grandir et à éclairer pour lui et pour le monde. Il se soumet à la

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

vigilance du coq qui ne se contente pas de pousser un seul cri et chante par saccades. Lorsqu'il commence, le coq est comme pressé et pousse au moins deux cris (Mc 14, 30.72). Et lui, enfant ou vieillard, il accepte d'entendre l'urgence moins pour s'effondrer d'amertume que pour persévérer. Il désire accomplir ce travail sur lui-même afin d'être au diapa­son, autant que faire se peut, de la Volonté du Seigneur.

C'était le matin ! Et longuement décrits les retentissements de la provocation du chant du coq chez ceux qui vivent de la Torah.

Et si Jésus aimait la Torah et son peuple ? Et si ses amis aussi aimaient la Torah ? Et s' ils avaient appris, matin après matin, dès leur petite enfance, et même avant, l'intelligence donnée par le Seigneur à l' imagination ? Certaines Tradi­tions, en effet, entendent « imagination » au lieu de « coq ». Elles impliquent ainsi l' intégralité du croyant, dans son corps et dans toute sa pensée. Et si Jésus et ses amis avaient appris des gestes et des attitudes pour répondre avec vigueur et santé aux interpellations ? Peut-être alors certains moments de l'Evangile seraient entendus de façon nouvelle et forte.

Voici donc Jésus. Au jour de sa Passion, Il rappelle ses responsabilités à Pierre. C 'est très simple. Il suffit qu'il vive la première prière du matin, et qu'il devienne capable de discerner entre la lumière et les ténèbres. Il suffit qu'il fasse mémoire de la prière de son enfance et de son peuple. Jésus, « le Seigneur, se retourne et regarde au-dedans de Pierre » (Le 22, 6 1 ). Celui-ci, qui ne pouvait pas encore vivre pleine­ment ce discernement, a accueilli au profond de lui le regard de Jésus. Deux des évangélistes, Matthieu et Luc, disent qu'« il sortit dehors et pleura amèrement1 » (Mt 26, 75 ; Le 22, 62).

Amer, Pierre ! Il appartient donc à son peuple auquel il faut ressasser continuellement sa vocation de passer de l 'amertume à l'abondance2• Pourquoi, en entendant le coq chanter, « sort-il dehors » ? Est-il seulement honteux, triste et désespéré de son reniement et de son manque d'amour

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BÉNÉDICTION DU MATIN

que Jésus avait prévus ? Ou cherche-t-il force, lumière et dis­cernement pour revenir et affermir ses frères ?

Pierre sait que le coq a discerné le jour qui vient, le sixième jour, jour de l'humanité dont il est, et dont Jésus est aussi. Il sort dans ce jour-là pour devenir lui-même. Il fait mémoire d'Abraham qui, selon la Torah, obéit au Seigneur et « sortit dehors pour regarder les étoiles et se placer au­dessus de leur déterminisme » (GnR 44, 4-7 et Shab 1 56a). Pierre, à son tour, sort dehors pour être vainqueur sur l 'en­gouement du péché, et sur la tentation de penser l'humain subordonné au péché. Il accepte de discerner. Il décide de prendre les moyens et d'engager la lutte pour ne pas subir une condition, ni un destin, de pécheur. Il a entendu le coq. Il choisit de s'éveiller, de se lever, d'être pleinement homme, de devenir lui-même.

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Béatitudes

Il levait les yeux vers ses disciples et Il disait : Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est pour vous. Heureux vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassa­siés. Heureux vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les gens vous haïssent, quand ils vous écartent, qu'ils insultent et rejettent votre nom comme mauvais à cause du Fils de 1 'Homme. Réjouissez-vous en ce jour-là et exultez, car voici, votre récom­pense est grande dans le ciel. Oui, chaque fois, leurs pères accomplissaient tout à fait cela envers les prophètes. Mais hélas pour vous, les riches, car vous avez reçu votre consolation. Hélas pour vous qui êtes bien pleins mainte­nant, car vous aurez faim. Hélas pour vous qui riez maintenant, car vous mènerez le deuil et vous pleurerez. Hélas quand tous les gens diront du bien de vous. Oui, chaque fois, leurs pères accomplissaient tout à fait cela envers les faux prophètes.

Le 6, 20-26.

Devenir. Avancer. Faire des pas. Décider le chemin. Dis­cerner heure après heure la direction à prendre. Après 1' éveil au chant du coq, 1 'humain s'engage immédiatement dans la

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BÉATITUDES

deuxième étape de sa journée, étape primordiale. Le Juif qui se veut disciple des sages 1 doit pouvoir écouter les deux pro­positions présentées à lui depuis des siècles, au sein de son peuple. Il doit choisir l'un de ces deux chemins en connais­sance de cause, et le vivre effectivement. En langage suc­cinct, cela se dit : Béatitudes. Il a intensément conscience de l 'ambivalence de ces appels. Très tôt, il a appris à ne rien négliger de la Parole. Elle est offerte comme un cadeau. Mais elle est assortie d'avertissements. Honnêtement, le disciple ne peut accepter d'écouter le début sans tenir compte de la fm. Il veut s'accorder à l'honnêteté du Seigneur envers lui.

Lui, le Seigneur, connaît l'humain qu'Il a créé (Gn 1 ; Jr 1 7, 9). Il respecte jusqu'au bout le libre arbitre qu'Il lui a donné. Mais Il peut conseiller, Il peut avertir (Ez 2, 1 6-2 1 ), Il se doit de montrer les dangers. Il peut faire jouer la tonalité de sa voix selon les appels ou l 'explicitation des risques et des répercussions. Sa pédagogie, depuis la sortie d'Egypte, est de faire progresser son peuple et de le faire entrer en Terre promise, de le faire entrer en Alliance.

La Torah, les Prophètes, les Écrits, et à leur suite les Évan­giles, formulent 1' appel et sa mise en garde correspondante en deux termes : « Béni sois-tu . . . et Maudis sois-tu ! », ou « Heureux es-tu . . . et Hélas pour toi. . . ». Eveil à la responsabi­lité de 1 'humain : cela est bien primordial.

Deux évangélistes ont reçu cet enseignement de Jésus et l 'ont transmis fidèlement selon leur personnalité et leur sensi­bilité propres. Luc (Le 6, 20-26) suit ouvertement la méthode juive la plus commune et la plus simple. Matthieu (Mt 5, 1 -1 2 à 23, 1 3-32) travaille à long terme : i l cache, de prime abord, la tension entre les deux extrêmes si bien qu'un audi­teur non avisé la méconnaîtra. Il écarte les deux appels pri­mordiaux pour inclure entre eux son Evangile tout entier. Luc et Matthieu sont témoins de Jésus profondément enra­ciné dans son peuple et son langage particulier. Chacun, à sa manière, annonce la Bonne Nouvelle : Jésus est ajusté à la Parole du Père. Le Fils ne peut parler autrement que le Père.

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

Il a la même pédagogie de communication et le même code que celui donné depuis le mont Sinaï au peuple d'Israël.

Sans doute, depuis toujours, l'humain aurait-il à critiquer cette pédagogie. Car d'un côté, le « béni sois-tu » est facile à entendre, mais le croyant ne note pas trop la suite de la Parole. Cela équivaut à l'annuler et à ne pas la recevoir. D'un autre côté, le croyant a de la difficulté à admettre le « maudit sois-tu » ; il ne le reçoit pas. Entre autres argumentations, il argue que si Dieu est Dieu, Il ne peut pas envisager des « punitions » aussi horribles et une telle colère sans rémis­sion. Pourtant, cette pédagogie semble convenir au Seigneur qui ne la délaisse pas. Alors, chacun, ou chaque groupe, essaie de la traduire selon sa sensibilité. Certaines prières ou liturgies juives baissent brusquement le ton et lisent à une vitesse accélérée lorsqu'elles arrivent à des passages de « malédictions ». Et l'étranger qui se trouverait là s 'étonne­rait de ces paroles presque inaudibles, comme si, justement, on n'osait ni les dire ni les envisager pour l'avenir. Mais il arrive aussi que ces paroles soient hurlées, voire invectivées ou pleurées . . . comme si le croyant qui les crie était un pro­phète. Il laisse libre cours à l 'ébranlement de ses entrailles, de son souci, de sa tendresse, pour ceux auxquels le Seigneur s'adresse avec force. Chuchotées ou clamées, le croyant entend ces paroles non comme des sentences définitives et fatales, mais comme des invitations à prendre l'autre chemin. Du coup, elles gagnent une autre valeur, et elles lui devien­nent indispensables comme garde-fous. Elles sont autant de haut-parleurs à ne pas étouffer. Le croyant les écoute et les assume pour devenir responsable, pour répondre. Il se recon­naît devant un choix, et il sait que personne d'autre que lui ne peut choisir à sa place. Il mesure aussi la chance d'en­tendre et bénédictions et malédictions. Lui, petit bout d'hu­main, il est considéré comme plein de maturité, et il n'a pas le rôle d'un pantin déterminé à l 'avance, ni d'un esclave obligé de se soumettre. Lui seul choisit et invente son che­min, sa marche, sa conduite, sa morale, son éthique, parce

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BÉATITUDES

qu'il a entendu de la part du Seigneur les possibilités des deux chemins.

Voilà 1' enseignement primordial de la Torah pour 1 'Entrée en Terre d'Alliance. Il est proclamé en plusieurs circons­tances. D'abord, sur le mont Sinaï, il est transmis par Moïse dans 1 'un des derniers chapitres du Livre du Lévitique, le premier livre enseigné aux petits enfants (Lv 26). Ensuite, il est donné par Moïse en prévision des deux monts de l'Al­liance lors de l 'Entrée sur la Terre (Dt 27). Il est répété d'une autre manière aussitôt après, toujours dans les plaines de Moab (Dt 28). Enfm, il est proposé une ultime fois dans le choix de Dt 30, 1 5-20.

Sur le même mode et avec les mêmes harmoniques, Luc rapporte l'enseignement de la part de Jésus aussitôt après l'appel des Douze Apôtres, comme point de départ indispen­sable. Il le dit cependant de façon très équilibrée alors que, dans la Torah, la liste des malédictions est de loin beaucoup plus longue que 1' énumération des bénédictions, comme si 1 'on voulait effrayer. Luc donne quatre bénédictions suivies de quatre malédictions pratiquement parallèles (Le 6, 20-26). Les exclamations desdites malédictions débutent, en grec, par : « Hélas pour vous. » Elles traduisent sans doute, de la part de Luc et de Matthieu, la tristesse et le souci, et elles sont très peu le signe de la colère.

Quant à cette attitude et à cette vigilance initiale, Matthieu s'avère encore plus zélé que Luc. L'importance des Béati­tudes, c'est-à-dire des béatitudes-malédictions, est si grande pour lui qu'il l'étend à l' intégralité de son Evangile. Il pré­sente les Béatitudes en inclusion sémitique. Il exige pratique­ment de son auditeur qu'il ait une culture sémite . . . Il lui interdit de lire le début sans la fm. Il lui interdit de s'accapa­rer le début et de laisser la fin pour les autres jugés comme mauvais. Toutefois, ce régime tronqué, pensé comme une facilité, a souvent été adopté par les auditeurs alors qu'il dis­pense le croyant de sa liberté spirituelle et du dynamisme de son unicité. Selon le Juif Matthieu en effet, les neuf Béati­tudes du cinquième chapitre qui ouvrent le Sermon de Jésus

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sur le mont ne peuvent être dissociées des huit interpellations du vingt-troisième chapitre. Mais il semble les séparer en adressant les premières aux bons et les dernières aux « Scribes et Pharisiens hypocrites2 » auxquels on s'est empressé d'attacher une fois pour toutes ce qualificatif. Comment mesurer la finesse de sa méthode qui attend de son auditeur un surcroît de santé ? Peut-être avec l'aide de Luc (Le 6) ; surtout avec l 'expérience du peuple de la Torah et de son rythme. Matthieu a une grande espérance en ses audi­teurs. Peut-être la responsabilité de qui ouvre l'Évangile est­elle de ne décevoir ni son auteur, Matthieu, ni Celui qui souffle en lui. Ouvrir n'est pas refermer aussitôt. Ouvrir n'est pas saisir seulement ce qui plaît. Ouvrir l'Evangile, c'est être prêt à écouter 1 'enseignement du discernement, être dispo­nible à entendre le choix entre les deux chemins, et décider de chercher et rechercher comment répondre à 1' appel.

Or, pour discerner, il faut comparer, mettre en lien des paroles, et vivre des relations concrètes avec les autres. C'est le fait de l'humain. L'humain ne peut vivre sans relation. Il est en relation avec les autres, avec le climat atmosphérique, avec la nature, et de toutes façons, tant qu'il est dans le sys­tème de la pesanteur, il est en relation avec le sol. Pour se tenir debout ou pour marcher, il pose ses pieds par terre. S'il ne les bouge plus, il risque de se rouiller. Si, après un premier contact, il déplace successivement ses plantes de pied, il éta­blira d'autres sensations. Il apprendra à évaluer les aspérités, à donner à ses pas une pression adéquate, et à s 'adapter au terrain. L'hébreu a éprouvé cela depuis si longtemps qu'il a choisi le pronom relatif, ashèr, pour dire « plante des pieds ». Ainsi, pour lui, quiconque avance est automatiquement un être relationnel. Et même, il a tellement estimé la capacité d'être à l 'aise dans les diverses circonstances des relations aux autres qu'il a choisi le même mot pour dire « heureux ». Pour lui, le mot ashrei est un pluriel particulier qui ne peut exister tout seul et attend d'être précisé et déterminé. Ashrei, heureux, signifie exactement : « les relations de . . . , les avan­cées de . . . , les dynamismes de . . . », comme si le dynamisme

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BÉATITUDES

n'était dû qu'à des relations multiples. Ainsi, contrairement à une certaine compréhension du latin ecclésiastique, heureux ne signifie ni félicité ni quiétude, mais démarches renouve­lées à chaque instant3•

Et si, pour écouter les Béatitudes, on s'assoit sur une mon­tagne, ce n'est que pour bénéficier d'un dynamisme supplé­mentaire afm de repartir. Déjà le pluriel, les Béatitudes, engage une vitalité plus grande que ne le laisserait entendre un singulier. Mais pour vivre ces appels, il faut justement ces trois éléments : la montagne, les oreilles tendues à la parole dite et proclamée, et les plantes des pieds. La montagne res­semble, quant à elle, au ventre d'une femme enceinte qui va accoucher, avec tous les événements non connus à l'avance. On n'est cependant pas forcé de monter sur la montagne. On peut écouter d'en bas, devant elle. Ici encore, la comparaison entre la montagne et la femme enceinte n'est pas gratuite. Car la langue hébraïque elle-même nomme du même mot : har, montagne, grossesse, hârâh, concevoir, être enceinte, concepteurs, parents. Et, entraînée par son désir de faire naître les croyants, elle donne quelquefois ce mot comme étymologie au nom de la Torah.

La Torah est donnée depuis la montagne, et l'humain se doit de l'écouter, de la recevoir, de l'accomplir ! Entendre la Torah et ses béatitudes provoquera donc des ébranlements d'accouchement qui pousseront les croyants à faire naître, à se remettre en relation avec les autres . . . , à ne pas les écraser, à ne pas les ignorer, à entrer en relation avec eux, à marcher, à avancer.

Ainsi, pour le peuple de la Torah, les Béatitudes, avec leur corollaire, sont la toute première étape de chaque vie, de chaque journée et de chaque moment. En effet, on les retrouve, à des degrés d'intensité différente, dans toutes les circonstances de la vie. Dans cette ligne, l'Evangile offre l'exemple de ce jour où Jésus, citant Isaïe, ne laisse pas de choquer, de blesser, ou de perturber les auditeurs, lorsqu'Il annonce que tout arrive en paraboles ... « de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il ne leur soit pardonné ! » (Mc 4, 1 2) .

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

Colère ou dérision ? Elles seraient acceptées du « Dieu de l'Ancien Testament », mais pas de Jésus, Celui que l'on pen­sait tout Amour. Ou bien seraient-elles autant d'appels à chercher et rechercher qui est Celui qui aime ?

Le croyant ne doit pas donner une définition, sinon il se bloque, il ne marche plus, il n'est plus heureux. Il doit tou­jours réajuster son opinion, inventer des nouvelles relations, avancer et devenir. Sinon, une sentence dure tombe sur lui, telle celle-ci que 1' on entend de la Torah orale, dans 1' Ordre des Préjudices : « Rabbi Judah a dit au nom de Rab : Qui­conque s 'abstient d 'enseigner une conduite à tenir à un dis­ciple, c 'est comme s 'il lui volait quelque chose de l 'héritage de ses ancêtres ! . . . Rabbi Hama ben Bizna a dit au nom de Simon le Pieux : Quiconque s 'abstient d 'enseigner une conduite à tenir à un disciple, même les petits dans le ventre de leurs mères le maudissent ! . . . Et si l 'on enseigne une conduite à tenir à un disciple, quelle sera la récompense ? Selon Rab ba, l 'on méritera les mêmes bénédictions que Joseph 1 » (Sanh 9 1 b-92a). Ces paroles sont très proches de l'Evangile où Jésus est appelé fils de Joseph. Ces paroles font suite à de nombreuses recherches des sages sur l 'ensei­gnement de la résurrection des morts par la Torah, et elles précèdent l'appel à l ' intelligence. Elles appellent à la respon­sabilité incessante envers le prochain.

Ces paroles de béatitudes-malédictions ne pouvaient pas ne pas être placées en premier lieu pour la recherche sur l ' incarnation de Jésus dans le peuple qui aime et vit de la Torah. Elles devaient, et elles doivent, marquer chaque dis­ciple au commencement de sa route, et devenir pour lui les références de son itinéraire. Elles lui sont essentielles pour avancer. Alors, il atteindra sa prochaine étape.

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Jésus et les jours de Noé

Au sujet de ce jour-là et de cette heure, per­sonne ne sait rien : ni les anges dans les cieux, ni le Fils, à part le Père Un. Oui, comme les jours de Noé, ainsi sera l 'occasion favorable du Fils de l 'Homme. Oui, de même qu'en ces jours d'avant le déluge, les gens se mettaient de la nourriture sous la dent et buvaient, ils se mariaient et ils donnaient en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l 'arche - et ils ne se rendirent pas compte avant que le déluge ne vienne pour les prendre tous ensemble - de même sera l 'occasion favorable du Fils de l'Homme.

Mt 24, 36-39.

Troisième moment de la journée, le milieu du jour : le soleil est au zénith, il n'y a pas d'ombre (Ct 1 , 7). C'est la sixième heure, midi. C'est l'heure du repas, de l'hospitalité et de la convivialité. C 'est en même temps l'heure de se nourrir pour entretenir la santé et recevoir des forces de Celui qui « crée le fruit de la vigne et fait sortir le pain de la terre ». En prononçant une telle bénédiction avant chaque repas, le Juif reconnaît que tout vient du Seigneur, il apprend ainsi à ne pas voler ce qui Lui appartient (Sanh 1 02a).

Une lapalissade dirait cependant que, pour manger, il faut

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

avoir de quoi se nourrir. Cela est impossible lors d'une absence de nourriture collective ou individuelle. Tout le peuple d'Israël, dont Jésus, les disciples et les évangélistes, connaît le Midrash des motifs du déluge. Une situation répé­titive perpétrée par ceux qui ne la considéraient pas comme très grave, mais qui en profitaient amplement. Si un pauvre n'avait pour vivre qu'un panier de haricots, chacun lui volait un haricot. Pour lui, c'était la fin des haricots. Mais eux, ils ne voyaient vraiment pas où était le mal. Quoi, prendre un haricot à quelqu'un, vous appelez cela voler ? Vous riez ! De toutes façons, pensez-vous qu'il intentera un procès pour un haricot ? Non, il ne pourrait pas vous convoquer au tribunal pour si peu. Mais, d'après le Midrash, Celui qui est Un veil­lait. Il qualifia cette attitude de « violence ». Et le déluge fut décidé (Gn 6 ; GnR 3 1) .

Problème de nourriture et de survie de l 'autre : important, en milieu de jour. L'humanité y est engagée tout entière. La Torah donne des enseignements sur les comportements typiques des humains, d'Adam à Noé, avant Abraham. Ses enseignements sont valables à chaque époque pour chaque non-croyant. La violence qui a fait déborder la patience du Seigneur envers les humains n'est pas une violence grossière. Si Dieu semble non seulement proférer, mais aussi effectuer le déluge, comme dit Rabbi Hanina, c'est à cause de la vio­lence très fine « des hommes de cette génération qui volaient ce qui vaut moins qu 'un sou . . . Alors, Le Saint, Béni soit-Il, dit : Vous avez agi sans droiture, J'agirai donc à votre égard sans droiture » (GnR 3 1 , 5). Dieu décida de ne pas faire de jugement contre ceux qui dédaignaient les tribunaux. Il dit à Noé : « La fm de toute chair est venue devant Moi car la terre est pleine de violence à cause d'eux. Et Me voici. Je les détruis avec la terre ! » (Gn 6, 13) . La sentence paraît à nouveau très dure et indigne de la miséricorde de Dieu. Peu­vent mieux la comprendre ceux qui, dès le matin, ont accepté d'écouter les paroles des bénédictions-malédictions comme un appel continuel à la responsabilité dans les toutes petites choses de la vie à 1' endroit du prochain. Le verdict divin

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JÉSUS ET LES JOURS DE NOÉ

devient cependant beaucoup moins rigide lorsque 1' on apprend la pédagogie mise en œuvre pour éviter le déluge. Les contemporains de Noé furent appelés pendant cent vingt longues années à revenir de leur conduite frelatée et de leurs techniques de dénaturation de la vérité. Et si Jésus appelle, en son temps, à la vigilance, Il lance à ses contemporains le souvenir de la génération de Noé. Il replace les foules qui l 'écoutent au stade d'avant Abraham, c'est-à-dire d'avant la foi. Mais Il exige 1 'attention : même avant Abraham, même non croyants, les humains ont une responsabilité spirituelle à assumer. Jésus établit la comparaison : « Oui, comme les jours de Noé, ainsi sera l'occasion favorable du Fils de l'Homme. Oui, de même qu'en ces jours d'avant le déluge, les gens se mettaient de la nourriture sous la dent1 et buvaient, ils se mariaient et donnaient en mariage, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche - et ils ne se rendirent pas compte avant que le déluge ne vienne pour les prendre tous ensemble -, de même sera l'occasion favorable du Fils de l'Homme » (Mt 24, 37-39).

La description donnée par Jésus de l 'ambiance insouciante et inconséquente de la génération de Noé, Il la reçoit de la Torah orale. Il ne se situe pas autrement que dans le peuple d'Israël. Il embrasse son regard sur l'humanité. Il adopte la charge d'Israël d'interpeller l'humanité en une conduite intègre. Voilà l'une des raisons pour lesquelles Il se nomme Fils de l 'Homme. Jésus est enraciné dans le souci du peuple d'Israël, peuple élu, pour que vivent les nations. Lourde tâche à assumer à chaque instant et dans ce qui paraît le plus petit et le plus futile, au risque continuel de se faire rabrouer. La Torah des Juifs s'adresse inlassablement aux humains pour les rendre intelligents dans leur comportement. Ou plutôt, les Juifs ont le devoir de faire entendre inlassablement aux humains le minimum d'honnêteté que chacun, quel qu' il soit, doit vivre envers son prochain : ne pas tout combiner pour le démunir, ne pas le rendre sans aucun recours, ne pas voler un sou, ne pas voler un haricot. Les sages d'Israël regardent Noé comme un sage tenace et optimiste malgré l' inefficacité

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

de ses appels et les refus assortis de moqueries de ses contemporains. Pour s'encourager dans leur charge spéci­fique, ils disent : « Le sage est aimé par son entourage tant qu 'il ne fait pas de leçon de morale2 ! » Jésus se situe dans leur lignée. Voilà la vocation d'Israël, voilà l' incarnation de Jésus : appeler 1 'humanité au respect du prochain. La pointe de ce respect et de cet amour, c 'est le commandement de ne pas voler. Alors, après avoir écouté le Midrash de la fin des haricots, le lecteur pourra avancer encore plus loin. Il devien­dra apte à entendre la huitième des Dix Paroles.

« Pourquoi le Seigneur dit-Il à Noé de construire l 'arche ? Afin que ses contemporains observent son travail et fassent pénitence. Dieu n 'aurait-Il pas pu sauver Noé par sa Parole ou le faire monter au ciel ? Pourquoi lui ordonna-t-Il : Fais­toi une arche en bois résineux ? L 'intention de 1 'Eternel était qu 'il construise 1 'arche en bois de résineux afin que ses contemporains le voient en train de construire, coupant les cèdres et débitant le bois. Ils s 'approchaient de lui et 1 'inter­rogeaient : Pourquoi plantes-tu des cèdres ? Il leur répon­dait : L 'Eternel veut amener le déluge. Il m 'a ordonné de construire une arche afin que je sois sauvé, moi et ma famille. Mais si vous revenez de votre conduite, si vous ne volez plus des haricots, il n y aura pas de déluge 1 Un flot de moqueries accueillait ses paroles. Noé arrosait ses cèdres qui grandissaient et se développaient. Ses contemporains 1 'interrogeaient : Que fais-tu là ? Noé leur expliquait à nou­veau, et ils continuaient à ironiser. Enfin, Noé coupa les arbres et débita le bois. Ils demandèrent encore une fois : Que fais-tu ? Noé les informa et les avertit : Je construis une arche car l 'Eternel m 'a confié Son intention d 'amener le déluge sur la terre. Ils étaient mis au courant du dessein de Dieu et pouvaient faire pénitence. Tel était le plan de la Providence 1 . . . mais ils n y prêtèrent pas attention 1 » (GnR 3 1 , 5). En écoutant les derniers mots de ce Midrash, « Ils n y prêtèrent pas attention », l'auditeur se plaît à entendre la répétition et la transmission de la Torah orale qui respecte chaque mot. D'après l'Evangile, Jésus s'est ajusté à cette

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JÉSUS ET LES JOURS DE NOÉ

fidélité. Il a dit : « Ils ne se rendirent pas compte », ou, selon les traductions : « Ils ne se doutèrent pas » (Mt 24, 39). Non seulement exactitude des mots, mais aussi enracinement dans la pensée d'Israël qui mesure l 'opposition terrible à la conversion, et montre la patience du Seigneur. Le temps de planter, de laisser pousser, et de couper les cèdres : cent vingt ans bien pesés, le temps entier d'une vie humaine !

La charge d'Israël envers les peuples et l'humanité se manifeste ainsi, dès la fm du déluge, dans la Torah orale. Celle-ci énonce les sept lois de Noé, les sept lois noahides qui sont le dénominateur commun à tous les humains. La loi d'établir des tribunaux dans tout groupe humain semble la conséquence directe du refus d'écoute de la génération de Noé. Parmi les six autres lois, certaines paraissent pourtant incompréhensibles pour des non-croyants. L'interdiction d'idolâtrie et l ' interdiction de blasphème, par exemple, ne sembleraient avoir aucune prise sur certains athées. Mais jus­tement, la Torah orale promeut une morale universelle et exige un minimum de correction de la part de chaque humain. Même un non-croyant ne peut pas faire n'importe quoi. Deux autres de ces sept lois noahides sont l' interdiction de l 'adultère et l 'interdiction du vol. Ces deux lois, ainsi que les deux précédentes, appartiennent aux Dix Paroles des deux Tables de la Torah, ce que l 'on appelle parfois les dix commandements. Il se trouve que le peuple d'Israël a accepté de se laisser enseigner par la Torah. Il a appris les correspon­dances entre les cinq Paroles à accomplir envers le Seigneur, et les cinq Paroles de respect du prochain, comme si elles se confortaient deux à deux. Les deux centrales, selon le jeu de l 'inclusion sémitique, sont la troisième et la huitième. Or, la troisième demande « de ne pas élever en vain le Nom du Seigneur » est similaire à l 'interdiction du blasphème dans les lois noahides. La huitième Parole est l 'interdiction de voler.

Ainsi, sans attendre 1 'énoncé explicite des Dix Paroles au Sinaï, la Torah orale enseigne, dès le début de la Genèse, le commandement de ne pas voler. Avant de l'enseigner à

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

Des larmes de sang

Comme d'habitude, Il sortit pour aller au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. Il entra sur le lieu et Il leur dit : Priez pour ne pas entrer en tentation. Lui, Il s'éloigna d'eux comme un jet de pierre et Il s'inclina : Il priait. Il disait : Père, si tu veux, écarte de moi cette coupe. Cependant, que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne. Alors, un ange se fit voir à lui depuis le ciel pour le fortifier. Il entra en agonie et Il priait encore plus intensément. Sa sueur devint comme des larmes de sang qui tombaient à terre.

Le 22, 39-44.

La journée touche à sa fin. Les étapes n'étaient ni isolées ni disjointes. Au contraire, elles ont permis à l'humain de progresser et de s 'harmoniser. Son équilibre, il le doit à sa progression et à son avancée. Son adaptation, il l 'a décou­verte, trouvée et mise en œuvre au fur et à mesure des heures écoulées. Il est heureux . . . il marche. Il a compris que l'his­toire d'Adam ne se terminait pas juste après quinze heures. Mais plutôt, elle commençait à cette heure-là, et même, elle recommençait. L'humain recevait invitation pour toujours recommencer à se redresser et à lutter contre le péché.

Alors, après une chaude journée d'été, certains arrosent

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DES LARMES DE SANG

leur jardin. Et dans la suite de l'histoire d'Adam, il est bon d'écouter un récit puisé dans Le Trésor des Aggadot de la Torah1 • Il pourvoira à l'émerveillement de ceux qui, en fin de journée, et à la suite de Jésus incarné dans son peuple, recommencent à aimer la Torah.

« Après tout cela, Adam alla faire pénitence près du fleuve Guihon. Comment ? Il se plongea dans ses eaux jusqu 'à ce que les eaux atteignent son cou. Et il resta ainsi dans le jeûne pendant sept shabatot, et il devint faible et maigre. Alors il tourna son visage vers le Seigneur, et il dit : De grâce, Sei­gneur, j 'ai péché devant Toi quand j 'étais au jardin d 'Eden. Enlève, s 'il Te plaît, ma faute, et reçois ma pénitence. Dès lors, que tous ceux qui viennent au monde sachent que Toi, Tu es proche de tous ceux qui T'appellent !

Le Seigneur entendit la pénitence d 'Adam et Il lui répon­dit : Je pardonne selon ta parole ! Et quand Le Seigneur vit comment Adam et Eve se repentaient de leur péché, Il fut pris de compassion pour eux et Il les rassura pour qu 'ils ne soient pas amers d 'avoir été rejetés du jardin d 'Eden où tout était bon. Il ne les abandonna pas, mais Il les aima pour toujours. Le Seigneur appela l 'homme et sa femme, et /l ieur dit : Je sais que des jours très rudes vont venir sur vous, des jours d 'angoisse et de maux qui briseront votre esprit. Mais sachez donc que Je vous aime, et rien ne vous manquera. C 'est pourquoi Je vais sortir pour vous de mon Trésor une perle. Et la voici : c 'est une larme ! Et quand vous rencontre­rez une catastrophe, vous verserez cette larme de vos yeux, et vous serez soulagés de votre tristesse !

De ce fait, les yeux d 'Adam et d 'Eve commencèrent à ver­ser des larmes. Et ces larmes roulaient et tombaient par terre. Ces larmes étaient les premières dans le monde qui humectaient la surface du sol. Ces larmes, Adam et Eve les donnèrent en héritage à leurs enfants et aux enfants de leurs enfants, pour l 'éternité. Mais hormis la seule descendance d 'Adam, rien dans le monde ne forme cela pour pleurer avec des larmes. Dès lors, et jusqu 'aujourd'hui, l 'homme verse

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une larme au temps de l 'angoisse et de la détresse, et elle allège son fardeau, et elle console son cœur.

Et Le Saint, Béni soit-Il, donna encore à l 'homme des vête­ments de grand prêtre qu 'Il fit pour lui et pour sa femme, puisqu 'il était premier-né dans le monde ; et il offrit même un sacrifice. C 'était des vêtements de Shabat dont les pre­miers-nés se servent depuis. Quand Adam s 'en alla, les vête­ments passèrent en héritage à Seth son fils, et Seth les transmit à Mathusalem. Puis quand Mathusalem mourut, il les transmit à Noé. Ainsi ces vêtements passèrent de généra­tion en génération jusqu 'à Isaac, et Isaac les transmit à Jacob. »

Ce midrash emprunte pour Adam la réponse que le Sei­gneur fit à Moïse : « Je pardonne selon ta parole » (Nb 14, 20). Or, la Torah orale enseigne le jour et le parfum de Sha­bat où Moïse écrivit avec des larmes le dernier chapitre de la Torah écrite (Dt 34). Par la suite, Josué a rempli d'encre ces larmes (B.B. 1 5a). Moïse est mort un jour de Shabat et Adam a péché juste avant Shabat. En outre, ce midrash asso­cie la perle, puisée au Trésor du Seigneur, aux vêtements shabatiques du grand prêtre. Le Saint, Béni soit-Il, confère à ces deux cadeaux une telle portée que leur valeur devient universelle. La perle est offerte à chaque humain non seule­ment contre les maux, mais surtout contre les angoisses des pécheurs et les tentations de découragement et de rechute. Les vêtements de premier-né sont confiés d'abord à Adam, puis à Noé, l 'homme type de la nouvelle humanité, après le déluge. Enfm, ils sont donnés à Isaac et à Jacob, c'est-à-dire à Israël. Mais ce vêtement est privilège à la condition qu'Is­raël assume sa tâche sacerdotale par rapport aux nations du monde. La Torah enseigne l 'action et la force des larmes comme prérogatives de l'humanité. Dès le Traité des Béné­dictions, elle dit : « Les portes de la prière peuvent être fer­mées, mais non les portes des larmes » (Ber 32b ). Et par tous les commentaires des sages de tous les siècles2, la Torah ne cesse d'appeler l'humain à la santé. Qu'est-ce que la santé ? Depuis le début de la journée, par le discernement et l 'appel

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DES LARMES DE SANG

à la loyauté, l'humain doit continuellement se situer à sa juste place : ne pas écraser l'autre, ne pas se faire trop petit, se relever . . . et maintenant, pleurer, afin que la surface de la terre soit arrosée et puisse porter fruit.

La démarche du présent livre se fonde sur la recherche de l' insertion de Jésus dans le peuple d'Israël, et de Son amour pour la Torah. La Torah n'est pas une série de choses à faire ou à ne pas faire. Elle est d'abord une attitude et un compor­tement, avec un sourire et un accent particuliers. Le plus important, dans la Torah écrite, c 'est ce qu'elle ne dit pas. Et même la Torah orale est elliptique. On se comprend à demi-mot. On se regarde et l'on devine les désirs de l'autre. Et si l'on voit, dans les yeux de l'autre, des larmes rouler et tomber à terre, on pense aux perles données à 1 'humanité. Mais on évoque spontanément le nom hébreu « larme ». Il est riche, et il ouvre deux autres mots dont on entend la force. Phonétiquement en effet, larme (demah, DMH) dit aussi le sang de l 'œil (dam hayin, DM Hayin, DM H, le hayin est la lettre hébraïque qui signifie l'œil). Or, le sang, c 'est la vie. Et 1' autre signification du mot œil, c'est la source. Ainsi, une larme, le sang de l 'œil, est une source de vie !

Alors, un soir ou une nuit de jeudi à vendredi, il est bon de prendre le temps d'écouter un évangéliste grec, mais juif jusqu'au bout des ongles. Luc vient de raconter le repas pas­cal de Jésus, son dernier repas. Maintenant, il le montre avec ses disciples, au mont des Oliviers (Le 22, 44) : « Et Il entra en agonie, et Il priait encore plus intensément. Et sa sueur devint comme des larmes de sang qui tombaient à terre. »

Verset hapax s'il en est puisqu'il contient quatre mots hapax dans toutes les Ecritures chrétiennes : le mot agonie, l'expression adverbiale encore plus intensément, le mot sueur, et le dernier mot qu'on a traduit ici par larmes, throm­boï en grec, gouttes, caillots. En outre, trois versets aupara­vant, parlant du désir de prière à genoux de Jésus, Luc a employé, pour mesurer une distance, l'expression jet de pierre, qui est aussi hapax dans les Ecritures chrétiennes. Luc

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avait-il une place particulière pour voir des événements et des attitudes que les autres évangélistes ne rapportent pas ? Ou bien, travaille-t-il selon la pédagogie de la Torah pour inviter le disciple à chercher ? S' il y a tant de mots uniques dans ce moment de prière de Jésus, le disciple est obligé d'aller et de rechercher à qui l'évangéliste renvoie pour parler de Jésus. Il est donc temps d'enregistrer pleinement certaines paroles de la Torah écrite que le Seigneur Dieu avait dites à Adam après le péché : « A la sueur de ton nez tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol. . . » (Gn 3, 1 9). Cette phrase est souvent entendue comme une sanction ou une sentence de malédiction par les étrangers qui ont refusé d'attraper l'accent. Ils remarqueront néanmoins que le mot sueur est hapax dans tout le Tanakh. Donc, l'auditeur notera la sueur, une seule fois au tout début de la Bible, et une seule fois à la fm de 1 'Evangile, comme une inclusion entre Adam et Jésus.

Mais pour avancer, il devra aller écouter ce que dit la Torah orale de la rencontre entre le Seigneur Dieu et Adam pécheur. Celui-ci sursauta de douleur lorsque Celui-là lui dit : « Tu mangeras l'herbe de la campagne ! » (Gn 3, 1 8). Ainsi Dieu avait tout préparé pour lui, Il avait choisi la neuvième heure, après tous les animaux, pour le créer, et voilà qu'Il le ravalait au rang des animaux ! Bien sûr, il avait péché. Mais pourquoi était-il réduit à un animal ? Alors, le Seigneur Dieu comprit la logique d'Adam et décida de lui décrire la diffé­rence fondamentale entre lui et 1' animal : lui, il « mangerait son pain à la sueur de son nez ». Adam fut rasséréné quant à sa vocation. Le Saint, Béni soit-Il, lui donnait de mieux comprendre la transgression qu'il venait de vivre, et l' instau­ration d'une nouvelle économie entre lui et Dieu.

Seul cas du Tanakh où il est parlé de sueur, heureusement explicité par la Torah orale. Si la Passion de Jésus est le seul endroit de l'Evangile, et des Ecritures chrétiennes, où l'on parle de sueur, c'est de la part de l'évangéliste une façon de montrer, à la fm, l'écho du commencement . . . un peu comme

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DES LARMES DE SANG

un parachèvement de l'homme Jésus en résonance avec la vocation de 1 'homme Adam.

Celui-ci, Adam, devait retourner à la poussière, et pour celui-là, Jésus, sa sueur tombe à terre, peut-être pour la ferti­liser. Pour Adam, il s'agissait de la sueur de son nez. Pour Jésus, il s 'agit de gouttes de sang, de larmes, de sources de vie. Jésus pleure, et ses pleurs gagnent le pain de ceux qu'Il veut nourrir !

Mais alors, par sa façon de décrire Jésus en prière, l'évan­géliste Luc fait beaucoup plus qu'une description. Par la force et le dynamisme de la Torah orale, il rend son auditeur intelligent et de l'Etre de Jésus, et de son propre être. Le disciple comprend la puissance des larmes de Jésus, mais il comprend aussi la puissance de ses propres larmes. Elles peu­vent être à leur tour une source de vie, en communion des saints.

Ce passage unique est indispensable pour entendre et s 'émerveiller de l'œuvre de Tendresse de Jésus pour les pécheurs . . . mais aussi, pour se laisser conduire sur le chemin3 de ses propres possibilités d'œuvres de Tendresse pour les autres, grâce à la prière avec larmes.

Le lecteur est donc invité à relire, selon la méthode propo­sée dans l' introduction, ce passage d'Evangile. Il peut aussi écouter en écho toutes les fois où 1 ' on parle des larmes et de leur force colossale, dans le Tanakh. En particulier, les larmes de deux femmes : Rachel, sur le chemin de Beth Lehem, et Hagar, dans le désert du Négèv. Celle-ci a, de toutes façons, un lien avec Isaac, lui qui avait reçu le manteau de premier-né. Hagar s'était éloignée « comme un jet de pier­re ». A ses pleurs, et « à la voix de l'enfant, Dieu avait entendu. L'ange de Dieu avait appelé Hagar depuis les cieux et lui avait dit : Quoi à toi, Hagar ? N'aie pas peur ! Oui, Dieu a entendu la voix de l'enfant là où il est ! » (Gn 2 1 , 1 6-1 7) . Jésus s'éloigne des disciples comme Hagar, comme pour être en vis-à-vis d'eux pour les voir, comme la mère pour veiller sur son enfant. Et 1' ange va venir le réconforter et le fortifier. Jésus, en quelque sorte, accomplit la vocation de ce

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LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

qu'est l'être sur la terre, un étranger", un passager, un habi­tant temporaire. Jésus, comme Hagar, est attentif à la vie de ses disciples. Jésus, comme Adam, verse des larmes de sueur pour donner le pain à manger. Jésus reçoit la perle transmise par les générations des humains et de son peuple.

Une journée et ses heures successives avaient été choisies pour introduire la recherche sur les liens de Jésus avec le peuple de la Torah. Par Sa pédagogie et par Ses attitudes, Jésus se manifeste comme enraciné dans une Famille dont le projet est la transmission. Jésus entre dans cette perspective qui oblige à aller vers l'avant, à être heureux, tout en respec­tant ceux d'avant5• Car ils ne sont pas seulement du passé, ils aident encore à enfanter le monde et les croyants.

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DEUXIÈME PARTIE

L 'identité juive

Qui roulera la pierre ?

Tu aimeras ton prochain comme toi-même !

Quel est le premier commandement ?

Dis seulement une parole et je serai guéri !

Pas un yod ne s 'en ira de la Torah

Voir page 1 8 1 quatrième partie.

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Qui roulera la pierre ?

Quand Shabat fut passé, Marie de Magdala, Marie de Jacob et Salomé achetèrent des aro­mates pour aller l 'oindre. Et très tôt, le premier jour de la semaine, elles vont sur le tombeau, quand le soleil est levé. Elles se disaient en elles-mêmes : Qui nous roulera la pierre hors de 1' entrée du tombeau ?

Mc 1 6, 1 -3.

Il arrive souvent qu'une même Parole soit vitale et essen­tielle pour deux groupes de gens différents. Toutefois, ni les uns ni les autres n'en sont conscients, tant cette Parole leur semble spécifique et tant ils s'estiment mutuellement éloignés. Dans quelques rares cas, certains connaissent fort confusément l 'existence de liens avec les autres de l'autre groupe, mais leur attention s'arrête là. Chacun vit, enseigne, et accueille la force spirituelle d'une Parole. Mais il oublie qu'un autre vit de la même Parole, 1' enseigne, et reçoit sa force spirituelle. L'oublie-t-il ? L'a-t-il oublié ?

Au cœur de ce livre, on arrive au creux de l'étonnement provoqué par l'amnésie des Chrétiens sur leur origine. Pour­quoi ont-ils négligé leur mémoire ? Pourquoi ont-ils affecté un désintérêt concernant leurs racines ? Pourquoi certains ont-ils décidé que Jésus avait rejeté son peuple ? Et pourquoi donc Jésus n'aimerait-Il pas la Torah ?

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L'IDENTITÉ JUIVE

Le lecteur a assisté à la leçon, en cinq temps, des notions élémentaires et constitutives données par la Torah. Il est sol­licité maintenant à écouter cinq Paroles fondamentales dont vivent les Chrétiens et les Juifs.

La première, « Qui roulera la pierre ? », déclenche chez le Chrétien la mémoire de toute l'histoire de son identité : l'incomparable ampleur de l'événement de la Résurrection du Christ.

Les hommes auront cependant remarqué les seuls moments où les quatre évangélistes parlent de la pierre rou­lée : toujours à propos des femmes. Dans Marc, celles-ci se posent la question de l'ouverture (Mc 1 6, 3). Dans Luc, elles constatent, à leur arrivée au tombeau, que la pierre a été rou­lée (Le 24, 2). Dans Matthieu, elles-mêmes sont témoins de « l'ange du Seigneur qui descendit du ciel, roula la pierre et s 'assit dessus » (Mt 28, 2). Il a l'attitude d'un vainqueur assis sur un trône ou sur un trophée dont il est devenu maître et dont il n'a plus besoin sinon pour attester son triomphe. Alors, à l'accueil de la nouvelle, « les femmes courent annoncer aux disciples ».

Jean, lui, n'emploie pas le verbe « rouler », mais il dit : « enlever » (Jn 20, 1 ). Il peut alors répéter ce verbe dans la bouche de Marie de Magdala qui a « couru pour 1' annoncer à Simon-Pierre et à l'autre disciple : On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l'a mis ! » La pierre a été enlevée, le Seigneur a été enlevé. Marie de Magdala troublée a-t-elle le langage embrouillé ? Ou bien l 'évangé­liste veut-il annoncer une autre réalité ?

Que les quatre évangélistes s'accordent sur l' importance des femmes à ce moment-là, tout le monde le sait, même si l'on n'en comprend pas toute la valeur. Bien sûr, elles sont sorties les premières, le matin du premier jour après Shabat. Et l'on a pris l'habitude d'admettre que les femmes sont plus courageuses et plus intuitives que les hommes. Les quatre évangélistes ne se privent pas d'insister lourdement sur le

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QUI ROULERA LA PIERRE ?

rôle de ces femmes, dont plusieurs s'appellent Marie1 • Leur rôle semble pourtant inutile puisque la foi en la Résurrection ne sera effective dans l'Eglise que lorsque les hommes recon­naîtront le Ressuscité.

La foi chrétienne jaillit du tombeau ouvert du matin de Pâques et du Christ ressuscité. Toutefois, sous peine de refu­ser l'humanité du Christ, le Chrétien ne peut pas se compor­ter comme s 'il s'agissait là d'un commencement absolu. Il n'a pas compétence pour se dispenser de l' incarnation de Jésus Christ, surtout lorsque ses propres références, ses propres témoins, les évangélistes, jouent à l 'évidence la mémoire. Ils ont en effet la mémoire de la source illimitée de l 'eau de la vie et du jaillissement de l'Esprit-Saint.

Dans toutes les Ecritures chrétiennes, on parle de pierres, de cailloux, de rochers. Jamais il n'est question de « rouler la pierre », sinon le jour unique de la Résurrection et de la rencontre du Ressuscité2• Mais est-ce que la Torah, les Pro­phètes et les Ecrits font entendre ce mouvement de rouler la pierre ? Non, ni les Ecrits (sauf Pr 26, 27 où il est question de rouler une pierre) ni les Prophètes n'en parlent, chez les­quels 1' on trouve, par ailleurs, de nombreuses pierres. Mais l 'on entend « rouler la pierre » en une seule circonstance, hapax, de la Torah. Cet événement est tellement grave pour la suite des âges et pour la constitution du peuple de Dieu que l'on répète trois fois « gala! èt-haêvên, rouler la pierre », en superlatif (Gn 29, 3.8 . 1 0). Evidemment, cela ne passe pas inaperçu aux yeux de la Torah orale qui cherche et trouve de nombreux enseignements à la fois pratiques et spirituels.

Il s'agit de la première rencontre entre Jacob et Rachel. Elle a lieu près d'un puits dont le livre de la Genèse précise : « La pierre était grande sur la bouche du puits » (Gn 29, 2). En écho, et à sa suite, Marc dira de la pierre du tombeau (Mc 1 6, 4) : « Or, elle était très grande ! » Cette rencontre atteste l 'empressement de l'amour. Voilà un homme qui ne donne pas à sa femme de riches cadeaux ni des bijoux ni des cha­meaux, mais il lui offre sa force et sa sensibilité. Jacob, pour-

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L'IDENTITÉ JUIVE

suivi et haï par son frère Esaü, a obéi aux conseils de sa mère de partir pour Haran. Il lui a dit, d'après le midrash : « Je ferai selon ta parole » ou encore « Tout ce qu 'elle a dit, je le ferai ». Au bord du puits, lieu traditionnel des rencontres et des mariages, il va manifester une force étonnante. A lui seul, il roule la grande pierre que les bergers ne pouvaient rouler qu'ensemble, à quarante. Il abreuve le petit troupeau de la bergère Rachel. Et il lui apporte le cadeau de sa sensibi­lité : « Jacob embrassa Rachel. Il éleva la voix et il pleura. Jacob raconta à Rachel.. . et elle courut raconter à son père. » Des gestes, des paroles, des mots essentiels pour le peuple de Dieu, et typiques de la Pâque, en particulier le verbe nagad, yaggèd, « raconter, faire récit », qui donne à penser à la Haggadah du repas pascal. Ils sont au bord d'un puits dont leur peuple dit : « Creuser des puits chez les païens, c 'est les ouvrir à la Parole de Dieu. » Ils sont au bord « d'un puits » dont le nom hébraïque, béèr, est au féminin, manifestant la disponibilité, l'accueil et la capacité de parler et d'expliquer. Il s'agit du puits où fut décidé le mariage de Rébéqah et d'Isaac (Gn 24). C'est le puits sur la bouche duquel on ne fera pas revenir la grande pierre. Le midrash dit : « Quand notre père Jacob eut soulevé la pierre de dessus la bouche du puits, le puits se mit à déborder et monta en sa présence. Et il continua à déborder tout le temps qu 'il demeura à Haran » (GnR 70, Pirqè de Rabbi Elièzèr 36, Targum Yona­tan 28, 1 0) .

A ce point de la découverte, le lecteur peut enfm aller écouter, et lire à haute voix, ce grand passage découpé ainsi dans la Torah : Gn 29, 1 - 1 7.

Il y sera attentif, autant que faire se peut avec la traduction française, aux répétitions. Huit fois « Jacob » et huit fois « petit bétail » : il y a donc une relation entre Jacob et ce que représente le troupeau. Sept fois « Rachel », et sept fois « puits », le puits étant féminin en hébreu : il y a donc une relation entre Rachel et la capacité de contenance du puits. Trois fois « le frère de sa mère ». Et surtout trois fois « rouler

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QUI ROULERA LA PIERRE ?

la pierre de dessus la bouche du puits et abreuver le petit bétail ».

Qu'il sache aussi que ce passage contient deux cents mots en hébreu dont les deux centraux sont : « Oui, bergère » ; et que le nom de bergère, au féminin, est en hapax dans tout le Tanakh. Qu'il sache encore que les deux verbes « il embras­sa » et « il abreuva » s'écrivent de façon identique, repective­ment WYShQ, wayyishaq, et WYShQ, wayyashèq : ils sont très proches phonétiquement. Enfm, qu'il entende que « rou­ler » se dit gala/ en hébreu.

Le midrash que retiendra le commentateur champenois Rashi, c'est la force de Jacob « comme un homme qui tire le bouchon d 'une bouteille. Et tous les bergers se tenaient là en s 'émerveillant de sa force et de sa puissance. Ils question­naient : D 'où lui vient cette force ? Et l 'on répondait : Quand Jacob partit de Béer Shèva pour aller à Haran et fuir son frère, une Rosée de Résurrection descendit des cieux sur lui et le fit puissant en vaillance et énergique en force. Par cette puissance, il lutta par la suite contre l 'Ange. Par cette puissance, il roula la pierre de dessus la bouche du puits et les eaux montèrent des profondeurs, débordèrent et inondè­rent. Les bergers se tenaient debout et stupéfaits car on n 'avait plus besoin de seaux pour puiser 1 »

Ayant appris l 'art d'écouter la Torah écrite et la Torah orale, le Chrétien entendra Jacob rouler la pierre pour Rachel et son troupeau à 1' étonnement des bergers. Simultanément, il entendra l 'étonnement des femmes de l'Evangile devant la pierre roulée. Il se rendra proche de la joie des tout premiers Chrétiens dont les évangélistes reflètent l'enthousiasme.

Pour eux, dire et crier la Résurrection de Jésus, c'était goûter et se mêler à la force de Jacob le Patriarche, père des douze tribus et du peuple d'Israël. Vivre et être témoin de la Résurrection de Jésus-Christ, c'était entrer dans l'ac­complissement de ce manteau de Résurrection, de cette Rosée de vie3 qui avait revêtu Jacob pour qu'il enfante le peuple de

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Dieu, maison d'Israël. Voir des femmes trouver la pierre rou­lée et les regarder courir annoncer et raconter la Nouvelle, c'était reconnaître leur place indispensable, comme Rachel : pour aimer, pour mettre au monde les croyants, pour pleurer leur mort, et pour les consoler4 dans leurs angoisses. Enfin, pour les premiers Chrétiens, entendre 1' appel adressé aux femmes à « ne pas avoir peur » alors que « les gardes étaient devenus comme des morts » (Mt 28, 4), c'était participer à 1' étonnement des bergers (cf. Le 2) devant cette force et cette autorité données à un homme, Jacob, par Celui qui est aux cieux. Ils devenaient témoins de ce roulement de pierre, et capables de répercuter l 'appel et l ' invitation à se rendre en Galilée, pour découvrir, et rouler, gala!, GLL, encore et encore !

Ainsi, le Chrétien d'aujourd'hui se rapprochera des pre­miers Chrétiens qui connaissaient la parabole de ce puits : « On abreuvait les troupeaux, c 'est-à-dire, de là on puisait l 'Esprit-Saint. Et la pierre était grosse, c 'était la joie du Pui­sage de l 'eau. Et qui ne connaît pas la Joie du Puisage de l 'eau ne connaît pas la Joie de l 'Esprit-Saint. On remettait la pierre jusqu 'à la fête suivante. Et quand on ne la remettra plus, ce sera la fête de Soukot des temps messianiques » (Midrash Tanaïm 94 et Pesiqta Rabati 1 , 2).

Les évangélistes et les amis de Jésus étaient imbibés et imprégnés de la Torah. Pour eux, Jésus-Christ ressuscité et tous Ses témoins accueillaient pleinement le don de l 'Esprit­Saint. La pierre roulée par Jacob de dessus la bouche du puits avait manifesté l'abondance des dons de l'Esprit-Saint. Voici qu'au premier jour de la semaine, au tombeau de Jésus, ils répétaient et exultaient devant la pierre roulée, signe du dynamisme de l'Esprit-Saint qu'ils accueillaient !

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Tu aimeras ton prochain comme toi-même !

Les Pharisiens avaient entendu qu'Il avait fait taire les Saducéens. Ils se rassemblèrent à ce sujet. L'un d'eux, un homme de la Torah, interrogea, pour l 'éprouver : Maître, quelle est la plus grande prescription, mitswah, dans la Torah ? Il lui déclara : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. C'est la grande et première mitswah. La deuxième lui est sem­blable : Tu aimeras ton prochain comme toi­même. A ces deux mitswot, toute la Torah est suspendue ainsi que les Prophètes.

Mt 22, 34-40.

Vous aussi, chacun à sa place, que chacun aime sa propre femme comme lui-même !

Eph 5, 33.

Une fois n'est pas coutume. Pour la deuxième parole choi­sie dans la Torah, reçue et accomplie par les amis de Jésus, le lecteur bénéficiera d'un saut dans le temps pour rencontrer Paul. Il écoutera l'un de ses enseignements pour l'application concrète du commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 1 9, 1 8). Il comprendra ainsi la proxi­mité de la pratique des premiers Chrétiens avec celle des

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Juifs. En fait, le saut dans le temps n'est que virtuel. Car le Juif Paul est enraciné au profond de la Torah, écrite et orale. Il se tenait au pied du Sinaï avec son peuple, le peuple d'Is­raël, quand celui-ci recevait la Torah et, avec son peuple, Paul répondait : « Nous ferons et nous écouterons ! » (Ex 24, 7).

L'enseignement tiré de ce commandement va surprendre, voire faire rire et provoquer des plaisanteries. C 'est que, d'une part, la pédagogie employée ici n'est plus celle du récit, de la Haggadah, mais celle de l'éthique, de la Hala­khah. Et, comme au temps de Noé, « le sage est aimé de ses contemporains tant qu 'il ne fait pas de leçon de morale » (p. 56). D'autre part, il s'agit d'une seule application pratique choisie parmi beaucoup d'autres. Les rabbins disent qu'il y a soixante-dix explications pour chaque Parole. L'une est ici préférée aux autres pour éveiller une nouvelle fois les Chré­tiens à la reconnaissance envers les Juifs desquels ils ont reçu cette Parole. Malheureusement, pendant des siècles, beau­coup de Chrétiens ont négligé la mémoire. Ils ont oublié que le commandement de 1 'amour du prochain est juif avant d'être chrétien. Il n'est pas sorti du Nouveau Testament. Il est donné par et dans la Torah. Et la question lancinante revient (p. 2 1 ) : que faire, et comment faire, pour qu'ils « ou­vrent une petite ouverture comme le trou ouvert par la pointe aiguë d 'une aiguille » ?

Au centre du livre central de la Torah, le Livre du Lévi­tique, celui qu'on enseigne en premier aux enfants, il y a la parashah « Soyez saints » (Lv 1 9-201). Le Lévitique est très peu connu des Chrétiens. Cependant, la première phrase de cette section leur est familière : « Vous serez saints, car Moi, Je suis Saint, Le Seigneur votre Dieu ! » L'appel initial de cette section est suivi d'exhortations concrètes et détaillées, incarnées, pour les relations avec les prochains dans la vie de tous les jours. La responsabilité du croyant s'exerce diver­sement selon les divers degrés de proximité : le frère, le compatriote, le fils du compatriote, le prochain. Et voici

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TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME !

qu'au milieu de cette parashah « Soyez saints », en Lv 1 9, 1 8, l'on entend : « Tu aimeras ton prochain comme toi­même ! Moi, Je suis Le Seigneur ! »

Les maîtres de la Torah orale insistent sur cette Parole, et les enfants juifs chantent depuis des générations : « Rabbi Aqiba a dit : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même ", c 'est le grand tout de la Torah ! » (Ned 9, 4 du Talmud de Jérusalem).

Jésus aussi répète plusieurs fois ce commandement. D'abord, dans le Sermon sur le mont, lorsqu'Il met en œuvre la Torah orale pour expliquer la Torah écrite : « Vous avez entendu qu'il a été dit : "Tu aimeras ton prochain" » (Mt 5, 43). Ensuite, lors de Sa rencontre avec le jeune homme riche, Jésus rappelle les cinq Paroles-commandements envers le prochain, gravées dans l'une des deux Tables de la Torah (tableau p. 63). Mais Il ne dit pas la cinquième « tu ne convoiteras pas ». A sa place, Jésus énonce deux Paroles. Il dit d'abord la cinquième Parole en regard, sur l'autre Table, des devoirs envers le Seigneur : « tu donneras du poids à ton père et à ta mère ». Il ajoute aussitôt : « et tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 1 9, 1 9). Enfin, Jésus répète cette Parole lors de sa réponse à la question du scribe sur le premier commandement. Il propose simultanément l'acte de foi « Ecoute Israël » et ce commandement d'aimer le pro­chain comme soi-même qui lui est équivalent (Mt 22, 39)2•

Jésus, comme dans beaucoup d'exhortations de la Torah, parle du prochain, quel qu' il soit. Il est bon, cependant, d'en écouter une application très particulière donnée par Paul. Il la reçoit de la Torah. Mais cette application n'a de particulier que le qualificatif, car elle s'adresse à tout homme et à toute femme. Et de la fidélité quotidienne à ce commandement dépend la vie de tout être humain.

La section qui proclame « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » s'intitule : « Soyez saints ». Or, le nom « saints, Qedoshim » de cette parashah a été choisi par le peuple hébreu pour dire mariage. En effet, « Qidoushin, mariage »

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L'IDENTITÉ JUNE

est un mot au pluriel, appelé pluriel d'intensité. Qidoushin signifie « sanctifications, consécrations ». Un traité du Tal­mud porte ce nom, comme si le mariage était la situation de la sainteté.

Un autre traité s 'intitule Nidah, du nom de la séparation régulière entre 1 'époux et 1' épouse pendant le cycle mens­truel. Cette nidah, cet éloignement, leur permet, selon le dire de la Tradition, de se marier une fois par mois . . . de se prépa­rer à ce mariage pendant la moitié du temps, deux semaines par cycle. La femme prend le bain rituel, le miqwèh, chaque mois, comme elle a pris ce bain rituel le jour de son mariage. Le traité Nidah appartient à la sixième et dernière partie du Talmud, sur « Les choses pures », dont beaucoup de pré­ceptes paraissent exagérés à des Occidentaux du xxe siècle. Voilà pourtant ce qu'on entend de la part des rabbins sérieux ! « Rabbi Hisda dit : Il est interdit d 'avoir des rap­ports sexuels avec sa femme pendant la journée, car il est dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même 1 En quoi ce texte nous fournit-il une preuve ? C 'est que l 'homme pour­rait, en couchant avec sa femme dans la journée, apercevoir en elle un défaut qui lui répugnerait, dit Abaye. Rabbi Houna dit : Les israélites sont saints. Ils ne couchent pas avec leur femme pendant la journée. Rab a dit : Dans une maison obs­cure, c 'est permis, et un disciple des sages peut toujours faire de 1 'ombre avec son manteau et coucher avec sa femme » (Nid 1 7a).

Et voici ce qu'on entend en écho, chez Paul, dans la Lettre aux Ephésiens (Eph 5 , 25-33) : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est Lui-même donné pour elle afin de la sanctifier en la rendant pure par le bain (le miqwèh) d'eau de la Parole, afin de se présenter à Lui­même l'Eglise resplendissante, sans tache, ni ride, ni quel­qu'une de ces choses, mais pour qu'elle soit sainte et sans défaut3• Ainsi, les maris doivent aimer leur propre femme comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui-même. En effet, personne n'a jamais haï sa propre chair, mais il la nourrit et la soigne4• Ainsi le Christ envers l'Eglise,

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TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME !

parce que nous sommes les membres de son corps, de sa chair et de ses os5• A cause de cela, l'homme laissera son père et sa mère et s 'attachera à sa femme et les deux seront une seule chair. Ce mystère est grand. Et moi, je le dis pour le Christ et l'Eglise. Mais, vous aussi, chacun à sa place, que chacun aime sa propre femme comme lui-même, et la femme, qu'elle craigne son mari ! »

Le Juif Paul parle de là où il est, avec les mots du mariage juif, de sa préparation, de sa santé spirituelle par le miqwèh, de sa pureté et de sa sainteté. Il s 'appuie sur la théologie du couple donnée par la Genèse, où « la chair tirée de la chair » donne possibilité de communication et d'annonce de bonne nouvelle, et où « 1 ' os tiré des os » offre la profonde intério­rité, le quant-à-soi de l'être, le soi-même. Mais Paul dit : « Les deux seront une seule chair », alors que la Torah écrite dit : « L'homme s 'attachera à sa femme, et ils seront une seule chair. Et eux deux étaient nus .. . » Paul est-il imprécis ? Il ne cite par exactement. Il écrit « deux » dans le verset pré­cédant le verset authentique de la Torah écrite. D 'autre part, Paul dit : « de sa chair et de ses os » alors que la Torah écrite emploie le superlatif : « Os de mes os et chair de ma chair ». Paul est-il imprécis ? Ou bien sa logique est-elle plutôt celle de la Torah orale ?

Paul évoque aussi l'image du corps et des membres. Celle­ci est connue à propos de Joseph6• Le Midrash Rabba dit (GnR 1 00, 9) : « Devant ses frères soucieux de sa réaction alors qu 'ils restaient seuls après la mort de leur père Jacob, Joseph dit : Vous êtes le corps et moi, la tête 1 Si le corps est pris, est-ce que la tête est bonne ? » On retrouve cette comparaison dans un autre traité, du Talmud de Jérusalem cette fois, Nedarim, sur les vœux. Par un exemple concret et très particulier, ce traité énonce la solidarité des humains entre eux. Il faut discerner et avoir une conduite intelligente et adulte. « En coupant la viande, un homme laisse tomber le couteau qui lui tranche une de ses mains. Peux-tu imaginer qu 'il ira couper la seconde main pour avoir coupé la premiè­re ? Ainsi en est-il de nos rapports avec autrui. La société

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L'IDENTITÉ JUIVE

représente la multitude des membres qui constituent dans leur ensemble le corps de la collectivité. Est-il pensable que 1 'on aille frapper un membre de son propre corps qui en a mutilé un autre ? C 'est dans cette vaste perspective qu 'il faut concevoir le devoir d 'amour d 'autrui. Si les êtres sont séparés physiquement les uns des autres, l 'âme leur est néan­moins commune de par ses origines et de par sa nature, si bien que les sentiments des uns se répercutent chez les autres. La société constitue une unité organique. Chaque membre partage les souffrances et les joies des autres. Aussi est-il dit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Rabbi Aqiba dit : C 'est là le grand principe de la Torah. Ben Azay dit : le verset "1 'homme fut créé à l 'image de Dieu " (Gn 5, 1) est encore plus grand, car il incite au respect de l 'hom­me » (Ned 9, 4 Talmud de Jérusalem).

Ces deux citations de la Torah orale divergent, on ne peut plus, des réflexions occidentales et des méditations classiques chrétiennes. Cependant, par l' irrigation souterraine de la théologie de Paul, les Chrétiens occidentaux en dépendent. Libre à eux de les entendre ou non. Pourtant, ont une nou­velle fois tinté à leurs oreilles d'abord l' importance de la femme et du couple, ensuite l'appel à vivre l'incarnation. Les disciples, les apôtres, les croyants ont à vivre de façon concrète tous les rapports avec le prochain. Les responsables transmettent cela avec la grande phrase de la Torah, répétée et répétée, par les Juifs, par Jésus et ses amis.

L'éthique du mariage proposée par Paul est rigoureuse­ment la même que celle de la Torah. S' il compare l'alliance du Christ et de l'Eglise au couple, et réciproquement, c'est pour enseigner aux croyants leurs propres aptitudes et leurs propres compétences pour faire l'harmonie du monde. S ' il appuie son exhortation de la vie du couple sur le commande­ment : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! », et s 'il semble de prime abord le réduire à une situation particu­lière de la vie de l'humain, c 'est pour rester dans le sillage de son peuple. Car il sait comment l'expérience et la sagesse

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TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI-MÊME !

du peuple d'Israël portent fruit. Paul transmet silencieuse­ment son inspiration d'apôtre aux Chrétiens très éloignés de sa propre identité. L'inspiration, pour son peuple, n'est pas d'abord l' imposition de paroles venues directement d'en haut. L'inspiration, c'est la respiration, le dialogue jamais terminé avec la Torah écrite, les Prophètes et les Ecrits, afin de proposer des conduites à tenir pour chaque circonstance de la vie. L'inspiration, c'est la respiration et les échanges continuels, dont la pédagogie est la Torah orale, afin de tou­jours chercher à améliorer ses gestes et ses attitudes. Et quoi de plus important que l'attitude et les gestes de la vie du couple ?

Lisant la Lettre aux Ephésiens, le Chrétien ne s'excitera plus contre une prétendue misogynie de Paul. Car il ne por­tera plus d'abord ses yeux sur la phrase : « Que la femme craigne son mari ! » Il écoutera d'abord le commandement donné au mari : aimer sa femme comme lui-même, c 'est ne voir en elle aucun défaut. Alors, il peut coucher avec elle et elle peut le recevoir dans son intimité. Le cœur de son mari s'appuie et se confie en elle (Pr 3 1 , 1 1 ). Ils sont deux, sans honte (Gn 2). Ils font une chair une.

Mais pour entendre Paul, Apôtre de Jésus, il faut connaître et fréquenter ses amis, de la Torah orale. Ils ne cessent de vivre l'Incarnation.

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Quel est le premier commandement ?

Un certain Grand l'interrogea en disant : Bon Maître, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? Jésus lui dit : Que me dis-tu « bon » ? Personne n'est bon sinon Seul Dieu, Un ! Tu sais les mitswot : Tu ne feras pas l 'adultère. Tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas. Tu ne porteras pas de faux témoignage. Honore ton père et ta mère.

Le 18, 1 8-20.

Il y a plusieurs façons de parler du premier commande­ment. On peut répondre, à la manière de Jésus, par les deux commandements de l'amour du Seigneur et de l'amour du prochain (Mt 22, 34-40 et Mc 1 2, 28-34). Ou bien, on peut chercher le premier dans le déroulement de la Torah. C 'est alors le premier mot que Dieu dit à l'humain : « Multipliez­vous ! » (Gn 1 , 28). Israël l 'a entendu et a persisté à le suivre1 • Ou encore, on peut répéter et apprendre la première des dix Paroles écrites par le doigt de Dieu sur les Tables de pierre descendues de la montagne par Moïse : « C'est Moi Le Seigneur ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison des esclaves ! » (Ex 20, 1 ). Répètent cette Parole ceux qui ont éprouvé sa force et son exigence durant des

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QUEL EST LE PREMIER COMMANDEMENT ?

générations. Peuvent l'apprendre et la découvrir ceux qui, bizarrement, ont été distraits de sa vitalité. Par étourderie ? Par respect ? Volontairement ? Manque de discernement ? Car, comment proclamer une série de commandements à pro­pos de Quelqu'un lorsque l'on ne sait pas de Qui l'on parle ? Cela fut pourtant, pendant des siècles, l' insouciance de beau­coup d'Eglises chrétiennes. Leur attitude provoqua un déca­lage dans les Dix Paroles. La première, considérée comme une introduction ou un prologue, ne fut pas prise en compte. De ce fait, la deuxième Parole devint première, la troisième seconde, etc. Mais il y eut surtout un désordre dans l'appré­ciation et l'intelligence de la vie de foi et de la morale. Désordre se dit en hébreu « Pharaon ». Et si Pharaon, le roi d'Egypte, oublie Joseph (Ex 1 , 8), il opprime les Hébreux. Les Hébreux ont deux raisons de ne pas oublier 1 'Egypte. Ils les chantent dans la prière du Qidoush, le jour de Shabat. D'abord, ils décident de ne jamais accepter d'être enfermés : ils font mémoire de leur sortie d'Angoisse et de Celui qui les en a fait sortir. Ensuite, ils désirent satisfaire à leur vocation de compréhension et de solidarité envers les opprimés et les étrangers.

Le premier commandement est donc spécifique et constitu­tif du peuple d'Israël et de son parcours : de son histoire, au sens d'enfantements et de naissances. Il n'appartient pas aux sept lois noahides (p. 59) et les nations n'ont pas à se l 'appro­prier. Doivent toutefois l'aborder avec respect, et le considé­rer, ceux qui se réclament du Juif Jésus. Car Lui, Il a partagé avec son peuple le vécu effectif de la première des Dix Paroles.

Les Dix Paroles sont présentées aux Enfants d'Israël comme deux Tables de cinq. La première Table montre les devoirs envers le Seigneur. Elle est indissociable de la seconde qui précise, de façon très concise, les devoirs envers le prochain (p. 6 1 ). Les Paroles-commandements se corres­pondent deux à deux. Parlant de la première, on sera astreint à écouter la sixième : « Tu ne tueras pas ! » Celle-ci a son

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L'IDENTITÉ JUIVE

correspondant dans les sept lois noahides, mais il n'est pas du tout formulé de la même manière. La loi noahide dit : « ne pas verser le sang ». La sixième Parole des enfants d'Is­raël est énoncée avec un verbe très peu employé dans la Torah. Ce verbe est retrouvé seulement dans le soin porté à l'établissement des villes de refuge ( 1 8 fois en Nb 35 ; 2 fois en Dt 1 9, Dt 4, 42 et Dt 22, 26). Là, les Lévites rééduquent les meurtriers, volontaires ou involontaires, et les protègent des « vengeurs de sang ».

En outre, sept des Dix Paroles sont exprimées avec ampleur, sous forme négative, et trois sont énoncées sous forme positive. Ecrites sur la Table des commandements envers le Seigneur, la première, la quatrième et la cinquième donnent respectivement le Nom du Seigneur, la mémoire et la garde du Shabat, et le poids à reconnaître au père et à la mère. De plus, la première et la cinquième encadrent les autres et sont en inclusion (tableau p. 6 1 ). Pour la cinquième, le poids à reconnaître à ceux qui ont enfanté permet au croyant de s'insérer dans une famille et dans une histoire. Il a ses droits et ses devoirs envers les autres : les collatéraux

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d'une part, et les ascendants et les descendants d'autre part, avec la responsabilité de la transmission. La saine communi­cation indispensable à l'intérieur de la famille, quel que soit chacun des deux parents, est assortie d'une clause concrète et précise, on pourrait presque dire historique et géographique : « Donne du poids, honore ton père et ta mère afin que s'al­longent tes jours sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne » (Ex 20, 1 2). L'autre formulation est celle-ci : « Donne du poids, honore ton père et ta mère selon ce que le Seigneur ton Dieu a commandé, afin que s'allongent tes jours et afm qu'il y ait du bon pour toi sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne ! » (Dt 5, 1 6). « Les jours allon­gés » et le « bon » sont peut-être les enfants et les enfants des enfants. Ils seront attribués comme récompenses à celui qui pratiquera le commandement. Ils ouvriront l 'avenir. Ils feront pénétrer dans la durée. La Torah orale entend, répète et annonce cette notion du temps comme la Résurrection des morts (Qid 39b ). De plus, la promesse liée à la reconnais­sance du père et de la mère est affirmée pour un lieu particu­lier. « Le sol, la terre, Adamah », féminine en hébreu, « est donnée par le Seigneur ton Dieu ». On peut alors faire mémoire de la première Parole qui, elle, prononçait le nom « d'un pays, d'une terre, Erèts », féminine aussi en hébreu, « la terre d'Egypte », d'où personne ne peut sortir si ce n'est par « Moi le Seigneur ton Dieu » !

La lecture liturgique est en général écoutée en position assise, mais pour écouter les Dix Paroles, on se lève. La pre­mière Parole est le signe de l 'explosion et de la brèche ouverte dans l'oppression. On entend alors le récit du dépla­cement et du passage des enfants d'Israël, depuis le pays, la terre d'Egypte, et la maison des esclaves, jusqu'au Sol, jus­qu'à la Terre donnée. Là, chacun doit assumer sa vie de fils et de fille. Chacun accueille les dons, la gratuité et le choix de Celui qui est à l 'origine de Son peuple. Chacun a des droits : la terre, les enfants, la Résurrection. Mais chacun devra répondre en accomplissant et en s'acquittant de ses devoirs dont celui d'honorer son père et sa mère. Telle est la

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communication saine de la Parole et sa transm1ss1on en actes : c'est l 'exigence et la pédagogie du Seigneur envers Son Peuple.

Le Midrash Rabba est souvent raconté au sujet des lettres de l 'alphabet qui voulaient toutes être choisies pour commen­cer la Torah. Elles s'avancèrent, en commençant par la der­nière, chacune avec d'excellents arguments. Mais chacune était réfutée. Finalement, le Seigneur choisit l 'avant-dernière qui se présenta, c'est-à-dire la deuxième lettre de l'alphabet, beth2• Alors, la première lettre, aleph, n'osait plus s'appro­cher. Mais le Saint, Béni soit-Il, l'appela et Il lui dit : « Le monde et sa plénitude n 'ont été créés que par le mérite de la Torah, (donc avec le beth) comme il est dit : Le Seigneur a fondé la terre par la Sagesse (Pr 3, 19). Pour demain, quand Je viendrai donner la Torah sur le Sinai; Je n 'ouvrirai et ne commencerai que par toi (donc avec le aleph), comme il est dit : Moi, Le Seigneur ton Dieu ! » (GnR 1 , 1 1 et Zohar) . « Moi », en hébreu, commence par un aleph. Ainsi, les Dix Paroles commencent par un aleph, et la tradition juive dit que le aleph, lettre imprononçable, est le Nom du Sei­gneur3.

La première des D1x Paroles nomme l'origine des fils d'Is­raël sortis d'Egypte Affirmation plutôt que commandement. Transcendance de l'Etre absolu. Et pourtant, chaque membre du peuple d'Israël, peuple de Dieu, est en lien étroit avec ce Nom. Il doit le reconnaître non seulement par la foi, mais par sa vie spirituelle manifestée et communiquée en actes et en comportements. Il est appelé à accepter la relation de proximité et d'intimité que lui donne le Seigneur. Il écoute. Et tinte à ses oreilles le tutoiement de l'Alliance : « Je t'ai fait sortir de la terre d'Egypte, de la maison des serviteurs. » Egypte, Mitsrayim, signifie dans la langue du peuple de Dieu : « angoisse dynamique, double angoisse, angoisse parfaite, lieu où l'humain est définitivement coincé et serré ». En sortir sera le fait d'une intervention divine, seule capable d'ouvrir

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QUEL EST LE PREMIER COMMANDEMENT ?

l 'impossibilité. Cette intervention se dit « miracle, merveil­le » en hébreu. Cependant, cette intervention de la part du Seigneur requiert la charité de 1 'humain envers le Seigneur. Comme Abraham (Gn 1 5, 6), que l'humain ait confiance et croie en l 'Œuvre et en la Manifestation du Seigneur.

Afm de mieux mesurer l'angoisse qu'est l'Egypte, il faut aussi entendre 1' autre terme de 1' enfermement : « la maison des serviteurs ». Là, le serviteur n'est pas simplement l'es­clave physique. Il a été forcé au service, au culte des idoles, ou bien il s'est soumis lui-même inconditionnellement à la servitude dégénérée, à l' idolâtrie, à l'Avodah Zarah. Il est dans la situation déclarée inhumaine par les sept lois noa­hides, puisque l'une de ces lois universelles pour tous les humains interdisait étonnamment ce culte étranger. Faire sor­tir de la « maison des serviteurs », c'est faire éclater le sys­tème infaillible où l' idolâtrie est l 'assurance la plus cotée et la plus respectée. Cela n'est pas à la portée de tout le monde. Le peuple juif atteste, en accomplissant le premier comman­dement, que « Seul, Le Seigneur son Dieu » peut accomplir cela. Il témoigne qu'il en est bénéficiaire. Il accepte et il décide, autant que faire se peut, d'assumer ce dégagement de la servitude de Pharaon. Il veut servir le Seul Seigneur, lui rendre un culte, orienter toutes ses forces, tout son cœur, toute son âme, tout son tout, à ce seul culte, ce seul travail. Dans ce sens-là, il « travaillera » toujours et surtout le jour de Shabat, jour d'intimité avec le Seigneur, jour par excel­lence du culte et du « service » envers le Seigneur. Héritier de cet enseignement pharisien, Jésus dira donc qu'Il « tra­vaille toujours » et que le Père est toujours au Fils (Jn 5, 1 7). Les rabbins, dans le même désir d'intimité du Jour du Sei­gneur, diront que le Juif entre un peu plus « dans la noblesse de la vocation de fils4 ».

Cette attitude évoque simultanément les Lévites dont l 'un des soucis était la réhabilitation des meurtriers. On rejoint le projet initial des deux commandements, le premier et le sixième, côte à côte sur les deux Tables de la Torah. Tant que l'humain ou le croyant n'est pas sorti de l'angoisse et

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de l' idolâtrie, tant qu'il ne reconnaîtra pas le Créateur et le Rédempteur, tant qu'il n'admettra pas que Dieu a créé l'homme à Son image, il aura peur de l 'autre. Son meilleur moyen pour lutter contre 1 'autre sera de le tuer, à coups de paroles, à coups d'actions, ou à coups de non-actions, d'omissions. Alors, le Midrash prononce une parabole (Mekhilta sur Ex 20, 1 3) : « Cela est comparable à un roi humain qui entra dans une province. On lui éleva des statues, on fit de lui des portraits, on frappa des monnaies à son effigie. Quelque temps après, on renversa les statues, on brisa les portraits, on oblitéra les monnaies, et ainsi on amoindrit 1 'image du roi. Ainsi, quiconque verse le sang, 1 'Ecriture le lui impute comme s 'il avait diminué la Ressem­blance du Roi ! »

La sortie d'Egypte est l'événement historique précis dont la mémoire est faite à Pâque, à chaque Qidoush, à de nom­breux moments de la prière, et lors de nombreux gestes quoti­diens. Mais avant tout cela, la sortie du pays d'Egypte et de l 'étouffement de l ' idolâtrie est un état d'esprit. Voilà pour­quoi elle n'est comparable à aucun autre événement, car elle est plus qu'un événement historique ou fondateur. Elle est une dynamique, un apprentissage - cela se dit Lamèd, Tal­mfd, Talmud5, en hébreu - pour ceux qui désirent marcher et aller de 1' avant.

Certains Chrétiens ont dit et pensé : « La Pâque des Hébreux libère d'Egypte, la Pâque-Résurrection de Jésus Christ libère de la mort. » Peut-être n'ont-ils pas évalué le fossé dangereux qu'ils ont creusé pour d'autres et pour eux­mêmes, en disjoignant la sortie d'Egypte et la Victoire sur la mort. Ils désirent établir des comparaisons et des supériorités pour se rassurer et se tranquilliser. Comme s' ils voulaient protéger et défendre Jésus. Mais Jésus n'a nul besoin qu'on le défende. Jésus est incarné dans un peuple, dans le peuple qui a accepté d'écouter le Nom du Seigneur : « C'est Moi Le Seigneur ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison des idolâtres. » Jésus confirme pour les non-Juifs

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QUEL EST LE PREMIER COMMANDEMENT ?

l '« état d'esprit et la respiration de ce Peuple ». Son peuple refuse d'être esclave. Il dit chaque matin en s'adressant d'abord au Seigneur, puis en l'annonçant au monde : « Béni sois-Tu, Seigneur, notre Dieu, Roi de l 'Univers, qui ne m'a pas fait esclave ! » Il accepte de ne plus être soumis à la peur et à l 'angoisse. Il discerne qu'il doit être au large, debout, non esclave, pour servir le Seigneur Seul. Même dans ses gestes les plus répétitifs, même dans ses rites les plus rigou­reusement ordonnés - le repas pascal est appelé Sédèr, ordre, ordonnancement, et la prière est appelée Sidour, ordonné -Israël, peuple de Dieu, doit discerner continuellement entre l 'apparence routinière de ses actes et leur valeur.

Voilà sa vie spirituelle : - Redonner à chaque geste mille fois répété une vitalité ; - Réécouter le Nom de Celui qui fait sortir de l'Angoisse

inextinguible et des tentations qui subjuguent inexorable­ment ;

- Réajuster chaque jour sa compréhension des gestes concrets à poser envers son Dieu et envers les autres. C'est l'attitude d'Abraham qualifiée par l'Ange du Seigneur de « crainte de Dieu » (Gn 22). Les sages disent en effet qu'Abraham tenait le couteau levé et réfléchissait. Il repassait et récitait toute la Torah. Lui était-il possible de tuer son fils alors qu'il ne faut pas tuer ?

- Raconter, réciter, et répéter à voix haute la sortie d'Egypte avec tous les intervenants, et le rôle primordial des femmes. C'est le principe et la méthode de la Haggadah. C'est aussi la musique de certains Psaumes du Hall el (Ps 1 1 8, 56) et des Psaumes des Montées (Ps 122 ; 1 28).

- Réapprendre chaque jour à s 'étonner et renouveler son questionnement. Pourquoi, par exemple, le Seigneur, capable de faire sortir son peuple, annonce-t-Il Lui-même (Ex 14, 4) qu'Il va « endurcir le cœur de Pharaon » ?

Pour être intelligent de ces choses, le disciple doit avoir mémoire de la pédagogie des bénédictions-malédictions, des Béatitudes. Le cadeau de la liberté totale est donné à 1 'hu-

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L'IDENTITÉ JUIVE

main. C'est une force et une capacité qu'il reçoit pour lui permettre d'aller jusqu'au bout de lui-même, dans un sens ou dans un autre. C'est à lui à décider.

Ainsi, cette vigilance, ce désir perpétuel d'avancer, cet acquiescement à se réveiller au jour le jour, font-ils d'Israël un peuple en éveil. Jésus ne pouvait venir que dans ce peuple pour manifester aux Chrétiens la Sortie de la mort et l 'Eveil.

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Dis seulement une parole et je serai guéri !

Comme Il entrait dans Kphar Nahum, un cen­turion s'approcha de lui en le suppliant. Il dit : Seigneur, mon enfant est atteint dans la maison, il est paralysé et terriblement tourmenté. Il lui dit : Moi, je vais le guérir. Le centurion prit la parole et déclara : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri.

Mt 8, 5-8.

Le chapitre en regard de celui-ci avait pour titre « Tu aime­ras ton prochain comme toi-même ». Paul avait entraîné le lecteur dans une application et particulière et universelle de ce commandement : celle de l'amour conjugal qui rayonne au monde. Ce chapitre-ci annonce 1' acte de foi central de la liturgie de l'Eucharistie. Où les évangélistes vont-ils emme­ner les disciples ? A Kphar Nahum, chez un étranger à Israël, selon Matthieu et Luc (Mt 8, 5- 1 3 et Le 7, 1 - 1 0). En Galilée certainement, selon Jean, puisque le vocable Galilée est entendu six fois en douze versets (Jn 4, 43-54).

Mais la question du lieu en appelle d'autres. D 'abord la question du temps et de l'heure. Vers quelle heure Jean va-

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L'IDENTITÉ WIVE

t-il conduire son auditeur ? A la septième heure. Cette heure­là est évoquée une seule fois dans toutes les Ecritures chré­tiennes. Mais les évangélistes, parcimonieux par nature, adressent des invitations discrètes, à saisir au vol. Cette sep­tième heure est en hapax. Pourtant les peuples sémites aiment bien le chiffre sept. La septième heure vient juste après midi, après la sixième heure. Au Moyen-Orient, à cette heure-là, on sent déjà que le soir tombe. Pourquoi Jean la précise-t-il pendant que Matthieu laisse la souplesse de l' indéfini et dit : « à cette heure-là » ? Matthieu a-t-il adopté le procédé du Talmud qui prend plaisir à laisser chercher ? Jean a-t-il choisi le midrash des différentes heures du sixième jour de la Créa­tion ? Dans le Traité Sanhédrin, il est enseigné : « A la sep­tième heure, Eve fut donnée à l 'homme comme compagne » (Sanh 38b) ! La septième heure serait le temps de la plénitude de l'humain, du couple, homme et femme, et de l 'accomplis­sement de leur foyer, de leurs fruits : la santé de leur progéni­ture. Or, Jean localise cet événement à Qanah, comme deuxième signe de Jésus, là où le premier signe avait été accompli pendant et pour un mariage. Sans doute, selon la conviction de son peuple, veut-il transmettre l'importance du couple, du mariage, de 1' enfantement et des générations. L'homme qui demande la guérison semble seul, mais il est père. Il y a, ou il y a eu, de toute façon, une femme. Selon les évangélistes, il est officier royal et a un fils (Jn 4, 46) ; centurion romain qui sait gérer et diriger ses serviteurs, et il a un enfant (Mt 8, 5-6) ; centurion étranger qui a construit une synagogue, et il a un serviteur (Le 7, 2). Jean insiste sur la septième heure. Dans le peuple d'Israël, c'est aussi l'heure de la veille de Pèsah où le levain est définitivement éliminé (Pes 2 1 a). Israël entre ainsi dans la fête des Matsot, dans le temps des repas où les êtres se nourrissent d'une nourriture sans la moindre parcelle de levain ou d'orgueil.

Matthieu, lui, conduit son auditeur jusqu'aux temps du fes­tin du royaume des cieux. Là, tout sera apprêté pour les convives « venus du Levant et du Couchant et attablés avec Abraham, Isaac et Jacob ». Et certains « Fils du Royaume

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DIS SEULEMENT UNE PAROLE ET JE SERAI GUÉRI !

seront jetés dehors, dans les ténèbres de dehors. Là seront le pleur et le grincement de dents ». Matthieu n'oublie pas de montrer Jésus enraciné dans son peuple. Les actes du présent se répercutent dans le monde à venir. Et Jésus, au diapason de la Torah orale, s'émerveille sans relâche de tous ceux qui jouiront de la résurrection des morts. Dans son peuple, on dit : « Les justes seront assis, le front ceint d 'une couronne. Ils jouiront de la splendeur de la Présence divine. Il verront Dieu, ils mangeront et ils boiront » (Ber 1 7a et Nid 73a). Les sages, enseignant le discernement, font la liste de ceux qui n'auront pas part au monde à venir (Sanh 90a, 99a, 1 07b). Ils disent aussi : « Le Saint, Béni soit-Il, a donné dans ce monde un avant-goût du monde à venir à Abraham, Isaac et Jacob » (B.B. 1 7a). Ainsi l'évangéliste relie-t-il le centurion aux patriarches, et à la foi méritante d'Abraham qui fut consi­dérée comme charité par le Seigneur Lui-même.

Abraham est bien présent lors de la rencontre de Jésus avec cet étranger, car Matthieu et Jean font résonner l'appel de Jésus « Va ! » comme celui lancé deux fois par le Sei­gneur à Abraham. D'abord, le Seigneur 1' appela à partir depuis Our (Gn 12), ensuite, à partir pour élever son fils sur la montagne (Gn 22). Or, depuis des siècles, et même avant Jésus, la Torah orale a ainsi entendu ce « Va ! » : « Va vers toi ! Deviens toi-même ! » Dans Matthieu, Jésus dit : « Va vers toi ! Qu'il t'advienne comme tu crois ! » (Mt 8, 1 3) ; Il appelle l'homme adulte à la maturité. Dans Jean, Jésus dit : « Va ! Ton fils vit ! » Et tel Abraham qui, devant la Parole du Seigneur, crut en une descendance (Gn 1 5, 6), de même, devant Jésus, « l'homme crut à la Parole que Jésus lui avait dite, et il partit » (Jn 4, 50).

La Tradition chrétienne a apprécié cet acte de foi. Elle a emprunté à cet homme étranger mais bienveillant pour Israël sa confession de foi. Elle 1' a donnée et enseignée aux Chré­tiens comme clef pour ouvrir à la communion eucharistique. Celle-ci est reçue du dernier repas de Jésus, un repas de Pèsah, où, depuis la septième heure, il n'y a plus ni levain

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ni suffisance. Avant le concile Vatican II, les Catholiques disaient : « Seigneur, je ne suis pas digne que Vous entriez sous mon toit, mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie ! » Cela avait le gros inconvénient de dissocier l 'âme et le corps, la vie spirituelle et le concret quotidien. Cela pouvait provoquer la dépréciation du corps. Mais cela avait l 'avantage de mieux ressembler au centurion qui demande pour un autre dont il est responsable, son serviteur, son fils. En effet, les Evangiles nous montrent une guérison à distance accomplie sur un tiers innocent grâce à un adulte qui croit. Sa foi a même des retentissements sur sa famille et sa société. Il est intéressant de noter comment Jean nomme cet homme. Il le désigne en tant que basilikos, officier royal, terme permettant à chacun de se reconsidérer comme roi, responsable d'un groupe humain et d'une communauté de vie.

Depuis le concile Vatican Il, les Catholiques disent : « Sei­gneur, je ne suis pas digne de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! » Cette formulation plus person­nelle doit éveiller le croyant à sa responsabilité originale en tant que bénéficiaire de la guérison. Au moment essentiel de la communion, il a charge de mémoire. Et sa mémoire l 'ap­pelle, qu'il en soit conscient ou non, à Qanah de Galilée, lieu de mariage et d'enfantement de l'avenir. C 'est comme si l'Eglise lui donnait mandat pour l'avenir. C'est comme si sa propre parole confirmait son acceptation de ne pas réser­ver, de façon intimiste, le bienfait d'une nourriture. C'est comme s ' il décidait, à la face du monde, de l'extension sans limites de sa guérison en guérisons successives en faveur des membres de sa famille et de son entourage.

Or, les sages d'Israël s' interrogent sur la place de la guéri­son dans la Amidah, prière debout. La Torah orale ques­tionne : « Pourquoi la guérison occupe-t-elle la huitième place » (dans la série des dix-huit bénédictions) ? « Parce que, dit Rabbi Aha, la circoncision qui nécessite une guéri­son se fait le huitième jour ! » (Meg 1 7b ). De quoi étonner ! Car il a semblé aux Chrétiens que la circoncision était dépas-

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sée. . . Ils ont oublié que la circoncision était l'Alliance confiée à Abraham quand le Seigneur s'était manifesté à lui et lui avait dit : « Marche, avance-toi devant Moi, et sois parfait ! » (Gn 1 7, 1 1) . Pourquoi l'ont-ils omise ? Est-ce une peur non analysée et non reconnue ?

Il leur a semblé devoir occulter le chemin et la circulation des nombreuses énumérations de la Torah orale : « La cir­concision est une grande chose. Son importance égale celle de tous les commandements réunis. » Et à propos d'Abraham (Gn 1 7), « Rabbi disait : La circoncision est une grande chose. En effet, bien qu 'il n 'ait jamais existé de juste aussi accompli que notre père Abraham, c 'est la circoncision qui lui conféra le titre de parfait, car il est dit : Marche devant Ma face et sois parfait ! » (Ned 32a).

Peut-être aussi ont-ils voulu oublier le nom hébreu de la circoncision : milah signifie aussi « mot ». Du coup, les Chrétiens ont obscurci le droit à la communication et le devoir de communiquer. Mais si la mémoire revient, alors la circoncision n'est plus à entendre comme une pratique bar­bare et désuète. Elle devient une chance de dialogue et d'échange pour une meilleure communauté de vie. Elle ouvre à des liens réciproques, vécus dans 1 'honnêteté, pour une communion plus riche.

La Première Eglise a choisi d'enseigner cette humble prière pour la communion eucharistique des Chrétiens : « Dis seulement une parole et je serai guéri. » Sans doute avait-elle une vive conscience du rôle essentiel d'une telle demande de guérison. Cet acte de foi ouvrirait des liens, des rencontres et des dialogues. Les Chrétiens d'aujourd'hui doivent donc lui dire merci tout en recherchant quel fut son cheminement, et en approfondissant les enracinements et les sources de sa pédagogie.

Abraham, appelé parfait à cause de la circoncision ? Abra­ham, champion de la communication ? Alors pourquoi n'a­t-il pas présenté Sarah comme sa femme à Abimèlèkh, le roi de Guérar ? Pourquoi a-t-il risqué de provoquer chez le roi

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philistin, et dans toute sa maison, une stérilité fatale à court terme ? Et surtout, pourquoi la Torah occupe-t-elle tout un chapitre (Gn 20) pour raconter ces relations dénouées, puis nouées ?

En effet, lorsque Abraham arrive chez le Philistin Abimè­lèkh, la première question posée par le roi porte sur l'identité de Sarah. Abraham ne répond pas qu'elle est sa femme ; il affirme qu'elle est sa sœur. Le roi Abimèlèkh la prend donc - en toute légalité - comme concubine. Dans la nuit, Dieu lui révèle par un songe que Sarah est une femme mariée et qu'il ne peut l 'approcher. Le roi Abimèlèkh proteste de son innocence et Dieu lui communique des chemins de guérison s'il rend la femme qu'il a prise.

La Torah orale s' interroge sur l'attitude d'Abraham. Bien sûr, il avait remarqué le manque élémentaire de l'hospitalité (B.Q. 92a). Car la préoccupation première de l 'hôte est nor­malement de s'enquérir de la soif et de la faim de l'étranger. Donc, parce que la première question avait porté sur l ' iden­tité de Sarah, Abraham avait estimé qu'il n'y avait pas là de crainte de Dieu. Il avait joué leur jeu. Mais la Torah orale insiste beaucoup sur les répercussions en chaîne de ce manque d'hospitalité. Parce que Abimèlèkh avait pris pour lui une femme mariée, toutes les femmes de son royaume devinrent stériles.

Dans ce chapitre de la Genèse, très peu connu par les Chrétiens, deux termes apparaissent pour la première fois dans la Torah écrite (GnR 52, 8 . 1 3). D'après la Tradition, les premières occurrences des mots tiennent un rôle de référence. Ainsi, le chapitre 20 est essentiel pour le comportement spiri­tuel et relationnel des croyants. Les deux termes sont pro­noncés par Dieu Lui-même en un seul verset. A Abimèlèkh, qui argue de sa bonne foi par rapport au dire d'Abraham e: à l'égard de son comportement avec Sarah, Dieu communique l'identité d'Abraham. Il dit : « Oui, c 'est un Prophète, et il priera pour toi et tu vivras ! » (Gn 20, 7 : littéralement, « sois vivant ! » ).

Premier prophète, c'est Abraham. Première prière, c'est en

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o 10 20 30 km Négèv

Guérar, à l'ouest, avec des étrangers et Abraham, homme de la circoncision (Alliance)

Mer Méditerranée

Samarie

1 Judée

10 20 30 km +Jérusalem

La Galilée, au nord, avec des étrangers et Jésus, homme de la circoncision (Alliance)

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faveur d'un étranger à Israël, d'un roi. Il habite à Guérar où Abraham venait séjourner au cours d'un voyage. La prière d'Abraham le migrant sera efficace seulement si ce roi étran­ger respecte le couple de l'autre, le mari et la femme, et s'il est zélé à cette intégrité.

En outre, les deux premiers versets de ce chapitre (Gn 20) ont une phonétique spéciale qui répète trois fois la musique de guer, guérar, migrant. Dans les langues sémites, des lettres phonétiquement proches peuvent être permutées2• Le R est une consonne liquide très proche du L, il suffit de rouler un peu le R. Dire Guérar peut donner à entendre Gué­lai, Galal. . . la Galilée dite six fois par l'évangéliste Jean (Jn 4, 43-54 cf. p. 82 et 99).

Et voici ! La Torah orale insiste sur la présentation par Dieu Lui-même d'Abraham comme prophète et comme priant. Elle dépeint le roi Abimèlèkh constatant la stérilité de toutes les femmes de son royaume, à cause de Sarah qu'il avait prise. Il va rencontrer Abraham. Il lui dit (ExR 20, 1 0-1 2) : « Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement un mot et ma maison sera guérie ! »

Abimèlèkh, roi philistin, reconnaît en Abraham un homme de Dieu, 1 'homme du Mot, de la communication, de la cir­concision, qui peut le sauver de la mort en lui donnant possi­bilité d'une descendance.

N'est-ce pas la démarche du païen de Kphar Nahum ? Il reconnaît en Jésus, homme circoncis, celui qui est du côté du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Israël, qui va pouvoir faire vivre lui, et son fils, « et toute sa maison » (Jn 4, 53).

N'est-ce pas ce que proposent les Eglises à leurs fidèles ? De s'avancer vers l'Intercesseur, vers Celui qui s'est incarné dans le peuple d'Israël, pour communiquer avec Lui, et pour implorer de Lui la guérison de la famille ?

Abimèlèkh avait protesté devant Dieu de son intégrité. D'après la Torah écrite, Dieu lui avait répondu : « Moi­même, Je t'ai empêché de pécher contre Moi » (Gn 20, 6). La Torah orale remarque que le verbe pécher, hâtah, écrit de

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façon défective, hât, est homonyme de hât, aiguille. Avec le Zohar, elle dit : « Chaque péché est comme une aiguille enfoncée dans la chair vivante de la Divinité3 ! » Cependant la Tradition remarque la prévenance de Dieu ; Il dit : « C'est pourquoi Je ne t'ai pas donné d'approcher d'elle » (de Sarah, la femme de cet homme) !

N'est-ce pas l'attitude du centurion de Kphar Nahum, plein de déférence envers Jésus et conscient de sa place exté­rieure au peuple d'Israël ? Mais il ressent profondément la Présence attentive du Dieu d'Israël pour lui.

N'est-ce pas l' itinéraire balisé par la Tradition chrétienne ? Elle donne à dire cette parole au moment de la procession de communion, aussitôt après l'annonce du prêtre : « Voici 1 'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. »

Abimèlèkh s'est levé tôt pour parler à Abraham, et quand il commence à s'entretenir avec lui, la Torah orale sait « que les portes de la guérison sont ouvertes : l 'occlusion des organes inférieurs, des oreilles, du nez, va être guérie » (GnR 52, 1 0- 14 ; ExR 20). La Torah écrite dit : « Et Abra­ham pria vers Dieu et Dieu guérit Abimèlèkh et sa femme et ses servantes, et ils enfantèrent » (Gn 20, 1 7). Le dernier verbe étant souvent traduit par : « ils (masculin pluriel) furent élargis ».

Abimèlèkh, averti en songe, sollicite d'Abraham la grâce d'un Mot, d'une prière, d'un dialogue avec le peuple de la circoncision. Il se reconnaît petit devant cette Présence qui habite au milieu de son peuple. Il demande à Abraham de prier, de mettre en lumière (c'est le premier sens de prier en hébreu : mettre au jour), d'élargir et d'ouvrir ses femmes et ses servantes, de faire naître, de faire vivre. Désormais, Sarah pourra enfanter (Midrash Tanhoumah B Wayèra 36). Jus­qu'aujourd'hui, la Tradition juive insiste sur cet événement : « La prière d'Abraham pour le bien d' Abimèlèkh, de ses femmes, le sentiment d'obligation envers eux, en tant que commandés par Dieu, marquent sa piété du sceau irrécusable de l'éthique . . . . Comme s'il fallait en passer, d'abord, par

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l'appel d'une bénédiction sur autrui, par son devoir envers lui, pour que son bien à soi ait un sens. Pour que la grande joie du monde à la naissance d'Isaac, à la victoire de la vie, se renforce d'une chance semblable donnée par Dieu à d'autres femmes. Pour que toutes les nations se sachent inté­ressées à cette bénédiction, et que Dieu soit, pour tous, "source de vie"4• »

N'est-ce pas l'acte de foi de l 'officier royal de l 'Evangile (royal se dit mèlèkh) qui se voit bien petit devant Jésus, et incapable de bien Le recevoir ? Mais il croit que ce prophète sorti de Galilée (Jn 7, 52), comme Abraham, le prophète de Guérar, peut guérir son enfant5, sa famille, sa maison, son couple. C'est la septième heure !

N'est-ce pas la vie spirituelle que la Tradition chrétienne désire transmettre en faisant « réciter et répéter » cette parole entendue à Qanah ? Dans son choix, l'Eglise primitive savait la signification profonde de Qanah, le Zèle : la « Manifesta­tion de la Gloire du Seigneur lors du premier signe à Qanah de Galilée » (Jn 2, 1 1 ). Zèle réitéré en faveur d'un païen ici, comme pour ordonner, dans la logique de chacun, sa place et la place de l'autre, et le respect du prochain. L'Eglise acquiesçait à montrer Jésus, incarné dans son peuple, peuple élu pour que vivent les nations. L'Eglise voulait tenir son rôle d'appeler ses croyants à la mémoire des relations et des communications par la parole et le mot entre elle-même et Israël !

La Première Eglise fut vigilante dans ses choix, dans son enseignement, dans son souci d'intégrité et de maturité pour ses membres. Emerveillée de la vitalité qu'Israël puisait dans les midrashim, elle désirait en faire vivre ses fidèles.

« Qu 'est-ce que "Il priera pour toi, et que tu vives " (Gn 20, 7) ? Parabole d 'un gouverneur de province qui envoya son serviteur chez le juge pour le frapper. Il pria et recher­cha son acquittement de la part du juge. Le juge lui dit : A moi, tu ne m 'as rien (aucune chose, aucun acte, aucune parole) fait. Que ton maître dise seulement un mot, et moi,

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je te laisserai tranquille 1 Ainsi Dieu dit : Abraham m 'a remis le jugement depuis hier, et Moi, J'ai écrit que Moi (Ps 146, 7), Je fais le Droit aux opprimés. Et toi, tu 1 'as opprimé. Il priera sur toi et Moi Je te secourrai comme il est dit : Il priera pour toi et tu vivras 1 » (ExR 20, 10-12).

La Première Eglise avait accueilli la force de ce « Psaume du Droit aux opprimés », le Ps 146, dans la prière du matin des Juifs. Elle recevait d'eux l' intelligence des mérites d'Abraham, « Père d'une foule de nations ». Elle choisit d'en nourrir ses membres en un moment important de sa liturgie.

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Pas un yod ne s'en ira de la Torah

Ne pensez pas que je sois venu pour terminer la Torah et les Prophètes. Je ne suis pas venu terminer mais emplir. Oui, Amen, je vous dis ! Aussi longtemps que s'écouleront le ciel et la terre, un seul yod ou une seule couronne de lettre ne s'écoulera aucunement de la Torah, aussi longtemps que tout arrive. Si donc quel­qu'un détache une de ces plus petites mitswot, et enseigne ainsi aux hommes, il sera appelé le plus petit dans le Royaume des Cieux. Mais si quelqu'un la fait et l'enseigne, il sera appelé grand dans le Royaume des Cieux.

Mt 5, 1 7- 19.

Une même Parole, vitale et essentielle pour deux groupes différents, cela arrive souvent, remarquait-on dans le premier des cinq chapitres actuels. Les Juifs et les Chrétiens n'ont pas la même interprétation de la Parole, ce qui somme toute est très pharisien. Pourtant, le deuxième groupe a souvent oublié les connivences entre Jésus et Moïse, entre Jésus et Josué, entre Jésus et Salomon. Les Chrétiens pensent connaître la leçon du yod, la plus petite lettre de l'alphabet, iota grec, et « point sur le i » français. Jésus la donne une seule fois, au début du Sermon sur le mont, dans l'Evangile de Matthieu (Mt 5 , 1 7- 19). Les Chrétiens doivent d'abord la

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raccorder à la fin du même Sermon avec laquelle elle fait inclusion. Là, Jésus dit : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, ainsi faites-le vous-mêmes pour eux. Voici la Torah et les Prophètes ! » (Mt 7, 1 2). Là, Jésus est très proche de la sentence d'Hillel : « Ne fais pas à ton pro­chain ce que tu ne veux pas qu 'il te fasse. Voilà toute la Torah 1 » (Shab 3 la) . Lorsque les disciples, les talmîdîm, ou les foules qui suivent Jésus, entendent ces paroles, l 'ensei­gnement de Jésus ne les surprend pas. Il sonne à leurs oreilles sur un air connu et confirme l'attachement et l 'incarnation de Jésus dans son peuple.

En second lieu, les Chrétiens doivent exercer leurs oreilles aux harmoniques données au yod par Jésus et son peuple .

.,

Un yod, par rapport à la ligne d 'écriture, avec les six lettres qui l 'entourent dans l 'alphabet, pour comparer (l 'hébreu se lit de droite à gauche).

Le yod a, en quelque sorte, façonné la main (main se dit yad) et la mentalité des Hébreux et des Juifs. En effet, comme le yod est la plus petite des lettres de l'alphabet, il n'est pas inclus entre les deux lignes d'écriture. Si l'on écrit par rapport à la ligne virtuelle ou effective d'en bas, le yod n'a pas de support d'écriture. Pour lui, et grâce à lui, l'Hé­breu alignera les lettres par en haut. Ce faisant, l 'Oriental n'aura plus du tout la même main, ni la même appréhension, ni la même interprétation de la vie. Ecrire de droite à gauche est déjà toute une structuration de la pensée. Ecrire par rap­port à l 'en-haut pourrait alors être comparé à une coordina-

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tion spirituelle des mouvements et des gestes par rapport à celui qui est différent, par rapport à autrui.

Le yod, la plus petite des lettres, a de multiples atouts. C 'est la dixième lettre de l'alphabet, il a donc une valeur numérique de dix, l'un des chiffres parfaits. Il a pour fonc­tion, entre autres, de transformer le temps, et c'est une grande originalité de la langue et de la grammaire hébraïques. Or, l'homme hébreu est « celui qui passe ». Sa vocation est d'ha­biter et de parcourir le temps comme si le temps était pour lui une grande soukah, une grande cabane où il demeurerait et qu'il visiterait1 • Ce n'est pas le temps qui passe, c'est lui qui passe dans le temps. Pour traduire cela dans sa vie, deux conjugaisons grammaticales sont à sa disposition : l'accompli et l' inaccompli. La différence entre les deux ? C'est le yod, la plus petite lettre de l'alphabet. Quand il n'y a pas de yod, le verbe est à l'accompli dont le sens regroupe tous les temps du passé. Quand il y a un yod en préfixe, le verbe est à l'inaccompli, c'est-à-dire futur, conditionnel, subjonctif. Simplement, pour dire l'avenir, il suffit de mettre et de dire le yod devant le verbe, comme une main, comme un doigt pointé, un engagement, une décision. Alors, le futur est ouvert. Du fait de cette ouverture, le yod est la première lettre du Nom du Seigneur. Chaque fois qu'un yod sera écrit ou lu, sa présence évoquera le Nom du Seigneur et Son ouverture de l'avenir. Justement, dans certains moments d'intensité, les Sémites et les Hébreux manifesteront une discrétion et une fine sensibilité. Ils s'expriment avec raffinement dans les diverses harmoniques de leur être : expression orale et expression écrite. Et voici qu'ils prononcent un yod qu'ils n'écrivent jamais. L'exemple typique est le nom de Jérusa­lem. L'hébreu prononce Yéroushalayim, mais n'écrit jamais le yod de la terminaison -ayim, si bien que les transcriptions en grec (et dans les autres langues) ont reflété 1' écrit sans yod et ont dit -èm au lieu de -ayim, et donc Jérusalem. Lors­que les étrangers à Israël écrivent Jérusalem, ils ne se comportent pas comme les Hébreux et les Juifs. Ils lisent

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logiquement ce qu'ils écrivent, mais du coup, ils ne disent ni n'entendent plus le yod, première lettre du Nom du Seigneur. Dire « Jérusalem », c'est faire du nom de cette ville un Nom sans la Présence du Seigneur. Dire Yéroushalayim, c'est en1e­ver toute équivoque athée à la ville de la Paix.

La langue hébraïque offre d'autres surprises. Car si le yod est indispensable pour exprimer l'avenir, il est souvent néces­saire pour dire le passé. Il y a deux possibilités pour exprimer le passé : soit le verbe sans le préfixe yod, à l'accompli ; soit le verbe avec le yod, à l' inaccompli, précédé d'un autre pré­fixe qui change l'inaccompli en accompli. Pourquoi alors ne pas dire simplement l'accompli ? Pour que le passé contienne aussi la lettre de l'avenir, afin d'indiquer que l'histoire n'est pas définitivement terminée, et que le passé contient des germes d'espérance.

Accompli

Verbe seul

1 0N Temps passé

Inaccompli

Yod + verbe Yod indispensable

Temps futur

Inaccompli converti

Waw + yod + verbe Yod indispensable

Temps passé mais avec l'espoir de l'avenir

*L'écriture hébraïque va de droite à gauche. *En général, les verbes ont trois lettres.

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Ces formes de langage sont absolument intraduisibles dans une autre langue car elles appartiennent à la cohérence de 1' être hébreu et de l 'être juif. Le Chrétien doit savoir que les contemporains de Jésus l'entendent très clairement et le vivent profondément.

La Torah orale rapporte de nombreux épisodes de discus­sions, soit entre le yod et le Seigneur, soit entre Moïse et le Seigneur au sujet du yod. Pour comprendre mieux, l'Occi­dental doit savoir qu'il n'y a pas de majuscules dans la Torah écrite, et donc que toutes les lettres ont la même grandeur. Exceptionnellement, l'une ou l'autre lettre est écrite de façon plus grande ou plus petite que la normale. Cela est signalé dans le texte afin qu'en transmettant ou en copiant la Torah, 1' on reproduise fidèlement la grandeur de cette lettre, sa valeur, et ses ressources, et que l'on ouvre la recherche de ses motifs. Dans la Torah, un yod est écrit plus gros que les autres, en Nb 14, 1 7, lors de l 'intervention de Moïse devant le Seigneur en faveur du peuple. Le peuple en effet veut retourner en Egypte et refuse d'entrer dans la Terre donnée. Le Seigneur a décidé de le frapper de la peste et de 1' aban­donner en tant que peuple.

Alors Moïse raisonne devant Lui, en faveur d'eux, et aussi en faveur de l'éducation des nations pour qu'elles ne profa­nent pas le Nom du Seigneur. Il termine ainsi son argumenta­tion : « Et maintenant, que ta force, Y gdal, Grandisse donc, Seigneur, selon ce que Tu as parlé en disant2 • • • » Le yod de « Grandisse » est écrit, en caractère gras. Et Le Seigneur répond à Moïse, comme un enfant obéissant : « Je pardonne selon ta parole » (Nb 14, 20).

À propos de ce grand yod, il est bon de ne pas oublier cette notion essentielle pour Israël et capitale pour 1' enracinement intime de Jésus dans son peuple. Il est bon aussi d'écouter des discussions de la Torah orale. Elles paraissent quelque peu naïves, mais on peut les retrouver, d'une autre façon, dans l'Evangile. « Quand Moïse monta aux cieux, il y trouva le Saint, Béni soit-Il, qui ornait les lettres de couronnes. Le

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Seigneur lui dit : Eh bien, Moïse, le mot "Paix " n 'est-il pas en usage dans ta ville ? Il lui répondit : Est-il convenable qu 'un serviteur offre la paix à son Maître ? Le Seigneur lui dit : Tu aurais dû me souhaiter bon courage. Aussitôt Moïse lui dit (Nb 14, 1 7) : Que la puissance du Seigneur grandisse, yigdal, comme Tu l 'as déclaré ! » (Shah 89a).

« Lorsque Moïse est monté au ciel, il a trouvé le Saint, Béni soit-Il, en train d 'écrire les mots "Lent à la colère ". Il demanda : Maître du monde, faut-il entendre lent à la colère envers les justes ? Le Seigneur répondit : Envers les méchants aussi ! Moïse dit : Que les méchants périssent ! Et le Sei­gneur lui répondit : Tu ne tarderas pas à te rendre compte de ce qu 'il vaut mieux pour toi ! Lorsque Israël pécha, le Seigneur dit à Moise : Tu m 'as bien déclaré que tu préférais Me voir lent à la colère uniquement envers les justes ? Mais Moise lui répondit : Souverain du monde, ne m 'as-Tu pas dit que Tu entendais 1 'être également envers les méchants ? C 'est là le sens du texte : Maintenant donc, de grâce, que la puis­sance du Seigneur grandisse, yigdal, comme Tu l 'as déclaré, 1 'Eternel est lent à la colère ! » (Sanh 1 1 1 a- 1 1 1 b ).

« Le mot "grandisse " est écrit avec un grand Yod (Yod représente Dix quant aux valeurs numériques) : si dix hommes de cette époque T'ont éprouvé par dix fois, souviens­Toi des Dix Commandements qu 'ils ont acceptés, et des Dix épreuves dont les Patriarches ont triomphé3 ! »

Grâce aux visites de Moïse chez le Saint, Béni soit-Il, le lecteur de 1 'Evangile comprend maintenant les couronnes dont parle Jésus et que les traducteurs ont rendues par le « iota » ou par le « point sur le i ». Jésus dit en effet : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Torah ou les Prophètes. Je ne suis pas venu abolir mais accomplir. Car, amen, je vous dis. Jusqu'à ce que passent le ciel et la terre, un seul yod ou une seule couronne ne passera pas de la Torah jusqu'à ce que tout soit arrivé ! » (Mt 5, 1 7- 1 8). Jésus s'émerveille de l'application et de l'amour que le Père porte à la Torah, à ses finitions, à ses couronnes. Elles seront en effet, d'après la Tradition de son peuple, comme autant de possibilités

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d'adaptations à toutes les situations. Ceux qui ne connaissent pas le dynamisme de la Torah les jugent comme des carcans, mais elles jouent exactement le rôle contraire : elles sont autant de renouvellements et de libérations.

Un autre moment important à accueillir de la Torah orale pour mieux entendre la Parole de Jésus et son amour pour la Torah, c'est un midrash du Livre de l'Exode. La logique de ce midrash se risque à étonner et l'Occidental et toute per­sonne qui ne voudrait s'appuyer que sur la Torah écrite. Elle part de la manifestation du Seigneur à Moïse, sur laquelle s 'appuient les Pharisiens et Jésus pour dire leur foi en la résurrection des morts. Elle remonte donc à la manifestation à Abraham, Isaac et Jacob. Puis, par un verset du Livre de Qohèlèt, elle revient à Moïse et à Salomon. Quels sont leurs liens ? Moïse a donné la Torah et, en particulier, des règles précises pour la responsabilité du roi ; et Salomon fut roi.

« Quand le Saint, Béni soit-Il, donna la Torah à Israël, Il y donna des commandements positifs et des commandements négatifs, et quelques commandements pour le roi, comme il est dit : Il ne multipliera pas ses chevaux, il ne multipliera pas ses femmes, et son cœur ne s 'écartera pas, et il ne multi­pliera pas l 'argent et l 'or (Dt 1 7, 1 6). Le roi Salomon se tint et raisonna avec sagesse sur cet arrêt du Saint, Béni soit-Il. Et il dit : Pourquoi le Saint, Béni soit-Il, a-t-Il dit : "Il ne multipliera pas ses femmes " ? N'est-ce pas pour que son cœur ne s 'écarte pas ? Eh bien, moi, je multiplierai, et mon cœur ne s 'écartera pas 1 Nos Maîtres disent : A cette heure­là le yod qui est dans "multipliera ", monta et se prosterna devant le Saint, Béni soit-Il. Et le yod dit : Maître du monde, n 'as-Tu pas parlé ainsi : "Aucun signe ne sera jamais aboli de la Torah 1 " ? Or, Salomon se tient là et m 'abolit. Et là aujourd'hui, il abolit une lettre, et demain une autre jusqu 'à ce que la Torah tout entière soit abolie 1 Le Saint, Béni soit­Il, lui dit : Salomon et mille qui sortiront de lui seront abolis, et Je n 'abolirai de toi aucune extrémité ornée 1 Et d 'où ce qu 'il avait aboli de la Torah revint à la Torah ? Parce qu 'il

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PAS UN YOD NE S'EN IRA DE LA TORAH

est dit (Gn 1 7, 15) : Saray ta femme tu ne l 'appelleras pas Saray mais son Nom est Sarah ! Et il revint (Nb 13, 1 6) : Et Moïse appela Hoshéa fils de Noun, Yéhoshouah, Josué ! . . . Et Salomon avait dit : Dieu est avec moi, et je pourrai : je multiplierai des femmes et mon cœur ne s 'écartera pas ! » (ExR 6, 3-9).

Quant au yod enlevé à Sarah, un autre midrash4 le raconte autrement : « D 'Abraham aucune lettre ne fut enlevée, mais la lettre yod du Nom de Sarah est tombée. La lettre yod vit qu 'elle était sortie du Nom de Sarah la Juste. Elle partit se dresser devant le Seigneur. Elle pleura et dit : Seigneur mon Dieu, je suis petite, et je n 'ai pas une place appropriée pour être avec les grands ! Cependant, puisque j 'ai habité autre­fois dans le Nom de la Juste, veuille par Ton grand Amour avoir cette fois de la Tendresse pour moi, et place-moi dans le Nom d 'un homme béni ! Le Seigneur entendit la voix et le cri de la supplication de la lettre yod et Il lui dit : Puisque tu as bien parlé, Je grandirai mon Amour pour toi. Et au lieu d 'être la dernière des lettres de Saray, dès maintenant, tu seras la première dans le Nom d 'un Homme Juste et Puis­sant en vaillance ! C 'est Josué qui au début fut appelé Hoséa, et quand il sortit pour explorer la terre avec les autres explorateurs, Moïse pria pour lui : Le Seigneur te sauvera (yod du futur) du conseil des autres explorateurs (Nb 13, 1 6) ! Dès lors, la lettre yod fut ajoutée en tête de son Nom, Yéhoshouah, Josué. »

Ainsi, parlant du yod dès le début du Sermon sur le mont, Jésus se réclame de la Torah, écrite et orale. Il se rattache à Josué, Yéhoshouah, le successeur de Moïse. Il porte son nom, avec la première lettre, le yod. Il se reçoit de Sarah, « Sarah notre mère », comme disent les Juifs. Il déclare et garantit la succulence de la Torah, et donc sa relation avec Moïse, l'homme qui écrivit la Torah noir sur blanc et qui, de ce fait, reçut un visage lumineux et rayonnant5• Il appelle ses auditeurs et ses disciples, ses talmîdîm, à être vigilants et à

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L'IDENTITÉ JUIVE

ne pas passer trop vite à côté d'un essentiel qu'ils qualifie­raient de futile ou de passe-temps de scribes.

Jésus, à la face du monde, dit que le yod ne s'en ira pas. Le yod de l' intercession réussie de Moïse pour son peuple (Nb 14, 1 7). Le yod du chant de Moïse et des fils d'Israël (Ex 1 5). Celui-ci est le yod de la foi en la résurrection des morts et donc le yod d'une éthique de vie effective, concrète, relationnelle, fructueuse, de gens qui ne peuvent pas faire comme s'ils ne croyaient pas en cette résurrection des morts ! Ce yod est très connu dans le peuple de Dieu, si bien que tout le monde sait chanter le « Az yashîr Moshèh.. . Alors chantera Moïse ». C'est pourtant un chant difficile à admettre où les humains semblent se réjouir de la chute et de la mort des méchants. Il faut donc s'interroger sur ce chant et recher­cher sa motivation. Voilà la « leçon de haute moralité » que les sages tirent des midrashim : « La lecture attentive du texte biblique nous apprend que les Hébreux n 'entonnèrent point de cantique lors de la mort des premiers-nés égyptiens, ni lors de la mort des Egyptiens, ni lors de la Main puissante déployée contre 1 'Egypte. Mais lorsque le Peuple "éprouva la crainte de 1 'Eternel et qu 'il eut foi en Lui et en Moise, Son serviteur " (Ex 14, 31), c 'est alors que Moise chanta l 'hymne à l 'Eternel, accompagné des Enfants d 'Israël. La joie du Seigneur consiste, non pas dans la chute des impies, mais dans l 'ascension des Justes vers les sommets de la spiri­tualité6 ! »

Les Juifs aiment à expliquer leur nom. Les lettres d'Israël, YSRhL, forment deux mots : SYR hL, Shîr El, chant de Dieu. Ils disent donc qu'Israël chantera toujours. « Az yashîr Moshèh ouvnei Yisrael. . . Alors Moïse chantera, et les Fils d'Israël. . . » (Ex 1 5, 1 ). « Cette forme de futur nous enseigne que les Fils d 'Israël crurent en la résurrection des morts, comme si les Fils d 'Israël avaient décidé de chanter jusque dans l 'au-delà lorsque leur corps aura ressuscité ! » (Sanh 9 1b).

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PAS UN YOD NE S'EN IRA DE LA TORAH

Pourtant, si les Juifs connaissent la musique du « Az yashîr Moshèh », les traductions françaises ont beaucoup de diffi­cultés à traduire le yod du futur. Elles proposent le plus sou­vent : « Alors, Moïse et les Fils d'Israël chantèrent. » Cette interprétation immobilise les lecteurs et leur interdit 1' accès au yod. Voilà le souci et l'appel incessants de Jésus pour le yod !

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TROISIÈME PARTIE

Le Juif Jésus depuis Nazareth

Jésus pharisien ?

La Torah et 1 'accomplissement :

Dieu d 'Abraham, d'Isaac et de Jacob

Nazareth

Abba, Père,

que Ton Nom soit sanctifié 1

Incarnation - Evangélisation

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Jésus pharisien ?

L'un des malfaiteurs pendus l'injuriait. Il disait : N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi­même et nous aussi ! Alors l 'autre répondit et lui fit reproche. Il déclara : Ne crains-tu pas Dieu ? Tu es dans la même sentence. Mais nous, c'est juste, car nous recouvrons les valeurs que nous avons accomplies. Mais lui, Il n'a rien accompli de déplacé ! Et Il disait : Jésus, fais mémoire de moi quand tu entreras dans ton royaume ! Et Il lui dit : Amen, je te dis ! Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis !

Le 23, 39-43.

La question fait sursauter quiconque s'est incliné depuis des siècles devant une classification rapide et péremptoire. Elle provoque répulsion, voire réaction de rejet, pour celui qui a grandi dans une opinion négative des Pharisiens à jamais hypocrites. Elle fait assurément sourire les Juifs du :xxe siècle de 1' ère chrétienne. Ils sont les descendants et les héritiers des Pharisiens. Ils savent qu'eux-mêmes ont des défauts, peut-être plus que tout le monde. Mais ils s'amusent franchement de la méprise usitée à leur égard, car ils connais­sent bien leur seule qualité commune : chacun est si distinct de son voisin qu'il est impossible d'en mettre deux ensemble

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LE ruiF JÉSUS DEPUIS NAZARETH

dans le même sac ! Et ils se font un point d'honneur à accom­plir ce dicton qui les régale et satisfait leur humour : « Là où il y a deux Juifs, il y a trois opinions politiques1 ! » Beaucoup de Juifs ne doutent pas de leur proximité et de leur parenté avec Jésus. Ils s'accordent néanmoins à prévoir une attente très très longue avant que la majorité des Chrétiens ne soient à l'aise avec eux. Car ils mesurent le fossé creusé entre, d'une part, l'uniformité de pensée établie comme un dogme et entretenue par les Chrétiens2 et, d'autre part, la souplesse et la pluralité de leurs opinions. Ils pourraient qualifier ce fossé de cocasse s'il n'avait pas été trop souvent tragique. Les Juifs d'aujourd'hui ont une connivence toute fraîche avec Jésus et une complicité tout autre que celle des Chrétiens : dommage que ceux-ci refusent d'en bénéficier ! Cependant, des interpellations sont lancées telle celle-ci, d'Armand Abé­cassis : « Voici donc que les Chrétiens sont en train de retrouver leur mémoire et leur source hébraïque et juive ; ils retrouvent progressivement une lecture plus pharisienne des Evangiles mêmes puisqu'ils se sont aperçus que la lecture purement individualiste et spirituelle était au fond une séduc­tion et une tentation . . . Nous dirons donc, avec toute la frater­nité qui nous lie aux Chrétiens, que la résistance deux fois millénaire des Juifs à la conversion au message évangélique, malgré les inquisitions, les bûchers, les pogroms et les croi­sades, doit être comprise comme le refus de la lecture erronée que les théologiens médiévaux ont faite de certaines affirma­tions de Jésus. Seul un pharisien peut comprendre le phari­sien Jésus, fils de pharisiens croyants, pratiquants et attachés à la lettre autant qu'à l'esprit. Jésus était circoncis dans son corps et pas dans son cœur seulement ! . .. Lorsque Jésus affirme "Je suis venu accomplir la Loi", il ne veut pas du tout dire que le temps de la Loi est accompli et que le temps de l'amour commençait ! Que les frères chrétiens aillent se mettre à 1 'école de Hill el qui a vécu quelques décennies avant Jésus et ils verront ce qu'est l'amour chez les pharisiens. Jésus est sûrement venu montrer aux hommes comment accomplir la Loi, dans l'esprit et dans la lettre ! Il dit lui-même qu'il ne

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JÉSUS PHARISIEN ?

voulait pas changer un seul point à la Loi ! Comment être fidèle à Jésus si on ne pense pas et si on ne fait pas comme lui faisait ? Il savait que la Loi donnée par le Père céleste - c 'est une expression talmudique - ne pouvait être abolie puisqu'elle fut donnée par amour3• »

Les Juifs d'aujourd'hui reçoivent donc leur dynamisme de leurs ascendants, les Pharisiens, groupe non homogène dont on a encore une bien piètre appréciation. Si les Pharisiens ne sont pas unanimes quant à leur façon d'être et d'enseigner, ils recherchent une cohérence dans la formation des disciples de la Torah. Leur projet est de faire des hommes qui, par leur comportement éthique, témoignent de la Torah du Sei­gneur. Ils travaillent pour que le disciple de la Torah écoute et veille. Qu'il soit sur le qui-vive, prêt à se déranger, à se déplacer, et à agir. Qu'il accueille les appels et réponde à sa manière, avec sa responsabilité. Ils enseignent le questionne­ment et 1' apprentissage de la sérénité pour une attitude tou­jours inquiète, toujours en recherche. Ils forment le disciple à affmer sa parole et donc sa relation à l'autre. Ainsi, devant son prochain et devant le Seigneur, chacun parle et chante, et sa voix devient de plus en plus ajustée.

Les Pharisiens ont succédé aux Hassidim, les « Amou­reux » de la Torah, revenus de Babylone après l'Exil. Ils se veulent responsables envers les petites gens du peuple, appe­lées aussi Am haarèts, le Peuple du Pays, les ignorants à enseigner (P.A. 2, 5). Ils ont reçu cette charge, comme disent les Pirqè A vot, par Tradition du Sinaï, de Moïse lui-même (P.A. 1 , 1 ) . Voilà pourquoi il y a une continuité toujours renouvelée jusqu'aujourd'hui. Voilà pourquoi Jésus a de grands liens avec eux. Et 1' on peut entendre leurs mérites commentés par deux Chrétiens : « Ils ont toujours été proches du peuple, soucieux de sa formation et de sa pratique . . . Pro­fondément fervents dans leur ensemble, ils sont la part la plus vivante d'Israël et assureront la survie religieuse du peuple par-delà les drames de 70 et 1 35. Seule une lecture hâtive du Nouveau Testament, coupée de son contexte et de

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ses enracinements, a pu faire croire qu'ils étaient hypocrites et corrompus et, à cause de cela, durement critiqués et quasi "excommuniés" par Jésus. Jésus s' inscrit au contraire dans leur mouvance théologique et enseigne la nouveauté de son Evangile dans la pleine continuité de leur Tradition. Il en est de même des disciples de Jésus pour une large part. La rup­ture entre chrétiens et pharisiens dans les années 80-90 est un des drames religieux les plus incompréhensibles et mysté­rieux du dessein de Dieu4• »

Selon 1' adage cité plus haut, « deux Juifs, trois opinions politiques », ou selon celui-ci, « trois Juifs, quatre commu­nautés5 », la seule condition pour l'existence des Pharisiens est justement qu'ils soient deux pour se critiquer, pour discu­ter, pour ne pas s' installer. C 'est à la fois une condition et une garantie. Chaque Juif est formé depuis des siècles à une vigilance et à un éveil perpétuels. Il doit continuellement être insatisfait pour marcher de l'avant. Il connaît la remise en question permanente des deux écoles contemporaines de chaque génération. Il apprécie l'intérêt des couples de sages qui garantissent la Parole6• Mais l'intérêt paraît beaucoup plus confus aux tenants d'un dogme arrêté une fois pour toutes. Les couples les plus connus sont Hillel et Shammay. Shammay a la tendance la plus dure et la plus rigoureuse. Son nom vient de : Shèm, nom, ou bien de Sham, là ; une forme hébraïque particulière de sham montre le dynamisme et signifie « les cieux ». Hillel, dont le nom est celui du Hal­lei, louange, représente la tendance la plus souple qui s'ap­puie sur les aptitudes des consulteurs et des disciples. C'est sans doute de leurs discussions qui peuvent prendre la forme de disputes que vient le verbe « se chamailler ». Mais leurs divergences manifestent une saine coopération pour la vie du peuple et du monde 7• Continuellement en activité, intermina­blement en interrogations, ils perturbent bien évidemment les partisans de la sécurisation que sont les Saducéens d'une part, et tous ceux qui ne se fondent pas sur la Torah orale d'autre part. Les Saducéens sont conservateurs, très pointil-

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JÉSUS PHARISIEN ?

leux sur la Torah écrite, mais ils refusent d'envisager une « mise à jour ». Les Pharisiens, réformateurs, désirent trans­mettre la Torah orale et sa richesse. Ils essaient continuelle­ment d'accorder encore plus leur comportement à leur écoute des Choses du Seigneur. Ils appellent cette recherche : hidoush, renouvellement, et ils en vivent.

De tout temps, les Pharisiens ont eu des adversaires, avant et après l 'ère chrétienne, à l'époque talmudique, dans l'Eglise primitive : des païens, des Juifs, des Chrétiens. Aiguillonnés par leur dynamisme, leurs adversaires ont donc cherché à les convaincre d'hypocrisie ou de postures toutes plus péjo­ratives les unes que les autres. Ils n'ont d'ailleurs pas eu beaucoup de difficultés à leur trouver des défauts puisque les Pharisiens eux-mêmes, dans leur souci d'un ajustement toujours meilleur de leur comportement, les leur ont four­nis. Ils disent : « Nos Rabbis ont enseigné qu 'il existe sept sortes de Pharisiens. Le Pharisien Shikmi, le Pharisien pusillanime, le Pharisien sanglant, le Pharisien pilon, le Pharisien-définissez-mon-devoir-je-le-ferai, le Pharisien séparé de l 'amour, le Pharisien séparé de la crainte. Le Pharisien Shikmi, c 'est celui qui agit comme Shekem, Sichem (Gn 34). Le Pharisien pusillanime, c 'est celui qui ne sait sur quel pied danser. Le Pharisien sanglant, c 'est celui, dit Rabbi Nahman ben Isaac, qui se blesse en se cognant contre les murs. Le Pharisien-pilon selon Rabah ben Shi/ah, c 'est celui qui se tient penché comme un pilon. Le Pharisien-défi­nissez-mon-devoir-je-le-ferai n 'est-il pas irréprochable ? En fait, il faut entendre qu 'il demande aux gens : "Quel devoir puis-je encore accomplir ? " Le Pharisien séparé de l 'amour et le Pharisien séparé de la crainte : à leur propos, Abaye et Rabba demandèrent au Tanna de ne pas mentionner séparés de l 'amour ou de la crainte, parce que Rabbi Juda a dit, au nom de Rab, qu 'un homme doit toujours se consa­crer à la Torah et aux commandements, même si ce n 'est pas pour des raisons désintéressées, car de cette action égoïste peut naître une action désintéressée. Rabbi Nahman ben

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LE WIF JÉSUS DEPUIS NAZARETH

Isaac a dit : Ce qui est secret est secret, ce qui est visible est visible. Laissons le soin au Grand Tribunal de demander des comptes à ceux qui se drapent dans un manteau de vertu. Et le roi Janaï dit à sa femme : Ne crains ni les Pharisiens ni ceux qui ne le sont pas. Mais redoute ceux qui se présentent masqués, qui ont l 'aspect des Pharisiens, mais en réalité agissent comme Zimri et réclament la récompense (Nb 25) de Pinhas » (Sota 22b ).

Le nom de Pharisien peut, selon la méthode non figée du judaïsme, avoir plusieurs explications, positives ou négatives. Paroush signifie « séparé8 ». Mais l'hébreu parle d'un autre « séparé », qadosh que 1' on traduit par saint par rapport au profane. Cette sainteté figure dans le titre d'une parashah déjà citée plusieurs fois : celle qui est au cœur du Livre du Lévitique, lui-même livre central de la Torah écrite. La parashah « Qedoshim, soyez saints » (Lv 1 9-20) appelle à la sainteté : elle demande de faire reproche à son compatriote, et d'aimer son prochain comme soi-même.

On commence à comprendre la parenté de Jésus avec les Pharisiens, par la seule intimité qui donne de parler avec son frère. Car de même qu'à propos de Noé et de l'humain en général, on dit : « Le sage est aimé de ses contemporains tant qu 'il ne fait pas de leçon de morale » (p. 564), de même 1' adage des Pharisiens pourrait être cette sen­tence d'humilité : « Reprends le Sage et il t'aimera ! » (Pr 9, 8).

Voilà ! Leur nom a été dit : humilité9 ! Voilà ouverte une autre façon de voir et d'entendre les rencontres entre Jésus et les Pharisiens. La Tradition juive dit que les Pharisiens discutaient, voire se disputaient, mais qu'ils ne se quittaient jamais sans s'être serré la main. L'humilité est le lot et la vocation non seulement des responsables, les Pharisiens, mais aussi des disciples de la Torah formés par les Phari­siens, les petites gens. Au jour le jour, dans leur famille et leur milieu, là où ils sont incarnés, ils doivent à leur tour faire comme Aaron : « Il aime la paix, il poursuit la paix. Il

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JÉSUS PHARISIEN ?

aime les créatures et les rapproche de la Torah » (P.A. 1 , 1 2) . Ces gens regardaient auparavant du côté des divinités de leurs voisins. Maintenant, ils attestent au monde d'une éthique de vie donnée par les Pharisiens : ils accueillent sur eux le joug de la Torah ; ils se réjouissent et répètent la Hag­gadah ; ils respectent la vie des autres et du prochain en vivant sainement entre les « quatre coudées de la Hala­khah ». A la fin du présent chapitre, le lecteur en aura un exemple dans le souci du Bon Larron envers son prochain.

Les discussions entre les Pharisiens, souvent terribles, viennent de leur sens aigu de la diversité des situations qui, malgré leurs ressemblances, ne sont jamais complètement identiques. Les Pharisiens refusent d'assimiler une situation à une autre. Ils inventent des paraboles pour indiquer des chemins. Ils aident à prendre conscience que la répétition ne porte aucun fruit si elle n'est pas renouvelée et adaptée. Ils sont exactement aux antipodes de la figure figée que la rumeur a voulu leur donner et qui correspondrait plutôt aux Saducéens et à ceux qui leur ressemblent. Les Pharisiens disent : « Qui n 'ajoute pas retranche. Cela nous indique que celui qui étudie une Parashah de la Torah et n y ajoute pas ce qui la parfait finira par l 'oublier ! » (Ab.R. Natan B 27 et P.A. 1 , 13). C'est toute la pédagogie de la liturgie familiale de Pèsah, Pâque, où l 'enfant est appelé à écouter, à répéter intelligemment. C'est toute la pédagogie de la Torah orale qui ne se contente pas d'ânonner de façon fondamentaliste, mais actualise au jour le jour. Dans ce sens, on peut entendre les révisions perpétuelles du type : « Vous avez appris telle chose écrite, et je vous dis . . . », comme Jésus dans le Sermon sur le mont.

La formation dispensée par les Pharisiens est telle que même un croyant peut ajuster sa parole et dire successive­ment deux paroles qui paraissent opposées. On peut prendre en exemple des sentences qui rappelleront aux Chrétiens des mélodies de l'Evangile. « Rabbi Josè Bar Judah, d 'un village de Babylonie disait : Celui qui est disciple de la Torah par

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des petits, à quoi ressemble-t-il ? A celui qui mange des rai­sins verts et qui boit du vin qui sort du pressoir. Et celui qui est disciple de la Torah par des vieux, à quoi ressemble-t-il ? A celui qui mange des raisins mûrs et boit du vin nouveau. Rabbi Méir disait : Ne regarde pas le vase mais ce qu 'il y a en lui. Il y a un vase neuf plein de (vin) vieux, et un vieux qui ne contient même pas du (vin) nouveau 1 » (P.A. 4, 20, cf. Mt 8, 1 6- 1 7).

« Les paroles de la Torah sont aussi difficiles à acquérir que des vêtements de fine laine et aussi faciles à perdre que des habits de lin [qui se déchirent facilement] . Comme la vaisselle d 'or, les paroles de la Torah sont difficiles à acqué­rir et comme la vaisselle de verre, elles sont fragiles et se brisent facilement, selon Jb 28, 1 7 : Elle (la Sagesse) ne se compare ni à l 'or ni au verre et ne peut s 'échanger contre un vase d 'or fin. A quoi est comparable l 'homme qui a accompli de bonnes actions, qui a beaucoup étudié et a été disciple de la Torah ? A un homme qui bâtit d 'abord en pierres et ensuite en briques. Même si un énorme orage éclate et qu 'une grande quantité d 'eau entoure sa construc­tion de toutes parts, l 'eau ne parvient pas à entamer la roche et à faire s 'effondrer la bâtisse. Mais l 'homme qui n 'a jamais accompli de bonnes actions, même s 'il a étudié la Torah, à quoi est-il comparable ? A un homme qui bâtit d 'abord en briques et ensuite en pierres. Il suffit qu 'un peu d 'eau l 'en­toure pour que la bâtisse s 'écroule aussitôt 1 » (Ab.R. Natan A 24, 28, cf. Mt 7, 24-27).

Ainsi, tout l 'Evangile se pare d'attitudes ou de paroles de Jésus accordées à celles des Pharisiens. Le danger pour les Chrétiens est de se considérer à zéro, sans racines ni sources, tant il est vrai que la peur de l'autre provoque le refus, l ' in­différence, la haine et les préjugés inamovibles. Même s'ils pensent souvent que le regard clément envers l'autre est valable pour tout autre sauf pour les Pharisiens, ils doivent s'efforcer à la loyauté envers eux.

Pour avancer sur ce chemin, les Chrétiens doivent rester

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vigilants quant à un autre risque. Ils ont accordé si peu d'im­portance aux circonstances historiques de la mise par écrit des Evangiles qu'ils ont oublié de discerner des attitudes for­cées dans la première rupture entre Chrétiens et Juifs. Cer­taine lecture rapide de pages difficiles de l'Evangile, d'une part, et certain parti pris, d'autre part, ne les ont pas aidés dans ce sens. En effet, après la révolte juive contre les Romains et après la chute de Jérusalem, en 66 et 70 de l'ère commune, puis après 1 'échec de la deuxième révolte juive, en 1 35, les Pharisiens restèrent les seuls représentants des Juifs de l'époque de Jésus. Si les responsables chrétiens de l'époque désiraient marquer la différence avec les Juifs, ils devaient nécessairement charger les Juifs en place, donc les Pharisiens1 0• De proche en proche, dans les événements des premiers siècles de 1' ère commune et aussi géographique­ment, les Chrétiens devinrent incapables d'objectivité envers les Pharisiens.

Jésus cependant a rencontré des Pharisiens : ceux qui enseignent les Béatitudes (p. 46) ; ceux qui ont le souci de la vocation de chacun, du peuple élu responsable des nations (p. 53 et 99) ; ceux qui aiment calculer les heures (p. 62, 99 et 23 1 ) ; ceux qui apprennent aux maris à aimer leur femme (p. 83) ; ceux qui sont vigilants contre la tentation de l'an­goisse (p. 1 10) ; ceux dont Jésus reçoit le Qadish (p. 1 67) ; ceux qui Lui donnent l 'Incarnation (p. 68, 2 1 5, 245) ; ceux qui Lui amènent la femme prise en flagrant délit d'adultère (p. 1 83) ; ceux avec lesquels Il prie, et celui avec lequel Il prie (p. 41 et 208) ; ceux avec lesquels Il discute au sujet de la nourriture et des repas (p. 23 7) ; ceux avec lesquels Il vivra le jour de Shabat, et ceux avec lesquels Il s'accordera sur la résurrection des morts (p. 135). Ces multiples ren­contres entre Jésus et les Pharisiens pourraient être résumées soit par l'entretien avec Niqodèmel l (Jn 3), soit par les paroles échangées avec Natanaël (Jn 1 , 45-5 1) . Alors, les Chrétiens pourront recevoir de la part des Juifs les leçons du figuier. Car les Pharisiens de 1' époque de 1 'Evangile, puis les

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Juifs ont répété et répété cette parole du Traité Erouvin (Er 54b) : « En quoi les mots de la Torah sont-ils comparables aux figues ? Chaque fois qu 'un homme va cueillir des figues, il ne manque pas d 'en trouver. Il en est de même avec les mots de la Torah : aussi souvent qu 'un homme les sollicite, il en obtient des significations 1 »

Il est bon, alors, de cueillir chez le Juif Luc le fruit de 1' ensei­gnement et des recherches des Pharisiens. Voici un homme dont le seul nom, donné par l 'Evangile, est « l 'autre ». Or la Torah orale insiste sur l 'un des maîtres de Rabbi Meir appelé Ahèr, « l'Autre », qui discute à propos du Paradis (Hag 1 5b). L'« autre » de 1 'Évangile est au dernier moment de sa vie. A ce moment difficile de la fin, 1 'humain a tendance à ne penser qu'à lui, en tout cas pas à son voisin. Mais l'enseignement et le témoignage des « Amoureux de la Torah, des Hassidim » que sont les Pharisiens portent du fruit : le Bon Larron va reprendre le premier malfaiteur (Le 23, 39-43) 12•

Est-ce par charité fraternelle que le Bon Larron se tourne vers celui qui blasphème ? Est-ce par étonnement douloureux et excès de respect pour le Saint, Béni soit-Il, le Seigneur ? Est-ce par sa foi plus forte que tout en la Résurrection et en la force de l 'à-venir que le Seigneur peut dispenser et don­ner ? Est-ce par son espérance en la possibilité de retourne­ment, de retour, de repentance à 1 'ultime moment ? Est-ce par amour de la Torah et pour vivre le commandement de porter et de faire vivre le prochain ? Ou est-ce pour toutes ces raisons à la fois ?

Jusqu'au dernier moment, il prend sur lui de dépenser son temps pour faire des reproches à 1' autre, selon 1' appel à la sainteté du Livre du Lévitique (Lv 1 9, 1 7) : « Pour reprocher, tu reprocheras à celui de ton peuple, et tu ne lèveras pas de péché contre lui ! » Les reproches du Bon Larron ne sont pas stériles puisqu'ils sont assortis d'une explication et d'un appel à la justice : « Mais nous, c'est juste, car nous recou­vrons les valeurs que nous avons accomplies. Mais lui, Il n'a rien accompli de déplacé ! » Il dit de Jésus qu'Il n'est pas

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JÉSUS PHARISIEN ?

dé-placé, dé-localisé, sans Lieu. Or, la Tradition juive des Pharisiens enseigne que le Lieu, c'est le Seigneur13• Et quand le Bon Larron aura témoigné de sa crainte et de son adoration en reprenant son prochain, alors, et seulement alors, il pourra appeler le Seigneur à la mémoire. Mais auparavant, il doit aller jusqu'au bout de lui-même.

Or, les Pharisiens ne cessent d'annoncer la liberté de cha­cun, jusqu'au dernier moment. Leurs fidèles, le « peuple du pays », connaissent bien cette invitation à la responsabilité : « Personne ne peut être appelé Saint tant que son dernier jour n 'est pas arrivé 1 » (Ber 29a et P.A. 2, 4). Ils savent le code de la route, avec les deux voies et le choix à faire tou­jours entre les actes bons qui sauvent et les actes qui font zigzaguer. Les maîtres connaissent les réticences de tous ordres quant à la peur de s'immiscer dans les affaires d'au­trui. Ils enseignent à discerner entre les peurs et les faux­fuyants. Ils insistent sur cette attitude qui doit être gratuite, mais dont ils annoncent aussi les récompenses. Voici un des commentaires hérités des Pharisiens : « Le commandement de reprendre son prochain nous incite à nous améliorer. Celui qui est conscient de son devoir de mettre autrui en garde contre le péché affermira sa détermination. Ne pas reprendre autrui sous le prétexte qu 'on ne sera pas écouté, ou qu 'on est aussi pécheur, est appelé par nos sages 'fausse modestie ". Celui qui reprend son ami au Nom des Cieux, avec des motivations pures, recueillera les récompenses sui­vantes : il sera placé dans l 'enceinte la plus intérieure du Jardin du Paradis, celle du Tout-Puissant Lui-Même 1 En outre, il a la promesse de trouver grâce aux yeux d 'autrui, beaucoup plus que ceux qui gardent le silence devant les fautes14 ! »

En écho à cet enseignement et à cette foi, lorsque le Bon Larron reprend le malfaiteur qui blasphème, Jésus sur la Croix dit et annonce qu'il sera au paradis avec Lui ! Avec l'immédiateté et l'actualité que Luc et les Pharisiens aiment bien enseigner pour le concret de l'Incarnation Aujourd 'hui !

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L'auditeur de l'Evangile pourra donc laisser résonner lon­guement à ses oreilles la seule fois des quatre Evangiles où le mot paradis est annoncé. Entre les cieux et la terre, sur la Croix, Jésus scelle son incarnation et son appartenance à ce peuple « amoureux de la Torah », ce peuple qui ne cesse de vouloir avancer vers le Lieu où rien n'est déplacé !

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La Torah et l 'accomplissement Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob

Que les morts ressuscitent, Moïse aussi l'a indiqué sur le buisson, quand il dit : Le Sei­gneur, Dieu d'Abraham, Dieu d' Isaac et Dieu de Jacob. Il n'est pas le Dieu des morts mais des vivants, car tous vivent de Lui ! Certains des scribes répondirent et dirent : Maître, c 'est beau ce que tu as dit ! Car ils n'osaient plus l'interroger sur rien.

Le 20, 37-39.

Les Pharisiens sont le contraire de gens statiques. Leurs qualités principales sont leur goût et leur désir de « faire la Parole, de l'accomplir ». Avec eux, Jésus formule sa repartie sur l' intimité et la familiarité : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la font, qui l'accomplissent ! » (Le 8, 2 1 ). Mais pour accomplir la Parole et répondre ainsi à la Volonté de Dieu, les Pharisiens ne peu­vent pas vivre sans la Torah orale. Ils ont donc un accent particulier et inimitable. Leur accent chante les questions et entonne des réponses.

Selon les uns, ils ont attrapé l'accent au Sinaï où Moïse reçut directement Torah écrite et Torah orale . . . et « il n y a pas d 'avant ni d 'après dans la Torah » (p. 27). Les sages

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qui interviennent peuvent être simultanément d'une époque récente et contemporains de Moïse, dans la foi et la conni­vence. Selon les autres, plus sérieux en leur genre, ils ont acquis ces intonations à force de relais, de répétitions actives, et de mises en œuvre. Dans l 'un ou l'autre cas, il s'agit tout de même d'un esprit de famille puisqu'il y a l 'obligation de dire d'où et de qui vient la Parole 1 • De même, un nom ne peut être dit que par l'établissement d'une filiation, c'est-à­dire d'une paternité, d'une saine dépendance, d'une famille, d'une profonde intimité. Les liens de parenté et la transmis­sion deviennent les garants de 1 'humilité du croyant qui dis­cerne sa juste place. Il est responsable et ne doit pas bloquer la Parole. Il reçoit sa vie de la longue suite d'enfantements. Il parle avec cet accent inconnu de tous ceux qui refusent la Torah orale2, les Saducéens, les Samaritains, et tous ceux qui en restent à 1 'Ancien Testament. Ceux -ci ne se fient qu'à l 'écrit. Ils oublient le processus d'apprentissage de la lecture. Eux-mêmes, quand ils ont appris à lire, ils ont dû faire confiance en leur maître : si le A est le A et si le B est le B, ils l 'ont reçu de la bouche de leur maître, ils ne l 'ont jamais lu quelque part (Shab 3 1 a).

Les noms sont donc essentiels. Si 1 ' expression « fils de .. . » semble au premier abord préciser l' identité du père, elle est aussi l' insistance spirituelle sur la vocation de chacun. Dans ce chapitre, par exemple, le lecteur entendra le nom de « fils de résurrection ». En écoutant et en prononçant son propre nom, chaque croyant reçoit comme un surcroît de vitalité et de responsabilité. Il s'adapte aux mille circonstances de la vie ; il s' incorpore et s' incarne dans son peuple.

Par sa mémoire active et chantante, le croyant expérimente sa proximité avec toutes les générations précédentes. Il reçoit aussi le don d'une intelligence fine du temps vers l 'avenir. La Torah orale est une respiration dans laquelle les Pharisiens trouvent sans cesse des motifs de croire en la résurrection. C'est une recherche, et chercher se dit midrash en hébreu. Mais c'est simultanément inné. L'enfant tète la Torah avec le lait de sa mère, ou même il la reçoit déjà dans le ventre

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de sa mère. Rappelez-vous le doigt de l 'ange qui lui fait oublier toute son intimité avec la présence divine et avec la Torah, en lui donnant les jours de la vie pour retrouver cette mémoire ! Dire « inné », c'est annoncer au monde la familia­rité d'Israël avec la Torah, et son intuition des « évidences » des Choses de Dieu . . . Toutefois, si elles sont manifestes pour les Pharisiens et ceux qui aiment la Torah orale, elles ne le sont guère pour ceux qui ont choisi de se tenir à 1' écart.

Alors quand un Pharisien, ou un Talmîd, disciple des sages, quand un Hassîd, « Amoureux de la Torah », entend un passage de la Torah écrite, il écoute monter en lui des consonances harmonieuses. Spontanément, elles façonnent en lui une cohésion ; et pour lui, oui, c'est clair et évident. Si le Seigneur se manifeste à Moïse et l 'appelle, au buisson, en lui disant : « Moi, Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob ! » (Ex 3, 6), l 'héritier des Pharisiens, le Juif d'hier et d'aujourd'hui, fait le raisonnement rapide et instinctif suivant : « Pourquoi parle-t-Il à Moïse de ses ancêtres sinon pour lui signifier que, d'une certaine façon, Abraham, Isaac et Jacob vivent et vivront ? » La Torah écrite place l 'événement qu'elle est en train de décrire au sein de l 'ensemble de toutes les relations des humains entre eux et des humains avec le Seigneur. La Torah forme et introduit le disciple à l' intelligence de la Vie de Dieu, et à 1' adhésion et à la foi en la résurrection des morts . . . mais c'est presque incommunicable s ' il n'existe pas un minimum de confiance ! Voilà ce qui manque aux Sadu­céens envers les Pharisiens (cf. Ac 23, 8). D'où leur rejet des règles d'interprétation des Pharisiens. D'où leurs incompré­hensions et leurs attaques, peut-être pires que les méconnais­sances ou les refus des païens, car venant des proches, cela fait toujours plus mal. Et l 'on entend dans le Talmud, au Traité Sanhédrin, ce que l 'on entendra dans l'Evangile. Il faut cependant remarquer que beaucoup de gens connaissent l'épisode des Saducéens plaisantant à propos de la résurrec­tion (Le 20, 27 et ses parallèles, p. 142). Pourtant, les Sadu-

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céens apparaissent seulement dans quatre circonstances dans les Evangiles alors que les Pharisiens y sont nommés soixante-quatre fois.

Voici d'abord dans le Talmud : « Des Saducéens ont posé à Rabban Gamaliel la question suivante : Comment savons­nous que le Saint, Béni soit-Il, ressuscitera les morts ? Il répond : Par la Torah, par les Prophètes, et par les Ecrits 1 Ils n 'ont pas admis que la résurrection des morts puisse être déduite du texte (Dt 31, 16) : Le Seigneur dit à Moïse. Voici tu reposeras avec tes pères, et tu te lèveras. Ils ont objecté : Peut-être faut-il lire : Et ce peuple se lèvera et se prostitue­ra 1 Il reprit : On peut déduire la résurrection des morts des Prophètes puisqu 'il est écrit : Tes morts reviendront à la vie, tes cadavres ressusciteront. Réveillez-vous et entonnez des cantiques vous qui dormez dans la poussière. Oui, pareille à la rosée du matin est ta rosée (Is 26, 19). Les Saducéens dirent : Peut-être s 'agit-il seulement des morts qu 'Ezéchiel a ressuscités 1 Il dit : On peut déduire la résurrection des morts des Ecrits, puisqu 'il est écrit : Et ton palais, comme un vin exquis, coule doucement pour mon bien-aimé et rend loquaces les lèvres de ceux qui se sont endormis (Ct 7, 1 0) 1 Les Saducéens répondirent : Peut-être leurs lèvres ne font­elles que remuer, comme l 'a dit Rabbi Johanan 1 » (Sanh 90b ) . Les Saducéens sont décrits ici comme faisant montre d'une évidente mauvaise volonté. Toutefois, les arguments du Pharisien ne satisfont pas pleinement les auditeurs exté­rieurs. Ils les jugent sans doute très légers. Ils ont cependant assisté à la confection d'un « collier », où le Pharisien choisit des perles dans chacune des parties du Tanakh, la Torah, les Prophètes et les Ecrits. Il se trouve alors, dit la Tradition, dans la même situation que Moïse sur le Sinaï, recevant la Torah, dans le feu du Seigneur. Son cœur est brûlant et aimant. Son être est dans la plénitude.

Mais l'attitude donnée par la pédagogie pharisienne envers la Torah orale ne paraît aux Saducéens ni crédible ni fondée. Là, contrairement aux débats dynamiques et féconds des Pha-

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risi ens entre eux, il n'y a aucun moyen de discuter ni de communiquer. Il est sûr que les Pharisiens sont extrêmement sévères envers leurs adversaires ; mais en doutant de la Torah orale des Pharisiens, les Saducéens nient leur identité et rail­lent même 1' accent qui les constitue. Il faut bien répondre. Et parfois, les humains sont maladroits lorsqu'ils se sentent agressés3• Par exemple, les premiers mots des premiers rudi­ments de la Torah orale sont : « Tout Israël a part au monde à venir, comme il est dit (Is 60, 21) : Ton peuple, ce sont tous des justes. Ils hériteront pour toujours de la Terre, rejeton de Mes plantations, œuvre de Mes mains, pour Me glorifier 1 » A partir de là, on entreprend une énumération négative : « Voici ceux qui n 'auront pas part au monde à venir : celui qui prétend qu 'on ne peut déduire la résurrection des morts de la Torah, celui qui prétend que la Torah n 'a pas été don­née par le ciel . . . » (Sanh 90a). Ailleurs, ceux qui ne croient pas en la résurrection des morts seront traités d'hérétiques et d'égarés.

Au doute caractéristique du Saducéen ou du païen souvent représenté avec l'autorité de l'empereur ou d'une grande dame étrangère, le disciple doit répondre. Ces répliques paraîtront familières à l'auditeur habitué à l'Evangile ; bien sûr, c 'est la même famille ! D'abord, la reine Cléopâtre pose une question à Rabbi Méir de Tibéria. Elle s'appuie sur un Ecrit, selon la coutume des Pharisiens, mais elle ne peut s'empêcher d'ajouter une pointe de plaisanterie contre cette foi qu'elle ne partage pas. Elle dit : « Je sais que les morts revivront puisqu 'il est écrit : Ils surgiront de la ville comme l 'herbe des champs (Ps 72, 1 6). Mais lorsqu 'ils se lèveront, seront-ils nus ou habillés ? » Et Rabbi Méir répond le plus sérieusement du monde à cette moquerie persiflante : « La réponse à cette question peut venir d 'un raisonnement appelé "à plus forte raison ", à partir du grain de blé. Si le grain de blé qu 'on met en terre nu ressort tout enveloppé, à plus forte raison, les justes qu 'on a ensevelis dans leurs vête­ments 1 » Ensuite l'empereur, le César, discute avec Rabban Gamaliel. La fille de celui-ci va parler. Il est normal qu'une

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femme réponde lorsqu'il s'agit de dire des naissances et de faire naître. « César dit : Vous dites que les morts revien­dront à la vie. Or, ne sont-ils pas devenus poussière ? La poussière peut-elle vivre ? La fille de Rab ban Gamaliel inter­vint : Laisse-moi leur répondre. Nous avons deux potiers dans notre ville. L 'un peut faire un pot rien qu 'avec de l 'eau, l 'autre se sert de l 'argile. Quel est celui qui a le plus de mérite ? César répondit : Celui qui ne se sert que de l 'eau pour faire un vase ! Elle dit : S 'Il peut façonner un homme avec de 1 'eau, à plus forte raison, Il le pourra avec de 1 'argi­le ! D 'autres disent : Si des objets en verre fabriqués par 1 'homme en soufflant sont brisés, on peut les réparer, à plus forte raison, l 'homme lui-même, qui a été créé par le Souffle du Saint, Béni soit-Il » (Sanh 90b-9 1a).

Voilà donc comment les Pharisiens, hommes et femmes remplis d'enthousiasme, disent la force de leur foi en la résurrection des morts. Comment sont-ils proches de Jésus ? Ou bien, comment Jésus est-Il proche d'eux ?

Par la sérénité envers les adversaires. Ceux-ci en effet ne / comprennent pas leurs procédés ni leur logique. Ils distordent les enseignements des Pharisiens et viennent les brandir devant eux. Ainsi, selon le consensus des trois évangélistes, Matthieu, Marc et Luc, c'est aussitôt après l'épisode typique-ment pharisien à propos de César, que des Saducéens s'ap-prochent de Jésus pour lui poser une question (Le 20, 27-40, Mc 12, 1 8-27, Mt 22, 23-33). Or, il ne s'agit pas du tout d'un questionnement de leur part puisqu'ils nient la résurrection des morts. Ils caricaturent sans charité une coutume et utili-sent un précepte de la Torah écrite pour piéger les tenants en la résurrection des morts. Ils inventent de toutes pièces une longue histoire d'une femme veuve avec laquelle les six beaux-frères ont accompli le commandement de Yébamot, des belles-sœurs ; et ils feignent de s'intéresser à l'avenir de cette femme lors de la résurrection. Ils interrogent : « Donc, cette femme, à la Résurrection, duquel d'entre eux deviendra-t-elle la femme, car les sept l'ont eue pour femme ? » (Le

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20, 33). Jésus leur répond à la mode pharisienne en donnant un nouveau nom, hapax dans les Evangiles, « Fils de la Résurrection ». Il dit (Le 20, 35-36) : « Ceux qui sont jugés dignes d'obtenir ce monde-là et la résurrection des morts ne se marient pas et ne marient pas4• Et ils ne peuvent plus mourir, car ils sont comme des anges et ils sont Fils de Dieu, étant Fils de la Résurrection ! » Et Jésus enchaîne aussitôt avec l 'explication de la première parashah de l'Exode, et l 'épisode de Moïse au buisson. L'auditeur occidental a de la difficulté à comprendre la liaison ; peut-être le Saducéen en a-t-il un peu moins puisqu'il a attaqué avec Moïse et que Jésus lui répond avec Moïse. Pour l'un et pour l'autre, Moïse, c'est la Torah. Mais pour le Saducéen, Moïse ne représente que la Torah écrite, alors que pour Jésus, la Torah écrite sans Torah orale n'a ni accent ni saveur. Jésus réplique donc aux Saducéens en tenant compte de leurs critères, mais en les appelant à dépasser la seule Torah écrite. Il dit : « Que les morts s'éveillent, ressuscitent, Moïse aussi l 'a indiqué [il faut donc suivre son doigt qui montre] sur le buisson, quand il dit : "Le Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob". Il n'est pas le Dieu des morts mais des vivants. En effet tous vivent de Lui ! » (Le 20, 37-38). Parole de Phari­sien. Parole de Torah orale. Parole de la foi d'un peuple. Parole de la pédagogie pour les petits. Parole offerte. Parole de confiance. Parole d'incarnation.

Mais, alors que les scribes se reconnaissent en affinité avec Lui (Le 20, 39), Jésus ajoute à l 'égard des Saducéens la mise en garde pharisienne, rapportée par Matthieu et Marc (Mc 1 2, 27) : « Vous vous trompez beaucoup ! Vous êtes égarés ! » Explicitée ainsi dans Matthieu (Mt 22, 29) : « Vous vous trompez, vous vous égarez, de ne comprendre ni les Ecritures ni la Puissance de Dieu ! » En quelque sorte, Jésus identifie la Force du Seigneur à la Torah orale. Il scelle son incarna­tion dans le peuple qui accueille sans cesse la Torah, écrite et orale. Israël répète sans cesse dans sa prière ce cadeau de la Torah orale qui est aussi celui de la résurrection. Le matin, il dit : « Béni sois-Tu, Seigneur, qui fait revenir les vies dans

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les cadavres des morts. » Puis, dans la Amidah sur la rosée5, Israël dit : « Béni sois-Tu, Seigneur, qui fait vivre les morts. » Par ses réponses aux Saducéens, Jésus scelle son incarnation en Israël, peuple de la Torah dans laquelle Moïse communie avec Abraham, Isaac et Jacob. Le dernier argu­ment de Moïse pour trouver dix justes pour protéger le peuple, lors de l 'épisode du Veau d'or, ne fut-il pas celui de la résurrection des morts ? Il ne comptait que sept justes. Mais il se tourna vers le Seigneur et dit : « Maître du monde, les morts vivent-ils ? Il- lui répondit : Tu es devenu hérétique de ne pas y croire ? Moise Lui dit : Si les morts ne vivent pas dans le monde à venir, Tu fais bien d 'agir ainsi, mais si les morts vivent, alors, souviens-Toi d 'Abraham, d 'Isaac et de Jacob ! » Et aux sept justes déjà trouvés, Moïse adjoignit les trois patriarches pour en présenter dix (ExR 44, 3-4).

Un Pharisien ne s'installe jamais pour savourer une vic­toire que d'aucuns penseraient rhétorique. La suite logique de sa rencontre avec les Saducéens, Jésus va la vivre en priant avec un Pharisien (Mc 1 2, p. 208). Sa prière, entre autres, parle de la pluie : « Vous deviendrez fils de votre Père qui est aux cieux, qui fait lever son soleil sur les mauvais et les bons. Et il pleut sur les justes et les injustes » (Mt 5, 45). Il est bon d'écouter le même accent dans la vitalité de ceux qui ont mesuré leurs responsabilités pour le peuple de Dieu : « Rabbi Abahou a dit : Le jour où tombe la pluie a plus d 'importance que celui de la résurrection des morts, car la résurrection des morts est pour les justes tandis que tous, justes et méchants, bénéficient de la pluie. Rabbi Joseph n 'est pas du même avis. Selon lui, c 'est parce que la pluie et la résurrection des morts sont d 'égale importance que la pluie figure dans la bénédiction pour la résurrection. Selon Rabbi Juda, le jour où tombe la pluie est aussi grand que le jour où la Torah nous fut donnée, car il est dit (Dt 32, 2) : Que Mon Enseignement coule comme la pluie ; 1 'Enseigne­ment, c 'est la Torah. Car (Pr 4, 2), Je vous ai donné un Bon Enseignement, n 'abandonnez pas Ma Torah ! » (Taan 7a).

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Et les sages de continuer à discerner entre la façon désinté­ressée d'être disciple et l'étude de la Torah à des fins égoïstes. Ils insistent sur les œuvres : « Simon, fils de Rab ban Gamaliel, dit : Ce n 'est pas l 'étude qui est la racine, qui est l 'essentiel, mais les œuvres ! » (P.A. 1 , 1 7, cf. P.A. 3, 9. 1 7) . Jésus avait dit, avec l' intonation de leur voix et leur accent de famille : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écou­tent la Parole de Dieu et qui la font ! » (Le 8, 2 1 ).

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Nazareth

Ici, le lecteur est au centre du livre. De part et d'autre, il y a douze chapitres afin que le centre soit en treizième position à cause des Treize Attributs. A cet effet, la disposition du chapitre est spéciale. Que le lecteur ait aussi en mémoire les deux appellations « Dieu » et « le Seigneur » qui, pour Israël, désignent Celui qui est Un (p. 37).

Voici la découverte proposée par ce livre : la Torah existe. Cependant la Torah écrite n'a de la force et de la vitalité que par la Torah orale ; seule, elle n'a aucun sens. A la recherche du Juif Jésus qui vient de Nazareth, le Chrétien se mettra à l 'écoute de la Tradition d'Israël. Celle-ci est non seulement orale mais aussi vécue, par exemple dans la prière et la liturgie communautaire.

Une ville inconnue ou connue ?

Souvent, que ce soit sur place, dans la ville arabe actuelle, ou ailleurs, Nazareth est présentée aux Chrétiens par des Chrétiens. Ils la leur montrent comme une ville dont les Ecri­tures anciennes ne parlent pas. Ils la leur décrivent comme essentiellement nouvelle, dans un besoin radical de se séparer de « l'ancien ».

Ils évoquent sans trop de respect les concitoyens juifs de Jésus. Ils oublient de considérer ces Juifs comme des dis-

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NAZARETH

ciples de la Torah à la recherche d'attitudes éthiques et spiri­tuelles toujours mieux ajustées. Car peut-être le nom de Nazareth indique-t-il l'une des attitudes des disciples de la Torah ? Peut-être aussi était-ce l'intuition profonde des pre­miers Chrétiens ? Voilà pourquoi ils répétaient et s'émerveil­laient de ce nom de Nazareth. Voilà pourquoi ils insistaient sur cette origine dont 1' enracinement leur paraissait très connu . . . depuis Moïse.

Or, beaucoup de peuples l'affirment, l' intuition est fémi­nine. Et une ville est toujours dite au féminin.

Assurément, les premiers Chrétiens de Galilée éprouvaient une grande proximité avec les Juifs contemporains de Jésus. Ceux-ci sont souvent affublés d'incompréhension et de rejet, alors qu'ils furent les premiers à reconnaître en Jésus le fils de Joseph, le Messie.

La ville de ces premiers Chrétiens portait un nom : Naza­reth, Celle qui garde ! Leur vocation devait répondre de ce nom. Ils devaient écouter et garder, selon l'exigence du dis­cernement entre une maternité dont on serait nostalgique et la vigilance à la Parole. Ils devaient apprendre à garder selon le nom de « Gardien d'Amour » reçu de la famille et des amis de Jésus quand ils chantaient le Seigneur.

Ils bénéficiaient du dynamisme transmis par les Juifs sur l 'intensité de la Présence du Seigneur au cœur des humains. En effet, les Juifs avaient appris aux premiers Chrétiens la garde attentive de la Présence du Seigneur au cœur des humains : « En ce jour-là, la vigne à vin, entonnez pour elle ! Moi, Le Seigneur, Je la garde, Notsrah ! Je l'arrose à tous les instants. De peur qu'on ne visite sa feuille, Je la garderai, ètsorènnah, nuit et jour ! » (Is 27, 3)

Une lettre de 1 'alphabet, le no un.

En entrant dans Nazareth, le touriste ou le pèlerin voit le panneau écrit en lettres latines : Notsèrèt, le féminin de Not­sèr. Arrivé de très loin, culturellement, linguistiquement et

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liturgiquement, il n'a souvent pas eu l'occasion de pressentir ni les amours, ni les coutumes, ni les aspirations d'Israël. Il ne connaît ni son accent ni son goût pour la Torah écrite noir sur blanc. Et même, il ne mesure pas vraiment l'intérêt de noter la taille carrée et uniforme des lettres hébraïques, ni d'observer exceptionnellement, pour l 'une ou l'autre, un for­mat beaucoup plus grand. Pourtant, au long des générations, les copistes fidèles ont reproduit avec sérieux ces quelques lettres semées et parsemées dans la Torah écrite. Ces lettres leur contaient avec délicatesse beaucoup de Choses du Sei­gneur, des appels, des conseils, des invitations, pour leur vie de tous les jours. Tel était un yod dans le quatrième livre de la Torah, lorsque Moïse rappelait au Seigneur Son Nom de Pardon (Nb 14, 1 7, p. 1 14).

Tel est un noun, N, le N de Notsèr, masculin de Notsèrèt. Ce N est écrit au summum de l'histoire du peuple d'Israël, après le drame du Veau d'or, lorsque l'humble Moïse demande Manifestation du Seigneur, et que le Seigneur passe devant lui (Ex 34, 6-7). Ce N est au cœur d'une énumération de Treize Qualités du Seigneur1 • Les Juifs appellent cette forme de litanie : « les Treize Attributs du Nom du Sei­gneur ». Ils ont choisi ce chiffre comme le dernier de la comptine pour les enfants, au repas pascal. C'est le chiffre de plénitude réservé au Seigneur ; certains, sans doute par peur ou par méconnaissance, 1' ont changé en tabou.

Le Passage du Seigneur : liturgie du Pardon.

A Nazareth, au temps de Jésus, les Juifs connaissaient cette proximité de Moïse et du Seigneur. Comme tous les Juifs de toutes les générations, ils communiaient à cette inti­mité. Ils étaient si étonnés de la « chance » de Moïse qu'ils ne cessaient de commenter le Passage du Seigneur devant lui. Selon le dire de l'un d'eux2 : « Dieu passe devant Moïse, c 'est indicible et incroyable, mais le Talmud dit : Heureuse­ment, c 'est écrit 1 Moïse aperçoit Dieu dans un ta/it, un châle

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NAZARETH

de prière, dit la Guemarah, comme un chantre qui passe devant pour aller mener l 'office. Comme si Dieu confiait un secret, et disait : "Je vais mimer ce qu 'il faut faire pour obtenir le Pardon ! " Et Dieu récite : "Chaque fois qu 'un Juif prononcera cette parole des Treize Attributs, Je pardon­nerai ! " »

Depuis des siècles, cette manifestation du Seigneur à Moïse, et à Son Peuple, est récitée et répétée plusieurs fois au cours de la longue période de fm et de début d'année jusqu'à Yom Kipour. Ces prières de demande de pardon sont faites chaque jour du mois d'Eloul, dernier mois de l'été, dernier mois de 1' année liturgique, où est lue aussi la fin du Deutéronome. Telle fut la proclamation de la Torah à la synagogue de Nazareth le jour où Jésus lut le prophète Isaïe, dans l'ambiance de fin d'année (Le 4). Ces prières sont encore données aux Juifs pour les fêtes graves du jour de l'an à Kipour, et même à Hoshannah Rabbah afin qu'ils goû­tent leur proximité avec le Seigneur, et puissent insister auprès de Lui, et que Lui puisse appeler Son peuple, selon Son projet (ExR 52, 1 7) : « Ma fille, ma sœur, ma mère ! »

Dans chacune de ces prières, « Et Il passa » est répété cinq fois, six fois, sept fois, avec grande intensité, et à deux voix. Tandis que l'officiant dit « Et Il passa », l'assistance pro­nonce une prière de confiance et de demande. De plus, ce « Passage » est si important qu' il introduit, conclut et rythme des litanies d'intercessions, par le refrain : « A cause de "Et Il passa" ! »

Chaque fois, le Juif entend de sa propre bouche ce que le Seigneur a confié de Son Nom à Moïse et à Son peuple, avec Notsèr, le nom de Nazareth, en son cœur. Que le lecteur compte donc les treize lignes de ces deux versets (Ex 34, 6-7) du Nom du Seigneur ! Que l'auditeur soit attentif au neu­vième Attribut, neuvième comme le temps nécessaire à 1' en­fantement : « Il garde, Notsèr, son Amour pour trois mille générations ! » En effet, la langue hébraïque donne un mot pour dire « mille », un mot pour dire « deux mille », et un mot pour dire « mille au pluriel ». Celui-ci représente donc

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plus de deux mille, au moins trois mille. S ' il est parlé de trois mille générations et si 1' on compte trente ans par géné­ration, on arrive au minimum à 90 000 ans. Voici donc ce que répète le Juif, dans la liturgie de fm et du début d'année et du jour de Ki pour.

« Et Il passa, Le Seigneur, près de son visage et Il s'écria :

Le Seigneur Le Seigneur

Dieu Imprégné en Tendresse

et en Grâce Long à la colère

et Abondant en Amour et en Vérité.

Notsèr, Il garde l'Amour pour des milliers, Il enlève le péché,

la transgression et la faute,

et Il innocente ! »

De cette litanie des treize mesures du Nom du Seigneur, la fin n'est pas dite. Elle est néanmoins connue et vécue pro­fondément par les Juifs, dans leur attitude envers le Seigneur et envers chaque prochain. En effet, la deuxième partie du verset 7 d'Ex 34 continue ainsi : « Il n'innocente pas et Il visite le péché des pères sur les fils et sur les fils des fils jusqu'aux descendants de la troisième ou quatrième généra­tion. » Le verbe visiter est souvent traduit par « châtier » avec la connotation de punition. Pourtant, il signifie d'abord visi­ter pour enfanter et mettre au monde, pour conseiller et encourager. Au plan humain et psychologique, l'enfant regarde les gestes et refait les actes de son père. Si celui-ci a failli et péché, le fils doit être invité à revenir dans le bon chemin. Mais si les répercussions du péché se font sentir

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sur quatre-vingt-dix à cent vingt ans (troisième et quatrième génération), le Juif affirme les 90 000 ans de retentissement d'une action d'amour. Le Français Rashi insiste sur l'Amour que « garde, Notsèr, le Seigneur ». Il est le fait de la pratique d'un seul geste par un simple particulier, par un simple croyant. Il ouvre à lui seul un temps de 90 000 ans ! Alors, par la ville de Notsèrèt, Nazareth, les Chrétiens actuels devraient se réjouir de l'enracinement des premiers Chré­tiens. Ceux-ci désiraient dire leur foi en l'Incarnation de Jésus dans le peuple de Dieu, Israël. Ils voulaient le relier à ce Don absolu qu'est le Par Don du Seigneur et dont les Juifs ne cessent de crier et de méditer la profondeur, pendant quarante jours (mois d'Eloul et dix premiers jours de Tishri, jusqu'à Yom Kipour3).

Les Juifs de Nazareth ont vécu la liturgie de Kipour comme tous leurs coreligionnaires de tous les temps. Jésus était l'un d'eux. Ses contemporains, ses disciples, sa famille, ses amis, et même 1' évangéliste Luc - si 1' on accepte de suivre le déroulement de son jour de Shabat de fin d'année, en Le 4 - étaient persuadés de l'importance du Pardon du Seigneur, et pour le peuple de Dieu et pour le monde. Ils ne pouvaient appeler la ville de Jésus que du nom Notsèr, « le Seigneur garde l'Amour des humains ». Mais ils le dirent au féminin, à la mode orientale, par discrétion, par tendresse . . . Alors, parler de Nazareth, Notsèrèt, « Celle qui garde », était, pour eux, faire mémoire de leur responsabilité, et du regard du Seigneur sur eux. Son re-gard était comme une nouvelle garde, comme si Lui-même S'émerveillait de l'Alliance.

Pour eux, premiers Chrétiens, qui recevaient leur vie et leur sens de l'incarnation de Jésus dans son peuple, Jésus ne pouvait pas venir d'une autre cité que de la ville qui garde : Jésus, depuis Nazareth.

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Un bouquet pour Nazareth.

De même que les Juifs associent la Torah et les Prophètes comme venant de Moïse, de même les premiers Chrétiens de Galilée écoutaient ceci de Philippe de Beth Saïda (Jn 1 , 45) : « Celui dont Moïse a écrit dans la Torah et les Prophètes nous l'avons trouvé. C'est Jésus, ben Joseph, de Naza­reth ! »

Ils faisaient mémoire, en un « collier4 », de toutes les gardes de l'Ecriture. Ils les chantaient avec ces trois lettres de Notsèrèt, N-Ts-R, N-T-R ou, lorsque le N se veut discret, les deux lettres Ts-R.

Dans les Prophètes, ils cueillaient cette parole (ls 42, 6) : « Moi, Le Seigneur, Je t'ai appelé dans la justice, J'ai affermi ta main, Je t'ai gardé, weètsorkha, et Je t'ai donné pour l'Al­liance du Peuple et la Lumière des nations ! » Et à propos de ville, toujours en Isaïe (Is 1 , 8 et 26, 3) : « La Fille de Sion reste comme une soukah, comme une ville gardée, wenote­rah ! Nous avons une ville forte . . . ouvrez les portes, qu'entre la nation juste qui observe la fidélité ! L'esprit ferme, Tu le gardes, titsor, en Paix ! Paix, car il s'appuie en Toi ! »

Ils écoutaient encore une invitation dans les Ecrits. Celle­ci a déjà été citée avec les Pharisiens pour lesquels le figuier est l 'arbre de la Torah (Pr 27, 1 8) : « Celui qui garde, notsèr, le figuier mangera de son fruit ! » Et ils murmuraient toutes les paroles des psalmistes (Ps 25, 1 0.2 1 ; 40, 1 2 ; 6 1 , 8 ; 1 1 9, 2.69. 1 29 ; 140, 2.5 ; 14 1 , 3 ... ) , où Le Seigneur garde et où le croyant doit aussi garder.

Les premiers disciples de Jésus faisaient mémoire des trois « gardes » dans la Torah. D'abord, le Notsèr, le Gardant, des Treize Attributs du Seigneur (Ex 34, 6-7) introduits ainsi dans la liturgie des demandes de pardon : « Dieu, Tu nous as enseignés, Tu nous as fait Torah, en nous disant les Treize Mesures. Souviens-Toi aujourd'hui en notre faveur de l 'Al­liance des Treize Mesures, comme Tu l 'as fait connaître depuis l 'origine à l 'humilité de Moïse. Et ainsi il est écrit dans Ta Torah : Le Seigneur descendit dans la Nuée et Il se

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tint là avec lui, et il appela au Nom du Seigneur. Et là, il est dit . . . » Ensuite, dans le dernier chant de Moïse, au cinquième Livre (Dt 32, 1 0). Moïse chante le peuple, Jacob, la part d'héritage du Seigneur, « au désert et dans le tohu, le Sei­gneur entoure et construit, Il le garde, yitserènhou, comme la prunelle de 1' œil ! » Enfin, dans la Bénédiction de Moïse sur la tribu de Lévi, les Lévites qui font la Torah (Dt 33, 9) : « Oui, ils ont respecté Ton Dire, et Ton Alliance, ils l'ont gardée, yintsorou ! »

Nazareth, Notsèrèt, c'est aussi Nètsèr, le bourgeon (ls 1 1 , 1 ) pour faire fructifier les bonnes actions ; Nazîr, le consacré comme Joseph (Gn 49, 26)5 ; Nèzèr, le diadème qui fleurira sur la tête de David (Ps 1 32, 1 8) ; Nètsah, 1 'Etemité chantée par David dans sa foi en la résurrection (Ps 1 6 cf. Ac 2).

Natanaël et Jésus.

Les premiers Chrétiens écoutaient Philippe aller trouver Natanaël et lui annoncer qu'ils avaient trouvé « Jésus, Fils de Joseph, depuis Nazareth ». Ils entendaient la réponse de Natanaël sous le figuier, l'arbre de la Torah, Natanaël à qui Jésus parlera de cieux ouverts. Natanaël disait, en s'appuyant sur toutes les Gardes de la Torah, des Prophètes et des Ecrits (Jn 1 , 46) : « Hors de Nazareth, peut-il être quelque chose de Bon ? » Mais ce Natanaël-là portait le même nom que « ben Natanaël, Dieu a donné la Torah », l 'un des noms de Moïse (LvR 1 , 3) . Son interrogation serait à entendre ainsi : « Si l 'on ne garde pas, quoi de bon ? En dehors de la garde, quoi de bon ? »

Jésus remarquera, à la face du monde, comme souvent la Torah orale le remarque des Juifs6 : « Voici vraiment un Israélite dans lequel il n'y a pas de ruse ! » Le nom de Naza­reth, un Israélite ne peut refuser de l'écouter, il est phonéti­quement et musicalement trop grand. Celui qui a de 1' oreille écoute le N du Nom du Seigneur et de Sa Garde. Alors, avant d'interpréter trop rapidement la réponse de Natanaël

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comme une critique négative de Nazareth, il faudrait écouter et chercher. Qu'a voulu dire Natanaël ? N'a-t-il pas répondu le contraire de ce que 1 'on pense devoir entendre de lui ? Il est impossible qu'un Juif méprise l'un des Attributs du Nom du Seigneur. Le nom de Nazareth, Notsèrèt, est porteur de toute la Force de ce Nom. Le Juif ne peut désapprouver la Garde. Le Juif, l'Israélite Natanaël rapproche Nazareth du refrain (Gn 1 ) donné lors de la Création : « Et Dieu vit que cela était bon », et de la joie du peuple (Ps 133) : « Voici qu'il est bon et qu'il est agréable de s 'asseoir, d'habiter, en frères dans 1 'unité ! »

Le désir du bon est inséré au plus profond de l'humain. Il a cependant à être orienté par les questions des sages. Alors, à leur suite (Ps 34, 13 - 14), Natanaël appelle et enseigne : « Qui est l 'homme qui désire la vie et qui aime les jours pour voir le Bon, Tob ? Netsor, garde ta langue du mal ! » Avec les deux mots « bon » et « garder », placés côte à côte dans le Psaume, l'Israélite, le Juif Natanaël appelle au choix. Si tu veux le bon, il te faut être vigilant, il te faut garder le bon et non le mal : il faut que tu gardes ta langue du mal. Or, la prière de la Amidah s'achève dans cet appel. Un Juif ne peut dire le contraire, ni désapprouver qu' il est bon de garder. Un Juif ne peut parler contre la Garde, Notsèrèt, à moins d'avoir été exacerbé !

Jésus de Nazareth dit au Père qu'Il a gardé, en Son Nom donné, ceux qu'Il lui a donnés, et selon la pédagogie des béatitudes, aucun ne s'est perdu sinon le Fils de Perdition (Jn 1 7, 1 2). Jésus de Nazareth appelle les humains selon la même pédagogie : « Si quelqu'un n'écoute pas mes Paroles et ne les garde pas, Moi, Je ne le juge pas . . . (Jn 1 2, 47) Cette Parole que j 'ai dite le jugera au dernier jour ! »

Alors, que le touriste ou le pèlerin de passage à Nazareth ait et cultive l'aptitude à accueillir et à écouter le nom de cette ville. Qu'il l 'accueille comme le nom de la femme gar­dienne du foyer, celle qui, le jour de Shabat, chante les béné­dictions de la lumière et de la portion réservée pour le Seigneur ! Qu'il aime et respecte ce nom féminin car il lui

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apporte la vie du peuple de Jésus ! Qu'il se garde bien de l'accaparer, car sa saveur et son accent disparaîtraient aussi­tôt, et il ne pourrait plus être en communion avec Jésus de la Gardante, incarné au milieu de son peuple !

Jésus de Nazareth, depuis Notsèrèt, lui apprendra alors à devenir disciple, talmîd ! Il 1' enseignera au Pardon dans la Garde de l'Amour pour mille générations ! Et le disciple, le talmîd, discernera le grand N du Nom du Seigneur ! Il enten­dra et verra le grand Noun du Passage du Seigneur !

Josué et Jésus.

Or, le nom de Josué est « Yéhoshouah bin Noun, Josué fils de Noun7 ». Josué n'eut pas de descendance, mais son ascendance est connue grâce à « bin Noun ». Est-ce seule­ment son identité familiale ? N'est-ce pas plutôt sa filiation spirituelle reçue de Moïse ? En effet, c 'est bien lui, Josué bin Noun, qui succéda à Moïse pour la charge du peuple. Il rece­vait simultanément la charge de la mémoire et de la transmis­sion du Passage du Seigneur devant Moïse, avec le noun de « la Garde de l'Amour » (Ex 34, 7).

Jésus répond au même Nom que Josué. « Jésus de Naza­reth » a, comme « Josué bin Noun », un noun dans son Nom. Jésus de Nazareth porte pour toujours ce Don du Noun à garder pour porter fruit !

Le disciple de Jésus sera appelé à son tour du Nom de Nazareth, Notsri. Il deviendra apte à vivre le Chant des Chants que Jésus et ses amis accomplissent chaque Pèsah,

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chaque Pâque et chaque Shabat. Ils se plaisent à répéter le Nom de gardien, et toutes ses harmoniques. Ils disent, au début (Ct 1 , 6) : « Les fils de ma mère m'ont placée gar­dienne de vignes, notèrah èt-hakeramîm. Ma vigne à moi, je ne l'ai pas gardée, karmi shèl/i, lo natarti ! » Ils disent, à la fin (Ct 8, 12) : « Ma vigne à moi est devant moi, karmi shèlli lephanay ! Mille pour toi, Salomon et deux cents à ceux qui gardent son fruit, lenotrîm èt-piryo ! »

A l'image de Dieu, le disciple, notsèr, gardera la Parole, et le Seigneur, Notsèr, gardera tous les actes d'Amour du disciple.

Etait besoin d'une ville, féminine et discrète, Notsèrèt, Nazareth, pour confier cela !

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.. .

Abba, Père, que Ton Nom soit sanctifié !

Et il advint qu'Il était à prier dans un lieu. Quand Il cessa, quelqu'un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l'a aussi appris à ses disciples ! Il leur dit : Aussi souvent que vous priez, dites : Père, que soit sanctifié Ton Nom. Que vienne Ton Règne. Donne-nous notre portion de pain chaque jour. Pardonne-nous aussi nos péchés car nous­mêmes, nous pardonnons à qui que ce soit qui nous offense. Et ne nous fais pas entrer dans l 'épreuve.

Le 1 1 , 1-4.

Le lecteur est passé par Nazareth, haut lieu de la mémoire du jour du Pardon, du Yom Kipour, pour l'Eglise primitive. Là, il a entendu la liturgie du Pardon, et le Passage du Sei­gneur devant Moïse, répété, recueilli et vécu par Jésus et ses contemporains, à l'insu de la plupart des Chrétiens ultérieurs. Il continue sa route à la suite de Jésus pour connaître de Lui le Père. Mais Jésus appartient à son peuple dont Il a reçu les prières sur les genoux de sa mère, et dont Il garde 1' accent et le souci pour les petits à enseigner malgré tout.

La petitesse la plus préoccupante, et pour Jésus, et pour les Pharisiens, c'est la pauvreté du « peuple du pays » due

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au péché. D'où l'urgence de mettre en œuvre une pédagogie de discernement pour que les pécheurs se tournent vers le Seul qui pardonne et donne vie. Il y a Moïse, le Maître, appelé « Notre Maître, Rabbenou ». Il transmet les comman­dements. Il y a les patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, dont les mérites sont autant de ressources. Ils sont les pères du peuple. Mais d'une part, il ne s'agit pas d'utiliser leur identité pour se croire sauvé1 , et d'autre part, il ne faut pas les confondre avec le Seul qui est Père. Aussi les Pharisiens cherchent-ils des chemins pour que les pécheurs se détour­nent de leurs habitudes ou de leur paresse spirituelle, et se tournent vers le Seigneur. Ils y emploient beaucoup de moyens, entre autres la méthode déjà rencontrée dans ce livre de l'interrogation sur le style de la Torah écrite et sa gram­maire : pourquoi y a-t-il tel futur à tel endroit de l'Ecriture ? Pourquoi y a-t-il tel yod ?

Dans le Traité Shabat, les Pharisiens ont confiance dans le renouvellement dû à la répétition. Ils enseignent et répètent la liturgie du Yom Ki pour et du bouc émissaire, et ils disent : « Mishnah : Comment se fait-il qu 'on fixe un cordon rouge sur la tête du bouc émissaire ? Parce qu 'il est dit : Si vos péchés sont comme les cramoisis, ils blanchiront comme neige (Is 1, 18) 1 » Etant entrés dans le Livre d'Isaïe dont le premier chapitre commence très brusquement, à propos du péché du peuple, les Pharisiens de la Torah orale continuent leur recherche pour un surplus d'intelligence et de vie des disciples et du « Peuple du pays ». « Rabba fit le commen­taire : Qu 'est-ce que nous enseigne le passage : Allez donc et discutons, dira Le Seigneur (Is 1, 18) ? Pourquoi "allez " ? C 'est "venez " que Le Seigneur devrait dire. Pourquoi "dira Le Seigneur ", et non pas "dit " ? Il faut comprendre que dans le monde à venir, le Saint, Béni soit-Il, dira à Israël : Allez voir vos ancêtres, ils vous blâmeront 1 Les enfants d 'Israël Lui diront en réponse : Maître du monde, vers qui irons­nous ? Vers Abraham, à qui Tu as dit : Sache que tes descen­dants seront opprimés (Gn 15, 13), et qui n 'a pas demandé

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grâce pour nous ? Vers Isaac qui, en bénissant Esaü, a dit : Après avoir plié sous le joug, tu le briseras (Gn 27, 40), et n 'a pas demandé grâce pour nous ? Vers Jacob, à qui Tu as dit : Moi-même Je descendrai avec toi en Egypte (Gn 46, 4), et qui n 'a pas demandé grâce pour nous ? Vers qui irons­nous à présent ? Que Le Seigneur nous le dise ! Alors, Le Saint, Béni soit-Il, leur annoncera : Puisque vous vous en rapportez à Moi, même si vos péchés étaient aussi rouges que le cramoisi, ils blanchiront comme neige ! » (Shah 89b ) .

Forts du discernement qu' ils invitent à opérer entre les patriarches vénérés et le Seigneur qui pardonne, et soucieux que chacun puisse vivre son identité et son unicité, les Phari­siens questionnent encore la fin du Livre d'Isaïe. Celui-ci ne mentionne que deux patriarches et oublie Isaac. Alors, les Pharisiens enseignent la Torah orale. Voici la spontanéité et la fraîcheur du dialogue entre Dieu et les humains : non pas des relations guindées ou distantes, mais la simplicité des liens de parenté. Ils annoncent la parenté entre le Seigneur et Isaac, et la Paternité du Seigneur. Ils répètent : « Rabbi Samuel ben Nahmani a dit au nom de Rabbi Jonathan. Que penser du passage : "Oui, Toi, Tu es notre Père, car Abra­ham ne nous connaît pas et Israël ignore qui nous sommes. Toi, Seigneur, Tu es notre Père, notre Rédempteur, depuis toujours, c 'est Ton Nom ! " ? Dans le monde à venir, Le Saint, Béni soit-Il, dira à Abraham : Tes enfants ont péché ! Abraham fera cette réponse : Maître du monde, qu 'ils soient anéantis pour la Sanctification de Ton Nom ! Le Seigneur se dira alors : Je vais en parler à Jacob qui eut bien des déboires avec l 'éducation de ses enfants. Peut-être deman­dera-t-il miséricorde pour eux ! Il dira à Jacob : Tes enfants ont péché ! Et Jacob répondra : Maître du monde, qu 'ils soient anéantis pour la Sanctification de Ton Nom ! Le Sei­gneur se dira : Les vieux n 'ont pas de sagesse, et les jeunes pas de jugement. Il parlera donc à Isaac : Tes enfants ont péché ! Isaac lui répondra : Maître du monde, est-ce que ce sont uniquement mes fils ? Ne sont-ils pas aussi les Tiens ? Lorsqu 'ils T'ont assuré : "Nous ferons et nous écouterons ",

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Tu as appelé Israël : "Mon Fils, Mon Aîné ". Et maintenant, ils seraient mes fils et non les Tiens 1 Je dirai plus : combien de temps ont-ils péché ? Combien d 'années dans une vie humaine ? Soixante-dix 1 Enlève les vingt années d 'enfance exemptes de punition. Il leur en reste cinquante. Retranche les nuits, et il ne leur en reste que vingt-cinq. Retranche aussi douze années et demie qu 'ils passent à prier, à manger, et à satisfaire leurs besoins naturels, il ne leur en reste plus que douze et demie. Si Tu veux bien en porter la charge entière, c 'est bien. Sinon, partageons-la : j 'en porterai une moitié, et Toi l 'autre. Et si Tu estimes que c 'est à moi de la porter toute, ne T'ai-je pas offert ma personne en sacrifice ? Alors, les enfants d 'Israël diront à Isaac : Toi seul es notre père 1 Il leur répondra : Au lieu de me remercier, remerciez Le Saint, Béni soit-Il 1 Et il Le leur désignera. Aussitôt, les enfants d 'Israël lèveront les yeux vers le Très-Haut et diront (Is 63, 1 6) : C 'est Toi, Seigneur, notre Père ! Notre Rédemp­teur, c 'est Ton Nom depuis toujours 1 » (Shab 89b ) .

Il fallait cet enseignement, long mais non fastidieux, des Pharisiens, avec leur référence à Isaac, le fils unique d' Abra­ham et le seul patriarche à ne pas être sorti de la Terre sainte, pour entendre mieux certains moments de l'Evangile. Il fal­lait cette complicité entre eux et les évangélistes, pour communier à la compréhension qu'avaient les premiers Chré­tiens du rôle de Jésus et de sa vocation de Fils unique. Il fallait être témoin de l' intimité, de la proximité et de l'audace familière entre Isaac et le Saint, Béni soit-Il, pour mesurer d'abord l' intimité établie entre Jésus et le Père, ensuite la simplicité des relations entre Jésus et ses disciples, et pour entrer enfin dans l'esprit d'une famille ignorée jusque-là.

Et si vous entendez Jésus provoquer ses disciples, après son long « Discours sur le pain de vie » (Jn 6), vous saurez qu'Il n'en était pas à son premier questionnement. Il demanda : « Ne voulez-vous pas vous en aller vous aussi ? » La manne dont Il parlait, tous ceux qui 1 ' écoutaient savaient bien qu'elle exigeait une prise de position continuellement

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renouvelée. Elle donnait aux Hébreux 1' expérience de la confiance dans la quotidienneté, comme une invitation à ne pas accaparer, à ne faire ni assurances ni réserves qui pourri­raient. La manne n'avait ni déchet ni goût programmé à 1' avance. Elle était donc une grande question pour tous, pour les angoissés qui ont peur des dérangements et aussi pour les rebelles. Elle était comme un appel à ne pas porter un juge­ment définitiF. Elle embrassait la pédagogie de la Torah orale qui demande de s'étonner, d'accueillir les surprises de chaque jour, pour avancer. Jésus interrogeait ses disciples : « Est-ce que vous aussi, vous ne voulez pas partir ? » En réponse, Simon-Pierre faisait écho à l'affirmation de foi des Hébreux après le témoignage d'Isaac : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les Paroles de la Vie Eternelle ! » (cf. ls 63, 1 6) « Et nous aussi, nous croyons et nous savons que Tu es le Saint de Dieu ! » (Jn 6, 69).

L'évangéliste et la première Eglise s 'incarnent dans un agir et une mentalité. Ils s'enracinent dans un accent que les générations suivantes ont oublié. Ils montrent pourtant un compagnonnage entre Jésus et les patriarches de son peuple, entre lui et les enfants d'Israël. Ils ont le même but, et Jésus y consent : que le Père soit connu, que Son Nom soit sanc­tifié !

Pourtant, avant d'aller écouter comment Jésus enseigne le « Notre-Père » à ses disciples, dans les différents Evangiles, il est bon que la mémoire parte puiser à ses sources. Et pour­quoi pas, une fois n'est pas coutume, qu'elle se mette à l'écoute du témoignage de reconnaissance d'hommes du vingtième siècle de 1' ère chrétienne. C'est vrai, certaines phrases non entièrement explicitées pendant des siècles, et réitérées quotidiennement, ont pu amener les Chrétiens à penser que Jésus avait inventé de toutes pièces le Notre-Père pour ses disciples. C'est vrai, certaines thèses fondées sur une négligence et une méconnaissance des langues du peuple de Dieu, en particulier la langue de la Torah orale, ont enseigné à des générations de prêtres et de Chrétiens que les

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Juifs disaient : « Ab, Père », et que Jésus, plus évolué, disait : « Abba, Papa ». Alors, la réaction vigoureuse de Carmine Di Sante devient indispensable au respect et à l'honnêteté des Chrétiens envers les Juifs : « Le terme "Père" souligne la confiance du peuple dans la miséricorde divine, tandis que le pluriel "Notre" marque la solidarité de l'assemblée réunie pour la prière. Prendre au sérieux ces ressemblances rend pour le moins problématique l'opposition que théologiens et exégètes voudraient trouver entre la conception qu'a Jésus de Dieu et la conception juive. Dès le moment où J. Jeremias a défendu la thèse de 1 'Ab ba comme caractéristique exclusive de Jésus, cette opposition s'est faite encore plus radicale. Voici, par exemple, ce qu'écrit un exégète : "Dans l'araméen de Jésus, la parole père devait s 'exprimer par le terme Abba, papa, scandaleux et presque blasphématoire pour un juif, si on l'applique à Dieu." ... Eh bien ! mis à part le fait que la tradition juive connaît aussi le terme "Abba" référé à Dieu (Taan 23b ), la différence entre Ab et Ab ba ne doit pas être exagérée3• »

D'autres responsables d'Eglise témoignent autrement de leur reconnaissance, au sens fort du mot, à la fois de remer­ciement et de confession de foi. Des prêtres, dont le secré­taire de 1' épiscopat français pour les relations avec le judaïsme, le père Jean Dujardin, ajoutent une explication à la phrase introductive du Notre-Père dans la liturgie de l'Eu­charistie. Au lieu de dire seulement : « Comme nous l'avons appris du Sauveur et selon son commandement, nous osons dire », ils éclairent l' incorporation de Jésus dans son peuple. Ils montrent Jésus répétant ces mots, et ce Nom du Père, sur les genoux de sa maman. Ils témoignent de Jésus incarné qui aime à recevoir de son peuple les cadeaux de la prière. En ajoutant ainsi, ils ont l'accent très juif, ou très pharisien (Avot de Rabbi Natan B 27). Ils permettent le discernement des Chrétiens envers leurs racines et leur indispensable enra­cinement. Ils leur évitent de se penser comme le commence­ment absolu par rapport au judaïsme et à la liturgie juive. Ils les soutiennent dans la découverte de leur identité. Ils appel-

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lent aussi à la loyauté, à la reconnaissance et au respect de l' identité de l 'autre. Les Chrétiens ne peuvent plus compter, ni faire jouer, le petit nombre d'emplois du Nom de Père dans l'Ancien Testament pour se prévaloir d'une intimité insolente avec le Père. Au contraire, ils ont la joie et le senti­ment, jusque-là inexpérimentés, de se recevoir du peuple de Jésus, Israël, aimé par Jésus et choisi par le Père. Peut-être ce sentiment est-il une humilité pleine de santé. Peut-être alors l 'humilité donne-t-elle d'entendre la prière et le récit de la vision d'un autre témoin, le Juif Emmanuel Eydoux4• Et voici, dans son poème sur le fin du Shabat, ce qu'il répond à Elie en colère :

« C'est Malachie qui l 'a écrit : Tu es revenu pour ramener le cœur des pères à leurs enfants, ça veut dire d'abord les pères et les enfants, mais ça veut dire aussi le cœur d'Israël aux Chrétiens et aux Musulmans, qui sont comme les enfants d'Israël, les brebis égarées de la maison d'Israël. Tu es revenu pour ramener le cœur des enfants à leur père, le cœur des Chrétiens et le cœur des Musulmans à Israël. Et ça veut dire encore autre chose parce que nous sommes tous les fils de Dieu. Tu es revenu pour cela : ramener notre cœur à notre Père qui est aux cieux et nous ramener à tous - pauvres de nous -pauvres Chrétiens, pauvres Musulmans, pauvres Juifs le cœur de notre Père qui est au cieux ! »

Ainsi, ces trois témoins, Carmine Di Sante, Jean Dujardin et Emmanuel Eydoux, invitent le Chrétien à partir, c'est-à­dire à bouger. Ils doivent partir et chercher les nombreuses fois où, dans leur prière, les Juifs disent : « Père », « Notre Père », « Père de Tendresse ».

Plusieurs fois dans la prière quotidienne, du matin jus-

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qu'au soir, ils reconnaissent leur place d'enfants de Dieu. Dans la bénédiction d'après les repas, ils L'appellent : « Pour tout, Seigneur notre Dieu, nous Te rendons grâce et nous bénissons Ton Nom de ce qui est dit : Tu mangeras et tu te rassasieras, et tu béniras Le Seigneur ton Dieu. . . . Notre Père, sois notre pasteur, nourris-nous, donne-nous la nourri­ture quotidienne ! » Dans la prière avant l'acte de foi, Shema Israël, Ecoute Israël, ils Lui disent : « D 'un Amour éternel, Tu nous as aimés, Seigneur notre Dieu. D 'une Compassion grande et abondante, Tu as eu compassion de nous, notre Père, notre Roi ! A cause de Ton Grand Nom, et à cause de nos pères qui se sont appuyés sur Toi, qui ont eu confiance en Toi, Tu leur enseignas les règles de vie pour accomplir et faire Ta Volonté d 'un cœur plénier et pacifié, ainsi fais-nous grâce ! Notre Père, Père de Tendresse, ô plein de Tendresse, enfante-nous, s 'il Te plaît, à Ta Tendresse, et donne à notre cœur l 'intelligence pour être intelligent, pour comprendre, pour écouter, pour apprendre, pour enseigner, pour garder, et pour faire et accomplir dans l 'Amour toutes les Paroles de la Torah orale et écrite . . . »

Dans la prière des Dix-Huit Bénédictions, les Juifs appel­lent plusieurs fois le Seigneur Père, en s'adressant d'abord à Lui puis au monde (deuxième et troisième personne du sin­gulier). D'abord, dans la bénédiction pour la conversion : « Convertis-nous, notre Père, à Ta Torah, et rapproche-nous, notre Roi, de Ton Adoration (cf. p. 95), et fais-nous revenir par une conversion entière et pacifiée devant Ta Face. Béni sois-Tu Seigneur qui désires la conversion ! » Aussitôt après, ils disent : « Pardonne-nous, Notre Père, car nous avons fauté. Absous-nous, notre Roi, car nous avons péché. Oui, Toi, Tu es Dieu, Tu es Bon et Tu pardonnes. Béni sois-Tu, Seigneur, plein de Grâce et abondant en Pardon ! » Plus loin, ils diront, dans une bénédiction dont beaucoup remar­quent 1 'universalité : « Ecoute notre voix, Seigneur, notre Dieu, Père de Tendresse, enfante-nous à Ta Tendresse, et reçois avec Tendresse et complaisance notre prière. Oui, Toi, Tu es le Dieu qui écoutes les prières et les supplications. Et

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de devant Toi, notre Roi, ne nous fais pas repartir vides 1 Fais-nous grâce, réponds-nous et écoute notre prière ! Oui, Toi, Tu écoutes la prière de toute bouche. Béni sois-Tu, Sei­gneur, qui écoutes la prière5 ! » A la fin de la Amidah, dans la prière « Pose la paix », ils disent : « Bénis-nous, Notre Père, nous tous ensemble, par la lumière de Ta Face car par la lumière de Ta Face Tu nous donnes la Torah, la Vie, l 'Amour . . . » Et le soir : « Fais-nous nous coucher, Notre Père, en Paix, fais-nous nous lever, notre Roi, en bonne vie et en shalom ! » Chaque jour, après chaque repas, la prière d'action de grâces dite Bénédiction de la nourriture donne aux Juifs de prononcer ainsi leur prière : « Béni sois-Tu, Sei­gneur notre Dieu, Roi de l 'Univers, pour toujours Dieu, Notre Père, notre Roi, notre Splendeur, notre Créateur, notre Rédempteur 1 »

Outre la prière quotidienne, qui donne aux Juifs de vivre et d'accomplir leur identité d'enfants de Dieu et de L'annoncer comme Père à leurs enfants, la prière spécifique du Yom Kipour et du début de l'année, Rosh Hashannah, insiste beau­coup sur la Paternité du Seigneur. La longue litanie, à la mélodie émouvante, du « Avinou malkènou, Notre Père, notre Roi », est à la fois appel et confiance envers le Seul Père, et témoignage de la foi des Juifs à la face du monde. On peut citer quelques-unes de ces paroles : « Notre Père, notre Roi, pardonne et oublie toutes nos iniquités. . . Notre Père, notre Roi, écris-nous dans le Livre de la nourriture quotidienne. . . Notre Père, notre Roi, nous avons péché contre Toi . . . Notre Père, notre Roi, écris-nous dans le Livre de la clémence et du pardon . . . Notre Père, notre Roi, détourne de nous toute mauvaise destinée . . . Notre Père, notre Roi, contiens nos angoisseurs et nos adversaires. . . Notre Dieu qui es aux cieux, bénis notre pain et notre eau . . . Notre Dieu qui es aux cieux, fais bientôt éclater sur nous la Gloire de Ton Règne . . . Notre Dieu qui es aux cieux, aie compassion de nous, de nos bébés, et de nos tout-petits . . . Notre Dieu qui es aux cieux, combats ceux qui nous combattent . . . Notre Dieu qui es aux cieux, soutiens-nous quand nous tombons . . . » Une

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autre formulation, pour la demande de pardon, chante ce refrain : « Notre Père, notre Roi, sois tendresse (prends pitié) sur nous. » Les demandes avant les refrains sont : Notre Père, notre Roi, Toi, Tu es notre Père, notre Père, notre Roi, nous n 'avons rien, que Toi . . . Si nous agissons en péché, Toi, Tu es notre Père, et si nous faisons le mal, nous n 'avons rien, que Toi . . . Si notre péché l 'emporte, Toi, Tu es notre Père, Toi, le Rocher de notre Salut, nous n 'avons rien, que Toi . . . Si nous multiplions le dire, Toi, Tu es notre Père, sou­viens-Toi que nous sommes matière, nous n 'avons rien, que Toi . . . Si nous avons péché envers Toi, Toi, Tu es notre Père, Seigneur qui nous pardonnes, nous n 'avons rien, que Toi . . . En Toi, Seigneur, nous espérons, Toi, Tu es notre Père. Oui, Toi, Tu es notre Père, nous n 'avons rien, que Toi . . . Vers Toi, nous tendons les mains, Toi, Tu es notre Père, fais sortir pour nous la guérison, nous n 'avons rien, que Toi . . . Dans ces jours de demande de pardon, Le Seigneur est appelé : « Celui qui nous a conçus, horènou », du même mot que « Torah », et ce Nom est parfois traduit dans les livres bilingues par « Notre Père ».

Ces prières du début de l'année, les premiers Chrétiens les associaient non seulement aux Juifs, mais surtout aux Juifs de Nazareth, à la famille, à la communauté et au peuple de Jésus. Ils les reçurent des Juifs. Ils les leur empruntèrent, avec toute 1' attitude commandée par 1' emprunt. Mais certains siècles ont fait oublier aux Chrétiens, d'une part, la recon­naissance-remerciement et, d'autre part, la reconnaissance loyale de la place des Juifs.

La prière du Qadish, grande prière de « Sanctification du Nom du Seigneur » dite par les Juifs depuis des siècles, et bien avant Jésus, conduit à une troisième forme de reconnais­sance : la confession humble et émerveillée de la sainteté du Nom du Seigneur. Cela se dit Qadish en hébreu. Avant de l 'écouter, et afin de capter toutes ses harmoniques, il est bon de voir et de suivre l'itinéraire de cette prière dans le temps.

D'abord, elle fut dite à la fm de chaque moment d'étude

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de la Torah, le Talmud-Torah. Quand le maître et ses dis­ciples, les talmîdîm, finissaient leur recherche et leur étude, qui était souvent discussion, ils se ressaisissaient et se réo­rientaient dans la récitation (au sens fort du terme) du Nom sanctifié du Seigneur.

Par la suite, le Qadish fut dit à la fin de toute prière, de quelque coloration qu'elle fût. Aujourd'hui, sa conclusion chantée termine toute prière, voire toute rencontre. Par exem­ple, le 1 3 septembre 1 993, à la face du monde, à Washington, jour de la proclamation de la paix, le premier ministre israé­lien Ytzhak Rabin a terminé son discours en anglais par la dernière phrase hébraïque du Qadish. Les journalistes sérieux ont été surpris et n'ont pas su traduire ! Ils ont entendu le Amen final, mais, mis à part les Juifs, peu de gens au monde ont compris !

Enfin, dans une époque qui remonte très loin avant 1' ère chrétienne, le Qadish fut la prière privilégiée pour les moments de deuil. En particulier, elle est devenue la prière spécifique des orphelins pour leurs parents afin qu'ils n'ou­blient pas, devant les souffrances et la mort, l'Entière Dis­tinction, l'Entière Sainteté du Seigneur. En effet, les Pharisiens portaient le souci envers les endeuillés qui ris­quent d'être tentés de nier, de douter du Seigneur, ou de blasphémer. Ils enseignaient cette prière pour la situation douloureuse et difficile du deuil. Lors de la mort des proches, Dieu semble muet et sans consistance, mais les Pharisiens sont vigilants. Alors, ils parlent à leurs gens : « Ecoutez ! Dieu est Tout Distinct ! Que soit grandi et que soit sanctifié Son Nom ! » Et les croyants osent faire ce tour de force. Ils osent dire cela dans la souffrance et le deuil. D'ailleurs, il faut dire « croyants » au pluriel, car ce n'est qu'en peuple qu'ils peuvent témoigner d'une telle audace. Tandis que l'en­deuillé se tient debout et dit le Qadish, les autres 1' entourent. Lui, il dit que, malgré tout, il sait le Nom d'Amour du Père, et il Lui rend grâce. Et les membres de la communauté, le minyan d'au moins dix personnes, accueillent son frémisse­ment et son enfantement renouvelé à la vie du Père. Eux

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envers lui, mais aussi lui envers eux, pour de futures situa­tions identiques, ont une responsabilité réciproque d'incita­tion à une foi accrue et solide. Ils s 'apprennent mutuellement à dire et à vivre la foi en la résurrection des morts.

Alors, les attestations évangéliques deviennent évidentes pour qui a bien voulu ouvrir ses oreilles. Jésus est à Beth Ani, au tombeau de Lazare, avec les membres de sa famille, ses sœurs qu'Il connaît bien et avec qui Il vient de faire un cheminement spirituel (Jn 1 1 ) . Il pleure, Il frémit, Il dit le Qadish : « Père, je Te rends grâce parce que Tu m'as écouté ! Moi, je savais bien que Tu écoutes toujours ! » Et, dans le souci de ceux qui assistent et qui sont sans doute faibles, Jésus continue : « Mais c'est pour cette foule qui est tout autour que je dis, afm qu' ils croient que Tu m'as envoyé ! » (Jn 1 1 , 4 1 -42).

Parallèlement à Jean, l'évangéliste Luc atteste de l'ensei­gnement du Notre-Père juste après le passage de Jésus à Beth Ani (Le 1 1) . Il le montre priant, quelque part. Quand Il cessa, quelqu'un de ses disciples lui dit : « Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l'a aussi appris à ses disciples ! » Lors­que le Chrétien lit la réponse de Jésus, il ne se rend pas compte du refus de Jésus d'acquiescer à cette demande. Il pense que Jésus enseigne une prière nouvelle à ses propres disciples. En fait, Jésus ne répond pas à l'attente étriquée de cloisonnement et de bannière rassurante et particulière : les uns seraient pour lui, les autres seraient pour Jean. Au contraire, Jésus rappelle succinctement les principaux élé­ments de la prière universelle du peuple juif. Et Il va s 'attar­der sur la prière de demande et du désir de la vie spirituelle. La réaction de Jésus à la demande un tant soit peu naïve des disciples et à leur désir d'une mémoire de lui est de les invi­ter à entrer dans une Mémoire. Comme testament, si 1' on peut dire, Il leur propose et Il authentifie la formulation du Qadish qui était connue à l'époque, et qu'ils ont apprise, comme lui, sur les genoux de leur mère. Voilà la mémoire qu' ils devront avoir de lui et qu' ils devront transmettre !

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Voilà comment Il les réajuste à son incarnation et comment Il les attache à son peuple !

Si Matthieu présente aussi Jésus en train d'enseigner le Notre-Père dans son Discours sur le mont (Mt 6), Marc exprime moins une formulation qu'un vécu au jour le jour, dans les différentes rencontres interhumaines quotidiennes (Mc 1 1 ; Mc 1 2, 28-34 ; Mc 14, 32-42, entre autres). Toute­fois, il faut saisir 1' occasion de ce vécu et de cet avenir, à­venir, à vivre. Jésus appelle ses disciples à dire et à vivre cette prière reçue de son peuple, et à recevoir, encore et encore, de son peuple. Jésus lance cet appel soit sur la rive de la mer de Galilée (Mt 6), soit à Beth Ani (Le 1 1 ; Jn 1 1 ), soit en quelque lieu que ce soit (Le 1 1) .

Les Chrétiens de tous les temps ont à devenir aptes et intelligents pour entendre l'appel de Jésus. En particulier les Chrétiens du xx:e siècle doivent être vigilants. Ils doivent savoir que, dans le judaïsme, est souvent cité le témoignage de Rabbi Aqiba mort pour la « sanctification du Nom du Seigneur », martyrisé par les Romains à Tibéria.

Le terme de cette réflexion sur le Qadish et le Notre-Père est proche. Mais on ne peut conclure. On ne peut qu'ouvrir et faire éclater la conclusion. Autrement, le Midrash ne porterait aucun fruit et ne serait plus incarné dans le peuple juif. Avant cette ouverture, 1' auditeur peut enfin entendre le Qadish !

« Que Son grand Nom soit magnifié et sanctifié dans le monde qu 'Il a créé selon Sa Volonté ! Et que règne Son Règne, et que germe Sa Délivrance, et qu 'approche Son Messie, dans votre vie, et de vos jours, et de la vie de toute la Maison d 'Israël, promptement et dans un temps proche !

Et dites : Amen !

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« Que Son Grand Nom soit béni pour toujours et pour les siècles des siècles ! Que soit béni, et que soit célébré, et que soit glorifié, et que soit rehaussé, et que soit élevé, et que soit honoré, et que soit exalté, et que soit loué Le Nom du Saint, Béni soit-Il, au-dessus de toute bénédiction, chant, célébration et consolation qui sont dits dans le monde !

Et dites : Amen ! »

(Les deux paragraphes suivants ne sont dits que pour le Qadish des rabbins.)

« Sur Israël et sur les Rabbis et sur leurs disciples, et sur tous les disciples de leurs disciples, et sur tous ceux qui s 'occupent de Sa Torah, dans ce lieu, et en tout lieu, que pour nous, et pour eux, soient grande paix, grâce, amour, longue vie et nourriture, abondance et délivrance, devant le Maître Souverain qui est aux cieux et sur la terre,

Et dites : Amen !

« Qu 'une grande paix vienne des cieux, vie, rassasiement, salut, réconfort, délivrance, guérison, rédemption, indulgence et pardon, abondance, libération, sur nous et sur tout Son peuple Israël !

Et dites : Amen !

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ABBA, PÈRE, QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ !

« Reçois avec Tendresse et Complaisance notre prière ! Que soient reçues la prière et la demande de tout Israël, devant leur Père qui est aux cieux et sur la terre,

Et dites : Amen !

« Celui qui fait !a Paix dans Ses hauteurs, Lui, dans Sa Tendresse, qu 'Il fasse la Paix sur nous et sur tout Israël,

Et dites : Amen ! »

Ouverture !

Dans le Notre-Père, les Chrétiens demandent, selon l 'en­seignement de Jésus, le pain de ce jour. Mais Jésus, avec la Torah orale, connaît bien cette évidence (Sanh 70b) : « Quand un petit enfant commence à manger du pain, il sait dire Papa. »

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Incarnation - Evangélisation

Que ce soit Ta Volonté devant Toi, Dieu des cieux, que soient entendus et évangélisés des bons évangiles, des évangiles de salut, de réconfort et de consolation depuis les quatre coins de la terre. Et dites : Amen.

(Liturgie du Shabat pour l'annonce du début du mois, Rosh Hodèsh).

Notre Dieu et Dieu de nos pères, notre Dieu qui es aux cieux, annonce-nous des bonnes nouvelles, évangélise-nous de bons évangiles !

(Liturgie de Soukot, fête des Cabanes, fête juive de l'universalité).

Le pèlerin chrétien qui monte à Jérusalem depuis Jaffa, Tel-Aviv ou Emmaüs, et qui regarde complaisamment les écritures autochtones des panneaux indicateurs, sursaute quand certains lui sont traduits. Phonétiquement, une ville nommée « Mevassèrèt Sion », soit ! Mais « Evangélisatrice de Sion » ! Pas possible ! Il y a erreur ! Ou bien les Juifs ont plagié un nom spécifiquement chrétien ! Certaines Bibles et leurs traductions le confortent dans son opinion. En français, si « joyeuse messagère » a le même sens qu'« évangélisatri­ce » (Is 40,9), cela ne fait quand même pas le même effet. Car chaque pays peut avoir des messagers, alors que l'Evan-

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INCARNATION - ÉVANGÉLISATION

gile est, pense-t-on, bien caractéristique des pays chrétiens. Peut-être l'expression, dite vétéro-testamentaire (Is 52, 7, tra­duction Bible de Jérusalem éd. 1 955), « Qu'ils sont beaux sur les montagnes les pieds du porteur de bonnes nouvelles, qui annonce la paix, qui apporte le bonheur, qui annonce le salut, qui dit à Sion : Ton Dieu règne », déroute-t-elle un peu le Chré­tien. En effet, elle s 'adresse directement à Sion. Cependant, bercé par ses privilèges, le Chrétien entend très vite tel rappro­chement rassurant entre le Livre de la Consolation1 et les Evan­giles. C'est assez flou pour que chacun comprenne ce qui lui convient. Les habitudes sont assez cultivées pour ôter toute éventualité d'un accomplissement autre que celui d'une vision prophétique de l'avenir. Les réflexes sont assez rapides pour que 1' on y voie 1' anticipation et la préfiguration de la révélation en Jésus Christ. Et la certitude de détenir la vérité fut assez démontrée pendant des siècles pour qu' il n'y ait pas d'inquié­tude outre mesure. Pourtant, il existe une saine inquiétude, une recherche et une interrogation. Elle s 'exprime par des interpel­lations des Juifs aux Chrétiens !

Dans la parole du prophète Isaïe citée ci-dessus, le verbe évangéliser a été traduit par « apporter ». Cela n'est pas faux, mais cela ne donne pas la sonorité de 1' évangélisation aux oreilles du Chrétien occidental. Or, ces paroles d'Isaïe, ainsi que d'autres du même prophète (ls 4 1 , 27 ; 60, 6 ; 6 1 , 1 ), ont été lues depuis des siècles par la liturgie synagogale de la fin de 1' été. En effet, avant le début de 1' année liturgique, et juste après le 9 Av, ont lieu pour les Juifs sept Shabatot de récon­fort. Les textes lus dans la Torah sont tirés du Livre du Deu­téronome, alors que les textes prophétiques (haphtarah) sortent d'Isaïe2• Ainsi, lors des quatre derniers jours de Sha­bat de l 'année, les haphtarot proclament le verbe évangéliser. De quoi poser question. Surtout quand on écoute, d'une part, la force intraduisible de ces chants hébraïques et, d'autre part, les saveurs que leur donnent les explications des responsables du peuple d'Israël. Ils y entendent, avec le yod, l'annonce de la Résurrection (p. 1 1 8). Ils y goûtent la proximité de Sion, Jérusalem, et des villes de Judah. Ils y donnent une résonance

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messianique. Ils y prononcent leurs mots clés, leurs mots de passe, tels : raconter, porter dans son sein, rassembler, faire paître, élever la voix, faire entendre. Ils y proclament le Salut, le Bonheur, la Paix, la Joie, le Règne et la Venue du Seigneur. Et si les premiers Chrétiens choisirent ces termes pour dire leur identité, c 'est qu'ils avaient enregistré les leçons de leurs pères dans la foi.

La Tradition juive a reçu du prophète Isaïe ces très beaux chants qui offrent 1' apaisement aux exilés de toutes sortes. Les exilés bénéficient de la proclamation du verbe évangéli­ser. Il n'appartient pas au vocabulaire de la Torah écrite, et ses répétitions sont autant de perles pour faire des colliers, à la mode des Pharisiens et de Jésus3• Le prophète prononce le verbe évangéliser au féminin et au masculin. D'abord comme une figure féminine (ls 40, 9) qui annonce la Venue et l 'En­trée du Seigneur, Roi, Pasteur et Rassembleur. Cette évangé­lisatrice est exhortée à ne pas avoir peur, à monter et à élever fortement la voix ; et le peuple de Dieu a vocation de monter. Ensuite, le verbe évangéliser est repris au masculin (ls 52, 7) : « Qu'ils sont beaux sur les montagnes les pieds de 1 'évangélisateur ! » L'évangélisateur a le dynamisme de la danse et de 1' avancée, dans et vers un lieu spécifique, les montagnes et les villes de Judah. Mais, outre Jérusalem, en connaissez-vous des villes de Judah ?

Beth Lehem, la ville de David ! Pour les oreilles exercées, des échos retentissent aussitôt dans les Ecrits, surtout dans deux rouleaux, petits en taille, mais vitaux pour le peuple d'Israël, à savoir le rouleau de Ruth et le rouleau du Cantique des Cantiques. Celui-ci est chanté pour Pèsah, Pâque. Il s 'ex­clame (Ct 7, 2) : « Qu'ils sont jolis tes pas dans tes sandales, Fille de Prince ! » La Bien-Aimée du Cantique des Cantiques évoque 1' évangélisateur. Quant au rouleau de Ruth, il est chanté pour Shavouot, Pentecôte, fête du Don de la Torah et fête de la Moisson. Ce rouleau montre deux femmes arrivant et revenant des campagnes de Moab sur les montagnes de Judah, à Beth Lehem : ce sont Noémi et Ruth (Rt 1 , 6.22).

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Elles arrivent discrètement. Pourtant, leur arrivée agite et désordonne toute la ville. Elles y entrent au commencement de la moisson des orges, c'est-à-dire pour Pèsah, la fête de Pâque, au moment où l'air et le vent se parfument des paroles du Cantique des Cantiques. Elles y arrivent donc un peu comme la Bien-Aimée, avec de « jolis pas », et un peu comme des « évangélisatrices » qui montent sur la montagne et appellent (Is 40, 9). Elles y rythmeront des allées et des venues, des approches, des rencontres et des pauses. Dès leur entrée dans Beth Lehem, un parent est nommé, « un homme fort, dynamique, de nom Booz, "la Force est en lui" » (Rt 2, 1 ), qui sera ultérieurement appelé Racheteur, Rédempteur et 1' ancêtre de David. Le Midrash enseigne que ces deux femmes se dirigeaient vers les autres peuples qui reconnurent le Don de la Torah à Israël4•

Israël, peuple de Dieu, raconte et lit les deux rouleaux, Cantique des Cantiques et Ruth. Lire signifie : appeler, crier, proclamer. C'est une évangélisation. C'est l'accomplisse­ment et la communication concrète de la parole du prophète (Is 40, 9 ; 52, 7).

Cependant, les recherches précédentes dans les Prophètes et les Ecrits ont mis au jour une question : la constatation que le verbe évangéliser, BSR, bissar, n'est jamais écrit dans les cinq livres de la Torah. Le nom correspondant, de même racine, BSR, basar, est au contraire très utilisé. Comment la langue hébraïque est-elle venue à prononcer le verbe évangé­liser alors que le premier sens du nom est chair ? Comment le discernement a-t-il évolué pour que le peuple d'Israël ait d'abord l'intuition de l'indispensable fondement de l'évangé­lisation ? Comment a-t-il pu ensuite mettre en œuvre ce lien entre l'incarnation et l'évangélisation ? Ou bien, comment a­t-il compris que, pour évangéliser, il fallait être incarné ?

Et comment l'a-t-il transmis de façon si claire et si limpide à l'Eglise primitive pour que celle-ci se l'approprie entière­ment ? Par la suite, pourquoi la Tradition chrétienne a-t-elle refusé à la Communauté juive, pratiquement officiellement,

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toute possibilité de vivre cela ? Pourquoi a-t-elle oublié d'où elle tenait la relation entre les deux caractéristiques de son identité ? Questions pour avancer en respect. En reconnais­sance de l'autre. En humilité devant les dons de l'autre. En égard pour la Torah écrite et orale de l'autre. En décision d'ouvrir une ouverture comme le trou ouvert par la pointe aiguë d'une aiguille.

La première occurrence du mot chair dans la Torah n'est pas insignifiante. Elle est dite par l'Adam chez qui le Sei­gneur Dieu fait entrer celle qu'Il a désirée pour être en vis­à-vis de lui. Le Seigneur Dieu l'a construite avec la « côte » ou le « côté » de 1 'Adam. Alors, 1 'homme qui avait appelé les animaux par leur nom prononce le mot chair. Et avec tendresse, « il dit : C'est cette fois, ce coup (même mot que "pas", pas de danse), l'os de mes os et la chair de ma chair. Et celle-ci fut appelée femme car de l'homme elle fut prise. C'est pourquoi l'homme laissera son père et sa mère et s'atta­chera à sa femme, et ils deviendront une chair unique » (Gn 2, 23-24 ; Eph 5, 3 1 -33 p. 86). On remarque le verbe appe­ler ; il n'est écrit qu'en second, après le verbe de la tendresse, dire. Si l'on connaît la rencontre entre Jacob et Laban où ce dernier appelle son neveu : « mon os et ma chair » (Gn 29, 14), l 'évidente accaparation de l'autre par Laban montre déjà les choix éthiques de la Torah. Le couple, le mariage, est le contraire d'une confusion et d'une assimilation de l'autre. Quel intérêt aurait eu le Seigneur Dieu à défaire et à refaire exactement de la même manière ? La Torah, écrite noir sur blanc, appelle 1 'humain à être deux, en vis-à-vis. Mais alors, il faut se parler. Alors seulement, ce sera une communication, une unité communicante, une chair ensemble, BSR. Cette relation pourra être appelée évangélisation, évangile, BSR.

Chaque fois que les Prophètes ou les Ecrits emploieront ce nom d'évangile, ils se référeront implicitement à cette pre­mière relation du Livre de la Genèse. C'est d'ailleurs l'une des traductions que l'on pourrait offrir aux croyants. Certains Laban pensaient désarçonner leur prochain ; ils avaient décidé que 1' autre est identique et uniformisé avec soi. A leur

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encontre, la Torah dirait en quelque sorte : « Cette fois, voici le pas de danse ! Celle-ci est os tiré de mes os, le suc qui permet la force et le dialogue, et chair tirée de ma chair, la nécessaire sortie de soi pour articuler un langage ! A celle­ci, on criera Femme ! Oui, celle-ci a été tirée de l 'homme. De ce fait, l 'homme abandonnera son père et sa mère, le ou les dialogues précédents, et il s 'attachera à sa femme, et ils seront en dialogue ensemble, en communication, en évangi­le5 ! » Doivent être vigilants tous ceux qui se réclament d'évangile et d'incarnation. Leur originalité est enracinée dans le dynamisme d'une relation sans cesse en éveil, tou­jours en interrogation devant l 'autre et devant soi-même. L'humain, de chair et d'os, n'est jamais seul. Sa condition 1' oblige à respecter et à regarder son prochain comme le suc, le meilleur de ce qui sort de lui. Alors, et seulement alors, sa chair s 'accomplira en parlant, articulant, disant, le nom de l 'autre : il sera incarné, il évangélisera. S' il accepte sa condi­tion d'incarnation-évangélisation, il deviendra capable de s 'exprimer devant les tentations et les ruses du serpent. Mais son travail de dialogue et d'interlocution n'est jamais établi une fois pour toutes, il doit être remanié sans cesse. Voilà l 'enseignement et l 'apprentissage donnés par la Torah. Voilà l ' invitation pressante lancée aux humains pour qu'ils accueil­lent la Torah dans sa plénitude, écrite et orale. Voilà pour­quoi les humains peuvent être nommés disciples.

Et maintenant, deux passages midrashiques peuvent être écoutés. Ils viennent des parashiot de deux Shabatot de réconfort, donc des jours où le mot évangile est prononcé dans les synagogues. Le premier réfléchit sur la convo­cation de Moïse pour rappeler au peuple toutes les atten­tions du Seigneur pendant les quarante années de désert. Il lui demande de « garder les paroles de cette Alliance et de les faire de façon à réussir tout ce que vous ferez6 » (Dt 29, 8). Et le midrash de dire : « Rabbi Yehoudah Bar Shalom dit : Le Saint, Béni soit-Il, dit à Israël : Quand êtes-vous appelés Mes enfants ? Lorsque vous accueillez mes

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paroles ! A quoi ressemble cette parole ? A un roi auquel son fils dit : Fais un signe, au milieu du royaume pour mon­trer que je suis ton fils ! Son père lui dit : Tu cherches que tout le monde sache que tu es mon fils ? Habille-toi de ma pourpre, et mets ma couronne sur ta tête, et tout le monde saura que tu es mon fils ! Le Saint, Béni soit-Il, dit à Israël : Vous cherchez un signe pour montrer que vous êtes mes enfants ? Occupez-vous de la Torah et des commandements, et tout le monde verra que vous êtes mes enfants ! Quand êtes-vous appelés "Mes fils " ? Quand vous prenez mes Dires ! (DtR 7, 39-41) .

Le deuxième passage du midrash a trait non seulement à la Parole, mais aussi à la manière concrète de la recevoir et de l'écouter. Comme il a été dit dans l' introduction de ce livre, il faut pouvoir la lire à haute voix. Ainsi : « Voici ce que dit un écrit (Pr 4, 22) : Oui, elles (les paroles de la Torah) sont vie pour ceux qui les trouvent, remède pour toute chair ! Pour qui les trouve hors de sa bouche, c 'est-à-dire pour celui qui les fait sortir de sa bouche, c 'est-à-dire pour ceux qui les prononcent distinctement. On raconte qu 'un dis­ciple de Rabbi Elièzèr ben Yaaqov était très rapide dans son étude, il avait terminé en une heure. Une fois, il fut malade et oublia toute son étude. Quelle était la cause ? Parce qu 'il ne disait pas de sa bouche, parce qu 'il ne prononçait pas distinctement. Rabbi Elièzèr pria pour lui, et son étude lui revint. Autre chose : Ils sont vie pour ceux qui les trouvent, qui les accueillent, motsehîm, c 'est-à-dire pour ceux qui les font sortir pour les autres, môtsîhîm, c 'est-à-dire qui les communiquent à haute voix » (DtR 8, 25-27).

Le concept d'incarnation-évangélisation est typiquement juif. Il peut être exprimé par ce mot déjà cité plusieurs fois : BSR. Il peut se manifester autrement, par exemple dans une prière dite lors du début du mois, Rosh Hodèsh. Le jour de Shabat avant la nouvelle lune, une prière particulière est ajoutée à l 'office. On y retrouve évangile, mais aussi « écoutes bonnes » qui ajoutent une note et un désir supplé-

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mentaires. Entre autres, elle dit : « Que ce soit Ta Volonté devant Toi, Dieu des cieux, que soient entendus et évangé­lisés des bons évangiles, des évangiles de salut et de récon­fort, depuis les quatre coins de la terre. Et dites : Amen 1 . . . Celui qui a fait des miracles pour nos pères, et les a rachetés des Egyptiens, qu 'Il nous rachète et qu 'Il fasse revenir ses fils dans ses frontières. » Celui qui dirige l'office annonce alors le jour de la semaine qui sera Rosh Hodèsh, puis il continue : « Que le Saint, Béni soit-Il, le renouvelle sur nous et sur son peuple Israël, en tout lieu où ils sont, en bonté, bénédiction, joie, allégresse, salut, réconfort, nourriture quo­tidienne, bonnes écoutes, bons évangiles ; en pluies selon les temps, en guérison entière, en rédemption proche. Et dites : Amen 1 »

Le même désir est entendu dans les prières du dernier jour de la fête des Cabanes, Soukot (cf. Jn 7, 37). Ce dernier jour s'appelle Hoshannah Rabbah. Les Juifs crient vers le Seigneur : « Notre Dieu qui es aux cieux, basrènou bsorot tovot, annonce-nous des bonnes annonces, évangélise-nous de bons évangiles 1 » Et tout à la fin de la procession de ce jour, l' introduction de la dernière prière est : « Que la voix de celui qui annonce la bonne nouvelle l 'annonce et dise . . . La voix de celui qui évangélise : il évangélise et dit . . . »

Le lecteur chrétien vient de suivre un itinéraire inhabituel, à la recherche du mot évangile dans le Tanakh. Il a vraisem­blablement été surpris par l'ampleur de ce nom pour l'être et le vivre du peuple juif. Les études classiques en effet se contentent de noter le petit nombre d'emplois, surtout dans les Prophètes, comme autant de pierres d'attente pour ledit « Nouveau Testament ». Simultanément, le lecteur se trouve au cœur de l'inclusion sémitique de ce livre. Il est au cœur du questionnement sur l 'incarnation de Jésus. Ici, l 'auditeur a appris à mieux « intriguer ses oreilles » à 1' écoute des Pha­risiens. Ceux-ci lui ont été présentés de façon trop positive, penseront certains. Mais c 'était un maigre balancement par rapport aux siècles, et à ce siècle, de vues négatives sur eux. Il fallait bien, honnêtement, entendre un peu mieux toutes les

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LE JUIF JÉSUS DEPUIS NAZARETH

affirmations des rabbins, par exemple, celle-ci de Marc-Alain Ouaknin : « Les juifs contemporains sont les héritiers directs des pharisiens de l'époque de Jésus . . . . A une vision totali­sante répond le pharisianisme, auquel il importe de mettre en place la possibilité d'êtres multiples, radicalement séparés les uns des autres, de faire naître des sujets, qui pourront, cha­cun, advenir, autonomes et libérés de l'emprise modélisante des textes. Le pharisianisme est un essai de faire obstacle à l'anéantissement du sujet. Ainsi, contrairement à certaines affirmations trop péremptoires, l 'attitude pharisienne est une contestation de la tradition, l'inauguration même de cette contestation. La loi orale ouvre à la dimension de 1' oralité, à la capacité insigne donnée à chacun d'acquérir la parole, sa propre parole7• »

Dans les Evangiles, Jésus discute, dialogue, communique avec les Pharisiens. Il critique continuellement, comme eux, tous ceux qui désirent s'installer. Son incarnation passe par la particularité et la pédagogie pharisiennes, que l'Occidental du xxe siècle de 1' ère chrétienne le veuille ou non. Mais aujourd'hui, celui-ci a l'occasion de savoir, par les multiples interpellations des Juifs, que les Pharisiens ne sont ni ren­fermés ni négatifs. Ils ne sont jamais satisfaits et se refusent à un seul système d'interprétation : dès que l 'un d'eux affirme quelque chose, son voisin déclare le contraire, ou presque. S 'ils tiennent à déranger, ce n'est pas par plaisir, mais pour éviter qu'eux-mêmes, et ceux à qui ils s'adressent, ne se ran­gent soit dans une sécurisation uniformisante, soit dans un niveau hautement spirituel, et ne négligent l 'attitude éthique envers le prochain. Ils témoignent ainsi de leur intelligence de la communication. Ils attestent de leur chair qui dialogue, qui évangélise.

En outre, en manifestant leur existence envers les Chré­tiens, les Juifs d'aujourd'hui, descendants des Pharisiens, interrogent les Chrétiens. Qu'ont-ils fait de l' incarnation de Jésus ? Questionnement salutaire pour d'aucuns qui ne pen­sent qu'à la Jérusalem céleste, ou pour d'autres qui, se préva-

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INCARNATION - ÉVANGÉLISATION

lant d'universalité ou de largeur de vue et de vie, se hâtent de généraliser. Parfois même, ils arriveraient à considérer comme un hasard que Jésus soit issu de ce peuple. Malheu­reusement pour ceux-là, Jésus est venu dans un petit lopin de terre, couloir de passage entre trois continents, dans « une terre de blé et d'orge, de vigne, de figuier et de grenadier, une terre d'olive à huile et de miel » (Dt 8). Il est venu au milieu de gens qui écrivent de droite à gauche et qui parlent hébreu, une langue s'écrivant sans voyelle, ce qui donne une grande souplesse et rend impossible d'imposer une seule explication !

Sous peine de falsification de l 'histoire, le Chrétien ne peut pas considérer comme anodin que Jésus ait vécu seulement sur cette Terre et dans ce peuple. Sous peine de rejet des appuis de sa foi, il ne peut renier ses racines et les racines de Jésus dans le peuple d'Israël8• L'incarnation et l'évangéli­sation proclamées par les Chrétiens passent par la particula­rité hébraïque, judaïque et pharisienne. Elle est proposée de façon universelle à tout humain de tous les temps. Cela n'équivaut cependant pas à uniformiser tout le monde et à refuser à chacun son unicité. Cela ne réclame pourtant pas de s'approprier Dieu et de le fabriquer à l'image voulue par tel groupe humain.

Peut-être les Juifs d'aujourd'hui désirent-ils encourager les Chrétiens à se laisser interroger par l ' incarnation de Jésus. Ils les appellent, dans leur souci d'une saine éthique univer­selle, à la loyauté et à la communication, en BSR, avec les Chrétiens. Ils pourraient leur communiquer certaines bases, si évidentes pour eux, et si lointaines des préoccupations des Chrétiens. Ils ne cessent de répéter que la Torah manifeste une méthode très fine qui vise à garder les humains dans les chemins humains, humbles (humains et humbles viennent de humus). Sans doute Dieu est-Il bien au-delà des commande­ments, mais les Pharisiens et les Juifs savent aussi que 1 'hu­main est humain. S' il commence à oublier les petites choses, il ne pourra même plus continuer le chemin. Les commande-

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Voir p. 75 deuxième partie

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LE JUIF JÉSUS DEPUIS NAZARETH

ments ne sont pas seulement des ordres, ils sont une relation d'Amour et de Communion, une incarnation.

Peut-être les Juifs d'aujourd'hui attendent-ils des Chré­tiens un peu d'accueil et de respect pour leur façon de vivre ces commandements d'Amour et de Communion . . . Chemin J rm a Pt rliffir.Ï ]P. Vll lf� n::I��P, ne ] ' en�eÏQ'nement dU méoris9 Daf

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Que le premier, il jette une pierre sur elle !

Ils lui dirent : Maître, cette femme a été prise sur flagrant délit d'adultère. Dans la Torah, Moïse a prescrit de lapider celles-ci. Toi donc, que dis-tu ? Ainsi parlaient-ils pour l 'éprouver afin d'avoir à le mettre en catégorie. Mais Jésus, courbé vers le bas, écrivait sur la terre avec le doigt. Comme ils persistaient à l'inter­roger, Il se redressa et leur dit : Celui qui n'a jamais péché parmi vous, que le premier, il jette sur elle une pierre.

Jn 8, 4-7.

Avec ce chapitre qui parlera de pierre gravée, le lecteur aborde une série de cinq attitudes spirituelles, d'éthique ou de prière, communes aux deux communautés juive et chré­tienne. Chacun des deux groupes étant fort heureusement pluriel, les démarches et les comportements vécus et à vivre à partir d'une même Parole seront multiples. Toutefois, s'ils retournent à la source d'origine, comme Niqodème (Jn 3), ou s'ils ouvrent une toute petite ouverture, comme la bien-aimée du midrash, les Chrétiens gagneront en droiture et en santé à la face du Seigneur et à la face du monde. Ce travail difficile enfantera comme un surplus de vie. Il faut toutefois noter les

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L'ÉTHIQUE JUIVE

difficultés, car il semble plus facile de changer le monde que de se changer soi-même.

Une des paroles de Jésus, appréciée sans nul doute de ses contemporains pharisiens et de leurs descendants juifs, tient ensemble l'amour du Seigneur et l'amour du prochain (Mt 22, 40). Jésus invite à la Halakhah, à une conduite intègre envers l 'autre. Cette même conduite fut regardée au point de vue du couple, dans les chapitres parallèles de l'inclusion sémitique de ce livre : « Tu aimeras ton prochain comme toi­même » (p. 83). Par un rapprochement coutumier à la Torah orale, Jésus attache cette parole du troisième Livre de la Torah (Lv 1 9, 1 8), à celle du Shema Israël du Livre du Deu­téronome (Dt 6, 4) . Or, le Juif discerne qu'aussitôt après le commandement d'amour du Seigneur du Shema Israël, vien­nent les commandements qui réfèrent le croyant aux autres. Dans la foulée de son peuple, et sur ses pas, Jésus dit : « A ces deux commandements, toute la Torah est suspendue, et les Pro­phètes ! » Bien qu' il y ait deux sujets, Jésus garde le verbe au singulier. Il se veut fidèle à la conviction de son peuple, pour lequel l'unité de chaque croyant est façonnée par l'unité de la Torah, des Prophètes et des Ecrits, le Tanakh, et même par l'unité de la Torah écrite et de la Torah orale. Une fois de plus, les évangélistes encouragent la cohésion de chaque croyant, fondée dans la cohésion des Choses de Dieu, et répercutée de multiples façons par les responsables du peuple, les Pharisiens et Jésus. Chaque situation reçoit un éclairage original de la part de la même Volonté du Seigneur. Voilà pourquoi les sages disent qu'une Parole s 'ouvre en soixante-dix interprétations. Voilà pourquoi aussi tous les enfants juifs connaissent le midrash du Don de la Torah au Sinaï, la Pentecôte juive. Dieu parlait et sa Parole se divisait en langues de feu qui tombaient au pied de la montagne, sur chacun des Hébreux' . Cependant, chaque circonstance privi­légie une mise en œuvre particulière de la Parole.

Ainsi, lorsque Moïse descendit de la montagne avec les Tables du Témoignage. Cet événement rapporté par la Torah écrite est éclairé par les Pirqè Avot, prémices de la Torah

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QUE LE PREMIER, IL JETTE UNE PIERRE SUR ELLE !

orale. En six pirqè, en six chapitres, ils donnent l'essentiel de la conduite des disciples de la Torah. Une parole jaillit du sixième chapitre, mais elle a été et elle est tellement impor­tante pour le peuple d'Israël que tout le monde reconnaît être concerné par elle à chaque minute. « Rabbi Josué ben Lévi dit : Les Tables (de la Torah) étaient l 'œuvre de Dieu et l 'écriture était l 'écriture de Dieu, gravée sur les tables (Ex 32, 1 6) . Ne lis pas "harout, gravée ", mais "hèrout, liberté ", car tu ne peux être Fils de liberté, et ne peut être Fils de liberté, que celui qui s 'occupe de la Torah. Et quiconque "s 'occupe d 'être disciple de la Torah " (Talmud Torah), celui-là s 'élèvera, comme il est dit : Depuis le Cadeau jus­qu 'à 1 'Héritage de Dieu, et depuis 1 'Héritage de Dieu jus­qu 'aux Montées (Nb 21, 19), (P.A. 6, 2). »

Une nouvelle fois, le non-hébraïsant doit faire confiance au jeu de mots hébraïque. Dans chaque langue des peuples, il y a des homonymes phonétiques. L'hébreu présente une forme spéciale d'homonymie, celle de l'écriture. Plusieurs mots dont les consonnes sont écrites de façon identique ne se prononcent pas pareil du fait des voyelles non écrites. Celles-ci sont le blanc du noir, l'abstrait du concret. Mais si un professeur interroge : « Quel est le plus important, l'abs­trait ou le concret ? », les élèves doivent discerner l'astuce de la question2• Les consonnes sont les plus importantes puisque gravées, écrites. Mais écrites, elles sont noires. Et les voyelles sont les plus importantes puisqu'elles sont souples et donnent la parole, et que sans elles, 1 'humain ne peut communiquer. Mais les consonnes sont les plus importantes puisqu'elles supportent les voyelles, etc.

D'après la Torah écrite, Moïse descend de la montagne avec les tables de la Torah (Ex 32, 1 5). Auparavant, l'audi­teur a entendu que ces tables étaient « écrites par le doigt de Dieu » (Ex 3 1 , 1 8). Moïse, accompagné par Josué, va trouver le peuple. Celui-ci danse devant le Veau d'or. « Moïse se retourna et descendit de la Montagne, les Deux Tables du Témoignage à la main. Tables écrites de leurs deux côtés, de

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L'ÉTHIQUE JUIVE

part et d'autre, elles étaient écrites. Et les Tables étaient l'œuvre de Dieu. L'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les Tables » (Ex 32, 15 - 16) . Dans le texte lu officielle­ment depuis des siècles, les voyelles sont celles de harout, gravé. Mais la Torah orale vigilante ne manque pas à sa vocation d'ouverture. Elle fait exploser le sens. Sûr ! C'était gravé ! Mais au fait, que signifie gravé ? C'est le contraire de l'enfermement et de l'esclavage. C'est la hèrout, liberté. La Torah orale, profitant de ce que « gravé » est en hapax dans toute la Torah écrite3, donne d'approcher la complexité et la beauté de la fibre humaine. Les deux penchants de son cœur poussent 1 'humain à regarder les mitswot, commande­ments, de deux façons. Parfois, ils sont pour lui comme un joug pesant et des entraves qui obligent les gens et les empê­chent d'être eux-mêmes. D'autres fois, ils sont accueillis par lui comme un joug léger où le choix pratiqué à chaque instant par le croyant démultiplie ses capacités vitales, et lui donne une liberté fructueuse.

En outre, la finesse de la Torah orale conduit les auditeurs à entendre, à voir et à être témoin de la Liberté de Dieu. Bien sûr, d'après la Torah écrite, c 'est Lui qui grave l'écriture et ses commandements sur les deux tables. Mais Il est le Maître de la Vie, de la Vérité et du Chemin de Liberté, et Il n'est dépendant ni de structures cosmiques ni de structures humaines. Sa Torah est immuable, et ce sont les humains qui doivent changer. Mais immuable n'est pas synonyme de statique. Son « gravé immuable » est dynamique, et le Midrash Rabba montre ce dynamisme de la « Parole gravée » du Seigneur.

Les Hébreux avaient donc confectionné le Veau d'or. Le Seigneur en avertit Moïse qui n'arrivait pas à croire cela. « Il serrait les Tables et il ne croyait pas qu 'Israël avait fauté. Il disait : Si je ne vois pas, je ne croirai pas ! Il ne les brisa pas avant de voir de ses yeux que les écritures s 'envolèrent des tables. De ce fait, il les brisa » (ExR 46, 2-3). Et les sages d'expliquer que « les lettres gravées donnaient la légè-

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reté aux Tables. Quand les lettres s 'envolèrent, les tables devinrent très très lourdes et Moïse les laissa tomber » (Pirqé de Rabbi Elièzèr 45). Et d'annoncer ainsi, à la face du monde, que Dieu a gravé la liberté plus que dans la pierre, mais dans ce que respire 1 'humain, dans ce qui lui permet de vivre, dans sa vie spirituelle.

Voilà comment les « Pères » dans leurs Maximes (Pirqè Avot), les Pharisiens, et aussi Jésus, reçoivent et transmettent leur Histoire de peuple de Dieu. Avec un nouveau rappel de ce qu'Histoire veut dire pour les gens d'Israël : les enfante­ments, les mises au jour, les ébranlements qui donnent vie aux hommes et surcroît de vie au monde.

Jésus donc, dans le dynamisme de son peuple, va discuter de cette Torah plénière, écrite et orale, légère et souple pour donner Vie et Liberté. Regardez le calendrier !

Le jour se lève, et c 'est l 'aurore du lendemain de la fête de « La Joie de la Torah, Simhat Torah » (Jn 8, 1 - 1 1 ) . Les Juifs ont célébré pendant huit jours la fête de Soukot, la fête des Cabanes. Chaque membre du peuple de Dieu dit sa fragi­lité au Seigneur et sa seule assurance en Lui. Mais chacun sait qu' il vit cela en peuple. Ils ont dansé la veille avec la Torah, et quoi de plus léger et de plus sérieux que de danser avec la Torah, signe de leur amour pour les deux Torot indis­pensables, la Torah qui est dans l'Ecrit et la Torah qui est sur la bouche, la Torah écrite et la Torah orale !

Pendant les jours de Soukot, les Juifs ont fait devant le Seigneur les processions des Hoshannot, des « Hosannah », des demandes de salut, de pluie et de vie. Ils étaient en pèleri­nage à Jérusalem, au Lieu saint, Lieu de Dieu, le Temple que l'on ne peut oublier sous peine de se trouver avec la main oubliante et la langue attachée au palais (Ps 137). Ils étaient montés à Jérusalem pour réaffirmer leurs liens avec le Sei­gneur, pour réaffermir leur prière et pour entendre répéter la nécessité vitale de se laisser travailler par la Torah, au jour le jour.

A l'aube, depuis le mont des Oliviers, où Il a passé la nuit

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L'ÉTHIQUE WIVE

chez Marthe et Marie, « Jésus arrive de nouveau au Temple. Tout le peuple vient vers Lui. Il s'assoit pour les enseigner » (Jn 8, 2). Là, l'évangéliste Jean rapporte un événement extra­ordinaire quant à l'amour de la Torah par Jésus. Ce moment hapax des quatre Evangiles est malheureusement fort mal interprété par beaucoup de générations de Chrétiens. On entend trop souvent, sur l 'esplanade actuelle des mosquées de Jérusalem, Lieu du Temple, des énormités d'incompré­hension, voire de médisance, sur les Pharisiens. Il s 'agit pourtant d'un lieu qui devrait être respecté quant à la prière . . . ce Lieu ne doit pas être utilisé pour condamner les Pharisiens. Or, les Pharisiens sont les ancêtres directs des Juifs d'aujour­d'hui. Il est vrai que les responsables chrétiens qui parlent ainsi à leur groupe n'ont pas appris à avoir de la sympathie envers les Juifs. Ils ont, peut-être, dédaigné d'entendre ce que Jésus lui-même et son peuple entendent dans le mot prière. Le premier sens de prière, en hébreu, n'est ni demande ni louange, mais il signifie : « se mettre en jugement ». Le Temple est donc le Lieu idéal pour vivre et accomplir ce jugement. Effectivement, sur ce Lieu saint, Jésus invite la foule, les Pharisiens, la femme adultère, et tous ceux qui écoutent cet Evangile, à prier. Pas plus. Pas moins.

Quiconque a une toute petite ouverture de sympathie doit savoir que si la Torah écrite est composée de cinq Livres, la Torah orale est composée de six parties, considérées elles aussi sous la plus haute autorité de Moïse. La troisième partie du Talmud concerne entièrement les femmes. Plusieurs traités rendent attentifs aux différents liens avec les femmes, dont un sur la femme soupçonnée d'adultère, avec les mul­tiples recherches sur les préceptes donnés dans la Torah écrite.

D 'une part, pour quelque méfait que ce soit, la Torah est très exigeante quant aux témoins et quant aux preuves. D'autre part, la Torah orale fournit tellement de clauses à chacun des commandements de la Torah écrite qu'il n'est pratiquement jamais possible de lapider et de condamner

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quelqu'un à mort. Si les Chrétiens ont entendu l'exhortation de Jésus : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ! » (Mt 7, 1 ), les Juifs reçoivent et répètent celle de Hill el : « Ne juge pas ton ami avant que tu te sois trouvé dans la même situation que lui ! » (P.A. 2, 4). Le bon sens joue cepen­dant son rôle, et les sept lois noahides données à toute l 'humanité (p. 59) montrent que toute vie de société passe par certains codes de la vie de groupe. Pour 1 'humanité, une des sept lois, c'est d'établir des tribunaux. Dans le judaïsme, les soixante-dix sages du Sanhédrin assurent ce fonctionne­ment essentiel.

Les scribes et les Pharisiens amènent donc une femme prise en adultère. L'auditeur de l'Evangile peut s 'interroger sur le flagrant délit puisque le partenaire homme n'est pas amené4• Il a aussi capacité de lire cet événement comme un désir de la part des Pharisiens de tester en Jésus le degré « de compréhension et d 'effort constant de défense de l 'accusé », selon l'expression de Salomon Hirsch5• Les Pharisiens mani­festent ainsi leur toujours plus grande volonté d'une toujours plus grande adéquation à la Torah, écrite et orale. Une autre question jaillit quant au langage de cet Evangile. Pourquoi dit-il : « Pharisiens » ? La raideur des Saducéens aurait été plus plausible. Est-ce que la mise par écrit tardive de l'Evan­gile de Jean, éloignée dans le temps et éloignée par les dis­tances imposées par la peur et la méconnaissance des racines, n'aurait pas entraîné une confusion entre Pharisiens et Sadu­céens ? Et n'y a-t-il pas là une volonté ou une tendance à amalgamer tous les Juifs, de toutes façons du mauvais côté ? En effet, si l 'Evangile de Jean est rédigé tardivement après la chute de Jérusalem, en 70 de l 'ère commune, seuls les Pharisiens demeurent et représentent « les Juifs » ou plutôt les autorités spirituelles. Un indice dans ce sens serait l 'ar­ticle défmi : « les Pharisiens », comme s ' ils étaient tous là ce jour-là pour être défaits par Jésus !

Or, que fait Jésus ce matin-là ? L'accent est grave ! « En bas », « en bas », « en bas », trois fois au verset 6 (Jn 8).

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L'ÉTHIQUE JUIVE

« En bas », une fois au verset 8 . Et dans ses tons bas, une note haute, au verset 7. Le texte sonne bien dans le désir de montrer quelque chose : il faut remarquer que les deux mots avec « bas » sont hapax dans toutes les Ecritures chrétiennes, et que le verbe « se pencher » n'est employé que dans une autre occurrence. Voici donc la mélodie et la musique :

v. 6 « Ils disaient ceci pour l'éprouver, afin de pouvoir l'accuser bas Et Jésus, courbé en bas, avec son doigt, traçait bas sur la terre.

v. 7 Comme ils restaient dessus à l' interroger, Il se redresse haut et leur dit : Celui de vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à jeter la pierre sur elle.

v. 8 Et de nouveau, Il se courba vers en bas, et Il traçait sur la terre. »

Il y a le doigt. Il y a le verbe « tracer bas », comme un essai de traduction grecque du verbe hébreu « graver » ... et donc, d'après les Pharisiens, comme une annonce de la Torah de Liberté. Il y a le bas, et Moïse descendait vers le peuple. Il y a la terre. A quel mot ce mot grec terre correspond-il en hébreu ? Pour répondre un peu à ce questionnement, il faut noter que quelques manuscrits grecs ajoutent : « Il écrivait sur la terre les péchés de chacun d'eux. » Cette assertion rap­pelle la coutume d'écrire sur un billet les imprécations contre la femme soupçonnée d'adultère et de les effacer dans les « eaux amères » faites avec les cendres de la vache rousse (Nb 1 9 ; Nb 5, 23 et Traité Sota). Enfin, il ne faut pas oublier la fonction donnée à celui qui grave, sculpte, travaille, char­pente, concrètement et avec « 1 'Esprit de Dieu, en sagesse, en intelligence et en savoir ». La Torah présente ainsi « Bet­salel, fils de Ouri, fils de Hour, de la tribu de Judah » (Ex 3 1 , 2-3). Betsalel est l'arrière-petit-fils de Miryam ; d'une certaine façon, il constitue et charpente le peuple d'Israël. Si

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Jésus, fils de Miryam, est aussi appelé « fils du charpentier », il a de toute évidence des relations avec Betsalel.

La question de la place de cette rencontre entre Jésus et une femme prise en adultère est importante. Les manuscrits hésitent. Certains manuscrits présentent cette rencontre dans l'Evangile de Jean, en Jn 8, 3 . D'autres l'insèrent dans l'Evangile de Luc, après Le 2 1 , 38, proche de la fête de Pâque. D'autres enfin l'omettent. La rencontre serait-elle trop proche de la patience et de la miséricorde des tribunaux juifs ? Serait-elle trop juive ?

Alors, voici comment un Juif, Salomon Hirsch, dévoile la vie spirituelle de son peuple. Il énumère les différents agents de la cour de justice : « Il y a, d'une part, les témoins qui accusent le coupable présumé. Ces témoins à charge remplis­sent en même temps la fonction du procureur . . . . D'autre part, il y a le tribunal qui aura à connaître le bien-fondé de l 'accu­sation, mais qui, délibérément, et a priori, prend le parti de l 'accusé. Il est donc en même temps défenseur, et il ne se rangera à l'avis des témoins à charge que lorsque leur déposi­tion aura atteint un degré suffisant de vérité et de certitude. A ce moment, la défense s'écroule d'elle-même et le tribunal statue sur le sort de l'accusé. Tout Juif pourra donc se rendre à la convocation de ses juges avec la conviction de trouver auprès d'eux un maximum de compréhension et un effort constant de défense. »

Voici Jésus ! « Il se redressa haut et Il dit : Femme, où sont-ils ? Personne ne t'a jugée bas ? Et elle dit : Personne, Seigneur ! Et Jésus dit : Moi non plus je ne te juge pas bas. Va ! Et désormais, ne pèche plus ! » (v. 1 0- 1 1 )

Auparavant (v. 9), il était dit de Jésus : « Il fut laissé seul et la femme était au milieu ! »

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L'ÉTHIQUE JUIVE

Or, voici des mots de la Torah, en Genèse : « L'homme laissera son père et sa mère . . . ils feront une chair qui communique ! » (Gn 2, 24) « L'arbre qui est au milieu du jardin. » (Gn 3, 3) « Où es-tu ? » (Gn 3 , 9) « Tu banniras le mal du milieu de toi ! » (Dt 1 7, 7)

Jésus est Libre. Jésus est fils de Liberté. « Ne peut être Fils de Liberté que celui qui s 'occupe de la Torah » (P.A. 6, 2).

Jésus est fils de Liberté. Il appelle chacun à être fils de Liberté. Les Pharisiens ont entendu et compris. Ils ont accepté en ce jour-là de s 'occuper de la Torah et de devenir libres, comme des fils de Liberté.

Jésus est fils de Liberté. Il appelle chacun à être fils de Liberté. Les Chrétiens comprendront-ils ?

Vie spirituelle !

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Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?

Le premier jour de la semaine, dans l 'aurore sombre, elles allèrent apporter à la tombe les aromates qu'elles avaient préparés. Elles trou­vèrent la pierre roulée depuis le tombeau. Elles entrèrent donc et elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Et il advint, alors qu'elles étaient perplexes sur ceci, que voici ! Deux hommes se tenaient au-dessus d'elles, en vêtement éblouissant. Elles en furent effrayées et elles baissaient le visage à terre. Ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le Vivant avec les morts ? Il n'est pas ici, mais Il est ressuscité. Faites mémoire ! Comment Il vous a parlé tant qu'Il était encore en Galilée.

Le 24, l -6.

Parole d'Evangile ? Spécifique aux Chrétiens ? Annonce unique en son genre proclamée par les anges aux femmes venues très tôt au tombeau ? Chant du matin des Pâques chré­tiennes ? Manifestation de tout le renouvellement et de toute la cassure par rapport au vécu précédent, de « l'Ancien Tes­tament », si fort soit-il ?

Cette Parole de la fin de l'Evangile de Luc (Le 24, 5),

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L'ÉTHIQUE JUIVE

sans parallèle chez les autres évangélistes, les Chrétiens la reçoivent comme une évidence qui distance et distingue à jamais leur foi de celle des autres. Elle proclame avec clarté Celui que, semble-t-il, le monde n'a pas compris ou refuse d'entendre, le Vivant, Jésus-Christ. Elle illumine par le Nom du Seul qui dépasse et surpasse la mort, le Ressuscité.

Cette Parole, propre à Luc, est assortie de 1 'explicitation des « deux hommes qui se tenaient au-dessus d'elles en vête­ment éblouissant : "Il n'est pas ici, mais Il est ressuscité. Faites mémoire comment Il vous a parlé tant qu'Il était encore en Galilée" » (Le 24, 4-5). Par la suite, 1 'évangéliste fera tinter aux oreilles des disciples d'Emmaüs les qualifica­tifs pharaoniques d'« imbéciles et lourds de cœur, stupides et durs de cœur » (Le 24, 25). Les femmes sont donc traitées avec beaucoup plus d'égards que ces deux hommes qui fuyaient Jérusalem. Elles sont appelées à la mémoire. Elles sont appelées à marcher vers le troisième jour et à le vivre. Elles sont choisies pour « rapporter toutes ces choses aux Onze et à tous les autres » (Le 24, 9). Mais, pour elles, qu'est-ce que la mémoire ? Ont-elles la même perception, et du coup, la même conduite qu'un Occidental évolué ?

Le lecteur de cette recherche sur l 'incarnation de Jésus côtoie ces témoins du Ressuscité. Il doit prendre soin de lire à voix haute les moments de rencontre entre Jésus et Cléo­phas, dans l'Evangile de Luc (Le 24), et entre Jésus et Marie de Magdala, dans 1 'Evangile de Jean (Jn 20). Dans son par­cours, le lecteur s'est aussi approché de l'annonce de la Résurrection des morts. En effet, le yod du futur employé pour le chant de Moïse (Ex 1 5) lui a permis d'entendre la Tradition orale d'Israël (p. 1 1 8 et Sanh 9 1 a-b).

Une fois de plus, il doit en faire mémoire : Luc est juif. Il travaille sa parole et son écriture en tant que Juif. Il n'a pas d'autre pédagogie que celle de 1' enracinement sans laquelle toute annonce et toute affirmation seraient éthérées. Dès lors, une interrogation monte dans le lecteur, preuve de son atten­tion aux trois rencontres du Ressuscité, dans le dernier cha-

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pitre de Luc : celle des femmes, celle de Cléophas et de son compagnon, et celle des Onze. Pourquoi dans deux de ces rencontres Jésus ressuscité fait-Il un collier des perles de la Torah, des Prophètes et des Ecrits ? Et pourquoi Luc ne donne-t-il aucun enracinement dans l'annonce faite aux fem­mes ? Parce que ce n'est pas directement Jésus qu'elles ren­contrent ? Pourquoi Luc garde-t-il un vocabulaire spécifique pour décrire les « deux hommes 1 » que la Tradition chré­tienne appelle vite des anges ? Evoquerait-il, ferait-il mémoire de deux hommes éblouissants de la Tradition jui­ve ? Quels seraient ces hommes ? Et quelle est la mémoire que ces deux hommes demandent aux femmes ? Luc signale­rait-il, en confidence aux disciples de l'Evangile, la nécessité, vitale pour eux, de deux hommes qui parlent du Vivant ?

Luc est juif. Pour se laisser conduire par lui, il faut être pharisien, c'est-à-dire accepter encore et encore les cadeaux de la Torah orale.

Comment expliquer la Parole : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » ? Les traducteurs de la T.O.B. ont mis cette note : « Jésus est maintenant le Vivant, et ce titre évoque celui de Dieu dans l'Ancien Testament (Jos 3, 1 0 ; Jg 8 , 1 9 ; 1 Sm 14, 39) ». Il est vrai que désigner le Seigneur comme le Vivant est assez fréquent dans les Pro­phètes, les Psaumes ou les autres Ecrits, mais très rare dans la Torah écrite (en quatre circonstances seulement : Gn 16, 14 ; 24, 62 ; Nb 14, 2 1 .28 ; Dt 32, 40). Pourtant, ceux qui reçoivent la Torah orale et qui la vivent connaissent bien le midrash qui éclaire 1' événement rapporté par Luc.

Voici donc la Torah orale, voici la lumière qui sort de l 'écriture noire de la première para shah du Livre de l 'Exode. Lorsque Moïse et Aaron vont voir Pharaon, ils lui disent : « Ainsi parle Le Seigneur, Le Dieu d' Israël ! Renvoie Mon Peuple ! Et qu'ils me fêtent dans le désert ! » (Ex 5, 1 ). Dans un premier temps, le lecteur est invité à savourer ce long développement du Midrash Rabba, ainsi qu'un autre midrash parallèle. Ensuite, il est convié à écouter tous les échos,

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toutes les allusions, tous les sourires et toutes les tensions de la situation.

« Rabbi Hiya Bar Abba dit : Ce jour-là était le jour d 'au­dience solennelle du Pharaon, et tous les rois étaient venus, tous dans leur gloire, et ils apportaient les dons et les hom­mages de la couronne et ils le couronnaient. C 'était le jour du sacre "cosmocrator ", et ils apportaient leurs dieux avec eux. Après son couronnement, Moïse et Aaron se tinrent sur la porte, sur l 'ouverture du palais de Pharaon. Les serviteurs entrèrent dire : Deux vieillards se tiennent sur la porte ! Il leur dit : Qu 'ils montent ! Quand ils furent montés, il les examinait pour savoir comment ils le couronneraient, ou quelles lettres de créance ils lui donneraient. Mais aucun d 'eux ne le salua. Il leur dit : Qui êtes-vous ? Ils lui dirent : Ainsi parle Le Seigneur, Le Dieu d 'Israël ! Renvoie Mon Peuple ! A cette heure-là, il se mit en colère et dit : Qui est Le Seigneur que j 'écoute sa voix pour renvoyer Israël ? Ne savait-il pas m 'envoyer une couronne ? Mais vous n 'êtes venus qu 'avec des paroles ! Je ne connais pas le Seigneur, et même je n 'enverrai pas Israël ! Il leur dit : Attendez-moi jusqu 'à ce que je recherche dans mon livre ! Il entra à l 'inté­rieur de son palais et il regarda partout dans ses livres, peu­plade après peuplade, avec leurs dieux. Il commença à lire : dieux de Moab, dieux d 'Ammon, dieux de Sidon. Il leur dit : J'ai cherché son nom dans ma bibliothèque, mais je ne l 'ai pas trouvé !

« Rabbi Léwi dit : Parabole. A quoi cette chose ressemble­t-elle ? A un prêtre qui avait un serviteur stupide. Le prêtre sortit au-dehors de sa ville de résidence. Le serviteur s 'en alla chercher son maître au cimetière. Il commença à deman­der en criant à ceux qui se tenaient là : N'avez-vous pas vu ici mon maître ? Ils lui dirent : Ton maître n 'est-il pas prê­tre ? Il leur dit : Oui ! Ils lui dirent : Stupide, qui a vu un prêtre dans un cimetière ?

Ainsi Moise et Aaron dirent à Pharaon : Stupide ! Qu 'est­ce qui est le plus courant, que le chemin des morts soit assigné parmi les vivants ou que les vivants soient chez les

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morts ? Notre Dieu est Le Vivant 1 Et ceux que tu dis, ce sont des morts 1 Mais, notre Dieu, c 'est Lui Le Dieu Vivant et Le Roi Eternel 1 » (ExR 5, 3-8).

Pour comprendre cette parabole, il faut savoir que, dans la Tradition juive, les prêtres ont vocation d'être au Temple, à servir le Vivant. Ils n'ont, sauf exception, aucun motif d'aller dans un cimetière. Ce lieu est considéré comme « impur », au sens de « non vivant ». La Torah orale fait cependant la différence entre les cimetières des païens dont les tombeaux ne rendent pas impur (B.B. 1 14a) et les cimetières des Juifs. L'interpellation de la parabole exige des femmes, et aussi des auditeurs de 1 'Evangile, une compréhension et un vécu juifs de la pureté. Le Midrash Tanhouma narre quelque peu diffé­remment la suite de la parabole. « On riait de lui et on lui disait : Pas plus sot que toi 1 Tu cherches un prêtre dans un cimetière ? Mais il est interdit à un prêtre d 'être là 1 Ainsi Moïse et Aaron dirent à Pharaon : Pas plus sot que toi 1 Le Saint, Béni soit-Il, qui a créé le monde, Le Vivant qui tient pour l 'éternité, toi, tu Le cherches parmi les listes des dieux des païens ? Notre Dieu est Vivant 1 Il est le Roi du monde 1 Et les idoles inscrites chez toi sont mortes. Et comment, toi, tu cherches Le Vivant chez les morts ? »

Violente critique de la bibliothèque de Pharaon. Violente critique de 1' écrit considéré comme la maison des tombeaux, le cimetière. Violente critique contre tous les Pharaons qui se lèveront à chaque génération du monde. Violente critique contre ceux qui ne s'en tiendraient qu'à la Torah écrite sans les paraboles vitales de la Torah orale. Violente critique et appel virulent à la vigilance pour tous ceux qui refuseront à Israël, peuple de Dieu, de partir fêter le Seigneur, le Vivant. Dans sa péc!. gogie pour faire bouger, le midrash exige de se rire et de se moquer des stupides pour qu'ils reviennent de leur sottise. Il faut donc que le Chrétien relise ce midrash avec les femmes de l'Evangile. Il faut qu' il l'écoute à nou­veau avec les disciples de l'Evangile, afin d'entendre mieux ce que les évangélistes, ici Luc, veulent annoncer.

Alors, on comprend que les femmes n'étaient pas traitées

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avec plus d'égards que les hommes. Au contraire, la critique sévère qui leur était adressée était encore plus rigoureuse, puisqu'elles étaient comparées à Pharaon et à son entêtement. On comprend aussi la pauvreté des Chrétiens, et leur arro­gance consécutive, de ne pas avoir su écouter et recueillir l'appel à la Vie, et de ne pas avoir su recevoir leur Jésus du peuple d'Israël.

Quand les femmes entendirent les « deux hommes en vête­ment éblouissant », quelle mémoire avaient-elles ? Evoquè­rent-elles Moïse et Aaron sur la porte du palais de Pharaon ? La Tradition de leur peuple dit que Moïse et Aaron « étaient tellement autres et tellement éblouissants que les gardes les laissèrent entrer ». Les femmes entendirent-elles d'abord la rencontre entre Moïse et Aaron et Pharaon ? Ou d'abord la parabole du prêtre dans un cimetière ? Ou bien encore les deux à la fois ? Et ceux qui écoutent cet Evangile sont-ils suffisamment attentifs à ce qui leur est offert ?

Les femmes qui vont au tombeau sont en quelque sorte provoquées par l'humour divin qui les oriente vers l'Essen­tiel : Lui-même. Elles cherchaient des souvenirs, elles n'avaient pas été assez vigilantes dans 1 'éducation de leur Mémoire, elles avaient oublié le Seigneur qui est du côté de la Vie.

C'est comme si le Seigneur désirait avec violence que les Chrétiens ne se leurrent pas sur Son compte. Il est Saint, toujours « Distinct » des idées et des images que les humains s'en font. Cela est très déstabilisant pour leur désir de sécuri­sation. Et les disciples pourront vivre seulement au prix d'un effort continuel de mouvement, de dynamisme, de mémoire, de vie, de non-enfermement !

C 'est comme si le Seigneur posait la grave question de la Liberté en Lui : Où es-tu ? Qui cherches-tu ? Pourquoi donc regardes-tu du côté de la mort ? Refuses-tu de vivre ? As-tu oublié ce qu'est la Vie ? As-tu oublié ce qu'est la Liberté ? Ne sais-tu plus, ne discernes-tu plus qu'un « fils de Liberté » s 'occupe de la Torah du Seigneur ?

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Les femmes au tombeau ont tout à coup le rappel de la parabole, connue de la plupart de leurs contemporains, sur les prêtres et les cimetières. Façon indirecte de signifier la parenté de Jésus au prêtre, celui qui donne la Bénédiction (Nb 6) : la Face, la Grâce, la Paix du Seigneur.

C'est comme si le Seigneur désirait, pédagogiquement, ouvrir l ' intelligence et le discernement. Attention à ne pas poser des actes stupides ! Attention à ne pas être incohérent ! Attention à être en santé ! Peut-être que l 'une des prophy­laxies des maladies spirituelles ou physiques est de ne pas chercher un cohen dans un cimetière, de ne pas chercher le pur dans l ' impureté, de ne pas chercher la vie dans la mort, de ne pas trouver la sécurité dans l 'angoisse, de ne pas trou­ver sa place dans l 'anxiété, de discerner entre la lumière et l 'obscurité, d'être intelligent du jour et de la nuit, du sacré et du profane . . . C'est pour cette raison qu'en tout premier lieu, l 'appel au discernement et contre la stupidité est dit aux femmes en général. Elles sont plus aptes à accueillir 1' œuvre de discernement. Elles seront plus aptes à croire à la vocation de Vie, alors que les hommes auront grande difficulté à s'ap­puyer sur leur témoignage.

C'est comme si le Seigneur donnait un modèle, un type de comportement, à afficher dans tous les salons, toutes les cuisines, et partout. Un jour, les femmes ont accepté de ne plus être stupides. Il n'est donc plus besoin de manifestation, vous avez votre mémoire : faites comme elles ! Même si vous pensez que ce ne sont que des femmes . . . mais ce qui paraît fragile est solide ! Même si vous pensez qu'elles sont trop intuitives . . . mais elles portaient des parfums, signe de mémoire et de vie ! Même si vous pensez qu'elles parlent trop vite . . . mais peut-être faut-il goûter leurs paroles !

Les femmes au tombeau sont décrites dans la situation de Pharaon qui refusait de laisser sortir le peuple de Dieu. Il s'opposait à ce qu'Israël aille adorer à trois jours de marche dans le désert, « Lieu de la Parole » (Ex 3, 1 8). Pharaon alla jusqu'au bout de lui-même en durcissant son cœur, en puisant

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des forces pour résister au Dieu des fils d'Israël. Les femmes sont invitées à aller jusqu'au bout d'elles-mêmes. Elles peu­vent choisir la route de Moïse et d'Aaron ou la route de Pharaon. Accepteront-elles le temps minimum, trois jours, et deviendront-elles capables de Parole ? Se laisseront-elles imprégner (imprégner signifie aussi être enceinte) de la Parole pour mettre au monde, chaque jour, une Parole inédi­te ? Luc les nomme : « Marie de Magdala, Jeanne, Marie de Jacques et les autres qui étaient avec elles » (Le 24, 1 0). Elles peuvent chanter la Parole de l 'amertume, Marah, changée en abondance, Marah, le chant de la Résurrection. Elles peuvent reconnaître Celui qui est debout, et se tenir debout, grâce à Lui !

C'est comme si le Seigneur, par cet archétype des femmes au tombeau, désirait signifier aux disciples le rôle de chacun pour remonter à la source, pour accepter en tout temps d'être secoué de ses attaches paralysantes, et, contrairement à Pha­raon, de chercher pour trouver . . . à condition de ne pas être stupide et de ne pas chercher le Vivant dans un cimetière !

C'est comme si le Seigneur invitait chacun à être debout, à accomplir le changement d'amertume en abondance, à accomplir son propre nom, sa propre vocation !

C'est comme si Jésus ressuscité offrait la surprise de son attachement à son peuple Israël : son incarnation ! Il ne pou­vait venir que dans ce peuple pour manifester aux Chrétiens la Sortie hors de la mort2 !

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Passons de 1 ' autre côté !

Et il advint, l 'un de ces jours-là, qu'Il monta lui aussi dans la barque, avec ses disciples. II leur dit : Passons de l 'autre côté du lac ! Et ils s'embarquèrent. Pendant qu'ils faisaient voile, II s'endormit. Une tempête de vent tomba sur le lac, et ils se remplissaient et ils étaient en danger. Ils s'approchèrent et le réveillèrent en disant : Maître, Maître, nous sommes perdus ! II se réveilla et intima l 'ordre sur le vent et la houle de l 'eau. Ils se posèrent et il y eut le calme plat. Et II leur dit : Où est votre foi ? Effrayés, ils s'étonnaient en se disant entre eux : Qui est donc celui-ci qui commande sur les vents et l'eau et ils l 'écoutent ?

Le 8, 22-25.

L'appel de Jésus lancé, en bord de mer, aux disciples, « Passons de l'autre côté », devient invitation pour les audi­teurs étrangers à entendre un nom. En effet, francophones, anglophones, hispanophones, germanophones et tous les autres n'entendent pas spontanément décliner une identité lorsqu'ils écoutent l'Evangile de la traversée sur la mer en tempête (Le 8, 22). Il s'agit bien pourtant du nom des Juifs, et de l'action et de l'attitude spirituelles très précieuses pour les Hébreux et pour les Juifs. Car passer, traverser et autre

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côté constituent l' intime du peuple d'Israël. Ces trois mots se disent : HBR, hébreu. C'est dire, au centre des cinq cha­pitres actuels sur les attitudes spirituelles, le dynamisme et le rythme des fils d' Israël. D'autres les avaient gauchement considérés comme figés. Malgré ceux-ci, leur nom d'Hé­breux explose dans toutes les directions. D'abord, quant à eux-mêmes. Et leur originalité pourrait être récapitulée en quelque quatre sentences.

Les Juifs, fils d'Israël, passèrent avec Moïse la « mer de la Fin », et furent sauvés de « l'Egypte, l'Angoisse active ».

Ils passèrent ensuite le Jourdain avec Josué pour entrer dans la Terre promise, terre d'Alliance.

Souvent, ils passent et transgressent les ordonnances du Seigneur : ils sont pécheurs. Leurs péchés, par erreur, par haine, ainsi que les fautes volontaires, les éloignent du Sei­gneur.

Mais souvent, ils font repentance et retournent vers le Sei­gneur. Par grâce pour eux et à cause de Son Nom, le Seigneur passe et dépasse leurs péchés : Il les pardonne.

Si un jour, au cours d'une tempête en Méditerranée, autre mer géographique que la « mer de la Fin », un homme est en torpeur au fond d'une caravelle secouée, écoutez bien la suite de son aventure. S ' il est réveillé et interrogé, écoutez bien sa réponse. Car son récit, réclamé par les païens, devient dans sa bouche la proclamation de son nom. Son nom va provo­quer un retournement des païens qui adoreront le Seigneur plus que momentanément. Le prophète Jonas-Colombe dit : « Moi, je suis hébreu, et j 'adore Le Seigneur, le Dieu des cieux qui a fait la mer et la terre sèche ! » (Jon 1 , 9).

Le nom des fils d'Israël, des Hébreux et des Juifs, éclate encore singulièrement quant à leur relation avec le Saint, Béni soit-Il. Le lecteur doit retourner d'ici à Nazareth, au chapitre central de la partie centrale du livre, où a été remar­quée la liturgie des jours austères de l'année juive. Au pre­mier de l'an et au Yom Kipour, en effet, les Treize Attributs du Seigneur reviennent comme un refrain. Pour les dénom-

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mer, les Juifs ne disent ni Treize, ni Attributs, ni même l'un de ces Attributs. Ils disent : « Et Il passa », comme si c'était le Nom par excellence du Seigneur en ces jours-là et en ce jour unique de Kipour. Ce jour fut désigné, dès le cinquième verset de la Torah écrite, en jour unique (Gn 1 ,5). Sur ce jour, la Torah orale l'affirme, le Satan n'a aucune action. Mais si ce jour est essentiel, il faut aussi que les témoins entendent 1 'une de ses harmoniques musicales (les deux mots hébreux « musique » et « passer » signifient le mouvement). En ce jour de jeûne, en ce jour du silence impressionnant des quartiers et des villes, le Juif accueille en lui le Seigneur qui ne cesse de passer et de repasser : « Et Il passa . . . A cause de : Et Il passa » . . .

La ville de l'incarnation de Jésus porte le nom de Notsèr, 1 'Attribut de la « Garde d'amour pour des milliers de généra­tions » (Ex 34, 7). La Notsèrèt, la Garde, gravera en lui, pendant des années, le rythme vivant de « Celui qui passe et repasse devant Moïse et devant le peuple d'Israël ». Sa petite ville calme, Notsèrèt, toute proche de Tsipori, la capitale politique, économique et religieuse, le rendra libre pour, à son tour, passer et repasser au milieu de ses contemporains. Jésus invitera d'abord à recueillir dans la Torah ce Passage du Seigneur. Ensuite, Il engagera chacun à « passer et à tra­verser, à la face du monde, le cosmos, et à la face de l ' éter­nité, le temps ».

A la suite de Jésus, Luc n'aura de cesse de montrer le Passage à Nazareth du Seigneur Dieu. Il est plein de Grâce et de Tendresse et pour les Juifs contemporains de Jésus, et pour les disciples de Jésus, s ' ils veulent bien L'accueillir. Luc n'aura de cesse de dire ce Nom et cette Force de Vie du Seigneur qui passe. Dans les quatre Evangiles, la traduction grecque de ce verbe essentiel de l'hébreu est relativement rare : deux fois chez Matthieu, deux fois chez Marc, trois fois chez Jean. Ce verbe est présent chez Luc, dix fois dans 1 'Evangile et vingt fois dans les Actes des Apôtres. Là, a déjà

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été remarquée la formule curieuse pour les étrangers à Israël : « Pierre qui passait partout » (Ac 9, 32). Dans Luc, Jésus « passe, traverse, au milieu des gens » de Nazareth qui jouent la liturgie du Yom Ki pour. « Il passe dans les villages, en Samarie et en Galilée, et à Jéricho. » Et un jour, l'enfant de Nazareth, qui avait maintes fois répété et vécu le Passage de son Père, est au bord de la mer. Il désire pour ses amis qu'ils renouvellent l'épreuve de la traversée, du passage de la mer de la Fin. Car il s'agit bien d'une épreuve que de décider de quitter une rive sûre même si elle comporte beaucoup d'angoisses et d'asservissements. Aller de l 'autre côté, c'est aller en pays païen, à l'étranger, dans l' inconnu, hors de toute structure éprouvée, en dehors de toute conduite éthique expé­rimentée. Ce qui n'est ni expérimenté ni vérifié est au pre­mier abord impur. Alors, Jésus lance un appel plein de délicatesse et d'humanité, à la portée de ses amis, puisqu'Il ne les laisse pas seuls. Il s ' implique avec eux. Il s 'embarque avec eux. Il est déjà monté dans la barque. Il dit : « Passons de l'autre côté de la mer1 » (Le 8 , 22). On aurait tendance à ajouter : « Entende qui a des oreilles pour entendre ! » On pourrait même appeler l'oreille des francophones à s'exercer à entendre « autre côté, autre rive » en un seul mot comme le grec péran et l'hébreu hébèr.

Passer de l'autre côté de la mer, passer au-delà de la mer, pour le peuple d'Israël et les amis de Jésus, c'est la manière physique d'être hébreu. Le physique doit extérioriser le choix délibéré d'une attitude de confiance totale envers Celui qui appelle à passer. C'est décider de manifester devant les autres un comportement de meneur. Effectivement, bouger, faire bouger, provoquer le mouvement2 et entraîner les autres à passer à leur tour. C'est décider aussi de dépasser les situa­tions. Voilà pourquoi 1 'Hébreu a appris à inventer des para­boles afin de dominer les épreuves et les difficultés et afin de faire passer, de transmettre la force et cet enseignement.

A la suite de Jésus, Luc désire que résonne aux oreilles des disciples le nom d'Hébreu. Il désire que ses auditeurs

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aient l'intelligence de la cohésion indispensable de leur vie. Ils doivent traverser physiquement, concrètement, la mer. Simultanément, ils auront à travailler leur tenue spirituelle pour aller de l 'avant. Dire spirituel, c 'est dire leur respiration du vent de Dieu. Justement, ici, il y a tout : le vent, la mer, le danger, les vagues de l'eau, la tempête de vent. On entend : « Une tempête de vent tomba sur le lac, et ils se remplis­saient3 et ils étaient en danger ! » (Le 8, 23). Alors, l 'évangé­liste façonne en grec un nouveau verbe, diegeirô, pour dire éveiller4. Impossible à traduire littéralement, ce verbe a l'ac­cent hébreu de passer. Les disciples, qui sont dans la barque de Jésus, « s'approchent et le réveillent » donc. Ils l'appellent d'un nom que Luc seul sait dire : « Maître, Maître ! » Et quand Jésus se sera « éveillé d'au-delà, aura passé d'au­delà », et que toutes choses se seront posées, quand il y aura le calme, l 'événement ne s'arrêtera pas là. La traversée conti­nuera par la question de Jésus à la mode de la Torah du sixième jour de la Création (Gn 3, 9) : « Où es-tu ? » Jésus dira : « Où est votre foi ? » Une façon de leur dire : « Hé­breux, où êtes-vous ? Avez-vous oublié d 'entendre votre nom ? Avez-vous oublié votre nom, votre vie ? »

Passer de l 'autre côté, pour les Hébreux, n'est pas une expression employée seulement pour « le passage de la mort ». Ce serait se désintéresser du quotidien à vivre. C 'est le dit et la parole à accomplir et à faire à chaque instant par le disciple. C'est passer de la rive de la tranquillité vers l 'autre rive, passer au-delà et plus loin. C'est faire advenir physiquement et concrètement le Don de la Parole reçue en peuple au pied du Sinaï.

Si Jésus, au cœur de l'Evangile, se manifeste comme par­lant aux éléments cosmiques, avec une Parole agissante à laquelle ils obéissent et qu' ils écoutent ; s'Il choisit d'étonner ceux qui étaient avec lui dans la barque, c 'est, de sa part, un accomplissement et un enseignement. Il désire tenir son peuple en éveil. Il veut lui poser la question renouvelée chaque jour de l'intelligence de son lieu, question posée dès

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l 'origine. Mais, ce faisant, Jésus donne à chacun de ses dis­ciples l'aptitude à poser des questions à son prochain, à son voisin et à son frère.

Les disciples, les talmîdîm, ceux qui travaillent à deux, qui articulent et prononcent à haute voix et à deux, sont capables de vivre un étonnement et de le transformer en crainte divine et en adoration. Mais il ne s'agit pas d'une adoration-extase qui immobilise. Il s'agit d'une crainte, d'une adoration qui permet aux humains ensemble, par interpellation et interroga­tion réciproques, de réorienter leurs peurs. Ils peuvent ainsi avancer, aller de l'avant, parce qu'ils ont accepté de passer au-delà du connu et de passer plus loin que les sécurités. Selon les évangélistes, les disciples disent de Jésus : « D'où est Celui-ci ? » (Mt 8, 27), ou bien : « Qui est celui-ci ? » (Mc 4, 4 1 ; Le 8 , 25).

Le présent chapitre est intitulé « Passons de l'autre côté ! ». Le chapitre correspondant de l' inclusion sémitique porte pour titre : « Quel est le premier commandement ? » (p. 90). Certains y ont découvert le Nom du Seigneur qui fait sortir de l'Angoisse active. Le Nom du Seigneur est lié, dans la pratique quotidienne du croyant, au respect absolu de l'autre, à sa non-peur avec le « Tu ne tueras pas », et à l'hon­neur rendu au père et à la mère, c 'est à dire à l 'insertion dans une famille, une communauté et une histoire (p. 60-6 1 ) .

Dans le présent chapitre, certains découvrent l'attachement de Jésus au Nom de Passeur du Seigneur, et sa compréhen­sion de l 'accomplissement non replié sur soi-même du nom d'Hébreu des humains. La pédagogie de Jésus, selon celle des Pharisiens et de son peuple, vise à l'acquisition par les talmîdîm, par les disciples, de ce Nom de Passeur. Elle est beaucoup plus qu'un enseignement. Jésus a emmené avec lui ses disciples. Pour les rassurer et les réconforter, Il participe avec eux au Passage. Il l'accomplit avec eux. Il leur dit : « Passons de l'autre côté, passons plus loin, soyons hébreux ! » A sa façon, Jésus met au jour et fait éclater en pleine lumière l'appel des sages de son peuple. Sous le mode

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de la Halakhah, Jésus apprend à ses amis à reconnaître son peuple et à s'en approcher. Il leur demande d'accueillir non seulement la Torah, mais aussi le peuple qui vit de la Torah, Israël. Et voici 1' appel. « Rabbi Ismaël a dit : Celui qui apprend pour enseigner, on le met en mesure d 'apprendre et d 'enseigner. Et celui qui apprend pour accomplir et faire, on le met en mesure d 'apprendre, d 'enseigner, de garder, d 'accomplir et de faire 1 » (P .A. 4, 5).

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Ecoute Israël

Un des scribes qui les avait entendus se ques­tionner s'approcha. Il vit qu'II Ieur répondait de belle façon et l ' interrogea : Quelle est la pre­mière mitswah de toutes ? Jésus répondit que la première c 'est : Ecoute Israël, Le Seigneur notre Dieu est Le Seigneur Un. Tu aimeras Le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. Et la deuxième : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre mitswah plus grande que celles-ci. Le scribe lui dit : Beau, Vérité ! Maître, tu as dit qu'Il est Un et qu'il n'y a en pas d'autre à part Lui. Et L'aimer de tout son cœur, de tout son discernement et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices ! Jésus, voyant qu'il avait répondu intelligemment, lui dit : Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu. Et personne n'osait plus 1 ' interroger.

Mc 12, 28-34.

Est-ce que les Pharisiens prient ? Le lecteur non juif qui ouvre le livre à cette page sera surpris par l' inanité du pro­blème. S ' il a entendu superficiellement l'Evangile, comme beaucoup de gens, il hochera la tête en pensant : « Quelle

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ÉCOUTE ISRAËL

question ! Peut-être les Pharisiens prient-ils ! Mais mal ! De façon hypocrite' ! »

Si par hasard, un lecteur juif ouvre le livre à cette page, il sera déconcerté par cette question encore posée. La formula­tion, très dure à son gré, n'est malheureusement que le pâle reflet de tout ce que le Chrétien moyen a engrangé de négati­vité à 1' égard des Pharisiens, et ce pendant des siècles. Les Chrétiens avaient relativement bien compris la filiation entre les Juifs contemporains et les Pharisiens. Alors, les affirma­tions sur l'hypocrisie des Pharisiens durcissaient d'autant plus leur jugement sans appel sur une prière inefficace des Juifs.

Que le lecteur se situe donc dans ce livre ! Il se trouve dans ce que l'on appelle une inclusion, et dans des jeux d'in­clusions (p. 75 et 1 8 1 ). Le chapitre sur « Ecoute Israël » joue à la fois avec la « Recherche du Vivant » (p. 193), deux cha­pitres auparavant, et avec le chapitre « Tu aimeras ton pro­chain comme toi-même » (p. 83 ). Des attitudes spirituelles identiques sont offertes aux Juifs et aux Chrétiens. Chacun les vit sans trop savoir, ou en méconnaissant franchement le vécu de 1 'autre. L'évangéliste Marc va cependant faire entendre un appel au discernement (Mc 12, 28-34), il invitera à entrer dans l' intelligence de l'acte de foi. Seulement, que le lecteur soit attentif, car comme toujours chez les Juifs, la méthode est sobre. Il risque de conclure à une discussion alors que 1' évangéliste veut le conduire sur un terrain diffé­rent. Chez Jean, la même méprise se produit régulièrement à propos des Pharisiens et de la tèmme adultère (p. 1 83).

Les trois Evangiles synoptiques rapportent la rencontre entre Jésus et un scribe ou un Pharisien. Matthieu ne décrit aucune réact�on du Pharisien (Mt 22, 35). Luc montre Jésus dans son rôle de pédagogue, à retourner la question pour que l'homme de la Torah réponde lui-même ; c 'est plus efficace. Ensuite Jésus ponctue : « Tu as répondu droitement. Fais cela et tu vivras ! » (Le 1 0, 28). Puis, il enchaîne avec la parabole dite du Bon Samaritain quant à l'amour du prochain. Pour

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L'ÉTHIQUE JUIVE

l'instant, le lecteur peut noter le « droitement » par lequel la Tradition juive invite instamment et constamment les dis­ciples des sages. Il y a même un désert que la Torah appelle « Shour, Droiture » pour rappeler cette exigence (Ex 15 , 22). D'après Marc, c'est Jésus qui dit le « Shema Israël, Ecoute Israël ». Après la réponse de son interlocuteur le scribe, Jésus tient à le féliciter devant les gens présents. Il lui dit : « Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu ! » (Mc 1 2, 34).

Avant d'aller plus loin, le lecteur doit être alerté sur deux points. Premièrement, sur le fait que le Shema Israël est sou­vent considéré comme l'acte de foi du peuple de Dieu. Les Juifs signalent alors aux étrangers que c'est un acte de foi où l'on ne dit pas « je crois ! », mais « écoute ! » (Pes 56a2). Cela est complètement différent !

Deuxièmement, beaucoup de non-Juifs ne connaissent que les deux premières phrases du Shema Israël, celle de l'écoute suivie du commandement de l'amour envers le Seigneur. Mais le Shema Israël est composé de trois parties : une ouverture, une récitation de la Torah écrite, elle-même constituée de trois textes (Dt 6, 4-9 ; Dt 1 1 , 1 3-2 1 ; Nb 1 5, 37-4 1 ) et une longue prière tirée de la Tradition juive, anté­rieure à l 'époque de Jésus. Donc, aussitôt après avoir dit « Ecoute Israël », le Juif dit que « ces Paroles seront sur son cœur et qu 'il les répétera », qu'il les transmettra à « ses enfants » en toutes circonstances (Dt 6, 6-7). Ces Paroles et ces commandements dépassent le cadre de la seule liturgie ou prière. Ils sont bien plus. Ils rapprochent du prochain. Ils donnent de le regarder et de l'aimer dans la discrétion de l'amour et le respect absolu de l 'identité de l'autre. Ainsi, le Shema Israël, comme les Deux Tables de la Torah, associe les deux commandements de l'amour du Seigneur et de 1' amour du prochain. Celui qui en resterait à la première phrase n'aurait pas compris qu'elle a fonction de sous­entendre toute la suite. Il ne peut pas comprendre s'il ne côtoie pas le peuple qui prie et vit cela. Comme tout Phari­sien responsable du peuple, et vigilant sur le laisser-aller et

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ÉCOUTE ISRAËL

le choix de facilité par les gens, Jésus rappelle que vivre la foi sur un mode vertical est indissociable d'un vécu sur le plan horizontal. Les deux commandements sont indisso­ciables. Tout le monde en a conscience dans le peuple d'Is­raël. Mais fréquemment, les humains préfèrent oublier l'essentiel. C'est en particulier l'histoire d'Israël, peuple de Dieu qui ne cesse d'être enfanté.

Quand Jésus rappelle à ses auditeurs que « les deux commandements sont semblables et que toute la Torah est suspendue à eux » (Mt 22, 39-40), il n'y a pas grande nou­veauté. Ou plutôt, l'énorme nouveauté procède chaque matin, et à chaque instant, de la responsabilité de 1 'humain. Il accueille 1' exigence de se renouveler à chaque minute, comme à chacun des refrains « Chantez au Seigneur un chant nouveau » (Ps 96). Le monde n'a pas à changer. Mais 1 'homme, le croyant doit se changer !

Jésus a donc félicité le scribe qui l 'avait interrogé et avec lequel Il avait discuté à la mode pharisienne.

Eh bien, pour cette fois, non, ils ne discutaient pas ! Et Jésus ne congratule pas l'un des Pharisiens ! Car Marc demande à son auditeur d'ouvrir un tout petit peu son intelli­gence pour entendre là autre chose qu'un dialogue entre deux parties. Marc dit en effet : « Jésus, voyant qu'il avait répondu intelligemment » (Mc 12, 34). Intelligemment est hapax dans toutes les Ecritures chrétiennes, il traduit peut-être l' incessant appel au discernement (p. 41 -42) et à l'ouverture proféré par la Tradition juive. Marc demande donc l 'intelligence pour discerner plus qu'un dialogue : une prière, un acte de foi. C'est une liturgie où chacun à son tour doit chanter ou dire sa partition.

Jésus et le scribe semblaient être en parfait accord dans leur manière de répondre, d'attraper au bond la parole et de repartir du tac au tac. Oui, mais bien plus. Ils n'énoncent pas froidement le nom d'une prière, ils prient ensemble, ils communient à la même foi et à la même attitude. Pour les entendre . . . et pour s'émerveiller du cadeau de l'enracinement

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et de l'incarnation fait aux Chrétiens depuis l'époque de la mise par écrit des Evangiles, il suffit d'écouter comment les Juifs prient. Quelle est donc la prière, dans le Shema Israël, qui suit les trois passages récités de la Torah écrite ?

Dans ce long entretien où le Juif confesse le Nom et la Parole du Seigneur, les mots employés par Jésus et le scribe seront écrits en caractères romains. Y seront aussi transcrits certains mots hébreux connus. D'autre part, un mot y est répété très souvent, en verbe et en substantif, dont on n'a pas les parallèles en français : le verbe racheter correspond au nom Rédempteur. Pour entendre mieux la musique, on inven­tera donc le verbe « rédempter ».

De plus, le lecteur reconnaîtra dans cette prière certains accents empruntés par le Magnificat. Il entendra huit fois le Nom du Seigneur Vérité .. . que certains peuvent traduire plus banalement par « c'est vrai ». Qu'il sache enfin que, pour un Juif, cette prière est une façon d'accepter « le joug du Royaume des cieux ». Voici donc cette prière !

« Le Seigneur votre Dieu est Emèt, Vérité ! « Emèt, Vérité ! Cette Parole est sûre, raisonnable et solide,

permanente, droite, nèèman, fidèle, aimée, chérie, délicieuse, nai'm, agréable, adorable, splendide. Elle est douce, accueillie, bonne, belle, sur nous, pour toujours et à jamais.

« Emèt, Vérité ! Dieu éternel, notre Roi ! Rocher de Jacob, bouclier de notre Salut ! De génération en généra­tion, Il tient en permanence, et Son Nom est éternel. Et son trône est ferme et solide ! Et Son Règne et Sa Fidélité tien­nent solidement pour toujours ! Et Ses Paroles sont Vie et tiennent, elles sont fidèles et délicieuses pour toujours, dans les siècles des siècles, sur nos pères, sur nous et sur nos enfants, et sur nos générations, et sur toutes les générations de la descendance d 'Israël, ses serviteurs, sur les premiers et sur les derniers ! Parole bonne et qui tient solidement dans la Emèt, Vérité et dans la Fidélité. "Un décret et Il ne pas­sera pas3 ! "

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« Emèt, Vérité ! Parce que Toi, Tu es le Seigneur, notre Dieu et Dieu de nos pères, notre Roi et Roi de nos pères, notre Rédempteur et Rédempteur de nos pères, Celui qui nous as formés, Rocher de notre Salut, notre Libérateur et notre Protecteur. Depuis toujours c 'est Ton Nom, et nous n'avons pas de Dieu à part Toi ! Sèlah4•

« C 'est Toi Le Secours de nos pères, c 'est Toi depuis tou­jours, Bouclier et Sauveur pour eux et pour leurs fils après eux, de génération en génération.

« Parce que Tu es élevé éternellement, Tu sièges, et Tes jugements et Ta justice vont jusqu 'aux extrémités de la terre.

« Emèt, Vérité ! Dynamismes, béatitudes de l 'homme qui écoutera Tes commandements, Ta Torah et Ta Parole qu 'il posera sur son cœur !

« Emèt, Vérité ! C 'est Toi Le Seigneur de Ton Peuple, et le Roi puissant pour le procès, leur procès, pour les pères et les fils !

« Emèt, Vérité ! C 'est Toi le Premier et c 'est Toi le Der­nier. Et à part Toi, nous n'avons ni Roi, ni Rédempteur, ni Sauveur !

« Emèt, Vérité ! Tu nous as "rédemptés " depuis 1 'Egypte, Seigneur notre Dieu. Tu nous as délivrés de la maison des esclaves. Tu as abattu tous leurs premiers-nés et Tu as "rédempté " Ton Premier-né Israël. Et Tu as fendu pour eux la mer Rouge, et Tu as noyé les superbes. Tes bien-aimés ont passé la mer, les eaux de leur angoisse. Aucun d 'eux n 'est resté, et sur ce, Tes aimés ont glorifié et exalté Dieu. Tes bien-aimés ont donné musiques, chants et louanges, bénédic­tions et actions de grâces au Roi, Dieu vivant et qui tient solidement ! Haut et élevé ! Il abaisse les orgueilleux jusqu'à terre ! Il élève les abaissés jusque dans la hauteur ! Il fait sortir les prisonniers. Il libère les humbles. Il secourt les pauvres. Il répond à Son peuple Israël au temps de son cri vers Lui, louanges pour Dieu Très-Haut, leur Rédempteur. Qu 'Il soit béni et salué !

« Moïse et les Fils d 1sraël T'entourent d 'une Shirah, d 'une Chanson, avec grande joie, et tous disent : "Qui est

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L'ÉTHIQUE JUIVE

comme Toi parmi les dieux, Seigneur ? Qui est comme Toi, Splendide en Sainteté, Adoré par des louanges, qui fait Mer­veille ? "

« Une Shirah, une chanson nouvelle, les "Rédemptés " louent Ton Grand Nom sur la lèvre de la mer 1 Ensemble, eux tous confessent et rendent grâce. Ils Te proclament Roi et disent : Le Seigneur régnera pour toujours et à jamais ! Notre Rédempteur, Le Seigneur Tsabaoth est Son Nom, Le Saint d 'Israël ! Béni sois-Tu Seigneur qui as "rédempté " Israël ! »

Aussitôt après ces mots qui terminent le Shema Israël, commence la prière debout, dite Amidah. Ses premiers mots sont : « Seigneur, ouvre mes lèvres 1 »

Cette longue prière d'acceptation et d'accueil du joug du Royaume des cieux (Ber 1 3a) devait être entendue par les Chrétiens. Ils peuvent désormais discerner 1 'être ensemble de Jésus et du scribe. Jésus et le scribe prient ensemble. Jésus récite à la mode juive les passages de la Torah écrite. Le scribe continue par la répétition rythmée de toutes les mer­veilles du Seigneur. Jésus a reçu le rythme de son peuple et Il le perpétue. Des mots, qui furent souvent interprétés par les Chrétiens comme des appréciations, appartiennent à la prière. Il faut donc relire à haute voix, à la fin du corps de l'Evangile de Marc, cet épisode (Mc 12, 28-34), et se tenir dans 1' accueil de cet acte de foi.

Le scribe dit : « vérité » ou « vrai » (huit fois dans la prière) ; « bon » ou « beau » (au début de la prière, ce mot est traduit par « droite », et Jésus, dans Luc, dit « droite­ment ») ; « sauf Lui », expression retrouvée à la fin du pre­mier moment avant le Sèlah et juste avant de dire le dernier Emèt, Vérité.

Jésus répond en parlant du « Royaume de Dieu », comme les trois affirmations du croyant sur le Seigneur Roi : au début, « notre Roi, Son Règne » ; au milieu, « A part Toi, nous n 'avons pas de Roi » ; et surtout à la fm, le grand choix

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de vie fait par le croyant « Ils Te proclament Roi ». Jésus n'est-il pas là à proclamer Roi Celui que le scribe aime et choisit ?

Dommage que dans les traductions de la Bible, on ne signale que les références scripturaires, et que l'on ait oublié les références du vécu du peuple de Dieu et de sa prière ! Dans la bouche du scribe, reconnaître qu'« aimer le prochain comme soi-même vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices » est en effet une citation du prophète Osée (Os 6, 6 et Mc 1 2, 33). Mais les Chrétiens sont appelés à entendre ce scribe parler comme Rabbi Y ohanan Bar Zakaï, comme la Torah orale. Ils accueillent ainsi la complicité de Jésus avec la Torah orale, et son incarnation dans son peuple. En effet, « une fois, Rabbi Yohanan Bar Zakaï allait son chemin quand Rabbi Josué lui courut après et lui dit : Malheur à nous, car la Maison de notre Vie a été détruite, le Lieu où l 'on expiait nos fautes 1 Il répondit : N'aie pas peur 1 Nous avons une autre expiation à la place de celle-ci 1 L 'autre demanda : Laquelle ? Il récita : Oui, J'aime la générosité et non les sacrifices 1 » (Avot de Rabbi Natan B 8). Yohanan Bar Zakaï cite le prophète. Mais la conduite de vie qu'il en tire est plus importante que la citation. Le scribe et Jésus vivent cela. Telle est la proximité du Règne de Dieu. Tel est le « Ecoute Israël » vécu. Comme dit Carmine di Sante : « Aussi ce Shema Israël fut-il la nourriture de Jésus, jour après jour, matin et soir ; celle de la Vierge Marie, des Apôtres et des premières communautés chrétiennes5• »

Mais pour entendre et capter cette prière de Jésus avec un Pharisien, pour être un tant soit peu en connivence avec leur acte de foi, il faut connaître et fréquenter des Juifs qui ne cessent de dire deux fois par jour le Shema Israël, et de l'ap­pliquer le reste de la journée !

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Pas de pierre pour reposer la tête !

Jésus vit la foule autour de lui. Il ordonna de s'en aller vers l'autre rive, au-delà. Un scribe s'approcha et lui dit : Maître, je te suivrai où que tu t'en ailles ! Jésus lui dit : Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids. Le fils de l'homme n'a pas où poser la tête.

Mt 8, 18-20.

L'attitude spirituelle du peuple d'Israël est l'écoute mani­festée dans la conduite éthique et la prière. Quel père se pré­parant à reposer sa tête dans la mort ne désirerait pas entendre promesse de fraternité entre ses enfants ? Tel fut le patriarche Jacob-Israël au moment de reposer sa tête. Et telle fut la décision de ses fils « serrés autour de lui dans une harmonieuse et émouvante concorde », ils lui assurèrent qu'ils ne se dévoreraient pas comme des bêtes féroces1 • Ils appelèrent leur père du nom qui lui avait été donné après la nuit de combat (Gn 32, 23-33), Israël, et devant lui, ils dirent : « Ecoute Israël, Le Seigneur notre Dieu est le Sei­gneur Un ! » Promesse des enfants envers leur père. Mais aussi jalon dans l'accomplissement du « Parler du Seigneur envers lui », selon l'expression de Gn 28, 15 . En effet la Torah orale éclaire longuement l'Ecrit de la Genèse en inter-

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PAS DE PIERRE POUR REPOSER LA TÈTE !

rogeant la parashah de Jacob. Il fuyait son frère Esaü. Dans cette parashah, Jacob, rencontrant Rachel pour la première fois, roula la pierre de dessus la bouche du puits2•

Pourtant, ce que le Chrétien occidental lit comme des détails pittoresques pour camper la scène d'un épisode, le Juif l'explore avec attention (Gn 28, 1 0-22). Pourquoi le mot « Lieu » est-il répété six fois en neuf versets ? Pourquoi Jacob « prit-il parmi les pierres du Lieu » ? Pourquoi le soleil s 'était-il couché avant l'heure ? Et le midrash raconte et raconte des histoires faciles à mémoriser et connues de tous, adultes et enfants, garçons et filles. Les enfants sont juste­ment un avenir pour une société que 1' on croyait arriérée ; et le Midrash Rabba de dire : « Rabbi Bèrèkhiah dit au nom de Rabbi Léwi : Les pierres que Jacob notre père avait mises sous sa tête furent transformées sous lui en un lit et un oreil­ler. Là, avec quelle fraîcheur et quelle verdeur Il bénit. En Ct 1, 1 7, les poutres de notre maison sont des cèdres, nos lambris des cyprès : des hommes justes et des femmes justes, des prophètes et des prophétesses qui sortiront de lui ! » (GnR 68, 43).

Prendre le temps de dire le masculin et le féminin, c 'est aussi le travail de la Torah orale pour appeler à la coopération et pour dire à la face du monde, en toute génération et en tout lieu, la vocation irremplaçable de chacun. La société façonnée par la Tradition juive n'est pas misogyne, contraire­ment à ce que 1' on pense souvent. Chaque homme, chaque femme peut et doit parler pour révéler aux autres la Parole du Seigneur. Chaque homme, chaque femme peut et doit être juste, avec ce qu'implique la justice-charité pour Israël, peuple de Dieu : croire dans les possibilités de l'autre, le regarder comme apte à donner la vie.

De nombreux midrashim s'étendent sur cette Nuit de Jacob et la situent au futur Lieu du Temple de Jérusalem, comme une annonce, dès la Genèse, de l'importance de la Maison du Seigneur. Avec des œuvres ou des miracles particuliers, le Seigneur manifeste Sa Volonté. Le midrash, soit avec des

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L'ÉTHIQUE JUIVE

paraboles, soit avec sa façon spéciale de raconter, dit : « Le Saint, Béni soit-Il, dit : Est-il possible que ce Juste entre dans La Maison de Mon Auberge et qu 'il n y nuite pas une seule nuit ? Là, Le Saint, Béni soit-Il, cherchait à parler avec lui en secret, aussi dit-Il au soleil de s 'enfoncer avant son heure. Parabole des bien-aimés d 'un roi. Il entre chez lui pour les rencontrer. Le roi dit : Eteignez les lampes, car moi Je cherche à parler avec mes bien-aimés en secret 1 Ainsi Le Saint, Béni soit-Il, se révéla au Juste pendant la nuit. » Et le midrash d'ajouter les hésitations de Jacob qui désirait conti­nuer sa route ; puis, son intelligence de la Volonté du Sei­gneur, et sa décision. « Jacob prit douze pierres parmi les pierres de 1 'autel sur lesquelles Isaac son père avait été liga­turé et il dit : Ainsi, Le Saint, Béni soit-Il, a-t-Il décidé que douze tribus sortiraient de lui 1 A cette heure-là, la terre entière s 'éleva en une très haute muraille jusqu 'à ce que cette muraille barre le chemin devant Jacob, et il ne pouvait pas marcher. Jacob vit ces miracles du Créateur, et il dit : Je nuiterai dans Ce Lieu 1 »

La suite paraîtrait légende à des étrangers s' ils n'y enten­daient un accent semblable à certaines paroles de Jésus. « Il se dépêcha de poser les autres pierres autour de lui pour que les bêtes féroces n 'approchent pas de lui. Et il posa les pierres qui restaient sous sa tête, et il se coucha. Alors, les pierres commencèrent à se quereller entre elles car chacune disait à sa voisine : C 'est sur moi que ce Juste reposera sa tête 1 Le Seigneur dit : Cela fait de très nombreuses années que Jacob n 'a pas dormi la nuit, car il méditait la Torah et il faisait et pratiquait amour et charité. Et voici que cette nuit où il peut reposer, pour la première fois depuis quatorze ans, sa tête sur les pierres, voici des querelles entre elles 1 Que fit Le Seigneur ? Il changea les nombreuses pierres en une seule pierre, et la pierre se changea en un coussin moel­leux. Et le sommeil de Jacob fut très doux 1 Alors Le Saint, Béni soit-Il, replia3 toute la Terre d 'Israël sous lui pour lui suggérer, comme une parabole, que la terre 1 'accueillait pour soumettre ses fils, selon les "quatre coudées ", dans le

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PAS DE PIERRE POUR REPOSER LA TÊTE !

Lieu de la position couchée de 1 'Adam. Et Il lui promit : Ta descendance sera comme la poussière de la terre. Car la poussière de la terre use toutes les espèces de choses, et elle subsiste toujours. Ainsi tes fils useront-ils toutes les formes de travail, et ils persisteront pour toujours. Mais la pous­sière, tout le monde la piétine. Ainsi tes fils, à 1 'heure où ils ne feront pas la Volonté de Celui du Lieu, tous les peuples les piétineront et les fouleront aux pieds4 ! »

Une autre version de ce midrash, plus belle quant à la responsabilité donnée aux humains, montre les pierres qui d'abord se disputent, mais décident entre elles qu'il est plus intelligent de s'unir. Elles prennent l' initiative elles-mêmes de s'associer alors que, dans le premier midrash, le Seigneur intervenait d'abord. Elles s'unissent effectivement et forment le Lieu. Le Lieu, le « Là où », le « Où », « Lieu de la Pré­sence divine, là où » le Seigneur se montre5• Le Lieu, là où l'humain devient enfin lui-même car il a aptitude à être pré­sent au monde, et il a capacité de prononcer où il en est et où il est.

La Torah orale, qui dépeint Jacob nuitamment dans le Lieu, enfante, sans qu'ils le sachent, les disciples de Jésus. La Torah orale a nourri la famille et les sages, « les grands » du peuple de Jésus, ses amis, ses contemporains, et les foules qui l'écoutent. Lui-même vit sans cesse l'accomplissement de cette Torah. Sans cesse, des paroles d'Evangile sont irri­guées par la Torah orale. Sans cesse, les reparties de Jésus sont échos et rappels des événements spirituels de la Torah orale. Ainsi, entre la décision de Jésus de « passer de l'autre côté » et la traversée de la mer en tempête, l'évangéliste Mat­thieu présente un scribe en dialogue avec Jésus (Mt 8 , 1 9-20). Sa résolution peut sembler irréfléchie eu égard à la réponse de Jésus. Mais cette décision n'est-elle pas, au contraire, avisée, qui permet à Jésus de ponctuer le « Où ». Qu'est-ce que le « Où », le « Là où », le « Lieu » ? Serait-ce « la pierre » ?

Le scribe a dit : « Maître, je te suivrai où que tu t'en ail-

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L'ÉTHIQUE JUIVE

les ! » Jésus attrape la parole au bond et répond du tac au tac, à la mode pharisienne : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, le fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête » (Mt 8, 20).

Pour le peuple de Dieu qui aime Jérusalem, symbole du Tout du Seigneur en Alliance avec lui, le Temple évoque deux sortes de moments de sa vie. A 1' étape douloureuse de la destruction, les renards, ou les chacals, rôdent sur les lieux désolés et se les approprient. . . s'en rendent propriétaires . . . en en faisant leurs antres, leurs tanières. Mais « antres » évoque, pour le peuple de Dieu, les cavernes de Haran d'où est parti Abraham. Et les renards font penser à 1' éclat de rire de Rabbi Aqiba qui consola ses amis éplorés devant les ruines de Jéru­salem. Les renards y rôdaient. Mais Aqiba affirma aux trois autres rabbis son espérance. Maintenant que certaines pro­phéties de la ruine du Temple étaient advenues (Lm 5, 1 8 ; Mi 3, 1 2), il était sûr qu 'adviendraient les prophéties (Za 8, 4 ; Is 8, 2) de la reconstruction et du retour" (Mak 24b ). L'autre moment, joyeux, est celui des Montées régulières à Jérusalem, lors des trois pèlerinages, régalîm, où les Juifs chantent et rythment les courts Psaumes des Montées. Ils méditent aussi sur le Psaume à jouer sur l'air du Pressoir, le Ps 84. Dans l'écriture de ce Psaume, une lettre est plus grande que les autres, la première lettre du mot nid. Il faut même prononcer le mot nid de façon détachée, après « hiron­delle », dont le nom signifie aussi délivrance, et qui déposera la couvée de sa fécondité.

Or, dans l'Evangile, Jésus a accueilli le désir du Lieu énoncé par le scribe. Il a entendu : « Le Lieu de Dieu où l 'homme doit accomplir les quatre coudées de la Halakhah, de l 'éthique. » Il récite donc, et déclame, les renards et les oiseaux, les renards et les hirondelles, les tanières et les nids. L'auditeur de l'Evangile sait que ces deux derniers mots, tanières et nids, sont hapax dans toutes les Ecritures chré­tiennes7. Pourquoi Jésus parle-t-Il ainsi ? Ne fait-Il pas écho à tout le Désir de son peuple Israël ? Israël, l'autre nom de Jacob sous lequel toute la Terre s'était repliée pour former

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un lit pour lui. Jacob, le patriarche, père des douze tribus, pour lequel les pierres s'étaient unies en une pour lui faire un « oreiller de rêve », et il avait vu « les anges qui montaient et descendaient ». Le Seigneur lui avait parlé en lui « donnant la Terre pour lui et pour sa descendance ». Jésus est à nou­veau en communion avec Jacob, comme les évangélistes l'avaient attesté lors de la pierre roulée du tombeau et de la pierre roulée par Jacob de dessus la bouche du puits, pour donner l'eau de l'Esprit-Saint (p. 77).

A Jacob, dans son rêve, le Seigneur avait promis une des­cendance comme la poussière. Jésus, devant ce scribe et avec lui, accueille et entre dans cette Promesse du Père : les des­cendants de Jacob seront vigilants pour se poser la question « Où ? » !

Au chapitre précédent, sur le Ecoute Israël, Marc avait montré Jésus en prière avec « l'un des scribes ». Leur proxi­mité inégalable fut insondable pendant des siècles par tous ceux qui refusent de donner du poids à Israël peuple de Dieu. Les étrangers à Israël n'ont pratiquement pas donné de place à la recherche et à la quête insatiables. Ils ne s' interrogent pas puisqu'ils ont des certitudes catégoriques et arrêtées, dues à leur culture religieuse et à la civilisation helléno-cartésienne. Ils ne s'enquièrent pas de la légitimité de la vie du peuple d'Israël. Mais Jésus est juif, de ce peuple d'Israël, et les Juifs reçoivent une éducation qui les oblige sans relâche, sous peine de paralysie, d'aphasie et de mort, à se poser des ques­tions. La question du scribe à Jésus appartenait à l'attitude spirituelle du peuple d'Israël, et tous deux avaient prié à l'insu des spectateurs qui s' imaginaient arbitrer.

De même ici, Matthieu témoigne de la complicité impéné­trable entre Jésus et « un scribe ». Qui peut entendre, dans la repartie de Jésus, autre chose qu'une réplique, sinon un Pharisien ? Qui peut mesurer sa parenté avec Jacob et son attitude d'accueil et d'émerveillement devant la révélation du Père, sinon quelqu'un de sa famille ? Qui sondera son Désir

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L'ÉTHIQUE JUIVE

d'unité des pierres du Temple de Jérusalem, sinon chaque Juif dont l'enfance a été bercée par l'arrivée de Jacob en ce Lieu ? Le Seigneur accomplissait pour Jacob des miracles afin de se révéler à lui en secret, par l'échelle. Et Il lui fit cadeau de Son Rêve fou de l'unité des pierres.

Alors, devant ses frères, devant le scribe pharisien dont tous les confrères ont, d'une manière ou d'une autre, le souci d'éduquer le peuple, Jésus dit, en ce jour-là : « Le Fils de l'Homme n'a pas où reposer la tête ! » (Mt 8, 20). Tous ceux qui sont là entendent l'appel à faire quelque chose, à agir, pour que les pierres soient unies. Chacun devient intelligent du propre travail qu'il doit accomplir pour qu'adviennent « les quatre coudées du Lieu du repos de l 'Humain » . . .

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CINQUIÈME PARTIE

La Torah et les étapes de la vie

Le jeune Bar Mitswah Jésus

Douze heures dans le jour

Jésus et les repas

Né d 'une femme

Le figuier sans fruit

Voir p. 39 première partie.

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Le jeune Bar Mitswah Jésus

Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de Pâque. Quand II eut douze ans, ils montèrent selon la coutume de la fête, et ils accomplirent les jours. A leur retour, le jeune Jésus resta à Jérusalem, et ses parents ne le surent pas. Ils allèrent un jour de chemin en pensant qu'Il était dans la caravane. Puis ils le recherchèrent parmi leurs parentés et leurs connaissances. Comme ils ne le trouvaient pas, ils retournèrent à Jérusalem pour le rechercher. Il arriva qu'après trois jours, ils le trouvèrent assis dans le Temple, au milieu des rabbis. II les écoutait et les interrogeait. Et tous ceux qui l 'écoutaient s'éton­naient de son intelligence et de ses réponses. En le voyant, ils furent frappés de stupeur, et sa mère lui dit : Enfant, pourquoi as-tu ainsi agi envers nous ? Voici, ton père et moi aussi, tout amers, nous te cher­chions. II leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être dans ce qui est de mon Père ? Eux ne saisirent pas la Chose qu'Il leur disait. II descendit avec eux et II entra dans Nazareth, et II les écoutait. Sa mère gardait toutes ces Choses dans son cœur. Et Jésus avançait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

Le 2, 4 1 -52.

Dès la petite enfance, le Juif apprend et expérimente ce qu'est monter et descendre. Chaque année, pour les fêtes de

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

pèlerinage, il monte avec ses parents et sa famille à Jérusa­lem. Ces déplacements physiques manifestent le « pèlerinage sur la terre » de tout humain. Concrètement, le pèlerin monte puis redescend de Jérusalem. Il apprend ainsi à connaître ses hauts et ses bas. De montée en montée, il reçoit l' intelligence profonde que, malgré ses refus et ses fautes, sa vie spirituelle ne cesse d'aller vers le haut.

Tels sont les différents degrés de la vie de chaque humain : comme autant d'étapes que les cinq derniers chapitres de ce livre sur l' incarnation juive de Jésus vont éclairer à leur manière. En début de parcours, les cinq moments principaux de la journée avaient rythmé la recherche de la parenté de Jésus avec le peuple qui aime et vit de la Torah. Maintenant, les cinq temps de la vie, depuis la naissance jusqu'à la mort, vont sous-tendre la découverte renouvelée de l' incarnation de Jésus et, si l 'on peut dire, le choix du Père pour faire naître et grandir Son Fils.

Or, Jésus, monté à douze ans pour la fête de Pâque à Jéru­salem, n'en redescendit pas aussitôt la fête terminée. Ses parents le cherchèrent trois jours (Le 2, 4 1 -52). On aime bien penser, à ce propos, à la Bar Mitswah de Jésus où, selon la Tradition juive, l'enfant devient adulte à douze ans accomplis1 • Ce jour-là, l'enfant lit officiellement la Torah pour la première fois. Afin de prendre sa place au milieu de l'assemblée, il prononce même quelques mots, ou une homélie, sur la parashah qu'il a lue. Il est écouté comme un maître, et il peut discuter d'égal à égal avec les autres adultes et avec les maîtres. La méthode consiste à interro­ger : d'une part, des questions de disciples au maître ; d'autre part, des questionnements pressés et soutenus du maître aux disciples. Si quelqu'un est assis au milieu, il interroge sans cesse.

Tel est Jésus au Temple de Jérusalem, après la fête de Pâque, quand ses parents le retrouvent. S'Il écoute, c'est pour se tenir à la disposition de ceux qui parlent, et pas seulement pour contredire. S'Il interroge, c 'est pour être avec eux dans les Choses du Père, pour vivre avec eux l' intelligence de la

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LE JEUNE BAR MITSWAH JÉSUS

Torah. Ce n'est certainement pas pour juger de la faiblesse de leur loi et de leur raisonnement.

Dans cet événement, Luc est fortement impressionné et il semble vouloir transmettre un appel à l' intelligence. Il répète en effet la réalité et la nécessité de l' intelligence de part et d'autre : d'abord à propos de Jésus (Le 2, 40), puis à propos de ses parents (Le 2, 50), ensuite à nouveau à propos de la croissance de Jésus (Le 2, 52). Luc écrit en grec, mais en hébreu, intelligence2 se dit Binah que certains commentateurs proposent de prononcer parfois en deux mots : Bin Noun. Cela signifierait soit : « que sa sagesse grandisse », soit « le grand sage parmi les élèves de Moïse, nom que le peuple avait donné à Josué3 » En effet, la Torah, parlant de Josué, dit souvent Josué bin Noun, et non ben (fils de) Noun. Ou bien il est fils de Noun, son père s'appelle donc Noun. Ou bien il vient, spirituellement, de noun, la fameuse première lettre de Notsèrèt, Nazareth, et du Nom du Seigneur, « Not­sèr, qui garde l'amour pour les milliers » (Ex 34, 7).

Or, les noms de Jésus et Josué se prononcent de manière identique en hébreu, Yéhoshouah. Si l'on pense à « Josué bin Noun », on pense aussi à « Jésus intelligent », ou, d'après les maîtres de la Torah orale, à « Yéhoshouah, Josué qui grandit en Sagesse », et à « Jésus qui grandit en Sagesse ». Josué, le peuple d'Israël l'appelle aussi « Adolescent » ou « Servi­teur », car il suivait Moïse partout. Il fut le successeur de Moïse qui donna Torah écrite et Torah orale ; et la Tradition remercia souvent le Serviteur et oublia Moïse (B.Q. 92b ). Luc, dès le début de son Evangile, montre Jésus adolescent devenant « Bar Mitswah, Fils du commandement ». Luc pré­sente Jésus, serviteur au service « des choses de son Père » (Le 2, 49). Or, en Dt 3 1 , 7, « Moïse appela Josué et lui dit aux yeux de tout Israël : Sois fort et tiens solide4 ! » Le même appel est adressé par le Seigneur à Josué au début du premier Livre des Prophètes qui porte son nom, en Jos 1 , 9. En Dt 34, 9, on lit : « Et Josué bin Noun était plein de l'Esprit de Sagesse5 car Moïse avait appuyé ses mains sur lui, et les Fils

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d'Israël l 'écoutaient et faisaient comme Le Seigneur avait ordonné [tsiwah, même mot que mitswah] à Moïse. » Que l 'auditeur de l'Evangile ait donc à portée de voix et l 'épisode de Jésus à douze ans au Temple de Jérusalem (Le 2), et ce début du verset 9 du dernier chapitre de la Torah (Dt 34). En effet, le Juif Luc juxtapose les deux textes, fm de la Torah et début de l 'Evangile, un peu comme au jour de la Joie de la Torah où l 'on proclame sans interruption la fin et le début de la Torah. Ainsi l 'on devient disciple, talmîd, et l 'on forme de nombreux disciples avec l 'enseignement, le lamèd6• Luc suit la même pédagogie quant à la transmission et à la forma­tion des disciples de Jésus.

Le mot féminin mitswah est là au singulier : c 'est un « singulier collectif » comme pour dire une plénitude (la plé­nitude des six cent treize commandements), mais aussi comme pour dire une maternité qui enfante, qui incarne. Josué est né : il est l 'homme vaillant à qui le Seigneur a octroyé le yod7• Josué a reçu l 'encouragement : « Sois fort et tiens bon ! »

Auparavant, Moïse avait parlé ainsi au Seigneur : « Que Le Seigneur, Dieu des esprits pour chaque chair, visite et choisisse un homme sur 1 'Assemblée, qui sortira devant eux et qui entrera devant eux, et qui les fera sortir et qui les fera entrer ! Et que l 'Assemblée du Seigneur ne soit pas comme un troupeau qui n'ont pas de berger ! Et Le Seigneur dit à Moïse : Prends pour toi Josué bin Noun, l 'homme où est l 'Esprit ! » (Nb 27, 1 5- 1 8). De cela, Jean fait mémoire au cœur de son Evangile, lorsqu'il fait voir en Jésus le berger qui permet aux brebis d'entrer et de sortir (Jn 1 0, 1 -9). Jean est en résonance avec l 'attente du Messie par la Torah orale (NbR 2 1 , 85 ; Sanh 97).

Luc, quant à lui, dès le début de son Evangile, appelle son auditeur à relire l 'histoire de Josué. Relire, répéter, se dit Mishnah, et c'est le propre de la Torah orale. Histoire se dit plutôt : « enfantements, naissances », pour insister sur l ' in­carnation.

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LE JEUNE BAR MITSW AH JÉSUS

Ayant lu Josué à haute voix, l'auditeur sera plus apte à entendre ce qui est dit de Jésus, et de ses actes : ses écoutes, ses interrogations, la réponse à « ses parents qui ne discernè­rent pas la Parole qu'Il leur disait » (Le 2, 50). Si les lecteurs s'apprivoisent à la vocation unique donnée à Josué, ils pren­dront l'habitude d'aller le regarder près de Moïse, quand celui-ci monta sur le mont, dans la nuée du Seigneur (Ex 24, 1 3) et quand il redescendit avec les premières Tables de la Torah (Ex 32, 1 7). Ils rencontreront Josué quand la Torah le nomme pour la première fois, lors de la lutte contre Amaleq (Ex 1 7, 8- 16), à la fin de la grande parashah du Chant de Moïse. Moïse priait et lui, il était sorti et se battait, hillâhèm, LHM, vigoureusement contre Amaleq. Tinteront alors à leurs oreilles, à la grande joie de Luc, la promesse du Seigneur de combattre le Mal de génération en génération. « Le Seigneur dit à Moïse : Ecris ceci en mémoire dans le Livre et pose-le aux oreilles de Josué. Oui, pour effacer, J'effacerai la mémoire d'Amaleq de dessous les cieux ! » (Ex 1 7, 14) . C'était venu aux oreilles de Josué, Yéhoshouah. Cela vint aux oreilles de Jésus, Yéhoshouah. Cela peut venir aux oreilles de tout un chacun qui a désir d'écouter.

En comparant implicitement Jésus à Josué, Luc adopte la pédagogie de la Torah orale : Josué bin Noun s'est battu contre Amaleq, et Jésus demande l' intelligence pour discer­ner entre la lumière et 1' obscurité.

De plus, les familiers de Josué apprendront à connaître Timnat Sèrah de la montagne d'Ephraïm (Jos 1 9, 50 et B.B. 122a). Le nom de cette ville a une saveur de fruit. Elle est donnée, « par la bouche du Seigneur, de la part des Fils d'Is­raël », et surtout, comme leur désir que « Josué soit au milieu d'eux. Et il la construisit et habita en elle ». Or Ephraïm est le fils aîné de Joseph (Gn 48). En écho, l'évangéliste Jean dira que Jésus « se retire dans une région proche du désert, vers une ville appelée Ephraïm, et là, Il habita avec ses disci­ples » (Jn 1 1 ).

Or, à la synagogue, lorsque quelqu'un vient de lire quelques lignes de la Torah, c 'est tellement fort qu'on dit

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qu'il est épuisé. Aussi, quand il descend, il s'approche de chacun des autres participants qui lui serrent la main pour l 'encourager. Ils lui disent et lui donnent le Mot qui fut dit maintes fois pour Josué : « Hazaq, sois fort ! »

Si Jésus a l'âge d'être bar mitswah, s 'Il a l 'âge d'accomplir parfaitement la Torah, les autres lui disent : Hazaq ! Mais pour les Juifs, la Parole est efficace. Jésus, plein de force, de sagesse et d'intelligence, peut écouter, interroger, répondre et étonner tous ceux qui sont venus au Temple ce jour-là . . . ainsi, dans ce peuple, on aime à s'étonner et à s 'émerveiller des jeunes qui deviennent adultes.

L'évangéliste ajoute que « sa mère gardait toutes ces choses (paroles, événements) dans son cœur » (Le 2). Cela fait écho à l'attitude de Jacob qui « faisait mémoire » de la parole de son fils Joseph au milieu de ses frères (Gn 37, 1 1 ) : Jacob « attendait l 'événement ». Chaque fois qu'un enfant grandit, la mère ou le père attendent le prochain enfante­ment. . . et Histoire se dit en hébreu : « Enfantements » . . .

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Douze heures dans le jour

Jésus entonna : N'y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu'un marche dans le jour, il ne trébuche pas parce qu'il voit la lumière de ce monde. Mais si quelqu'un marche dans la nuit, il trébuche, parce que la lumière n'est pas en lui.

Jn I l , 9-10.

Tous les horlogers seront étonnés qui sont habitués à des cadrans de douze heures, « douze heures » n'est dit qu'une seule fois dans les Evangiles. Dans le Tanakh, le mot « heu­re » en hébreu n'est jamais entendu ; seulement quelquefois en araméen (Dn 3, 6. 1 5) où son premier sens est « clin d'œil ». Le verbe correspondant au mot heure existe cepen­dant dans la Bible et signifie : « tourner son regard vers, s'occuper ou accueillir ». Excellente occasion pour rappeler la particularité de la mentalité du peuple de Dieu. Pour lui, le temps ne passe pas, mais 1 'humain passe et traverse le temps. Selon Abraham Heschel : « Nous ne devrions pas par­ler de l 'écoulement du temps, du temps qui passe, mais de l 'écoulement, du passage de l 'espace au travers du temps. Ce n 'est pas le temps qui meurt ; c 'est le corps de l 'homme qui meurt dans le temps. La temporalité, fugace succession d 'instants à jamais disparus, est un attribut du monde spa-

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tial, des objets dans l 'espace. Le temps, par-delà l 'espace, transcende tout fractionnement en passé, présent et futur'. » Abraham Heschel termine son livre à la manière du lamèd qui termine la Torah et le Tanakh et qui invite à recommen­cer. Il dit : « L 'éternité donne naissance au Jour. »

Tout Juif a sa façon de témoigner de cette compréhension du temps reçue de sa culture et de sa foi - en étant vigilant sur la foi qui, pour Israël, est moins l'affirmation statique d'un dogme, « je crois », qu'une recherche sans cesse renou­velée pour avancer et vivre, « Ecoute ! ». Tandis que Rabbi Nahman de Braslav, au x1xe siècle, dira : « Il est interdit d 'être vieux2 ! », d'autres saisiront la phrase d'Abraham Heschel et se laisseront renvoyer au jour de la première page de la Torah. Là, ils écouteront, une nouvelle fois, 1' appel au discernement entre le jour et la nuit, entre la lumière et 1 'obscurité. Ils choisiront de « tourner leur visage » vers la lumière et de tourner leur dos à la noirceur. La première parole de la Torah : « Dieu appela la lumière "Jour", et l'obs­curité, Il l 'appela "Nuit" », est en inclusion avec la fin du Deutéronome où 1 'humain entend le choix entre la vie et la mort, avec le conseil : « Choisis la vie ! » (Dt 30, 1 9).

Toute la Tradition juive insiste sur la lumière qui donne de ne pas trébucher. Torah orale, elle fait des aggadot, des bouquets pour offrir la plénitude de l'œuvre et de la présence divine ; elle la raconte en douze parts, douze clins d'œil, douze sourires qu'elle appelle heures. Ensuite, avec autant de fleurs, elle prépare les bouquets des facultés et des disponibi­lités de l'humain : celui-ci doit et peut marcher sans trébu­cher à chaque heure de la journée ; il a capacité de décider, il a reçu intelligence plus que le coq, pour discerner. Mais la nuit, il faut s 'arrêter, comme Jacob. Voilà ce que répond Jésus à l'hésitation marquée des disciples, le troisième jour après l'annonce de la maladie de Lazare (Jn 1 1 , 3- 1 6). Les sœurs Marie et Marthe lui avaient envoyé dire : « Seigneur, voici ! Celui que tu aimes est malade ! » Les disciples, après les répercussions de la guérison de l'aveugle-né (Jn 9), après les discussions lors de la fête des lumières, Hanoukah ou

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Dédicace (Jn 1 0, 22-42), s'étonnent et s'apeurent de la déci­sion de Jésus. Il veut en effet retourner en Judah. Or, d'après les disciples : « Les Juifs justement cherchaient à te lapider et tu y retournes à nouveau ! » Jésus leur réplique la classique réponse que n'importe quel enfant des classes primaires aurait pu formuler. « N'y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu'un marche dans le jour, il ne trébuche pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde. Mais si quelqu'un marche dans la nuit, il trébuche, parce que la lumière n'est pas en lui » (Jn 1 1 , 9- 1 0). Et Jésus ajoute : « Notre ami Lazare s'est endormi. Mais je vais le sortir du sommeiP. »

Pourquoi la Tradition dit-elle que les enfants auraient répondu de façon identique quant à la marche dans le jour et la marche dans la nuit ? Parce que l'intelligence entre le jour et la nuit est d'une telle fraîcheur et limpidité que la Torah orale dit dans le Traité de Shabat (Shab 33b) : « Dans les générations où les justes existent, ils sont responsables pour la génération. Lorsqu 'il n y a pas de justes, ce sont les enfants en âge d 'aller à l 'école qui sont responsables ! »

Et puisque le lecteur est avec les enfants, qu'il reste encore en leur compagnie, le temps d'écouter lecture de « 1' agenda de l'Eternel4 ». Seuls, les enfants, comme dit Jésus par ail­leurs, peuvent saisir la profondeur de cet emploi du temps du Seigneur, eux qui en bénéficient de façon privilégiée aux trois dernières heures de la journée : « Rabbi Judah a dit au nom de Rab : Il y a douze heures dans une journée. Les trois premières heures, Le Saint, Béni soit-Il, les consacre à la Torah. Pendant les trois heures suivantes, Il siège et juge le monde entier. Lorsqu 'Il constate que le monde mérite d 'être condamné, Il se lève du trône de justice et va s 'asseoir sur le trône de miséricorde. Les trois heures suivantes, Il les passe à nourrir le monde entier, des grandes bêtes à cornes aux plus petites larves. Et pendant les trois dernières heures, Il rit avec Léviathan, car il est dit : Ce Léviathan que Tu as formé pour rire avec lui (Ps 104, 26). Rabbi A ha le Galiléen a objecté : Depuis que le Temple a été détruit, le rire n 'existe plus pour Le Saint, Béni soit-Il, car il est écrit : Depuis long-

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temps, je reste calme, je garde le silence, mais je vais crier . . . (Is 42, 14). Alors, que fait Le Saint, Béni soit-Il, pendant les trois dernières heures du jour ? Il enseigne la Torah aux écoliers, car il est dit : A qui donc veut-Il enseigner la scien­ce ? A qui veut-Il donner des leçons ? A des enfants qui ont été sevrés, qui ont quitté la mamelle (Is 28, 9). Et que fait-Il la nuit ? On peut affirmer qu 'Il a les mêmes activités que le jour ou, si 1 'on préfère, que, chevauchant son chérubin, Il se déplace dans les cieux. On pourrait dire aussi qu 'Il est assis et qu 'Il écoute les hymnes de louange que lui chantent les créatures saintes » (A.Z. 3b ).

Le temps ne passe pas. Les douze heures de jour ne pas­sent pas. Mais le Seigneur donne à 1 'humain et au disciple d'en être profondément enseignés et de les traverser. Les dis­ciples savent alors que « deux règnes ne doivent pas se tou­cher, pas même d 'un cheveu » (Taanit Sb). Voilà pourquoi il y a le règne du jour et le règne de la nuit, il y a douze heures de jour et douze heures de nuit. La nuit fait peur aux humains et les interférences entre jour et nuit les font crier vers le Seigneur. Celui-ci envoie Ses anges pour que le pied des disciples ne trébuche pas (Ps 9 1 , 12). Telle est la victoire de Jésus sur la tentation dans les Evangiles synoptiques (Mt 4, 6 ; Le 4, 1 1 ) . Telle est la proposition de Jésus à ses disciples à la fin de la première partie de l'Evangile de Jean. Contre les tentations, les dangers et le Mal, Jésus affirme : « N'y a­t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu'un marche dans le jour, il ne trébuche pas parce qu'il voit la lumière de ce monde. Mais si quelqu'un marche dans la nuit, il trébuche parce que la lumière n'est pas en lui » (Jn 1 1 , 9- 1 0). Sous prétexte de peur et de danger, le croyant ne peut pas se dis­penser de vivre son maintenant, son aujourd'hui. Au contraire. La Tradition du peuple juif, dans lequel vient Jésus, ne cesse de répéter cela sur tous les modes.

« Hillel disait : Ne dis pas : "Quand j 'aurai le temps, je ré­péterai la Torah ", peut-être tu n 'auras pas le temps, tu ne tourneras pas ton visage ! » (P.A. 2, 4). « Rabbi Yaaqov disait :

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Ce monde est semblable au vestibule du monde à venir. Pré­pare-toi dans le vestibule afin d 'entrer dans le palais ! » (P.A. 4, 1 6). Cette sentence et la suivante, du même sage, ouvrent à la compréhension de la parole de Jésus sur la « Lu­mière de ce monde ». « Il disait : Une seule heure de conver­sion et de bonnes œuvres dans ce monde-ci est plus belle que toute la vie dans le monde à venir. Et une seule heure de protection spirituelle dans le monde à venir est plus belle que toute la vie dans ce monde-ci » (P .A. 4, 1 7).

Et Hillel encore. Sa parole du premier chapitre des Pirqè A vot est capitale pour le peuple de Dieu. De ce fait, elle est beaucoup commentée parce qu'elle explique l 'appel à Abra­ham que les midrashim ont toujours compris : « Va vers toi ! » Cette marche pour devenir soi-même n'est pas égoïste, mais elle est une décision et une mise en œuvre de la person­nalité originale de chacun, différent du voisin. Hillel dit : « Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Et quand je m 'occupe de moi, qui suis-je ? Et si ce n 'est pas maintenant, quand ? » (P.A. 1 , 14). Selon le commentaire de Claude­Annie Gugenheim, il s'agit d'« un aphorisme connu s ' il en fut, d'un style concis très particulier, de rythme ternaire et qui utilise la forme interrogative, interpellation directe. L'homme est responsable de sa propre formation, de sa pro­gression ; mais il a des obligations à l 'égard d'autrui et de la société, il n'a pas le droit de se complaire dans son égocen­trisme. Enfin, il n'est pas maître de son temps, celui-ci est irréversible, chaque seconde perdue 1' est définitivement. Par ces quelques mots, Hillel a défini le rôle de l 'être humain en ce monde5• »

Sur la même musique que Hillel, Jésus interpelle ses dis­ciples à lutter contre la peur, la peur pour l'autre et la peur pour soi-même. Ils doivent apprendre à discerner non seule­ment pour eux, mais aussi à discerner quant à la peur pour l 'autre s ' il ne s'agit pas d'un alibi, et si cela n'empêcherait pas l 'autre d'être lui-même et de vivre. Le souci et la peur en faveur de l 'autre sont positifs jusqu'à un certain seuil. Ils

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manifestent la délicatesse attentive et aimante en faveur du prochain. Mais s ' ils deviennent obsédants et s 'ils dépassent la limite, ils risquent d'enfermer l 'autre dans une surprotec­tion nocive. Les disciples doivent donc apprendre à discerner et à choisir contre l'obscurité et pour l 'accueil de la lumière de ce monde, disponible à qui veut.

Or, Jésus, Y éhoshouah, porte le même nom que Josué bin Noun ; et le lecteur a déjà rencontré Josué, surtout au chapitre précédent. Josué se soumit à l 'ordre de Moïse d'aller se battre, LHM, contre Amaleq pendant que Moïse, bras vers les cieux, prierait. Cet épisode est rapporté deux fois dans la Torah : une première fois à sa place chronologique (Ex 1 7, 8- 16) ; une deuxième fois presque à la fin de la Torah, aux trois derniers versets de la parashah « Quand tu sortiras » (Dt 25, 1 7- 1 9) qui est lue à la fin de l 'été. Ces trois versets du Deutéronome, considérés comme essentiels, sont aussi lus le jour de Shabat avant la fête de Pourim, fête des Masques. Cette fête est située un mois avant Pèsah, à la pleine lune qui précède la pleine lune de Pèsah. Ce jour de Shabat est nommé « Shabat Zakhor, Shabat souviens-toi » à cause du premier mot : « Souviens-toi de ce que t'a fait Amaleq sur le chemin de votre sortie d'Egypte. » Il se termine par : « Tu effaceras le souvenir d'Amaleq de dessous les cieux. N'ou­blie pas ! » (Dt 25, 1 7- 1 9). En préparation lointaine de Pèsah, et en préparation immédiate à Pourim, les Juifs entendent le rappel à être vigilants et à faire la lumière sur les entreprises sournoises du mal manifestées par Amaleq.

Après la victoire de Josué, le Seigneur avait dit à Moïse : « Ecris cette chose en mémoire dans le livre et pose-le aux oreilles de Josué, Yéhoshouah. Oui, pour effacer J'effacerai le souvenir d'Amaleq de dessous les cieux . . . . C'est une lutte pour Le Seigneur contre Amaleq de génération en généra­tion ! » (Ex 17, 14. 1 6). Jésus, dans sa génération, appelle à ce combat et à cette vigilance donnée par la lumière du monde. Et Lazare sortira dehors, à la lumière des douze heures de jour.

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Jésus et les repas

Il appela la foule et leur dit : Ecoutez et soyez intelligents ! Ce qui entre dans la bouche ne souille pas 1 'homme, mais ce qui sort de la bouche, c'est ce qui souille l'homme . . . Etes­vous, vous aussi, sans une pointe d'intelligen­ce ? Ne discernez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre et est rejeté par le siège ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c'est cela qui souille l 'homme. Car du cœur viennent les mauvais calculs, les meurtres, les adultères, les vols, les faux témoi­gnages, les blasphèmes. Voici ce qui souille 1 'homme alors que de manger les mains non lavées ne souille pas l 'homme !

Mt 15 , 1 0- 1 1 . 1 6-20.

Dans le chapitre en regard de celui-ci, à l 'extrémité de l'inclusion sémitique, le centre de la journée, le midi, avait permis de parler de repas, de nourriture et des conditions vitales pour s'alimenter. Il fallait être vigilant pour que n'ar­rive pas la fm des haricots (p. 53). Ici, au centre du parcours de la vie d'un humain, l'âge adulte peut être considéré. Sa maturité le rend actif pour nourrir ses enfants, sa famille et la société à laquelle il appartient. Mais, alors que le chapitre de la fm des haricots s'en tenait aux règles générales et essen-

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

tielles de l'humanité, ici, la recherche éclairera le comporte­ment original du croyant juif.

Voici d'abord le précepte élémentaire énoncé dans les Pirqè Avot. « Rabbi Eléazar fils de Azaryah disait : s 'il n 'y a pas de Torah, il n 'y a pas de savoir-vivre ; s 'il n 'y a pas de savoir-vivre, il n 'y a pas de Torah. S 'il n 'y a pas de sagesse, il n 'y a pas d 'adoration ; s 'il n 'y a pas d 'adoration, il n 'y a pas de sagesse. S 'il n 'y a pas de savoir, il n 'y a pas d 'intelligence ; s 'il n 'y a pas d 'intelligence, il n 'y a pas de savoir. S 'il n 'y a pas de farine, il n 'y a pas de Torah ; s 'il n 'y a pas de Torah, il n 'y a pas de farine » (P.A. 3, 1 7). Cette maxime tinte aux oreilles des Juifs en écho avec la parole du Deutéronome : « Pour que tu saches que ce n'est pas par le pain seul que 1 'homme vivra. Mais par tout ce qui sort de la bouche du Seigneur, l 'homme vivra » (Dt 8, 3).

Quant à la bouche de l'humain, elle a deux fonctions1 : celle de manger et celle de parler, celle d'ingérer de la nourri­ture physique et spirituelle, et celle de porter au-dehors une parole nourrissante pour les autres ou une parole de bénédic­tion et d'action de grâces envers le Seigneur. Voilà ce que répétera Jésus en accord avec l'entendement fondamental des Pharisiens et avec leur vécu (Mt 15 ; Mc 7). Toutefois, afin de percevoir le mieux possible les tenants et les aboutissants de la discussion entre Jésus et ses contemporains pharisiens, il faut questionner certaines pratiques juives au sujet de la nourriture casher. Il faut aussi que chacun s' interroge sur les notions de progrès qu'il a reçues ou qu'il a forgées. Peut-être ces notions divergent-elles de l'enseignement de la Torah, en particulier de la pédagogie des Livres de la Genèse et du Lévitique.

Au sixième jour de la Création, Dieu a donné en nourriture à l'humain, l'Adam, les plantes créées le troisième jour (Gn 1 , 29). L'humain a donc au départ une nourriture végéta­rienne. Après le déluge, Dieu a permis aux humains de man­ger de la viande avec une restriction : ne pas manger de la viande d'un animal vivant (Gn 9, 3-4 ; GnR 1 6, 6 ; Sanh 56a).

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C'est l'une des sept lois noahides. L'humain sorti du déluge peut donc manger pratiquement de tout. Mais est-ce un pro­grès ?

Dans le Livre du Lévitique, il y a de très nombreuses res­trictions par rapport à l'alimentation noahide antérieure. Faut-il dire restrictions et limitations ? Ne vaut-il pas mieux écouter la vocation particulière du croyant ? Celui qui paraî­trait tellement universel pour ne plus être une identité origi­nale serait-il en progrès ? Et à ne plus vouloir de différences, ne s 'avancerait-il pas vers une confusion anesthésiante, vers la perte de 1 'unicité ?

Comme Niqodème, il faut revenir à la Torah. Et la Torah commence par un beth, deuxième lettre de l'alphabet, pour appeler à la différenciation entre le jour et la nuit, entre ce monde-ci et le monde à venir, entre 1 'homme et la femme, entre le profane et le sacré. Ce dernier discernement appliqué aux repas entraîne le non-Juif à des profondeurs insoupçon­nées. Dans certaines religions, la césure se situe entre le repas de fête et le repas banal de la vie quotidienne. Pour le peuple de Dieu, Israël, il y a d'une part les pratiques idolâtriques et d'autre part, chaque repas qui, en quelque sorte, fait entrer dans un état de sainteté. En hébreu, la sainteté est la sépara­tion d'avec le vulgaire. Israël ne satisfait pas à un complexe de supériorité par rapport aux autres peuples. Israël doit s'ajuster plutôt à sa propre vocation d'incarnation. De là, le repas ne sera plus seulement le moyen de satisfaire une loi physique du corps humain, mais il ouvrira la porte à une nouvelle humanité et à une nouvelle relation avec le prochain et avec le Seigneur.

Pour qu'advienne cette Sainteté et pour que s'accomplisse cette séparation, une seule condition : la mise en œuvre du « truc de la nourriture ». L'expression « truc de la nourritu­re » est la traduction littérale du mot hébreu mahakhèlèt, qu'on aurait pu comprendre a priori comme fourchette, du moins de la place de l' invité. Mais, placée du côté de l'hôte, du maître de maison, la Torah lui a donné le sens de couteau.

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

Elle enseigne donc le rôle du couteau, moins ustensile de table qu'instrument indispensable au cuisinier. Elle provoque la rencontre et la relation entre le cuisinier et le consomma­teur, entre le vendeur et l'acheteur, entre l'hôte et son invité. Du point de vue éthique, cela peut transformer les comporte­ments, surtout dans une société de libre-service dont les avantages risquent de dissimuler 1' exigence de dialogue et de parole ajustée. La toute première fois, et la seule, où l'on rencontre ce mot dans la Torah écrite, c'est lorsque Abraham élève son fils unique Isaac sur la montagne (Gn 22, 6. 1 0). Abraham est le père des croyants, son nom est : « Père de la foule des croyants ». « Abraham prit en sa main le feu et le couteau » (Gn 22, 6). Voici ce qu'en dit le Midrash Rabba : « Rabbi Hanina dit : Pourquoi appelle-t-on le couteau maha­khèlèt, "truc de la nourriture " ? Parce qu 'il rend la nourri­ture licite. Les rabbis dirent : Tous les aliments dont Israël se nourrit en ce monde-ci, il les mange grâce à ce couteau » (GnR 56, 3). Et quand « Abraham lança la main et saisit le couteau pour immoler son fils » (Gn 22, 1 0), les sages en concluent que « l 'abattage rituel doit s 'effectuer au moyen d 'un objet mobile » (GnR 56, 6).

Sur l 'événement de la ligature d'Isaac, le Français Rachi insiste : « Appelé ainsi parce que le couteau mange la chair » (cf. Dt 32, 42), il prépare la chair pour qu 'elle puisse être mangéel. Autre parole : il est appelé maakhèlèt parce que dans tout Israël, ils mangeront le cadeau de leur récompen­se. » Ainsi le couteau se présente comme essentiel dans la décision de manger. Les Juifs et leurs rabbins le disent sur tous les tons : se nourrir n'est pour eux ni un geste immédiat ni un acte de survie ; c'est une volonté d'être concrètement du côté du Seigneur et un choix délibéré pour grandir en discernement.

Est -ce que le couteau a été mis en œuvre dans la nourriture que je vais manger ? Est-ce que je discerne ce qui est progrès pour moi et pour le monde ? Ou est-ce que je choisis, par facilité, de faire selon la mode et comme la majorité des gens ? Est-ce que je considère ce qui entre par la bouche peu

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JÉSUS ET LES REPAS

important par rapport à ce qui en sort ? Mais alors, quelles paroles d' intelligence et de fine acuité3 vont sortir de ma bou­che ? Et si ma bouche exprime un choix de vie, comment manifesterai-je concrètement ce choix ?

Le couteau va permettre de trancher et de choisir, de témoigner au monde de mon identité, d'être et de vivre.

Le Juif se lave les mains avant les repas. Pourtant, « se laver » est une traduction trop banale pour un acte que 1' on qualifie aussi de purification, mais qui est encore autre : « Béni sois-Tu Seigneur notre Dieu, Roi de l 'univers, qui nous a sanctifiés par Ses Commandements et nous a ordonné de prendre les mains ! »

« Prendre ses mains » paraissait jusque-là comme une obéissance passive du croyant à la pratique de gestes rituels. Cet acte devient dynamisme et vie. Les mains ne vont pas où elles veulent, elles ne saisissent pas le premier aliment à leur portée, elles ne parent pas au plus pressé. Elles, elles obéissent à la vie spirituelle du croyant ; elles deviennent instruments au service de la neshamah du Juif. Neshamah est presque impossible à traduire. Si l 'on dit « âme », on perd son sens hébreu. Si l'on dit « souffle de vie », il y manque la vocation. Peut-être « vie spirituelle » où le nom du croyant rencontre le Nom, Shèm, du Seigneur. Ledit « lavage des mains » manifeste alors 1' attitude du croyant qui annonce, par sa chair, par son attitude et par ses choix de nourriture, l 'accomplissement de sa parole. Alors lesdites restrictions sur les différentes qualités ou les diverses caractéristiques de la nourriture ne seront plus barrières mais signes de progrès. Inversement, ce qui paraissait licence et universalisme sera vécu comme un frein pour l ' intelligence et pour l' incarnation du croyant au jour le jour.

Ce mouvement de progrès et d'appel à l' intelligence à pro­pos de la nourriture est exposé plusieurs fois dans les Ecri­tures chrétiennes. D'une part, lors du concile de Jérusalem où Jacques exprime la position juive réfléchie et pesée sur la nourriture et les non-Juifs (Ac 1 5). D'autre part, lors d'une

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

discussion de Pharisien à Pharisiens sur « le lavage ou la prise des mains », dans les Evangiles (Mt 1 5 ; Mc 7). Jésus se trouve en accord avec les autres Pharisiens dont la cou­tume, il faut le rappeler, est de ne jamais s' installer. Ils pour­suivent avec persévérance un ajustement toujours renouvelé à la Volonté du Seigneur. Ils se rapprochent de Sa Vérité tout en restant conscients que La Vérité est imprenable par quiconque. Si l'humain pense se l 'approprier, il a déjà raté son but : en hébreu, un mot se prononce ratèh, il signifie : « faute, péché » . . .

Jésus dit aux disciples : « Ainsi, vous aussi, vous êtes sans intelligence ! Vous ne discernez pas que tout ce qui entre dans 1 'homme depuis le dehors ne peut le rendre impur. . . . Ce qui sort de 1 'homme, ceci rend 1 'homme impur ! » (Mc 7, 1 8 .20). Une lecture rapide de la discussion entre Jésus et les Pharisiens au sujet du lavage des mains laisse penser que ni Jésus ni ses disciples ne se lavaient les mains car ils considé­raient ce geste comme un rite paralysant et régressif. Toute­fois, que l'auditeur de l'Evangile n'oublie pas la pédagogie du peuple d' Israël qui répète et qui relit. Petit à petit, à force d'écoutes et de relectures, il entendra l'enseignement de Jésus en accord avec les Pharisiens. En effet, Jésus insiste sur la parole qui sort de la bouche, sur l' intelligence et la volonté pour gouverner les gestes incarnés de 1 'humain.

Quels sont, au monde, les éléments de décision et de gou­vernement ? Avec son peuple et avec le psalmiste du Grand Hallel, Jésus médite souvent sur la vocation de chaque créa­ture. Il rend grâce pour le soleil, la lune et les étoiles dont le . rôle sur les périodes de temps se chante ainsi : « Il a fait. . . le soleil pour gouvernement sur le jour . . . la lune et les étoiles pour gouvernements sur la nuit » (Ps 1 36). De même, Jésus invite le croyant à discerner et à s 'émerveiller de la vocation de 1 'humain. Dieu a donné intelligence, volonté et possibilité de décision à l'humain et à son peuple qui vit dans la Torah. Jésus est incarné dans ce peuple. Dorénavant, lorsque l'hu­main prononcera et « parlera » cela, sa parole deviendra agis­sante et ses mains suivront, feront et obéiront à sa parole.

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JÉSUS ET LES REPAS

La parole à deux tranchants ordonne au corps les gestes de l 'incarnation : elle commande et organise la succession des gestes. Le Juif comprend sa vocation et vit l'harmonie exigée de lui par le Saint, Béni soit-Il.

Jésus a d'abord remarqué que toutes les choses qui sortent de la bouche viennent et sortent du cœur, c'est-à-dire de l'in­telligence et de la capacité de décision. Il a insisté sur ce qu'elles rendent l'homme impur (Mt 1 5, 1 8). Pour montrer les conséquences négatives, il a énuméré : « mauvais calculs, assassinats, adultères, prostitutions, vols, faux témoignages, blasphèmes ». Jésus a suivi l'ordre des quatre premières Paroles de la Table envers le prochain (p. 6 1) ; il a ajouté le respect de la troisième Parole envers le Seigneur. Mais après avoir mis en garde contre ce qui sort du cœur de l'humain, Jésus est vraisemblablement allé se laver les mains avant de manger. Car 1 ' enseignement sur la coordination entre la bouche - la « Torah qui est sur la bouche » (Torah orale) ­et les actes concrets de la vie permet à Jésus de mettre en pratique ce qu'Il dit. Il venait d'exprimer, par sa bouche, que l'essentiel est ce qui sort du cœur, de l'intelligence. Or, l' intelligence demande à chacun de veiller à ses gestes et de les accorder avec son choix de vie. Elle habite chacun pour coordonner ses mouvements, pour que ses actes ne soient pas indépendants de la volonté de 1 'humain. Dans ce cas, « se laver les mains » manifeste concrètement la prise en charge de soi-même par chacun.

Si l' intelligence du croyant juif énonce clairement le dis­cernement à opérer tout au long de la journée, le Juif saura décider, à la face du monde, comment il va manger et ce qu'il va manger. Il se prendra en main, et donc, il « prendra ses mains ». Il choisira « le truc de la nourriture », le couteau qui sépare et qui, pour toujours, évite la confusion.

Alors, les spectateurs et les observateurs recevront le témoignage d'un peuple incarné et de Jésus dynamique dans le peuple de l'incarnation. Que l'étranger à Israël note bien ce que provoque le lavage des mains pour les Juifs.

Ayant décidé de « prendre ses mains » et de se prendre en

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

charge, le Juif ne fait pas n'importe quoi lorsqu'il prend le pain. Il prend le pain, il bénit Dieu en disant la bénédiction. Et mangeant ce pain, il devient capable de dire : « Papa4 » (Sanh 70b) : « Quand un petit enfant commence à manger du pain, il sait dire papa 1 »

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Né d'une femme

Quand est entré ce qui remplit la durée, Dieu a envoyé son fils, né d'une femme, né sous la Torah, afin de racheter ceux qui sont sous la Torah, afin que nous recevions l 'adoption filiale. Et parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé l 'esprit de son fils dans nos cœurs. Il crie : Abba, Père !

Ga 4, 4-6.

Dans la civilisation des médias et de la communication, chacun possède quelques notions sur les longueurs d'onde. Comme autant de longueurs d'ondes différentes, la poésie offre de nombreuses possibilités. Elle autorise une souplesse du langage en vocabulaire, en tournures grammaticales et dans le style. Un poète exprimera autrement la proposition d'une découverte scientifique. La poésie est une langue moderne inventée depuis des millénaires par les sages qui désiraient communiquer des expériences fondamentales à leurs frères de la Terre. Le langage de la Bible présente le cachet d'une certaine poésie qui émerveille les uns et décon­certe les autres. Les uns se laissent emporter aussitôt par le rythme d'un souffle inaccoutumé et plein de fraîcheur. Les autres, plus ou moins troublés par la différence de langage, ont du mal à adhérer à des paroles autrement directes, pré­cises et concrètes.

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

Pour dire le Pays, le peuple de Dieu dira : « De Dan jus­qu'à Béer Shéva », comme si pour dire la France, l 'on disait : « De Lille à Perpignan ». Pour dire la totalité des gens, ils diront : « Les vieillards avec les jeunes » (Ps 148). Pour dire la vocation de l'humain, ils diront : « Béni sois-Tu si . . . et maudis sois-tu si . . . » Pour dire l'Unité du Seigneur, ils diront les Treize Attributs 1 •

Les Enfants d'Israël ne s'expriment donc pas de façon abs­traite. Ils parlent comme si l 'enjeu de leur incarnation se situait justement dans l'art de parler et de vivre. A toutes les nations avec lesquelles ils ont eu, ils ont et ils auront des relations, ils apportent une certaine joie de vivre en même temps qu'une discipline rigoureuse. A tous ceux qui désirent être disciples, ils apprennent à ne pas se déconnecter du monde quotidien. Ils leur enseignent à respirer le spirituel dans chaque geste et chaque rencontre. Leur pédagogie passe par leur façon de considérer les choses et les personnes.

Pour dire que quelqu'un est mort, comme Tabita2, on dit : « Il a marché sur le chemin de tout le monde » (Ac 9, 36-42). Pour dire de l'homme qu'il est mortel, on dit : « Il est né d'une femme. » Ainsi, dans la Tradition de son peuple, Paul va-t-il s 'adresser aux Galates : « Quand est entré ce qui remplit la durée, Dieu a envoyé son fils, né d'une femme, né sous la Torah, afin de racheter ceux qui sont sous la Torah, afin que nous recevions l'adoption filiale » (Ga 4, 4-5). Ce fils ensei­gnera, selon son peuple, à « crier Abba, Père ! » (Ga 4, 6)3•

Dans le peuple de Paul et de Jésus, il y a plusieurs façons de dire l'homme. D'abord Adam, le terreux, l'humain. Puis Ish, l'homme en tant que mari en face à face avec sa femme. Ensuite, Guibor, l 'homme en pleine maturité avec ses atouts de vaillance ; Mar ou Adon, monsieur ; Enosh, l 'homme en tant que mortel. Enfin, « né d 'une femme », employé par Paul, et signifiant aussi mortel.

Dire « né d'une femme », c'est donc évoquer simultané­ment la naissance et la mort. Entre les deux, il y a tout le temps de l ' incarnation que chaque être va parcourir sur 1 ,

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NÉ D'UNE FEMME

temps stable de l'Etemité de Dieu. La Torah orale réfléchit à ces deux extrêmes, le début et la fin de la vie, et elle les tient ensemble avec vigilance. Par exemple, à propos de Sha­bat : « On nous enseigne que Rabban Siméon ben Gamaliel disait : Pour un nouveau-né, il est permis de violer Shabat. La Torah dit qu 'il est permis de violer un jour de Shabat pour lui, afin qu 'il puisse honorer de nombreux Shaba tot. Mais on ne doit pas violer le jour de Shabat pour un mort, fût-il David, le roi d 'Israël. Car dès qu 'un homme est mort, on le tient quitte des commandements » (Shab 1 5 1 b ). Avant de donner cet enseignement, la Torah orale avait appelé à l' intelligence, comme Jésus explicitement dans l'Evangile (Le 24, 25), comme Paul implicitement dans ses lettres (Ga 4 et 1 Co 1 5, 56). Les femmes de l'Evangile suivirent cette recommandation après la mort de Jésus, fils de David.

Toujours à propos des commandements et du jour de Shabat à respecter ou non par rapport aux malades, la Torah orale explicite certaines paroles de David. Elle écoute cette parole du Psaume (Ps 1 1 5, 1 7) : « Les morts ne loueront pas Le Sei­gneur, ni ceux qui descendent au silence. » Elle dit alors : « Ce que voulait dire David, c 'est ceci : un homme doit se vouer à être disciple de la Torah et à accomplir les commandements constamment jusqu 'à sa mort. Car, dès qu 'il est mort, il est quitte de ces deux obligations » (Shah 30a).

On se rappelle le doigt sur la bouche du nouveau-né par l'ange qui lui faisait oublier toute la Torah au grand regret de Job (Jb 29, 2-3) : « L 'enfant contemplait le monde d 'une extrémité à l 'autre . . . et il ne sort du ventre maternel qu 'après avoir prêté serment car il est dit : Tout genou fléchira devant Moi, toute langue jurera (ls 45, 23). Tout genou fléchira devant Moi est une allusion au jour de la mort puisque Devant Lui fléchiront tous ceux qui descendent à la poussière (Ps 22, 30). Toute langue jurera fait allusion au jour de la naissance puisqu 'il est dit : Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, celui qui n 'invoque pas Ma personne en vain et ne Jt.""e p:ts pour tromper (Ps 24, 4) » (Nid 30b).

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Ainsi, dès sa naissance du ventre de sa mère, 1 'être humain est « sous la Torah » comme dit Paul. Il en est quitte à sa mort. On comprend donc que, pensant à la naissance, le peuple de Dieu envisage aussi la fin terrestre de l'humain. Dire « né d'une femme, né sous la Torah », désigne tout le parcours nécessaire et vital de l' incarnation de chaque être humain, comme un livre déroulé que l'être s'occupe et s'at­tache à lire et à accomplir4. Il satisfait ainsi la Volonté de Dieu. D'ailleurs, lors de la même recherche, la Torah orale avait posé la question : « A quoi ressemble un embryon dans le ventre de sa mère ? A un document plié ! » (Nid 30b ).

Jusqu'au dernier moment, le Juif est sous la Torah, tel le Bon Larron exerçant sa responsabilité envers son compagnon qui blasphème (p. 1 32), tel Jésus jusqu'au vendredi quinze heures (p. 62). Voilà pourquoi les Pirqè Avot disent cette sentence citée au chapitre précédent : « S 'il n y a pas de Torah, il n y a pas de savoir-vivre. S 'il n y a pas de savoir­vivre, il n y a pas de Torah » (P.A. 3 , 1 7) où le mot savoir­vivre traduit « le chemin de la terre », la nécessité de la vie familiale, communautaire et sociale de 1' être incarné.

Mais l'assertion de Paul (Ga 4, 4-5) a été souvent comprise comme un dégagement par Jésus du joug de la Torah, joug que 1 'on considérait sinon négatif, du moins infructueux. Cette interprétation - qui est une interprétation parmi d'autres - rejoint la question posée par un païen à Rabbi Aqiba à propos de la pratique par les Juifs de la circoncision au huitième jour de la vie du garçon. A propos de cette mits­wah, le païen, non juif, demandait : « Qu'est-ce qui est mieux ? Ce que Dieu fait ou ce que font les hommes ? » La réponse de Rabbi Aqiba rend compte de l' intelligence qui est en lui et du cadeau d' intelligence qu'il a reçu. Dans le Midrash Rabba de la Genèse (sur Gn 1 , 3 1 -2, 3), il est dit : « Tout ce qui fut créé lors des six jours du commencement requiert une action complémentaire. La moutarde doit être adoucie, le lupin aussi, le blé doit être moulu. Et 1 'homme lui-même doit être arrangé ! » (GnR 1 1 , 6). Mais le Midrash

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NÉ D'UNE FEMME

Tanhouma de la parashah Lv 1 3 formule autrement et la question et la repartie : « Si Dieu est créateur et s 'JI aime tant la circoncision, pourquoi 1 'enfant ne sort-il pas circoncis du ventre de sa mère ? Rabbi Aqiba répond : Les œuvres de 1 'homme sont plus belles que celles du Saint, Béni soit-Il . . . le pain n 'est-il pas plus beau que les blés ? Si 1 'enfant ne naft pas circoncis, c 'est que le Saint, Béni soit-Il, a donné des commandements à 1 'homme pour qu 'il se purifie » (Tanh. Tazria 5).

Pour vivre la question de l'enfant né incirconcis et de l'homme né de la femme, les disciples de la Torah vont et viennent constamment entre les deux textes fondamentaux des premiers chapitres de la Genèse et du milieu du Lévi­tique. Le septième jour de la Création, contrairement aux autres jours, il n'y a pas le refrain : « Il y eut un soir, il y eut un matin. » Mais la lecture finit ainsi : « Dieu bénit le septième jour et Il le sanctifia car en lui, Il s 'était reposé de toute l'œuvre que Dieu avait créée pour faire » (Gn 2, 3). Le dernier verbe « laassot, pour faire » est souvent omis dans les traductions. Il est effectivement un peu embarrassant tant qu'il n'est pas regardé avec les deux mots précédents : « ba­rah Elohim /aassot ». Les dernières lettres de ces trois mots forment un nouveau mot, HMT, hémèt, traduit par « Vérité ». Ainsi, Rabbi Aqiba fait-il entendre au païen la réponse à sa question. Dieu a créé pour donner à l'humain de faire les commandements. Le verbe « faire » a souvent été compris et traduit par « accomplir ». Comment accomplir les comman­dements sinon en faisant ? Comment accomplir la Torah sinon en faisant ? Et l'homme incarné accomplit, agit et fait : trois verbes français pour un seul hébreu (Gn 2,3).

Alors monte une autre question : Pourquoi dire « né d'une femme », et pas « né d'une mère » ? Cela ouvre toute une réflexion. Cela ouvre le bon sens sur la compréhension du couple et du mariage dans la Tradition juive. En effet, d'après la Torah orale du deuxième chapitre de la Genèse, la femme n'est pas le féminin de l'homme, mais celle qui est

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en vis-à-vis de lui, construite et intelligente, pour donner au monde une chair unique : l 'enfant. La Torah orale fait des jeux de mots avec les deux noms de l 'homme et de la femme. Chacun présente trois lettres. Deux de ces lettres sont communes et forment le mot Feu. Les deux lettres restantes, et dans 1 'homme et dans la femme, si elles sont réunies, don­nent le Nom du Seigneur. D'après les Pirqè de Rabbi Elièzèr ou le Traité de Sota (Sot 1 7a), on peut se laisser enseigner et émerveiller par ces paroles de Rabbi Aqiba :

homme

femme

feu

Le Seigneur

h Ys

hsH

hs

YH il '

Comme dit le Traité Nidah dont une partie a déjà été citée : « Trois participants sont nécessaires pour faire un homme : Le Saint, Béni soit-Il, son père et sa mère. » Suivent les listes de ce que chacun donne à 1' enfant à la naissance. Puis, « lorsque le moment est venu pour lui de quitter le monde, le Saint, Béni soit-Il, reprend sa part et abandonne la part de son père et de sa mère » (Nid 3 1a). Au sujet de la nais­sance, il faut rappeler 1' enseignement du Midrash sur la res­ponsabilité de chaque être qui veut pratiquer la Torah. Constatant que le mot sage-femme (meyallèdèt, MYLDT) contient exactement les mêmes lettres que le mot disciple (talmîd, TLMYD), les sages appellent chaque disciple à deve­nir sa propre sage-femme pour venir au monde.

Dans le Traité Nidah, l'on entend encore ceci : « Rabbi Isaac dit au nom de Rabbi Ami : Si c 'est la femme qui émet sa semence la première, elle donnera naissance à un garçon.

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NE D'UNE FEMME

Si c 'est l 'homme, elle donnera naissance à une fille, car il est dit : Lorsqu 'une femme émettra sa semence et enfantera un garçon (Lv 1 2, 2) . . . Quand un enfant mâle vient au monde, c 'est la paix qui vient au monde » (Nid 3 1 a-b).

Il faudrait donc entendre et recevoir tous les commentaires des midrashim et du Midrash Rabba du Livre du Lévitique dont une parashah commence par cette phrase singulière de la « femme qui ensemence et enfante un garçon » (Lv 1 2, 2). Enseignements multiples sur le rôle primordial de la femme pour la conception et l'enfantement d'un fils. D'ailleurs les sages voient un témoignage de cela dans la volonté, le dyna­misme et les risques pris par les femmes de leur peuple, sté­riles ou en difficultés, qui ont pu, finalement, avoir des fils. Cette parashah mentionne aussi les deux sacrifices que la femme doit apporter après la naissance d'un enfant. La Tradi­tion s 'interroge sur le sacrifice pour le péché puisque donner vie n'est ni un mal ni un péché. Oui, mais en mettant au monde 1' enfant, la femme tellement heureuse a oublié, un centième de seconde, qu'il venait du Créateur. Elle a oublié le Seigneur, elle a ratèh, elle a péché. Ou alors, l'accouche­ment était douloureux et, à ce moment-là, elle a fait le vœu de ne plus avoir d'enfants, et elle n'accomplira pas ce vœu par la suite, elle doit donc faire un sacrifice pour le péché.

A ce propos, il faut mettre en mémoire les trois clefs dont plusieurs traités du Talmud parlent à leur manière : « Trois clefs sont entre les mains du Saint, Béni soit-Il, qu 'Il ne confie à aucun envoyé : la clef qui commande et ouvre le ventre maternel, la clef qui commande et ouvre les pluies et la clef qui commande la résurrection des morts. » Et d'assor­tir chacune des clefs d'un exemple vécu dans la Torah ou les Prophètes (Taan 2a). A nouveau viennent ensemble le début et la fin de la vie, la naissance et la mort, avec la foi juive en la résurrection des morts. Les Juifs ont transmis et donné cette foi à ceux qui dépendent d'eux.

Entre les deux clefs extrêmes, 1 'humain est soumis, pour toute sa marche, à la clef des pluies et des ressources : toute l'incarnation. L'humain, né d'une femme, est aussi le mortel

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soumis à la Volonté du Seigneur et à Sa clef de la résurrec­tion des morts. Il est responsable du monde à venir. « Rabbi Yohanan dit : Si l 'homme zaka, si l 'homme le mérite, il hérite des deux mondes, ce monde-ci et le monde à venir. Cela est écrit (Ps 139, 5) : Après et avant Tu m 'as formé. Et s 'il ne le mérite pas, Le Saint, Béni soit-Il, vient donner Dîn et compte (facture) comme il est dit (Ps 139, 5) : Tu as posé sur moi Ta Main » (LvR 14, 1) .

De sa naissance à sa mort, tout Juif est dans le Lieu de la Torah. L'auditeur des Ecritures chrétiennes doit être attentif. La phrase traduite souvent par « né sujet de la Torah » (Ga 4, 4) peut aussi être comprise ainsi : « né pour habiter sa place dans la Torah ». Tout Juif doit accomplir ce Lieu de la Torah, au jour le jour5, dans sa chair et dans sa communica­tion multiforme avec ses parents, ses prochains, ses compa­triotes, ses contemporains et tous ceux avec qui il vit6• A sa mort, il sera quitte de la Torah, en tout cas de la Torah hala­khique. Mais dans sa marche au long des jours, il est requis pour offrir un cœur intelligent : il comprendra sa vocation à l'incarnation et la vocation à l' incarnation de tout humain.

Affaire de vocabulaire et de « longueurs d'ondes » . . . le lecteur occidental est invité par la Tradition juive à lire au­delà des mots ce que signifie, pour l'itinéraire de Jésus, « né d'une femme ».

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Le figuier sans fruit

Quand ils approchèrent de Jérusalem, vers Beth Phagé et Beth Ani, près du mont des Oliviers, Il envoya deux de ses disciples et Il leur dit : Partez vers le village qui est en face de vous. En y entrant, vous trouverez tout de suite un ânon attaché sur lequel personne ne s'est jamais assis. Détachez-le et amenez-le . . . . Le lendemain, quand ils sortirent de Beth Ani, Il eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, Il y alla. Ah, s'Il pouvait trouver quelque chose en lui ! Arrivé auprès de lui, Il ne trouva rien, que des feuilles, car ce n'était pas la sai­son des figues ! Et Il entonna à lui dire : Que jamais plus dans le temps, personne ne mange du fruit sorti de toi ! Ils entrèrent dans Jérusalem. Il entra dans le Temple, Il commença à expulser ceux qui vendaient et ceux qui achetaient dans le Temple. Il tourna en bas les tables des changeurs et les sièges des ven­deurs de colombes. Et Il n'épargnait rien afin que personne ne transporte quelque objet inerte à travers le Temple. Il les enseignait. Il leur disait : N'est-il pas écrit : « Ma Maison sera appelée Maison de Prière pour toutes les nations » ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de brigands !

Mc 1 1 , 1 -2. 12- 17.

Et si Jésus aimait la Torah ? Et si Jésus aimait son peuple, le peuple d'Israël qui, lui-même, est attaché à la Torah ? Et

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

s'il existait une grande complicité entre Jésus et Israël pour aimer la Torah et prendre et porter son joug ?

Le lecteur étranger devrait alors faire l'effort d'accueillir la connivence entre Jésus et les Juifs, leurs clins d'œil, leurs demi-mots, leur vocabulaire original, leurs appels. Les appels en bénédictions-malédictions afin de laisser le choix et la responsabilité à chacun. Les invitations à l' intelligence comme le coq et plus que le coq. Et à l'opposé, les mises en garde contre ceux qui ne portent pas de fruits ou refusent de les faire mûrir.

Un arbre, familier au peuple d'Israël, poindrait à l'horizon du lecteur non juif. Cet arbre parlerait à 1 'humain de la Torah : le figuier. Grâce à lui, un épisode très difficile de 1 'Evangile s'éclairerait et donnerait 1 'enseignement limpide d'une parabole vécue en acte (Mc 1 1 , 1 -26).

Selon la méthode recommandée dans l' introduction, et avant de continuer à lire les pages du présent chapitre, le chercheur de sens et celui qui désire goûter à la parole sont conviés à lire à haute voix ou à deux voix ce long épisode. Là, Jésus se comporte très durement envers un figuier sans figues pour lequel 1 'évangéliste Marc nous dit que « ce n'était pas la saison des figues » (Mc 1 1 , 1 3). Mais cette notation garde un cachet improbable pour le croyant de la Torah orale. Il la jauge comme un ajout très postérieur inventé par un Grec occidental qui méconnaîtrait la culture sémite et chercherait une excuse à 1 'humeur violente de Jésus. Car, pour le peuple de la Torah orale, Israël, le figuier est l'arbre de la Torah, et la Torah porte toujours du fruit comme le figuier. Le Traité Erouvin (Er 54b) dit à cet effet : « En quoi les mots de la Torah sont-ils comparables aux figues ? Chaque fois qu 'un homme va cueillir des figues, il ne manque pas d 'en trouver. Il en est de même avec les mots de la Torah. Aussi souvent qu 'un homme les sollicite, il en obtient des significations et des saveurs, des goûts ! » Et le midrash (NbR 2 1 , 90-9 1 ) insiste sur la production des figues chaque jour.

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LE FIGUIER SANS FRUIT

La Torah, vitale pour les Juifs et pour Jésus, a donné et donne à tous les membres de chaque génération tonus, dynamisme et joie de vivre. Ecrite et orale, elle ne cesse d'être reprise par les prophètes et les psalmistes, selon la parole d'André Chouraqui : « Nous naissons avec ce Livre, le Psautier, aux entrailles. Il y a cinq livres qui corres­pondent aux cinq livres de la Torah, une concordance extraordinaire entre les deux structures, en commentaire symphonique1 • » Ainsi les Psaumes sont-ils pour le croyant comme un écho de la Torah. D'autres livres jouent aussi ce rôle et chantent sur un autre ton la force de vie de la Torah et de la rencontre entre le Seigneur et Son peuple. Tel est le Chant des Chants, le Cantique des Cantiques, qui ouvre chaque Shabat et éclaire la fête de Pèsah. Ce « superchant » donnera à l'Occidental d'entendre enfin les Paroles et de voir les gestes de Jésus qui jusqu'alors semblait maudire un arbre innocent.

Le figuier, dans la langue hébraïque, porte le même nom que le « désir ». Celui qui donne la Parole à Son peuple lui signifierait simultanément la nécessité impérieuse d'éduquer le désir, de le faire grandir vers le haut, en direction de Lui, le Saint, Béni soit-Il. Le nom du figuier se dit tèènah en hébreu. Pourquoi donc la Tradition chrétienne enseigne-t-elle que Beth Phagé signifie « la Maison du Figuier » ? Ce vil­lage, Beth Phagé, situé sur le mont des Oliviers, et voisin de Beth Ani, est nommé en hapax dans les Evangiles synop­tiques, au moment de l'« entrée messianique de Jésus à Jérusalem ». Peut-être la Tradition chrétienne enfonce-t-elle ses racines profondément dans la Tradition juive. . . et qui prendra le temps de chercher trouvera le chant d'Amour du Seigneur pour Son peuple Israël et celui du peuple d'Israël pour le Seigneur, le Cantique des Cantiques. Il entendra chanter Jésus, fils d'une femme, né d'une femme, incarné dans Son peuple. Il vibrera de joie à la voix et à la mélodie de Jésus, fils d'Israël, qui chante le Chant des Chants à son tour.

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

Dans le Cantique des Cantiques, existent plusieurs mots sans parallèles dans tout le Tanakh. Les traducteurs auront des difficultés à les rendre s'ils n'ont pas d'autres appuis dans la culture juive et hébraïque. Le chapitre deux abonde particulièrement de ces hapax. Ainsi le Kotel qui a été choisi par les Israéliens pour désigner 1 'unique Mur de la Prière. Ainsi d'autres mots qui furent repris par les Evangiles en communion avec cet amour passionné du peuple de Jésus pour son Seigneur. Il est bon d'écouter ce chant. Celle qui chante, la Bien-Aimée, écoute aussi, après avoir invité les « filles de Jérusalem2 » à la délicatesse :

« La Voix de mon Bien-Aimé ! Voici ! C'est Lui qui entre ! Il bondit sur les montagnes. Il saute-danse sur les collines ! Mon Bien-Aimé ressemble à une gazelle ou au faon des biches ! Voici ! C'est Lui qui se tient derrière notre Kotel, derrière notre Mur ! Il guette par la fenêtre, Il épie par le treillis ! Mon Bien-Aimé a entonné3 et Il m'a dit : Lève-toi vers toi, ma compagne, ma belle, et pars vers toi ! Oui, voici que 1 'hiver est passé, la pluie a cessé, elle s'en est allée. Les fleurs sont vues sur la terre, au Pays, le temps du chant est arrivé, et la voix de la tourterelle est entendue sur notre terre, dans notre Pays4 ! Le figuier a mûri d'arôme ses fruits verts, et les vignes qui génèrent aromates ont donné leur parfum. Lève-toi vers toi, ma compagne, ma belle et pars vers toi ! »

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(Ct 2, 8- 13)

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Dans le dernier verset, plusieurs mots hébreux ont été ren­dus respectivement par deux mots français, dans la difficulté à restituer la précision de la pensée hébraïque. A propos du figuier, le verbe signifie embaumer et remplir d'arôme ; il a aussi la senteur du froment mûr pour la moisson. Le nom phagé, comme Beth Phagé, peut être compris comme « pre­miers fruits, fruits verts, figues » (phonétiquement le latin ficus, figue, et l 'hébreu phagué, fagué, sont très proches). L'appel à la maturité et au dynamisme de la vie, de la part du Bien-Aimé envers la Bien-Aimée est formulé ainsi : « Lève-toi, pars et deviens toi-même » (cf. Gn 12 ; 22). Il exige un ébranlement de la part de la Bien-Aimée. Ce verbe dynamique « se lever » a induit à traduire phagé, phagué, par « fruits verts ». Il aurait même fallu dire : « fruits verts en train de virer à maturité » ou « fruits en gestation ». Effecti­vement, ce n'est que dans le passage du vert au mûr, ce n'est que dans la condition du mûrissement que le Bien-Aimé construit sa relation d'Amour... et que le Seigneur, le Bien­Aimé, peut « entonner » (Ct 2, 1 0) la vocation humaine de la Bien-Aimée, la vocation de Son peuple.

S ' il arrive alors que quelqu'un ait faim de figues mûres, de figues qui viennent de mûrir, de figues qui n'ont pas refusé l 'étape de la maturation, si quelqu'un désire accueillir le parfum et 1' arôme, alors il trouvera à Beth Phagé des figues car c'est toujours la saison des figues, selon la Torah orale.

Mais voici que Jésus était entré dans Jérusalem, dans le Temple, acclamé par les foules des Rameaux. Il avait regardé toutes choses autour de lui. Cependant 1 'heure était tardive et Il était sorti vers Beth Ani avec les Douze (Mc 1 1 , 1 1 ) . Qu'avait-Il vu ? L'auditeur de l'Evangile le comprend le len­demain lorsque « Jésus entre dans Jérusalem et qu'Il entre dans le Temple ». Là, Il commence à chasser les vendeurs et les acheteurs. Là, Il ouvre ceux qui le suivent à la compré­hension de la parole des prophètes Isaïe, Zacharie et Jérémie. Isaïe affirmait : « Ma Maison sera appelée Maison de prière pour toutes les nations5• » Zacharie rêvait que toutes les

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nations monteraient au Temple de Jérusalem pour la fête des Cabanes, Soukot, où justement l 'on brandit les rameaux (lou­/av) dans les six directions de l 'espace (Za 14 et Jn 7, 2 ; 12, 1 3). Pour renforcer la gravité de cette entrée de Jésus, l 'évangéliste Marc répète deux fois le verbe entrer, et pour Jérusalem, et pour le Temple ; ceci le jour dit des Rameaux et le lendemain.

Qu'avait donc vu Jésus en regardant tout autour de lui dans le Temple ? Jésus avait pris à son compte la phrase de Jéré­mie « une caverne de brigands » où le Seigneur disait : « J'ai vu. Me voici, Moi aussi, J'ai vu, Oracle du Seigneur. Est-ce à vos yeux une caverne de voleurs cette Maison sur laquelle est prononcé Mon Nom ? » (Jr 7, 1 1 cité en Mc 1 1 , 1 7). Jésus voyait la cause de cette situation : oui, chacun faisait n'importe quoi sauf écouter la Torah et porter fruit. Alors, après la nuit et avant d'entrer à nouveau dans le Temple, Jésus joue la parabole du figuier de Beth Phagé. Les figues vont-elles mûrir ? Le figuier accepte-t-il la gestation de ses fruits ? Les responsables du figuier sont-ils d'accord pour que les fruits verts s'emplissent d'arôme et de parfum ? Dési­rent-ils assouvir la faim de celui qui vient chercher des figues ? Aiment-ils le parfum des blés à la moisson qui fait chanter les porteurs de gerbes ?

« V oyant de loin un figuier qui avait des feuilles, Il y alla. Ah, s'Il pouvait trouver quelque chose en lui ! Arrivé auprès de lui, Il ne trouva rien, que des feuilles, car ce n'était pas la saison des figues. Et Il entonna à lui dire : Que jamais plus dans le temps personne ne mange du fruit sorti de toi ! » (Mc 1 1 , 13 - 14)6• Sentence dure. Peut-être. Cependant, le lecteur découvre que le figuier n'est plus l 'arbre qu' il pensait. Le figuier découvre et appelle l 'homme responsable : d'abord, le sage et 1' éducateur responsable de sa communauté et de son peuple ; puis le simple croyant qui a l 'énorme responsa­bilité de sa vie et de son attitude quotidienne. Si 1 'être res­ponsable ne porte pas de figues, s'il ne présente que des feuilles, il court le risque réel d'entendre pour lui, et à la face du monde, ce décret et ce jugement. C'est un jugement sans

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appel comme est irrémédiable toute parole de malédiction. Le lecteur entend comme les disciples. La journée peut finir, le soir peut tomber (Mc 1 1 , 14. 19).

Néanmoins, tout est-il terminé ? Le temps d'une nuit de réflexion et il y aura un nouveau jour où la malédiction va être ouverte. L'appel crié douloureusement, et même vitu­péré, va résonner aux oreilles comme une vocation au choix de la bénédiction. Pour 1' évangéliste Marc, seul Pierre peut tenir le rôle d'interroger Jésus : « Rabbi, voici le figuier que tu as descendu : il est séché et sec. Et Jésus répondit et dit : "Ayez la foi de Dieu !" » (Mc 11, 21-22).

Voici l'antidote de la malédiction du jour précédent. Elle ne vient que le lendemain comme une vocation à la foi en l'Unique : laisser à Dieu Ses possibilités. C'est une vocation à la prière jusqu'à déplacer les montagnes. Pour Israël, peuple de Dieu, « har, la montagne », est très proche de « hâ­râh, la grossesse », et de l'ébranlement de l'enfantement. C'est une vocation à la prière debout jusqu'à l'ébranlement du pardon et jusqu'à la complicité, la communion avec « votre Père qui est dans les cieux », selon l'expression litur­gique pour le Yom Ki pour. Voilà simultanément mise au grand jour la complicité entre Jésus et son peuple. Voilà un encouragement lancé aux spectateurs et aux auditeurs à apprécier le jeu entre Jésus et son peuple et à y entrer. La Tradition chrétienne de l'Evangile, plus explicite chez Marc que chez Matthieu (Mt 2 1 ), à cause des allées et venues et de la parabole jouée sur deux jours, s'enracine dans les nom­breux midrashim sur les figuiers et sur le temps et 1 'heure.

A propos de la mort d'Abraham, voici une réflexion du Midrash Rabba de la Genèse. Le lecteur écoutera cela en sachant que le mot traduit par « maturité » est de la même racine que « réponse, responsabilité », c'est le mot ana, ani, de Beth Ani. « Rabbi Abahou dit : Ce figuier, s 'il est cueilli à l 'heure de sa maturité, c 'est beau pour l 'heure et c 'est beau pour le figuier. S 'il est cueilli à l 'heure où il n 'est pas à sa maturité, c 'est mauvais pour le moment et c 'est mauvais

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pour le figuier. Rabbi Hiyyad, Rabba et ses disciples, ou Rabbi Aqiba et ses disciples, ou Rabbi Yossè ben Halaphta et ses disciples étudiaient très tôt et s 'asseyaient et répétaient sous un figuier. Le propriétaire du figuier se levait tôt et cueillait. Ils dirent : Peut-être, il nous suspecte ! Que firent­ils ? Ils changèrent d 'endroit. Il se précipita sur eux et leur dit : Mes maîtres, le seul commandement dont vous me per­mettiez de mériter en étant assis et en répétant sous le figuier, vous l 'empêchez ! Ils lui dirent : Nous nous sommes dit que tu nous suspectais. Il les rassura et ils retournèrent à leur place. Que fit-il ? Il se leva tôt, à 1 'aurore, mais il ne cueillit pas. La chaleur brilla sur le fruit qui devint véreux. Ils dirent : Le propriétaire du figuier sait quand le figuier est mûr pour cueillir et il cueille. Ainsi Le Saint, béni soit-Il, Lui, Il sait quand sont les moments de maturité des Justes pour les écarter du monde et il les écarte. Ainsi il est écrit (Ct 6, 2) : Mon Bien-Aimé est descendu dans son jardin . . . pour cueillir des roses ! » (GnR 62, 1 -6).

Une nouvelle fois, le midrash s'appuie sur le Cantique des Cantiques. Il réfléchit à sa façon sur la mort des vieux et sur la mort des jeunes. Mais ce raisonnement souligne l'impor­tance du temps et la décision du propriétaire du figuier.

Dans l'Evangile de Marc, lu selon le midrash, Jésus se comporte comme le propriétaire du figuier qui sait quoi en attendre et qui est déçu. L'humain a ignoré la récolte quoti­dienne des figues du figuier, il est passé dans le temps en le bafouant. Cela provoque une stérilité qui est moins une malédiction que la conséquence directe de la responsabilité de l'humain.

Jésus, Yéhoshouah, porte le même Nom que Josué bin Noun. Or, c'est à propos de l' imposition des mains de Moïse sur Josué que le Midrash Rabba donne les paraboles du figuier . . . lorsque Moïse avait prié le Seigneur pour qu'Il donne quelqu'un pour veiller sur 1 'Assemblée. Le Seigneur avait répondu : « Prends pour toi Josué bin Noun, l'homme dans lequel est l'Esprit » (Nb 27, 1 8). Le midrash dit : « Pourquoi

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la Torah est-elle comparée au figuier dans cette parole des Paraboles de Salomon (Pr 27, 18) : "Celui qui est Notsèr, celui qui garde le figuier, mangera de son fruit " ? Parce que la plupart des arbres, l 'olivier, la vigne, le dattier, sont tous cueillis en une seule fois, alors que le figuier est cueilli petit à petit. Ainsi la Torah. Aujourd 'hui, on apprend un peu, et demain, beaucoup, car elle ne peut être enseignée ni en une année, ni en deux années . . . . Moise avait demandé : Toi qui examines et distingues l 'esprit de chacun, place un homme qui sache marcher avec chacun, selon la connaissance de chacun ! » (NbR 2 1 , 90-92).

Dans l'Evangile de Marc, Jésus passe au milieu des siens comme Josué, en s'adaptant à chacun. Bien sûr, le croyant ne peut accueillir la Torah en une seule année, ni en deux années ; mais il est des temps où il doit être appelé et inter­pellé. Jésus, depuis sa Bar Mitswah, appelle chacun à vivre ses responsabilités.

Jésus aime la Torah. Il a regardé autour de lui dans le Temple où Il aurait voulu chanter le Cantique des Cantiques. Il a vu - Il n'est pas aveugle - les choix néfastes de certains de ses contemporains individuels ou en charge de commu­nautés. En deux matins successifs, Il appelle à l' intelligence.

Chaque matin, le croyant dit : « Béni sois-Tu Seigneur notre Dieu, Roi de l 'univers, qui donne au coq l 'intelligence pour distinguer entre le jour et la nuit. » Chaque matin, le propriétaire d'un figuier peut aller cueillir les fruits verts qui viennent de mûrir et dont il a faim.

Dans le Cantique des Cantiques, en un hapax, le Bien­Aimé appelle sa Bien-Aimée : « C'est arrivé ! Le figuier a donné ses fruits mûrs ! » Et le peuple d'Israël chante « com­bien propice est le temps pour la Rédemption. Les trois ver­sets (Ct 2, 1 1-13) expriment, par leurs images et leurs métaphores, que le pire est passé, la Délivrance est immi­nente7 ! ».

Dans 1 'Evangile, un hapax, le village de Beth Phagé près du mont des Oliviers, en vis-à-vis du Temple de Jérusalem, Lieu du Seigneur. Deux matins successifs, Jésus s'approche

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du figuier. Il vient d'être acclamé par des Hosannah, et c'est l'accomplissement du temps de l'Universalité de la fête des Cabanes (Za 14 et Traité Soukah). Jésus a faim de chanter et de vivre le Cantique des Cantiques. Mais Il ne peut que ren­voyer chacun à ses responsabilités et à ses choix : l'humain incarné est grand. Il a capacité de décider s'il donnera, oui ou non, du fruit. L'humain est libre de causer la vie ou la mort.

Jésus chante à sa manière le Cantique des Cantiques. Il appelle à sa façon la Bien-Aimée du Seigneur à partir et à devenir elle-même. Il crie au croyant de porter le joug de la Torah. Il clame, à son tour, une nouvelle fois, le choix entre la vie et la mort spirituelles. Il prononce qu'un seul est responsable de ce choix : chaque humain incarné doué d'intelligence. L'humain doit devenir lui-même : c'est l'en­seignement sans cesse répété, et réajusté, par la Torah écrite et orale.

Jésus incarné répète . . . à tous ceux qui l'écoutent.

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Seigneur, ouvre mes lèvres !

B ienvenue au lecteur qui ouvre ce livre au dernier chapi­tre ! Peut-être a-t-il eu le réflexe de commencer par la droite, et de lire de droite à gauche . . . Alors, dans ce sens de lecture, il ne trouvera ici ni conclusion, ni synthèse, ni résumé. Mais, selon le Psaume d'ouverture du Livre des Louanges, il enten­dra l' invitation à « se régaler dans la Torah du Seigneur » et à « murmurer Sa Torah de jour et de nuit ».

Bienvenue au lecteur qui arrive maintenant à cette page après avoir longuement tourné les pages les unes après les autres depuis la première. Il a accompli, et il accomplit en ce moment même, le conseil de Ben Bag Bag, presque à la fin des Chapitres des Pères, à propos de la Torah. Il disait : « Tourne-la et tourne-la car tout est en elle, et en elle tu verras. Vieillis et use-toi en elle, et d 'elle, ne bouge pas, car il n y a pas de bonne mesure pour toi sinon elle » (P.A. 5, 22). Il a aussi possibilité d'entendre comme une invitation à la danse : « Tourne en elle et tourne en elle . . . » En effet, scandant la mesure de la recherche de la Torah, il a eu le temps de comprendre sa taille et son dynamisme. Si la Torah écrite a tant de pages, si la Torah qui est sur la bouche a tant de paroles, de répétitions, de réflexions et de discussions, c 'est que l'on ne peut résumer, ni synthétiser, ni a fortiori arrêter, fermer et conclure. Il faut constamment se déranger,

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se laisser déranger et ouvrir une petite ouverture (p. 2 1 ) comme le trou ouvert par la pointe aiguë d'une aiguille. Le Saint, Béni soit-Il, la transformera en grand portique.

Bienvenue au lecteur désireux de chercher comment Jésus s'est incarné dans le peuple de la Torah. « Bienvenue », avec le B français, est la traduction moderne de la bénédiction prononcée dans le peuple de Dieu avec le B hébreu : « Ba­roukh haba, Béni soit celui qui vient 1 » Elle est chantée dans le Halle! pour accueillir celui qui vient au cœur de la Maison du Seigneur (Ps 1 1 8 , 26), comme « David fut accueilli par son père, ses frères et le Prophète Samuel » au cœur du Choix du Seigneur (Pes 1 1 9a). Alors, le lecteur, quel qu' il soit, comprendra l' impossibilité de conclure, à la dernière des pages, un livre sur l'incarnation de Jésus dans le peuple d'Is­raël. Mais il discernera aussitôt une autre forme de récapitu­lation ou de sommaire qu' il cherchera au sommet, c'est-à­dire au centre. Ainsi, sur le mode de la Torah, le livre Un Juif nommé Jésus est bâti de telle sorte que la partie centrale soit la principale et que 1' essentiel soit au centre. Les interro­gations et les émerveillements sur Nazareth, tels des portes ou des passages, donnent de goûter un peu plus et d'apprécier l'accent du Juif Jésus.

L 'art de parler : la Torah.

Chacun le sait, le poème est à l'opposé d'une démonstra­tion formelle. Son langage original a été inventé par les sages de tous les temps pour offrir à leurs contemporains et aux hommes et aux femmes de toutes les générations une musique, un rythme et un souffle modernes. Les poètes n 'im­posent pas. Ils invitent à d'extraordinaires découvertes ceux qui s 'arrêtent et donnent du temps pour les écouter. Leur musique tinte clairement pour ceux qui ont appris à façonner et à intriguer leurs oreilles ; elle entraîne à marcher et à avan­cer. La Torah, écrite et orale, adopte souvent ce langage raf-

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finé qm semble défier la logique la plus élémentaire du penser.

La Torah est difficile à lire. Le lecteur s'en approche ; il entre dans une civilisation de l'audiovisuel qui devrait lui être familière et moderne. Mais comment passer d'une civili­sation audiovisuelle à une autre ? Dans celle du xxe siècle de 1' ère chrétienne, tout est montré.. . encore que les preneurs d'images et de sons fassent pression pour orienter dans le sens qu'ils ont décidé. En revanche, dans le peuple de Dieu, depuis toujours, on « voit les voix » (Ex 20, 1 8) . . . encore que les traducteurs n'osent pas communiquer cette réalité. Israël est invité continuellement à faire jaillir de la Torah écrite les sens qu'elle ne livre pas au premier abord. Car la Torah pré­serve l' intimité, et petit à petit, elle apprend au disciple à chercher. Voilà l'audiovisuel des Hébreux et des Juifs. Cha­cun, à son niveau, doit faire preuve de responsabilité, d'intui­tion, de sérieux dans la recherche, de persévérance à toujours trouver autre chose et à avancer. Chez le peuple d'Israël, l 'audiovisuel n'est pas servi en direct ni entièrement préparé : cela assisterait trop les gens et éliminerait en eux tout dyna­misme. La Torah orale critique le diktat du roi d'Egypte, Pharaon, et son maintien sur les nations incapables de s'en libérer. Pour les enfants d'Israël, la liberté se vit en peuple, dans le respect de la personnalité unique de chacun. La liberté est « l'acceptation du joug du royaume des cieux ». Elle est donnée par la récitation biquotidienne du Shema Israël, Ecoute Israël. Lorsqu'ils prononcent cet appel, les Juifs ferment leurs yeux pour mieux écouter, pour mieux ren­contrer 1 'unicité du Seigneur et retrouver leur propre unicité. Ils repartent alors témoins de la liberté donnée par 1' accueil du joug léger de la Torah.

La Torah est une pédagogie pour responsabiliser tout humain. Voilà pourquoi elle est écrite simplement : sans titres, sans sous-titres, sans classification apparente ; prati­quement toujours en prose, de façon non aérée1 • Mais, de cet écrit à mine rébarbative, le peuple juif a eu l'art et a l'art de faire sortir des trésors de sens, de lumières et de paroles

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nourrissantes. L'écrit, dans sa simplicité et sa sobriété, voire dans sa monotonie, devient la seule chose indispensable pour que jaillissent les soixante-dix paroles vitales depuis chaque ligne. Alors, pour s'interroger sur l'incarnation de Jésus dans son peuple, on a choisi délibérément, à 1 'humble niveau de ce livre, d'obéir à ce style. Certains auraient préféré ou préfé­reront sans doute des choses plus claires : des intertitres, des encarts, ou plus de schémas et de tableaux. On a essayé le plus possible de ne pas agir ainsi, à la fois pour rappeler la dure discipline (disciple se dit talmîd en hébreu) de la Torah écrite et pour laisser entrevoir sa succulente pédagogie. Le Midrash Rabba du Deutéronome insiste sur « la non-impossi­bilité et le non-éloignement de la Parole » (Dt 30, 1 1 - 14). A propos de « la Parole est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la fasses », il dit une parabole. « Le sot demande par où commencer pour apprendre la Torah. On lui indique l 'ordre [des trois perles du collier] la Torah, les Prophètes et les Ecrits, puis le Talmud, les Hala­khat et les Haggadot. Il se dit en lui-même : "Quand donc pourrai-je apprendre ceci ? ", et il va vers la porte sans ouvrir la bouche (Pr 24, 7). Rabbi Yanay dit : A quoi cela ressemble-t-il ? A une miche de pain qui était suspendue en 1 'air. Le sot dit : "Qui peut 1 'apporter ? " Celui qui est intel­ligent, aux yeux ouverts, dit : "N'est-ce pas quelqu 'un qui 1 'a suspendue ? " Il apporte une échelle ou un bâton et il la descend. De même quelqu 'un de stupide dit : "Quand pour­rai-je lire la Torah ? " L 'homme intelligent répète un cha­pitre, jour après jour, jusqu 'à ce qu 'il termine. Le Saint, Béni soit-Il, dit : "Elle n 'est pas impossible, mais si elle est impos­sible pour toi, c 'est que tu ne t 'occupes pas assez d 'elle !" » (DtR 8, 1 9-27).

La Torah donne le plaisir de chercher. Elle offre la joie de 1' effort récompensé et du souci exaucé selon le puissant appel : « Si quelqu 'un te dit qu 'il a cherché et qu 'il n 'a pas trouvé, ne le crois pas. Si quelqu 'un te dit qu 'il n 'a pas cherché et qu 'il a trouvé, ne le crois pas. Si quelqu 'un te dit

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qu 'il a cherché et qu 'il a trouvé, tu peux le croire » (Meg 6b).

L 'art d 'écouter : le Shalom.

Est-ce que Jésus est incarné ? Quel est le sens universel de l ' incarnation ? Quel est le peuple de l ' incarnation ? Autant de questions que pose ce livre. Mais il veut ressembler moins à une démonstration qu'aux touches du peintre sur son tableau. Le but des différents chapitres n'est pas de résoudre mais d'entrouvrir à d'autres teintes, à d'autres nuances, et d'ouvrir à d'autres questions. Chaque recherche ne dit pas tout, loin de là, mais essaie de pointer des choses que 1' on avait oubliées ou gommées au cours des siècles. Certains développements jouent le rôle des digressions coutumières à la Torah orale et des paraboles dans lesquelles se plaît la pédagogie du peuple d'Israël .

Même les plus vieux, même les plus jeunes (cf. Ps 148, 1 2) sont aptes à écouter ces histoires et ces paraboles, car la Torah est à la fois nouvelle et toute fraîche et à la fois entiè­rement reçue du Sinaï. Oui, Jésus est venu dans ce peuple qui ne cesse de dire et de répéter dès l 'origine et dès son b.a. ba : « Tout Israël, il y a une part pour eux dans le monde à venir, comme il est dit : Ton peuple, ce sont tous des justes (Is 60, 21) . . . Moise a reçu la Torah du Sinaï et l 'a transmise à Josué. Et Josué aux Anciens. Et les Anciens aux Prophètes. Et les Prophètes l 'ont transmise aux gens de la Grande Assemblée. Ils disent trois choses : Soyez généreux dans votre jugement. Faites tenir de nombreux disciples. Et faites une haie pour la Torah. Shimon le Juste était un de ceux qui restaient de la Grande Assemblée. Il disait : le monde tient sur trois choses : sur la Torah, sur le Service et sur la pratique de la générosité matérielle et spirituelle » (P.A. 1 , 1 -2).

Cherchant l ' incarnation de Jésus Christ, on a essayé d'écouter, shema, et de se mettre à l 'écoute de Shimon le

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Juste. Dans le présent volume, l'accentuation a été donnée sur les moments de la Passion et de la Résurrection de Jésus. Ces moments pouvaient sembler de prime abord spécifiques aux Evangiles chrétiens et très éloignés de la Torah. Voici que 1' apprentissage de 1 'écoute découvre la proximité entre Jésus et les évangélistes d'une part, et la Torah et Israël d'autre part.

Ce livre ouvre la question de 1 ' incarnation de Jésus dans un peuple, en tant qu'émerveillement et enracinement. Le peuple est Un comme est proclamé le Seigneur Un, dans le Shema Israël. Israël est peuple Un, peuple plénier et harmo­nieux. Mais s'il a paru urgent de répéter cette recherche sur l 'incarnation de Jésus, c'est à cause des fermetures et des blocages qui se sont déclarés. Ils marquent une urgence. En effet, il y a encore aujourd'hui des Chrétiens qui jugent insupportable la trop grande proximité de Jésus et des Juifs : une peur . . . un refus . . . un antijudaïsme séculaire . . . Il y a encore des Chrétiens jeunes, non étriqués, ouverts, qui n'ad­mettent pas Jésus juif, né d'une mère juive, dans le peuple juif. Il leur est irrecevable qu'Il ait vécu en Juif, qu'Il soit mort et ressuscité en Juif2. Sans doute sont-ils obligés d'ac­cepter le fait historique. Mais pas plus. Sans doute admettent­ils que Jésus est né dans ce peuple, mais pour transmuter son rôle et le donner à l'Eglise qu'on a appelée et que certains appellent encore « Nouvel Israël ». Peut-être, au niveau his­torique ou intellectuel, cette attitude serait concevable. Au niveau de la foi et des sentiments de charité, elle est très grave. Voilà pourquoi des Juifs interpellent. Ils désirent ébranler les certitudes des Chrétiens. Ils veulent faire bouger la « vérité » dans laquelle les Chrétiens se sont installés. Ils les invitent à un peu plus de santé.

Si des Juifs appellent des Chrétiens, c'est une chance pour ceux-ci. Si certains Juifs confient à leurs amis chrétiens les dures affirmations antisémites ou les questions irréfléchies qui leur sont jetées à la figure, c'est un appel urgent. Pour­quoi tel étudiant juif, recevant des pèlerins chrétiens dans une communauté juive de Jérusalem, prit-il le temps de leur

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communiquer son scandale sur la question d'une étudiante non juive ? Celle-ci avait demandé à sa meilleure amie . « Est-ce vrai que les Juifs ont une queue ? » Pourquoi le pro­fesseur de droit Raphaël Draï fait-il rééditer pour la troisième fois son livre sur Le Mythe de la loi du talion3 ? Pourquoi appelle-t-il à la justice, au monde civilisé et « à plus de civili­té » ? Autant d'invitations à la santé. Or, santé est l'une des traductions du nom hébreu Shalom, le Nom par excellence du Saint, Béni soit-Il, dans le Chant des Chants : « Shlomoh, La Paix est à Lui, La Santé est à Lui, Il a Paix et Santé. » Il suffirait ainsi de frapper à Sa Porte pour qu'Il ouvre et donne le Shalom (cf. Jg 6, 24).

Un roi, « Chéri du Seigneur, Bien-Aimé du Seigneur », a un jour appelé son fils du nom de Shalom, Shalomon, Shlo­moh. Il avait eu ce fils après un long parcours de péché et de conversion, de retour. A la fin de cet itinéraire, David, demandant l'Esprit-Saint, dit (Ps 5 1 , 1 7) : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche racontera Ta Louange ! » Sa demande, les Juifs la disent deux fois par jour au début de la prière debout. Celle-ci étant elle-même précédée d'autres prières, le cri de David garde son rôle de prise de conscience du long chemin antérieur et du choix de vie pour 1' avenir. Chaque fois que les Juifs prononcent cet appel, ils acceptent un nouveau départ appuyé sur une expérience personnelle de rencontre et de reconnaissance du Seigneur. Or, reconnais­sance se dit aveu, action de grâces, en hébreu, yéhoudi, Juif

Les Chrétiens ont emprunté au Psaume de David sa requête et la disent dans la liturgie du début de la journée. Les Juifs savent cet emprunt. Lorsqu 'ils interpellent les Chré­tiens, peut-être rêvent-ils de cette ouverture de la bouche des Chrétiens à leur égard pour ne plus avoir mal aux oreilles. Peut-être désirent-ils la santé des Chrétiens, et par rapport aux Juifs, et par rapport à Jésus juif. Et peut-être espèrent-ils que les Chrétiens, chantant ce Psaume où David affirme que rien n'est jamais perdu, laissent ouvrir leur intelligence par le Seigneur (cf. Jr 20, 7) : il est toujours possible de revenir au Seigneur et de changer de vie.

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

Shalom, la santé dynamique, c 'est ce que les Juifs souhai­tent aux Chrétiens. Shalom, la paix du pays, c'est ce dont rêvent les Israéliens pour leur pays. Mais, de même qu'ils disent en tant que Juifs : « Si tous les Juifs du monde prati­quaient deux Shabatot d 'affilée (deux Shabatot, ce n'est pas beaucoup), le Messie viendrait » (Shah. 1 1 8a), de même les Chrétiens pourraient stipuler une parole de responsabilité envers eux-mêmes. A entendre ainsi : « Si les Chrétiens, en tant que croyants, reconnaissaient l' incarnation juive de Jésus, ils ne pourraient plus façonner des notions de l'univer­sel à leur guise. Ils comprendraient que l'universel se mani­feste par le concret et le particulier. Si, conscients de la parenté de Jésus avec les Juifs, les Chrétiens n'avaient plus peur des Juifs, ni n'en étaient plus jaloux, alors, la paix vien­drait plus vite en Israël ! » Certes, tout ne serait pas résolu. Mais des Chrétiens ont compris l'insertion de Jésus dans le peuple de 1 'Alliance. Ils voient d'un nouvel œil et écoutent d'une oreille neuve les Juifs et les Israéliens. Parmi ceux qui ont accompli cette prise de conscience, beaucoup sont persuadés d'un amoindrissement de la haine si les Chrétiens occidentaux habitant en Israël ou si les Palestiniens chrétiens étaient éduqués dans l 'accueil sinon l 'émerveillement de Jésus incarné dans le peuple de Dieu, peuple juif. D'où cette responsabilité des Chrétiens quant à la Paix et la Santé du Moyen-Orient. Malgré la situation précaire et douloureuse des Palestiniens, les Palestiniens chrétiens pourraient alors communiquer aux autres Palestiniens un regard neuf envers les Juifs et les Israéliens. A leur niveau, ils répondraient de la Paix au Moyen-Orient et cela retentirait dans le monde entier.

Pour ceux qui marchent sur le chemin de l 'incarnation juive de Jésus, il y a le désir de répondre honnêtement aux interpellations des Juifs. L'une des déterminations est de ne plus heurter leurs oreilles en répétant à tout bout de champ « Ancien Testament ». Sans doute, primitivement, n'y avait­il pas d'intention péjorative dans ce titre, mais par la suite, et aujourd'hui encore, ce mot, pour désigner la Parole vivante

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SEIGNEUR, OUVRE MES LÈVRES !

et actuelle dont ils vivent, sonne très dur et de façon très douloureuse aux oreilles des Juifs. Par respect et par droiture à leur égard, il vaut mieux dire Torah, moins pour s'appro­prier la Torah que pour reconnaître leur Vie et respecter une distance. Peut-être, dans ce livre, certains lecteurs jaugeront comme maladroite l'abondance de ce nom de vie, Torah. Qu'ils essaient de l'entendre comme un contrepoids à cer­tains écrits où soit l'expression « Ancien Testament » soit la traduction rigide et fermée de « Loi » proliféraient et confirmaient 1' antijudaïsme dans la tête et le cœur des Chrétiens.

Le long temps de la patience.

Or, pendant la rédaction de ce livre, l'un de ces Chrétiens qui ont ouvert leur regard à l' incarnation de Jésus dans le peuple d'Israël est parti brusquement : le cardinal Albert Decourtray, primat des Gaules. Le Talmud, par longue trans­mission, de génération en génération, dans le tout premier Traité de sa première partie sur les Semences - ce traité s'ap­pelle Bénédictions - dit, au nom de Mari, petit-fils de Rabbi Houna, fils de Rabbi Jérémie ben Abba : « Un homme ne doit prendre congé d 'un compagnon que sur une halakhah, ainsi son compagnon se souviendra de lui 1 » (Ber 3 1 a). Quelques années avant sa mort brutale, le cardinal Decour­tray avait échangé une correspondance avec 1' auteur de ce livre. Voici la « bénédiction » qu'il donnait et dont il témoi­gnait. . . entendue aujourd'hui comme accomplissement de la Torah qui est sur la bouche. C'est comme une prise de congé en donnant une conduite à tenir, une halakhah, un encourage­ment à marcher, et une demande que l 'on se souvienne de lui. « Il faut revoir, à une nouvelle profondeur, le rapport entre la Torah et le Verbe fait chair, entre Israël et l 'Eglise . . . . Cette réflexion me paraît être la plus grande chance (grâce) pour une nouvelle "conversion" des Chrétiens et pour le renouveau de la théologie et de 1' expression de la foi. De

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LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

là, découleront les interprétations des passages de l'Ecriture blessants pour les Juifs, donc pour nous-mêmes si nous sommes fidèles à Jésus ! ! ! . . . C'est un travail de longue haleine. Il est commencé dans l'obscurité des vraies recherches et des vrais dialogues. . . Ce sera long, comme dirait Jérémie. »

Le livre Un Juif nommé Jésus entre dans ce temps long de la recherche et de l'avancée vers un peu plus de lumière et d'écoute. Ses vingt-cinq chapitres sont autant de points de départ pour approfondir et chercher encore 1' enracinement des Chrétiens.

Ces mises en route doivent le jour à de nombreux Juifs rencontrés sur le chemin, pas par hasard, puisqu'« il n y pas de hasard pour Israël » (Shab 1 56a). Chacun à sa manière, par sa vie, par sa prière à la synagogue, par sa demande parlée ou silencieuse, a appelé à une reconnaissance. Que leur patience trouve ici des raisons d'appeler et d'interpeller encore plus, de désirer encore plus . . .

Les points de départ et les ouvertures de ce livre n'auraient cependant pu avoir lieu sans les oreilles attentives, bienveil­lantes, exigeantes et fraternelles de ceux qui ne cessent de s' interroger, en tant que Chrétiens, sur leurs relations avec les Juifs. Que la patience de ceux qui ont attendu, d'une façon ou d'une autre, pendant la naissance de ce livre se change ici (Ps 126, 5) en cri de joie ! Beaucoup ont poussé et aidé à la sortie de ce livre, techniquement ou par mille encourage­ments. Leur soutien, leur force communicative et leur enthousiasme sont en mémoire. Que leur temps, donné large­ment et semé abondamment, se change ici (Ps 1 26, 6) en l 'allégresse retentissante des moissonneurs qui élèvent leurs gerbes !

Des enfants ont attendu aussi. Ils ont accepté gentiment qu'il y ait moins d'invitations et moins de jeux pour qu'un jour sorte le livre. Que leur patience et leur compréhension soient remerciées ! Que leur regard et leur écoute leur don­nent de grandir, de parler, de chanter et de jouer encore plus !

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SEIGNEUR, OUVRE MES LÈVRES !

Comme les moissonneurs qui viennent en élevant les gerbes, que tous puissent continuer à soulever des gerbes pour tous les Chrétiens, afin qu'ils reconnaissent l' incarna­tion de Jésus, afin qu'ils sachent qu'avance enfin le Shalom. Comme ceux qui crient de joie, qu'ils puissent ouvrir la bouche pour raconter4 la louange du Seigneur, Dieu d'IsraëL.

Septembre 1 996, Tishri 5757 Soukot, fête des Cabanes.

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Notes

Ouvrez-Moi une ouverture

1 . Jules Isaac ( 1 877-1 963) voulant comprendre pourquoi on est arrivé à l 'antisémitisme nazi, pose la question : « L'antisémitisme a-t-il des racines chrétiennes ? »

2. Stéphane Zagdanski, De l 'antisémitisme, Julliard, 1995, p. 49. 3 . Elie Wiesel, Célébration biblique. Portraits et légendes, Seuil, 1975,

p. 10- 1 1 . 4 . Cahier Evangile n° 73, « Evangile e t Tradition d'Israël » , de Mat­

thieu Collin et Pierre Lenhardt, Cerf, p. 9. 5 . Rav J.D. Frankforter Cours sur la Parashah Emor (Lv 2 1-24, milieu

de l'année liturgique), 1988, Cassettes Dvar Torah. 6. Michel Remaud, Catholiques et Juifs : un nouveau regard. Note de

la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, 1985. 7. Niqodème, voir Glossaire. 8. Cf. les Pharisiens et leur enseignement, p. 123. 9. Cette démarche est difficile. La Tradition l'enseigne ainsi : « Ne

saurait réprimander que celui qui sait également bénir » (Benno Gross, émissioJb.A Bible ouverte, Deutéronome, A2, 25 septembre 1994 ). Cf. le chapitre sur les bénédictions, p. 46 et le Glossaire.

10. Voir Glossaire. 1 1 . Thèse du jésuite Roland Meynet (planches parlantes et éclatantes),

L 'Evangile selon saint Luc, Cerf, 1988, et Avez-vous lu saint Luc ? Guide pour la rencontre, Cerf, collection « Lire la Bible » n° 88, 1990.

12. Le 24, et tous les discours des Actes : Ac 2 ; 7 ; 13 ... Cf. Anne­Catherine Avril et Pierre Lenhardt, La Lecture juive de 1 'Ecriture, Lyon, faculté de théologie/Profac, 1982.

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

1. LA TORAH ET LES HEURES DU JOUR

Bénédiction du matin

1 . L'adverbe amèrement est hapax dans toutes les Ecritures chré­tiennes. Une expression proche, « bile amère », est employée par Luc lorsque Simon-Pierre instruit Simon le Magicien (Ac 8, 23 ). Simon-Pierre 1 'instruit grâce à 1 'expérience de son propre péché, de son propre refus de vivre, et par le regard de Jésus au plus profond de lui.

2. Marie, voir Glossaire.

Béatitudes

1 . Dans la Tradition juive, le talmîd-disciple désigne le croyant en recherche qui vit pleinement pour avancer toujours. Voir Glossaire.

2. Le mot grec hupokritès n'a pas tout à fait le même sens que le mot « hypocrite » français. En grec, le premier sens est « jouer un rôle, décla­mer les discours d'autrui ». L'équivalent hébreu serait peut-être « cor­rompre ».

3. André Chouraqui a puisé sa traduction « en marche » dans la Tradi­tion séculaire de son peuple à propos de ce qu'est la vie.

Jésus et les jours de Noé

1 . Se mettre de la nourriture sous la dent est hapax dans les trois synoptiques. Jean l 'emploie cinq fois, en Jn 6, 54.56.57.58 ; 13 , 1 8. Il n'est pas employé ailleurs dans les Ecritures chrétiennes. De même, le verbe « donner en mariage >> est peu utilisé. Le vocabulaire choisi par Jésus indique bien l'attitude des contemporains de Noé refusant d'en­tendre les appels.

2. Morceaux choisis du Midrash Rabba Genèse, Maunce Stem Daf Hen Jerusalem, p. 43.

3 . Victor Malka, Proverbes de la sagesse juive, Seuil, 1 994.

Voici l 'homme !

1 . Niqodème, voir Glossaire. 2. Jonas alla voir le Léviathan pour le repérer et lui annoncer sa des­

truction lors de la résurrection des morts (Pirqè de Rabbi Elièzèr). 3. Les mots mah (quoi ?) et adam ont la même valeur numérique. Voir

Glossaire. Après la faute, l'homme sera interrogé à son tour ; à chaque moment de son existence à venir, il entendra la question : « Où es-tu ? »

4. Cf. prières de l 'après-midi en Ac 3, 1 et Ac 1 0, 3 .30. D'autre part, d'après Pes 2 1 a, à la septième heure de la veille de Pèsah, tout levain

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NOTES

doit être totalement éliminé ; il n'y a donc plus de germe d'orgueil à la neuvième heure, pour ce temps de prière de l'après-midi.

5. Citation complète dans le chapitre « Abba, Père, que Ton Nom soit sanctifié », p. 1 57- 1 58.

6. Elie Wiesel, Célébration biblique. Portraits et légendes, op. cit. , p. 35.

Des larmes de sang

1 . Israël Yaaqov Qlapolts, Otsar aggadot hatorah, p. 6 1 . 2 . « La Guémarah dit : "N'ayez pas honte de pleurer parfois, parce que

pleurer, c'est l'aveu d'une impuissance salvatrice qui, elle, va permettre cette intervention divine qui va porter avec elle la solution de votre pro­blème." Les larmes ne sont pas synonymes d'échec, de faiblesse ou de tristesse. Alors, elles veulent dire autre chose. Alors, elles veulent dire qu'à un moment donné, c 'est quelqu'un d'autre que moi qui tient ma solution, par exemple Dieu, alors, je prie. » Cours de Joseph Sitruk ( 1 3 mai 199 1 et 2 8 juin 1 992). I l faut encore signaler les larmes du Seigneur, dites en Hag Sb.

3. « Conduite, marche à suivre » se dit Halakhah en hébreu. Voir Glos­saire.

4. Dans le nom de Hagar, il y a la racine hébraïque gar, ger, « habiter et être étranger ». On la retrouve en français dans migrer, et peut-être aussi « étranger ».

5. Les mots français « avant », ou hébreu qèdèm signifient à la fois le passé et l'avenir ; cf. Niqodème dans le Glossaire.

II. L'IDENTITÉ JUIVE

Qui roulera la pierre ?

1 . Marie, cf. Glossaire. 2. Cf. Pas de pierre pour reposer la tête ! chapitre placé en inclusion

avec « Qui roulera la pierre ? » p. 2 16. 3 . Après son départ de Beer Shèva, Jacob s'était arrêté à Louz (Gn 28,

1 9) . La Torah glisse cela dans l 'oreille de l 'auditeur. Louz est une amande qui ressemble à l'os imputrescible par lequel commencera la résurrection des morts. Dans la Tradition juive (LvR 1 8), Louz est l 'autre nom de Jérusalem, celui de la Résurrection. Dès que l'on parle de Jacob, on parle de rosée, de Louz, de Résurrection. Cette rosée de Résurrection est dite dans la prière quotidienne du Juif, la Amidah. Les évangélistes ne pou­vaient pas ne pas la dire au tombeau du Ressuscité.

4. Pour Israël, Rachel est celle dont le tombeau, sur le chemin de

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

Beth Lehem, représente la consolation. Elle console sans cesse ceux qui s'arrêtent près d'elle, mais elle ne peut se consoler de la mort de ses enfants. Quand le Messie viendra, « Il rencontrera Rachel, Il l 'embras­sera, la consolera. Et la joie se répandra dans le monde à partir de Jéri­cho ! »

Tu aimeras ton prochain comme toi-même !

1 . La haphtarah de « Soyez saints » est lue par Jacques au concile dit de Jérusalem. Pour parashah et haphtarah, voir le Glossaire.

2. Cf. le chapitre « Ecoute Israël », placé en inclusion avec ce chapitre, p. 208. Voir le Sommaire p. 9

3. Lorsque le bien-aimé regarde sa bien-aimée, il dit, à la face du monde : « Et de défaut, il n'y en a pas en toi ! » (Ct 4, 7). Pour la Tradition juive, le couple signifie la relation entre Dieu et son peuple, le peuple d'Israël. Cette alliance est le modèle vers lequel doit tendre chaque couple humain. Paul reprend cette analogie pour le Christ et l'Eglise.

4. Cette phrase résume toute l'interrogation et la réflexion de la Torah orale sur la signification de s'aimer soi-même et sur la découverte conti­nuelle que le prochain est créé à l'image de Dieu (Avot Rabbi Natan A 1 6, et Talmud de Jérusalem Ned 9, 4).

5 . Cette expression, empruntée à Gn 2, 23, n'existe que dans certains manuscrits grecs de la Lettre aux Ephésiens.

6. En outre, après Lv 19, la Torah orale commente Lv 25, 35 « Si ton frère vient à déchoir » par ls 58, 7 : « Ne te dérobe pas à ta propre chair. » Elle dit : « Ne te dérobe pas à celle qui était comme ta propre chair. Rabbi Yaaqov dit au nom de Rabbi Eléazar : C'est celle que tu as répudiée. » Et de rapporter 1 'histoire de Rabbi Yossè le Galiléen qui avait divorcé à cause du caractère exécrable de sa femme. Par la suite, il subvint aux besoins du couple qu'elle avait formé avec un mendiant. Il subvint à leurs besoins « tous les jours de leur vie », accomplissant ainsi : « Ne te dérobe pas à ta propre chair » (LvR 34, 47-6 1 ).

Quel est le premier commandement ?

1 . Robert Samuel, Le Livre des 613 commandements Sèjêr ha 'hinou 'h, Les Bases de l 'éducation juive, Kèrèn hasèfèr ve-halimoud, Paris, 1 986, p. 7.

2. Beth, voir Glossaire. 3. Claude Vigée, Dans le silence de l 'Aleph. Ecriture et révélation,

Albin Michel. 4. Le fils, ben, est aussi serviteur. Rav J.D. Frankforter sur la dernière

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NOTES

parashah du Livre du Lévitique (Behar Sinaï, Behouqotay, 1988, Dvar Torah, Epinay).

5. Cf. Glossaire. 6. Cf. le tableau du peintre Benn sur ce Psaume.

Dis seulement une parole et je serai guéri !

1 . « Parfait » se dit Tarn, Tom, en hébreu. Cf. Bar Timée, Thomas. 2. N. Ph. Sander et 1. Trene!, Dictionnaire hébreu-français, Slatkine,

Genève, 1982, p. 660 : « lettre liquide, resh se permute avec lamèd et noun ».

3. Citée dans Elie Munk, La Voix de la Torah. La Genèse, p. 201 . 4. Catherine Chalier, Les Matriarches, Cerf, p . 49-54 et 1 08- 130. 5 . Dans l 'Evangile de Matthieu, le dialogue à distance entre Jésus et

cet homme avait été précédé par la guérison d'un lépreux. Or, la lèpre est souvent considérée comme une conséquence d'un défaut de langage ou d'une médisance. II est donc besoin d'une Parole bonne, d'un Mot authentique pour rétablir, restaurer, raffermir.

Pas un yod ne s 'en ira de la Torah

1 . Abraham Heschel, Les Bâtisseurs du temps, Editions de Minuit, 1 958.

2. Deux verbes parler et dire, p . 37. Lors du chapitre central sur Naza­reth, p. 144, on reparlera des Treize Attributs du Nom du Seigneur, et de la lettre N.

3. Elie Munk, La Voix de la Torah. Nombres sur Nb 14, p. 1 39 (fonda­tion Odette S. Levy).

4. Tiré du Trésor des récits de la Torah, tome 1 , p. 168 (réunis par Israël Yaaqov Qlapolts).

5. Resh Laqish dit : « La Torah qui fut donnée à Moïse était une peau de feu blanc, écrite par un feu noir, scellée par le feu, et enveloppée de feu. Et quand il écrivait, il essuya la plume dans ses cheveux et Moïse prit un visage rayonnant (DtR 3, 64). Après qu'il eut écrit, un peu d'encre était restée dans sa plume, et il l 'éleva à sa tête, et de là, lui furent faites des cornes de splendeur comme il est dit : « Et Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait » (ExR 47, 3). L'encre, en hébreu, est l 'anagramme de yod. Et la Tradition compare cette goutte d'encre à un yod qui donna la lumière au visage de Moïse. »

6. Ktav Sofer dans Midrash Rabba Exode. Morceaux choisis vocalisés, traduction et commentaires, Maurice Stem, p . 167.

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

III. LE JUIF JÉSUS DEPUIS NAZARETH

Jésus pharisien ?

1 . Parmi les multiples livres d'humour sur eux-mêmes (sinon, ce n'est pas de l'humour, mais de la moquerie et de la méchanceté), Jacquot Grunewald, Ils sont fous ces Ju[fs, Albin Michel, 1993.

2 . Paul Giniewski, La Croix des Ju[fs, Editions M.J.R., Genève, 1994. 3. Josy Eisenberg et Armand Abecassis, Et Dieu créa Eve, A Bible

Ouverte Il, « Présences du Judaïsme », Albin Michel, 1985, p. 80-8 1 . 4 . Matthieu Collin et Pierre Lenhardt, Evangile et Tradition d'Israël,

Cahier Evangile 73, p. 8. Supplément 73 « La Torah orale des Phari­siens ».

5. Proverbe ladino cité par Victor Malka dans Proverbes de la sagesse juive, Seuil, « Points Sagesse », 1994.

6. On trouve souvent des explications sur l'intérêt de ces « couples ». Voir par exemple Claude-Annie Gugenheim, La Mishna, tome 15, Pirqè Avot, p. 8 et 2 1 .

7 . Guy Rachet, Pleure Jérusalem, Editions L e Pré aux Clercs, 199 1 . Sous l e mode du roman, l e lecteur saisira mieux les différentes responsa­bilités et 1 'histoire de cette période 66-70.

8. Soit Sifra sur Lv 20, 26 : « Tout comme Je suis à part (paroush), vous serez séparés (peroushim, c'est-à-dire Pharisiens en hébreu). Si vous êtes séparés des nations, dit le Seigneur, vous m'appartenez. Sinon, vous appartenez à Nabuchodonosor, roi de Babylonie. » Soit sobriquet donné par leurs ad\ersaires « en raison de l 'acception pharisaïque de la croyance perse (parsa, pharisien) en une vie future, aux anges, etc. Même le Tal­mud n'a pas oublié la vieille résonance défavorable de cette appellation sur l'hypocrisie pharisienne ». Commentaires de Eric Smilévitch sur Abot de Rabbi Natan A 5, Les Dix Paroles, Verdier, p. 1 14.

9. Cf. l 'énumération des qualités de celui qui s 'occupe de la Torah par Rabbi Méïr P.A. 6, 1 .

1 O . Il faut remarquer que les textes évangéliques sur la Passion de Jésus ne parlent jamais des Pharisiens

1 1 . Voir Glossaire. 12. Cette rencontre rapportée par Luc a plusieurs mots hapax : « mal­

faiteur », hapax dans les quatre Evangiles (trois fois dans cet épisode, Le 23, 32.33.39) ; « suspendu », hapax dans Luc ; « rien d'atypique, de déplacé », hapax dans les quatre Evangiles ; et « Paradis », hapax dans les quatre Evangiles. Bon Larron : nom donné par la Tradition chrétienne.

13 . Cf. Zachée, Le 19. Il est aussi parlé de Lieu. 14. Moshèh Weissman, Le Midrash raconte. Le Lévitique (p. 323-325),

Editions Raphaël. De même, Tarn 28a : « Quiconque admoneste son pro­chain au Nom du ciel mérite une part auprès du Tout-Puissant. Mieux

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NOTES

encore, il sera entouré d'un fil de grâce puisqu'il est dit Pr 28, 23 : Celui qui, à Ma suite, reprend un humain, trouvera grâce. »

La Torah et 1 'accomplissement. Le Dieu d 'Abraham, d 'Isaac et de Jacob

1 . Chaque fois qu'un disciple en ce monde rapporte une tradition en citant son auteur, les lèvres de ce dernier murmurent dans la tombe, d'après Ct 7, 10 (Sanh 90b).

2. Deux fêtes essentielles de la Tradition juive sont données unique­ment par la Torah orale : Pourim et Hanoukah. Jn 10, 22 donne un témoi­gnage de la pratique de Hanoukah par Jésus.

3. Exemples de paroles très dures des Pharisiens envers les Saducéens : Shab 1 1 6a, Yoma 19b, Sanh 98b. Disputes en Y ad 4.

4. Cf. se marier et marier à propos des contemporains de Noé (p. 55). « Etre jugé digne » et « obtenir » sont hapax dans les quatre Evangiles. Au v. 36, deux mots sont hapax dans toutes les Ecritures chrétiennes : « comme des anges » et « Fils de la Résurrection ». Au v. 37, le verbe « indiquer, montrer » est hapax dans les trois Synoptiques.

5. Cf. Le manteau de rosée donné à Jacob et le nom de Louz, premier nom de Jérusalem, signifiant la résurrection (p. 277). Chaque jour, les Juifs chantent le « Az yashîr Moshèh, Alors Moïse chantera », avec le yod de l 'avenir et de la résurrection (p. 1 1 8). Cf. aussi Pes 68a et Houl 42a. Marc-Alain Ouaknin (Concerto pour quatre consonnes sans voyelles, Balland, Collection « metaphora », p. 1 89-195) donne tout un chapitre sur la résurrection des morts.

Nazareth

1 . Il faut noter un grand noun à propos des filles de Tsélophrad, des­cendantes de Joseph (Nb 27, 5). Il faut aussi remarquer les deux noun renversés qui délimitent la parashah Nb 10, 35-36 (en lien avec Ps 145, 14).

2. Josy Eisenberg et Eméric Deutsch, A Bible ouverte, Antenne 2, 1990, sur le thème « Dieu deux fois, et les onze autres attributs ». En R.H. 1 7b, il est dit : « Une alliance a été conclue stipulant que jamais les Treize Attributs ne resteront sans réponse, selon Ex 34, 10 : Voici, Moi, Je conclus une Alliance ! » Cf. Micheline Chaze, L'imitation de la bonté de Dieu selon la Tradition rabbinique, p. l 32 dans L 'Jmitatio Dei dans le Targum et la Aggada, Bibliothèque de l'Ecole des hautes études en sciences religieuses, vol. 97, CNRS, Peeters, Louvain-Paris.

3. Dans la prière de Rosh Hashannah, les Juifs récitent Mi 7, 18-20. L 'attribut correspondant à Notsèr, le neuvième, est : « Tu enverras dans les profondeurs de la mer toutes leurs fautes. » Il rappelle la liturgie du bouc émissaire qui emportera les péchés dans l 'escarpement du désert

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

(Lv 16, 22), et Je moment vécu à Nazareth par Jésus et ses concitoyens (Le 4 ). Cf. aussi Le Rituel commenté, Tachlikh et les Treize Attributs, Artscroll Mesorah Series, Editions Colbo, Paris, 1988.

4. Cf. Glossaire. 5. Jésus, fils de Joseph, peut être appelé Naziréen. 6. « Israélite » est hapax dans les quatre Evangiles. De même « ruse,

tromperie » est hapax dans Jean (peut-être référence à Jacob et à sa ruse contre la ruse de Laban). Dans la Torah orale, l 'Israélite est différencié du Lévite, justement à propos du verset Dt 33, 9 où Je verbe garder est donné et ordonné aux responsables pour qu'ils enseignent la Torah à Israël (Yom 66a). Mais Rashi rapporte aussi, à propos de la parashah « Quand tu entreras » (Dt 26, 1 -29, 8) - lue Je jour de Jésus à Nazareth - l 'émerveillement du Seigneur devant le simple Israélite qui témoigne d'une honnêteté par rapport à sa propre vocation. Il ne se satisfait pas en pensant que c'est le travail du Lévite, mais il cherche à accomplir pleine­ment ce qu'il doit être. Dans les commentaires des rabbins, les mots « véritable Israélite, sans abus et sans tromperie » sont employés (Rav Frankforter). De plus, Nazareth n'est pas loin de Tsipori, capitale du Talmud.

7. Noun signifie poisson, avec les connotations de Salut et de Fécondité

Abba, Père, que Ton Nom soit sanctifié !

1 . Jean-Bàptiste exige vivement l 'honnêteté par rapport à Abraham et annonce, à la mode juive (avec un jeu de mots souvent non entendu par les non hébraïsants), que Seul Dieu peut construire des fils (Mt 3, 9) : « Dieu peut, de ces pierres, èbèn, éveiller, ressusciter des fils, bèn, à Abraham. »

2. Cf. « Mah ? Quoi ? » Glossaire. Cf. P.A. 2, 13 et Mt 6, 7, la prière n'est pas une habitude.

3. Carmine Di Sante, La Prière d 'Israël. Aux sources de la liturgie chrétienne, Ed. Desclée Bellarmin, p. 27, 1986.

4. Poète marseillais, mort en 1992, auteur de nombreux poèmes et tenant dynamique du rapprochement des croyants. Vision du retour d'EiiP dans Je poème sur le Shabat, Poèmes liturgiques, La Pensée universelle, p. 32-41 , 1979.

5 . Rythme « notre Père, notre Roi » des liturgies du Yom Kipour et du Notre-Père. De plus, le matin, le Juif dit : « Que Ta Volonté soit faite ... et ne nous fais pas entrer aux mains du péché, ni aux mains de la tenta­tion . . . ne laisse pas dominer sur nous le mauvais dessein, et éloigne de nous Je mauvais ami, et attache-nous aux bonnes œuvres, et donne-nous, aujourd'hui et chaque jour, d'être en grâce, en amour et en tendresse . . . » A propos de la formule du Pardon du Notre-Père, il faut noter la transmis-

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NOTES

sion de la Tradition, cf. par exemple Catherine Chalier, Judaïsme et alté­rité, collection Les Dix Paroles, Verdier, 1982, p. 239.

Incarnation - Evangélisation

1 . ls 40-55 est appelé Deuxième Isaïe ou Livre de la Consolation. 2. Premier Shabat de réconfort : Dt 3, 23-7, 1 1 et Is 40, 9. Quatrième

Shabat de réconfort : Dt 16, 18-2 1 , 9 et Is 52, 7. Sixième Shabat de réconfort : Dt 26, 1 -29, 8 et Is 60. Septième Shabat de réconfort : Is 6 1 , 10-63, 9 . La mélodie du passage I s 6 1 , 1 -9 est sans doute dans les oreilles des gens pendant la semaine entre les sixième et septième Shabatot. Ce passage fut lu par Jésus à Nazareth, on connaît donc le temps et le climat liturgique.

3. Le 24, 27.44 Jésus fait des colliers. Les nombreux discours des Ac n'ont aucune consistance si on omet les colliers. Cf. Anne-Catherine Avril et Pierre Lenhardt, La Lecture juive de l 'Ecriture, Lyon, faculté de théologie, 1982.

4. Midrash Néélam 83c.d qui ajoute la parabole de la noix : « As-tu entendu quelque chose à propos de ce verset : Je suis descendu dans le jardin des noyers ? (Ct 6, 1 1 ). Les paroles de la Torah sont comparées à une noix, de quelle façon ? Il lui dit : De même que la noix a une coquille à l'extérieur et un noyau à l 'intérieur, ainsi sont les paroles de la Torah. Elles comportent action, explication, récit et secret à l 'intérieur l'un de l 'autre ! »

5. Cf. aussi les deux chapitres « Quand le corps se fait dire » et « Quand le dire se fait corps » de Marc-Alain Ouaknin, Lire aux éclats. Eloge de la caresse, Lieu Commun, 1989.

6. Avec cette parashah qui se termine en Dt 29, 8 (et dont la haphtarah parle d'Evangile), on fait, dans la Torah, une inclusion sémitique avec le passage lu précédemment, Gn 2, 23-24, qui disait la chair et l'Evangile.

7. Marc-Alain Ouaknin, Concerto pour quatre consonnes sans voyelles. Au-delà du principe d 'identité, collection « Métaphora >>, Bal­land p. 184-186, 199 1 .

8 . Cf. Elie Benamozegh, Israël et l 'humanité, Albin Michel, 1 967, et Franz Rosenzweig, L 'Étoile de la Rédemption, Seuil, 1982.

9. Expression employée pour la première fois par Jules Isaac.

IV. L'ÉTHIQUE JUIVE

Que le premier, il jette une pierre sur elle !

1 . Le chapitre précédent ( « lncamation-Evangélisation » p. 1 70) finis­sait par la fête de Shavouot, fête des 70 langues, comme commence ce

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

chapitre, sur les 70 explications. « A l 'aube du sixième jour du mois de Siwan, tous les Juifs étaient réunis autour du Sinaï. Les Paroles de Dieu s'élevèrent avec la force du tonnerre : Je suis ton Dieu. Une fois que les Paroles de Dieu eurent été prononcées, elles se changèrent en langues de feu qui flottaient dans l'air. La flamme, née des Paroles de Dieu, devenait de plus en plus claire, éblouissant les enfants d'Israël de sa lueur et rem­plissant leur cœur de stupéfaction. » Nissan Mindel, Les Fêtes juives, Paris, 1 986. Les Chrétiens ne connaissent pas ce midrash. Ils compren­dront comment les Apôtres, narrant la Pentecôte chrétienne, discutent un accomplissement en leur temps de la Pentecôte juive.

2. Yael Yotam et ses étincelles, à l 'institut Meguillah, Paris. 3. Par la permutation des lettres taw, t, et shin, sh, le mot harat, graver,

liberté, est proche de harash qm signifie aussi graver : Ex 28, 1 1 ; 35, 35 ; 38, 23.

4. Dans la Parashah « Des juges » (Dt 1 6, 1 8-2 1 , 9), le commandement d'établir des juges est immédiatement suivi de cas de gens, « homme ou femme » à lapider s'ils ont fait des mauvaises actions. Mais les témoins, au moins deux ou trois, ont la grande responsabilité (Dt 1 7, 7) : « La main des témoins sera contre lui la première pour le faire mourir, et la main de tout le peuple ensuite. Et tu élimineras le mal du milieu de toi. » On traduit en général « première pierre », en fait, c 'est « le premier à jeter la pierre ». Dans la Parashah suivante, en Dt 22, 22, il est bien écrit : « Ils mourront, eux deux » (cf. Lv 20, 1 0). Il faut aussi remarquer qu'en hébreu, « prostituée » se dit zonah ; et que le verbe correspondant, zoun, signifie « nourrir » . . . peut-être la prostitution est-elle est un problème de société, et une responsabilité pour nourrir la société. Sot 27b explique que le partenaire homme reçoit le même châtiment à distance.

5. Salomon Hirsch, cité à propos de Dt 1 7, 7, dans Elie Munk, La Voix de la Torah. Deutéronome, Ed. O. Lévy, 1 986. Citation complète p. 1 9 1 .

Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?

1 . Le mot « vêtement » n'est utilisé que par Luc (Le et Ac) et par Jacques. En Luc, seulement deux fois : pour Jésus, Le 23, 1 1 , et ici Le 24, 4. Le verbe « éblouissant » n'est utilisé que deux fois dans toutes les Ecritures chrétiennes, seulement en Luc : Le 1 7, 24 et ici, Le 24, 4.

2. Même phrase de conclusion que dans le chapitre « Quel est le pre­mier commandement ? », p. 98. Ce chapitre sur l'Egypte est le centre de la deuxième partie et ici, on est presque au centre de la partie correspon­dante de l 'inclusion.

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NOTES

Passons de l 'autre côté !

1 . Le mot traduit ici par « mer » pourrait aussi être traduit par lac ou étang, cf. le Psaume pascal par excellence du Halle!, Ps 1 14, 8 « Il change le rocher en étang d'eau. »

2. Cf. la mézouzah (zouz : bouger). Pour celui qui passe une porte, quelque chose bouge et va faire bouger.

3. Le verbe « se remplir » appartient au vocabulaire spécifique de Luc : Le 8, 23 ; 9, 5 1 et Ac 2, 1 . L'expression verbale « être en danger » (Le 8, 23 ; Ac 19, 27.40) n'est employée qu'une fois en dehors de Luc, en 1 Co 15, 30. D'autre part, Matthieu (Mt 8, 24) n'emploie ni le verbe traverser ni « bourrasque de vent », mais « séisme », qu'il faut comparer aux trois autres « séismes » dits par cet évangéliste (Mt 2 1 , 10 ; 27, 54 ; 28, 2). - Dans le Traité sur les Fêtes, Haguigah, les trésors du Seigneur sont énumérés : neige, grêle, eaux, montagnes. A propos du vent de tem­pête, et du Ps 148, 8, il est dit : « Le vent se tient sur la tempête car i l est dit : Vent de tempête qui exécute ses ordres (Ps 148, 8) . Quant à la tempête, elle est suspendue au Bras du Saint, Béni soit-Il, car Ses bras éternels sont au-dessus » (Dt 33, 27 ; Hag 12b-13a). En Le 8, il s'agit d'une tempête de vent, mais la Torah orale estime que le croyant peut comprendre et entendre ces trésors, sinon : « Malheur à ceux qui voient et ne savent pas ce qu'ils voient, qui se tiennent debout, et ignorent sur quoi ! » (Hag 13a).

4. Ce verbe « éveiller à travers, éveiller en faveur de, éveiller pour passer, pour respirer, tenir en éveil, secouer » n'existe que six fois : Le 8, 24.24 ; Mc 4, 39 ; Jn 6, 1 8 ; 2 P 1 , 13 ; 3, 1 .

Ecoute Israël

1 . Les dictionnaires modernes dépendent d'une certaine culture chré­tienne antijudaïque. Ils se trouvent obligés de donner des références à la traîne des accusations chrétiennes contre les Pharisiens. Cf. aussi Mat­thieu Collin et Pierre Lenhardt, Cahier Evangile n° 73, « Evangile et Tradition d'Israël », p. 1 65 .

2 . Le Midrash Nèèlam de Ruth (77d) fait remarquer les 248 mots des textes de la Torah écrite du Shema, comme autant de membres du corps. Vivre ce Shema, c'est guérir entièrement le corps, et c'est aussi cela l ' incarnation !

3 . Ps 148, 6 : le croyant est invité à ne pas adorer les éléments cos­miques, mais le Seul Dieu. Il doit reconnaître que le cosmos est création de Dieu et que Dieu a posé des normes qu'Il ne transgressera pas . . . donc 1 'humain ne peut pas utiliser Dieu.

4. Sèlah est un mot des Psaumes difficile à comprendre. Certains l 'en-

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

tendent comme « Pause ». II est bon, aussi, d'y entendre le verbe monter, comme si on redonnait le ton, le sol, ou le la.

5 . La Prière d 'Israël. Aux sources de la liturgie chretienne, Ed. Des­clée Bellarmin, 1986, p. 58.

Pas de pierre pour reposer la tête !

1 . Midrash Rabba Genèse. Morceaux choisis vocalisés. Traduction et commentaires de Maurice Stem, à propos de GnR 68, 37-43, p. 199. Cf. Pes 56a.

2. Le commentaire de cet événement est donné en regard (et en inclu­sion) de ce chapitre : « Qui roulera la pierre ? » (p. 77). Ce chapitre est aussi en inclusion avec « Que le premier, il jette une pierre sur elle ! » (p. 183).

3 . Ce verbe araméen « replier » a la même racine que Macpèlah, la grotte où furent enterrés, d'après la Tradition, Sarah et Abraham, Isaac et Rébeqah, Léah et Jacob, mais aussi Adam et Eve. II signifie double. Si la terre est repliée sous Jacob en sommeil, c 'est une façon de dire l' importance du Lieu. D'autre part, le lecteur notera que le mot hébreu « sommeil » signifie répétition, et lorsque Jacob « sort de son sommeil », on entend mishnato. Une fois de plus, la Torah chante la nécessité de répéter, mishnah.

4. Israël Yaaqov Qlapolts, Trésor des Aggadot de la Torah, tome II, hébreu, p. 50.

5. « Se montrer, le Seigneur sera vu, le Seigneur verra » est le nom du mont Moryah, la montagne du Temple de Jérusalem.

6. En Ct 2, 15 , on demande de saisir les petits renards qui ravagent les vignes. - Ne pas oublier l'obnubilation et la confusion du Satan. Dans deux des tentations contre Jésus (Mt 4, 1-1 1 ), le Satan-Diable parle de pierres, comme s' il n'avait pas compris ce qu'est une pierre pour le peuple de Dieu. L'évangéliste indique l'égarement et le désordre du Diable au sujet de la « construction ». Les « construits », ce sont les fils, les fils d'Israël, qui sont nourris par deux sortes de pains : le pain avec lequel ils bénissent le Seigneur et la manne du désert.

7. Dans les deux textes parallèles, Mt 8, 20 et Le 9, 58. « Renard » n'existe qu'une autre fois, en Le 13, 32 pour désigner Hérode. « Oi­seaux » n'est utilisé que dans quatre circonstances : exemples en Mt 6, 26 ; 13 , 4-32 et ici, Mt 8, 20 avec « où ».

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NOTES

V. LA TORAH ET LES ÉTAPES DE LA VIE

Le jeune Bar Mitswah Jésus

1 . Dates de Bar Mitswah et de Bat Mitswah dans Alfred J. Kolatche, Le Livre juif du Pourquoi ? Aleph, collection « Savoir », p. 12. Si les dates proposées sont récentes, elles viennent d'une Tradition.

2. Cf. le premier chapitre, « Bénédiction du matin », p. 4 1 -42. 3. Commentaire d'Ex 33, 1 1 dans Munk, La Voix de la Torah.

L 'Exode, p. 394. Cf. le chapitre central sur Nazareth, p. 144. 4. Cf. aussi Dt 1, 38 ; 3, 28 ; Nb 27, 22-23 et NbR 21 , 85. Dans la

Tradition juive, on insiste beaucoup sur le nom de Josué bin Noun : il est fils de, mais il n'a pas de fils, il n'a pas de descendant. La Tradition chrétienne suit cette ligne à propos de Jésus. Le nom de Josué évoque aussi le grand prêtre (Za 3 et Taanit 2, 6 du T.J.).

5 . Même qualificatif pour Betsalel, l 'artisan artiste en sculpture, gra­vure, charpente. Cf. « Que le premier, il jette une pierre sur elle ! », p. 189- 191 .

6 . Lamèd, talmîd, cf. Glossaire. 7. Cf. « Pas un yod ne s'en ira de la Torah », p. 1 10.

Douze heures dans le jour

1 . Abraham Heschel, Les Bâtisseurs du temps, Editions de Minuit, 1 958, p. 199-204.

2. Cf. l'enseignement des rabbins et Marc-Alain Ouaknin, Lire aux éclats. Eloge de la caresse, Lieu Commun, p. 235, qui ajoute : « Etre vieux, c'est s'installer dans le définitif. »

3 . « Douze heures » et « Sortir du sommeil » sont en hapax. 4. Titre de l 'émission télévisée de Josy Eisenberg, avec Emeric

Deutsch, dans la série sur Dieu, A2, année 1989. 5. Claude-Annie Gugenheim, La Michna, tome XV, Pirqè Avot, tra­

duction et commentaire, Keren hasefer ve-halimoud, 1988, p. 24-25.

Jésus et les repas

1 . Rav J.D. Frankforter sur les parashiot Mattot-Massehei, Nb 30-36, dans Dvar Torah.

2. Le Pentateuque avec commentaires de Rachi et notes explicatives, tome 1, La Genèse, Fondation Samuel et Odette Levy, 6• édition, 1988, Paris, p. 135. La Voix de la Thora, La Genèse, Elie Munk , 1 985, p. 223.

3 . C'est ce que le Ps 149 (repris par la Lettre aux Hébreux He 4, 12) appelle l 'épée à deux tranchants. Cf. aussi l 'épée indispensable à Salo­mon pour le Jugement de Salomon ( 1 R 3, 16-28).

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4. Cf. le chapitre « Abba, Père, que Ton Nom soit sanctifié ! », p. 1 69. Cf. les discussions de Adin Steinsaltz et de Josy Eisenberg sur « Le pain de la foi », dans A Bible ouverte, émission télévisée, 1990. Il faut aussi noter que le passage de Mt 1 5 est immédiatement suivi de la rencontre avec la femme cananéenne qui parle de miettes de pain.

Né d 'une femme

1 . Chapitre central sur Nazareth, p. 148. 2. Cf. David ( I R 2, 2) et Abraham « et il fut rajouté à ses peuples »

(Gn 25, 8). 3 . Voir les chapitres « Abba, Père, que Ton Nom soit sanctifié ! »,

p 155 et « Jésus et les repas », p. 237. 4 Cf. Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie, 1 994. Cf. aussi Ps 40, 8. 5 . Cela ne déprécie pas le rôle de Racheteur de Jésus. Il tient ce rôle

justement parce qu'Il est à sa place ! 6. Cf. Catherine Chalier, Judaïsme et altérité, collection « Les Dix

Paroles », Essais Verdier, 1982, p. 1 32-1 37, 142, 1 93- 194.

Le figuier sans fruit

1 . André Chouraqui dans l 'émission sur les Psaumes de Josy Eisen-berg, 1 990.

2. Les filles de Jérusalem symbolisent les nations. 3 . Entonner se dit ana, ani en hébreu, comme Beth Ani. 4. Tourterelle se dit tour en hébreu et est l 'anagramme de Routh, Ruth.

Mais Ruth est en relation avec Marthe de Beth Ani. 5. Is 56, 7. Ce verset vient aussitôt après le verset choisi par l 'Etat

d'Israël pour le mémorial Yad Washem à Jérusalem. Yad Washem fait non seulement mémoire des victimes du nazisme en leur donnant « un mémorial et un nom », mais remercie et nomme les « Justes des nations » qui ont sauvé des Juifs. D' Isaïe, au temps de l 'exil à Babylone, jusqu'au­jourd'hui, en passant par Jésus entrant dans le Temple, la place du Temple et de Jérusalem est essentielle pour le peuple de Dieu.

6. Noter que manger en grec se ditfago et qu'on attend des figues (jeu de mots entre les langues). De plus, les feuilles ont en hébreu le même sens que « monter ». D'après certains midrashim, cueillir des feuilles évoque la fuite d'Adam cherchant refuge auprès des arbres qui refusent. Seul le figuier accueille Adam : « Le figuier dont il avait mangé les figues ouvrit ses portes et l 'accueillit, ainsi est-il écrit : ils cousirent la feuille du figuier » (Gn3,7).

7. Chir Hachirim, Le Cantique des Cantiques. La Bible commentée, Artscroll Tanakh series, Editions Colbo, 1989, p. I l l .

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NOTES

Seigneur, ouvre mes lèvres !

1 . Dans la Torah, il y a un système de paragraphes et quelques lettres plus grosses que les autres. Mais cela ne paraît pas dans les traductions.

2. Cf. Théophane Chary, session de la Semaine Aleph de Bordeaux, été 1 99 1 .

3. Edition Anthropos, 1 996. 4. Raconter est le mot propre pour la Pâque . . . et le L, on s'en souvient,

est la dernière lettre de la Torah qui signifie : « Apprends ! Va appren­dre ! Recommence au commencement ! » La dernière expression est cou­rante dans les prières juives (cf. Le 1 , 67).

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Glossaire

Ab - Av ; Abba : Ab, Av, « Père » en hébreu (un nom de deux lettres, aleph, h muet, et beth, lettre de la construction qui, ici en fin de mot, se prononce v). Abba, « le père » en araméen (aleph, beth, aleph). L'araméen est la langue parlée de l 'époque talmudique, et donc de l 'époque de Jésus, dire Abba est plus familier que Ab, et l'on devrait traduire par Papa.

Accompli et inaccompli : En grammaire hébraïque, accompli et inac­compli sont les deux seuls temps de l 'indicatif. Ils recouvrent respecti­vement tous les temps du passé (passé simple, passé composé, plus­que-parfait) et tous les temps et modes du futur, non encore accomplis (futur, certains présents, parfois imparfait, conditionnel, subjonctif). A la troisième personne du masculin singulier, la caractéristique de l 'inaccompli est la plus petite lettre de l 'alphabet, le yod. Il existe une forme spéciale appelée « inaccompli converti » : un autre préfixe, la lettre waw, placé devant l 'inaccompli change son sens en accompli (mais cette forme porte en elle le signe de l'avenir, le yod). Ces trois formes grammaticales manifestent, pour 1 'hébreu, le temps que 1 'hu­main parcourt : il passe dans le temps.

Adam : Homme, humain, tiré de la Adamah. Comme la plupart des mots hébreux, Adam est écrit avec trois lettres : aleph, H, daleth, D, et mèm, M, initiales de Habraham, David, Messie ou de Hadam, David, Messie. Ben Adam, fils d'homme, fils d'humain, est une expression pour dire l 'Humain.

Adamah : Terre, sol (aleph en première lettre) . Selon certains midrashim, la Adamah reçoit son nom de l 'Adam, l 'être humain, homme et femme.

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Alphabet : Il est composé de vingt-deux lettres. L'écriture se fait de droite à gauche, les lettres sont accrochées à la ligne d'écriture qui est donc en haut. Toutes les lettres sont des consonnes : aleph, beth, gui­mel, daleth, hèh, waw, zayin, hèth, tèth, yod, kaph, lamèd, mèm, noun, samèkh, hayin, phé, tsadé, qoph, rèsh, sîn-shîn, taw. Cf. B, H, K, L, M, Q T

Amidah : Prière debout (hayin en première lettre). Nom d'un moment important de la prière biquotidienne. La Amidah vient après la récita­tion du Shema Israël. Elle est composée de dix-huit bénédictions et appelée aussi « Dix-huit ». Une dix-neuvième a été rajoutée lors de la destruction du deuxième Temple, après 70. Dans l'office, la Amidah est dite par la communauté une première fois dans un silence total, une deuxième fois chantée, avec le chant de la Qédoushah.

Angoisse : Désigne en hébreu le contraire de la vie et de son dynamisme de largesse. Ce nom (physique, psychologique, spirituel) peut atteindre l 'humain tout entier. Avec le préfixe M de lieu, c'est le lieu géogra­phique et spirituel de Mitsrayim, l'Egypte, « lieu de l'angoisse, de la forte angoisse, de l'angoisse agissante ». Sortir d'Egypte signifie sortir d'angoisse, sortir d'oppression, devenir libre.

A vodah zarah : Culte bizarre, barbare, dégénéré, détourné (du verbe âvad, âbad, avec la lettre hayin, travailler, servir, cultiver, rendre un culte ; et de l 'adjectif zar, étranger). Pratique de ceux qui adorent les divinités, idolâtrie. Nom d'un des traités du Talmud sur les Préjudices.

Az yashîr Moshèh : Premiers mots du chant des Hébreux à la sortie d'Egypte, Ex 15 .

Bar : Fils en araméen. Ce mot introduit presque toujours un autre mot sur lequel il s'appuie. Il dit, révèle et ouvre une filiation. Il dit à la fois le nom du père et le nom de l 'être et de la vocation de telle personne. Cf. Ben.

Bar mitswah : Fils du commandement (mitswah est au féminin). Etape de la vie du Juif (garçon ou fille, bat mitswah) où l 'enfant devient adulte en prenant sur lui d'accomplir les commandements. Il y a 613 mitswot. Mitswah est au singulier collectif pour indiquer que chaque mitswah est essentielle et qu'il n'y en a pas de plus grandes les unes que les autres. Ensemble, elles forment et donnent mie plénitude.

Baraïta : Dehors en araméen. Parole extérieure à la Mishnah qui n'appar­tenait pas d'abord à l 'enseignement des rabbis.

Ben : Fils, en hébreu. Pluriel, banîm, fils ; bnei, les fils de. La généalogie dite par la filiation à partir des pères, « fils d'un tel, fils d'un tel, ben ...

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GLOSSAIRE

ben . . . » donne l'importance de la fidélité du peuple d'Israël, des bnei Israël (certitude des paternités). Cette fidélité donne aux bnei Israël de boire la troisième coupe au sédèr de Pèsah. Mais appeler quelqu'un « fils de . . . », c 'est aussi dire sa vocation : le fils de liberté est celui qui est libre (P.A. 6, 2) ; le fils de résurrection est celui qui participe à la résurrection (Le 20, 36) ; le ben Adam, le fils d'humain, est un humain. Le ben Abraham est fils spirituel d'Abraham. Le mot hébreu « fils » signifie être construit par le père. D'après les sages d'Israël, cette signi­fication est très proche de la notion hébraïque de « serviteur ». Les Occidentaux doivent donc être attentifs à ne pas opposer les deux notions.

Berakhah : Bénédiction. Pour la formuler, le Juif commence par s'adres­ser au Saint, Béni soit-Il : deuxième personne du masculin singulier. Ensuite, il se tourne vers le monde (le peuple, les nations, ceux qui écoutent) et il leur parle du Saint, Béni soit-Il : troisième personne du masculin singulier. Il n'y a donc pas de faute d'expression ou d'ortho­graphe lorsque l'on écrit : « Béni sois-Tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l'Univers, qui fait telle chose. » A propos des repas, des mets ou des fruits que 1 'on va manger, la bénédiction est une façon de reconnaître le Seul véritable propriétaire et créateur de ces nourritures et d'accom­plir la mitswah de ne pas voler. Ce faisant, le Juif apprend aussi à ne pas voler son prochain. Quand la bénédiction est dite pour un humain ou un groupe d'humains, elle n'est pas donnée seule. Elle appartient à une série de bénédictions qui sont autant d'invitations. Mais ces encou­ragements et ces appels ne sont jamais donnés seuls. Ils sont assortis de mises en garde. Ces avertissements sont souvent considérés comme des malédictions alors qu'ils expriment le souci de ceux qui les profè­rent pour la vie de ceux auxquels ils s'adressent. Le binôme bénédic­tions/mises en garde ou béatitudes/interpellations douloureuses est donc spécifique de la pédagogie pour la vie et pour la réceptivité du peuple de Dieu. C'est une éducation au choix et au discernement.

Beth : Deuxième lettre de l'alphabet hébreu, elle porte avec elle le chiffre deux, chiffre du choix, de l'intelligence et du discernement. La Torah et beaucoup de traités talmudiques commencent par un beth. Elle signi­fie aussi « Maison de . . . ». Mot hébraïque masculin, bayit, il précède toujours le nom du lieu ou de l 'être dont on parle. Il est de la même racine que bâtir, bat, ben (fille, fils). En hébreu, les verbes bâtir et discerner sont phonétiquement très proches (cf. Gn 2, 22). Beth Yaa­qov, la maison de Jacob, signifie « les femmes », alors que les Bnei Israël sont « les hommes ».

Beth Knessèt, Beth haknessèt : Du verbe kânas, rassembler. Maison du rassemblement, synagogue.

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

Bînah : Intelligence, discernement, ouverture de 1 'humain afin de mar­cher et d'avancer. Commence par un B, beth.

Birkat cohanîm : Bénédiction des prêtres, Nb 6. Elle est dite quotidien­nement dans la Amidah et de façon solennelle certains jours, à Yom Kipour ou les jours de fête.

Birkat hamazon : « Bénédiction à propos de la nourriture », après le repas. Il ne s'agit pas de bénir la nourriture, mais de rendre grâce à Celui qui nourrit. Très longue par rapport au Motsi, elle évoque plus que la nourriture et tient toute la vie des relations entre le Seigneur et Son peuple, et tout le témoignage du peuple devant les nations.

Cashrout : Casher, Kasher, Kashrout. Apte à être mangé ou utilisé. Soit la nourriture qui a été préparée selon les règles de la Torah et qui peut être consommée. Soit des objets ou des situations en accord avec les règles halakhiques de la Torah.

Cohen, kohen, cohanîm : Prêtre, descendant d'Aaron, au service de la vie. Ce qui est vie ne peut frayer avec la mort, d'où toutes les règles de pureté (mais la notion de pureté n'a pas la même valeur dans la Torah que dans le concept occidental). L'atout et la vocation du cohen sont 1 'Amour du Seigneur et du prochain. Cf. Birkat cohanîm et Lévi­tique.

Collier : Selon les Pharisiens, les Ecritures sont composées de trois par­ties, Torah, Prophètes et Ecrits, cf. Tanakh. En enfilant des perles (paroles) de chaque partie, le Midrash fait des colliers. Il lit tout le Tanakh en quelques minutes et est dans la même situation que Moïse recevant la plénitude de la Torah sur le mont Sinaï, dans le feu du Seigneur. Cf. Le 24, Ac.

Diaspora : Dispersion (mot grec) des Juifs parmi les nations non seule­ment après la prise du Temple par Titus (70 de l'ère commune), mais aussi dans la période antérieure, lors de l'exil à Babylone et au retour de cet exil (538 avant l 'ère commune). En hébreu, diaspora se dit Ga/out, Go/ah, GLH. Si le aleph (première lettre de l 'alphabet, impro­nonçable, comme la Présence et le Nom du Saint, Béni soit-Il) est ajouté dans GLH, Golah, cela devient GHLH, Guehoul/ah, Rédemption.

Dieu : Un des deux Noms les plus fréquents pour parler de la Présence du Saint, Béni soit-Il, ou pour s'adresser à Lui : Adonay, le Seigneur, et Elohim, Dieu. « Dieu » signifie la Justice, donc une attitude rigoureuse.

Duel : Forme grammaticale hébraïque qui indique une paire (oreilles, yeux, mains, pieds, narines, reins) ou une entité dynamique (eaux,

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GLOSSAIRE

cieux). Cela est difficile à rendre en français : de même que les deux yeux permettent de voir le relief, de même les formes duelles donnent une force et un dynamisme.

Ecritures chrétiennes : Expression choisie pour désigner ce que d'autres appellent « Nouveau Testament ».

Enfantements : Voir Toldot.

Erèts : Terre, pays (mot féminin). Erèts Israël désigne le pays d'Israël, non comme patrie ou comme terre maternelle mais comme fiancée, épouse.

Evangile : Bonne nouvelle, bonne annonce, en grec. Le mot correspon­dant hébreu est le verbe BSR utilisé dans le Tanakh, la Tradition orale et la vie quotidienne des Juifs. Le nom BSR signifie aussi « chair, incarnation ». Il y a un lien entre incarnation et évangélisation.

Exégèse typologique : Interprétation des Ecritures d'origine pharisienne. Tel personnage ou tel événement de la Torah est le modèle, le type, d'un personnage ou d'un événement ultérieur. Poussée à l'extrême par les Chrétiens, l 'exégèse typologique est souvent pour eux la seule lec­ture possible.

Guemarah : Du verbe gâmar, accomplir, achever. La « Guemarah » est l 'explicitation de la Mishnah. Une « guemarah » provient d'un verset de la Torah ; reçue, apprise et transmise, elle augmente le champ d'in­vestigation du midrash.

Guêr, Guêr toshav : Guêr, étranger. Guêr toshav (préfixe T au verbe yâshav), étranger qui a décidé d'habiter avec Israël. Il pratique cer­taines mitswot : selon les uns, les sept lois noahides ; selon d'autres, la plupart des mitswot sauf les règles de kashrout ; selon d'autres, il doit s'abstenir seulement de l 'Avodah Zarah. La ville de Guèrar porte ce nom (Gn 20).

H : L'alphabet hébreu présente vingt-deux lettres dont quatre peuvent être transcrites par un H : aleph, h muet ; hèh, h muet ; hèth, h dur, guttural ; hayin, gutturale. Ces H muets sont souvent omis en français. La lettre hèh, préfixe, est article défini, particule interrogative et signe de certaines formes verbales. En fin de nom, elle est souvent signe du féminin.

Haggadah : Du verbe nâgad, raconter (hèh, préfixe causatif). L'une des deux expressions du Talmud, Haggadah et Halakhah. La Haggadah comprend tous les récits des enfantements du peuple d'Israël, toutes les paraboles et tous les sujets aux implications éthiques et spirituelles. La Haggadah shèl Pèsah, de Pèsah, est le récit ordonné pour le repas

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pascal (c 'est aussi le livre qui raconte cela). Quant aux haggadot (récits), on pourrait faire un jeu de mots avec le mot hègèd (avec un aleph), faisceau, bouquet. Ces récits sont autant de bouquets proposés à l ' intelligence et au sourire de chacun.

Halakhah : Du verbe hâlakh, marcher (hèh, première lettre du verbe). L'une des deux expressions du Talmud, Halakhah et Haggadah. Les deux ne s'opposent pas et sont imbriquées. La Halakhah présente les conduites à tenir dans toutes situations possibles par rapport au pro­chain, à la création, à Dieu. C'est l'éthique, la morale proposée dans toutes les implications concrètes et juridiques. Les nombreuses règles halakhiques, halakhot, sont à étudier et à vivre chaque jour par les Juifs. Ils vivent entre les « quatre coudées de la Halakhah ».

Hallelou Y ah : « Louez Le Seigneur » (hèh du verbe hi/lei). Invitation des Psaumes et de la liturgie synagogale. Le « Halle! », composé des Ps 1 1 3-1 1 8 commençant tous par Hallelou Yah, est chanté lors des grandes fêtes, Pèsah, Shavouot, Soukot et Hanoukah.

Hanoukah : Inauguration, dédicace (première lettre hèth). Fête de huit jours, à partir du 25 Kislèw. Mémoire du miracle de la petite fiole d'huile sainte retrouvée par les Macabées au temple de Jérusalem. Le Tanakh, Bible hébraïque, ne parle jamais de Hanoukah. Mais plusieurs traités du Talmud fondent cette fête pour les Juifs, cf. Jn l 0, 22. Seule la Bible catholique contient officiellement les livres des Macabées.

Hapax : « Une seule fois » en grec. Mot qui n'apparaît qu'une fois dans tel texte, tel livre, ou tel ensemble de livres. Par son isolement, il est difficile à comprendre et exige une recherche.

Haphtarah : Du verbe pâtar, ouvrir (lettre hèh en préfixe causatif). Lec­ture liturgique (Shabat ou fêtes) d'un court passage d'un texte prophé­tique. Il ouvre l 'intelligence à la compréhension de la parashah qui vient d'être lue.

Haqadosh Baroukh Hou : Le Saint, Béni soit-Il. Cf. Qadosh. Appella­tion courante pour parler du Seigneur.

Hébreu : Du verbe hâvar, HBR (avec un hayin), traverser, passer. L'hé­breu est celui qui passe : il a traversé la mer Rouge, il a traversé le Jourdain, i l transgresse les commandements, mais le Seigneur traverse et pardonne ses péchés. La langue « hébraïque » manifeste le dyna­misme du passage.

Hillel : Nom d'un Maître de la Mishnah de l'époque d'Hérode (30 avant à 20 après l 'ère commune). Les Pharisiens Tanaîm tiennent toujours à deux écoles simultanées afin de provoquer une émulation dans la

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recherche de la meilleure pratique de la Torah. Beth Hillel est en face de Beth Shammay et représente la tendance la plus modérée. Son nom vient du verbe hille/, louer.

Histoire : Voir Toldot.

Hoshannah : Du verbe yâshah, sauver (hèh en préfixe causatif). Impéra­tif et interjection -na : « Sauve-donc ! S 'il Te plaît, donne le Salut ! » Expression tirée du dernier Psaume du Halle), Ps 1 1 8, 25 et dite lors de la fête de Soukot. Tenant le loulav (rameau des quatre espèces) et l 'agitant dans les six directions de l'espace, les Juifs chantent Hoshan­nah. A Soukot, il n'a pas plu depuis six mois. A l 'époque du Temple, les Juifs allaient à la piscine de Siloé et montaient vers le Temple au rythme des Hoshannot. Le septième jour de Soukot est le jour de Hoshannah Rabba, avec les processions de::. Hoshannot.

Inclusion sémitique : Composition littéraire ou procédé oratoire qui commence et se termine de la même façon. La structure est différente de la structure d'un raisonnement logique occidental composé ainsi : introduction, développement (plusieurs parties avec premièrement, deuxièmement, troisièmement), conclusion. Dans une inclusion, le but de ce que l'on veut communiquer est au centre. Le début et la fin se ressemblent, la deuxième et l 'avant-dernière partie ont un sens très proche, de même que la troisième et l'antépénultième partie. Cette façon de s'approcher progressivement du cœur de ce que l'on veut dire, puis de s'en éloigner aussi progressivement, est appréciée par les Sémites, l ' inclusion est appelée alors « inclusion sémitique » : le suc est au centre.

Ish : Homme, en tant qu'époux, mari. Ce mot s'écrit en hébreu avec trois lettres : aleph, yod, shin.

Ishah : Femme, épouse en vis-à-vis de son mari. Ce mot s'écrit en hébreu avec trois lettres : aleph, shin, hèh. Rabbi Aqiba enseigne que, dans l 'homme et dans la femme, il y a deux lettres identiques, le aleph et le shin, qui forment le mot èsh, feu. Les autres lettres s'unissent quand le couple s'unit : le yod de l 'homme et le hèh de la femme ; ce sont les deux lettres de Yah, le Nom du Seigneur (Sot 1 7a).

Jésus : Le Nom de Jésus signifie « Le Seigneur sauve » en hébreu, et se dit Yéhoshouah comme Josué (cf. Hoshannah).

Joug : Un Juif « prend sur soi le joug du royaume des Cieux » quand il dit, vit et fait le Shema Israël.

Judah : Yéhoudah en hébreu. Yéhoudîm, des Juifs. Yéhoudî, Juif. Yéhoudît, Judith, Juive. Du verbe yâdâh, confesser son péché, rendre

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grâce, reconnaître (le nom : ravinement et action de grâces), il met au jour les deux penchants de l'humain. Judah désigne plusieurs per­sonnes : Y éhoudah, quatrième fils de Léah et de Jacob ; Y éhoudah Macabée ; les deux Apôtres de Jésus dont la Tradition a fait un Judas et un Jude. Ce nom désigne aussi le territoire de la tribu de Y éhoudah, puis le royaume du Sud, la montagne et le désert de Judah, appelés souvent Judée. D'autres mots sont construits sur yâdâh : modèh et modah, je rends grâce (masculin et féminin) ; todah (tadée, thadée) merci ; widouy, la confession des péchés (à Yom Kipour).

K : Il y a trois sortes de « K » en français (C, K, Q), il y en a deux en hébreu (K, Q). Dans ce livre, le kaph est transcrit par un K ou un C (par exemple Macabées), et le qoph par un Q.

Kipour : Du verbe kâphar, couvrir. A l 'intensif, ce verbe signifie : cou­vrir les péchés, pardonner. Ki pour, pardon. Yom Ki pour est un jour unique dans l'année où tous les péchés contre le Seigneur sont par­donnés (les péchés contre les prochains attendent la démarche envers les prochains). Ce jour unique où Satan n'a aucun effet contre l'humain est signifié par le jour unique de la première page de la Torah (Gn 1 ), le 1 0 Tishri.

L : Seule lettre de l'alphabet hébraïque qui dépasse au-dessus de la ligne d'écriture, le lamèd entraîne vers le haut et signifie apprendre. Cf. Talmîd et Talmud. C'est la dernière lettre de la Torah et du Tanakh.

Léger au lourd, qal wahomèr : Raisonnement typiquement pharisien et talmudique. Il relie deux événements ou deux situations différents par la comparaison et la déduction du plus léger au plus lourd, au plus important. Raisonnement a fortiori, « à plus forte raison ».

Légiste : Si l'on traduit Torah par « Loi », un homme de la Torah sera appelé « légiste » (avec toutes les connotations étriquées des siècles d'antijudaïsme et d'enseignement du mépris). Il vaut mieux parler d'un « homme de la Torah », avec la lumière et la plénitude données par le nom hébreu Torah !

Lévitique : Troisième livre et livre central de la Torah. Premier livre enseigné aux petits enfants. Il est aussi appelé Torat hacohanîm, la Torah des prêtres.

Lieu : Désigne le Temple de Jérusalem et la Présence divine dans le Temple : le Nom du Seigneur, l 'Etre-là du Seigneur. Le croyant est invité à ne pas être dé-placé, à être dans son lieu.

M : Mèm, lettre centrale de l 'alphabet hébreu. En début de mot, le mèm

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est souvent préfixe servant à désigner des lieux, des objets, des situa­tions ou des fonctions, des vocations, des noms.

Mah ? ! : Quoi ? ! Question interrogative ou exclamation. Interrogation étonnée des Hébreux au désert (Ex 1 6), devant la substance manne qu'ils recueillaient chaque matin. Elle avait le goût qu'ils décidaient au jour le jour. Chaque lettre hébraïque ayant une valeur numérique, la valeur de Mah est quarante-cinq, même valeur que Hadam, l'humain. L'humain reste humain tant qu'il pose des questions, cf. Gn 1 5, 8 (Abraham comprend qu'il avancera par « quoi ? », c'est-à-dire en inter­rogeant).

Marie : Marah signifie « amertume >> en hébreu, mar signifie « abondan­ce » en araméen. Les femmes dont le nom est Marie ont à passer de l 'amertume à l 'abondance.

Mashal : Le verbe mâshal signifie dominer. Le nom mâshâl signifie parabole. La parabole est l'art de dominer la situation en racontant comme une anecdote pour mieux saisir la position de chacun ou telle situation. Les meshalim (pluriel) sont des procédés très courants du midrash pour entendre mieux les appels et les exigences de la Torah. Le Livre des Proverbes s'appelle « Mishlei Shlomoh », Paraboles de Salomon.

Massorètes : Du verbe mâssar, transmettre. Pour fixer la phonétique du texte écrit de la Torah, des sages de Tibériade ont inventé un système de points et de traits (du vme au xie siècle de l 'ère commune), c'est la Massorah. Ces Massorètes ont donné simultanément aux étrangers à Israël la possibilité de lire la Torah écrite. Un petit traité du Talmud porte sur ce sujet : Sofrim, les scribes.

Matan Torah, Mattan Torah : Don de la Torah. Du verbe nâtan, donner (préfixe M et absorption des deux N), don, cadeau (comme Matthieu, Mattatyah, Matthias). Le Mattan Torah a été vécu au Sinaï lors de Shavouot, ce sont les deux tables de la Torah et les Dix Paroles.

Matriarche : Mère. Féminin de patriarche. Il y a trois patriarches, Abra­ham, Isaac et Jacob, et quatre matriarches, respectivement Sarah, Rébé­qah, Léah et Rachel. Les matriarches ont enfanté le Peuple d'Israël (cf. Rt 4, 1 1 ), elles sont appelées : « Notre mère ».

Meguillah : Du verbe gâlal, rouler (préfixe M), rouleau. Le nom indique la découverte continuelle expérimentée en déroulant le rouleau. En fait, le mot Meguillah désigne le rouleau d'Esther qui est déroulé en entier (plus rien n'est caché) le soir et le matin de Pourim, fête des Sorts où l'on met des masques. Meguillah est un traité de l 'ordre des Fêtes sur la pratique de la charité (gmilout hassadîm) pour vivre Pourim.

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Mekhilta : Du verbe kâlal, achever, finir (préfixe M). Nom d'un midrash halakhique sur l'Exode. Il est daté du Ile siècle de l 'ère commune et référé à un Tana de cette époque.

Mézouzah : Du verbe zouz, bouger (préfixe M). Boîtier posé là où la porte bouge. Il contient un petit parchemin où sont écrits deux passages du Shema Israël (Dt 6, 4-9 et Dt 1 1 , 1 3-2 1 ). Chaque fois que le croyant passe dans l 'étroitesse (angoisse) d'une porte, son langage est relayé par la parole de la Torah, comme un réconfort pour continuer à aller et à avancer.

Midbar : Du verbe dâvar, parler, causer (préfixe M de lieu). Midbar est le lieu de la Parole où Israël apprend à écouter et à formuler la Parole pour et avec l 'autre qu'est le prochain. C'est le désert. Le Livre des Nombres est appelé en hébreu Bamidbar, « Dans le désert du Sinaï ».

Midrash : Du verbe dârash, chercher (préfixe M). Recherche pour mieux comprendre et mieux vivre, étude, interprétation. Le talmîd (disciple) est continuellement invité à chercher, à faire du midrash et à écouter le midrash. Le Midrash est un corpus où sont compilées les multiples recherches des disciples des sages, avec les soixante-dix explications de la Torah orale pour chacune des paroles de la Torah écrite. Il y a le Midrash Gadol, Grand Midrash ; le Midrash Tanhoumah ; etc. Le Midrash Rabba est signalé par l'abréviation du Livre qu'il commente suivie par un R. Cf. Guemarah, Mishnah, Rabba.

Milah : Soit mîlah (du verbe mou!), circoncision. Soit millah (du verbe mâllal), mot. L'hébreu ne cesse de faire des relations entre la circonci­sion et le mot, le langage, la communication.

Minhah : Du verbe nouah, reposer, se reposer (préfixe M). Offrande pendant le temps du repos, l 'après-midi. La prière journalière est composée de trois temps : Shaharit, le matin, inauguré par Abraham ; Minhah, l 'après-midi, inauguré par Isaac ; et Arvît, le soir, inauguré par Jacob.

Minyan : De l 'araméen compte, nombre. Groupe minimum de dix hommes pour qu'une prière au Beth Knessèt ait lieu officiellement. Cf. la demande d'Abraham en Gn 1 8, 32 et Rt 4, 2.

Miqwèh : Du verbe qâwâh, rassembler (préfixe M) : lieu de rassemble­ment des eaux. Premier emploi (verbe et nom) lors du troisième jour de la Création (Gn 1 ), lorsque Dieu rassemble les eaux pour faire les mers. Le lieu de miqwèh (féminin) est le bassin pour le bain rituel. Il est construit selon des règles précises de la Torah et alimenté en eaux de façon aussi rigoureuse. Les diverses immersions des objets ou les divers moments des bains rituels des hommes et des femmes sont pré-

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cisés dans plusieurs traités du Talmud : Miqwaot, Nidah, Tevou1 yom (cf. aussi ordre Nashîm, les Femmes).

Mishnah : Du verbe shânâh répéter (préfixe M). La Mishnah est le cor­pus des premières répétitions de la Torah orale. La Mishnah ne cesse d'énoncer : « Rabbi Untel disait » ou : « Untel a dit au Nom de Tel autre . . . » Avec la Guemarah, la Mishnah forme le Talmud. La Mishnah complète la Miqrah, la Torah qui est lue, qui elle-même n'a pas de valeur sans cette compréhension et cet apport. Le verbe hébreu shânâh correspond au verbe araméen tanah (cf. Tanaîm). Une « mishnah » (des mishnayot) est une parole de la Mishnah, à partir de laquelle commencent la recherche et les discussions du Midrash.

Mishnèh Torah : Du verbe shânâh, répéter (préfixe M) : répétition de la Torah. En grec : « Deutéronome » (avec nomos qui n'a pas eu ensuite le sens positif de Torah). Le cinquième Livre de la Torah est appelé soit Devarîm, Paroles, des premiers mots : « Voici les paroles », soit Mishnèh Torah puisque Moïse reprend et redit la sortie d'Egypte (des quatre premiers Livres). Mishnèh Torah est aussi l'un des ouvrages de Maïmonide.

Mitswah : Du verbe tsiwâh, ordonner, commander (préfixe M) . commandement. Mot féminin. Pluriel, mitswot (mitswot et matsot -pains azymes pour Pèsah - s'écrivent de la même façon). Il y a 6 1 3 mitswot dans la Torah : 365 négatives, interdictions (jours de l 'année) et 248 positives (nombre des membres du corps de l'humain qui doit accomplir les commandements).

Mois de l'année : En hébreu, mois signifie : « nouveau » ; il y en a douze ou treize par an. Si l'année commence à Pèsah (Ex 12) : Nisan­Aviv, Hiyar, Siwan, Tamouz, Av, Eloul, Tishri, Hèshwan, Kislèw, Tèbèt, Shvat, Hadar (pour treize mois, Hadar est redoublé). Si l 'année commence à Rosh Hashanah : année liturgique pour la lecture des parashiot de la Torah. Tishri ( 1 , Rosh Hashanah ; 1 0, Yom Kipour ; 15 , Soukot qui dure sept jours et un jour ; 23, Simhat Torah) ; Hèshwan ou Mar Hèshwan ; Kislèw (25, Hanoukah qui dure huit jours) ; Tèbèt ; Shvat ( 1 5, premier de l'an des arbres) ; Hadar ( 14, Pourim) ; Nisan ( 14, Pèsah qui dure huit jours) ; Hiyar ( 1 8, Lag baomèr, trente-troi­sième jour du Omèr en 1 'honneur de Rabbi Shimon bar Yohay) ; Siwan (6, Shavouot) ; Tamouz ( 1 7, jour de jeûne) ; Av (9, mémoire des des­tructions du Temple) ; Eloul (Slihot).

Motsî : Abréviation de Motsî lèhèm (du verbe yâtsâh, sortir). Bénédiction dite au début de chaque repas où 1 'on mange du pain : « Béni sois-Tu Seigneur, notre Dieu, Roi de l 'Univers, qui fait sortir le pain de la terre. »

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Ne lis pas ! : Méthode du Midrash. Possibilité de lire plusieurs phoné­tiques pour un même mot. Selon les voyelles dites sur les même� consonnes, les mots lus seront différents. On dit alors : « Ne lis pas tel mot, mais lis tel autre mot. »

Neshamah : Mot féminin : souffle, haleine, respiration. La traduction « âme » est chargée de connotations occidentales froides ou éthérées. Il faudrait penser : vie spirituelle, souffle de vie, capacité de respirer la vie du Saint, Béni soit-Il. La neshamah est le dynamisme qui donne au Juif d'accomplir sa vocation concrète, son nom d'« action de grâces ».

Nidah : Du verbe nâdad, s'éloigner, s'enfuir : éloignement. Nidah désigne l 'éloignement de la femme en période de règles (du début des règles jusqu'au bain rituel, au miqwèh, une semaine après la fin des règles). La notion d'impureté de ce moment du cycle est moins une peur et une honte véhiculées par des concepts faussés qu'une prise en compte de la notion sémite de la vie. Les règles de la femme signent l 'impossibilité irrémédiable d'une vie nouvelle. Le couple vit cela comme un deuil (période d'une semaine après la fin des règles). Nidah est un Traité du Talmud, dans J 'Ordre, sur les Choses pures.

Niqodème : Le Niqodème de l 'Evangile (Jn 3) est ici pris comme le type du disciple qui désire revenir à la Torah. Qèdèm est J 'origine, ce qui est avant (en hébreu comme en français « avant » peut désigner le passé ou l'avenir).

Noahide : De Noah, Noé. Ce terme désigne tout être humain non juif qui, d'après les midrashim de la Genèse, n'est pas exempt d'un mini­mum de sept lois (Adam, six lois d'après Gn 2, 16 et GnR 16, 6 ; Noé, sept lois d'après Sanh 56a). Pour la Torah, tout humain est fils de Noé et doit accomplir ce minimum vital.

Parashah, parashiot : Section de la Torah écrite. Les cinquante-quatre parashiot sont lues en lecture cursive (sidrah) les matins des Shabatot. La première (Gn 1 , 1 -6,8) est lue après Soukot et Simhat Torah, à la fin du premier mois (J'année commence en automne). Chaque parashah, composée de plusieurs chapitres, est lue au Beth Knessèt par sept lec­teurs successifs. Le huitième reprend la fin (maphtîr) et lit la haphtarah.

Passif divin : Tournure passive d'une phrase, souvent utilisée par les Sémites, exprimant un événement dont le seul sujet est le Seigneur. Invitation à discerner.

Pèlerinages, Régalim : Du mot règèl, pied. Les pèlerinages se font avec les pieds des « marcheurs ». Il y a trois pèlerinages par an pour monter

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à Jérusalem : Pèsah, Pâque ; Shavouot, Pentecôte ; et Soukot, fête des Cabanes.

Pèsah : Pâque. Du verbe pâsah, sauter. Le 14 Nisan, en Egypte, le Sei­gneur a sauté et a épargné les maisons des Hébreux. Fête du passage de l'esclavage à la liberté, de la sortie d'Egypte. Pèsahîm (pluriel, Pâques), nom du Traité du Talmud sur Pèsah. Le Christianisme a sans doute emprunté le pluriel de la Torah orale ; Pâques veut être l 'annonce (transmission orale) de l 'Evangile.

Peuple de Dieu : Dans ce livre où les Chrétiens découvrent les relations entre l'Evangile et la Torah, l 'expression « peuple de Dieu » désigne Israël.

Peuple du pays, Am haarèts : Expression employée par les Pharisiens pour désigner les gens simples auxquels ils veulent enseigner la Torah. Parfois, elle prend un sens péjoratif (racaille), mais son emploi est en général positif.

Pharisiens : Du verbe pârash, séparer. Nom donné aux descendants des Hassidîm, les « amoureux du Seigneur », revenus de l 'exil de Babylone avec Esdras (538 avant l 'ère commune). Vers la fin du n• siècle avant l 'ère commune, ils se joignent aux Macabées et désirent éduquer le « peuple du pays », les petits. Les Pharisiens sont réformateurs. Ils transmettent la Torah écrite et orale et toute sa richesse. Leur exigence est de ne jamais s'installer, et donc de discuter toujours (cf. Hillel et Shammay). Ils sont toujours en quête d'une mise à jour de la Torah et d'une meilleure compréhension par les talmîdîm (cf. Collier). Le nom de Pharisiens qu'ils se sont donné, « séparés », a le même sens que l 'autre mot « séparé, qadosh », saint. Par la suite, ce nom a pris un sens péjoratif alors qu'il est un appel à la sainteté de vie pour la vie et les relations quotidiennes. De façon plus ou moins délibérée dans les siècles du Christianisme, on a confondu le statisme conservateur des Saducéens avec la ligne de vie pharisienne. Cela a forgé les mots « pharisaïsme et pharisaïque » utilisés fort mal à propos pour qualifier quelqu'un de formaliste ou dévot. Les Pharisiens sont les seuls ancêtres des Juifs actuels (puisque tous les autres groupes juifs, religieux ou politiques, se sont rapidement étiolés à l'époque romaine).

Pirqè Avot, Pirqei Avot, P.A. : Chapitres des Pères. Recueil le plus ancien de la Mishnah. Ensemble de six chapitres de sentences éthiques transmises de génération en génération aux disciples des sages, depuis le Sinaï (P .A. 1 , 1 ). Il rapporte les premiers enseignements des couples d'école (cf. Hillel et Shammay). Les Pirqè Avot appartiennent à l 'ordre des Préjudices. Ils enseignent à dire les noms de ceux que l'on cite (à l 'avant-garde de tout copyright). Les Avot (de Rabbi Natan) ont le

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rôle d'augmenter la compréhension des Pirqè Avot (Avot signifie aussi « décisions », du verbe hâvâh, vouloir, consentir).

Pluriel d'intensité : Forme grammaticale spéciale du pluriel pour indi­quer un singulier, quant à un événement, une chose ou un être. Qidous­hîn, Mariage ; Pessahîm, Pâques ; Panîm, Visage ; Elohîm, Dieu.

Pourim : Sorts, fête des Sorts célébrée le 14 Adar, un mois avant Pèsah, pour faire mémoire de l'histoire d'Esther et du revirement de situation in extremis. Haman, descendant d' Amaleq, avait décidé l 'extermina­tion totale du peuple juif (voir Meguillah).

Q : Il y a trois sortes de son Q en français (C, K, Q) et deux en hébreu. La graphie du qoph va plus bas que les autres consonnes ; il est rendu dans ce livre par un Q. Le kaph est rendu par un K ou un C.

Qadish : Des adjectifs hébreu qadosh, et araméen qadish, saint. Le Qadish, prière de proclamation de la sainteté du Nom du Seigneur, est récitée par l 'orphelin et l'endeuillé entouré par le minyan. Elle est dite aussi à la fin d'une étude talmudique et de toute prière. Sa dernière phrase, Ossèh Shalom, est connue par tous les Juifs.

Qadosh : Saint, séparé, distinct (cf. Haqadosh Baroukh Houh). Répété trois fois, c 'est le chant entendu au Temple par le prophète Isaïe (Is 6, 6 cf. Qedoushah) : tout tremblait. Au moment de « Qadosh, Qadosh, Qadosh », les Juifs font vibrer le sol avec leurs pieds joints.

Qedoshim : Saints. Nom d'une parashah centrale du Lévitique et donc de la Torah : Lv 1 9-20. Elle commence par « Soyez saints » et contient la parole : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Qédoushah : Sainteté (féminin). Atmosphère de la journée de Shabat. Nom d'une partie de la Amidah, composée de trois paroles du Tanakh (Is 6, 3, Ez 3, 1 2 et Ex 1 5, 1 8).

Qidoush : Sanctification. Désigne la sanctification du Nom du Seigneur, créateur du fruit de la vigne, lors de la bénédiction avec la coupe de vin au début du repas de Shabat ou des jours de fête. Les paroles du Qidoush donnent les deux fondements de Shabat, le repos du Seigneur lors des œuvres de la Création (mémorial, zikarôn) et la sortie d'Egypte (mémoire, zèkhèr). Le Nom du Seigneur, dit devant la coupe de vin, l ' investit. Le Qidoush hashèm, sanctification du Nom du Seigneur, est vécu de différentes manières selon les circonstances. C'est le témoi­gnage et le martyre (Rabbi Aqiba a sanctifié le Nom du Seigneur en disant le Shema Israël lorsque les Romains arrachaient sa chair avec des tenailles brûlantes). Le Qidoush hazman, sanctification du temps,

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des jours de Shabat et de fêtes, donne de vivre des mitswot propres à ces temps.

Qidoushîn : Sanctifications, pluriel d'intensité : mariage. Israël donne une telle importance au mariage qu'il l 'appelle du nom le meilleur : sanctification, consécration. Qidoushîn, nom araméen du traité sur le mariage (ordre Nashîm).

R, Rabba : Adjectif : grand, beaucoup, nombreux (cf. Rabbi et Rav). L 'abréviation R de Rabba après un nom de livre biblique désigne le Midrash Rabba du livre en question. Exemples, NbR, CtR (Midrash Rabba du Cantique des Cantiques). Viennent ensuite le chapitre et le verset du midrash.

Rabbénou, Rabbi : Le Rabbi (Rab, Rav) a beaucoup de connaissance, de vie, c 'est le maître. Rabbènou, notre Rabbi, notre Maître, nom donné à Moïse par le peuple d' Israël. Rabbouni, mon Maître, nom donné à Jésus par certains disciples.

Rashi : Sigle de Rabbi Shlomoh ben Isaac, vigneron champenois du x1• siècle, à Troyes ( 1 040- 1 1 05). Il a commenté et mis en page le Talmud avec les apports des divers siècles.

Résurrection des morts : La deuxième bénédiction de la Amidah finit ainsi : Tu es fidèle pour ressusciter les morts. Béni sois-Tu Seigneur qui ressuscite les morts ! (cf. Talit). Prière typiquement pharisienne.

Rosh Hashanah : Premier (tête) de l'an (cf. Mois). Premier jour de Tishri et d'une période de dix jours de mise en lumière devant le Sei­gneur. Le dixième jour est Yom Kipour.

Saducéens : Lors de l 'indépendance religieuse de l'époque des Maca­bées, les sages juifs successeurs des Scribes, des Prêtres et des Hassi­dim de l'époque d'Esdras forment deux groupes : Pharisiens et Saducéens. Les Saducéens ont suivi Antigone de Sokho qui refuse toute rétribution de la part du Seigneur, et donc la résurrection des morts et la Torah orale. Ils appartiennent à la classe riche et se récla­ment du prêtre Sadoq. Ils sont pointilleux et formalistes. Les Evangiles n'en parlent nommément que quatre fois.

Sanhédrin : Mot araméen transcrit du grec sun hédrion (sun, syn, avec ; hèdros, hèdra, siège). Assemblée de soixante-dix sages siégeant pour délibérer, tribunal rabbinique. Nom d'un des traités de l'ordre des Pré­judices.

Sédèr : Ordre, succession ordonnée, rangée. Ordonnancement de cer­taines prières (sidour, livre de prières), en particulier ordre précis dans

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lequel se déroule le repas pascal (sédèr pascal ou sédèr de Pèsah). Cf. sidrah dans Parashah.

Seigneur, le Seigneur : Un des deux Noms les plus fréquents pour parler de la Présence du Saint, Béni soit-Il, ou pour s'adresser à Lui : Elohim, Dieu, et Adonay. Le Nom lu et prononcé « Adonay » n'est pas écrit tel quel en hébreu. Ses quatre lettres (Tétragramme, yod, Y, hèh, H, waw, W, et hèh, H) sont imprononçables ensemble. Le lecteur dit : « le Nom » ou « le Seigneur ». Dire Adonay, c'est dire la Tendresse. Dans certaines Bibles, juives et protestantes, Adonay a été rendu par « l'Eternel ». Dans un deuxième temps, cela permettait aux Bibles pro­testantes de dire « le Seigneur » pour Jésus, dans les Evangiles et les autres Ecritures chrétiennes. Ici, dans ce livre sur l 'incarnation juive de Jésus, « le Seigneur » est écrit dans l'acception juive de la Torah.

Shabat : Nom féminin, du verbe shâvat : repos, cessation du travail de la semaine. « Le Shabat » signifie elliptiquement : « le jour de Shabat ». Septième jour de la semaine (les autres jours sont désignés par rapport à lui), il est la plus grande fête du judaïsme. Du fait de la cassure entre le christianisme et le judaïsme, cette fête a été méprisée par les Chré­tiens. Ils ont lu trop rapidement les épisodes de Shabat des Evangiles : ils ont retenu et déprécié les mitswot négatives sans en apprécier le but. Pour marquer le retournement exigé par 1 'honnêteté, « sabbat » n'est jamais écrit dans ce livre, mais « shabat » selon la prononciation hébraïque.

Shammay : Nom d'un maître de la Mishnah de l 'époque d'Hérode (30 avant à 20 après l 'ère commune). Les Pharisiens, Tanaîm, tiennent à deux écoles simultanées de façon à s'exciter mutuellement dans la recherche de la meilleure pratique de la Torah. Pour certains, Beth Shammay représente la tendance la plus dure.

Shavouot : De shèvah et shavouah (hayin final), sept, semaine. Shavouot est la fête des Semaines (sept semaines depuis le deuxième jour de Pèsah), la Pentecôte. A Shavouot, les 600 000 Hébreux au pied du Sinaï reçurent le Mattan Torah.

Shékhinah : Présence. Mot féminin pour dire la Présence du Saint, Béni soit-Il. Sa transcription en grec, skènoô, signifie habiter, planter sa tente, camper.

Shema Israël : Ecoute Israël. Nom et début de l 'acte de foi d'Israël. Moins une affirmation qu'une mise à l'écoute, le Shema Israël est composé de trois parties : d'abord une longue prière qui se plaît à redire l 'amour du Seigneur ; ensuite, la récitation de trois textes de la Torah (Dt 6, 4-9 ; Dt 1 1 , 1 3-2 1 ; Nb 1 5, 37-4 1 ) ; enfin, une longue

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GLOSSAIRE

litanie des qualificatifs du Seigneur et de Ses Œuvres, introduite par « Emèt, Vérité, Vraiment ! ».

Simhat Torah : Joie de la Torah. Fête où les Juifs dansent avec la Torah, et où sont lus successivement les derniers et les premiers chapitres de la Torah (Dt 33-34 et Gn 1 , 1 -2,3). Le talmîd (disciple) ne peut donc jamais s'arrêter de lire la Torah. Fête célébrée le jour qui suit le hui­tième jour de Soukot.

Slihot : Du verbe sâlah (hèth final), pardonner : prières de demandes de pardon. Longues litanies dites tous les jours d'Eloul et les dix premiers jours de Tishri, jusqu'à Yom Kipour.

Soukot : Pluriel de soukah, cabane, abri léger. La fête des Cabanes (tabernacles, tentes, huttes) est célébrée en automne, au moment des vendanges, pour affirmer devant le Saint, Béni soit-Il, l'unique dépen­dance de Lui. Mémoire de la précarité du séjour au désert (cf. Midbar) où les Hébreux recevaient tout du Seigneur et apprenaient la Parole. Fête juive de 1 'universalité et de la prière pour les soixante-dix nations. Soukah, nom du traité de l 'ordre des Fêtes.

Synoptiques : Les trois Evangiles de Matthieu, Marc et Luc présentent des textes parallèles que l'on peut « voir ensemble ».

T : Il y a deux T en hébreu, tèth et taw. Taw, dernière lettre de l 'alphabet hébreu, indique la totalité, la plénitude. S 'il est en relation avec un aleph, première lettre de l'alphabet, il montre un Tout. Phonétique­ment, et dans les relations entre hébreu et araméen, il s'interchange avec le shin (shanah et tana, mishnah). En début de mot, le taw est souvent préfixe pour désigner la situation, la fonction, la vocation de tel ou tel nom, de telle ou telle chose.

Talit : Du mot ta! (avec un tèth), rosée : manteau, châle de prière. Pour la Torah, la pluie monte du sol et la rosée descend des cieux comme un manteau qui recouvre la terre. La rosée est très proche de la compré­hension de la Résurrection des morts et, dans son attente, le talit enve­loppe le mort. Le talit porte, sur ses quatre pans, les tsitsiot, signes pour les mitswot.

Talmîd, talmîdîm : Du verbe lâmad, apprendre (préfixe taw) : celui qui apprend, l'apprenti, l'élève, le disciple. Le lamèd est la seule lettre de l'alphabet à monter au-dessus de la ligne d'écriture. Le disciple doit monter, aller plus haut.

Talmud : Du verbe lâmad, apprendre (préfixe taw) : étude, apprentissage pour suivre la Torah et pour être disciple, enseignement. Le Talmud Torah est l 'étude de la Torah, ce ou celui qui s'occupe d'être disciple

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

de la Torah. « Le Talmud est composé de deux éléments : la Mishnah et la Guemarah » (Adin Steinsaltz, Le Talmud, Guide et lexiques, Fonds social juif unifié, Jean-Claude Lattès, 1 994). Exclusivement oral, il a été mis par écrit, en langue araméenne, après le drame de la destruction du Temple par Titus, du u• au ye siècle de l'ère commune. Cette longue rédaction a été faite en deux endroits. En ce qui s'appelait Palestine (à partir de 135, avec l 'empereur Hadrien), dans les villes de Galilée, Tsipori et Tibériade, c 'est le « Talmud Yéroushalmi, Talmud de Jérusalem ». En Babylonie, c 'est le « Talmud Babli, Talmud de Babylone ». Celui-ci est cité par le nom du traité et le numéro du feuillet suivi de a pour recto et b pour verso. Le Talmud de Jérusalem est cité par deux chiffres successifs, chapitre et paragraphe. Lorsque l 'on parle du « Talmud », il s'agit du Talmud de Babylone.

Le Talmud a été rédigé selon six Ordres contenant chacun plusieurs traités appelés par 1 'un des premiers mots du texte.

- Premier Ordre, Zérahîm, Semences : Berakhot, bénédictions ; Pèhah, coin du champ ; Demay, doute sur la récolte ; Kilayim, mélanges de deux espèces différentes ; Shevihit, septième année ; Téroumot, prélèvements ; Maassrot, dîmes ; Maassèr shèni, deuxième dîme ; Hallah, pâte ; Orlah, excroissance ; Bikourîm, prémices.

- Deuxième Ordre, Mohèd, Fête (temps fixe, de rendez-vous, fête) : Shabat ; Erouvin, mélanges (lorsque deux fêtes se succèdent, comment préparer les repas) ; Pesahîm, Pâques ; Shéqalîm, sicles prélevés (argent) ; Yomah, jour du Pardon ; Soukah, fête des Cabanes ; Beitsah, œuf ; Rosh hashanah, premier de l 'an ; Tahanit, jeûne ; Méguillah, rou­leau d'Esther ; Mohèd qatan, petite fête ; Haguigah, offrande de fête.

- Troisième Ordre, Nashîm, Femmes : Yébamot, belles-sœurs ; Ketoubot, contrats de mariage ; Nédarîm, vœux ; Nazir, consacré ; Guittin, billets de divorce ; Sotah, femme adultère ; Qidoushin.

- Quatrième Ordre, Néziqin, préjudices : Baba qammah, première porte ; Baba mètsia, porte intermédiaire ; Baba batra, dernière porte ; Sanhédrin ; Makot, plaies ; Shévouot, serments ; Hédouyot, témoigna­ges ; Avodah zarah, idolâtrie ; Pirqei Avot, chapitres des Pères ; Horayot, décisions légales.

- Cinquième Ordre, Qodashîm, Choses saintes : Zébahîm, sacrifices , Ménahot, offrandes de céréales ; Boulin, choses quotidiennes ; Bekho­rot, premiers-nés ; Harakhin, estimations ; Temourah, substitution ; Kéritot, retranchements ; Mèhilah, empiètement ; Tamid, offrande per­manente ; Midot, mesures ; Qinnîm, nids.

- Sixième Ordre, Taharot, Choses pures : Kélîm, ustensiles, vaissel­les ; Ohalot, tentes ; Négahîm, plaies ; Parah, la vache rousse ; Téharot, puretés ; Miqwaot, les bains rituels ; Nidah, isolement ; Makhshîrin, préparations ; Zavîm, flux ; Tévoul yom, immersion dans la journée ;

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GLOSSAIRE

Yadayim, mains ; Houqtsin, pédoncules. - Petits traités : A vot de Rabbi Natan ; Sofrim, scribes ; Semahot, choses joyeuses ; Kallah, mariée ; Kallah rabbati, la mariée, long traité ; Dèrèkh èrèts rabbah, long traité de bienséance ; Guérîm, prosélytes ; Koutîm, Samaritains ; Avadîm, esclaves ; Sèfèr Torah, livre de la Torah ; Tephillin ; Tsitsit ; Mezouzah.

Pour les Juifs, le Talmud est le contraire d'un enfermement. C'est une ouverture pour vivre toutes les situations.

Tana, Tanaîm : De l'araméen tana, répéter (hébreu shânâh, cf. Mish­nah) : celui qui répète ce qu'il a reçu de la génération antérieure. Les Tanaîm sont les sages des deux premiers siècles de l 'ère commune.

Tanakh : Sigle des trois parties des Ecritures, selon les Pharisiens : Torah, Neviîm (Prophètes) et Ketouvîm (Ecrits), TNK. Le K final se prononce de façon gutturale. Cf. collier.

Tephillin, Tphilin, Tfilin : Verbe pil/èl (préfixe taw), juger, et hitpallèl, s'interposer comme juge, intervenir, supplier, prier ; et du nom tphil­lah, prière, intercession. Petits cubes de cuir attachés au bras gauche et sur le front pendant la prière des Juifs (sauf pour Shabat). Les tphil­lin ont quatre parchemins de la Torah : Ex 13, 1 - 10 ; Ex 13, 1 1 - 1 6 ; Dt 6, 4-9 ; Dt 1 1 , 13-21 (sortie d'Egypte et Shema Israël). En grec, « phylactères » : une seule fois dans les Ecritures chrétiennes (Mt 23, 5). Le mot grec a une connotation formaliste, l 'hébreu est moins négatif.

Toldot : Du verbe yâlad, enfanter (préfixe taw), enfantements, généra­tions. « Succession des enfantements » traduit en français par le concept abstrait « Histoire ».

Torah : Plusieurs explications sont possibles. Du verbe hârâh, concevoir (préfixe taw), conception, enfantement. Du verbe yârâh, lancer (préfixe taw), enseignement, illumination. Ou aussi Torah est or, lumière, pré­cédée par un taw et suivie par un hèh. Le mot « Torah » désigne soit les cinq livres écrits sur un rouleau de parchemin selon les règles de la Tradition, Gn, Ex, Lv, Nb, Dt ; soit l'ensemble de l 'écrit et de l'oral ; soit parfois, le Tanakh. « Torah shèbikhtav, la Torah qui est dans l 'écrit » et « Torah shèbèalpèh, la Torah qui est sur la bouche » (pas tout à fait équivalent de « Torah orale » ). Elle se transmet de la bouche du maître à la bouche du disciple. (cf. Shema Israël et Talmud). L'ex­pression « Torah orale » est employée dans ce livre pour dire l'Ensei­gnement du Talmud.

Tradition : Essentielle pour les Juifs : il faut « répéter » et « enseigner » aux fils (cf. Shema Israël et Pèsah). La Tradition ne fige pas et les

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Pharisiens contestent en permanence ceux qui voudraient s'arrêter. Une « tradition » est une sentence particulière qui a été reçue (qaba/ah) et rapportée de génération en génération (cf. Massorètes).

Yah : Abréviation du Nom du Seigneur. Alors que les quatre lettres du Tétragramme sont imprononçables, les deux premières se disent Yah (cf. Hallelou Yah).

Yom, Yom Kipour : Yom, jour. Yom Kipour, cf. Kipour, Pardon.

Zakhor : Du verbe zâkhar, fais mémoire, souviens-toi. Nom du jour de Shabat précédant la fête de Pourim. Y est lu le passage Dt 25, 1 7- 1 9 pour appeler à l a lutte continuelle contre Amaleq. La vie du Juif fondée dans la Torah s'appuie sur la mémoire (cf. aussi Qidoush).

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Bibliographie

Ouvrages de référence

La Bible commentée, Artscroll Tanach Series, tomes Chir hachirim, Ruth, Esther, Jonas, Tehillim, Tachlikh, Editions Colbo, Paris.

Collection « Les Dix Paroles », plusieurs tomes, Editions Verdier, Lagrasse : Midrach Rabba, Genèse Rabba Leçons des Pères du monde Aggadoth du Talmud de Babylone Le Talmud, Traité Pessahim Le Zohar, le livre de Ruth Le Guide des égarés, de Maïmonide.

Dvar Torah Cassettes des 54 Parashiot par J.D. Frankforter Cassettes Le Retour par Joseph Sitruk, Epinay-sur-Seine.

Keren hasefer ve-halimoud, plusieurs ouvrages, C.L.K.H., Paris : Le Livre des 6 1 3 commandements (Sefer hahinouh) La Thora commentée, commentaire des Haphtaroth

Les Maîtres de la Tora, plusieurs tomes dont Rabbi Meïr Baal haness, Librairie Gallia Jérusalem.

Les Maximes des Pères Pirqè Avot, Judaïca-poche, Editions Colbo, Paris.

Midrash Rabbah, Morceaux choisis vocalisés, traductions et commen­taires par Maurice Stem, cinq tomes des cinq livres de la Torah, Daf Hen, Jérusalem.

3 1 1

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

Le Midrash raconte, cinq tomes de la Torah, Editions Raphaël. Paris.

Pentateuque avec Rachi, cinq tomes de la Torah, Fondation Samuel et Odette Lévy, Paris.

Les Sentiers de la Torah ou Tsénah ourénah, tomes des cinq livres de la Torah par Maurice Stem, Hal-Or, Jérusalem.

Shoulhan Aroukh de Joseph Caro, abrégé en deux tomes, Editions Colbo, Paris.

Le Talmud, l'édition Steinsaltz, plusieurs tomes, F.S.J.U. et J.-C. Lattès, Paris : Ketoubot I ; Guide et lexiques

La Voix de la Torah, commentaire du Pentateuque par Elie Munk, cinq tomes des cinq livres de la Torah, Fondation Samuel et Odette Lévy, Paris.

Grands sages cités

De la période talmudique : Hillel et Shammay Rabbi Aqiba Rabbi Méïr Rabbi Natan (Avot de Rabbi Natan) Tous les Rabbanim des Pirqè Avot.

Du Moyen Age : Maimonide, le Rambam, ou Rabbi Mosheh ben Maïmon, de Cordoue Rachi, Rabbi Shlomoh ben Isaac, de Troyes.

Du xvre siècle à Safed : Ari « Le lion de safed », ou Ashkénazi Rabbi Isaac Louria Rabbi Joseph Caro Rabbi Shlomoh Halevi Alqabets

Du xrxe siècle, en Europe centrale : Rabbi Nahman de Braslav.

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·-

Index des auteurs cités

Abecassis Armand, 124, 280. Avril Anne-Catherine, 275, 283.

Benamozeg Elie, 283. Benn, 279.

Chalier Catherine, 279, 283, 288. Chary Théophane, 289. Chaze Micheline, 28 1 . Chouraqui André, 255, 276, 288. Collin Matthieu, 275, 280, 285.

Decourtray Albert, 27 1 , 272. Deutsch Eméric, 28 1 , 287. Di Sante Carmine, 1 60, 1 6 1 , 2 1 5,

282. Draï Raphaël, 269. Dujardin Jean, 160, 1 6 1 .

Eisenberg Josy, 280, 28 1 , 287, 288. Eydoux Emmanuel, 1 6 1 .

Frankforter J.D., 275, 278, 282, 287.

Ginewski Paul, 280. Gross Benno, 275. Grunewald Jacquot, 280.

Gugenheim Claude-Annie, 235, 280, 287.

Heschel Abraham, 23 1 , 232, 279, 287.

Hirsch Salomon Raphaël, 1 89, 284.

Isaac Jules, 25, 275, 283 .

Jeremias Joachim, 160.

Kolatche Alfred, 287.

Lenhardt Pierre, 275, 280, 283, 285.

Malka Victor, 276, 280. Meynet Roland, 275. Mindel Nissan, 284. Munk Elie, 279, 284, 287.

Ouaknin Marc-Alain, 1 78, 28 1 , 283, 287, 288.

Qlapolts Israël-Yaaqov, 277, 279, 286.

Rabin Yitshaq, 165.

3 13

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

Rachet Guy, 280. Remaud Michel, 275. Rozenzweig Franz, 283.

Samuel Robert, 278. Sander N. Ph., 279. Sitruk Joseph, 277. Smilévitch Eric, 280. Steinsaltz Adin, 288, 308. Stem Maurice, 276, 279, 286.

Trenel l., 279.

Vigée Claude, 278.

Weismann Mosheh, 280. Wiesel Elie, 27, 67, 275, 277.

Yotam Yaël, 284.

Zagdanski Stéphane, 275.

-

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Index des références

Le Tanakh et les Évangiles

Gn : 238, 249. 1 : 7, 42, 47, 1 52, 298, 300. 1 , 1 -2,3 : 307. 1 , 1 -6,8 : 302. 1 ,5 : 203, 232. 1 ,27-28 : 64. 1 ,28 : 63, 90. 1 ,29 : 238. 1 ,3 1 -2,3 : 248. 2 : 89, 249. 2,3 : 249. 2, 16 : 59, 302. 2,20 : 63. 2,22 : 65, 293. 2,23 : 278. 2,23-24 : 87

' 174, 283.

2,24 : 1 92. 3,3 : 1 92. 3,7 : 288. 3,9 : 1 92, 205. 3 , 18 : 72. 3, 1 9 : 72. 5 , 1 : 88. 6 : 54. 6, 1 3 : 54.

3 1 5

9,3-4 : 238. 1 1 : 37. 12 : 10 1 , 257. 1 5,6 : 95, 1 0 1 . 1 5,8 : 299. 15 , 13 : 1 56. 16,14 : 1 95. 1 7, 1 : 1 03. 17,15 : 1 17. 18,32 : 300. 20 : 1 04, 1 06, 295. 20,6 : 1 06. 20,7 : 104, 108. 20, 17 : 107. 2 1 , 16- 17 : 73. 22 : 97, 1 0 1 , 257. 22,6 : 240. 22, 1 0 : 240. 24 : 80. 24,62 : 195. 25,8 : 288. 27,40 : 1 57. 28, 10-22 : 2 17. 28, 15 : 2 16. 28, 19 : 277.

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UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

29, 1 - 1 7 : 80. 29,2- 10 : 79. 29,14 : 1 74. 32,23-33 : 2 16. 34 : 127. 37, 1 1 : 230. 46,4 : 1 57. 48 : 229. 49,26 : 1 5 1 .

Ex1 ,8 : 9 1 . 3,6 : 1 37. 3 , 1 8 : 199. 5,1 : 1 95 . 12 : 301 . 1 3 , 1 - 10 : 309. 1 3, 1 1 - 16 : 309. 14,4 : 97. 14,22 : 28. 14,3 1 : 1 1 8. 15 : 7, 1 1 8, 1 94, 292. 1 5, 1 : 1 1 8. 1 5 , 1 8 : 304. 1 5,22 : 2 10. 16 : 299. 1 7,8- 16 : 229, 236. 1 7, 1 4 : 229, 236. 20 : 60, 6 1 . 20, 1 : 90. 20, 12 : 24, 93. 20, 1 3 : 96. 20, 1 8 : 265. 24,7 : 84. 24, 1 3 : 229. 28, 1 1 : 284. 3 1 ,2-3 : 1 90. 3 1 , 1 8 : 1 85 . 32, 1 5 : 1 85. 32, 1 5- 1 6 : 1 86. 32, 1 7 : 229. 33, 1 1 : 287. 34,6-7 : 146, 147, 1 50. 34,7 : 148, 1 53, 203, 227. 34, 1 0 : 28 1 . 35,35 : 284.

38,23 : 284.

Lv : 128, 238, 239, 249, 25 1 , 279. 12,2 : 25 1 . 1 3 : 249. 16,22 : 282. 1 9 : 7, 278. 1 9-20 : 84, 128, 304. 19 , 17 : 30, 1 32. 1 9, 1 8 : 83, 85, 1 84. 20, 1 0 : 284. 20,26 : 280. 1 1 -24 : 275. 25,35 : 278. 26 : 49.

Nbl : 300. 5 ,23 : 1 90. 6 : 1 99, 293. 1 0,35-36 : 28 1 . 1 3 , 16 : 1 1 7. 14 : 279. 14, 1 7 : 1 14, 1 15 , 1 1 8, 146. 14,20 : 70, 1 14. 14,2 1 -28 : 1 95 . 1 5 ,37-41 : 2 1 0, 306. 1 9 : 1 90. 2 1 , 1 9 : 1 85 . 25 : 128. 27,5 : 28 1 . 27, 15- 18 : 228. 27, 1 8 : 260. 27,22-23 : 287. 30-36 : 287. 35 : 92.

Dt : 147.

3 1 6

1 : 301 . 1 ,38 : 287. 3,23-7, 1 1 : 283. 3,28 : 287. 4,42 : 92. 5 : 60. 5, 16 : 93. 6,4 : 1 84.

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INDEX DES RÉFÉRENCES

6,4-9 : 2 1 0, 300, 306, 309. 6,6-7 : 2 1 0. 8 : 1 79. 8,3 : 238. 1 1 , 1 3-2 1 : 2 1 0, 300, 306, 309. 1 6, 1 8-2 1,9 : 283, 284. 1 7,7 : 1 92, 284. 17 , 16 : 1 1 6. 1 9 : 92. 22,22 : 284. 22,26 : 92. 25, 1 7- 1 9 : 236, 3 1 0. 26, 1 -29,8 : 282, 283. 27 : 49. 28 : 49. 29,8 : 1 75, 283. 30, 1 1 - 1 4 : 266. 30, 1 5-20 : 49. 30, 1 9 : 232. 3 1 ,7 : 227. 3 1 , 1 6 : 1 38. 32,2 : 142. 32, 1 0 : 1 5 1 . 32,40 : 1 95. 32,42 : 240. 33-34 : 307. 33,9 : 1 5 1 , 282. 33,27 : 285. 34 : 70. 34,9 : 227, 228.

Jos 1 ,9 : 227. 3, 1 0 : 1 95. 1 9,50 : 229.

Jg6,24 : 269. 8 , 1 9 : 1 95.

1Sm 14,39 : 1 95.

1R2,2 : 288. 3 , 1 6-28 : 287.

Is : 5 1

1 ,8 : 1 50. 1 , 1 8 : 1 56. 6,3 : 304. 6,6 : 304. 8,2 : 220. 1 1 , 1 : 1 5 1 . 26,3 : 1 50. 26, 1 9 : 138. 27,3 : 145. 28,9 : 234. 40-55 : 283. 40,9 : 1 70, 1 72, 173, 283. 4 1 ,27 : 1 7 1 . 42,6 : 1 50. 42, 1 4 : 234. 45,23 : 247. 5 1 , 1 -2 : 64. 52,7 : 1 7 1 , 1 72, 173, 283. 56,7 : 257, 288. 58,7 : 278. 60 : 283. 60,6 : 1 7 1 . 60,2 1 : 1 39, 267. 6 1 , 1 : 1 7 1 . 6 1 , 1 -9 : 1 47, 283. 6 1 , 1 0-63,9 : 283. 63, 1 6 : 158, 1 59.

Jr7, 1 1 : 258. 1 7,9 : 47. 20,7 : 269.

Ez2, 1 6-2 1 : 47. 3 , 12 : 304.

Os6,6 : 2 1 5.

Jon1 ,9 : 202.

Mi3,12 : 220. 7, 1 8-20 : 28 1 .

Za3 : 287. 8,4 : 220.

3 1 7

Page 293: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

1 4 : 258, 262.

Mal3 : 1 6 1 .

Ps : 255 1 : 263. 1 6 : 1 5 1 . 22 : 66. 22,30 : 247 24,4 : 247. 25, 1 0-2 1 : 1 50. 3 1 ,6 : 66. 34, 13- 14 : 1 52. 40,8 : 288. 40, 1 2 : 1 50. 5 1 , 1 7 : 269. 6 1 ,8 : 1 50. 68, 1 2 : 1 80. 72, 1 6 : 1 39. 84 : 220. 9 1 , 1 2 : 234. 92,7-8 : 65. 96 : 2 1 1 . 1 04,26 : 233. 1 1 3-1 1 8 : 296. 1 1 4,8 : 285. 1 1 5 , 17 : 247. 1 1 8,5 : 97. 1 1 8,25 : 297. 1 1 8,26 : 264. 1 1 9,2 : 1 50. 1 1 9,69 : 1 50. 1 1 9,126 : 26. 1 1 9,129 : 1 50. 1 22 : 97, 220. 1 26,5-6 : 272. 128 : 97. 1 32 , 18 : 1 5 1 . 133 : 1 52. 1 36 : 242. 137 : 1 87. 1 39,5 : 252. 140,2-5 : 1 50. 1 4 1 ,3 : 1 50. 145,14 : 28 1 .

UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

146 : 1 09. 1 46,7 : 1 09. 1 48 : 246. 148,6 : 285. 148,8 : 285. 148, 1 2 : 267. 149 : 287.

Prl : 299. 3 , 1 9 : 94. 4,2 : 1 42. 4,22 : 1 76. 9,8 : 128. 1 1 ,24 : 26. 24,7 : 266. 26,27 : 79. 27, 1 8 : 150, 261 . 28,23 : 28 1 . 3 1 , 1 1 : 89.

Jb28, 17 : 130. 29,2-3 : 247. 38,36 : 43.

Ct : 1 54, 1 72- 1 73, 1 80, 255, 26 1 , 262, 269. 1 ,6 : 1 54. 1 ,7 : 53. 1 , 1 7 : 2 1 7. 2,8- 1 3 : 256. 2,10 : 257. 2, 1 1 - 1 3 : 26 1 . 2 , 15 : 286. 4,7 : 278. 6,2 : 260. 6, 1 1 : 283. 7,2 : 1 72. 7, 1 0 : 138, 28 1 . 8,12 : 1 54.

Rt : 1 72, 1 73. 1 80. 1 ,6 : 1 72. 1 ,22 : 1 72. 2,1 : 1 73.

3 1 8

Page 294: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

INDEX DES RÉFÉRENCES

4,2 : 300. 4,1 1 : 299.

Lm5, 18 : 220.

Qo : 1 16.

Esth : 299, 304.

Dn3,6 : 23 1 . 3 , 1 5 : 231

Esdr : 303.

Mt : 203. 3,9 : 282. 4, 1 - 1 1 : 286. 4,6 : 234. 5 , 1 - 12 : 47, 50. 5 , 1 7- 1 8 : 1 1 5, 1 17. 5 , 17- 1 9 : 1 10. 5,43 : 85. 5,45 : 142. 6 : 1 67. 6,7 : 282. 6,26 : 286. 7 , 1 : 1 89. 7 , 12 : I l l . 7,24-27 : 1 30. 8,5-6 : 100. 8, 5-8 : 99. 8,5- 1 3 : 99, 1 0 1 . 8, 1 6- 1 7 : 1 30. 8 , 1 8-20 : 2 16. 8 , 19-20 : 2 1 9. 8,20 : 220, 222, 286. 8,24 : 285. 8,27 : 206. 13 ,4 : 286. 1 3,32 : 286. 1 5 : 238, 242, 288. 1 5 , 10-20 : 237. 1 5 , 1 8 : 243. 1 9, 1 9 : 85.

21 : 259. 2 1 , 1 0 : 285. 22, 23-33 : 140. 22,29 : 1 4 1 . 22,34-40 : 83, 90. 22,35 : 209. 22,39 : 85, 2 1 1 . 22,40 : 1 84, 2 1 1 23,5 : 309. 23,1 3-32 : 47, so 24,36-39 : 53, 55 24,39 : 57. 26,75 : 44. 27,45-47 : 62, 66. 27,54 : 285. 28,2 : 78, 285. 28,4 : 82.

Mc : 203.

3 19

4, 12 : 5 1 . 4,24 : 37. 4,39 : 285. 4,41 : 206. 7 : 238, 242. 7, 1 8-20 : 242. 1 0,27 : 38. 1 1 : 1 67. 1 1 , 1 -2 : 253. 1 1 , 1 -26 : 254. 1 1 , 1 1 : 257. 1 1 , 12- 1 7 : 253. 1 1 , 1 3 : 254. 1 1 , 13-14 : 258, 259. 1 1 , 1 7 : 258. 1 1 , 1 9 : 259. 1 1 ,2 1 -22 : 259. 12 : 142. 12 , 1 8-27 : 140. 12,27 : 1 4 1 . 12,28-34 : 90, 1 67, 208, 209, 2 14. 12,33 : 2 1 5. 12,34 : 2 1 0, 2 1 1 . 14,30 : 44. 14,32-42 : 1 67. 14,72 : 44.

Page 295: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

1 5,33-34 : 66. 16, 1 -3 : 77, 78. 1 6,4 : 79.

Le : 204, 284. 1 ,67 : 289. 2 : 82, 228, 230. 2,40 : 227. 2 ,4 1 -52 : 225, 226. 2,49 : 227. 2,50 : 227, 229. 2,52 : 227. 4 : 147, 149, 282. 4, 1 1 : 234. 6 : 50. 6,20-26 : 46, 47, 49. 7, 1 - 1 0 : 99. 7,2 : 100. 8,2 1 : 1 35, 143. 8,22 : 201 , 204. 8,22-25 : 201 , 285. 8,23 : 205, 285. 8 ,24 : 285. 8,25 : 206. 9,5 1 : 285. 9,58 : 286. 10,28 : 209. I l : 1 66, 167. I l , 1 -4 : 1 55. 1 3 ,32 : 286. 1 6, 1 9-3 1 : 23. 1 7,24 : 284. 1 8 , 1 8-20 : 90. 19 : 280. 20,27 : 1 37. 20,27-40 : 140. 20,33 : 140, 1 4 1 . 20,35-36 : 14 1 , 28 1 , 293. 20,37-39 : 135 , 14 1 , 28 1 . 20,39 : 14 1 . 2 1 ,38 : 1 9 1 . 22,39-44 : 68, 7 1 . 22, 55-62 : 4 1 . 22,61 : 44. 22,62 : 44.

23, 1 1 : 284. 23,32-39 : 280. 23,39-43 : 1 23, 1 32. 23,44 : 66. 24 : 194, 1 95, 275, 294. 24, 1 -6 : 1 93. 24,2 : 78. 24,4 : 284. 24,4-5 : 1 94. 24,5 : 1 93 . 24,9 : 1 94. 24, 1 0 : 200. 24,25 : 1 94, 247. 24,27 : 283. 24,44 : 283.

Jn : 1 89, 203. 1 ,45 : 1 50. 1 ,45-5 1 : 1 3 1 . 1 ,46 : 1 5 1 . 2, 1 1 : 1 08.

320

3 : 1 3 1 , 1 83 , 302. 3,3 : 29. 4,43-54 : 99, 1 06. 4,46 : 1 00. 4,50 : 1 0 1 . 4,53 : 1 06. 5 , 17 : 95. 6 : 1 58. 6, 1 8 : 285. 6,54 : 276. 6,56-58 : 276. 6,69 : 1 59. 7,2 : 258. 7,37 : 1 77. 7,52 : 1 08. 8, 1 - 1 1 : 1 87. 8,2 : 1 88. 8,3 : 1 9 1 . 8,4-7 : 1 83 . 8,6-8 : 1 89, 1 90. 8,9- 1 1 : 1 9 1 . 9 : 232. 1 0, 1 -9 : 228. 10,22 : 28 1 , 296.

Page 296: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

INDEX DES RÉFÉRENCES

10,22-42 : 233. I l : 1 66, 1 67, 229. I l ,3- 1 6 : 232. 1 1 ,9- 10 : 23 1 , 233, 234. 1 1 ,4 1 -42 : 1 66. 12, 1 3 : 258. 12,47 : 1 52. 13 , 18 : 276. 1 7, 12 : 1 52. 1 9,4-5 : 62, 67. 20 : 1 94. 20, 1 : 78.

Ac : 204, 283, 284, 294. 2 : 1 5 1 , 275. 2,1 : 285. 3,1 : 276. 7 : 275. 8,23 : 276. 9,32 : 204. 9,36-42 : 246. 1 0,3 : 276. 1 0,30 : 276. l 3 : 275

1 5 : 241 . 1 9,27 : 285. 1 9,40 : 285. 23,8 : 1 37.

lCo : 1 5,30, 285. 1 5,56 : 247.

Eph5,33 : 83. 5,25-33 : 86. 5,3 1 -33 : 1 74.

Ga4 : 247. 4,4 : 252. 4,4-6 : 245, 246, 248. 4,6 : 246.

He4, 12 : 287.

Je : 284.

2Pl , l3 : 285. 3 , 1 . 285

Page 297: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

GnR1 , 1 1 : 94. 8 , 1 : 63. 9, 14 : 65. 1 1 ,6 : 248. 12 , 10 : 64. 1 6,6 : 59, 238, 302. 3 1 ,5 : 54, 56. 44,4-7 : 45. 52,8 : 1 04. 52, 1 0- 14 : 1 07. 52, 1 3 : 1 04. 56,3-6 : 240. 62, 1 -6 : 260. 68,37-43 : 2 1 7, 286. 70 : 80. 100,9 : 87.

ExR5,3-8 : 1 97. 6,3-9 : 1 1 7. 20, 10-12 : 1 06, 1 07, 109. 44,3-4 : 142. 46,2-3 : 1 86. 47,3 : 279. 52, 1 7 : 147.

LvR : 251 . 1 ,3 : 1 5 1 . 14, 1 : 252.

Les Midrashim

322

18 : 277. 34,47-61 : 278.

NbR2 1 ,85 : 228, 287. 2 1 ,90-92 : 254, 261 .

DtR3,64 : 279. 7,39-4 1 : 1 76. 8 , 19-27 : 266. 8,25-27 : 1 76.

CtR5,3 : 28.

Midrasbim Mekhilta sur Mishpatim 1 3 : 58.

sur Ex20, 13 : 96. Sifra sur Lv20,26 : 280. Pésiqta Rabbati 1 ,2 : 82. Midrash Tanhoumah : 1 97.

Tanhoumah B Wayèra 36 : 1 07. Tanhoumah Tazria 5 : 249.

Midrash Tanaîm 94 : 82. Midrash Néé1am 77d : 285.

Néélam 83 c-d : 283. Pirqè de Rabbi Elièzèr : 250, 276.

36 : 80. 45 : 1 87.

Targum Yonathan 28, 1 0 : 80.

..

Page 298: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

Le Talmud de Babylone (T.J. : Talmud de Jérusalem)

Zérahîm Ber13a : 2 14.

1 7a : 10 1 . 29a : 1 33. 3 1a : 27 1 . 32b : 70. 33b : 28. 63a : 26.

Moèd Shab30a : 247.

3 1 a : 1 1 1 , 1 36. 33b : 233. 88b : 1 80. 89a : 1 15. 89b : 66, 1 57, 1 58. 1 16a : 281 . 1 1 8a : 270. 1 5 1 b : 247. 1 56a : 45, 272.

Er54b : 27, 1 32, 254. Pes2 1 a : 100, 276.

56a : 2 1 0, 286. 68a : 28 1 . 1 19a : 264.

Yom1 9b : 281 . 66a : 282.

Sou : 262. R.H. 1 7b : 281 . Taan2a : 25 1 .

Sb : 234.

7a : 142. 23b : 1 60.

Taan 2,6 du T.J. : 287. Meg : 299.

6b : 267. 1 7b : 1 02.

Hag5b : 277. 12b-13a : 285. 1 5b : 1 32.

Nashîm Yeb : 140 Ned32a : 1 03 Ned9,4 du T.J. : 85, 88, 278. Sot : 1 90.

1 7a : 250, 297. 22b : 128. 27b : 284.

Qid : 85, 86. 39b : 93.

Néziqin B.Q.92a : 104.

92b : 227.

323

B.B. 1 5a : 70. 1 7a : 1 0 1 . 58a : 67. 1 14a : 1 97. 122a : 229.

Sanh37a : 63. 38a : 58. 38b : 65, 100.

Page 299: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

56a : 59, 238, 302. 70b : 1 69, 244. 90a : 1 0 1 , 139. 90b : 138, 140, 28 1 . 9 1 a : 140, 1 94. 9 1b : 52, 1 1 8, 1 94. 92a : 52. 97 : 228. 98b : 28 1 . 99a : 1 0 1 . 1 02a : 53. 1 07b : 1 0 1 . 1 1 1 a-b : 1 15 .

Sanh1,5 du T.J. : 58 . Mak24b : 220. A.Z. : 95.

3b : 234.

P.A. : 1 84, 1 87, 303. 1 , 1 : 1 25, 303. 1 , 1 -2 : 267. 1 , 1 2 : 1 29. 1 , 1 3 : 1 29. 1 , 14 : 235. 1 , 1 7 : 143. 2,4 : 1 33, 1 89, 234. 2,5 : 1 25 .

2, 1 3 : 282. 3,9 : 143. 3 , 1 7 : 143, 238, 248. 4,5 : 207. 4, 1 6- 1 7 : 235. 4,20 : 1 30. 5,22 : 263. 6, 1 : 280. 6,2 : 1 85, 1 92, 293.

Qodashîm Hou142a : 28 1 . Tam28a : 280.

Taharot Nid : 302.

1 7a : 86. 30b : 33, 247, 248. 3 1 a-b : 250, 25 1 . 45b : 65. 73a : 1 0 1 .

Yad4 : 28 1 .

Avot Rabbi Natan : 303. A 5 : 280. A 1 6 : 278. A 24-28 : 1 30. B 8 : 2 1 5. B 27 : 1 29, 1 60.

Page 300: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

Table

Préface du père Jean Dujardin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1

Préface d 'Armand Abécassis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 7

Ouvrez-Moi une ouverture comme la pointe aiguë d'une aiguille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1

Première partie. La Torah et les heures du jour .. . . . . . . . . . . 39

Bénédiction du matin .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 1 Béatitudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Jésus et les jours de Noé.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Voici 1 'homme ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Des larmes de sang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

Deuxième partie. L'identité juive .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Qui roulera la pierre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! . . . . . . . . . . . . . . 83 Quel est le premier commandement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Dis seulement une parole et je serai guéri ! . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Pas un yod ne s'en ira de la Torah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 10

325

Page 301: Un_Juif_nommé_Jésus_Vidal

UN JUIF NOMMÉ JÉSUS

Troisième partie. Le Juif Jésus depuis Nazareth . . . . . . . . . . . . 1 2 1

Jésus pharisien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 La Torah et l 'accomplissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Nazareth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Ab ba, Père, que Ton Nom soit sanctifié ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 55 Incarnation - Evangélisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 70

Quatrième partie. L'éthique juive .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 8 1

Que le premier, il jette une pierre sur elle ! . . . . . . . . . . . . . . . . 1 83 Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? . 1 93 Passons de l 'autre côté ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Ecoute Israël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Pas de pierre pour reposer la tête .. .. .. .. . .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. .. 2 1 6

Cinquième partie. La Torah et les étapes de la vie . . . . . . . . 223

Le jeune Bar Mitswah Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 Douze heures dans le jour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 1 Jésus et les repas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Né d'une femme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Le figuier sans fruit.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253

Seigneur, ouvre mes lèvres ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 1 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1 1 Index des auteurs cités .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 13 Index des références. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 15

Le Tanakh et les Évangiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 1 5 Les Midrashim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322 Le Talmud de Babylone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323

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DANS LA MÊME COLLECTION

« Paroles vives »

Le Jardinier, Roger BICHELBERGER. Jésus, .fils de 1 'homme, Khalil GiBRAN. Paroles du Passant, Jean SuuvAN. De miel et de .fiel, Alain CHAPELLIER. Cof!fiteor, Bernard BESRET. Le Moine et le Poète, Emmanuel MuHEIM. La Contagion de Dieu, Jacques PAUGAUM. L 'Egypte intérieure ou les dix plaies de 1 'âme, Annick de SouzENELLE. Une vérité singulière, Yves PRJGENT. La Conversion du regard, Michel BARAT. L 'Unité maintenant, Roger BICHELBERGER. Fidèle rebelle, Jean CARDONNEL. La Terre en devenir, Leonardo BoFF. A 1 'écoute du cœur, cardinal MARTINI. Le Christ cosmique, Matthew Fox. Eloge du simple, le moine comme archétype universel, Raimon PANIKKAR. Les Dimensions de 1 'amour, Henri BouLAD. Dieu et la révolution du dialogue, Jean MouTTAPA.

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La composition de cet ouvrage a été réalisée par Nord Compo, l'impression et le brochage ont été effectués sur presse Cameron par Bussière Camedan Imprimeries, à Saint-Amand-Montrond (Cher), pour le compte des Éditions Albin Michel.

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Achevé d'imprimer en juillet 1997. N" d'édition : 16969. N" d'impression : 4!759. Dépôt légal : août 1997.

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MARIE VIDAL

Un juif nommé jésus Cinquante ans après la Shoah, trente après le

concile Vatican II , un nombre croissant de chrétiens se met à lire le Nouveau Testament à la lumière de la culture juive qui l'a vu naître. Une telle approche est propre à bouleverser tous les lieux communs sur les relations de Jésus au judaïsme, qui ont fait le lit de l 'antisémitisme depuis deux millénaires. En effet, malgré de nombreuses études sur les sources historiques et scripturaires du premier christianisme, aucun auteur n 'avait osé, jusqu ' à présent, réintégrer systématiquement l'Évangile dans la logique qui est pourtant la sienne : celle de la Torah orale.

Marie Vidal, bibliste catholique, propose la première lecture " talmudique " des paroles de Jésus, et met en évidence leur totale adéquation avec la grande tradition orale du judaïsme. Toute la perspective de la prédication évangélique s'en trouv e , d ' u n c o up , é c l airée d ' u n e nouvelle lumière. La prétendue opposition entre Jésus et les Pharisiens fait place à une dialectique subtile de p orté e hautement spiritue ll e , et chaque sentence du Maître juif renvoie à celles de ses prédécesseurs.

Avec autant d ' intériorité que d 'érudition, Marie Vidal nous livre une contribution capitale au dialogue j udéo-chrétien de même qu'elle invite ses coreligionnaires à reconsidérer en profondeur leur propre identité.

1 I l 9 7 8 2 2 2 6 08788 1

ISBN 2·226·08788-5

1 20,00 F iTC