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UNIVERSITE de ROUEN UFR de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education Département des Sciences de l’Education MASTER 2 PROFESSIONNEL « Métiers de la formation, parcours Ingénierie et Conseil en Formation » 2009/2010 Le mémoire professionnel en formation continue Mémoire Sophie DUSSOUET Sous la direction de Thierry ARDOUIN Juin 2010

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UNIVERSITE de ROUEN

UFR de Psychologie, Sociologie et Sciences de l’Education

Département des Sciences de l’Education

MASTER 2 PROFESSIONNEL

« Métiers de la formation, parcours Ingénierie et Conseil en Formation »

2009/2010

Le mémoire professionnel

en formation continue

Mémoire

Sophie DUSSOUET

Sous la direction de Thierry ARDOUIN

Juin 2010

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1 Le mémoire professionnel en formation continue

Sommaire

Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4

Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14

Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19

Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23

Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29

Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33

Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37

Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44

Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84

Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88

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2 Le mémoire professionnel en formation continue

Introduction

Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau

technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution

accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de

vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent

être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à

former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des

compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les

contraint à exercer plusieurs métiers.

Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les

compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder

des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion

comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un

contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».

De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans

les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses

dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.

Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser

cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au

CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?

L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la

présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment

l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs

de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de

prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.

Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle

pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de

compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question

centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :

1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995

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3 Le mémoire professionnel en formation continue

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences

professionnelles ?

Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.

Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous

référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle

en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.

Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et

d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs

de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la

réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le

développement des compétences dans ces formations qualifiantes.

Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous

formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.

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4 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie I : Présentation du chantier et questions de départ

Chapitre 1 –Le CESI

Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.

Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une

réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le

secteur industriel à la fin des années 50.

Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes

des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait

essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de

suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur

capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,

reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début

des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.

Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de

l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses

instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de

France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,

SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,

CFTC).

Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a

développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :

� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)

� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998

� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005

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5 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.

Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et

agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :

1 L’offre interentreprises :

Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules

peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les

titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.

Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,

membre de la Conférence des Grandes Ecoles.

2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et

3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le

cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.

Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences

Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans

l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens

d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels

(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «

limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de

l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «

examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une

place importante.

L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,

et en 1990 pour la formation en apprentissage.

Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes

pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies

actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »

2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997

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6 Le mémoire professionnel en formation continue

spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée

croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions

s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «

technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la

transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.

Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il

conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.

L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,

organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur

suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour

l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier

ses propositions.

L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «

épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert

progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de

l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but

spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)

(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de

l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»

offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve

donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant

un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres

élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.

Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en

œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-

Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une

augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le

moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,

4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007

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7 Le mémoire professionnel en formation continue

lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou

sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.

Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types

au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir

y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas

toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le

sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de

conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces

moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de

positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,

pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,

« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour

soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je

ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains

ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les

dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.

Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi

La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement

utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.

Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les

individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et

professionnelles.

Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant

tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:

- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de

femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des

catégories disponibles dans cette communauté ;

- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous

voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les

8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991

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8 Le mémoire professionnel en formation continue

diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou

simplement projetée (processus d’identification).

Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené

une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse

faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation

d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du

technicien à l’ingénieur ».

Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une

« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle

d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et

contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour

autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».

On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des

formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces

formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et

contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations

d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du

« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».

L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,

construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions

nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré

par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de

piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,

c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la

progression des participants.

La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de

connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de

l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations

d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de

compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.

11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.

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9 Le mémoire professionnel en formation continue

Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour

progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires

professionnels, jurys.

Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade

donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et

pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du

débutant au professionnel de la fonction visée.

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi

Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au

Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations

longues dans leurs parcours qualifiants.

Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II

Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2

avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.

Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce

qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant

entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).

Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par

les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,

l’une éclairant l’autre.

Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du

sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et

d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à

produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.

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10 Le mémoire professionnel en formation continue

Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à

élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences

les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.

A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,

constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au

RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».

En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :

- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.

- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel

métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.

- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant

un jury de professionnels.

- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II

La construction Cesi de parcours professionnels

QualificationMétier

Certification professionnelle CESI

Certificat de compétence Cesi

Attestation de Participation Cesi

Jury national de délivrance du titre composé de professionnels

Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier

Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4

ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III

Module1.1

Module1.2

Module1.3

Module2.1

Module2.2

Module3.1

Module 4.1

Module 4.2

Parcours de formation

Parcours qualifiant

Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi

Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en

évaluant les effets.

Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la

guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.

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11 Le mémoire professionnel en formation continue

Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours

apprécier et évaluer.

Cette évaluation se fera en deux temps :

Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires

à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs

expériences vécues.

Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce

jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du

mémoire et de la prestation orale.

Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant

sur les dimensions suivantes :

• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?

• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?

• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?

• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon

questionnement ?

• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en

œuvre pour cela ?

En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de

l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).

Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du

champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.

Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil

stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).

En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du

référentiel national.

12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »

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12 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.

C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme

caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.

Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme

exposée ci-après :

Première partie :

Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées

Définir les objectifs visés

Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,

Prioriser les enjeux

Deuxième partie :

Piloter un projet

Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire

Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise

Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,

acuité du risque, recherche des causes premières)

Troisième partie :

Préconiser des axes d’améliorations

Prioriser les solutions dans le temps

Mesurer la qualité des réponses apportées

Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à

donner)

Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa

capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de

50/60 pages.

Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire

professionnel.

Le cahier des charges stipule que :

« Ce projet doit vous permettre de démontrer :

- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités

correspondantes,

- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,

économique, technique et organisationnelle),

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13 Le mémoire professionnel en formation continue

- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une

proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,

- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre

compte,

- votre capacité à prendre le recul nécessaire

- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».

Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de

professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30

minutes :

- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des

résultats obtenus,

- Débat Questions / réponses avec le jury.

Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de

l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».

Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et

d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs

et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de

la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les

compétences.

Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-

même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de

responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de

formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et

transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle

opère elle-même sur le réel ».

L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre

mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.

Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des

connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences

nouvelles conduisant à de meilleures performances.

13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

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14 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Le processus d’écriture

« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son

action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant

», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à

l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.

Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui

les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas

sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.

Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :

Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,

promouvoir l’action .

Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.

- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes

que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme

de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.

- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à

l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est

écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans

l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).

- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens

et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.

Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne

pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de

formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.

On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des

textes produits par des praticiens16.

14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).

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15 Le mémoire professionnel en formation continue

On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans

le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des

pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.

Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et

écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la

pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.

En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois

« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :

• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de

validation (référentialité close intégrante) ;

• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de

reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;

• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de

motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.

Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres

postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.

Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de

formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en

même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation

professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a

pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de

l’autonomisation.

Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La

signature du texte produit consigne cette prise de risque.

C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures

étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les

17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.

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16 Le mémoire professionnel en formation continue

idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est

accepté.

Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des

difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui

nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de

formation et à la représentation que s’en font les praticiens.

Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une

liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,

apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une

pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que

suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à

savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si

cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de

cette compétence, mais à deux conditions :

- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)

de se construire et de se développer ;

- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité

mouvante de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des

questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des

individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à

lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en

toujours possibles divergences ?

Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la

matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à

l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord

aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après

les aider à « passer » à l’écriture.

21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

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17 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait

assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test

intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui

tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.

Chapitre 3 – Les questions de départ

La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de

développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une

multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur

leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de

plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.

Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents

selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté

du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.

Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer

lorsqu’on est en position d’extériorité.

Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par

l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de

champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre

à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?

Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la

professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel

engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel

instrument ?

Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout

lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que

présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?

23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

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18 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand

elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.

Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :

- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?

- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?

- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de

formation professionnelle ?

- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de

compétences ?

- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?

Et enfin,

- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer

entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.

- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?

L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de

dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?

Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en

connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?

24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994

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19 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle

Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de

déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des

participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs

dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en

nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.

Chapitre 1 – La compétence

Bref histoire d’une notion :

Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires

sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le

rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme

uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.

Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues

de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences

individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de

compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence

sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur

le métier.

L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont

l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de

Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à

répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au

moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte

favorisant l’apparition de la notion de compétence.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu

fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient

immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et

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20 Le mémoire professionnel en formation continue

l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du

terrain).

Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.

Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant

les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de

travail.

La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement

imposée.

Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la

personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport

salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.

Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des

autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.

L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la

"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de

travail.

Titre 1 – La compétence selon Le Boterf

Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences

mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les

entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en

référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .

Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout

en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour

en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux

contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.

Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,

elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que

25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008

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21 Le mémoire professionnel en formation continue

l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-

transférer des ressources dans un contexte professionnel.

"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de

connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment

opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à

la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que

de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).

Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser

dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à

apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :

« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un

ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),

pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités

d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à

certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».

« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des

représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un

exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).

Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».

Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »

pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs

techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements

relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes

par rapport aux exigences des situations de travail.

Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme

compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,

d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et

des performances à réaliser.

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22 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de

« pratiques professionnelles ».

� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un

organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?

Comment les transférer ?

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un

objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.

� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour

autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un

outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?

Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister

entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.

Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de

plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être

compétent tout seul.

Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de

données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres

métiers ou services.

La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à

coopérer avec d’autres.

Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent

il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui

prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du

travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la

motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui

peut faciliter l’expression des compétences.

26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006

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23 Le mémoire professionnel en formation continue

Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation

et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours

individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en

situation de travail prendront une place croissante.

� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances

professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que

l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?

La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus

collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux

dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les

espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation

(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations

visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.

Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian

Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources

humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,

selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le

processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit

fini.

Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression

directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.

Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le

salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription

taylorienne fermée ne couvre plus.

Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage

souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».

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24 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de

qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.

Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :

• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations

professionnelles auxquels il est confronté. »

Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un

individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter

une réponse face à un évènement.

Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,

l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur

les conséquences de cet évènement.

De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la

situation de l'individu qui l’affronte.

• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des

connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente. »

Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche

compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir

intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme

compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont

dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront

apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera

plus réactif en termes d’apprentissage.

• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes

situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »

27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

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25 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même

évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un

évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul

individu) afin de mieux répondre à cet évènement.

A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail

transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être

partagés.

Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions

communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et

coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit

collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.

En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à

l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et

répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de

la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être

mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours

compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.

� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,

la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?

- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance

Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la

compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur

capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des

situations problématiques.

Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la

construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce

savoir de référence.

Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des

connaissances et apprentissage de la compétence.

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26 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons retenir les enseignements suivants:

• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par

l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de

compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable

situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.

• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance

introduite vis-à-vis des pratiques existantes.

• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs

professionnels de référence.

� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de

démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique

professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs

professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?

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27 Le mémoire professionnel en formation continue

Chapitre 2 – L’identité professionnelle

L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.

Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar

Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un

long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme

un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et

formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la

naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.

L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres

orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.

Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation

secondaire et de double transaction identitaire

Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui

ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de

toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu

construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur

relationnel, affectif et symbolique.

L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense

qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-

même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres

circonstances.

Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation

primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu

pour se faire connaître.

28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

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28 Le mémoire professionnel en formation continue

Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de

considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux

transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre

les individus et les institutions.

La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à

l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire

reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe

entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.

La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la

construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.

Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce

que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers

composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le

contexte.

L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.

Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se

recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».

L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de

construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du

travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre

des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.

De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de

légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.

Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des

éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.

Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit

apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances

possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu

à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette

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29 Le mémoire professionnel en formation continue

dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois

inséparables et liées de façon problématique».

L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par

les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne

l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.

Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus

identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel

l’individu est immergé.

Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un

résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et

structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et

définissent les institutions » (DUBAR., 2000).

Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des

rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des

manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ

du travail et de l’emploi.

Titre 2 – Le processus identitaire professionnel

Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents

groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est

fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel

d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la

reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du

pouvoir ».

Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il

reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et

son groupe d’appartenance.

29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,

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30 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité

professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des

espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et

valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi

qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».

Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de

la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,

noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de

désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des

catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette

transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les

représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.

Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords

entre ces deux identités.

Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son

identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,

son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de

carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat

de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des

ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles

suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri

C., 1990)31.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »

tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est

considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie

relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou

l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en

respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,

par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont

de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la

situation dans laquelle il se trouve.

31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

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31 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous

pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et

des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce

collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour

envisager une intégration par ses pairs.

La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité

professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de

normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation

de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de

s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud

SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de

travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être

pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme

appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,

c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et

l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de

vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités

particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).

Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte

qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :

La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses

croyances.

� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une

profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en

œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage

confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?

Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les

hypothèses.

32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977

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32 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie III : Problématique et hypothèses

Chapitre 1 – La problématique

Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet

dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.

Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise

en place d’un projet dans son entreprise.

Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la

pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?

L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus

directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans

l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».

A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la

part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?

L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont

il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un

climat de partage d’expériences.

La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des

stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est

le cas.

Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du

mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et

développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?

En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier

les compétences qu’il permet de développer.

33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979

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33 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une

réflexion déterminant:

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des

compétences des stagiaires ?

Chapitre 2 – Les hypothèses

Titre 1 – L’hypothèse 1

L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs

professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie

dans son travail ?

La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle

contribuant de développer son regard critique ?

La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son

engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?

Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :

L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus

autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.

Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion

d’autonomie :

Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de

décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.

Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre

des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens

d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est

souvent associée à l'autonomie collective.

34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333

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34 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités

et des pouvoirs.

L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux

conditions:

- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de

demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.

- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera

au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de

relations nécessaires.

Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise

d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et

problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.

Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,

sont essentiels.

Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une

situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service

face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec

compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.

Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par

rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de

l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à

une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle

consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des

initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle

vise à prendre les initiatives pertinentes.

Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un

problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un

dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,

d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus

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35 Le mémoire professionnel en formation continue

de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle

doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.

Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les

notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié

se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui

implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.

Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en

l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer

une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…

A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre

de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il

provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :

"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la

réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est

compétente ou non, et jusqu'à quel point.

Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la

communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle

que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans

un référentiel.

C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel

groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois

des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les

situations avec succès.

Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :

Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les

plus citées spontanément :

- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?

- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?

- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?

Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences

développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :

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36 Le mémoire professionnel en formation continue

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?

- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?

- de développer un esprit plus critique ?

- de développer vos capacités de synthèse ?

- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?

- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?

- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?

- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?

Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges

des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées

lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le

mémoire.

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?

- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?

- Vos capacités à planifier un projet ?

- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?

- Vos capacités à mesurer des enjeux ?

- Vos capacités à identifier des finalités ?

- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?

- Vos capacités d’analyse ?

- Vos capacités à rechercher des solutions?

- Vos capacités à être force de proposition ?

- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?

- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?

- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?

- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?

- Vos capacités à prendre des initiatives?

- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser

un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?

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37 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – L’hypothèse 2

Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire

professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.

Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation

professionnelle, théorique et pratique.

L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de

transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi

professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).

Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond

d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.

Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession

qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à

son tour un professionnel confirmé.

Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment

la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de

postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire

professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une

restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?

Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur

cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.

Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :

Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une

nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de

ses compétences.

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38 Le mémoire professionnel en formation continue

Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans

différentes séries de questions :

1ère série de questions :

- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?

- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?

- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?

- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.

2ème série de questions :

- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?

- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par

l’employeur du stagiaire.

3ème série de questions :

- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de

niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?

- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre

entreprise ?

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

4ème série de questions :

- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des

responsabilités?

- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?

- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?

- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement

vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les

autres)

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39 Le mémoire professionnel en formation continue

- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et

aujourd’hui ?

Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)

Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)

� � � � � � � �

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après

avoir suivi sa formation.

Dernière questions :

- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?

Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.

Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en

dépassant le sens commun de la question de départ.

Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.

Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.

Professionnel de la fonction

à…. l’Expert ou Responsable de

la fonction

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40 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie IV - Méthodologie de la recherche

Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche

A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre

problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement

utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus

approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.

Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire

et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en

fonction de la problématique posée.

L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle

demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les

professionnels dans la pratique.

Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit

traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses

sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous

renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.

L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les

entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et

d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant

lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le

chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à

son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.

L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide

aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.

Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les

35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem

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41 Le mémoire professionnel en formation continue

objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles

l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que

possible »39.

Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à

questionnaire pour recueillir les données quantitatives.

Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de

différents critères :

- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?

- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport

d'harmonie ou d'organisation logique ?

- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux

objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?

Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,

les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.

39 ibidem

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42 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs

Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.

Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.

Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à

l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations

qualifiantes.

1- Les stagiaires

Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette

recherche.

- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009

- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.

- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;

Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du

mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après

l’avoir terminé pour le second groupe.

L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires

interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre

important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.

La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus

avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et

sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.

Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité

professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.

40 VAP : Validation des Acquis Professionnels

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43 Le mémoire professionnel en formation continue

A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux

réponses étaient possibles.

Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une

qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison

quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.

Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs

compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de

s’engager dans une formation.

Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une

nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).

Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus

socialement dans leur fonction.

Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut

s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il

permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois

promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.

La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle

des deux groupes dans leur totalité.

85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.

E 1 = Entretien 1

Qui Age Groupe Diplôme

avant le CESIPoste de travail Evolution

prévue Sujet de mémoire

E1 50 ans 2 BacAssitante RH

nonAccompagner le changement après un PSE (Plan

Social Economique)

E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité

internationalenon

Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile

vers le secteur du nucléaire

E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des

Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise

E4 41 ans 1 BacResponsable

administratifnon L'audit de conformité

E5 40 ans 1 Bac +2Responsable

administratifoui: RRH* L'épargne salariale

E6 33 ans 2 BacAssitante RH

non L'absentéisme

E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion

du personnelnon La mise en place d'un projet sénior

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44 Le mémoire professionnel en formation continue

2- Les tuteurs

Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.

Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux

tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.

L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :

Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que

tuteur

E8FFR RH*

Mastère spécialisé RH

Niveau 2

Niveau 11 an

E9Arcadre "Passage Cadre"

Passage agent de maîtrise RATP

Niveau 2

Niveau 32 ans

E11Ingénieur

Arcadre "Passage Cadre"

Niveau 1

Niveau 25 ans

FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8

RIF : Responsable en Ingénierie de Formation

Titre 3 – Modalité des entretiens

Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux

qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.

Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI

L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.

L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens

est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4

pour les entretiens tuteurs).

Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la

confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :

- L’identité des personnes a été préservée ;

- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;

- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues

anonymes ;

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45 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons

cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été

consacrées à expliquer l’objet de l’étude.

Cet entretien comporte 3 thèmes :

- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture

- Les effets en termes de compétences

- Les effets en termes d’identité

En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.

Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en

annexe 2 pour le guide des tuteurs).

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46 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie V : Analyse des données et résultats

Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le

guide d’entretien :

Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première

partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un

mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser

un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.

Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du

questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le

mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?

Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?

Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?

Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du

mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus

critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :

d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,

d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :

- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et

- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf

page 36 les questions posées).

Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire

permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture

professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses

compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:

- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,

- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,

- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,

- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa

formation,

-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions

retenues).

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47 Le mémoire professionnel en formation continue

Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.

Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture

Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de

stage ?

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de

l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une

activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des

stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à

mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).

Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie

du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport

de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà

en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit

être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.

Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est

déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une

problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail

individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un

problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les

choses » (E11).

Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une

entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le

candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il

est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de

trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).

Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique

quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de

prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de

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48 Le mémoire professionnel en formation continue

présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de

la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de

faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire

quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.

Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en

première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait

valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il

ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors

qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans

un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).

Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,

formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et

d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).

Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la

formalisation d’un projet concret » (E9).

C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le

domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,

exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.

Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé

en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le

mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde

note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.

« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres

personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non

seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une

grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).

La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce

travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa

démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.

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49 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par

rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le

niveau d’engagement dans le projet mené.

Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.

Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de

professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut

être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous

n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre

hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens

vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).

La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est

chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout

stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.

Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit

précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon

d’agir sur les projets.

Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.

Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des

perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres

projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.

Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus

diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?

Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de

rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation

alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de

stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la

preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur

41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979

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50 Le mémoire professionnel en formation continue

interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de

méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est

aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de

démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).

Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"

essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du

postulant à la qualification.

Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une

condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).

« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de

faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous

pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par

exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons

chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »

(E10).

Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,

suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses

et 15 minutes de délibération.

Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une

obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un

travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice

au long de leur propre scolarité.

Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou

plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire

permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire

témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique

qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans

mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et

de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).

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51 Le mémoire professionnel en formation continue

Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire

Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux

théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à

développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.

Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture

d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un

travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la

raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette

information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une

capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une

manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut

d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse

critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est

très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec

les intervenants professionnels » (E2).

Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera

unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion

privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la

lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »

affirme une stagiaire… (E1).

Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur

donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à

présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,

ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).

Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où

trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites

Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…

Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité

(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur

fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le

meilleur mais aussi le pire.

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52 Le mémoire professionnel en formation continue

Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans

l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas

nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer

au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés

comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures

professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation

“tout au long de la vie”.

Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les

concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le

mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent

réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage

les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le

projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le

stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et

moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).

Thème 4 : Les effets de l’écriture

Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens

large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système

d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien

d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du

mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui

transpire. » (E11).

L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes

interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans

mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).

Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).

L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais

réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre

témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.

Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était

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53 Le mémoire professionnel en formation continue

le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait

des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas

complètement séduite » (E4).

Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée

en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet

une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que

théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis

parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà

plus simple pour moi » (E6).

Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est

« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est

difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.

Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :

La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille

blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).

« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte

était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était

insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).

La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du

temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a

permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).

Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »

(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant

toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je

me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon

projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à

synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma

réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas

écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu

que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et

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54 Le mémoire professionnel en formation continue

d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas

au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).

Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :

Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et

cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger

le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées

et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en

entreprise.

Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :

- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est

réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).

- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené

son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à

4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).

- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y

a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet

dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).

- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».

L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et

rendre le mémoire dans les délais.

Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le

résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le

mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.

Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons

poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en

termes de compétences.

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55 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences

Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.

Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments

utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus

en annexe 5.

1 – Concernant l’écriture du mémoire

A - Les résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de

fois cité

Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2

Connaître une méthodologie de conduite de projet 1

Synthétiser les idées 1

Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3

Améliorer un écrit professionnel 1

Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2

Réussir à analyser une problématique 1

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre % Nbre

d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0

de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%

de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1

de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%

de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%

l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%

d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%

ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%

Oui Non Partiellement

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56 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Le point de vue des stagiaires :

La prise de recul sur son activité, un regard distancié :

Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la

réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%

d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous

l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,

ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).

Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des

questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une

compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de

fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je

n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »

(E4).

Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de

travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des

compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend

alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors

véritablement un rôle dans le développement des compétences.

Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du

contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par

les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière

quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des

éléments contextuels ».

Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à

un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux

analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite

plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).

42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

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57 Le mémoire professionnel en formation continue

C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions

éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue

compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des

raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en

place »(E3).

Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les

changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que

j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).

Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.

L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,

lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise

à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à

comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour

comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.

Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle

décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la

description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le

comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue

une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd

son sens.

Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au

dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion

permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.

Le développement de la professionnalité :

85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.

« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion

et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en

savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

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58 Le mémoire professionnel en formation continue

domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a

aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur

pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).

Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche

méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on

demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »

(E11).

Le développement d’un esprit plus critique :

La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans

les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,

entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une

stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de

travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »

(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle

s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que

celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un

regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).

Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit

trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses

observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à

travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le

mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).

Le développement de l’esprit de synthèse :

A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des

stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.

Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant

ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi

j’avais choisi ce sujet » (E6).

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59 Le mémoire professionnel en formation continue

Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent

envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).

Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non

pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un

certain développement et beaucoup de recherches » (E7).

C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un

travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses

idées

La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :

Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail

d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.

Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre

mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et

le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on

n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce

travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a

appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on

s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).

Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait

directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout

analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes

questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse

incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter

maintenant » (E7).

Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :

Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre

de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).

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60 Le mémoire professionnel en formation continue

Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que

l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.

Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits

qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le

vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte

de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très

voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à

un cadre » (E9) précise un tuteur.

Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens

(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute

la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).

Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.

La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle

situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation

(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec

enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le

contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la

manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche

l’est » (E11).

De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige

des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive

de la professionnalité.

La valeur d’auto-formation de l’écriture :

57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les

recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture

permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.

Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des

lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »

(E2).

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61 Le mémoire professionnel en formation continue

42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas

du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc

pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une

stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le

mémoire n’a rien ajouté » (E5).

Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires

annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des

compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été

grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.

Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend

les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page

blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,

qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les

limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation

de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à

travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs

qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet

de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu

faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la

formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une

manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).

Une vision plus globale sur son activité :

Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision

plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.

Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%

d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà

pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le

contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10

personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou

bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).

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62 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure

connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs

sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition

hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.

Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social

en général » (E3).

Le développement de l’autonomie :

57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur

autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière

très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé

dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.

A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un

stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de

ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis

très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce

mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus

mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).

Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond

favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des

tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir

été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son

mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,

ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute

autonomie (E6).

Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis

retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me

débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit

à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le

choix » (E2).

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63 Le mémoire professionnel en formation continue

L’apprentissage d’une méthodologie de projet :

Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est

bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique

professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca

m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).

Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences

acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.

Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations

observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et

leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du

propos, et celle de ses pratiques.

Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette

formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le

cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs

envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du

mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,

prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet

complexe dans son entreprise.

Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la

démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation

d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie

trouvée sur le sujet.

« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très

particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a

mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car

après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il

a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se

montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.

C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).

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64 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne

un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une

certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui

était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter

de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).

Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de

professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas

d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire

dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur

cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)

affirme un second.

Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et

de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un

jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir

présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.

Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise

n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires

disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces

compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour

l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup

de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car

je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de

rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une

réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision

finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on

n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.

Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas

complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce

n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.

C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils

mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

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65 Le mémoire professionnel en formation continue

L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans

leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action

longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne

suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.

Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de

l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette

transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture

sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité

professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition

et de mise en œuvre des compétences nouvelles.

Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un

rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner

autrement et se voir autrement.

Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la

réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points

forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation

orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».

L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence

professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses

croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le

premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique

inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la

mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui

permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond

BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».

Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des

expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de

l’autre mais également en respectant l’autre.

45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

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66 Le mémoire professionnel en formation continue

2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire

Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des

charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées

par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.

Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un

projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.

Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du

mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans

l’entreprise.

Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans

trop les développer.

A – Les résultats :

En gris : indicateurs non validés

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre %

Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%

Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%

Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%

Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%

Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%

Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%

Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%

Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%

Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1

Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%

Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1

Partiel .

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

Oui Non

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67 Le mémoire professionnel en formation continue

B – L’analyse :

Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une

méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :

- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à

prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de

proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une

démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de

réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas

forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les

solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en

application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)

annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de

proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.

- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de

mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande

rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans

tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a

compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une

stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien

structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les

éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine

logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de

développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).

- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un

ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus

expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin

d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en

œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise

« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un

nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).

Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur

a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant

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68 Le mémoire professionnel en formation continue

qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer

leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).

Les indicateurs non validés :

Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs

missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,

négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.

En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur

employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration

(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure

dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a

déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui

a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).

Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.

Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer

que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard

distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à

leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise

en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils

ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet

choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par

son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur

laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre

première hypothèse est donc confirmée.

Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :

quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?

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69 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité

A - Résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de

fois cité%

Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,

difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%

La réalisation du projet 3 43%

L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%

Avoir réaliser un mémoire 3 43%

Total: sur 7

Nbre % Nbre % Nbre %

Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%

Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2

Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%

Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire

Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%

Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%

Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.

Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%

Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%

La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%

Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%

Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%

Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation

Questions : Oui Non Partiel .

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70 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le

thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire

(85%).

Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre

part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.

57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur

projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire

n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et

j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).

C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur

entreprise dans l’élaboration du mémoire.

Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire

aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude

choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de

solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.

La reconnaissance de la formation par l’employeur :

Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue

par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:

L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.

La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement

dans ce projet de formation (E1).

Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les

relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est

reconnue par son employeur (E2).

Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses

ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de

mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification

de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort

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71 Le mémoire professionnel en formation continue

que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le

diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.

Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais

en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela

implique des absences » (E7).

Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager

dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une

« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.

L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par

mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de

sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le

risque de perdre ce collaborateur est probable.

Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces

stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en

formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes

épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les

entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.

Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi

la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs

salariés.

71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention

de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :

Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile

(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son

engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer

« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une

troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne

(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la

politique actuelle du groupe (E7).

Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé

de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).

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72 Le mémoire professionnel en formation continue

Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son

projet »(E6).

Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la

question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue

(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion

sociale ».

La reconnaissance du projet par l’employeur :

Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur

entreprise est reconnu par leur employeur :

L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet

stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le

mémoire était stratégique pour leur entreprise.

Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été

mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire

constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.

Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de

prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.

La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.

L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place

aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son

histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet

traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître

mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.

L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être

reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés

estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a

permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009

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73 Le mémoire professionnel en formation continue

j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée

jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).

Le sentiment de changement de posture professionnelle

71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai

pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).

A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,

qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.

71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de

formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de

prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre

posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et

pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me

positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon

poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en

prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une

nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une

dernière.

71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une

impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus

d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les

autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également

d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences

professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle

de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable

lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois

pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait

jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent

que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les

problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus

participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que

j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.

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74 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de

s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction

identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%

des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur

projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux

de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre

de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.

Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un

métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme

un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner

les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».

Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette

activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité

professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se

constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de

discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de

démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt

de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).

Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer

« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la

forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le

projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est

pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).

Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres

stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de

professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».

Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est

principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et

la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent

50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989

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75 Le mémoire professionnel en formation continue

citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec

le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »

écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel

important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.

Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son

travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences

professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un

mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au

démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont

les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.

Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le

stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son

entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont

jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une

réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux

critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.

Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et

reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.

En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert

d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des

représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire

(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le

projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes

de l’entreprise ».

Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les

stagiaires, et donc des effets de « formation ».

Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne

l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de

l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de

distance par rapport aux pratiques professionnelles.

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76 Le mémoire professionnel en formation continue

La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la

reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.

Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en

s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur

engagement.

Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de

professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances

sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de

qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre

son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».

L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs

pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques

professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses

pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.

Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de

construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus

d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme

interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet

au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les

projets qu’il met en place.

Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de

construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au

stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit

d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,

de clarté dans l’exposé de la démarche construite.

Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives

en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.

52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

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77 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer

que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que

l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se

former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un

expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont

transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien

souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le

projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,

de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté

personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les

stagiaires.

Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité

professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.

Titre 4 – Synthèse globale

Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de

distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de

personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.

Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des

rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.

Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également

une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.

Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences

réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance

pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par

rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses

compétences.

Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à

laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour

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78 Le mémoire professionnel en formation continue

l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour

professionnaliser sa pratique.

L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en

effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des

stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour

autrui (DUBAR)56.

Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction

des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires

n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de

légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une

démarche évaluative des compétences acquises.

Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et

son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,

étonné, conforté…

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les

préconisations

Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un

développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de

donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des

ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur

mémoire.

Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs

Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de

professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.

C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se

précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore

56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998

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79 Le mémoire professionnel en formation continue

progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les

ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.

Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui

permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de

se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est

totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).

Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne

sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.

Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on

part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).

Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre

confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et

c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire

seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien

moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).

Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où

on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur

des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne

faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très

intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »

(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de

déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)

Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion

sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un

positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.

La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son

tuteur de mémoire.

Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept

journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre

souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.

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80 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des

charges57.

Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche

du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite

de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il

favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,

l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.

Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le

stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des

stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour

l’Homme » affirme un tuteur (E11).

Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la

démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi

beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.

Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de

renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.

Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.

Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire

au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il

doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.

Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux

tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la

technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).

Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver

intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».

Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les

compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.

57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».

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81 Le mémoire professionnel en formation continue

Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :

des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,

d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement

aussi » (E9).

C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et

puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais

que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est

extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est

un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler

sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de

rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).

Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser

un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation

d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer

aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le

mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans

le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les

éclaire »(E10).

Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est

bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le

style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure

un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas

toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).

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82 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale

Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire

professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.

Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend

au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des

charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la

problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir

à un stagiaire» (E9).

Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs

souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu

l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui

n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.

Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire

professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon

un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »

(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous

les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très

tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis

que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce

même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?

Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).

En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de

mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe

de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de

savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun

est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques

différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne

sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement

décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le

mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire

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83 Le mémoire professionnel en formation continue

ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait

une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).

En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des

compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend

40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement

dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces

différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,

lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils

savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).

Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept

journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le

choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement

où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec

en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin

les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).

La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est

l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa

place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il

est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des

retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?

C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à

celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas

là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).

Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui

du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.

Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du

stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.

Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du

Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans

ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury

permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.

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84 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Préconisations

Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :

- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La

situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.

- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,

la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,

etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.

- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans

le dispositif de formation.

A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les

tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.

Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide

incontestable au développement des compétences du tuteur.

Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à

avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail

de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).

D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a

des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient

enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui

arrivent au CESI » (E11).

Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur

mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert

projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce

domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect

communication » (E9).

D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière

de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant

qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au

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85 Le mémoire professionnel en formation continue

même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour

d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la

façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).

Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les

groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les

thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre

stagiaires et le partage des lectures.

Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses

pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes

impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de

compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager

avec les autres » (E3).

Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à

laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire

professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire

professionnel.

Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la

dimension évaluative.

En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment

d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la

formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette

dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.

Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et

pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le

stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie

d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.

En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une

autoformation que permet le mémoire professionnel ?

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86 Le mémoire professionnel en formation continue

Retour d’expérience

Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année

d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ

pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement

le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires

interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective

dans notre recherche.

De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs

années nous aurait probablement donné un autre regard.

Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le

dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.

De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi

nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.

Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées

par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont

rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,

problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes

de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une

activité professionnelle.

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87 Le mémoire professionnel en formation continue

Conclusion

Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,

enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de

professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de

construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité

professionnelle, voire du label d’expert58.

Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI

à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à

l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre

l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.

L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter

la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le

recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la

mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les

professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à

entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des

compétences.

Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant

écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques

professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.

Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien

les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est

un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son

utilisation.

Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,

notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils

conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout

personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78

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88 Le mémoire professionnel en formation continue

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89 Le mémoire professionnel en formation continue

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1 Le mémoire professionnel en formation continue

Sommaire

Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4

Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14

Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19

Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23

Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29

Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33

Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37

Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44

Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84

Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88

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2 Le mémoire professionnel en formation continue

Introduction

Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau

technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution

accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de

vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent

être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à

former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des

compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les

contraint à exercer plusieurs métiers.

Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les

compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder

des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion

comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un

contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».

De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans

les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses

dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.

Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser

cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au

CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?

L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la

présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment

l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs

de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de

prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.

Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle

pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de

compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question

centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :

1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995

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3 Le mémoire professionnel en formation continue

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences

professionnelles ?

Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.

Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous

référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle

en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.

Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et

d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs

de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la

réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le

développement des compétences dans ces formations qualifiantes.

Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous

formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.

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4 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie I : Présentation du chantier et questions de départ

Chapitre 1 –Le CESI

Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.

Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une

réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le

secteur industriel à la fin des années 50.

Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes

des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait

essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de

suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur

capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,

reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début

des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.

Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de

l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses

instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de

France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,

SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,

CFTC).

Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a

développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :

� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)

� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998

� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005

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5 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.

Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et

agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :

1 L’offre interentreprises :

Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules

peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les

titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.

Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,

membre de la Conférence des Grandes Ecoles.

2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et

3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le

cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.

Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences

Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans

l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens

d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels

(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «

limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de

l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «

examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une

place importante.

L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,

et en 1990 pour la formation en apprentissage.

Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes

pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies

actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »

2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997

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6 Le mémoire professionnel en formation continue

spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée

croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions

s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «

technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la

transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.

Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il

conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.

L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,

organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur

suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour

l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier

ses propositions.

L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «

épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert

progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de

l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but

spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)

(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de

l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»

offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve

donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant

un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres

élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.

Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en

œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-

Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une

augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le

moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,

4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007

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7 Le mémoire professionnel en formation continue

lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou

sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.

Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types

au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir

y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas

toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le

sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de

conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces

moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de

positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,

pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,

« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour

soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je

ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains

ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les

dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.

Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi

La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement

utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.

Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les

individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et

professionnelles.

Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant

tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:

- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de

femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des

catégories disponibles dans cette communauté ;

- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous

voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les

8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991

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8 Le mémoire professionnel en formation continue

diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou

simplement projetée (processus d’identification).

Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené

une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse

faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation

d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du

technicien à l’ingénieur ».

Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une

« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle

d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et

contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour

autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».

On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des

formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces

formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et

contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations

d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du

« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».

L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,

construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions

nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré

par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de

piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,

c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la

progression des participants.

La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de

connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de

l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations

d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de

compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.

11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.

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9 Le mémoire professionnel en formation continue

Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour

progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires

professionnels, jurys.

Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade

donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et

pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du

débutant au professionnel de la fonction visée.

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi

Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au

Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations

longues dans leurs parcours qualifiants.

Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II

Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2

avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.

Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce

qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant

entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).

Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par

les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,

l’une éclairant l’autre.

Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du

sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et

d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à

produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.

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10 Le mémoire professionnel en formation continue

Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à

élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences

les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.

A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,

constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au

RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».

En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :

- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.

- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel

métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.

- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant

un jury de professionnels.

- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II

La construction Cesi de parcours professionnels

QualificationMétier

Certification professionnelle CESI

Certificat de compétence Cesi

Attestation de Participation Cesi

Jury national de délivrance du titre composé de professionnels

Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier

Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4

ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III

Module1.1

Module1.2

Module1.3

Module2.1

Module2.2

Module3.1

Module 4.1

Module 4.2

Parcours de formation

Parcours qualifiant

Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi

Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en

évaluant les effets.

Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la

guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.

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11 Le mémoire professionnel en formation continue

Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours

apprécier et évaluer.

Cette évaluation se fera en deux temps :

Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires

à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs

expériences vécues.

Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce

jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du

mémoire et de la prestation orale.

Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant

sur les dimensions suivantes :

• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?

• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?

• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?

• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon

questionnement ?

• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en

œuvre pour cela ?

En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de

l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).

Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du

champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.

Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil

stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).

En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du

référentiel national.

12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »

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12 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.

C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme

caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.

Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme

exposée ci-après :

Première partie :

Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées

Définir les objectifs visés

Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,

Prioriser les enjeux

Deuxième partie :

Piloter un projet

Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire

Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise

Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,

acuité du risque, recherche des causes premières)

Troisième partie :

Préconiser des axes d’améliorations

Prioriser les solutions dans le temps

Mesurer la qualité des réponses apportées

Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à

donner)

Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa

capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de

50/60 pages.

Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire

professionnel.

Le cahier des charges stipule que :

« Ce projet doit vous permettre de démontrer :

- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités

correspondantes,

- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,

économique, technique et organisationnelle),

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13 Le mémoire professionnel en formation continue

- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une

proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,

- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre

compte,

- votre capacité à prendre le recul nécessaire

- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».

Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de

professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30

minutes :

- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des

résultats obtenus,

- Débat Questions / réponses avec le jury.

Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de

l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».

Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et

d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs

et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de

la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les

compétences.

Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-

même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de

responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de

formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et

transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle

opère elle-même sur le réel ».

L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre

mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.

Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des

connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences

nouvelles conduisant à de meilleures performances.

13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

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14 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Le processus d’écriture

« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son

action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant

», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à

l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.

Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui

les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas

sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.

Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :

Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,

promouvoir l’action .

Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.

- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes

que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme

de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.

- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à

l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est

écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans

l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).

- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens

et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.

Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne

pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de

formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.

On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des

textes produits par des praticiens16.

14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).

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15 Le mémoire professionnel en formation continue

On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans

le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des

pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.

Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et

écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la

pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.

En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois

« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :

• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de

validation (référentialité close intégrante) ;

• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de

reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;

• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de

motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.

Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres

postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.

Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de

formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en

même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation

professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a

pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de

l’autonomisation.

Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La

signature du texte produit consigne cette prise de risque.

C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures

étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les

17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.

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16 Le mémoire professionnel en formation continue

idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est

accepté.

Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des

difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui

nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de

formation et à la représentation que s’en font les praticiens.

Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une

liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,

apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une

pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que

suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à

savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si

cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de

cette compétence, mais à deux conditions :

- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)

de se construire et de se développer ;

- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité

mouvante de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des

questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des

individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à

lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en

toujours possibles divergences ?

Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la

matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à

l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord

aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après

les aider à « passer » à l’écriture.

21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

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17 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait

assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test

intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui

tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.

Chapitre 3 – Les questions de départ

La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de

développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une

multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur

leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de

plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.

Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents

selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté

du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.

Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer

lorsqu’on est en position d’extériorité.

Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par

l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de

champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre

à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?

Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la

professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel

engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel

instrument ?

Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout

lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que

présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?

23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

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18 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand

elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.

Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :

- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?

- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?

- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de

formation professionnelle ?

- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de

compétences ?

- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?

Et enfin,

- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer

entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.

- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?

L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de

dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?

Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en

connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?

24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994

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19 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle

Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de

déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des

participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs

dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en

nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.

Chapitre 1 – La compétence

Bref histoire d’une notion :

Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires

sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le

rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme

uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.

Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues

de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences

individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de

compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence

sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur

le métier.

L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont

l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de

Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à

répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au

moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte

favorisant l’apparition de la notion de compétence.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu

fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient

immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et

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20 Le mémoire professionnel en formation continue

l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du

terrain).

Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.

Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant

les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de

travail.

La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement

imposée.

Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la

personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport

salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.

Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des

autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.

L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la

"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de

travail.

Titre 1 – La compétence selon Le Boterf

Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences

mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les

entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en

référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .

Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout

en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour

en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux

contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.

Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,

elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que

25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008

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21 Le mémoire professionnel en formation continue

l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-

transférer des ressources dans un contexte professionnel.

"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de

connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment

opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à

la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que

de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).

Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser

dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à

apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :

« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un

ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),

pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités

d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à

certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».

« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des

représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un

exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).

Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».

Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »

pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs

techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements

relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes

par rapport aux exigences des situations de travail.

Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme

compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,

d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et

des performances à réaliser.

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22 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de

« pratiques professionnelles ».

� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un

organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?

Comment les transférer ?

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un

objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.

� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour

autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un

outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?

Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister

entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.

Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de

plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être

compétent tout seul.

Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de

données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres

métiers ou services.

La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à

coopérer avec d’autres.

Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent

il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui

prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du

travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la

motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui

peut faciliter l’expression des compétences.

26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006

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23 Le mémoire professionnel en formation continue

Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation

et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours

individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en

situation de travail prendront une place croissante.

� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances

professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que

l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?

La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus

collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux

dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les

espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation

(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations

visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.

Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian

Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources

humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,

selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le

processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit

fini.

Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression

directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.

Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le

salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription

taylorienne fermée ne couvre plus.

Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage

souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».

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24 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de

qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.

Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :

• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations

professionnelles auxquels il est confronté. »

Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un

individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter

une réponse face à un évènement.

Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,

l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur

les conséquences de cet évènement.

De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la

situation de l'individu qui l’affronte.

• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des

connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente. »

Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche

compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir

intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme

compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont

dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront

apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera

plus réactif en termes d’apprentissage.

• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes

situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »

27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

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25 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même

évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un

évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul

individu) afin de mieux répondre à cet évènement.

A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail

transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être

partagés.

Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions

communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et

coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit

collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.

En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à

l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et

répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de

la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être

mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours

compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.

� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,

la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?

- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance

Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la

compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur

capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des

situations problématiques.

Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la

construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce

savoir de référence.

Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des

connaissances et apprentissage de la compétence.

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26 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons retenir les enseignements suivants:

• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par

l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de

compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable

situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.

• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance

introduite vis-à-vis des pratiques existantes.

• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs

professionnels de référence.

� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de

démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique

professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs

professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?

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27 Le mémoire professionnel en formation continue

Chapitre 2 – L’identité professionnelle

L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.

Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar

Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un

long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme

un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et

formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la

naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.

L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres

orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.

Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation

secondaire et de double transaction identitaire

Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui

ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de

toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu

construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur

relationnel, affectif et symbolique.

L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense

qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-

même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres

circonstances.

Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation

primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu

pour se faire connaître.

28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

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28 Le mémoire professionnel en formation continue

Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de

considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux

transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre

les individus et les institutions.

La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à

l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire

reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe

entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.

La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la

construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.

Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce

que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers

composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le

contexte.

L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.

Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se

recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».

L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de

construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du

travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre

des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.

De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de

légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.

Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des

éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.

Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit

apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances

possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu

à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette

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29 Le mémoire professionnel en formation continue

dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois

inséparables et liées de façon problématique».

L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par

les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne

l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.

Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus

identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel

l’individu est immergé.

Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un

résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et

structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et

définissent les institutions » (DUBAR., 2000).

Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des

rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des

manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ

du travail et de l’emploi.

Titre 2 – Le processus identitaire professionnel

Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents

groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est

fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel

d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la

reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du

pouvoir ».

Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il

reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et

son groupe d’appartenance.

29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,

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30 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité

professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des

espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et

valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi

qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».

Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de

la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,

noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de

désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des

catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette

transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les

représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.

Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords

entre ces deux identités.

Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son

identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,

son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de

carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat

de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des

ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles

suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri

C., 1990)31.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »

tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est

considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie

relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou

l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en

respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,

par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont

de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la

situation dans laquelle il se trouve.

31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

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31 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous

pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et

des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce

collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour

envisager une intégration par ses pairs.

La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité

professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de

normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation

de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de

s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud

SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de

travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être

pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme

appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,

c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et

l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de

vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités

particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).

Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte

qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :

La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses

croyances.

� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une

profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en

œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage

confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?

Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les

hypothèses.

32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977

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32 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie III : Problématique et hypothèses

Chapitre 1 – La problématique

Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet

dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.

Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise

en place d’un projet dans son entreprise.

Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la

pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?

L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus

directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans

l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».

A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la

part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?

L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont

il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un

climat de partage d’expériences.

La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des

stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est

le cas.

Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du

mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et

développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?

En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier

les compétences qu’il permet de développer.

33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979

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33 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une

réflexion déterminant:

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des

compétences des stagiaires ?

Chapitre 2 – Les hypothèses

Titre 1 – L’hypothèse 1

L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs

professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie

dans son travail ?

La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle

contribuant de développer son regard critique ?

La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son

engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?

Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :

L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus

autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.

Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion

d’autonomie :

Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de

décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.

Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre

des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens

d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est

souvent associée à l'autonomie collective.

34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333

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34 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités

et des pouvoirs.

L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux

conditions:

- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de

demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.

- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera

au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de

relations nécessaires.

Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise

d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et

problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.

Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,

sont essentiels.

Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une

situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service

face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec

compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.

Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par

rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de

l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à

une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle

consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des

initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle

vise à prendre les initiatives pertinentes.

Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un

problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un

dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,

d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus

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35 Le mémoire professionnel en formation continue

de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle

doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.

Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les

notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié

se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui

implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.

Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en

l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer

une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…

A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre

de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il

provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :

"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la

réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est

compétente ou non, et jusqu'à quel point.

Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la

communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle

que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans

un référentiel.

C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel

groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois

des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les

situations avec succès.

Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :

Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les

plus citées spontanément :

- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?

- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?

- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?

Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences

développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :

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36 Le mémoire professionnel en formation continue

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?

- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?

- de développer un esprit plus critique ?

- de développer vos capacités de synthèse ?

- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?

- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?

- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?

- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?

Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges

des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées

lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le

mémoire.

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?

- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?

- Vos capacités à planifier un projet ?

- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?

- Vos capacités à mesurer des enjeux ?

- Vos capacités à identifier des finalités ?

- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?

- Vos capacités d’analyse ?

- Vos capacités à rechercher des solutions?

- Vos capacités à être force de proposition ?

- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?

- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?

- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?

- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?

- Vos capacités à prendre des initiatives?

- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser

un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?

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37 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – L’hypothèse 2

Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire

professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.

Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation

professionnelle, théorique et pratique.

L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de

transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi

professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).

Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond

d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.

Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession

qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à

son tour un professionnel confirmé.

Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment

la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de

postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire

professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une

restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?

Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur

cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.

Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :

Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une

nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de

ses compétences.

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38 Le mémoire professionnel en formation continue

Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans

différentes séries de questions :

1ère série de questions :

- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?

- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?

- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?

- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.

2ème série de questions :

- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?

- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par

l’employeur du stagiaire.

3ème série de questions :

- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de

niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?

- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre

entreprise ?

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

4ème série de questions :

- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des

responsabilités?

- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?

- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?

- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement

vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les

autres)

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39 Le mémoire professionnel en formation continue

- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et

aujourd’hui ?

Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)

Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)

� � � � � � � �

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après

avoir suivi sa formation.

Dernière questions :

- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?

Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.

Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en

dépassant le sens commun de la question de départ.

Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.

Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.

Professionnel de la fonction

à…. l’Expert ou Responsable de

la fonction

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40 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie IV - Méthodologie de la recherche

Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche

A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre

problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement

utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus

approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.

Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire

et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en

fonction de la problématique posée.

L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle

demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les

professionnels dans la pratique.

Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit

traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses

sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous

renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.

L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les

entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et

d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant

lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le

chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à

son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.

L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide

aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.

Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les

35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem

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41 Le mémoire professionnel en formation continue

objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles

l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que

possible »39.

Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à

questionnaire pour recueillir les données quantitatives.

Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de

différents critères :

- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?

- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport

d'harmonie ou d'organisation logique ?

- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux

objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?

Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,

les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.

39 ibidem

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42 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs

Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.

Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.

Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à

l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations

qualifiantes.

1- Les stagiaires

Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette

recherche.

- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009

- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.

- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;

Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du

mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après

l’avoir terminé pour le second groupe.

L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires

interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre

important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.

La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus

avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et

sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.

Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité

professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.

40 VAP : Validation des Acquis Professionnels

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43 Le mémoire professionnel en formation continue

A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux

réponses étaient possibles.

Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une

qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison

quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.

Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs

compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de

s’engager dans une formation.

Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une

nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).

Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus

socialement dans leur fonction.

Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut

s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il

permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois

promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.

La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle

des deux groupes dans leur totalité.

85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.

E 1 = Entretien 1

Qui Age Groupe Diplôme

avant le CESIPoste de travail Evolution

prévue Sujet de mémoire

E1 50 ans 2 BacAssitante RH

nonAccompagner le changement après un PSE (Plan

Social Economique)

E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité

internationalenon

Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile

vers le secteur du nucléaire

E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des

Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise

E4 41 ans 1 BacResponsable

administratifnon L'audit de conformité

E5 40 ans 1 Bac +2Responsable

administratifoui: RRH* L'épargne salariale

E6 33 ans 2 BacAssitante RH

non L'absentéisme

E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion

du personnelnon La mise en place d'un projet sénior

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44 Le mémoire professionnel en formation continue

2- Les tuteurs

Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.

Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux

tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.

L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :

Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que

tuteur

E8FFR RH*

Mastère spécialisé RH

Niveau 2

Niveau 11 an

E9Arcadre "Passage Cadre"

Passage agent de maîtrise RATP

Niveau 2

Niveau 32 ans

E11Ingénieur

Arcadre "Passage Cadre"

Niveau 1

Niveau 25 ans

FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8

RIF : Responsable en Ingénierie de Formation

Titre 3 – Modalité des entretiens

Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux

qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.

Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI

L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.

L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens

est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4

pour les entretiens tuteurs).

Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la

confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :

- L’identité des personnes a été préservée ;

- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;

- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues

anonymes ;

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45 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons

cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été

consacrées à expliquer l’objet de l’étude.

Cet entretien comporte 3 thèmes :

- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture

- Les effets en termes de compétences

- Les effets en termes d’identité

En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.

Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en

annexe 2 pour le guide des tuteurs).

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46 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie V : Analyse des données et résultats

Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le

guide d’entretien :

Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première

partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un

mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser

un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.

Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du

questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le

mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?

Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?

Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?

Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du

mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus

critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :

d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,

d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :

- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et

- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf

page 36 les questions posées).

Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire

permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture

professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses

compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:

- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,

- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,

- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,

- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa

formation,

-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions

retenues).

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47 Le mémoire professionnel en formation continue

Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.

Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture

Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de

stage ?

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de

l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une

activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des

stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à

mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).

Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie

du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport

de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà

en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit

être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.

Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est

déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une

problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail

individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un

problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les

choses » (E11).

Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une

entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le

candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il

est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de

trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).

Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique

quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de

prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de

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48 Le mémoire professionnel en formation continue

présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de

la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de

faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire

quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.

Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en

première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait

valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il

ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors

qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans

un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).

Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,

formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et

d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).

Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la

formalisation d’un projet concret » (E9).

C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le

domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,

exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.

Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé

en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le

mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde

note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.

« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres

personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non

seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une

grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).

La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce

travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa

démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.

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49 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par

rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le

niveau d’engagement dans le projet mené.

Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.

Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de

professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut

être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous

n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre

hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens

vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).

La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est

chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout

stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.

Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit

précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon

d’agir sur les projets.

Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.

Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des

perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres

projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.

Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus

diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?

Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de

rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation

alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de

stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la

preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur

41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979

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50 Le mémoire professionnel en formation continue

interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de

méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est

aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de

démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).

Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"

essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du

postulant à la qualification.

Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une

condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).

« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de

faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous

pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par

exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons

chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »

(E10).

Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,

suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses

et 15 minutes de délibération.

Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une

obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un

travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice

au long de leur propre scolarité.

Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou

plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire

permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire

témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique

qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans

mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et

de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).

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51 Le mémoire professionnel en formation continue

Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire

Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux

théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à

développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.

Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture

d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un

travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la

raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette

information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une

capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une

manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut

d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse

critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est

très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec

les intervenants professionnels » (E2).

Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera

unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion

privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la

lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »

affirme une stagiaire… (E1).

Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur

donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à

présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,

ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).

Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où

trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites

Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…

Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité

(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur

fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le

meilleur mais aussi le pire.

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52 Le mémoire professionnel en formation continue

Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans

l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas

nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer

au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés

comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures

professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation

“tout au long de la vie”.

Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les

concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le

mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent

réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage

les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le

projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le

stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et

moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).

Thème 4 : Les effets de l’écriture

Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens

large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système

d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien

d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du

mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui

transpire. » (E11).

L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes

interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans

mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).

Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).

L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais

réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre

témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.

Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était

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53 Le mémoire professionnel en formation continue

le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait

des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas

complètement séduite » (E4).

Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée

en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet

une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que

théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis

parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà

plus simple pour moi » (E6).

Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est

« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est

difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.

Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :

La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille

blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).

« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte

était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était

insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).

La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du

temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a

permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).

Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »

(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant

toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je

me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon

projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à

synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma

réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas

écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu

que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et

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54 Le mémoire professionnel en formation continue

d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas

au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).

Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :

Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et

cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger

le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées

et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en

entreprise.

Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :

- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est

réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).

- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené

son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à

4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).

- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y

a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet

dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).

- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».

L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et

rendre le mémoire dans les délais.

Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le

résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le

mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.

Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons

poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en

termes de compétences.

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55 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences

Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.

Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments

utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus

en annexe 5.

1 – Concernant l’écriture du mémoire

A - Les résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de

fois cité

Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2

Connaître une méthodologie de conduite de projet 1

Synthétiser les idées 1

Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3

Améliorer un écrit professionnel 1

Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2

Réussir à analyser une problématique 1

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre % Nbre

d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0

de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%

de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1

de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%

de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%

l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%

d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%

ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%

Oui Non Partiellement

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56 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Le point de vue des stagiaires :

La prise de recul sur son activité, un regard distancié :

Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la

réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%

d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous

l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,

ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).

Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des

questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une

compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de

fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je

n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »

(E4).

Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de

travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des

compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend

alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors

véritablement un rôle dans le développement des compétences.

Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du

contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par

les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière

quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des

éléments contextuels ».

Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à

un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux

analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite

plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).

42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

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57 Le mémoire professionnel en formation continue

C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions

éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue

compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des

raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en

place »(E3).

Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les

changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que

j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).

Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.

L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,

lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise

à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à

comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour

comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.

Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle

décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la

description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le

comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue

une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd

son sens.

Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au

dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion

permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.

Le développement de la professionnalité :

85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.

« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion

et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en

savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

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58 Le mémoire professionnel en formation continue

domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a

aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur

pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).

Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche

méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on

demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »

(E11).

Le développement d’un esprit plus critique :

La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans

les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,

entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une

stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de

travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »

(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle

s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que

celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un

regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).

Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit

trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses

observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à

travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le

mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).

Le développement de l’esprit de synthèse :

A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des

stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.

Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant

ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi

j’avais choisi ce sujet » (E6).

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59 Le mémoire professionnel en formation continue

Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent

envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).

Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non

pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un

certain développement et beaucoup de recherches » (E7).

C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un

travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses

idées

La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :

Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail

d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.

Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre

mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et

le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on

n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce

travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a

appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on

s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).

Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait

directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout

analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes

questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse

incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter

maintenant » (E7).

Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :

Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre

de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).

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60 Le mémoire professionnel en formation continue

Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que

l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.

Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits

qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le

vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte

de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très

voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à

un cadre » (E9) précise un tuteur.

Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens

(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute

la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).

Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.

La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle

situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation

(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec

enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le

contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la

manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche

l’est » (E11).

De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige

des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive

de la professionnalité.

La valeur d’auto-formation de l’écriture :

57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les

recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture

permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.

Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des

lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »

(E2).

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61 Le mémoire professionnel en formation continue

42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas

du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc

pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une

stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le

mémoire n’a rien ajouté » (E5).

Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires

annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des

compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été

grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.

Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend

les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page

blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,

qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les

limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation

de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à

travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs

qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet

de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu

faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la

formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une

manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).

Une vision plus globale sur son activité :

Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision

plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.

Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%

d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà

pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le

contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10

personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou

bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).

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62 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure

connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs

sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition

hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.

Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social

en général » (E3).

Le développement de l’autonomie :

57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur

autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière

très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé

dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.

A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un

stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de

ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis

très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce

mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus

mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).

Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond

favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des

tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir

été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son

mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,

ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute

autonomie (E6).

Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis

retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me

débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit

à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le

choix » (E2).

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63 Le mémoire professionnel en formation continue

L’apprentissage d’une méthodologie de projet :

Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est

bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique

professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca

m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).

Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences

acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.

Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations

observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et

leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du

propos, et celle de ses pratiques.

Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette

formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le

cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs

envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du

mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,

prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet

complexe dans son entreprise.

Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la

démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation

d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie

trouvée sur le sujet.

« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très

particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a

mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car

après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il

a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se

montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.

C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).

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64 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne

un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une

certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui

était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter

de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).

Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de

professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas

d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire

dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur

cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)

affirme un second.

Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et

de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un

jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir

présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.

Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise

n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires

disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces

compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour

l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup

de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car

je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de

rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une

réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision

finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on

n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.

Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas

complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce

n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.

C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils

mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

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65 Le mémoire professionnel en formation continue

L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans

leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action

longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne

suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.

Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de

l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette

transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture

sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité

professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition

et de mise en œuvre des compétences nouvelles.

Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un

rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner

autrement et se voir autrement.

Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la

réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points

forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation

orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».

L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence

professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses

croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le

premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique

inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la

mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui

permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond

BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».

Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des

expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de

l’autre mais également en respectant l’autre.

45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

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66 Le mémoire professionnel en formation continue

2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire

Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des

charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées

par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.

Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un

projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.

Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du

mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans

l’entreprise.

Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans

trop les développer.

A – Les résultats :

En gris : indicateurs non validés

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre %

Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%

Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%

Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%

Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%

Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%

Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%

Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%

Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%

Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1

Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%

Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1

Partiel .

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

Oui Non

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67 Le mémoire professionnel en formation continue

B – L’analyse :

Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une

méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :

- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à

prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de

proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une

démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de

réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas

forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les

solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en

application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)

annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de

proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.

- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de

mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande

rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans

tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a

compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une

stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien

structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les

éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine

logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de

développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).

- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un

ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus

expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin

d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en

œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise

« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un

nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).

Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur

a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant

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68 Le mémoire professionnel en formation continue

qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer

leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).

Les indicateurs non validés :

Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs

missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,

négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.

En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur

employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration

(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure

dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a

déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui

a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).

Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.

Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer

que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard

distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à

leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise

en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils

ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet

choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par

son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur

laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre

première hypothèse est donc confirmée.

Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :

quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?

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69 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité

A - Résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de

fois cité%

Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,

difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%

La réalisation du projet 3 43%

L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%

Avoir réaliser un mémoire 3 43%

Total: sur 7

Nbre % Nbre % Nbre %

Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%

Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2

Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%

Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire

Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%

Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%

Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.

Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%

Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%

La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%

Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%

Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%

Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation

Questions : Oui Non Partiel .

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70 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le

thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire

(85%).

Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre

part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.

57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur

projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire

n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et

j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).

C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur

entreprise dans l’élaboration du mémoire.

Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire

aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude

choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de

solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.

La reconnaissance de la formation par l’employeur :

Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue

par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:

L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.

La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement

dans ce projet de formation (E1).

Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les

relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est

reconnue par son employeur (E2).

Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses

ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de

mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification

de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort

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71 Le mémoire professionnel en formation continue

que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le

diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.

Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais

en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela

implique des absences » (E7).

Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager

dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une

« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.

L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par

mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de

sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le

risque de perdre ce collaborateur est probable.

Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces

stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en

formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes

épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les

entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.

Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi

la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs

salariés.

71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention

de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :

Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile

(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son

engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer

« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une

troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne

(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la

politique actuelle du groupe (E7).

Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé

de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).

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72 Le mémoire professionnel en formation continue

Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son

projet »(E6).

Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la

question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue

(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion

sociale ».

La reconnaissance du projet par l’employeur :

Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur

entreprise est reconnu par leur employeur :

L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet

stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le

mémoire était stratégique pour leur entreprise.

Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été

mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire

constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.

Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de

prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.

La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.

L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place

aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son

histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet

traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître

mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.

L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être

reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés

estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a

permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009

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73 Le mémoire professionnel en formation continue

j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée

jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).

Le sentiment de changement de posture professionnelle

71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai

pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).

A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,

qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.

71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de

formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de

prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre

posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et

pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me

positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon

poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en

prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une

nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une

dernière.

71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une

impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus

d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les

autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également

d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences

professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle

de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable

lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois

pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait

jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent

que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les

problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus

participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que

j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.

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74 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de

s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction

identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%

des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur

projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux

de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre

de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.

Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un

métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme

un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner

les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».

Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette

activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité

professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se

constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de

discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de

démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt

de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).

Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer

« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la

forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le

projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est

pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).

Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres

stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de

professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».

Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est

principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et

la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent

50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989

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75 Le mémoire professionnel en formation continue

citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec

le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »

écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel

important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.

Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son

travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences

professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un

mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au

démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont

les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.

Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le

stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son

entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont

jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une

réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux

critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.

Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et

reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.

En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert

d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des

représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire

(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le

projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes

de l’entreprise ».

Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les

stagiaires, et donc des effets de « formation ».

Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne

l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de

l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de

distance par rapport aux pratiques professionnelles.

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76 Le mémoire professionnel en formation continue

La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la

reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.

Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en

s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur

engagement.

Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de

professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances

sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de

qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre

son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».

L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs

pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques

professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses

pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.

Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de

construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus

d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme

interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet

au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les

projets qu’il met en place.

Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de

construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au

stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit

d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,

de clarté dans l’exposé de la démarche construite.

Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives

en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.

52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

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77 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer

que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que

l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se

former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un

expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont

transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien

souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le

projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,

de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté

personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les

stagiaires.

Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité

professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.

Titre 4 – Synthèse globale

Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de

distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de

personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.

Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des

rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.

Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également

une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.

Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences

réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance

pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par

rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses

compétences.

Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à

laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour

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78 Le mémoire professionnel en formation continue

l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour

professionnaliser sa pratique.

L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en

effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des

stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour

autrui (DUBAR)56.

Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction

des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires

n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de

légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une

démarche évaluative des compétences acquises.

Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et

son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,

étonné, conforté…

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les

préconisations

Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un

développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de

donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des

ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur

mémoire.

Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs

Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de

professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.

C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se

précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore

56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998

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79 Le mémoire professionnel en formation continue

progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les

ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.

Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui

permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de

se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est

totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).

Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne

sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.

Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on

part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).

Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre

confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et

c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire

seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien

moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).

Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où

on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur

des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne

faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très

intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »

(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de

déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)

Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion

sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un

positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.

La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son

tuteur de mémoire.

Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept

journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre

souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.

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80 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des

charges57.

Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche

du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite

de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il

favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,

l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.

Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le

stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des

stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour

l’Homme » affirme un tuteur (E11).

Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la

démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi

beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.

Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de

renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.

Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.

Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire

au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il

doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.

Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux

tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la

technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).

Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver

intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».

Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les

compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.

57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».

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81 Le mémoire professionnel en formation continue

Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :

des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,

d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement

aussi » (E9).

C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et

puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais

que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est

extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est

un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler

sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de

rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).

Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser

un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation

d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer

aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le

mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans

le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les

éclaire »(E10).

Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est

bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le

style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure

un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas

toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).

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82 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale

Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire

professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.

Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend

au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des

charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la

problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir

à un stagiaire» (E9).

Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs

souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu

l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui

n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.

Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire

professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon

un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »

(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous

les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très

tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis

que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce

même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?

Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).

En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de

mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe

de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de

savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun

est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques

différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne

sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement

décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le

mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire

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83 Le mémoire professionnel en formation continue

ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait

une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).

En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des

compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend

40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement

dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces

différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,

lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils

savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).

Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept

journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le

choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement

où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec

en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin

les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).

La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est

l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa

place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il

est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des

retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?

C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à

celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas

là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).

Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui

du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.

Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du

stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.

Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du

Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans

ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury

permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.

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84 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Préconisations

Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :

- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La

situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.

- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,

la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,

etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.

- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans

le dispositif de formation.

A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les

tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.

Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide

incontestable au développement des compétences du tuteur.

Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à

avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail

de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).

D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a

des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient

enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui

arrivent au CESI » (E11).

Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur

mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert

projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce

domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect

communication » (E9).

D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière

de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant

qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au

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85 Le mémoire professionnel en formation continue

même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour

d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la

façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).

Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les

groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les

thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre

stagiaires et le partage des lectures.

Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses

pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes

impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de

compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager

avec les autres » (E3).

Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à

laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire

professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire

professionnel.

Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la

dimension évaluative.

En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment

d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la

formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette

dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.

Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et

pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le

stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie

d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.

En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une

autoformation que permet le mémoire professionnel ?

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86 Le mémoire professionnel en formation continue

Retour d’expérience

Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année

d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ

pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement

le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires

interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective

dans notre recherche.

De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs

années nous aurait probablement donné un autre regard.

Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le

dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.

De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi

nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.

Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées

par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont

rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,

problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes

de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une

activité professionnelle.

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87 Le mémoire professionnel en formation continue

Conclusion

Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,

enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de

professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de

construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité

professionnelle, voire du label d’expert58.

Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI

à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à

l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre

l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.

L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter

la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le

recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la

mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les

professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à

entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des

compétences.

Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant

écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques

professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.

Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien

les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est

un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son

utilisation.

Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,

notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils

conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout

personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78

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88 Le mémoire professionnel en formation continue

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89 Le mémoire professionnel en formation continue

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- ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français,

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1 Le mémoire professionnel en formation continue

Sommaire

Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4

Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14

Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19

Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23

Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29

Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33

Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37

Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44

Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84

Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88

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2 Le mémoire professionnel en formation continue

Introduction

Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau

technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution

accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de

vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent

être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à

former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des

compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les

contraint à exercer plusieurs métiers.

Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les

compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder

des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion

comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un

contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».

De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans

les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses

dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.

Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser

cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au

CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?

L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la

présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment

l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs

de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de

prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.

Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle

pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de

compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question

centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :

1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995

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3 Le mémoire professionnel en formation continue

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences

professionnelles ?

Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.

Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous

référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle

en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.

Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et

d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs

de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la

réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le

développement des compétences dans ces formations qualifiantes.

Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous

formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.

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4 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie I : Présentation du chantier et questions de départ

Chapitre 1 –Le CESI

Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.

Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une

réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le

secteur industriel à la fin des années 50.

Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes

des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait

essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de

suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur

capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,

reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début

des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.

Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de

l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses

instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de

France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,

SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,

CFTC).

Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a

développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :

� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)

� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998

� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005

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5 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.

Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et

agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :

1 L’offre interentreprises :

Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules

peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les

titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.

Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,

membre de la Conférence des Grandes Ecoles.

2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et

3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le

cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.

Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences

Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans

l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens

d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels

(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «

limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de

l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «

examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une

place importante.

L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,

et en 1990 pour la formation en apprentissage.

Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes

pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies

actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »

2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997

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6 Le mémoire professionnel en formation continue

spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée

croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions

s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «

technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la

transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.

Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il

conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.

L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,

organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur

suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour

l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier

ses propositions.

L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «

épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert

progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de

l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but

spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)

(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de

l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»

offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve

donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant

un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres

élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.

Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en

œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-

Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une

augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le

moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,

4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007

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7 Le mémoire professionnel en formation continue

lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou

sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.

Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types

au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir

y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas

toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le

sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de

conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces

moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de

positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,

pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,

« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour

soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je

ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains

ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les

dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.

Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi

La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement

utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.

Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les

individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et

professionnelles.

Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant

tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:

- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de

femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des

catégories disponibles dans cette communauté ;

- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous

voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les

8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991

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8 Le mémoire professionnel en formation continue

diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou

simplement projetée (processus d’identification).

Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené

une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse

faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation

d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du

technicien à l’ingénieur ».

Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une

« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle

d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et

contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour

autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».

On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des

formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces

formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et

contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations

d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du

« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».

L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,

construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions

nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré

par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de

piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,

c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la

progression des participants.

La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de

connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de

l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations

d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de

compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.

11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.

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9 Le mémoire professionnel en formation continue

Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour

progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires

professionnels, jurys.

Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade

donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et

pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du

débutant au professionnel de la fonction visée.

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi

Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au

Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations

longues dans leurs parcours qualifiants.

Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II

Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2

avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.

Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce

qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant

entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).

Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par

les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,

l’une éclairant l’autre.

Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du

sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et

d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à

produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.

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10 Le mémoire professionnel en formation continue

Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à

élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences

les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.

A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,

constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au

RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».

En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :

- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.

- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel

métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.

- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant

un jury de professionnels.

- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II

La construction Cesi de parcours professionnels

QualificationMétier

Certification professionnelle CESI

Certificat de compétence Cesi

Attestation de Participation Cesi

Jury national de délivrance du titre composé de professionnels

Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier

Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4

ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III

Module1.1

Module1.2

Module1.3

Module2.1

Module2.2

Module3.1

Module 4.1

Module 4.2

Parcours de formation

Parcours qualifiant

Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi

Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en

évaluant les effets.

Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la

guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.

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11 Le mémoire professionnel en formation continue

Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours

apprécier et évaluer.

Cette évaluation se fera en deux temps :

Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires

à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs

expériences vécues.

Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce

jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du

mémoire et de la prestation orale.

Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant

sur les dimensions suivantes :

• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?

• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?

• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?

• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon

questionnement ?

• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en

œuvre pour cela ?

En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de

l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).

Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du

champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.

Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil

stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).

En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du

référentiel national.

12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »

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12 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.

C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme

caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.

Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme

exposée ci-après :

Première partie :

Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées

Définir les objectifs visés

Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,

Prioriser les enjeux

Deuxième partie :

Piloter un projet

Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire

Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise

Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,

acuité du risque, recherche des causes premières)

Troisième partie :

Préconiser des axes d’améliorations

Prioriser les solutions dans le temps

Mesurer la qualité des réponses apportées

Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à

donner)

Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa

capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de

50/60 pages.

Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire

professionnel.

Le cahier des charges stipule que :

« Ce projet doit vous permettre de démontrer :

- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités

correspondantes,

- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,

économique, technique et organisationnelle),

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13 Le mémoire professionnel en formation continue

- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une

proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,

- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre

compte,

- votre capacité à prendre le recul nécessaire

- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».

Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de

professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30

minutes :

- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des

résultats obtenus,

- Débat Questions / réponses avec le jury.

Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de

l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».

Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et

d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs

et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de

la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les

compétences.

Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-

même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de

responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de

formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et

transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle

opère elle-même sur le réel ».

L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre

mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.

Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des

connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences

nouvelles conduisant à de meilleures performances.

13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

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14 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Le processus d’écriture

« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son

action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant

», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à

l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.

Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui

les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas

sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.

Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :

Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,

promouvoir l’action .

Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.

- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes

que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme

de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.

- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à

l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est

écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans

l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).

- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens

et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.

Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne

pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de

formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.

On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des

textes produits par des praticiens16.

14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).

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15 Le mémoire professionnel en formation continue

On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans

le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des

pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.

Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et

écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la

pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.

En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois

« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :

• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de

validation (référentialité close intégrante) ;

• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de

reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;

• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de

motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.

Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres

postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.

Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de

formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en

même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation

professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a

pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de

l’autonomisation.

Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La

signature du texte produit consigne cette prise de risque.

C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures

étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les

17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.

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16 Le mémoire professionnel en formation continue

idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est

accepté.

Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des

difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui

nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de

formation et à la représentation que s’en font les praticiens.

Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une

liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,

apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une

pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que

suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à

savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si

cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de

cette compétence, mais à deux conditions :

- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)

de se construire et de se développer ;

- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité

mouvante de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des

questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des

individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à

lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en

toujours possibles divergences ?

Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la

matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à

l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord

aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après

les aider à « passer » à l’écriture.

21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

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17 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait

assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test

intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui

tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.

Chapitre 3 – Les questions de départ

La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de

développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une

multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur

leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de

plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.

Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents

selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté

du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.

Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer

lorsqu’on est en position d’extériorité.

Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par

l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de

champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre

à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?

Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la

professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel

engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel

instrument ?

Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout

lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que

présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?

23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

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18 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand

elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.

Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :

- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?

- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?

- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de

formation professionnelle ?

- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de

compétences ?

- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?

Et enfin,

- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer

entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.

- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?

L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de

dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?

Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en

connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?

24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994

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19 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle

Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de

déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des

participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs

dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en

nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.

Chapitre 1 – La compétence

Bref histoire d’une notion :

Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires

sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le

rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme

uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.

Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues

de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences

individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de

compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence

sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur

le métier.

L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont

l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de

Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à

répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au

moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte

favorisant l’apparition de la notion de compétence.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu

fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient

immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et

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20 Le mémoire professionnel en formation continue

l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du

terrain).

Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.

Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant

les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de

travail.

La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement

imposée.

Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la

personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport

salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.

Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des

autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.

L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la

"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de

travail.

Titre 1 – La compétence selon Le Boterf

Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences

mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les

entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en

référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .

Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout

en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour

en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux

contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.

Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,

elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que

25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008

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21 Le mémoire professionnel en formation continue

l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-

transférer des ressources dans un contexte professionnel.

"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de

connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment

opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à

la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que

de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).

Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser

dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à

apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :

« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un

ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),

pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités

d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à

certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».

« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des

représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un

exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).

Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».

Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »

pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs

techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements

relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes

par rapport aux exigences des situations de travail.

Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme

compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,

d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et

des performances à réaliser.

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22 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de

« pratiques professionnelles ».

� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un

organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?

Comment les transférer ?

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un

objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.

� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour

autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un

outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?

Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister

entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.

Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de

plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être

compétent tout seul.

Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de

données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres

métiers ou services.

La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à

coopérer avec d’autres.

Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent

il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui

prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du

travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la

motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui

peut faciliter l’expression des compétences.

26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006

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23 Le mémoire professionnel en formation continue

Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation

et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours

individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en

situation de travail prendront une place croissante.

� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances

professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que

l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?

La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus

collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux

dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les

espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation

(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations

visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.

Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian

Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources

humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,

selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le

processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit

fini.

Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression

directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.

Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le

salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription

taylorienne fermée ne couvre plus.

Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage

souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».

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24 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de

qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.

Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :

• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations

professionnelles auxquels il est confronté. »

Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un

individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter

une réponse face à un évènement.

Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,

l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur

les conséquences de cet évènement.

De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la

situation de l'individu qui l’affronte.

• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des

connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente. »

Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche

compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir

intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme

compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont

dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront

apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera

plus réactif en termes d’apprentissage.

• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes

situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »

27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

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25 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même

évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un

évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul

individu) afin de mieux répondre à cet évènement.

A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail

transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être

partagés.

Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions

communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et

coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit

collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.

En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à

l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et

répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de

la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être

mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours

compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.

� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,

la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?

- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance

Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la

compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur

capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des

situations problématiques.

Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la

construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce

savoir de référence.

Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des

connaissances et apprentissage de la compétence.

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26 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons retenir les enseignements suivants:

• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par

l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de

compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable

situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.

• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance

introduite vis-à-vis des pratiques existantes.

• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs

professionnels de référence.

� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de

démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique

professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs

professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?

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27 Le mémoire professionnel en formation continue

Chapitre 2 – L’identité professionnelle

L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.

Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar

Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un

long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme

un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et

formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la

naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.

L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres

orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.

Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation

secondaire et de double transaction identitaire

Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui

ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de

toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu

construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur

relationnel, affectif et symbolique.

L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense

qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-

même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres

circonstances.

Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation

primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu

pour se faire connaître.

28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

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28 Le mémoire professionnel en formation continue

Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de

considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux

transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre

les individus et les institutions.

La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à

l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire

reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe

entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.

La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la

construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.

Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce

que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers

composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le

contexte.

L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.

Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se

recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».

L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de

construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du

travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre

des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.

De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de

légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.

Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des

éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.

Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit

apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances

possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu

à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette

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29 Le mémoire professionnel en formation continue

dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois

inséparables et liées de façon problématique».

L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par

les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne

l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.

Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus

identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel

l’individu est immergé.

Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un

résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et

structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et

définissent les institutions » (DUBAR., 2000).

Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des

rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des

manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ

du travail et de l’emploi.

Titre 2 – Le processus identitaire professionnel

Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents

groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est

fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel

d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la

reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du

pouvoir ».

Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il

reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et

son groupe d’appartenance.

29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,

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30 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité

professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des

espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et

valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi

qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».

Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de

la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,

noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de

désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des

catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette

transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les

représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.

Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords

entre ces deux identités.

Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son

identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,

son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de

carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat

de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des

ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles

suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri

C., 1990)31.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »

tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est

considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie

relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou

l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en

respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,

par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont

de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la

situation dans laquelle il se trouve.

31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

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31 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous

pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et

des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce

collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour

envisager une intégration par ses pairs.

La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité

professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de

normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation

de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de

s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud

SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de

travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être

pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme

appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,

c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et

l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de

vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités

particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).

Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte

qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :

La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses

croyances.

� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une

profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en

œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage

confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?

Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les

hypothèses.

32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977

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32 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie III : Problématique et hypothèses

Chapitre 1 – La problématique

Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet

dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.

Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise

en place d’un projet dans son entreprise.

Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la

pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?

L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus

directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans

l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».

A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la

part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?

L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont

il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un

climat de partage d’expériences.

La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des

stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est

le cas.

Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du

mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et

développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?

En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier

les compétences qu’il permet de développer.

33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979

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33 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une

réflexion déterminant:

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des

compétences des stagiaires ?

Chapitre 2 – Les hypothèses

Titre 1 – L’hypothèse 1

L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs

professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie

dans son travail ?

La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle

contribuant de développer son regard critique ?

La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son

engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?

Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :

L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus

autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.

Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion

d’autonomie :

Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de

décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.

Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre

des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens

d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est

souvent associée à l'autonomie collective.

34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333

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34 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités

et des pouvoirs.

L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux

conditions:

- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de

demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.

- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera

au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de

relations nécessaires.

Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise

d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et

problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.

Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,

sont essentiels.

Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une

situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service

face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec

compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.

Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par

rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de

l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à

une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle

consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des

initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle

vise à prendre les initiatives pertinentes.

Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un

problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un

dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,

d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus

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35 Le mémoire professionnel en formation continue

de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle

doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.

Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les

notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié

se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui

implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.

Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en

l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer

une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…

A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre

de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il

provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :

"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la

réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est

compétente ou non, et jusqu'à quel point.

Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la

communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle

que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans

un référentiel.

C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel

groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois

des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les

situations avec succès.

Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :

Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les

plus citées spontanément :

- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?

- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?

- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?

Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences

développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :

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36 Le mémoire professionnel en formation continue

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?

- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?

- de développer un esprit plus critique ?

- de développer vos capacités de synthèse ?

- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?

- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?

- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?

- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?

Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges

des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées

lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le

mémoire.

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?

- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?

- Vos capacités à planifier un projet ?

- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?

- Vos capacités à mesurer des enjeux ?

- Vos capacités à identifier des finalités ?

- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?

- Vos capacités d’analyse ?

- Vos capacités à rechercher des solutions?

- Vos capacités à être force de proposition ?

- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?

- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?

- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?

- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?

- Vos capacités à prendre des initiatives?

- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser

un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?

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37 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – L’hypothèse 2

Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire

professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.

Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation

professionnelle, théorique et pratique.

L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de

transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi

professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).

Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond

d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.

Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession

qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à

son tour un professionnel confirmé.

Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment

la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de

postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire

professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une

restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?

Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur

cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.

Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :

Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une

nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de

ses compétences.

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38 Le mémoire professionnel en formation continue

Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans

différentes séries de questions :

1ère série de questions :

- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?

- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?

- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?

- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.

2ème série de questions :

- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?

- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par

l’employeur du stagiaire.

3ème série de questions :

- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de

niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?

- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre

entreprise ?

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

4ème série de questions :

- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des

responsabilités?

- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?

- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?

- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement

vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les

autres)

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39 Le mémoire professionnel en formation continue

- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et

aujourd’hui ?

Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)

Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)

� � � � � � � �

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après

avoir suivi sa formation.

Dernière questions :

- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?

Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.

Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en

dépassant le sens commun de la question de départ.

Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.

Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.

Professionnel de la fonction

à…. l’Expert ou Responsable de

la fonction

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40 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie IV - Méthodologie de la recherche

Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche

A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre

problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement

utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus

approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.

Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire

et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en

fonction de la problématique posée.

L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle

demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les

professionnels dans la pratique.

Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit

traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses

sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous

renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.

L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les

entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et

d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant

lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le

chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à

son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.

L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide

aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.

Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les

35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem

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41 Le mémoire professionnel en formation continue

objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles

l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que

possible »39.

Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à

questionnaire pour recueillir les données quantitatives.

Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de

différents critères :

- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?

- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport

d'harmonie ou d'organisation logique ?

- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux

objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?

Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,

les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.

39 ibidem

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42 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs

Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.

Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.

Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à

l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations

qualifiantes.

1- Les stagiaires

Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette

recherche.

- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009

- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.

- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;

Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du

mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après

l’avoir terminé pour le second groupe.

L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires

interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre

important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.

La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus

avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et

sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.

Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité

professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.

40 VAP : Validation des Acquis Professionnels

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43 Le mémoire professionnel en formation continue

A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux

réponses étaient possibles.

Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une

qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison

quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.

Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs

compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de

s’engager dans une formation.

Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une

nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).

Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus

socialement dans leur fonction.

Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut

s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il

permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois

promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.

La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle

des deux groupes dans leur totalité.

85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.

E 1 = Entretien 1

Qui Age Groupe Diplôme

avant le CESIPoste de travail Evolution

prévue Sujet de mémoire

E1 50 ans 2 BacAssitante RH

nonAccompagner le changement après un PSE (Plan

Social Economique)

E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité

internationalenon

Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile

vers le secteur du nucléaire

E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des

Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise

E4 41 ans 1 BacResponsable

administratifnon L'audit de conformité

E5 40 ans 1 Bac +2Responsable

administratifoui: RRH* L'épargne salariale

E6 33 ans 2 BacAssitante RH

non L'absentéisme

E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion

du personnelnon La mise en place d'un projet sénior

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44 Le mémoire professionnel en formation continue

2- Les tuteurs

Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.

Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux

tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.

L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :

Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que

tuteur

E8FFR RH*

Mastère spécialisé RH

Niveau 2

Niveau 11 an

E9Arcadre "Passage Cadre"

Passage agent de maîtrise RATP

Niveau 2

Niveau 32 ans

E11Ingénieur

Arcadre "Passage Cadre"

Niveau 1

Niveau 25 ans

FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8

RIF : Responsable en Ingénierie de Formation

Titre 3 – Modalité des entretiens

Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux

qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.

Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI

L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.

L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens

est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4

pour les entretiens tuteurs).

Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la

confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :

- L’identité des personnes a été préservée ;

- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;

- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues

anonymes ;

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45 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons

cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été

consacrées à expliquer l’objet de l’étude.

Cet entretien comporte 3 thèmes :

- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture

- Les effets en termes de compétences

- Les effets en termes d’identité

En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.

Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en

annexe 2 pour le guide des tuteurs).

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46 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie V : Analyse des données et résultats

Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le

guide d’entretien :

Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première

partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un

mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser

un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.

Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du

questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le

mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?

Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?

Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?

Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du

mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus

critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :

d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,

d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :

- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et

- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf

page 36 les questions posées).

Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire

permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture

professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses

compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:

- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,

- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,

- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,

- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa

formation,

-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions

retenues).

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47 Le mémoire professionnel en formation continue

Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.

Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture

Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de

stage ?

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de

l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une

activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des

stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à

mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).

Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie

du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport

de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà

en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit

être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.

Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est

déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une

problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail

individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un

problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les

choses » (E11).

Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une

entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le

candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il

est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de

trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).

Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique

quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de

prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de

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48 Le mémoire professionnel en formation continue

présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de

la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de

faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire

quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.

Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en

première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait

valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il

ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors

qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans

un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).

Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,

formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et

d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).

Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la

formalisation d’un projet concret » (E9).

C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le

domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,

exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.

Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé

en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le

mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde

note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.

« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres

personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non

seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une

grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).

La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce

travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa

démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.

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49 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par

rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le

niveau d’engagement dans le projet mené.

Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.

Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de

professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut

être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous

n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre

hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens

vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).

La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est

chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout

stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.

Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit

précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon

d’agir sur les projets.

Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.

Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des

perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres

projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.

Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus

diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?

Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de

rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation

alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de

stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la

preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur

41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979

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50 Le mémoire professionnel en formation continue

interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de

méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est

aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de

démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).

Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"

essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du

postulant à la qualification.

Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une

condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).

« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de

faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous

pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par

exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons

chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »

(E10).

Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,

suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses

et 15 minutes de délibération.

Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une

obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un

travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice

au long de leur propre scolarité.

Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou

plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire

permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire

témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique

qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans

mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et

de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).

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51 Le mémoire professionnel en formation continue

Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire

Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux

théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à

développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.

Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture

d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un

travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la

raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette

information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une

capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une

manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut

d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse

critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est

très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec

les intervenants professionnels » (E2).

Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera

unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion

privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la

lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »

affirme une stagiaire… (E1).

Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur

donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à

présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,

ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).

Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où

trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites

Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…

Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité

(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur

fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le

meilleur mais aussi le pire.

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52 Le mémoire professionnel en formation continue

Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans

l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas

nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer

au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés

comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures

professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation

“tout au long de la vie”.

Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les

concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le

mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent

réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage

les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le

projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le

stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et

moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).

Thème 4 : Les effets de l’écriture

Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens

large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système

d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien

d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du

mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui

transpire. » (E11).

L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes

interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans

mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).

Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).

L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais

réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre

témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.

Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était

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53 Le mémoire professionnel en formation continue

le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait

des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas

complètement séduite » (E4).

Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée

en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet

une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que

théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis

parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà

plus simple pour moi » (E6).

Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est

« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est

difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.

Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :

La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille

blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).

« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte

était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était

insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).

La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du

temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a

permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).

Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »

(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant

toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je

me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon

projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à

synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma

réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas

écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu

que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et

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54 Le mémoire professionnel en formation continue

d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas

au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).

Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :

Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et

cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger

le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées

et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en

entreprise.

Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :

- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est

réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).

- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené

son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à

4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).

- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y

a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet

dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).

- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».

L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et

rendre le mémoire dans les délais.

Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le

résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le

mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.

Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons

poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en

termes de compétences.

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55 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences

Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.

Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments

utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus

en annexe 5.

1 – Concernant l’écriture du mémoire

A - Les résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de

fois cité

Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2

Connaître une méthodologie de conduite de projet 1

Synthétiser les idées 1

Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3

Améliorer un écrit professionnel 1

Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2

Réussir à analyser une problématique 1

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre % Nbre

d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0

de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%

de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1

de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%

de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%

l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%

d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%

ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%

Oui Non Partiellement

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56 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Le point de vue des stagiaires :

La prise de recul sur son activité, un regard distancié :

Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la

réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%

d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous

l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,

ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).

Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des

questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une

compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de

fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je

n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »

(E4).

Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de

travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des

compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend

alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors

véritablement un rôle dans le développement des compétences.

Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du

contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par

les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière

quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des

éléments contextuels ».

Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à

un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux

analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite

plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).

42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

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57 Le mémoire professionnel en formation continue

C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions

éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue

compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des

raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en

place »(E3).

Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les

changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que

j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).

Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.

L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,

lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise

à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à

comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour

comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.

Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle

décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la

description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le

comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue

une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd

son sens.

Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au

dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion

permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.

Le développement de la professionnalité :

85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.

« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion

et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en

savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

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58 Le mémoire professionnel en formation continue

domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a

aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur

pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).

Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche

méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on

demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »

(E11).

Le développement d’un esprit plus critique :

La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans

les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,

entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une

stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de

travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »

(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle

s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que

celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un

regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).

Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit

trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses

observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à

travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le

mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).

Le développement de l’esprit de synthèse :

A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des

stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.

Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant

ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi

j’avais choisi ce sujet » (E6).

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59 Le mémoire professionnel en formation continue

Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent

envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).

Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non

pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un

certain développement et beaucoup de recherches » (E7).

C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un

travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses

idées

La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :

Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail

d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.

Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre

mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et

le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on

n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce

travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a

appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on

s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).

Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait

directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout

analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes

questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse

incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter

maintenant » (E7).

Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :

Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre

de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).

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60 Le mémoire professionnel en formation continue

Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que

l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.

Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits

qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le

vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte

de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très

voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à

un cadre » (E9) précise un tuteur.

Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens

(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute

la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).

Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.

La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle

situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation

(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec

enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le

contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la

manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche

l’est » (E11).

De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige

des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive

de la professionnalité.

La valeur d’auto-formation de l’écriture :

57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les

recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture

permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.

Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des

lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »

(E2).

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61 Le mémoire professionnel en formation continue

42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas

du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc

pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une

stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le

mémoire n’a rien ajouté » (E5).

Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires

annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des

compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été

grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.

Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend

les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page

blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,

qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les

limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation

de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à

travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs

qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet

de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu

faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la

formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une

manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).

Une vision plus globale sur son activité :

Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision

plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.

Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%

d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà

pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le

contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10

personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou

bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).

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62 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure

connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs

sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition

hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.

Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social

en général » (E3).

Le développement de l’autonomie :

57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur

autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière

très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé

dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.

A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un

stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de

ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis

très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce

mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus

mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).

Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond

favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des

tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir

été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son

mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,

ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute

autonomie (E6).

Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis

retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me

débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit

à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le

choix » (E2).

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63 Le mémoire professionnel en formation continue

L’apprentissage d’une méthodologie de projet :

Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est

bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique

professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca

m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).

Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences

acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.

Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations

observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et

leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du

propos, et celle de ses pratiques.

Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette

formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le

cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs

envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du

mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,

prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet

complexe dans son entreprise.

Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la

démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation

d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie

trouvée sur le sujet.

« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très

particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a

mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car

après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il

a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se

montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.

C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).

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64 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne

un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une

certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui

était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter

de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).

Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de

professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas

d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire

dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur

cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)

affirme un second.

Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et

de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un

jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir

présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.

Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise

n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires

disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces

compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour

l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup

de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car

je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de

rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une

réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision

finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on

n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.

Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas

complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce

n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.

C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils

mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

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65 Le mémoire professionnel en formation continue

L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans

leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action

longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne

suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.

Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de

l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette

transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture

sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité

professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition

et de mise en œuvre des compétences nouvelles.

Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un

rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner

autrement et se voir autrement.

Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la

réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points

forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation

orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».

L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence

professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses

croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le

premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique

inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la

mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui

permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond

BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».

Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des

expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de

l’autre mais également en respectant l’autre.

45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

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66 Le mémoire professionnel en formation continue

2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire

Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des

charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées

par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.

Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un

projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.

Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du

mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans

l’entreprise.

Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans

trop les développer.

A – Les résultats :

En gris : indicateurs non validés

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre %

Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%

Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%

Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%

Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%

Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%

Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%

Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%

Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%

Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1

Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%

Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1

Partiel .

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

Oui Non

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67 Le mémoire professionnel en formation continue

B – L’analyse :

Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une

méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :

- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à

prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de

proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une

démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de

réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas

forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les

solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en

application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)

annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de

proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.

- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de

mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande

rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans

tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a

compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une

stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien

structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les

éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine

logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de

développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).

- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un

ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus

expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin

d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en

œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise

« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un

nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).

Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur

a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant

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68 Le mémoire professionnel en formation continue

qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer

leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).

Les indicateurs non validés :

Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs

missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,

négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.

En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur

employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration

(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure

dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a

déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui

a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).

Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.

Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer

que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard

distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à

leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise

en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils

ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet

choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par

son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur

laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre

première hypothèse est donc confirmée.

Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :

quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?

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69 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité

A - Résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de

fois cité%

Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,

difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%

La réalisation du projet 3 43%

L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%

Avoir réaliser un mémoire 3 43%

Total: sur 7

Nbre % Nbre % Nbre %

Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%

Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2

Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%

Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire

Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%

Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%

Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.

Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%

Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%

La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%

Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%

Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%

Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation

Questions : Oui Non Partiel .

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70 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le

thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire

(85%).

Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre

part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.

57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur

projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire

n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et

j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).

C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur

entreprise dans l’élaboration du mémoire.

Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire

aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude

choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de

solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.

La reconnaissance de la formation par l’employeur :

Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue

par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:

L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.

La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement

dans ce projet de formation (E1).

Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les

relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est

reconnue par son employeur (E2).

Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses

ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de

mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification

de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort

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71 Le mémoire professionnel en formation continue

que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le

diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.

Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais

en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela

implique des absences » (E7).

Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager

dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une

« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.

L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par

mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de

sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le

risque de perdre ce collaborateur est probable.

Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces

stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en

formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes

épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les

entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.

Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi

la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs

salariés.

71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention

de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :

Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile

(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son

engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer

« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une

troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne

(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la

politique actuelle du groupe (E7).

Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé

de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).

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72 Le mémoire professionnel en formation continue

Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son

projet »(E6).

Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la

question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue

(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion

sociale ».

La reconnaissance du projet par l’employeur :

Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur

entreprise est reconnu par leur employeur :

L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet

stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le

mémoire était stratégique pour leur entreprise.

Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été

mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire

constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.

Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de

prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.

La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.

L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place

aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son

histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet

traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître

mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.

L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être

reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés

estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a

permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009

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73 Le mémoire professionnel en formation continue

j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée

jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).

Le sentiment de changement de posture professionnelle

71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai

pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).

A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,

qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.

71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de

formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de

prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre

posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et

pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me

positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon

poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en

prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une

nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une

dernière.

71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une

impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus

d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les

autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également

d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences

professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle

de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable

lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois

pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait

jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent

que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les

problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus

participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que

j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.

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74 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de

s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction

identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%

des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur

projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux

de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre

de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.

Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un

métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme

un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner

les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».

Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette

activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité

professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se

constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de

discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de

démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt

de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).

Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer

« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la

forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le

projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est

pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).

Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres

stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de

professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».

Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est

principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et

la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent

50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989

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75 Le mémoire professionnel en formation continue

citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec

le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »

écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel

important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.

Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son

travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences

professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un

mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au

démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont

les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.

Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le

stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son

entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont

jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une

réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux

critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.

Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et

reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.

En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert

d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des

représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire

(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le

projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes

de l’entreprise ».

Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les

stagiaires, et donc des effets de « formation ».

Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne

l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de

l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de

distance par rapport aux pratiques professionnelles.

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76 Le mémoire professionnel en formation continue

La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la

reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.

Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en

s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur

engagement.

Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de

professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances

sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de

qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre

son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».

L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs

pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques

professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses

pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.

Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de

construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus

d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme

interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet

au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les

projets qu’il met en place.

Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de

construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au

stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit

d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,

de clarté dans l’exposé de la démarche construite.

Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives

en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.

52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

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77 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer

que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que

l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se

former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un

expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont

transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien

souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le

projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,

de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté

personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les

stagiaires.

Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité

professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.

Titre 4 – Synthèse globale

Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de

distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de

personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.

Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des

rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.

Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également

une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.

Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences

réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance

pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par

rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses

compétences.

Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à

laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour

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78 Le mémoire professionnel en formation continue

l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour

professionnaliser sa pratique.

L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en

effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des

stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour

autrui (DUBAR)56.

Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction

des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires

n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de

légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une

démarche évaluative des compétences acquises.

Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et

son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,

étonné, conforté…

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les

préconisations

Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un

développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de

donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des

ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur

mémoire.

Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs

Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de

professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.

C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se

précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore

56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998

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79 Le mémoire professionnel en formation continue

progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les

ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.

Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui

permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de

se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est

totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).

Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne

sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.

Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on

part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).

Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre

confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et

c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire

seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien

moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).

Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où

on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur

des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne

faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très

intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »

(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de

déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)

Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion

sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un

positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.

La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son

tuteur de mémoire.

Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept

journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre

souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.

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80 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des

charges57.

Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche

du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite

de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il

favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,

l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.

Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le

stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des

stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour

l’Homme » affirme un tuteur (E11).

Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la

démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi

beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.

Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de

renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.

Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.

Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire

au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il

doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.

Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux

tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la

technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).

Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver

intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».

Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les

compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.

57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».

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81 Le mémoire professionnel en formation continue

Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :

des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,

d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement

aussi » (E9).

C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et

puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais

que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est

extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est

un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler

sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de

rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).

Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser

un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation

d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer

aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le

mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans

le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les

éclaire »(E10).

Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est

bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le

style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure

un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas

toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).

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82 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale

Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire

professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.

Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend

au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des

charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la

problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir

à un stagiaire» (E9).

Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs

souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu

l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui

n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.

Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire

professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon

un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »

(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous

les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très

tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis

que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce

même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?

Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).

En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de

mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe

de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de

savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun

est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques

différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne

sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement

décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le

mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire

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83 Le mémoire professionnel en formation continue

ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait

une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).

En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des

compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend

40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement

dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces

différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,

lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils

savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).

Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept

journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le

choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement

où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec

en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin

les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).

La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est

l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa

place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il

est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des

retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?

C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à

celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas

là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).

Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui

du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.

Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du

stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.

Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du

Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans

ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury

permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.

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84 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Préconisations

Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :

- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La

situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.

- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,

la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,

etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.

- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans

le dispositif de formation.

A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les

tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.

Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide

incontestable au développement des compétences du tuteur.

Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à

avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail

de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).

D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a

des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient

enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui

arrivent au CESI » (E11).

Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur

mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert

projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce

domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect

communication » (E9).

D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière

de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant

qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au

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85 Le mémoire professionnel en formation continue

même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour

d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la

façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).

Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les

groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les

thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre

stagiaires et le partage des lectures.

Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses

pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes

impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de

compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager

avec les autres » (E3).

Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à

laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire

professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire

professionnel.

Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la

dimension évaluative.

En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment

d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la

formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette

dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.

Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et

pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le

stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie

d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.

En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une

autoformation que permet le mémoire professionnel ?

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86 Le mémoire professionnel en formation continue

Retour d’expérience

Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année

d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ

pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement

le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires

interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective

dans notre recherche.

De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs

années nous aurait probablement donné un autre regard.

Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le

dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.

De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi

nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.

Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées

par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont

rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,

problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes

de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une

activité professionnelle.

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87 Le mémoire professionnel en formation continue

Conclusion

Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,

enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de

professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de

construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité

professionnelle, voire du label d’expert58.

Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI

à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à

l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre

l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.

L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter

la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le

recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la

mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les

professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à

entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des

compétences.

Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant

écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques

professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.

Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien

les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est

un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son

utilisation.

Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,

notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils

conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout

personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78

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88 Le mémoire professionnel en formation continue

Bibliographie

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2004

- BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard - Laville et

D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000

- BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

- BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants,

Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

- CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

- CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

- DEJOURS C. l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions - 2003

- DUBAR C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand

Colin – 1991

- CLOT Y. La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris,

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- DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

- DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

- FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

- GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

- GUILBER R. Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation)

Education permanente n° 102

- GOODY J. La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit

- GRAWITZ M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001

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construction de savoirs, L’Harmattan – 2004

- JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990

- LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation –

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- LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cesi, Les éditions du Cesi - 1997

- MACKIEWICZ M-P Mémoires de recherche et professionnalisation, l’harmattan – 2004

- MARTINEAU, S., GAUTHIER, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité

professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans

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89 Le mémoire professionnel en formation continue

Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et

C. Alin. Paris : L’Harmattan

- MARTUCCELLI D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand

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- MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert,

Sociologie du travail n°1, 1992

- PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes

CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007

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- PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P.

(coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139 - 1999

- PIAGET J. La prise de conscience, Paris, PUF – 1994

- POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste

CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education.

Nanterre : Université Paris X ; 2007

- PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives

documentaires n° 58,69-78

- QUIVY R. CAMPENHOUD R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006

- REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide

à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

- RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996

- RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation,

dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers

d’études du CUEEP).

- SAINSAULIEU R. L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des

Sciences Politiques – 1977

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développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes,

1993.

- VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers

d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP

- ZARIFIAN P. Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

- ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français,

Documentation Française n° 333

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1 Le mémoire professionnel en formation continue

Sommaire

Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4

Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14

Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19

Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23

Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29

Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33

Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37

Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44

Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84

Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88

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2 Le mémoire professionnel en formation continue

Introduction

Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau

technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution

accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de

vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent

être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à

former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des

compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les

contraint à exercer plusieurs métiers.

Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les

compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder

des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion

comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un

contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».

De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans

les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses

dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.

Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser

cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au

CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?

L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la

présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment

l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs

de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de

prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.

Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle

pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de

compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question

centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :

1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995

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3 Le mémoire professionnel en formation continue

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences

professionnelles ?

Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.

Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous

référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle

en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.

Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et

d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs

de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la

réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le

développement des compétences dans ces formations qualifiantes.

Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous

formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.

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4 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie I : Présentation du chantier et questions de départ

Chapitre 1 –Le CESI

Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.

Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une

réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le

secteur industriel à la fin des années 50.

Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes

des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait

essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de

suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur

capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,

reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début

des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.

Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de

l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses

instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de

France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,

SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,

CFTC).

Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a

développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :

� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)

� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998

� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005

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5 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.

Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et

agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :

1 L’offre interentreprises :

Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules

peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les

titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.

Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,

membre de la Conférence des Grandes Ecoles.

2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et

3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le

cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.

Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences

Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans

l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens

d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels

(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «

limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de

l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «

examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une

place importante.

L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,

et en 1990 pour la formation en apprentissage.

Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes

pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies

actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »

2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997

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6 Le mémoire professionnel en formation continue

spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée

croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions

s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «

technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la

transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.

Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il

conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.

L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,

organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur

suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour

l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier

ses propositions.

L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «

épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert

progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de

l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but

spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)

(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de

l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»

offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve

donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant

un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres

élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.

Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en

œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-

Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une

augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le

moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,

4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007

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7 Le mémoire professionnel en formation continue

lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou

sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.

Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types

au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir

y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas

toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le

sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de

conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces

moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de

positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,

pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,

« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour

soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je

ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains

ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les

dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.

Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi

La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement

utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.

Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les

individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et

professionnelles.

Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant

tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:

- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de

femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des

catégories disponibles dans cette communauté ;

- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous

voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les

8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991

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8 Le mémoire professionnel en formation continue

diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou

simplement projetée (processus d’identification).

Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené

une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse

faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation

d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du

technicien à l’ingénieur ».

Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une

« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle

d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et

contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour

autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».

On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des

formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces

formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et

contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations

d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du

« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».

L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,

construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions

nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré

par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de

piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,

c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la

progression des participants.

La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de

connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de

l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations

d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de

compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.

11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.

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9 Le mémoire professionnel en formation continue

Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour

progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires

professionnels, jurys.

Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade

donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et

pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du

débutant au professionnel de la fonction visée.

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi

Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au

Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations

longues dans leurs parcours qualifiants.

Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II

Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2

avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.

Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce

qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant

entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).

Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par

les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,

l’une éclairant l’autre.

Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du

sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et

d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à

produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.

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10 Le mémoire professionnel en formation continue

Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à

élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences

les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.

A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,

constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au

RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».

En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :

- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.

- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel

métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.

- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant

un jury de professionnels.

- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II

La construction Cesi de parcours professionnels

QualificationMétier

Certification professionnelle CESI

Certificat de compétence Cesi

Attestation de Participation Cesi

Jury national de délivrance du titre composé de professionnels

Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier

Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4

ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III

Module1.1

Module1.2

Module1.3

Module2.1

Module2.2

Module3.1

Module 4.1

Module 4.2

Parcours de formation

Parcours qualifiant

Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi

Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en

évaluant les effets.

Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la

guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.

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11 Le mémoire professionnel en formation continue

Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours

apprécier et évaluer.

Cette évaluation se fera en deux temps :

Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires

à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs

expériences vécues.

Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce

jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du

mémoire et de la prestation orale.

Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant

sur les dimensions suivantes :

• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?

• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?

• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?

• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon

questionnement ?

• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en

œuvre pour cela ?

En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de

l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).

Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du

champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.

Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil

stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).

En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du

référentiel national.

12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »

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12 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.

C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme

caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.

Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme

exposée ci-après :

Première partie :

Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées

Définir les objectifs visés

Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,

Prioriser les enjeux

Deuxième partie :

Piloter un projet

Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire

Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise

Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,

acuité du risque, recherche des causes premières)

Troisième partie :

Préconiser des axes d’améliorations

Prioriser les solutions dans le temps

Mesurer la qualité des réponses apportées

Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à

donner)

Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa

capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de

50/60 pages.

Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire

professionnel.

Le cahier des charges stipule que :

« Ce projet doit vous permettre de démontrer :

- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités

correspondantes,

- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,

économique, technique et organisationnelle),

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13 Le mémoire professionnel en formation continue

- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une

proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,

- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre

compte,

- votre capacité à prendre le recul nécessaire

- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».

Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de

professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30

minutes :

- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des

résultats obtenus,

- Débat Questions / réponses avec le jury.

Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de

l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».

Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et

d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs

et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de

la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les

compétences.

Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-

même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de

responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de

formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et

transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle

opère elle-même sur le réel ».

L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre

mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.

Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des

connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences

nouvelles conduisant à de meilleures performances.

13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

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14 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Le processus d’écriture

« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son

action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant

», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à

l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.

Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui

les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas

sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.

Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :

Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,

promouvoir l’action .

Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.

- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes

que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme

de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.

- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à

l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est

écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans

l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).

- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens

et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.

Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne

pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de

formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.

On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des

textes produits par des praticiens16.

14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).

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15 Le mémoire professionnel en formation continue

On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans

le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des

pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.

Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et

écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la

pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.

En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois

« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :

• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de

validation (référentialité close intégrante) ;

• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de

reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;

• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de

motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.

Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres

postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.

Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de

formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en

même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation

professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a

pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de

l’autonomisation.

Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La

signature du texte produit consigne cette prise de risque.

C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures

étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les

17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.

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16 Le mémoire professionnel en formation continue

idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est

accepté.

Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des

difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui

nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de

formation et à la représentation que s’en font les praticiens.

Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une

liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,

apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une

pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que

suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à

savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si

cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de

cette compétence, mais à deux conditions :

- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)

de se construire et de se développer ;

- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité

mouvante de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des

questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des

individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à

lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en

toujours possibles divergences ?

Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la

matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à

l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord

aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après

les aider à « passer » à l’écriture.

21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

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17 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait

assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test

intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui

tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.

Chapitre 3 – Les questions de départ

La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de

développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une

multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur

leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de

plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.

Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents

selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté

du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.

Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer

lorsqu’on est en position d’extériorité.

Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par

l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de

champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre

à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?

Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la

professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel

engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel

instrument ?

Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout

lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que

présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?

23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

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18 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand

elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.

Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :

- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?

- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?

- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de

formation professionnelle ?

- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de

compétences ?

- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?

Et enfin,

- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer

entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.

- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?

L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de

dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?

Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en

connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?

24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994

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19 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle

Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de

déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des

participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs

dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en

nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.

Chapitre 1 – La compétence

Bref histoire d’une notion :

Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires

sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le

rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme

uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.

Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues

de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences

individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de

compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence

sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur

le métier.

L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont

l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de

Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à

répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au

moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte

favorisant l’apparition de la notion de compétence.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu

fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient

immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et

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20 Le mémoire professionnel en formation continue

l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du

terrain).

Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.

Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant

les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de

travail.

La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement

imposée.

Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la

personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport

salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.

Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des

autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.

L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la

"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de

travail.

Titre 1 – La compétence selon Le Boterf

Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences

mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les

entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en

référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .

Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout

en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour

en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux

contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.

Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,

elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que

25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008

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21 Le mémoire professionnel en formation continue

l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-

transférer des ressources dans un contexte professionnel.

"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de

connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment

opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à

la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que

de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).

Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser

dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à

apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :

« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un

ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),

pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités

d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à

certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».

« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des

représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un

exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).

Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».

Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »

pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs

techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements

relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes

par rapport aux exigences des situations de travail.

Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme

compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,

d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et

des performances à réaliser.

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22 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de

« pratiques professionnelles ».

� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un

organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?

Comment les transférer ?

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un

objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.

� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour

autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un

outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?

Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister

entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.

Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de

plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être

compétent tout seul.

Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de

données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres

métiers ou services.

La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à

coopérer avec d’autres.

Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent

il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui

prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du

travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la

motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui

peut faciliter l’expression des compétences.

26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006

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23 Le mémoire professionnel en formation continue

Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation

et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours

individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en

situation de travail prendront une place croissante.

� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances

professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que

l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?

La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus

collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux

dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les

espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation

(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations

visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.

Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian

Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources

humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,

selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le

processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit

fini.

Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression

directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.

Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le

salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription

taylorienne fermée ne couvre plus.

Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage

souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».

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24 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de

qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.

Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :

• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations

professionnelles auxquels il est confronté. »

Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un

individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter

une réponse face à un évènement.

Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,

l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur

les conséquences de cet évènement.

De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la

situation de l'individu qui l’affronte.

• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des

connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente. »

Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche

compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir

intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme

compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont

dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront

apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera

plus réactif en termes d’apprentissage.

• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes

situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »

27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

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25 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même

évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un

évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul

individu) afin de mieux répondre à cet évènement.

A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail

transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être

partagés.

Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions

communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et

coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit

collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.

En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à

l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et

répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de

la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être

mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours

compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.

� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,

la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?

- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance

Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la

compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur

capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des

situations problématiques.

Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la

construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce

savoir de référence.

Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des

connaissances et apprentissage de la compétence.

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26 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons retenir les enseignements suivants:

• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par

l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de

compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable

situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.

• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance

introduite vis-à-vis des pratiques existantes.

• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs

professionnels de référence.

� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de

démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique

professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs

professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?

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27 Le mémoire professionnel en formation continue

Chapitre 2 – L’identité professionnelle

L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.

Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar

Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un

long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme

un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et

formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la

naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.

L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres

orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.

Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation

secondaire et de double transaction identitaire

Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui

ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de

toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu

construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur

relationnel, affectif et symbolique.

L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense

qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-

même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres

circonstances.

Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation

primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu

pour se faire connaître.

28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

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28 Le mémoire professionnel en formation continue

Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de

considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux

transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre

les individus et les institutions.

La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à

l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire

reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe

entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.

La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la

construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.

Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce

que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers

composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le

contexte.

L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.

Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se

recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».

L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de

construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du

travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre

des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.

De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de

légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.

Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des

éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.

Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit

apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances

possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu

à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette

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29 Le mémoire professionnel en formation continue

dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois

inséparables et liées de façon problématique».

L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par

les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne

l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.

Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus

identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel

l’individu est immergé.

Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un

résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et

structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et

définissent les institutions » (DUBAR., 2000).

Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des

rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des

manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ

du travail et de l’emploi.

Titre 2 – Le processus identitaire professionnel

Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents

groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est

fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel

d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la

reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du

pouvoir ».

Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il

reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et

son groupe d’appartenance.

29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,

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30 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité

professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des

espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et

valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi

qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».

Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de

la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,

noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de

désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des

catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette

transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les

représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.

Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords

entre ces deux identités.

Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son

identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,

son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de

carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat

de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des

ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles

suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri

C., 1990)31.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »

tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est

considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie

relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou

l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en

respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,

par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont

de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la

situation dans laquelle il se trouve.

31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

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31 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous

pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et

des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce

collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour

envisager une intégration par ses pairs.

La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité

professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de

normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation

de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de

s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud

SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de

travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être

pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme

appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,

c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et

l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de

vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités

particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).

Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte

qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :

La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses

croyances.

� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une

profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en

œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage

confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?

Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les

hypothèses.

32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977

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32 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie III : Problématique et hypothèses

Chapitre 1 – La problématique

Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet

dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.

Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise

en place d’un projet dans son entreprise.

Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la

pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?

L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus

directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans

l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».

A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la

part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?

L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont

il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un

climat de partage d’expériences.

La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des

stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est

le cas.

Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du

mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et

développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?

En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier

les compétences qu’il permet de développer.

33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979

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33 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une

réflexion déterminant:

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des

compétences des stagiaires ?

Chapitre 2 – Les hypothèses

Titre 1 – L’hypothèse 1

L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs

professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie

dans son travail ?

La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle

contribuant de développer son regard critique ?

La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son

engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?

Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :

L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus

autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.

Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion

d’autonomie :

Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de

décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.

Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre

des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens

d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est

souvent associée à l'autonomie collective.

34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333

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34 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités

et des pouvoirs.

L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux

conditions:

- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de

demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.

- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera

au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de

relations nécessaires.

Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise

d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et

problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.

Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,

sont essentiels.

Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une

situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service

face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec

compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.

Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par

rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de

l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à

une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle

consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des

initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle

vise à prendre les initiatives pertinentes.

Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un

problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un

dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,

d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus

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35 Le mémoire professionnel en formation continue

de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle

doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.

Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les

notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié

se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui

implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.

Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en

l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer

une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…

A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre

de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il

provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :

"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la

réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est

compétente ou non, et jusqu'à quel point.

Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la

communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle

que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans

un référentiel.

C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel

groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois

des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les

situations avec succès.

Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :

Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les

plus citées spontanément :

- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?

- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?

- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?

Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences

développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :

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36 Le mémoire professionnel en formation continue

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?

- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?

- de développer un esprit plus critique ?

- de développer vos capacités de synthèse ?

- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?

- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?

- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?

- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?

Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges

des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées

lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le

mémoire.

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?

- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?

- Vos capacités à planifier un projet ?

- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?

- Vos capacités à mesurer des enjeux ?

- Vos capacités à identifier des finalités ?

- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?

- Vos capacités d’analyse ?

- Vos capacités à rechercher des solutions?

- Vos capacités à être force de proposition ?

- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?

- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?

- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?

- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?

- Vos capacités à prendre des initiatives?

- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser

un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?

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37 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – L’hypothèse 2

Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire

professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.

Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation

professionnelle, théorique et pratique.

L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de

transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi

professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).

Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond

d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.

Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession

qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à

son tour un professionnel confirmé.

Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment

la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de

postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire

professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une

restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?

Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur

cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.

Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :

Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une

nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de

ses compétences.

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38 Le mémoire professionnel en formation continue

Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans

différentes séries de questions :

1ère série de questions :

- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?

- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?

- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?

- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.

2ème série de questions :

- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?

- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par

l’employeur du stagiaire.

3ème série de questions :

- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de

niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?

- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre

entreprise ?

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

4ème série de questions :

- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des

responsabilités?

- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?

- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?

- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement

vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les

autres)

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39 Le mémoire professionnel en formation continue

- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et

aujourd’hui ?

Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)

Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)

� � � � � � � �

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après

avoir suivi sa formation.

Dernière questions :

- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?

Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.

Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en

dépassant le sens commun de la question de départ.

Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.

Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.

Professionnel de la fonction

à…. l’Expert ou Responsable de

la fonction

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40 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie IV - Méthodologie de la recherche

Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche

A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre

problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement

utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus

approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.

Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire

et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en

fonction de la problématique posée.

L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle

demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les

professionnels dans la pratique.

Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit

traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses

sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous

renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.

L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les

entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et

d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant

lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le

chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à

son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.

L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide

aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.

Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les

35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem

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41 Le mémoire professionnel en formation continue

objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles

l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que

possible »39.

Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à

questionnaire pour recueillir les données quantitatives.

Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de

différents critères :

- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?

- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport

d'harmonie ou d'organisation logique ?

- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux

objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?

Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,

les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.

39 ibidem

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42 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs

Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.

Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.

Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à

l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations

qualifiantes.

1- Les stagiaires

Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette

recherche.

- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009

- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.

- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;

Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du

mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après

l’avoir terminé pour le second groupe.

L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires

interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre

important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.

La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus

avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et

sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.

Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité

professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.

40 VAP : Validation des Acquis Professionnels

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43 Le mémoire professionnel en formation continue

A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux

réponses étaient possibles.

Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une

qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison

quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.

Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs

compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de

s’engager dans une formation.

Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une

nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).

Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus

socialement dans leur fonction.

Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut

s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il

permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois

promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.

La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle

des deux groupes dans leur totalité.

85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.

E 1 = Entretien 1

Qui Age Groupe Diplôme

avant le CESIPoste de travail Evolution

prévue Sujet de mémoire

E1 50 ans 2 BacAssitante RH

nonAccompagner le changement après un PSE (Plan

Social Economique)

E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité

internationalenon

Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile

vers le secteur du nucléaire

E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des

Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise

E4 41 ans 1 BacResponsable

administratifnon L'audit de conformité

E5 40 ans 1 Bac +2Responsable

administratifoui: RRH* L'épargne salariale

E6 33 ans 2 BacAssitante RH

non L'absentéisme

E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion

du personnelnon La mise en place d'un projet sénior

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44 Le mémoire professionnel en formation continue

2- Les tuteurs

Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.

Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux

tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.

L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :

Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que

tuteur

E8FFR RH*

Mastère spécialisé RH

Niveau 2

Niveau 11 an

E9Arcadre "Passage Cadre"

Passage agent de maîtrise RATP

Niveau 2

Niveau 32 ans

E11Ingénieur

Arcadre "Passage Cadre"

Niveau 1

Niveau 25 ans

FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8

RIF : Responsable en Ingénierie de Formation

Titre 3 – Modalité des entretiens

Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux

qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.

Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI

L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.

L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens

est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4

pour les entretiens tuteurs).

Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la

confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :

- L’identité des personnes a été préservée ;

- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;

- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues

anonymes ;

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45 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons

cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été

consacrées à expliquer l’objet de l’étude.

Cet entretien comporte 3 thèmes :

- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture

- Les effets en termes de compétences

- Les effets en termes d’identité

En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.

Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en

annexe 2 pour le guide des tuteurs).

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46 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie V : Analyse des données et résultats

Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le

guide d’entretien :

Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première

partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un

mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser

un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.

Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du

questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le

mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?

Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?

Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?

Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du

mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus

critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :

d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,

d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :

- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et

- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf

page 36 les questions posées).

Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire

permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture

professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses

compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:

- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,

- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,

- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,

- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa

formation,

-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions

retenues).

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47 Le mémoire professionnel en formation continue

Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.

Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture

Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de

stage ?

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de

l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une

activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des

stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à

mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).

Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie

du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport

de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà

en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit

être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.

Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est

déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une

problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail

individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un

problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les

choses » (E11).

Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une

entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le

candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il

est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de

trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).

Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique

quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de

prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de

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48 Le mémoire professionnel en formation continue

présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de

la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de

faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire

quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.

Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en

première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait

valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il

ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors

qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans

un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).

Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,

formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et

d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).

Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la

formalisation d’un projet concret » (E9).

C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le

domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,

exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.

Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé

en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le

mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde

note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.

« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres

personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non

seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une

grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).

La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce

travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa

démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.

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49 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par

rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le

niveau d’engagement dans le projet mené.

Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.

Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de

professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut

être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous

n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre

hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens

vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).

La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est

chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout

stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.

Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit

précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon

d’agir sur les projets.

Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.

Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des

perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres

projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.

Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus

diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?

Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de

rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation

alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de

stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la

preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur

41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979

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50 Le mémoire professionnel en formation continue

interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de

méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est

aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de

démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).

Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"

essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du

postulant à la qualification.

Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une

condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).

« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de

faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous

pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par

exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons

chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »

(E10).

Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,

suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses

et 15 minutes de délibération.

Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une

obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un

travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice

au long de leur propre scolarité.

Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou

plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire

permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire

témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique

qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans

mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et

de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).

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51 Le mémoire professionnel en formation continue

Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire

Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux

théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à

développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.

Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture

d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un

travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la

raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette

information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une

capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une

manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut

d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse

critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est

très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec

les intervenants professionnels » (E2).

Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera

unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion

privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la

lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »

affirme une stagiaire… (E1).

Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur

donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à

présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,

ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).

Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où

trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites

Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…

Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité

(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur

fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le

meilleur mais aussi le pire.

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52 Le mémoire professionnel en formation continue

Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans

l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas

nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer

au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés

comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures

professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation

“tout au long de la vie”.

Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les

concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le

mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent

réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage

les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le

projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le

stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et

moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).

Thème 4 : Les effets de l’écriture

Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens

large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système

d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien

d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du

mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui

transpire. » (E11).

L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes

interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans

mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).

Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).

L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais

réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre

témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.

Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était

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53 Le mémoire professionnel en formation continue

le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait

des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas

complètement séduite » (E4).

Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée

en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet

une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que

théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis

parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà

plus simple pour moi » (E6).

Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est

« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est

difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.

Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :

La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille

blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).

« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte

était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était

insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).

La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du

temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a

permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).

Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »

(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant

toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je

me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon

projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à

synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma

réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas

écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu

que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et

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54 Le mémoire professionnel en formation continue

d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas

au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).

Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :

Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et

cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger

le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées

et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en

entreprise.

Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :

- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est

réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).

- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené

son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à

4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).

- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y

a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet

dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).

- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».

L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et

rendre le mémoire dans les délais.

Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le

résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le

mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.

Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons

poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en

termes de compétences.

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55 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences

Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.

Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments

utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus

en annexe 5.

1 – Concernant l’écriture du mémoire

A - Les résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de

fois cité

Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2

Connaître une méthodologie de conduite de projet 1

Synthétiser les idées 1

Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3

Améliorer un écrit professionnel 1

Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2

Réussir à analyser une problématique 1

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre % Nbre

d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0

de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%

de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1

de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%

de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%

l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%

d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%

ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%

Oui Non Partiellement

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56 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Le point de vue des stagiaires :

La prise de recul sur son activité, un regard distancié :

Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la

réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%

d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous

l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,

ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).

Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des

questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une

compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de

fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je

n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »

(E4).

Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de

travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des

compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend

alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors

véritablement un rôle dans le développement des compétences.

Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du

contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par

les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière

quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des

éléments contextuels ».

Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à

un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux

analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite

plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).

42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

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57 Le mémoire professionnel en formation continue

C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions

éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue

compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des

raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en

place »(E3).

Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les

changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que

j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).

Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.

L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,

lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise

à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à

comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour

comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.

Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle

décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la

description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le

comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue

une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd

son sens.

Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au

dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion

permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.

Le développement de la professionnalité :

85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.

« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion

et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en

savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

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58 Le mémoire professionnel en formation continue

domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a

aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur

pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).

Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche

méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on

demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »

(E11).

Le développement d’un esprit plus critique :

La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans

les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,

entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une

stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de

travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »

(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle

s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que

celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un

regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).

Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit

trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses

observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à

travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le

mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).

Le développement de l’esprit de synthèse :

A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des

stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.

Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant

ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi

j’avais choisi ce sujet » (E6).

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59 Le mémoire professionnel en formation continue

Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent

envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).

Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non

pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un

certain développement et beaucoup de recherches » (E7).

C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un

travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses

idées

La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :

Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail

d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.

Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre

mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et

le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on

n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce

travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a

appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on

s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).

Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait

directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout

analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes

questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse

incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter

maintenant » (E7).

Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :

Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre

de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).

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60 Le mémoire professionnel en formation continue

Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que

l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.

Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits

qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le

vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte

de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très

voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à

un cadre » (E9) précise un tuteur.

Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens

(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute

la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).

Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.

La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle

situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation

(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec

enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le

contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la

manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche

l’est » (E11).

De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige

des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive

de la professionnalité.

La valeur d’auto-formation de l’écriture :

57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les

recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture

permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.

Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des

lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »

(E2).

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61 Le mémoire professionnel en formation continue

42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas

du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc

pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une

stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le

mémoire n’a rien ajouté » (E5).

Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires

annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des

compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été

grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.

Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend

les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page

blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,

qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les

limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation

de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à

travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs

qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet

de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu

faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la

formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une

manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).

Une vision plus globale sur son activité :

Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision

plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.

Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%

d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà

pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le

contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10

personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou

bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).

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62 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure

connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs

sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition

hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.

Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social

en général » (E3).

Le développement de l’autonomie :

57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur

autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière

très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé

dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.

A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un

stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de

ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis

très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce

mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus

mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).

Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond

favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des

tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir

été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son

mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,

ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute

autonomie (E6).

Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis

retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me

débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit

à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le

choix » (E2).

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63 Le mémoire professionnel en formation continue

L’apprentissage d’une méthodologie de projet :

Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est

bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique

professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca

m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).

Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences

acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.

Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations

observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et

leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du

propos, et celle de ses pratiques.

Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette

formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le

cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs

envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du

mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,

prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet

complexe dans son entreprise.

Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la

démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation

d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie

trouvée sur le sujet.

« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très

particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a

mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car

après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il

a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se

montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.

C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).

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64 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne

un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une

certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui

était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter

de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).

Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de

professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas

d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire

dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur

cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)

affirme un second.

Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et

de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un

jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir

présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.

Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise

n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires

disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces

compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour

l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup

de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car

je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de

rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une

réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision

finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on

n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.

Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas

complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce

n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.

C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils

mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

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65 Le mémoire professionnel en formation continue

L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans

leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action

longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne

suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.

Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de

l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette

transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture

sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité

professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition

et de mise en œuvre des compétences nouvelles.

Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un

rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner

autrement et se voir autrement.

Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la

réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points

forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation

orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».

L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence

professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses

croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le

premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique

inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la

mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui

permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond

BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».

Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des

expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de

l’autre mais également en respectant l’autre.

45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

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66 Le mémoire professionnel en formation continue

2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire

Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des

charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées

par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.

Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un

projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.

Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du

mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans

l’entreprise.

Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans

trop les développer.

A – Les résultats :

En gris : indicateurs non validés

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre %

Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%

Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%

Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%

Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%

Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%

Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%

Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%

Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%

Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1

Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%

Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1

Partiel .

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

Oui Non

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67 Le mémoire professionnel en formation continue

B – L’analyse :

Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une

méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :

- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à

prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de

proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une

démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de

réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas

forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les

solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en

application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)

annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de

proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.

- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de

mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande

rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans

tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a

compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une

stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien

structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les

éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine

logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de

développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).

- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un

ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus

expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin

d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en

œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise

« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un

nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).

Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur

a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant

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68 Le mémoire professionnel en formation continue

qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer

leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).

Les indicateurs non validés :

Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs

missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,

négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.

En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur

employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration

(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure

dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a

déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui

a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).

Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.

Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer

que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard

distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à

leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise

en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils

ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet

choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par

son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur

laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre

première hypothèse est donc confirmée.

Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :

quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?

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69 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité

A - Résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de

fois cité%

Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,

difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%

La réalisation du projet 3 43%

L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%

Avoir réaliser un mémoire 3 43%

Total: sur 7

Nbre % Nbre % Nbre %

Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%

Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2

Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%

Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire

Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%

Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%

Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.

Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%

Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%

La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%

Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%

Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%

Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation

Questions : Oui Non Partiel .

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70 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le

thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire

(85%).

Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre

part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.

57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur

projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire

n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et

j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).

C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur

entreprise dans l’élaboration du mémoire.

Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire

aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude

choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de

solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.

La reconnaissance de la formation par l’employeur :

Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue

par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:

L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.

La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement

dans ce projet de formation (E1).

Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les

relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est

reconnue par son employeur (E2).

Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses

ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de

mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification

de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort

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71 Le mémoire professionnel en formation continue

que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le

diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.

Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais

en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela

implique des absences » (E7).

Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager

dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une

« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.

L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par

mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de

sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le

risque de perdre ce collaborateur est probable.

Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces

stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en

formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes

épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les

entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.

Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi

la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs

salariés.

71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention

de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :

Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile

(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son

engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer

« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une

troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne

(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la

politique actuelle du groupe (E7).

Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé

de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).

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72 Le mémoire professionnel en formation continue

Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son

projet »(E6).

Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la

question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue

(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion

sociale ».

La reconnaissance du projet par l’employeur :

Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur

entreprise est reconnu par leur employeur :

L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet

stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le

mémoire était stratégique pour leur entreprise.

Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été

mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire

constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.

Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de

prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.

La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.

L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place

aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son

histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet

traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître

mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.

L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être

reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés

estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a

permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009

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73 Le mémoire professionnel en formation continue

j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée

jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).

Le sentiment de changement de posture professionnelle

71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai

pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).

A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,

qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.

71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de

formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de

prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre

posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et

pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me

positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon

poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en

prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une

nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une

dernière.

71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une

impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus

d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les

autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également

d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences

professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle

de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable

lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois

pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait

jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent

que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les

problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus

participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que

j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.

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74 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de

s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction

identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%

des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur

projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux

de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre

de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.

Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un

métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme

un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner

les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».

Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette

activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité

professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se

constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de

discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de

démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt

de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).

Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer

« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la

forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le

projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est

pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).

Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres

stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de

professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».

Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est

principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et

la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent

50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989

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75 Le mémoire professionnel en formation continue

citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec

le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »

écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel

important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.

Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son

travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences

professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un

mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au

démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont

les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.

Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le

stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son

entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont

jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une

réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux

critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.

Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et

reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.

En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert

d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des

représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire

(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le

projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes

de l’entreprise ».

Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les

stagiaires, et donc des effets de « formation ».

Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne

l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de

l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de

distance par rapport aux pratiques professionnelles.

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76 Le mémoire professionnel en formation continue

La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la

reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.

Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en

s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur

engagement.

Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de

professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances

sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de

qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre

son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».

L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs

pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques

professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses

pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.

Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de

construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus

d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme

interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet

au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les

projets qu’il met en place.

Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de

construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au

stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit

d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,

de clarté dans l’exposé de la démarche construite.

Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives

en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.

52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

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77 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer

que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que

l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se

former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un

expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont

transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien

souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le

projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,

de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté

personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les

stagiaires.

Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité

professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.

Titre 4 – Synthèse globale

Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de

distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de

personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.

Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des

rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.

Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également

une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.

Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences

réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance

pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par

rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses

compétences.

Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à

laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour

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78 Le mémoire professionnel en formation continue

l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour

professionnaliser sa pratique.

L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en

effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des

stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour

autrui (DUBAR)56.

Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction

des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires

n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de

légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une

démarche évaluative des compétences acquises.

Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et

son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,

étonné, conforté…

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les

préconisations

Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un

développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de

donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des

ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur

mémoire.

Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs

Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de

professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.

C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se

précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore

56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998

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79 Le mémoire professionnel en formation continue

progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les

ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.

Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui

permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de

se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est

totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).

Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne

sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.

Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on

part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).

Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre

confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et

c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire

seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien

moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).

Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où

on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur

des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne

faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très

intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »

(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de

déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)

Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion

sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un

positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.

La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son

tuteur de mémoire.

Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept

journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre

souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.

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80 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des

charges57.

Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche

du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite

de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il

favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,

l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.

Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le

stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des

stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour

l’Homme » affirme un tuteur (E11).

Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la

démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi

beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.

Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de

renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.

Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.

Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire

au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il

doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.

Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux

tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la

technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).

Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver

intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».

Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les

compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.

57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».

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81 Le mémoire professionnel en formation continue

Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :

des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,

d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement

aussi » (E9).

C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et

puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais

que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est

extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est

un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler

sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de

rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).

Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser

un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation

d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer

aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le

mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans

le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les

éclaire »(E10).

Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est

bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le

style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure

un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas

toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).

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82 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale

Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire

professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.

Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend

au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des

charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la

problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir

à un stagiaire» (E9).

Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs

souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu

l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui

n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.

Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire

professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon

un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »

(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous

les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très

tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis

que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce

même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?

Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).

En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de

mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe

de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de

savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun

est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques

différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne

sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement

décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le

mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire

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83 Le mémoire professionnel en formation continue

ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait

une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).

En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des

compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend

40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement

dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces

différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,

lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils

savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).

Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept

journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le

choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement

où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec

en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin

les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).

La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est

l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa

place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il

est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des

retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?

C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à

celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas

là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).

Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui

du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.

Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du

stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.

Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du

Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans

ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury

permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.

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84 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Préconisations

Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :

- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La

situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.

- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,

la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,

etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.

- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans

le dispositif de formation.

A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les

tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.

Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide

incontestable au développement des compétences du tuteur.

Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à

avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail

de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).

D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a

des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient

enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui

arrivent au CESI » (E11).

Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur

mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert

projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce

domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect

communication » (E9).

D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière

de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant

qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au

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85 Le mémoire professionnel en formation continue

même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour

d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la

façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).

Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les

groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les

thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre

stagiaires et le partage des lectures.

Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses

pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes

impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de

compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager

avec les autres » (E3).

Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à

laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire

professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire

professionnel.

Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la

dimension évaluative.

En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment

d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la

formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette

dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.

Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et

pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le

stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie

d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.

En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une

autoformation que permet le mémoire professionnel ?

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86 Le mémoire professionnel en formation continue

Retour d’expérience

Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année

d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ

pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement

le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires

interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective

dans notre recherche.

De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs

années nous aurait probablement donné un autre regard.

Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le

dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.

De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi

nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.

Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées

par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont

rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,

problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes

de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une

activité professionnelle.

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87 Le mémoire professionnel en formation continue

Conclusion

Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,

enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de

professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de

construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité

professionnelle, voire du label d’expert58.

Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI

à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à

l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre

l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.

L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter

la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le

recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la

mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les

professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à

entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des

compétences.

Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant

écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques

professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.

Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien

les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est

un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son

utilisation.

Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,

notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils

conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout

personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78

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88 Le mémoire professionnel en formation continue

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89 Le mémoire professionnel en formation continue

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1 Le mémoire professionnel en formation continue

Sommaire

Introduction ........................................................................................................... 2 Partie I : Présentation du chantier et questions de départ ..................................... 4

Chapitre 1 –Le CESI .............................................................................................................. 4 Titre 1 – Le Cesi...................................................................................................................... 4 Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences ................................... 5 Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi ........... 7

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi .............................................................................................. 9 Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II ................................................ 9 Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ............................. 10 Titre 3 – Le processus d’écriture.......................................................................................... 14

Chapitre 3 – Les questions de départ ................................................................................... 17 Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle ........... 19

Chapitre 1 – La compétence................................................................................................. 19 Titre 1 – La compétence selon Le Boterf .............................................................................. 20 Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian .................................................................. 23

Chapitre 2 – L’identité professionnelle................................................................................ 27 Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar................................................................................ 27 Titre 2 – Le processus identitaire professionnel.................................................................... 29

Partie III : Problématique et hypothèses ............................................................. 32 Chapitre 1 – La problématique............................................................................................. 32 Chapitre 2 – Les hypothèses................................................................................................. 33

Titre 1 – L’hypothèse 1 ......................................................................................................... 33 Titre 2 – L’hypothèse 2 ......................................................................................................... 37

Partie IV - Méthodologie de la recherche ........................................................... 40 Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche.................................................................... 40 Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs .................................................... 42 Titre 3 – Modalité des entretiens........................................................................................... 44

Partie V : Analyse des données et résultats......................................................... 46 Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture .......... 47 Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences .................................................... 55 Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité ................................................................... 69 Titre 4 – Synthèse globale..................................................................................................... 77

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les préconisations ..................... 78 Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs........................................................ 78 Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale................................................ 82 Titre 3 – Préconisations......................................................................................................... 84

Retour d’expérience ............................................................................................ 86 Conclusion........................................................................................................... 87 Bibliographie....................................................................................................... 88

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2 Le mémoire professionnel en formation continue

Introduction

Les trente dernières années ont été marquées par de nombreux changements, aussi bien au niveau

technologique qu’organisationnel, induisant l’incertitude de l’environnement économique. L’évolution

accélérée des techniques et des marchés rend le cycle de nombreux métiers plus court que le cycle de

vie professionnelle d’un individu. Nombreux sont les métiers dont les compétences requises peuvent

être modifiées à court terme. De plus, l’absence de connaissance du profil des métiers futurs conduit à

former des hommes et des femmes capables de répondre à des situations inédites, de mobiliser des

compétences transversales. La société actuelle oblige les salariés à être davantage flexibles, les

contraint à exercer plusieurs métiers.

Afin de professionnaliser les salariés, la formation semblerait porter aujourd’hui davantage sur les

compétences que sur le simple fait de capacités à acquérir. Comme l’écrit G. Le Boterf1 : « Posséder

des capacités ne signifie pas être compétent. On peut connaître des techniques ou des règles de gestion

comptable et ne pas les appliquer au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un

contexte singulier est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action ».

De nouveaux modes de formation se mettent en place ; il en est ainsi du mémoire professionnel dans

les formations qualifiantes du CESI. Cet organisme de formation continue, intègre dans chacun de ses

dispositifs qualifiants l’élaboration d’un mémoire professionnel.

Cette observation nous amène à nous interroger sur les fondements de la conviction du Cesi à utiliser

cet instrument Pourquoi l’écriture d’un mémoire professionnel est-il l’outil de formation utilisé au

CESI pour tous ses dispositifs qualifiants ?

L’un de ces dispositifs qualifiants est placé sous notre responsabilité et sera donc, l’objet de la

présente recherche. Du fait d’un cahier des charges en lien avec l’ingénierie de formation, notamment

l’analyse des besoins en formation, la réalisation, la conception, l’évaluation des actions et dispositifs

de formation, et l’accompagnement dans la réalisation des mémoires professionnels, l’opportunité de

prendre ces dispositifs comme lieu d’enquête et d’intervention a rejoint nos priorités professionnelles.

Cette question de départ a permis d’investir les notions de compétence et d’identité professionnelle

pour accéder au dispositif et pour déterminer en quoi celui-ci contribue au développement de

compétences. Plus précisément l’élaboration du mémoire professionnel permettra de poser la question

centrale de la problématique qui servira de fil conducteur à la recherche :

1 LE BOTERF, G De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Editions d’organisation; 1995

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3 Le mémoire professionnel en formation continue

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel contribue t-il au développement des compétences

professionnelles ?

Dans un premier temps, nous présenterons l’objet du chantier.

Nous explorerons par la suite deux concepts théoriques : d’une part la notion de compétence en nous

référant essentiellement à G. Le Boterf et P. Zarifian, d’autre part la notion d’identité professionnelle

en nous référant à C. Dubar et R.Sainsaulieu.

Nous construirons une méthodologie de recherche par l’élaboration d’une grille de questions et

d’analyse qui servira de fil conducteur de notre enquête de terrain auprès de participants et de tuteurs

de la formation. L’intention de ce dispositif d’enquête sera de mettre en évidence la relation entre la

réalisation d’un mémoire professionnel, la construction d’une identité professionnelle et le

développement des compétences dans ces formations qualifiantes.

Nous appuyant sur les résultats de l’enquête issus de l’analyse des données collectées, nous

formulerons finalement plusieurs préconisations en direction du dispositif de formation.

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4 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie I : Présentation du chantier et questions de départ

Chapitre 1 –Le CESI

Titre 1 – Le Cesi Le CESI a été créé en 1958 par cinq entreprises françaises, à l’initiative de la Régie Renault.

Initialement baptisé Centre Interentreprises de Formation (CIF), le projet, veut alors apporter une

réponse à la pénurie d’ingénieurs et de techniciens supérieurs de fabrication auquel est confronté le

secteur industriel à la fin des années 50.

Dès l'origine, le projet du Cesi fut de former des ingénieurs selon un profil conforme aux demandes

des entreprises, tout en répondant à un besoin de promotion sociale. En effet, la formation s'adressait

essentiellement à une population d'agents de maîtrise et de techniciens qui, n'ayant pas eu la chance de

suivre une formation supérieure d'ingénieur, avaient démontré par leur qualité professionnelle leur

capacité à atteindre ce niveau de responsabilité. Ce double objectif, à la fois humain et économique,

reste quarante ans plus tard le credo du Cesi. C'est cette spécificité qui a justifié pleinement, au début

des années 70, la transformation du Cesi en organisme paritaire.

Aujourd’hui, le CESI est paritaire du fait de ses statuts, de la composition de son Bureau et de

l'alternance de responsabilité entre les deux collèges qui le composent, patronal et syndical. Dans ses

instances sont représentés l'UIMM, le MEDEF, dix grandes entreprises (Altadis, Charbonnages de

France, Colas, Eurocopter, France Telecom, IBM France, Renault, Groupe CIC, Schneider Electric,

SNCF), et les cinq organisations syndicales représentatives des cadres (CFE-CGC, CFDT, CGT, FO,

CFTC).

Spécialisé dans la formation des ingénieurs, des cadres, des techniciens et agents de maîtrise, le Cesi a

développé ses prestations dans le cadre de 3 marques distinctes :

� Ei.cesi (l'Ecole d'Ingénieurs du CESI)

� Cesi Entreprises (le CESI au service des entreprises) créée en 1998

� Exia (l'Ecole Supérieure d'Informatique du CESI) créée en 2005

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5 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous interviendrons pour la marque : Ceci Entreprises.

Le Cesi-entreprises est un organisme de formation continue, formant les cadres, techniciens et

agents de maîtrise. Trois offres sont proposées aux entreprises :

1 L’offre interentreprises :

Des modules courts (1-5 jours) sont proposés en formations interentreprises. Ces modules

peuvent s’intégrer dans des parcours longs à finalité qualifiante (cf. schéma chapitre 2 p10). Les

titres de niveau II et III sont enregistrés au RNCP2.

Le Cesi propose également des Mastères Spécialisés (niveau I) par le biais de l’école d’ingénieur,

membre de la Conférence des Grandes Ecoles.

2 L’offre intra-entreprise est proposée pour répondre aux besoins particuliers des entreprises, et

3 Les formations en alternance qui permettent aux entreprises de recruter des compétences dans le

cadre de contrat en alternance, et aux jeunes de se professionnaliser dans un métier.

Titre 2 – Dispositifs de formation et développement de compétences

Dès le départ, le CESI ne se présente donc pas comme une école d’ingénieurs comme les autres. Dans

l’esprit des fondateurs, aux connaissances scientifiques et industrielles doivent s’ajouter « des moyens

d’expression (…) et de persuasion efficaces, un esprit logique, une vue large des problèmes industriels

(…) et enfin une connaissance plus approfondie d’eux-mêmes et des autres »3. Les cours doivent être «

limités pour laisser un temps suffisant à la réflexion et à l’expérimentation » et tenir compte de

l’expérience des élèves ; une grande place est laissée aux visites d’ateliers de production pour «

examiner les problèmes très pratiques » (op.cit). Les méthodes pédagogiques actives tiennent une

place importante.

L’habilitation à délivrer le titre d’ingénieur est obtenue en 1978 pour le cursus en formation continue,

et en 1990 pour la formation en apprentissage.

Aujourd’hui, les méthodes pédagogiques de l’école sont très diverses, et mêlent les méthodes

pédagogiques habituelles (cours, conférences, travaux dirigés, études de cas…) aux pédagogies

actives (ou pédagogies du projet). Ces dernières se traduisent par de nombreuses « missions »

2 RNCP : « Répertoire national des certifications professionnelles » 3 LICK R. Mémoire de la formation, Histoire du Cési, Les éditions du CESI ; 1997

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6 Le mémoire professionnel en formation continue

spécifiques à accomplir, seul ou en groupe, dans l’école et dans l’entreprise. La complexité et la durée

croissante de ces « missions » répond à une progression pédagogique calculée. Ces progressions

s’appuient néanmoins sur un principe organisateur unique pour les deux cursus : le passage du «

technicien » à « l’ingénieur », qui prend appui sur deux figures archétypiques et organise la

transition de l’une à l’autre à travers une série d’« épreuves » (Martucelli)4, données à traverser.

Le « technicien » a une vision unidimensionnelle des problèmes qu’il a à résoudre : les solutions qu’il

conçoit sont des solutions techniques ; il exécute ce qu’on lui demande.

L’ « ingénieur » a une vision plus large, intégrant les dimensions techniques, économiques,

organisationnelles et humaines. Il propose et négocie des solutions. Passer du technicien à l’ingénieur

suppose donc à la fois d’élargir sa vision, de prendre du recul par rapport au problème posé pour

l’étudier dans ses différentes dimensions, d’agir d’une manière autonome, d’argumenter et négocier

ses propositions.

L’hypothèse des concepteurs des dispositifs a été la suivante : c’est en traversant avec succès les «

épreuves » qui lui sont proposées, présentées sous forme de « projets » que le futur ingénieur acquiert

progressivement l’autonomie, la vision multidimensionnelle des problèmes et la compétence de

l’ingénieur. Chaque épreuve est elle-même considérée comme un projet, qui constitue soit un but

spécifique à atteindre (« projet but »), soit un moyen au service du projet principal («projet moyen »)

(Pallado)5. Les « projets buts » ont pour finalité une production déterminée, réalisée dans le cadre de

l’entreprise (étude, réalisation industrielle…). Mais les « projets buts » comme les «projets moyens»

offrent aussi une opportunité de réflexion sur son activité dans l’entreprise, car chaque épreuve

donne lieu à un rapport écrit présentant le déroulement de la mission, et à une soutenance orale devant

un jury. Selon le type d’épreuve, le jury est composé de l’ingénieur formateur ou du tuteur, d’autres

élèves ingénieurs, de professionnels, ou d’une combinaison des trois.

Cette activité réflexive sur l’action favorise la prise de conscience (Pastré)6 des conduites mises en

œuvre au cours de la mission, et marque la clôture d’un « moment clé » de la formation (Pointel-

Wiart)7 à l’issue duquel, en cas de succès, certaines connaissances, et capacités ainsi qu’une

augmentation de compétence sont reconnues acquises par l’élève ingénieur (pas toujours sur le

moment), et surtout sont reconnues acquises par d’autres que lui. Il apparaît que ces moments clés,

4 MARTUCCELI, D. Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France contemporaine. Paris : Armand Colin ; 2006 5 PALLADO, G. La pédagogie du projet dans les dispositifs de formation d’ingénieurs généralistes CESI. Mémoire de Master 2 sciences de l’Education à Nanterre, Université Paris X ; 2007 6 PASTRE, P. L’ingénierie didactique professionnelle, in CARRE, P. & CASPAR, P. (dir.) Traité des sciences et techniques de la formation. Paris ; Dunod ; 1999 7 POINTEL-WIART, C. La dynamique du développement des compétences de l’ingénieur généraliste CESI à travers la notion de « moment clé ». Mémoire de Master 2 sciences de l’Education. Nanterre : Université Paris X ; 2007

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7 Le mémoire professionnel en formation continue

lorsqu’ils s’achèvent par une réussite à l’épreuve, nourrissent le sentiment de compétence, ou

sentiment d’efficacité personnelle (Bandura)8, ainsi que la motivation des élèves ingénieurs.

Il y aurait plus probablement développement simultané d’un ensemble de savoirs de différents types

au cours de chaque épreuve, qui se révèlerait à l’issue de celle-ci au travers d’un « sentiment de savoir

y faire » (Guillot)9 d’une part, et d’un jugement émis par un tiers d’autre part, les deux n’étant pas

toujours exprimés simultanément. La motivation pour poursuivre le projet de « devenir ingénieur », le

sentiment de compétence renforcé par la réussite et son évaluation par des tiers, alliés à la prise de

conscience de ses conduites en situation et de leurs conditions d’efficacité font, pour nous, de ces

moments clés des moments d’affirmation de la compétence en même temps que des moments de

positionnement sur le trajet entre le « technicien » et « l’ingénieur ». Ce positionnement se traduit,

pour l’élève ingénieur, par la définition de son identité professionnelle comme « encore technicien »,

« presqu’ingénieur », « déjà ingénieur ». Ce positionnement distingue fréquemment « l’identité pour

soi » et « l’identité pour les autres » (Dubar)10 : « personnellement, je me sens déjà ingénieur… mais je

ne dirai pas que je suis ingénieur tant que je n’ai pas le diplôme » entend-on dire par certains

ingénieurs. La question de l’articulation des compétences et des processus de socialisation à travers les

dispositifs de formation est posée à travers un tel énoncé.

Titre 3 – La transformation identitaire, principe à toutes formations longues au Cesi

La théorie sociologique de l’identité formulée par Claude Dubar (op.cit.), nous paraît particulièrement

utile pour éclairer les phénomènes que nous voulons observer.

Pour Dubar, la socialisation est un ensemble de processus d’interaction entre les individus et entre les

individus et les institutions qu’ils ont produites, dont résultent les « identités » sociales et

professionnelles.

Le terme « identités » est au pluriel, car deux sortes de processus hétérogènes sont à l’œuvre, utilisant

tous les deux un des principes fondamentaux de la pensée, la catégorisation:

- d’un côté, des processus d’« attribution », ou « d’étiquetage », qui disent « quel type d’homme (ou de

femme) vous êtes » (ibid.), et produisent l’« identité pour autrui » dans une communauté à partir des

catégories disponibles dans cette communauté ;

- de l’autre des processus d’« appartenance », qui expriment « quel type d’homme (ou de femme) vous

voulez être» (ibid.), et produisent l’« identité pour soi » à partir des catégories disponibles dans les

8 BANDURA, A. L’auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle. Paris; De Boeck Université ; 2004 9 GUILLOT M.N. est doctorante au CNAM. Son sujet de thèse concerne le développement des compétences de l'ingénieur. Elle a travaillé sur l'ingénieur CESI ; 1997. Note en communication interne. 10 DUBAR, C. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin ; 1991

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8 Le mémoire professionnel en formation continue

diverses communautés d’appartenance, que l’appartenance à ces communautés soit réelle ou

simplement projetée (processus d’identification).

Bernard Blandin, Directeur de recherches et conseiller du Directeur général du groupe Cesi à mené

une recherche sur le développement des compétences de l’ingénieur généraliste au Cesi. L’hypothèse

faite à partir des premiers résultats était formulée de la manière suivante : « les dispositifs de formation

d’ingénieur généraliste du CESI s’appuient sur un principe organisateur unique : « le passage du

technicien à l’ingénieur ».

Ce principe organisateur peut être considéré, pour reprendre les termes de Dubar (1991), comme une

« offre identitaire », construite à partir de deux figures types, celle du technicien à celle

d’ingénieur. Selon Bernard Blandin, cette « offre identitaire propose une trajectoire programmée et

contrôlée, permettant de changer à la fois d’identité pour soi (devenir ingénieur) et d’identité pour

autrui (obtenir le diplôme attestant que l’on est ingénieur) ».

On pourrait étendre cette hypothèse à d’autres formations qualifiantes, et notamment des

formations de « passage Cadre » du Cesi ou des « formations aux fonctions » dans l’entreprise. Ces

formations constitueraient une « offre identitaire », ce traduisant par une « trajectoire programmée » et

contrôlée entre deux pôles identitaires : « du technicien à l’ingénieur » pour les formations

d’ingénieur, « de l’encadré au cadre » pour les formations « passage cadre », et plus généralement, du

« débutant dans une fonction au professionnel » ou du « professionnel à l’expert ».

L’identité professionnelle ciblée se traduit par une « figure professionnelle » prototype,

construite collectivement par les formateurs du domaine, au cours des travaux des commissions

nationales. Cette « figure professionnelle » est décrite à travers le référentiel de compétences élaboré

par chaque commission. Elle fonctionne comme « concept pragmatique » (Pastré)11 permettant de

piloter la formation, depuis la sélection des candidats jusqu’à la remise du titre ou diplôme : en effet,

c’est en référence à cette figure professionnelle qu’est évaluée la capacité à suivre la formation et la

progression des participants.

La formation au Cesi n’est donc pas seulement considérée comme devant conduire à l’acquisition de

connaissances et de compétences, mais aussi comme devant produire une transformation de

l’identité professionnelle des participants. Les dispositifs comprennent donc à la fois des situations

d’acquisition de connaissances, mais aussi d’autres types de situation, permettant le développement de

compétences, et/ou d’assurer les transitions et les transactions identitaires tout au long du parcours.

11 PASTRE P., La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives, in Pastre P. (coord), Apprendre des situations, Education permanente n°139, 1999.

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9 Le mémoire professionnel en formation continue

Bernard Blandin appellent ces situation « épreuves ». Elles jalonnent la trajectoire proposée pour

progresser vers la nouvelle identité professionnelle : enquêtes, études, projets, mémoires

professionnels, jurys.

Chacune de ces épreuves permet, quand elle est réussie, de faire la preuve de l’atteinte d’un stade

donné, caractérisé à la fois par un niveau de compétence et des « étiquettes » identitaires (pour soi et

pour autrui) que les stagiaires et les formateurs sont capables de positionner sur la trajectoire allant du

débutant au professionnel de la fonction visée.

Chapitre 2 – L’enquête au Cesi

Notre mission s’inscrira dans l’offre interentreprises du Cesi. Nous exerçons depuis janvier 2009 au

Cesi sur un poste d’« Ingénieur Formation», et nous accompagnons des stagiaires de formations

longues dans leurs parcours qualifiants.

Titre 1 – Les parcours de formation qualifiantes de niveau II

Ces dispositif s’adresse à un public de salariés en poste, de niveau Bac + 4 ou de niveau Bac + 2

avec une expérience confirmée de 3 ans au minimum dans son domaine.

Ce parcours s’échelonne entre 12 et 18 mois à raison de 2 ou 3 jours de formation tous les mois, ce

qui permet au salarié d’exercer sa fonction dans l’entreprise. Le nombre de jours de formation durant

entre 45 et 60 jours (parcours de formation + le parcours qualifiant).

Ainsi, la construction du parcours de formation tient compte des acquis expérientiels possédés par

les stagiaires. La formation cherche à privilégier l’articulation constante entre théorie et pratique,

l’une éclairant l’autre.

Il est donc souhaité de partir des pratiques des stagiaires, de les aider à conceptualiser, à produire du

sens et à les articuler à un projet. C’est en quelque sorte un travail de remise en ordre et

d’organisation auquel la formation théorique participe grandement : il s’agit d’amener le stagiaire à

produire via la maîtrise des outils théoriques sa propre formation.

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10 Le mémoire professionnel en formation continue

Le parcours qualifiant qui comprend la réalisation d’un projet en entreprise, amène le stagiaire à

élaborer un mémoire professionnel : ce travail est un moyen de transposer au plan des compétences

les savoirs acquis par les stagiaires autour d’un des grands thèmes de la formation.

A l’issue du parcours qualifiant, un jury national délivre, sur proposition du jury de soutenance,

constitué de professionnels et d’experts, la certification professionnelle de niveau II enregistrée au

RNCP « Répertoire National des Certifications Professionnelles ».

En résumé, voici la construction des parcours professionnels qualifiants au CESI :

- Des modules courts (2-4 jours) suivis par les stagiaires. Ces modules sont regroupés en thèmes.

- Les principaux thèmes de la formation correspondent aux Compétences requises dans le référentiel

métier. Ces connaissances théoriques et pratiques sont évaluées au cours de la formation.

- La conduite d’un projet en entreprise avec la rédaction d’un mémoire et d’une soutenance devant

un jury de professionnels.

- Le jury national délivre le titre enregistré au RNCP niveau II

La construction Cesi de parcours professionnels

QualificationMétier

Certification professionnelle CESI

Certificat de compétence Cesi

Attestation de Participation Cesi

Jury national de délivrance du titre composé de professionnels

Mémoire soutenu devant un jury régionalcomposé de professionnels du métier

Référentiel métierCompétence 1 Compétence 2 Compétence 3 Compétence 4

ValidationTitre Inscrit au RNCP – niveau II ou III

Module1.1

Module1.2

Module1.3

Module2.1

Module2.2

Module3.1

Module 4.1

Module 4.2

Parcours de formation

Parcours qualifiant

Titre 2 – Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi

Il s’agit pour le stagiaire d’élaborer un projet, d’en envisager la faisabilité et de le mettre en œuvre en

évaluant les effets.

Cet exercice a un caractère d’autoformation car le stagiaire est responsable de son projet, et la

guidance se fait par un intervenant du Cesi qui a validé le projet.

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11 Le mémoire professionnel en formation continue

Le stagiaire va éprouver, développer, construire des compétences qu’il faudra en fin de parcours

apprécier et évaluer.

Cette évaluation se fera en deux temps :

Un mémoire qui permet d’évaluer la formation et les compétences acquises et qui oblige les stagiaires

à se placer dans une posture de « praticien réflexif » facilitant ainsi l’apprentissage à partir de leurs

expériences vécues.

Une soutenance, qui consiste en un compte rendu et une analyse, devant un jury de professionnels. Ce

jury évalue le travail effectué par les stagiaires et apporte des conseils au vue de la production du

mémoire et de la prestation orale.

Quel que soit le type d’évaluation, il doit y avoir de la part du stagiaire un questionnement portant

sur les dimensions suivantes :

• Je m’active…pourquoi, comment, dans quel but ?

• Quel(s) constat(s) suis-je amené à faire ?

• Quelles questions suis-je amené à me poser, à moi-même, à mon entreprise, à mes pairs ?

• A partir de là, quelle(s) hypothèse(s) de travail puis-je émettre, comment problématiser mon

questionnement ?

• Comment vérifier, avec quels outils, quels instruments d’évaluation, quelles actions mettre en

œuvre pour cela ?

En résumé, nous faisons en sorte de partir de l’expérience et des observations du stagiaire, afin de

l’amener à construire un projet (formalisation théorique) qu’il mettra ensuite en œuvre (pratique).

Le suivi assuré par l’intervenant lui permet de confronter, au quotidien, le savoir aux évolutions du

champ social ce qui est à la fois de l’information et de la formation.

Le formateur dans son travail de transmission des connaissances et de guidance devient un conseil

stratégie (au plan du savoir transmis) et en tactique (prise en compte des réalités du terrain).

En outre, cette formation enregistrée au RNCP12 doit donc rester dans le cadre réglementaire du

référentiel national.

12 RNCP : le « Répertoire national des certifications professionnelles »

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12 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cahier des charges précise : « Pendant la formation vous allez être invité à conduire un projet.

C’est un élément fort de la formation. Ce projet donnant lieu à un mémoire doit présenter comme

caractéristique d’être en lien avec un thème réel de votre environnement professionnel.

Les stagiaires sont appelés à rendre compte de leurs observations et/ou analyses sous la forme

exposée ci-après :

Première partie :

Resituer le contexte Préciser les problématiques rencontrées

Définir les objectifs visés

Mesurer les enjeux au plan technique, humain, organisationnel, économique,

Prioriser les enjeux

Deuxième partie :

Piloter un projet

Mettre en œuvre une démarche d’intervention adaptée, avec le recul nécessaire

Mener un travail d’équipe en collaborant avec les acteurs internes et externes de l’entreprise

Rendre compte du diagnostic de l’existant (freins, leviers, dysfonctionnement conséquences,

acuité du risque, recherche des causes premières)

Troisième partie :

Préconiser des axes d’améliorations

Prioriser les solutions dans le temps

Mesurer la qualité des réponses apportées

Dresser l’état des lieux à la fin de la mission (objectifs atteints, écarts subsistants, suite à

donner)

Il n’y a pas de norme précise par rapport à la longueur du mémoire. L’essentiel est de montrer sa

capacité à mener à bien une mission dans toutes ses dimensions. Un tel travail se situe autour de

50/60 pages.

Le référentiel de certification n’apporte pas de précision particulière concernant le mémoire

professionnel.

Le cahier des charges stipule que :

« Ce projet doit vous permettre de démontrer :

- votre capacité à vous positionner au niveau cadre et à assumer les responsabilités

correspondantes,

- votre capacité à analyser une problématique dans l’ensemble de ses composantes (humaine,

économique, technique et organisationnelle),

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13 Le mémoire professionnel en formation continue

- votre capacité à utiliser des outils et des méthodes vous permettant de formaliser une

proposition de solution au problème en tenant compte du contexte réel,

- votre capacité à piloter la mise en œuvre des solutions, à assurer le suivi du projet et à rendre

compte,

- votre capacité à prendre le recul nécessaire

- votre capacité à rédiger un écrit professionnel de niveau cadre».

Enfin, « le mémoire donne lieu à une soutenance par le stagiaire devant un jury composé de

professionnels. Cette soutenance orale se déroule sur 60 minutes réparties en deux phases de 30

minutes :

- Présentation par le stagiaire de la problématique, de la méthodologie mise en œuvre et des

résultats obtenus,

- Débat Questions / réponses avec le jury.

Au cours de cette seconde partie, le candidat devra être en mesure de démontrer sa maîtrise de

l’ensemble des éléments de la fonction cadre ».

Finalement l’élaboration du mémoire s’appuie sur une démarche de recherche, de questionnement et

d’étude systématique du terrain professionnel. Le mémoire devient un lieu d’intégration des savoirs

et des connaissances acquis à la fois dans l’organisme de formation et sur le lieu d’exercice même de

la profession. Il mobilise des capacités en situation, c'est-à-dire qu’il travaille sur les

compétences.

Dans l’élaboration du mémoire professionnel, ce qui est le plus important n’est pas le produit en lui-

même mais le processus qu’il implique. Dans les formations actuelles, notamment à des postes de

responsabilité, les compétences identitaires sont mobilisées et développées dans le processus même de

formation. Selon Françoise Cros13 « il ne s’agit plus de former une personne à travailler et

transformer le réel, mais bien de se transformer elle-même à l’occasion de la transformation qu’elle

opère elle-même sur le réel ».

L’idée est donc de travailler sur l’expérience du stagiaire, non seulement pour la comprendre

mais pour avoir un moyen d’agir sur ses transformations.

Ce travail prend deux formes : l’écrit et l’oral et peut poursuivre plusieurs buts : extraire des

connaissances de cette pratique, analyser l’activité, ou favoriser le développement des compétences

nouvelles conduisant à de meilleures performances.

13 CROS F. Le mémoire professionnel en formation des enseignants, Action et Savoirs, l’harmattan, 1998

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14 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Le processus d’écriture

« L’écriture praticienne », l’écriture de l’acteur en tant que professionnel, enserre l’acteur et son

action. Bien sûr on ne parle pas ici d’écrivain, au sens littéraire du terme ; il est question d’« écrivant

», c’est-à-dire de quelqu’un dont l’activité principale (professionnelle) n’est pas l’écriture. Il écrit à

l’occasion. Et l’occasion, c’est l’action. L’action, voire l’activité, donne matière à écriture.

Reste que l’action, pour les professionnels de la formation, c’est d’abord une pression constante qui

les empêcherait « de s’asseoir, de penser et d’écrire », comme disait Guy JOBERT14 - ce qui n’est pas

sans perturber une articulation, déjà complexe en elle-même, entre écriture et action.

Par rapport à l’action, l’écriture semble pouvoir connaître trois situations différentes :

Elle peut être directement intégrée à l’action, elle peut porter sur l’action , elle peut, enfin,

promouvoir l’action .

Il y aurait ainsi l’écriture dans l’action, l’écrit ure sur l’action et l’écriture pour l’action.

- Le premier type, quant à lui, produit des éléments voire des instruments d’action ; ce sont les notes

que le formateur se rédige pour un cours, ou encore le texte par lequel le responsable d’un organisme

de formation répond à un appel d’offre - écriture fonctionnelle.

- Concernant l’écriture qui « porte sur » l’action, ici l’écriture n’est pas intégrée à l’action, mais à

l’inverse l’intègre dans un projet d’octroi de sens à la pratique. C’est pourquoi on peut dire qu’elle est

écriture proprement praticienne. Celle-ci se distinguerait ainsi d’une écriture fonctionnelle (dans

l’action) et d’une écriture promotionnelle (pour l’action).

- Le secteur de l’éducation permanente développe depuis peu une réflexion sur l’écriture des praticiens

et des dispositifs d’aide à l’écriture sont parfois mis en place.

Citons le travail de la revue Éducation permanente, qui publie des « suppléments » à usage interne

pour de grandes institutions (AFPA, EDF, Éducation nationale). Les formateurs, formateurs de

formateurs et responsables de formation de ces institutions y sont conviés à écrire sur leur pratique15.

On pourrait également mentionner ici les Cahiers d’études du CUEEP qui, depuis 1984, publient des

textes produits par des praticiens16.

14 JOBERT G., Écrite, l’expérience est un capital, Éducation permanente, n° 102, avril 1990 15 REVUZ C. Moi, écrire... ? Je... , Éducation permanente, n° 102, avril 1990, et DUMONT M. L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994 16 Cf. RICHARDOT B. Note sur l’écriture praticienne, dans Leclercq Gilles, édition Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP;27).

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15 Le mémoire professionnel en formation continue

On a toujours mis en avant l’importance de l’écriture dans les processus de professionnalisation. Dans

le secteur de l’éducation permanente, la production de mémoires professionnels constitue l’un des

pans obligés des formations de formateurs diplômantes17.

Mais attention il convient de ne pas confondre écriture étudiante sur la pratique professionnelle et

écriture proprement praticienne - quand même un praticien peut être appelé à produire de l’écrit sur la

pratique professionnelle dans le cadre de sa propre formation continue.

En fait, selon Bruno RICHARDOT, on distinguera, dans le champ de l’écriture sur l’action, trois

« postures », chacune obéissant à un référentiel d’écriture particulier :

• posture étudiante, où l’écrivant produit un objet dont l’évaluation - normative – sera suivie de

validation (référentialité close intégrante) ;

• posture patentée, où l’écrivant - enseignant-chercheur, consultant, etc. – poursuit une stratégie de

reconnaissance sur un marché (référentialité close intégrée) ;

• posture praticienne, où l’acteur écrit sur sa propre action, poussé à l’écriture par une multiplicité de

motivations possibles (par défaut, on parlera de référentialité ouverte, voire d’autoréférentialité)18.

Investissant la propre pratique de l’écrivant et presque par opposition à ce qui se passe dans les autres

postures, l’écriture praticienne a indéniablement une valeur autoformative19.

Mieux, si l’on se place dans une perspective plus organisationnelle (fonctionnement de l’organisme de

formation), il semble clair que l’écriture praticienne favorise la mutualisation des compétences en

même temps que la consolidation des professionnalités, dans le sens d’une autonomisation

professionnelle croissante. C’est du moins la leçon qu’une équipe de professionnels de la formation a

pu tirer d’une expérience d’écriture praticienne20. L’écriture praticienne va ainsi dans le sens de

l’autonomisation.

Tout d’abord en ce qu’elle impose le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre. La

signature du texte produit consigne cette prise de risque.

C’est peut-être là que cette écriture se démarque, ostensiblement, de l’écriture universitaire (postures

étudiante et patentée) où sévit encore l’interdiction d’avancer le ‘je’, où tout se passe comme si les

17 Cf. l’article de Guy Jobert et la contribution de Georges Lerbet dans le même numéro « Recherche-action, écriture et formation d’adultes», Lors des 4èmes rencontres francophones des responsables de formations de formateurs diplômantes (Nantes, SEFOCEPE, mai 1991), trois contributions concernaient ce sujet - celles d’Annick Maffre, Françoise Valat et Françoise Xambeu). 18 RICHARDOT B. Écrire dans, sur et pour l’action, Cahiers pédagogiques, n° 346, septembre 1996 19 RICHARDOT B. Écriture praticienne et autoformation intégrée dans les organismes de formation, dans Pratiques d’autoformation et d’aide à l’autoformation, Lille : CUEEP-USTL, 1996, (les cahiers d’études du CUEEP). 20 Écriture publiée dans Leclercq Gilles, éditions Formation en entreprise sur l’entreprise : une expérience, Lille : CUEEP-USTL, 1994, (les cahiers d’études du CUEEP; 27). Cf. Leclercq Gilles, Mutualisation des compétences et consolidation des professionnalités dans un organisme de formation, paru dans les actes du colloque sur les professions de l’éducation et de la formation qui s’est tenu à Villeneuve d’Ascq (Lille3) en 1995.

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16 Le mémoire professionnel en formation continue

idées s’écrivaient d’elles-mêmes par l’intermédiaire de l’écrivant, où seul le ‘nous’ de modestie est

accepté.

Rien de tel dans le cas de l’écriture praticienne où le ‘je’ est de mise. À telle enseigne que l’une des

difficultés à écrire pour les praticiens peut se résumer dans la difficulté à penser et à écrire ‘je’ - ce qui

nous renvoie à l’histoire de vie, certes, mais aussi à la division du travail dans les organismes de

formation et à la représentation que s’en font les praticiens.

Mais le risque de penser par soi-même et d’écrire en son nom propre peut se négocier comme une

liberté, la liberté de dire ‘je’. L’écriture praticienne, saisie dans son rapport à l’organisation,

apparaîtra ainsi comme productrice potentielle de divergence, comme possibilité d’émergence d’une

pensée latérale - ce qui nous renvoie à l’idée d’organisation qualifiante21, avec toute l’ambiguïté que

suppose, le cas échéant, l’offre d’un tel espace de liberté par l’organisation22.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à

savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si

cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de

cette compétence, mais à deux conditions :

- l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente)

de se construire et de se développer ;

- l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité

mouvante de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne ne pointerait- elle pas des

questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des

individus à l’intérieur de l’organisation, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à

lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en

toujours possibles divergences ?

Tout projet d’écriture praticienne est projet d’octroi de sens à la pratique. Le discours commun en la

matière veut que l’on commence par analyser la pratique, pour qu’ensuite ait lieu le « passage » à

l’écrit. De là il est facile de scinder le problème de l’écriture praticienne en deux blocs : il faut d’abord

aider les praticiens à analyser, à installer un regard distancié, à donner du sens, puis seulement après

les aider à « passer » à l’écriture.

21 STAHL T., NYHAN B., d’ALOJA P. L’organisation qualifiante. Une perspective pour le développement des ressources humaines, Bruxelles : Commission des Communautés européennes, 1993. 22 DUMONT M., L’aide à l’écriture, un processus aléatoire, Éducation permanente, n° 120, 1994

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17 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce schéma communément accepté, on présuppose que l’écrit vient après l’idée, qui s’énoncerait

assez facilement (au moins sans trop de blocage) à l’oral, ce dernier pouvant être utilisé comme test

intermédiaire de validité. Bref, il y aurait une réalité première qui serait l'idée, puis la parole qui

tenterait d’exprimer l'idée, enfin l'écrit qui s’évertuerait à consigner le dit.

Chapitre 3 – Les questions de départ

La pratique de l’écriture est apparue, ces derniers temps comme une source considérable de

développement. Les modalités de formation sur ces vingt dernières années montrent une

multiplication exponentielle de formations utilisant l’écriture sur le vécu des formés, voire sur

leur expérience. Les formations plus tournées vers une formation professionnelle s’appuient de

plus en plus sur l’écriture sur la pratique professionnelle.

Pratique, travail, acte, action, expérience, activité sont des termes qui prennent des sens différents

selon la communauté et la discipline qui les utilisent. La pratique professionnelle est bien du côté

du champ professionnel : il s’agit de personnes qui occupent un emploi, qui exercent un métier.

Les études récentes (Dejours)23 montrent que cette activité, cette pratique, est difficile à observer

lorsqu’on est en position d’extériorité.

Comment alors passer de la subjectivité des acteurs pour atteindre la pratique, si ce n’est par

l’écrit ? Est-il possible de faire porter l’analyse des pratiques professionnelles sur une palette de

champs professionnels plus large, et de tenter ainsi de dégager ce qui serait une spécificité propre

à la « mise à l’écrit de la pratique professionnelle » ?

Pourquoi l’écriture sur la pratique est-elle devenue un des outils les plus fréquents dans la

professionnalisation des métiers travaillant avec/sur autrui ? Qu’est ce qui peut expliquer un tel

engouement ? Qu’est ce qui fonde la conviction des organismes de formation pour utiliser un tel

instrument ?

Ecrire n’est pas un geste évident, couramment employé pour certains, craint pour d’autres, surtout

lorsqu’il porte sur sa pratique ! Est-ce un sursaut face à l’arrivée des nouvelles technologies ? Que

présuppose l’écriture ? Qu’apporte-t-elle de particulier ?

23 DEJOURS C., l’évaluation du travail à l’épreuve du réel, Paris, INRA Editions ; 2003

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18 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette recherche porte sur cette problématique de l’analyse de pratiques professionnelles quand

elle utilise l’écriture comme outil de professionnalisation.

Un certain nombre de questions émergent, sans forcément trouver de réponse comme :

- En quoi le mémoire s’inscrit-il dans un processus de professionnalisation ?

- L’écriture est-elle aussi professionnalisante qu’on le dit ?

- Quelle est la spécificité de l’écriture sur sa pratique professionnelle par rapport aux autres outils de

formation professionnelle ?

- Quelles sont les conditions pour qu’une écriture sur sa pratique soit un mode de production de

compétences ?

- En quoi l’écriture sur sa pratique a des effets sur sa pratique ?

Et enfin,

- De quelles pratiques d’écriture en formation professionnelle parlons-nous ? Il convient de distinguer

entre les compétences attendues par l’organisme de formation et les compétences produites.

- Quand nous parlons de dispositif d’accompagnement, en quoi consiste ce dernier ?

L’accompagnement est actuellement un concept fortement utilisé en formation : est-il dans le cas de

dispositif de formation par l’écriture sur sa pratique, pertinent ? Si oui, sous quelles formes ?

Selon J. Piaget24, l’écriture réflexive ne serait-elle pas la transformation de l’expérience en

connaissance (description, récit et problématique ou conceptualisation) ?

24 J. PIAGET, La prise de conscience, Paris, PUF, 1994

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19 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie II : La question de la compétence et de l’identité professionnelle

Afin d’interroger la notion de compétence dans les dispositifs de formation qualifiantes du Cesi et de

déterminer en quoi les composants des dispositifs contribuent au développement des compétences des

participants, nous passerons en revue le concept de compétence tel que défini par deux auteurs majeurs

dans un contexte d’entreprise : Le Boterf et Zarifian, puis le concept d’identité professionnelle, en

nous appuyant principalement sur les sociologues Claude Dubar et Renaud Sainsaulieu.

Chapitre 1 – La compétence

Bref histoire d’une notion :

Emergeant dans les années 1970, le terme de compétence apparaît dans les débats entre les partenaires

sociaux pour mettre en question les relations de subordinations hiérarchiques et revendiquer le

rehaussement du statut des salariés, dont les performances ne doivent plus être considérées comme

uniquement dépendantes des prescriptions mais aussi liées à des compétences personnelles.

Dès les années 1980, la complexification des situations de travail en lien avec des exigences accrues

de compétitivité produisent de nouvelles organisations du travail dans lesquelles les compétences

individuelles sont valorisées. Si jusqu'alors tout le monde semble s'entendre sur la notion de

compétence, les nouvelles règles du jeu de la concurrence bousculent ce consensus. L'évidence

sémantique contenue dans la notion éclate. Cette dernières ne fait plus l'unanimité. Elle est remise sur

le métier.

L’utilisation des compétences pour caractériser le travail est un phénomène relativement récent dont

l’apparition correspond à la réponse à un besoin de lisibilité, en termes de mobilité interne et de

Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), auquel ne parvenaient pas à

répondre les anciens systèmes de classification. Il semble également que la détaylorisation, ou tout au

moins, le fait que le travail soit aujourd’hui moins prescrit, ait également constitué un contexte

favorisant l’apparition de la notion de compétence.

Aujourd’hui, de nombreuses entreprises ont déjà intégré le terme de compétence et il est devenu

fréquent dans le vocabulaire courant du monde du travail. Néanmoins, un premier point retient

immédiatement l’attention dès lors que l’on s’intéresse à la problématique : la multiplicité et

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20 Le mémoire professionnel en formation continue

l’hétérogénéité des définitions des compétences, qu’elles soient théoriques ou pratiques (issues du

terrain).

Il n'existe pas, actuellement, de définition socialement établie et faisant consensus de la compétence.

Beaucoup d'entreprises ou de chercheurs se sont orientés vers une définition substantialiste, rapportant

les compétences à des catégories de savoirs que les individus vont activer face aux situations de

travail.

La trilogie "savoir, savoir-faire, savoir-être" s'est, dans une première période, assez largement

imposée.

Mais les critiques portées à la notion de savoir-être, très difficile à définir et semblant renvoyer à la

personnalité même des individus, en-dehors de toute considération professionnelle, de tout rapport

salarial et de tout processus d'apprentissage, ont ébranlé cette trilogie.

Par ailleurs, le "savoir-faire" pouvait renvoyer à des catégories de savoirs très différentes les unes des

autres, et encore très marquées par la référence au travail manuel.

L'émergence, depuis le milieu des années 80, de ce qu'on appelle la "logique compétence" ou la

"modèle de la compétence", vient bousculer le modèle de plus ancien de qualification à un poste de

travail.

Titre 1 – La compétence selon Le Boterf

Le Boterf s'interroge : « les entreprises et les organisations se sont toujours souciées des compétences

mais ce n'est plus de la même compétence dont elles ont besoin... De quel concept de compétence les

entreprises ont-elles besoin ? » (Le Boterf, 2008), ou selon l'intitulé d'un chapitre de son ouvrage en

référence: « De quelle représentation de la compétence a-t-on besoin ? » .

Ce questionnement témoigne de l’ambigüité d'une notion dont Le Boterf veut définir les contours tout

en en assumant sa malléabilité. Il s'agit de trouver « une nouvelle mise en forme de la compétence pour

en faire un objet d'investissement », de se doter d'outils conceptuels et pratiques qui correspondent aux

contingences des entreprises et des organisations et répondent aux enjeux économiques.

Pour Guy Le Boterf25, la compétence n’est pas un état, elle est indissociable de l’action. Plus encore,

elle dépend de la situation et du contexte dans lesquels elle s’exprime. En 1994, il avance l’idée que

25 Le Boterf G. Repenser la compétence ; Les éditions d’organisations ; 2008

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21 Le mémoire professionnel en formation continue

l’essentiel de la compétence est le savoir-agir : c’est-à-dire savoir-mobiliser, savoir-intégrer, savoir-

transférer des ressources dans un contexte professionnel.

"La compétence n'est pas un état ou une connaissance... des personnes qui sont en possession de

connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment

opportun... L'actualisation de ce que l'on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à

la compétence. Celle-ci se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste pas... Il n'y a de compétence que

de compétence en acte " (Le Boterf, 1994).

Trois ans après, il garde l’idée d’un savoir-agir décisif mais il s’agit maintenant de savoir mobiliser

dans un contexte, de savoir combiner, de savoir transposer, de savoir apprendre et savoir apprendre à

apprendre et de savoir s’engager pour être compétent :

« On reconnaîtra qu'une personne sait agir avec compétence si elle sait combiner et mobiliser un

ensemble de ressources pertinentes (connaissances, savoir-faire, qualités, réseaux de ressources...),

pour réaliser, dans un contexte particulier, des activités professionnelles selon certaines modalités

d'exercice (critères d'orientation), afin de produire des résultats (services, produits), satisfaisant à

certains critères de performance pour un client ou un destinataire ».

« La compétence est un savoir agir reconnu. SAVOIR: des connaissances intellectuelles, des

représentations. AGIR: des capacités à mettre en œuvre. RECONNU: socialisé, validé, inséré dans un

exercice, un lieu » (Le Boterf, 1999).

Une personne peut avoir beaucoup de compétences mais ne pas savoir « agir avec compétences ».

Agir avec compétence, c’est être capable de prendre l’initiative d’une « pratique professionnelle »

pertinente et de la mettre en œuvre avec des combinaisons appropriées de « ressources » (savoirs

techniques, savoirs sur l’environnement professionnel, capacités cognitives, comportements

relationnels…) qui sont investies dans des « pratiques professionnelles » qui doivent être pertinentes

par rapport aux exigences des situations de travail.

Avoir des compétences est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme

compétent. Etre compétent, c’est être capable, en fonction d’une certaine intelligence des situations,

d’établir des liens entre des ressources à combiner et à mobiliser, des pratiques à mettre en œuvre et

des performances à réaliser.

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22 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon cet auteur26, ce qui va devenir essentiel dans le futur, c’est probablement la notion de

« pratiques professionnelles ».

� Se posent alors les questions suivantes : comment les décrire et les développer ? Comment un

organisme de formation professionnelle peut-il les évaluer, les reconnaître et les encourager ?

Comment les transférer ?

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que l’analyse de pratiques et de leurs « observables » deviendront un

objet de travail central dans le traitement de la compétence dans les organisations de demain.

� L’activité professionnelle est difficile à observer ; le mémoire professionnel confère t-il pour

autant un aspect critique de mise à distance d’une pratique immédiate ? Le mémoire est-il un

outil suffisant pour analyser la pratique professionnelle des stagiaires ?

Il estime que les référentiels auront à évoluer : ils devront mettre en évidence les liens devant exister

entre des situations professionnelles à gérer et des ressources à mobiliser.

Pour agir avec compétence, un professionnel doit mobiliser des ressources personnelles mais aussi de

plus en plus un réseau de ressources qui lui sont externes : on pourra de moins en moins être

compétent tout seul.

Le professionnel doit donc savoir et pouvoir chercher des savoirs et des savoir-faire dans des bases de

données ou chez des personnes ressources appartenant à son métier ou positionnées dans d’autres

métiers ou services.

La compétence d’un professionnel dépend aussi de la compétence des autres, de sa capacité à

coopérer avec d’autres.

Mais la compétence ne s’explique pas uniquement grâce au savoir-agir. En effet, pour être compétent

il faut également pouvoir et vouloir agir. La compétence n’est pas un état mais un processus qui

prend en compte une dimension personnelle et organisationnelle. Le contexte et l’organisation du

travail offrent la possibilité d’agir. Le vouloir agir est évidemment à mettre en relation avec la

motivation, mais à deux niveaux : d’une part, celle du salarié, et d’autre part, celle du manager, qui

peut faciliter l’expression des compétences.

26 Le Boterf G., Les 7 commandements pour penser juste, revue Personnel, juin 2006

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23 Le mémoire professionnel en formation continue

Les parcours de professionnalisation vont de plus en plus ressembler à des parcours de navigation

et non seulement en termes de cursus ou de programme collectif :

Guy Le Boterf fait l’hypothèse que les dispositifs qui seront à concevoir favoriseront les parcours

individualisés entre des opportunités de professionnalisation dans lesquelles les apprentissages en

situation de travail prendront une place croissante.

� Le thème du chantier d’application est à l’initiative du stagiaire selon ses circonstances

professionnelles ; se pose également la question de savoir quelles sont les conditions pour que

l’écriture sur sa pratique professionnelle soit un mode de production professionnalisante ?

La diversité des parcours de navigation professionnelle devra remplacer la standardisation des cursus

collectifs. Les programmes auront à céder à la place aux projets personnalisés. Les nouveaux

dispositifs devront articuler de façon cohérente : les cartographies donnant une visibilité sur les

espaces de navigation professionnelle possibles, les offres d’opportunités de professionnalisation

(formation, situations de travail, situations extraprofessionnelles) correspondant aux destinations

visées, les projets individualisés de parcours de professionnalisation.

Titre 2 – La compétence selon Philippe Zarifian

Le modèle de la compétence, référé à un mode de management et de développement des ressources

humaines, se substitue à une logique de métier et de poste de travail inhérente au taylorisme lequel,

selon une sociologie critique, renvoie à un individu dépossédé de sa force de travail puisque le

processus de production est fractionné et que par conséquent l'individu n'a plus la maîtrise du produit

fini.

Dans le modèle de la compétence, tel que défini par Zarifian, le travail redevient l'expression

directe de la compétence possédée et mise en œuvre par le sujet agissant.

Être compétent répond à la question: « que dois-je faire quand on ne me dit pas comment faire? » Le

salarié est détenteur d'une marge de manœuvre - ou de prescription ouverte - que la prescription

taylorienne fermée ne couvre plus.

Ici l'initiative et l'autonomie sont valorisées. L'organisation est ainsi vue comme un « assemblage

souple de sujets pris dans les filets... de leurs initiatives et rôles respectifs».

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24 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Philippe Zarifian 27, ce sont moins les "compétences", au pluriel, qui sont au cœur du modèle de

qualification, que la "compétence" au singulier qu'il s'agit de cerner et de développer.

Il propose une définition intégrant plusieurs dimensions :

• « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations

professionnelles auxquels il est confronté. »

Cette définition porte sur plusieurs aspects, notamment celui de la prise d’initiative qui émane d’un

individu possédant des capacités d’imagination et d’invention. Cet individu est donc capable d’adapter

une réponse face à un évènement.

Cette prise d’initiative a pour action de pouvoir modifier l’existant . Face à cette prise d’initiative,

l’individu prend des responsabilités, car en adaptant la réponse à un évènement, celui-ci va influer sur

les conséquences de cet évènement.

De plus, le comportement d’un individu n’est pas prescriptible, donc nous ne pouvons pas isoler la

situation de l'individu qui l’affronte.

• « La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des

connaissances acquises et les transforment, avec d’autant plus de force que la diversité des

situations augmente. »

Cette seconde approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche

compétence. Elle fait appel à l’intelligence de dimension cognitive, ce qui signifie que pour pouvoir

intervenir face à un évènement, il faut la connaissance du produit. La seconde dimension est de forme

compréhensive, c’est savoir apprécier et comprendre une situation. Les connaissances acquises sont

dépendantes du nombre d’évènements auxquels a été confronté l’individu et de l’expérience qu’auront

apporté ces différents évènements. A noter que face à des événements des plus variés, l’individu sera

plus réactif en termes d’apprentissage.

• « La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes

situations, à partager les enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. »

27 Philippe Zarifian, Objectif compétences pour une nouvelle logique, Paris, Editions Liaisons, 1999

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25 Le mémoire professionnel en formation continue

Cette troisième approche fait appel à la mobilisation de plusieurs acteurs face à un même

évènement. L’évènement n’est plus vu à partir d’un seul individu. Mobiliser les individus face à un

évènement, c’est permettre d’avoir un éventail de compétences (que ne possède pas forcement un seul

individu) afin de mieux répondre à cet évènement.

A partir de cette signification, on voit apparaître le développement de l’organisation du travail

transverse. Néanmoins, les échanges de compétences ne seront effectifs que si les enjeux peuvent être

partagés.

Autre constat de cet auteur: dans le cas de sollicitation des réseaux d’entraide et d’interventions

communes autour des mêmes situations, il sera judicieux d’associer responsabilité personnelle et

coresponsabilité. Par exemple, une équipe de travail saura définir les objectifs dont elle doit

collectivement répondre, et personnaliser les engagements de chacun en relation avec les objectifs.

En conclusion, l’individu est donc un acteur qui s’engage, le sujet humain n’est pas considéré à

l’image d’un ordinateur qui applique, il sélectionne ou choisit la réponse adaptée à la situation et

répond de celle-ci. Il utilise donc une forme d’intelligence des situations qui renvoie aux apports de

la psychologie cognitive. Sa compétence s’appuie sur les connaissances acquises qui pourront être

mobilisées en situation et que la situation modifie. Néanmoins, l’individu seul n’est pas toujours

compétent, il doit être capable de faire appel aux compétences d’autrui.

� Le chantier d’application des stagiaires du Cesi leur permet-il de démontrer leur prise d’initiative,

la transformation de leurs compétences et leur capacité à mobiliser des réseaux d’acteurs ?

- Le rôle de la compétence dans la formation en alternance

Les différentes situations dans le cadre d’une formation mobilisent, comme toute situation, de la

compétence. Au moment des évaluations, les stagiaires ne sont pas appréciés seulement dans leur

capacité à répéter des contenus de connaissances mais ils sont aussi jugés sur leur maîtrise face à des

situations problématiques.

Cette formation en alternance n’a de sens que si un effort est réalisé de part et d’autre. D’un côté la

construction de savoirs de référence, de l’autre la construction de situations-problèmes inspirées de ce

savoir de référence.

Les formules éducatives construites sur l’alternance montrent la relation entre formation des

connaissances et apprentissage de la compétence.

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26 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons retenir les enseignements suivants:

• Il n’existe pas d’insertion réussie dans une situation de formation sans mobilisation par

l’apprenant d’une attitude sociale " engagée ", sans manifestation d’une démarche de

compétence, sans prise en compte de la situation de formation comme d’une véritable

situation à laquelle il faut se confronter, qu’il faut réussir à maîtriser.

• Il n'existe pas de situations de travail véritablement apprenante, s'il n'y a pas de distance

introduite vis-à-vis des pratiques existantes.

• Il n'existe pas non plus de formation professionnelle réussie, sans mise en jeu de vrais savoirs

professionnels de référence.

� La mise en œuvre du chantier d’application par le stagiaire dans son entreprise lui permet-il de

démontrer d’une part son engagement, d’autre part une mise à distance de sa pratique

professionnelle lui permettant de développer un regard critique, et enfin la construction de savoirs

professionnels de référence lui apportant une certaine autonomie dans son travail ?

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27 Le mémoire professionnel en formation continue

Chapitre 2 – L’identité professionnelle

L’identité est devenue en quelques décennies un concept majeur des sciences humaines.

Titre 1 – L’identité selon Claude Dubar

Nous partons du postulat que l’individu se socialise et construit son identité par étapes, dans un

long processus qui va de la naissance à l’âge adulte. La construction identitaire apparaît donc comme

un processus dynamique continuellement en reconstruction, marqué par de nombreux évènements et

formé de plusieurs composantes. «… l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la

naissance : elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie.

L’individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d’autrui, que de ses propres

orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives »28.

Claude DUBAR aborde la notion d’identité socioprofessionnelle comme un type de socialisation

secondaire et de double transaction identitaire

Il y aurait, chez tout individu, une socialisation primaire liée aux premières expériences de la vie qui

ont forgé l’être dans sa configuration profonde et une socialisation secondaire continue, faite de

toutes les expériences de la vie et professionnelles. Quand on dit « faite », cela signifie que l’individu

construit des sens à partir des situations et intègre des éléments de ces expériences sur le plan intérieur

relationnel, affectif et symbolique.

L’identité n’est pas une entité figée appréhendable ; elle est flexible, fluide, jamais où on pense

qu’elle est, et elle se forge selon les circonstances sollicitant de la part de l’individu des parties de lui-

même, laissant dans l’ombre le reste, qui pourra, éventuellement, apparaître dans d’autres

circonstances.

Claude Dubar parle de « double transaction », l’une portant sur la négociation entre la socialisation

primaire et les intentions personnelles présentes et l’autre portant sur les moyens utilisés par l’individu

pour se faire connaître.

28 DUBAR, C. (1991) La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.

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28 Le mémoire professionnel en formation continue

Cet auteur refuse de distinguer l’identité individuelle et l’identité collective. Il propose plutôt de

considérer l’identité professionnelle comme une identité issue de l’articulation de deux

transactions : une transaction subjective interne à l’individu et une transaction objective externe entre

les individus et les institutions.

La première transaction se réfère à l’identité pour soi ; c’est une transaction subjective interne à

l’individu, et la seconde transaction se réfère à l’identité pour autrui , à ce que l’individu peut faire

reconnaître par la société comme appartenance sociale et professionnelle, c’est une transaction externe

entre les individus et les institutions. Là se situe l’identité professionnelle.

La conception de l’identité sociale de DUBAR, qui intègre les deux courants explicatifs de la

construction identitaire, est celle que nous retenons pour notre étude.

Il y a deux univers de construction identitaire : un univers d’idéal et d’indivisible qui se compose de ce

que l’individu a en propre et ce que la société lui donne comme image à atteindre ; et un univers

composé de ce que l’individu donne à voir, résultante de transactions entre le milieu interne et le

contexte.

L’individu se transforme en continu, sa trajectoire identitaire n’est jamais stable et close.

Cependant, des éléments restent fortement ancrés, stabilisés plus fortement, même s’ils se

recomposent : cela serait proche de ce que P.BOURDIEU appelle « habitus ».

L’approche sociologique de DUBAR fait de l’articulation des deux transactions la clé du processus de

construction de l’identité sociale. Ces transactions peuvent avoir lieu tout autant dans les sphères du

travail et de l’emploi que dans celles de la formation , car il s’agit là d’espaces de négociation entre

des demandeurs et des offreurs d’identité, entre des identités antérieures et des identités nouvelles.

De plus cet auteur pose que l’espace de reconnaissance des identités est inséparable des espaces de

légitimation des savoirs et des compétences associés aux identités.

Les situations professionnelles offrent à la personne des points d’ancrage de cette identité, des

éléments de valorisation sociale, de définition de savoirs légitimes, dans un espace de travail.

Claude DUBAR pose le postulat que, chaque individu est confronté à une double exigence et qu’il doit

apprendre à la fois à se faire reconnaître par les autres et à accomplir les meilleures performances

possibles. La socialisation ne peut donc se réduire à une dimension simple et consiste pour l’individu

à gérer cette dualité. Claude DUBAR insiste donc dans son ouvrage, La Socialisation (2000), sur cette

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29 Le mémoire professionnel en formation continue

dualité dans le social. En effet, selon lui, l’identité pour soi et l’identité pour autrui sont « à la fois

inséparables et liées de façon problématique».

L’individu est donc confronté à deux processus : le premier qui concerne l’attribution de l’identité par

les institutions et les personnes en interaction avec l’individu, et le second qui, quant à lui, concerne

l’incorporation de l’identité par les individus eux mêmes.

Le problème qui peut survenir est le fait que ces deux processus ne coïncident pas. Le processus

identitaire est donc un processus complexe qui ne peut s’analyser hors du système d’action dans lequel

l’individu est immergé.

Dans cette perspective, le processus de construction identitaire est fluctuant et dynamique, «un

résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et

structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et

définissent les institutions » (DUBAR., 2000).

Selon Claude Dubar, les identités professionnelles sont donc générées par des pratiques et des

rapports sociaux entre les différents acteurs. Selon lui, les identités professionnelles sont des

manières socialement reconnues pour les individus de s’identifier les uns et les autres dans le champ

du travail et de l’emploi.

Titre 2 – Le processus identitaire professionnel

Pour R. SAINSAULIEU29, l’identité professionnelle se définit comme la « façon dont les différents

groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est

fondée sur des représentations collectives distinctes ». L’identité serait un processus relationnel

d’investissement de soi (investissement dans des relations durables, qui mettent en question la

reconnaissance réciproque des partenaires, s’ancrant dans « l’expérience relationnelle et sociale du

pouvoir ».

Claude DUBAR30 généralise l’analyse de Renaud Sainsaulieu avec la notion d’identité sociale. Il

reconnaît avec lui que l’investissement dans un espace de reconnaissance identitaire dépend

étroitement de la nature des relations de pouvoir dans cet espace et la place qu’y occupe l’individu et

son groupe d’appartenance.

29 Sainsaulieu R. , L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2ème édition 1985 30 Dubar C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998,

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30 Le mémoire professionnel en formation continue

Le cadre théorique proposé par R. SAINSAULIEU privilégie la constitution d’une identité

professionnelle par l’expérience des relations de pouvoir. Or les individus appartiennent à des

espaces identitaires variés au sein desquels ils se considèrent comme suffisamment reconnus et

valorisés : ces champs d’investissement peuvent être le travail, mais aussi hors travail. Il se peut aussi

qu’il n’existe pas pour un individu d’espaces identitaires dans lequel il se sente « reconnu et valorisé ».

Pour Claude DUBAR, l’espace de reconnaissance de l’identité sociale dépend très étroitement de

la reconnaissance ou de la non-reconnaissance des savoirs, des compétences et des images de soi,

noyaux durs des identités par les institutions. La transaction entre d’une part les individus porteurs de

désirs d’identification et de reconnaissance et d’autre part les institutions offrant des statuts, des

catégories et des formes diverses de reconnaissances peut être conflictuelle. Les partenaires de cette

transaction peuvent être multiples : les collègues de travail, la hiérarchie de l’institution, les

représentants syndicaux, l’univers de la formation, l’univers de la famille, etc.

Les individus mettent au point des « stratégies identitaires » pour réduire les possibles désaccords

entre ces deux identités.

Dans un premier temps, le stagiaire se construit sur le plan professionnel de manière individuelle. Son

identité professionnelle individuelle se caractérise alors par son histoire biographique individuelle,

son parcours scolaire et universitaire, et ses objectifs de carrière. Pour atteindre ses objectifs de

carrière, le stagiaire va mettre en place des « stratégies identitaires » considérées comme « le résultat

de l’élaboration individuelle et collective des acteurs » et qui expriment, dans leur mouvance, « des

ajustements opérés, au jour le jour, en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles

suscitent c'est-à-dire des finalités exprimées par les acteurs et des ressources de ceux-ci », (Camilleri

C., 1990)31.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que le stagiaire est un acteur que nous qualifions de «rationnel »

tel que le définit Crozier et Friedberg. L’acteur, lorsqu’il est inscrit au sein d’une organisation est

considéré et décrit comme un individu ayant des objectifs, des buts propres, avec une autonomie

relative, et pouvant mettre en œuvre des stratégies d’acteurs pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.

Nous parlons d’autonomie relative car elle est limitée par les règles inhérentes à l’entreprise ou

l’organisation à laquelle il appartient. L’individu agit certes selon ses propres buts mais tout en

respectant les règles imposées par son organisation. Le stagiaire met donc en place des stratégies pour,

par exemple, corriger la vision qu’il a de lui même mais aussi pour modifier l’image que les autres ont

de lui. Ses stratégies sont des actes individuels et personnels qui dépendent donc de l’individu et de la

situation dans laquelle il se trouve.

31 CAMILLERI C. Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990

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31 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans un second temps concernant l’aspect collectif, des influences subies par l’individu, nous

pouvons considérer que le stagiaire est un individu immergé dans un groupe qui produit des valeurs et

des représentations propres, auxquelles les membres sont tenus d’adhérer s’ils veulent intégrer ce

collectif. Le stagiaire doit par conséquent assimiler et appliquer les valeurs et les représentations pour

envisager une intégration par ses pairs.

La culture professionnelle est également une composante très importante de l’identité

professionnelle du stagiaire. Elle peut se définir comme un ensemble de savoirs, de savoirs faire, de

normes et de règles que partagent les individus issus d'un même groupe professionnel. Cette sensation

de partager les mêmes expériences, les mêmes savoirs mais aussi les mêmes difficultés leur permet de

s'identifier à un groupe mais aussi de se valoriser par le phénomène « d'entre soi ». Renaud

SAINSAULIEU32 emploie l’expression « culture de métier » : « dans le métier, les échanges de

travail conduisent à la possibilité pour chacun d’être reconnu comme différent des autres sans être

pour autant rejeté. Cette culture professionnelle permet à chaque individu de se définir comme

appartenant à un groupe, mais aussi comme un individu à part entière au sein de ce groupe,

c'est-à-dire pouvant se différencier des autres membres du groupe. L’identification à un groupe et

l’imprégnation d’une culture sont des variables qui entrent dans le jeu de la construction de l’identité.

Il nous faut donc analyser cette culture pour comprendre comment l’individu se construit d’un point de

vue identitaire. « Parler de culture en entreprise c’est donc explorer d’abord la question des identités

particulières qui s’y affirment et de l’identité collective qui en résulte » (SAINSAULIEU R., 1988).

Si l’on s’en tient aux approches culturelles et fonctionnelles de la socialisation, on se rend compte

qu’elles mettent toutes l’accent sur une caractéristique fondamentale, qui est le fait que :

La formation des individus constitue une incorporation des manières d’être d’un groupe, de ses

croyances.

� Le mémoire professionnel réalisé par les stagiaires au Cesi peut-il remodeler l’identité d’une

profession ? Permet-il au stagiaire de prendre une nouvelle posture professionnelle ? La mise en

œuvre d’un projet dans son entreprise pour réaliser son mémoire lui permet-il de prendre davantage

confiance en ses capacités et à la transformation de ses compétences ?

Ses différents questionnements nous amènent à poser dans la prochaine partie la problématique et les

hypothèses.

32 SAINSAULIEU R., L’identité au travail, 2ème édition 1985, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques - 1977

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32 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie III : Problématique et hypothèses

Chapitre 1 – La problématique

Afin de valider sa formation qualifiante de niveau 2, les stagiaires sont amenés à conduire un projet

dans leur entreprise qui donne lieu à un mémoire professionnel.

Ici, le mémoire professionnel est l’écriture sur la pratique professionnelle du stagiaire : celle de la mise

en place d’un projet dans son entreprise.

Qu’en est-il de cette notion d’« écriture sur la pratique professionnelle» ? Comment cerner la

pratique ? Peut-on écrire sur un objet quand on n’est pas en extériorité par rapport à lui ?

L’écriture éloigne quelque part de la réalité vécue : selon J. Goody33, « le mot écrit n’est plus

directement lié au « réel », il devient une chose à part, il tend à ne plus être étroitement impliqué dans

l’action, dans l’exercice du pouvoir sur la matière ».

A quoi correspond une compétence « professionnelle » ? Peut-on dissocier la part personnelle de la

part professionnelle ? Que seraient des compétences uniquement professionnelles dans ce champ ?

L’écriture mise en œuvre est voulue comme productrice de pensée pour celui qui écrit sur l’objet dont

il parle, tout en prétendant être communicative puisqu’elle s’adresse à des pairs professionnels dans un

climat de partage d’expériences.

La difficulté réside dans la manière d’appréhender ces effets sans passer par la subjectivité des

stagiaires, car déclarer qu’on est plus efficient au niveau de son travail ne signifie nullement que c’est

le cas.

Notre étude tente de répondre aux questions suivantes : que se passe t-il dans l’élaboration du

mémoire ? Quels processus cognitifs sont à l’œuvre ? Quelle compétences sont mises à contribution et

développées ? Que permet son caractère écrit ? Que révèle ce produit qu’est le mémoire ?

En somme nous cherchons à cerner l’outil de formation qu’est le mémoire professionnel, à identifier

les compétences qu’il permet de développer.

33 GOODY J., La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de minuit, 1979

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33 Le mémoire professionnel en formation continue

Dans ce mémoire, en s’appuyant sur la littérature et les témoignages des acteurs, nous menons une

réflexion déterminant:

En quoi l’écriture d’un mémoire professionnel participe-t-elle au développement des

compétences des stagiaires ?

Chapitre 2 – Les hypothèses

Titre 1 – L’hypothèse 1

L’écriture d’un mémoire permet-elle au stagiaire du Cesi de démontrer la construction de savoirs

professionnels de référence acquis tout au long de la formation lui apportant une certaine autonomie

dans son travail ?

La réalisation d’un mémoire permet-elle au stagiaire une mise à distance de sa pratique professionnelle

contribuant de développer son regard critique ?

La mise en œuvre du projet au sein de l’entreprise permet-elle au stagiaire de démontrer son

engagement et sa prise de responsabilité dans son travail ?

Nous formulerons notre première hypothèse de la manière suivante :

L’écriture du mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus

autonomes, plus critiques et plus responsables dans leur travail.

Le concept de la compétence étant développé en partie II, il est nécessaire de clarifier la notion

d’autonomie :

Selon ZARIFIAN 34, la mise en œuvre de la logique compétence introduit la notion d’autonomie de

décision et d’action qu’elle procure à l’individu et à l’équipe de travail.

Il semble nécessaire de faire la distinction entre le principe d’autonomie (vouloir et pouvoir prendre

des initiatives), le niveau d’autonomie (limite de la compétence de l'individu), et les moyens

d’autonomie (moyens que donne l’entreprise pour exercer l’autonomie) L'autonomie individuelle est

souvent associée à l'autonomie collective.

34 ZARIFIAN P., De la notion de qualification à celle de compétence, les Cahiers Français, Documentation Française n° 333

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34 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour éviter les divergences, il faut établir une régulation des équilibres dans la répartition des activités

et des pouvoirs.

L’évolution des compétences grâce à l'autonomie et inversement fait appel à la mise en œuvre de deux

conditions:

- Un changement profond dans le monde de contrôle du travail . Il n’est pas concevable de

demander à un individu de prendre des initiatives, si on ne lui confère pas ce pouvoir.

- L’assurance des moyens pour que l’autonomie puisse se développer réellement. Elle s’effectuera

au travers de la mise à disposition de moyens techniques, d’accès aux informations et aux réseaux de

relations nécessaires.

Selon Philippe ZARIFIAN, la compétence désigne une « attitude sociale » : c’est une attitude de prise

d'initiative et de responsabilité que l'individu exprime dans l'affrontement réussi aux enjeux et

problèmes qui caractérisent les situations de travail que cet individu prend en charge.

Les deux mots, initiative et responsabilité, mots ayant un sens à la fois différent et complémentaire,

sont essentiels.

Initiative: c'est à eux-mêmes d'initier, de commencer quelque chose, de prendre l'initiative face à une

situation, de créer quelque chose de nouveau dans le monde, que ce soit dans une relation de service

face à un client, ou, dans un atelier, face à une machine qui tombe en panne. Se comporter avec

compétence, c'est juger de la bonne initiative et la prendre de manière réussie.

Responsabilité : c'est assumer les conséquences des initiatives que l'on prend en termes d'effets, par

rapport aux enjeux qui entourent et structurent la situation, qui sont souvent des enjeux de réussite de

l'action (et des enjeux économiques pour l'entreprise qui emploie le salarié), face à un client ou face à

une panne par exemple. Mais la responsabilité possède une signification encore plus large : elle

consiste à assumer la situation elle-même, et se situe souvent en amont, et non seulement en aval, des

initiatives : c'est parce que la personne se sent responsable de la situation qu'elle a en charge, qu'elle

vise à prendre les initiatives pertinentes.

Ce qui caractérise une situation, c'est avant tout les actions d'un sujet humain qui a, face à lui, un

problème à résoudre, une performance à atteindre, un enjeu client à soutenir, la correction d'un

dysfonctionnement à opérer. Certes, ces actions sont engendrées avec l'appui d'outils techniques,

d'accès à de l'information, avec le soutien éventuel d'un réseau de collègues et autour d'un processus

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35 Le mémoire professionnel en formation continue

de production. Mais ce qui fait qu'il y a "situation", c'est l'initiative humaine et les problèmes qu'elle

doit solutionner, autour d'enjeux prédéfinis.

Il s'agit là d'une approche très différente de la définition d'un emploi ou d'un poste de travail. Les

notions de prise d'initiative et de responsabilité sont tout aussi importantes : la compétence du salarié

se condense dans les initiatives qu'il prend et la qualité de ces initiatives, leur caractère "réussi", ce qui

implique que soit associée, à ces initiatives, un critère de succès.

Prendre une initiative, c'est initier par soi-même, commencer quelque chose de nouveau, en

l'occurrence la solution à apporter à un problème et un enjeu qui est au cœur de la situation : réparer

une machine, répondre de manière pertinente à un client, bien soigner un malade qui est souffrant…

A cette prise d'initiative est associée nécessairement une prise de responsabilité : le sujet doit répondre

de la pertinence et du succès des initiatives qu'il prend. Il doit donc aussi avoir le souci des effets qu'il

provoque par ses prises d'initiatives. C'est ce qu'en entreprise, on traduit souvent par l'expression :

"responsabiliser les individus". Mais encore faut-il définir préalablement et évaluer les critères de la

réussite, du succès des initiatives, car c'est en évaluant ce succès, que l'on peut voir si la personne est

compétente ou non, et jusqu'à quel point.

Toujours pour cet auteur, l’attitude de prise d'initiative et de responsabilité, l’intelligence pratique et la

communauté d'action sont les trois composantes de la compétence (au singulier). C'est à partir d'elle

que les compétences (au pluriel) peuvent être cernées, définies et situées, au moins partiellement, dans

un référentiel.

C'est à partir de la maîtrise de ces situations et de leur typage (les situations-type caractérisant tel

groupe professionnel) qu'il est possible d'en induire un référentiel de compétences, composé à la fois

des domaines de compétences mobilisés et des attitudes déployées par les salariés pour affronter les

situations avec succès.

Afin de répondre à cette première hypothèse, nous allons :

Dans un premier temps poser trois questions ouvertes pour identifier quelles sont les compétences les

plus citées spontanément :

- Qu’est-ce que vous a apporté la réalisation de votre mémoire? Quelle est son utilité ?

- Quelles sont les compétences que vous avez acquises à travers la réalisation du mémoire ?

- Rédiger un mémoire a-t-il été formateur pour vous ? Si oui, à quel niveau ?

Dans un second temps nous allons nous appuyer sur des indicateurs liés aux compétences

développées grâce au travail d’écriture du mémoire en posant les questions suivantes :

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36 Le mémoire professionnel en formation continue

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

- d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié?

- d’avoir une vision plus globale sur votre activité ?

- de développer un esprit plus critique ?

- de développer vos capacités de synthèse ?

- de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ?

- L’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ?

- L’écriture vous a-t-elle permis de développer votre professionnalité ?

- Ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ?

Dans un troisième temps nous nous appuierons sur les indicateurs communs aux cahiers des charges

des formations qualifiantes de niveau II au Cesi, et qui s’appuient sur les compétences développées

lors de la réalisation du projet à mettre en œuvre dans l’entreprise, ce dernier étant retranscrit dans le

mémoire.

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

- Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ?

- Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ?

- Vos capacités à planifier un projet ?

- Vos capacités à développer une logique de raisonnement ?

- Vos capacités à mesurer des enjeux ?

- Vos capacités à identifier des finalités ?

- Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ?

- Vos capacités d’analyse ?

- Vos capacités à rechercher des solutions?

- Vos capacités à être force de proposition ?

- Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ?

- Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ?

- Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ?

- Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer?

- Vos capacités à prendre des initiatives?

- Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser

un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ?

- L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ?

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37 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – L’hypothèse 2

Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à mettre en lumière la transformation identitaire

professionnelle chez des stagiaires des formations longues et qualifiante de niveau II au Cesi.

Ces stagiaires s’inscrivent dans une formation professionnelle alternée : ils reçoivent une formation

professionnelle, théorique et pratique.

L’utilisation de l’écriture sur sa pratique à des fins de formation s’inscrit dans ce mouvement de

transformation identitaire où la transaction identitaire se joue entre un soi personnel et un soi

professionnel (identité pour soi, identité pour autrui).

Selon Philippe ZARIFIAN, on peut appréhender la compétence comme un changement profond

d'attitude sociale (de posture) par rapport au travail et aux performances des entreprises.

Dès lors où l’individu entre en formation, il joue sur sa palette identitaire. Il est dans une profession

qui lui renvoie une image et, par des processus d’identification successifs, il va peu à peu devenir à

son tour un professionnel confirmé.

Nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Comment se fait cette construction ? Comment

la place des stagiaires change dans le développement de nouvelles compétences et la transformation de

postures professionnelles ? Quels sont les éléments repérables à l’œuvre ? Quel rôle joue le mémoire

professionnel dans la construction identitaire du stagiaire ? Comment le mémoire conduit à une

restructuration de l’identité pour soi et pour les autres ?

Notre étude cherchera à montrer en quoi la formation que les stagiaires ont reçue au Cesi durant leur

cursus de formation qualifiante (niveau II) a influencé leur changement de posture professionnelle.

Nous formulerons notre seconde hypothèse de la manière suivante :

Le mémoire permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une

nouvelle posture professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de

ses compétences.

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38 Le mémoire professionnel en formation continue

Afin de répondre à cette seconde hypothèse, nous allons nous appuyer sur des indicateurs posés dans

différentes séries de questions :

1ère série de questions :

- Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire?

- Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ?

- Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ?

- Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire ?

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire.

2ème série de questions :

- Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ?

- Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ?

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par

l’employeur du stagiaire.

3ème série de questions :

- Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de

niveau II ? Si oui, quelle est votre évolution ?

- Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre

entreprise ?

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

4ème série de questions :

- Le projet vous a-t-il permis de vous « engager » dans un projet, de prendre des initiatives et des

responsabilités?

- Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ?

- Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ?

- Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement

vous concernant ? => Si oui, expliquez en quoi vous semblez avoir changé: (selon vous ou les

autres)

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39 Le mémoire professionnel en formation continue

- Comment représentez vous votre évolution professionnelle entre le début de la formation et

aujourd’hui ?

Sur le schéma ci-dessous, comment vous positionnez vous en début de formation? (A)

Comment vous positionnez vous en sortie de la formation? (B)

� � � � � � � �

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après

avoir suivi sa formation.

Dernière questions :

- Après avoir appris que vous étiez diplômé, de quoi étiez-vous le plus fier ?

Objectif : Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire.

Arrêter ces deux hypothèses a permis de développer la réflexion à un niveau plus important en

dépassant le sens commun de la question de départ.

Les indicateurs proposés seront utilisés dans les entretiens menés auprès des stagiaires et des tuteurs.

Nous allons présenter dans le chapitre suivant la méthodologie employée pour notre recherche.

Professionnel de la fonction

à…. l’Expert ou Responsable de

la fonction

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40 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie IV - Méthodologie de la recherche

Titre 1 – L’entretien comme outil de recherche

A ce stade de notre réflexion nous devons savoir quelle technique utiliser pour explorer notre

problématique et traduire nos hypothèses de recherche en indicateurs. Parmi les outils régulièrement

utilisés pour mener une telle enquête, nous nous sommes interrogés sur celui qui serait le plus

approprié compte tenu de nos objectifs et de nos contraintes de temps.

Il existe plusieurs outils permettant le recueil de données sur un sujet : l’observation, le questionnaire

et l’entretien. Ils possèdent tous des limites et certains peuvent être plus adaptés que d’autres en

fonction de la problématique posée.

L’observation est un regard posé sur une situation précise, sans modification de celle-ci. Elle

demande une immersion complète dans le contexte ainsi que du temps. Cet outil permet d’observer les

professionnels dans la pratique.

Le questionnaire «est le moyen de communication essentiel entre l’enquêteur et l’enquêté. Il doit

traduire l’objectif de la recherche en question et susciter, chez les sujets interrogés, des réponses

sincères et susceptibles d’être analysées en fonction de l’enquête »35. Le choix de la méthode nous

renvoie à un aspect quantitatif dans le recueil d’informations et permet un traitement statistique.

L’entretien semi-directif . Contrairement aux enquêtes menées à l'aide de questionnaires, les

entretiens « se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et

d'interaction humaine » 36. Un échange s'établit entre le chercheur et la personne interviewée, durant

lequel ce dernier parle de ses ressentis, ses expériences, ses interprétations des situations vécues. Le

chercheur « facilite cette expression, évite qu'elle s'éloigne des objectifs de la recherche et permet à

son vis-à-vis d'accéder à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »37.

L'entretien semi-directif se distingue par le fait qu'il n'est « ni entièrement ouvert, ni canalisé par un

grand nombre de questions précises »38. Les questions, relativement ouvertes, qui ont servi de guide

aux entretiens visent à obtenir un certain nombre d'informations de la part de la personne interviewée.

Cette méthode préconise simplement que le chercheur s'efforce « de recentrer l'entretien sur les

35 Grawitz M. Méthodes Des Sciences Sociales - 10ème Édition, éditeur Dalloz-Sirey, 2001 36 Quivy R. Campenhoud R. Manuel De Recherche En Sciences Sociales - Edition Dunod, 2006 37 ibidem 38 ibidem

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41 Le mémoire professionnel en formation continue

objectifs chaque fois que ... (l'individu interviewé) s'en écarte et de poser les questions auxquelles

l'interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que

possible »39.

Notre choix se portera sur l’entretien semi directif pour obtenir des données qualitatives couplé à

questionnaire pour recueillir les données quantitatives.

Un entretien exploratoire avec une participante a validé la liste des questions-guides, en fonction de

différents critères :

- Intelligibilité : les questions sont-elles compréhensibles ?

- Cohérence : les questions manifestent-elles, dans leurs mises en relation, un rapport

d'harmonie ou d'organisation logique ?

- Pertinence : les questions sont-elles appropriées et judicieuses par rapport aux

objectifs de la recherche et aux informations à recueillir ?

Avec l'accord des personnes concernées, tout en soulignant le caractère confidentiel de la démarche,

les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits dans leur intégralité en vue de leur traitement.

39 ibidem

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42 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – La population cible : les stagiaires et les tuteurs

Le choix s’est porté sur des stagiaires ayant rédigé un mémoire dans le cadre d’un parcours qualifiant.

Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur cursus de formation au Cesi et obtenu leur titre II.

Des tuteurs ont également été interrogés pour compléter et comparer la vision des stagiaires quant à

l’intérêt du mémoire professionnel, comme outil pédagogique utilisé dans le cadre des formations

qualifiantes.

1- Les stagiaires

Les sept personnes contactées sur trois groupes de formation ont accepté de participer à cette

recherche.

- 1er groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en mars 2008 et l’ont terminé en octobre 2009

- 2ème groupe : 3 stagiaires ont commencé leur formation en juin 2008 et l’ont terminé en janvier 2010.

- 3ème groupe : 1 stagiaire a commencé sa formation en novembre 2008 et l’a terminé en octobre 2009 ;

Les entretiens ont été menés entre janvier et mars 2010, soit 2 à 5 mois après la réalisation du

mémoire pour le premier et le troisième groupe de stagiaires, et quelques semaines à 2 mois après

l’avoir terminé pour le second groupe.

L’échantillon retenu est constitué de 7 femmes, ayant entre 31 et 50 ans. La majorité des stagiaires

interrogés préparent un titre de « Responsable des Ressources Humaines », ce qui explique le nombre

important de femmes, car elles sont majoritairement représentées dans ces services en entreprise.

La plupart des stagiaires sont titulaires d’une deuxième année d’enseignement supérieur ou plus

avec 10 à 15 ans d’expérience professionnelle (56 %). D’autres ont un niveau d’étude de niveau III et

sont rentrés dans la formation par un système de dérogation (la VAP40) pour 43% d’entre eux.

Tous ont été séduits par la possibilité d’alternance leur permettant de continuer à exercer leur activité

professionnelle, et par le principe d’une formation professionnalisante.

40 VAP : Validation des Acquis Professionnels

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43 Le mémoire professionnel en formation continue

A la question « quelle logique a motivé votre inscription dans votre formation au Cesi », deux

réponses étaient possibles.

Parmi eux, nombreux sont ceux qui souhaitent valider leur expérience professionnelle par une

qualification de niveau II (Bac +4): 85% des stagiaires interrogés donnent cette première raison

quant à la logique qui a motivé leur inscription dans leur formation.

Ils souhaitent également maintenir et/ou développer leur employabilité en développant leurs

compétences: 70% des stagiaires interrogés donnent cette deuxième raison concernant leur volonté de

s’engager dans une formation.

Ils parlent également de la volonté d’être reconnu professionnellement pour 28% et de donner une

nouvelle impulsion à leur carrière, lancer un nouveau projet professionnel (14%).

Ils viennent en formation pour échanger avec d’autres professionnels, et pour être mieux reconnus

socialement dans leur fonction.

Le mémoire intégré au dispositif de formation qualifiant devient alors un endroit où l’avenir peut

s’anticiper. Les mémoires rédigés prennent appui sur un projet à mettre en œuvre dans l’entreprise. Il

permet à son auteur de conforter sa place dans l’organisation et parfois même d’en changer.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques individuelles de tous les participants des trois

promotions, précisant l’âge, le diplôme, le poste de travail et l’évolution éventuelle.

La moyenne d'âge des personnes interviewées est de 40 ans. Cette moyenne d'âge correspond à celle

des deux groupes dans leur totalité.

85% des stagiaires interrogés n’avaient pas réalisé de mémoire avant de rentrer au Cesi.

E 1 = Entretien 1

Qui Age Groupe Diplôme

avant le CESIPoste de travail Evolution

prévue Sujet de mémoire

E1 50 ans 2 BacAssitante RH

nonAccompagner le changement après un PSE (Plan

Social Economique)

E2 41 ans 1 Bac + 3Assitante mobilité

internationalenon

Le transfert des col laborateurs de l 'autonombile

vers le secteur du nucléaire

E3 31 ans 1 Bac +4Responsable des

Ressources Humainesnon La motivation dans un contexte de crise

E4 41 ans 1 BacResponsable

administratifnon L'audit de conformité

E5 40 ans 1 Bac +2Responsable

administratifoui: RRH* L'épargne salariale

E6 33 ans 2 BacAssitante RH

non L'absentéisme

E7 42 ans 2 Bac +2Responsable gestion

du personnelnon La mise en place d'un projet sénior

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44 Le mémoire professionnel en formation continue

2- Les tuteurs

Des entretiens ont été menés auprès de quatre tuteurs du CESI.

Ils exercent ce rôle de tuteurs depuis 1 à 5 ans. L’un exerce ce rôle au sein du CESI depuis 1 an. Deux

tuteurs ont ce rôle depuis 2 et 2ans ½, et enfin le troisième tuteur depuis 5 ans.

L’échantillon retenu est composé de trois hommes et d’une femme.

Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques des tuteurs interrogés :

Qui Formation "pilotée" par les tuteurs Niveau de la formationAncienneté en tant que

tuteur

E8FFR RH*

Mastère spécialisé RH

Niveau 2

Niveau 11 an

E9Arcadre "Passage Cadre"

Passage agent de maîtrise RATP

Niveau 2

Niveau 32 ans

E11Ingénieur

Arcadre "Passage Cadre"

Niveau 1

Niveau 25 ans

FFR RH : Formation à la fonction de Responsable Ressources Humaines E 8 = Entretien 8

RIF : Responsable en Ingénierie de Formation

Titre 3 – Modalité des entretiens

Les 7 entretiens ont été réalisés auprès des stagiaires sur leur lieu de travail, sauf pour l’un d’entre eux

qui, compte tenu de l’éloignement géographique, a participé à l’entretien par téléphone.

Pour les tuteurs, ils ont été réalisés au CESI

L’intégralité des entretiens qui duraient chacun environ une heure a été enregistrée.

L’entretien téléphonique a été également enregistré. La retranscription de l’ensemble des entretiens

est consultable en annexe 3 et 4 de ce mémoire (annexe 3 pour les entretiens stagiaires et annexe 4

pour les entretiens tuteurs).

Les entretiens se sont déroulés dans le respect de l’éthique notamment en ce qui concerne la

confidentialité ; ce qui a été précisé à chaque début d’interview :

- L’identité des personnes a été préservée ;

- Les enregistrements ont été détruits après leur exploitation ;

- Enfin, les informations retranscrites pour les besoins de l’enquête ont été rendues

anonymes ;

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45 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour établir une relation de confiance, nous avons garanti l’anonymat des réponses et nous avons

cherché à éviter que la situation reste procédurale. Les premières minutes de chaque entretien ont été

consacrées à expliquer l’objet de l’étude.

Cet entretien comporte 3 thèmes :

- Le mémoire professionnel et les effets de l’écriture

- Les effets en termes de compétences

- Les effets en termes d’identité

En fin d’entretien une question a été posée concernant le rôle du tuteur.

Les guides d’entretiens sont consultables en annexe 1 et 2 (annexe 1 pour le guide des stagiaires, et en

annexe 2 pour le guide des tuteurs).

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46 Le mémoire professionnel en formation continue

Partie V : Analyse des données et résultats

Dans cette partie, nous allons analyser les données recueillies en reprenant chaque thème défini dans le

guide d’entretien :

Dans un premier temps nous allons resituer le rôle du mémoire dans son contexte (première

partie du questionnaire) en reprenant les questions et thèmes proposés aux stagiaires : ce qu’est un

mémoire professionnel et la différence avec un stage, pourquoi leur demande-t-on au Cesi de réaliser

un mémoire, quel est son rôle, et l’intérêt accordé à la recherche théorique dans le mémoire.

Nous allons également tenter de mesurer les effets de l’écriture (toujours dans la première partie du

questionnaire) en posant des questions ouvertes telles que : comment avez-vous appréhendé le

mémoire au début de l’écriture ? Si vous avez eu des difficultés, à quel niveau se situaient-elles ?

Ecrire a t-il été aisé pour vous ? Quelles ont été les grandes étapes de la réalisation de votre mémoire ?

Avez-vous apprécié le travail d’écriture ? Qu’est-ce que vous a apporté l’écriture ?

Dans un second temps nous chercherons à valider la première hypothèse : « L’écriture du

mémoire accompagne les transformations de compétences, rendant les stagiaires plus autonomes, plus

critiques et plus responsables dans leur travail » en posant :

d’une part des questions ouvertes pour identifier les compétences les plus citées spontanément,

d’autre part en posant deux série de questions fermées s’appuyant sur :

- les indicateurs liés aux compétences développées grâce au travail d’écriture du mémoire, et

- les indicateurs communs aux cahiers des charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi (cf

page 36 les questions posées).

Dans un troisième temps nous chercherons à valider la deuxième hypothèse : « Le mémoire

permet la transformation de l’identité professionnelle du stagiaire qui prend une nouvelle posture

professionnelle, prend davantage confiance en ses capacités et à la transformation de ses

compétences » en posant cinq séries de questions ayant pour objectifs de:

- Vérifier si le responsable hiérarchique s’est impliqué dans le suivi du stagiaire,

- Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire,

- Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur,

- Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa

formation,

-Vérifier les impacts du mémoire en termes de construction identitaire. (cf page 38-39 les questions

retenues).

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47 Le mémoire professionnel en formation continue

Ce travail nous permettra de mesurer la validité de chacune des hypothèses.

Titre 1– Le rôle du mémoire dans le dispositif de formation et la place de l’écriture

Thème 1 : Qu’est ce que le mémoire professionnel et quelle est la différence avec un rapport de

stage ?

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un double contexte. Ce double contexte est celui de

l'entreprise et celui de l’organisme de formation. L'activité que déploie le stagiaire se partage en une

activité d'apprentissage "théorique" et une activité d'apprentissage "professionnel". Pour un des

stagiaires interrogés « le mémoire professionnel est un document écrit qui va refléter ma capacité à

mettre en pratique au sein d’une entreprise ce que j’ai appris pendant ma formation au Cesi. » (E 3).

Un tuteur précise que « le mémoire professionnel est d’abord un exercice pédagogique qui fait partie

du dispositif dans sa globalité, c’est un lieu de synthèse » (E11).

Le mémoire professionnel s'inscrit dans un projet à réaliser en entreprise. Ce n'est pas un rapport

de stage car il ne se limite pas à rendre compte du travail réalisé durant la mission. Il doit aller au-delà

en prenant appui sur des situations professionnelles et des références théoriques. Le stagiaire doit

être capable de situer sa mission par rapport à d'autres pratiques professionnelles existantes.

Contrairement au rapport de stage, qui lui peut se limiter à considérer l'univers de l'entreprise où s'est

déroulée la mise en situation. « Le mémoire professionnel c’est d’abord une analyse : une

problématique est posée, une réflexion est menée, et donc, on est beaucoup plus sur un travail

individualisé que dans le rapport de stage. Le mémoire est davantage une appropriation d’un

problème que l’on regarde sous plusieurs angles, et c’est le rédacteur du mémoire qui argumente les

choses » (E11).

Le mémoire au Cesi doit avoir un principe d’utilité : il doit résoudre un problèm e dans une

entreprise ou dans une situation (E11). Selon un stagiaire interviewé, c’est l’occasion de « voir si le

candidat a pris de la hauteur suite aux 18 mois de formation, s’il est capable de prendre du recul, s’il

est capable de se poser sur une situation compliquée, sur une problématique, s’il est capable de

trouver des solutions, de mener des actions, de s’engager sur un projet ». (E4).

Le mémoire professionnel permet aussi de prendre de la distance par rapport à sa pratique

quotidienne « un mémoire c’est un travail sur une problématique de l’entreprise, qui permet de

prendre du recul, d’aller au fond des choses, qui prend en compte tous les éléments et qui permet de

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48 Le mémoire professionnel en formation continue

présenter les solutions envisagées » (E4) déclare une stagiaire. « C’est aussi l’occasion de prendre de

la distance par rapport au quotidien, car dans le mémoire professionnel on demande aux stagiaires de

faire une analyse du contexte dans lequel ils se situent. Une démarche qu’ils n’ont pour ainsi dire

quasiment jamais dans leur poste de travail » (E8) annonce un tuteur.

Dans le cadre du mémoire professionnel, le candidat s’engage. « C’est à dire que c’est lui qui est en

première ligne, il est chef de projet. C’est lui qui d’après son analyse, choisit des solutions, les fait

valider et les met en œuvre. Et donc c’est lui qui doit justifier s’il a atteint son objectif ou pas, et s’il

ne l’a pas atteint, comment il a fait pour y remédier. Donc il est vraiment acteur de son projet. Alors

qu’un rapport de stage, c’est plutôt une analyse de l’existant. C’est plus du descriptif, tandis que dans

un mémoire il y a des propositions d’amélioration » (E9).

Le mémoire est un lieu d’expérimentation de tout ce qui a été acquis des différents intervenants,

formateurs ou experts qui interviennent dans la formation. Le mémoire est un lieu de synthèse et

d’entraînement à quelque chose de nouveau qui est à l’initiative du stagiaire (E11).

Le mémoire est un acte de communication sur le projet réalisé sous forme écrite, « c’est la

formalisation d’un projet concret » (E9).

C’est un regard critique qui s’appuie sur une culture générale, sur les thèmes d’actualité dans le

domaine d’expertise du stagiaire dont on attend une connaissance des principaux concepts utilisés,

exigence plus forte pour le rédacteur d’un mémoire que pour celui d’un rapport de stage.

Le mémoire professionnel est un texte qui doit se suffire à lui-même c'est-à-dire qu’il peut être jugé

en dehors de toute "soutenance orale", de tout dialogue avec les tuteurs ou les membres du jury. Le

mémoire professionnel donne lieu au Cesi à une note pour la partie écrite du mémoire. Une seconde

note évalue la prestance orale du stagiaire lors de la soutenance.

« L’intérêt du mémoire, c’est qu’il laisse une trace écrite, il peut se transmettre et être lu par d’autres

personnes » précise une stagiaire (E6). Une autre parle de l’importance de laisser une trace écrite non

seulement pour l’entreprise, mais aussi pour le stagiaire lui-même « je pense qu’on peut éprouver une

grande fierté d’avoir réalisé un document écrit et concret ». (E3).

La soutenance individuelle du mémoire doit permettre de vérifier l’implication du stagiaire dans ce

travail et de mesurer ses capacités d’argumentation. « Le stagiaire est donc amené à justifier sa

démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance » (E9) annonce un tuteur.

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49 Le mémoire professionnel en formation continue

Nous pouvons constater que les écrits livrent en partie le positionnement de ces professionnels par

rapport à leur activité, selon le thème choisi s’il est stratégique ou non pour l’entreprise, et selon le

niveau d’engagement dans le projet mené.

Il permet une analyse de la pratique professionnelle et un approfondissement de la réflexion.

Nous pouvons remarquer que le projet d’écriture pour autrui, c'est-à-dire pour le jury constitué de

professionnels experts, est une activité valorisante. L’écriture peut jouer un rôle important : elle peut

être professionnalisante. Un tuteur interrogé précise « J’ai tendance à dire aux stagiaires « vous

n’écrivez pas pour vous mais vous écrivez pour d’autres qui vont vous lire : vous avez un jury, votre

hiérarchique, ou d’autres qui liront votre mémoire. Sachez-vous faire relire de façon à ce que les gens

vous comprennent ». Donc le mémoire est aussi quelque part un acte de communication » (E11).

La professionnalisation est sans doute une prescription du champ professionnel qu’un dispositif est

chargé de mettre en œuvre, mais c’est aussi une activité conflictuelle et créatrice qu’exerce tout

stagiaire pris entre le projet de son entreprise et le projet de l’organisme de formation.

Les stagiaires doivent donc se mettre dans les conditions réelles de leur action en entreprise. Il s’agit

précisément pour eux de construire et de faire reconnaître leur compétence à partir de leur façon

d’agir sur les projets.

Les écrits contiennent dans la majorité des cas, une partie projective, à la demande des tuteurs.

Les stagiaires apportent des préconisations de mise en œuvre de solutions, puis s’acheminent vers des

perspectives de projets futurs. « J’ai proposé après la rédaction du mémoire une suite sur d’autres

projets d’envergure que l’entreprise a adoptée très favorablement » (E5) souligne une stagiaire.

Thème 2 : Pourquoi met-on en place au Cesi un mémoire professionnel dans les cursus

diplômants ? Quel est son rôle et son utilité ?

Pour les tuteurs, et dans le dispositif enquêté, la mise en place d’un mémoire est un moyen de

rendre compte de l’action professionnelle et du processus d’apprentissage dans une formation

alternée. Selon Goody41 , « on pourrait dire que cela va de soi parce qu’écrire est un moyen de

stockage traditionnel de l’expérience dans les sociétés à écriture ». Le mémoire professionnel fait la

preuve, le jour de la soutenance, que quelque chose s’est effectivement passé. Selon un tuteur

41 Goody J , La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Editions de Minuit, 1979

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50 Le mémoire professionnel en formation continue

interrogé «le mémoire est un élément de preuve, de démonstration de l’acquisition de savoirs, de

méthodes, et de prise de recul sur un sujet ; c’est une expertise que l’on met en exergue ». « C’est

aussi un système d’évaluation qui concourt à la validation de la formation, c’est une manière de

démontrer que le stagiaire a bien acquis le niveau de compétence souhaité. » (E11).

Il est un élément phare pour la délivrance du diplôme. Le mémoire professionnel est un "produit"

essentiel de la formation. Il est prépondérant pour la note finale : c'est par lui qu'émerge la qualité du

postulant à la qualification.

Pour certains tuteurs, le mémoire professionnel « n’est pas une condition suffisante, mais c’est une

condition nécessaire pour évaluer les compétences des stagiaires »(E9).

« Le mémoire est réducteur du projet qui a été réalisé par le stagiaire, car ce dernier est obligé de

faire des choix dans son écrit. C’est donc une lecture partielle du projet qu’a le jury. De même nous

pouvons avoir un mauvais jugement sur le stagiaire qui a rédigé et réalisé le projet, comme par

exemple dans le cas de stagiaires qui sont moins à l’aise à l’écrit, et qui pour autant sont de bons

chefs de projet, d’où l’importance de la soutenance orale qui permet de relativiser le travail écrit. »

(E10).

Le mémoire professionnel est un outil du dispositif de formation. Il doit être soutenu devant un jury,

suivant des procédures bien définies : 20 minutes de présentation, 15 minutes de questions / réponses

et 15 minutes de délibération.

Pour les stagiaires, liés à la validation de la formation entreprise, le mémoire passe pour une

obligation avec laquelle il faut se mettre en règle. Le mémoire est souvent, au premier abord, un

travail qu’ils craignent de ne pas bien maîtriser car ils n’ont jamais été confrontés à ce type d’exercice

au long de leur propre scolarité.

Pour eux c’est également l’occasion de mettre en pratique tout un contenu pédagogique sur un ou

plusieurs thèmes dans le cadre de la formation continue. 71% d’entre eux estiment que le mémoire

permet de mettre en application dans leur entreprise les apprentissages reçus au Cesi. Une stagiaire

témoigne : « j’avais un certain nombre de lacunes et je me suis rendue compte sur la partie juridique

qu’un certain nombre d’éléments n’étaient ni pris en compte par ma direction, ni mis en place dans

mon entreprise. Ca m’a vraiment permis d’avoir une base théorique que j’ai pu mettre en pratique et

de mettre en place des modifications dans mon entreprise » (E4).

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51 Le mémoire professionnel en formation continue

Thème 3 : La démarche de recherche théorique dans le mémoire

Construire la problématique du mémoire consiste à coordonner des concepts issus de travaux

théoriques et d’un questionnement et à les articuler avec les matériaux recueillis. S’attarder à

développer des concepts permet de donner plus d’ampleur à la réflexion.

Un tuteur témoigne : « L’un des objectifs du mémoire, c’est de donner aux stagiaires une ouverture

d’esprit. L’idée est de les mettre dans une dynamique de recherche d’information, ce qui demande un

travail de conceptualisation au minimum. C’est aussi une capacité à argumenter « quelque chose », la

raison pour laquelle ils sont allés rechercher de l’information, le regard qu’ils portent sur cette

information, ce qu’ils ont retenu ou non et pourquoi. Donc il faut dans ce mémoire qu’ils aient une

capacité à démontrer leur ouverture d’esprit, ça fait partie d’une culture générale - c’est aussi une

manière d’avoir un regard critique sur les choses... là, les stagiaires se préparent à avoir un statut

d’ingénieur ou de Cadre, donc ils doivent avoir du recul et être capables d’avoir une analyse

critique » (E11). Une stagiaire reconnaît l’importance de la théorie pour sa pratique : « la théorie est

très importante pour la pratique, et la pratique est très importante pour les échanges que l’on a avec

les intervenants professionnels » (E2).

Même si le temps consacré à réaliser un mémoire est très bref (6mois) et si cette production restera

unique dans la vie professionnelle de beaucoup de stagiaires, cette expérience est une occasion

privilégiée de lectures professionnelles. « Je n’avais pas trop l’habitude… J’ai repris le goût à la

lecture. Ca m’a donné une ouverture d’esprit, plus de recul sur mon projet et plus d’analyse aussi »

affirme une stagiaire… (E1).

Pour certains stagiaires, cette démarche de recherche théorique au travers de lectures d’ouvrages leur

donne davantage envie de lire, « l’envie de se replonger dans la lecture laissée tomber jusqu’à

présent » (E1). Une stagiaire avoue devenir « boulimique » de lectures professionnelles. « Pour moi,

ça a vraiment déclenché quelque chose qui est vraiment très formateur » (E4).

Une occasion aussi de prendre l’habitude d’avoir des lectures professionnelles et de savoir où

trouver les documents dont on peut avoir besoin : connaissance des revues professionnelles, des sites

Internet fournissant des ressources fiables dans sa discipline…

Mais trouver des documents ne suffit pas. Encore faut-il acquérir le réflexe de vérifier leur actualité

(la date de copyright au début d’un ouvrage ou la date de mise à jour d’un site Internet) et leur

fiabilité. C’est particulièrement vrai pour les documents disponibles sur Internet, où on trouve le

meilleur mais aussi le pire.

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52 Le mémoire professionnel en formation continue

Apprendre à utiliser des ressources bibliographiques, c’est aussi éviter de se perdre dans

l’abondance des documents : tous les ouvrages utilisés, et cités dans la bibliographie, n’auront pas

nécessairement été lus dans leur intégralité. Prendre l’habitude de parcourir un ouvrage, de se référer

au sommaire pour se faire une idée de son contenu, de ne lire intégralement que les passages repérés

comme les plus pertinents par rapport à la question qu’on se pose sont des conditions de lectures

professionnelles efficaces, pour écrire son mémoire comme, plus tard, dans l’optique d’une formation

“tout au long de la vie”.

Pour certains tuteurs, certes on fait lire les stagiaires pour leur donner une culture générale sur les

concepts qu’ils apprennent, mais en aucun cas ils ne doivent la réinjecter dans le mémoire car le

mémoire est la retranscription d’un projet réalisé dans l’entreprise: « Le travail collectif que doivent

réaliser les stagiaires donne lieu aussi à un mémoire, mais un mémoire collectif, qui incite davantage

les stagiaires à utiliser des ressources bibliographiques car il s’agit de traiter d’un thème général. Le

projet individuel, c'est-à-dire le mémoire, a un objectif très concret avec des objectifs quantifiables. Le

stagiaire est donc amené à justifier sa démarche par des indicateurs et à prouver ce qu’il avance, et

moins à utiliser des ressources bibliographiques que pour le projet collectif » (E9).

Thème 4 : Les effets de l’écriture

Selon les tuteurs, l’écriture est une expression de la personnalité du stagiaire : « Ecrire au sens

large c’est d’abord se révéler parce que c’est toute la personnalité qui transpire dans un système

d’écriture. Je crois que c’est un des exercices les plus complexes que l’on puisse avoir : c’est bien

d’écrire ; et si les gens n’aiment pas écrire ce n’est pas pour rien… On le voit dans le plan du

mémoire, dans la façon dont c’est écrit, la fluidité de l’écriture etc. Il y a toute une personnalité qui

transpire. » (E11).

L’écriture permet d’avoir un regard distancié, une vision globale. Pour une des personnes

interrogées, c’est une situation paradoxale car « en même temps je suis complètement impliqué dans

mon projet, et en même temps complètement détaché » (E9).

Pour les stagiaires, le mémoire semble au départ un exercice très compliqué (E4).

L’inquiétude est générée par le choix du sujet « qui m’a plus inquiété que la manière dont j’allais

réaliser le mémoire. Le choix du sujet a été long pour moi. » (E5) avoue un stagiaire. Un autre

témoigne également de son expérience : « pour moi l’étape principale était de trouver un sujet.

Ensuite un sujet auquel je croyais, j’avais besoin d’être persuadée que le sujet que j’avais choisi était

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53 Le mémoire professionnel en formation continue

le bon. J’avais besoin de croire que la mise en œuvre des solutions que j’allais proposer apporterait

des améliorations concrètes. J’aurais eu du mal à écrire sur un sujet qui ne m’aurait pas

complètement séduite » (E4).

Le choix de la problématique pour le mémoire est considéré comme un moment capital pour l’entrée

en écriture. C’est le fruit d’une réflexion personnelle qui se construit progressivement, ce qui permet

une appropriation complète du sujet et un réel investissement autant au niveau pratique que

théorique. « Ca s’est bien passé à partir du moment où j’ai trouvé la problématique, et où je suis

parvenue à la resituer dans son contexte. Ensuite faire le plan, apporter les solutions… c’était déjà

plus simple pour moi » (E6).

Les stagiaires s’accordent à dire que le fait d’écrire n’est pas facile au démarrage et qu’il est

« normal » de ne pas savoir avant d’avoir commencé, ce qui sera finalement produit. De même, il est

difficile d’envisager l’écriture comme un moyen d’action qui permet un travail de clarification.

Pour la majorité d’entre eux, deux étapes essentielles peuvent être repérées :

La première est une étape de crise. Certains parlent de déplaisir, de périodes troubles, de feuille

blanche… « Au début on se cherche » (E2), « c’est difficile car on n’a pas l’habitude d’écrire » (E1).

« On ne sait pas comment commencer ! Ce sont les premières étapes les plus dures, donc la crainte

était bien celle de la « feuille blanche » : le vide… » (E7). « Au début je pensais que c’était

insurmontable et il a fallu persévérer » (E6).

La seconde étape est plus gratifiante : « …mais finalement ça permet de se poser, de prendre du

temps, de réfléchir, de lire, de s’imprégner du sujet, de faire et de défaire… je pense que ça m’a

permis d’avoir un autre regard sur mon travail, sur mon projet, sur moi-même aussi » (E4).

Après avoir rendu le mémoire, les stagiaires disent avoir « énormément apprécié l’écriture »

(E5). « C’était très enrichissant, car ça m’a permis de mettre en pratique ce que j’ai appris durant

toute la formation. Le fait d’écrire mon mémoire m’a permis d’être plus à l’aise dans l’écriture car je

me suis aperçue que je pouvais écrire des choses de manière claire, que je pouvais communiquer mon

projet à d’autres personnes ne connaissant pas ce sujet » (E6). « Ca m’a énormément aidé à

synthétiser mes idées » (E3). « Ca m’a permis de travailler plus en profondeur, de développer ma

réflexion, ceci grâce à la relecture » (E2). « Ca permet de se poser car je pense que si je n’avais pas

écrit, je n’aurais pas abouti de la même manière. Ca permet aussi de se structurer » (E4). « Il a fallu

que je passe par différentes phases d’écriture, ce qui représente beaucoup de travail et

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54 Le mémoire professionnel en formation continue

d’investissement personnel. Ca m’a apporté une grande satisfaction au final, mais certainement pas

au moment où j’étais dedans, là on s’en passerait ! » (E7).

Les différentes étapes de la réalisation du mémoire sont les suivantes :

Mieux comprendre l’organisation de l’entreprise et de son contexte pour pouvoir choisir un sujet et

cibler une problématique. Valider son projet dans l’entreprise et le mettre en œuvre. Enfin rédiger

le mémoire et par conséquent construire un plan qui s’avère indispensable pour structurer les idées

et pouvoir rédiger. Il s’agit d’expliquer de manière claire, synthétique et structurée le projet réalisé en

entreprise.

Les difficultés rencontrées sont de différents ordres :

- La difficulté à obtenir des informations de l’entreprise, particulièrement lorsque le projet est

réalisé dans un service différent de celui dans lequel le stagiaire travaille (E2) et (E6).

- Réaliser un projet en entreprise hors temps de travail comme pour cette stagiaire qui a mené

son projet dans un autre service que le sien, hors temps de travail, c'est-à-dire le mercredi (étant à

4/5ème) et en fin de journée à partir de 17h30 (E2).

- Les difficultés à concilier la vie professionnelle, la vie personnelle particulièrement lorsqu’il y

a des enfants, les absences au travail liées aux journées de formation, la mise en œuvre d’un projet

dans l’entreprise, la rédaction du mémoire… (E4).

- La difficulté à synthétiser (E6) « J’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique ».

L’effet du mémoire est associé au temps accordé à l’exercice et à la précipitation pour écrire et

rendre le mémoire dans les délais.

Tous ont consulté les travaux des années précédentes avec des attentes différentes : mieux cerner le

résultat final attendu par le Cesi, pour voir comment le sujet est abordé, comment s’est construit le

mémoire, son plan, sa structure, les articulations entre les différentes parties.

Après avoir positionné la place du mémoire dans le dispositif de formation qualifiant, nous allons

poursuivre notre investigation en répondant à cette autre question : quels sont les effets émergents en

termes de compétences.

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55 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2 – Les effets émergents en termes de compétences

Pour les analyses, nous prendrons en compte les réponses des sept stagiaires interrogés.

Les résultats des traitements des données seront présentés dans des tableaux qui résument les éléments

utiles liés aux problèmes posés. Nous présenterons les résultats plus détaillés que nous avons obtenus

en annexe 5.

1 – Concernant l’écriture du mémoire

A - Les résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "quelles compétences avez-vous acquises à travers la réalisation du mémoire" ? Nbre de

fois cité

Réaliser un travail d'analyse, en profondeur - aller jusqu'au bout des idées 2

Connaître une méthodologie de conduite de projet 1

Synthétiser les idées 1

Prendre du recul face à la réalité - avoir un regard extérieur 3

Améliorer un écrit professionnel 1

Remettre des compétences à jour / développer des compétences métiers 2

Réussir à analyser une problématique 1

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis :

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre % Nbre

d’avoir plus de recul sur votre activité, d’avoir un regard distancié? 7 100% 0 0

de développer votre professionnalité ? 6 85% 0 1 14%

de développer un esprit plus critique 5 71% 0 1 14% 1

de développer vos capacités de synthèse ? 5 71% 1 14% 1 14%

de développer vos capacités à rédiger un écrit professionnel ? 5 71% 1 14% 1 14%

l’écriture a-t-elle eu une valeur d’autoformation pour vous ? 4 57% 1 14% 2 28%

d’avoir une vision plus globale sur votre activité ? 3 42% 2 28% 2 28%

ce travail de réalisation du mémoire vous a-t-il rendu plus autonome ? 1 14% 4 57% 2 28%

Oui Non Partiellement

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56 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Le point de vue des stagiaires :

La prise de recul sur son activité, un regard distancié :

Après avoir rendu leur mémoire ou obtenu leur titre lorsqu’on leur demande « ce que leur a apporté la

réalisation de leur mémoire, quelles sont les compétences qu’ils ont acquises », ils disent pour 100%

d’entre eux qu’ils ont pris du recul sur leur activité, ce qui leur permet de moins agir sous

l’impulsion . « Ce travail m’a permis de prendre du recul sur les actions mises en place lors du projet,

ça oblige à avoir un regard extérieur» (E4).

Le mémoire permet de prendre du recul sur sa pratique professionnelle, oblige à se poser des

questions, à dépasser le stade de l’intuition en aiguisant le regard, et en donnant accès à une

compréhension à postériori grâce à la théorie. « Ca m’a appris à prendre du recul sur ma manière de

fonctionner, et puis de me rendre compte que j’avais des lacunes et des compétences que je

n’utilisais pas… donc il m’a fallu fournir un effort d’introspection pour travailler différemment »

(E4).

Selon Yves CLOT42, Si la compétence est bien ce qui est mobilisé par l’acteur dans la situation de

travail pour faire face à la complexité de son contexte, alors « le travail réel est le milieu naturel des

compétences ». La construction d’une capacité d’analyse des contextes que permet la formation, rend

alors possible une transformation des pratiques professionnelles. L’analyse du travail joue alors

véritablement un rôle dans le développement des compétences.

Décrire la situation, c’est décrire le projet dans son contexte. La mise en évidence des variables du

contexte du projet constitue un des autres indicateurs de la capacité d’analyse de la situation par

les professionnels. Selon Clifford GEERTZ43 « les textes sont habités par une pratique singulière

quand ils engagent dans une description dense, pas uniquement factuelle mais introduisant des

éléments contextuels ».

Pour une stagiaire interrogée, « ce qui est formateur c’est d’avoir une nouvelle approche par rapport à

un sujet, ne pas forcément aller droit au but mais prendre davantage de recul. Il s’agit de mieux

analyser le contexte d’un sujet, d’aller voir ce qui se passe sur le marché … tout cela nécessite

plusieurs recherches, et je m’aperçois qu’elles sont vraiment nécessaires» (E7).

42 CLOT Y., La formation par l’analyse du travail : pour une troisième voie, in B. Maggi (Dir), Paris, PUF, 2000 43 GEERTZ C. La description dense, Vers une théorie interprétative de la culture, Enquête n°6 ; 1998

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57 Le mémoire professionnel en formation continue

C’est également une prise de recul face à la réalité de l’entreprise et des possibilités d’actions

éventuelles : « J’ai pris du recul face à ces réalités très concrètes de l’entreprise. Je me suis rendue

compte que je ne pouvais pas toujours appliquer la théorie à l’entreprise souvent freinée pour des

raisons économiques ou humaines. J’avais fait des préconisations qui ne pourront pas être mises en

place »(E3).

Et au-delà de la régulation du projet, se présentent les évolutions, les évènements imprévus, les

changements : « la réalité du terrain m’obligeait à modifier certaines choses ; il y en a certaines que

j’avais envie de faire mais qu’il n’était pas possible de réaliser au sein de l’entreprise » (E2).

Après ce travail de mise de distance il s’agit de clarifier les objectifs du projet dans son contexte.

L’écriture permet à l’auteur de se mettre à distance des situations qu’il vit. La mise en mots,

lorsqu’elle s’accompagne d’une réflexion sur le rapport au travail, est formative (mise en forme, mise

à distance). Elle permet l’émergence du sens et des réajustements, dans un processus qui aide à

comprendre la réalité complexe du travail. Il s’agit d’une forme de retour réflexif sur le travail pour

comprendre comment les choses apparaissent avant d’exposer trop vite des préconisations.

Selon G. FATH, le processus conduit à « dire avant d’analyser et confère à la description un rôle

décisif dans la construction d’une posture réflexive ».44 Les consignes d’écriture suscitent la

description du contexte du travail qui excède les contours du projet à mettre en œuvre et permet de le

comprendre, de le cerner. Ce qui se voit le moins, ce qui se dit ou s’écrit le moins facilement constitue

une partie essentielle du travail, ce sans quoi on ne peut continuer, évoluer, ce sans quoi le travail perd

son sens.

Nous soulignerons la place de la réflexion reconnue par les uns et par les autres comme liée au

dispositif d’écriture : la réflexion permet de définir le contexte de l’étude du projet ; la réflexion

permet également d’innover, et d’apporter une amélioration au sein de l’entreprise.

Le développement de la professionnalité :

85% des stagiaires considèrent que l’écriture leur a permis de développer leur professionnalité.

« J’ai le sentiment d’avoir développé ma professionnalité dans le sens où il y a un travail de réflexion

et de recherche… c’est très formateur, et lorsque j’allais vers mes collègues j’avais la sensation d’en

savoir plus que certains, j’étais contente ! je me positionnais comme quelqu’un d’expert dans le 44 FATH G. Dire authentiquement avant d’analyser, Cahiers pédagogiques n°346,57- 1996

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58 Le mémoire professionnel en formation continue

domaine : j’avais l’impression d’avoir les connaissances pour parler de certaines choses… oui ça m’a

aidé, c’est très appréciable car ça m’a rendue plus forte» (E2). « Ecrire un mémoire a été formateur

pour ma culture personnelle et pour me remettre à jour » affirme une autre stagiaire (E5).

Un tuteur précise que l’écriture permet de développer la professionnalité « davantage par la démarche

méthodologique de l’analyse de la situation que par le traitement direct du problème. Ce qu’on

demander aux stagiaires en entreprise, c’est de traduire dans d’autres situations ce qu’ils ont appris »

(E11).

Le développement d’un esprit plus critique :

La distanciation critique se lit dans l’aptitude à se poser des questions, à chercher des réponses dans

les textes, les magazines professionnels et les outils construits pour la recherche (questionnaires,

entretiens, benchmarking). 71% des stagiaires estiment avoir développé leur esprit critique. Une

stagiaire nous indique « j’ai développé un esprit critique sur ce que je vois, sur ma manière de

travailler au quotidien, sur l’entreprise, sur les autres, sur les procédures, sur beaucoup de choses… »

(E4). Une autre estime qu’elle a développé un sens critique sur la manière de conduire les projets : elle

s’est aperçue que d’autres projets menés par l’entreprise n’étaient pas gérés de la même façon que

celui dont elle avait la responsabilité. « Aujourd’hui j’ai une autre manière de voir les choses et j’ai un

regard plus critique sur ce qui est fait dans l’entreprise » (E2).

Pour un tuteur interrogé « développer un esprit plus critique est une exigence du mémoire. On doit

trouver dans l’écrit les hypothèses, les critiques et l’apport personnel du stagiaire sur le sujet, ses

observations. Il s’agit vraiment de développer l’esprit critique ; la formation doit aussi le permettre à

travers tout ce que l’on fait en communication, en management, en gestion des conflits… Donc dans le

mémoire on doit retrouver l’acquisition de cette capacité critique » (E11).

Le développement de l’esprit de synthèse :

A la question : «le mémoire vous a-t-il permis de développer vos capacités de synthèses ? » 71% des

stagiaires répondent favorablement. Globalement les stagiaires ont du mal à synthétiser leurs idées.

Une d’entre elles répond : « oui, j’avais plein d’idées, la difficulté était ensuite de pouvoir les

retranscrire dans un mémoire, de façon synthétique pour qu’une personne extérieure ne connaissant

ni l’entreprise ni la problématique, puisse comprendre rapidement où je voulais en venir et pourquoi

j’avais choisi ce sujet » (E6).

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59 Le mémoire professionnel en formation continue

Une autre répond : « c’est toujours un peu difficile ! Comme je suis un peu boulimique j’ai souvent

envie de modifier les choses, et synthétiser reste encore pour moi difficile » (E4).

Mais il est intéressant d’observer que pour cette même question la réponse peut être tout autre : « Non

pour moi qui suis plutôt synthétique naturellement c’est plutôt l’inverse car le mémoire nécessite un

certain développement et beaucoup de recherches » (E7).

C'est-à-dire que le mémoire permet aussi bien de développer l’esprit de synthèse que de réaliser un

travail d’analyse, un travail en profondeur, et de permettre au stagiaire d’aller jusqu’au bout de ses

idées

La réalisation d’un travail d’analyse, d’un travail en profondeur :

Tous les stagiaires s’accordent à dire que la réalisation du mémoire leur a permis de faire un travail

d’analyse qu’ils ont peu l’occasion de faire dans leur travail au quotidien, et un travail en profondeur.

Spontanément une stagiaire répond à la question « que vous a apporté la réalisation de votre

mémoire ? » : « Ca m’a apporté tellement de choses - le travail en profondeur, le travail d’équipe et

le travail d’analyse aussi. Un gros travail d’analyse, qui fait peur d’ailleurs parce qu’on se dit qu’on

n’aura pas assez de temps, et en fait on s’aperçoit avec le recul que ce travail est nécessaire. Sans ce

travail là, pour ma part je n’aurais pas pu faire la suite… ». Plus tard elle annonce « écrire m’a

appris beaucoup de choses : travailler en profondeur, développer ma réflexion car on se lit, relit, on

s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait ça, on se rend compte de ses erreurs… » (E2).

Une autre précise « je pense que si je n’avais pas eu à faire le mémoire j’aurais sans doute fait

directement des préconisations en proposant directement 1 ou 2 solutions, sans forcément bien tout

analyser ; ce travail se fait sur plusieurs mois, donc on a le temps de réfléchir, de se poser les bonnes

questions » (E3). Une dernière avoue « je réalise que par l’écriture il y a des étapes d’analyse

incontournables et je regarderai de manière un peu différente les sujets nouveaux à traiter

maintenant » (E7).

Développement des capacités à rédiger un écrit professionnel :

Le mémoire est un véritable travail de réflexion et de communication qui nécessite la mise en œuvre

de la construction de son propre discours écrit, puis du discours oral après coup (soutenance).

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60 Le mémoire professionnel en formation continue

Les stagiaires gagnent en habileté dans les communications écrites : 71% d’entre eux estiment que

l’écriture leur a permis de développer leurs capacités à rédiger un écrit professionnel.

Ecrire est une compétence indispensable dans une fonction de cadre du fait de nombreux écrits

qu’ils ont à rédiger ou de notes de synthèse à fournir. Les tuteurs insistent sur l’orthographe, le

vocabulaire et une syntaxe adaptée à la clarté visée. « Une des vertus du mémoire, pris comme un acte

de communication, c’est de savoir synthétiser, de savoir positionner son projet de manière très

voyante, il faut qu’il ressorte… donc il y a un travail de hiérarchisation, et c’est ce qu’on demande à

un cadre » (E9) précise un tuteur.

Les tuteurs sont attentifs aux règles de présentation et à l’importance des transitions, des liens

(synthèses, liaisons entre parties) qui permettent de souligner la logique du raisonnement. « il y a toute

la technique de l’écriture : une écriture fluide, structurée et accessible » (E11).

Apparaissent aussi des critères de logiques de travail : logique de raisonnement et logique de plan.

La logique de raisonnement valide la cohérence du cheminement du stagiaire dans sa démarche. Elle

situe la problématique et apprécie comment elle va générer l’ouverture d’un champ d’investigation

(lectures, actions) qui étayera une partie d’analyse, qui conduira à une partie de retombées avec

enrichissements théoriques et pratiques. « Je dirais que la méthode est aussi importante que le

contenu. A la limite le contenu n’est pas aussi fondamental dans le mémoire, mais c’est plutôt la

manière dont on va aborder les situations, car le contenu n’est pas personnel, alors que la démarche

l’est » (E11).

De même, planifier la tâche d’écriture, gérer le temps des activités requises pour le mémoire exige

des compétences d’anticipation. Rédiger correctement, est également une compétence constitutive

de la professionnalité.

La valeur d’auto-formation de l’écriture :

57% des stagiaires interrogés estiment que l’écriture a une valeur d’autoformation pour eux : les

recherches personnelles, la consultation de revues qui n’appartiennent pas toujours à leur culture

permettent de faire des propositions constructives de préconisations et de mise en œuvre de solutions.

Une stagiaire précise que ce travail d’écriture « demande de la réflexion, de la recherche, des

lectures… et par les lectures on apprend. Et comme j’avais tout à apprendre … j’ai tout appris ! »

(E2).

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61 Le mémoire professionnel en formation continue

42% des stagiaires estiment que l’écriture a partiellement une valeur d’autoformation voire même pas

du tout. « Le mémoire m’a permis de m’auto former, mais je le faisais déjà auparavant. Ce n’est donc

pas l’écriture du mémoire à proprement parler qui a eu une valeur d’autoformation » précise une

stagiaire (E4) ou bien « Non parce que j’écris beaucoup par nécessité dans mon travail; donc le

mémoire n’a rien ajouté » (E5).

Il est intéressant de rapprocher ces résultats de l’idée qu’expriment spontanément les stagiaires

annonçant que le mémoire leur a permis de « remettre à jour des compétences ou de développer des

compétences métiers ». Paradoxalement ces compétences remises à jour ou développées l’ont bien été

grâce à leur autoformation. Nous développerons cet aspect dans un prochain thème.

Quant aux tuteurs interrogés, 100% d’entre eux affirment que le travail de réalisation du mémoire rend

les stagiaires plus autonomes : « forcément car à un moment donné on est tout seul devant sa page

blanche » (E9) affirme un premier. « C’est très formateur car lorsque le stagiaire rédige son mémoire,

qu’il est tout seul devant sa page, il sent bien ses limites : les limites à communiquer sur la forme, et les

limites du projet qu’il a réalisé à travers ses erreurs ou ses succès. Le stagiaire se met en observation

de lui-même » assure un second (E10). Le troisième rajoute : « il y a forcément une autoformation à

travers les lectures, le benschmarking qu’on leur demande de réaliser, les différents interlocuteurs

qu’ils vont rencontrer dans le cadre de leur étude ». Et enfin le dernier précise que « le mémoire permet

de mesurer l’auto apprentissage… je crois que le mémoire aide aussi à faire ce que l’on n’a pas pu

faire en formation. Je dis régulièrement aux stagiaires « essayez d’ajouter quelque chose en plus de la

formation ; ce qui n’est pas dans la formation vous allez le retrouver dans le mémoire, c’est une

manière de faire de la recherche et de s’auto-former » » (E11).

Une vision plus globale sur son activité :

Majoritairement les stagiaires ne pensent pas que le mémoire leur ait permis d’avoir une vision

plus globale dans leur activité (56% répondent non et partiellement) car ils estiment déjà l’avoir.

Ceci est lié au fait qu’une majorité des stagiaires interrogés travaillent dans de petites structures (50%

d’entre eux travaillent dans des entreprises inférieures à 51 salariés – cf annexes 5), qu’ils ont déjà

pour certains d’entre eux la connaissance globale des difficultés rencontrées dans leurs entreprises et le

contexte dans lequel leur structure évolue. « Dans mon cas, comme on est une petite structure (10

personnes), cette vision globale je l’avais déjà, donc le mémoire ne m’a pas apporté cela » (E4) ou

bien « non pas forcément, ma fonction est déjà généraliste donc par définition déjà globale.» (E7).

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62 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour autant les stagiaires appartenant à de plus grande structures reconnaissent avoir une meilleure

connaissance du contexte de l’entreprise et donc de leur activité : « j’ai analysé plusieurs indicateurs

sociaux dans l’entreprise et j’ai découvert par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, la répartition

hommes-femmes, l’absentéisme, la maladie, … que je ne voyais pas dans mon activité au quotidien.

Donc ce travail m’a permis d’avoir une vision plus globale de mon entreprise et de son climat social

en général » (E3).

Le développement de l’autonomie :

57% des stagiaires interrogés ne pensent pas que le mémoire en lui-même a permis de développer leur

autonomie. Là également, les stagiaires annoncent qu’ils travaillent aujourd’hui déjà de manière

très autonome, ce qui est une caractéristique du travail d’un Cadre d’une part, et du travail réalisé

dans les petites et moyennes entreprises d’autre part.

A la question posée « ce travail de réalisation de mémoire vous a-t-il rendu plus autonome », un

stagiaire répond « non, car je l’étais déjà auparavant. J’ai réalisé également mon projet au sein de

ma société de façon autonome » (E3). Une autre rajoute : « plus autonome je ne sais pas, car je suis

très autonome déjà. Par rapport au contexte de l’entreprise je n’ai pas été aidée en interne sur ce

mémoire, ni sur la rédaction, ni sur le sujet, ni sur quoique ce soit. Non, ça m’a permis d’être plus

mature face à un problème, face à moi-même… mais plus autonome, je n’ai pas ce sentiment » (E4).

Au contraire une stagiaire (la seule qui estime que ce travail l’a rendue plus autonome répond

favorablement à la question : « effectivement j’ai pu faire mon analyse toute seule, élaborer des

tableaux inexistants jusqu’à présent. J’ai géré de A à Z la problématique que j’ai choisie sans avoir

été aidée ». Dans ce cas là précisément, la stagiaire affirme que la réalisation de son projet (et de son

mémoire) lui ont permis de prendre de nouvelles responsabilités, une nouvelle posture professionnelle,

ce qui lui a permis de démontrer à son employeur ses compétences et sa capacité à travailler en toute

autonomie (E6).

Une dernière s’interroge : « est ce que c’est vraiment l’écrit qui rend plus autonome ? Moi je me suis

retrouvée avec une équipe, mais seule quand même. On m’a fait comprendre qu’il fallait que je me

débrouille, donc je me sens autonome car j’ai réussi à réaliser des choses avec très peu d’aide. L’écrit

à certainement contribué mais j’ai été contrainte de travailler en toute autonomie, je n’avais pas le

choix » (E2).

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63 Le mémoire professionnel en formation continue

L’apprentissage d’une méthodologie de projet :

Réaliser un projet par une production écrite en alliant réflexion et technique d’expression est

bénéfique. C’est un fil directeur dans la démarche du projet, pratique essentielle d’une dynamique

professionnelle. « C’est toute une méthodologie de conduite de projet que je ne connaissais pas, Ca

m’a appris à piloter un projet de A à Z, et ça c’était vraiment formateur» (E2).

Nous aborderons ce point de manière plus précise dans la partie suivante traitant les compétences

acquises par les stagiaires dans la cadre de la réalisation d’un projet.

Le point de vue des tuteurs : L’analyse des écrits et des propos tenus par les stagiaires ne peut donner accès à des situations

observables à l’occasion desquelles seraient vérifiées, mesurées les compétences mises en œuvre et

leur évolution. Mais elle permet d’appréhender quelles sont les évolutions de l’individu à l’origine du

propos, et celle de ses pratiques.

Parfois à l’issue de la formation, les stagiaires savent qu’ils seront promus par leur entreprise. Cette

formation accompagne le changement de statut, et écrire est une entrée dans la profession. C’est le

cas particulièrement dans le dispositif « Arcadre » qui permet le passage Cadres aux collaborateurs

envoyés par leur entreprise au Cesi. Ecrire est initiatique, c’est l’examen de passage mais l’écriture du

mémoire, justement quand il s’agit vraiment de changer de peau, se fait dans la douleur. En effet,

prendre du recul sur sa pratique n’est pas aisé, ni prendre la responsabilité de mener à bien un projet

complexe dans son entreprise.

Certains tuteurs insistent sur le passage par une étude théorique des concepts qui traversent la

démarche. Ils y voient un gain de professionnalité, car le professionnel étaye son argumentation

d’analyses représentant l’effort de théorisation. Il confronte les descriptions et expériences à la théorie

trouvée sur le sujet.

« On le voit particulièrement lors des soutenances devant le jury de professionnels. A ce moment très

particulier, on voit le stagiaire démontrer de manière très professionnelle à ses pairs, un projet qu’il a

mis en œuvre dans son entreprise durant 6 mois, bien que le projet dure souvent plus longtemps car

après la soutenance d’examen il se poursuit. A ce moment précis, le stagiaire doit faire la preuve qu’il

a atteint le niveau attendu par le CESI en s’engageant dans une formation de niveau II : il doit se

montrer expert dans son domaine, capable de mener des projets stratégiques dans son entreprise.

C’est bien cela qu’évalue le jury composé de professionnels d’entreprise » (E8).

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64 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire est une analyse des tâches entreprises, dont l’écriture, lorsqu’elle s’avère malaisée, donne

un temps de réflexion appréciable, car c’est un frein à la précipitation. C’est une régulation d’une

certaine manière. Un tuteur affirme « il y a même une phrase qu’un de nos clients avait reprise qui

était de dire : « faire et regarder faire », c'est-à-dire qu’il faut que la personne sache se déconnecter

de ce qu’elle fait de façon à analyser ses pratiques, sa situation pour pouvoir s’améliorer » (E11).

Au travers de la structure argumentative du texte produit, on peut identifier une démarche de

professionnalisation. « On va chercher à évaluer une capacité à argumenter, à synthétiser un tas

d’informations, à faire des choix, à s’affirmer, à gérer des contraires. On retrouve ainsi le stagiaire

dans sa personnalité » (E11) déclare un tuteur. « Le Cesi cherche à évaluer la capacité d’un futur

cadre d’entreprise - à être capable de convaincre de la pertinence de la méthode employée » (E8)

affirme un second.

Pour les tuteurs, le mémoire doit permettre aux stagiaires de démontrer la pertinence de leur analyse et

de la méthode utilisée pour mener à bien leur projet. Ce travail sera également présenté auprès d’un

jury de professionnels à qui il faudra démontrer cette logique et la pertinence du travail réalisé. Savoir

présenter un projet, le défendre, l’argumenter fait partie d’une fonction d’un Cadre en entreprise.

Il est intéressant de noter que pour l’ensemble des stagiaires au contraire, le projet réalisé en entreprise

n’est pas le lieu pour démontrer ses capacités à argumenter, à négocier, à convaincre. Les stagiaires

disent ne pas avoir à démontrer leur capacité à convaincre, négocier et argumenter car ces

compétences leur sont déjà reconnues. D’autres précisent que le sujet choisi étant stratégique pour

l’entreprise (85% l’affirment) il fallait de toute façon le traiter. « Le mémoire m’a apporté beaucoup

de choses personnellement, mais par rapport à mon entreprise je n’avais pas à faire mes preuves, car

je les avais déjà faites » signale une stagiaire (E3). « J’avais traité la finalité du projet avant de

rédiger le mémoire. Donc l’entreprise savait déjà où elle voulait en venir. J’ai pu apporter une

réflexion sur le projet plutôt que de vouloir à tout prix imposer une idée ou ma volonté. La décision

finale ne m’appartenait pas » précise une autre (E5). « Argumenter et négocier, pas trop car on

n’avait pas le choix, il fallait le faire » (E7) déclare une troisième.

Certains tuteurs pensent qu’écrire un mémoire est un travail de style qui ne démontre pas

complètement les compétences des stagiaires. Il est à noter que pour la plupart des stagiaires, ce

n’est pas la théorie qui prime, les références bibliographiques ont plutôt tendance à leur faire défaut.

C’est dans leur pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur laissent pas le choix, qu’ils

mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

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65 Le mémoire professionnel en formation continue

L’important est donc qu’il y ait effectivement changement aux yeux des stagiaires eux-mêmes, dans

leurs pratiques professionnelles. En ce sens, il y a bien eu « formation », et il a bien fallu une action

longue sur 18 mois45 accompagnée par une pratique d’écriture pour obtenir ce résultat que ne

suffisent pas à obtenir les stages de formation traditionnels.

Pour autant se pose la question de savoir quelle est la part respective de l’action elle-même et de

l’écriture d’un mémoire dans cette acquisition de compétences nouvelles et dans cette

transformation . Si la mise en œuvre du projet peut avoir lieu sans l’écriture, inversement l’écriture

sur la conduite du projet ne peut avoir lieu en l’absence d’activité, même supposée. Or l’activité

professionnelle même si elle est « innovante » aux yeux des acteurs est par nature, le lieu d’acquisition

et de mise en œuvre des compétences nouvelles.

Toujours est-il que l’écriture joue, dans un moment de prise de conscience, un rôle de révélateur, un

rôle de transformateur. Ne plus voir les choses de la même manière, c’est aussi se positionner

autrement et se voir autrement.

Outil privilégié de la réflexion, le mémoire est aussi un instrument privilégié de la réflexivité, où la

réflexion porte sur soi même : « le travail d’écriture pour le mémoire nous a permis de voir nos points

forts et nos points faibles : nous avons traversé des difficultés différentes (l’écriture, la présentation

orale de notre projet, la faculté à synthétiser…) pour arriver à un même niveau final ».

L’écriture sur sa pratique « professionnelle » apparaît comme un lieu d’exercice de « la » compétence

professionnelle. Selon BOURDONCLE46 « une activité devient profession lorsque ses savoirs et ses

croyances sont « professés », c'est-à-dire transmis par déclaration publique et explicite, selon le

premier sens du mot (profession de foi). Un savoir et des croyances énoncés puis écrits, cela implique

inéluctablement un processus de rationalisation ». A rapprocher de se que dit BARBIER47 « c’est la

mentalisation et la formalisation des processus de travail par une activité proche de la recherche qui

permet de faire de l’acte de travail et de façon conjointe un acte de formation » ; à quoi répond

BARRE-DE-MIGNIAC48 « la spécificité du langage écrit est de créer et gérer de la distance ».

Le groupe joue également un rôle d’autant plus intéressant qu’il est hétérogène du point de vue des

expériences des stagiaires. L’écoute est un exercice qui permet d’apprendre en prenant la place de

l’autre mais également en respectant l’autre.

45 18 mois : le parcours pédagogique + le parcours qualifiant, ce dernier dure 6 mois. 46 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991 47 BARBIER J-M. L’analyse des pratiques : questions conceptuelles in C.Blanchard-Laville et D.Fablet l’analyse des pratiques professionnelles, 2000 48 BARRE DE MINIAC C. Vers une didactique de l’écriture, Paris, Editions De Boeck 1996

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66 Le mémoire professionnel en formation continue

2 – Concernant le projet réalisé pour le mémoire

Plusieurs questions ont été posées reprenant les principaux indicateurs communs aux cahiers des

charges des formations qualifiantes de niveau II au Cesi pour connaître les compétences développées

par les stagiaires mettant en œuvre leur projet d’application en entreprise.

Il était intéressant d’avoir une idée sur ces indicateurs car le mémoire est une retranscription d’un

projet réalisé, d’une réflexion menée sur une problématique rencontrée.

Néanmoins, nous cherchons à identifier les compétences acquises grâce au travail de rédaction du

mémoire, plus que de celles développées dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dans

l’entreprise.

Pour ces raisons nous présenterons de manière synthétisée les résultats dans le tableau suivant, sans

trop les développer.

A – Les résultats :

En gris : indicateurs non validés

Non requis

Nbre % Nbre % Nbre %

Vos capacités à mesurer des enjeux ? 7 100%

Vos capacités à prendre en compte toutes les dimensions d'un projet ? 7 100%

Vos capacités à rechercher des solutions? 7 100%

Vos capacités à conduire un projet, à adopter une démarche projet ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à développer une logique de raisonnement ? 6 85% 1 14%

Vos capacités d’analyse ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à être force de proposition ? 6 85% 1 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis d’être plus expert dans le domaine que vous avez choisi ? 6 85% 1 14%

Vos capacités à présenter, à argumenter, à négocier, à convaincre ? 1 14% 6 85%

Vos capacités à identifier des finalités ? 5 71% 2 28%

Vos capacités à mobiliser dans un contexte un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser un projet, coopérer avec d’autres professionnels, à développer un « réseau de Ressources » ?5 71% 1 14% 14%

L’écriture du mémoire vous a-t-elle permis de mettre en œuvre des connaissances acquises au Cesi ? 5 71% 1 14% 1 14%

Vos capacités à mettre en œuvre une méthode de travail structurée, une capacité de rigueur ? 4 57% 3 42%

Vos capacités à planifier un projet ? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à prendre des initiatives? 4 57% 2 28% 1 14%

Vos capacités à impliquer, impulser, fédérer ? 2 28% 4 57% 1

Vos capacités à mener plusieurs missions ou projets ? 3 42% 2 28% 2 28%

Vos capacités à travailler en équipe, à vous affirmer? 2 28% 3 42% 1 14% 1

Partiel .

Le projet réalisé pour votre mémoire vous a-t-il permis de démontrer:

Oui Non

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67 Le mémoire professionnel en formation continue

B – L’analyse :

Nous constatons que la réalisation du projet d’application leur a permis de mettre en œuvre une

méthodologie de projet, et de pouvoir démontrer différentes capacités :

- La capacité à adopter une démarche projet, à mesurer les enjeux, à identifier les finalités, à

prendre en compte toutes les dimensions du projet, à rechercher des solutions, à être force de

proposition : « je n’avais pas mené de projet d’une telle envergure auparavant, c’est une

démarche que je n’avais jamais eue - je n’avais pas forcément bien mesuré les enjeux avant de

réaliser mon mémoire – quand on est au travail, on focalise sur une idée et on ne pense pas

forcément à toutes les dimensions du projet, ni à ses limites - dans mon mémoire j’ai étudié toutes les

solutions qui pouvaient exister. Ensuite toutes les solutions ne pourront pas être mises en

application, mais ça m’a permis d’examiner tout ce qu’il était possible de mettre en place » (E3)

annonce une stagiaire. « L’étude que j’ai menée m’a permis de constater que je pouvais être force de

proposition auprès de ma hiérarchie » (E1) précise une autre.

- La capacité à développer le pouvoir d’analyse, une logique de raisonnement, la possibilité de

mettre en ouvre une méthode de travail structurée, à planifier un projet, à appliquer une grande

rigueur : « au tout début du projet je suis partie dans tous les sens : on a plein d’idées, ça part dans

tous les sens, et après on s’aperçoit que ça ne va pas, qu’il faut se recentrer sur un point … donc on a

compris qu’il faut travailler avec une certaine logique que je n’avais pas au départ » (E2) écrit une

stagiaire. « Il fallait savoir où on allait, d’ailleurs nous n’avions pas le choix ! Il fallait bien

structurer notre projet. Un mémoire se réalise dans la durée : il faut vraiment réfléchir sur les

éléments dont on a besoin et être capable de les mettre sur le papier. Il faut garder une certaine

logique » (E6) ajoute une autre. Une dernière précise : « ce travail m’a permis personnellement de

développer davantage ma manière de raisonner, ma capacité de rigueur » (E3).

- La capacité à mettre en œuvre les connaissances acquises au Cesi, la capacité à mobiliser un

ensemble de ressources pertinente, à coopérer avec d’autres professionnels, à devenir plus

expert dans le domaine choisi: « je suis autodidacte dans les Ressources Humaines et j’avais besoin

d’une vraie mise à jour des connaissances ; dans le cadre du projet ça m’a permis de mettre en

œuvre toutes les connaissances acquises au Cesi » (E4) indique une stagiaire. Une autre précise

« l’étude menée dans le cadre de mon mémoire m’a permis d’avoir l’opportunité de prendre un

nouveau rôle, de me sentir plus experte sur le sujet » (E1).

Nous remarquerons que seulement 57% des stagiaires estiment que la réalisation de leur mémoire leur

a permis de prendre des initiatives. 28% répondant négativement justifient leur réponse en précisant

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68 Le mémoire professionnel en formation continue

qu’ils font déjà preuve d’initiative dans leur quotidien au travail, et qu’ils n’ont donc pas à démontrer

leurs capacités à prendre des initiatives (E3) et (E5).

Les indicateurs non validés :

Les quatre indicateurs : vos capacités « à impliquer, impulser, fédérer », « à mener plusieurs

missions ou projets », « à travailler en équipe, à vous affirmer » et « à présenter, argumenter,

négocier, convaincre », ne sont pas validés par les stagiaires.

En effet ils disent majoritairement qu’ils n’ont pas à démontrer ces capacités énoncées car leur

employeur les leur reconnaissent déjà. Le mémoire n’est donc pas le lieu pour cette démonstration

(E3) ; ou bien ces critères ne sont pas requis car le projet a été réalisé seul dans une petite structure

dans laquelle il n’y avait pas d’équipe à mener (E4) (E7), ou bien encore une stagiaire précise qu’elle a

déjà au quotidien la responsabilité d’une équipe avec un lien de subordination, tandis que le projet lui

a permis justement de fédérer cette équipe sans pour autant avoir ce lien de subordination (E5).

Ces indicateurs ne semblent donc pas significatifs dans le cadre de notre recherche.

Pour résumer ce chapitre concernant « les effets en termes de compétences » nous pouvons affirmer

que le mémoire permet aux stagiaires de prendre du recul sur leur activité, d’avoir un regard

distancié sur leur pratique professionnelle. De ce fait une distanciation critique se produit grâce à

leur travail de recherche, à leur aptitude à se poser des questions et à chercher des réponses. La mise

en place d’un projet en entreprise les amène à travailler en toute autonomie (une autonomie qu’ils

ont déjà pour certains). De ce fait nous constatons un véritable engagement sur la conduite du projet

choisi et réalisé par le stagiaire dans son entreprise, qui pourra faire reconnaître ses compétences par

son employeur. C’est bien dans la pratique professionnelle, face à des difficultés qui ne leur

laissent pas le choix, qu’ils mettent en œuvre et découvrent de nouvelles compétences.

A ce stade, nous pouvons conclure qu’écrire est une activité potentiellement formatrice ; notre

première hypothèse est donc confirmée.

Après avoir répondu à notre première hypothèse, nous allons tenter de répondre à cette autre question :

quels sont les effets en termes d’identité professionnelle ?

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69 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Les effets repérés en termes d’identité

A - Résultats :

Questions fermées :

Questions ouvertes :

Questions ouverte: "de quoi êtes vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé" ?Nbre de

fois cité%

Avoir fait preuve de persévérence : un travail accompli jusqu'au bout,

difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle 5 71%

La réalisation du projet 3 43%

L'obtention du diplôme - légitimer son expérience professionnelle 3 43%

Avoir réaliser un mémoire 3 43%

Total: sur 7

Nbre % Nbre % Nbre %

Votre responsable hiérarchique connait-il le thème de votre mémoire? 5 71% 2 28%

Est-il à l’origine de ce thème choisi, ou est-ce votre proposition ? 6 85% 1 14% les 2

Vous a-t-il accompagné dans la réalisation de votre projet ? 1 14% 4 57% 2 28%

Vous a-t-il suivi dans l’élaboration de votre mémoire 6 85% 1 14%

Objectif : Vérifier si le responsable hiérarchique ou tuteur s'est impliqué dans le suivi du stagiaire

Vos préconisations ont-elles été mises en œuvre dans votre entreprise ? 5 71% 1 14% 1 14%

Le projet sur lequel vous avez travaillé pour le mémoire était-il stratégique pour votre hiérarchie ? 6 85% 1 14%

Le projet travaillé dans le cadre du mémoire est-il reconnu par votre employeur ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier si le projet travaillé dans le cadre du mémoire est reconnu par l’employeur du stagiaire.

Attendez-vous ou avez-vous eu une promotion dans votre société suite à l’obtention de votre titre de niveau2 1 14% 5 71% 1 14%

Pensez-vous qu’écrire un mémoire vous a permis de faire reconnaître vos compétences dans votre entreprise ? 4 57% 2 28% 1 14%

La formation suivie au Cesi est-elle reconnue par votre employeur ? 3 42% 1 14% 3 42%

Objectif : Vérifier si la formation suivie au Cesi est reconnue par l’employeur.

Le projet vous a-t-il permis de vous « engager », de prendre des initiatives et des responsabilités? 4 57% 1 14% 2 28%

Votre projet vous a-t-il permis de prendre une nouvelle posture professionnelle dans votre travail ? 5 71% 2 28%

Pensez-vous avoir changé de posture professionnelle au cours de votre formation ? 5 71%

Vos collègues ou votre entourage proche vous ont-ils fait part d’une impression de changement vous concernant ? 5 71% 2 28%

Objectif : Vérifier le sentiment de changement de posture professionnelle du stagiaire après avoir suivi sa formation

Questions : Oui Non Partiel .

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70 Le mémoire professionnel en formation continue

B - L’analyse :

Il est à souligner que 71% des responsables hiérarchiques des stagiaires ne connaissent pas le

thème du mémoire de leur salarié, le choix du thème restant largement une proposition du stagiaire

(85%).

Une distinction est à faire concernant d’une part la réalisation du projet dans l’entreprise et d’autre

part, l’écriture du mémoire qui retranscrira ce projet.

57% des responsables hiérarchiques accompagnent leurs salariés dans la réalisation de leur

projet, sans pour autant être au courant de l’écriture d’un mémoire pour le Cesi. « Le mémoire

n’est pas reconnu car je ne l’ai pas communiqué ; en revanche le projet oui car il a été mis en place et

j’ai apporté une touche juridique qui a été appréciée » précise une stagiaire (E5).

C’est ainsi que les stagiaires affirment pour 85% d’entre eux, ne pas avoir été suivis par leur

entreprise dans l’élaboration du mémoire.

Pour les responsables hiérarchiques, la rédaction est une chose, l’action entreprise une autre. Ecrire

aide sans doute à théoriser, mais ce qui est important c’est la réflexion préalable sur l’objet d’étude

choisi quand il s’agit de faire changer ou évoluer une situation. C’est aussi la proposition de

solutions d’améliorations concrètes, suggérée par le stagiaire.

La reconnaissance de la formation par l’employeur :

Seulement 42% des stagiaires interrogés pensent que la formation suivie au Cesi est reconnue

par leur employeur. 42% estiment qu’elle l’est partiellement pour diverses raisons:

L’une d’entre elles précise que sa direction qui lui avait accordé sa formation a été depuis remerciée.

La nouvelle direction semble ne pas aller contre cette décision mais ne s’implique pas particulièrement

dans ce projet de formation (E1).

Une autre explique que sa demande de Fongecif hors temps de travail a été acceptée, mais que vu les

relations délicates entretenues avec sa hiérarchie, il est difficile d’affirmer que la formation est

reconnue par son employeur (E2).

Une troisième répond que faisant partie d’une société dont plus d’un tiers des salariés sortent de thèses

ou de grandes écoles, sa « hiérarchie ne reconnaitra jamais la valeur du diplôme ; il y a beaucoup de

mépris de la part de personnes très diplômées… » (E5). Rappelons que ce titre 2 est une certification

de la formation professionnelle continue, et non pas une formation initiale. « …En revanche l’effort

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71 Le mémoire professionnel en formation continue

que l’on consent pour améliorer sa formation est reconnu et on a beaucoup de soutien, mais le

diplôme en lui-même n’a pas beaucoup de valeur » précise-t-elle.

Une dernière explique « mon manager me disait à chaque fois que je partais en formation que j’étais

en vacances… donc voilà ! C’est une personne qui est contre les formations, car forcément cela

implique des absences » (E7).

Il est important de souligner que pour l’ensemble des stagiaires interrogés, la décision de s’engager

dans une formation longue et qualifiante au Cesi est de leur initiative. Il s’agit souvent d’une

« formation récompense » accordée par l’employeur à son collaborateur qui en fait la demande.

L’employeur n’apprécie pas particulièrement les journées d’absence régulière (en moyenne 3 jours par

mois durant 18 mois). Il peut redouter également que son collaborateur cherche à évoluer à l’issue de

sa formation. Ceci devient problématique lorsque l’employeur n’a aucun poste à proposer, et que le

risque de perdre ce collaborateur est probable.

Il n’en est pas de même pour les stagiaires suivant le dispositif « Arcadre » du Cesi. En effet ces

stagiaires sont sélectionnés par leur entreprise pour évoluer. Ils savent donc que le passage en

formation au Cesi leur garantit une promotion à la sortie, sous réserve de réussite aux différentes

épreuves. Des tuteurs d’entreprises sont désignés pour accompagner leurs collaborateurs et les

entreprises sont tout à fait impliquées car il s’agit de leur volonté d’envoyer un salarié se former.

Dans ce cadre là, non seulement l’implication du tuteur ou de l’employeur est importante, mais aussi

la formation est totalement reconnue puisqu’elle fait partie d’un processus d’évolution de leurs

salariés.

71% des stagiaires indiquent ne pas attendre de promotion dans leur société suite à l’obtention

de leur titre de niveau 2 pour les raisons suivantes :

Une nouvelle responsable hiérarchique vient d’arriver donc une promotion immédiate semble difficile

(E1), une autre avoue qu’elle est en préavis actuellement car sa responsable n’a pas apprécié son

engagement en formation (hors temps de travail) et n’a aucune possibilité d’évolution à lui proposer

« j’avais demandé à évoluer, mais l’entreprise n’était pas du tout d’accord pour ce choix » (E2), une

troisième indique qu’elle est seule dans son service, donc une promotion serait impossible en interne

(E3) et (E4). Une dernière pense que son manager direct ne serait pas contre, mais que ce n’est pas la

politique actuelle du groupe (E7).

Une seule des stagiaires interrogées a été promue, mais il s’agit davantage d’un changement d’intitulé

de poste à sa demande, que d’une valorisation de salaire ou de responsabilités plus importantes (E5).

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72 Le mémoire professionnel en formation continue

Une stagiaire affirme avoir obtenu « de bonnes primes cette année liées à la réalisation de son

projet »(E6).

Ces constats confirment une étude menée par des membres d’un groupe de réflexion de l’Insee:49 la

question de la mobilité sociale a toujours été au cœur du système français de formation continue

(Dubar, 2004), pour autant « la formation continue n’améliorerait pas les chances de promotion

sociale ».

La reconnaissance du projet par l’employeur :

Contrairement au thème précédent, 71% des stagiaires estiment que le projet mené dans leur

entreprise est reconnu par leur employeur :

L’écriture du mémoire permet de changer de posture du fait de pouvoir se positionner sur un projet

stratégique. 85% des stagiaires interrogés estiment que le projet sur lequel ils ont travaillé pour le

mémoire était stratégique pour leur entreprise.

Il est aussi intéressant de constater que 71% des stagiaires précisent que leurs préconisations ont été

mises en œuvre dans leur entreprise. Le projet réalisé dans l’entreprise pour rédiger le mémoire

constitue un formidable lieu d’expérimentation pour les stagiaires.

Ils ont donc la possibilité de faire preuve de leurs compétences auprès de leur hiérarchie, de

prendre également une nouvelle posture professionnelle dans le cadre du projet entrepris.

La réflexion sur un sujet permet de passer de l’écrit aux actes et inversement.

L’écriture du mémoire contribue à mettre en perspective l’expérience vécue en faisant une place

aux enjeux identitaires. Elle oblige à connaître mieux l’entreprise, d’une façon plus globale, avec son

histoire, sa culture, ses malaises. Elle aide à fixer les connaissances théoriques relatives au sujet

traité. « J’ai développé une curiosité au niveau de mon travail qui m’a obligée à mieux connaître

mon environnement professionnel » (E1) dévoile une stagiaire.

L’enjeu est de se former à écrire sur ses propres pratiques, dans un dispositif construit, pour être

reconnu compétent et être identifié comme un expert professionnel. 85% des stagiaires interrogés

estiment que leur mémoire leur a permis d’être plus experts dans leur domaine. « Le mémoire m’a

permis de présenter mon analyse auprès de ma direction, et d’être ainsi reconnue, et c’est pourquoi 49 Dossier INSEE - Formation continue en entreprise et promotion sociale : mythe ou réalité ? 2009

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73 Le mémoire professionnel en formation continue

j’ai pu prendre une nouvelle posture et dépasser le statut et le poste dans lesquels j’étais cantonnée

jusqu’à présent » annonce une stagiaire (E6).

Le sentiment de changement de posture professionnelle

71% des stagiaires estiment que leur projet leur a permis de s’engager : « Je me suis engagée, j’ai

pris le projet à bras le corps et j’ai voulu le mener jusqu’au bout »(E4).

A l’issue de leur formation, les stagiaires diplômés se rendent compte « que les choses ont bougé,

qu’ils se sont transformés », qu’ils changent de posture professionnelle.

71% d’entre eux pensent avoir changé de posture professionnelle au cours de leurs 18 mois de

formation. « Je me sens plus sûre de moi » (E2) dit une stagiaire. « Maintenant je suis capable de

prendre du recul, de me poser, de prendre le temps pour voir quel est le problème. J’ai une autre

posture, celle d’être capable de m’extraire du quotidien pour pouvoir poser la problématique et

pouvoir apporter des solutions - j’ai appris où chercher, comment regarder, comment me

positionner » (E4) remarque une autre. « Je pense que j’ai pris de la hauteur par rapport à mon

poste » (E3) annonce une troisième. « J’ai vraiment évolué en étant plus calme, plus sereine et en

prenant un rôle de professionnelle plus confirmée dans les ressources Humaines - j’ai pu prendre une

nouvelle posture professionnelle et me faire reconnaître professionnellement » (E6) affirme une

dernière.

71% également précisent que leurs collègues, ou leur entourage proche, leur ont fait part d’une

impression de changement les concernant. « Ma collègue proche se rend compte que je prends plus

d’assurance et que je m’impose davantage professionnellement » (E1) dit l’une d’entre elle. « Les

autres s’en rendent compte ; ils me le renvoient en me faisant plus confiance. Le fait également

d’avoir un diplôme, ça me donne plus d’importance et ça valide réellement mes compétences

professionnelles à leurs yeux » (E3) précise une autre. « Mes collègues m’ont reconnue dans un rôle

de manager. J’ai pris d’un seul coup aux yeux de mes collègues une importance considérable

lorsqu’ils ont vu la valeur ajoutée que je pouvais apporter, à eux et à l’entreprise. Il a fallu des mois

pour le faire. Le projet que j’ai mené m’a permis d’asseoir ma crédibilité dans un domaine qui n’avait

jamais été la priorité de l’entreprise. J’ai pu m’imposer » (E5) affirme une troisième. « Ils me disent

que je fais preuve de plus de maturité, de sérénité, d’écoute et de compréhension concernant les

problèmes que rencontre la direction. Ils disent que je montre plus de curiosité, que je suis plus

participative que je ne l’étais auparavant, et enfin que j’ai gagné en confiance, en autonomie et que

j’affirme davantage mon professionnalisme aujourd’hui » (E6) estime une autre stagiaire.

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74 Le mémoire professionnel en formation continue

Selon Claude Dubar, l’écriture d’un mémoire professionnel peut être un moyen pour le stagiaire de

s’inscrire dans un processus qui articule théorie et pratique, et dans un processus de construction

identitaire mettant en tension le processus d’individualisation et le processus de socialisation. 71%

des stagiaires interrogés disent avoir mobilisé un ensemble de ressources pertinentes pour réaliser leur

projet, coopéré avec d’autres professionnels et développé un « réseau de Ressources ». Un des réseaux

de professionnels mobilisés se situe dans les différentes promotions du Cesi qui se côtoient en centre

de formation : les stagiaires se retrouvent entre professionnels de fonction similaires.

Ce dispositif de formation vise la professionnalisation par la formation qualifiante qui prépare à un

métier ou le conforte. Selon Bernard Blandin50 « ce dispositif de formation peut être considéré comme

un dispositif d’offre identitaire qui vise en référence à un projet sociétal ou institutionnel à façonner

les identités individuelles et/ou collectives de celle et de ceux qui y participent ».

Parce que le mémoire et la soutenance portent sur une activité professionnelle, et parce que cette

activité est présentée devant des professionnels, elle contribue à la constitution d’une identité

professionnelle. Lors de la soutenance, le stagiaire se constitue comme un sujet de parole : « il se

constitue une identité énonciative, c'est-à-dire, « la représentation de soi en tant qu’énonciateur de

discours » 51 Un tuteur précise : « Le projet à réaliser est une manière de s’affirmer, de s’ouvrir et de

démontrer son potentiel - cela permet au stagiaire de se confronter aux autres, d’argumenter l’intérêt

de ce mémoire, de justifier à l’entreprise la pertinence de son projet » (E11).

Un autre souligne l’importance pour le client de la capacité de son cadre à bien savoir communiquer

« la commande de cette entreprise est de considérer que pour un Cadre le fond vaut aussi bien que la

forme. Le fond, c’est la capacité à communiquer ; il a autant de poids que la forme : à savoir ce que le

projet a produit. En d’autres termes, si le projet a produit de bons résultats mais que le candidat n’est

pas capable de communiquer autour de ce projet, c’est une insuffisance professionnelle » (E 10).

Le mémoire validé par un jury de professionnels, et conservé au CESI à la disposition des autres

stagiaires, atteste sa valeur : « Quand le mémoire est écrit et qu’il est validé par le jury constitué de

professionnels, ça veut dire qu’ils l’ont lu et ont jugé que le mémoire avait de la valeur ».

Après avoir demandé « de quoi êtes-vous le plus fier après avoir appris que vous étiez diplômé », c’est

principalement la fierté personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté, la persévérance et

la ténacité permettant d’aller jusqu’au bout de l’engagement pédagogique, qui sont le plus souvent

50 Bernard Blandin : directeur de recherches et conseiller du directeur général du groupe Cesi. 51 GUILBERT R., Représentations sociales et pratiques rédactionnelles (étudiants-adultes en formation) Education permanente n° 102, 1989

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75 Le mémoire professionnel en formation continue

citées par les stagiaires (71%). « Plus d’une fois j’ai pensé arrêter car c’était très difficile. Mais avec

le recul je suis très contente et très fière de tout ça car j’ai beaucoup appris, c’est très formateur »

écrit une stagiaire (E2). Cette expérience est difficile, longue, demande un engagement personnel

important, et rend difficile la conciliation de la vie personnelle et professionnelle.

Ensuite vient la vraie satisfaction d’avoir réalisé un projet dans son entreprise, de constater que son

travail est reconnu. C’est une prise de confiance et d’assurance sur des compétences

professionnelles acquises ou mise à jour. C’est également la satisfaction d’avoir réussi à rédiger un

mémoire, exercice qui semblait pour la plupart des stagiaires très difficile, voire insurmontable au

démarrage. Finalement, c’est le plaisir d’obtenir un titre, un niveau de diplôme reconnu. Tels sont

les bénéfices identitaires que les stagiaires déclarent devoir à la formation.

Le travail d’écriture justifie une compétence jusque là non reconnue. Le mémoire écrit va situer le

stagiaire en le distinguant parmi ses pairs, car il est le signe d’une reconnaissance par le Cesi et son

entreprise de l’intérêt d’un projet mené à bien. Les réactions positives ou négatives suscitées vont

jouer sur le positionnement identitaire du stagiaire. Si cela le situe positivement, il en résulte une

réassurance et une revalorisation personnelle. Mais c’est aussi une forme d’exposition aux

critiques. Toutes ces réactions interrogent ses compétences et aussi sa personne.

Ecrire sur ses pratiques permet aux stagiaires de valoriser leur travail, de le faire connaître et

reconnaître et ainsi de se positionner vis-à-vis de la hiérarchie, voire des collègues.

En ce qui concerne la formation, nous considérons que, loin de se limiter à un simple transfert

d’informations, la formation professionnelle implique à la fois une transformation des

représentations et l’acquisition de compétences nouvelles. Tel est le témoignage d’une stagiaire

(E3) qui prend conscience du delta entre la réalité de l’entreprise et sa propre vision des choses. Le

projet réalisé dans son entreprise lui a permis de « prendre du recul face à ces réalités très concrètes

de l’entreprise ».

Quand à l’élaboration du mémoire, il ne peut manquer d’avoir des effets transformateurs sur les

stagiaires, et donc des effets de « formation ».

Dans ces dispositifs, l’écriture ne joue pas un rôle secondaire. En effet si l’analyse qui accompagne

l’action peut parfaitement avoir lieu dans une démarche d’échanges oralisés, les caractéristiques de

l’écriture offre la permanence d’une trace qui facilite la prise de conscience et la prise de

distance par rapport aux pratiques professionnelles.

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76 Le mémoire professionnel en formation continue

La compétence ne s’auto déclare pas. La compétence est un construit social qui requiert la

reconnaissance par autrui d’une expertise sur un champ d’activité52.

Les stagiaires ont justifié leurs pratiques par écrit auprès de leur responsable hiérarchique en

s’appuyant sur des ouvrages, en montrant la légitimité de celles-ci, tout en faisant valoir leur

engagement.

Ces résultats conduisent à penser que l’écriture d’un projet participe au processus de

professionnalisation, c'est-à-dire qu’elle est « un moyen de production de savoirs et de connaissances

sur des pratiques professionnelles, un moyen de reconnaissance et par là même un moyen de

qualification social » (Verniers53), si l’on entend par là, selon cet auteur « la capacité à comprendre

son environnement, capacité à se situer par rapport à lui, capacité à agir sur lui ».

L’enjeu est identitaire (Dubar)54 et cette identité se fonde sur des valeurs. En écrivant sur leurs

pratiques, les stagiaires ont transformé des données ponctuelles, vécues dans leurs pratiques

professionnelles, en données distanciées, et ont gagné en légitimité car être amené à expliquer ses

pratiques entraîne forcément un processus de rationalisation et la constitution d’un savoir de base55.

Le mémoire professionnel, par le biais du projet d’application, ne prétend pas à lui seul de

construire l’identité du futur « responsable » ; il ne fait qu’y contribuer. Dans le processus

d’élaboration du mémoire nous pouvons repérer des cheminements conjuguant la théorie comme

interprétation de la pratique et la pratique comme renouvellement de la théorie. Ce va et vient permet

au stagiaire de modifier ses représentations initiales et d’acquérir un regard sans cesse mobile sur les

projets qu’il met en place.

Le stagiaire s’engage dans un processus d’autoformation qui lui permettra de découvrir et de

construire son identité professionnelle : l’élaboration du mémoire professionnel demande au

stagiaire de faire preuve de distanciation et de lucidité sur les problèmes rencontrés, d’esprit

d’initiative comportant une certaine prise de risques dans la mise en œuvre des solutions proposées,

de clarté dans l’exposé de la démarche construite.

Lui apprendre à être autonome, c’est l’amener à tirer parti de l’expérience et à assumer ses initiatives

en tenant compte des aides et ressources qui sont à sa disposition.

52 Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur : la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C. Gohier et C. Alin. Paris : L’Harmattan 53 VERNIERS M.C. (1985) La qualification sociale : un nouveau besoin de formation ? Les cahiers d’étude du CUEEP n°3. Lille : CUEEP 54 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998 55 BOURDONCLE R. De la formation continue des adultes à la formation initiale des enseignants, Pars V, note de synthèse pour l’habilitation à diriger les recherches, 1991

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77 Le mémoire professionnel en formation continue

Pour résumer le chapitre concernant « les effets repérés en termes d’identité », nous pouvons affirmer

que le projet réalisé par les stagiaires au sein de leur entreprise est reconnu par leur employeur, que

l’écriture du mémoire leur permet de se positionner sur un projet stratégique, l’enjeu est de se

former à écrire sur ses propres pratiques pour être reconnu compétent et être identifié comme un

expert professionnel. Les stagiaires se rendent compte « que les choses ont bougé, qu’ils se sont

transformés », qu’ils changent de posture professionnelle. Cette sensation leur est confirmée bien

souvent par leur entourage qui leur fait part d’une impression de changement les concernant. Le

projet présenté devant des professionnels au moment de la soutenance est une manière de s’affirmer,

de s’ouvrir et de démontrer un potentiel. Ils se constituent une identité énonciative. La fierté

personnelle du contrat rempli et de l’obstacle surmonté est l’élément principal évoqué par les

stagiaires.

Nous pouvons conclure qu’écrire un mémoire professionnel contribue à la transformation de l’identité

professionnelle des stagiaires; notre seconde hypothèse est donc confirmée.

Titre 4 – Synthèse globale

Les stagiaires ont eu à s’interroger sur leurs pratiques dans leur métier : description, prise de

distance, recherches des mots et des concepts les plus appropriés, éclairage théorique, consultation de

personnes ressources, analyse des enjeux, contextualisation.

Ils sont ancrés dans un contexte professionnel dans lequel ils assument des responsabilités et des

rôles professionnels, conduisent des activités, agissent sur le réel pour le transformer.

Par le biais de la formation, ils ont recours à une écriture distanciée sur leur pratique. Ils ont également

une démarche de problématisation qui les conduit à mobiliser des concepts et des théories.

Par ailleurs, dans les ouvrages professionnels, il semble de plus en plus admis que les compétences

réflexives et critiques sont indispensables pour les cadres. Il s’agit d’acquérir la prise de distance

pour comprendre et se situer, ce qui suppose à la fois de contextualiser, de travailler sur sa position par

rapport aux autres. Le mémoire permet alors de s’entraîner à la réflexivité et de développer ses

compétences.

Les stagiaires écrivent en réponse à une sollicitation qu’ils interprètent comme une injonction à

laquelle ils ne peuvent échapper. C’est ainsi, quand il s’agit de l’écriture d’un mémoire, imposé pour

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78 Le mémoire professionnel en formation continue

l’obtention d’un titre, que le praticien le subit ou l’utilise comme opportunité pour

professionnaliser sa pratique.

L’engagement dans l’écriture d’un mémoire professionnel ne se fait pas de façon désintéressée : en

effet, le stagiaire s’engage dans un tel dispositif en fonction de la pertinence de celui-ci au regard des

stratégies identitaires qu’il met en place pour réduire les écarts entre identité pour soi et identité pour

autrui (DUBAR)56.

Ceci renvoie à l’idée qu’un même espace d’écriture peut-être investi de façon différenciée, en fonction

des logiques d’inscription identitaire des stagiaires. Selon la nature de cette inscription, les stagiaires

n’ont pas la même attente des dispositifs d’écriture. Certains vont s’y impliquer avec un objectif de

légitimation identitaire qui les conduit à choisir plutôt des dispositifs qualifiants qui incluent une

démarche évaluative des compétences acquises.

Au-delà d’une évidente capitalisation d’expériences, chacun des stagiaires repart vers son horizon et

son champ professionnel, enrichi après avoir été alternativement interpellé, contraint, déstabilisé,

étonné, conforté…

Partie VI : Mise en perspectives : le tutorat, et les

préconisations

Nous présenterons dans ce chapitre un approfondissement sur le rôle du tutorat, qui du fait d’un

développement assez conséquent lors des entretiens (dernière partie du guide d’entretien), a permis de

donner le ton de cette mise en perspective. En effet, certains des questionnements ont donné lieu à des

ouvertures et notamment à l’importance de l’accompagnement des stagiaires dans la réalisation de leur

mémoire.

Titre 1 – Un dispositif d’accompagnement : les tuteurs

Les difficultés ne manquent pas pour que le mémoire soit dans tous les cas l’outil efficient de

professionnalisation. Aussi l’accompagnement du mémoire par les tuteurs se révèle déterminant.

C’est au cours de cet accompagnement que s’explicitent les objectifs et l’intérêt du mémoire et que se

précisent les règles du jeu. C’est dans le dialogue avec le formateur que le mémoire s’élabore

56 DUBAR C., La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin,1998

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79 Le mémoire professionnel en formation continue

progressivement, que les questions prennent forme, que les méthodes de travail se définissent, que les

ressources pertinentes sont mises à contribution, que la réflexion avance.

Une stagiaire affirme : « Je pense que le tuteur doit être le garant d’une certaine méthodologie qui

permettra au stagiaire d’arriver jusqu’au bout de son travail - Le tuteur doit permettre au stagiaire de

se maintenir dans le cadre souhaité pour éviter qu’il ne s’aperçoive au dernier moment qu’il est

totalement ailleurs : hors sujet ou hors du cadre attendu » (E7).

Une autre estime qu’ « un tuteur c’est très important ; c’est même essentiel, surtout au début car on ne

sait pas trop comment aborder notre mémoire, donc c’est important d’avoir quelqu’un qui nous guide.

Je vois plutôt le tuteur comme un guide - ça nous motive pour avancer davantage, s’assurer que l’on

part dans la bonne direction. Son rôle est aussi de nous rassurer, un peu comme un manager » (E3).

Une troisième juge que « c’est un soutien important et essentiel. Ca nous a permis de prendre

confiance en nous, et d’apprendre comment réaliser un mémoire. Moi je n’en avais jamais fait, et

c’est rassurant d’être accompagné, d’être encouragé. Pour ma part si j’avais dû réaliser le mémoire

seule, je n’aurais pas pu aller jusqu’au bout car c’était trop difficile. Donc le tuteur est un soutien

moral et un soutien professionnel essentiel » (E6).

Une dernière assure que « le rôle de tuteur est très important parce que vraiment il y a un moment où

on se trouve confronté à de vraies questions, à de vraies problématiques » (E4) « le tutorat aide sur

des interrogations qu’on avait sur le terrain. Sur la partie analyse aussi pour vérifier si nous ne

faisions pas fausse route. Le tuteur nous fait réfléchir sur les choses qu’on met en place - c’était très

intéressant et nécessaire… ça nous a permis de réfléchir, d’aller plus loin et d’avancer finalement »

(E2). - ils ont un rôle d’écoute et ils doivent comprendre qu’il y a des moments de blocages et de

déblocages chez le stagiaire, que ce n’est pas simple ». (E4)

Les mémoires sont définis dans le cahier des charges, à travers les visées qu’il poursuit : une réflexion

sur la mise en œuvre d’un projet, une prise de recul, une appropriation d’outils méthodologiques, un

positionnement différent dans la pratique grâce à l’apport théorique.

La définition d’une problématique est laissée au choix du stagiaire, mais il devra la justifier à son

tuteur de mémoire.

Il est proposé qu’environ 1/6ème du temps de formation soit consacré à la réalisation du mémoire (sept

journées d’accompagnement). Un tuteur par groupe d’une dizaine de stagiaires garantit le cadre

souhaité par le Cesi : il s’agit de démontrer le bien fondé du projet mis en œuvre dans l’entreprise.

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80 Le mémoire professionnel en formation continue

Le mémoire valide la formation, et son évaluation s’appuie sur des critères annoncés dans le cahier des

charges57.

Au-delà des conseils purement techniques relatifs au recueil et au traitement des données, la tâche

du tuteur vise à utiliser la situation collective pour approfondir les caractéristiques d’une conduite

de projet et d’une démarche de résolution de problèmes. A travers les interactions de groupe, il

favorise l’explication des questionnements de chacun, la circulation d’informations transversales,

l’expression des difficultés de construction de l’objet-mémoire.

Il s’agit également pour le tuteur d’accepter, de reconnaître et d’exploiter les tensions vécues par le

stagiaire. Le tuteur doit avoir « un rôle d’écoute, une grande disponibilité, car accompagner des

stagiaires prend du temps - Le tuteur est un communiquant aussi, il doit avoir un intérêt pour

l’Homme » affirme un tuteur (E11).

Ces tuteurs questionnent les stagiaires, ils sont « partenaires de leurs réflexions », ce qui donne à la

démarche une dynamique forte et une grande ouverture. « Le suivi du mémoire apporte aussi

beaucoup au tuteur » (E11) précise l’un d’entre eux.

Selon un tuteur interrogé l’apport du tuteur c’est « de faire réfléchir sur ce qu’est un mémoire : de

renvoyer à chaque fois le stagiaire sur sa manière d’être, ses contradictions, la gestion de son temps.

Il a un effet miroir. Le tuteur par définition aide à faire grandir, il ne fait pas à la place.

Il est aussi garant de la réussite du stagiaire : pour moi il est responsable de la réussite du mémoire

au niveau de la méthodologie, de la gestion de temps, et des difficultés surmontées par le stagiaire. Il

doit clarifier ce qu’il ne faudrait pas faire dans un mémoire.

Il faut que ce soit un professionnel de la pédagogie, car on ne demande pas la même chose aux

tuteurs d’entreprises qu’aux tuteurs de la formation ; Les tuteurs d’entreprises eux, sont garants de la

technicité des choix et ont un rôle de facilitateur si le stagiaire le demande » (E11).

Les tuteurs en majorité trouvent que ce travail est long et prenant, ils sont aussi nombreux à le trouver

intéressant, l’un d’entre eux précisant que « le travail peut être à la fois fastidieux et intéressant ».

Intéressant car les tuteurs affirment que ce travail leur fait découvrir quelque chose concernant les

compétences des stagiaires et concernant les compétences des professionnels du domaine concerné.

57 cf titre 2 p12 : « Le mémoire professionnel comme outils de formation au Cesi ».

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81 Le mémoire professionnel en formation continue

Ils apprécient « le coté humain très intéressant parce que l’on rencontre beaucoup de cas de figures :

des stagiaires qui n’ont pas d’expérience, d’autres qui ont des craintes, certains ont des facilités,

d’autres moins … donc on partage tout ça parce que la formation est longue et l’accompagnement

aussi » (E9).

C’est également « le temps d’échange, le temps de réflexion qu’il y a autour de la problématique. Et

puis ce que j’apprécie c’est de voir petit à petit la structuration du mémoire qui se dessine : je dirais

que c’est l’individu face à son mémoire. Il y a un moment de transformation de la personne qui est

extraordinaire parce qu’à un moment la personne sait ce qu’elle va écrire, ce qu’elle va dire… C’est

un moment très fort où on se dit « ça y est je commence à être utile ». Et donc cela oblige à travailler

sur « l’inutilité » du stagiaire, j’ai réussi donc à créer de l’autonomie chez ce stagiaire. Ce point de

rupture est intéressant car il devient autonome ! » (E11).

Un autre tuteur annonce que la vraie plus value du mémoire, c’est aussi d’être capable de vulgariser

un projet : « c’est intéressant de leur montrer et de leur faire prendre conscience que la vulgarisation

d’un projet c’est de savoir s’exprimer clairement et d’être compris. Aussi c’est intéressant de montrer

aux stagiaires l’enchainement logique de ce qu’ils ont fait, qu’ils donnent du sens à leurs actions. Le

mémoire les oblige à dire comment ils ont fait et pourquoi ils l’ont fait. Alors que lorsqu’ils sont dans

le projet, les stagiaires sont dans le « comment » et non dans le « pourquoi ». Le mémoire les

éclaire »(E10).

Le travail reste fastidieux quant à la relecture du mémoire : « lorsqu’on est sûr que la trame est

bonne, que c’est un bon projet… Lorsque l’on doit le relire pour vérifier les fautes d’orthographe, le

style… … c’est le côté le moins intéressant » affirme un tuteur (E9). « C’est très chronophage » assure

un second. « Ca prend du temps, de rentrer dans la logique de quelqu’un d’autre, ce n’est pas

toujours évident… mais c’est un exercice obligé » reconnaît un dernier (E11).

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82 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 2– Conditions de mise en place de la fonction tutorale

Au Cesi aucun texte ne précise les procédures de mise en œuvre du tutorat de mémoire

professionnel. La place est laissée à l’improvisation de chacun et à la construction progressive.

Un tuteur souligne : « il y a un élément qui n’est pas écrit dans le cahier des charges et qu’on apprend

au contact des stagiaires : c’est toute cette histoire de prise de recul et d’émotivité. Le cahier des

charges est très académique : on retrouve les grands incontournables tels que les enjeux, la

problématique… mais le changement de posture, lui n’est pas écrit. Et ça, c’est difficile à faire sentir

à un stagiaire» (E9).

Les tuteurs vont solliciter ce qu’ils connaissent comme démarches, à savoir celles de leurs

souvenirs de leur propre réalisation de mémoire : 50% des formateurs interrogés n’ont pas vécu

l’expérience de production d’un écrit long professionnel, et 25% ont vécu le mémoire de maîtrise qui

n’a rien à voir avec le mémoire professionnel.

Ainsi, la variété des tutorats traduit une absence d’échanges et de cadrage. Le tutorat de mémoire

professionnel s’avère être une aventure aussi bien du côté du formé que du côté du formateur. Selon

un tuteur interrogé « le profil du tuteur va jouer beaucoup dans l’accompagnement du stagiaire »

(E9). Pour un autre : « concernant la définition du mémoire, je ne suis pas sûr que nous ayons, nous

les tuteurs, les mêmes exigences. Certains tuteurs du Cesi pensent qu’un mémoire doit être rédigé très

tôt, c'est-à-dire qu’on peut rédiger un mémoire en même temps qu’on peut réaliser le projet. Tandis

que pour d’autres, le mémoire se rédige durant les 3 derniers mois après avoir réalisé le projet ». Ce

même tuteur précise « nous devrions être au clair sur : qu’est qu’un mémoire professionnel au Cesi ?

Quel est notre rôle dans l’accompagnement ? Jusqu’ou on va et ce qu’on ne fait pas ?» (E10).

En interrogeant le tuteur le plus ancien au Cesi, nous apprenons que les pratiques de suivi de

mémoire étaient homogènes il y a quelques années pour la formation d’ingénieurs : « un groupe

de tuteurs se réunissait régulièrement, un formateur animait ce groupe et on se posait la question de

savoir comment faire évoluer le mémoire. Donc il y avait ces réunions, tandis qu’aujourd’hui chacun

est livré à lui-même… pour des raisons économiques, et il en résulte des choix pédagogiques

différents ; du coup chacun reste dans une optique personnelle, et l’ennui c’est que certains tuteurs ne

sont pas des méthodologues, et on voit bien aujourd’hui que certains mémoires sont totalement

décousus. Je dirais qu’on sent bien l’apport du tuteur dans l’écriture, car ça aide à structurer le

mémoire. On voit aujourd’hui parfois des stagiaires nous dire « c’est mon tuteur qui m’a dit de faire

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83 Le mémoire professionnel en formation continue

ça » alors que le jury dit des choses contraires. C’est pourquoi au minima il me semble qu’il faudrait

une réflexion sur le tutorat au CESI qui ne se fait plus du tout » (E11).

En termes d’approche pédagogique un des tuteurs interrogés utilise le référentiel des

compétences : « j’utilise le référentiel de compétences. Je dis à mes stagiaires que le titre comprend

40 compétences qui doivent être acquises pour l’obtention du diplôme. Il faut donc obligatoirement

dans le mémoire que les stagiaires puissent faire un récit d’expérience de la mise en œuvre de ces

différentes compétences. Le référentiel de compétences est une check liste qui permet aux stagiaires,

lorsqu’ils vont écrire leur mémoire, de se demander si ces compétences ont été vécues, et si oui, ils

savent qu’ils doivent en parler dans leur mémoire» (E10).

Les pratiques d’accompagnement du mémoire se ressemblent sur la progression sur les sept

journées d’accompagnement dans le parcours qualifiant : les premières sont collectives avec le

choix du sujet, la méthodologie pour rédiger un mémoire ; ensuite il y a des journées de regroupement

où les stagiaires produisent : ils ont leur ordinateur et le tuteur les accompagne individuellement, avec

en fin de journée une restitution sur les avancées, les points sur lesquels les stagiaires évoluent. Enfin

les deux dernières journées sont consacrées à préparer les soutenances à blanc (E9).

La position de tuteur n’est pas celle du stagiaire, mais à travers l’évaluation finale du mémoire, c’est

l’évaluation du tuteur qui peut être faite. En d’autres termes, se jouent l’identité du formateur et sa

place dans le dispositif de formation : va-t-il laisser un stagiaire fournir un mémoire dont il sait qu’il

est très faible, ou ne sera-t-il pas plutôt tenté de faire à la place du stagiaire, de procéder à des

retouches dont le stagiaire n’est pas pleinement l’auteur ?

C’est le poids accordé à la fonction d’évaluation du mémoire qui risque de l’emporter par rapport à

celle de la formation … Pour autant un tuteur affirme : « Il ne faut pas leur tenir le stylo : on n’est pas

là pour tout corriger… si le stagiaire écrit n’importe comment, et bien il doit l’assumer » (E10).

Le tutorat est la rencontre entre un formateur et un sujet en formation. Le problème soulevé est celui

du double rôle du formateur : à la fois un rôle de formation et un rôle d’évaluateur.

Ceci dit, le tuteur préside le jury de soutenance, mais n’est pas membre du jury d’évaluation du

stagiaire. Il peut éventuellement témoigner du cheminement opéré par le stagiaire.

Un tuteur précise que « normalement, dans d’autres Cesi en région, le « pilote » (soit le tuteur du

Cesi) n’est pas dans le jury : il n’assiste pas aux soutenances. En Ile-de-France nous sommes dans

ce double rôle, ça nous met dans une situation instable » (E10). L’absence du tuteur dans le jury

permet de lever toute l’ambigüité du double rôle du tuteur.

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84 Le mémoire professionnel en formation continue

Titre 3 – Préconisations

Il semble que trois dimensions soient à l’œuvre dans l’exercice du tutorat de mémoire :

- Une composante personnelle qui se révèle dans la rencontre avec une autre personne, différente. La

situation relationnelle est celle de deux adultes responsables.

- Une composante plus liée à la professionnalité qui relève de méthodes, mais aussi de la disponibilité,

la capacité d’écoute, la capacité à motiver, le savoir faire de reformulation, de relance de la réflexion,

etc. Les procédures d’individualisation de la formation s’inscrivent dans cette dimension.

- Une composante liée à la connaissance de la fonction jouée par le mémoire professionnel inscrit dans

le dispositif de formation.

A ce titre, un travail préalable sur les représentations des mémoires professionnels par les

tuteurs permettrait de mettre à jour les objectifs recherchés par le Cesi.

Des groupes d’analyse sur le rôle du tuteur et les pratiques de tutorat, seraient une aide

incontestable au développement des compétences du tuteur.

Un tuteur déclare « L’idée serait de réunir les tuteurs pour les faire réfléchir sur l’attitude du tuteur à

avoir, car souvent les tuteurs ont tendance à se substituer aux stagiaires… Donc il y a tout un travail

de réflexion sur la prise de recul, comment faire grandir le stagiaire sans faire à sa place… » (E11).

D’une part cela permet aux formateurs de travailler en équipe, d’échanger des expériences. « Il y a

des richesses et des expériences chez les uns, les autres, qui peuvent être échangées et qui pourraient

enrichir le tutorat » déclare un tuteur. Ceci serait particulièrement vrai pour « ces jeunes tuteurs qui

arrivent au CESI » (E11).

Un autre indique qu’ « il serait intéressant que les tuteurs qui accompagnent les stagiaires dans leur

mémoire, puissent partager leurs compétences entre eux - Par exemple, je me suis appuyé d’un expert

projet pour venir m’accompagner dans le suivi des mémoires, car je ne suis pas expert dans ce

domaine – au contraire moi je pourrais aller dans sa promotion pour développer l’aspect

communication » (E9).

D’autre part, cela permettrait de procéder à une mise à distance de sa propre pratique, à la manière

de ce qui est demandé au stagiaire. Un tuteur interrogé estime qu’« une fois par an il serait intéressant

qu’on échange sur les bonnes pratiques pour tutorer nos groupes. Faire un retour d’expérience. Au

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85 Le mémoire professionnel en formation continue

même titre que nous demandons aux stagiaires d’écrire dans le cadre de leur mémoire un retour

d’expérience de leur projet, nous devrions faire un retour d’expérience de nos expériences sur la

façon de les accompagner, et nous devrions les rédiger sur des fiches de synthèses » (E10).

Le tutorat de mémoire se situe dans les multiples approches pédagogiques : le tuteur favorise les

groupes de discussion autour de méthodologies communes, le regroupement de stagiaires dont les

thématiques sont proches, de façon à faciliter le travail en équipe, la dynamique des échanges entre

stagiaires et le partage des lectures.

Cela a l’intérêt de permettre à chacun des stagiaires de gagner en confiance simultanément sur ses

pratiques en écriture et sur ses pratiques professionnelles, de se sentir reconnu par d’autres personnes

impliquées dans des activités professionnelles comparables, de développer un « sentiment de

compétence. « c’est rassurant de voir qu’on n’est pas tout seul ! C’est très enrichissant de partager

avec les autres » (E3).

Ainsi le problème qui se pose concerne bien la fonction du tuteur, la place qu’il doit tenir et à

laquelle il doit se tenir. Mais déterminer l’aide à apporter aux stagiaires dans le suivi de leur mémoire

professionnel nécessite que soit clairement définie au préalable la fonction même du mémoire

professionnel.

Le mémoire est conçu comme un outil de formation, mais une autre dimension du mémoire est la

dimension évaluative.

En conséquence, s’il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle du tuteur, afin notamment

d’harmoniser les pratiques tutorales et il nous semble que le point essentiel du mémoire dans la

formation professionnelle concerne la dimension formative, et que c’est sous cet éclairage de cette

dimension qu’il faut s’efforcer de définir la fonction de tuteur.

Le tutorat de mémoire professionnel demande une grande disponibilité, des compétences larges et

pointues à la fois, des qualités de communicant, la capacité de se remettre en cause, d’accepter que le

stagiaire ait une compétence technique plus pointue que celle du tuteur. Le tuteur doit donner envie

d’apprendre à apprendre, de s’auto former, pour atteindre le professionnalisme souhaité.

En d’autres termes, l’enjeu du mémoire n’est-il pas de développer l’autonomie du stagiaire par une

autoformation que permet le mémoire professionnel ?

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86 Le mémoire professionnel en formation continue

Retour d’expérience

Cette étude est la transcription des résultats auxquels nous sommes parvenus au bout d’une année

d’expériences professionnelles et de recherches autour du tutorat. Elle constitue un point de départ

pour poursuivre un travail de même nature, car nous avons conscience de ne pas avoir fait totalement

le tour de ce vaste sujet. Plus de recul sur notre fonction tutorale et un plus grand nombre de stagiaires

interrogés dans différents cursus qualifiants, nous auraient permis d’avoir une vision plus objective

dans notre recherche.

De même interroger des stagiaires « plus anciens » sortis de parcours qualifiants depuis plusieurs

années nous aurait probablement donné un autre regard.

Néanmoins cette étude nous aura permis de mieux appréhender le rôle du mémoire dans le

dispositif du Cesi, tout comme le rôle attendu du tuteur.

De même une meilleure connaissance des pratiques du tutorat des consultants formateurs du Cesi

nous a enrichi et donné un éclairage nouveau sur les expériences d’accompagnement possibles.

Enfin, l’écriture de ce mémoire nous aura permis de bien comprendre les difficultés rencontrées

par les stagiaires, d’être encore plus proches et plus à l’écoute des problèmes qu’ils ont

rencontrés (difficultés de l’écriture au démarrage, avancement dans la réflexion, périodes de doute,

problèmes liés à la construction du mémoire) et de finalement mieux appréhender les contraintes

de gestion du temps, contraintes particulièrement pesantes pour un stagiaire exerçant en parallèle une

activité professionnelle.

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87 Le mémoire professionnel en formation continue

Conclusion

Ecrire sur les pratiques professionnelles n’est donc pas dénué d’enjeux sociaux : enjeux personnels,

enjeux professionnels, enjeux pour l’organisme de formation. Etre engagé dans un processus de

professionnalisation qui utilise l’écriture, signifie avoir un engagement dans un processus de

construction, de négociation qui vise à terme la reconnaissance de la professionnalité, de l’identité

professionnelle, voire du label d’expert58.

Les enjeux sont en tension entre la reconnaissance sociale pour les stagiaires et le contrôle par le CESI

à travers l’identification des compétences attendues chez des professionnels, tension qui se trouve à

l’heure actuelle dans les dispositifs de validation d’acquis et d’expérience59, fondés sur le rapport entre

l’écriture sur ces pratiques et la lisibilité des compétences.

L’analyse de cette formation qui intègre l’écriture d’un mémoire professionnel, contribue à alimenter

la réflexion sur de nouvelles perspectives d’échanges et d’analyse des pratiques professionnelles. Le

recours à l’écriture n’est pas la seule dimension du dispositif qui doit être pris en compte. Cependant la

mise en mots écrite constitue bien un élément décisif dans ce processus complexe qui conduit les

professionnels à exprimer leur travail, à trouver des modalités pour l’analyser et par conséquent à

entrer dans une démarche qui marque l’évolution du rapport à l’activité, et l’enrichissement des

compétences.

Les objectifs de ce dispositif de formation sont bien de professionnaliser les stagiaires en les faisant

écrire selon certaines conditions. Mais l’analyse des effets de l’écriture sur les pratiques

professionnelles peut difficilement être séparée de l’analyse du dispositif de formation.

Ce n’est pas l’écriture en tant que telle qui engendre un processus de professionnalisation, mais bien

les conditions dans lesquelles cette écriture est placée. En effet, écrire un mémoire professionnel est

un outil de formation et, comme pour un outil, sa portée dépend étroitement des conditions de son

utilisation.

Il nous semble alors essentiel de réfléchir aux conditions de mise en œuvre de tels dispositifs,

notamment ce qui concerne la formation de leurs animateurs, sans toutefois oublier qu’ils

conservent leurs propres convictions, s’appuient sur leurs expériences personnelles et leur rapport tout

personnel à l’écriture. 58 MERCHIERS J., PHARO P., Eléments pour un modèle sociologique de la compétence d’expert, Sociologie du travail n°1, 1992 59 PRESSE M-C. Expliquer l’implicite : quand tout commence par une lettre à un ami, Perspectives documentaires n° 58,69-78

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88 Le mémoire professionnel en formation continue

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