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1 UNIVERSITE MONTPELLIER I FACULTE DE DROIT Année 2008/2009 MEMOIRE DE MASTER II DROIT DU MARCHE présenté et soutenu par Marie MASSE LA LOI DE MODERNISATION DE L’ECONOMIE ET LE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS Directeur de Recherche : Mr Frédéric NADAUD

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UNIVERSITE MONTPELLIER I FACULTE DE DROIT

Année 2008/2009

MEMOIRE DE MASTER II DROIT DU MARCHE

présenté et soutenu

par Marie MASSE

LA LOI DE MODERNISATION DE L’ECONOMIE ET

LE CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS Directeur de Recherche : Mr Frédéric NADAUD

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« La politique n’agit sur l’économie que si elle ne prétend pas le faire. » Jacques ATTALI

Les trois mondes (pour une théorie de l’après crise).

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TABLE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

Art. Article B.O.C.C.R.F. Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes C. com. Code de commerce Cons. conc. Conseil de la concurrence C.E. Conseil d’Etat C.J.C.E Cour de justice des communautés européennes Chron. Chronique D. Dalloz D.affaires Dalloz affaires DGCCRF Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes Infra plus loin JCP Juris-Classeur périodique J.O. Journal Officiel L.G.D.J Librairie générale de droit et de jurisprudence n° numéro p. page pt. point PUF Presses universitaires de France Rec. Receuil Rev. Conc. Consom. Revue de la concurrence et de la consommation RJDA Revue de Jurisprudence de droit des affaires RTD. com. Revue trimestrielle de droit commercial s. suivant Supra plus haut

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SOMMAIRE

-Première Partie- D’UNE COMPETENCE RESIDUELLE A UNE COMPETENCE PRINCIPALE DE

L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE

Titre 1- UNE REPARTITION DE COMPETENCE CONFORME AU MODELE COMMUNAUTAIRE

Chapitre1 : Un modèle communautaire expérimenté par les contrôles nationaux de l’Union européenne Chapitre 2 : Un modèle communautaire à expérimenter par le contrôle français Titre 2- UNE INTERVENTION DU LEGISLATEUR CONFORME AUX BESOINS DE LA

VIE DES AFFAIRES

Chapitre 1 : Une réponse aux impératifs économiques par un renforcement de la transparence du contrôle Chapitre 2 : Une réponse aux impératifs économiques par un renforcement de l’efficacité du contrôle

-Seconde Partie- D’UNE COMPETENCE PRINCIPALE A UNE COMPETENCE RESIDUELLE DU

MINISTRE DE L’ECONOMIE Titre 1- L’APPRECIATION DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE

Chapitre 1 : L’interprétation de la compétence du ministre de l’Economie Chapitre 2 : L’appréciation de l’utilité du « bilan global » opéré par le ministre de l’Economie

Titre 2- LIMITES DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE

Chapitre 1 : Les gardes fous de la compétence du ministre de l’Economie Chapitre 2 : Les risques liés à la compétence du ministre de l’Economie

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INTRODUCTION Depuis plusieurs décennies, la mondialisation encourage le gigantisme d'entreprises. Face à la libéralisation des échanges et à l'accroissement de la concurrence mondiale, les entreprises recourent à la concentration afin de réduire les risques et de trouver des moyens de résister aux pressions du marché. Dans le même temps, les vertus du marché sont de plus en plus contestées et ses insuffisances dénoncées. C’est pourquoi, les instruments de protection de la concurrence ne cessent de se perfectionner. Cette tendance visant à réguler les effets d’une concentration excessive est se traduit particulièrement au regard des règles du droit de la concurrence. L’Union européenne a d’ailleurs clairement fixé ses objectifs, afin d’«établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur »1, et surveille de prêt le développement des cartels, considérés comme les plus néfastes. Sous son influence et dans le but de renforcer l’efficacité de leur politique en matière de concurrence, les Etats européens, ont notamment la France, se sont dotés de dispositifs perfectionnés. 1 Art. 3, 1§, g) du Traité instituant la Communauté européenne.

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C’est dans ce contexte, que le contrôle des concentrations français n’a cessé de croître et de s’enrichir depuis l’introduction de ce type de régulation en 1977, s’alimentant non seulement de la pratique décisionnelle mais aussi de la jurisprudence. La loi relative aux Nouvelles Régulation Economiques du 15 mai 2001, en abaissant les seuils de déclenchement du contrôle, et en rendant la notification des opérations obligatoires, a donné un nouvel essor au contrôle des concentrations, qui s’est poursuivi au travers de la loi de modernisation de l’Economie. Dès lors, le contrôle des concentrations a acquis une place de plus en plus importante dans le droit de la concurrence et dans la vie des entreprises. Le contrôle des concentrations fait parti, avec le droit des pratiques anticoncurrentielles, de la matière « antitrust » qui constitue accompagné du droit de la concurrence déloyale l’ensemble du droit de la concurrence en France. Le droit des pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des concentrations poursuivent le même but et partage la même caractéristique qui est la condamnation des pratiques anticoncurrentielles affectant le fonctionnement de la concurrence sur le marché, et ce en l’absence de toute plainte effectuée par un tiers ou un concurrent. Néanmoins, ces deux branches du droit de la concurrence ne reçoivent pas le même traitement car l’un concerne les structures, et l’autre concerne les comportements. Le droit des pratiques anticoncurrentielles sanctionne deux catégories de pratiques, les ententes et les abus de position dominante, dont l’interdiction constitue « la pierre angulaire de tout droit « antitrust » »2. Or, si l’abus de position dominante relève du droit des pratiques anticoncurrentielles, la création d’une position dominante peut être, quant à elle, permise par le contrôle des concentrations. Ainsi, la distinction entre la surveillance des structures et celles des comportements occulte certains aspects de la réalité économique et doit être nuancée. Cette divergence de traitement se retrouvait, auparavant, dans l’existence d’autorités distinctes pour traiter des concentrations, d’une part, et des pratiques anticoncurrentielles, d’autre part. En conséquence, se posait la question de la cohérence de la politique de concurrence française. Notons que le Conseil de la concurrence chargé du traitement des 2 Le contrôle français des concentrations, 2eme édition, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, LGDJ, 2003.

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pratiques anticoncurrentielles, et l’Administration du ministère de l’Economie (la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation, et de la Répression des Fraudes3) étaient tant rivales que complémentaires. Bien que la loi relative aux Nouvelles Régulation Economiques ait reconnu l’importance du rôle joué par le Conseil de la concurrence, en renforçant ses moyens, le ministre de l’Economie responsable de la politique de concurrence ne semblait pas disposé à partager l’initiative du contrôle des concentrations avec le Conseil. Ce partage de compétence était donc peu propice à l’établissement d’une politique de concurrence solide et unifiée. C’est ainsi que la loi de modernisation de l'Economie du 4 août 20084 donne une physionomie nouvelle au contrôle des concentrations, dont le rôle principal est, désormais, attribué à l'Autorité de la concurrence, descendant du Conseil de la concurrence. Il s'agit alors d'apprécier, par une analyse prospective, si le transfert de compétence qu'elle annonce aboutira réellement à la fin du système dualiste désuet, au travers duquel se manifeste, l'« exception française », en matière de contrôle des concentrations. Autrement dit, la modification institutionnelle5 de grande ampleur, issue de la loi de modernisation de l’Economie, correspondra-t-elle à un changement profond du système de contrôle des concentrations? Et constituera-t-elle un outil efficace de régulation et de politique de concurrence ? Il est important de préciser le caractère prospectif de l'analyse qui va suivre. Dans la mesure où l'Autorité de la concurrence vient tout juste d'être créée, l'appréciation de la réforme repose sur une projection dans le futur et nécessite donc un souci d'objectivité. En effet, l'Autorité de la concurrence n'a pas encore adopté ses propres lignes directrices relatives au contrôle des concentrations6 et les décisions concernant des opérations de prise de contrôle qu'elle a rendue ne concernent que des autorisations. Seule une de ses décisions d’autorisation est conditionnée par la mise en œuvre d’engagements par les entreprises en cause7. La présente 3 DGCCRF 4 La loi de Modernisation de l’Economie n° 2008-776, adoptée le 4 août 2008 et publiée au JO le 5 août 2008, annexe 1. 5 Pour plus de renseignements concernant les modifications institutionnelles apportées par la LME, voir La nouvelle Autorité de la concurrence, David Bosco, Les revues jurisclasseur, Contrats, concurrence, consommation, n°11-novembre 2008. 6 Lignes directrice de la DGCCRF du 30 avril 2007 relatives au contrôle des concentrations, annexe 2. 7 Décision n° 09-DCC-016 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire, autorisation sous réserve de la mise en œuvre d’engagements.

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étude ne pouvant pas s’appuyer sur la base d'interprétations d'éléments de fait ou de décisions rendues, nous tâcherons de préconiser les apports de la loi de Modernisation de l’Economie en matière de contrôle des concentrations, par rapport aux attentes qu'elle suscite. Le transfert de compétence opéré par la loi de modernisation de l’Economie s'inspire du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française dont la proposition n°187 a pour objet « d'attribuer à la seule Autorité de la concurrence le contrôle concurrentiel des opérations de concentrations »8. Mais, aux regrets de certains, le transfert de compétence est double. En effet, la proposition du Rapport n'est suivie que partiellement, puisque la LME instaure au profit du ministre de l'Economie un droit d'évocation lui permettant de contrôler les opérations de concentrations au terme d'un « bilan global »9, intégrant des motifs d'intérêt général. Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'exactitude des termes « transfert de compétence » qualifiant la modification issue de la loi de modernisation de l’Economie en matière de contrôle des concentrations, car la répartition des compétence entre d'une part, le ministre de l'Economie et la DGCCRF, et d'autre part, le Conseil de la concurrence, sous le régime de l'ancienne loi, était, pour le moins, confuse. Il semble donc plus approprié de parler d'une clarification du partage des compétences entre le Gouvernement et l'Autorité de la concurrence dans la procédure de contrôle des concentrations apportée par la réforme. Nous nous appliquerons, ici, à une analyse au fond de l’articulation nouvelle, modifiée par la loi de modernisation de l’Economie, des compétences respectivement attribuées, d’une part à l’Autorité de la concurrence, et d’autre part au ministre chargé de l’Economie. Pour cela, il nous faudra, tout d’abord, observer avec attention les instruments, au cœur du contrôle des concentrations, que constituent le bilan concurrentiel et le bilan économique et social issu de l’ancien régime. Dès lors, nous pourrons aborder, dans un premier temps, la question de la compétence exclusive en matière de bilan concurrentiel confiée à l'Autorité de la concurrence (Partie 1). Dans un second temps, nous étudierons la compétence résiduelle attribuée au ministre de l’Economie que nous qualifierons par l’établissement d’un « bilan global » de l’opération de concentration (Partie 2). 8 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, présidé par Monsieur Jacques Attali Editions la documentation française, 2008. 9 Infra, Partie 2, Titre 1, Section 2, § 2.

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PREMIERE PARTIE

D’UNE COMPETENCE RESIDUELLE A

UNE COMPETENCE PRINCIPALE DE

L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE

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A propos du bilan concurrentiel La notion de bilan concurrentiel est absente du Titre V de l’Ordonnance du 1er décembre 1986. Au terme de l'article 41 de l'Ordonnance, le Conseil de la concurrence était tenu d'apprécier: « si le projet de concentration ou la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». Selon Jean-Bernard Blaise, la pratique du Conseil de la concurrence a évolué de la façon suivante: « Le Conseil s'est écarté assez sensiblement du schéma tracé par l’Ordonnance de 1986. Il s'est montré de plus en plus réservé dans l'appréciation de l'aspect positif du bilan, c'est à dire dans l'appréciation du progrès économique résultant de la concentration. En revanche, il a fait porter tout son effort sur l'analyse de l'atteinte à la concurrence. Selon la terminologie usuelle en cette matière, il a eu tendance à substituer au bilan économique, un bilan concurrentiel »10. Cette évolution a été marqué par le Septième Rapport d'activité pour l'année 1993 du Conseil de la concurrence dont l'un des titres est intitulé « le bilan concurrentiel ». Dés lors, les opérations de concurrence font l'objet d'un bilan concurrentiel, qui est prépondérant pour le Conseil de la concurrence. L' article L. 430-6, alinéa premier, issu de la loi de Modernisation de l’Economie, dispose que: « Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». Il ressort de ces dispositions législatives que le bilan concurrentiel est réalisé dans le but d'apprécier si l'opération de concentration examinée est susceptible d'avoir des conséquences négatives sur le fonctionnement du marché. En d'autres termes, il revient, au travers d'un examen approfondi, à effectuer une balance entre les effets pro-concurrentiels et les effets anticoncurrentiels engendrés par l'opération de concentration. 10 J-B. Blaise, Les avis du Conseil de la concurrence en matière de concentrations d’entreprises, in Hommage à René Roblot ; le contrôle des concentrations d’entreprises, LGDJ (1995), p. 39.

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La loi de modernisation de l’Economie n’a pas modifié le contenu du contrôle, l’analyse concurrentielle suit la même méthode que sous l’ancien régime. Concernant le bilan concurrentiel, on peut donc se référer au Lignes directrices relative à l’analyse des concentrations de la DGCCRF 11qui analysait les différents aspects de l’opération, en fournissant un inventaire des étapes de la première phase du contrôle: « a) caractérisation et contrôlabilité de la concentration ; b) examen rapide de l’ensemble des activités des entités concernées ; c) définition des marché pertinents ; d) estimation du poids des parties et de leur concurrents, réels ou potentiels ; e) étude du fonctionnement des marchés ou des secteurs concernés avant l’opération f) évaluation des effets directs de l’opération en termes de concurrence ; g) prise en compte des réactions prévisibles des autres auteurs à la concentration ; h) réalisation du bilan concurrentiel, et examen des éléments de nature à contrebalancer un bilan concurrentiel éventuellement négatif : engagements proposés par les parties et/ou gains d’efficacités prouvés par les parties. Lorsque les conditions sont réunies, prise en compte des éléments de « l’exception de l’entreprise défaillante » ; i) décision d’autorisation du ministre si l’opération ne porte pas atteinte à la concurrence, ou saisine du Conseil de la concurrence pour avis ; »

A ce stade, l’Administration ne s’intéressait pas au bilan économique de l’opération ; celui-ci étant effectué non au cours de cette phase, mais au cours de la seconde phase, devant le Conseil de la concurrence. Nous tenons à préciser, ici, le caractère micro-économique de l’analyse concurrentielle. Car, si cette dernière s’appuie dans tous les cas sur des éléments de nature économique, par exemple lors de la prise en compte des gains d’efficacités allégués par les parties, son but reste l’appréciation stricte de l’atteinte à la concurrence sur un ou plusieurs marchés déterminés. Ainsi, même si la compétence de cette analyse concurrentielle a été transféré, dans la logique des choses, à l’Autorité de la concurrence, la méthode du bilan concurrentiel reste la même et consiste en la recherche des effets, négatifs, neutres ou positifs, que l’opération est susceptible d’emporter sur le marché. 11 Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF, « Présentation générale du contrôle », p. 1.

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On distingue généralement deux grands types de « tests » d’évaluation de l’impact d’une concentration sur la concurrence : la création ou le renforcement de position dominante, simple ou collective, appliqué par la Commission européenne dans le cadre du règlement n°4064/89 CE, d’une part, et, d’autre part, le test de réduction substantielle de concurrence, appliqué par la Commission européenne depuis l’entrée en vigueur du règlement n°139/2004 CE. Le test français relève de cette seconde catégorie. Le contrôle des concentrations, s’effectue donc dans le cadre du test d’atteinte à la concurrence, appréhende ainsi différents types d’effets sur la concurrence résultant soit de concentrations horizontales, soit de concentrations conglomérales. Les effets négatifs de la concentration seront pris en compte dans la mesure, toutefois, où le chiffre d’affaires des entreprises parties à l’opération est significatif12. En effet, lorsque ce chiffre est faible, et notamment lorsque l’entreprise résultant de la concentration n’est pas en position dominante sur un quelconque marché, l’opération ne peut « créer un effet de levier susceptible de conduire à des effets à même de porter atteinte à la concurrence »13. Les effets négatifs de la concentration peuvent être compensés par des facteurs favorables à la concurrence14, de nature à rééquilibrer le bilan concurrentiel : puissance de la demande, ou la possibilité d’entrée de nouveaux opérateurs au travers de l’analyse des barrières à l’entrée. On ne peut donc pas apprécier une opération de concentration sans avoir, au préalable, recueilli toutes les informations économiques caractérisant le ou les marchés pertinents. En effet, l'analyse dynamique du marché, tâche de l'économiste précède, ici, celle du juriste. Lorsqu'elle articule ses décisions concernant des opérations de concentration, l'Autorité de la concurrence procède de la façon suivante: dans une première et seconde partie, elle identifie les entreprises concernées ainsi que l'opération en question, et délimite les marchés pertinents, puis dans une troisième partie, elle procède à l'analyse concurrentielle15. 12 Art. L. 430-2 C. com. 13 Lettre du ministre du 11 septembre 2002, FCPR Industrie et Finance, Choky, secteur de la distribution de boissons sans alcool, BOCC 31 mars 2003, p. 203. 14Pt. 311 des Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF 15 Méthode d’analyse de toutes les décisions rendues à ce jour par l’Autorité de la concurrence.

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Non pas, entrer dans une explication détaillée du bilan concurrentiel en lui-même, il s'agit, ici, de noter l'intérêt d'en attribuer la compétence à la nouvelle Autorité de la concurrence, en comparaison avec les imperfections de l'ancien système. Nous tenterons donc de mettre en évidence les caractéristiques du bilan concurrentiel qui le rendent particulièrement propice à l'exercice de l'Autorité administrative indépendante. A cette fin, nous verrons, que cette nouvelle répartition des rôles répond tant aux exigences communautaires (Titre 1), qu'aux besoins de la vie des affaires (Titre 2). Il sera donc question des avantages conférés aux opérateurs économiques par le transfert de compétence issu de la réforme, en termes de transparence et de sécurité juridique.

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-Titre 1-

UNE REPARTITION DE COMPETENCE CONFORME AU MODELE COMMUNAUTAIRE

« Une opération de concentration engage l'avenir, souvent de façon irréversible »16 en raison des lourdes conséquences, tant en terme économiques que juridiques. La Commission européenne en a bien conscience et s'efforce d'adapter la mise en œuvre de son système de contrôle des concentrations à cette contrainte inhérente aux opérations de concentrations et au cœur de la vie des affaires. Grâce à la construction européenne, la France a considérablement avancé en transparence et en efficacité dans son application du droit de la concurrence. Après un bref constat de la prédominance des autorités uniques de contrôle, nous nous appliquerons, ici, à relever les influences que le droit communautaire a eut sur notre système de contrôle des concentrations au travers des deux réformes successives de 200117 et de 200818. Ensuite, nous tenterons de comprendre en quoi la réforme permet de renforcer la politique communautaire de concurrence. 16 Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, PUF Droit 2002, collection Thémis Droit privé. 17 Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques 18 La loi de Modernisation de l’Economie n° 2008-776, adoptée le 4 août 2008 et publiée au JO le 5 août 2008.

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CHAPITRE 1 : UN MODELE COMMUNAUTAIRE EXPERIMENTE PAR LES CONTRÔLES NATIONAUX DE L’UNION EUROPEENNE La plupart des pays disposant d’une réglementation en matière de contrôle des concentrations en ont confié l’application à une seule autorité. Les systèmes américains et anglais constituent des exceptions. Toutefois, ces deux derniers systèmes comportant de nombreuses spécificités et ne sont, donc, pas comparable au système français. L’examen des concentrations par une autorité unique présente des avantages évidents et non négligeables. En particulier, l’unicité supprime les problèmes liés à la transmission des dossiers et permet d’éviter qu’une enquête soit réalisée successivement par deux équipes de fonctionnaires différentes. De plus, les entreprises se trouvent, désormais, face à un interlocuteur unique avec lequel il est plus facile de négocier des engagements. Convaincus par les bienfaits d’une telle structure institutionnelle, une majorité d’Etats dans le monde et en Europe ont confié le contrôle des concentrations à une seule autorité. Citons l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, ou la Suède. Par ailleurs, certains Etats qui disposaient d’un système similaire au système français antérieur à la réforme, ont pris conscience des faiblesses inhérentes à la dualité et se sont finalement convertis au modèle d’une autorité unique ou sont en voie de le faire. Par exemple, le Portugal, en 2003, a abandonné un régime de contrôle partagé entre le Consulto da concorrência et les services du ministre de l’Economie pour mettre en place une unique Autoridade da Concorrência, ou encore l’Espagne, dont le régime du contrôle des concentrations a été réformé en 2007. Il semble, donc, que la LME, ne revêt pas véritablement un caractère moderne. Le législateur n’a fait que se conformer aux exigences communautaires, contraint d’abandonner, en matière de contrôle des concentrations, l’« exception française » laissant le contrôle des concentrations aux mains du ministre de l’Economie. Pour ce faire, il a institué, à l’image de ses voisins européens, une autorité administrative indépendante unique. La réforme est cependant d’ampleur car elle ose s’attaquer aux institutions françaises, et permet enfin à la

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France de s’intégrer, en toute légitimité, au Réseau Européen de Concurrence institué par le règlement communautaire n° 1/200319 qui regroupe les autorités de concurrence des 27 Etats membres de l'Union européenne ainsi que la Commission européenne. En effet, auparavant, la structure institutionnelle chargée de réguler la concurrence étant partagée entre le ministre de l’Economie et le Conseil de la concurrence, était un prétexte à collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique et ne correspondait absolument pas exigences communautaires. La place de la France au sein du Réseau Européen de Concurrence était donc, pour certains, contestable. 19Règlement communautaire n° 1/2003 du Conseil européen du 16 décembre 2002.

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CHAPITRE 2 : UN MODELE COMMUNAUTAIRE A EXPERIMENTER PAR LE CONTRÔLE FRANÇAIS

Nous appliquerons, ici, à mettre en évidence l’influence du droit de la concurrence communautaire, en matière de contrôle des concentrations, au travers de deux réformes successives : la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques et la loi de modernisation de l’Economie, qui dans le même sens, ont permis à la France d’acquérir un système de contrôle des concentrations plus efficace. En 2001, le système français du contrôle des concentrations apparaissait de plus en plus isolé au plan européen, une majorité d’Etats membres ayant réalisé des réformes profondes avec des caractéristiques communes : l’adoption de régimes obligatoires, la suppression des seuils exprimés en part de marchés, le renforcement de l’indépendance politique des autorités de contrôle, et le recentrage sur test purement économique Sur tous ces points, la France était, à l’époque, en retrait. La notification demeurait facultative, avec un seuil en part de marchés porteur d’insécurité juridique, et le pouvoir décisionnel appartenait au ministre de l’Economie et à sa direction spécialisée, la DGCCRF, le Conseil de la concurrence ne délivrant qu’un avis non contraignant. Les Etats membres n’ont certes aucune obligation formelle d’alignement de leur droit national des concentrations sur le modèle communautaire, mais la convergence des régimes apparaît de plus en plus importante tant sur le plan international, qu’à l’échelle européenne. En effet, la coopération, indispensable dans les cas de notifications multiples est d’autant plus difficile à organiser que les régimes divergent. Il est fréquent que des concentrations produisant un impact dans plusieurs Etats membres échappent à la compétence communautaire, et soient traitées conjointement par plusieurs autorités nationales.

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Section 1- Un alignement engagé par la NRE La Loi sur les Nouvelles Régulations Economiques n° 2001-420 du 15 mai 2001 et son décret d’application n° 2002-689 du 30 avril 2002 ont substantiellement réformé le régime du contrôle des concentrations. Ce nouveau régime satisfait à de nombreux égards à l’impératif de convergence des régimes de contrôle nationaux. Les éléments de convergence sont nombreux et résident notamment dans le ralliement au système de notification obligatoire a priori, les conditions d’application du contrôle, le renforcement de la transparence et le calendrier de la procédure. L’obligation de notification a priori est globalement positive autant pour les entreprises, en termes de sécurité juridique, que pour les institutions de contrôle, en termes de régulation préventive du marché. Concernant les conditions d’application du contrôle, le législateur français s’est livré à une véritable transposition du droit communautaire. La définition de la concentration est identique à celle du Règlement communautaire n° 4064/89, et les seuils de contrôlabilité sont également d’inspiration communautaire. L’inconvénient des seuils calculés en part de marchés résidait dans le fait que son application supposait de délimiter avec suffisamment de certitude le marché de produits, et géographique pertinent. Or, il était rare que cette vérification puisse être réalisée avec un degré de confiance suffisant. L’adoption de seuils exclusivement exprimés en chiffre d’affaires est de ce point de vue une réelle avancée. Avant 2001, le système présentait l’inconvénient majeur d’être particulièrement opaque pour les tiers. Le dépôt d’une notification ne faisait l’objet d’aucune publication officielle permettant aux tiers de se manifester. Désormais, « la publication de toutes les décisions, y compris les sanctions, ce qui là encore renforce la transparence et la visibilité du contrôle »20. Un communiqué est, dorénavant, rendu public dans les cinq jours ouvrables suivant la réception de toute notification, ainsi que suivant toute décision de l’Autorité de la concurrence21. Enfin, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques a raccourci sensiblement le calendrier de la procédure, ce qui est essentiel en matière de concentrations économiques. 20 Exposé des motifs du projet de loi NRE. 21 Art. L. 430-3 du C. com.

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Toutefois, l’exception française s’est maintenue, en ce que : les seuils de contrôle restaient extrêmement bas, ce qui donnait à l’Administration un droit de regard sur quasiment toute les transactions significatives entre entreprises, et le contrôle demeurait entre les mains de l’autorité politique qui poursuivait d’autres finalités que le maintien d’une concurrence effective en imposant de prendre en compte des critères qui relevaient plus de la politique industrielle et sociale que du droit de la concurrence. C’est sur ce dernier point, que la loi de modernisation de l’Economie a considérablement fait progresser le système de contrôle des concentrations français. En effet, le transfert du contrôle qu’elle a opéré au profit de l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, qui succède à l’ancien Conseil de la concurrence, spécialisée dans l’application du droit de la concurrence, est un élément fondamental du régime du contrôle des concentrations. Section 2- Un alignement poursuivi par la LME La loi de Modernisation de l’Economie n° 2008-776 adoptée le 4 août 2008 réalise un pas de plus en faveur d’une unique autorité de concurrence indépendante, un pas seulement, car le ministre de l’Economie continuera à disposer de prérogatives significative en matière de concurrence. L’autorité de concurrence change de nom et l’article L. 461-1 du Code de commerce énonce qu’elle constitue, désormais, une autorité administrative indépendante qui veille au libre jeu de la concurrence et apporte son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés. Nul doute que le Conseil de la concurrence constituait déjà une autorité administrative indépendante, mais doté de pouvoirs, pour le moins qu’on puisse dire, en matière de contrôle des concentrations, extrêmement réduits. C’est donc à l’Autorité de la concurrence qu’il reviendra dorénavant d’exercer les compétences initialement dévolues au ministre de l’Economie. Plus précisément, le soin de faire le bilan concurrentiel de l’opération est confié, d’une manière exclusive. Aux termes de l’article L. 430-4 du Code de commerce « la réalisation effective d’une opération de concentration ne peut intervenir qu’après l’accord de l’Autorité de la concurrence », sous

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réserve de l’intervention du ministre prévu par l’article L. 430-7-1 du Code de commerce. Ainsi, le principe est un contrôle concurrentiel des concentrations effectué par l’Autorité de la concurrence, et l’exception est un bilan global de l’opération exécuté par le ministre de l’Economie et justifié par des motifs d’intérêt général. Cela dit, l’Autorité de la concurrence prend la place autrefois réservée au ministre uniquement au regard du bilan concurrentiel de l’opération de concentration. En effet, la nouvelle loi lui a retiré les pouvoirs permettant initialement au Conseil de la concurrence de prendre en considération des facteurs non économiques dans l’appréciation des atteintes à la concurrence. On constate donc que la réforme de 2008, dans le sens du droit communautaire, modifie la nature, auparavant politique, du contrôle des concentrations français, qui devient un contrôle purement concurrentiel. Le contrôle s’appuie, en principe, non plus, sur des critères relevant de la politique économique et sociale, mais uniquement sur des critères de droit de la concurrence, tant durant le premier examen (phase 1) que l’examen approfondi (phase 2). Ainsi, le dualisme, mis en place par l’Ordonnance du 1er décembre 1986, qui attribuait le contrôle des pratiques anticoncurrentielles au Conseil de la concurrence et celui des concentrations au ministre de l’Economie prend fin, avec toutefois, une intervention des services du ministre dans les enquêtes et perquisitions en matière de pratiques anticoncurrentielles et une éventuelle consultation de l’Autorité de la concurrence en matière de concentrations. L’Autorité de la concurrence est chargée, désormais, d’assurer les deux volets qui composent le droit de la concurrence dans son ensemble : le contrôle des comportements et le contrôle des structures évoluant sur le marché, c'est-à-dire, respectivement, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles ainsi que le contrôle des concentrations. Dés lors, l’unicité de l’application du droit de la concurrence voit le jour en France. L’Autorité de la concurrence est donc investie d’une mission générale de contrôle de la concurrence. Son intervention se situe non seulement dans la mise en œuvre du droit de la concurrence mais également dans la construction d’une politique de la concurrence, largement inspirée par la Commission européenne. Il faut relever un point regrettable de la réforme qui contrevient à l’unicité de l’application du droit de la concurrence. En effet, dans son avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008, le Conseil de la

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concurrence avait regretté que le projet d’Ordonnance soumette à l’Autorité administrative indépendante l’obligation de traiter toutes les affaires dont elle est saisie, et que la DGCCRF continue à exercer au niveau local un contrôle sur les micro-pratiques anticoncurrentielles (micro-PAC). Les micro-PAC désignent les pratiques opérées sur un marché local, avec un chiffre d’affaires par entreprise inférieur à 50 millions d’euros ou à 100 millions d’euros de chiffres d’affaires toutes entreprises confondues. Le ministre dans ce domaine peut proposer aux entreprises une transaction. Cette disposition, codifiée à l’article L.464-9 du Code de commerce, aboutit a conserver le système dualiste antérieur en soulevant de nouvelles questions d’articulation et de cohérence. De surcroit, elle revient à rompre « l’égalité de traitement au détriment des PME, premières visées compte tenu du mécanisme prévu, et priverait les victimes, qu’il s’agisse d’entreprises concurrentes ou de collectivités locales, de l’ensemble des garanties procédurales offertes par le Conseil »22. Par ailleurs, selon Christine Vilmart, avocat à la Cour de Paris, « la notion de micro-pratiques, fondée sur un seul seuil en chiffres d’affaires, est une aberration sur le plan juridique »23. En effet, en droit communautaire, la taille de l’entreprise et son impact sur le marché n’a aucune incidence sur la qualification de la pratique anticoncurrentielle. Le contrôle des comportements sur le marché repose sur une distinction entre, d’une part, les pratiques particulièrement nocives, interdite en raison de leur objet, comme les cartels, et d’autre part, les pratiques dont l’appréhension dépend d’une analyse des effets fondée sur l’évaluation du pouvoir de marché. Christine Vilmart établit une comparaison qui donne tout son sens à sa remarque : « C’est un comme si en matière de vol l’on prévoyait deux régimes de poursuites en fonction d’un critère fondé sur le montant des biens dérobés ». De ce fait, la réforme permet, désormais, à la France de se positionner légitimement au sein du Réseau Européen de Concurrence. Ce dernier organise une coopération entre les autorités nationales de contrôle qui est indispensable à l’élaboration d’une politique de concurrence et en harmonie avec le droit de la concurrence européen. Ainsi, la politique de concurrence communautaire a considérablement fait progresser le contrôle des concentrations français 22 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence, voir annexe 3 (synthèse). 23 Cahier de droit de l’entreprise n° 4, juillet 2008, entretien 4, Loi de modernisation de l’Economie, entretien avec Laurence Idot, Bruno Lasserre, et Chridtine Vilmart.

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vers un objectif de transparence et d’indépendance dans la régulation des marchés. Pour conclure sur les influences communautaires, on peut dire que le transfert du contrôle concurrentiel de la concentration à l’Autorité de la concurrence, aboutit, sur le principe, à s’aligner sur le standard européen adopté par la majorité des Etats européens, en optant pour une autorité de contrôle des concentrations unique et indépendante. L’unicité de l’application du droit de la concurrence née de la réforme rend le régime de contrôle français des structures sur le marché plus simple, et surtout, permet la diffusion d’une véritable politique de concurrence solide et unifiée, et non plus détournée au profit d’intérêts économiques et stratégiques. Les influences communautaires relatives étant identifiées, il s’agit maintenant de comprendre en quoi le transfert du contrôle concurrentiel à l’Autorité de la concurrence représente des avantages non négligeables, car répond aux besoins inhérents au monde des affaires.

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-Titre 2-

UNE INTERVENTION DU LEGISLATEUR CONFORME AUX BESOINS DE LA VIE DES

AFFAIRES L'impératif économique de concurrence n'est pas un absolu pour la simple raison que la concurrence ne se décrète pas. Il semble plutôt que le droit de la concurrence puisse être qualifié de « droit téléologique ». C'est un droit construit en considération de certains effets économiques recherchés afin de préserver une économie de marché libre et propice à une croissance économique saine24. En effet, la concurrence doit être appréhendée comme un moyen de parvenir à une régulation économique équilibrée et non une fin en soi. Si elle existe, c'est, uniquement, parce que les entreprises ont intérêt à s'y livrer ou y sont contrainte, dans un but de satisfaction et de pérennité de l'intérêt général de l'ensemble des entreprises françaises. L'économie de concurrence suppose donc l'instauration d'un environnement juridico-économique stable, nécessaire pour parvenir à une économie libérale saine. L'économie libérale s'est construite sur un ensemble de règles de droit qui font prévaloir la liberté et la responsabilité. Elle est définie par l'article 4 du Traité CE comme « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». En France, traditionnellement, l'expression « économie libérale » est associée à une connotation extrêmement négative. Pierre Rosanvallon, auteur de l'ouvrage intitulé « Le capitalisme utopique, Histoire de l'idée de marché »25 décrit parfaitement toutes les idées fausses et préconçues, qui peuvent être à 24 Politique et pratique du droit de la concurrence en France, Dominique Brault, LGDJ, 2004. 25 Le capitalisme utopique, Histoire de l'idée de marché, Pierre Rosanvallon, Editions du Seuil. La première édition de cet ouvrage a paru sous le titre Le capitalisme utopique, critique de l'idéologie économique, en 1979 dans la collection « Sociologie politique ». Il a été réédité sous le titre Le libéralisme économique, histoire de

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l'origine des confusions dans nos têtes relatives à l'économie libérale. Selon lui, depuis le XIXe siècle « la lutte des classes s'est identifiée au combat entre le capitalisme et le socialisme », et du même coup, « il y a eu continuellement confusion entre le niveau des représentations et celui des pratiques ». Ainsi, la critique de l'économie libérale s'est résumée à une idéologie justificatrice du capitalisme sauvage. D'après Pierre Rosanvallon, l'expression « capitalisme » ou « système capitaliste » a souvent induit en erreur, et n'est, en fait, que: « la résultante de pratiques économiques et sociales concrètes ». Cette définition permet de lever l'idée fausse selon laquelle le capitalisme est assimilé à une idéologie. La classe capitaliste justifie son existence en ayant recours à une idéologie, mais n'a pour unique règle, que celle de son propre intérêt. C'est pourquoi, elle peut être successivement libre-échangiste et protectionniste, pour l'intervention de l'Etat, puis contre. L'idéologie du libéralisme économique régulatrice d'une société de marché est en ce sens totalement étrangère au capitalisme. Les relations qui existent entre le droit et l'économie libérale, sont observées depuis bien longtemps. Sans les principes juridiques fondamentaux tel que le droit de propriété ou la liberté d'entreprendre, l'économie libérale n'aurait jamais vu le jour dans notre société. Mais créer les conditions propices à l'établissement de l'économie libérale ne suffit pas, encore faut-il que l'efficacité économique du jeu de la concurrence soit garantie. « L'économie de marché passe donc par l'élaboration d'un droit du marché, sans lequel elle ne pourrait même pas prétendre au but qui est le sien: l'amélioration du bien-être des citoyens »26. En conséquence, la création d'un droit de l'économie n'est pas tâche facile car elle doit s'adapter aux mécanismes économiques opérant sur le marché, tel que les concentrations d'entreprises. L'entrée progressive de la France dans un système libérale s'est traduite par l'instauration d'un régime économique caractérisé par le dirigisme. Or, si la bureaucratie française, chargée d'administrée l'économie française pendant des décennies, a une responsabilité dans le décalage avec les règles communautaires, les entreprises françaises ont également leur part de responsabilité. Certes, le dirigisme porte atteinte à la liberté de l'entreprise, mais d'un autre l'idée de marché, en 1989 dans la collection « Points politique » avec une préface inédite intitulée « Penser le libéralisme ». La présente édition, revue et corrigée par l'auteur, comporte une nouvelle préface inédite intitulée "Le marché et les trois utopies libérales" et une bibliographie augmentée. 26 Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, 1ère édition: janvier 2002, Thémis, Collection Presses universitaires de France

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côté, il lui permet de décliner sa responsabilité, gage d'une certaine tranquillité. De plus, l'Administration, en se servant de la concurrence comme d'un moyen de politique économique, en a restreint nécessairement les exigences. Toutes les règles qui constituent le droit de l'économie reposent sur le postulat selon lequel l'économie de concurrence, l'économie de marché, permet la meilleure allocation des ressources. Or la soumission de la règle de droit aux impératifs économiques, se traduit parfaitement, au travers du contrôle des concentrations, dont les décisions sont justifiées par le constat d'un effet sur le marché. La difficulté est alors de savoir qui définit les impératifs économiques à sauvegarder, problématique clef du présent mémoire. Il semble en effet que la loi de modernisation de l’Economie permette de répondre à cette question d'une façon plus claire. Jusqu'à présent, la mission de régulation en matière de concentrations économique étant confiée à l'autorité politique, la détermination des impératifs économiques manquait de cohérence en termes de transparence et de sécurité juridique. Il ressort de cette répartition de compétence qui mettait dans les mains du Ministre le contrôle des concentrations, l'occultation d'un certains nombre d'éléments nécessaires aux besoins de la vie des affaires, dans une économie libérale saine. Il s'agit, ici, de mettre en évidence les bienfaits de la réforme, en ce qu'elle donne à l'Autorité de la concurrence une compétence principale relative à l’établissement du bilan concurrentiel, ce qui répond aux mots d'ordre de la protection du marché: transparence (Chapitre 1), et efficacité (Chapitre 2).

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CHAPITRE 1 : UNE REPONSE AUX IMPERATIFS ECONOMIQUES PAR UN RENFORCEMENT DE LA TRANSPARENCE DU CONTRÔLE Le terme « transparence » que nous emploierons, ici, n'est pas propre à une conception juridique. Traditionnellement, il revêt plutôt un sens sociologique ou politique, et son utilisation est inhérente à la dimension politique de l'intérêt de notre sujet. Dans le langage marxiste, la transparence correspond à la qualité de la société ou des faits sociaux devenus opaques à cause de la marchandise, de l'argent, et du capital. L'opacité de la société est un fait socio-économique, autrement dit « l'argent dispose des êtres humains »27. Dans une approche plus politique, la transparence est également un terme flou. On la considère comme une "revendication d'authenticité, de vérité, de réalité", dont le but est de s'opposer aux contraintes, au fétichisme, au mensonge et à la censure. Ce terme est fréquemment utilisé dans les discours politiques pour indiquer qu'il n'y a rien à cacher, et particulièrement dans le domaine financier. Selon la théorie économique, « la clarté des informations sur les données du marché est l'une des conditions essentielles de son bon fonctionnement ». Nous tenons à préciser qu'il semble que la pratique de l'Administration française prenne en considération cet impératif de transparence sur le marché surtout au stade final, c'est à dire au regard des consommateurs, particulièrement en matière de prix et de qualité des produits28. A ce sujet, selon Fabrice Riem, une doctrine importante a mis en évidence le fait: « que les textes sur la transparence servent de fondement à une perpétuation de l'ingérence de l'Administration dans la vie économique ». Depuis l'Ordonnance de 1986, les pouvoirs importants conférés à l'Administration pour exercer un contrôle dans le domaine de la transparence tarifaire « seraient incompatible avec le fonctionnement d'une économie de

27 Lexique des sciences sociales, 7ème édition, Dalloz, 2000, Madeleine Grawitz. 28 Politique et pratique du droit de la concurrence en France, LGDJ, 2004, Dominique Brault.

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marché et méconnaîtraient les forces d'adaptation du marché »29. En effet, la quête d'une plus grande transparence des prix, peut traduire une certaine crainte de la libre concurrence exprimant comme une nostalgie des prix administrés. Dans le cadre de l'étude du nouveau contrôle des concentrations français, nous nous interrogerons, tout d'abord, sur la crédibilité du contrôle des concentrations, avant l'entrée en vigueur de la LME, au regard des règles régissant le processus décisionnel des opérations de concentrations et de la nature de ce contrôle. Une fois la nature politique de l'ancien système de contrôle des concentrations mis en évidence, nous serons en mesure d'expliquer en quoi l'indépendance de la nouvelle Autorité de la concurrence associée à sa compétence exclusive pour établir le bilan concurrentiel de l'opération de concentration permet un contrôle des concentrations transparent, désormais crédible au sein du Réseau Européen de Concurrence et de l'International Competition Network. Section1- L’ancien système : une transparence affectée par la nature politique du contrôle En pratique, le Ministre de l'Economie faisait usage de son pouvoir de décision en ne suivant pas l'avis du Conseil de la Concurrence dans de nombreux cas, qu'il s'agisse d'autoriser une concentration pour laquelle le Conseil recommandait des engagements substantiels voire l'interdiction, ou au contraire d'adopter une position plus stricte que le Conseil. De plus, le Ministre n'avait pas à faire état des motifs conduisant à s'écarter de l'avis du Conseil. Les décisions ministérielles, certes ont tendance à être de plus en plus détaillées, mais leurs motivations n'atteignent pas le niveau de développement des avis du Conseil. Ainsi, le rôle du Conseil de la concurrence était purement consultatif, et ceci, se révélait particulièrement au travers du nombre de plus en plus bas de saisine du Conseil par le

29 La notion de transparence dans le droit de la concurrence, Fabrice Riem, collection Logiques Juridiques, 2002, préface Laurence Boy.

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ministre 30. Ce modèle de décision partagé entre le Conseil de la concurrence et le Ministre de l'Economie, par son manque de lisibilité, semblait mal compris à l'étranger. Le rôle de chacune des deux autorités, et les principes qu'elles appliquaient, étant mal définis, la nature du contrôle des concentrations dans son ensemble était confuse et donc peu crédible vis à vis des pays étrangers. Les interventions du Ministre ont parfois étaient perçues comme susceptibles d'être influencées par des considérations protectionnistes. Les interdictions et contestations d'opération a posteriori ont effectivement dans leur majorité touché des entreprises étrangères31 . Le fait de confier le pouvoir de décision sur les concentrations à une autorité dont la principale mission consiste en la détermination et la mise en œuvre de la politique économique et notamment industrielle du pays, conduit nécessairement à ce type de doutes. Ces derniers étaient d'autant plus justifiés que les critères mêmes du contrôle plaçaient le Ministre dans un conflit d'intérêt direct entre préservation de la concurrence et intérêt économique et social de la nation. De plus, l'approbation tacite du Ministre de l'Economie, prévu par l'ancien par l'article 41 de l'ordonnance de 198632, devait rester un mode de décision peu utilisé. Au départ, et conformément à l'objectif de transparence recherché par l'administration, le Ministre n'a presque pas employé ce mode de décision; on peut citer un seul cas d'approbation tacite en matière de contrôle des concentrations en 1994 dans l'affaire Primistère/ Reynoir/ CAF 33. Or, on constate sur le site internet de la DGCCRF, que cette pratique utilisée par le Ministre est devenue plus fréquente, puisque l'on compte au moins six décisions relatives à des concentrations sous la forme d'approbation tacite depuis l'année 200034. Ainsi, le modèle français antérieur manquait sensiblement de crédibilité vis à vis des pays 30 2 saisines sur 240 notifications en 2003, 3 sur 162 notifications en 2004 et 5 sur 119 notifications en 2005; Vingtième anniversaire de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot. 31 Arrêté du 4 juillet 2001 et Avis 01-A-10 du 12 juin 2001, secteur des services d’information de vol (Boeing/Jeppesen), BOCC du 23 octobre 2001, p. 887 ; Affaire Coca-Cola/Orangina II, Avis 99-A-14 du 28 septembre 1999, BOCC du 30 décembre 2000. 32 Anciens articles L. 430-5-IV du C. Com, en fin de phase 1, et L. 430-7-V du C. Com, en fin de phase 2 33 Dont l’Avis du Conseil de la concurrence n’a pas été publié. 34 Approbations tacites du 3 avril 2003, Automobile Peugeot/Grands Garages du Limousin; 14 février 2003, Boursorama/Selftrade; 6 décembre 2002 Groupe Bernard Hayot/Cotrans Cadjee; 5 juin 2002, Lactalis/Bel; 8 mai 2002, Givaudan/F.I.S; 26 octobre 2001, Pitney Bowes INC/SECAP SA, 12 septembre 2000, Air France/Brit Air.

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étrangers qui le considérait comme très peu transparent. Le fait, qu'auparavant, le Ministre détenait le pouvoir de décision en matière de contrôle des concentrations, avec un pouvoir quasi-discrétionnaire de saisir ou non le Conseil de la concurrence, était souvent interprété comme manifestant la volonté du pouvoir politique de continuer à intervenir sur le marché au travers du contrôle de ses structures. Section 2- Le nouveau système : une transparence renforcée par l’indépendance du contrôle Le manque évident de transparence de l'ancien régime, nous conduit à étudier la réforme du contrôle des concentrations issue de la LME, aux travers des dispositions qui permettent au régime actuel de gagner en clarté quant à la nature du processus décisionnel. Nous envisagerons, ici, les deux éléments déterminant dans le caractère transparent du nouveau régime, qui rendent le contrôle des concentrations français crédible, au regard des pays étrangers, des entreprises, mais également des consommateurs. D'une part, il sera question du statut d'autorité administrative indépendante de l'Autorité de la concurrence consacré par la LME, et d'autre part, nous traiterons de sa compétence exclusive dans l'établissement du bilan concurrentiel, étape déterminante dans le processus décisionnel relatif aux opérations de concentrations. 1§ L'indépendance renforcée de l'Autorité de la concurrence L'article 95 de la loi de modernisation de l’Economie a créé une nouvelle autorité administrative indépendante: l'Autorité de la concurrence qui exercera les anciennes compétences du Conseil de la concurrence avec des moyens et des pouvoirs élargis. L'autorité nationale de concurrence change donc de nom et l'article L. 461-1 du Code de commerce énonce qu'elle constitue désormais « une autorité administrative indépendante veillant au libre jeu de la concurrence et apportant son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés aux échelons européens et international ». Notons, cependant, que le Conseil de la concurrence constituait d'ores et déjà une institution administrative indépendante, mais dont

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l'autorité était extrêmement restreinte en raison de son rôle purement consultatif. Cela étant, l'Autorité de la concurrence sera sensiblement plus indépendante que ne l'était le Conseil au regard de l'émancipation de la tutelle du pouvoir exécutif. Cette plus grande indépendance prend plusieurs aspects. Tout d'abord, si la loi de modernisation de l’Economie, instituant l’Autorité de la concurrence, affirme clairement son statut d’autorité administrative indépendante, en contrepartie celle-ci devra rendre compte de ses activités. Aux termes de l’article L. 461-5 du Code de commerce : « Les commissions du Parlement compétentes en matière de concurrence peuvent entendre le président de l'Autorité de la concurrence et consulter celle-ci sur toute question entrant dans le champ de ses compétences. Le président de l'Autorité de la concurrence rend compte des activités de celle-ci devant les commissions du Parlement compétentes en matière de concurrence, à leur demande. L'Autorité de la concurrence établit chaque année, avant le 30 juin, un rapport public rendant compte de son activité qu'elle adresse au Gouvernement et au Parlement ». Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence obtient avec la réforme une certaine « indépendance d'esprit »35. En effet, au terme de l'article 2, II, de l'Ordonnance portant modernisation de la régulation de la concurrence36, l'article L. 462-4 du Code de commerce est rédigé de la manière suivante: « L'Autorité de la concurrence peut prendre l'initiative de donner un avis sur toute question concernant la concurrence. Cet avis est rendu public. Elle peut également recommander au ministre chargé de l'économie ou au ministre chargé du secteur concerné de mettre en œuvre les mesures nécessaires à l'amélioration du fonctionnement concurrentiel des marchés ». L'Autorité de la concurrence a donc le pouvoir de se saisir d'office sur toute question de concurrence sans devoir passer, comme cela était le cas auparavant, par le Ministre de l'Economie. A ce sujet, le Président Lasserre a fait part à plusieurs reprises de sa volonté de se 35 La nouvelle Autorité de la concurrence, David Bosco, Les revues jurisclasseur, Contrats, concurrence, consommation, n°11-novembre 2008. 36 Ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, du Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi.

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saisir de ce nouveau pouvoir, que ce soit pour exprimer la position de l’Autorité de la concurrence, pour proposer un bilan concurrentiel d’une législation passée ou en projet, ou pour réaliser une enquête sectorielle dans un domaine particulier. Egalement, le fait que « l'Autorité de la concurrence veille à l'exécution de ses décisions » constitue également un facteur non négligeable participant à son indépendance. Cette attribution nouvelle est codifiée à l'article L. 464-8 du Code de commerce. Selon le Conseil de la concurrence37, l'élargissement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence mentionnés ci-dessus est extrêmement positif. En effet, la faculté d'examiner, de façon globale et cohérente, la situation concurrentielle d'un secteur économique dans son ensemble permettra à l'Autorité de la concurrence de remplir sa mission générale qui consiste à veiller au libre jeu de la concurrence. Pour ce faire, l'Autorité de la concurrence pourra donc « donner des signaux clairs aux opérateurs économiques » et « mobiliser son expertise concurrentielle » à chaque fois que ce sera utile. De surcroit, « le fait de lui confier le pouvoir de s'assurer elle-même de l'exécution de ses décisions dégagera des synergies par rapport à » l'ancien système, « en particulier lorsque les entreprises s'engagent à modifier leur comportement sur le marché ». L'autre aspect de l'indépendance renforcée de l'Autorité de la concurrence tient dans les modifications institutionnelles de l'Autorité relatives à la réforme du collège et celle de l'instruction. En effet, moderne est l'instauration de contre-pouvoirs à l'intérieur et à l'extérieur de cette autorité, tels que la séparation plus radicale entre l'instruction et la sanction, l'instauration d'un conseiller-auditeur et un contrôle par le Parlement. Notons particulièrement la volonté du législateur de renforcer l'indépendance du Président de l'Autorité de la concurrence puisque celui-ci, ou le vice-président, pourra désormais statuer en formation à membre unique sur les concentrations en phase 1. De plus, les services de l'instruction disposent, désormais, d'enquêteurs en plein exercice qui travaillent en collaboration permanente avec les rapporteurs. En conséquence, l'Autorité de la concurrence, tant par ses pouvoirs élargis que par les modifications institutionnelles de sa structure interne, constitue, à l'inverse du Conseil de la concurrence, une réelle Autorité car ses avis sont désormais contraignants, et de surcroit, une Autorité administrative considérablement plus indépendante que ne l'était son prédécesseur. 37 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence.

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Elle est dorénavant en mesure d'intervenir d'une façon accélérée et ciblée, et donc de traiter les affaires dont elle est saisie efficacement, au bénéfice des entreprises et des consommateurs. Ainsi, le statut d'Autorité administrative indépendante consacré par la réforme, participe en termes de transparence à l'amélioration du contrôle des concentrations français parce qu'il permet d'écarter les doutes préexistants relatifs à la nature politique du contrôle des concentrations de l'ancien régime. En effet, le fait que le contrôle soit opéré par l'Autorité de la concurrence, dont l'indépendance est certaine, rend le système transparent puisque, désormais, la régulation des concentrations sera une mission dont le but correspond désormais aux intérêts de l'institution qui en a la charge. Alors qu’auparavant les critères mêmes du contrôle plaçaient le Ministre dans un conflit d'intérêt direct entre préservation de la concurrence et intérêt économique de la nation, le transfert du contrôle des concentrations aux mains de l'Autorité de la concurrence, lui a permis, à l'inverse, d'exercer sa mission générale de gardienne de la concurrence en prenant en compte toutes les facettes de celle-ci, contrôle des concentrations, des pratiques restrictives de concurrence, et pratiques anticoncurrentielles. 2§ La compétence exclusive de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle concurrentiel Au titre de l'article L. 430-3 du Code de commerce, les concentrations contrôlables sont, désormais, notifiées à l'Autorité de la concurrence, ou peuvent lui être renvoyées lorsqu'elles sont de dimension communautaire. C'est, donc, à l'Autorité chargée de l'application du droit de la concurrence dans son ensemble, que les dispositions de la loi de modernisation de l’Economie ont confié le soin d'établir le bilan concurrentiel en matière de contrôle des concentrations. Le principe consacrant l'exclusivité de cette compétence au profit de l'Autorité de la concurrence est posé à l'article L. 430-4 du Code de commerce, selon les termes: « la réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord de l'Autorité de la concurrence ».

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L'Autorité de la concurrence est donc chargée d'examiner les opérations de concentration contrôlable dans des délais identiques à ceux de l'ancien système (phase 1), avant de les autoriser, éventuellement à la condition de prises d'engagements par les entreprises concernées. Lorsqu'elle considère qu'il demeure un risque effectif d'atteinte à la concurrence dans la réalisation de l'opération de concentration, elle engage alors un examen approfondi (phase 2). Sans plus de détails concernant la procédure, il s'agit de constater la clarté et la cohérence apportée par la réforme en matière de contrôle des concentrations. En effet, le fait de donner la compétence relative à l'établissement du bilan concurrentiel, élément principal dans le processus décisionnel du contrôle des concentrations, à l'instance déjà chargée de la régulation en matière de pratiques anticoncurrentielles, relève du bon sens. Cette attribution de compétence permet de mettre fin au partage initial des rôles entre le Ministre de l'Economie et le Conseil de la concurrence, source de confusion et de déséquilibre. Ainsi, une fois l'opération de concentration réalisée, les cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique générés par celle-ci sont également traités à l'avenir par l'Autorité de la concurrence, conformément à la proposition du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française38. Cette disposition illustre parfaitement l'intérêt de transférer le contrôle concurrentiel des concentrations au profit d'une Autorité de contrôle unique. Dés lors, on peut, par la même, émettre un tempérament à la distinction entre la surveillance des structures et celle des comportements propre à l'application de notre droit national de la concurrence. La création de l'Autorité de la concurrence, prenant la place autrefois réservée au Ministre de l'Economie, permet de traiter les opérations de concentration économique selon une méthode plus cohérente car intégrée à l'ensemble que forme l'application du droit de la concurrence français. Forte de son expérience et de son expertise pour manipuler cet instrument lors du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence, c'est en toute logique, que l'Autorité de la concurrence a une compétence exclusive pour effectuer le bilan concurrentiel lors du contrôle des concentrations. La mise en œuvre du contrôle des concentrations n'en n'est que plus lisible et, donc, la crédibilité de notre système 38 Préconisation n° 207 du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française présidé par Jacques Attali devenue l'article L. 430-9 du Code de commerce.

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que plus assurée. Notons, également, que l'Autorité de la concurrence conserve les compétences consultatives du Conseil de la concurrence. Elle peut être consultée et entendue en matière de politique de concurrence par des commissions parlementaires, par le gouvernement, par les collectivités territoriales ou par certaines organisations habilitées39. Au titre de l'article L. 462-2 du Code de commerce, elle doit également être: « obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ; 3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente ». L'Autorité de la concurrence, sans même utiliser la sanction du droit de la concurrence, pourra donc influencer les comportements économiques. Il résulte de cette compétence exclusive pour établir le bilan concurrentiel des opérations de concentration associée à son rôle traditionnellement consultatif que l'Autorité de la concurrence est en charge d’ « une mission générale de contrôle de la concurrence »40. Auparavant, on l'a vu, le partage des champs de compétence était peu propice à la définition d'une politique de concurrence. Et, selon les considérations de Dominique Brault, qui par ailleurs n'est pas le seul a exprimé cette opinion: « Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles » sous l'ancien régime, était « aussi rigoriste que celui des opérations de concentration » était « conciliant ». En effet, il existait dans l'application du droit de la concurrence de « saisissants contrastes »41. Ainsi, il ressort de ce qui précède, que tant la plus grande indépendance, que la nouvelle compétence exclusive, attribuées à l'Autorité de la concurrence par la LME, lui ont permis 39 Article L. 462-1 du C. com. 40 Recueil Dalloz 2009 p. 1031, L'Autorité de la concurrence, Didier Ferrier et Karine Biancone. 41 Politique et pratique de droit de la concurrence en France, Dominique Brault, 2004, LGDJ.

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d'évoluer dans un système où prévaut, désormais, la transparence. De toute évidence, et en premier lieu, la consécration du statut d'Autorité administrative indépendante de l'Autorité de la concurrence a éliminé les doutes existants auparavant quant à la nature politique du contrôle des concentrations français. En second lieu, la réforme en transférant le soin d'établir le bilan concurrentiel à l'Autorité indépendante, et par la même, lui conférant la charge du contrôle des concentrations dans son ensemble, rend notre système de contrôle des concentrations plus lisible et plus cohérent dans le sens de l'application d'un droit de la concurrence unifiée. Ces deux éléments de la réforme participent, incontestablement, à un régime plus transparent, donc plus crédible tant d'un point de vue de nos voisins européens que de celui des acteurs économiques. Cette transparence, mise en évidence ci-dessus, est un facteur déterminant dans la crédibilité de notre système. Parce qu'elle est facteur de l'allocation optimale des richesses, la concurrence doit être régulée par une instance irréprochable. Sans cet impératif économique de transparence, atteint grâce à la LME, le contrôle français des concentrations serait resté limitée à un simple outil de politique industrielle, dont l'intérêt n'aurai eut un impact qu'au niveau national privant notre système d'une légitimité reconnue au niveau européen. Dés lors, la crédibilité de notre système étant retrouvée grâce à son caractère transparent réaffirmé, l'Autorité de la concurrence intervient non plus seulement dans la mise en œuvre du droit de la concurrence, mais également dans l'établissement d'une véritable politique de concurrence. La LME, est extrêmement positive de ce point de vue car elle permet, sans conteste, à la France de se doter enfin d'une politique de concurrence, qui unifie en son sein tous les aspects du droit de la concurrence appliqué sur le marché, et au surplus, qui pourra se développer en harmonie avec celle des communautés européennes. L'Autorité de la concurrence, par ses moyens élargis et son indépendance confirmée, est aujourd'hui en mesure de pouvoir prétendre à l'élaboration d'une véritable politique de la concurrence. A présent seule, elle pourra dégager du traitement parallèle des structures et des comportements sur le marché une synergie aboutissant à l'établissement d'une politique de concurrence solide.

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CHAPITRE 2 : UNE REPONSE AUX IMPERATIFS ECONOMIQUES PAR UN RENFORCEMENT DE L’EFFICACITE DU CONTRÔLE La concentration économique recouvre un processus dynamique de regroupement des entreprises, qui tend à conférer aux firmes concernées un certain pouvoir d'influence sur les marchés dont l'aboutissement extrême serait un pouvoir de monopole. Selon la théorie économique, la meilleure forme d'organisation des marchés est celle de la concurrence pure et parfaite. Pour préserver l'intérêt général, il faut donc surveiller la concentration et les conséquences qu'elle peut avoir sur la vigueur de la concurrence. Cependant, la surveillance des structures sur le marché doit répondre à des règles claires et prédéfinies, au travers desquelles le contrôle des concentrations pourra enfin être utilisé, tant par les pouvoirs publics que par les entreprises, comme un réel outil de régulation. L'intervention de l'Etat dans le processus des concentrations économique portant atteinte au libre jeu de la concurrence, doit être prévue, sur le fond comme sur la forme, de façon précise et définitive. Sans cela, elle peut avoir des conséquences néfastes sur la croissance économique française et il en va de l'efficacité globale de notre système de contrôle des concentrations. L'enjeu économique colossal induit par la réalisation d'une opération de concentration nécessite que son contrôle garantisse une sécurité juridique et une efficacité particulière aux opérateurs économiques du monde des affaires. Si le contrôle des concentrations intègre ces deux impératifs économiques, il devrait ainsi être appelé à devenir un instrument de prévision pour les entreprises. Ainsi, nous nous appliquerons dans cette section, à démontrer en quoi la LME permet au contrôle des concentrations de mettre à disposition des entreprises notifiantes un système simple, qui assure une certaine sécurité juridique, et adoptant, paradoxalement, une procédure dont les délais sont mieux adaptés aux besoins de flexibilité du monde des affaires, d'autre part. Mais avant de mettre en évidence les avantages incontestables de la réforme en termes

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d'efficacité et de sécurité du contrôle des concentrations, il semble pertinent de relever les failles de l'ancien système à ce niveau, afin de pouvoir saisir le réel progrès qu'elle représente. Propos préliminaires relatifs au manque de sécurité juridique de l'ancien régime Auparavant, le Ministre de l'Economie demandait l'avis du Conseil de la concurrence lorsqu'il s'agissait d'interdire, de modifier une opération de concentration ou d'enjoindre certaines conditions à sa réalisation. Rappelons que la décision intervenait à la suite de l'avis du Conseil de la concurrence, éventuellement sollicitée, mais que le ministre, dans sa décision finale, n'était absolument pas lié par celui-ci. Au titre de l'ancien article L. 430-5, III du Code de commerce, si le Ministre de l'Economie: « estime que l'opération est de nature à porter atteinte à la concurrence et que les engagements pris ne suffisent pas à y remédier, il saisit pour avis le Conseil de la concurrence ». L'avis du Conseil de la concurrence introduit par la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques, en ces termes, selon Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, réduisait précisément le pouvoir discrétionnaire du ministre. En effet, si « L'utilisation de l'indicatif présent signifie en principe que le ministre doit saisir le Conseil de la concurrence », il restait, cependant, à l'appréciation discrétionnaire du ministre de savoir si l'opération concernée présentait des risques sérieux d'atteinte à la concurrence et une insuffisance des engagements proposés par les entreprises notifiantes. Ainsi, la loi NRE, en précisant clairement les types de décisions que pouvait prendre le ministre en matière de contrôle des concentrations, au terme de la procédure dite légère, conditionnait l'examen approfondi de l'opération à la saisine du Conseil de la concurrence, dont l'avis n'était, paradoxalement, pas contraignant. Il en ressort que l'organisation administrative bicéphale du contrôle des concentrations français, est, d'une part, forcément moins efficace qu'une organisation intégrée, et d'autre part, mise en doute quant à son utilité même.

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En premier lieu, le fait que, sous l'ancien régime, les concentrations les plus délicates donnant lieu à l'expertise du Conseil de la concurrence, soient soumis à deux examens successifs effectués par deux équipes différentes dont la collaboration est difficile, rendait le contrôle français des concentrations problématique en termes d'efficacité. Autrement dit, la seconde phase du contrôle ne correspondait pas à un approfondissement du dossier, mais à un nouvel examen par une nouvelle équipe qui devait, dans un délai très bref, se réapproprier toutes les données tout en apportant une analyse concurrentielle plus poussée intégrant éventuellement des facteurs économiques et sociaux, dont la maitrise n'est pas une spécialité du Conseil de la concurrence. Dans le cadre du Vingtième anniversaire de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et selon Marie-Dominique Hagelsteen, présidente de la section des travaux publics du Conseil d'Etat et ancienne présidente du Conseil de la concurrence, « on peut avoir des doutes sur le caractère optimal de cette organisation du travail qui conduit de surcroît, les entreprises concernées à devoir expliquer par deux fois l'opération qu'elles envisagent. N'y a-t-il pas là une grande perte de temps et d'énergie? » 42. En second lieu, on compte un nombre de cas de divergences, entre la décision du Ministre et l'avis du Conseil, limité mais croissant. En 2002, on relevait 18 cas de décisions contraires à l'avis du Conseil de la concurrence sur 82 avis rendus par ce dernier43. Il semble que la divergence soit devenue de plus en plus fréquente les dernières années avant la réforme. Ainsi, le processus permettant au Ministre de l'Economie le choix d'une décision finale se caractérisait par une grande liberté d'appréciation, source incontestable d'insécurité pour les entreprises notifiantes. Celles-ci se trouvaient face à un système de contrôle extrêmement incertain, conditionné par le seul pouvoir discrétionnaire du Ministre. En effet, la phase 2 du contrôle, déclenchant un examen approfondi de l'opération opéré par le Conseil de la concurrence, représentait un obstacle supplémentaire à la réalisation du projet de concentration pour les entreprises, mais ne les assurait absolument pas que la solution la plus 42 Vingtième anniversaire de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot, Colloques & débats, Litec. 43 Le contrôle français des concentrations, 2eme édition, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, LGDJ, 2003.

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juste et motivée, d'un point de vue concurrentiel, à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, soit prise en compte dans la décision finale du ministre. Il s'agit, ici, de rappeler l'application qui a été faite dans la pratique de ce pouvoir discrétionnaire. Tout d'abord, nous verrons que la décision ministérielle, en cas de divergence, est le plus souvent moins sévère que le Conseil de la concurrence. Ensuite, on constatera que, même lorsque les divergences sont sans conséquences sur la décision finale, elles sont extrêmement significatives et dénotent une incertitude globale liée au fait que l'analyse concurrentielle d'une même opération de concentration peut aboutir à des solutions différentes selon qu'elle ait été établie par le Conseil de la concurrence ou par le Ministre de l'Economie. Sur un total de 82 affaires examinées par le Conseil de 1987 à 2002, on relève 6 affaires où le Conseil avait proposé, au terme de l’examen de seconde phase, d’interdire l’opération, et où le Ministre a été plus favorable, soit en autorisant l’opération, soit en la conditionnant à une cession partielle d’actifs44 ou à une limitation de certaines pratiques commerciales45. Nous ne citerons, ici, qu’une seule de ces six affaires, celle concernant le secteur du chocolat, l’opération de concentration Callebaut/Barry, qui fut l’objet d’avis contradictoires entre le Conseil de la concurrence et le Ministre de l’Economie, et notamment l’objet d’un commentaire du professeur Montet46 fort intéressant de notre point de vue. En l’espèce, la divergence d’appréciation portait sur les conditions de fonctionnement de la concurrence et aboutissait, donc, à des bilans concurrentiels différents. En effet, l’Avis du Conseil, entièrement négatif, était basé sur quatre arguments principaux : le nouveau groupe issu de la concentration détenait, alors, des parts de marché très importantes sur un marché déjà trop concentré ; les capacités de production des concurrents étaient limitées ; les barrières à l’entrée sur le marché amont se trouvaient renforcées par le poids acquis à la suite de 44 Arrêté du 7 octobre 1994 et Avis 94-A-22 du 13 septembre 1994, secteur des produits et prestations destinées à l’enseignement de la conduite (Codes Rousseau/ Média Communication), BOCC du 20 octobre 1994, p. 455 ; Arrêté du 20 août 1996 et Avis 96-A-09 du 9 juillet 1996, secteur de la bière (Sogebra/Brasserie Fischer), BOCC du 25 mars 1997, p. 171 ; Arrêté du 5 février 1997 et Avis 97-A-01 du 7 janvier 1997, secteur du chocolat (Callebaut/Barry), BOCC du 17 mai 1997, p. 357 ; Lettre du 29 juin 1999 et Avis 99-A-09 du 1er juin 1999, secteur de la production de briques (Koramic et Wienerberger/Migeon et Bisch), Treizième Rapport d’activité du Conseil de la concurrence (1999), annexe 113, p. 879. 45 Arrêté du 12 décembre 1995 et Avis 95-A-14 du 29 août 1995, secteur des moyens de protection contre le vol en magasin (Sensormatic Electronics Corp./Knogo Corp.), BOCC du 12 février 1996, p. 21. 46 « Commentaire de l’avis 97-A-07 du 7 janvier 1997 » relatif au secteur du chocolat (Callebaut/Barry), C. Montet, Lamy, Juridisque Concurrence.

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l’opération sur le marché aval ; la clientèle dispersée ne constituait pas un contrepoids suffisant. Or le Ministre balaya ces arguments, largement développés dans le texte de l’Avis, sur la base d’un seul alinéa selon lequel « il convient de prendre en compte la récente acquisition de Grace Cacao par le groupe américain Archer Daniels Midland (ADM) … , que les deux principaux concurrents, ADM et Cargill ont, sur ces mêmes marchés, des parts de marché qui se situent entre 20% et 30% ; que la taille et les moyens financiers de ces groupes sont très supérieurs à ceux du groupe Barry-Callebaut ». C’est ainsi, que le Ministre de l’Economie fonda sa décision autorisant l’opération de concentration, sans la moindre indication concernant les engagements finalement souscrits par les parties. Conformément à la conclusion du professeur Montet, tout ceci conduit à de nombreuses interrogations : définition correcte du marché pertinent, critères établissant le poids réel des opérateurs sur le marché, les risques liés à un cas d’oligopole…, dont les réponses seraient, de toute évidence, plus claires, si elles provenaient d’une seule et même entité. Quoi qu’il en soit, ces questions sans réponses convergent vers l’idée selon laquelle, il est nécessaire : « qu’en cas de divergence, la position finale des ministres soit soutenue par une argumentation économique approfondie ». Par ailleurs, il est pertinent, de relever que bons nombres de conclusions finales communes ont été rendues en laissant inaperçues des divergences considérables, portant souvent sur le fond de l’analyse concurrentielle. Par exemple, dans une affaire concernant le secteur de la distribution, Disco/Prodirest47, alors que les services du Ministre avaient adopté une interprétation différente de celle du Conseil sur la définition du marché pertinent, sur le fond les conclusions aboutissaient à une autorisation. Egalement, dans les affaires P&O/Stena Line et Carrefour/Cora48, alors que le Ministre considérait dans sa décision finale, que l’opération en question était de nature concentrative, le Conseil, lui, estimait que l’opération n’était pas concentrative. Enfin, dans

47 Lettre du 3 décembre 1993 et Avis 93-A-16 du 9 novembre 1993, secteur de la distribution (Disco/Prodirest), BOCC du 11 décembre 1993, p. 339. 48 Accord tacite du 5 mai 1997, suivi de la Lettre du 30 mai 1997 par laquelle le Ministre a confirmé sa décision d’autoriser l’opération et Avis du 1er avril 1997 (non publié), secteur de l’exploitation de traversées maritimes (ferries) (P&O/Stena Line) ; Lettre du 29 juillet 1997 et Avis 97-A-14 DU 1er juillet 1997, secteur de la grande distribution (Carrefour/Cora), BOCC du 7 octobre 1997, p. 685.

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les affaires Boeing/ Jeppesen et SEB/Moulinex49, les effets de l’opération de concentration sur la concurrence ont été jugé beaucoup plus sévèrement par le Ministre que le Conseil de la concurrence, pourtant, les conclusions aboutissaient à la même décision. Ainsi, on peut constater que ces divergences, qu’elles aient eut ou non des conséquences sur la décision finale, traduisaient une telle différence d’analyse économique, qu’elle en devenait gênante. Il en ressort que l’expertise, qui était recherchée par le gouvernement auprès du Conseil de la concurrence lors de la phase 2, devenait sans intérêt, ou en tout cas perdait de sa valeur aux yeux des opérateurs économiques. En effet, les entreprises notifiantes dont l’opération déclenchait un examen approfondi, appréhendaient cette phase 2 du contrôle comme une véritable épreuve supplémentaire, mais, paradoxalement, ne leur assurait pas une plus grande sécurité juridique. Au final, les avantages qu’auraient pu retirer les entreprises de cet examen approfondi, dont elles pouvaient légitimement attendre une expertise économique plus rigoureuse leur assurant plus de sécurité juridique quant à la réalisation de leur opération, étaient réduits à néant du fait de la nature simplement consultative de l’Avis rendu par le Conseil de la concurrence. Ainsi, l’intérêt de la phase 2 n’était, non seulement, pas perceptible par les entreprises, mais en plus, ces dernières voyaient, dans cette phase du contrôle, un vrai risque de rupture de charge dans l’instruction du dossier. Ces constatations convergent vers l'idée que la réforme institutionnelle du contrôle français des concentrations confiant le contrôle concurrentiel à une autorité unique était inévitable car elle tend à offrir plus de sécurité juridique aux opérateurs économique. Ces derniers peuvent dorénavant se référer aux décisions relatives aux opérations de concentrations, unifiées par l'application d'une seule et même méthode, mise en œuvre par un seul et même organe fort de son indépendance. Ils peuvent ainsi organiser au mieux les éventuelles modifications structurelles de leurs activités, sur la base d’analyses concurrentielles et économiques stables, de sorte à ce que l'opération soit jugée compatible avec le degré de concurrence existant sur le marché en question. A ce sujet, notons, que l'Autorité de la concurrence a d'ores et déjà annoncé plusieurs chantiers, dont la refonte d'une nouvelle version des lignes directrices relatives au contrôle des 49 Arrêté du 4 juillet 2001 et Avis 01-A-10 du 12 juin 2001, secteur des services d’information de vol (Boeing/Jeppesen), BOCC du 23 octobre 2001, p. 887 ; Lettre du 5 juillet 2002 et Avis 02-A-07 du 15 mai 2002, secteur du petit électroménager (SEB/Moulinex), BOCC du 21 octobre 2002, p. 8.

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concentrations, partiellement inadaptées au régime issu de la LME et de l'ordonnance du 13 novembre 2008. Sur le site de l'Autorité de la concurrence, il est précisé, que, dans l'attente de leur adoption, elle s'inspirera des méthodes d'analyse exposées dans la version actuelle des lignes directrices et que le projet fera l'objet d'une consultation publique 50.Cette nouvelle version des lignes directrices relative au contrôle des concentrations est vivement attendue en ce qu'elle constituera un outil de prévision clef pour les entreprises, et par la même un instrument de régulation économique efficace. Ainsi, nous nous appliquerons, ici, à mettre en évidence le fait que la LME, a, incontestablement, le mérite d’offrir aux opérateurs économiques évoluant sur le marché, plus de sécurité juridique et de rapidité dans la procédure de contrôle des concentrations. Sécurité juridique et rapidité, qualités nécessaires à un contrôle efficace au sein de la vie des affaires, seront donc les titres respectifs qui composeront la présente section.

Section 1- La sécurité juridique renforcée du contrôle des concentrations issu de la réforme

Comme on l’a déjà dit, l’enjeu économique colossal que peut engendrer la réalisation d’une opération de concentration nécessite un minimum de sécurité juridique pour les opérateurs qui l’entreprennent. Effectivement, sans cet impératif économique de sécurité juridique, le contrôle des concentrations ne sera jamais un instrument de régulation économique, car il ne représentera aux yeux des entrepreneurs qu’un moyen de sanction, et non le moyen de prévoir les modifications structurelles de leurs activités en harmonie avec la concurrence existant sur le marché dans lequel ils évoluent. Nous verrons, donc, que la réforme du contrôle des concentrations, issue de la loi de modernisation de l’Economie, permet d’offrir plus de sécurité juridique aux opérateurs économiques. On peut penser que ce gain de sécurité juridique va très certainement renforcer la confiance des opérateurs dans le système de contrôle étatique des concentrations. En 50 La délibération adoptée par le collège de l'Autorité de la concurrence le 2 mars 2009, annexe 2.

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conséquence, le nouveau système de contrôle des concentrations est un réel facteur de régulation économique car celui-ci permet aux opérateurs de se comporter comme de véritables acteurs dans le processus de construction des marchés. Nous axerons le développement qui va suivre sur trois points essentiels, facteurs d’un contrôle de la concentration plus sûre : un contrôle à guichet unique, un contrôle au double regard, un contrôle plus légitime en termes de compétence.

1 § Un contrôle concurrentiel à interlocuteur mais au double regard

Le Conseil de la concurrence, dans son Avis relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence51, considère le transfert du contrôle concurrentiel des concentrations à l’Autorité de la concurrence comme un « réel progrès » car « les entreprises bénéficieront désormais d’un guichet unique en ce domaine ». Au titre des articles L. 430-3 à L. 430-7 du Code de commerce désormais en vigueur, c’est l’Autorité de la concurrence qui recevra les notifications, instruira et adoptera les décisions de phase 1 comme de phase 2. Le contrôle des concentrations est, à présent, de l’entier ressort de l’Autorité de la concurrence. Cette dernière se verra, donc, confier le soin d’examiner toutes les demandes d’autorisation en matière de concentrations, d’en effectuer le bilan concurrentiel et de les autoriser, sous réserve d’engagements éventuels pris devant elle par les entreprises concernées. Le Président de l’Autorité de la concurrence, Monsieur Bruno Lasserre, a affirmé sa volonté d’assurer le contrôle des concentrations de manière rapide et efficace. Dans cet objectif, a été institué au sein des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, et sous l’autorité du Rapporteur, un service dédié aux opérations de concentration. Les entreprises devraient connaître rapidement leur interlocuteur de référence au sein de ce service ainsi que le membre référent du collège qui sera chargé de trancher l’affaire. Cette organisation devrait permettre de donner une visibilité plus importante aux opérateurs économiques qui pourront discuté très en amont des éventuels problèmes de concurrence et des remèdes adéquats avec la personne qui prendra la décision in fine. 51 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence

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Le fait de confier les deux phases de la procédure à l’Autorité constitue, en effet, une grande avancée en termes de sécurité juridique. Tout d’abord, cela permettra d’éviter les risques liés à la rupture de charge dans l’instruction des dossiers. Mais encore, les entreprises verront leur tâche largement simplifiée, lors de la procédure de contrôle. Elles s’adresseront, dorénavant, à un interlocuteur unique, ce qui leur évitera, en premier lieu, d’effectuer en double les notifications et allègera d’une manière générale la masse de documents administratifs obligatoires liés à leur demande. En second lieu, ce transfert de compétence rendra la négociation des entreprises, liée à l’architecture de leur changement d’activité, plus sereine, car établie dans une relation de confiance. Dorénavant, la phase 2 de la procédure, ne sera plus subie par les entreprises comme une contrainte supplémentaire, mais pourra être appréhendé comme le prolongement logique de la procédure, en cas d’opération complexe. Ainsi, tous les effets pervers liés au fait que la phase 2 était, auparavant, traitée par un organe distinct de celui qui instruisait le dossier au début de la procédure, ne se retrouveront pas dans le nouveau système de contrôle. Comme l’a remarqué le Conseil de la concurrence dans son Avis n° 08-A-0552, le transfert du contrôle concurrentiel à l’Autorité de la concurrence, devrait avoir des effets de « synergies » extrêmement positifs en termes d’efficacité du nouveau système, en comparaison avec l’ancien. Il faut noter, que dans le même temps, et comme le fait également remarquer le Conseil de la concurrence, les entreprises « demeureront assurées », comme c’était le cas auparavant, « de bénéficier du double regard des services d’instruction et du collège à chaque fois que l’affaire impose un examen approfondi ». En effet, l’organisation et la procédure ont du être aménagées du fait du transfert de compétence et de moyens d’instruction. Il en résulte une séparation au sein de l’Autorité de la concurrence entre les pouvoirs d’enquête et d’instruction d’une part, et les pouvoirs de décision d’autre part. Au titre de l’article L. 461-4 du Code de commerce, « L'Autorité de la concurrence dispose de services d'instruction dirigés par un rapporteur général nommé par arrêté du ministre chargé de l'économie après avis du collège ». Auparavant, seul le Ministère de l’Economie était chargé d’assumer les investigations nécessaires à la découverte de pratiques ou structures 52 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence.

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sanctionnées par le Droit de la concurrence. Une des innovations majeure de la LME réside, donc, dans la mise à disposition de l’Autorité de la concurrence de ces nouveaux pouvoirs d’enquête. Selon David Bosco, c’est là, « un pas significatif sur la voie de l’indépendance » car « l’Autorité de contrôle gagne en autonomie dans la découverte des infractions »53. De plus, le regroupement des forces d’enquête et d’instruction au sein de l’Autorité, devrait permettre une investigation plus efficace, du fait de leur complémentarité. Les pouvoirs d’investigation de l’Autorité de la concurrence seront désormais organisés en plusieurs services : plusieurs services antitrust chargés d’instruire les affaires relatives aux pratiques anticoncurrentielles, un service « concentration » et un service prendra en charge les enquêtes lourdes. Mais, la combinaison des articles L. 450-1, II, et L. 450-6 du Code de commerce, précise, qu’en cas d’insuffisance du nombre de ces enquêteurs, ceux qui restent rattachés au Ministre de l’Economie, pourront être sollicités par demande écrite du rapporteur général pour des opérations d’enquête et de perquisition dont il aura fixé la durée. Par ailleurs, le pouvoir de décision de l’Autorité de la concurrence est confié au collège, sous l’autorité du Président. Ainsi, le principe de séparation des pouvoirs d’instruction et de décision, auquel tenait particulièrement le Conseil de la concurrence, est préservé. Il garantie aux entreprises que leur projet de concentration sera examiné sur le fond à deux reprises, par des organes distincts et indépendants l’un de l’autre. Mais encore, il assure aux opérateurs économiques, le fait que la décision finale en matière de contrôle des concentrations sera adoptée par le collège en toute objectivité, sur la base d’une investigation neutre réalisée par les services d’enquête et d’instruction de l’Autorité car dépourvus d’un droit de regard sur la décision finale. On peut conclure ce paragraphe par une phrase de Christine Vilmart selon laquelle, en comparaison avec le standard européen : « Qu’il s’agisse de l’organisation de la nouvelle Autorité, ou du déroulement de la procédure, le droit français est d’ores et déjà plus protecteur, du moins au stade de l’instruction et de la décision »54. 53 La nouvelle Autorité de la concurrence, David Bosco, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008 54 Cahiers de droit de l’entreprise n° 4, Juillet 2008, entretien 4, Loi de modernisation de l’économie, Entretien avec Laurence Idot, et Christine Vilmart avocat à la cour de Paris cabinet Castaldi Mourre & Partners.

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2§ Un contrôle légitime en termes de compétence Le contrôle des concentrations repose sur deux bilans distincts, le premier basé sur des considérations purement concurrentielles, et le second sur des considérations plus générales, d’ordre économique et social. Or, comme on l’a déjà soulevé à maintes reprises, le contrôle des concentrations issu de l’ancien régime, confiait, d’une façon étrange et incohérente, la tâche de dresser le bilan concurrentiel au Ministre de l’Economie, et celle d’effectuer un examen approfondi de l’opération, intégrant le bilan économique et social, au Conseil de la concurrence. N’y a-t-il pas là, une inversion des termes évidente ? D’une façon logique, il semble beaucoup plus cohérent, ne serais-ce que par la similitude des termes, d’associer au bilan concurrentiel le Conseil de la concurrence ou l’Autorité de la concurrence, et au bilan économique et social le Ministre de l’Economie. Mais au-delà d’une simple incohérence terminologique, ce partage des rôles tendait vers un déséquilibre général du système de contrôle, illustré par le nombre, sans cesse décroissant, des saisines du Conseil de la concurrence engageant un examen approfondi des opérations de concentration (12 en 1993 et seulement 2 en 2007)55. De surcroit, comme on l’a vu précédemment56, et comme le fait si bien remarqué le Rapport présidé par Monsieur Jacques Attali57: « la confusion des rôles entretient la suspicion ». En effet, le fait qu’autrefois le Conseil de la concurrence puisse prendre en considération des considérations non économiques dans l’appréciation des atteintes à la concurrence58 ou dans la définition des mesures à prendre pour compenser celles-ci59 reflète une véritable confusion dans les rôles attribués respectivement à chacun des deux organes participant au processus décisionnel du contrôle des concentrations. Il en est de même du fait que les interventions du Ministre, derrière un raisonnement qui selon la loi doit être concurrentiel, ont parfois été perçues comme susceptibles d’être influencer par des considérations extérieures à la concurrence, voir par des considérations qui relève plus de la politique industrielle que de la politique 55 12 en 1993 et seulement 2 en 2007, Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- Novembre 2008. 56 Supra, Partie 2, Section 1, 1§ « L’ancien système : une transparence affectée par le nature politique du contrôle ». 57 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, Editions la documentation française, 2008, préconisation n°187. 58 « création ou maintien de l’emploi » dans l’ancien article L. 430-6 du Code de commerce. 59 « prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante » dans l’ancien article L. 430-7, III, du C. com.

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concurrentielle.

Ainsi, conformément à la préconisation n° 187 du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, la LME a attribué le contrôle concurrentiel des opérations de concentrations à la seule Autorité de la concurrence. Au titre de l’article L. 430-6 du Code de commerce : « Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ».

L’Autorité de la concurrence prend donc désormais la place du ministre, mais seulement pour le contrôle concurrentiel de l’opération de concentration.

Il résulte de cette avancée majeure qu’en plus de rendre plus crédible notre système, elle apporte aux entreprises une certitude quant aux considérations premières qui seront prises en compte dans le contrôle de leur opération de concentration. Effectivement, leur projet de concentration sera désormais examiné en premier lieu par des experts en matière de concurrence qui apporteront rigueur et stabilité à l’analyse concurrentielle. Les entreprises devraient, donc, pouvoir élaborer la restructuration de leurs activités en référence à une méthode d’analyse concurrentielle leur garantissant beaucoup plus de sécurité juridique, en raison de la compétence qualifiée de ceux qui sont, désormais, chargés de son élaboration. Ces différents aspects de la réforme offrent, ainsi, aux entreprises un contrôle des concentrations garant d’une sécurité juridique plus grande qui permet un système de contrôle plus efficace, dans sa globalité, car les acteurs du marché peuvent s’y conformer. La sécurité juridique correspond à un impératif économique sans lequel les entreprises ne pourront pas appréhender le contrôle des concentrations comme autre chose qu’un simple moyen de sanction, et ne percevront jamais celui-ci comme un instrument de régulation des marchés, utile à la pérennité de l’ensemble des concurrents évoluant sur un même marché.

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De plus la confiance des opérateurs qui se soumettent à ce système de contrôle est un élément clef dans la performance et l’efficacité de celui-ci. Les entreprises participant à une concentration contrôlable doivent pouvoir compter sur des décisions justes, découlant d’une analyse logique et stable, même si elle fait preuve de rigueur, afin de pouvoir concevoir, en toute sécurité juridique, une opération de concentration conforme au régime de contrôle et de pouvoir voir leur projet se réaliser. Section 2- La flexibilité améliorée du contrôle des concentrations En plus de la sécurité juridique, les opérateurs économiques évoluant dans un monde où « le temps c’est de l’argent » nécessitent que la procédure du contrôle de leurs opérations de concentration soit le plus rapide possible. De cet impératif de rapidité de la procédure, dépend l’efficacité globale du contrôle des concentrations. Il en va de la croissance économique française, dont les opérations de concentrations sont au cœur. La LME a pris en compte cet impératif de rapidité. Nous verrons, que, pour satisfaire cette exigence, tout d’abord, plusieurs de ses dispositions permettent une amélioration globale de l’organisation du contrôle des concentrations, et d’autre part, qu’elle tend à raccourcir les délais de la procédure. 1§ L’amélioration globale de l’organisation du contrôle Au regard de l’article L. 461-3 du Code de commerce, l’opération qui ne soulève pas de difficulté en matière de concurrence, et n’exige qu’un examen rapide (phase 1), peut être traitée par le président, ou le vice-président du collège statuant seul. Cette disposition devrait limiter l’examen en formation collégiale aux opérations les plus complexes, dans le cadre de la phase 2 du contrôle. On voit là, le souci du législateur de permettre à l’Autorité de la concurrence de se concentrer sur les dossiers les plus importants, suivant une fois de plus la logique proposée par Rapport de la Commission pour la libération de la croissance

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française60. Mais surtout, les opérations de concentration les plus simple, qui ne n’affectent en rien la concurrence, pourront dorénavant se réaliser dans des délais les plus brefs, au bénéfice de leurs opérateurs. Par ailleurs, le fait que le nouveau système confie les deux phases de la procédure à l’Autorité de la concurrence, apporte, selon les termes du Conseil de la concurrence, une « synergie » permettant de raccourcir les délais de la procédure. Il en est de même, du fait de l’attribution à la nouvelle Autorité, de ses propres services d’enquête et d’instruction. En effet, ces modifications, évitent que les dossiers soient transférés d’un service administratif à l’autre, écartant le problème lié à la lenteur et aux méandres de la bureaucratie administrative française, ce qui tend, dans l’ensemble vers un contrôle des concentrations plus efficace, par conséquent plus rapide. En ce sens, le président Bruno Lasserre, a exprimé sa volonté d’améliorer le processus de décision relatif aux opérations de concentration en terme de rapidité, du moins, en ce qui concerne les opérations ne révélant pas de difficulté particulière quant au jeu de la concurrence. Cependant, il a insisté sur les contreparties impliquées par cette rapidité requise par les entreprises. Tout d’abord, ces dernières devront « faire preuve de diligence » dans leurs relations avec le service chargé de l’instruction de leur dossier. Mais, également, elles devront accepter le fait que « les décisions rendues dans ce contexte ne soient pas longuement motivées, et, ne fassent donc pas jurisprudence »61. 2§ L’amélioration de la souplesse des délais Lors de la première phase du contrôle, l’Autorité de la concurrence dispose de 25 jours ouvrés pour se prononcer à compter de la date de réception de la notification complète62 , au lieu de cinq semaines en comparaison avec l’ancien régime. Lorsque les parties présentent des engagements à l’Autorité de la concurrence dans ce délai, celui-ci est automatiquement

60 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, présidé par Monsieur Jacques Attali Editions la documentation française, 2008, préconisation n° 190. 61 Du Conseil de la concurrence à l’Autorité de la concurrence, Pauline de Lanzac, avocat au cabinet Latournerie Wolfrom & Associés, responsable du département Concurrence et Régulation. 62 Article L. 430-5, I du C. com.

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prolongé de 15 jours ouvrés63. Les engagements visant à compenser les effets anticoncurrentiels de l’opération, pourront désormais être présentés tout au long de la procédure, sans attendre l’ancien délai de deux semaines après notification. Ainsi, la procédure issue de la réforme apporte une flexibilité puisque cet allongement existera quelque soit la date de présentation des engagements. Si, lors de cette première phase l’Autorité de la concurrence ne prend aucune décision formelle, elle devra en informer le ministre de l’Economie, et l’opération sera réputée avoir été tacitement autorisée, une fois le délai imparti au ministre pour demander un examen approfondi de l’opération expiré. En effet, le ministre de l’Economie dispose d’un délai de cinq jours ouvrés à compter de la décision de phase 1, ou à partir de l’autorisation tacite de l’opération, pour demander à l’Autorité de procéder à un examen approfondi64. Le pouvoir d’autoriser l’opération de façon tacite, auparavant détenu par le ministre de l’Economie, aujourd’hui attribué à l’Autorité administrative indépendante, est donc maintenu, car celui-ci permet d’alléger la tâche de l’Autorité de la concurrence liée à la rédaction des documents administratifs superflus. Ainsi, aux termes de la nouvelle loi, les parties à une opération de concentration devront, donc, au minimum, attendre jusqu’à 30 jours pour obtenir une décision définitive en phase 1, ce délai pouvant atteindre 60 jours ouvrés en cas de prolongation ou de suspension de la procédure. Lors de l’éventuelle seconde phase du contrôle, l’Autorité de la concurrence dispose de 65 jours ouvrés supplémentaires pour mener un examen approfondi de l’opération65. Dans l’hypothèse où les parties proposent des engagements moins de 20 jours ouvrés avant l’expiration des 65 jours, ce délai d’examen expirera automatiquement 20 jours ouvrés après la réception de ces engagements66. Lorsque l’opération est autorisée avec injonction, ou interdite, le projet de décision doit être transmis aux entreprises auxquelles un délai raisonnable sera imparti pour présenter leurs 63 Article L. 430-5, II du C. com. 64 Article L. 430-7-1, I, du C. com. 65 Article L. 430-7, I, du C. com. 66 Article L. 430-7, I, du C. com.

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observations67. De même qu’au cours de la première phase, si aucune décision n’est prise dans le délai imparti, l’Autorité doit en informer le ministre de l’Economie. L’opération sera réputée autorisée tacitement au terme du délai de 25 jours ouvrés pendant lequel le ministre peut exercer son pouvoir d’évocation68. Enfin, le ministre de l’Economie dispose d’un délai de 25 jours ouvrés à compter de toute décision de phase 2 pour évoquer une affaire qui revêt une dimension stratégique et statuer sur l’opération en cause. Ainsi, en cas d’ouverture de la seconde phase du contrôle, la décision définitive quant au sort de la concentration, aura lieu, au plus tard, 110 jours69, soit près de 4 mois après la réception de la notification complète. Les délais sont donc globalement, légèrement, raccourcis, puisque la procédure issue de l’ancien régime prévoyait un délai de trois mois pour le Conseil et d’un mois pour le ministre, soit un total de 122 jours, dont 88 jours ouvrés. De plus, notons, qu’un mécanisme d’arrêt de la montre a été institué par la loi de modernisation de l’Economie, possible en phase 1 comme en phase 2, mais selon des modalités différentes. Le Conseil de la concurrence, dans son Avis relatif au projet de réforme70 avait regretté que, dans la version qui lui a été soumise, l’article L. 430-7 ne comprenne plus « d’alinéa permettant aux entreprises de proposer des engagements et d’obtenir à ce titre une prorogation de délai », manifestement, facteur de plus de sécurité pour les entreprises. Le législateur a tenu compte de cette remarque puisque la version finale de la loi est codifiée en les termes qui suivent. Concernant la phase 1 de la procédure, « Si des engagements sont reçus par l'Autorité de la concurrence, le délai mentionné au I est prolongé de quinze jours ouvrés »71. Et concernant la phase 2, « En cas de nécessité particulière, telle que la finalisation des engagements mentionnés à l'alinéa précédent, les parties peuvent demander à l'Autorité de la concurrence de suspendre les délais d'examen de l'opération dans la limite de 67 Article L. 430-7, III, alinéa 4, du C. com. 68 Article L. 430-7, V, du C. com. 69 65 jours ouvrés de délai pour l’Autorité de la concurrence + 20 jours de suspension possible des délais + 25 jours de délai d’évocation du ministre. 70 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence. 71 Article L. 430-5, II, alinéa 2 du C. com.

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vingt jours ouvrés. Ces délais peuvent également être suspendus à l'initiative de l'Autorité de la concurrence lorsque les parties ayant procédé à la notification ont manqué de l'informer d'un fait nouveau dès sa survenance ou de lui communiquer, en tout ou partie, les informations demandées dans le délai imparti, ou que des tiers ont manqué de lui communiquer, pour des raisons imputables aux parties ayant procédé à la notification, les informations demandées. En ce cas, le délai reprend son cours dès la disparition de la cause ayant justifié sa suspension »72. La loi de modernisation de l’Economie offre donc aux entreprises un système garantissant sécurité et respect des droits de la défense. Il est essentiel de rappeler, ici, que ce mécanisme de suspension de la procédure introduit par la réforme, en plus de représenter un facteur de sécurité juridique pour les entreprises, est à la fois un moyen de rendre les délais beaucoup plus souples. On peut, également, noter que le législateur a pris en considérations les observations du Conseil de la concurrence relatives aux délais de la procédure73, dans la version finale de la réforme. Le projet de loi avait, en effet, l’inconvénient de proposer une méthode de computation du délai d’examen approfondi qui faisait masse des délais de phase I et II. Selon le Conseil, il est plus simple et plus lisible de conserver l’ancien système dans lequel ces délais sont distincts. Comme le lui l’a proposé le Conseil, le législateur a prévu au titre de l’article L. 430-7, I, que : « Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de celui-ci ». Pour conclure, on ne peut retirer à la loi de modernisation de l’Economie, le mérite incontestable de rendre le contrôle des concentrations actuel plus transparent et plus efficace. En effet, le fait de confier le contrôle concurrentiel, phase 1 et 2, à l’Autorité de la concurrence représente un grand pas en avant, en matière de contrôle des concentrations. Cette modification, si simple soit-elle, touche au pouvoir politique et bouleverse les institutions administratives françaises. Cependant, on peut dire que c’est un mal pour un bien, car, à l’heure actuelle, il était grand temps d’instaurer un peu plus de transparence et 72 Article L. 430-7, II, alinéa 2 73 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence.

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d’indépendance dans notre contrôle des opérations de concentration. La crédibilité de la place toute entière qu’occupe la France dans le Réseau Européen de Concurrence en dépendait. De surcroit, ce transfert de compétence permettant de mettre fin au système institutionnel bicéphale antérieur, était indispensable à l’efficacité et la sécurité juridique du système de contrôle des opérations de concentration français. Car, il en va de la santé économique globale de la France. Les opérations de concentration ont un tel impact sur le paysage économique français, qu’elles doivent faire l’objet d’un contrôle performant et stable. Seule cette double condition permettra aux pouvoirs publics de pouvoir réguler les marchés de façon à obtenir une concurrence équilibrée afin de dynamiser les activités économiques françaises. Ainsi, le nouveau système offrant désormais transparence, sécurité juridique, et efficacité aux entreprises, ces dernières pourront enfin se comporter comme de véritables acteurs dans la construction des marchés en se conformant aux exigences de l’Autorité de la concurrence. Ceci représente un réel progrès, car le contrôle des concentrations, pourra dorénavant être utilisé comme un véritable outil de régulation économique, participant à l’élaboration d’une politique de concurrence unifiée, donc solide, et de surcroit en accord avec la politique de concurrence communautaire. Sur ces bases là, et comme le prévoit la loi de modernisation de l’Economie, on peut envisager une intervention exceptionnelle du Ministre de l'Economie légitime, c'est à dire, s'inscrivant dans une logique où celui-ci agit conformément à sa mission d’intérêt général consistant à veiller au bon fonctionnement et développement de l’Economie française.

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SECONDE PARTIE

D’UNE COMPETENCE PRINCIPALE A UNE COMPETENCE RESIDUELLE DU MINISTRE

DE L’ECONOMIE

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Art 430-7-1 du Code de commerce « I.-Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-5, le ministre chargé de l'économie peut demander à l'Autorité de la concurrence un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7. II.-Dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-7, le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération. Les motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence pouvant conduire le ministre chargé de l'économie à évoquer l'affaire sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l'emploi. Lorsqu'en vertu du présent II le ministre chargé de l'économie évoque une décision de l'Autorité de la concurrence, il prend une décision motivée statuant sur l'opération en cause après avoir entendu les observations des parties à l'opération de concentration. Cette décision peut éventuellement être conditionnée à la mise en œuvre effective d'engagements. Cette décision est transmise sans délai à l'Autorité de la concurrence. »

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Si la LME retire au ministre de l’Economie le pouvoir de décider systématiquement du sort des opérations de concentration, celle-ci lui laisse, toutefois, la possibilité d’intervenir en la matière, mais dans des conditions plus limitées. Il est intéressant de dégager le paradoxe qui ressort des dispositions de la LME concernant le contrôle des concentrations, et plus précisément, quant à l’évolution du rôle du ministre de l’Economie. On observe une double évolution dont les sens sont inversés. D’une part, le ministre voit son intervention diminuée en passant d’une mise en œuvre systématique à une mise en œuvre exceptionnelle, mais d’autre part, les fondements de son intervention s’élargissent en passant de l’ « atteinte à la concurrence »74 et du « progrès économique et social »75 à l’ « intérêt général »76. Notons que le rôle essentiel de l’autorité politique dans le contrôle des concentrations résulte de l’histoire de la France. En effet, c’est lors de l’élaboration de la loi de 1977, que « le Parlement a suivi le Gouvernement dans son projet de donner à l’administration un instrument d’action sur le phénomène de concentration d’entreprises »77. Ainsi, on peut voir dans la Loi de Modernisation de l’Economie la volonté du législateur de réduire la nature politique du contrôle des concentrations. Peut-on, alors, dire que la Loi de Modernisation de l’Economie met réellement fin à la structure institutionnelle bicéphale du contrôle des concentrations ? Le transfert de compétence issu de la LME est-il réel ou fictif ? Ces questionnements pourront être éclaircis une fois que sera déterminé, d’une part, la compétence du ministre de l’Economie (Titre 1), et d’autre part, les limites à cette dernière (Titre 2) dans le cadre du contrôle des concentrations. Mais, auparavant, il est indispensable d’introduire la notion de « bilan économique et social » qui permettra, en comparaison avec le régime antérieur, de mettre en évidence une certaine interprétation de la nouvelle compétence du ministre de l’Economie.

74 Ancien art. L. 430-5, III, du C. Com. 75 Ancien art. L. 430-7, III, du C. Com. 76 Art. L.430-7-1, II, du C. Com. 77 F. Ch. Jeantet, « Loi sur le contrôle des concentrations économiques en France », JCP 1977, édition C.I. 12547, n° 34.

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A propos du bilan économique et social Il semble utile, à ce stade de l’analyse, d’établir un état des lieux autour de la notion de bilan économique et social. Cette notion, découlant de la législation antérieure relative au contrôle des concentrations français, est indispensable à l’appréciation du nouveau rôle confié par la réforme au ministre de l’Economie. En effet, éclaircir cette notion permettra également de bien dissocier les compétences de l’Autorité de la concurrence d’une part, et celles du ministre de l’Economie, d’autre part, au regard de la nouvelle rédaction du Titre III intitulé « de la concentration économique », du livre IV du Code de commerce. Le point de départ du raisonnement, déjà mentionné dans la partie I du présent mémoire78, rappelons le, réside dans le principe selon lequel la concurrence n’est pas un droit absolu, car « elle doit être combinée et harmonisée avec les autres instruments de la politique économique »79. En résulte, une approche assez répandue en Europe, qui consiste à exempter une pratique ou une structure qui aurait des effets anticoncurrentiels du fait de sa contribution au progrès économique. Cette philosophie du droit de la concurrence apparaît au regard des articles 81-3 du Traité de Rome et L. 420-4 du Code de commerce relatif aux pratiques anticoncurrentielles. En effet, ce dernier dispose que les pratiques anticoncurrentielles peuvent échappées à la sanction lorsque leurs « auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause »80. C’est pourquoi, le contrôle des concentrations est réalisé au terme de deux bilans distincts et successifs. Dans un premier temps, doit être élaboré un bilan purement concurrentiel, qui revêt une dimension micro économique. Ce n’est que dans le cas où ce premier examen, à échelle du marché concurrentiel, se révèle être négatif que les autorités publiques peuvent engager un bilan économique et social, de dimension macro économique81. 78 Partie I, Titre 2, paragraphe premier, du présent mémoire. 79 La réglementation de la concurrence dans la CEE, PUF (1974), p. 31. 80 Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ». 81 Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008.

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Historiquement, le concept large de bilan économique et social a été introduit par la loi du 19 juillet 1977, qui confiait sa réalisation aux ministres. La loi prévoyait que : « l’acte ou l’opération juridique ne peuvent donner lieu à l’une des mesures prévues par l’article 8 s’ils apportent au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence qu’ils impliquent. L’évaluation de cette contribution tient compte de la compétitivité des entreprises concernées au regard de la concurrence internationale »82. Ainsi, la conception du « progrès économique » s’est étendue au progrès social. C’est au titre de l’Ordonnance de 1986 que le concept s’est dissocié en deux notions : le « bilan économique » d’une part, et le « bilan social » d’autre part83. L’article 41 de l’Ordonnance prévoyait que : « le Conseil de la concurrence apprécie si le projet de concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ». Et, paradoxalement, l’article 42 stipulait que : « Le ministre chargé de l’Economie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent (…) subordonner la réalisation de l’opération à l’observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». Dès lors, le Conseil de la concurrence s’est vu retirer la mission d’effectuer le bilan social de l’opération. L’Avis qu’il rendait, en cas de saisine, devait uniquement se baser sur des considérations économiques et concurrentielles, et apporter une analyse microéconomique des effets liés à l’opération de concentration examinée. En revanche, le Gouvernement, lui, en plus de se voir octroyer la possibilité d’intégrer des considérations d’ordre social dans les motivations de sa décision finale, a conservé la faculté de justifier sa décision par des facteurs économiques et purement concurrentiels. Il s’en est suivi un flou général concernant les compétences respectives de chacun. En effet, le Rapport du groupe d’experts appelé « Commission Donnedieu de Vabres » effectuant les travaux préparatoires de référence « préconise une clarification des rôles incombant 82 Article 8, dernier alinéa, de la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977. 83 Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ».

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respectivement au Conseil de la concurrence et au Gouvernement. Ce dernier pourrait à l’avenir prendre en compte les diverses considérations, de politique sociale ou autre, qui peuvent justifier une concentration, alors même qu’elle affecterait négativement les conditions de la concurrence. Le Conseil de la concurrence, quant à lui, ne se prononcerait plus que du point de vue qui correspond à sa compétence, à savoir le bilan économique et l’incidence que l’opération peut avoir sur la concurrence84. Précisons que si la Commission Donnedieu de Vabres transférait le soin d’établir le bilan social aux ministres, elle limitait la décision ministérielle finale à l’Avis du Conseil de la concurrence. Or, sur ce dernier point, elle n’a pas été suivie par le Gouvernement, qui a préféré, par choix politique, étendre les pouvoirs du ministre de l’Economie. La loi sur les Nouvelles Régulations Economiques a conservé la répartition des tâches organisée par l’Ordonnance de 1986. Ainsi, les articles L. 430-6 et L. 430-7 du Code de commerce entérinaient les dispositions précédentes relatives au partage de compétences en matière de contrôle des concentrations. En conséquence le bilan économique, effectué à un niveau macro économique, incluant des facteurs non concurrentiels, mais des considérations plus générales, s’est retrouvé délaissé, « les deux institutions privilégiant le bilan concurrentiel »85, réalisé à un niveau micro économique. Les origines de la notion de « bilan économique et social » étant présentées, nous pouvons envisager plus aisément l’appréciation du nouveau rôle qui est confié au ministre de l’Economie.

84 Non publié, Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ». 85 Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008.

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-Titre 1-

L’APPRECIATION DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE

Au regard de l’article L. 430-7-1 du Code de commerce, tel que modifié par la LME, il convient d’aborder à présent la question de la compétence résiduelle attribuée au ministre de l’Economie en matière de contrôle des concentrations, considérablement modifiée par la réforme. Dans un premier temps, il s’agira de définir la compétence ministérielle (Chapitre 1) en matière de contrôle des concentrations, suite à l’interprétation découlant des termes qui l’introduisent. Puis, dans un second temps, la compétence ministérielle étant définie, nous serons à même de s’interroger sur la nécessité de cette dernière (Chapitre 2). Car le fait que l’intervention du ministre dans ce domaine soit maintenue par la réforme, si limitée soit elle, tend à pérenniser la structure institutionnelle bicéphale du système de contrôle antérieur.

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CHAPITRE 1 : L’INTERPRETATION DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE Apporter une définition claire à la compétence ministérielle, nouvellement modifiée par le législateur, en matière de contrôle des opérations de concentration, est indispensable dans le cadre de notre sujet. Cet exercice nous permettra, d’une part et au terme d’une comparaison avec l’ancien régime, de dégager les réels apports de la loi de modernisation de l’Economie à ce niveau, et d’autre part, de mieux comprendre l’articulation du rôle ministériel avec celui de l’Autorité de la concurrence. Afin de dégager une définition la plus objective possible, nous commencerons par définir strictement les termes qui introduisent la nouvelle compétence ministérielle (Section 1). Ensuite, nous pourrons effectuer un travail d’interprétation quant à cette compétence, pour apprécier la place du ministre de l’Economie dans le contrôle des concentrations français (Section 2).

Section 1- Les fondements du champ de la compétence du ministre de l’Economie

Nous tâcherons, ici, de définir les termes qui composent la phrase suivante : « le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération ». A cet effet, nous procèderons en deux temps. Tout d’abord, nous examinerons le paragraphe I de l’article L. 430-7-1 du Code de commerce au titre duquel le ministre de l’Economie peut demander un examen approfondi de l’opération de concentration. Nous analyserons, ensuite, l’expression selon laquelle le ministre de l’Economie « peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération», et l’alinéa second du II de l’article la complétant. Ainsi, nous pourront avoir une vision précise des éléments qui caractérisent le pouvoir du ministre de l’Economie, en matière de contrôle des concentrations,

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ainsi que des conséquences qu’ils impliquent. 1§ L’attribution d’un pouvoir de demande d’un examen approfondi

Selon l’article L. 430-7-1, I, du Code de commerce, : « I.-Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-5, le ministre chargé de l'économie peut demander à l'Autorité de la concurrence un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 ». En premier lieu, apparaît le champ d’application du pouvoir octroyé par cette disposition. En effet, c’est « Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-5 » que le ministre peut exercer son pouvoir. Notons, tout d’abord, que ce délai est à inclure dans la phase 1 du contrôle. En effet, il court à compter de l’information du ministre de la décision d’autorisation de l’Autorité, prise lors du premier examen de l’opération, en vertu de l’article L. 430-5 du Code de commerce. Ainsi, compte tenu de ce délai de 5 jours ouvrés, nous tenons à préciser, pour des raisons de sécurité juridique, qu’ « une opération ne pourra être tacitement acceptée qu’au-delà d’un délai de 30 jours ouvrés (contre 5 semaine avant), à dater de la réception complète, ou 50 jours en cas d’engagements, voir 65 jours ouvrés s’il y a suspension de la pendule par le dépôt d’engagements »86. Par la suite, on peut noter que l’expression « peut demander à l'Autorité de la concurrence » induit que cette dernière semble pouvoir refuser. Ainsi, dans le sens général de la réforme, le ministre pourra certes demander à l’Autorité d’effectuer un examen approfondi de l’opération, mais, celle-ci, en toute indépendance, pourra accepter comme refuser de donner suite à la demande. Enfin, les termes « un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7 » confirme que cet examen approfondi demandé par le ministre lors de la phase 1 du contrôle n’est en aucun cas réalisé par lui-même, mais bien par 86 Le transfert du contrôle des concentrations à l’Autorité de la concurrence, Christine Vilmart, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 2-Février 2009.

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l’Autorité de la concurrence tel que le prévois les articles L. 430-6 et L. 430-7 du Code de commerce, et selon le déroulement normal de la procédure. Ainsi, le ministre de l’Economie peut désormais, lors de la phase 1, demander à ce que l’opération de concentration fasse l’objet d’un examen approfondi opéré par l’Autorité de la concurrence qui portera donc sur une analyse purement concurrentielle. Cette intervention du ministre lors de la phase 1 du contrôle de l’opération peut être justifiée du fait que son droit d’évocation est limité à l’ouverture d’un examen approfondi (phase 2 du contrôle). Le ministre de l’Economie, de ce fait, conserve tout de même la possibilité d’intervenir sur l’examen concurrentiel de l’opération de concentration. Celle-ci se traduit par le moyen indirect d’approfondir le contrôle des opérations qui, a priori et selon l’analyse de l’Autorité de la concurrence présentent un bilan concurrentiel positif ne portant pas atteinte à la concurrence. Toutefois, l’idée générale de la réforme du contrôle des concentrations réside dans une spécialisation des rôles entre le ministre de l’Economie et l’Autorité de la concurrence, en vue d’écarter les interventions ministérielles dans l’appréciation du bilan concurrentiel, et vice versa, concernant les interventions de l’Autorité de la concurrence en matière d’intérêt général. Il semble donc que ce pouvoir d’intervention octroyé au ministre pour déclencher en phase 1 un examen concurrentiel approfondi de l’opération manque de cohérence avec l’ensemble du nouveau dispositif. En effet, même si la réalisation de ce bilan approfondi est effectuée par l’Autorité de la concurrence, spécialiste en la matière, le seul fait que le ministre puisse déclencher celui-ci représente, à son profit, un moyen d’intervention considérable pour apprécier en des termes concurrentiels l’opération87. 2§ L’attribution d’un droit d’évocation décisionnel fondé sur des motifs d’intérêt général Au titre de l’article 430-7-1, II, du Code de commerce, « Dans un délai de vingt-cinq jours 87 Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008.

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ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-7, le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération ». Il convient de décomposer l’étude de la compétence ministérielle en deux temps. En premier lieu, nous verrons que le droit d’évocation du ministre peut être qualifié de « décisionnel ». En second lieu, nous étudierons les termes qui fondent le champ de la compétence ministérielle sur la notion extrêmement large de l’ « intérêt général ».

A- Le droit d’évocation du ministre de l’Economie Tout d’abord, il convient de relever que le droit d’évocation du ministre est limité par un délai de 25 jours ouvrés à partir de la date à laquelle il a été informé de la décision de l’Autorité de la concurrence résultant de l’examen approfondi de l’opération correspondant à la seconde phase du contrôle. Ainsi, le droit d’évocation du ministre, et par la même de décision, ne s’applique donc, en principe, qu’aux opérations les plus complexes, du moins susceptibles d’avoir des effets néfastes sur l’équilibre concurrentiel du ou des marchés pertinents en cause. Ensuite, l’analyse porte sur les termes clefs qui définissent le droit d’évocation, tant controversé, du ministre de l’Economie en matière de contrôle des opérations de concentration. En effet, « le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause ». Le verbe « pouvoir » exprime la modalité du possible, en d’autres mots, la possibilité ou l’hypothèse offerte au ministre de mettre en œuvre son droit d’évocation. Les seules conditions de mise en œuvre qui encadrent cette possibilité résident dans le délai de 25 jours ouvrés, ci-dessus mentionné, ainsi que dans les motifs qui la justifient précisés à l’alinéa suivant. Ainsi, aucun critère objectif et prédéfini relatifs aux caractéristiques de l’opération de concentration ne conditionne la mise en œuvre du droit d’évocation du ministre, si ce n’est que cette dernière doit faire l’objet d’un examen approfondi. Dans le cadre de ce travail de définition stricte des termes de la loi de modernisation de l’Economie introduisant le pouvoir d’évocation du ministre de l’Economie en matière de

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contrôle des concentration, il est intéressant de relever tous les sens qui découlent du verbe « évoquer » en vue de l’interprétation qui va suivre. Car ce verbe revêt plusieurs sens. Premièrement, « évoquer » signifie « appeler, faire apparaître par la magie », par exemple, dans un contexte où l’on appelle les esprits. Deuxièmement et littéralement, au XVIIIème siècle « évoquer » voulait dire « apostropher, interpeller dans un discours les choses inanimées en leur prêtant l’existence, la parole ». Troisièmement et au XIXème siècle, ce verbe se traduisait par le fait de « rappeler à la mémoire ». Quatrièmement, et dès 1832, le terme « évoquer » correspond à « faire apparaître à l’esprit, par des images et des associations d’idées »88. Enfin juridiquement, l’ « évocation » est un pouvoir reconnu à la Cour d’appel d’attraire à elle le fond du litige, c'est-à-dire, de trancher les points non jugés en première instance, lorsqu’elle se trouve saisi d’un jugement ayant mis fin à l’instance sur exception de procédure, d’un contredit de compétence. Ainsi, objectivement, le ministre de l’Economie, à l’issue de l’examen approfondi de l’opération de concentration opéré par l’Autorité de la concurrence, peut appeler l’affaire en faisant apparaître des éléments imperceptibles au regard du seul bilan concurrentiel. En soi, le droit d’évocation du ministre, au regard des définitions précédentes, n’a pas de valeur contraignante. Or, le fait que l’expression « peut évoquer l’affaire» soit suivi de la conjonction de coordination « et », puis du verbe « statuer » en élargie considérablement le sens. La nature du droit d’évocation, par cette juxtaposition des termes, devient contraignante. Cette compétence du ministre définie d’une manière très générale par la loi, permet, donc, au ministre de l’Economie de changer le sens de la décision finale adoptée par l’Autorité de la concurrence. Nous qualifierons donc cette nouvelle compétence attribuée au ministre de l’Economie par la réforme de droit d’évocation « décisionnel ». L’imprécision des termes employés pour définir cette compétence ministérielle est telle, que nombreux sont les commentateurs qui se sont interrogé sur le sens que pourra prendre l’intervention du ministre de l’Economie89. Il semble donc que le ministre de l’Economie 88 Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du Petit Robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2002. 89 La création d’une Autorité de la concurrence aux compétences élargies : une réforme majeure et quelques scories ? Article de Michel Debroux, avocat à la Cour, Hogan & Harston.

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pourra aussi bien interdire ce qui a été autorisé par l’Autorité de la concurrence, qu’autoriser ce qui a été interdit à l’issue de l’examen approfondi de l’opération de concentration. Par ailleurs, il est important de relever que, si le ministre n’exerce pas son droit d’évocation pour changer le sens de la décision, la loi étant rédigée en des termes généraux, nous laisse envisager la possibilité qu’il peut alors exercer ce droit d’évocation pour modifier les engagements souscrits par les parties ou les mesures prises par l’Autorité de la concurrence.

B- Des motifs d’intérêt général fondant la compétence ministérielle Enfin, vient l’analyse des « motifs d’intérêt général » introduits par la loi de modernisation de l’Economie, justifiant la mise en œuvre par le ministre de l’Economie de son droit d’évocation « décisionnel ». Notons, tout d’abord, que le texte de loi se réfère non seulement à des « motifs d’intérêt général », mais également, au titre de l’alinéa 2 du II de l’article étudié90, à des facteurs de nature économique et sociale.

Tout d’abord, le fait que l’intervention ministérielle se fonde sur « des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence (nous soulignons) et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération », consacre la compétence exclusive de l’Autorité de la concurrence en matière de bilan concurrentiel. Là est la réelle avancée de la réforme. En effet, par ces termes, le législateur impose au gouvernement un certain champ d’intervention, si large soit-il, distinct de celui de l’Autorité de la concurrence, et lui interdit d’empiéter sur la compétence relative à l’analyse purement concurrentielle de cette dernière.

L’intérêt général est une notion politique française qui désigne la finalité de l'action de l'Etat sans que son contenu exact soit parfaitement défini. La définition de cette notion est un véritable enjeu politique. La notion peut être opposée aux intérêts particuliers, que l'intérêt général transcende, mais également envisagé comme la somme des intérêts particuliers. Elle s'apprécie le plus souvent à l'échelle du pays.

Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008. 90 Article L 430-7-1, II, du C. com.

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L'intérêt public est, par principe, défendu par les autorités de l'État, représenté en justice par le Ministère public. La fonction de ce dernier est d'intervenir dans des actions existantes, ou d'engager des actions nouvelles dans des causes pour lesquelles il n'y a pas d'intérêt particulier à agir91. Dès lors, on comprend l’utilité d’associer la notion d’intérêt général aux motivations justifiant l’intervention du ministre dans le contrôle des concentrations. Cette notion large, et de nature politique, permet, désormais, de fonder toute entière l’intervention du ministre de l’Economie dans le contrôle des opérations de concentration.

Pour les doctrines politiques utilitaristes, l'intérêt public consiste en la maximisation du bonheur individuel de tous les membres d’un groupe, d’une communauté, d’un pays, ou du monde entier. L’intérêt général est central dans les débats publics, politiques, économiques. Il met en jeu la finalité même du Gouvernement. Ainsi, si large soit le sens de la notion d’ « intérêt général », il paraît tout de même logique de conditionner l’intervention ministérielle à celle-ci, car, conformément à l’article 20 de la Constitution92: « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».

Ainsi, si l’Autorité de la concurrence possède désormais une compétence exclusive en matière de bilan concurrentiel, le ministre de l’Economie est dorénavant le seul à pouvoir intervenir dans le contrôle des concentrations pour des raisons de nature à favoriser l’intérêt général. Or, ces motifs d’intérêt général impliquant un contrôle strictement extra-concurrentiel93, peuvent, paradoxalement, être considérés comme des facteurs susceptibles de compenser les atteintes à la concurrence préconisées par le bilan concurrentiel. Par ailleurs, l’alinéa 2 du II de l’article L. 430-7-1 du Code de commerce, vient préciser la teneur des « motifs d’intérêt général » imposés au ministre de l’Economie pour justifier la mise en œuvre de son droit d’évocation décisionnel au cours de la phase 2 de la procédure du 91 En effet, une action en justice n'est recevable que si celui qui l'engage a un intérêt à agir. Article 31 du NCPC : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». 92 Constitution du 4 octobre 1958, publiée au Journal Officiel du 5 octobre 1958 fondant la Vème République française. 93 Conformément aux termes introduit par l’article L. 430-7-1, II, du Code de commerce selon lesquels les : « des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération » (nous soulignons).

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contrôle des concentrations. En effet, « Les motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence pouvant conduire le ministre chargé de l'économie à évoquer l'affaire sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l'emploi ». Le terme « notamment » indique que ces précisions apportées par la réforme concernant les « motifs d’intérêt général » ne constituent qu’une liste indicative et non limitative.

Le développement industriel signifie littéralement l’action de faire progresser l’ « Ensemble des opérations qui concourent à la production et à la circulation des richesses », et plus précisément à l’ « Ensemble des activités économiques ayant pour objet l’exploitation de matière premières, de sources d’énergie et leur transformation, ainsi que celle de produits semi-finis en bien de production ou de consommation »94. Si on se réfère aux lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF, on constate, en effet, que éléments de développement industriels que sont les « gains de productivité »95 et l’« Amélioration des capacités d’innovation et le renforcement des moyens de recherche et développement »96, constituent des « gains d’efficacité »97 à prendre en considération dans le bilan économique et social.

La compétitivité internationale des entreprises est également envisagée expressément, comme pouvant constituer un motif d’intérêt général fondant la compétence ministérielle en matière de contrôle des concentrations. On peut noter que ce critère, introduit par l’Ordonnance de 198698comme un élément essentiel du bilan économique de l’opération, est repris par la loi de modernisation de l’Economie en dehors de toute référence au progrès économique. Cependant, la DGCCRF, le considère comme un argument pris en compte dans le bilan économique99.

94 Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du Petit Robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2002. 95 § 468, p. 3.3.1 des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 96 § 471, p. 3.3.1 des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 97 p. 3.3 « Les gains d’efficacité et le bilan économique et social » des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 98 Article 41 de l’Ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence 99 § 474, p. 3.3.1 des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF.

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Par ailleurs, il convient de préciser que ce critère rejoint un élément fondamental du bilan concurrentiel, à savoir la prise en compte de la concurrence potentielle. Par conséquent, on peut en déduire que beaucoup des critères du bilan économique relève d’un bilan concurrentiel élargi. C'est-à-dire que le bilan économique de l’opération prend en considération des éléments de nature économique étant susceptibles de se retrouver dans le bilan concurrentiel, mais qui sont ici analysés au niveau national.

Concernant le motif d’intérêt général relatif à « la création ou le maintien de l’emploi », on peut, tout d’abord constater que la doctrine100, en général, associe l’évaluation de ce critère au bilan social d’une opération de concentration, et ce conformément aux lignes directrices de la DGCCRF101. Mais, « la création ou le maintien de l’emploi » est une considération d’ordre social rarement mise en œuvre par les organes chargés du contrôle des concentrations. Effectivement, si le Conseil de la concurrence a parfois fait référence à la création ou au maintien de l’emploi en l’intégrant au bilan économique102, la mise en œuvre par le ministre de l’Economie du bilan social, depuis 1986, ne fut que très rare103. Car s’il est facile de prouver qu’une opération de concentration a pour effet de créer de l’emploi, il est beaucoup plus difficile de démontrer que cette création ou ce maintien d’emplois n’aura pas pour effet une suppression d’emplois ailleurs.

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Si l'on peut comprendre que la décision finale appartienne au pouvoir politique, qui se prononcera sur des critères extérieurs à la concurrence ou à l'efficacité économique tels que les critères sociaux, environnementaux, l'aménagement du territoire, l'indépendance nationale pour des approvisionnements indispensables, la sécurité des entreprises serait renforcée si le ministre ne pouvait revenir sur le bilan concurrentiel de l'Autorité104.

100 Droit du contrôle national des concentrations, Didier Ferrier et Dominique Ferré, Dalloz Référence, première édition 2004 ; Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ». 101 p. 3..3.2 « Le bilan social » des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 102 Lettre du 19 décembre 1994 et Avis 94-A-26 du 15 novembre 1994, secteur de la publicité radiopho,oque (CLT/Fun Radio/M40), BOCC du 6 avril 1995, p.83 ; affaire Coca-Cola/Orangina II, Avis 99-A-14 du 28 septembre 1999, BOCC du 30 décembre 2000, p. 793. 103 Arrêté du 20 mars 1989, secteur des outils d’entretien ménager (Spontex/3M France), BOCC du 21 mars 1989, p. 65 ; Arrêté du 29 mars 1995, secteur de la pêche maritime et de l’appertisation, BOCC du 6 avril 1995, p. 83. 104 Supra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, 1§ « L’attribution d’un pouvoir de demande d’un examen approfondi ».

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Pour conclure sur ces éléments qui fondent la compétence du ministre, il intéressant, au regard du travail d’interprétation qui va suivre, de mettre l’accent sur le fait que les motifs d’intérêt général introduits par la LME, convergent tous vers la notion de progrès économique ou social.

Section 2- Une interprétation large du champ de la compétence du ministre de l’Economie

Cette vision objective et détaillée des éléments qui composent la compétence du ministre en matière de contrôle des concentrations peut désormais nous servir de base à une appréciation plus générale de la compétence du ministre attribuée par la LME en matière de contrôle des concentrations. Le présent exercice d’interprétation de la compétence du ministre, nouvellement attribuée par la LME, se compose en deux temps. Nous commencerons par effectuer une comparaison de la compétence du ministre de l’Economie, par rapport au bilan économique et social applicable selon le régime antérieur du contrôle français des concentrations. Des ces différences constatées, se dessineront plus précisément les contours de la compétence du ministre de l’Economie. Par la suite, en découlera une certaine interprétation de la compétence ministérielle selon laquelle la LME a confié au ministre de l’Economie l’établissement d’un « bilan global » des opérations de concentration. Le « bilan global » recouvre une notion nouvelle et empreinte d’une vision personnelle, dont l’intérêt reste à démontrer. 1§ La comparaison avec l’ancien bilan économique et social Comparer la compétence actuelle du ministre de l’Economie avec l’ancienne notion de « bilan économique et social », qualifiée de désuète par la doctrine105, nous permettra de cerner les 105 Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ».

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réels apports de la loi de modernisation de l’Economie. Car, depuis l’Ordonnance de 1986106, le Code de commerce confiait déjà au ministre de l’Economie et au ministre dont relève le secteur intéressé, le pouvoir de « subordonner la réalisation de l’opération à des prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». Dès lors, il s’en est suivi une séparation du « bilan économique » d’une part, et du « bilan social » puisque le Conseil de la concurrence a perdu la compétence pour effectuer le bilan social à côté du bilan économique107. Or, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques a, une fois de plus, modifié les dispositions relatives au contrôle des concentrations en élargissant la compétence du Conseil de la concurrence. Celui-ci, en plus de devoir tenir compte de la compétitivité internationale, devait également, prendre en considération la création ou le maintien de l’emploi. Ainsi, le Conseil de la concurrence et le ministre chargé de l’Economie, en cas de saisine pour avis du premier, se voyaient tous deux confier l’établissement d’un bilan économique et social de l’opération concernée. Afin d’aboutir à une appréciation de la compétence ministérielle issue de la réforme, la plus juste et la plus objective possible, nous baserons l’interprétation qui va suivre sur la notion de « bilan économique et social» consacrée par la pratique décisionnelle du régime antérieur. De cette manière, nous éclairerons notre vision de la compétence ministérielle à la lumière de trois concepts, certes liés mais toutefois nuancés: le « bilan économique », le « progrès économique », et le « bilan social ».

A- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière du bilan économique Comme on l’a vu précédemment108, les éléments venant compléter le sens des « motifs d’intérêt général » expressément visés par la loi de modernisation de l’Economie constituent,

106 Article 42 de l’Ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. 107 Supra Partie 2, « A propos du bilan économique et social ». 108 Supra Partie 2, Chapitre 1, section 1, §1 « L’attribution d’un droit d’évocation décisionnel fondé sur des motifs d’intérêt général ».

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tous, au regard des lignes directrices de la DGCCRF relatives au contrôle des concentrations, des arguments pris en compte dans le bilan économique. En effet, on peut constater que le « développement industriel », « la compétitivité internationale », et « la création ou le maintien de l’emploi » sont des critères, adoptées dans les lignes directrices de la DGCCRF, participants à l’élaboration du bilan économique et social. En considérant que le « développement industriel » correspond tant aux « gains de productivité» qu’à l’ « amélioration des capacités d’innovation et renforcement des moyens de recherche et développement », on note que les critères relatifs à l’ « amélioration des services aux consommateurs et à la collectivité », la « protection et développement de l’approvisionnement national », et la « protection de l’environnement » appréhendés par la DGCCRF comme des facteurs à intégrer au bilan économique et social, ne figurent pas dans les dispositions issues de la réforme. Cependant, la liste proposée par la loi de modernisation de l’Economie des motifs pouvant être considérés d’intérêt général n’étant pas limitative, il semble logique d’envisager que la nouvelle compétence ministérielle puisse parfaitement s’étendre aux préoccupations ci-dessus mentionnées, absentes du texte législatif. De même, la rédaction du Titre III « De la concentration économique » du Livre IV de l’ancien Code de commerce, ne présentait, absolument pas, tous les critères susceptibles de composer le bilan économique et social, et consacrés par la pratique de la DGCCRF au travers de ses lignes directrices.

B- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière de la notion de « progrès économique social »

Par ailleurs, et comme nous l’avons fait remarquer, les « motifs d’intérêt général » introduits par la réforme, convergent tous vers la notion de « progrès économique et social ». La notion de « progrès économique » est présentée par la doctrine comme un élément fondamental dans l’élaboration du bilan économique et social, auparavant effectué par le Conseil de la concurrence. « Le progrès économique » recouvre une notion « assurément » objective qui

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doit être étudiée au niveau de la « collectivité », et plus précisément, comme « celui qui profite aux utilisateurs et aux consommateurs finals »109. Auparavant, cette notion était expressément prévue par la loi, tant dans le champ de la compétence du Conseil de la concurrence que de celle du ministre chargé de l’Economie. Or, désormais, le législateur a fait disparaître la notion de « progrès économique » du champ définissant la compétence du ministre. Cette modification dans la rédaction introduisant la nouvelle compétence ministérielle soulève une interrogation quant à l’objectif poursuivi par le législateur. De surcroît, ce dernier a maintenu l’utilisation de cette notion pour définir la compétence de l’Autorité de la concurrence, en cas d’ouverture d’un examen approfondi de l’opération de concentration. En effet, au titre de l’article L. 430-6 du Code de commerce, lors de la phase 2 du contrôle, l’Autorité de la concurrence : « apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ». Ainsi, la notion de « progrès économique », est, dorénavant, présente dans le Code de commerce uniquement pour définir le champ de compétence de l’Autorité de la concurrence, en conséquence, dans le cadre caractérisant la méthode d’analyse concurrentielle utilisée par cette dernière. De plus, notons, que le bilan économique d’une opération de concentration, pour être positif, devait satisfaire quatre conditions cumulatives, au regard, toujours, des lignes directrices établies par la DGCCRF en matière de contrôle des concentrations. Premièrement, le progrès économique allégué par les parties devait être « suffisamment prévisible et quantifiable ». A ce titre, l’Administration conseillait aux parties d’accompagner leurs demandes des informations précises110 permettant une explication de « la méthode mise en œuvre pour générer les gains annoncés »111. Deuxièmement, le progrès économique 109 Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, PUF Droit 2002, collection Thémis Droit privé 110 « - les parts de marché, compte tenu de l’évolution des échanges extérieurs que les entreprises souhaitent réaliser (appuyée d’une étude de marché précise et détaillée) ; - les gains de productivité escomptés et leur incidence sur les prix, en précisant éventuellement les économies d’échelle possibles et les tailles optimales des unités de production ; - l’évolution prévue par la ou les entreprises en cas, notamment en matière de chiffre d’affaires, de volume d’investissements et de création d’emplois à moyen terme. Toutes ces indications seront apportées par référence à la situation des trois dernières années », § 464, p. 3.3, des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 111 § 465, p. 3.3, « Les gains d’efficacité et le bilan économique et social », des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF.

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invoqué par les parties à l’opération de concentration, devait profiter à la collectivité dans son ensemble, et notamment aux consommateurs. Troisièmement, la réalisation de la concentration devait être nécessaire au progrès économique allégué par les entreprises notifiantes. Et quatrièmement, le progrès économique préconisé devait être suffisamment important pour compenser les atteintes potentielles à la concurrence. Ces conditions confirment, une fois de plus, la valeur fondamentale de la notion de « progrès économique » dans l’interprétation à retenir pour définir le bilan économique. Les conditions, ci-dessus énumérées, caractérisant le progrès économique, apporté par une concentration dont le bilan concurrentiel est négatif, et susceptible d’en autoriser la réalisation, sont implicitement contenues dans la notion de « motifs d’intérêt général » consacrée par la réforme. Le paradoxe réside dans l’absence de référence expresse au « progrès économique et social » du champ de compétence nouvellement attribué au ministre de l’Economie. Si la notion de « progrès économique » ne figure pas expressément dans l’article L. 430-7-1 déterminant la compétence ministérielle lors de la phase 2 du contrôle, elle en éclairera cependant notre interprétation.

C- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière du bilan social

Concernant le bilan social, pouvant s’ajouter à l’argument du bilan économique, le Conseil de la concurrence, lors de l’examen approfondi de l’opération de concentration, devait tenir compte de « la création ou le maintien de l’emploi »112. Ainsi, le bilan social, prévu par l’ancien régime de contrôle des concentrations, constituait une compétence partagée entre le Conseil de la concurrence et le ministre de l’Economie113.

112 Ancien article L. 430-6 du Code de commerce, § premier, selon lequel : « Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale et de la création ou du maintien de l’emploi ». 113 Ancien article L. 430-7, III, du Code de commerce, au titre duquel, le ministre chargé de l’Economie pouvait autoriser l’opération en obligeant les parties, « à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ».

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Le Conseil de la concurrence a mis en œuvre le bilan social dans le cadre du contrôle des concentrations, d’une façon irrégulière et dispersée dans le temps. Dans cinq affaires, il a fait application du bilan social, en se référant directement au facteur de « la création ou le maintien de l’emploi ». On a pu constater que dans ces cas là, son analyse s’est présentée sous la forme d’un bilan économique intégrant, dans une de ses parties, le bilan social. De cette façon, sa mission, tantôt déchargée tantôt chargée par la préoccupation sociale que constitue l’emploi, était, dans tous les cas, conforme à la loi. Seul dans une de ces affaires, et à titre accessoire, le Conseil de la concurrence a retenu l’argument des parties en faveur de l’emploi comme favorable au bilan économique. Dans l’affaire SEB/Moulinex114, le Conseil indique que: «De plus, l’opération doit permettre le maintien des sites de production en France (…) Enfin, la reprise de Moulinex permet de maintenir les 270 centres de réparation agréés qui réalisent environ 25% de leur chiffre d’affaires avec Moulinex (…) Les gains d’efficience ainsi obtenus doivent permettre au groupe SEB, tout en maintenant des emplois en France, de rester compétitifs sur des marchés ». La mise en œuvre du bilan social par le ministre de l’Economie, s’est également révélée très rare, bien que ses compétences fussent claires en la matière. Selon les lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF : « l’existence de mesures sociales, si positives soient-elles, dont le seul but est de compenser les effets sociaux négatifs de la concentration, ne constituent pas à proprement parler un élément de progrès social, compte tenu des effets généralement négatifs sur l’emploi des opérations de concentration ». De cette pratique décisionnelle il ressort quatre principes115 en matière de bilan social. Premièrement, les parties doivent, comme en matière de progrès économique, démontré que l’opération qu’elles envisagent est facteur de création d’emplois. Deuxièmement, il est nécessaire d’évaluer si les créations d’emplois annoncés ne se font pas au détriment de l’emploi chez les opérateurs concurrents ou chez les fournisseurs ou clients des parties. Troisièmement, il faut que l’amélioration en termes d’emplois en cause ne puisse pas être obtenue par d’autres moyens que la concentration examinée. Quatrièmement, et pour finir, 114 Avis 02-A-07 du 15 mai 2002, secteur du petit électroménager (SEB/Moulinex), BOCC du 21 octobre 2002, p. 948. 115 § 481, p. 3.3.2, « Le bilan social », des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF.

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pour être positif, le bilan social, comme le bilan économique, doit être de nature à compenser les effets anticoncurrentiels de l’opération. Lorsque l’on considère la compétence ministérielle prévue par la loi de modernisation de l’Economie, on constate que « la création ou le maintien de l’emploi » est présentée comme un exemple des motifs d’intérêt général pouvant fonder l’intervention du ministre de l’Economie. Mais, si la notion de « progrès social » ou de « bilan social » n’apparaît pas expressément dans les dispositions de la loi, nous la considèrerons comme sous-jacente au caractère extra concurrentiel déterminant le champ de compétence du ministre de l’Economie. Effectivement, la loi précise, désormais, que le ministre de l’Economie peut évoquer l’affaire, lors de son examen approfondi, pour des motifs d’intérêt général « autres que le maintien de la concurrence », ce qui inclus évidemment des considérations sociales, politiques, stratégiques ... Ainsi, toutes ces observations relatives à l’ancien bilan économique et social tendent vers une interprétation large de la compétence ministérielle issue de la réforme. En effet, les similitudes entre, d’une part, la notion de « bilan économique et social » et d’autre part, la nouvelle compétence ministérielle, réside dans leur finalité commune. Il paraît évident que le bilan économique et social est, implicitement, contenu dans le champ de la compétence ministérielle issu de la LME. Mais, dorénavant, les critères permettant de le mettre en œuvre sont précisés, et de surcroît, il est intégré à un ensemble plus vaste correspondant à un « bilan global » intégrant des motifs d’intérêt général.

2§ D’un bilan économique et social à un « bilan global » Suite à l’étude comparée qui précède et à l’analyse des fondements déterminant le champ de la compétence ministérielle116, nous tâcherons, ici, de proposer, au terme d’une interprétation large, les caractéristiques de la compétence du ministre de l’Economie permettant de clarifier la répartition des rôles entre ce dernier et l’Autorité de la concurrence.

116 Supra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2.

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Alors que l’Ordonnance de 1986 avait scindée la notion de « bilan économique et social », avec d’un côté, le « bilan économique » et de l’autre côté, le « bilan social », la loi de modernisation de l’Economie, inversement, a opéré une fusion des deux notions, au travers d’un droit d’évocation intégrant des motifs d’intérêt général, conféré au ministre de l’Economie. Notons, tout d’abord, que la notion de «bilan économique et social » est à l’origine de confusions relatives au partage des compétences, auparavant, opéré entre les organes de la structure institutionnelle bicéphale du contrôle des concentrations. Il s’en est suivi, que les deux organes opérant le contrôle ont privilégié l’analyse concurrentielle de l’opération examinée, au détriment de l’analyse économique et sociale. En effet, nous devons, ici, soulever certaines incertitudes quant à la nature des éléments qui fondait les observations du ministre de l’Economie en comparaison avec celle des éléments composants le bilan concurrentiel. En effet, tant l’analyse approfondie, auparavant, effectuée par le Conseil de la concurrence, que l’analyse économique et sociale opérée par le gouvernement, nécessitait l’utilisation de notions économiques. En raison du caractère « multicritère » de l’analyse d’une concentration et de l’opacité présidant à la répartition des compétences entre le Conseil et le ministre117, leurs analyses ont parfois donné lieu à des interférences dues à la similitude des éléments d’ordre économique qui fondaient leur raisonnement. Or, en principe, l’intérêt de saisir le Conseil de la concurrence afin qu’il opère un examen approfondi de l’opération, résidait dans la valeur ajoutée de son analyse et non dans son caractère redondant. L’ancienne loi n’établissant pas clairement le cadre et les objectifs respectifs des analyses distinctes opérées par le ministre de l’Economie et le Conseil de la concurrence, il était difficile d’opérer une distinction nette entre les compétences attribuées à chacun des deux organes opérant le contrôle. L’apport fondamental de la loi de modernisation de l’Economie dans le contrôle des concentrations réside, en effet, dans une nouvelle définition, et par la même, répartition des 117 Vingtième anniversaire de l’ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot, Quelles mutations juridiques et économiques pour le contrôle des concentrations ? Jean-Patrice de La Laurencie, Avocat, rapporteur général de l’AFEC.

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compétences attribuées à chacun des organes exerçant le contrôle, qui permet, dorénavant, de distinguer clairement deux analyses distinctes opérées à deux niveaux d’étude différents. C’est surtout la définition de la nouvelle compétence, bien que résiduelle, du ministre de l’Economie, qui permet de saisir la distinction entre son analyse et celle opérée par l’Autorité de la concurrence. Les termes introduisant le droit d’évocation du ministre, selon lesquels, ce dernier doit fonder son intervention sur des « motifs d’intérêt général » apportent une dimension nouvelle dans le contrôle des concentrations. En effet, selon Michel Bazex et Sophie Blazy, « C’est une physionomie nouvelle que la loi du 4 août 2008 donne au contrôle de la concentration entre entreprises en ajoutant une dimension macroéconomique à l’approche microéconomique traditionnelle »118. Pour nuancer ces propos, on peut considérer que la dimension macroéconomique dans le contrôle des concentrations français préexistait à la réforme, sous la forme implicite et sous jacente à l’appréciation du « progrès économique et social » pouvant compenser les atteintes à la concurrence, confiée au ministre de l’Economie. Ainsi, la loi de modernisation de l’Economie, non pas ajouter une dimension nouvelle au contrôle des concentrations, consacre la dimension macroéconomique de la compétence ministérielle, qui permet de bien la dissocier de l’analyse microéconomique attribuée de façon exclusive à l’Autorité de la concurrence. La macro-économie correspond à une étude du comportement de l'ensemble de l'économie; elle porte surtout sur la production totale, le revenu national, le niveau de l'emploi et les fluctuations du niveau moyen des prix. Littéralement, le terme « macro » fait référence à un « élément du grand», plus précisément, le terme « macroéconomie » signifie une « étude des systèmes, des phénomènes et des relations économiques à un niveau global »119. La microéconomie, à l’inverse, se traduit par l’ « étude de l’activité et des comportements économiques des individus ». Elle se traduit, donc, par une étude du comportement des ménages, des entreprises et des marchés; elle cherche à savoir comment les prix et les quantités produites sont déterminés sur ces marchés et comment le mécanisme des prix affecte 118 Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008. 119 Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle édition du Petit Robert de Paul Robert, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, 2002.

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les ressources et distribue les revenus. Cette distinction macro/micro permet d’éclaircir l’opacité liée à la différence des analyses économiques opérées par le ministre de l’Economie, d’une part, et par l’Autorité de la concurrence, d’autre part. Car, si ces deux organes décisionnels du contrôle des concentrations fondent leurs analyses sur des éléments d’ordre économique, qui parfois peuvent être identiques, désormais, il est clair que ces éléments seront utilisés à des niveaux d’étude distincts. En effet, alors que l’Autorité de la concurrence effectue une analyse concurrentielle fondée sur des éléments économiques utilisés pour examiner l’opération et ses effets au niveau du ou des marchés pertinents en cause ; le ministre de l’Economie, opère, lui, une analyse économique et sociale qui peut être basée sur des éléments économiques comme non-économique, mais, qui doivent être employés pour analyser l’opération et ses effets au niveau de l’Economie nationale. Ainsi, nous interprétons, l’ajout par le législateur du caractère d’« intérêt général » qualifiant les motifs de l’intervention ministérielle comme une précision quant au cadre d’analyse s’imposant au ministre de l’Economie. Certes la notion d’ « intérêt général » est large, néanmoins elle permet de clarifier les rôles et de cerner la différence entre l’analyse opérée par l’Autorité de la concurrence et celle opérée par le ministre, en matière de contrôle des concentrations. La différence d’analyse est présidée par la différence des objectifs respectifs poursuivis par l’autorité concurrentielle, et l’autorité politique, et ce conformément aux missions que leur a confiées la loi. Dès lors, les choses peuvent rentrer dans l’ordre. L’Autorité de la concurrence veille à la protection de l’équilibre concurrentiel des marchés, et le ministre chargé de l’Economie veille à maintenir une Economie nationale saine et dynamique. Autrement dit, la loi de modernisation de l’Economie, « instaure un partage cohérent et transparent des rôles entre l’expert de la concurrence et le garant de l’intérêt général »120. La distinction entre analyses macroéconomique et microéconomique, respectivement attribuées au ministre de l’Economie et à l’Autorité de la concurrence, nous permet d’aboutir à la notion de « bilan global », afin de qualifier la compétence ministérielle issue de la LME 120 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence, du Conseil de la concurrence.

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en matière de contrôle des concentrations. Si la LME a retiré à l’autorité politique la compétence principale qu’elle avait pour effectuer le bilan concurrentiel des opérations de concentrations, elle lui a, néanmoins, laisser la possibilité d’effectuer un « bilan global » de l’opération intégrant des motifs d’intérêt général. Cette notion de « bilan global » n’est pas le fruit d’une invention personnelle. Elle se retrouve dans de nombreux commentaires de la réforme, et a été choisi en raison de sa fonction explicative et simplificatrice. Elle permet, une vision claire et simple des deux niveaux d’étude appliqués lors du contrôle des concentrations, qui, notons le, ne correspondent plus à la phase 1 et la phase 2 du contrôle121, mais appartiennent respectivement à deux champs de compétence distincts, l’un concurrentiel, et l’autre politique. Tout d’abord, et alors même que la réforme n’était encore qu’un projet, le Conseil de la concurrence, dans son avis n° 08-A-05, a indiqué que ce nouveau mécanisme « restaure en outre la liberté du Gouvernement, désormais habilité à effectuer un véritable bilan global des opérations de concentration stratégiques… »122. Par ailleurs, la DGCCRF, dans ses lignes directrices relatives au contrôle des concentrations123, utilise également cette notion en indiquant que le bilan social de l’opération examinée est un des éléments composant le « bilan global » de la concentration, et à partir duquel il est possible de déterminer si les atteintes à la concurrence sont compensées. De même, selon, Jean-Patrice de La Laurencie, en matière de contrôle des concentrations, « il y a bien une réalité globale à prendre en compte, ce qui justifie un bilan à la fois juridique, économique, social et politique, mais, il faut cependant que les choix soient clairs et que l’on ne nage pas dans l’ambigüité, comme c’est trop le cas en France »124. Ainsi, avec la LME, l’opinion de ce dernier a été prise en compte par le législateur. Ce même auteur accompagné 121 En effet, la compétence relative à la phase 2 du contrôle, revient, désormais, à l’Autorité de la concurrence, et par conséquent, l’examen approfondi reste purement concurrentiel ; excluant tout facteur non-économique dans l’appréciation des atteintes à la concurrence. 122 Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence, du Conseil de la concurrence. 123 § 485, p. 3.3.2, « Le bilan social », des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF, selon lequel : « le bilan social a été très rarement utilisé dans l’analyse d’une opération, compte tenu des difficultés à appréhender un bilan social global des opérations en cause, et cet élément n’a pu conduire jusqu’à présent à établir un bilan global favorable d’une concentration » 124 Vingtième anniversaire de l’ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot, Quelles mutations juridiques et économiques pour le contrôle des concentrations ? Jean-Patrice de La Laurencie, Avocat, rapporteur général de l’AFEC.

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de Jean-Mathieu Cot, sont allés encore plus loin en prédisant l’« approche plus globale de la contribution au progrès économique et social » apportée par la loi de modernisation de l’Economie et le fait de « rejoindre le concept d’intérêt général »125. Ainsi, au regard de l’interprétation large qui précède, et notamment, de l’appréciation de l’ancien bilan économique et social, on peut définir la nouvelle compétence récemment attribuée au ministre de l’Economie, par l’établissement d’un « bilan global » de l’opération de concentration, intégrant des motifs extra-concurrentiels et favorables à l’intérêt général. Pour que le « bilan global » de l’opération soit positif et permette la réalisation de la concentration, les motifs invoqués par les parties et pris en compte par le ministre doivent apporter une contribution suffisante au « progrès économique et social ». Ce dernier prendra en considération dans l’établissement du « bilan global », non seulement « la création ou le maintien de l’emploi » ou « la compétitivité des entreprises », comme sous l’ancienne législation, mais également d’autres motifs d’intérêt général, tel que « le développement industriel » Pour conclure, on peut dire que lorsque le ministre de l’Economie met en œuvre son droit d’évocation, il effectue un « bilan global » qui se traduit par une mise en balance des effets positifs liés aux objectifs d’intérêt général que permet d’atteindre l’opération et des effets négatifs liés au effets anticoncurrentiels de la concentration. 125 Le contrôle français des concentrations, Jean-Mathieu Cot et Jean-Patrice de La Laurencie, 2ème édition, LGDJ, collection « droit des affaires ».

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CHAPITRE 2 : L’APPRECIATION DE L’UTILITE DU « BILAN GLOBAL » OPERE PAR LE MINISTRE DE L’ECONOMIE

Afin d’apprécier l’utilité du « bilan global » introduit par la réforme, nous nous appliquerons, avant tout, à mettre en évidence les controverses, auparavant liées, au bilan économique et social (Section 1). De cette façon, nous pourrons identifier quelles sont les attentes légitimes liées à la compétence du ministre de l’Economie, et au champ de son intervention. Ainsi, après avoir soulevé les difficultés de mise en œuvre du bilan économique et social, nous nous interrogerons, tout d’abord, sur le caractère indispensable du « bilan global », avant d’aborder la question de son utilité réelle (Section 2), tant au regard des enjeux concurrentiels, que des enjeux politiques du contrôle des concentrations. Nous verrons de la sorte que l’intérêt principal du « bilan global » réside dans la dimension stratégique qu’offre cet outil au ministre de l’Economie. Section 1- Les controverses liées au bilan économique et social En premier lieu, on peut constater que l’Administration, auparavant chargée principalement du contrôle des concentrations, était extrêmement pessimiste quant à l’avenir du bilan économique et social. Tant dans sa Méthode d’analyse126, que dans ses Lignes directrices, elle fait état des difficultés rencontrées pour prendre en compte des considérations d’ordre social dans le contrôle des concentrations.

126 Méthode d’analyse, p. 61 : « L’examen des cas montre que le bilan n’a pas constitué un critère suffisant à lui seul pour justifier une autorisation. Dans certaines affaires parmi les plus anciennes, la création d’emplois liée à l’opération de fusion a été un élément additionnel significatif. Toutefois, depuis 1986, ce critère n’a plus jouer : ceci se comprend dans la mesure où la suppression d’emplois et la restructuration accompagnent le plus généralement les opérations de concentration ».

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En effet, dans la décision Coca-Cola/Orangina II127 les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture ont indiqué qu’«il n’est pas possible de se borner à examiner l’évolution prévisible de l’emploi à court terme dans les seules entreprises strictement concernées; [et qu’] il est nécessaire de raisonner en création ou en conservation nettes d’emplois, c’est-à-dire de prendre en compte les réductions d’effectifs qui pourront être provoquées dans les entreprises concurrentes par le renforcement du pouvoir de marché des entreprises qui participent à l’opération ». De plus, dans la décision SEB/Moulinex, le ministre de l’Economie n’a pas eu recours au bilan social, alors même que le Conseil de la concurrence préconisait des effets positifs en la matière. « Par conséquent, le bilan social a été très rarement utilisé dans l’analyse d’une opération, compte tenu des difficultés à appréhender un bilan social global des opérations en cause, et cet élément n’a pu conduire jusqu’à présent à établir un bilan global favorable d’une concentration. Il peut cependant constituer un élément additionnel venant compléter une réponse de nature concurrentielle, et le ministre accueille favorablement toute demande des entreprises notifiantes de considérer les arguments qu’elles souhaitent faire valoir sur ce point »128. On peut illustrer cet argument par la notion économique de « destruction créatrice » qui désigne le processus de disparition de secteurs d'activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques. Cette expression est fortement associée à l'économiste Joseph Schumpeter129.

127 Affaire Coca-Cola/Orangina II, Avis 99-A-14 du 28 septembre 1999, BOCC du 30 décembre 2000. 128 § 485, p. 3.3.2, « Le bilan social », des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 129 L’expression fut popularisée par Schumpeter dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie publié en 1942. L’idée remonte au philosophe Friedrich Nietzsche, mais la formulation elle-même a été proposée pour la première fois par l’économiste Werner Sombart.

« L'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous éléments créés par l'initiative capitaliste. [...] L'histoire de l'équipement productif d'énergie, depuis la roue hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou l'histoire des transports, depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que

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Dans la vision de Schumpeter du capitalisme, l’innovation portée par les entrepreneurs était la force motrice de la croissance économique sur le long terme, même si cela impliquait une destruction de valeur (ou « ouragan perpétuel » selon Schumpeter) pour les entreprises établies qui jouissaient d’une position dominante, voire d’un monopole.

Malheureusement pour certains la destruction créatrice peut être douloureuse. Les ouvriers ayant des compétences rendues obsolètes par les nouvelles technologies perdent leur emploi. Bien qu’elle permette à de plus nombreux travailleurs d’avoir une activité plus créative et plus productive, elle peut avoir des conséquences désastreuses sur l’emploi à court terme.

Ainsi, s’il est facile de prouver qu’une opération de concentration a pour effet de créer de l’emploi, il est beaucoup plus difficile de démontrer que cette création ou ce maintien d’emplois n’aura pas pour effet une suppression d’emplois ailleurs. Par ailleurs, un autre argument a été invoqué par la doctrine, suivi de la DGCCRF, contre l’idée d’utiliser le bilan social comme un outil dans le contrôle des concentrations. Il réside dans la difficulté de s’assurer de l’efficacité des engagements des entreprises en matière d’emploi130. Cependant, si sa mise en œuvre est délicate, la prise en compte du critère relatif à la création de l’emploi dans le contrôle des concentrations, est un critère utile qui doit être conservé. La DGCCRF présentait donc ce critère comme un élément simplement additionnel à intégrer, éventuellement, dans le bilan économique de l’opération131. Ainsi, lorsqu’une atteinte à la concurrence était mise en évidence, le ministre de l’Economie pouvait compléter le simple bilan économique par des considérations sociales132. consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter » Joseph Schumpeter, 1943 Traduction française 1951 Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.123. 130 M. Glais et P. Laurent, « La Commission de la concurrence et le contrôle de la concentration », Gaz. Pal. 1979, 2, doc. 477, commentaire et critique de la décision Vallourec/Les tubes de la Providence de la Commission de la concurrence, 1979, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986. 131« Il peut cependant constituer un élément additionnel venant compléter une réponse de nature concurrentielle, et le ministre accueille favorablement toute demande des entreprises notifiantes de considérer les arguments qu’elles souhaitent faire valoir sur ce point » § 485, p. 3.3.2, « Le bilan social », des lignes directrices relatives au contrôle des concentrations de la DGCCRF. 132 Ancien article L. 430-7, III, du Code de commerce, selon lequel peut autoriser l’opération « en obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence »(nous soulignons).

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Toutes ces observations mettent l’accent sur la nécessité qui s’imposait, au regard de l’ancien de régime, d’adapter le bilan social afin de pouvoir utiliser cet outil dans le contrôle des concentrations. Or, c’est bien plus qu’une simple adaptation du bilan social que met en œuvre la loi de modernisation de l’Economie au travers du « bilan global ». En effet, le «bilan global » conféré au ministre chargé de l’Economie par la réforme va beaucoup plus loin que la simple prise en compte de considérations sociales. Cette affirmation sera le point de départ de la section suivante. Section 2- Les controverses liées au « bilan global » L’objet de la présente section part du constat suivant : si le bilan social a été conservé au travers du droit d’évocation fondé sur des motifs d’intérêt général octroyé au ministre de l’Economie, ce dernier revêt une dimension extrêmement plus large que le premier. Il résulte de ce constat, que nous devrons, dans un premier temps, nous interroger sur le caractère indispensable d’un tel pouvoir. Ensuite, nous pourrons envisager la question de son utilité réelle, tant au regard des enjeux concurrentiels, que des enjeux politiques, du contrôle des concentrations. 1§ La question relative au caractère indispensable du « bilan global » dans le contrôle des concentrations La question du caractère indispensable relative au champ de la compétence ministérielle prévue par la réforme est un préalable nécessaire à la question de son utilité. De plus, elle nous facilitera la tâche qui consiste en l’appréciation des limites qui encadrent la compétence ministérielle133. Nous évaluerons, le caractère indispensable du « bilan global », au regard de deux arguments distincts qui tendent vers le constat que le contrôle des concentrations peut se dispenser de toute considération extra-concurrentielle. Nous verrons, tout d’abord, que la loi française 133 Infra, Partie 2, Chapitre 2, « Les limites de la compétence du ministre de l’Economie », du présent mémoire.

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offre, d’ores et déjà, de nombreux moyens au Gouvernement pour protéger l’intérêt général. Par la suite, nous constaterons que la Commission européenne, dans le cadre du contrôle des concentrations communautaire, ne permet pas, à ce jour, d’invoquer un intérêt général extra-concurrentiel.

A- Les moyens consacrés par la loi qui permettent de protéger l’intérêt général En premier lieu et au regard du droit communautaire, les autorités nationales ne peuvent pas, en principe, appliquer leur droit interne de contrôle des concentrations à des opérations qui relèvent du contrôle communautaire. Néanmoins, il existe une exception au principe d’exclusivité de la compétence de la Commission européenne contenue dans le Règlement du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises134, et faisant intervenir la protection de l’intérêt général. En effet, au titre de l’article 24, IV, du Règlement, ci-dessus mentionné, « les Etats membres peuvent prendre les mesures appropriées pour assurer la protection d’intérêts légitimes autres que ceux qui sont pris en considération par le présent règlement et compatible avec les principes généraux et autres dispositions du droit communautaire. Sont considérés comme intérêts légitimes, au sens du premier alinéa, la sécurité publique, la pluralité des médias et les règles prudentielles…135 ». Cela implique que l’invocation d’intérêts légitimes ne pourrait être fondée ni sur une préoccupation de protection de la concurrence, ni même, sur celle d’assurer le progrès économique ou technique136. Ainsi, le Règlement du 20 janvier 2004, précise trois catégories d’intérêts légitimes susceptibles d’autoriser un Etat à prendre les mesures appropriées relatives à des opérations de concentration relevant, normalement, du contrôle communautaire. La première catégorie 134 Article 24, IV, du Règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, dont les modifications issues du Règlement (CE) n o 1033/2008 de la Commission du 20 octobre 2008 n’apportent pas de changements. 135 « Tout autre intérêt public doit être communiqué par l’Etat membre concerné à la Commission et reconnu par celle-ci après examen de sa compatibilité avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire avant que les mesures visées ci-dessus puissent être prises. La Commission notifie sa décision à l’Etat membre concerné dans un délai de 25 jours ouvrables à dater de ladite communication », suite de l’article 24, IV, du Règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. 136 L’article 2 du Règlement n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, invite la Commission à tenir compte des paramètres relatifs à la sauvegarde de la concurrence et au progrès économique et technique.

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concerne les intérêts légitimes liés à la sécurité publique. Cette notion couvre, non seulement, la défense nationale et la sécurité du territoire, mais aussi, la sécurité des produits et la santé des consommateurs. La seconde catégorie correspond aux intérêts susceptibles de préserver la pluralité des médias. Et la troisième catégorie d’intérêts légitimes permettant de déroger à l’application du contrôle communautaire concerne les règles prudentielles, c'est-à-dire, celles relatives à la régularité des opérations financière et boursières. Il est important de préciser qu’un Etat membre qui prend des « mesures appropriées pour assurer la protection d’intérêts légitimes » peut interdire une concentration mais ne peut pas autoriser une opération que la Commission aurait interdite. A notre connaissance, un seul cas137 a mis en application cette disposition. Effectivement, la Commission européenne a autorisé la prise en compte, dans une opération de dimension communautaire, d’une législation nationale ayant pour objet de permettre au régulateur sectoriel de s’assurer des conditions dans lesquelles les entreprises faisant l’objet de la concentration remplissaient une tâche de service public. S’ajoute à cela, un autre mécanisme de dérogation à la compétence exclusive de la Commission, qui n’est pas spécifique au contrôle des concentrations. L’article 296 du Traité de Rome138 permet à un Etat membre d’invoquer la protection d’intérêts essentiels de sa sécurité pour soustraire à la compétence de la Commission européenne une opération de concentration, à laquelle il peut imposer les mesures qu’il estime nécessaires. Toutefois, notons que cette disposition n’est applicable qu’aux opérations de concentrations qui mettent en causent des produit destinés à des fins strictement militaires. 137 Comm. CE, décision du 29 mars 1995, aff. n° IV-M, pt 567, Lyonnaise des eaux c. / Northumbrian Water, JOCE n° C 14 avril 1995. 138 Article 296 du Traité instituant la communauté européenne : « 1. Les dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux règles ci-après: a) aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité; b) tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. 2. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut apporter des modifications à la liste, qu’il a fixée le 15 avril 1958, des produits auxquels les dispositions du paragraphe 1, point b), s’appliquent » (nous soulignons).

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En second lieu, et au regard du droit national, le Code monétaire et financier dans son article L. 151-3 et son décret d’application139 règlementant les relations financières avec l’étranger, autorisent le ministre à intervenir à l’égard d’un projet mettant en cause les intérêts nationaux. Il en ressort qu’il existe déjà des dispositions permettant au ministre de l’Economie de prendre en considération des intérêts extra-concurrentiels. En effet, ce dernier peut non seulement invoquer les intérêts de l’ordre public, de la sécurité publique ou de la défense nationale, mais également, ceux afférents à la pérennité d’activités économiques, la sécurité d’approvisionnement… Il résulte de l’ensemble de ces dispositions, qu’en l’absence de la consécration de son droit d’évocation, le champ de la compétence du ministre de l’Economie pour faire intervenir des considérations non concurrentielles et non économiques en matière de contrôle des concentrations resterait extrêmement limité. En effet, dans ce cas, le ministre ne pourrait invoquer l’intérêt général pour intervenir en la matière, uniquement, concernant les opérations de dimension communautaire et sous certaines conditions, ainsi que dans le cadre de l’application du Code monétaire et financier concernant opérations de dimension nationale et mettant en cause des relations financière avec l’étranger. Ainsi, dans l’hypothèse où le ministre de l’Economie serait dépourvu de tout pouvoir en 139 Art. L. 151-3 du Code monétaire et financier, selon lequel : « I. - Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou relève de l'un des domaines suivants : a) Activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ; b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives. Un décret en Conseil d'Etat définit la nature des activités ci-dessus. II. - L'autorisation donnée peut être assortie le cas échéant de conditions visant à assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux visés au I. Le décret mentionné au I précise la nature des conditions dont peut être assortie l'autorisation. III. - Le ministre chargé de l'économie, s'il constate qu'un investissement étranger est ou a été réalisé en méconnaissance des prescriptions du I ou du II, peut enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure. Cette injonction ne peut intervenir qu'après l'envoi d'une mise en demeure à l'investisseur de faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours. En cas de non-respect de l'injonction précitée, le ministre chargé de l'économie peut, après avoir mis l'investisseur à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés dans un délai minimum de quinze jours, sans préjudice du rétablissement de la situation antérieure, lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève au double du montant de l'investissement irrégulier. Le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionnel à la gravité des manquements commis. Le montant de la sanction est recouvré comme les créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. Ces décisions sont susceptibles d'un recours de plein contentieux », et son décret d’application n° 2005-1739.

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matière de contrôle des concentrations, la combinaison de ces exceptions donnerait à celui-ci des moyens d’intervention restreints dans le contrôle des concentrations, et essentiellement orientés à des fins politiques et stratégiques, nonobstant d’autres aspects considérables de sa mission de garant de l’intérêt général.

B- Le contrôle des concentrations communautaire : un contrôle strictement concurrentiel

Contrairement au droit de la concurrence français, le droit communautaire ne considère pas le contrôle des concentrations comme un outil de politique industrielle, mais comme un outil de politique de concurrence. En effet, la législation communautaire ne prévoit aucun régime de faveur au profit des opérations de concentration qui seraient susceptibles d’avoir des effets compensant les atteintes à la concurrence ou contribuant au progrès économique et social. Auparavant et selon la logique communautaire, le principe était que le bilan concurrentiel d’une opération de concentration présentant un résultat négatif, n’avait pas lieu d’être compenser quelque autres considérations que ce soit. En effet, dans l’affaire Aerospatiale-Alenia- De Haviland140, une opportunité industrielle évidente pour l’industrie aérospatiale européenne fut rejetée par la Commission européenne. Cette décision fut fort critiquée, notamment par la France qui la jugea « masochiste » et trop favorable aux intérêts américains141. Il s’en est suivit, de la part de la Commission européenne, une évolution dans son appréciation des effets liés à une opération de concentration et de l’atteinte à la concurrence. Désormais, la

Commission est disposée à examiner toute allégation de gains d’efficacité dans le contexte de

l’appréciation globale d’une concentration à condition que les parties puissent prouver que ces

gains sont la conséquence directe de la concentration, qu’ils sont substantiels, qu’ils interviennent dans certains délais, qu’ils sont vérifiables, qu’ils présentent un avantage direct

pour les consommateurs et enfin qu’ils compensent les effets négatifs liés à la

140 Décision du 2 octobre 1991. 141 Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, PUF Droit 2002, collection Thémis Droit privé.

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concentration142. De tels gains d’efficacité ont, donc, peu de chance d’être considérés comme suffisants pour autoriser une concentration aboutissant à un déséquilibre concurrentiel.

Notons que lors de la prise en compte des gains d’efficacité, « la Commission procède à une appréciation concurrentielle globale de l'opération ». Dans cette analyse macroéconomique des effets liés à l’opération de concentration, elle tient compte des « facteurs mentionnés à l’article 2, paragraphe 1, parmi lesquels l’évolution du progrès technique et économique pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence »143. Ainsi, si « le progrès technique et économique » est pris en compte par le contrôle des concentrations communautaire, il s’agit en réalité du progrès vis-à-vis des « consommateurs intermédiaires et finals ». Ainsi, le contrôle des concentrations communautaire, s’il s’étend à une analyse globale ou macroéconomique des effets de l’opération de concentration et utilise des notions d’ordre économique, reste strictement concurrentiel, au regard des buts assignés à l’organe qui en a la charge. La Commission européenne devient donc gardienne des intérêts européens, mais dans une mesure limitée à sa mission de protection de la concurrence dans le marché commun. Toutefois, elle conserve la même grille d’analyse, à savoir, elle doit, tout d’abord, chercher une éventuelle création ou au renforcement de position dominante, avant que soit apprécié les effets anticoncurrentiels de l’opération de concentration. 142 Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, et les Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. 143 Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, VII. Gains d’efficacité, p.76, « Les restructurations d'entreprises qui prennent la forme de concentrations peuvent correspondre aux exigences d'une concurrence dynamique et être de nature à augmenter la compétitivité de l'industrie européenne et, partant, à améliorer les conditions de la croissance et à relever le niveau de vie dans la Communauté. Il est possible que les gains d'efficacité résultant d'une concentration contrebalancent les effets sur la concurrence, et notamment le préjudice potentiel pour les consommateurs, qu'elle aurait sinon pu avoir. Pour déterminer si une concentration entraverait de manière significative la concurrence effective, notamment du fait de la création ou du renforcement d'une position dominante, au sens de l'article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement sur les concentrations, la Commission procède à une appréciation concurrentielle globale de l'opération. Dans cette appréciation, la Commission tient compte des facteurs mentionnés à l'article 2, paragraphe 1, parmi lesquels l'évolution du progrès technique et économique pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence ».

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Il ressort de ces constatations, que le caractère indispensable d’un contrôle des concentrations intégrant l’intérêt général, est discutable. Néanmoins, puisqu’il le législateur a fait ce choix en permettant au ministre d’intervenir dans le contrôle des concentrations pour des raisons d’intérêt général, nous nous devons d’en étudier l’utilité. Il est important d’observer que la loi de modernisation de l’Economie est la première réforme d’ampleur depuis l’ordonnance de 1986, et qu’au regard du rôle, auparavant, essentiel de l’autorité politique dans le contrôle des concentrations français, le législateur a du, sans doute, se sentir obligé de laisser ce droit de regard au ministre de l’Economie.

2§ La question relative à l’utilité du « bilan global » dans le contrôle des concentrations

La question délicate du caractère indispensable du « bilan global » étant levée, il s’agit, alors de s’interroger sur son utilité dans le cadre du contrôle des concentrations, et plus largement au regard du droit français de la concurrence. Car, si la nécessité du « bilan global » est discutable, le fait de mettre en évidence les avantages que peut procurer une telle analyse des opérations de concentrations, nous permettra plus facilement de justifier une prise de position. Cependant, avant d’identifier les aspects positifs liés à l’introduction du « bilan global » dans le contrôle des concentrations, il faut relever que certaines modalités de sa mise en œuvre ont fait l’objet de nombreuses critiques et regrets. A- Les aspects négatifs liés à la mise en œuvre du « bilan global »

Comme nous l’avons déjà remarqué144, le droit d’évocation du ministre de l’Economie lui permettant d’exercer un véritable « bilan global » de l’opération est introduit d’une manière très générale. En effet, le législateur prévoit, d’une façon extrêmement imprécise,

144 Supra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 2, « L’attribution d’un droit d’évocation décisionnel fondé sur des motifs d’intérêt général » du présent mémoire.

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que le ministre de l’Economie peut « évoquer l’affaire et statuer sur l’opération en cause », après avoir « reçu la décision de l’Autorité de la concurrence ». En conséquence, le ministre de l’Economie, peut donc changer le sens de la décision finale relative à la réalisation des opérations de concentration. Le choix du terme « statuer », signifie bien que le ministre peut autoriser ce qui a été interdit, comme interdire ce qui été autorisé par l’Autorité de la concurrence. Dans l’Union européenne, de nombreux pays ont également adopté un mécanisme similaire permettant au pouvoir exécutif d’intervenir dans le contrôle des concentrations, mais, contrairement à la France, ces derniers ont su l’encadrer correctement. Partout ailleurs, les modalités accompagnant le droit d’évocation « décisionnel » du ministre fondé sur des motifs d’intérêt général, permettent, uniquement, à ce dernier d’autoriser ce qui a été interdit, et non l’inverse comme c’est le cas en France. Dans son avis n° 08-A-05145, le Conseil de la concurrence avait déjà soulevé cette anomalie, alors que la loi n’était, alors, qu’au stade du projet. La logique énoncée par celui-ci, est d’une cohérence absolue, et part du principe que notre contrôle des concentrations est un système de contrôle ex ante visant à prévenir la constitution de structures qui porteraient atteinte à l’équilibre concurrentiel des marchés. Selon les termes employés par le Conseil, il s’agit donc d’ « un mécanisme d’autorisation préalable, qui impose, dans un système économique fondé sur la liberté d’entreprendre, d’autoriser toutes les concentrations ne posant pas de problème concurrentiel, et de n’interdire que celles endommageant irrémédiablement le marché ». Or, si le souci de concilier les objectifs de préservation de la concurrence, d’une part, et ceux de protection de l’intérêt général, d’autre part, est louable, cette « conciliation n’a pas lieu d’être lorsqu’aucun problème concurrentiel ne se pose au préalable ». Ainsi, les autres pays européens, ont tenu compte de cette exigence simplement logique, puisque les mécanismes ministériels qu’ils ont mis en place permettent, uniquement d’autoriser une opération au terme d’un « bilan global » qui aurait était interdite au regard du seul droit de la concurrence.

145 Pt. 28, 29, 30, de l’Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence.

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Malheureusement, sur ce point, le législateur n’a pas suivi le Conseil de la concurrence, qui recommandait de prévoir que, après avoir « reçu la décision d’interdiction de l’Autorité de la concurrence », le ministre peut « évoquer l’affaire et prendre une décision motivée autorisant l’opération ». En effet, il paraît choquant, que soit donné au ministre de l’Economie la possibilité « d’interdire, au nom du droit de la concurrence, une opération ne posant précisément aucune difficulté de concurrence ». Bon nombres de commentateurs146 ont relevé cette faille inhérente au nouveau système de contrôle des concentrations et ont exprimé le regret que l’avis du Conseil de la concurrence, spécialiste en la matière et insistant lourdement sur cette anomalie, n’ait pas été suivi. Par ailleurs, un autre élément de la compétence ministérielle peut être contestable au regard de la mise en œuvre de son droit d’évocation de l’intérêt général. En effet, la disposition permettant au ministre de demander un examen approfondi de l’opération147 de concentration semble être en contradiction avec la logique générale de la réforme. Notons que le « bilan global » ne peut intervenir qu’en phase 2 du contrôle, de façon à exclure totalement la compétence ministérielle du champ strictement concurrentiel du contrôle. Or, le simple fait que le ministre puisse déclencher en phase 1 l’examen concurrentiel approfondi de l’opération, bien qu’il soit opéré par l’Autorité experte, représente indirectement, d’une part, un moyen d’intervention dans le contrôle concurrentiel, et d’autre part, un biais pour mettre en œuvre son droit d’évocation et, par conséquent se réserver le droit de décision final quant à la réalisation de l’opération. Les aspects négatifs liés aux modalités de mise en œuvre du « bilan global » par l’autorité politique étant énoncés, et dans l’esprit d’un bilan du bilan, nous allons mettre en balance

146La création d’une Autorité de la concurrence aux compétences élargies : une réforme majeure et quelques scories ? Article de Michel Debroux, avocat à la Cour, Hogan & Harston ; Les dispositions de la LME relatives au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : quelle régulation pour le contrôle des opérations de concentration ?, Michel Bazex et Sophie Blazy, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 11- novembre 2008 ; Le transfert du contrôle des concentrations à l’Autorité de la concurrence, Christine Vilmart, Les revues Jurisclasseur, Contrats, Concurrence, Consommation, n° 2-Février 2009. 147 Supra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, § 1, « L’attribution d’un pouvoir de demande d’un examen approfondi », du présent mémoire.

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les aspects positifs qui ressortent de son utilité. Il faut, tout de même, rappeler que la mise en œuvre du « bilan global » par le ministre invoquant des motifs d’intérêt général n’a pas vocation à être d’application générale, mais plutôt l’exception à la règle.

B- Les aspects positifs liés à la mise en œuvre du « bilan global »

Outre les aspects négatifs relatifs aux modalités de sa mise en œuvre, nous verrons que la notion de « bilan global » revêt de nombreux avantages par la dimension nouvelle qu’elle apporte, dans son principe, et au regard des multiples enjeux concurrentiels, industriels, politique, sociaux liés au contrôle des concentrations. Nous mettrons, donc, en évidence, que les aspects positifs liés à l’introduction d’un tel mécanisme au profit de la compétence ministérielle résiduelle permet au contrôle des concentrations de devenir, d’une part, un outil de politique de concurrence plus efficace, et d’autre part, un outil de conciliation de la concurrence avec d’autres politiques publiques. Comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, la confusion présidant à la répartition des rôles entre le Conseil de la concurrence et l’autorité politique, aboutissait à une pratique selon laquelle tous deux, faisait prévaloir l’analyse strictement concurrentielle sur celle de nature économique et sociale. Or, le contrôle des concentrations, peut et doit être appréhender comme un outil bien plus puissant car il représente également un outil stratégique utile à la protection d’autres intérêts légitimes de la nation. Tout d’abord, il faut avoir à l’esprit, que le contrôle des concentrations est un aspect de la politique de concurrence de plus en plus important. Notons, dans ce sens, que les pays où la protection et la stimulation du marché est une préoccupation majeure148, donnent une place au contrôle des concentrations qui prend le pas sur celle donnée au contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Or, le fait que la loi de modernisation de l’Economie ait considérablement éclairci le partage des compétences en établissant au profit du ministre

148 L’Allemagne, et les Etats-Unis, notamment.

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un droit d’évocation intégrant l’intérêt général, participe largement à l’amélioration globale de l’efficacité du contrôle. Cette nouvelle dimension que l’on peut, désormais, associée au contrôle des concentrations, au travers de l’instauration d’un « bilan global » de l’opération, participe à une spécialisation des tâches permettant l’élaboration d’une politique de concurrence plus performante. « Le partage cohérent et transparent des rôles entre l’expert de la concurrence et le garant de l’intérêt général » est facteur d’une politique de concurrence, désormais plus solide et unifiée car il écarte toute divergence dans l’appréciation des opérations. De surcroît, la confiance des opérateurs économiques, étant renforcée du fait de cette spécialisation en termes de compétence et de l’établissement d’une grille d’analyse fiable et stable, participe également, à l’amélioration de la politique française de concurrence. Car, un des objectifs premier de la politique de concurrence, au travers notamment du contrôle des structures sur le marché, réside dans la régulation des activités économiques. En effet, si les opérateurs économiques ne peuvent pas se baser des critères de contrôle clairs et prédéfinis, ils ne pourront jamais prévoir les restructurations de leurs activités de façon à ce qu’elles soient conformes aux exigences du contrôle des concentrations. Or, c’est en cela que réside toute entière une régulation efficace de la concurrence, objectif essentiel de la politique de concurrence française au travers de l’outil puissant que représente le contrôle des opérations de concentrations. Outre l’utilité du « bilan global » dans le but purement concurrentiel, mise en évidence ci-dessus, il faut relever que son objectif premier réside surtout dans la conciliation de la régulation de la concurrence avec d’autres politiques publiques. En effet, la consécration du « bilan global » rend, désormais, possible et fonde légalement le pouvoir de faire prévaloir sur les règles de contrôle de la concentration sur des considérations de politique industrielle, des impératifs de compétitivité internationale, ou tout autre impératif qui serait d’un intérêt supérieur à celui de la sauvegarde de la concurrence.

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En effet, le « bilan global » d’une opération de concentration revêt une utilité stratégique essentielle. Par exemple, une opération de concentration qui aurait été interdite, au regard du seul droit de la concurrence, peut néanmoins être autorisée, si elle permet à un marché particulier d’acquérir une certaine compétitivité profitant à l’Economie nationale. Notons, que « la recherche de compétitivité n’a pas toujours un but de conquête ; elle peut aussi avoir un but défensif : demeurer simplement présent sur le marché »149. En d’autres mots, grâce au « bilan global », le contrôle des concentrations peut désormais être utilisé officiellement comme un moyen d’action stratégique, tendant à protéger les intérêts de la Nation. De la même façon, « on ne peut pas traiter une opération qui va concerner des centaines de milliers d’emplois et/ou l’indépendance énergétique d’un pays, par exemple, en n’appliquant que le droit de la concurrence 150». Ainsi, Marie-Dominique Hagelsteen, ancienne présidente du Conseil de la concurrence a exprimé, son opinion en faveur d’un bilan économique et social qui irait au-delà du test de l’atteinte sensible à la concurrence, et permettant de prendre en compte une réalité globale en intégrant des considérations extra concurrentielles.

L’intérêt général pris en compte au terme du « bilan global » met en jeu la finalité même du Gouvernement. Ainsi, si large soit le sens de la notion d’ « intérêt général », il paraît tout de même logique de pouvoir associer l’intervention ministérielle à celle-ci, car, conformément à l’article 20 de la Constitution151 : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Si la réforme a retiré la compétence exclusive du ministre de l’Economie en matière de contrôle concurrentiel des concentrations, elle lui permet dorénavant d’intervenir conformément à sa mission en la matière, c’est-à-dire au regard de l’intérêt général. Ainsi, il ressort de l’ensemble des aspects positifs liés à l’utilité du « bilan global », mis

149 Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, PUF Droit 2002, collection Thémis Droit privé. 150 Vingtième anniversaire de l’ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot, Quelles mutations juridiques et économiques pour le contrôle des concentrations ?, Marie-Dominique Hagelsteen, Ancienne présidente du Conseil de la concurrence. 151 Constitution du 4 octobre 1958, publiée au Journal Officiel du 5 octobre 1958 fondant la Vème République française.

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en œuvre par le ministre, que le contrôle des concentrations français issu de la loi de modernisation de l’Economie gagne considérablement en transparence. En effet, les aspects négatifs du « bilan global » étant liés aux modalités de sa mise en œuvre, sont compensés par les aspects positifs de celui-ci, qui sont eux, liés à l’utilité même du principe d’un mécanisme ministériel fondé sur des motifs d’intérêt général. Et de toute évidence, même si la nécessité de ce « bilan global » dans le cadre du contrôle des concentrations est discutable, il permet du moins un affichage plus franc de l’arbitrage nécessaire entre la concurrence, d’une part, et les autres objectifs politiques, économiques, sociaux, d’autre part. En conséquence, il apparaît que la compétence laissée au ministre pour prendre en compte des considérations extra-concurrentielles dans le contrôle des concentrations est dans l’ensemble positive. Car, d’une certaine manière, elle permet à l’exception française de se maintenir. D’autant plus, qu’il est essentiel de rappeler, ici, et en comparaison avec l’ancien contrôle des concentrations, que l’on peut, désormais, caractériser la compétence ministérielle en la matière comme résiduelle. En effet, nous verrons, par la suite, que le législateur, fort heureusement, accompagne les pouvoirs du ministre de l’Economie de garde-fous.

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-Titre 2-

LES LIMITES DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE

Si, auparavant, la nature politique du contrôle des concentrations français a souvent était critiquée, c’est parce qu’elle se dissimulait sous un contrôle officiellement concurrentiel. Or, le véritable problème lié à l’opacité de la nature du contrôle, apparaissait au regard des entreprises. En effet, ces dernières, étaient contraintes de prévoir la restructuration de leurs activités dans une insécurité générale liée aux critères réellement pris en considération dans le contrôle de leurs opérations de concentration.

Désormais, la spécialisation des rôles entre l’Autorité de la concurrence, d’un côté, et la ministre de l’Economie, de l’autre, opérée par le législateur, permet, au bénéfice des entreprises, de clarifier les critères et surtout l’ordre de prise en compte de ces critères dans le contrôle des concentrations. Dans un premier temps, l’examen est strictement concurrentiel (phase 1), puis, dans un second temps, lors d’un examen concurrentiel approfondi (phase 2), des facteurs plus généraux, intégrant l’intérêt général, peuvent éventuellement être pris en considération dans le contrôle de l’opération de concentration. L’appréciation de la compétence du ministre de l’Economie, au terme d’une interprétation large intégrant la notion de « bilan économique et social », se traduit donc, désormais, par la consécration de l’avènement d’une dimension nouvelle152 dans le contrôle des concentrations, celle d’un « bilan global » de l’opération intégrant des motifs d’intérêt général. Outre la question de la nécessité d’un tel mécanisme dans le contrôle des concentrations, il ressort de l’étude de la compétence ministérielle essentiellement liée à l’établissement du « bilan global » de l’opération, plusieurs aspects positifs en raison de

152 Car désormais la dimension extra concurrentielle (considérations politiques, stratégiques, économiques, sociales, environnementales…) dans le contrôle des concentrations est officielle.

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son utilité. Le champ de la compétence du ministre de l’Economie dans le contrôle des concentrations étant défini, il s’agit, alors de s’interroger sur les limites qui l’entourent. Concernant, le pouvoir du ministre de l’Economie lors de la phase 1 du contrôle, de demander un examen approfondi de l’opération, la limite à celui-ci réside dans le simple fait que l’Autorité de la concurrence puisse refuser d’accéder à une telle demande, considérant à l’issue d’un examen rapide, que la concentration en cause ne présente aucune difficulté en termes de concurrence. La limite au pouvoir de demander un examen approfondi de l’opération étant identifiée, nous concentrerons l’étude qui va suivre sur l’étude des limites encadrant le droit d’évocation ministériel lors de la phase 2 du contrôle. Car, si la loi de modernisation de l’Economie permet au ministre de l’Economie une intervention basée sur des fondements plus larges et intégrant sa mission de protection de l’intérêt général, l’intervention ministérielle devient, désormais, une exception en matière de concentration d’entreprises, à la compétence exclusive de l’Autorité de la concurrence. En effet, eu égard des risques liés à l’intervention ministérielle (Chapitre 2) en matière de contrôle des opérations de concentration, le législateur a pris la peine d’encadrer cette dernière de gardes fous (Chapitre 1).

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CHAPITRE 1 : LES GARDES FOUS DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE La concentration résulte de la compétition à laquelle se livrent les opérateurs économiques sur le marché. De ce fait, on peut penser que les entreprises qui parviennent à une position dominante par le biais d’une opération de concentration, sont a priori les plus performantes. Ainsi, la surveillance des structures sur le marché, dont les motivations sont à l’origine politiques et économiques153, est une tâche délicate qui, au fil du temps, s’est recentrée autour de l’objectif de protection de l’équilibre concurrentiel existant sur les marchés. Dans cette même logique, la loi du 4 août 2008, a considérablement réduit les pouvoirs de l’autorité politique dans le contrôle des concentrations, afin d’en attribuer la compétence à l’Autorité experte en matière de concurrence. Si, comme nous avons tenté de le démontrer au travers de la notion de « bilan global », le ministre voit, désormais, sa compétence en la matière, devenir un prolongement de sa mission d’intérêt général, il est primordial de mettre en évidence les limites de celle-ci. Nous tenterons, en conséquence, de démontrer le caractère résiduel de la compétence ministérielle issue de la réforme. Il est important de comprendre que l’intérêt, tout entier, de la réforme en dépend. Car, en l’absence du caractère résiduel de la compétence ministérielle, le bouleversement institutionnel opéré par la loi de modernisation de l’Economie, mais surtout, l’efficacité du nouveau contrôle tant attendu par les opérateurs économiques, seraient réduits à néant. Ainsi, le législateur a pris le soin d’encadrer la compétence du ministre de l’Economie, en exigeant, d’une part et de façon implicite, que sa décision soit exceptionnelle (Section 1), et d’autre part et de façon expresse, qu’elle soit motivée (Section 2).

153 Le contrôle des concentrations supranational issu du Traité de Paris de 1951 (CECA) limité aux secteurs stratégiques du charbon et de l’acier.

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Section 1- Exigence d’un caractère exceptionnel de la décision ministérielle Dans le cadre de l’étude des limites de la compétence du ministre de l’Economie dans le contrôle des concentrations, il convient, tout d’abord, de démontrer le caractère exceptionnel de la mise en œuvre du droit d’évocation. Cette étape est indispensable car le caractère exceptionnel de la compétence ministérielle en matière de concentration économique est, littéralement, absent du texte de la loi de modernisation de l’Economie. L’imprécision du législateur à cet égard, suscite, en effet, quelques inquiétudes, qu’il nous faut écarter. Car, notons le, il en va de l’intérêt même de la réforme. Dans l’hypothèse où l’intervention du ministre de l’Economie n’aurait pas vocation à être exceptionnelle, et conformément aux motifs introduits par la loi de modernisation de l’Economie qui la justifie, l’objectif premier du contrôle des concentrations de protection de la concurrence serait alors réduit à néant. Il est donc primordial d’effectuer la démonstration du caractère exceptionnel de la compétence ministérielle. A cet effet, nous verrons que, si le caractère exceptionnel de la compétence ministérielle est absent du texte de loi, il ressort tant de l’organisation générale du Titre III du Livre IV de la Partie législative154 du Code de commerce, que des « motifs d’intérêt général » introduit par celui-ci. En effet, au regard de la composition du Titre III « De la concentration économique », on observe que sur les onze articles qui le compose un seul article concerne, à part entière, la compétence du ministre de l’Economie. L’article L. 430-7-1, dont nous avons déjà étudié les termes en détail155, expose la double compétence ministérielle en matière de contrôle des concentrations tant lors de la phase 1 (I) que de la phase 2 (II). Les autres dispositions du Titre III ne mentionnent le ministre de l’Economie que pour des raisons d’informations de celui-ci par l’Autorité de la concurrence relatives aux opérations en cours d’examen. De plus, il est opportun de s’intéresser à l’ordre chronologique selon lequel est introduit l’article relatif à la compétence du ministre. L’article L. 430-7-1 se situe à la fin du Titre III, 154 Partie législative, Livre IV, Titre III, « De la concentration économique » du C. Com, cf annexe 155 Cf. supra Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, « Les fondements du champ de la compétence du ministre de l’Economie » du présent mémoire.

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en quatrième position avant le dernier article, ce qui dénote la moindre importance de son objet dans la procédure de contrôle. Ainsi, il ressort du texte législatif régissant le contrôle des concentrations que la place, désormais, attribuée au ministre de l’Economie est extrêmement réduite par rapport à celle de l’Autorité de la concurrence. Or cette observation formelle traduit parfaitement le fond de la réforme. Par ailleurs, on peut considérer qu’une limite réside également dans les « motifs d’intérêt général » conditionnant la mise en œuvre du droit d’évocation. Si large soit la notion d’intérêt général, les motifs pouvant se caractériser par « ce qui est pour le bien public »156constituent, néanmoins, une restriction. Car, si l’on apprécie strictement cette notion comme la somme des intérêts particuliers, finalement, rare devrait être la mise en œuvre de ce droit d’évocation. En revanche si l’on considère la notion d’ « intérêt général » d’une façon large, comme un intérêt supérieur à celui des intérêts particuliers, permettant de les transcender, alors la notion dépend de celui qui la défini, et elle ne constitue qu’une faible restriction à son l’intervention du ministre de l’Economie. De plus, de nombreux auteurs ont, également, dégagé ce caractère afin de définir la compétence ministérielle. En effet, selon Michel Debroux, le pouvoir d’évocation du ministre, constitue la «seule exception à l’exclusivité conférée à l’Autorité » de la concurrence157. De même, pour Laurence Idot, ce n’est que « dans des cas exceptionnels » que « le politique pourra reprendre la main, lorsque les intérêts fondamentaux du pays seront en jeu »158. Pauline de Lanzac, elle, est plus prudente, car elle précise que « ces interventions devraient cependant rester exceptionnelles »159. Ainsi, le caractère exceptionnel du pouvoir d’évocation conféré au ministre de l’Economie dans le cadre du contrôle des concentrations résulte d’une façon logique de l’ensemble des dispositions issues de la loi de modernisation de l’Economie, mais cependant, n’est pas 156 Selon le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu. 157 La création d’une Autorité de la concurrence aux compétences élargies : une réforme majeure et quelques scories ? Article de Michel Debroux, avocat à la Cour, Hogan & Harston. 158 Cahiers de droit de l’entreprise n° 4, Juillet 2008, entretien 4, Loi de modernisation de l’économie, entretien avec Laurenc Idot, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II). 159 Du Conseil de la concurrence à l’Autorité de la concurrence, 31 mars 2009, Pauline de Lanzac, avocat of counsel au Cabinet Latournerie Wolfrom & Associés, responsable du Département Concurrence et Régulation.

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consacré par celle-ci. Section 2- Exigence d’une motivation de la décision ministérielle Au titre de l’article L. 430-7-1, II, alinéa 3, du Code de commerce, lorsque le ministre de l’économie évoque une décision de l’Autorité de la concurrence, « il prend une décision motivée statuant sur l’opération en cause après avoir entendu les observations des parties à l’opération de concentration ». Le législateur rappelle dans ce troisième alinéa l’impératif de transparence dans l’intervention du ministre de l’économie en matière de concentrations économiques en l’obligeant à justifier le choix politique qu’il opérera. En effet, si l’alinéa second du II de l’article L. 430-7-1 du Code de commerce précise la nature des motifs sur lesquels pourra se fonder l’intervention du ministre, il n’exige pas, à ce stade, que ceux-ci soient exposés. En conséquence, l’alinéa qui suit exige clairement que les motivations de son intervention apparaissent dans sa décision finale.

Cette disposition législative consacrant le principe de la motivation a pour conséquence d’obliger le ministre de l’économie à apporter des motifs qui doivent être appuyés, pertinents, intelligibles, juridiquement valables et de nature à permettre d’évaluer la possibilité d’un recours ultérieur. Une motivation doit être écrite et doit énoncer des considérations de droit et de faits constituant le fondement de la décision. L’absence d’une motivation suffisante empêcherai, alors, les parties à la concentration de bien comprendre la décision et ne leurs permettrai pas de s’assurer si elles ont ou non des motifs d’appel valables.

Notons que l’obligation de motiver est précisée pour le ministre de l’Economie, tâche que n’a pas l’Autorité de la concurrence. Car le rôle de cette dernière, en tant qu’expert de la

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concurrence est de fournir une opinion pouvant éclairer la prise de décision, il va de soi que la valeur accordée à cette opinion dépendra largement de la qualité de sa motivation.

De plus, le législateur s’est conformé au droit administratif selon lequel les décisions soumises à motivation et qui ne sont pas prises à la demande de leur destinataire ne peuvent pas intervenir avant que celui-ci ait été mis à même de présenter des observations écrites ou orales.

Il est certain que, lorsqu’il était revêtu de la casquette d’autorité de concurrence, le Ministre était réticent à prendre en compte d’autres critères que la concurrence et le surplus des consommateurs, ne serait-ce que par souci de crédibilité internationale vis-à-vis des autres autorités de concurrence. Débarrassé de son rôle d’autorité de concurrence, le Ministre aura certainement moins d’inhibition à user de ses pouvoirs pour établir une politique économique. En cela, la loi de modernisation de l’Economie permet au contrôle des concentrations français de progresser vers plus de transparence.

Ainsi, et fort heureusement, le législateur a pris le soin d’encadrer la compétence du ministre de gardes fous, permettant, d’éviter les éventuels interventions abusives du ministre, et par la même, d’offrir aux opérateurs économiques une procédure de contrôle assurant leur sécurité juridique.

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CHAPITRE 2 : LES RISQUES LIES A LA COMPETENCE RESIDUELLE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE Certes, il est bien sûr trop tôt pour apprécier la portée pratique de ce qui est finalement et paradoxalement un retour du politique. De plus, comme nous venons de le constater, la compétence du ministre, d’une part, a vocation à être exceptionnelle, et d’autre part, doit être motivée. Bien que sa compétence soit résiduelle comparée au régime antérieur, on ne peut, cependant ignorer l’existence de risques liés à une interprétation large du droit d’évocation conféré au ministre de l’Economie. En effet, si les risques d’excès de pouvoir ou d’opacité des motivations du ministre de l’Economie peuvent être redoutés (Section 1), on peut, néanmoins, émettre quelques tempéraments à ces derniers (Section 2). Section 1- Les risques d’excès de pouvoir et d’opacité des motivations du ministre L’objectif, ici, n’est pas de se prononcer quant à la réalisation de ces risques, mais simplement de constater leur existence. Le premier risque que l’on peut percevoir dans la compétence résiduelle laissée au ministre de l’Economie réside dans un éventuel abus de son pouvoir. Car, certes il se voit retirer la compétence exclusive relative au contrôle des concentrations, mais ses pouvoirs d’intervention en la matière restent non négligeables. Dans les autres pays, le pouvoir d’évocation par l’exécutif ne concerne que le cas où une concentration ait été interdite par l’autorité de concurrence ou autorisée mais sous réserve d’engagements, par exemple des désinvestissements. Pour des raisons ayant trait à des intérêts généraux autres que celui de la concurrence, tels que la sécurité publique ou la défense nationale, l’exécutif peut passer outre et, de manière motivée et transparente, autoriser la

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concentration interdite par l’autorité ou autoriser qu’elle ait lieu sans les engagements demandés par celle-ci. Or, comme nous l’avons exposé précédemment160, la procédure française pourra jouer aussi en sens contraire : une concentration autorisée par l’Autorité de la concurrence pourra malgré tout être interdite par le ministre. En outre, le ministre a la faculté de demander à l’autorité d’effectuer un examen plus approfondi d’une concentration en ouvrant une phase 2, alors même que l’autorité a constaté, au terme d’un examen rapide, que celle-ci ne posait aucun problème de concurrence et devait donc être autorisée. La sécurité des entreprises requiert, donc, que le ministre n’abuse pas de son droit de demander l’ouverture d’une phase 2 et que son pouvoir d’évocation intervienne essentiellement pour autoriser, sur des considérations d’intérêt général, des opérations dont le bilan concurrentiel serait jugé négatif par l’Autorité de la concurrence. Il en va, également, du but premier de la réforme visant à assurer aux entreprises que leurs opérations de concentration sera, désormais, examiné en premier lieu sur des considérations purement concurrentiels, et non plus sur des considérations oscillant entre ordre politique, économique, ou social. Par ailleurs, selon Monsieur Mario Monti : « il s’agit là d’une double spécificité française, regrettable sur le plan des signaux. Elle va à l’encontre de la logique d’ensemble qui inspire la réforme de la concurrence de clarté et division transparente des tâches entre contrôle concurrentiel et tutelle d’autres intérêts publics… Elle peut être interprétée à l’étranger, à Bruxelles en particulier, comme une arrière-pensée ambiguë d’une France qui pourtant veut être perçue, comme libéralisatrice et ouverte »161. Le second risque que l’on peut percevoir dans la compétence résiduelle laissée au ministre de l’Economie, ci-dessus, parfaitement exposé par Monsieur Monti, ancien Commissaire 160 Supra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, 2§, « L’attribution d’un droit d’évocation décisionnel fondé sur des motifs d’intérêt général » du présent mémoire. 161 Autorité de la concurrence : une bonne réforme et un risque à éviter, Mario Monti, le 18 juillet 2008, Les echos.fr.

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européen à la Concurrence, réside, donc, dans la possible opacité des motivations apportées par le ministre. En effet, le fait qu’une législation sur le contrôle des investissements étrangers dans des secteurs à risque existe déjà, semble laisser paraître la volonté de renforcer celle-ci « par des moyens un peu obliques, avec la possibilité de plier à cette fin le contrôle des concentrations ». Cette possibilité, qui pourrait être perçue comme une entrave potentielle aux investissements étrangers, est susceptible de poser des difficultés d’incompatibilité avec le droit communautaire. Dans tous les cas, la réalisation de ce risque irait, une fois de plus, à l’encontre de l’efficacité globale de la réforme, visant un contrôle plus transparent des opérations de concentration.

Section 2- Les tempéraments à la réalisation de ces risques Il est, tout d’abord, essentiel de noter que le recours contre les décisions issus du contrôle des concentrations est tout à fait envisageable. Les parties ainsi que les tiers intéressés ont un délai de deux mois pour former un recours en annulation ou en réformation devant le Conseil d’Etat. En effet, il appartient au Conseil d’Etat de trancher des litiges susceptibles de naître, désormais, du pouvoir d’évocation puisque le ministre ne plus intervenir sur le bilan concurrentiel. Cela dit, le Conseil d’Etat demeure compétent, que l’opération ait fait l’objet d’une décision finale de l’Autorité de la concurrence comme du ministre de l’Economie.

Au titre de l’article R. 311-1, 4° du Code de justice administrative :

« Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :

1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;

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4° Des recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale ; … ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a une compétence générale pour connaître des recours exercés contre les actes des organismes collégiaux à compétence nationale.

Or, l’article L. 464-8 du Code de commerce énumère, par ailleurs, les catégories de décisions de l’Autorité de la concurrence susceptibles de recours devant la cour d’appel de Paris. Fort heureusement, on observe que le législateur n’a pas étendu le contrôle judiciaire en matière de concentrations. De ce fait, la loi de modernisation de l’Economie permet une unification du contentieux relatif au contrôle des concentrations devant la haute juridiction administrative. Notons, toutefois, que l’Autorité de la concurrence est soumise au contrôle de la cour d’appel de Paris pour ce qui concerne les pratiques anticoncurrentielles.

Il résulte de ces observations, que les décisions du ministre de l’Economie relatives aux opérations de concentration sont susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir. Ce dernier devrait, en conséquence, être dissuadé d’abuser de ses pouvoirs lors de ses interventions dans le contrôle des concentrations, et de surcroît, faire preuve de transparence dans l’exposé des motivations fondant sa décision.

D’autre part, il est opportun d’observer la pratique issue de contrôle des concentrations allemand, puisqu’il prévoit un modèle similaire à celui choisi par le législateur en France. En effet, le régime de contrôle allemand prévoit l’intervention systématique d’une autorité de concurrence indépendante, le Bundeskartellamt qui se prononce sur les opérations de concentration en se fondant sur les seuls résultats de l’analyse concurrentielle. Cependant, il réserve la possibilité pour l’autorité politique, c'est-à-dire le ministre de l’Economie, de refuser ou d’autoriser une opération en se fondant sur d’autres considérations que celles tirées du droit de la concurrence. Ce modèle, calqué par le législateur français, consacre, donc, la part du politique dans le contrôle des concentrations, mais dans le cadre d’un processus qui garantit la transparence.

Dans la plupart des cas, la pratique issue du contrôle allemand montre que l’intérêt des consommateurs, comme de l’économie nationale et européenne en général apparaît avec deux bilans convergents. Mais les rares cas où ces bilans divergent résultent d’un choix justifié et

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transparent. En effet, le Gouvernement allemand ne s’écarte de l’avis du Bundeskartellamt que très rarement162.

Ainsi, si on peut relever l’existence de certains risques relatifs à la compétence résiduelle du ministre de l’Economie en matière de contrôle des concentrations, il semble que la réalisation de ces derniers soit peu probable. Le ministre n’a aucun intérêt à intervenir de manière abusive dans le contrôle des concentrations, ou selon des motivations obscures alors qu’il a, désormais, la faculté d’effectuer cette intervention en tenant compte de considérations politiques, en toute transparence, et conformément à sa mission d’intérêt général.

L’efficacité de la réforme est, néanmoins, conditionnée par le comportement du ministre, et sa capacité à agir pour l’intérêt général, conformément à sa mission gouvernemental. Dans la logique de la réforme, il ne doit pas abuser de son droit d’évocation, auquel cette dernière perdrait tout son sens. Mais également la mise en œuvre de ses pouvoirs doit s’effectuer en toute transparence quant aux réelles motivations qui justifient son intervention. 162 Vingtième anniversaire de l’ordonnance du 1er décembre 1986, Evolutions et perspectives, sous la direction de Guy Canivet et Laurence Idot.

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CONCLUSION

Même si certaines des modalités pratiques de la mise en œuvre du nouveau régime de contrôle des concentrations soulèvent, on le voit, certaines interrogations, la réforme qui entre en vigueur s'inscrit très largement dans la logique d'une maturation progressive du contrôle des concentrations, créé en 1977, modernisé en 1986 et 2002, l'année 2009 constituant une étape, certes très importante, de cette évolution.

Mais on parle bien d'évolution et non de révolution. La nouvelle Autorité de la concurrence continuera d'appliquer jusqu'à nouvel ordre les lignes directrices publiées par le Ministre (DGCCRF) et la pratique décisionnelle antérieure, cohérente avec celle de la Commission européenne et à la constitution de laquelle le Conseil de la concurrence a largement participé, demeurera le cadre de référence de la pratique décisionnelle future.

Là où la loi de modernisation de l’Economie représente une réelle avancée, c’est en ce qu’elle tranche définitivement en faveur de la supériorité des considérations concurrentielles relatives à l’opération de concentration, par rapport au facteurs économiques et social, en d’autres mots, aux motivations d’ordre politique, dans le processus décisionnel du contrôle des concentrations. Si la réforme issue de la loi de modernisation de l’Economie semble de grande ampleur concernant le contrôle des concentrations, car elle implique un véritable bouleversement institutionnel, elle ne fait que clarifier et simplifier une répartition de compétences, qui auparavant, en plus d’être confuse était inversée en termes de logique. A présent, chacun des organes du contrôle des concentrations se trouve en mesure d’assurer les missions pour lesquelles ils ont été créé, à l’aide de prérogatives qui leurs sont propres : à l’Autorité de la concurrence le bilan concurrentiel et au ministre de l’Economie le bilan économique et social intégrant des motifs d’intérêt général, que l’on appelle également le « bilan global ». Le contrôle des concentrations français permet, dorénavant, de répondre aux impératifs économiques de la vie des affaires en assurant aux opérateurs économiques une meilleure sécurité juridique, ainsi qu’une organisation globale du contrôle plus efficace.

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Ainsi, la réforme, tout en s’alignant sur le modèle communautaire faisant prévaloir une autorité de contrôle unique et indépendante, maintien l’ « exception française » en laissant une compétence résiduelle à l’autorité politique. Si le choix opéré par le législateur peut en apparence sembler avancer à reculons, il permet néanmoins au régime français de progresser dans la transparence et la crédibilité, en prenant en compte une réalité globale et légitime quant à la dimension tant économique que politique que revêt une opération de concentration. Si l'articulation entre la procédure devant l'Autorité indépendante et l'instruction « politique » de l'opération par le Ministre ne semble pas parfaite, il n'en demeure pas moins que, en même temps qu'elle renforce l'Autorité de la concurrence, la loi de modernisation de l’Economie réaffirme le rôle du politique. Le droit de la concurrence n'est pas une fin en soi, mais un moyen, et peut céder le pas devant d'autres considérations d'intérêt général. Ainsi, le contrôle des concentrations peut, désormais, devenir un instrument de régulation économique et de politique de concurrence performant.

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ANNEXES

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ANNEXE 1

CODE DE COMMERCE (Partie Législative)

TITRE III : De la concentration économique

Article L430-1

(Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 8 6 JORF 16 mai 2001)

I. - Une opération de concentration est réalisée :

1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieure ment indépendantes fusionnent ;

2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises.

II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.

III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :

- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;

- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise.

Article L430-2 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

I.-Est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : -le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euros -le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d'euros ; -l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.

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II.-Lorsque deux au moins des parties à la concentration exploitent un ou plusieurs magasins de commerce de détail, est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : -le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ; -le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros ; -l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, précité. III.-Lorsque au moins une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs départements d'outre-mer ou dans les collectivités d'outre-mer de Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : -le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d'euros ; -le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d'euros ; -l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, précité. IV.-Une opération de concentration visée aux I, II ou III entrant dans le champ du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, précité qui a fait l'objet d'un renvoi total ou partiel à l'Autorité de la concurrence est soumise, dans la limite de ce renvoi, aux dispositions du présent titre. V.-Les chiffres d'affaires visés aux I, II et III sont calculés selon les modalités définies par l'article 5 du règlement (CE) n° 139 / 2004 du Cons eil, du 20 janvier 2004, précité.

Article L430-3 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

L'opération de concentration doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence avant sa réalisation. La notification peut intervenir dès lors que la ou les parties concernées sont en mesure de présenter un projet suffisamment abouti pour permettre l'instruction du dossier et notamment lorsqu'elles ont conclu un accord de principe, signé une lettre d'intention ou dès l'annonce d'une offre publique. Le renvoi à l'Autorité de la concurrence de tout ou partie d'un cas de concentration notifié à la Commission européenne vaut notification au sens du présent article.

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L'obligation de notification incombe aux personnes physiques ou morales qui acquièrent le contrôle de tout ou partie d'une entreprise ou, dans le cas d'une fusion ou de la création d'une entreprise commune, à toutes les parties concernées qui doivent alors notifier conjointement. Le contenu du dossier de notification est fixé par décret.

La réception de la notification d'une opération, ou le renvoi total ou partiel d'une opération de dimension communautaire, fait l'objet d'un communiqué publié par l'Autorité de la concurrence selon des modalités fixées par décret.

Dès réception du dossier, l'Autorité de la concurrence en adresse un exemplaire au ministre chargé de l'économie.

Article L430-4 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

La réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord de l'Autorité de la concurrence ou, lorsqu'il a évoqué l'affaire dans les conditions prévues à l'article L. 430-7-1, celui du ministre chargé de l'économie.

En cas de nécessité particulière dûment motivée, les parties qui ont procédé à la notification peuvent demander à l'Autorité de la concurrence une dérogation leur permettant de procéder à la réalisation effective de tout ou partie de la concentration sans attendre la décision mentionnée au premier alinéa et sans préjudice de celle-ci.

Article L430-5 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

I.-L'Autorité de la concurrence se prononce sur l'opération de concentration dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète.

II.-Les parties à l'opération peuvent s'engager à prendre des mesures visant notamment à remédier, le cas échéant, aux effets anticoncurrentiels de l'opération soit à l'occasion de la notification de cette opération, soit à tout moment avant l'expiration du délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète, tant que la décision prévue au I n'est pas intervenue.

Si des engagements sont reçus par l'Autorité de la concurrence, le délai mentionné au I est prolongé de quinze jours ouvrés.

En cas de nécessité particulière, telle que la finalisation des engagements mentionnés à l'alinéa précédent, les parties peuvent demander à l'Autorité de la concurrence de suspendre les délais d'examen de l'opération dans la limite de quinze jours ouvrés.

III.-L'Autorité de la concurrence peut :

-soit constater, par décision motivée, que l'opération qui lui a été notifiée n'entre pas dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 ;

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-soit autoriser l'opération, en subordonnant éventuellement, par décision motivée, cette autorisation à la réalisation effective des engagements pris par les parties.

-soit, si elle estime qu'il subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi dans les conditions prévues à l'article L. 430-6.

IV.-Si l'Autorité de la concurrence ne prend aucune des trois décisions prévues au III dans le délai mentionné au I, éventuellement prolongé en application du II, elle en informe le ministre chargé de l'économie. L'opération est réputée avoir fait l'objet d'une décision d'autorisation au terme du délai ouvert au ministre chargé de l'économie par le I de l'article L. 430-7-1.

Article L430-6 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet, en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence.

La procédure applicable à cet examen approfondi de l'opération par l'Autorité de la concurrence est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés.

Avant de statuer, l'autorité peut entendre des tiers en l'absence des parties qui ont procédé à la notification. Les comités d'entreprise des entreprises parties à l'opération de concentration sont entendus à leur demande par l'autorité dans les mêmes conditions.

Article L430-7 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

I.-Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de celui-ci. II.-Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, les parties peuvent proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. S'ils sont transmis à l'Autorité de la concurrence moins de vingt jours ouvrés avant la fin du délai mentionné au I, celui-ci expire vingt jours ouvrés après la date de réception des engagements. En cas de nécessité particulière, telle que la finalisation des engagements mentionnés à l'alinéa précédent, les parties peuvent demander à l'Autorité de la concurrence de suspendre les délais d'examen de l'opération dans la limite de vingt jours ouvrés. Ces délais peuvent également être suspendus à l'initiative de l'Autorité de la concurrence lorsque les parties ayant procédé à la notification ont manqué de l'informer d'un fait nouveau dès sa survenance

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ou de lui communiquer, en tout ou partie, les informations demandées dans le délai imparti, ou que des tiers ont manqué de lui communiquer, pour des raisons imputables aux parties ayant procédé à la notification, les informations demandées. En ce cas, le délai reprend son cours dès la disparition de la cause ayant justifié sa suspension. III.-L'Autorité de la concurrence peut, par décision motivée : -soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante ; -soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Les injonctions et prescriptions mentionnées aux deux alinéas précédents s'imposent quelles que soient les clauses contractuelles éventuellement conclues par les parties. Le projet de décision est transmis aux parties intéressées, auxquelles un délai raisonnable est imparti pour présenter leurs observations. IV.-Si l'Autorité de la concurrence n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, elle autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont procédé à la notification. V.-Si aucune des décisions prévues aux III et IV n'a été prise dans le délai mentionné au I, éventuellement prolongé en application du II, l'Autorité de la concurrence en informe le ministre chargé de l'économie. L'opération est réputée avoir fait l'objet d'une décision d'autorisation au terme du délai ouvert au ministre chargé de l'économie par le II de l'article L. 430-7-1.

Article L430-7-1 (Créé par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 96)

I.-Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-5, le ministre chargé de l'économie peut demander à l'Autorité de la concurrence un examen approfondi de l'opération dans les conditions prévues aux articles L. 430-6 et L. 430-7. II.-Dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l'Autorité de la concurrence ou en a été informé en vertu de l'article L. 430-7, le ministre chargé de l'économie peut évoquer l'affaire et statuer sur l'opération en cause pour des motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l'atteinte portée à cette dernière par l'opération. Les motifs d'intérêt général autres que le maintien de la concurrence pouvant conduire le ministre chargé de l'économie à évoquer l'affaire sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l'emploi. Lorsqu'en vertu du présent II le ministre chargé de l'économie évoque une décision de l'Autorité de la concurrence, il prend une décision motivée statuant sur l'opération en cause après avoir entendu les observations des parties à l'opération de concentration. Cette

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décision peut éventuellement être conditionnée à la mise en œuvre effective d'engagements. Cette décision est transmise sans délai à l'Autorité de la concurrence.

Article L430-8 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

I.-Si une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, l'Autorité de la concurrence enjoint sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties de notifier l'opération, à moins de revenir à l'état antérieur à la concentration. La procédure prévue aux articles L. 430-5 à L. 430-7 est alors applicable.

En outre, l'autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1, 5 million d'euros.

II.-Si une opération de concentration notifiée et ne bénéficiant pas de la dérogation prévue au deuxième alinéa de l'article L. 430-4 a été réalisée avant l'intervention de la décision prévue au premier alinéa du même article, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes ayant procédé à la notification une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I.

III.-En cas d'omission ou de déclaration inexacte dans une notification, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes ayant procédé à la notification une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I.

Cette sanction peut s'accompagner du retrait de la décision ayant autorisé la réalisation de l'opération. A moins de revenir à l'état antérieur à la concentration, les parties sont alors tenues de notifier de nouveau l'opération dans un délai d'un mois à compter du retrait de la décision, sauf à encourir les sanctions prévues au I.

IV.-Si elle estime que les parties n'ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement figurant dans sa décision ou dans la décision du ministre ayant statué sur l'opération en application de l'article L. 430-7-1, l'Autorité de la concurrence constate l'inexécution. Elle peut :

1° Retirer la décision ayant autorisé la réalisatio n de l'opération. A moins de revenir à l'état antérieur à la concentration, les parties sont tenues de notifier de nouveau l'opération dans un délai d'un mois à compter du retrait de la décision, sauf à encourir les sanctions prévues au I ;

2° Enjoindre sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties auxquelles incombait l'obligation non exécutée d'exécuter dans un délai qu'ils fixent les injonctions, prescriptions ou engagements.

En outre, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes auxquelles incombait l'obligation non exécutée une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I.

La procédure applicable est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L. 463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification

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et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés.

L'Autorité de la concurrence se prononce dans un délai de soixante-quinze jours ouvrés.

V.-Si une opération de concentration a été réalisée en contravention des décisions prises en application des articles L. 430-7 et L. 430-7-1, l'Autorité de la concurrence enjoint sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties de revenir à l'état antérieur à la concentration.

En outre, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes auxquelles les décisions précitées s'imposaient la sanction pécuniaire prévue au I.

Article L430-9 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

L'Autorité de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, enjoindre, par décision motivée, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la procédure prévue au présent titre.

Article L430-10 (Modifié par LOI n°2008-776 du 4 août 2008 - art. 9 6)

Lorsqu'ils interrogent des tiers au sujet de l'opération, de ses effets et des engagements proposés par les parties, et rendent publique leur décision dans des conditions fixées par décret, l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie tiennent compte de l'intérêt légitime des parties qui procèdent à la notification ou des personnes citées à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

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ANNEXE 2

Autorité de la concurrence

Lignes directrices du 30 avril 2007 relatives au contrôle des concentrations

Les lignes directrices du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi (DGCCRF) du 30 avril 2007 relatives au contrôle des concentrations décrivent les règles de procédure et les méthodes d’analyse applicables dans le cadre du système antérieur à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence et de leurs décrets d’application. Elles sont partiellement inadaptées au régime issu de ces textes, en particulier en ce qui concerne les dispositions relatives à la procédure. L’Autorité de la concurrence va donc mettre en chantier une nouvelle version des lignes directrices, dont un projet fera l’objet d’une consultation publique. Elle s’inspirera, dans l’attente de leur adoption, des méthodes d’analyse exposées dans la version actuelle des lignes directrices.

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ANNEXE 3

Conseil de la concurrence

Avis n° 08-A-05 du 18 avril 2008 relatif au projet de réforme du système français de régulation de la concurrence

Le Conseil de la concurrence (formation plénière), réuni en séance le 1er avril 2008, Vu la transmission, par le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, de l’avant-projet de loi de modernisation de l’économie et de l’avant-projet d’ordonnance réformant le système français de régulation de la concurrence, enregistrée le 28 mars 2008 sous le numéro 08/0039A ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu l’article 24 de l’avant-projet de loi de modernisation de l’économie, habilitant le Gouvernement à réformer par ordonnance le système français de régulation de la concurrence, dans sa version du 28 mars 2008 ; Vu les articles 27 à 31 de l’avant-projet d’ordonnance réformant le système français de régulation de la concurrence, dans leur version du même jour ; Adopte l’avis suivant, résumé dans la synthèse ci-dessous et accompagné des propositions figurant en annexe :

Synthèse L’avant projet de réforme du système français de régulation de la concurrence L’avant-projet de loi de modernisation de l’économie présenté au Conseil de la concurrence prévoit de réformer le système français de régulation de la concurrence en concentrant davantage de responsabilités, d’attributions et de moyens au sein de l’autorité indépendante. L’avant-projet d’ordonnance qui l’accompagne transforme à cette fin le Conseil de la concurrence en « Autorité de la concurrence » et le dote de compétences nouvelles, en lui transférant notamment le contrôle concurrentiel des concentrations. Il renforce par ailleurs son pouvoir d’enquête. Il modernise enfin sa gouvernance, son fonctionnement et ses procédures. Les principaux apports de la réforme Ces progrès, qui font consensus, sont notables et bienvenus. Ils rapprocheront la situation de la France de celle des pays européens ayant adopté les meilleurs standards, en permettant aux pouvoirs publics, aux entreprises et aux consommateurs de bénéficier du concours d’une autorité indépendante apte à répondre aux défis posés par le fonctionnement concurrentiel des marchés, grâce à une procédure plus intégrée et à une panoplie complète d’instruments.

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Pour faire sens, la réforme ne doit cependant pas demeurer inachevée. Il est également crucial qu’elle soit accompagnée du transfert des moyens budgétaires, humains et techniques nécessaires pour permettre à l’Autorité de remplir sa mission (cf. points 31 et 37 de l’avis). Or, l’avant-projet laisse subsister des difficultés à cet égard. Certaines dispositions sont même susceptibles d’aller à l’encontre de l’objectif de cohérence et d’efficacité assigné à la réforme, et de marquer même, sur un point précis, un recul par rapport à l’ordonnance de 1986. Le contrôle des concentrations économiques En particulier, il est essentiel d’articuler clairement le contrôle concurrentiel des concentrations, dont le projet transfère l’intégralité à l’Autorité, et le pouvoir attribué au ministre chargé de l’économie d’évoquer les décisions de cette dernière pour des motifs d’intérêt général. A défaut, le ministre pourra en effet être conduit à devoir refaire inutilement le bilan concurrentiel, au détriment de la sécurité juridique et de la vie des affaires. En outre, il faut s’assurer que ce pouvoir d’évocation jouera uniquement en faveur des entreprises, en le limitant aux décisions d’interdiction de l’Autorité, comme ailleurs en Europe. Il est certes possible qu’une concentration ne posant aucun problème de concurrence ait un jour lieu dans un secteur sensible justifiant un droit de regard de l’Etat au nom d’intérêts fondamentaux tels que la défense nationale et la sécurité publique. Mais les instruments permettant au ministre d’effectuer cette veille stratégique existent déjà. Ceux du code monétaire et financier sont d’ailleurs beaucoup plus rapides, performants et respectueux du pacte communautaire que ne le serait l’évocation d’une décision d’autorisation de l’Autorité de la concurrence, dans la mesure où ils prévoient l’intervention ciblée et immédiate du ministre. Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles En ce qui concerne le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, une disposition, au demeurant particulièrement complexe, rend aux services ministériels une partie du pouvoir de décision confié à l’autorité indépendante en 1986, en leur permettant de transiger avec les entreprises sans aucun droit de regard de l’Autorité. Si cette disposition était maintenue, elle aboutirait en pratique, à la différence de ce qu’a préconisé la Commission pour la libération de la croissance française et de ce qui existe dans les vingt-six autres Etats membres de l’Union européenne, à maintenir le système dualiste actuel au lieu de créer une autorité indépendante unique, en soulevant de nouvelles questions d’articulation, de cohérence et d’efficacité. Par ailleurs, elle romprait l’égalité de traitement au détriment des PME, premières visées compte tenu du mécanisme prévu, et priverait les victimes, qu’il s’agisse d’entreprises concurrentes ou de collectivités locales, de l’ensemble des garanties procédurales offertes aujourd’hui par le Conseil. L’organisation et le fonctionnement de l’Autorité de la concurrence Il est nécessaire d’aligner le statut actuel du Conseil, qui date de 1986, sur celui des autorités administratives indépendantes créées depuis lors. Le projet marque un progrès en ce sens, en consacrant dans la loi le statut d’autorité administrative indépendante de la future Autorité. 3

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Mais il n’en tire pas les conséquences, en ne permettant pas à l’Autorité, sur le modèle de l’AMF, de l’ARCEP ou encore de la CRE, de recruter l’ensemble de ses agents en toute indépendance. Peut-on, en effet, parler d’autorité indépendante si la nomination de son rapporteur général, de ses rapporteurs généraux-adjoints, de l’ensemble de ses rapporteurs et de l’ensemble de ses enquêteurs relève du ministre ? Sans mentionner la création d’un conseiller-auditeur, lui aussi nommé par le ministre, dont l’utilité peut d’ailleurs être discutée dans une institution qui, contrairement à ce qui est pratiqué au sein de la Commission européenne et dans de nombreuses autorités de concurrence étrangères, continuera de séparer clairement l’enquête et l’instruction, menées sous la seule autorité du rapporteur général, et la décision, confiée à un collège indépendant. Autant il est logique que le ministre puisse, d’une part, exprimer en toute transparence son point de vue sur les affaires examinées par l’Autorité, par l’intermédiaire du commissaire du Gouvernement – dont l’existence est maintenue –, et, d’autre part, évoquer les concentrations stratégiques pour des raisons d’intérêt général, autant il est contraire au principe d’indépendance que le ministre puisse interférer dans le choix des personnes appelées à enquêter, à instruire ou à examiner les procédures relatives aux affaires individuelles de concurrence. Ce qui pouvait se comprendre en 1986 apparaît comme une survivance anachronique à laquelle il faut mettre fin. La transition et l’application dans le temps de la réforme Enfin, il apparaît nécessaire de prévoir des modalités de transition efficace entre le Conseil et la future Autorité, à l’instar des dispositions prises par le législateur lors des transformations de l’ARCEP et de la CRE, par transfert de nouvelles attributions. Le Conseil est également favorable, compte tenu de l’avancement du texte, à ce que soit réduit l’actuel délai d’habilitation (huit mois) imparti au Gouvernement pour adopter l’ordonnance, afin de réaliser rapidement cette transition et d’accélérer la concrétisation des résultats économiques et politiques de la réforme.

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BIBLIOGRAPHIE

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ARTICLES

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• www.minefi.gouv.fr/DGCCRF • www.autorité-concurrence.fr • www.leséchos.fr

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INTRODUCTION…………………………………………………………………………….5 PREMIERE PARTIE : D’UNE COMPETENCE RESIDUELLE A UNE COMPETENCE PRINCIPALE DE L’AUTORITE DE LA CONCURRENCE………………………………………………………………..9 A propos du bilan concurrentiel ………………………………………………………10 -Titre 1- UNE REPARTITION DE COMPETENCE CONFORME AU MODELE COMMUNAUTAIRE………………………………………………………14 Chapitre1 : Un modèle communautaire expérimenté par les contrôles nationaux de l’Union européenne ………………………………………………………………………15 Chapitre 2 : Un modèle communautaire à expérimenter par le contrôle français...................17 Section 1- Un alignement engagé par la NRE……………………………………………...18 Section 2- Un alignement poursuivi par la LME..........................................................................................................................................19 -Titre 2- UNE INTERVENTION DU LEGISLATEUR CONFORME AUX BESOINS DE LA VIE DES AFFAIRES……………………………………….…….23 Chapitre 1 : Une réponse aux impératifs économiques par un renforcement de la transparence du contrôle………………………………………………………………26 Section 1- L’ancien système : une transparence affectée par la nature politique du contrôle...............................................................................................27 Section 2- Le nouveau système : une transparence renforcée par l’indépendance du contrôle……………………………………………………………..…..29 1§ L'indépendance renforcée de l'Autorité de la concurrence………………………………..29 2§ La compétence exclusive de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle concurrentiel…………………………………………………………………...…32

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Chapitre 2 : Une réponse aux impératifs économiques par un renforcement de l’efficacité du contrôle……………………………………………………………………36 Propos préliminaires relatifs au manque de sécurité juridique de l'ancien régime……………………………………………...37 Section 1- La sécurité juridique renforcée du contrôle des concentrations……………...42 1 § Un contrôle concurrentiel à interlocuteur mais au double regard………………………...43 2§ Un contrôle légitime en termes de compétence…………………………………………...46 Section 2- La flexibilité améliorée du contrôle des concentrations....................................48 1§ L’amélioration globale de l’organisation du contrôle …………………………………….48 2§ L’amélioration de la souplesse des délais…………………………………………………49 SECONDE PARTIE : D’UNE COMPETENCE PRINCIPALE A UNE COMPETENCE RESIDUELLE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE………………………………………………………………………...54 A propos du bilan économique et social……………………………………………...57 -Titre 1- L’APPRECIATION DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE………………………………………………...…60 Chapitre 1 : L’interprétation de la compétence du ministre de l’Economie………………....61 Section 1- Les fondements du champ de la compétence du ministre de l’Economie……61 1§ L’attribution d’un pouvoir de demande d’un examen approfondi ………………………..62 2§ L’attribution d’un droit d’évocation décisionnel fondé sur des motifs d’intérêt général………………………………………………………...63

A- Le droit d’évocation du ministre de l’Economie…………………………………..64 B- Des motifs d’intérêt général fondant la compétence ministérielle………………..66

Section 2- Une interprétation large du champ de la compétence du ministre de l’Economie…………………………………………………………………………………...70

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1§ La comparaison avec l’ancien bilan économique et social……………………………….70 A- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière du bilan économique………………………………………………..…71

B- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière de la notion de « progrès économique social »…………………….…72 C- Interprétation de la compétence ministérielle à la lumière du bilan social………………………………………………………….74

2§ D’un bilan économique et social à un « bilan global »…………………………………...76 Chapitre 2 : L’appréciation de l’utilité du « bilan global » opéré par le ministre de l’Economie………………………………………………………….82 Section 1- Les controverses liées au bilan économique et social………………………….82 Section 2- Les controverses liées au « bilan global » 1§ La question relative au caractère indispensable du « bilan global » dans le contrôle des concentrations…………………………………………………………...85

C- Les moyens consacrés par la loi qui permettent de protéger l’intérêt général………………………………………86

D- Le contrôle des concentrations communautaire : un contrôle strictement concurrentiel……………………………………………...89

2§ La question relative à l’utilité du « bilan global » dans le contrôle des concentrations…………………………………………………………...91

C- Les aspects négatifs liés à la mise en œuvre du « bilan global »…………………..91 D- Les aspects positifs liés à la mise en œuvre du « bilan global »…………………...94

-Titre 2- LES LIMITES DE LA COMPETENCE DU MINISTRE DE L’ECONOMIE…………………………………………………...98 Chapitre 1 : Les gardes fous de la compétence du ministre de l’Economie...........................100 Section 1- Exigence d’un caractère exceptionnel de la décision ministérielle………….101 Section 2- Exigence d’une motivation de la décision ministérielle……………………..103 Chapitre 2 : Les risques liés à la compétence du ministre de l’Economie………………….105

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Section 1- Les risques d’excès de pouvoir et d’opacité des motivations du ministre……………………………………………………………………………………..105 Section 2- Les tempéraments à la réalisation de ces risques…………………………….107 CONCLUSION …………………………………………………………………………….110 ANNEXES…………………………………………………………………………………..112 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………124 TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………131