UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS

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UNION GÉNÉRALE D'ÉDITIONS 8, rue Garancière - PARIS VI

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Chez le même éditeur

REVUE D'ESTHÉTIQUE numéros récents:

L'art de masse n'existe pas, 1974, n° 3/4. Présences d'Adorno, 1975, n" 1/2. Il y a des poètes partout, 1975, n" 3/4. Peindre, 1976, n° 1/2. Lire, 1976, n° 3. Voir, entendre, 1976, n° 4. L'envers du théâtre, 1977, n° 1/2. La ville n'est pas un lieu, 1977, n° 3/4. Erotiques, 1978, n° 1/2. Collages, 1978, n° 3/4. Rhétoriques, 1979, n° 1/2.

SÉRIE ESTHÉTIQUE dirigée par Mikel Dufrenne

Mikel Dufrenne, Art et politique, n° 889. Mélanges Mikel Dufrenne, Vers une esthétique sans

entrave, n° 931. Anatole Kopp, Changer la vie, changer la ville, n° 932. Gilbert Lascault, Figurées, défigurées, n° 1171. Etienne Souriau, La couronne d'herbes, n° 930. Lénine, Sur l'art et la littérature, t. 1, n° 998. Sur l'art

et la littérature, t. 2, n° 999. Sur l'art et la littérature, t. 3, n° 1013.

Catherine B. Clément, Miroirs du sujet, n° 1004. Jean-Jacques Nattiez, Fondements d'une sémiologie de la

musique, n° 1107. Marc Le Bot, Figures de l'art contemporain, n° 1115. Christian Metz, Le signifiant imaginaire, n° 1134. Dominique Noguez, Le cinéma, autrement, n° 1150. Ivanka Stoïanova, Geste - Texte - Musique, n° 1197. Daniel Charles, Gloses sur John Cage, n° 1212.

à paraître Eveline Andréani, Anti-traité d'harmonie. Claude Ballif, Voyage de mon oreille. Anne Cauquelin, Cinévilles. Noëmi Blumenkranz, le Futurisme. Daniel Giovannangeli, Ecriture et répétition. Approche de Derrida.

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L'APPAREIL MUSICAL par

DOMINIQUE AVRON

INÉDIT Série Esthétique

dirigée par Mikel Dufrenne

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© Union Générale d'Éditions, 1978 ISBN 2.264.00973.X.

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AVANT-PROPOS

Cet ouvrage rassemble des études esthé- tiques de musicologie écrites pour la plupart entre 1971 et 1973 dans le cadre d'une thèse universitaire. Ces études portent sur des sujets à la fois variés et précis puisque la première s'attache à analyser des fragments d'oeuvres de Schoenberg, Stockhausen, Berio selon une approche qui s'appuie sur les notions de tra- vail et d'intensité, la seconde critique les bases idéologiques de la sémiologie, la troi- sième traite de la musique de cinéma telle que Adorno et Eisler la désirent dans leur livre Musique de cinéma et telle que les profes- sionnels du cinéma la font, la quatrième aborde certains aspects des nouvelles musi- ques américaines tandis que la cinquième étude porte sur la danse africaine à partir

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d'une expérience d'enseignement et de recherche en ce domaine en Haute-Volta de 1973 à 1977.

Ces études de musicologie se réclament d'une esthétique pulsionnelle. Pourquoi pul- sionnelle? En premier lieu parce que cette esthétique se veut attentive à la force pri- maire des sons en deçà des systèmes, des dis- positifs et des cultures qui les régissent. Cette intensité et cette simplicité primitives des sons font que sans connaissance particulière, avec un effort d'attention à la matérialité du son, on peut prendre plaisir à l'écoute des musiques les plus variées : chants pygmées, opéras wagnériens, ambiances de la cam- pagne, ragtimes... Esthétique pulsionnelle en second lieu parce que ces études font usage de quelques concepts économiques et énergé- tiques que S. Freud a élaborés dans le cadre de sa dernière théorie sur les deux grandes pulsions, Eros et la pulsion de mort : concepts d'énergie libre et liée, principe de plaisir, principe de constance... Concepts repris depuis par J. F. Lyotard qui, dans ses recherches sur le travail du rêve, les disposi-

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tifs pulsionnels et l'économie libidinale 2 les a déplacés et lâchés dans les chasses gardées de l'art et de la politique.

NOTES

1. Cf. Au-delà du principe de plaisir (Payot). 2. Cf. Discours, Figure (Klincksieck), Dérive à partir

de Marx et Freud, Des dispositifs pulsionnels (U.G.E.), Economie libidinale (Ed. de Minuit).

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1. ÉNERGÉTIQUE MUSICALE

LES CINQ TRAVAUX DES « VARIATIONS POUR ORCHESTRE » OPUS 31 D'A. SCHOENBERG

Composer une œuvre dodécaphonique comme les Variations pour orchestre suppose des opérations multiples et variées que nous proposons de regrouper au sein de cinq tra- vaux : — 1 travail : les opérations de constitution

de la série; — 2 travail : les opérations de transforma-

tion de la série; — 3 travail : les opérations d'exposition de

la série et de ses différentes formes; — 4 travail : les opérations d'exposition du

thème à partir de l'exposition de la série;

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— 5 travail : les opérations de variation à partir du thème.

Travail de rang 1. Choisir une série de douze sons revient à

instaurer une suite de onze intervalles dans une totalité chromatique. Ces intervalles sont des « sautes » (au sens où l'on parle de « saute » d'images dans le montage cinéma- tographique) de demi-tons ou de tons : la série dessine ainsi une suite de trous, sauf quand elle enchaîne plusieurs notes voisines dans l'échelle diatonique comme c'est le cas pour la série de l'opus 31 1 Dès qu'il y a enchaînement de deux demi-tons ou plus, il y a pour l'oreille, phénoménologiquement par- lant, embryon de gamme chromatique, c'est- à-dire un bout mélodique accrochant l'audi- teur qui, derechef, sous-entend une surface d'inscription tandis que les intervalles de la série supérieurs à un demi-ton sont peu ins- criptibles sauf, évidemment, s'ils s'apparen- tent aux intervalles privilégiés en musique tonale comme la quarte, la quinte, l'octave.

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Car une quarte, une quinte, un octave sont comme un motif, comme une fugue, des objets pleins avec un dedans, un contenu, en l'occurrence la consonance. Mais la série à intervalles variés et imprévus soustrait cette plénitude (plénitude qu'il faut concevoir comme fruit de la liaison éduquée). La série rapproche l'oreille de l'organisation en mani- festant les opérations de prélèvement. Ces mêmes opérations qui faisaient des tierces, des quintes... et qui s'oubliaient dans ces tierces, ces quintes... (grâce à la consonance par exemple) sont maintenant apparentes. La série désinstitutionnalise les investissements réglés classiquement. Elle les donne à entendre avec toute l'arbitrarité mais aussi avec toute la surdétermination qui les carac- térise en tant qu'investissements contrôlés. Elle les débarrasse du plaisir. Autrement dit, la série, par ses intervalles liés en dépit du « bon » sens, dé-lie la gamme classique, cette suite diatonique lentement élaborée. Elle condense systématiquement l'ordre du dispo- sitif, puisque la série choisie structure tout le morceau, et l'ordre des sons, puisque la

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série mélodise et harmonise spécifiquement le morceau. Ce que Adorno notait ainsi : « Le procédé de la variation est ramené au maté- riau et le préforme avant que ne commence vraiment la composition. C'est à cela que Schoenberg fait allusion quand il appelle la structure dodécaphonique de ses œuvres, son a f f a i r e p r i v é e 2 »

Travail de rang 2. Les quatre formes fondamentales de la

transformation sérielle dodécaphonique sont produites par une suite de déplacements ordonnés (permutations) systématiquement appliqués sur les intervalles de la série. Ces déplacements hyperliés permettent d'obtenir les récurrences d'originaux, les renversements simples et les récurrences de renversements à partir de la forme originale, soit quatre formes fondamentales qui peuvent, par transposition sur les douze demi-tons de l'octave, débou- cher sur une douzaine de formes. L'essentiel du dispositif sériel se trouve résumé dans ces opérations. Que peut-on déduire quant à sa

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nature et aux effets produits sur l'écoute? Les transformations sérielles ont pour effet

d'accuser la figuralité de la série à l'exclusion de toute textualité. Les permutations ordon- nées brouillent la forme originale de telle sorte que les formes conséquentes sont éner- gétiquement équivalentes à l'original. Or, une suite de permutations du type renversement simple, si on l'applique à un texte, donc à un signifiant ne donnera pas un nouveau texte énergétiquement équivalent au précédent. Par exemple, réécrire en commençant par la droite un texte écrit de gauche à droite entraîne un changement qualitatif du texte original. Par la perte de toute signification immédiate, le texte prend une épaisseur figu- rale qui doit absolument être absente pour qu'il reste un texte.

Par ailleurs, il faut prendre en considéra- tion le fait que la prégnance de la série dans une œuvre dodécaphonique est uniquement fonction du travail de transformation de cette série et du travail d'exposition de ces transformations, — les travaux de rang 3 et 4. Elle ne jouit d'aucune relation privilégiée

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avec le dispositif dont elle dépend alors que c'est le cas de n'importe quelle gamme avec le système tonal. Autrement dit, une œuvre dodécaphonique construit une série, une œu- vre tonale déconstruit une gamme pré- existante. Il faut donc prendre garde que les différentes opérations dodécaphoniques, y compris les permutations ordonnées, si elles font bien partie d'un processus tout secon- daire, sont appliquées pour et selon une production qui transcende ce processus. Elles sont agent de production d'un espace figural par opposition à un espace textuel

Les permutations défoulent la série : elles libèrent la puissance figurale qu'elle recèle. Et le désordre sonore qui s'ensuit va être apprécié à sa juste mesure par la troisième oreille, la seule apte à tracer des chemins dans le chaos du contenu manifeste « [...] il doit exister un type d'audition inconsciente qui ne différencie pas les éléments musicaux pour les organiser d'une façon rigide; ce type d'audition peut ainsi reconnaître des relations formelles entre des éléments mélan- gés de toutes façons possibles et imaginables.

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Dans cette audition inconsciente indifféren- ciée, on peut reconnaître un thème joué à l'envers, en miroir ou selon n'importe quelle autre permutation 4 »

Cette apparente anarchie régnant dans les œuvres dodécaphoniques a entraîné une dé- liaison de l'écoute. L'oreille s'est décentrée de son pôle d'attraction habituel : l'euphonie. Et dès que le point de départ avoué d'une mu- sique a été une série de sons inexposable car insignifiante, l'écoute a dû se déplacer faute de relations immédiatement saisissables. Série inexposable : en effet, la série retenue pour constituer la trame d'une œuvre dodécapho- nique ne figure pas (dans sa plus grande simplicité rythmique s'entend) sur la parti- tion. Elle en est tenue à l'extérieur : série ex-posée, qu'on n'expose pas car elle n'est qu'un anti-objet aussi insignifiant qu'un écran cinématographique. Anti-objet aux douze avatars et qui fonde tout autant la législation décidée (le traité dodécaphonique) que le flux sonore qu'il sécrète (l'œuvre dodécapho- nique), étant à la fois de dispositif et de com- position. Connaître la série relative à une

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œuvre n'est d'aucun intérêt pour l'oreille parce qu'une série n'a pas d'épaisseur propre. Le désir ne peut donc la traverser et le plai- sir (ou le déplaisir) s'y attacher.

C'est ce mode de présence particulier de la source par rapport à l'œuvre qui en jaillit, qui fait du dispositif sériel une machine explosive dont les retombées ont radicale- ment transformé l'appareil musical occiden- tal. L'absence apparente de motivation, l'arbi- trarité superficielle de la série permettent une évasion, une certaine errance au niveau de l'écoute. L'oreille se retrouve avec un plus de liberté; elle est disponible pour écouter autre chose que le couple dissonance-conso- nance qui hantait l'harmonie et la mélodie du tonalisme. Elle risque même d'écouter plus que ne lui propose l'œuvre sérielle. Grâce à Schoenberg, il devient corporellement pos- sible d'écouter volontiers n'importe quel son, qu'il soit en situation dans une chaîne dont les relations échappent, ou qu'il soit isolé. Bref, l'oreille s'ouvre au « bruit ». En dé- liant l'oreille de ses ancrages réputés naturels, Schoenberg a permis l'actualisation du bruit

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dans l'appareil musical. Le bruit, c'est-à-dire n'importe quel son ou groupe sonore. Le bruit comme valeur musicale a été introduit dans l'appareil musical là où on l'attendait le moins, dans la région de la plus haute abstrac- tion (celle du dispositif qui s'imagine) et non dans celle plus concrète du matériau qui se manipule.

Introduction qui reste cependant toute théorique car il s'agit avec Schoenberg d'un déplacement inaccepté, masqué, varié, éro- tisé et non encore des effets mortels de ce déplacement. Ceux-là, un John Cage (élève de Schoenberg) se chargera de les manifester. Mais c'est bien le déplacement, en lui-même inaudible, provoqué par une série insigni- fiante détrônant une gamme inépuisable qui a amorcé la démarche criminelle, le voyage vers la tuerie manifeste où les élèves et petits d'élèves du maître crèveront la peau de tous les dispositifs ambitieux qui voudront s'impo- ser. Si tant de musiques de Cage, Feldman, Berio, Stockhausen sont cruelles à écouter pour nombre d'auditeurs, elles le doivent beaucoup plus à l'ex-position de la série ato-

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nale qu'au générateur de sons ou au piano préparé.

Travail de rang 3. On peut considérer les deux premiers

travaux comme constitutifs de la musique atonale dans la mesure où ils forment l'infra- structure codifiée de toute composition dodé- caphonique. Mais le travail de rang 3 n'est pas spécifique du dispositif atonal, du moins en ce qui concerne les œuvres dodécaphoni- ques classiques, car celles-ci n'innovent en général pas sur le plan formel, ce dont Schoenberg était conscient puisqu'il s'agis- sait là d'une option volontaire.

On s'y arrêtera néanmoins pour insister sur le processus de déplacement de l'ancrage qui se manifeste clairement dès les premières mesures des Variations, op. 31 : — la mes. 1 introduit un trémolo de si b. au

violon, ce même si b. figure aussi en cro- ches à la harpe;

— la mes. 2 conserve le même schème mélo-

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Les huit premières mesures des Variations pour orchestre op. 31 d'Arnold Schoenberg

© 1929 by Universal Edition, Wien.

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L'appareil musical regroupe des études sur des formes parfois peu connues de musiques européennes, américaines et africaines. Mu- siques dodécaphoniques (Schoenberg), élec- tro-acoustiques (Stockhausen, Berio), répéti- tives (La Monte Young, Reich), indéterminées (Cage, Feldman), musiques de film (Adorno- Eisler, Fano), Free Jazz, danse traditionnelle d'Afrique Noire sont décrites ou analysées du point de vue d'une esthétique attentive à la force brute des sons, une esthétique à l'écoute de l'énergétique propre à chaque musique et respectueuse de l'aspect magnifiquement dif- férencié de l'appareil musical actuel.

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