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Université de Montpellier I Faculté de Sciences Economiques DOSSIER DE CANDIDATURE POUR L'HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES 2010 VOLUME 1 Synthèse des travaux * Perspectives de recherche * Collaborations et contrats * Encadrement d‟étudiants * CV Paule MOUSTIER Chercheur CIRAD, UMR Moisa

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  • Universit de Montpellier I

    Facult de Sciences Economiques

    DOSSIER DE CANDIDATURE

    POUR

    L'HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES

    2010

    VOLUME 1

    Synthse des travaux

    *

    Perspectives de recherche

    *

    Collaborations et contrats

    *

    Encadrement dtudiants

    *

    CV

    Paule MOUSTIER

    Chercheur

    CIRAD, UMR Moisa

  • 1

    INTRODUCTION 6

    Justification 6

    Diversit de lorganisation et de la performance des filires alimentaires 6

    Proximit des acteurs et performance des filires alimentaires 8

    Prcision sur la collecte et lanalyse des donnes 9

    CHAPITRE 1 : Quel est le rle de la proximit physique dans lapprovisionnement des

    villes ? 10

    Originalit du travail 10

    Mthode 11

    Importance de lagriculture urbaine pour les produits prissables 11

    Avantages de la proximit 12

    Spcificits de lagriculture urbaine 12

    Influence de la ville sur lagriculture 12

    Spcificit de priode dapprovisionnement 13

    Multifonctionnalit de lagriculture urbaine 14

    Conclusion 15

    CHAPITRE 2 : Quel est le rle des relations personnalises entre vendeurs et acheteurs ? 16

    Introduction 16

    Un prcurseur : Jones 16

    Lapport de lconomie des organisations rurales 17

    Rapprochement ERO-ECT 18

    Relations personnalises dans le commerce des lgumes Brazzaville : application de

    lERO 20

    Questions 20

    Mthode 20

    Rsultats 20

    Relations en rseau dans le commerce de longue distance en Afrique de lOuest 23

    Relations personnalises dans le commerce de lgumes pour Ho Chi Minh Ville au

    Vietnam: application du supply chain management 24

    Cadre thorique 24

    Relations testes 25

    Mthode 25

    Rsultats 26

    Les ventes directes producteurs-consommateurs: de la recherche dinformation la

    solidarit 28

  • 2

    Conclusion 31

    CHAPITRE 3 : La grande distribution transforme-t-elle les filires alimentaires au bnfice

    des dfavoriss? 32

    Introduction 32

    Un accs ingal des consommateurs la grande distribution 33

    Des formes alternatives la GD plus cratrices demploi 34

    Le rle des OP dans laccs des producteurs la GD 35

    Impact de la GD sur lintgration des filires 37

    Conclusion 40

    CHAPITRE 4 : Perspectives de recherche 41

    Synthse des conclusions 41

    Pistes de recherche 41

    Quel est limpact conomique des cooprations dans les filires ? 42

    La rduction des biais de slection 42

    La mesure des impacts de la coopration entre producteurs et commerants : le cas des

    contrats 43

    La mesure des impacts conomiques des organisations de producteurs 45

    Quel est limpact conomique et environnemental de lalimentation de proximit? 48

    Evaluation de limpact conomique 48

    Evaluation de limpact environnemental 48

    Economies et cologies dchelle selon lvolution de la distribution 50

    Evaluation de la valeur paysagre de lagriculture de proximit 51

    Lagriculture de proximit est-elle une ressource territorialise ? 51

    LISTE DES PUBLICATIONS CITEES 56

    Thse 56

    Articles dans revues comit de lecture 56

    Ouvrages et chapitres d'ouvrage 57

    Rapports de Recherche 58

    Document de travail 58

    Communication congrs, actes de colloques 58

    AUTRES REFERENCES 59

    COLLABORATIONS INTERNATIONALES 67

    Au Nord 67

    En dehors de la France 67

    En France 68

    Au Sud 69

  • 3

    CONTRATS DE RECHERCHE 70

    ENCADREMENT DETUDIANTS 70

    CURRICULUM VITAE 74

    LISTE DES SIGLES 80

    REMERCIEMENTS 81

  • 4

    ORGANISATION ET PERFORMANCE DES FILIERES ALIMENTAIRES DANS LES PAYS DU SUD : LE ROLE DE LA PROXIMITE

    Les numros entre parenthses renvoient la liste de mes publications ou des travaux d'tudiants que j'ai encadrs. TA signifie traduction de lauteur.

    PREAMBULE : A LA DECOUVERTE DES DYNAMIQUES ENDOGENES DE DEVELOPPEMENT

    Depuis ma thse en conomie du dveloppement soutenue Wye College (Universit de

    Londres) et mon entre au CIRAD (Centre de Coopration Internationale en Recherche

    Agronomique pour le Dveloppement), jai supervis pendant plus de vingt ans des

    programmes de recherche sur lapprovisionnement alimentaire des villes du sud, dabord en

    Afrique, puis en Asie. Ces activits ont t conduites en cooprant avec des chercheurs

    locaux, dans les instituts de recherche ou les universits, et en associant des tudiants

    franais et trangers, avec un rsultat effectif de renforcement des comptences. Le lecteur

    trouvera en fin de document des prcisions sur mon parcours professionnel, en particulier

    mes activits dencadrement dtudiants et de programmes de recherche en coopration.

    La rdaction dune habilitation diriger des recherches est loccasion de prendre du recul

    sur mes travaux dans la dure, et den approfondir le fil directeur. Cest loccasion de

    retrouver ce qui manime, le point de vue particulier que je cherche apporter.

    Mon parcours de recherche est en partie structur par un souci de mettre en lumire des

    formes dorganisation et de dveloppement de lagriculture et des changes peu prises en

    compte par les travaux en conomie du dveloppement. En effet, cette discipline est plutt

    centre sur des dynamiques du dehors pour expliquer les changements de lagriculture

    et des marchs alimentaires : politiques publiques, marchs et capitaux internationaux. Dans

    les travaux en conomie agricole des pays du sud, en particulier dans le domaine des

    marchs, diffrentes thmatiques porteuses se sont succd. Lorsque jai commenc le

    mtier de chercheur il y a une vingtaine dannes, il sagissait des effets de la libralisation

    sur le secteur agricole. Depuis une dizaine dannes, cest le thme de la mondialisation, et

    son impact sur lagriculture et les changes qui sont lhonneur. Le rle de la grande

    distribution dans la transformation de lagriculture est galement moteur de nombreux

    programmes de recherche en relation avec le thme de la mondialisation, la grande

    distribution tant soutenue par des multinationales. Les thmatiques de mondialisation sont

    particulirement voraces, mme la thmatique du local est frquemment combine celle du

    global.

    Mes premires annes de recherche ont t consacres ltude des filires marachres en

    Afrique et de leur capacit approvisionner les marchs locaux. Or, celles-ci se sont situes

    relativement lcart des interventions de lEtat, plutt concentr sur des filires daliments

    de base ou dlevage, et en dehors galement des marchs internationaux. Pourtant,

    lanalyse de leur fonctionnement rvlait une organisation passionnante, et leur capacit

    sadapter des environnements contraignants et changeants. En fait, le dveloppement de

  • 5

    ces filires est peu model par le march international ou par les politiques de lEtat, mais

    plutt par les dynamiques dmographiques (lurbanisation), et les relations entre les acteurs.

    La croissance des villes et les implications pour les secteurs locaux de lagriculture et du

    commerce ont t tudies par beaucoup de gographes, mais relativement peu

    dconomistes. Cela sexplique en partie par la difficult dobtention de donnes sur des

    acteurs largement informels. Au-del de la description des systmes dapprovisionnement

    alimentaire, jai cherch en valuer lefficacit, trouver la logique de leur organisation

    interne. Jai montr comment linitiative dacteurs privs permettait de rpondre aux

    opportunits apportes par le march des villes, et aux contraintes auxquelles ils font face.

    En Asie o jai travaill au cours de sept dernires annes, jai pu montrer que ces initiatives

    prives se sont combines lappui de lEtat et ont pu gnrer des filires innovantes, telles

    que celles de lgumes propres . La grande distribution a profit de ces initiatives de

    producteurs innovants et de lEtat, et elle les a renforces. Ainsi, mes travaux montrent que

    les dynamiques dorganisation et de changement dans les marchs des pays du sud ne sont

    pas seulement stimules par des facteurs externes, tels que la libralisation et la

    mondialisation. Les acteurs de la production et du commerce sont capables de sorganiser

    pour rpondre la demande des consommateurs locaux, et les relations de proximit entre

    ces acteurs gographique, culturelle, relationnelle favorisent cette rponse. Cest ce que

    je chercherai montrer dans le prsent document.

    Je prsente dabord pourquoi il est ncessaire de sintresser lorganisation et la

    performance des filires alimentaires dans les pays du sud. Puis, je dveloppe lapport de

    mes travaux sur diffrentes dimensions de lorganisation des filires : la proximit

    gographique tout dabord ; les relations personnalises entre vendeurs et acheteurs ; les

    organisations de producteurs orientes sur la mise en march, en relation avec le

    dveloppement de la grande distribution.

  • 6

    INTRODUCTION

    Justification

    Dans les pays du Sud, les questions daccs au march sont reconnues comme

    dterminantes dans les problmes de pauvret et de dveloppement (Hosley et Wee, 1988 ;

    Diao et al., 2007 ; Vaswani et al., 2005). Le ravitaillement des villes est devenu un enjeu

    socio-conomique et politique important, en raison de la rapidit de la croissance urbaine.

    Ainsi le taux durbanisation sera pass de 11.1 pour cent en 1950 37.3 pour cent en 2010

    en Afrique Sub-saharienne ; ces taux sont respectivement de 16.5 pour cent et 48.5 pour

    cent en Asie de lEst. A lchelle mondiale, la population urbaine a dj dpass la

    population rurale (Wup, 2007).

    Longtemps cantonnes une vision technique des questions dalimentation, rsumant le

    problme alimentaire un manque de production, les tudes reconnaissent de plus en plus le

    rle des intermdiaires entre production et consommation (7 ; 37). Il sagit non seulement de

    crer des marchs, mais galement de mieux les faire fonctionner, surtout pour les plus

    dfavoriss (Poole, 2009).

    Pour comprendre les problmes daccs au march des producteurs et des consommateurs,

    lanalyse de filire, qui porte sur lenchanement des fonctions et des intermdiaires depuis

    llaboration du produit jusqu son utilisation finale, semble pertinente. La notion de filire

    comme mso-systme, ou celles plus rcentes de supply chain (traduite souvent par :

    chane logistique), et de chane de valeur, invite un dcoupage du champ conomique (ou

    agro-alimentaire) en diffrents sous-systmes productifs, o lensemble des tapes de

    fabrication et de distribution dun produit est considr, ce qui est pertinent pour

    comprendre les problmes doffre et de demande (Hugon, 1985). Ce dcoupage est

    galement ncessaire pour valuer les impacts conomiques directs et indirects du

    dveloppement dun secteur agricole. Nous reviendrons dans les Chapitre 3 et 4 sur les

    analyses de chane de valeur et de chane logistique. Notons que le terme de systme de

    commercialisation sapplique aux tapes situes entre producteurs et consommateurs.

    Diversit de lorganisation et de la performance des filires alimentaires

    Comme nous le montrons ci-dessous, diffrents auteurs ont cherch mettre en relation

    lorganisation des systmes de commercialisation ou des filires avec leur efficacit (ou

    performance), cest--dire leur capacit remplir certains objectifs, ou avec leur efficience,

    se rfrant lconomie de moyens mis en uvre pour atteindre des objectifs. Mais les

    formes dorganisation comme les critres defficacit ou efficience diffrent selon les

    auteurs.

    Les approches de structure-conduite-performance (SCP) considrent comme critre de

    performance la situation de concurrence pure et parfaite, qui conduit lefficience technique

    et allocative. Elles ont t dveloppes tout dabord pour valuer lefficience des entreprises

    (Bain, 1959). Elles ont t appliques aux systmes de commercialisation africains,

    notamment par Jones (1972) et Goosens et al. (1994). Cependant, cette application se prte

    de nombreuses critiques (Harriss, 1987 ; 28). S'il est dmontr que la concurrence pure et

    parfaite conduit plus d'efficacit qu'une situation de monopole, il n'est pas dmontr que le

    march A runissant plus de conditions de concurrence que le march B soit plus efficace

    que lui. Or le problme est bien qu'il est pratiquement impossible de donner un march

  • 7

    toutes les caractristiques de la concurrence la fois et qu'il faut bien comparer diffrentes

    options de configuration de march.

    Les auteurs centrs sur les pouvoirs de ngociation comme Harris-White (1996) ou Guyer

    (1999) ne considrent pas laccs linformation comme dterminant, mais plutt les

    capacits financires des acteurs, leur capacit prendre des risques, et lappui public

    certains des acteurs. Par ailleurs, les critres defficacit pris en compte ne sont pas la

    minimisation du cot de la mise en march, mais plutt lquit entre les acteurs de la

    production et du commerce, et aussi, la stabilit de lapprovisionnement vivrier. Ainsi, les

    capacits financires des marchands indiens leur permettent dexercer un fort pouvoir de

    ngociation sur les producteurs de crales maintenus en situation de dpendance pour le

    crdit (Harris-White, 1996). Dans le cas de Kano, Salisbury, Yaound et Dar es Salaam,

    plus les commerants concentrent les pouvoirs de ngociation, plus lapprovisionnement

    alimentaire est instable, mme en situation de concurrence entre les commerants (Guyer,

    1999).

    Une autre dimension importante de lorganisation des changes est celle de lorganisation

    spatiale (7). Cest le mrite des gographes davoir apport lanalyse de

    lapprovisionnement des villes une vision moins mcaniste, grce la description empirique

    prcise des circuits de commercialisation des marchs urbains. Des recherches en Afrique

    centrale ont t inities par Vennetier (1972), qui met en avant la polarisation de lespace

    gographique o lalimentation des citadins dpend dapports lointains, ce qui entrane des

    difficults de ravitaillement et un rle croissant pour les transports. Chalard (1996, 1998)

    montre limportance du transport dans la capacit de rponse des agricultures vivrires

    locales la demande des villes, mais galement celle des flux dchange entre

    agglomrations urbaines et campagnes qui ne sont pas limits des flux alimentaires sens

    unique. Il met en vidence le jeu complexe des acteurs du commerce qui combinent une

    diversit despaces de ravitaillement et de redistribution, et une gamme de produits, afin de

    sadapter linstabilit dans le temps de la production, et la dissmination des espaces

    cultivs.

    Nous prsenterons dans le premier chapitre lapport de lconomie spatiale, et en particulier

    Von Thnen, la comprhension de la localisation des productions agricoles selon la

    proximit de la ville. Plus rcemment, le courant de lconomie de la proximit met en

    vidence les articulations entre la proximit gographique (ou physique) et la proximit

    organise. La proximit physique traite de la sparation dans lespace et des liens en termes

    de distance (Gilly et Torre, 2000). La proximit organise (ou organisationnelle) se dfinit

    par les interactions entre les acteurs (Torre, 2000). Le territoire se prsente comme le

    rsultat des interactions entre acteurs locaux ainsi quavec des acteurs extra-locaux

    (entreprises, exploitations, Etat, banques, syndicats), au sein duquel certains organismes

    jouent un rle de mdiation-hybridation entre local et global et participent ainsi au processus

    darticulation entre proximit gographique et proximit organisationnelle (p. 13).

    Pour lconomie des cots de transaction (ECT), que nous dvelopperons dans le Chapitre

    2, la performance de lorganisation de lchange (ou de sa gouvernance) est value par

    rapport la capacit de diminuer les cots de transaction, cest dire lensemble des cots

    dinformation, de recherche des partenaires, de ngociation, de suivi et dexcution du bon

    droulement de la transaction (Williamson, 1987). Les principales organisations prises en

    compte par lconomie des cots de transaction sont : le march spot, les contrats, et

    lintgration verticale ("faire faire" plutt que "faire soi-mme").

    De manire assez proche des conomistes des cots de transaction, Hoff et al. (1993)

    considrent les organisations rurales en relation avec les problmes d'acquisition de

  • 8

    l'information sur les conditions de l'change et les difficults d'appliquer comme prvu les

    engagements. Ces auteurs se revendiquent dune nouvelle approche : lconomie des

    organisations rurales (ERO), faisant rfrence au paradigme de linformation imparfaite

    (Stiglitz, 1986). Pour les approches de supply chain management (Christopher, 1998;

    Fearne et Hughes, 1999), le partage de linformation est galement dterminant pour

    diminuer les pertes sur les produits, donc le cot de la mise en march. Il est galement

    important pour que les partenaires se mettent daccord sur la qualit correspondant le mieux

    aux attentes du consommateur final

    Enfin, les analyses de la gouvernance dans les chanes de valeur globales (Global value

    Chains : GVCs) (Gereffi, 2003) se basent sur lconomie des cots de transaction. Mais par

    rapport lECT, elles introduisent limportance de la rpartition des comptences entre les

    acteurs, ainsi que les innovations en termes de qualit des produits (5). Par ailleurs, la

    principale notion de performance considre est la comptitivit sur le march international

    en termes de cot et dinnovation. Cest souvent par linnovation en termes de qualit que

    les entreprises des chanes de valeur peuvent se mettre niveau (upgrade) par rapport

    aux filires internationales avec lesquelles elles sont en concurrence. Cette mise niveau

    permet une meilleure part dans la valeur totale de la chane pour lentreprise innovante.

    Proximit des acteurs et performance des filires alimentaires

    Au cours de mes vingt annes de recherches, jai explor ces diffrentes dimensions de

    lorganisation et de la performance des filires alimentaires, plus particulirement quatre

    dentre elles (conomie spatiale, ERO, supply chain management, GVC). Jai analys tout

    dabord le rle de la proximit gographique dans lapprovisionnement alimentaire des

    villes (Chapitre 1), mettant en vidence limportance et la spcificit de lagriculture

    priurbaine, conformment aux prdictions de lconomie spatiale. Jai ensuite considr le

    rle des relations personnalises dans le contrle de linformation par les commerants des

    produits alimentaires en Afrique et en Asie, en mappuyant sur lconomie des organisations

    rurales et les approches de supply chain management (Chapitre 2). Le rle de la

    proximit entre producteurs et consommateurs, dune part pour la confiance en termes de

    qualit, dautre part, pour laccs lalimentation des plus pauvres, a fait lobjet de travaux

    spcifiques. Outre les cooprations verticales au sein des filires, jai abord plus

    rcemment les coordinations horizontales entre les producteurs, et leur efficacit pour

    promouvoir la qualit des produits et permettre laccs des petits producteurs la grande

    distribution. Ce point sera abord dans le Chapitre 3, qui traite des transformations induites

    par la grande distribution dans les filires alimentaires, en termes daccs des

    consommateurs et des producteurs, ainsi que de cration demploi. Mes perspectives de

    recherche font lobjet du Chapitre 4.

    La plupart de mes travaux ont donc port sur les cooprations entre les acteurs des filires

    alimentaires producteurs, commerants, et consommateurs et leur rle pour diminuer les

    diffrents types dincertitudes caractristiques des transactions sur les produits alimentaires,

    qui portent sur les quantits, les prix et la qualit. Le champ empirique dapplication

    concerne principalement les filires domestiques des fruits et lgumes dans les pays du sud.

    Ces produits ont des spcificits qui, nous le verrons, influencent lorganisation des filires.

    Leurs caractristiques ne sont pas stabilises dans le temps du fait de leur caractre

    prissable, la production est saisonnire, ils sont sujets la crainte des consommateurs sur

    dventuels risques sanitaires du fait de rsidus de produits chimiques.

  • 9

    Prcision sur la collecte et lanalyse des donnes

    Une des originalits de mes travaux est la collecte de donnes primaires. Ceci rsulte du

    manque de donnes disponibles fiables la fois qualitatives et quantitatives sur les filires

    tudies, dans les pays o jai travaill. Jai donc d crer les donnes ncessaires au test de

    mes hypothses de travail, en collaboration avec les partenaires locaux des instituts de

    recherche et en sciences sociales.

    En ce qui concerne les donnes qualitatives, elles ont surtout trait aux stratgies

    individuelles et collectives des acteurs des changes : lhistorique de leurs activits, les

    motivations dans les choix de leurs modes dapprovisionnement et de redistribution, leurs

    contraintes et opportunits pour exercer leurs activits, et, bien sr, de nombreuses questions

    sur les relations entre les acteurs, en particulier, les engagements rciproques, les conflits

    ventuels et leurs modes de rsolution, le degr de partage des dcisions et des ressources.

    Ces informations ont demand des contacts rpts, sources de confiance, et des entretiens

    approfondis auprs dacteurs dune mme chane, des producteurs aux consommateurs

    finaux. La recherche a impliqu galement un temps important de formation de mes

    partenaires locaux conomistes, peu habitus aux enqutes qualitatives, et la collaboration

    avec des chercheurs en sociologie et en gographie.

    Par ailleurs, jai cherch valuer lefficacit des filires dapprovisionnement en termes de

    formation des cots, des prix et des revenus, et de leur variabilit dans le temps. Or, ce type

    de donnes quantitatives ntait pas disponible dans les pays o jai travaill. Les quelques

    donnes statistiques existantes concernaient essentiellement les prix des lgumes

    (principalement collects pour calculer des indices de prix). Un examen approfondi des

    mthodes de collecte montrait leur manque de fiabilit pour mener des tudes sur leur

    variabilit dans le temps. En particulier, la variabilit de la qualit des produits ntait pas

    prise en compte dans les relevs de prix. Lorsque des travaux avaient t raliss sur les

    cots et bnfices des producteurs ou des commerants, ceux-ci ntaient bass que sur des

    relevs une priode donne, or la variabilit saisonnire des revenus est caractristique du

    secteur des fruits et lgumes. Pour obtenir des donnes fiables sur les prix, les quantits, les

    origines des produits et leur variation (au moins hebdomadaire), jai donc mis en place des

    observatoires, bass sur un protocole de collecte rigoureux, en collaboration avec des

    statisticiens, au Congo comme au Vietnam (34 ;35). Les donnes sur les cots et bnfices,

    comme celles sur les stratgies et les relations des acteurs, exigent la confiance des

    interlocuteurs et ont t obtenus par les entretiens approfondis.

    Dans un souci de rigueur dans mes conclusions, jai essay de combiner les approches

    qualitatives et quantitatives. Dans la mesure du possible, selon les ressources disponibles,

    jai fait suivre les entretiens approfondis auprs dun petit nombre dacteurs, dont les

    donnes taient traites manuellement, par des enqutes sur des chantillons reprsentatifs,

    traites par des outils statistiques, et centres sur les variables dceles comme importantes

    par la phase qualitative, comme le recommandent Casley et Lury (1987). Je souhaite dans

    lavenir approfondir les tests conomtriques dans mes protocoles de travail (voir Chapitre

    4).

  • 10

    CHAPITRE 1 : Quel est le rle de la proximit physique dans lapprovisionnement des villes ?

    Originalit du travail

    La viabilit de lagriculture urbaine face lextension du tissu urbain bti fait lobjet de

    nombreux dbats. Les pessimistes prdisent une disparition inluctable de lagriculture

    urbaine et considrent non avenue une intervention publique pour la protger. Le maintien

    dune agriculture prs des villes peut sembler artificiel et mme inefficace sur le plan

    conomique, la demande pour les logements et les infrastructures renchrissant le cot du

    foncier, et il peut sembler plus rationnel de favoriser le dveloppement des bassins

    dapprovisionnement ruraux, des infrastructures de transport et de marchs de gros, selon

    les volutions observes dans les pays du nord (Ellis et Sumberg, 1998). Dautres auteurs

    affirment que la proximit entre les consommateurs et les producteurs reprsente un atout

    cl quil convient de maintenir malgr la force de la pression foncire (Donadieu et Fleury,

    1997).

    Latout de la proximit gographique de lagriculture pour lapprovisionnement en produits

    prissables a t modlis par Von Thnen (Huriot, 1994). Ce modle rpond la question

    suivante : comment le cultivateur choisit-il ses systmes de culture en fonction de la

    distance de son exploitation la ville? Le modle de Von Thnen repose sur un certain

    nombre dhypothses. Il considre une ville dont larrire-pays est une plaine homogne

    spare du reste du monde par un dsert. Par ailleurs, le cultivateur fait des choix de culture

    rationnels en termes de rentabilit. La conclusion principale est que les cultures sont

    choisies selon celles qui rapportent la rente foncire maximale, celle-ci dpendant de la part

    du cot de transport du produit dans la valeur marchande du produit. Ainsi, les produits de

    grand poids par rapport leur valeur, reprsentant des frais de transport levs, sont cultivs

    prs de la ville. Cest galement le cas des produits trs altrables, consomms ltat frais,

    comme la salade et le lait. Les cultures se rpartissent selon plusieurs cercles concentriques :

    un premier cercle o dominent les lgumes et le lait, un deuxime cercle avec la

    sylviculture, un troisime cercle de crales, etc. Par ailleurs, lauteur prdit que pour la

    production dun bien dtermin, lintensit de culture, en termes de travail ou dintrant par

    unit de surface, est dautant plus leve que lon se rapproche de la ville. Avec la proximit

    de la ville, la jachre disparat et lagriculture utilise plus dengrais achet en ville.

    La validit du modle de Von Thnen est remise en question dans les socits industrielles

    o la part du cot de transport dans le cot du produit est beaucoup plus faible. Elle est plus

    importante dans les pays du sud o les infrastructures de transport sont souvent dgrades.

    Ainsi, lapplication des prdictions de Von Thnen a t teste au Cameroun par Gockowski

    et Ndoumb (1999 ; 2004) pour Yaound, qui ont montr que la distance moyenne des

    champs de lgumes-feuilles au centre ville tait de 22km, alors quelle est de 56 km pour la

    tomate et de 71 km pour le poivron, les trois types de produits ayant des dures de

    conservation croissantes. De mme Kumar (1986) a montr qu Amritsar, en Inde, il existe

    une corrlation entre la distance au centre ville et la prsence des productions les plus

    fragiles.

    Cependant, ce type de recherche se concentre sur les caractristiques de la production autour

    des villes, mais pas sur les circuits de distribution et le rle de lagriculture urbaine dans

    lalimentation (ici dfinie comme lagriculture localise dans la ville et sa priphrie, nous

    prciserons cette dfinition plus loin). Il existe peu de donnes empiriques sur le rle de

  • 11

    lagriculture urbaine (AU) dans lapprovisionnement des villes. La plupart des tudes

    disponibles confrontent la production de lagriculture urbaine et la consommation et en

    dduisent la contribution de lAU la consommation alimentaire des mnages urbains. Mais

    cette valuation comporte de nombreux biais. En effet, lagriculture urbaine na pas pour

    seule destination la ville proche. Par ailleurs, cette approche ne permet pas dvaluer

    limportance de lAU pour diffrents produits, ni diffrentes priodes de lanne. Enfin les

    dbats sur lagriculture urbaine sappuient rarement sur une apprciation objective de son

    rle pour les socits du sud, ses avantages comparatifs par rapport des sources

    alternatives dalimentation et dutilisation des ressources, notamment foncires.

    Mthode

    Nos tudes sont particulirement originales parce quelles ont valu de manire directe, sur

    les marchs de dtail, la part de lorigine urbaine dans lapprovisionnement des

    commerants en lgumes, en interrogeant les dtaillants sur lorigine des produits et les

    quantits commercialises. Ces enqutes ont t compltes par des entretiens approfondis

    auprs des acteurs des filires pour comprendre leurs prfrences en termes de rgions

    dapprovisionnement, la formation des prix et des revenus, et les relations entre les acteurs

    des filires (voir le Chapitre 3). De 1990 et 1995, jai supervis des enqutes de ce type dans

    cinq villes africaines (Brazzaville ; Bangui ; Bissau ; Antananarivo ; Nouakshott). Puis de

    2002 2005, des enqutes similaires ont t ralises en Asie du Sud-Est (Hanoi, Vientiane,

    Phnom Penh). Pour dfinir les zones dagriculture urbaine, nous avons pris en compte la

    fois les limites administratives de la ville et la priphrie o sexerce une influence de la

    ville notamment par la pression foncire. Nous reviendrons plus loin sur cette dfinition.

    Importance de lagriculture urbaine pour les produits prissables

    Lorsquon tudie lorigine des produits sur les marchs urbains, on constate une forte

    distinction selon la nature des aliments et plus particulirement leur caractre prissable.

    Ainsi, les produits vivriers de base, comme les crales ou les tubercules proviennent

    majoritairement des zones rurales ou des importations ; cest galement le cas des lgumes

    secs, comme loignon. Par contre, les lgumes frais, les produits laitiers et les ufs sont

    majoritairement apports par les zones urbaines (8;27). Pour les lgumes, cest tout

    particulirement le cas des lgumes-feuilles, comme les amaranthes, oseilles, morelles,

    choux, salades, et ciboules. Ces lgumes sont en tte des lgumes consomms, en Afrique

    comme en Asie, avec loignon et la tomate. Ils sont caractriss par leur grande fragilit :

    leur tat de fracheur se dtriore au bout dune journe or la fracheur est un important

    critre de choix pour les consommateurs, qui disposent rarement de rfrigrateurs. Les lgumes-feuilles sont majoritairement apports par des zones situes moins de trente

    kilomtres du centre urbain, que ce soit en Afrique ou en Asie. Les enqutes que jai

    supervises en Afrique entre 1990 et 1995 donnent des pourcentages de 80 100% pour une

    origine pri-urbaine des lgumes-feuilles dans le cas de cinq villes africaines (Brazzaville ;

    Bangui ; Bissau ; Antananarivo ; Nouakshott). A Hanoi, en 2002, plus de 70% des lgumes-

    feuilles proviennent d'un rayon de production de 30 km autour de la ville. Ainsi, 95-100 %

    de la laitue vient de moins de 20 km, tandis que 73-100 % du liseron deau est cultiv

    moins de 10 km de la ville (9).

    Pour les lgumes moins prissables comme la tomate et le chou, qui peuvent se conserver

    sans dgradation pendant quelques jours, les flux se partagent entre zones urbaines et

    rurales. Ainsi, la part des zones urbaines dans lapprovisionnement de la tomate se situe

    entre 10 et 50% selon les villes dAfrique tudies.

  • 12

    Des recherches sur les produits animaux donnent des rsultats voisins. En Afrique, les

    poulets de chair de race amliore, le lait et les oeufs proviennent dexploitations situes

    dans la ville ou sa proche priphrie, gres par des rsidents urbains, tandis que la viande

    de boeuf local consomme en ville provient des levages ruraux traditionnels pastoraux et

    agro-pastoraux. Lapprovisionnement des villes en produits animaux seffectue galement

    par des importations en provenance dEurope de bas morceaux trs bas prix qui

    concurrencent svrement certaines productions locales comme le poulet, mme si les

    qualits diffrent (Gurin et Faye, 1999). A Addis Abeba (Bonnet et Duteurtre, 1999), les

    20 millions de lait cru proviennent des levages intra-urbains darrire-cour (vente directe

    du producteur au consommateur). Par contre, le beurre provient de zones rurales, jusqu

    650 kilomtres de la ville.

    Avantages de la proximit

    Une spcificit de lapprovisionnement par les zones urbaines est le caractre court des

    circuits de distribution. Le cas extrme est celui de limplication directe des producteurs

    dans la vente au dtail (30% des dtaillants Bangui, 70% Bissau). Le plus souvent, les

    producteurs vendent des dtaillants, au champ ou sur des marchs de gros. Pour les

    productions rurales, le stade de collecteur et de grossiste est plus systmatique (8).

    Un avantage des circuits courts est le faible diffrentiel de prix entre production et

    consommation. Nous en avons donn des exemples, en particulier le diffrentiel de prix

    Hanoi augmentant avec la distance des zones dapprovisionnement faible pour les lgumes-

    feuilles (30 %) et le chou (35 % to 50%) issus des zones urbaines, lev pour la tomate des

    zones rurales (75 to 80 %), plus de 100% pour les lgumes en provenance de Chine (8 ; 27).

    Ces augmentations correspondent aux cots du transport ainsi quaux revenus des

    intermdiaires.

    Un autre avantage mis en vidence est celui de la fracheur, particulirement important dans

    des situations de faible accs aux rfrigrateurs.

    Enfin, la proximit physique favorise la proximit relationnelle entre vendeurs et acheteurs,

    qui diminue les incertitudes sur les transactions. Nous y reviendrons dans le deuxime

    chapitre.

    Spcificits de lagriculture urbaine

    Nous avons complt lanalyse des flux dapprovisionnement par ltude des systmes de

    production et des stratgies des agriculteurs des zones priurbaines, afin de mieux en

    comprendre les spcificits par rapport lagriculture rurale. Cette spcificit explique que

    lagriculture rurale ne peut se substituer entirement lagriculture priurbaine (et

    rciproquement), quel que soit le niveau de dveloppement des infrastructures de transport.

    Influence de la ville sur lagriculture

    Les interactions entre la ville et lagriculture, en termes de flux de ressources et de produits,

    sont au cur de lidentit de lagriculture urbaine (10 ; 25). Ces interactions sont de

    plusieurs ordres. Tout dabord, il sagit de la montarisation du foncier, et de lincertitude

    sur son accs long terme. Il existe galement une concurrence entre leau potable et leau

    dirrigation, surtout en zone sahlienne. Enfin, des pollutions dorigine industrielle peuvent

    affecter leau et le sol utiliss par lAU. Inversement, lagriculture peut gnrer des

    pollutions sur leau et les produits du fait des intrants chimiques quelle utilise. Les

    interactions positives entre lagriculture et la ville sont constitues des opportunits

    commerciales gnres par le march, et par laccs des comptences particulires en

  • 13

    ville. Ainsi, nous avons mis en vidence les principales opportunits et contraintes de la

    localisation urbaine (voir Tableau 1).

    Tableau 1 Opportunits et contraintes de la localisation urbaine de lagriculture

    Production Commercialisation

    Opportunits Flux dintrants et de savoir-faire :

    Accs aux intrants

    Accs aux dchets urbains

    Diversit des savoir-faire (migrations)

    Diversit des sources de revenus et de

    capital (fonctionnaires, commerants,

    expatris)

    Accs lappui technique

    Proximit du march

    Faibles cots de transport

    Accs linformation commerciale

    Relations de confiance

    Contraintes Risques de production

    Accs prcaire au foncier

    Manque de reconnaissance

    institutionnelle

    Pollution du sol, de lair et de leau

    Vols et divagations

    Menaces sur la fertilit des sols

    Pression phytosanitaire

    Risques de commercialisation

    Caractre prissable et instable de

    loffre

    Forte lasticit de la demande

    (lgumes temprs)

    Risques sanitaires

    Entreprises disperses

    Source : (26)

    Jai ainsi pu aboutir une dfinition de lagriculture urbaine oprationnelle, alors que celles

    que lon trouvait dans la littrature taient assez floues, lagriculture urbaine tant dfinie

    comme lagriculture situe dans sa ville et sa priphrie (Undp, 1996 ; Aldington, 1997).

    Selon ma dfinition, lagriculture urbaine est considre comme lagriculture localise dans

    la ville et sa priphrie, dont les produits sont destins la ville et pour laquelle il existe

    une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources; lalternative

    ouvrant sur des concurrences mais galement des complmentarits entre ces usages

    (25;32;33).

    Une caractristique de lAU que jai mise en vidence est la diversit des profils socio-

    conomiques impliqus, reflet de la diversit de la main-doeuvre et de laccs au capital en

    zone urbaine. Jai tabli une typologie des producteurs urbains selon leurs stratgies de

    subsistance et de revenus. Les agriculteurs de subsistance forment le premier type, le

    deuxime est form dagriculteurs de polyculture vivrire en situation de subsistance, le

    troisime inclut les agriculteurs familiaux marchands ; et le quatrime les entrepreneurs,

    avec salariat et une grande chelle de production (27).

    Spcificit de priode dapprovisionnement

    Outre les complmentarits en termes de produits entre lagriculture urbaine et lagriculture

    rurale, nos recherches ont aussi montr leur complmentarit dans le temps. Les agriculteurs

    urbains peuvent tre mieux mme dapprovisionner toute lanne les marchs grce une

    production plus spcialise et bnficiant dinfrastructures dirrigation une caractristique

    qui peut aussi se rencontrer dans certaines zones rurales spcialises. Par contre, les zones

    rurales peuvent avoir un avantage en saison des pluies, parce que les terres non inondables

    peuvent y tre plus disponibles ; cest ce que nous avons montr dans les cas de Bangui,

    Bissau ou Nouakshott (8).

  • 14

    Multifonctionnalit de lagriculture urbaine

    Un de mes apports originaux sur lagriculture urbaine est davoir considr non seulement

    sa fonction dapprovisionnement alimentaire, mais galement ses autres fonctions, leur

    combinaison, et leurs implications en termes politiques, contribuant ainsi aux dbats sur la

    multifonctionnalit de lagriculture.

    Le concept de multifonctionnalit agricole apparat la fin des annes 1990 dans un cadre

    international et europen, au moment o se ngocie la libralisation des marchs agricoles et

    donc la rforme des politiques agricoles telles que les avaient mis en place les Etats-Unis et

    lEurope. Si le contenu de cette notion est variable, lide gnralement admise est que

    lagriculture fournit des biens ou des services qui dpassent la simple production agricole

    strictement entendue : prservation, gestion et mise en valeur du paysage rural, protection de

    lenvironnement, contribution la viabilit zones rurales, scurit alimentaire, bien-tre

    animal, etc. Ces biens ou ces services sont, en gnral, qualifis de non-marchands

    (Doussan, 2004). La reconnaissance de ces fonctions non marchandes peut justifier que

    lagriculture sorte du cadre de la concurrence, cest--dire, par exemple, quelle bnficie de

    soutiens publics.

    Nous avons plus particulirement montr lapport de lagriculture urbaine des fonctions

    marchandes et non marchandes dans trois pays dAfrique, le Cameroun, le Bnin et le

    Sngal (11;12;33). La contribution aux fonctions suivantes a t value : alimentation,

    emploi, insertion des dfavoriss, paysage despace vert, lutte contre les inondations. Ainsi,

    lagriculture urbaine apporte des rponses aux principaux besoins gnrs par

    lurbanisation : lemploi, lalimentation, la prservation du cadre de vie (voir Figure 1).

    Figure 1 Lagriculture urbaine, rponse lurbanisation

    Besoin

    Rponse

    Les fonctions de paysage et dinsertion ont des caractristiques de biens publics, cest--dire

    la non possibilit dexclusion des usagers, ce qui rend sa prise en charge non rentable pour

    le secteur priv (Donadieu et Fleury, 1997). En ville, dautres secteurs sont producteurs de

    paysage : par exemple les parcs. Mais lagriculture urbaine a un avantage par rapport aux

    autres producteurs de paysage : son fonctionnement est pris en charge par le march

    (mme si le march des produits agricoles est un march rgul par la puissance publique).

    Ainsi, cest un producteur de paysage moins coteux que les parcs. Par ailleurs, elle est

    galement source demplois et dinsertion. La multifonctionnalit de lagriculture urbaine la

    rend donc conomique comme producteur de biens publics. Le tableau 2 compare les

    scores de trois secteurs urbains : lindustrie, les parcs, lagriculture en termes de

    production de diffrents biens et services. Il montre que lagriculture prsente lavantage de

    scores honorables sur une diversit de produits (paysage, biens conomiques, emploi-

    insertion, scurit alimentaire).

    Urbanisation

    Alimentation Emploi

    Cadre de vie

    Agriculture

  • 15

    Tableau 2 La multifonctionnalit compare de trois secteurs urbains

    Secteurs

    Industrie Parc Agriculture

    Produits

    Paysage - ++ +

    Biens conomiques ++ - +

    Emploi-insertion + - +

    Scurit alimentaire - - ++

    Source : (27)

    Au-del de lvaluation de la multifonctionnalit de lagriculture urbaine partir de donnes

    secondaires, nous avons cherch connatre la perception par les rsidents urbains,

    agriculteurs et non agriculteurs, des avantages de lagriculture de proximit. En effet, il est

    ncessaire de prendre en compte les intrts parfois divergents des acteurs locaux pour le

    succs des politiques dintgration de lagriculture dans la planification urbaine (Bryant,

    1997 ; 13). Nous avons apport une contribution lvaluation de la multifonctionnalit par

    les acteurs de la ville, agricoles et non agricoles, dans le cas de la ville de Dakar (12).

    Lapport principal de cette tude est que la multifonctionnalit de lagriculture urbaine ny

    est pas value par des chercheurs partir de donnes objectives mais plutt travers sa

    perception par les acteurs qui en dpendent (producteurs, commerants, consommateurs) ou

    qui linfluencent (dcideurs). Notre article met en vidence la reconnaissance de cette

    multifonctionnalit, principalement par les dcideurs. Pour les autres catgories dacteurs, la

    production de denres alimentaires, fonction traditionnelle de lagriculture, est

    prdominante dans les fonctions reconnues, les fonctions conomiques et

    environnementales sont cites de manire secondaire. Les consommateurs et les

    intermdiaires sont les moins sensibles aux fonctions autres que lalimentation. La

    recherche montre un dficit de communication par les agriculteurs sur les rles sociaux et

    conomiques, actuels et potentiels, de lagriculture.

    Conclusion

    Ainsi, nos recherches ont montr que lagriculture urbaine contribuait de manire

    importante des fonctions alimentaires et non alimentaires, en Afrique comme en Asie.

    Cette contribution est complmentaire de lagriculture rurale. Elle ne fournit pas les mmes

    produits que celle-ci, son rle est majeur pour les produits prissables consomms en frais.

    Cette observation est en accord avec les prdictions de Von Thnen, elle est lie aux

    avantages de la proximit en termes de transport. Mais nous avons montr que la proximit

    de lagriculture la ville confre dautres spcificits et avantages, par rapport une

    alimentation uniquement assure par les zones rurales. Lagriculture priurbaine rend des

    services aux rsidents de la ville que lagriculture rurale ne peut remplir. Ces spcificits

    sont lies la proximit gographique entre producteurs et rsidents urbains. Dans le

    chapitre suivant, nous allons approfondir les avantages de la proximit relationnelle entre les

    vendeurs et les acheteurs dans les filires qui est souvent couple la proximit

    gographique.

  • 16

    CHAPITRE 2 : Quel est le rle des relations personnalises entre vendeurs et acheteurs ?

    Introduction

    A travers mes diffrentes recherches sur lapprovisionnement des villes dAfrique et dAsie

    en lgumes, jai mis en vidence limportance des relations personnalises entre les

    acheteurs et les vendeurs des filires. Je me suis situe dans la perspective des auteurs qui

    critiquent lobservation trop rapide du caractre inorganis et informel des marchs

    africains. Comme le dit Fafchamps (2004), lactivit marchande nest pas sans forme, mais

    elle chappe la formalisation conomique. Lessentiel de lactivit conomique en Afrique

    passe par des marchs fragments, en labsence dentreprises de large chelle. Mais rares

    sont les travaux qui considrent lactivit des commerants. La micro-conomie est centre

    sur les producteurs et les consommateurs. Les conomistes conseillent aux gouvernements

    de ne pas interfrer avec le fonctionnement des marchs, mais les connaissances sur le

    fonctionnement effectif dun march libre sont limites.

    Jai utilis les apports de diffrents auteurs se situant dans le champ de lconomie

    institutionnelle pour analyser la logique et lefficacit de ces formes dorganisation :

    lconomie des organisations rurales, le supply chain management . Ces deux courants

    sont centrs sur les problmes daccs linformation dans les marchs. Ces problmes et

    leurs consquences sur lorganisation des marchs avaient t dtects par un conomiste

    prcurseur.

    Un prcurseur : Jones

    Lconomiste Jones (1972, 1974) a t un des premiers reconnatre lefficacit des

    relations personnalises dans les marchs africains pour corriger les dficiences du march

    en termes dinformation et de crdit. Jones qualifie les relations personnalises

    d imperfections compensatoires ( countervailing imperfections ), un concept que jai

    dvelopp dans une communication (28). Certains comportements apparaissent comme des

    imperfections sils sont compars aux conditions de concurrence pure et parfaite. Mais ils

    sont des rponses dautres imperfections et vitent une consquence trop ngative de

    limperfection dont ils drivent sur la performance des marchs. Ces mcanismes peuvent

    apparatre eux-mmes imparfaits mais ils sont compensatoires et ne devraient probablement

    pas tre modifis tant que les imperfections primaires qui en sont lorigine nauront pas t

    corriges (Jones, 1974 : 250, TA). Parmi ces imperfections, les relations personnalises

    sont des imperfections au sens no-classique, car elles constituent des barrires dentre

    pour des agents sans liens privilgis avec les protagonistes du march. Mais daprs Jones,

    elles rpondent des dficiences du march dans la circulation de linformation, dans

    lhomognit des qualits et dans la circulation du crdit. Ainsi les systmes de

    commercialisation fonctionneraient beaucoup moins bien dans un contexte de fragmentation

    conomique et de manque dinformation publique sur les offres et les opportunits sil

    nexistait pas dautres imperfections et en particulier la persistance de relations dchange

    personnalises []. Le systme donne chaque commerant un service de nouvelles de

    march semi-priv (Jones, 1974 : 250), TA). Il signale galement que l inorganisation

    du march du capital serait une limitation plus svre sans les relations de crdit de

    commerant commerant qui sappuient sur la confiance, elle-mme base sur la

    continuit des relations.

  • 17

    Lapport de lconomie des organisations rurales

    Lconomie des organisations rurales (en anglais economics of rural organization , ERO) a

    fait lobjet dun ouvrage publi par la Banque Mondiale (Hoff, Braverman et Stiglitz, 1994).

    LERO se propose dexpliquer les institutions du secteur rural, dfinies comme un systme

    de rgles qui dfinissent les types dchange entre les individus et qui structurent leurs

    incitations (TA, p.1)1. Ce courant est n de la critique par un groupe dconomistes de la

    thorie de lquilibre gnral qui prend mal en compte les nombreuses imperfections des

    marchs, en particulier en termes dinformation imparfaite. Lorsque linformation est

    imparfaite, les seuls mcanismes de march ne permettent pas le mcanisme optimal des

    transactions. La volont de respecter les contrats nest assure que si un mcanisme

    dexcution pnalise la rupture du contrat (Fafchamps, 2004).

    Les principaux dfauts d'information et d'application des engagements pris en compte sont:

    - Les asymtries d'information entre les co-contractants, notamment sur la qualit des

    produits.

    - Le problme d'valuation de la fiabilit de son partenaire dans la transaction ("screening") ;

    ce problme limite lmergence de marchs du risque.

    Dans les pays du sud, les obstacles au bon fonctionnement des marchs issus de linformation

    imparfaite sont exacerbs par les problmes de transport et de communication et la faiblesse

    des systmes lgislatifs. Les marchs sont caractriss par une myriade de commerants,

    changeant des volumes trs faibles. Il nest donc pas rentable darbitrer les conflits par la

    voie judiciaire (Fafchamps, 2004).

    LERO se propose dexpliquer : (i) quelles transactions sont facilites par les organisations ;

    (ii) quelles contraintes empchent le march de fonctionner ; (iii) comment ces contraintes

    peuvent tre rduites par des arrangements alternatifs ; (iv) comment les organisations

    sadaptent des circonstances changeantes.

    Les organisations rpondent aux contraintes dinformation et de risque par diffrents

    mcanismes. Elles permettent dagrger les ressources des agents. Elles peuvent limiter les

    transactions des membres de certains groupes de rsidence ou de connaissance ou de

    parent, dans lesquels des relations de confiance ont pu se dvelopper.

    Un mcanisme important trait par lERO concerne les transactions lies. Les transactions

    lies font rfrence la situation o les termes dune transaction dpendent des termes dune

    autre transaction entre des partenaires donns, par exemple la transaction sur un facteur,

    comme le crdit, dpend de la transaction sur le produit (Bardhan, 1989).

    En matire de production agricole, l'exemple du mtayage est bien connu. Les transactions

    entre propritaire foncier et mtayer portent sur le travail, le foncier, l'approvisionnement en

    intrants, et parfois la mise en march. En matire de commercialisation de produits agricoles,

    les commerants accordent souvent des crdits aux producteurs.

    L'imbrication des transactions peut limiter les contraintes d'information et d'incitation de la

    manire suivante :

    1 La notion dorganisation peut tre distingue de celle dinstitution selon le caractre volontaire ou impos de

    ces units de coordination des acteurs conomiques (North, 1990 ; Mnard, 1990). Cependant, dans Hoff et al.

    (1994), les deux termes sont souvent utiliss de faon interchangeable.

  • 18

    - L'imbrication des transactions rduit la tentation de tricher sur une des transactions cause

    des consquences de la tricherie sur l'autre transaction; l'inverse elle augmente la motivation

    pour satisfaire son partenaire sur une transaction dans l'esprance de termes plus avantageux

    sur la transaction associe.

    - La relation d'engagement dans une des transactions peut servir de caution par rapport

    l'autre transaction; c'est le cas, par exemple, de la transaction sur le produit par rapport la

    transaction sur le crdit.

    Dorward et al. (1998) ont analys lefficacit des transactions lies dans le cas de diffrentes

    filires dexportation: le coton et le bl au Pakistan (cas dvelopps dans Smith et

    Stockbridge, 1999), le coton au Nord Ghana, le cajou en Tanzanie, le bl au Pakistan. Les

    relations entre les producteurs et les commerants sont caractrises par des transactions lies

    sur le crdit et les intrants (fournis par les commerants), et les produits (vendus par les

    agriculteurs). Lefficacit des transactions lies est jauge leur capacit rduire les cots

    de transaction dune part, et ne pas renforcer de pouvoir de march dautre part. Dans les cas

    tudis, les transactions lies permettent des marchs imparfaits de se dvelopper alors que

    lalternative serait le dfaut total de march. Mais elles peuvent favoriser le pouvoir des

    commerants au dtriment des producteurs, les commerants utilisant leur pouvoir sur un

    march pour renforcer leur pouvoir sur dautres marchs. A partir des tudes de cas les

    auteurs identifient les conditions suivantes pour que les transactions lies soient bnfiques :

    une taille suffisante des transactions ; linvestissement dactifs spcifiques par les

    commerants ; la concurrence entre commerants ; lchange dinformations entre les

    commerants sur la fiabilit des producteurs ; linformation des producteurs sur le prix des

    intrants et des produits.

    Rapprochement ERO-ECT

    Nous dveloppons ci-dessous comment lERO se situe par rapport lconomie des cots de

    transaction (ECT) dveloppe par Williamson (1987; 1991).

    Pour lECT, lorsque deux partenaires s'engagent dans une transaction, ils s'accordent sur un

    certain nombre de paramtres de la transaction. Les cots de transaction comprennent tous les

    cots associs la mise en place et au suivi de l'excution de cet accord. Les cots de

    transaction comprennent les cots de transaction ex-ante et les cots de transaction ex-post,

    les diffrents types de cots tant interdpendants. Les cots de transaction ex-ante

    correspondent aux cots de conception, de ngociation et de garantie de l'excution d'un

    accord. Les cots de transaction ex-post sont relatifs aux cots de la structure de gouvernance

    qui gre le suivi de l'excution de l'accord, les mcanismes d'incitation, et la gestion des

    conflits potentiels. Il s'agit galement des cots engendrs par un cart de ralisation de la

    transaction par rapport aux prvisions. Il peut s'agir de cots stratgiques rsultant de

    comportements opportunistes. Trois attributs des transactions sont dterminants sur le niveau

    et la nature des cots de transactions : la spcificit des actifs ; la frquence des transactions ;

    l'incertitude. La spcificit des actifs est la difficult utiliser les actifs pour des transactions

    alternatives, ou encore leur non redployabilit.

    La frquence leve des transactions (ainsi que leur volume) peut gnrer des conomies

    d'chelle sur les cots de fonctionnement de la structure de gouvernance. Mais elle peut

    galement inciter les agents conomiques respecter leurs engagements, donc rduire les

    chances dopportunisme (Klein et Leffler, 1981). Limpact de la rptition des changes sur la

    rduction des cots de transaction a t galement montr par Porath (1980) et Platteau et al.

    (1980).

  • 19

    L'incertitude est de deux sortes. Elle est de nature contingente l'environnement de la

    transaction. Elle porte galement sur le comportement du partenaire. L'incidence de

    l'incertitude est amplifie par le caractre limit de la rationalit des acteurs. L'incertitude

    implique des adaptations squentielles aux changements de l'environnement, d'autant plus que

    les actifs engags dans la transaction sont spcifiques.

    Les organisations tudies initialement par l'ECT taient principalement:

    -L'entreprise, organisation centralise et hirarchique, caractrise par l'intgration verticale,

    cest--dire la combinaison de deux ou plusieurs stades sparables de production ou mise en

    march sous une gestion ou une proprit commune ;

    - Les contrats, engagements bilatraux ou multilatraux avec certaines restrictions en termes

    de clientle et de territoire.

    Ces organisations reprsentent des formes alternatives de coordination par rapport l'change

    marchand ponctuel. Williamson s'est beaucoup intress l'alternative "march" ou

    "intgration verticale" ou encore "faire faire" ou "faire soi-mme". Son argument principal est

    que la rationalit du choix d'une de ces alternatives dpend la fois des cots de production -

    au sens large, comprenant l'ensemble des cots des oprations techniques, y compris la

    transformation et le transport - et des cots de transaction qui leur sont associs. Les

    organisations comportent des mcanismes rducteurs des cots de transaction, en particulier

    les mcanismes d'incitation, la centralisation des dcisions et des droits de proprit. Par

    contre, le march peut conduire des conomies d'chelle sur les cots de production par

    rapport des organisations plus bureaucratiques.

    Les cots de transaction dpendant des attributs spcifiques de la transaction, chaque

    transaction est particulire et on ne peut gnraliser dans l'absolu sur l'efficacit relative d'un

    type d'organisation. C'est pourquoi Williamson critique le traitement trop rapide de

    l'intgration verticale comme une forme inefficace de monopole.

    De nombreux tests empiriques des prdictions de lECT ont t raliss, qui en montrent la

    robustesse, en particulier sur la relation entre la spcificit des actifs et lintgration verticale

    (Shelanski et Klein, 1995). Greif (1993) a montr que les coalitions de commerants Maghribi

    taient une rponse aux problmes dexcution des contrats dans un contexte dinformation

    imparfaite et de manque de structures judiciaires lgales. Milgrom et al. (1990) analysent le

    systme des juges privs dans les foires de Champagne au Moyen-Age, chargs de faire

    appliquer un code commercial informel. Ils dmontrent quil sagit dune institution efficace

    pour diminuer les cots de transaction lis aux risques dopportunisme dans le commerce.

    Dans le domaine des marchs alimentaires africains, les travaux de Smith et Luttrell (1995)

    sur les associations de grossistes vivriers au Nigria, et Staatz et al. (1989) sur le commerce

    des crales au Mali montrent les avantages des associations ou rseaux de commerants en

    termes de rduction des cots de transaction.

    Par rapport lconomie des organisations rurales, lconomie des cots de transaction

    apporte des variables complmentaires pour comprendre lexistence et lavantage de formes

    alternatives au march anonyme. Mais Stiglitz (1986) signale les difficults de mesure des

    cots de transaction, et la relative pauvret des catgories darrangements institutionnels pris

    en compte par lECT relativement lERO. Cependant, cette remarque peut sembler infonde

    de nos jours, comme le montrent les travaux empiriques cits ci-dessus, et la richesse des

    travaux de lconomie des cots de transaction sur les formes hybrides, intermdiaires entre le

    march et la hirarchie (Mnard, 2004). Par ailleurs, les frontires entre ERO et ECT sont

    poreuses. Nous souhaitons en tous cas approfondir lapplication de lconomie des cots de

    transaction nos recherches futures (voir Chapitre 4).

  • 20

    Relations personnalises dans le commerce des lgumes Brazzaville : application de lERO

    Questions

    Les applications de lERO ont t surtout dveloppes pour des institutions rurales

    spcifiques : les institutions de crdit, le mtayage. Loriginalit de mon travail de thse a

    t dlargir le champ dapplication aux relations entre les acteurs des filires. Lapplication

    empirique a concern le commerce des lgumes destination de la ville de Brazzaville au

    Congo (1 ; 38). Les questions suivantes ont t traites : (i) le march des lgumes

    destination de Brazzaville est-il caractris par une situation de concurrence parfaite? (ii)

    existe-il des organisations alternatives au march concurrentiel qui coordonnent les

    dcisions d'change des agents? (iii) quelle est l'efficacit de ces organisations rsoudre les

    contraintes des participants au march?; (iv) peut-on amliorer l'efficacit des organisations

    existantes ou promouvoir de nouvelles organisations?

    Mthode

    La recherche sest appuye sur des tudes de cas approfondies de 10 dtaillants et 20

    grossistes, et une enqute sur questionnaire auprs de 350 dtaillants. Les questions ont trait

    lhistoire de lactivit, laccs aux ressources ncessaires la conduite du commerce, la

    nature des produits, les rseaux dapprovisionnement et de redistribution, le montant et

    lutilisation des revenus, la variabilit dans le temps des activits. Les formes dorganisation

    ont t analyses par des questions sur les relations entre les commerants et les autres

    acteurs en termes daccs aux ressources et aux produits, les politiques publiques, lattitude

    vis--vis des nouveaux entrants, les pouvoirs de ngociation relatifs aux conditions des

    transactions. Des relevs de prix hebdomadaires ont t conduits.

    Rsultats

    Des marchs imparfaits

    Les grossistes et dtaillants individuels sont les principaux intermdiaires entre production

    et consommation. En plus des transactions sur les denres, l'activit des grossistes et

    dtaillants de lgumes mobilise des transactions sur les infrastructures, le travail, le crdit et

    le risque.

    Il n'existe pas de march pour les biens suivants cause d'une offre absente ou fortement

    contrainte: les marchs de gros; les infrastructures de stockage adaptes aux lgumes;

    l'assurance contre le risque. En ce qui concerne la main-d'oeuvre, les transactions sont

    limites parce que les besoins en travail sont faibles et peuvent tre couverts par la main-

    d'oeuvre familiale. Par contre, il existe des marchs pour les emplacements de vente au

    dtail, les moyens de transport et le crdit. Cependant ils ne peuvent tre qualifis de

    parfaitement concurrentiels. Toutes ces contraintes crent des barrires d'entre sur le

    march des lgumes. Par ailleurs, le march des lgumes est caractris par une information

    dficiente sur l'offre, la demande, les prix et la qualit des produits.

    Des organisations alternatives au march

    Les organisations suivantes oprent en substitution ou en complment la coordination par

    le march.

  • 21

    Les relations familiales facilitent laccs au crdit pour lachat de marchandises, les

    emplacements de vente au dtail, la mise en relation avec les fournisseurs.

    Les accords bilatraux d'change rpt entre vendeurs et acheteurs de lgumes fonctionnent

    de la manire suivante : en change dune garantie dachat par la dtaillante en priode

    dabondance, la grossiste ou le producteur garantit la vente en priode de pnurie. Ces

    relations fidlises sont galement couples des dlais de paiement denviron une semaine

    qui permettent la rengociation du prix dachat. Les partenaires privilgis sont dsigns

    sous le terme de client . Ce type dengagements rciproques a t galement dcrit par

    Lyon (2000) dans le cas du commerce des tomates au Ghana.

    Les associations de crdit tournant (tontines) chez les dtaillantes, et, dans une moindre

    mesure, les grossistes, permettent partir de versements journaliers, dobtenir un crdit de

    manire tournante. Le rle des tontines pour les commerants dans un contexte daccs au

    crdit dficient a t mis en vidence pour des contextes africains et indiens par Geertz

    (1962) et Besley (1993). Nous avons trouv une originalit dans le fonctionnement des

    tontines Brazzaville, cest--dire la diversit des dures des tontines. Elles durent de neuf

    jours trois mois et sont adaptes au caractre fluctuant des revenus des dtaillantes.

    Enfin, l'intgration de la production et du commerce facilite l'accs aux marchandises. Le

    cas des producteurs vendant directement aux consommateurs concerne 20% des

    transactions.

    Des associations de producteurs ont t identifies pour collecter l'information et ngocier

    les prix des marchandises.

    La rduction par les organisations des contraintes dinformation

    Ces organisations sont caractrises par des relations de confiance et, en ce qui concerne les

    accords bilatraux, des imbrications entre transactions sur le crdit et les marchandises. Ces

    deux caractristiques conomisent des cots en information et surveillance des transactions.

    La confiance peut tre dfinie comme la faon dont les partenaires attendent des

    ngociations quelles soient justes et des engagements quils soient respects et la croyance

    dun partenaire que ses besoins seront satisfaits par les actions futures de lautre partie de la

    transaction (Anderson et Narus, 1984 ; Anderson et Weitz, 1989 ; Barney et Hansen, 1994).

    Dans le march des lgumes Brazzaville, les relations de confiance sont permises par les

    caractristiques suivantes : (i) la rptition des transactions ; (ii) lhomognit ethnique, qui

    renforce la possibilit de pression du groupe social pour le respect des engagements ; (iii)

    linitiation au mtier par un parent expriment ; (iv) lexercice de lactivit dans la mme

    zone gographique.

    Dans les relations bilatrales entre les fournisseurs et les vendeurs, il y a des imbrications

    entre : (i) laccord qui tablit le client A comme le fournisseur privilgi ; (ii) laccord qui

    tablit le client B comme lacheteur privilgi ; (iii) laccord tablissant le recours possible

    au paiement diffr ; (iv) laccord de prix plus favorables que lors de transactions

    anonymes. Lefficacit de ces transactions lies peut tre interprte grce au cadre

    danalyse apport par Bardhan (1989). Dune part, elles conomisent des cots de

    transaction, en permettant la double coincidence de besoins qui ne pourraient pas tre

    satisfaits par des transactions de type spot. Les producteurs naccepteraient pas doctroyer

    des dlais de paiement leurs acheteurs si leurs dbouchs ntaient pas scuriss toute

    lanne. Rciproquement, les acheteurs naccepteraient pas dacheter les produits de leurs

    fournisseurs toute lanne sils ne bnficiaient pas de paiement diffr et de prix plus

    favorables. Dautre part, elles conomisent des cots de contrle des accords. Limbrication

  • 22

    des transactions rduit les incitations tricher sur une transaction cause des implications

    sur lautre transaction qui lui est attache. Un commerant qui ne rembourserait pas sa dette

    ne se verrait plus accord un approvisionnement garanti en priode de pnurie. De mme,

    un producteur vendant un acheteur autre que son client en priode de pnurie se verrait

    refuser lachat de son produit en priode dabondance. Les transactions lies augmentent les

    incitations obtenir un rsultat favorable pour lensemble des transactions. Enfin, elles

    remplacent des marchs dfaillants : lengagement de priorit entre les clients fournit une

    sorte de caution aux relations de crdit engages dans les transactions.

    Nous sommes ici proches de ce que Greif (1993) a qualifi de stratgie de punition

    bilatrale : la menace des reprsailles entrane le respect des obligations contractuelles, la

    forme la plus simple des reprsailles tant le refus de continuer faire du commerce.

    Nous pouvons dire que le march de Brazzaville runit les conditions defficacit des

    transactions lies identifies par Dorward et al. (1998), avec peu de risques dasymtrie de

    pouvoir au bnfice des commerants : en effet, linformation sur les prix circule bien, les

    commerants ne forment pas doligopole, et les transactions lies ne portant pas sur des

    intrants ou du crdit (le crdit est limit un dlai de paiement de court terme accord par

    les producteurs aux commerants), ce qui limite les effets cumulatifs de pouvoir de march.

    Les relations identifies entre les acteurs des filires peuvent tre qualifies de capital social

    au sens de Coleman (1988), cest--dire un ensemble de relations sociales qui facilitent les

    actions conomiques. Ces relations fonctionnent comme un systme de crances

    rciproques.

    Les effets sur les revenus

    Les relations de coopration dans les filires ne crent pas dexclusion mme si elles

    facilitent laccs au march. Les revenus sont assez quilibrs entre les producteurs et les

    dtaillants. Cependant, ces relations de coopration crent certaines situations doligopole et

    une htrognit dans les prix de gros. La flexibilit des arrangements observs parat plus

    efficace que les quelques exemples de groupements vendant prix fixes et qui se sont solds

    par des checs, dans un contexte de forte instabilit de loffre.

    Des amliorations possibles

    En conclusion, la recherche a montr la capacit des organisations identifies rsoudre les

    problmes dinformation imparfaite relatives aux marchs du crdit et des produits. Par

    ailleurs, les organisations de producteurs et commerants permettent de cumuler des

    ressources complmentaires, en particulier la trsorerie et l'information. Les caractristiques

    sociologiques de l'ethnie Kongo et l'histoire du secteur lgumier contribuent expliquer

    l'homognit sociale du secteur des lgumes, qui est au coeur des organisations identifies.

    Les organisations existantes sont efficaces pour rsoudre les contraintes d'information

    imparfaite sur les transactions de crdit et de marchandises, et elles ont des effets positifs

    sur tous les agents de la filire, y compris producteurs et consommateurs. Cependant, le

    fonctionnement du march des lgumes pourrait tre amlior, notamment par la rduction

    de l'instabilit de la production de lgumes, qui rend imparfaite l'information sur le march

    et accentue le caractre risqu de l'activit commerciale. Des recommandations ont t

    apportes pour amliorer le fonctionnement des marchs, en particulier rendre la production

    plus stable par le dveloppement du marachage de contre-saison, des crdits des

    entrepreneurs pour dvelopper des infrastructures de stockage et de transport.

  • 23

    Relations en rseau dans le commerce de longue distance en Afrique de lOuest

    Dans le commerce local des lgumes frais Brazzaville, jai surtout pu identifier des

    relations bilatrales entre vendeurs et acheteurs. Dans le cadre du suivi dune thse sur

    lorganisation du commerce de loignon en Afrique de lOuest (3 ; 20), nous avons mis en

    vidence le rle de rseaux de large chelle, et analys leur rle pour faciliter les

    transactions.

    Dans lanalyse des filires dapprovisionnement en oignons de la ville dAbidjan, nous

    avons port une attention particulire lanalyse des relations entre acteurs pour laccs aux

    ressources et au march, au suivi dindicateurs de rsultats conomiques et lanalyse

    historique des changements dans les systmes dapprovisionnement.

    Ce commerce de longue distance (2500 kilomtres) est centralis par dix grossistes

    importateurs, bass Abidjan, qui revendent 150 demi-grossistes, eux-mmes

    approvisionnant 10000 dtaillantes. Les grossistes importateurs achtent une trentaine de

    grossistes expditeurs bass au Niger, ainsi que de loignon de Hollande auprs de socits

    dimportation libano-syrienne et ivoiriennes.

    La dizaine dimportateurs nigriens bass Abidjan constituent les vritables ttes de

    rseaux oligopolistiques. Un rseau peut tre qualifi comme une srie de connexions

    dacteurs en termes de liens territoriaux, familiaux, historiques, culturels, ainsi que de

    relations hirarchiques, de dpendances et dobligations (Devisse, 1972 ; Dufourt, 1995).

    Les grossistes exercent un pouvoir sur les transactions de plusieurs manires. Ils contrlent

    linformation sur les volumes en circulation, grce un rseau dinformateurs bass dans

    certains villages. Ils accordent des crdits aux demi-grossistes pour lachat et le stockage

    dune cinquantaine de sacs doignons. En change, les demi-grossistes entretiennent des

    relations de fidlisation avec les grossistes importateurs. Le mme systme lie les demi-

    grossistes aux dtaillants. En amont, les grossistes expditeurs sont dpendants des

    importateurs pour linformation sur les volumes et les prix, et attendent leur feu vert avant

    tout dplacement. Les importateurs les paient au comptant, et leur assurent une srie de

    services comme lhbergement Abidjan, et le soutien financier en cas de problme,

    comme une panne ou des pertes.

    Les relations de confiance et de fidlisation entre les grossistes sont cimentes par une

    mme appartenance religieuse et politique, ainsi que par une origine territoriale commune :

    le dpartement de Tahoua au Niger. La mobilisation de systmes complexes dappartenance

    familiale, ethnique, religieuse, politique, conomique pour le commerce de longue distance

    en Afrique a t mise en vidence par des socio-anthropologues (Grgoire et Labaze,

    1993).

    Du fait des trs grands volumes mis en vente (environ 2000 tonnes par grossiste), les

    grossistes importateurs sont ceux qui obtiennent des revenus les plus levs par rapport aux

    autres dix fois plus que les grossistes, et cent fois plus que les producteurs ou dtaillants.

    Comme pour le commerce des lgumes Brazzaville, les relations entre les acteurs peuvent

    tre interprtes comme des rponses la dficience des marchs du crdit, du risque et de

    linformation. Mais pour ce commerce de longue distance, exigeant en capital, notamment

    pour le stockage, les relations de fidlisation correspondent des relations de dpendance

    des demi-grossistes et dtaillants pour les ttes de rseau et des revenus trs

  • 24

    dsquilibrs en faveur de loligopole des grossistes, ce qui ntait pas le cas pour les

    lgumes frais.

    Lencadrement dun autre travail de thse, portant sur les stratgies des producteurs de

    tomate dans la rgion dAbengourou en Cte dIvoire, a rvl que ceux-ci, majoritairement

    allochtones, sont sujets une triple dpendance, pour le foncier et leau (vis--vis des

    autochtones), pour laccs aux intrants et au crdit (vis--vis des grossistes dAbidjan).

    Cette situation conduit des rsultats conomiques plus dfavorables pour les producteurs

    allochtones que pour les autochtones (4 ;20).

    Relations personnalises dans le commerce de lgumes pour Ho Chi Minh Ville au Vietnam: application du supply chain management

    Cadre thorique

    Mes diffrentes recherches sur lapprovisionnement vivrier des villes dAsie, menes

    partir de 2002, mont conduit identifier nouveau diffrentes formes de coopration entre

    les acteurs des filires et analyser leur influence sur la fluidit des transactions, mais

    galement sur le contrle de la qualit des produits. Jai aussi enrichi mes cadres thoriques

    par les analyses de supply chain management, et de chanes de valeur (voir Chapitre 4). De

    2002 2005, jai co-encadr une thse sur les relations personnalises dans le commerce de

    lgumes approvisionnant la ville de Ho Chi Minh Ville au Vietnam. Cette thse a t

    ralise luniversit de Londres, Imperial College at Wye, sous la direction universitaire

    du Dr Andrew Fearne (2).

    Les approches de supply chain management sont diverses. Tentant une synthse,

    Mentzer (2001) dfinit une supply chain (parfois traduite en franais par chane

    logistique), comme lensemble dentreprises lies directement par des flux de produits, de

    services et dinformation et des flux financiers, depuis une source jusqu un

    consommateur (TA, p.5). Par rapport la notion de filire, qui a t dveloppe par

    lconomie industrielle (Morvan, 1991), la chane logistique est centre sur lutilisateur final

    et la chane dentreprises en amont, elle nintgre pas ncessairement le producteur et nest

    pas centre sur un produit donn (Trognon, 2009). Cest une notion proche de celle de

    canal de distribution des approches franaises de gestion, dfini comme l'ensemble des

    institutions qui assurent la relation entre le producteur et le consommateur (Filser, 1989).

    Mais la notion de chane logistique est moins neutre que celle de canal de distribution, elle

    met plus laccent sur la coordination entre les entreprises, et sur la gestion par les flux

    (Poirel, 2006). Le supply chain management (qui peut se traduire par : gestion de la

    chane logistique), est la coordination stratgique systmique des fonctions de gestion

    lintrieur dune entreprise et entre les entreprises dune chane logistique en vue de

    lamlioration long terme de la performance des entreprises individuelles et de toute la

    chane (Mentzer, 2001, TA, p. 22).

    Pour les approches de supply chain management , le partage de linformation entre les

    acteurs des filires est dterminant pour diminuer les pertes sur les produits, donc le cot de

    la mise en march. Il est galement important pour que les partenaires se mettent daccord

    sur la qualit correspondant le mieux aux attentes du consommateur final La littrature en

    SCM et en marketing permet dapprofondir la caractrisation des relations inter-entreprise

    ou en anglais business-to-business relationships (B2B) (15) ; le couple form par les

    deux entreprises en relation est qualifi de dyade. Daprs Webster (1992), les partenaires

    stratgiques et les rseaux remplacent progressivement les transactions bases sur le march

  • 25

    et les organisations bureaucratiques hirarchiques. Une nouvelle conception du marketing

    est centre sur la gestion des partenariats stratgiques et lobjectif de crer une valeur

    suprieure pour le consommateur.

    Relations testes

    Une revue de la littrature en marketing et en SCM nous a permis dlaborer un canevas de

    relations entre diffrentes variables de la relation, la performance et lenvironnement de la

    transaction (Figure 2). Nous prsentons tout dabord les variables de la relation.

    Le marketing introduit la notion dengagement (variable 1), couple une orientation des

    attitudes et des perspectives des parties prenantes vers le long terme (Lusch et Brown,

    1996). Cette notion est lie la longueur de la relation marchande (variable 2). La

    coopration (variable 3) est dfinie comme des actions coordonnes similaires ou

    complmentaires conduites par des firmes dans des relations interdpendantes pour atteindre

    des rsultats collectifs ou particuliers, avec une esprance de rciprocit dans le temps

    (Anderson et Narus, 1984). Lorientation marchande (variable 4) est dfinie comme la

    recherche active, la diffusion et la raction relative linformation sur les clients, les

    concurrents et lenvironnement pour satisfaire les besoins du consommateur final dans une

    chane dapprovisionnement aux bnfices des acteurs de la chane (Elg, 2002). Elle est

    base sur la communication entre les partenaires (variable 5). La planification conjointe

    (variable 6) fait partie de la coopration. Elle dsigne lexplicitation des droits et devoirs en

    situation dimprvus. Cette notion est proche de la rsolution conjointe des problmes qui

    fait rfrence la rsolution des dsaccords entre partenaires (Claro et al., 2003).

    Une autre dimension identifie comme importante par Claro et al. (2003) est la confiance,

    inter-personnelle (variable 6) et inter-organisationnelle (variable 7). La confiance

    interpersonnelle fait rfrence la confiance accorde par un partenaire lautre partenaire

    de la transaction. La confiance inter-organisationnelle fait rfrence la manire dont le

    membre dune organisation adhre la confiance collective de lorganisation envers son

    partenaire. A loppos de la confiance se trouve lasymtrie de pouvoir conduisant labus

    de pouvoir que certains auteurs relient une moindre performance des chanes (Duffy et al.,

    2003).

    Claro et al. (2003) cite galement les actifs spcifiques physiques (variable 10) et humains

    (11), en se rfrant Williamson.

    Une autre dimension du succs du marketing relationnel est linnovation (variable 12), en

    particulier en termes de nouveaut dans les caractristiques des produits adaptes ce que

    recherche le consommateur, court et long terme; cette dimension implique des flux rapides

    dinformation entre les distributeurs et les producteurs (Desbarats, 1999). Elle est proche de

    la flexibilit (variable 13), cest--dire la capacit dadaptation de lentreprise aux besoins

    changeants des fournisseurs ou clients (Vickery et al., 1999).

    Nous avons retenu 20 indicateurs de performance de la relation, principalement lchelle

    de lentreprise engage dans la transaction. Ils sont qualitatifs, comme la satisfaction vis--

    vis des partenaires de la transaction et la satisfaction du consommateur final ; et

    quantitatifs : volumes de vente, valeur des ventes, prix dachat et de vente, niveau de pertes,

    temps de traitement dune commande.

    Mthode

    Le travail empirique a comport une enqute sur 93 grossistes de lgumes et galement des

    tudes de cas sur les diffrents intermdiaires de cinq filires de lgumes (tomate et laitue),

  • 26

    trois vers des grossistes de march de Ho Chi Minh Ville, deux vers des supermarchs ;

    dans tous les cas les producteurs sont situs dans la province de Lam Dong, environ 300

    kilomtres de Ho Chi Minh Ville. Une ambition tait de tester de manire conomtrique les

    relations entre des variables de performance (principalement les pertes, le volume des

    ventes, la diffrence de prix entre dbut et fin des ventes) et des variables de relation

    (frquence de communication, modes de communication, rgularit des relations, modes de

    fixation des prix et du paiement).

    Rsultats

    Le travail conomtrique na pas t concluant. Cela est sans doute d deux raisons :

    dune part, une question dchantillonnage : il a t difficile de trouver dans la base de

    donnes plus de trente commerants avec les mmes caractristiques en termes de produits

    et de lieu dapprovisionnement ; dautre part, la difficult traduire en modalits limites

    les rponses des questions complexes comme la satisfaction vis--vis des partenaires de la

    transaction.

    Par contre les tudes de cas rvlent des relations intressantes.

    Ainsi, la coopration et la planification jointe, couple la confiance inter-personnelle, se

    traduisent dans trois tudes de cas par une rduction des pertes et une plus grande

    satisfaction des partenaires. La premire tude de cas porte sur M. Van, grossiste en laitue.

    Il planifie ses achats auprs de ses fournisseurs cinq jours lavance. Il a investi dans des

    programmes de formation au bnfice de ses fournisseurs (14). Ces programmes ont trait

    la rcolte et au conditionnement de la laitue. Ses pertes sont de 7 pour cent plus faibles que

    celles de ses concurrents. La deuxime tude de cas porte sur M. Mai. Celui-ci donne un

    acompte ses fournisseurs, et lentente sur les prix est ralise avant la vente, ce qui permet

    daugmenter les relations de confiance et la satisfaction des fournisseurs. Une troisime

    tude de cas porte sur lapprovisionnement dun supermarch partir de 35 collecteurs-

    grossistes ddis. Le grant de supermarch a achet des tlcopieurs pour ces fournisseurs,

    afin de leur passer des commandes journalires. Cette relation a permis de diminuer les

    pertes de 10% en deux ans et demi (15).

    Une quatrime tude de cas montre le rle de lorientation marchande, du partage

    dinformation et de la communication pour la rduction des pertes et la satisfaction des

    partenaires. Ltude de cas de M. Phuong, et du supermarch quil fournit montre

    quinformer ses fournisseurs sur une nouvelle varit de tomate faible dure de

    conservation qui ne convenait aux acheteurs, sest avr important pour donner satisfaction

    ses fournisseurs et limiter les pertes. La transparence dans linformation sur les catgories

    de qualit, et le tri conjoint de la rcolte par le collecteur et le grossiste selon ces catgories,

    augmentent galement la satisfaction des fournisseurs.

    Le partage dinformations entre grossistes et distributeurs sur la demande des

    consommateurs en termes de qualit est plus dvelopp dans les filires

    dapprovisionnement de la grande distribution que dans les filires traditionnelles (17).

  • 27

    Figure 2: Modle dinteractions entre les relations entre partenaires et la performance (2)

    Composantes de lenvironnement

    Histoire Gographie Lois et politiques Facteurs sociaux et culturels

    Variables de la relation

    1. Engagement 2. Longueur de la relation 3. Coopration 4. Orientation marchande 5. Communication 6. Planification jointe 7. Confiance inter-personnelle 8. Confiance inter-

    organisationnelle

    9. Asymtries de pouvoir 10. Actifs spcifiques physiques 11. Actifs spcifiques relationnels 12. Innovation

    13. Flexibilit et adaptation

    Chanes

    dapprovision-

    nement

    concurrentes

    Performance

    Individuelle Firme Dyade Chane

    Individual Firm Dyad Supply chain Marketing

    system

  • 28

    Les ventes directes producteurs-consommateurs: de la recherche dinformation la solidarit

    Jusqu prsent nous nous sommes concentrs sur les relations personnalises entre les

    commerants, ou entre les producteurs et les commerants. De 2002 2007, jai encadr des

    recherches Hanoi sur lorganisation des filires alimentaires, en lien avec les nouvelles

    demandes des consommateurs (18). En 2002, 70% du PIB tait concentr dans les villes, qui

    reprsentaient 46% du march des produits alimentaires en valeur. A Hanoi, les

    consommateurs sont particulirement proccups par la qualit de leur alimentation. Une

    enqute de 2002 auprs de 200 consommateurs rvlait que la moiti dentre eux

    considraient que la qualit de leur alimentation avait baiss au cours des dix dernires

    annes. Par ailleurs, 60% considrent que les aliments sont dangereux pour la sant.